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go L7.2 (2) L' 4) B 1G J NE ITALIEN N E DES JUVENEL DES URSINS PAR LOUIS BÂTWFOL. Ci xtrait de la ihbiiothèque (le l'École des chartes, Année 1893, 1, LIV. I l l 1 s 1893 7 J Document Il U Il U U I Uffil I!U 11111111 0000000408639 -

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go L7.2 (2)

L' 4) B 1G J NE ITALIEN N E

DES

JUVENEL DES URSINS

PAR

LOUIS BÂTWFOL.

Ci xtrait de la ihbiiothèque (le l'École des chartes,

Année 1893, 1, LIV.

I ll 1 s1893

7

JDocument

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L'ORIGINE ITALIENNE

DES

JUVENEL DES URSINS'

II arrive parfois en histoire que les questions que l'on croyaitles plus définitivement tranchées, les problèmes que tous les éru-dits, depuis des siècles, s'étaient trouvés d'accord à considérercomme résolus, viennent à se poser de nouveau. Il suffit de ladécouverte de quelque indice contraire à l'opinion reçue pourautoriser la revision du procès et faire condamner le jugementauquel tout le monde s'était tenu jusqu'ici.

C'est ce qui vient de se produire en ce qui concerne l'originede cette illustre famille du xve siècle qui a donné à l'Etat ses plushauts dignitaires et à l'histoire un de ses plus réputés chroni-queurs, la famille Juvenel des Ursins.

Nous avons eu précédemment l'occasion d'étudier dans unarticle (le la Bibliothèque de l'École des chartes' un certainnombre de faits se rattachant à l'histoire de cette famille. Vou-lant déterminer quel était le nom exact de ceux que l'on appelaitindistinctement « Juvénal des Ursins, » nous avons été amené 'irechercher l'origine du surnom « des Ursins » que la famille apris assez tard, vers 1438.

L'archevêque de Reims, l'historien, nous a donné une explica-tion de ce surnom. il nous (lit que son père, le prévôt (les mar-chands de Paris, du temps de Charles VI, celui quine s'est jamaisappelé autrement que Jean Jouvenel, descendait directement des

1. Lecture faite à l'Académie des inscriptions et belles-lettres dans la séancedu 9 juin 1893.

2. T. L (1889), p. 537-558.

%irT)

L'ORIGINE ITALIENNE

Orsini d'Italie. A l'appui de cette assertion il existe un documentpublié par Denis Godefroy 1 , qui est une généalogie faite à Romed'après les archives des Orsini mêmes et qui montrerait commentles Juvenel des Ursins se rattachent à leurs ancêtres romains.

Nous n'avions pas longuement discuté cette prêtenlioti. DepuisFrançois du Chesne 2 , tout le monde s'était trouvé d'accord pourdéclarer la pièce généalogique manifestement fausse et, dès lors,les assertions du chroniqueur Juvénal des Ursins, qui semblaits'appuyer sur elle, entachées d'erreur. D'ailleurs, les histoiresque l'archevêque de Ileims racontait de son grand-père parais-saient si fantaisistes que nul n'eût osé y ajouter foi.

Mais la thèse de Juvénal des Ursins a été reprise ces dernierstemps d'une façon fort spécieuse. On n admis l'exactitude desaffirmations de l'historien. On a déclaré bonne et valable la chartegénéalogique qui sert (le base aux prétentions des Juvenel desUrsins; on a cherché à justifier tout ce qui est dit du père de JeanJouvenel en rapprochant les faits d'histoire générale des actes dece Pierre Jouvenel. La façon habile dont l'origine italienne (lesJuvenel des Ursins a été présentée et défendue, l'autorité, quis'attache d'ailleurs au nom de l'érudit qui a tenté cette réhabili-tation, méritent un examen detaille et approfondi de la question'.

C'est ce que nous allons faire.Il nous faut au préalable écarter deux propositions préjudi-

cielles.La première est le point de savoir si le fait que l'archevêque

de Reims nous a ou non trompés peut porter atteinte à sa valeurd'historien. La chose est de peu d'importance. Nous nous propo-sons Ufl jour d'entreprendre une édition critique de l'histoire deCharles VI. Nous montrerons à ce moment en quoi cette his-toire est originale, en quoi elle est oeuvre de seconde main. Nousétablirons qu'elle est de première information pour tout ce qui atrait aux évènements auxquels le père de l'historien a pris partentre autres. Or, si cette chronique est précieuse dans son ensembleparce qu'elle est autrement composée, ordonnée et surtout chro-

1. Histoire 4e Charles VI, éd. de 1653, p. 673.Z. Rist. des chanceliers, 1880, p. 492 et 511.3. Voy. Paul Ijurriûu, le Nom, le blason et l'origine de famille de l'historien

Juvénal des Ursias, dans Aibnuaire-Bulletirt de la Société de l'histoire deFronce, t. XXIX, 1892, P. I93221.

DES JUVENEL DES URSINS.

nologiquement distribuée que la Chronique du religieux deSaint-Denis, par exemple, elle rendra toujours le critique extrê-mement perplexe à l'égard des actions que Juvénal des Ursinsprête à son père. Ces actions sont très importantes. Or, si ellesne sont pas en contradiction formelle avec les dires des autresécrivains contemporains, elles ne sont confirmées, même par leplus petit indice, par aucun. Donc la solution du problème quenous étudions, si elle est défavorable à l'historien, ne changerapas notre confiance envers les parties du livre où il est fait men-tion de la famille de l'auteur, puisque cette confiance est faible;elle ne diminuera pas notre estime pour le reste de l'oeuvre,laquelle est bonne, bien faite et nécessaire à consulter à côté desautres sources du temps.

Le second fait à écarter est la préoccupation que l'on pourraitnous croire de vouloir défendre l'explication à laquelle nous nousétions arrêté en désespoir de cause pour justifier ce surnom« des Ursins » et qui est un vocable approchant du mot de « Lui'-cine. » Nous avons dit, et nous le répétons, que cette solution nenous satisfait que très médiocrement. Nous l'avons provisoire-ment adoptée parce qu'elle était la seule qui ne se heurtàt pas àdes impossibilités absolues. Nous la défendons mollement; nousne ferions pas difficulté de l'abandonner si nous en trouvions unemeilleure.

Ceci dit, examinons les preuves sur lesquelles on établit queles Juvenel des Ursins descendent bien des Orsini d'Italie.

Il y a quatre textes: l'affirmation de Juvénal des Ursins dansson Histoire de Charles VP; la même affirmation du mêmeauteur contenue dans un discours qu'il adressait à son frère Guil-laume Juvenel des Ursins, chancelier de France'; une généalogieconservée dans les papiers de Baluze 3 ; enfin le document émanédes archives romaines des Orsini dont nous venons de parler.

Les deux premières autorités se confondent en une seule. II n'ya donc en réalité que trois preuves.

Nous verrons qu'elles s'accordent très peu entre elles.Prenons la charte généalogique. C'est une pièce d'archive. Si

1. Éd. Godefroy, p. 70.2. BibI. nat., ma. fr. 2701, foi. 46. Ce discours a été publié par fragments

dans les annotations de l'liist. de Charles VI par D. Godefroy.3. BibI. nat., fonds Baluze, t. LIX, Arm. II, paq. 5, n' 4, fol. 294 v et 297 r.

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elle a tous les caractères d'authenticité, il va de soi que les affir-mations qu'elle contient sont à considérer et que dès lors lesaffirmations de l'historien qui les suit plus ou moins sont d'autantconfirmées.

Il s'agit d'un vidimus'. Le vidimus est daté du 27 mai 1447.L'acte vidimé est du 31 août 1445. Ce dernier commence de lasorte « Verum est quod centum et decem anni sunt, vel cir-citer, quod quidam dominus vocatus Napolio de Ursinis fuit fac-tus episcopus Metensis in Lotharingia. » Suit la série de tous les« des Ursins » français jusqu'à Jean Jouvenel. On voit qu'il nes'agit ici que de la branche française. Il est dit plus bas que tousces renseignements sont empruntés « ab archivis ejusdem domusac generis Ursinoruni. » Or, la généalogie contient des erreursmanifestes. Ceux qui cherchent à la justifier disent, pour excuserces erreurs, qu'on a remis à l'archiviste romain des notes sur labranche française tics Orsini et que cet archiviste s'est embrouillédans ces notes. Nous reviendrons dans un instant sur cet argu-ment. Pour le moment, constatons que la présente généalogie neporte que sur (les personnages français; les renseignements del'archiviste émanent tous de ces notes qu'on lui a transmises.S'il s'est trompé sur quelques parties, il peut s'être trompé surd'autres, ou bien les renseignements qu'on lui a transmis étaientfautifs. Voici déjà un premier motif de défiance à l'égard de cettegénéalogie.

L'acte vidimé établit la série descendante de la manière quisuit Napoléon des Ursins, évêque de Metz, a un frère, Juvénaldes Ursins, ou, si on veut italianiser le mot, Giovenale. Ce frèrea deux enfants une fille, qui épouse un comte de Blaminont, etun fils, Matthieu, ou Matteo. De ce Matteo naît Pierre ,Jouvenel,celui qui doit être le père de notre prévôt des marchands, JeanJouvenel. Mais arrêtons ici la lecture de l'acte.

Notre document ne dit rien de la façon dont l'évêque de MetzNapoléon des Ursins se rattache aux Orsini d'Italie. On y a ingé-nieusement suppléé. On a constaté dans le grand ouvrage deLitta 2 que la généalogie des seigneurs de Manupello pouvait assezbien se souder au tronçon français. Litta s'arrête à un Napoleone.On en fait le père de l'évêque de Metz, et, en remontant de quatre

1. Histoire de Charles VI, annotations, p. 073.2. FwnigUecelebri d'Italia, v Orsini, t. VII, tav. y.

DES J(TVENEL DES IJRSIES.

générations dans Litta, on trouve successivement ce Napoleone,père de l'évêque de Metz, un Giovenale, un Matteo et un Napo-leone, sénateur de Rome, qui vivait vers 1250.

La filière entière se trouve donc ainsi constituée

Napoleone,sénateur de Rome, vivant vers 1250.

Matteo.

Giovenale.

Napoleone.Luta s'arrête ici: puis commencent les renseignements (le notre généalogie.

Napoleone, Giovenale ou Juvénal.évêque de Metz. I

Matteo ou Matthieu.

Pierre Jouvenel.

Nous n'avons pas à discuter la généalogie de Litta. Nous enparlerons lorsqu'il s'agira de serrer les dates et de voir si unnombre déterminé de générations peuvent tenir dans un laps detemps donné.

Le premier personnage dont nous parle notre document, leplus important, celui qui est le chef de la branche française desOrsini, celui qui a établi cette branche en France et qui a faittoute sa fortune s , est Napoléon, évêque de Metz. Or, ce Napoléonévêque de Metz n'a jamais existé!

On peut ouvrir l'Histoire (les evesques de Ceglise de Metzde Meurisse 2, on n'y trouvera pas un seul prélat dont le nom rap-pelle de près ou de loin Napoléon des Ursins. Notre généalogiedonne la date de cet épiscopat'. Elle le place en 1335. ConsultezMeurisse à cette date, vous trouvez un évêque du nom de Jean

I. Et fuit iste Matthias hoeres juins Neapollnis episcopi ex quo percepitmagnatn successionem. » Histoire de Chartes VI, p. 673.

2. Metz, 1634, in-fol.est qiiod centusn et decem anni sunL. L'acte étant de 1445,

cela nous donne bien 1335.

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de Vienne et pas la moindre trace (le Napoléon des Ursins.Cette erreur est considérable; elle infirmerait à elle seule la

valeur de n'importe quelle généalogie. On en a compris toutel'importance; aussi a-t-on habilement cherché à la faire dispa-raître en trouvant de toutes façons un évêque de Metz qui pût êtrece Napoléon. On va voir que cette explication ne soutient pas unexamen attentif.

Il existe dans la série des évêques de Metz un prélat qui n'estconnu que sous le nom de Laurentius 2. On nous (lit qu'il fautsupposer que ce Laurentius est Napoléon des Ursins. Il devaitsans doute s'appeler « Laurentius di Napoleone dgli Orsini. »La fin du nom s'est perdue; il n'est resté que le. commencement3.On saisit tout de suite ce que cette hypothèse a d'arbitraire et dehasardeux. Examinons-la cependant.

Meurisse nous apprend 4 que ce Laurent était protonotaire à lacour (le Home; il était bon prédicateur, avait beaucoup (le talent,et jouissait si bien de la confiance (lu pape que celui-ci n'hésitapas à l'envoyer à Metz pour mettre fin à (les discussions quis'étaient élevées entre compétiteurs de l'évêché à la suite d'uneélection. C'est à cette occasion qu'il fut élevé au siège épiscopalde Metz; il y demeura dix ans, puis alla mourir en Italie.

La charge de protonotaire était assurément une des plus impor-tantes de la curie; mais, pour qui connaît les habitudes de la courpontificale au moyen âge, il n'y a pas de doute que si un membred'une aussi illustre famille que celle des Orsini avait eu un dessiens engagé dans les ordres, présentant autant de titres que ceLaurentius, talent, habileté, et par-dessus tout confiance du pape,il ne serait pas resté dans le protonotariat, à plus forte raisonn'eût-il pas été envoyé au loin comme évêque, il serait entrésans retard dans le sacré collège.

Ce Laurentius a laissé des traces de son épiscopat. Meurisseparle de six pièces, six documents émanés de cet évêque qu'il avus et consultés dans la chancellerie de Vie. II nous raconte leskits principaux de cet épiscopat. Il est bien étrange que les Mes-sins, s'ils avaient eu vraiment à leur tête un homme d'aussi noble

1. Meurisse, op. cil., p. 220.2. Voy. Meurisse, op. cil., p. 474476.3. Voy. P. Durrisu, op. cil., p. 217.4. Meurisse, ibid.

DES 3UVENI:I. DES EJBSTNS.

origine qu'un Orsini, aient absolument perdu le souvenir de sonnom, sinon de ses actes.

Mais au surplus, voici l'argument décisif qui empêche d'iden-tifier Laurentius avec Napoléon des Ursins. Ce Laurentius a éténommé évêque en 1270. Si nous supposons qu'il avait au moinsà cette date trente ou quarante ans, cela le fait naître en 1240ou 1230. On voit d'abord que ceci ne s'accorde guère avec ladate de 1335 donnée par l'acte généalogique. Mais maintenantjetez les yeux sur la généalogie complète, y compris les nomsdonnés par Litta, et vous verrez que pour que Laurentius soitNapoléon des Ursins il faut arriver à admettre que ce Laurentius,né en 1230, était l'arrière-petit-fils à la cinquième génération deNapoléon, sénateur de Home, qui vivait en 1250!

11 est inutile de poursuivre. Laurentius ne petit pas être Napo-léon des Ursins. 11 n'a donc jamais existé d'évêque de Metz dunom de Napoléon des Ursins. C'est pourquoi la première affirma-tion de notre document généalogique; celle qui est la base surlaquelle les autres reposent, est une pure invention.

Continuons. Le frère de ce prétendu évêque de Metz se nom-merait Juvénal, ou Giovenale; il a un fils, Matteo ou Matthieu.Il est inutile de dire qu'il n'existe nulle part la moindre trace deces personnages. Il est impossible de prouver en aucune manièrequ'ils ont réellement vécu. Bien mieux, leur existence est sus-pecte. Notre acte nous dit que l'évêque Napoléon maria ce Matteoet sa soeur à (les membres de la famille du comte de Blammont.Si l'on consulte une généalogie (le la famille (le Blammont, on netrouve pas la moindre allusion à cette alliance 2. Il n'est pas ques-tion de ces personnages. Si l'on considère ensuite l'arbre généa-logique quo nous avons donné plus haut, on verra la curieusecoïncidence suivante. Les trois noms de la branche française quisuivent la génération à laquelle s'est arrêté Litta sont: Napo-leone, Giovenale, Matteo. Or ces trois noms sont purement etsimplement la répétition en sens inverse des trois noms quifinissent la liste de Litta, Napoleone (en remontant), Giovenale,Matteo. Quelle est la première idée qui vient à l'esprit? C'est quecelui qui a fabriqué notre généalogie, ayant trois noms à trouverpour relier Pierre Jouvenel au dernier Napoleone de Litta, ne

1. Menrisse, ibid.2. Voy. D. Calmet, Histoire de Lorraine, VI, cdj.

L'ORIGINE ITALIENNE

s'est même pas donné la peine d'imaginer des prénoms nouveaux;il s'est borné à copier, en en changeant l'ordre, la liste qu'il avaitsous les yeux. S'il avait eu besoin d'un quatrième nom, ce nom,toujours en remontant, eût été Napoleone. Le fait est d'autantplus remarquable qu'il est tout à fait anormal dans la famille desOrsini. Jamais on no rencontre cette succession régulièrementbalancée des mèmes prénoms clans aucune branche des Orsini.C'est ce qui a été déjà du reste remarqué s . Enfin, il n'est pas pos-sible de dire que cette tradition d'adopter les mêmes prénoms queles ancêtres se soit spécialement établie dans la branche française,car fort malencontreusement, à partir de Pierre Jouvenel, oùnous entrons clans l'histoire connue et facile à vérifier, nous nerencontrons plus ni Nctpoldon ni Matthieu. Jean Jouvenel, leprévôt des marchands, a eu seize enfants; il n'a pas eu l'idée dedonner à aucun d'eux les noms en question. Il les a appelés Jean,Guillaume, Michel, Jacques, Louis, Denis, Pierre..., etc., tousnoms bien français et dont aucun ne rappelle de prés ou de loinla fameuse famille italienne 2 . Nous en conclurons que Giovenaloet Matteo sont des personnages fort problématiques, que nousn'avons aucune raison de croire à leur existence et que nous enavons au contraire de la suspecter.

Reprenons l'acte vidimé de 1445. Le fils de Matteo est doncPierre Jouvenel. Comme nous l'avons dit, nous nous trouvons àpartir d'ici sur un terrain connu. Nous savons, par des sourcesauthentiques, que Pierre Jouvenel était un honnête marchanddrapier de Troyes 3 , qui habitait une modeste maison de la rue deChampeaux'. Pierre Jouvenel a eu pour fils Jean Jouvenel. JeanJouvenel fit ses études à Orléans, puis vint à Paris, fut nomméconseiller au Châtelet en 1381, prévôt des marchands de Pariscc 1389, et successivement remplit les charges d'avocat du roi auParlement, de chancelier (lu duc do Guyenne, de premier pré-sident au parlement de Toulouse et de président au parlement dePoitiers. Il mourut dans cette ville en 1431, à l'âge de soixanteet onze ans. Voilà les faits certains qu'établit l'histoire. Ils sont

t. Voy. P. Durrieu, op. cil., p. 215.2. Voy, la généalogie des Juvenel des Ursins dans Godefroy, histoire de

Charles VI, p. 801.3. BibI. nai, Dép. des mss., collection Clairambault, reg. 61, p. 4731, n' 147.4. Nous reviendrons tout à l'heure sur cette demeure.

DES JUVENEL DES URSINS.

prouvés par une multitude de documents; on ne saurait avoirl'ombre d'un doute sur leur exactitude.

Or, reportons-nous à notre généalogie. Voici ce qu'elle nousraconte: « Pierre Jouvenel, après la mort de son père, fut amenéà Troyes par quelques Italiens; il y fut élevé. Il se maria avecune personne originaire de Champagne, appartenant à une bonneet grande maison. De ce mariage naquit Jean Juvénal des Ursins,qui fut de son viva ut écuyer du roi Charles, père du présent roi 1.Ce Jean Juvénal, en compagnie de plusieurs autres chevaliers deFrance, s'en alla au delà des mers, du côté (le Jérusalem, aumont Sinaï. Puis il demeura quelques années en Égypte commehomme d'armes •. c'est là qu'il mourut. Il s'était marié avec unepersonne de Bourgogne, dont II eut Jean Juvénal, actuellementconseiller du roi, et ses frères. » L'acte généalogique se ter-mine ici.

Nous n'insisterons pas sur ces détails. On le voit, c'est de lapure imagination. L'auteur du document semble s'être amusé èinventer une biographie de Jean Jouvenel aussi contraire quepossible à la réalité. On l'excuse en disant qu'il s'est embrouillédans les indications qu'on lui avait fournies 2 . D'abord cela n'em-pêche pas que les erreurs n'existent; en second lieu, si le rédac-teur s'est trompé pour toutes les affirmations que nous pouvonsvérifier, quelle créance devons-nous avoir en lui pour celles dontil est l'unique source?

Si nous récapitulons, nous constatons que les trois quarts desrenseignements fournis par ce document sont des'erreurs mani-festes, et que le dernier quart est légitimement suspect. Mêmeavec la plus bienveillante critique du monde, il nous est donc abso-lument impossible d'admettre un seul instant l'autorité d'unepareille pièce. Cet acte est faux. Il a même été fabriqué grossière-ment, sans aucune précaution, sans la moindre de ces habiletéspar lesquelles on cherche à donner le change; l'intention de l'au-teur est évidente; nous sommes en présence d'un simple jeugénéalogique sans valeur. L'histoire ne peut pas et ne doit pasen tenir compte.

Je me trompe; elle a cependant à en déduire une conséquencegrave.

1. Le présent roi est Charles VU.2. Voy. P. Durrieu, op. cit., p. 198.

40 L'ORIGINE ITALIENNE

Les fils de Jean Jouvenel ont demandé copie de cet acte; ilsl'ont contresignée, l'ont fait attester par une foule de témoins etauthentiquer par des notaires. Ils ont donc voulu la faire prendreau sérieux , . Ils ont entendu appuyer leurs prétentions de descendredes Orsini d'Italie sur cette généalogie. Or, celle-ci étant fausse,leurs prétentions doivent l'être du même coup. S'ils n'ont pu pro-duire de meilleure preuve de leur descendance, c'est que celle-ciétait plus que douteuse. Enfin, de deux choses l'une ou ils ontréellement cru aux affirmations contenues dans cette pièce qu'ilspatronnaient, et ils étaient bien simples, ou ils n'y ont pas cru,et alors leur intention de tromper apparaît clairement.

Voilà donc jugée la première preuve que l'on invoque enfaveur de l'origine italienne des Juvenel des Ursins. Cette preuven'a aucune valeur. Examinons maintenant la seconde. Nousnous trouvons en présence des affirmations de Jean Juvénal desUrsins, archevêque de Reims.

L'historien dit de son père, dans son Histoire de Charles V12:« Et estoient ses predecesseurs extraits des Ursins de deversNaples et de Rorne du mont Jourdain et furent amenez en Francepar un leur oncle nommé Messire Neapolin des Ursins, evesquede Metz. Et fut son père Pierre Juvenal des Ursins, bien vaillanthomme d'armes et l'un des principaux qui résista aux Angloisavec l'evesque de Troyes, qui estoit de ceux de Poictiers, et lecomte de Vaudemont. Et quant les guerres furent saillies enFrance, s i en alla avec autres sur les Sarrasins, et là mourut,auquel Dieu fasse pardon. »

Le même auteur s'exprime de la manière suivante dans le dis-cours au chancelier dont nous avons parlé « Pierre Juvenal desUrsins laissa [Jean Jouvenel, son fils], josne estudiant à Orléans;et s'en ala aprez que les guerres furent saluez, à Naples, vers la

I. Et à ce propos relevons que dans la souscription de l'acte il est questiond'un c latinum (le Ursinis arhiepiscopum Treverensem. » Or Latino degli Orsinia été archevêque de Trani. M. P. Durrieu (op. dl., p. 198, note) répond quec'est là une erreur du copiste qui aurait dû lire s Tranensern. s Nous voulonsl'admettre. Mais que dira M. Durricu de c .Joanni archiepiscopo Rhemensis quise lit deux lignes plus bas? Nous sommes en 1445 et Jean Juvénal des Ursinsn'a été nommé archevêque de Reims qu'en 14491 Notre confrère nous dira quec'est encore là une erreur du copiste, qui aurait dû lire « Jacobo s et nonu Joanni. » Avec un habile emploi de « l'erreur du copiste, s il n'est documentfaux qui ne puisse étre imposé pour vrai.

2. P. 70.

DES JUVF.NEL DES UESI\S. 14royne de Naples, pour savoir se il pourrait recouvrer des terresde Juvenal des Ursins, son ayeul, et en porta les lettres et tiltresqu'il avait deçà; et ou païs avoit guerre, et y fut quatre ans auservice de ladiete dame en armes : et depuis y eut accords, et futen ung voyage dessus les Sarrazins, et là morut. »

On voit de prime abord que Juvénal des Ursins ne s'accordepas avec la généalogie que lui et les siens ont fait venir de Rame.Les divergences sont importantes. Il admet toujours comme soucheessentielle de la famille ]e fameux Napoléon des Ursins, évêquede Metz, qui n'a jamais existé. Mais il ne parle plus deGiovenaleet de Matteo, les deux descendants suivants. Peut-être juge-t-illeur existence trop problématique pour oser nous en entretenir.Arrivé à son père Jean Jouvenel, qu'il a connu une bonne partiede sa vie, qu'il a suivi, dont il a fermé les yeux en 1 ,131 à Poi-tiers, et qu'il conserve dans un beau mausolée de la chapelleSaint-Denis à Notre-Dame de Paris', il ne peut vraiment pasraconter sur son compte l'invraisemblable histoire que nous rap-porte la généalogie; en vérité, ce serait trop choquant. Beaucoupde gens qui avaient connu Jean Jouvenel existaient encore aumoment où l'archevêque écrivait. On n'aurait pu à ce point-là sejouer de la crédulité publique. Juvénal des Ursins, par une simplemodification, se borne à attribuer à son grand-père Pierre Jouve-nel ce que le document italien rapporte à l'actif du prévôt desmarchands. La croisade contre les musulmans subsiste toujours;mais ce n'est plus Jean Jouvenel qui l'entreprend, c'est son pèrePierre. Dans le changement, quelques modifications se sont pro-duites. Il n'est plus question de voyage « ad partes Hierosoly-mitanas » et « ad Montera Sinai; » à la place, Pierre Jouvenel serend à Naples où il bataille plusieurs années durant.

Il paraîtra en premier lieu un peu bizarre qu'un humble mar-chand drapier de Troyes abandonne tout, son commerce, sa famille,ses enfants, pour aller revendiquer au loin des droits hypothé-tiques. Il faut ajouter qu'à ce moment la guerre était partout, etles chemins peu sûrs. 11 fallait avoir du courage pour entreprendreun pareil voyage. Il reste à Naples pendant quatre années. Ilprend part aux batailles oui se livrent dans le pays. Ce laps detemps écoulé, de deux choses Fune, ou il a obtenu satisfaction

1. BibI. nat., Dép. des mss., ins. fr . 2701, foi. 46.2. Voy. Godefroy, Rist. de Charles VII, annotations, p. 662.

12 L'ORIGINE ITALÎENNE

dans ses réclamations, et alors il va rentrer en France pour faireprofiter les siens de sa fortune, ou il n'a pas obtenu satisfaction,et à plus forte raison va-t-il revenir pour reprendre son com-merce. Pas le moins du monde! Il passe en Egypte et va se fairetuer, pas si obscurément pourtant que ses enfants ne finissent parconnaître ses aventures et leur issue tragique.

On conviendra que toute cette histoire n quelque chose deromanesque. En bonne critique, ce n'est pas sans de fortesréserves qu'on pourrait admettre une aussi extraordinaire odyssée.

Mais serrons davantage les faits il s'agissait de trouver uneexpédition contre les Sarrasins qui coïncidât avec les pérégrina-tions de Pierre Jouvenel. On a cru l'avoir trouvée. Pierre Jou-venel aurait fait partie de ce qu'on a appelé la croisade dePierre J'r, roi de Chypre, célébrée par Guillaume de Machaut,et qui aboutit à la prise, puis à la perte d'Alexandrie'.

Rapprochons les dates, on va voir à quelle série d'inconsé-quences nous aboutissons.

La croisade (le Pierre Jer est de 13652. Or Juvénal des Ursinsnous donne la date du départ de Pierre Jouvenel, lorsqu'il nousdit que Pierre Jouvenel partit, son fils, Jean Jouvenel, étant« josne étudiant à Orléans. » Jusqu'ici tout le monde avait admisavec le Père Anselme' que Jean Jouvenel était né en 1360. 11 n'apu être « josne étudiant » au moins qu'à quinze ans, c'est-à-direeu 1375. Voilà qui ne cadre plus avec la croisade de Pierre Ie'de Chypre.

Qu'à cela ne tienne! On néglige la date de naissance de JeanJouvenel acceptée par tous, et, pour les besoins de la cause, onavance de dix ans la naissance de Jean Jouvenel; on le fait naîtreen 1350.

Malheureusement, on n'a pas vu que ces dix ans ne suffisaientpas encore! Juvénal des Ursins dit bien que Pierre Jouvenel partitlorsque son fils était jeune étudiant, mais il ajoute qu'il alla(l'abord à Naples, qu'il y resta quatre ans et que c'est seulementaprès ces quatre années qu'il passa en Afrique. Si nous ajoutonsà ces quatre ans le temps des voyages, des traversées, nous avons

1. Voy. P. flurrieu, op. cit., p. 212.2. Voy. L. de Mas Latrie, la Prise d'Alexandrie. Genève, 1877, in-li'.3. P. Anselme, Histoire généalogique de lu maison de France, t. VI, p. 403.4. P. Durrieu, loc. et op. cil.

DES JUVENEL DES URSINS.

en tout cinq ans. C'est donc de quinze ans qu'il faut avancer lanaissance de Jean Jouvenel, et non de dix ans. Jean Jouvenelserait donc né en 1345.

S'il est né en 1345, il se trouve par déduction que Charles VIIle nommera président du parlement de Poitiers à l'âge (lequatre-vingt-six ans. Cela n'est pas impossible, c'est un peusurprenant.

Mais surtout si Jean Jouvenel est né en 1345, on ne peut fairenaître son père Pierre Jouvenel que vers 1315 ou 1320 au moins.Or, maintenant reportez-vous h la généalogie des Orsini et Ursinsde France que nous avons dressée plus haut, vous verrez qu'entreNapoleone degli Orsini, sénateur de Home, qui vivait en 1250,et Pierre Jouvenel, né vers 1320, doivent se placer sept généra-tions! Sept générations eu soixante-dix ans! Une génération tousles dix ans!

La thèse est donc insoutenable. Pierre Jouvenel n'a pas assistéà la croisade de Pierre l e" il n'a assisté à aucune croisade; iln'est jamais allé en Égypte. Il est resté à Troyes tout occupé deson commerce qui périclitait au milieu des difficultés inextricablesque suscitaient les guerres du temps. Il n'a jamais songé à allerréclamer à Naples des successions auxquelles il n'avait pas droit,Parce qu'il n'a jamais songé à descendre des Orsini d'Italie.

Que reste-t-il des affirmations de Juvénal des Ursins? 11 resteque Pierre Jouvenel s'est vaillamment battu contre les Anglaissous les ordres du comte de Vaudenlont et de l'évêque de TroyesHenri de Poitiers. Le fait est vraisemblable, mais en cela PierreJouvenel s'est comporté comme tous les bourgeois de Troyesqu'on avait requis pour la circonstance, et d'ailleurs cela neprouve pas son ascendance illustre'. En dehors de cette asser-tion, Juvénal ne nous parle que du voyage de Pierre Jouvenel à

1. Voy. Bout.iot, liai. de la rifle de Troyes, 11, 114 et suiv., et Am. Aufauvre,les Tablettes hs.storiquss de Troyes (Troyes, Bouquet, 1858, in-8 1), p. 17-20. Onverra dans quel état précaire à cette époque a vécu la ville de Troyes, cons-tamment attaquée par les Anglais ou des troupes de gens de guerre vagabonds.Et à ce propos relevons cc qui est dit plus haut, que Pierre Jouvenel partit4)U l'Italie lorsque les guerres c furent saillies en France. s On songe à la

paix de Brétigny de 1360 comme lin de la guerre. Niai t,eureusement, à Troyes,la paix de Brétigny, loin d'é.trc le retour de la tranquillité, fut au contraire lesignal d'alarmes plus vives provenant, des incursions des compagnies. On necomprend pas (IUC Pierre Jouvenel pût aller bulailler S Naples lorsque leshabitants de Troyes étaient constamment obligés de s'armer pour défendreleurs murs.

H L'ORIGINE TÂL1FNE

Naples et en Égypte, qui est inadmissible, et d'ailleurs encore neprouverait rien en faveur de l'origine italienne, et il nous racontel'histoire de l'évêque de Metz Napoléon des Ursins, que noussavons pertinemment fausse.

Donc cette seconde preuve n'emporte pas mieux la convictionque la première. Arrivons à la troisième.

Nous serons bref sur cette généalogie transmise par Balue.Nous allons la donner cependant pour montrer combien, lors-qu'on est en présence d'une légende, les traditions sont incer-taines et les déclarations s'accordent peu.

« ... Et le père de Jehan Juvenal Pierre Jouvenel]... estoitfilz de très illustres Romains de la maison Ursine, lequel ayantesté amené en France par son frère Napoléon, lors archevesquede Metz, avoit faits de glorieux faicts d'armes pour le bien de laFrance contre les Anglois. Les Italiens descrivant la genealogiede la branche françoise disent que l'année mil deux cent quarante,un certain Napoléon Ursin vint en France, lequel espousa unefille de la maison de Gombienon et que de leur mariage nasquitun Napoléon second, depuis archevesque de Metz, Jehan Juvenalet Gigonne, mariée au conte de l3lammont. Ce Jehan Juvenal eutpour femme la fille du frère dudit conte, et de leur mariage estyssu Pierre des Ursins, lequel espousant la fille du seigneur deVergy, en l3ourgongne, eut d'elle Jehan second, lequel fut mariéà la fille de Thibaut d'Assenay, vicomte de Troyes, procheparente de Blanche, femme de Thibault, dernier comte de Cham-pagne, et de Charles, roy de Navarre. Ce que j'ay tiray d'unvieux escript laissé par ce mesme Jehan Juvenal, lequel a pris lapeine d'escrire de sa main ceste sienne alliance, les facultez de samaison et son testament, le tout signé de sa main propre du vingt-huitierne jour de mars mil quatre cens vingt-cinq'... »

Ce document a la prétention de tirer sa source d'un texte écritet signé de Jean Jouvenel lui-même. Ceci est fort précieux. Onva voir ce qu'il en est.

Cette généalogie de Baluze commence par être en contradic-tion avec elle-même. Elle nous dit au début que les Orsini se sontétablis en France au moment où Pierre Jouvenel y a été appelépar son frère le légendaire Napoléon des Ursins, évêque de Metz,dont on fait ici un archevêque. Voilà donc Pierre Jouvenel lefrère de l'évêque de Metz, et non l'arrière-neveu, comme précé-

L Bibi. nat., Dép. des mss. Baluze, Ann. Ii, paq. 5, n 4, t. LIX, fol. 294 v.

DES JUVENEL DES URSEiS. 45demment. Puis, dans le courant du texte, le degré de parentéchange, et Pierre Jouvenel devient le neveu de l'évêque de Metz!

Ce n'est pas la seule contradiction. Nous venons de dire qu'audébut de ce document, c'est Pierre Jouvenel qui vient en Francefaire souche d'Orsini. Quelques lignes plus bas, ce n'est plusPierre Jouvenel, mais son grand-père, Napoléon des Ursins, quis'établit de ce côté-ci des Alpes vers 1240. Ce Napoléon u troisenfants : l'évêque de Metz, Juvénal ou Giovenale, et une fihleGigonne, qui épouse le comte de Blammont. On voit commentcet arbre généalogique s'accorde avec celui que nous avons dresséen commençant. Cette Gigonne n'est plus la fille de Giovenale,elle en est la soeur. Le fils de Giovenale, Matteo, père de PierreJouvenel, disparaît, cela fait une génération de moins, et voilàPierre Jouvenel fils et non plus petit-fils de Giovenale, Ce Gie-venale épouse la nièce de sa soeur.

Nous n'en avons pas fini avec les erreurs contradictoires, caren vérité il semble que ceux qui ont imaginé ces textes se soientcomplu à multiplier les inconséquences.

Jean Jouvenel aurait écrit de sa main que son père Pierreépousa « la fille du seigneur de lTergy en Bourgongne, » lors-qu'il n'y a pas de doute que Pierre épousa la fille de Thibautd'Assenay, vicomte de Troyes'. Jean Jouvenel aurait donc oubliéquelle était sa mère! Bien mieux, il aurait écrit que c'est lui Jeanqui épousa la fille de Thibaut d'Àssenay, c'est-à-dire sa mère,lorsqu'une multitude de preuves nous font connaître que sa femmeest Michelle de Vitry

On le voit, de quelque côté que nous nous tournions, nous nerencontrons qu'un tissu d'incohérences on de faussetés. Il n'estpas une affirmation qui tienne devant un examen, même super-ficiel. Nous pensons que si après des constatations de ce genre,dont la moitié certainement ou le tiers eût suffi, on pouvait encoreprendre au sérieux des documents de semblable valeur, c'est quela critique ne serait plus qu'une vaine science.

Nous devons donc conclure qu'aucune des preuves d'ordrediplomatique ou historique que l'on a produites pour montrer queles Juvenel des Ursius descendent des Orsini d'Italie ne sou-tient la discussion. Elles sont toutes fausses; elles sont inad-missibles parce qu'elles fourmillent d'impossibilités.

Dès lors, si les moyens de démonstration dont se sont servis les

j. P. Anselme, 'Hist. gen., VI, 403.

46 L'oaIdilNB tTÂI,tEE

Juvenel des Ursins pour prouver leur thèse sont inefficaces, lefonds de la thèse se trouve par là même condamné. Les Juveneldes Ursins ont prétendu tirer leur origine des Orsini d'Italie. Ilsont eu à le prouver, - indice certain que la chose n'était pas sisûre d'elle-même, - ils n'y sont pas parvenus, la question estjugée.

Et maintenant, en regard de cette prétendue noble extraction,examinons ce qu'on sait des Jouvenel à Troyes. Nous allonsvoir que la famille a été modeste, que rien ne trahit ni dans lesprénoms ni d'aucune autre manière quelconque cette descen-dance italienne. Nous avons affaire à des bourgeois et non à desseigneurs italiens expatriés.

Nous avons dit qu'on a retrouvé l'emplacement de la demeurequ'occupait à Troyes Pierre Jouvenel. Cet emplacement est ruede Champeaux. La rue de Champeaux était une des principalesrues de Troyes elle constituait la suite de la Grand'Rue etfaisait partie de l'artère qui, coupant la cité (le part en part,reliait les deux extrémités de la ville la porte de Paris et laporte Saint-Jacques.

Il ne faut pas juger de la situation de Pierre Jouvenel d'aprèsl'hôtel dit des Ursins, qui existe actuellement au n° 26 de cetterue. C'était bien le lieu où habitait notre drapier, mais ce n'étaitpas la maison. Cet hôtel, en effet, est fort élégant'. Il date de laRenaissance. Une inscription qui peut se lire sur le bâtimentactuel nous apprend même que l'hôtel primitif fut reconstruiten 1520 et que l'édifice fut brûlé en 15242.

Cet hôtel primitif se nommait hôtel de Champeaux 3 . C'étaitbien la propriété de Pierre Jouvenel. Les Juvenel des Ursins s'endéfirent en 1458; ils ont dû vendre à cette date « à Guyot,escuyer, une maison size à Troyes, rue de Champeaux 4 . » Cette

1. « A la hauteur du premier étage, dans le centre du corps de logis princi-pal, est un joli petit oratoire à trois pans montant cri poivrière dans un enca-drement de pilastres superposés. Au sommet, trois frontons s'appliquent sur uncouronnement eu lanterne décoré de balustres. Les réseaux (les fenétres sonten prismes; les vitraux qui représentent le Christ en croix et les figures despropriétaires dans l'attitude tic donateurs sont d'une très belle exécution. sAin. Aulauvre, Troyes et ses en virons, p' 119.

2. Itdd,3. Voy. Corrard de Bréban, tes Rues de Paris. Troyes, 1857, in-8e, p. 76.4. Bibi. nat., Dép. des mes,, cuti. Dupuy, vol. 673, p. 84. - hans un acte

passé à la date du 29 mai 1468 devant Pierre Drouot, notaire, « il est dit quele seigneur de Souligoy reconnait que, le 21 décembre 1158, il avait reçu à titre

DES JOVENEI. DES URSINS. 17

maison n'était pas grande, elle était basse; elle convenait à unmarchand qui pouvait jouir d'une certaine aisance et compterparmi les bourgeois de la ville; rien en elle ne témoignait dunoble ultramontain « vivant marchandenient. »

Donc Pierre Jouvenel était « marchand drapier. » C'est la qua-lité qu'il se donne dans une quittance datée du 2 septembre 1360,par laquelle il reconnaît avoir reçu de la ville de Troyes la sommede 40 écus qu'il avait prêtée pour la rançon du roi Jean.

A côté (le lui, il est question, dans les histoires troyennes, d'unautre Pierre Jouvenel à la même époque. Ce second Pierre étaitclerc marié. On ne peut le confondre avec le premier; celui-ciavait épousé la fille de Thibaut d'Assenay; le second Pierre avaitpour femme une nommée Jacquotte. Il était mort avant la datede 13622. Les statuts synodaux (lu diocèse de Troyes nous fontconnaître que la condition des clercs mariés était à Troyes assezinférieure. Les curés devaient exercer sur eux une autorité impé-rative. Ils devaient notamment veiller à ce que ces clercs por-tassent la tonsure et les habits de leur état fort exactement'. Ilest possible que ce Pierre Jouvenel ait été un cousin du premier.

Nous avons encore retrouvé la trace (l'un Jean Jouvenel vivantvers 1366. Le 31 juillet de cette année, il figure au rang dequatre-vingts notables habitants de Troyes, qui sont convoquésextraordinairement pour choisir les deux otages que la ville envoieen Angleterre à propos de la rançon du roi Jean le Bon d L'annéesuivante, le même Jean Jouvenel est cité comme membre duconseil de la ville de Troyes. Ce conseil comprenait, en 1358,dix-huit membres; peu après il en compta vingt-six; puis on leramena au chiffre de douze. Jean Jouvenel est condamné à unfranc d'amende pour avoir manqué à une séancee.

d'amphitéosc de messire Jean Juvénal des Ursins, archevêque de Reims, et ducurateur de nobles personnes Jean Juvénal (les Ursins, bachelier ès lois, archi-diacre en l'église de Relias, et Jean Juvénal des Ursins le jeune, frères, enfantsde noble et puissant seigneur Guillaume Juvénal des Ursins, seigneur (le Trai-nel, chancelier de Franco, une maison rue Champeaux, appelée communémentl'hôtel de Chanipeaux. » Voy. Corrard (le Brban, op. cil., p. 78.

1. Bibi. nal., Dép. des mss., colt. Clairambault, 61, p. 4731, n° 147.2. Th. Routiut, Jlisi. de la ville de Troyes, 11, 189.3. BibI. de Troyes, ms. 736. - Boutiot, op. cil., II, 293.4. Th. Boutiot, Louis Jouvenel des Ursins, dans Aun. de l'Aube, 1865, p. 94.5. Th. Bouliot, ui.q. de la ville de Troyes, Il, 195.6. Arch. muti. de Troyes, non»', fonds, série AA, carton n 1, liasse 1 v', on-

2

L'ORIGINE ITALIENNE

Ce Jean Jouvenel, qu'on ne saurait confondre avec le prévôtdes marchands, puisque celui-ci est né en 1300, paraît donc avoirjoui d'une certaine autorité à Troyes et joué le rôle d'uii notablebourgeois.

Une troisième fois il est question de lui dans un procès querègle le parlement de Paris à la date du 12 octobre 1367. Il s'agitd'une rente annuelle de dix sous que réclamaient le doyen et lechapitre de l'église de Saint-Etienne de Troyes sur une maisonqui appartenait à Jean Jouvenel et où il habitait « in qua nuncsuuin fovet doniicilium. » Le Parlement met fin à la contestationen ordonnant la vente de l'immeuble litigieux'.

On trouve encore à Troyes un Guillaume Jouvenel. Ce CTuil-

laume était chanoine de Saint-Étienne. Il figure dans une assem-blcè générale de mille membres, qui fut réunie en 1412 pourdécider l'emprunt d'une somme de 1,000 livres à Étienne doGivry, afin d'armer et de fortifier la ville en prévision de laguerre 2•

Ce même Guillaume Jouvenel nous est représenté en 1427comme un des partisans les plus fidèles et les plus dévoués du roiCharles VII à Troyes. Avec l'évêque de la ville, Jean Leguisé,et un notaire royal, Jean de Mesgrigny, il est un de ceux quis'occupent le plus activement des intérêts (le la cité'.

Il est question d'un autre Guillaume Jouvenel en 1413. Celui-ciest qualifié « maître des oeuvres de la ville; » il est chargé descomptes relatifs aux travaux des fortifications4.

giflaI. « Soient coiitraincts les personnes qui sensuignent chascune d'un francpour deffaut taiz le jour de la Magdeleiue CCC LXVII à venir au conseil selonce quadjournées estoient

(Malade) Guy le Flamant,Pierre Jaque,François le Ciergier,ne soient pas Ci quatre exécutes.

Guillaume Goslain,Jehan de Rence, Jaque de Plancy, Odinot Mandant, Hue le Poissonnier, maislieJean de Torvoye, Robert de Molesme, Jehan. Jouvenel le Prieur de l'Isle. ,

1. Arch. nat., Xla 9182, fol. 29.2, Arch. mun. de Troyes, nouv. fonds. Th. Boutiot, Hist. de la ville de

Troyes, II, p. 335.3. Th. Boutiot, Ibid., 11, p. 483.4. Th. Bûutiot, Louis Jouvenel des Ursins, bailli de Troyes, dans Annuaire

de l'Aube, 1565, p. 96. Le méme auteur nous donne dans son livre linsiruc-Lion publique à Troyes (1865, in-8', pl. Il) un fac-similé de la signature de ceGuillaume Jouvenel. Elle présente une curieuse analogie avec la signature de

DES JLVENEL DES ISRSINS. 19Ce ne sont pas là les seuls Jouvenel autres que le prévôt des

marchands et ses descendants que nous connaissions.Le P. Anselme parle d'un Pierre Jouvenel, frère de Jean Jou-

venel, qui vivait encore vers l'an 1399 1 . Nous avons trouvé latrace de ce personnage dans un acte daté du 1 e mars 1398 (n. st.).Il y est qualifié d'écuyer et y remplit l'office de procureur,.

Il existe un autre très proche parent de Jean Jouvenel, nomméGuy Jouvenel, qui est dit en 1406 « chevalier de Saint-Jean deJérusalem et prieur de l'Abbaye-au--Bois. » Ce Guy Jouvenelondoie à sa naissance, le 19 février 1398 (n. st.), un fils du pré-vôt des marchands, nommé Denys, dans la chambre même de samère 3. Le 13 juillet 1406, ce Guy est parrain, en compagnie deGilles de Vitry et de Jehan le Bugle, d'un autre enfant de JeanJouvenel, auquel on donna le nom de Pierre, mais qui ne vécutque deux jours 4.

Mentionnons en dernier lieu une « Jehanne la Jouvenelle,femme de messire Nicollas de Chalari, advocat en la court deparlement de Paris, » qui tient sur les fonts baptismaux del'église Saint-Landry, avec Pierre d'Orgemont, doyen de Saint-Martin de Tours, un enfant de Jean Jouvenel, auquel on donnele nom de Pierre, à la date du 6 septembre 1407.

On voit par ces quelques renseignements que nous sommes en

Jean Jouvenel, le prévôt des marchands, que nous avons dans plusieurs quit-tances.

1. P. Anseinie, Hist. généal., t. VI, p. 403.2. BibI. riai, Dép. des mss., fonds Clairambault, lit. scellés, vol. 61, p. 4731,

pièce 3, parh.3. BibI. nat., ms. fr. 4752, p. 113 et 115.4. Ibid.5. Ibid., p. 115. Il ne faut pas confondre cette Jehanne le Jouvenelle »

avec une tille de Jean Jouvenel nommée Jeanne. Cette tille était née le 24 jan-vier 1395 (n. st.). Elle aurait eu douze ans en 1407 et ne saurait être à cettedate la femme de Nicolas de Chalari. D'ailleurs nous ilavons qu'elle na étémariée qu'aIl 1414 (Arc.h. nat., L 007, n 11, fol. I r). - Nous devons icimettre en garde contre une erreur de M. Kervyti de Lettenhove (Registres duparlement de Paris cités par M. Kervn de Lettenhove. Table des noms his-toriques, au mot Jouvenel), 'lui parle à la date du 10 juillet 1390 d'un JeanJouvenel. « Ce jour fut fait l'enterrement ou sepullure de feu maistre JeanJouvenel, clerc protonotaire du roi et greffier en son Parlement, lequel tint etfit les registres et exerça ledit office par l'espace de douze ans ou environ,moult notablement. 0 M. Kervyn de Leltenhove a mal lu Jean Jouvenel pourJean Jouvenel. Ce Jrusenet, greffier du Parlement, est d'ailleurs fort connu(m'oy. Journal de iVico1s de Baye, éd. Tuetey, A la table).

20 L'ORIGINE ITALIENNE

présence d'une famille bourgeoise. Quelques-uns de ses membresentrent dans les ordres et parviennent à des situations distinguées:d'autres s'emploient utilement aux affaires de la ville de Troyes,figurent dans les assemblées de notables de la ville, pénètrentdans le conseil communal. La plupart travaillent pour vivre, cequi semble attester qu'il n'est plus resté grand'chose de la grandefortune laissée par le prétendu évêque de Metz. Enfin, aucund'eux ne porte un prénom qui raipelle de près ou de loin lesancêtres italiens. Il est impossible de s'imaginer que ces bourgeoissi dévoués à leur cité, si attachés à la cause du roi, étaient, il ya une génération, des étrangers, et des étrangers appartenant àune des plus illustres familles princières d'Italie. On ne se figurepas qu'à Troyes, où accouraient les étrangers attirés par les foires,déchues, il est vrai, à ce moment-là, mais qui s'y parquaient,faisaient fortune, puis retournaient généralement dans leur pays,une famille italienne ait pu s'assimiler si vite avec les habitantsau point do recevoir le plus complètement possible droit (le citéet d'être traitée sur le même pied que les plus anciennes et lesmeilleures familles de la bourgeoisie de Troyes, au bout d'un trèspetit nombre d'années.

Et ainsi les renseignements directs que nous possédons viennentcorroborer les preuves négatives qui condamnaient la prétentiondes Juvenel à descendre des Orsini d'Italie. Tous les faits sontd'accord. Il n'est pas un texte, pas une assertion reconnueexacte qui donne l'ombre d'une vraisemblance à cette légende.La conviction intime qui ressort de tout ce que nous avonsexposé est au contraire qu'on a voulu nous tromper; l'intentionne saurait faire de doute.

Dès lors, quelle valeur peut avoir le dernier argument que l'oninvoque, celui à vrai dire qui a seul donné l'idée de cette tenta-tive de réhabilitation, parce qu'il est ou semble être le plus spé-cieux, nous voulons dire une ressemblance fortuite entre le sceaude Jean Jouvenel et le blason des Orsini1?

Nous avouons, étant donnée surtout l'importance que l'onaccorde dans la circonstance présente aux armoiries, n'avoirqu'une confiance médiocre dans les preuves (l'affiliation que peutapporter un blason. Il faudrait d'abord établir que les règles dublason ont été rigoureuses, que les principes qui ont été en usagedans la transmission des armoiries ou qui ont été adoptés pour

1. Voy. P. Durreu, op. cil., p. 205 et suiv.

DES JUVEEL DES ITRSIS. 21

le choix des armoiries étaient fixes, et chacun sait qu'au xv 0 siècleon ne peut lien affirmer de pareil.

A la 'vérité, si l'on voulait démontrer la parenté de deux familles,que l'on produisît à l'appui un certain nombre de pièces sûres oude preuves historiques vraisemblables, puis qu'en dernière analyseou invoquit comme témoignage, à la suite de bien d'autres, lasimilitude des armes, nous ne ferions pas difficulté de reconnaître,clans l'espèce, la valeur, bien que secondaire, de cet argument.

Mais, si toutes les preuves possibles sont contraires à une filia-tion supposée, si les documents et les faits sont d'accord pourdéclarer impossible le rattachement d'une famille à une autre,nous le répétons, quelle autorité peut avoir une coïncidence toutà fait exceptionnelle des écus? En tout cas, serait-il un critiquequi, faisant table rase de tout ce qui a été dit plus haut, se décla-rerait convaincu par ce simple fait?

Examinons même les choses de plus près. Nous donnons iciles armes des Orsini d'après Litta, et les deux seuls sceaux quenous possédions de Jean Jouvenel dans l'état et la grandeur oùnous les avons. C'est du reste d'après ces cieux derniers sceauxque l'on a soutenu la thèse qui nous occupe. Le premier est appenduà un acte du 15 juillet 1400. Le second appartient à un docu-ment daté du 17 décembre 13832.

Armoiries des IJi'siui, d'après Litta.

t. Bibi, nal., Dép. des mss., collect. Clairambault, reg. 61, p. 4731, n. 149.2. Ibid., n 148.

22 L'ORIGINE ITALIENNE

1. Sceau de Jean Jouvenel (1400). 2 . Autre sceau de Jean Jouvenel(1383).

On voit (le prime abord que les deux sceaux ne nous ont pasété conservés d'une façon bien intacte. Cependant, on peut suffi-samment se rendre compte de ce qu'ils contiennent. Nous emprun-tons à M. Demay la description du premier sceau: « Écu portanttrois bandes sous un chef chargé de trois roses suspendu àarbre, accosté à gauche, la seule partie qui subsiste, de la lettre r.Sans légende'. »

Or, les Orsini portent : bandé d'argent et de gueules de sixpièces, au chef d'argent chargé d'une rose de gueules boutonnéed'or et soutenue de môme.

Les armoiries ne sont rigoureusement pas pareilles. On nousrépondra que cela n'offre aucune difficulté, que le nombre despièces pouvait varier dans un blason, comme le chiffre des lys avarié dans l'écu de France. Nous n'y contredisons pas: nousconstatons seulement combien, par malheur, clans la thèse quenous combattons, il y a peu de faits précis et qui n'aient besoind'explications empiriques.

Admettons un instant ce qu'on nous propose. Les Jouveneldescendent des Orsini. A la suite du détachement de la branchefrançaise du tronc italien, le blason s'est trouvé régulièrementmodifié. Les Jouvenel ont fixé leurs armes à la forme que nousvenons de voir. Ils s'en sont tenus là. De père en fils, ils ont tousconservé le même écu. Ils estimaient que ces armes, qui leur appar-tenaient légitimement, indiquaient suffisamment leur origine.

Mais alors, nous expliquera-t-on pourquoi, du jour où ils ontaffiché la prétention de descendre des Orsini, les Juvenel desUrsins ont abandonné sans mot dire les armes de leur père et ont

I. Demay, Inventaire des sceaux de la collection Clairambault, J, p. 520,e 4953

DES JUVEUL DES URSItÇS. 23

pris purement les armes des Orsini? Car ils ont pris les armesdes Orsini sans y rien changer: d'argent et (le gueules, bandé desix pièces, au chef d'argent, chargé d'une rose de gueules bou-tonnée d'or et soutenue de même. Si leur descendance était légi-time, régulière, connue de tous, ne devaient-ils pas conserverle blason de la branche française, et, dans le fait qu'ils ont sim-plement changé leurs armes pour prendre celles des Orsini, n'ya-t-il pas une présomption grave contre la sincérité de leursprétentions?

C'est là du moins notre conviction. Nous avons la certitudeque les Juvenel des Ursins ont voulu donner le change. Ils ontvoulu nous tromper en nous faisant croire qu'ils tenaient leursarmes de leurs ancêtres les Orsini, lorsque nous voyons que JeanJouvenel n'avait pas, comme ses fils, le blason des Orsini; l'ar-chevêque de Reims a voulu nous tromper, - et ici le fait estindéniable, - lorsqu'il a voulu nous faire croire que son père etson grand-père s'appelaient « Juvénal des Ursins, » lorsqu'il estprouvé d'une manière irréfutable qu'ils se sont appelés seulement« Jouvenel. » Trop de témoignages s'élèvent contre leur bonnefoi pour qu'il soit possible d'hésiter.

Et c'est pourquoi nous attachons peu d'importance à la pré-sence, sur le second sceau de Jean Jouvenel, de la figure d'unanimal qu'on a voulu prendre pour un ours'. Nous n'y voyons(lue la fantaisie de l'ouvrier, peut-être italien, qui a fait ce sceau.C'est pourquoi aussi nous tenons pour inexacte la cause quedonne Juvénal des Ursins au fait que son père aurait brillammentreçu chez lui un grand soigneur allemand, le comte Berthold desUrsins, qui faisait partie de la suite de l'empereur Sigisniond,lorsque celui-ci vint à Paris en 1416. Nous avons dit ailleursque cette histoire pouvait avoir un fond vrai, que Jean Jouvenel,qui était un personnage important, a pu inviter et « festoyer »le comte l3erthold; niais nous avons ajouté et nous répétons qu'iln'a pas pu le recevoir, comme le dit Juvénal des Ursins, « pourcc qu'ils estoient d'un [même] nom et armes, » puisqu'ils n'avaientsu renient pas le même nom, et qu'ils ne portaient pas rigoureu-sement les mêmes armes'.

L Animal symbolique des Orsini. Voy, P. Durrieu, op. cil., p. 208.2. ffist. de Charles V!, p. 39. Voy. notre article le No.'n de la farnUle

Juvénal des Ursins, dans B4b(. de l'École des chartes, année 1889, p. 554.

21 L'ORIGINE IT.LIENNE

La conclusion se dégage d'elle-même de tout ce que nous venonsde dire. Les preuves que l'on invoque pour soutenir que les Juve-nel des Ursins tirent leur origine des Orsini de Rome sont insuf-fisantes. Non seulement elles sont insuffisantes, mais elles seretournent contre la thèse elle-même et amènent à cette convic-tion qu'on a maladroitement tenté de faire passer pour vrai unfait qui par conséquent ne peut être que faux. On ne sauraitinvoquer ceci, que les Orsini dans la suite ont reconnu plus oumoins cette parenté. Ils n'avaient d'autre fondement pour établirleur certitude que les documents que nous avons vus, ce quienlève toute autorité à leur témoignage; il pouvait de plus ne pasleur être désagréable d'être affiliés à une importante famille fran-çaise dont un des membres était chancelier de France, un autrearchevêque-duc de Reims 1.

Il reste établi qu'on ne peut invoquer en faveur des prétentionsdes Juvenel aucun fait certain et aucun texte sérieux.

La question est donc définitivement jugée. Les Juvenel desUrsins ressemblent à cette foule de gens qu'on rencontre en toustemps et dans tous les pays, qui, non contents de la réputationqu'ils ont pu acquérir par leurs talents ou les services qu'ils ontrendus, ont la faiblesse de vouloir ajouter à leur gloire celle quepeuvent procurer des ancêtres illustres.

1. Voy. P. Durrieu, op. cil., p. j97. M. Durrieu attache une certaine impor-lance au fait que Juvénal des Ursins, nomme évéque de Beauvais, se fit sacreriX Rome, dans le palais des Orsini, (les mains d'un des membres de la famille,le cardinal Jordano degli Orsini, le 2% mars 1431 Seulement, à ce moment-IX,ta famille n'avait manifesté en rien son projet de descendre de ces Orsini;t'évéque de Beauvais se nommait encore Jean Jouvenel. M. Durrieii infère d'unecomplainte adressée en 1433 au roi Charles Vil et aux étals du royaume assem-blés à Orléans (Loisel, Mémoires des paya, villes... de Beauvais et Beauvaisis,Paris, 1617, in-4', p. 320) que c'est à la suite de ce voyage à Rouie, et sansdoute après une const4ation officielle faite (le l'exactitude de ses prétentions,que la famille Juvenel a pris le surnom e des Ursins » (Durrieu, op. cil., p. 197).Nous avons établi dans notre travail sur le !s'orn de la famille Juvnal desUrsins (p. 542) que c'est entre le 14 juillet 1437 et le 1" avril 1438 qu'il fautplacer la date exacte où les Jouvenel ont niodilié leur nom de famille, en 'spé-cifiant bien que tiotir arriver à ce résultat il fallait uniquement s'appuyer surdes documents authentiques et contemporains, et non sur des copies pos-térieures ou des textes imprimés. M. Durricu invoque l'autorité d'un mémoireimprimé en 1617 pour affirmer que les Jouvenel ont commencé à s'appelers des Ursins s en 1433, parce que cela corrobore sa thèse. Nous pourrions luiciter dix ouvrages publiés avant 1617, d'où l'on pourrait déduire que les Juve-nel ont changé leur nom à une époque bien antérieure.

DES JUVENL DES URSINS. 25Dans l'église des Cordeliers de Troyes, sous une arcade prati-

quée dans la muraille du choeur, se trouve le tombeau de MichelJuvenel des Ursins, seigneur tic la Chapelle-Gonthier, mort en1470. Tout auprès, dans la chapelle de Saint-François, repose lecorps d'Oudart Colbert, seigneur de Villacerf, Saint-Pouangeet Turgy, mort en 1640 1 . Le hasard a rapproché deux membresimportants de deux célèbres familles, qui toutes deux, parties depeu, sont arrivées très haut, et toutes deux se sont rencontréesdans le même désir vain de tromper l'histoire sur leur origine.

Louis I3ATIFFOL.

I. Courtalon, Topographie historique de la ville et du diocèse de Troyes,t. II, p. 255.

(Extrait de la Bibliothèque de l'École des chartes, tome LIV, 1893.)

Nogent-le-Rotrou, imprimerie DAUPELY-GOUVERNEUR.

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