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L'ORIGINE DU PRIEURE DES DEUX AMANTS EN NORMANDIE Fabliau du xin siècle PAR UN TROUVÈRE DU XVITIe. NOTICE PRÉLIMINAIRE - Par Ml le Marquis DE BLOSSE VILLE. Le Trouvère qui a rimé au xvire siècle ce fabliau neustrien du-xiii', David Drivai de Sanadon ,était né en 1747, à la Pointe-à-Pitre, paroisse de Notre-Dame- de Bonport, dans l'île de la Guadeloupe, Il aliparie_ nait -à une famille d'origine l ui-provençale, mi-nor- mande, alliée dans cette colonie au sang de l'illustre armateur Dieppois, Jean Ango. Son aïeul, David Du- val de Cavillac, avait été quelque temps l'un des di- recteurs dp la Compagnie des Indes. Son père, David aussi, marié à la Guadeloupe à Marie-Aune Gosse de Saint-Gedrges, peu d'années après cette union se transplanta avec sa jeune famille à Saint-borningue où, non loin de la . ville de Saint-Marc, il développa une Document 1>- Il il Ili illi Ili 1 E Il Il il 4* 0000005565696 -

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L'ORIGINEDU

PRIEURE DES DEUX AMANTS

EN NORMANDIEFabliau du xin siècle

PAR UN TROUVÈRE DU XVITIe.

NOTICE PRÉLIMINAIRE- Par Ml le Marquis DE BLOSSE VILLE.

Le Trouvère qui a rimé au xvire siècle ce fabliauneustrien du-xiii', David Drivai de Sanadon ,était néen 1747, à la Pointe-à-Pitre, paroisse de Notre-Dame-de Bonport, dans l'île de la Guadeloupe, Il aliparie_nait -à une famille d'origine lui-provençale, mi-nor-mande, alliée dans cette colonie au sang de l'illustrearmateur Dieppois, Jean Ango. Son aïeul, David Du-val de Cavillac, avait été quelque temps l'un des di-recteurs dp la Compagnie des Indes. Son père, Davidaussi, marié à la Guadeloupe à Marie-Aune Gosse deSaint-Gedrges, peu d'années après cette union setransplanta avec sa jeune famille à Saint-borningueoù, non loin de la. ville de Saint-Marc, il développa une

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- habitation importante aux Vérettes, sur les bords de1'Artibonite.

Lorsque Famé des enfants, parvenh à l'âge de dixans, dut aller chercher eu Europe une éducation libé-raie, on se souvint que son aïeule paternelle, Aune-Louise de Sanadon, était nièce d'un membre trèsréputé de la Compagnie de Jésus, poète latin élé-gant 1 traducteur d'Horace et précepteur du prince deConti.

Il ne survivait plus alors aucun homme pour conti-nuer le nom qu'avait honoré le père Noël-EtienneSanadou. Le dernier qui l'eut porté, un sien neveu,dont la mémoire est conservée par un placet en versde Voltaire avait cessé de vivre depuis plusieurs an-nées déjà. Des femmes en étai ent seules héritières.

- Elles s'entendirent pour le faire renaître sur une jeune• tête où revivait leur sang. Ce mode Île transmission

-était dans les habitudes de cette époque ; et ce fut deleur aveu que l'enfant créole entra, sous le nom deDuval de Sanadon', au collége de l'Isle-Adan, fondé

• par la maison de Conti.Le souvenir intime qui avait dicté ce choix le rro-

tégea, et lui porta bonheur. Ses études furentbrillantes. A leur terme; avant de revoir cette terresi privilégiéê alors, si déchue aujourd'hui , qu'on nes'avise plus de nommer la reine des Antilles. il passaquelque temps. près de sa plus proche parente enFranco , M Le Cordier de Boiseval, qui tenait âPont-de-l'Arche un certain état de maison.

Dans cette riche partie du bassin de la Seine undes sites les plus pittoresques était la côte (lu prieicré

•claustral des chanoines réguliers des Deum-Amants,

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ainsi la dénommait Thomas Corneille. Le poète â peineéchappé des bancs du collège, voulut tenter, nous nedirons pas ce pèlerinage , le siècle était peu pélerimais l'ascension de cet escarpement difficile. Récom-pensé de sa fatigue par de itragnifiques aspects, il su-bit le charme de ces beaux lieux. La tradition localel'émut aussi, quoique le moyen-âge ne fut pas encoreen faveur dans le monde de la poésie, et de saverve de dix-huit ans jaillit un i'éritable fabliau ,.d'où la réthorique payenre ne fut pas sévèrementexclue.

Bientôt poete et poiime coururent le risque des mers.Ce fut une heureuse distraction pendant la traversée,longue alors du Havre au Cap français. L'occasion nese présenta pas de sauver héroïquement le poème ehle tenant d'une main , et nageant de l'autre commeCamoëns, mais des impressions de ce voyage il sur-vécut une prédilection toute naturelle, pour le premierné d'une bien jeune muse. Le fabliau •. venus sur lemétier à des distances de temps et de lieux quipeuvent servit d'explication, sinon d'excuse à quel-ques disparates, devait avoir en lui un principé decdnservationpour pouvoir résister, comme il l'a fait,pendant tout un siècle , aux chances les plus mufti-pliées de destiuction et d'oubli.

Mais aux rêves de la poésie allaient succéder les réa-lités de la vie coloniale. L'existence du vrai planteuraméricain fut franchement acceptéè dans toutes sesconditions, et i vingt-deux ans à peine, David Duvalde Sanadon se vit à la tête d'une importante habita-tion que, lui laissait son père, mort prématurément su'le navire la 3ftre-de-Familie, dans une traversée du

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Port-au-Prince en Fiance. Actif et entteprenant,.ils'éleva bientôt à une grande prospérité.

flue comprenait pas les colonies sans J'esclavage desnoirs, mais il ne comprenait que leur esclavage tem-péré parle devoir de la charité et de l'humanité, commeil avait été compris par Las Casas lui-même, non leLas Casas de convention zi qui l'on fâit dresser en Haitiet en Libéria des statues imméritées, mais le vraiLas Casas, l'apôtre des Antilles, qui , ne posant paspour l'avenir, avait sollicité et obtenu A force d'ins-tances la substitution du travail des africains vigou-reux à celui des débiles caraïbes. Sa plus vive -ambi-'tion était que Von pût dire un jour dans tout Saint-DomiûgueHeureux comme nègre à Sanadon, )'ainsi que la populaiou noire disait proverbialement« Peureux comme nègre à Gafiffet. » L'infirmerie deses plantations était déjà citée comme un modèle.

On a conservé dans sa famille un touchant adieu àses enfants, daté de Nantes, au moment d'un départpondes Antilles. Dans cet écrit presque testamentaire,il adressait avec instances à ces futurs propriétairesd'esclaves la recommandation la plus chaleureuse dudevoir de traiter leurs nègres avec d'autant plus debonté que leur père avait plaidé avec plus de convie-tien et de vivacité la cause de l'esclavage.

Toujours en communication avec la mère patrie, ils'était tr'ouvé sur l'escadre du comte de Grasse au com-bat du 29 avril 1781 contre les Anglais. Plus tard,dans les premiers troubles de la colonie. il avait eu ladouleur de voir tomber à ses côtés son ami, • M. DuPlesis-Mauduit, rentré de France avec lui. Depuis1784, il avait fait de longs séjours à Paris , où il pie-

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nait part, de ses démarches et de sa plume, à la'polé-mique si ardente alors des questions coloniales. C'étaitsingulièrement s'écarter de ses poétiques débuts. Ilavait cependant trouvé encore le loisir de rimer à sesheures, car on a de lui, entre autres publications déta-chées, une épure anonyme -à Corneille au sujet de la sta-tue qui devait être placée datls la nouvelle salle des Spec-tacles de Rouen (1775). et une ode le Patriotisme,inspirée par la guerre &Amérique.

Lorsqu'éclata l'insurrection générale des noirs, ilétait en France avec sa famille. Doublement proscrit dela colonie, où son origine européenne le. désignait aumassacre , et de la mère patrie, où ses écrits sur l'es-clavage le vouaient ii l'échafaud, il se souvint qu'àSaint-Domingue, au titre d'avocat an Parlement deParis il avait joint le grade d'officier d'une compagniede nègres libres d'ans le service colonial. La toge lecéda aux armes, et de fut comme maître dans l'esca-dron de la marine royale qu'il fit les premières cani-pagnes de l'armée des Prirces. il publiait en ménietemps à Francfort un Symbole de foi d'un Royaliste unpeu différent de celui de M. de Lally. Plus Laid on le -trouve à Londres où il avait conservé des i'elatioii -qui dataient des jours de splendeur de la colonie.Le poèm6 des Deux- Amants n'avait pas été oubliédans son léger bagage.

Rentré en France et rayé de la liste (les émigrés, ilne tarda pas à s'embarquer su. la flotte qui portait iiSaint-Domingue, le général Le Clerc. Là. contre touteprévision, il eut lajoie de retrouver sa principale ha-bitation inlacte. il l'avait embellie avec tin assez grandluxe, et, miraculeusement préservée des-torches incen-

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diaires elle était devenue ta maison de plaisance du gé-néral Toussaint-Louverture , déja possesseur, à unefaible distance, au quartier des (.4onaïves, d'un petitdomaine qu'il avait régulièrement acheté et nomméde son nom. --

Cet ancien esclave noir,-qui avait accepté dans lesens le plus large la mission de Pacificateur, s'em-pressa de restituer au légitime propriétaire l'habitationdes rives de I'Artibonite, ne voulant se considérer quecomme simple fermier. Déjà, dans cette plantation, oùle travail n'avait pas été entièrement intel-rompuquelques nègres robustes et ûdèks, et tous ceux que

£ l'on portait jadis en non-valeur, mot euphonique, pourne pas les compter comme lourde charge, étaient ac-courus autour, dirons-nous d'un malice, ou seulementd'un chef, d'un tuteur plutôt, dont les sentiments et lesactes d'humanité n'étaient pas oubliés encore; déjà desvivres étaient plantés: niais soudain une nouvelle ca-tastrophe consomma la ruine de la plus précieuse de

- nos colonies;••Sauvé comme par miracle, David Duval de Sanadon• vint se réfugier à Rouen où sa familtê avait trouvé un

asile sûr pendant les orages de la Révolution. Il avaitperdu depuis longtemps son frère beaucoup plus jeuneque lui, Georges Richard Duval de Bourgjoiy, officier

. au régiment provincial de Paris, homme d'un espritfin-et cultivé, auteur lui-mémo de poésies légères.

Tout était bien changé autour de lui, mais il sut secréer une vie nouvelle. il avait connu l'opulence sangses enivrements il connut la médiocrité sans ses fausseshonts. Honoré d'amitiés assez constantes pour avoirsurvécu à sà mauvaise fortune, recherché dans la vie

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de château, il attendit des jours iricilleurs avec antan t•de résignation au présent que de foi dans l'avenir. Sesplus douces consolations il les dut aux lettres qu'iln'avait jamais négligées, à la musique qu'il cultivaitavec goût, presque avec passion.

Au temps de sa prospérité, il avait eu pour com-mensal un pianiste alors en vogue, et d'esprit original,Steibelt, à qui l'on doit l'un des opéras les plus estiméssur le sujet si souvent choisi de Rorndo et Juliette.

Steibelt avait mis en musique plusieurs romanceséchappées à la veine facile de David Duval de Sânadonqui composait lui-nième avec agrément.

La romance était alors l'apogée de ses succès demode. La romance historique s'était arrogé l'étenduedes anciennes complaintes populaires. Elle naissaitjusque dans les palais. Elle avait enfin, quoique d'ori-gine peu classique, conquis un rang dans la littératurede l'ère impériale.-, Un petit domaine conservé aux portes de Louviersavait mis le poète créole en relations assez intimes avecun autre poète exilé du Parnasse, et tombé duTrihunatdans une sous-préfecture donnée à titre provisoire;provisoire (lui devait durer trente ans.

Boisjoslin, l'ami du grand maître Fontanes, le tra-ducteur de la Foret dc Windsor de Pope, rimait parfoisencore dans un huis-clos bien gardé. Quelques ro-mances élégamment versifiées par M. le sous-préfetqui n'en voulait pas convenir, et mises en musique parson administré qui ne s'en défendait pas, charmèrentles salons habitués à donner le ton à l'arrondissement.Délassement heureux-dont les traces sont presque en-

tièrement effacées1 1.-

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Ainsi forentfurent rendus moins amers de longs loisirsforcés. La Restauration vint ranimer des illusions bienchères. David Duval de Sanadon dut â cette époque siagitée la plus douce émotion d'une vie marquée partant de traverses; il lui dut le retour inespéré de sonseul fils perdu dans la campagne de Russie, et retenu -prisonnier sans nouvelles à Saratof, aux frontières del'Asie;

Il formait alors un voeu dont il ne devait pas voirl'accomplissement. il avait toujours manifesté tin vifdésir d'inspirer û l'un de ses petits-fils lé goût de lamarine; mais au moment où Jules de Blosevilleporté sur une liste 'Je volontaires, obéit À cette voca-tion de famille, l'aïeul qu'elle eût comblé de joie avaitcessé de vivre depuis près de deux ans. Il s'était éteintdoucement, à Arnfreville-la . Campagne, le 6mars 1816,

,plein d'une heureuse confiance dans le très prochainrétablissement de Saint-Domingue La croix de Saint-Louis venait de récompenser ses services dans les mi-lices dolonialesèt à l'armée des princes.

Tel fut le pôète; parlons du poème.Ilavait en, lui aussi, ses vicissitudes. Êhauché, nous

l'avons (lit, en présence des houx qui 1'inpiraient, ilavait abrégé les ennuis d'une longue traversée. Sousdes cieux bien divers, négligé sans doute, mais jamaisoublié, peut-être avait-il-subi quelques remaniementsentre une récoliè de cannes à sucre et un recrutementd'ateliers, lorsqu'il fut rapporté en France, et lu en1775 àl'Académie de Rouen. Ce n'était-pas encore unfabliau; c'était une nouyelle, et l'auteur qui ne s'étaitpas jusqu'alors initié aux distinctions de la langue(l'oc et de la langue d'oïl, se crevait un troubadourdu

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dix-huitième siècle, en atteùdant la réhabilitation desTrouvères. Les Trouvères passaient encore pour hàr-bares, même en Normandie, et cependant Rouen avaitconservé son antique Académie des , Palinods, dignerivale des] eux floraux de Toulouse;

Vingt-un ans se passèrent. La nouvelle en vers,c'était toujours une nouvelle, fut imprimée à Londres,n 1796, chez un éditeur français nommé Dulau. Elle

était d'une feuille dans le formatin-8°. Nous n'en con-naissons aucun exepiplaire, et nous n'avons retrouvéque fa moitié du titre, conservée comme souvenir defamille; car ce lambeau d'insignifiante apparence, oùpeu de mots tracés à la main, comme au hasard, n'ontaucun lien entre eux, appartenait à nu mode de cor-respondance convenu. L'écriture du proscrit l'assuraitsans compromettre.

Mais des jours réparateurs se levèrent. Chateau-briand vint; la poétique changea. Les poèmesen quatre chants ne paraissaient alors ni démesu-rément longs, ni trop abrégés.' L'origine du prieurédes Deux Amants dut s'étendre dans cette propor-tion , s'aligner en alexandrins, et s'inspirer cliisentiment chrétien que comportait le sujet. Lepremier chaut prenait pour théttrc la vallée (lel'Ândelle; le second le Royaume des • Normands enSicile. ; au troisième on était transporté aux Croisades;le dernier rameilait le héros pour la catastrophe.Jamais ce cadre élargi ne se remplit entièrement;en 1812 cependant, le poète lisait à l'Académie deRouen , dont il était membre correspondant, unépisode de Flq''ine et Saint Gyrt ou ['Origine du prieurdes De-u-x Amants.

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t Dans les derniers jouis de sa vie, il s'en occupaitencore cherchant û la fois à reconstituer pour l'Aca-démie son oeuvre première, tout en l'adaptant auxformes qu'avait introduites une connaissance moins

- superficielle du moyen-âge. La mémoire lai faisaitquelquefois défaut. Ses fciiIlete avaient été dispersésà tous les vents: racontons même que dix ans plus - -Lard il s'en est retrouvé deux égarés parmi des docu-ments d'indemnité coloniale. Toujours est-il quel'oeuyre telle que voulait la laisser l'auteur est restéeinachevée, mais si près d'être complétement restituéedans ses proportions primitives que c'était presqu'undevoir de rassembler

dtsjecti membra PoetaDans cet office, en quelque serte d'exécuteur testa-

mentaire, les cas de conscience n'ont pas manqué. Ilétait bien compris qu'il fallait surtout conserver, maiséonserver en choisisant parmi des variantes quel-quefois très dissemblables, et quand il n'y avait point

•à choisir, respecter le texte unique, dût-il en rssortir• quelque atteinte un peu forte à l'unité de style. C'est

ainsi que ce fabliau du moyen-âge commence par lesnymphes et finit par les mânes, chrétien à cela près,passant par l'ange des saintes amours, et l'hermite dela montagne disparates que l'auteur aurait certaine-ment effacées. Mais cc n'est qu'à la dernière extrémitéqu'il a été parfois suppléé à l'inspiration du poète pardes raccordements de pur métier, et si quelqup mala-droite cheville se laisse trop visiblement surprendre,

-. dût l'amour-propre de l'arrangeur en souffrir, c'est â• lui qu'il faut l'imputer. .

La -légndè de ce fabliau ainsi reconstruit est-elle

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se

apocryphe? Est-elle prouvée? Est-elle- -sufiisanimentprobable?

A l'instant on furent rimés les premiers vers de la• nouvelle Neustrienne, le sujet paraissait entièrement

•- neuf pour la poésie. Bien des années devaient s'écoulerencore avant que le docte abbé Delarue découvrit à

• Londres, et transcrivît d'après le manuscrit unique duBritannieun musoeum., le lai des Deux Amants • oeuvrepoétique de Marie de Fraice. la Sapho angle- novmande du xIlre sièèle, oeuvre destinée à ne paraîtrequ'en 1820, dans mie édition complète donnée, parRoquefort. David Duval de Sanadon ne connut qu'uneseule autorité, celle de Poulain de Saint-Foix, et 'n'allapoint chercher des doutes chez Dom ToussaintsDuplessis.

Saint-Poix; dans ses Essais sur Paris, où s'accumn-lent tant de faits que l'on ne songerait guère ùty cher-cher, Saint-Foix a recueilli le r&cit suivant dont il n'in-dique pas 'es sources:-

« Un seigneur qui possédoit une terre considérable -« dans le Vexin normand se plaisoit ii faire parler de• lui par ses idées singulières' et bisarres. Il assem-

bloit, an mois de juin, tous ses serfs, de l'un et de• l'autre sexe, en age d'être mariés, et leur faisoite donner la bénédiction nuptiale. Ensuite on leur set-

voit du vin et des viandes; il se ruettoit à table,« buvoit, mangeoit, et se réjouissoit avec eux; mais il« ne manquoit jamais d'imposer aux couples qui lui« paraissoient les plus amoureux quelques conditions» qu'il trouvoit-plaisantes. Il prescrivoit aux uns de

passer la première nuit de leurs nôces au haut d'un« arbre, et d'y consommer leur mariage; à d'autres d

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« le consommer dans la rivière d'Andelle, où ils pas-« seroient deux heures, nuds en chemise; à ceUx-ci

« de s'atteler à une charrue, et de tracer quelquessillons; à ceux-là de sauter à pieds joints par dessus -

« des cornes de cerf, etc.,« H avoit une nièce qui aimoit un jeune homme

« de son voisinage et qui en était éperdûment aimée.« 11 déclara â ce jeune homme qu'il ne lui accorderoit« sa mièce qui condition 'qu'il la porteroit sans se re-

poser, jusqu'au sommet d'une inbntagne qu'on« vo.yoitdes fenêtres de son château. L'amour et l'es-« pérance firent croire à cet 4biaiit que'le fardeau seraitu leger. En effet, il porta a bien-aimée, sans se re-• poser, jusqu'à l'endroit . indiqué mais il expira une• heure après des efforts qu'il avoit faits. Sa maîtresse,• au bout (le quelques jours, mourut de douleur et de• chagrin. L'oncle en expiation de leur malheur qu'il• avoit causé, fonda'surla montagne un prieuré qu'on• appela te prieuré des Deux Amants.

Tel est le récit. de seconde main sans doute, mais lapi'emièré main n'est pas connue, tel est le récit soi-lequel ont brodé tous les chroniqueurs de notreépoque.C'est de lui que procèdent taules les compilations.C'est, fable. ou vérité, ou quasi vérité, cette légendeque la poésie s'est appropriée.

Noué la retrouvons dans le Journal 4e Paris du 8 mars1779; dans les Antiquités nationales de Millin; dans laprose poétique de Marchang-y, comme dans la prosetrès peu poétique d'un préfet de l'Eure Masson deSaint-Arnaud, et d'un sous-préfet 'des Andelys, quirimait cependant, le marquis Gaétan de la Rochefou-cauld Lianconrt.' Nous la rencontrons encore dans le

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Vile volume de l'Iiermiie en province, où le flOfl) de M. deJouy couvrait les spirituels débuts littéraires de M. Le-febvrc Duruflé, aujourd'hui sénateur.

C'est de la même fiction, on de la mime traditionque partent, dans la Revue de Rouen, M. de Stabenrath,pour une notice sérieuse qui ne dissipe as tous lesbutes, mais qui expose avec autorité toutes les vrai-semblances, toutes les invraispmblances ; et M. le comtedAuffay pour faire chanter, vers 1106, la Ballade desdeux Amants par un ménestrel, ait de Chante-reine, riant verger des foldires amours des ducs de Nor-mandie.

Tous les itinéraires de Paris au Havre consacrentsoit en proie, soit même en vers, quelques sou-venirs

Au sentier rocailleux que lamant inspiréDuC gravir on portant sa maîtresse fidèle .....

Mais ils se répètent fatalement, et bien peu paraissentse soucier d'atteindre la forme littéraire de la Nor-mandie poétique de Léon Buquet, ou du voyage deParis à la mer, de M. Auguste Luehet.

Dom Toussaints du Plessis, bénédictin de saint-Germain-dos-Prés, dans sa Description anonyme de lahaute Normandie, oeuvre de géographie et de statis-tique écrite sur l'invitation de l'archeOque Louis dela Vergne de Tressait, et publiée en 1740, a réunicontre la poétique origine du prieuré des Deux Amantsdes arguments qui ne sont. pas dénués de valeur. Lacritique s'en est emparée non sans succès.

li fait remarquer que, d'après la tradition, sur leportail de l'ancienne église du prieuré, étaient repré-

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sentée.s les deux images de Jésus-Christ et de sainteMadeleine, patronne du lieu, et il en conclut, avec unpeut-être qu'il trouve lui-même profane, qi'aprèsavoir appelé d'hbord ces images les deux amants, en

faveur du divin amour qui attacha la Madeleine àJésus-Christ, ce nom se sera bientôt communiqué à

« l'église et au monastère. » Mais il est beaucoup plus•enclin à opiner pour une étymologie d'ordre très vul-gaire, et prendre pour véritable origine la pronon-ciation altérée de ces mots: les deux monts. En effet,l'aûcien'ne paroisse de la vallée d'Andelle d'où relèvele territoire, sur lequel s'est élevé le prieuré, est aujour-d'hui la commune d'Amfreville-sous-les-Monts. Cetteinterprétation assez vraisemblable dans son prosaïsmene pouvait manquefde sourire à des esprits positifs. -Masson de Saint-Arnaud l'adopte sans discussion;Gaètan de La Rochefoucauld trouve u encore plus na-

turel de penser, à l'inspection des lieux, que l'ortho-« graphe a été moins changée, et qu'on a dit autrefois':

les deux amonts, car le prieuré était situé àlangle dedeux chaînes de montagnes qui suivent toutes deuxmie ligne en amont de chacune des deux rivières quicoulent à leurs pieds.Reste à discuter si le mot amont n'est pas d'origine

moderne dans la langue administrative.Les deux rivières sont la Seine et 1'Audelle, ce qui

n'empêche pas Nodier, dans ses Voyages pittoresques elromantiques, de plicer la trâgique aventure au con-flùentde l'Eure et de l'Andelle, quoiqu'elles se jettentdans la Seine, à une assez grande distance l'une del'autre, sur des rives-opposées- « C'est, ajoute-t-il, au-près des grands confluents des, eaux que se retrouvent

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la plupart des fictions d'amour... » Et sous sa plumeingénieuse les autorités mythologiques ne manquentpas.

En cet état de la question, c'est évidemment l'inter-prétation terre tï.terre qui obtient le premier rang dansl'ordre des probabilités. Mais il faut d'irrécusablespreuves pour détruire , une légende, et ici les poètessont parfaitement en droit de répudier la prosaïqueétymologie, comme de choisir, à leur convenance,une époque entre Charleftagne et Richard Coeur-de-Lion.

Ce' n'est pas seulement aux bords de lAndelle quepareille tradition a été acceptée.

Tous les érudits, et quelques-uns des écrivains quin'ont pas la prétention de l'être, savent que Grégaire deTours, au trente-deuxième chapitre de son écrit deGland con fesso-urn, et au quarante-deuxième du pie-inier livre de son historia Francorurn, a raconté sousce Litre 'De duobus arnantibus, et placé à Clermont enAuvergne, vers l'an 500, la légende d'lnjuriosus et deScolastique, jeunes chrétiens qui avaient respecté dansla vie conjugal le voeu de chasteté. Leurs sépulcresétaient placés à'une grande distance l'un de l'autre,contre des 'murailles différentes, dans l'église de Saint-Tllide. Unniatin, lesfidèles trouvèrent les deux tombesmiraculeusement réunies.

Il n'est là d'autre analogie que celle d'un titre, quoiquele rapprochement ait été fait plus d'une fois, mais l'é-iudition sait encore qu'il a existé àL'yon une comznunauté des Deux Amants, où une tombe, à laquelle serapportait une tradition presque conforme à la nôtre,a été détruite en 1707.-

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A St-Riqniet', en Picardie, même légende.L'Espagne en offre au moinsleux, non sans quelque

'rapport. -A' peu db distance de Malaga, â Antequéra, sur la

rive du Guadaijore, tout près.de la jolie petite villed'Archidona, s'élève. la .Peiia de , los tfnamorados, laRoche des Amants.

L'Aragon a la légende â peu près semblable de los.Enamorados de Teruel, et Colomb avait imposé dansson lIe d'llispaniola le nom de cap del En.amorado â unpromontoire qu'on a depuis appelé le cap Cabron.

Sans prétendre tout citer, pour en finir avec le savon-facile, disons encore que Jacques Arago, dans sa Pro-?nenadc autour du Monde, croit avoir rencontré la mêmetradition sur lés côtes de Guliam aux îles Caro-'hues.1

N'oublions 'pas d'ajouter que le savoir difficile nemanque pas d'objets d'étude, 'et que des riches ar-chives de, la Seine-Inférieure, rendues si accessiblespar les précieux inventaires de M. de Beaurepaire, ilpeut sortir une très intéressante histoire du Prieuré,de la Madeleine des Deux Amants, et un cartulaireplus complet encore que celui de Notre-Dame de lion-port, si ingénieusement reconstitué par M Andrieu.

Résigné dans la première moitié du xvne siècle enfaveur, du collége des Jésuites de , Rouen par l'abbé deLa Ferté, aumônier du roi, qù'on appelaitM. de la Ma-deleine, le Prieuré dut à cette cession la conservationassurée de ce qui restaitalors de son chartrier, que, l'onconfia â des dépôts publics, au moment de la suppres-sion de l'Ordre,

Ces aichives ne comprennent pas moins de 26 re-

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istreset plans, 1,832 piècessur parchemin. et 3.486surpapier, titres parmi lesquels il faudra savoir choisir.

Le plus ancien, croyons-nous, est un acte de Louis-le-Gros, donnant au prieuré des Deux-Amants 56 ai-

ents de terre. L'origine 'de l'établissement religieuxest donc au moins comtemporaine du règne de ceprince, monté sur le trône en 1108, et l'altération de

- deux Montk en deux Amants, si elle est une vérité , nepeut être qu'une vérité antérieure au xlIn siècle.

A. une date déjà bien postérieure, on peut citer unebulle d'Innocent IV, le père du droit, pape de 1240 à1254,'.

prenant sous la protection du Saint-siège leprieuré de la Madeleine-des-Deux-Amants.

On a conservé aussi un acte d'ùn seigneur, au retourdes croisades, portant donation d'une rente d'un mil-lier d'anguilles au commencement du carême.

Malheureusement, il paraît prouvé par un concordatdu prieur duBosquet que dans les guerres de religionles titres du prieuré n avoient estez brulez , desrobez,n et emportez, lors de la prinse, pillage et incendie, etn que, si peu qu'il y. en avoit, ce n'étoit que quelquesn vieils contracts eu latin, du tout inutils, restez du« dit pillage et incendie , les uns à moitié brûlez, etn les autres à moitié pourris..

Les vieijs coatracîs en latin ne seraient du tout Mu-Uts pour la certitude hiétorique recherchée ici aumoins donneraient-ils sans doute les noms véritables.Nous n'avons rencontré que des noms pris à peu 'prèsau hasard; celui des Roncherolles d'abord, et tout na-turellement, car c'était la maison la plus illustre de lacontrée. On a cru reconnaître aussi la famille de Mal-mains, â trois mains gauches de sable sur fond d'a-

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zur que présentait, dit-oit , un écusson, avantS uneregrettable démolition, en 1728. M. Canel. dans sonArnwriat de la Province, donne pour armes au prieuré:d'or à trois mains senestres, apaumées, de gueules,deux et une.

Fariil • traitant de l'abbaye de Fontaine-C-uerarddans son HLsloire de, ta ville de flouen , a dit eu 1701

Les deux amants sont inhumés au cloître, dont' l'un s'appeloit Bonnemare , l'autre de Chante-

bu. Ils sont sous , une- tombe, sur laquelle ils sont- « figni'ez, l'un tout armé tenant son écu aux armes

• de Chant&ou, qui est d'argent â une bande de• sable

Dans son Histoire du Chcttcau de lladepont et del'abbaye de Fontaine-C-uerard, M. Léon Fallue a faiten quelques pages un résumé de ces divers récits enh'inspirant, dit-il, de la tradition constante.

Avec Farin, M. de La Rochefoucauld désigne lesdeux amants comme seigneur de Bonnemare et de-moiselle de Cantelou, les mettant ainsi sur un piedd'égalité qui ne se retrouve plus dans aucun' récit his-torique ou poétique. Ils sont nominés tantôt Edmondet Garceline, tantôt Florine et Saint-Cyr, ou bienEdmond et Caliste ¶ Précy et Adélaïde, Raout et Ma-thilde, dorme et irval, Regnault et Comène, noms de -fantaisie s'il en fût.

L'héroïne est toujours de haut parage; le père ou• l'oncle un seigneur bizarre et hautain. Une fois même

il est roi d'un tout petit empire ; mais l'amant infor-tuné passe par toutes les conditions : frère de lait, nésous un toit decijaume, humble vassal affranchi parleseigneur, gardien, d'abeilles, pâtie de la vallée, varlet,

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• page, ménestrel, trouvère,'serva ijI: d 'aimes. capitainnde chasses, ou ménie

DamiselFiz à un cunte gent et bel.

C'est Marie de.Erance quj lui attribue cette origineélevée. C'est elle aussi qui a placé au plus haut rang lespersonnages de cette légende, en créant de son auto-rité privée un roi des Pistreins, honneur bien inattendupour le modeste territoire gin s'étehdait sur la rivedroite de la Seine, depuis. le confluent de l'Andellejusqu'en face de l'embouchure de l'Eure.

Marie de France était née à Compiègne; elle écrivait -à Londres; elle avait puisé son sujet dans les chantsdes Bardes de la Bretagne armoricaine.

Un lai en firent li Bretun.

Aussi ne faut-il pas exiger d'elle beaucoup de cou-leur locale. Il semble cependant que cette fable naïved'un royaume de Pistrenis soit liée du souvenir deslongs séjours de Charles-le_Chauve dans son chàteaude Pitres, témoin d'un concile et d'une assembléedes Grands de l'Empire.

Une autre pai'ticularité présente encore un certaincaractère de tradition normande. Marie de France con-duit son héros dans le royaume de Naples, où il vachercher à Salerne auprès d'une tante de la Dante j-selle; experte depuis trente ans dans l'art de phisihes ,un beivre, pour ne pas dire un philtre, et de ce beivrerépandu par accident naissent sur le mont des plantesmerveilleuses.

Or il se trouve que les ruines du Prieuré dominent -des escarpements chers aux botanistes qui viennenty faire d'abondantes moissons; et M. Auguste Le

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Prévost, qui unissait à un égal degré la science de re

herbarid à celle de l'archéologie, raconte avec bonheurqu'il a rencodtré à la base la Viola Rothoviagensis, et le

long des flancs le !hytheuma orbieviaris ou herbe d'a-mour.

Néus n'insistons pas sur le charme et l'exquise naï-veté de ce chant de Marie de France, écrit tout entieren vers de huit syllabes, quoique le lai pût se compo-ser à volonté de 'ers de diverses mesures. Livrant 4. lacritique un fabliau à peu près inédit sur le même sujet,il .nouWparait convenable de nous abstenir de tout ju-gement sur les podtes qu'il a inspirés depuis elle (1).

Après David Duval de Sa'nadon,. le premier en datedoit él.re Noel de la I\orinière, très savant inspecteurgénéral des Pêches maritimes, historien aussi, et pu-bliciste qui rimait quelquefois Li ses moments perdus.Dans l'origine du Prieur des Deux Amants, il a

trouvé, cri 1785. le sujet d'une romance en quinze

coupkts.'d'après le rhythme un peu ambitieux de l'odecélèbre de Lefranc de Pompignan

Le ml a vu sur ses rivages...

Cette romance historique a été recueillie dans lesArchives de la Normandie, de Louis Dubois.

Les oeuvres complètes deDucis renferment un poème

de la Côte des Deux Amants. Il n'a pas voulu voir une

(t) Dans un recueil do ballades, fabliaux, nouvelles et lé-gendes publié par C'urmer, en 1842, sons le titre de la Pléiade,figure, avec d'élégantes vignettes, le lai des Deux Amants, d'a-près Marie de France, suave encore, quoiqu'nyont perdu de souattrait dans sa reproduction e' correct et beau langage dux,xt siècle. 1 . -

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véritable montagne aux bords de k Seine1 Ses alexan-drins ont été inspirés par Mm0 Flauguet

-Fille aimable de la Neustrie

et voisine spirituelle du Prieuré en ruines. D'aprèselle, le sceau des religieux représentait h tête d'unjeune homme et celle d'une jeune fille. Elle le tenait,disait-elle, du dernier prieur. Mais c'est un souvenirque dément la précieuse collection de sceaux des Ar-chives de la Seine-Inférieure. Ajoutàns que Ducis,fid&le ii, son temps, na pas craint d'introduire lesNymphes, les Parques, le fleuve Pénée, la vallée deTempé et Philomèle auprès d'un cloître, d'un grandsaint et d'un vieil ermite.

Le succès de Ducis ne découragea point M. AugusteCana. 'Fout docteur en médecine qu'il était, il consa-cra, en 1822, â la montagne des Deux Amants unpoème en trois chants précédé d'une courte noticehistorique et d'une dédicace en vers a un jeune amantde Thémis

Cher au barreau, cher au Parnasse.Né pour des destins glorieux.

Mais le poète d'Yvet,ot, l'aies, n'avait qu'à demi le -don de seconde vue. Ce n'était point la siman'e deDaguesseau et des Lamoignon c'était le .hdtou pas-toral des cardinaux d'A.mljoise et de Bourbon qu'ilfallait prédire à M. Henri de Bohnechose, substitutdu procureur du roi aux Andelys.

En feuilletant bien ta longue collection de l'Aima-nach4cs Muses, on découvrirait encore rn poème deBrès, la Roche des Amants.

•11 existe aussi un drame lyrique en trois actes : les

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Deux Amants; oeuvre beaucoupp1us moderne destinéeâ l'opéra par M. Réfuvdille, poète normand, que n'a-vaient pas rebutéles difficultés, les grandes difficultésde la mise en scène. Un aimable compositeur, d'ori..gine normande, M. Adrien Boièldieu, voulait se char-gerd'en écrire la musique.

Ce n'était pas la première fois que l'ait théâtral

avait touché ce sujet. Isi rne de Genlis raconte, dans ses-Mémoires, que vers 1771, pendant un séjour au châteaudu Vaudreuil, demeure du Président Portail, aprèsavoir escaladé la montagne des Deux Amants, 'elle fiten deux jours sur ce petit Ibnds romanesque, un dramequi finissait heureusement. Elle y jouait avec une per-.ruque et une barbe blanche le rôle cUun enchanteur de

. deux cents ans. On accourait du Pont-de-l'Arche etde Rouen, avec une affluence étonnante, aux représen-tations.

Mme de Gerili incline â trouver dans la tradition uneallégorie de e l'amour qui promôt tout, entreprend« tout, et expire après avoir tout obtenu. »

Son oeuvre dramatique est restée inédite, niaigiéson succès de salon.

•.Nous n'avons pas retrouvé trace du même sujet,traité soit en vers, soit en prose, soit en drame, soit en

• nouvelle, par le fécond d'Arnaud Baculard.Mais au moment «achever cette notice, nous dé-

couvrons, sous le titre un peu ambitieux de !'aufhdondramatique THÉÂTRE HISTORIQUE NATIONAL, deux es-sais publiés en 1858 par M. de La Touche, qui n'estpas l'auteur de Fia goietta, le iliariage du Roi des Sots,-coriédie en prose, et la Côte. des Aniaufs, légende tra-gique en cinq actes et en vers, non sans réminiscence

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de la poétique d'liernani, et sans quelques souvenirsde Roméo et Juliette. La vérité historique, la vérité-géographique et la coulei.Îrlocale.n'ont pas été scrupu-leusementrespectées. La scène se passe en l'an 800. auconfluent de la Seine et de l'Andelle, d'où l'on apperçoitla mer, tout près de Pont-de-l'Arche, appelé Pont-de-l'Hymen. Le héros est'flls putatif d'un roi détrôné et filsnaturel de Charlemagne; l'héroïne, ex-nonette chré-tienne, est fille de Maguemagne, chef del'hirie, chan-gement harmonieux du nom de Pigires. Le second acteest consacré à l'herbe qui fait aimer, et le grand empe-reurj6ue un rôle de personnage à travestissement. Maisnous commençons à enfreindre notre promesse de citersans juger. il est temps de nous arrêter, sans oubliertoutefois qu'en 1826, un poète anglais, J. Wifi'en,datait de la Roche-Guyon des adieux en vers à la Nor-mendie Une de ses vingt-quatre stances est consacréeaux souvenirs des rives de l'Andelle.

« Enfin je l'ai gravi, cemont fatal où la peine suivi« de si près le bonheur, lorsque par un effort

surhumain un amant y porta sa fiancée. Salut coupleu fidèle! Autour de votre tombe commune les peupliers« soupirent, l'onde gémit, eten déplorant votie funeste« destinée, Écho, la tendre Écho, oublie ses propres

malheurs. C'est là que le châtelain lentement, con-• sumé par un tardif remords, éleva un cloître expia-• toire. La cloche du monastère prolongeait ses tinte-• morts pour chasser loin de lui les fantômes qui• s'attachaient â 505 Pas:

Cette revue est longue ; est-elle complète? Nousn'osons l'espérer; mais les omissions doivent être rareset sont involontaires.

-s

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- 24è

L'ORiGI N E

1,11

PRIEURÉ DES DEUX AMANTS,

FABLIAU.

\T0115 plairait-il ouït une histoire touchanteC?était vers l'an mil deux cent trenteEt dans tout le Vexin normand

Le triste souvenir en est encor vivant.

Sur les fertiles bords où la nymphe d'Midelle.Roulant ses argentines eaux,

Vajoindre en serpentant la Seine qui l'appelle,U plissant suzerain comptait plusieùrs chteaiix.

Digne de sa noble origine,Jadis du vaillant roi Richard,Au champ d'honneur, en Palestine,Il avait porté l'étendard.

C'était messire Hervé, seigneur 4e Pont-Saiii-PicrjeEt d'Amfreville-sous-Ies-Mouts.

De son plus fort castel la porte sécttlaireS'ouvrait toujours hospitalière

Aux écuyers, aux pages, , aux barons;Aux trouvères aussi, quoique danè leurs chansonsPlus d'un trait fût ladcé contre un esprit bizarrePrudemment toutefois ils avaient leurs raisons.

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Messire Hervé n'était rien moins qu'avareMais brusque, mais entier, surtout capricieux

Fort en pro os malicieux,Mais les recevant mal; ce défaut n'est pas rarePeut-être un peujaloux de son rang, de ses droits.

Trop conteur de SUS vieux exploits,Bonhomme au demeurant. Ses vassaux dans leurs peinesNe mettaient point' en lui des espérances vaines.Consoler, secourir, étaient ses passe-temps,Et sous les humbles toits de ses vastes domainesJamais 031 n'entendait que tenanciers contents,- -

En ces -temps reculés la féte des RosièresN'était pas inventée encor, mais le seigneur,eue,

Aux solennités printanières.Souvent de ses vassaux assurait le bonheur;Par ses dons généreux on entrait en ménage.

Messire Hervé prêchait le mariage;Il conseillait, mais il dotait surtout,Ce qu'on trouvaitèncor de meilleur goût.

Lorsque d'un long sommeil la terre se réyeille.Advient le plus beau des beaux jours:

Le premier mai... le baron, dès la veille,Envoyait ses héraults, ses clairons, ses tambours,Proclamer de par lui la fête des amours.Cet appel attendu faisait toujours merveille

Et croyez bien qu'aux alen toursIl n'était pas de sourde oreille.

p

Tout près de l'antique châteauUn spacieux et verdoyant préau,

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Cher à l'enfance curieuse,Était le rendez-vous de la

fou le joyeuse.

Le châtelain tout radieux,Voyait les pastoureaux avec leurs pastourelles,Et galants jouvenceaux et gentes jouvencelles,A pas lents, devant lui, défiler deux à deux.Il les observait bien, en silence, et ses yeuxSurprenaient de l'amour les vives étincelles

Puis on venait à MonseigneurConfier l'état de son coeur.

Le berger préféré, la ber gèresensible,Tous devaient hanchement à ce juge terribleAvouer les secrets qu'il avait devinés.Il se piquait beaucoup de lire au fond des âmes;

Mais de grâce n'imaginezQu'il mit aucun obstacle à d'innocentes flammes.Tout s'arrangeait 'par lui ; des couples amoureux

- L'arbre de mai, toujours, voyait serrer les noeuds:

Les dons pleuvaient de sa main libérale;Mais il fallit subir sans murmure la loiQu'imposait du baron l'humeur originale.

L'Andelie, l'histoire en fait foi.1.'Andelle un soir fut couche nuptiale

D'un chêne al tier, un autre jourLa cime devint nid d'amont'.

Poursuivi par la meute aux rapides allures,Il fallut maintes fois, £Œix fanfares des cors,Lestement s'élancer pat' dessus les ramuresDes plus majestueux parmi 109 cerfs dix cors.

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Sous les yeux du baron un plaisant attelage,Pour plier deux époux au joug du mariage,

Traçait de pénibles sillons;C'étaient; chaque printemps, autres inventions.

Or le baron avait flue nièce charmante,Fraiicine était son nom; pins d'un brillant seigneurDe sa main vainement avait brigué l'hohneur.

Du beau Raout Francine était l'amante;Pour FrancineRaoul brûlait des mêmes feux.Raoul I Simple trouvère infortunés! Entr'eux

Le sort mettait trop de distance.Tout s'opposait,télas à leurs timides voeux,Et leurs coeurs seulement étaient d'intelligence.

Le Vexin tout entier fut dans leur confidence,Avant que le moindre soupçonTraversât l'esprit du baron.

Il fallut faire enfin un ayeu téméraireLe vieillard le reçut d'abord avec colère,

S'emporta, fronea le sourcil:« Certes le trait est nouveau; qu'est ceci?

« Un trouvère prétendit i la main de Fiancine,Francine.la fille des preux

Qui dans la nuit des temps perdent leur origine,« Et célébrés pour cent faits merveilleux

• Ont de leur noble sang rougi la Palestine!• Un trouvère! Et'Francine accueille ses aveux!

« Ah! lit à l'héritage• De ces hommes de fer qui furent nies ayeux,• Et dont la renommée agrandi d'i.ge en àge!« Sais-tu bien qu'il est lourd autant que glorieux?

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Mais as-tu soupçonné combien cet hyménée« A de nouveaux, devoirs lierait ta destinée?

« Du droit des opprimés, du droit des orphelins,• De la veuve et de l'indigence,• Peut-onz tes débiles mains« Confier la sainte défense?

« Confier le salut de cc noble castel« À ta harpe de ménestrel?

• Toi! tu protégerais nos champs héi'éitaites• Alors que des bandes guerrières• S'élanceraient des chàteaux-fôtts• De Pon L-de-l'Arche et dé Gisors• Dans la folle ardeui qui t'entraîne,

• Comprends-tu seulement que ce serait â toi,« Époux de daine châtelaine,« De porter haut dans urj'tournoi« Des grands barons de Pont-Saint-Pierre« La chevaleresque bannière? »

Ils restaient interdits, et longtemps sur ce tonRetentit la voix du baron

• Mais son humeur capricieuseAmenant un accès de sa verve railleuse,

D'un air de suprême dédain,• :Cessant de maugréer, il poursuivit soudain:

• Tu te sens donc de force conquérir les belles?'• A te sacrifier. comme à mourir pout elles?....• - Messire, vous savez. . - Ah I je ie sais trop hiên• Tel est des amoureux le langage ordinaire;

« Amoureux ne doutent de rien.

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n Ecoutez les, ils vont tout tenter, tout parfaireIls vont Pourfendre les géants,

u Escalader les citadelles,u Exterminer les mécréants,« Et revenir, après trente ans,u Toujours jeunes, toujours fidèles.

« Mais ne s'agit ici d'exploit guerrieru J'ai bien droit, s'il te plaît, d'ordonner une épreuve.« JI me vient une idée elle est bonne, elle est fleuve;

Ne vas point t'aviser de la contrarier;• Et, pour l'instruction de la race future,• Toi-même tu mettras en vers ton aventure,t

• Car tu rimes, dit-on, avec quelque talent,u Un conte, une ballade, un fabliau galant.

u Tu vois ce roc aigu, perdu dans les nuages,« Voisindu séjour des orages« Auquel il semble appartenir.

u' C'est là que, sans repos, taras, jeune trouvère,u Porter la beauté qui t'est chère;

Sa main est à ce prix; tâche de l'obtenir. »

Soutenu d'un espoir que sou amour augmente,Déjà Raoul enlève son amante,

Dont les bras délicats le pressent doucement.Elle respire à peine, et tout bas elle prie

Son saint patron et la vierge Marie;D'une offrande pieuse elle fait le serment.De crainte et de bonheur Fun et l'autre palpiteLes instants à leur gré semblent couler trop vIte,Et l'amoureux Raoul avance lentement,

u

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Tremblez, jeunes amants Tee trajet plein de charmesPour tous les bons vassaux est fécond en alarmes.A gravir le sommet de ce mont escarpéQue l'oeil du voyageur peut distinguer à peine,Ils savent qu'il lui faut, chaque instant trompé,

Souventes fois reprendre haleine,Mais des saintes amours l'ange veille sur eux

Il les soutient de son aile légère,Et te terme lointain se rapproche à leurs yeux.

Enfin Raoul, par un èilort heureux,Atteint presque le but de sa longue carrière;Encore quelques pas, Raoul sera vainqueur.

Déjà du fond de la valléePart une encourageante et joyeuse clameur.

Mais, ô présages de malheur TLa lumière du ciel tout-à-coup s'est voilée;

L'éclair brille; du sein des boisL'orage menaçant fait retentir sa voix

Du vieux moustier la cloche sonne•- Ses plus lugubres tintements.Dans ce combat des éléments,

Raoul touchait au but, sa force l'abandonne.Plaignez, plaignez iA deux amants T

Epuisé, haletant, le trouvère chancelleIl tombe inanimé la tendre damoiselleCherche à le relever ; mais efforts superflusDejà la mort approche; un nuage confus

Couvre sa débile paupière;Ses lèvres voudraient vainement

Déposer un baiser sur une main bien chèreIl retombe aussitôt privé de sentiment.

U

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Près de lui Francine éplorée,Épie un souille, un mouvement,Et la Providence implorée

Devrait bien un miracle à l'accent si ferventDe sou angélique prière -

Mais cette illusion, hélas! est la dernière.

Franclne, ah 1 qui peindrait sa muette douleurDe Raoul qui n'est plus contemple la pâleurLe presse sur son coeur. le presse encor, soupireLève les yeux au ciel et sans se plaindre expire.

Un liermite voisin se traîne à leur secoursPar lui leurs yeux sont fermés pont' toujours.

Il piqure sur leur destinéeIl les bénit. La foule arrive consternéeSurie sommet du mont péniblement franchi,Messire Hervé la suit. La colère célesteL'a frappé; tout à-coup ses cheveux ont blanchi.Il s'accuse, il gémit decette fin funeste;

Mais un devoir expiatèur lui resteIl le comprend. Par ses soins généreux,

Sous une môme pierre ils dormiront tous deux,Le trouvère charmant, l'aimable châtelaineTous deux près de l'autel de sainte Madeleine

Qui dut recevoir leurs serments.Le Baron enrichit le modeste hermitage,Et le Vexin normand vint en pélerinage

Au prieuré des deux amants.

Sur la pente du mont, jusqu'lors inconnueBientôt parut une humble fleur,.

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Dont une croyance ingénueFit une hèrbe d'amour, un philtre de bonheur..

D'un hommage sacré tristes dépositaifes.Près de te lieu fatal, de pieux solitairesTous les jours rappelaient dans un funèbre chantDe Francine et Raoul le souvenir touchant.Autour du monument errantes et plaintives,Leurs ombres, réveillant les bergères craintives,Murmuraient chaque nuit leur vie et leurs malheurs.Malgré l'effort des ans leur tombe conservéeOffre aux regards encor t cette histoire gravée.Vous qui du sort-comme eux éprouvez les rigueursAmants infortunés, versez-y quelques pleurs! -Les pleurs des vrais amants consoleront leui;s mànes.Mais vous qui n'aimez pas.-. retirez-vous, profanes!

DAvm DUvAL DE SANAD0N.

Extrait du Précis des Travaux de l'Académie impériale des Sciences,Belles-Lettres et Arts de lloiièn. - Année 1807-1868.

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Italien.lmp. de Il. Baissai, nie de la Vicomté, 55.