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"L’étude du secret commercial et industriel : approche comparatiste en droit civil par l’exemple de sa relation
avec la propriété intellectuelle (France et Québec)"
Mémoire Maîtrise en droit
Benjamin Chahkar Mian Poshteh
Université Laval Québec, Canada
Maître en droit (LL.M.)
et
Université de Paris-Sud
Orsay, France Master (M.)
© Benjamin Chahkar Mian Poshteh, 2018
iii
Résumé du mémoire
Le but de ce mémoire, à l’heure où la directive européenne n°2016/943 est sur le point
d’être transposée en France, est de constater que le secret de commerce est une part essentielle
de la stratégie des entreprises. Cela est vrai aussi bien en France qu’au Québec. Le secret de
commerce entretient une relation ambivalente avec le droit de la propriété intellectuelle dont
l’étude fait l’objet de ce mémoire. Il est donc procédé à la précision de la nature du secret de
commerce par référence aux droits de la propriété intellectuelle tout en observant comment la
pratique agence ces deux types de protections. Les aspects civils de ce régime de protection de
fait sont étudiés au sein des deux juridictions afin d’observer pourquoi les entreprises se
trouvent attirées vers ce régime pouvant sembler, a priori, fragile et risqué. Nous en concluons
que le secret de commerce est un mode de protection efficace des actifs intellectuels de
l’entreprise, permettant de compléter les droits de la propriété intellectuelle, et que l’influence
de ces derniers sur le régime a permis de le rendre plus attirant pour les entreprises.
iv
Table des matières
Résumé du mémoire ...................................................................................................... iii
Table des matières ......................................................................................................... iv
Epigraphe ....................................................................................................................... vi
Remerciements ............................................................................................................. vii
Introduction .................................................................................................................... 1
I. L’enjeu complexe de la qualification du secret de commerce ............................... 15
A. La nature juridique incertaine du secret de commerce ................................... 15
i) Une qualification improbable du secret de commerce comme bien ........... 16
a) La qualification délaissée de l’information ............................................... 17
b) L’éloignement progressif du secret de commerce de la catégorie des biens
22
ii) Une distinction certaine avec les droits de propriété intellectuelle ............. 29
a) Une nature incompatible ............................................................................ 29
b) Un régime de protection corroboré par cette affirmation .......................... 33
B. La relation ambivalente du secret de commerce avec le droit de la propriété
intellectuelle 40
i) Le secret comme complément des droits de propriété intellectuelle .......... 40
a) Une nécessité avant l’acquisition du droit ................................................. 41
b) Un complément majeur après l’acquisition du droit ................................. 45
ii) Le secret comme substitut des droits de propriété intellectuelle ................ 50
a) Le recours contraint au secret de commerce .............................................. 51
b) Le recours stratégique au secret de commerce .......................................... 56
II. La lutte contre la fragilité problématique du secret de commerce : le régime de
protection 63
v
A. Les mesures de protection mises en œuvre a priori par l’entreprise : une
distinction majeure avec le droit de la propriété intellectuelle ............................................. 64
i) La responsabilité contractuelle.................................................................... 68
a) Les atteintes commises dans le cadre d’un contrat de travail .................... 70
b) Les atteintes commises par un partenaire économique ............................. 74
ii) La responsabilité délictuelle........................................................................ 77
a) Les fondements de la responsabilité extracontractuelle en France ............ 77
b) Les fondements de la responsabilité extracontractuelle au Québec .......... 81
B. Les mesures judiciaires a posteriori de préservation et de réparation du secret :
un rapprochement des droits de la propriété intellectuelle ................................................... 89
i) Les mesures de préservation du secret ........................................................ 89
a) Les précautions avant le procès ................................................................. 90
b) Les précautions pendant le procès ............................................................. 95
ii) Les mesures de réparation de l’atteinte ....................................................... 99
a) La compensation financière : le règne de la clause pénale ...................... 100
b) Le difficile recours à l’injonction permanente ........................................ 105
Conclusion .................................................................................................................. 109
Bibliographie .............................................................................................................. 112
vi
Epigraphe
« Le secret a toujours la forme d’une oreille. »1
1 Jean COCTEAU, Le Rappel à l’ordre, Stock 1926, spéc. Le Secret professionnel.
vii
Remerciements
J’aimerais avant tout remercier M. Reza Moradinejad et M. Jean Lapousterle pour leurs
conseils, leur aide et leur temps. Ils m’ont permis de développer un intérêt toujours croissant
pour ce sujet.
J’aimerais également remercier Mme Charlaine Bouchard pour ses indications
précieuses.
Je remercie mes parents pour leur soutien indéfectible et leurs encouragements. Ils ont
toujours su m’orienter, m’inspirer, me motiver, et continueront sûrement à faire tout cela. Je
tiens aussi à remercier mes frères pour leur savoir vivre et leur bonne humeur qui se sont révélés
indispensables.
Finalement, et malgré une absence notoire de remerciements de sa part, je ne peux
qu’adresser les miens à Dzevka. Sans elle, rien de tout ceci n’aurait été possible.
1
Introduction
Les secrets de commerce existent depuis la nuit des temps. Remontons au temps des
Pharaons et à leur méthode d’embaumement ou de construction des pyramides. Voilà
des secrets qui, jusqu’à notre ère, n’ont pas encore été percés.2
Cet auteur fait ressortir tout l’enjeu de la protection, par une entreprise, de son
actif immatériel par le secret d’affaires : « L’intérêt du secret de commerce vient du fait
que cette protection peut durer éternellement, tant que l’information est gardée secrète, et
parce qu’elle n’est pas nécessairement protégeable par l’un des autres régimes de
propriété intellectuelle »3.
Le patrimoine d’une entreprise est constitué d’actifs à la fois matériels et
immatériels. Afin de protéger ces derniers, étant davantage mis en péril à l’ère des
technologies de l’information (en raison d’une transmissibilité accrue et d’un espionnage
industriel facilité)4, le détenteur de ces éléments peut décider de faire appel à différents
régimes de protection. Il peut, par exemple, faire appel à un titre de propriété intellectuelle
(comme le droit d’auteur ou le brevet industriel). Si ces modes de protection se montrent
généralement efficaces en raison des prérogatives découlant du monopole conféré, la
protection par le secret de commerce peut également se révéler utile dans la stratégie de
l’entreprise.
Le secret d’affaires est, depuis quelques temps déjà, un enjeu ayant gagné une
importance croissante au sein des Etats de l’Union européenne. En effet, le 8 juin 2016,
fut adoptée une directive du Parlement européen afin d’harmoniser ce régime de
protection à travers l’Union5. Si l’harmonisation ne fut pas totale6, elle constitue
néanmoins une reconnaissance de l’importance du secret d’affaires pour le
2 Georges F. SAYEGH, Les secrets de commerce et les renseignements confidentiels, Cowansville, Editions
Yvon Blais, 2006, p. 22.
3 Gaëlle BEAUREGARD, Entre l'art, l'invention et la nourriture: la propriété intellectuelle des recettes
au Canada, Cowansville, Editions Yvon Blais, 2011, p. 38.
4 Nathalie MALLET-POUJOUL, « Appropriation de l’information : l’éternelle chimère », D. 1997. 330,
n°1.
5 DIRECTIVE (UE) 2016/943 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 8 juin 2016 sur la
protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre
l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites (ci-après « Dir. n°2016/943 »).
6 Jean LAPOUSTERLE, « La directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des secrets
d’affaires : apports et perspectives de transposition », Dalloz IP/IT. 2016, p. 493.
2
développement de l’économie européenne : sans garanties communes entre les pays, les
entreprises ne sont pas encouragées à coopérer au-delà des frontières et ne se sentent pas
en sécurité relativement à la communication de leurs informations confidentielles, parfois
essentielles à leur maintien7. En France, cette directive fait l’objet d’une proposition de
loi de transposition, dont le texte rédigé par la Commission mixte paritaire8 vient tout
juste d’être approuvé par le Conseil constitutionnel au moment où ce mémoire est rédigé9.
Il est ainsi possible d’observer un renforcement global du régime de protection des secrets
des affaires en France, comme il le sera exposé au cours de ce mémoire, malgré de
nombreuses oppositions de la part de certains milieux. En effet, depuis le projet de
directive européenne, les journalistes ainsi que les lanceurs d’alertes ont cherché à
endiguer l’ampleur de ce nouveau régime, invoquant notamment une atteinte à la liberté
d’expression : cette liberté fondamentale serait reléguée au rang d’exception à la
protection du secret quand cette dernière devrait être une exception à une telle liberté10.
Si nous avons décidé d’exclure cet enjeu relatif à la liberté d’expression de l’étude de ce
mémoire, nous nous accordons avec la doctrine adoptant un raisonnement légal et fondé
tendant à considérer que la crainte de cette catégorie de professionnels n’est pas fondée11.
Cette question a, par ailleurs été traitée récemment par une étudiante de l’Université de
Laval12.
Les entreprises comme les organismes de recherche non commerciaux investissent
dans l'obtention, le développement et l'utilisation de savoir-faire et d'informations qui
7 Jean LAPOUSTERLE et Bertrand WARUSFEL, « Avant-propos introductif », dans Jean
LAPOUSTERLE (dir.), La protection des secrets d’affaires: perspectives nationales et européennes : actes
du colloque du 1er avril 2016, Palais du Luxembourg, Paris, 2017, p. xvi, à la p. xvi.
8 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », Sénat, n°126, 21 juin 2018, en ligne :
<http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2017-2018/506.html> (consulté le 2 août 2018).
9 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-768 DC du 26 juillet 2018, en ligne : <https://www.conseil-
constitutionnel.fr/decision/2018/2018768DC.htm> (consulté le 2 août 2018).
10 Richard MILCHIOR et Virginie FOURGOUX, « Directive sur le secret d’affaires : création d’un
nouveau droit de propriété intellectuelle », AJCA. 2016. 391.
11 V. not. sur la question Jean-Marie GARINOT, « Secret des affaires et liberté d’information », dans Jean
LAPOUSTERLE (dir.), La protection des secrets d’affaires: perspectives nationales et européennes : actes
du colloque du 1er avril 2016, Palais du Luxembourg, Paris, 2017, p. 52 ; Jean-Pierre MIGNARD et Adrien
BASDEVANT, « La directive sur le secret d’affaires est-elle un texte liberticide ? », dans Jean
LAPOUSTERLE (dir.), La protection des secrets d’affaires: perspectives nationales et européennes : actes
du colloque du 1er avril 2016, Palais du Luxembourg, Paris, 2017, p. 72 ; Jean-Christophe GALLOUX,
« L’adoption de la directive sur les secrets des affaires », RTD. com. 2017. 59.
12 Emilie GUIRAUD, La protection des secrets d’affaires, sous l’angle de la directive (UE) 2016/943, Essai
(de maîtrise), Québec : Université Laval, [2017], en ligne :
<https://www.bibl.ulaval.ca/doelec/essais/2017/3200-DRT6078-%C3%89milie_Guiraud.pdf> (consulté le
31 mai 2018).
3
constituent la monnaie de l'économie de la connaissance et qui confèrent un avantage
concurrentiel. Ces investissements dans la production et l'utilisation de capital
intellectuel sont des facteurs déterminants de leur compétitivité et de leurs
performances liées à l'innovation sur le marché, et donc de leur retour sur
investissement, ce qui constitue la motivation sous-jacente de la recherche et du
développement dans les entreprises. 13
Le sujet est donc, en plus d’être actuel, d’une importance majeure en matière
économique, que ce soit en Europe, ou plus particulièrement en France. Il revêt même
une importance à travers le monde, le principe demeurant le même. En effet, de
nombreuses entreprises ont bâti leur empire en partie ou entièrement grâce à une
information confidentielle, comme l’explique Georges Sayegh :
(Q)ue serait-il arrivé si, en 1886, au moment où John S. Pemberton concoctait sa
boisson composée principalement d’eau sucrée, de mélasse, d’épices et de cocaïne,
quelqu’un s’était emparé de sa formule ? Où serait Coca-Cola aujourd’hui ? Quelle
serait aujourd’hui la valeur de cette marque […] ou sa valeur en Bourse si cette formule
avait été dévoilée ?14
Les secrets commerciaux peuvent renfermer une valeur exceptionnelle (justifiant
ainsi le fait pour Coca-Cola de conserver sa fameuse formule dans un coffre-fort15) et se
retrouvent dans un très grand nombre d’industries diverses : automobile, aéronautique,
pharmaceutique, hautes technologies, industrie culinaire, etc.16
Néanmoins, un élément doit être noté car il semble en contradiction avec ces
développements. Toutes les entreprises œuvrant dans ces différents domaines se reposent
plus ou moins sur la protection de leurs informations par le secret d’affaires alors que
celui-ci peut sembler fragile : une fois révélé, même par maladresse, il n’est plus possible
pour son détenteur de s’opposer à son utilisation17. Il n’y a aucun droit privatif sur le
secret de commerce18. Un enjeu important de ce mémoire sera donc de chercher à
comprendre en quoi le secret d’affaires peut constituer un modèle économique attrayant
pour les entreprises. En partant du régime français qui devrait être mis en place, il
13 Dir. n°2016/943, préambule, cons. 1.
14 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 7.
15 J. LAPOUSTERLE, préc., note 6.
16 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 7-9.
17 Olivier DE MAISON ROUGE, « La directive européenne sur le secret des affaires : la reconnaissance
de droits incorporels d’un genre nouveau », Rev. UE. 2017. 23.
18 Jérôme PASSA, « Secret des affaires et propriété intellectuelle », dans Jean LAPOUSTERLE (dir.), La
protection des secrets d’affaires: perspectives nationales et européennes : actes du colloque du 1er avril
2016, Palais du Luxembourg, Paris, 2017, p. 36, à la p. 39.
4
convient donc d’observer la pratique ailleurs dans le monde. Sur ce point, le régime
québécois est idéal pour établir une comparaison car il est à la croisée de deux mondes.
En effet, si, comme en France, le Québec dispose d’un régime civiliste, il s’agit d’une
province canadienne, Etat de common law, et s’étant intéressé très tôt à la question du
secret de commerce. Souligner les points communs et les divergences entre ces deux
régimes permettrait d’en tirer des enseignements permettant de faire progresser la
protection sur les deux territoires et, par conséquent, la collaboration possible de leurs
entreprises. Comme le soulignent, à très juste titre, Jean Lapousterle et Bertrand
Warusfel :
(Les entreprises) ont ainsi souligné leur vulnérabilité croissante dans une économie
mondialisée et ultra-connectée et soutenu qu’une protection harmonisée et ambitieuse
des secrets d’affaires permettrait de favoriser la circulation en circuit fermé entre des
acteurs économiques distants les uns des autres, encourageant ainsi l’innovation.19
[Mentions entre parenthèses ajoutées]
Afin de comprendre ce qui pousse les entreprises à y avoir recours, il faut préciser
ce qu’est un secret d’affaires. Notons d’ores et déjà que sa définition en France et au
Québec, et de ce fait le champ des objets protégeables, est quasiment identique, comme
nous nous apprêtons à le démontrer. L’Accord sur les Aspects des Droits de la Propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) constitue une base commune entre la
France et le Québec en matière de secret de commerce, mais le Canada s’est intéressé à
cette question plus tôt que la France.
Si le principe d’une protection offerte au détenteur d’un secret de commerce fut
énoncé dès 1967 au Québec, dans la décision Continental Casualty Company20, il faut
commencer par définir ce qu’est un secret de commerce. Il s’agit d’une information
confidentielle. Comme l’explique Alexandra Steele, la jurisprudence canadienne et
québécoise distingue trois catégories d’informations sur le fondement de l’affaire
britannique Faccenda Chicken21 : les informations non confidentielles, les informations
subjectivement confidentielles et, finalement, les informations objectivement essentielles
ou secrets de commerce22. Ainsi, « il va sans dire que tout secret de commerce est une
19 Préc., note 7.
20 Continental Casualty Company c. Combined Insurance Company, (1967), B.R. 814 (CA QC).
21 Faccenda Chicken Ltd. c. Fowler, [1986] 1 All E.R. 617 (C.A. d’Angl.).
22 Alexandra STEELE, « Les dessous des informations confidentielles et des secrets de commerce », dans
S.F.C.B.Q., vol. 313, Développements récents en droit de la non-concurrence (2009), Cowansville,
5
information confidentielle, alors que l’inverse n’est pas automatiquement le cas »23. Cette
information est donc protégée en raison de sa valeur et appartient uniquement à
l’employeur, même si l’employé peut être amené à en faire usage24.
Plus précisément, il convient de noter que la définition du secret d’affaires semble
aujourd’hui se préciser. Malgré un projet de loi fédérale canadienne en 198925, il n’existe
aujourd’hui pas de loi spécifique au secret de commerce au Québec (ce qui était
également le cas en France jusqu’à récemment) et il n’y existe aucune définition légale26.
Pourtant, des critères communs semblent être dégagés à travers le temps. Cela ressort
notamment des développements de Sébastien Jetté et Judith Robinson27. L’ALENA, en
1992, innove en proposant trois critères permettant aux informations d’être protégées en
tant que secrets de commerce à son article 1711 :
1. Chacune des Parties assurera à toute personne les moyens juridiques d’empêcher
que des secrets commerciaux ne soient divulgués à des tiers, acquis ou utilisés par eux,
sans le consentement de la personne licitement en possession de ces renseignements
et d’une manière contraire aux pratiques commerciales honnêtes, dans la mesure où:
a) les renseignements sont secrets, en ce sens que, dans leur globalité ou dans la
configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, ils ne sont pas généralement
connus de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre
de renseignements en question ou ne leur sont pas aisément accessibles;
b) les renseignements ont une valeur commerciale, réelle ou potentielle, du fait qu’ils
sont secrets; et
c) la personne licitement en possession de ces renseignements a pris des dispositions
raisonnables, compte tenu des circonstances, en vue de les garder secrets.28
Ces critères seront ensuite repris par d’autres textes internationaux. Ce fut par
exemple le cas de l’Accord ADPIC dans le cadre de l’Organisation mondiale du
Commerce (OMC). L’article 39(2) de cet accord reprend, de manière quasi-identique, les
Editions Yvon Blais, p. 93, aux p.105 à 107. V. égal. Vincent KARIM, Les obligations, vol. 1, 4e éd.,
Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, n°3288-3290, p. 1408-1409.
23 A. STEELE, préc., note 22, p. 107.
24 Ibid., p.106 ; V. KARIM, préc., note 22.
25 Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, Loi uniforme sur les secrets commerciaux (1989),
en ligne : <http://www.ulcc.ca/fr/lois-uniformes-nouvelle-structure/lois-uniformes-moins-courantes/538-
josetta-1-fr-fr/lois-uniformes/loi-sur-les-secrets-commerciaux/731-secrets-commerciaux> (consulté le 2
août 2018).
26 Sébastien JETTE et Judith ROBINSON, « La protection des secrets commerciaux en dehors de la relation
employeur-employé », dans S.F.C.B.Q., vol. 197, Développements récents en droit de la propriété
intellectuelle (2003), Cowansville, Editions Yvon Blais, p. 3, à la p. 10-11.
27 Ibid., p. 5-8.
28 Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), art. 1711.
6
trois mêmes conditions29 et leur confère cette fois une portée plus grande en les faisant
peser sur davantage d’Etats que l’ALENA. La France et le Canada sont membre de
l’OMC et ces critères leurs étaient donc destinés.
Une cohérence commença donc à se créer sur la scène internationale et s’intensifia
par la directive n°2016/943. En effet, celle-ci présente les mêmes critères à son article 2 :
Aux fins de la présente directive, on entend par:
1) «secret d'affaires», des informations qui répondent à toutes les conditions suivantes:
a) elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et
l'assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des
personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre
d'informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles,
b) elles ont une valeur commerciale parce qu'elles sont secrètes,
c) elles ont fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de
dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder
secrètes.
De par le texte élaboré par la Commission mixte paritaire, le secret d’affaires
dispose donc désormais, en France, s’apprête non seulement d’une loi spécifique mais
également d’une définition fixe30. Précisons d’ores et déjà que cette proposition de loi
vise à intégrer un Titre V (« de la protection du secret des affaires ») dans le Code de
commerce en France mais, tant que cette loi ne sera pas entrée en vigueur, aucun texte
français ne peut être considéré comme prévoyant un régime spécifique encadrant le secret
d’affaires.
29 Accord sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), art.
39. 2 : « Les personnes physiques et morales auront la possibilité d'empêcher que des renseignements
licitement sous leur contrôle ne soient divulgués à des tiers ou acquis ou utilisés par eux sans leur
consentement et d'une manière contraire aux usages commerciaux honnêtes10, sous réserve que ces
renseignements: a) soient secrets en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l'assemblage
exacts de leurs éléments, ils ne sont pas généralement connus de personnes appartenant aux milieux qui
s'occupent normalement du genre de renseignements en question ou ne leur sont pas aisément accessibles;
b) aient une valeur commerciale parce qu'ils sont secrets; et c) aient fait l'objet, de la part de la personne
qui en a licitement le contrôle, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les
garder secrets ».
30 Cette définition, aux trois critères semblables serait intégrée à l’article L. 151-1 C. com. : « Est protégée
au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :
1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments,
généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en
raison de leur secteur d’activité ;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu
des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».
7
Il est donc question de trouver une protection non seulement cohérente mais
également équilibrée : au Québec comme en France il s’agit de trouver un équilibre entre
ce qui devrait être protégé et ce qui n’a pas besoin de l’être. Il faut donc préciser la
signification des trois critères.
Premièrement, le caractère « secret » de l’information est relatif. Une explication
de cela est donnée dans la décision Contrôle PC31 au Québec par exemple. La directive
n° 2016/943 précise également ce caractère relatif32. L’appréciation du secret doit donc
se faire en fonction de la complexité de l’information et des connaissances générales des
opérateurs du milieu, ce qui signifie que le fait qu’un concurrent la détienne ne lui retire
pas son caractère secret si l’information n’est pas habituelle pour les autres opérateurs33.
Secondement, le secret conservé doit l’être en raison de la valeur commerciale
qu’il renferme. Néanmoins, certains doutes peuvent être exprimés sur ce que signifie
réellement ce critère. Pour entrer dans le cadre de la protection, faut-il considérer que le
secret confère sa valeur à l’information ou que l’information est gardée secrète en raison
de sa valeur commerciale qui pourrait être perdue ? Selon Florence Meuris-Guerrero, la
première hypothèse est la plus probable au regard du futur article L. 151-1, 2° C. com.34.
Nicolas Binctin critique notamment la tournure de la directive n°2016/943 en estimant
que celle-ci opte, à tort, pour la première proposition : « une information sans intérêt,
même secrète, n’aura aucune valeur économique » 35. Il conviendrait néanmoins de
préciser, selon nous, que, même s’il faut s’accorder avec cette citation, le caractère secret
peut constituer un facteur important dans l’acquisition d’une valeur commerciale accrue :
certains produits connaitraient moins de succès s’ils étaient protégés autrement que par le
secret. De plus, il convient également de se questionner sur le caractère commercial de
cette valeur qui ne serait pas un critère suffisant et il faudrait davantage lui préférer la
qualification de « valeur commerciale significative » selon certains : « (e)n effet, la valeur
31 Contrôle PC Inc. c. DP Sys Inc., J.E. 2008-1887 (C.S Qué), par. 41 : « Ainsi, même si toutes ces
informations sont bien connues de monsieur Huard, voir même accessibles au public en général, elles ne
sont pas pour autant généralement connues du public. »
32 Dir. n°2016/943, art. 2. 1. a.
33 Nicolas BINCTIN, « Les secrets protégés », dans Jean LAPOUSTERLE (dir.), La protection des secrets
d’affaires: perspectives nationales et européennes : actes du colloque du 1er avril 2016, Palais du
Luxembourg, Paris, 2017, p. 18, à la p. 29.
34 Florence MEURIS-GUERRERO, « L’élaboration du secret des affaires… vers une para-propriété
intellectuelle ? », Comm. Com. Electr., n°6, Juin 2018, alerte 44.
35 Ibid., p. 30.
8
ne peut se résoudre à l’idée, libre par définition, mais renvoie à un procédé mis en valeur
et permettant son exploitation, dans laquelle il aurait précisément été intégrés un know-
how et des moyens humains et technologiques mesurables »36.
Finalement, la condition de « mesures raisonnables » doit également être
spécifiée. Afin d’éviter que le secret d’affaires ne soit dévoilé et, par conséquent, ne perde
sa protection juridique et sa valeur, il faut prévoir toutes les mesures possibles afin
d’éviter sa publicité. En effet, le régime du secret d’affaires ne fournit pas un droit privatif
et absolu : s’il est divulgué en raison d’une maladresse ou bien qu’un concurrent parvient
à le percer par l’ingénierie inverse (aussi appelée rétroconception ou « reverse
engineering »), le détenteur du secret ne pourra s’opposer à son exploitation (licite) par
autrui37. Pour cette raison, il est essentiel de prévenir l’atteinte par quiconque au caractère
secret de cette information cruciale de l’entreprise (ce qui permettra également d’éviter à
cette dernière de devoir poursuivre des concurrentes et risquer de divulguer le secret
d’affaires lors d’une instance, comme il le sera expliqué lors des développements38).
L’idée derrière ce troisième critère est de prouver l’importance du secret de commerce en
protégeant celui-ci proportionnellement à sa valeur.
Une information, dès lors qu’elle répond à ces trois critères peut être considérée
comme un secret d’affaires, en France comme au Québec. Il convient de s’accorder sur
le fait que l’étendue des objets entrant dans ce champ est vaste : « les informations
relatives aux clients et fournisseurs, les processus d’entreprise, les plans d’affaires, les
études de marché, etc. »39. Au Québec, les illustrations du secret de commerce données
par la doctrine sont identiques : il peut s’agir « d’informations sur le marketing, la
comptabilité, les ressources humaines et la masse salariale, des composantes de
technologie de l’information ou encore des secrets de fabrication »40. Un constat doit donc
d’ores et déjà être opéré : au cours de nos développements, les termes « secret d’affaires »
et « secret de commerce » seront utilisés de manière indifférente car ils désignent
36 J.-P. MIGNARD ET A. BASDEVANT, préc., note 11, p. 75.
37 Dir. n°2016/943, art. 2. 1. b) et d) ; Emilie COURCHESNE TARDIF et Jean LEMOINE, « La théorie du
tremplin : quand la concurrence plonge en eaux troubles », dans S.F.C.B.Q., vol. 313, Développements
récents en droit de la non-concurrence (2009), Cowansville, Editions Yvon Blais, p. 5, à la p. 7.
38 Infra., p. 62 et s.
39 N. BINCTIN, préc., note 33, p.19.
40 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 11.
9
exactement le même objet. La seule distinction discernable entre ces termes semble être
le fait que la doctrine et la jurisprudence française font davantage référence au « secret
d’affaires » tandis qu’au Québec l’expression « secret de commerce » prédomine. Notons
également que, s’il est d’usage de parler de « secret d’affaires » en France en raison de la
traduction littérale du terme « trade secret », il est également possible de parler de « secret
des affaires », la distinction avec le « secret d’affaires » relevant d’un débat secondaire41.
De même, les termes « secret commercial » et « secret de commerce » sont tout à fait
interchangeables.
Ce champ large englobe également les termes de « savoir-faire » et de « secret de
fabrication ». En effet, la définition de ce premier terme est donnée dans le règlement
européen n°316/201442 et coïncide avec la définition qu’en donnait déjà Jean-Marc
Mousseron43 ; le « secret de fabrication » peut quant à lui être défini comme « tout moyen
de fabrication qui offre un intérêt pratique ou commercial, et qui, mis en usage dans une
industrie est tenu caché au concurrent »44. Ces types d’informations seraient donc
contenus dans le champ de protection des secrets d’affaires.45
Le savoir-faire et le secret de fabrication, et par conséquent une partie significative
des informations qualifiables de secrets d’affaires, sont en lien avec l’application des
droits de la propriété intellectuelle. En effet, ils sont très utilisés afin de remplacer ou
compléter une telle protection. Le secret de fabrication, par exemple, est particulièrement
41 Olivier DE MAISON ROUGE, Le droit de l’intelligence économique : patrimoine informationnel et
secrets d’affaires, Rueil-Malmaison, Lamy, 2012, n°126-127, p.81.
42 RÈGLEMENT (UE) No 316/2014 DE LA COMMISSION du 21 mars 2014 relatif à l’application de
l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords
de transfert de technologie, art. 1, 1, (i) : « "savoir-faire" : un ensemble d’informations pratiques, résultant
de l’expérience et testées, qui est:
i) secret, c’est-à-dire qu’il n’est pas généralement connu ou facilement accessible,
ii) substantiel, c’est-à-dire important et utile pour la production des produits contractuels, et
iii) identifié, c’est-à-dire décrit d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit
les conditions de secret et de substantialité ».
43 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°138, p. 87 : « connaissance dont l’objet concerne la
fabrication des produits, la commercialisation des produits et des services ainsi que la gestion et le
financement des entreprises qui s’y consacrent, fruit de la recherche ou de l’expérience, non immédiatement
accessibles au public et transmissibles par contrat ».
44 Ibid., n°141, p. 88.
45 C’est notamment ce qui ressort du titre de la directive n°2016/943 et de son cons. 1er : « Ces savoir-faire
et ces informations commerciales de valeur, qui ne sont pas divulgués et que l'on entend garder
confidentiels, sont appelés "secrets d'affaires" ».
10
utile dans le cadre des demandes de dépôts de brevets industriels et de dessins et modèles
(appelés dessins industriels au Québec). Une partie de la doctrine française, depuis la
directive n°2016/943, est même venue se questionner sur la possibilité de considérer le
secret d’affaires comme un nouveau droit de la propriété intellectuelle46. C’est autour de
cette relation entre la propriété intellectuelle et le secret d’affaires que ce mémoire sera
articulé. En effet, une étude du secret commercial dans son ensemble serait trop extensive
pour un travail de mémoire. Cela inclurait non seulement des aspects juridiques mais
également économiques, comme cela ressortait des énumérations données
précédemment47. Le fait de limiter l’étude à la relation entre ces deux types de protections
des actifs intellectuels permettra une réflexion plus détaillée sur ces différents aspects
mais également de se concentrer sur une relation importante et de longue date : les
entreprises, lors du choix de protection à offrir à leurs actifs intangibles, devront opérer
une réelle réflexion stratégique pouvant engendrer de lourdes conséquences
économiques. Le choix du recours au secret des affaires plutôt qu’à un droit de la
propriété intellectuelle peut influer sur la survie d’un produit, voire d’une entreprise. Le
secret d’affaires vient remplacer, compléter, voire pallier l’absence d’une protection par
la propriété intellectuelle. On ne peut que s’accorder avec la position de Jérôme Passa
quand il parle d’ « un choix de politique économique et juridique » 48.
Il est donc clair au regard des éléments présentés que le secret de commerce joue
un rôle majeur dans le développement de l’entreprise et dans son maintien. La protection
d’un tel régime doit donc se montrer efficace pour inciter les entreprises à y avoir recours
et, par conséquent, les inciter à effectuer des opérations de recherche et développement
dans un environnement propice. Pour cette raison, depuis de nombreuses années, un
renforcement du régime de protection est demandé, notamment relativement à la
procédure devant l’instance judiciaire en France49. Ainsi, malgré le rapport Mathon de
46 V. not. R. MILCHIOR ET V. FOURGOUX, préc., note 10 ; F. MEURIS-GUERRERO, préc., note 34.
47 Op. cit., notes 39 et 40.
48 J. PASSA, préc., note 18, p. 44.
49 Florence G’SELL, « Quelle protection dans le procès civil ? », dans Jean LAPOUSTERLE (dir.), La
protection des secrets d’affaires: perspectives nationales et européennes : actes du colloque du 1er avril
2016, Palais du Luxembourg, Paris, 2017, p. 94, à la p. 95 : La récurrence de ces propositions (de
loi)françaises tient au fait que le droit français, bien que comportant de facto des mécanismes de protection
du secret des affaires grâce à l’action en concurrence déloyale et à certains textes pénaux […], assure
toutefois une protection insuffisante des secrets d’affaires ».
11
200950, la proposition de loi Carayon de 201151 et la proposition de loi du 16 juillet 2014
dite « loi Macron »52, la protection demeurait incomplète. Comme l’explique Florence
G’Sell53, le rapport Carayon avait amené à une proposition de loi pour sanctionner
pénalement la violation du secret d’affaires mais le changement de majorité politique
avait empêché le vote définitif du texte. Le contenu de la proposition de loi de 2014
proposait également des mesures civiles et pénales qui auraient été insérées dans un Titre
V du Code de commerce (comme ce que la proposition de loi de 2018 prévoit54) mais
l’amendement fut abandonné55. Au Québec, des problèmes similaires peuvent survenir.
Les entreprises préfèrent souvent avoir recours à l’arbitrage, par peur que l’instance
judiciaire ne cause la divulgation de leur secret d’affaires. Cela amenait notamment
Olivier de Maison Rouge à affirmer :
C’est pourquoi, si l’enjeu économique est conséquent, et sauf sanction pénale, à
condition que cela ait été contractuellement prévu ou que les parties en conviennent
ultérieurement, il conviendra de privilégier la procédure d’arbitrage qui, si cela a un
coût, préserve néanmoins beaucoup plus efficacement la confidentialité, tout en étant
de surcroît plus rapide.56
Un des objectifs de la directive n°2016/943 a donc été d’améliorer l’efficacité de
la protection tout en rassurant les détenteurs de secrets d’affaires quant aux moyens de
recours disponibles pour faire prévaloir leurs droits57. De surcroît, la loi française de
transposition perpétuerait cela. Certaines mesures sont inspirées des dispositions relatives
au droit de la propriété intellectuelle. Cela pousse certains auteurs à estimer que le
nouveau régime de protection fait passer le secret d’affaires d’un outil indispensable à
l’entreprise en articulation avec les droits de la propriété intellectuelle, à un véritable
nouvel arrivant au sein des droits de la propriété intellectuelle58. Si nous en viendrons à
50 Claude MATHON (dir.), « La protection du Secret des Affaires : Enjeux et propositions », 17 avr. 2009.
51 « Proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires », Ass. nat. n°3985, enr. 22
nov. 2011.
52 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », Ass. nat. n°2139, enr. 16 juillet 2014.
53 F. G’SELL, préc., note 49, p. 94-95.
54 Infra., p. 33.
55 F. G’SELL, préc., note 49, p. 94-95.
56 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°199, p. 113.
57 Dir. n°2016/943, préambule, cons. 9 et 10.
58 V. not. R. MILCHIOR ET V. FOURGOUX, préc., note 10 ; F. MEURIS-GUERRERO, préc., note 34.
12
réfuter une telle affirmation, il convient néanmoins de chercher à comprendre pourquoi
une partie (minoritaire) de la doctrine émet de telles affirmations.
Par sa mise en œuvre, la directive n°2016/943 amène à la création d’un régime
spécifique de protection des secrets d’affaires. Si l’aspect civil et pénal permettaient
jusqu’à présent de sanctionner une atteinte au secret, il n’était fait appel qu’au droit
commun : en matière civile il était fait application du droit de la concurrence déloyale59.
S’il est clair que l’aspect pénal de la protection est un réel atout, il fut décidé de le mettre
de côté dans les développements de ce mémoire car son inclusion engendrerait des
recherches bien plus conséquentes que celles permises dans le cadre du travail exigé. Cela
permet une étude plus précise du régime de protection civil. Ainsi, seul le régime de
protection par le droit civil du secret de commerce sera étudié en France et au Québec.
Cela nous amène également à nous concentrer uniquement sur les instances judiciaires :
les actions devant des autorités administratives indépendantes (telle que l’Autorité de la
concurrence en France) seront donc également mises de côté.
L’enjeu de ce mémoire sera donc d’observer et comparer les régimes de protection
du secret d’affaires et des droits de la propriété intellectuelle prévus par les législateurs
français et québécois, mais également de chercher à comprendre comment ils s’articulent
entre eux. En effet, une telle observation amène à comprendre l’équilibre opéré par le
législateur ou le juge quand il convient de décider si un objet peut être protégé par un
droit de la propriété intellectuelle ou s’il convient de se pencher sur une protection par le
secret d’affaires (le juge refuse par exemple la protection des fragrances de parfums par
le droit d’auteur). Il peut également arriver qu’une protection par le droit de la propriété
intellectuelle soit légale mais que, pragmatiquement, le secret d’affaires soit la solution
la plus appropriée pour l’entreprise.
Afin d’opérer de telles observations et comparaisons, il semblerait que le
positivisme juridique soit la posture la plus adaptée. En effet, celle-ci consiste en
l’observation du réel tel que prévu par le législateur en France et au Québec. Il convient
donc de partir des normes en vigueur afin de comprendre le régime. Pour ce faire, la
méthodologie juridique classique sera la plus utile. Celle-ci permettra, tout d’abord, de
comprendre le droit positif par une analyse doctrinale exégétique : en comprenant
59 F. G’SELL, préc., note 49.
13
l’étendue du secret de commerce en France et au Québec de manière objective, il sera
possible de mieux appréhender la porte d’entrée à la protection (et les limites de cette
dernière relativement aux droits de la propriété intellectuelle) ainsi que le régime y
afférant. Une fois les contours légaux observés, il conviendra, dans un second temps, de
les mettre en parallèle dans les deux systèmes légaux par une analyse de droit comparé
fonctionnelle : la lettre de chaque texte et la manière de protéger le secret de commerce
peut différer mais il convient d’observer si les objectifs recherchés sont les mêmes et
certaines mesures ne pourraient pas influencer le législateur pour des changements futurs.
Les objectifs de ce mémoire sont donc au nombre de trois. Le premier est relatif à
la définition de la nature du secret de commerce, en France et au Québec, notamment en
relation avec les droits de la propriété intellectuelle. Le second objectif est de présenter
le régime de protection dans les deux systèmes et de les comparer quant à leurs objectifs
mais également quant à leur efficacité. Le troisième objectif est de s’attarder sur la
pratique des entreprises relativement à l’articulation du secret d’affaires avec les droits
de la propriété intellectuelle et l’analyse du rapprochement opéré entre ces deux régimes
par les avancées récentes.
En raison de la posture positiviste, il est possible de formuler des hypothèses sur
les conclusions qu’amèneront ce mémoire, tout en précisant qu’elles pourront
possiblement être remises en question par les développements élaborés ci-après. Au
regard de certains éléments présentés, il parait clair, à ce stade des développements, que
le secret d’affaires ne peut être considéré comme un droit de la propriété intellectuelle.
En effet, sa nature, l’objet protégé, les conditions pour y accéder ainsi que les mesures
pour prévenir l’atteinte à celui-ci semblent le mettre en marge de cette catégorie de droits
conférant un monopole. Néanmoins, un des enjeux de ce mémoire sera de faire ressortir
la relation ambivalente entre ces deux types de protection pour les entreprises : le choix
de l’un plutôt que l’autre peut avoir une importance cruciale pour l’entreprise. En se
combinant, s’alternant et se complétant, le secret des affaires et les droits de la propriété
intellectuelle forment un couple majeur pour les acteurs économiques. La seconde
hypothèse de recherche ressort du renforcement indéniable du régime du secret
commercial apporté par la réforme récente en Europe : seules de faibles distinctions
perdurent encore entre ces deux systèmes juridiques. Néanmoins, des améliorations
demeurent possibles afin d’offrir au secret d’affaires la protection permettant d’inciter
davantage d’entreprises à innover.
14
De quelle manière les détenteurs de secrets de commerce, en France et au Québec,
font-ils usage de ceux-ci en les articulant avec les droits de la propriété intellectuelle afin
d’en tirer une valeur maximale, tout en les préservant de la divulgation ? Les normes
françaises et québécoises du secret de commerce offrent-elles une protection adéquate de
celui-ci au regard de la pratique actuelle et des conséquences éventuelles sur les
entreprises ?
Les contours du secret d’affaires se précisent avec le temps en France comme au
Québec. Sa qualification peut, néanmoins, sembler complexe encore aujourd’hui. Une
chose est pourtant affirmable : si le secret d’affaires est crucial pour l’entreprise dans son
articulation avec les droits de la propriété intellectuelle, il ne saurait être confondu avec
ce dernier (I). Néanmoins, de par son importance croissante, le régime de protection du
secret d’affaires s’est amélioré afin d’endiguer la fragilité problématique du secret
commercial : même si des différences avec les droits de la propriété intellectuelle sont à
noter, des points communs ont permis un renforcement de la protection (II).
15
I. L’enjeu complexe de la qualification du secret de commerce
Il faut avant tout préciser que la question de la nature juridique du secret d’affaires
est complexe. En effet, la cause de cela siège dans le fait que le Québec (comme la France
jusqu’à récemment) n’avait pas légiféré sur cet objet60. Il s’agit pourtant d’un actif majeur
pour les entreprises : afin de mieux le protéger il conviendrait sûrement de préciser sa
nature.
Le fait est aujourd’hui qu’il semble exister plus d’indications sur ce que n’est pas
le secret d’affaires que sur ce qu’il est réellement. Cela donne donc lieu à certaines
incertitudes pouvant être déterminantes, notamment au cours d’une procédure quant à la
conservation du secret de commerce et, par conséquent, pour le maintien de l’entreprise :
seul un bien peut faire l’objet d’une saisie, par exemple. Si la création de critères
uniformes permettant de définir le secret d’affaires61 ont permis de délimiter des contours
(certes vagues) pour cet objet de droit, la question de sa catégorisation demeure : le secret
commercial peut-il être considéré comme un bien et, a fortiori, faire l’objet d’un droit de
propriété intellectuelle (A) ?
Si nous en arriverons à la conclusion qu’un secret d’affaires, comme en témoigne
directive n°2016/943 corroborée par sa transposition française à venir, ne saurait être
considéré comme un nouveau droit de propriété intellectuelle, il n’en demeure pas moins
que ces deux types de protections vont de paire. Les entreprises, afin de protéger au mieux
leurs actifs incorporels, doivent articuler le secret d’affaires avec les différents droits de
la propriété intellectuelle afin de tirer tout le potentiel économique de leurs créations. Une
nature différente de protection n’empêche donc pas une relation ambivalente (B).
A. La nature juridique incertaine du secret de commerce
La nature du secret d’affaires est donc incertaine. Or, la question majeure est de
savoir si un tel objet peut aujourd’hui être considéré comme un bien. Le législateur
n’ayant fait aucune précision quant à la nature du secret de commerce (comme au
Québec)62 ou étant resté très implicite sur cette question (comme il le sera expliqué dans
60 A. STEELE, préc., note 22, p. 107.
61 Notamment par l’art. 39. 2 ADPIC.
62 A. STEELE, préc., note 22, p. 107 : « Au Québec, le "secret de commerce" ne fait pas l’objet de définition
ou de protection statutaire spécifique ».
16
le cas de la France), les sources majeures pour répondre à cette question sont
jurisprudentielles et doctrinales. Malgré certaines contestations, émanent notamment
d’auteurs du XXe siècle63, il semble peu probable que le secret d’affaires (en France
comme au Québec) puisse être classé dans la catégorie juridique des biens telle qu’elle
est conçue aujourd’hui (i).
Une seconde question majeure quant à la nature du secret de commerce, également
relative aux conséquences possibles sur l’efficacité de son régime de protection, est de
savoir s’il peut être qualifié de droit de la propriété intellectuelle : depuis l’entrée en
vigueur de la directive n°2016/943, certains auteurs ont cru discerner l’apparition d’un
« nouveau droit de la propriété intellectuelle »64. Or, si l’improbabilité de l’accueil du
secret d’affaires dans la catégorie des biens pourrait constituer un premier indice écartant
la qualification de droit de la propriété intellectuelle, d’autres preuves de l’écart de ce
type de protection, plus certaines, sont également à relever (ii).
i) Une qualification improbable du secret de commerce comme bien
Afin de déterminer la nature du secret de commerce, il convient de se pencher sur
sa définition : il s’agit d’une information confidentielle disposant des trois critères
évoqués précédemment (elle n’est pas généralement connue du public, a une valeur
commerciale et fait l’objet de mesures raisonnables de conservation65). Ainsi, s’intéresser
à la nature du secret d’affaires revient à s’intéresser à la question plus large de la nature
d’une information. Celle-ci n’est néanmoins pas certaine, malgré l’intérêt que lui portent
les auteurs depuis la fin du XXe siècle (a). Cependant, en recentrant la focale sur
l’information qualifiable de secret d’affaires, il est possible de remarquer des indices
tendant au refus de la qualification de bien à leur profit, notamment par les évolutions
récentes (b).
63 Un des précurseurs sur cette question en France fut Pierre CATALA, « Ebauche d’une définition
juridique de l’information », D. 1994, chron. 229.
64 V. not. R. MILCHIOR ET V. FOURGOUX, préc., note 10 ; F. MEURIS-GUERRERO, préc., note 34.
65 Dir. n°2015/943, art. 2. 1.
17
a) La qualification délaissée de l’information
Dans une société de communication, où l’information a une valeur marchande, une
tentative récurrente d’appropriation, consciente ou non est perceptible.66
En France, les premiers auteurs à s’être intéressés à cette question l’ont fait au
cours des années 1980. Il est possible de citer, à cet effet, Pierre Leclercq67, Pierre Catala68
ou encore Marie-Paule Lucas de Leyssac69. Cet intérêt par la doctrine est justifié par
l’évolution de la société. En effet, selon Jean-Christophe Galloux, « (l)e droit traduit ainsi
un fait de société avéré : nous sommes entrés dans l’ère postindustrielle, l’ère de
l’information »70. Pourtant, aujourd’hui encore, une réponse précise sur la nature ne
semble pas fixée.
Si les auteurs se mettent d’accord pour lui reconnaitre une valeur économique, il reste
que le droit se refuse obstinément à qualifier les biens informationnels. Tout au plus
l’information serait-elle pour certains une simple chose, ou res nullius. Autrement dit,
l’information en tant que telle n’est pas juridiquement un bien, dans la mesure où elle
ne serait qu’une "notion aux contours imprécis dont la nature est incertaine".71
L’intérêt porté par les textes à l’information variant en fonction du domaine
concerné, une définition claire de cette chose fait défaut72. Selon Pierre Catala, qui militait
en faveur de sa qualification en tant que bien, l’information serait « d'abord expression,
formulation destinée à rendre un message communicable, elle est ensuite communiquée
ou peut l'être à l'aide de signes choisis pour porter le message à autrui » 73. Si cet indication
pourrait éclairer sur le sens commun du terme information, Jean-Christophe Galloux74
préfère (car « moins tautologique ») la qualifier d’ « une valeur économique ou un intérêt
stratégique , indépendamment du caractère protégeable ou non de ces informations par
un droit de la propriété intellectuelle ». Cette définition fait ressortir deux éléments.
66 N. MALLET-POUJOUL, préc., note 4, n°1.
67 Pierre LECLERCQ, « Essai sur le statut juridique des informations », dans Alain MADEC (dir.), Les flux
transfrontières de données : vers une économie informationnelle, Doc. fr., Paris, 1982, p. 119.
68 P. CATALA, préc., note 63.
69 Marie-Paule LUCAS DE LEYSSAC, « Une information juridique seule est-elle susceptible de vol ou
d'une autre atteinte juridique aux biens ? », D. 1985. chron. 43.
70 Jean-Christophe GALLOUX, « Ebauche d’une définition juridique de l’information », D. 1994. chron.
229, n°1.
71 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°277, p. 151-152.
72 J.-C. GALLOUX, préc., note 70, n°2.
73 P. CATALA, préc., note 63.
74 J.-C. GALLOUX, préc., note 70, n°14.
18
Premièrement, l’information est ici perçue davantage comme une conception économique
qu’un droit privatif.75 Cela milite dans le sens d’une absence de droit de propriété sur
l’information.
Deuxièmement, l’« information » est un terme large, allant au-delà du champ
couvert par le droit de la propriété intellectuelle, englobant de nombreux éléments, dont
le secret d’affaires :
Le terme « information » est le plus souvent employé dans le sens le plus large ; dans
les présentations contractuelles « américaines » les parties y incluent les inventions, les
formules, les méthodes, les plans, les procédés, l’expérience, les secrets de
fabrication, le savoir-faire, etc., d’une façon générale, tout ce qui est incorporel et
peut avoir une valeur patrimoniale. Les tendances de la pratique révélées par ces
formes contractuelles rejoignent les approches doctrinales : définition matérielle de
l’information, importance de la valeur patrimoniale, appropriation générale des
informations sur le « modèle » de propriété corporelle.76 [Accentuation des termes en
gras par nous]
Le secret d’affaires est un type d’information parmi d’autres. De ce fait, la pratique
semble parfois vouloir calquer le mode d’appropriation des actifs incorporels sur celui
des biens corporels, même s’ils sont de nature différente, car l’information est
généralement communiquée par un support matériel. A fortiori, si une information ne
saurait être considérée comme un bien et faire l’objet d’un droit de propriété, le secret
d’affaires, qui est un type d’information parmi d’autres, ne saurait également être
considéré comme un bien.
Malheureusement, la nature juridique de l’information n’est pas aussi claire. En
effet, l’information, si elle dispose d’un certain nombre de qualités (dont sa matérialité)
peut devenir un bien. Le droit d’auteur, par exemple, protège « l’information mise en
forme de façon originale et non l’information "brute" »77. Il s’agit alors d’un bien pouvant
tomber dans le domaine public et susceptible de devenir une chose commune et donc ne
pouvant être appropriée78. Néanmoins, relativement à l’information, le bien ne serait pas
tant l’information en elle-même que sa forme matérielle. La question est donc de savoir
si une information peut être sujet d’une appropriation en tant que bien et faire l’objet de
75 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°113p. 76.
76 J.-C. GALLOUX, préc., note 70, n°14.
77 N. MALLET-POUJOUL, préc., note 4, n°9.
78 Ibid., n°8.
19
toutes les conséquences juridiques que cela entraine. La réponse par la doctrine et la
jurisprudence (surtout pénale) semble négative.
La première étape, comme l’expliquait Jean-Christophe Galloux dès 1994, est de
préciser que l’information est considérée comme une chose au sens du droit :
Au regard des catégories juridiques, alors que la plupart des auteurs qui ont tenté de
définir la notion d’information ont déjà fait d’elle un bien, il serait plus juste d’affirmer
qu’elle est d’abord une chose. L’information ne se confond pas, du moins
immédiatement, avec ce que l’on dénomme les « biens informationnels », c’est-à-dire
des informations généralement à contenu technique, ayant une valeur économique,
qu’elles soient ou non protégées par un droit de la propriété intellectuelle. Au juriste,
l’information se présente d’abord comme une réalité « brute ». L’information entre
donc dans la catégorie des choses avant de pouvoir être considérée comme un bien car
toutes les choses qui existent ne sont pas des biens pour le droit.79
Cependant, le passage de la chose au bien tel que compris aujourd’hui par les
régimes français et québécois semble peu accueilli par la jurisprudence : « Activité
florissante, la diffusion d’informations n’a décidément pas été entravée par le statut de
cette "chose" (qui n’est pas toujours un « bien » !), en dépit de qualifications juridiques
délicates »80.
En France, il convient de s’attarder sur les pans civil et pénal. Du côté civil,
comme l’expliquait Jean-Christophe Galloux en 1994, la justice ne reconnait pas de droit
privatif sur l’information : les actions en concurrence déloyale ou parasitaire posent juste
une limite à la libre utilisation de la « valeur économique » que représente l’information81.
Selon lui82, un arrêt de 1982 en serait une bonne illustration83 et lui permet de formuler
l’affirmation suivante :
L’utilisation du terme « valeur économique » désormais courante dans le domaine de
la concurrence déloyale ou parasitaire par référence au terme « information »
démontre que l’on s’attache moins à caractériser les objets incorporels en cause qu’à
insister sur l’opportunité économique de leur protection.84
79 J.-C. GALLOUX, préc., note 70, n°26.
80 N. MALLET-POUJOUL, préc., note 4, n°14.
81 J.-C. GALLOUX, préc., note 70, n°16.
82 Ibid., n°16.
83 Cass. com. 18 janv. 1982, JCP 1982. IV. 123.
84 J.-C. GALLOUX, préc., note 70, n°16.
20
De ce fait, la jurisprudence civile semble peu intéressée par la définition de la
nature de l’information et s’intéresserait davantage à la protection de l’aspect économique
qui l’entoure : ce n’est pas l’information en elle-même qui est protégée mais la valeur
pouvant en être tirée. Même si elle ne se fonde pas sur son appropriation, la protection de
l’information demeure : « (a)insi l’information, même non appropriée, mais dont la
collecte et le traitement a un coût, ne peut pas être impunément exploitée par des tiers non
autorisés »85.
« Quant aux réflexions de droit pénal, plus que sur la propriété, elles ont achoppé
sur le caractère incorporel de l'information, rendant difficilement réunis les éléments de
soustraction, détention et dépossession d'une chose matérielle, propres aux incriminations
de vol ou de recel »86. Malheureusement, les décisions n’offrent pas une réponse claire et
unifiée, comme le relève Marie Malaurie-Vignal87. En matière de vol88, la jurisprudence
est généralement opposée à la reconnaissance du vol d’une information indépendamment
de son support89 mais a parfois sanctionné le vol de l’information immatérielle90. Il peut
donc sembler que la jurisprudence refuse généralement la sanction du vol du contenu
informationnel en lui-même au profit de celui du support matériel la contenant, refusant
ainsi la qualification de bien appropriable à la « valeur économique ». Rien n’est
néanmoins certain. Ce même constat peut être fait relativement au recel91 : en la matière,
la référence du Code pénal92 aux « choses » et non aux « biens » (ces derniers pouvant
être immatériels) semblerait indiquer que seuls les supports matériels devraient être pris
85 N. MALLET-POUJOUL, préc., note 4, n°15.
86 Ibid., n°4.
87 Marie MALAURIE-VIGNAL, « Réflexions sur la protection du patrimoine informationnel de
l’entreprise conter le piratage économique », D. 2012. 1415, n°16 et 18.
88 Ibid., n°16.
89 Cass. crim. 12 janv. 1989, n° 87-82.265, Bull. crim. n° 14 ; RSC 1990. 346, obs. P. Bouzat, et 507, obs.
M.-P. Lucas de Leyssac ; RTD com. 1990. 143, obs. P. Bouzat ; Cass. crim. 1er mars. 1989, n° 88-82.815,
Bull. crim. n° 100 ; D. 1990. 230, obs. J. Huet ; JCP E 1990. II. 15761, obs. M. Vivant et A. Lucas ; RSC
1990. 346, obs. P. Bouzat, et 507, obs. M.-P. Lucas de Leyssac ; RTD com. 1990. 142, obs. P. Bouzat.
90 Cass. crim. 4 mars. 2008 (vol du contenu informationnel de neuf syquests), n° 07-84.002, D. 2008. 2213,
note S. Detraz ; RSC 2009. 131, obs. J. Francillon ; Rev. pénit. 2008. 880, note P. Conte ; TGI Clermont-
Ferrand, 26 sept. 2011, CCE 2012, comm. 36, obs. E. Caprioli.
91 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°18.
92 C. pénal, art. L. 321-1, al. 1er : « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose,
ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou
d'un délit ».
21
en compte. La jurisprudence, comme le présente Marie Malaurie-Vignal93, n’est
néanmoins pas uniforme sur la question : elle a tantôt reconnu le recel sans référence au
support matériel94, tantôt admis le recel de l’information uniquement dans les faits et pas
dans les motivations95 et parfois tout simplement refusé de le reconnaitre96. Il semble
donc peu aisé de déterminer si l’information peut être considérée comme un bien (voire
même une chose) et si elle peut être appropriée. Que protège-t-on finalement ?
Au Québec, Charlaine Bouchard97 vient préciser que, si jusqu’au début des années
1990 les informations confidentielles tendaient à être considérées comme des biens
meubles (comme le montrent notamment les décisions Santé naturelle98, Montour99 ou R.
F. Hume &Co.100), cela ne semble plus être le cas aujourd’hui :
Cependant, cette tendance semble aujourd’hui s’estomper et les tribunaux québécois
ne voient plus l’information comme un bien susceptible d’être protégé par les droits
de la propriété intellectuelle, mais plutôt au titre des dispositions contractuelles ou de
l’article 2088 C. c. Q. A ce propos, l’affaire Tri-Tex101 mérite d’être mentionnée.102
Il existe donc de nombreuses incertitudes quant à la qualification de l’information.
Cela est sûrement dû à l’évolution de notre société qui n’exclut pas de penser qu’un
changement juridique pourrait un jour survenir :
93 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°18.
94 Cass. crim. 20 oct. 2010, n° 09-88.387, JCP 2010. 1273, note S. Detraz ; Cass. crim. 26 oct. 1995, n° 94-
83.780, Bull. crim. n° 324 ; Dr. pén. 1996, comm. 189, obs. J.-H. Robert ; Rev. sociétés 1996. 326, note B.
Bouloc ; Rev. crit. DIP 1996. 621, note I. Fadlallah ; RSC 1996. 138, obs. J.-P. Dintilhac, et 648, obs. B.
Bouloc.
95 Cass. crim. 20 juin. 2006, n° 05-86.491.
96 Cass. crim. 3 avr. 1995, n° 93-81.569, Bull. crim. n° 142 ; JCP 1995. II. 22429, note E. Derieux ; D.
1995. 320, obs. J. Pradel ; RSC 1995. 599, obs. J. Francillon, 821, obs. R. Ottenhof, 1996. 645, obs. B.
Bouloc, et 660, obs. R. Ottenhof ; Dr. pén. 1995, comm. 173, obs. M. Véron ; 19 juin 2001, n° 99-85.188,
D. 2001. 2538, note B. Beignier et B. de Lamy, et 2002. 1463, obs. J. Pradel ; JCP 2002. II. 10127, note A.
Lepage ; GAPP, 7e éd., 2011, n° 30 ; RSC 2002. 96, obs. B. Bouloc, 119, obs. J. Francillon, et 592, obs. J.-
P. Delmas Saint-Hilaire ; RTD com. 2002. 178, obs. B. Bouloc ; 11 juin 2002, n° 01-85.237, D. 2004. 317,
obs. B. de Lamy ; RSC 2002. 619, obs. J. Francillon, 881, obs. J.-F. Renucci, et 2003. 93, obs. B. Bouloc ;
JCP 2007. II. 10127, note E. Derieux.
97 Charlaine BOUCHARD, Droit et pratique de l’entreprise, Tome 2, 2e éd., Cowansville, Editions Yvon
Blais, 2014, n°223, p. 216-217.
98 Santé naturelle Ltée c. Produits de nutrition Vitaform Inc., (C.S.Q) J.E. 85-519, [1985] C.S. 628.
99 Montour Ltée c. Jolicoeur, (C.S.Q) J.E. 87-1143, [1987] R.J.Q. 2482.
100 F.C. Hume and Co. c. Actaes Inc., (C.S.Q) J.E. 90-1581.
101 Tri-Tex Co. Inc. c. Gideon, (C.A.Q) J.E. 99-1779, [1999] R.J.Q. 2324.
102 C. BOUCHARD, préc., note 97, n°223, p. 217.
22
Le droit, et singulièrement le droit des biens, doit s'adapter à ces transformations
conceptuelles : moins d'immeubles, plus de meubles, disait-on, voici quelques années
pour caractériser le changement de contenu du patrimoine ; moins de corporel, plus
d'incorporel, devrait-on dire aujourd'hui. […] Toutes ces choses-informations ont, a
priori, la même aptitude à entrer dans la catégorie des biens [...], elles circuleront plus
ou moins librement selon que la société éprouvera le besoin d'organiser leur
appropriation temporaire par une forme du droit de propriété.103
Cette question mériterait une étude bien plus vaste mais qui dépasserait
malheureusement l’étendue de notre sujet. La notion de bien est en évolution perpétuelle
en raison des changements sociétaux. Il n’est néanmoins pas certain que l’information
puisse aujourd’hui être perçue comme un bien incorporel et puisse, de ce fait, faire l’objet
d’une protection par le droit de la propriété. Le secret d’affaires étant une information, il
n’entrerait par conséquent pas dans cette catégorie juridique non plus. Il est parfois
possible de voir ressortir la qualification de « bien informationnel », une nouvelle
catégorie possible de biens. Mais cette qualification sera laissée de côté car il est difficile
de savoir où la ranger dans le droit. Si des incertitudes demeurent donc quant à la question
vaste (et ne pouvant donc être traitée entièrement ici) de la nature de l’information, la
question plus précise de la nature du secret d’affaires semble voir ses contours se dessiner
afin d’exclure la qualification de bien.
Il nous est donc permis d'affirmer que le secret des affaires, actif incorporel, appartient
à un patrimoine immatériel qui peut être identifié comme un ensemble sui generis,
construit au fur et à mesure par la pratique des affaires, constituant incontestablement
une universalité de fait. […] Cette nouvelle universalité relative, si tant est que le
patrimoine informationnel soit reconnu comme tel, pourrait donc être assimilée à un
bien meuble incorporel, à l'instar du fonds de commerce, mais serait essentiellement
composée de secrets d'affaires, pris dans un sens large en tant que biens immatériels
dans leur masse.104
b) L’éloignement progressif du secret de commerce de la catégorie des biens
En plus d'émaner spontanément de la pratique, la notion d'information confidentielle
économique constitue un objet juridique satisfaisant à l'heure où le juriste se trouve
désorienté par les bouleversements auxquels il est confronté, objet ni trop étroit ni trop
103 J.-C. GALLOUX, préc., note 70, n°29.
104 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 17.
23
large, ni trop concret ni trop abstrait, situé à un juste milieu entre l'excès de
pragmatisme et l'excès d'idéalisme.105
Cette citation de 1988 montre que les temps n’ont pas tant changé. Comme
précisé précédemment, le secret d’affaires est un type d’information. Charlaine
Bouchard précise que :
Même si elles sont parfois distinguées, les notions d’informations confidentielles et le
secret de commerce se recoupent en matière de clause de non-concurrence,
puisqu’elles désignent l’information transmise dans un lien de confiance aux fins
exclusives des rapports de travail entre l’employeur et l’employé et ainsi inaccessible
aux tiers.106
Ce lien est également perceptible dans la définition du secret de commerce donnée
dans la décision Contrôle PC inc. c. DP Sys inc.107 qui montre bien qu’il s’agit d’une
information confidentielle. Nous avons déjà souligné un tel lien en droit français108. Si le
statut de l’information demeure vague, il est intéressant de noter que, dans une certaine
mesure, celui du secret de commerce (en France et au Québec) tend à s’écarter de la
qualification de bien.
Tout l’enjeu est résumé par Olivier de Maison Rouge109 : où classer ce contenu
informationnel ? Comme il l’explique, le droit commun de la propriété ne porte que sur
les biens immobiliers. Il se demande s’il faudrait alors classer les biens immatériels (s’il
s’agit effectivement d’un bien) dans la catégorie des biens meubles :
Par conséquent, selon cette classification que nous tiendrons à défaut de toute autre,
seul le principe de la possession trouverait à s’appliquer selon la règle énoncée par
l’article 2276, alinéa 1er, du Code civil […] Cela revient à consacrer comme légitime
possesseur celui qui détient ce bien informationnel, si ce n’est que cette règle ne
s’applique pas aux biens incorporels.110
Il semble ainsi peu probable que la qualification de bien puisse être retenue pour
le secret des affaires.
105 Marie BOURGEOIS, « La protection juridique de l'information confidentielle économique : étude de
droits québécois et français », Revue internationale de droit comparé, vol. 40, n°1, Janvier-mars 1988, n°7,
p. 116.
106 C. BOUCHARD, préc., note 97, p. 214.
107 Préc., note 31, par. 73 : « Selon les mêmes sources doctrinales, un secret commercial peut être défini
comme étant un ensemble d'informations confidentielles développées et élaborées par une entreprise dans
le cadre de ses activités économiques, consistant dans la production ou la réalisation de biens ou dans la
prestation de services ».
108 Supra. note 76.
109 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°278, p. 152.
110 Ibid., n°278, p. 152.
24
Il faut d’ores et déjà mentionner que, en matière criminelle au Canada, la Cour
suprême (la solution valant donc également au Québec) avait, et ce, dès 1988, précisé
qu’une information confidentielle ne saurait faire l’objet d’un vol :
Pour des raisons de politique judiciaire, les tribunaux ne devraient pas, dans les affaires
de vol, considérer les renseignements confidentiels comme des biens. De toute façon,
même si on les considère comme des biens, ils ne peuvent être pris puisque seuls des
objets tangibles peuvent l'être. Ils ne peuvent être détournés, non pas parce qu'ils sont
intangibles, mais parce que le propriétaire n'en serait jamais privé, sauf dans des
circonstances très exceptionnelles et fantaisistes.111
Au Québec, nous avons déjà mentionné la position de Charlaine Bouchard sur
l’évolution de la conception112. Il convient également de prendre en compte, à cet effet,
le raisonnement de Jean Lemoine et Émilie Courchesne Tardif113 relativement à la théorie
du tremplin (qui fera l’objet de plus amples développements par la suite114) en common
law canadienne. En effet, ces auteurs notent que, dans les affaires Lac Minerals Ltd.115 et
FBI Foods Ltd.116, deux arrêts majeurs en matière de protection du secret de commerce,
la Cour suprême du Canada avait dû statuer sur des questions d’abus de confiance. Il est
intéressant de noter que les plaignants n’avaient pas invoqué la question de la propriété
du secret de commerce, mais avaient fait appel à un autre fondement : « S’agit-il d’un cas
d’obligation fiduciaire? La Cour suprême répond par la négative, puisque les réclamations
en cause sont davantage fondées sur l’abus de confiance que sur le droit de
propriété »117. Si cela ne peut constituer qu’un détail, il est intéressant de noter une
logique qui sera rappelée à plusieurs reprises au cours de ce mémoire : quand il est
question du secret de commerce, ce ne serait en fait pas l’objet secret qui est envisagé par
la protection mais le caractère confidentiel qui l’enveloppe118. Cela expliquerait donc la
logique de ne pas fonder l’action sur le droit de propriété mais celui de l’abus de confiance
(qui serait « une action hybride empruntant les concepts émanant de l’equity et de
111 R. c. Stewart, [1988] 1 R.C.S. 963, par. 43.
112 C. BOUCHARD, préc., note 97, n°223, p. 217.
113 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37.
114 Infra. p. 82 et s.
115 Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574 (C.S.C.), confirmant
(1987) 18 C.P.R. (3d) 263 (Ont. C.A.) et (1986) 9 C.P.R. (3d) 7 (Ont. H.C.)
116 FBI Foods Ltd. c. Cadbury Schweppes Inc., (C.S.C.), [1999] REJB 1999-10426.
117 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p.19.
118 M. BOURGEOIS, préc., note 105, n°9, p. 117 : « Le droit protège indirectement l'information
confidentielle en protégeant ses supports et sa forme d'expression ».
25
l’obligation fiduciaire »119). Il n’est donc pas étonnant qu’un fondement similaire soit
retrouvé au Québec relativement à la théorie du tremplin, à défaut de celui de la propriété :
De par la nature de la relation de confiance et la nature des informations qui présentent
une valeur pécuniaire et un caractère secret, les tribunaux ont appliqué la théorie du
tremplin tant à des cas de responsabilité contractuelle qu’extracontractuelle. D’ailleurs,
dans l’affaire 840182 Ontario Inc. c. Dion120, la responsabilité contractuelle des
défendeurs était retenue par la Cour en application de la théorie du tremplin.
Cependant, la Cour spécifie que la responsabilité civile extracontractuelle
s’appliquerait en l’absence d’une telle entente. Cela rejoint l’idée de «breach of
confidence» véhiculée par les décisions provenant du droit anglais étudiées
précédemment.121
Les tribunaux civils québécois semblent donc implicitement refuser la
qualification de bien en ne tenant pas compte d’un éventuel droit de propriété et en se
concentrant davantage sur la relation de confiance. D’autres d’indications ressortent
également de la question de la saisie. En effet, comme le soulignent Jean Lemoine et
Émilie Courchesne Tardif122 dans leurs développements qu’il convient de résumer ici, de
nombreux éléments tendent vers l’impossible qualification de bien au profit du secret de
commerce. Un premier indice ressort de l’arrêt FBI Foods123 : « La Cour suprême a édicté
que les renseignements confidentiels ne constituent pas des biens au sens des dispositions
du vol dans le Code criminel, sans toutefois statuer sur leur statut dans d’autres
contextes »124. Ainsi, en matière criminelle il n’y aurait pas de qualification de bien pour
le secret de commerce et il ne pourrait donc pas y avoir de saisie. Au Québec, la Cour
d’appel dans l’affaire Tri-Tex125 a ensuite estimé que les informations confidentielles ne
pouvaient être considérées comme des biens meubles saisissables en vertu de l’article
734(1) du Code de procédure civile (permettant d’opérer des saisies avant jugement)126.
Cela vint donc clarifier la question après que le juge Lévesque, dans l’affaire Santé
119 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p.18.
120 840182 Ontario inc. c. Dion (C.S.), no 200-05-000590-930, 1993.
121 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p.21.
122 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 45-46.
123 FBI Foods Ltd. c. Cadbury Schweppes Inc., préc., note 116, par. 40.
124 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 45.
125 Tri-Tex Co. Inc. c. Gideon, préc., note 101, not. p. 974-976.
126 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 46.
26
naturelle127, sembla indiquer le contraire128. Pourtant certains doutes demeurent car ces
raisonnements proviennent de décisions de justice, tandis que le législateur laisse à penser
le contraire. En effet, comme le notent, à juste titre, Judith Robinson et Sébastien Jetté129,
l’article 1612 du Code civil du Québec parle bien du « propriétaire du secret »130. De plus,
ces mêmes auteurs notent que la version anglaise du texte a également été modifiée dans
ce sens :
Il faut noter que la version anglaise de l’article 1612 C.c.Q., qui mentionnait
originellement le «holder of a trade secret», a été modifiée en 2002 pour «owner of a
trade secret»131. Peut-on en inférer que le législateur québécois voulait rectifier le tir et
s’assurer qu’on puisse réellement être propriétaire d’un secret de commerce? Bien que
les commentaires prononcés par le ministre de la Justice Bégin lors des débats
parlementaires puissent laisser songeur, il s’agit d’une question sur laquelle la
jurisprudence devra probablement se pencher.132
De nombreux indices indiquent donc que, au Québec, même si la question n’est
pas encore réglée, il semblerait qu’une information confidentielle telle que le secret de
commerce ne puisse constituer un bien.
En France, Nicolas Binctin affirme pourtant le contraire :
Une partie de la doctrine et une jurisprudence maintenant bien établie de la chambre
criminelle de la Cour de cassation admettent que l’information secrète peut être l’objet
d’un droit de propriété relevant du droit commun des biens.133
Sa position n’est néanmoins pas partagée par toute la doctrine française et nous
argumenterons également dans le sens inverse de sa proposition. En effet, même si la
directive n°2016/943 et la proposition de transposition en droit français ne semblent pas
préciser si le secret d’affaires est un bien appropriable ou non, il est possible de pencher
dans le sens de la négative. Deux arguments principaux sont à citer.
Le premier argument tient au fait que, comme expliqué précédemment, la
protection offerte par le régime du secret d’affaires s’attache davantage au caractère secret
127 Préc., note 98, p. 9 : « Les secrets industriels constituent des biens et leur propriété peut être protégée
que ce soit sous le régime délictuel ou contractuel ».
128 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 45-46.
129 S. JETTE ET J. ROBINSON, préc., note 26, p. 23-24.
130 C. c. Q, art. 1612 : « En matière de secret commercial, la perte que subit le propriétaire du secret
comprend le coût des investissements faits pour son acquisition, sa mise au point et son exploitation; le
gain dont il est privé peut être indemnisé sous forme de redevances ».
131 Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2002, c. 19, art. 15.
132 S. JETTE ET J. ROBINSON, préc., note 26, p. 24.
133 N. BINCTIN, préc., note 33, p.20.
27
de l’information qu’à l’information elle-même134. Il semble donc peu probable que la
qualification de bien soit reconnue car il peut être complexe de déterminer sur quoi porte
le droit de propriété.
Le deuxième argument est celui du vocabulaire employé. En effet, l’article 2, 2)
de la directive 2016/943 définit le « détenteur de secrets d'affaires » comme « toute
personne physique ou morale qui a le contrôle d'un secret d'affaires de façon licite ». Or,
il n’est pas fait référence au « propriétaire de secrets d’affaires » comme cela aurait été le
cas s’il s’agissait d’un bien pouvant faire l’objet d’un droit de propriété. De plus, selon
Jean Christophe Galloux, ce choix de langage vient rappeler qu’il n’est donc pas question
de toute considération privative, comme cela était déjà le cas à l’article 39.2 ADPIC135.
Le terme « détenteur » est assez intéressant car il se détache de ceux de « propriété » et
de « possession » : on évite ainsi d’employer le vocabulaire relatif aux biens. Cela permet,
soit d’exclure tacitement la qualification de bien pour les secrets d’affaires, soit de laisser
planer le doute afin de pouvoir préciser la qualification par la suite. Emanant de la
directive européenne, cela permettrait également de laisser une plus grande souplesse au
législateur de chaque Etat membre. Pourtant, la proposition de transposition adoptée par
la Commission mixte paritaire reprend ces termes136.
Il nous est donc permis d'affirmer que le secret des affaires, actif incorporel, appartient
à un patrimoine immatériel qui peut être identifié comme un ensemble sui generis,
construit au fur et à mesure par la pratique des affaires, constituant incontestablement
une universalité de fait. […] Cette nouvelle universalité relative, si tant est que le
patrimoine informationnel soit reconnu comme tel, pourrait donc être assimilée à un
bien meuble incorporel, à l'instar du fonds de commerce, mais serait essentiellement
composée de secrets d'affaires, pris dans un sens large en tant que biens immatériels
dans leur masse.137
De la sorte, le droit français, tout comme la directive, ne semble pas, du moins
explicitement, prendre position en faveur de la qualification de bien en faisant usage du
terme détenteur : « (i)l est plus significatif de relever que la protection instituée par la
directive ne repose pas sur la technique du droit de propriété. Cette directive se défend
134 J. PASSA, préc., note 18, p. 40.
135 J.-C. GALLOUX, préc., note 11.
136 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc., note 8, art. 1er :
« Art. L. 151-2. – Art. L. 151-2 A. – Est détenteur légitime d’un secret des affaires celui qui en a le contrôle
de façon licite ».
137 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 17.
28
même d’instituer un droit exclusif »138. Il est important de noter que l’absence d’une telle
protection est donc logique et entre en résonnance avec l’importance et la nécessité, pour
le détenteur du secret, de mettre en œuvre des mesures raisonnables de conservation du
secret. Les écrits qu’Olivier de Maison Rouge publiait en 2012139 sont donc encore
d’actualité car, en 2017, il résumait de nouveau la complexité de la nature du secret :
Si l'on se réfère au droit commun, en droit positif français, le droit de la propriété ne
peut porter que sur des biens immobiliers. S'agissant d'un bien immatériel, doit-on le
ranger dans la catégorie des biens meubles ? Par conséquent, selon cette classification
que nous retiendrons à défaut de toute autre, seul le principe de la possession trouverait
à s'appliquer. Si le secret des affaires doit être assimilé à un bien meuble incorporel, il
convient de se référer à la règle de l'article 2279, alinéa 1 er , du code civil : « En fait
de meubles, possession vaut titre ». Cela revient à consacrer comme légitime
possesseur celui qui détient ce bien informationnel sauf que cette règle ne s'applique
justement pas aux biens incorporels. Ainsi, la directive européenne évoque-t-elle le «
détenteur légitime ».140
« Or la non-appropriation ne signifie pas non-protection »141. Comme nous le
verrons par la suite, le secret de commerce demeure protégé malgré tout, ce qui est
essentiel pour le développement économique des entreprises.
En somme, la qualification de bien ne saurait, à ce jour, être reconnue au secret
d’affaires. Des incertitudes demeurent mais cela constituerait une distinction essentielle
avec les droits de la propriété intellectuelle. En effet, il n’y a par conséquent pas
d’exclusivité accordée au détenteur du secret :
En droit de la propriété intellectuelle, c’est, selon une approche de droit des biens, un
objet qui est protégé et, en conséquence seulement, des actes d’exploitation non
autorisés qui se trouvent interdits, même a priori. A l’inverse, pour la protection des
secrets d’affaires, ce sont, selon une analyse relevant de la responsabilité délictuelle,
des actes qui sont interdits et sanctionnés, et en conséquence seulement, indirectement,
un objet – celui du secret – qui se trouve protégé.142
138 J. PASSA, préc., note 18, p.38.
139 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°278, p. 152 : « Il faut donc en conclure qu’à défaut de
protéger par tous moyens de fait ce patrimoine informationnel, notamment par la confidentialité, le droit ne
confère sur cet ensemble de biens immatériels aucun droit de propriété ou de possession. C’est pourquoi
l’entreprise devra précisément veiller à assurer leur protection et empêcher leur divulgation par son
personnel ».
140 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 17.
141 N. MALLET-POUJOUL, préc., note 4, n°13.
142 J. PASSA, préc., note 18, p. 40-41.
29
Cependant, la question du droit des biens n’est pas la seule distinguant le secret
d’affaires et le droit de la propriété intellectuelle : d’autres éléments viennent dissuader
d’une telle qualification pour les secrets d’affaires.
ii) Une distinction certaine avec les droits de propriété intellectuelle
Si le secret de commerce n’est pas un bien, il ne peut, a fortiori, être considéré
comme faisant partie de la catégorie des droits de la propriété intellectuelle : ces derniers
fournissent, comme leur nom l’indique, un titre de propriété sur l’objet protégé.
Cependant, la question du bien n’est pas la seule à distinguer le droit du secret d’affaires
des droits de propriété intellectuelle. En effet, des discordances relatives à la nature du
secret (a) et, par conséquent, à son régime de protection (b), rendent celui-ci incompatible
avec les droits de la propriété intellectuelle.
a) Une nature incompatible
La nature du secret d’affaires protégé est un indicateur majeur de la distinction à
opérer. Il convient en premier lieu de noter que la philosophie des droits de propriété
intellectuelle est distincte de celle du secret de commerce. Si une œuvre de l’esprit au
sens du droit d’auteur français peut être protégée alors qu’elle n’a pas été divulguée,
l’article L. 111-1 du CPI ne fait mention d’aucune nécessité de valeur pécuniaire de
l’œuvre afin qu’elle soit protégée143 et la notion de divulgation peut se révéler distincte
de celle du droit d’auteur. De ce fait, la logique du secret d’affaires est différente de celle
du droit d’auteur car, pour être protégé, le premier doit non seulement disposer d’une
valeur commerciale mais également faire l’objet de mesures raisonnables visant à
maintenir son caractère confidentiel144 (et n’est donc pas protégé du simple fait de sa
création).
Si la protection du secret d’affaires ne se rapproche pas de celle du droit d’auteur,
elle n’est pas plus liée à la logique du droit de la propriété industrielle (droit des brevets
industriels, marques de commerce et dessins industriels notamment). En effet, on pourrait
penser à un rapprochement en raison des exigences liées à l’attribution du titre de
143 C. propr. intell., art. L. 111-1.
144 Dir. n°2016/943, art. 2. 1. c ; G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 22.
30
propriété industriel : il faut faire part à un organisme gouvernemental d’une demande
d’enregistrement du titre afin que celui-ci évalue le respect des critères exigés. Si, pour
certains secrets de commerce (en matière culinaire ou pharmaceutique par exemple)
l’entreprise doit divulguer son information confidentielle afin que l’Etat permette, tout en
maintenant le secret, l’utilisation du procédé ou du produit qu’elle aura jugé conforme
aux normes145 (de santé par exemple), la demande ne sera jamais publiée. En effet, en
droit de la propriété industrielle, l’attribution du droit est soumise à la publication146 de
la création afin de faire avancer l’innovation (en matière de brevets par exemple147) ou
d’avertir les concurrents des actes de contrefaçon qu’ils pourraient commettre
(notamment en droit des marques et des dessins industriels). Cela permet de rendre le
droit opposable aux tiers, mais cette publicité est tout le contraire de la logique du secret
d’affaires148. La publication d’un secret de commerce serait contradictoire avec sa nature :
« le secret, une fois découvert, n’est plus secret »149. Le fait de publier le secret d’affaires
y mettrait fin et, de par le régime de protection qui sera présenté ultérieurement150, ne
confère pas de monopole absolu à son détenteur : une telle divulgation ne faisant l’objet
d’une faute, il serait impossible pour l’entreprise de faire respecter ses droits face aux
concurrents faisant usage du secret.
Le secret de commerce semble donc éloigné de la logique de la propriété
intellectuelle et cela se confirme davantage quant à la durée de protection prévue pour cet
objet. Les droits de la propriété intellectuelle prévoient tous une durée de protection
limitée au profit du titulaire ou du créateur afin de maintenir un certain équilibre avec les
droits du public ou des concurrents151. Or, le secret d’affaires étant une protection de fait,
145 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°247-251, p. 137-139 : le règlement REACH en constitue
une illustration (Règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006
concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions
applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques).
146 C. propr. intell, art. L. 615-4, al. 1er ; L. 716-2 ; L. 521-1.
147 M. BOURGEOIS, préc., note 105, n°4, p. 115 : « Le droit donne aux entreprises un moyen spécifique
de monopolisation de leurs créations techniques : le brevet d'invention, dont le fondement juridique réside
dans une convention synallagmatique entre la société et l'inventeur, par laquelle à l'inventeur qui accepte
de rendre publique sa création, la société confère, moyennant le respect de certaines conditions, un droit
exclusif d'exploitation pour une certaine période ».
148 J. PASSA, préc., note 18, p. 41
149 Conception S.N. Vena Inc. c. DIT Équipements Inc., (C.S.Q.) J.E. 2002-1242, par. 63.
150 Infra, p. 33 et s.
151 En France : C. propr. intell., art. L. 123-1 ; L. 513-1 ; L. 611-2 ; L. 712-1. Au Québec : Loi sur le droit
d’auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42), art. 23 ; Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4) art. 44 ; Loi sur les
31
elle dure aussi longtemps que le caractère confidentiel de l’information existe : la
protection afférant au secret commercial est donc potentiellement perpétuelle152. Du fait
de la logique de la protection et de la nature de celle-ci, sa durée varie donc en fonction
de l’état de fait.
La philosophie de la protection n’est donc pas la même dans le cas du secret
d’affaires et de la propriété intellectuelle (qu’il s’agisse de la propriété littéraire et
artistique ou de la propriété industrielle). Or, en allant plus loin, il convient de remarquer,
comme le fait très justement Jérôme Passa153, que ces deux types de protections portent
sur des éléments complètement différents. Cet auteur précise que, si le droit de la
propriété intellectuelle dépend des caractéristiques intrinsèques de l’objet (on ne tient par
exemple pas compte des circonstances de son exploitation), la protection du secret
d’affaires tient davantage aux éléments entourant l’objet : « c’est la sphère de secret elle-
même qui est protégée, et non, à proprement parler, l’objet incorporel, lui-même, couvert
par le secret »154.
Cette distinction entre les deux types de protections semble être le point de non-
retour confirmant leurs natures incompatibles. Cela explique, selon Jérôme Passa155, la
tournure adoptée au considérant 14 de la directive n°2016/943156. Le secret d’affaires ne
s’attache pas à la protection d’un objet mais à son caractère confidentiel. De là découle
les éléments présentés précédemment : tant que le caractère secret est conservé, la
protection demeure. De plus, cela explique très logiquement pourquoi, sans
nécessairement tenir compte de sa relation avec la propriété intellectuelle, le secret
d’affaires couvre un champ d’objets très étendu : les caractères les définissant sont très
vagues.
Il semble donc que le secret d’affaires ne peut être rattaché à un des aspects
traditionnels du droit de la propriété intellectuelle. Néanmoins, pour Bertrand Warusfel,
dessins industriels (L.R.C. (1985), ch. I-9), art. 10 (1) ; Loi sur les marques de commerce (L.R.C. (1985),
ch. T-13), art. 46 (1).
152 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 43 : « Il peut s’agir de quelques moments ou de plusieurs décennies ».
153 J. PASSA, préc., note 18, p. 40.
154 Ibid.
155 Ibid.
156 Dir. n°2016/943, préambule, cons. 14 : « Il importe d'établir une définition homogène du secret
d'affaires sans imposer de restrictions quant à l'objet à protéger contre l'appropriation illicite… »
32
cela ne signifie pas que le secret d’affaires ne peut être rattaché à la famille des droits de
la propriété intellectuelle, la voie des droits voisins devant être prise en compte :
En retenant de tels critères de protection, qui ne s’attachent pas aux aspects qualitatifs
ou formels de l’objet protégé, comme le fait généralement le droit de la propriété
intellectuelle, mais surtout sa valeur économique, les ADPIC ont choisi la voie d’une
protection sui generis, que l’on pourrait plutôt rattacher à la notion des « droits
voisins ».157
Il semble cependant falloir constater, selon nous, et ce, malgré le fait que Bertrand
Warusfel fasse « incontestable autorité » en matière de secret d’affaires158, que la nature
de ce dernier s’écarte trop de la logique de la propriété intellectuelle pour être considéré
même comme un droit voisin. Si l’espoir d’une telle reconnaissance pouvait être entretenu
pendant bien longtemps, le législateur français, en transposant la directive 2016/943 a fait
le choix explicite de ne pas ériger le secret d’affaires comme droit voisin. En effet, le
régime relatif au secret d’affaires sera intégré au Code de commerce et non au Code de la
propriété intellectuelle.159
Finalement, il convient également de préciser un autre élément relatif à la question
de la propriété ou de la maitrise du bien. En matière de droit d’auteur, surtout, le
propriétaire de l’objet protégé (l’œuvre de l’esprit ou l’invention notamment) n’est pas
nécessairement le titulaire des droits de propriété intellectuelle sur ce bien. En France160
comme au Québec161, la règle est la même : le transfert de du droit propriété sur l’objet
matériel n’entraine pas la cession automatique du droit d’auteur162. Ainsi, la maîtrise du
bien est distincte de la gestion des droits dessus : le propriétaire d’une œuvre ne peut la
dégrader sans le consentement de l’auteur, de même que le propriétaire d’un bien
157 Bertrand WARUSFEL « Les enjeux juridiques et politiques de la protection des secrets d’affaires »,
dans Jean LAPOUSTERLE (dir.), La protection des secrets d’affaires: perspectives nationales et
européennes : actes du colloque du 1er avril 2016, Palais du Luxembourg, Paris, 2017, p. 2, à la p. 4.
158 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°114, p. 76.
159 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc., note 8.
160 C. propr. intell., art. L. 111- 3, al. 1er : « La propriété incorporelle définie par l'article L. 111-1 est
indépendante de la propriété de l'objet matériel ».
161 Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42), art. 13 (1) : « Sous réserve des autres dispositions de
la présente loi, l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre ».
162 Gilles DAIGLE, « Développements récents en droit d’auteur » dans S.F.C.B.Q., vol. 374,
Développements récents en droit du divertissement (2013), Cowansville, Editions Yvon Blais, p. 143, à la
p.162 : « La Loi prévoit maintenant que le premier titulaire du droit d’auteur sur une photographie, ainsi
que l’auteur de la photographie, est la personne qui l’a créée. Par conséquent, à moins d’une entente avec
le photographe qui concerne expressément la propriété du droit d’auteur pour le client, le photographe
conservera tous les droits d’auteur ».
33
contenant l’invention ne peut concéder une licence sur la technologie. Or, par sa nature
que nous avons considéré comme incompatible avec le droit des biens, le secret d’affaires
dispose d’une logique distincte : la maîtrise de la protection par le secret est éminemment
liée à la maîtrise de l’objet de celui-ci. La personne maîtrisant le secret, qui peut se
prévaloir de la qualité de détenteur de celui-ci, peut en faire usage dès lors qu’elle l’a
acquis de manière licite163. Au-delà de la question d’un droit privatif sur cette information
confidentielle, le fait de pouvoir en disposer librement découle de sa possession.
La question de la nature du secret de commerce en France et au Québec est
essentielle car elle montre son incompatibilité avec la propriété intellectuelle. Cependant,
la nature de cette protection ne peut être le seul argument l’écartant de cette famille de
droits d’exception. Seule une confirmation textuelle par le législateur saurait corroborer
ces propos :
On voit bien qu’aux débats juridiques et théoriques portant sur la nature du nouveau
droit qui va protéger le secret d’affaires s’ajoutent des choix politiques au sens où il est
toujours politique de décider de privilégier dans une relation sociale, juridique ou
économique, une catégorie d’acteurs particuliers paraissant devoir être pris plus
particulièrement en compte au bénéfice de l’intérêt général.164
En effet, si la nature des objets semble devoir déterminer leur distinction, les choix
relatifs au régime à mettre en place seront ceux, finalement, qui confirmeront cette
divergence.
b) Un régime de protection corroboré par cette affirmation
Comme évoqué précédemment, le législateur français est venu confirmer que le
secret d’affaires ne saurait être intégré à la famille des droits de la propriété intellectuelle :
il intègre les mesures afférant à son régime au Code de commerce (en créant le Titre V
« de la création du secret des affaires »165) au lieu de les codifier au sein du Code de la
propriété intellectuelle comme les droits de la propriété littéraire et artistique, de la
propriété industrielle et les droits voisins. Néanmoins, si cette codification vient gommer
tout doute sur la nature compatible du secret d’affaires avec la propriété industrielle, des
163 Dir. n°2016/943, art. 3.
164 B. WARUSFEL, préc., note 157, p. 12-13.
165 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc., note 8.
34
éléments relatifs à son régime, découlant eux-mêmes de la nature de la protection,
indiquaient déjà une incompatibilité quasi-certaine.
Cela se perçoit, premièrement et surtout, par la manière d’engager la
responsabilité civile d’un individu faisant usage du secret de commerce : le détenteur de
celui-ci doit prouver une faute166. Cela différencie significativement la protection de celle
de la contrefaçon en matière de droit de la propriété intellectuelle : toute utilisation de la
création sans autorisation du titulaire des droits est, en principe, sanctionnable même si
aucune faute n’a été commise à partir du moment où il s’agit d’une atteinte aux
prérogatives du titulaire des droits. Il est à noter que, afin de maintenir un équilibre entre
les droits du créateur et ceux du public, des exceptions sont textuellement prévues en
France et au Québec. Cette divergence est due au fait que les droits de la propriété
intellectuelle fournissent à leur titulaire un monopole absolu sur la création : en acquérant
les droits, le titulaire de ceux-ci devient, en principe, le seul à pouvoir faire usage des
prérogatives sur le bien intellectuel protégé. Cela n’est pas le cas pour le secret de
commerce : le concurrent peut licitement faire usage du secret d’affaires s’il l’a percé par
lui-même (par l’ingénierie inverse, aussi appelée « reverse engineering », ou qu’il l’a
découvert par ses propres moyens) ou que le secret a été divulgué par maladresse167. Le
législateur français prévoit (tout comme la directive) un certain nombre de cas
d’utilisation, divulgation et communication licites168 et illicites169. Ainsi, l’exploitation
au sein de la sphère interne de l’entreprise ne donne naissance à aucun droit privatif,
166 Dir. n°2016/943, art. 4 : « 2. L'obtention d'un secret d'affaires sans le consentement du détenteur du
secret d'affaires est considérée comme illicite lorsqu'elle est réalisée par le biais:
a) d'un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier électronique ou d'une
appropriation ou copie non autorisée de ces éléments, que le détenteur du secret d'affaires contrôle de façon
licite et qui contiennent ledit secret d'affaires ou dont ledit secret d'affaires peut être déduit; b) de tout autre
comportement qui, eu égard aux circonstances, est considéré comme contraire aux usages honnêtes en
matière commerciale.
3. L'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaires est considérée comme illicite lorsqu'elle est réalisée,
sans le
consentement du détenteur du secret d'affaires, par une personne dont il est constaté qu'elle répond à l'une
ou l'autre des conditions suivantes:
a) elle a obtenu le secret d'affaires de façon illicite; b) elle agit en violation d'un accord de confidentialité
ou de toute autre obligation de ne pas divulguer le secret d'affaires; c) elle agit en violation d'une obligation
contractuelle ou de toute autre obligation de limiter l'utilisation du secret d'affaires ».
167 J. PASSA, préc., note 18, p. 43.
168 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc., note 8 : C. com., art. L. 151-
3.
169 Ibid., art. L. 151-4 et L. 151-5.
35
comme l’explique Jérôme Passa : « le fait juridique consistant dans leur élaboration ne
peut engendrer qu’un droit au brevet, autrement dit un droit à l’obtention du titre, non un
droit sur l’invention »170.
Cette logique est assez cohérente avec la nature du secret d’affaires : celui-ci ne
protégeant pas l’information en elle-même, il n’empêche donc pas les concurrents d’en
faire usage. Cependant, une utilisation ou une divulgation cherchant à nuire à l’entreprise
portant atteinte au secret, caractère protégé, sera considérée comme une faute car elle
constituerait un acte de concurrence déloyale. Le secret d’affaires n’ayant pas de régime
propre au Québec et n’en ayant pas encore un en France, le droit de la concurrence
déloyale a joué un rôle essentiel dans le développement de cette protection171.
Il n’y a donc pas de droit privatif sur le secret commercial172. Des auteurs affirment
qu’il est positif pour l’entreprise que le droit ne protège pas contre la divulgation
involontaire ou l’ingénierie inverse. En effet, selon D. Friedman, W. Landes et R. Posner
il y aurait deux arguments principaux173 contre la sanction du « reverse engineering ».
Premièrement, il peut être compliqué de prouver que le compétiteur a acquis le secret de
commerce par ingénierie inverse plutôt que par des recherches individuelles. Il n’y a donc
pas de droit privatif sur le secret de commerce car la preuve de la découverte du secret
peut être complexe. Deuxièmement, l’ingénierie inverse peut permettre d’améliorer le
produit du titulaire du secret. De plus, les coûts sont moins élevés pour les entreprises
cherchant à faire protéger leur secret que celles cherchant à opérer une démarche
d’ingénierie inverse :
This is one of those cases where the cost of care is so much lower to the potential victim
(the owner of the trade secret) than to the potential injurer (the competitor in our case)
that a rule of no liability is more efficient than a liability rule. In the theft case, in
contrast, not only would self-protection by potential victims involve heavy
expenditures, but the cost to the potential injurer of committing an intentional tort, that
170 J. PASSA, préc., note 18, p. 39.
171 M. BOURGEOIS, préc., note 105, n°22, p. 124.
172 S. JETTE ET J. ROBINSON, préc., note 26, p. 9 : « Cependant, le secret commercial ne présente pas
que des avantages. Au contraire, son plus grand inconvénient est qu’il n’est pas destiné à conférer un
monopole absolu à son détenteur, de sorte que les tiers sont parfaitement libres de développer un produit
semblable de façon indépendante ou par rétroconception (reverse engineering), aussi appelée
"désossement" ».
173 David D. FRIEDMAN, William M. LANDES et Richard A. POSNER, « Some Economics of Trade
Secret Law », Journal of Economic Perspectives, 1991, 5 (1), p. 61, à la p. 70.
36
is, the cost of not investing resources designed to effect a transfer of wealth, is
negative.174
Il est donc bien plus utile, dans le cas du secret, de se concentrer sur les mesures destinées
à sa préservation, en évitant la divulgation involontaire et l’ingénierie inverse, que celle destinées à
faire sanctionner ces actes. Seule une faute engendrera une sanction. Le considérant 16 de la
directive n°2016/943 précise d’ailleurs explicitement qu’aucun droit exclusif ne saurait être reconnu
au profit du secret d’affaires (et tout particulièrement le savoir-faire qui est un type de secret
d’affaires très utilisé en lien avec la propriété intellectuelle)175. Cela marque une frontière entre le
droit de la propriété intellectuelle et le secret d’affaires.
Citons également la question de la titularité des droits. Comme évoqué
précédemment, le détenteur du secret d’affaires est généralement, de fait, l’entreprise,
comme le montre désormais l’article 2. 2 de la directive176 : c’est elle qui met les moyens
en œuvre pour maintenir l’enveloppe de la confidentialité et c’est, par conséquent, elle
qui pourra demander auprès du juge la protection du secret d’affaires. La logique est
distincte en matière de propriété intellectuelle. Relativement au droit d’auteur,
l’entreprise ne saurait jamais disposer de la qualité d’auteur en France177 et doit
généralement obtenir la cession des droits patrimoniaux sur l’œuvre de l’esprit pour être
titulaire des droits178. De ce fait, le droit d’auteur oblige l’entreprise à obtenir
constamment la cession des droits patrimoniaux sur l’œuvre, même si celle-ci a été créée
174 Ibid., p. 69 : « Il s’agit ici d’une de ces hypothèses dans lesquelles le coût de la protection est tellement
moindre pour la victime potentielle (le détenteur du secret d’affaires) que pour celui y portant
potentiellement atteinte (le compétiteur dans notre cas), que l’irresponsabilité est plus efficace que la
responsabilisation. Dans le cas du vol, au contraire, non seulement la protection indépendante par les
victimes potentielles engendrerait des dépenses importantes, mais le coût pour celui commettant une
atteinte volontaire, c’est-à-dire le coût de ne pas investir des ressources destinées à engendrer un transfert
de valeur, est négatif. » [Traduction personnelle]
175 Dir. n°2016/943, préambule, cons. 16 : « Dans l'intérêt de l'innovation et en vue de favoriser la
concurrence, les dispositions de la présente directive ne devraient créer aucun droit exclusif sur les savoir-
faire ou informations protégés en tant que secrets d'affaires. La découverte indépendante des mêmes savoir-
faire ou informations devrait donc rester possible. L'ingénierie inverse d'un produit obtenu de façon licite
devrait être considérée comme un moyen licite d'obtenir des informations, sauf dispositions contractuelles
contraires. La liberté de conclure de tels accords contractuels peut toutefois être limitée par la loi ».
176 Dir. 2016/943, art. 2 : « Aux fins de la présente directive, on entend par: 2) "détenteur de secrets
d'affaires", toute personne physique ou morale qui a le contrôle d'un secret d'affaires de façon licite ».
177 Cass. 1re civ., 15 janv. 2015, n°13-23.566 ; D. 2015. 206 ; Propr. ind. 2015, n° 3, comm. 25, N. Brouche
; Expertises mars 2015, n° 400, p. 111, B. Lamon ; CCE mars 2015, comm. 19, p. 28, C. Caron ; RLDI févr.
2015, n° 112, L. Costes ; RTD com. 2015. p. 307, P. Gaudrat ; JAC 2015, n°22, p.13, R. Fievet.
178 La personne morale n’est pas le premier auteur et doit donc obtenir la cession des droits patrimoniaux
de sa part. C. propr. intell,, art. L. 113-1 : « La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou
à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée ».
37
par un employé. Le secret d’affaires constitue un avantage par rapport à cela. Quant à la
propriété industrielle, le titulaire des droits est celui ayant effectué le dépôt auprès de
l’autorité gouvernementale179. Cette logique facilite donc la pratique des entreprises qui
n’auront pas à obtenir de cession des droits de la part des inventeurs ou créateurs.
Néanmoins, la titularité ne ressort donc pas des faits mais de l’attribution du droit par
l’Etat. La titularité du secret d’affaires semble donc bien différente de celles des droits de
la propriété intellectuelle car, étant une protection de fait, elle découle simplement des
circonstances180.
Au surplus de ces éléments, il semble également y avoir une confirmation
textuelle que le secret d’affaires ne saurait constituer un droit de la propriété intellectuelle.
Le point culminant est le fait que, comme dit précédemment, le régime de protection n’est
pas intégré au Code de la propriété intellectuelle. Dès l’accord ADPIC cela pouvait être
constaté car, si celui-ci traitait des secrets d’affaires (sous le terme de « renseignements
non divulgués ») à son article 39 quand il était uniquement destiné à régir les aspects de
la propriété intellectuelle, ledit article renvoie explicitement à l’article 10 bis de la
Convention de Paris181 pour le fondement de la protection. Or, l’article 10 bis de la
Convention de Paris est relatif à la concurrence déloyale et non aux droits de la propriété
intellectuelle182. De plus, Jérôme Passa note également que l’article 1 de la Convention
179 En France : Institut national de la propriété industrielle (C. propr. intell., L. 411-1 à L. 411-5). Au
Canada : l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC).
180 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°278, p. 152 : « Il faut donc en conclure qu’à défaut de
protéger par tous moyens de fait ce patrimoine informationnel, notamment par la confidentialité, le droit ne
confère sur cet ensemble de biens immatériels aucun droit de propriété ou de possession ».
181 Convention d’Union de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle, art. 10 bis,
en ligne : <http://www.wipo.int/treaties/fr/text.jsp?file_id=288516#P216_38657> (consulté le 2 août 2018)
: « 1) Les pays de l’Union sont tenus d’assurer aux ressortissants de l’Union une protection effective contre
la concurrence déloyale.
2) Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en
matière industrielle ou commerciale.
3) Notamment devront être interdits:
i) tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n’importe quel moyen avec l’établissement,
les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent;
ii) les allégations fausses, dans l’exercice du commerce, de nature à discréditer l’établissement, les produits
ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent;
iii) les indications ou allégations dont l’usage, dans l’exercice du commerce, est susceptible d’induire le
public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l’aptitude à l’emploi ou la quantité
des marchandises ».
182 J. PASSA, préc., note 18, p. 37.
38
d’Union de Paris n’intègre pas les secrets d’affaires au sein de l’énumération des droits
de la propriété industrielle183. En Europe et en France il est textuellement confirmé que
le secret d’affaires ne peut être considéré comme un droit de la propriété intellectuelle.
Au Québec, l’argument le plus marquant est que les questions relatives aux droits de la
propriété intellectuelle sont de compétence fédérale canadienne. Or, le secret de
commerce est laissé à la discrétion des provinces184. C’est d’ailleurs pour cette raison que
le secret de commerce est régi par le droit civil au Québec et par la common law partout
ailleurs au Canada.
Finalement, avec l’entrée en vigueur de la directive, il est intéressant de noter la
différence de logique observable entre la protection par le secret d’affaires et les droits de
la propriété intellectuelle. Dans ce dernier cas, le principe est que, en raison du monopole
conféré, tout acte non autorisé par le titulaire des droits constitue une atteinte illicite
susceptible d’être réprimée en tant que contrefaçon. En France comme au Québec, des
exceptions viennent néanmoins balancer ces prérogatives conférées avec les intérêts de
la société. La logique semble pourtant distincte en matière de secret d’affaires : il est régi
par le droit commun de la concurrence déloyale et ne constitue donc pas un régime
d’exception. Le principe n’est donc pas qu’une exploitation, une divulgation ou une
utilisation du secret de commerce est illicite. Cela est également vrai au regard de la
directive : elle confère une liste d’actes licites et une liste d’actes illicites. La logique est
donc distincte en raison de l’absence de droit privatif.
Si des doutes demeurent sur la qualification exacte de l’information constituant le
secret d’affaires, une chose est certaine : il ne saurait constituer un droit de la propriété
intellectuelle. En effet, malgré l’entrée en vigueur de la directive, sa transposition et les
espoirs de certains185, l’attribution d’un régime spécifique en France ne fait que renforcer
la distinction déjà connue. Cette affirmation vaut également pour le Québec. Cependant,
la distinction entre le secret de commerce et le droit de la propriété intellectuelle ne
signifie pas qu’ils sont incompatibles dans la pratique. En effet, les entreprises innovantes
sont systématiquement amenées à articuler ces deux types de protections. Il est intéressant
183 Ibid.
184 Macdonald c. Vapor, (C.S.C.) [1977] 2 R.C.S. 134.
185 V. not. R. MILCHIOR ET V. FOURGOUX, préc., note 10 ; F. MEURIS-GUERRERO, préc., note 34.
39
de noter, d’ailleurs, que la question de cette articulation a été délaissée par la directive
2016/943186 et par le législateur français.
186 J.-C. GALLOUX, préc., note 11.
40
B. La relation ambivalente du secret de commerce avec le droit de la
propriété intellectuelle
La distinction entre le secret d’affaires et le droit de la propriété intellectuelle ne
doit pas amener à penser que le premier doit être délaissé par l’entreprise, bien au
contraire. Une entreprise doit savoir mettre en œuvre ces deux types de protections afin
de tirer le maximum de l’exploitation de son patrimoine. Elles doivent opérer un « choix
de politique économique et juridique » 187.
Jean-Marc Mousseron, figure éminente en matière de propriété industrielle en
France, présentait déjà la relation entre le savoir-faire et le brevet comme ceci : le droit
commun jouera dès qu’on est en présence d’un savoir-faire et le régime d’exception (le
brevet) ne s’appliquera pas.188 La relation entre le secret et la propriété intellectuelle est
encore bien présente aujourd’hui :
Il est vrai que, par plusieurs aspects, le secret complète ou remplace le droit de la
propriété industrielle, qu’il s’agisse de la protection en amont d’un dépôt (que la
pratique de l’enveloppe Soleau, mise en œuvre par l’INPI, permet de faciliter), du
savoir-faire que l’inventeur va conserver par devers-lui parallèlement à son brevet, du
secret sur un procédé de fabrication qu’il préfèrera parfois garder plutôt que de le
breveter (en comptant sur les difficultés techniques de l’ingénierie inverse) ou encore
de la pratique des « licences » ou des « cessions » de savoir-faire, qui s’est développée
par transposition des contrats de propriété industrielle.189
Il convient donc d’analyser l’articulation entre le secret d’affaires et la propriété
intellectuelle sous plusieurs angles. Celle-ci vient tantôt compléter cette dernière (i),
tantôt la remplacer (ii).
i) Le secret comme complément des droits de propriété intellectuelle
Cette complémentarité peut intervenir à deux moments principalement : le secret
protègera l’objet avant l’acquisition d’un droit de propriété intellectuelle (a) et après
187 J. PASSA, préc., note 18, p. 44.
188 Jean-Marc MOUSSERON, Traité des brevets: L'obtention des brevets, Paris, Librairies techniques,
1984, n°21, p.24.
189 B. WARUSFEL, préc., note 157, p. 3-4.
41
l’acquisition de celui-ci (b). Le professeur Mousseron utilisait d’ailleurs, à juste titre, la
distinction entre « secret à perdre » et « secret à garder »190 pour ces deux circonstances.
a) Une nécessité avant l’acquisition du droit
Il est ici question de l’attribution d’un droit de propriété industrielle, nécessitant
un dépôt. Le droit d’auteur naissant automatiquement au profit de son auteur même si
l’œuvre n’est pas achevée ou n’a pas été divulguée191, il ne nécessite pas de dépôt et le
rôle du secret dans la protection préalable à l’acquisition de ce droit est donc moins
important. Néanmoins, le secret peut servir à protéger une idée, celle-ci n’étant pas
appréhendée par le droit d’auteur192 mais pouvant amener à la matérialisation d’une
œuvre originale. En matière de propriété industrielle, le droit ne naissant qu’à compter de
la demande de dépôt auprès d’une autorité gouvernementale, il est essentiel de conserver
une part de secret avant la demande de dépôt afin qu’un autre individu n’effectue pas la
demande à la place et, surtout, que les conditions nécessaires à l’attribution du droit de
propriété industrielle soient maintenues. Dans ce cas, l’information secrète avant le dépôt
sera protégée par le régime du secret de commerce : les deux protections vont se succéder
dans le temps193. Il s’agit ici de ce que certains appellent un « secret à perdre » : on sait
qu’on l’abandonne car il s’agit d’une étape vers une meilleure protection juridique194. Les
deux droits de propriété industrielle principalement concernés sont le brevet industriel et
les dessins et modèles (ou dessins industriels au Québec).
Dans le cas du brevet, l’objet dont la protection est recherchée est une invention.
Celle-ci doit remplir un certain nombre de conditions, dont celle de nouveauté absolue195.
190 Jean-Christophe GALLOUX « Concours, cumul et coexistence du secret et des droits de propriété
intellectuels », dans Christophe GEIGER (dir.), Le droit de la propriété intellectuelle dans un monde
globalisé : mélanges en l'honneur du professeur Joanna Schmidt-Szalewski, Paris, LexisNexis, 2014, p.
129, à la p. 131.
191 En France : C. propr. intell., art. L. 111-2. Au Canada : Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. (1985), ch. C-
42), art. 5(1).
192 En France : C. propr. intell., art. L. 111-1 parle de la création d’une œuvre. Au Canada : Loi sur le droit
d’auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42), art. 3. 1. 1 exige quant à lui la fixation de l’œuvre. Dans les deux cas,
la création doit donc aller au-delà du simple stade de l’idée.
193 J. PASSA, préc., note 18, p. 45-46.
194 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 131.
195 En France : C. propr. intell., art. L. 611-10, 1. Au Canada : Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4),
art. 2 : une invention est « Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de
42
En effet, cela signifie que l’invention ne doit pas être déjà connue, que ce soit à un endroit
ou un autre du globe196. Le régime du secret d’affaires est donc utile ici afin de protéger
cette condition de nouveauté : le secret étant relatif, selon le premier critère de la directive,
le public n’est pas censé être au courant de l’existence de cette invention197. L’entreprise,
par l’emploi de clauses de confidentialité et la communication à un nombre limité
d’individus au sein et en-dehors de l’entreprise parviendra à conserver l’exigence de
nouveauté. En effet, comme l’explique Jérôme Passa, il n’y a pas de délai de grâce
accordé dans le cas d’une auto-divulgation, qui peut consister en une simple divulgation
à un tiers non tenu par une obligation de confidentialité198 : même sans divulguer lui-
même le secret, le tiers en est avisé et, constituant une entité extérieure à l’entreprise, cela
causera la fin de la condition de nouveauté absolue. De plus, s’il décidait de l’exploiter à
son tour ou de la communiquer, cette invention pourrait être connue du public et perdre
le statut secret d’affaires, le premier critère requis n’étant plus rempli.
De ce fait, le secret d’affaires vient compléter la protection par ce droit de la
propriété industrielle en offrant une protection de base à l’invention. Comme l’expliquait
Jean-Marc Mousseron, la protection par le brevet constitue un « régime d’exception »
(par contradiction au régime du secret qui serait le régime de droit commun)199. De ce
fait, il est essentiel pour l’entreprise de prévoir des mécanismes organisationnels afin que
les inventions soient identifiées le plus rapidement possible et soient gardées
confidentielles : cela laissera le temps à l’entreprise de décider de sa stratégie. Elle pourra
opter pour son exploitation sous le régime de la propriété intellectuelle ou décider de se
tourner vers une demande de dépôt auprès de l’Institut national de la propriété industrielle
(INPI) en France ou l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC). Comme
l’explique très bien Alain Michelet, il faut identifier les secrets d’affaires et plus
matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de
l’utilité ».
196 C. propr. intell., art. L. 611-11.
197 Dir. 2016/943, art. 2. 1. a.
198 J. PASSA, préc., note 18, p. 45.
199 J.-M. MOUSSERON, préc., note 188, n°19, p. 23.
43
particulièrement le savoir-faire : il « doit être identifié, structuré, en sous-ensembles,
chaque sous-ensemble faisant l’objet d’une politique de secret adaptée à son objet »200.
Dans le cas du droit des dessins et modèles, des dessins industriels, les conditions
de délivrance du droit en France201, comme au Québec202, ne reposent pas autant sur la
condition de nouveauté. Ainsi, comme le note Jérôme Passa, la levée du secret avant le
dépôt de la demande auprès de l’organisme gouvernemental ne détruit pas nécessairement
la condition de nouveauté : l’objet protégé n’aura pas nécessairement
été « raisonnablement connu des professionnels du secteur » et le créateur dispose cette
fois d’un délai de grâce de six mois en France et douze mois au Québec, s’il a divulgué
sa création avant le dépôt, pour procéder à ce dernier203. De ce fait, les conditions
d’acquisition des droits sur le dessin industriel en France et au Québec sont moins
rigoureuses que celles afférant au brevet industriel. Cela ne signifie pas que l’entreprise
ne doit pas prendre de précautions pour autant : en divulguant le secret sans chercher
immédiatement un autre type de protection (d’ailleurs plus efficace dans le cas du dessin
industriel), le créateur prend le risque de ne plus pouvoir faire protéger son objet.
La demande de dépôt auprès de l’INPI ou de l’OPIC ne signifie pas que
l’entreprise ne doit plus se reposer sur le secret de commerce. En effet, le droit de la
propriété industrielle concerné (brevet ou dessin industriel) naît à partir du dépôt de la
demande par l’entreprise une fois que celle-ci a été publiée par l’Office de la propriété
intellectuelle204. Cependant, il est possible que l’Office de la propriété intellectuelle
concerné décide de ne pas accorder le droit et donc de ne pas publier la demande de dépôt
faite par l’inventeur ou le créateur car elle estime qu’une condition quelconque n’est pas
remplie. Il est donc essentiel pour l’entreprise de conserver le secret jusqu’à ce qu’elle
soit sûre que le droit de la propriété industriel demandé lui sera accordé : la création peut
200 Alain MICHELET, « Le secret des affaires dans la pratique des entreprises », dans Jean
LAPOUSTERLE (dir.), La protection des secrets d’affaires: perspectives nationales et européennes : actes
du colloque du 1er avril 2016, Palais du Luxembourg, Paris, 2017, p. 160, à la, p. 161.
201 C. propr. intell., art. L. 511-1, al. 1er.
202 Loi sur les dessins industriels (L.R.C. (1985), ch. I-9), art. 5. 1.
203 Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4), art. 28. 2. 1. a. ; C. propr. intell. L. 611-13.
204 En France : C. propr. intell., art. L. 511-9, L. 513-1 (dessins et modèles), L. 611-2 (brevets d’invention).
Au Canada : Loi sur les dessins industriels (L.R.C. (1985), ch. I-9), art. 9 et 10 (1) ; Loi sur les brevets
(L.R.C. (1985), ch. P-4).
44
relever du secret entre la date de dépôt et celle de la publication de l’enregistrement205.
Autrement dit, tant que l’entreprise n’est pas sûre de s’être fait attribuéer le droit
demandé, il vaut mieux conserver le secret d’affaires afin d’avoir une protection, même
si celle-ci protège que contre les fautes206. De plus, en raison du rapport de recherche
opéré par l’Office à la suite de la demande de dépôt, l’entreprise peut estimer que
l’organisme ne conférera pas les droits escomptés (ou sur les aspects espérés) et pourra
par elle-même retirer sa demande afin de continuer dans le sens d’une protection par le
secret d’affaires207.
Hormis le caractère secret de la création, il peut être également intéressant pour
l’entreprise d’effectuer un dépôt secret. En effet, comme le prévoit l’article R. 512-10 du
Code de la propriété intellectuelle, il est possible en France de demander l’ajournement à
trois ans de la publication de l’enregistrement en matière de dessins et modèles. Une telle
règle existerait également au Canada mais ne serait pas codifiée dans la Loi sur les dessins
industriels208. Cela permet d’éviter que les concurrents ne copient la création dès la
publication : « (l)e secret n’est donc pas ici destiné à pallier l’absence de protection dans
l’attente d’une publication mais à ajouter une protection à celle recherchée par le biais du
dépôt »209. L’entreprise a donc déjà accédé à une protection par le droit de la propriété
industrielle, néanmoins elle décide de garder ce fait secret. Cette information pourrait être
considérée comme un secret d’affaires selon nous : le fait que l’enregistrement ait eu lieu
est gardé secret afin de conserver un avantage concurrentiel (conférant donc une valeur
205 J. PASSA, préc., note 18, p. 46.
206 Ibid.
207 Ibid.
208 Alan TROICUK, « Les incidences juridiques et techniques de l'adhésion du Canada à l'Acte de Genève
de l'arrangement de la Haye », Gouvernement du Canada, en ligne : <
https://www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/wr03678.html#viii> (consulté le 7 août
2018) : « En vertu de l'article 21 de la LDIC, toute personne peut examiner le registre des dessins industriels
et toute personne peut obtenir des copies de dessins industriels enregistrés. Le BDIC traite toutes les
demandes d'enregistrement de dessins industriels de manière confidentielle et permet uniquement au
déposant ou à toute personne autorisée par le déposant d'inspecter ses registres relativement à une demande
d'enregistrement de dessins industriels.
Le BDIC reporte, pendant un certain temps, la date d'enregistrement d'un dessin industriel à la demande du
déposant, si le déposant paye la taxe de 100 $ indiquée à l'Article 9 du Tarif des taxes. Le sursis à
l'enregistrement vise principalement à prolonger la période pendant laquelle le contenu de la demande
demeure confidentiel, ce qui donne lieu à l'ajournement de la publication du dessin industriel par le BDIC.
La LDIC et le RDIC ne prévoient pas de période de temps maximale pour le sursis à l'enregistrement à la
demande du déposant ».
209 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 143.
45
commerciale à l’information) et des mesures raisonnables peuvent être prises afin que
cette information demeure secrète. Le fait pour un employé de révéler que
l’enregistrement a eu lieu, par exemple, pourrait être considéré comme une faute
engendrant une atteinte au secret d’affaires selon nous. Cependant, pour pouvoir intenter
une action en contrefaçon, il est exigé que la publication du dépôt ou sa notification
antérieure soit effectuée210. L’article L. 512-4 CPI permet d’ailleurs d’éviter le risque
d’une double protection par le secret d’affaires et le droit des dessins et modèles : le droit
de procéder à une action en contrefaçon ne court qu’à partir de la publication de
l’enregistrement mais l’article L. 512-4 CPI empêche l’enregistrement d’un second dessin
ou modèle pouvant représenter une contrefaçon211.
En somme, l’entreprise a donc tout intérêt à maintenir la protection par le secret
d’affaires le plus longtemps possible afin de créer une continuité dans la protection.
Cependant, le secret n’est qu’une protection temporaire dans ce cas. Le secret de
commerce peut toutefois constituer un outil utile pour l’entreprise après l’acquisition d’un
droit de la propriété intellectuelle : il s’agit cette fois de combiner les deux types de
protections afin de les exploiter de manière plus efficace.
b) Un complément majeur après l’acquisition du droit
Si secret et propriété intellectuelle peuvent se succéder dans le temps, ils peuvent
également se combiner ou se compléter.212
Il est cette fois question de « secrets à garder » : « on veut garder le secret le plus
longtemps possible parce qu’il est le mode définitif de réservation choisi »213. Cependant,
le fait de garder le secret sur un élément ne signifie pas toujours qu’il faut exclure la
protection par le droit de la propriété intellectuelle. En effet, le secret d’affaires peut venir
se combiner à cette dernière protection ou la compléter. Le premier cas sera davantage
relatif à la question du savoir-faire combiné aux licences en matière de propriété
210 C. propr. intell., art. L. 521-1.
211 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 145.
212 J. PASSA, préc., note 18, p. 47.
213 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 131
46
industrielle, tandis que le second aura généralement trait à une protection plus efficace de
la propriété littéraire et artistique.
Comme le résume très justement Jérôme Passa, le secret d’affaires se combine très
souvent avec le droit de la propriété industrielle :
Le cas, fréquent en pratique, est celui dans lequel le titulaire du brevet détient dans le
secret des connaissances qui permettent, soit d’optimiser l’exploitation de l’invention
décrite dans le brevet – détails d’exécution, choix de composants ou matériaux… - soit
de porter cette exploitation à un stade proprement industriel. Ainsi, le savoir-faire peut
se trouver dans l’environnement immédiat d’une invention brevetée, ceux-ci, alors, se
combinent mais ont pour objet des connaissances, certes complémentaires, mais
distinctes.214
En effet, il convient de noter que, lors d’une demande de dépôt d’un brevet,
certains éléments peuvent être laissés de côté. L’INPI et l’OPIC n’exigent pas que
l’acquisition du droit soit conditionnée par la divulgation de tous les moyens possibles de
faire fonctionner l’invention : il est seulement exigé de fournir les informations
nécessaires pour qu’un « homme du métier » puisse la mettre en œuvre215 ou ne soit pas
évidente pour une « personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet »216. De
ce fait, l’entreprise peut conserver certaines informations de manière confidentielle afin
de maintenir un avantage concurrentiel sur ses concurrentes217.
Ces informations sont transmises dans le cadre de contrats intitulés accords de
« communication de savoir-faire » ou plus généralement de « licence de savoir-faire ou
de know-how », pouvant être définis comme « l’opération créant à la charge du titulaire
des informations, concédant, l’obligation de libérer celles-ci des obstacles matériels
(secret) ou juridiques (brevet) en interdisant l’accès au licencié »218. Il est également
essentiel de noter que, si l’entreprise n’est pas obligée de communiquer toutes les
informations, tout son savoir-faire lors de la demande de dépôt, elle n’est également pas
214 J. PASSA, préc., note 18, p. 47.
215 C. propr. intell., art. L. 611-14.
216 Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4), art. 28. 3.
217 J.-M. MOUSSERON, préc., note 188, n°36, p. 34 : « La description, pièce essentielle de la demande de
brevet, doit, en effet, permettre la reproduction de l’invention mais point nécessairement sa réalisation
optimale ; la connaissance de ces conditions d’exécution optimale ou du choix entre les différents moyens
pour y parvenir constitue, précisément, un élément du savoir-faire, parfois appelé know-how "différentiel"
ou "préférentiel" ; c’est, essentiellement, à son propos que les premières clauses de contrats et les premières
réflexions juridiques sont intervenues ».
218 J.-M. MOUSSERON, préc., note 188, n°35, p. 33.
47
tenue de les divulguer dans le contrat de licence de brevet conclu avec son
cocontractant219. Pour cette raison, il est plus que courant de voir des contrats de licences
de brevets accompagnés de contrats de communication de savoir-faire :
Ce contrat (de communication de savoir-faire) s’organise en un jeu d’enseignements,
de permissions et d’interdits rendus possibles par l’existence de données secrètes [...]
un contrat de licence de brevet existe rarement, sinon jamais, à l’état pur mais participe
plutôt d’une opération plus vaste où le noyau dur est bien constitué par le brevet donné
en licence mais où l’enseignement apporté au licencié constitue une composante
importante.220 [Mentions entre parenthèses ajoutées]
Si cette association peut sembler surprenante en théorie, elle se justifie
nécessairement en pratique. En effet, comme expliqué précédemment, la simple
communication du brevet peut sembler insuffisante pour que le licencié mette
efficacement en œuvre l’invention, voire, qu’il puisse en tirer tout le potentiel escompté.
Les licenciés sont donc souvent enclins à accepter de verser une somme supplémentaire
afin de tirer pleinement profit du brevet221.
Comme évoqué précédemment, ces informations sont généralement relatives à
des détails d’exécution, des choix de composants ou des matériaux222. Par conséquent, il
est clair que le secret d’affaires et le brevet sont ici combinés, que le premier vient
compléter le second sans pouvoir toutefois être exploité sans celui-ci. Le brevet, quant à
lui, peut être exploité sans le savoir-faire en question mais ne sera pas aussi performant.
Il convient néanmoins de noter que, du fait de l’absence d’obligation de communiquer le
savoir-faire avec la licence de brevet, le premier ne peut être considéré comme un
accessoire du second223.
Si le secret d’affaires apparaît donc nécessaire pour l’entreprise comme élément
se combinant au droit de la propriété intellectuelle afin de protéger des éléments
rapprochés mais distincts, il vient également compléter par moments la protection offerte
par ce régime sur un même objet. En effet, il peut arriver que la protection offerte par la
219 TGI Paris, 27 nov. 1986 : D. 1988, somm. 354, Mousseron.
220 Michel VIVANT, Le droit des brevets, 2e éd., Paris, Dalloz, 2005, p. 117.
221 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 140 : si de nombreuses données et savoirs techniques ne sont pas
brevetables (telles que les solutions négatives), les « coexistent souvent avec des inventions brevetées dont
elles garantissent le succès ou même l’accès à un stade industriel ».
222 J. PASSA, préc., note 18, p. 47.
223 J. PASSA, préc., note 18, p. 47.
48
propriété intellectuelle ne soit pas suffisante pour prévenir les atteintes. Il s’agira donc,
encore une fois, d’un secret à garder. Cela se perçoit, notamment, dans certains aspects
ayant trait à la propriété littéraire et artistique, et plus particulièrement au droit d’auteur224.
Comme précisé précédemment, il est clair que selon les articles L. 111-1 et L. 111-2 du
CPI en France et l’article 5(1) LDA au Québec, le droit d’auteur naît du simple fait de la
création et n’est pas conditionné par la divulgation225. Il est donc possible de voir des
œuvres de l’esprit gardées secrètes tout en étant protégées par le droit d’auteur, qu’elles
soient achevées ou non226.
Il est possible, aux premiers abords, de penser que le régime du secret de
commerce ne serait pas efficace dans ce cas. Il entre néanmoins en jeu de manière
importante car la définition de divulgation en matière de droit d’auteur (faisant
notamment l’objet d’un droit moral227) est distincte de celle relative au secret d’affaires :
« la différence de conception tient à l’absence de prise en considération pour la
conservation du secret du consentement de l’auteur à la divulgation : la perte du secret ne
renvoie à aucun élément moral »228. Comme le note l’auteur, la mise à disposition de
l’œuvre à un tiers ne sera pas nécessairement une divulgation mais celle-ci ne sera alors
plus secrète229. Néanmoins, les clauses de non-divulgation permettent la conservation du
secret de commerce tant que nécessaire et permettent ainsi un cumul des protections. Le
secret d’affaires ne concernerait pas tant la protection de l’œuvre en elle-même mais
davantage la préservation de son caractère secret. Comme précisé précédemment, le
secret d’affaires ne protège pas l’objet mais le caractère confidentiel qui l’entoure230.
Il faut d’ores et déjà noter qu’un tel cumul ne jouera pas dans tous types de
situations et d’œuvres concernées. Le cas principal dans lequel le cumul du secret de
224 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 145.
225 Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42), art. 5 (1) : « Sous réserve des autres dispositions de
la présente loi, le droit d’auteur existe au Canada, […] a) pour toute œuvre publiée ou non ». C. propr.
intell., art. L.111-2 : « L'œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul
fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l'auteur ».
226 Ibid.
227 En France : C. propr. intell., art. L. 121-1 à L. 121-9. Au Canada : Loi sur le droit d’auteur (L.R.C.
(1985), ch. C-42), art. 14. 1 à 14. 2.
228 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 146.
229 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 146.
230 M. BOURGEOIS, préc., note 105, n°9, p. 117 ; J. PASSA, préc., note 18, p. 40.
49
commerce et du droit d’auteur est dans le cas du droit sui generis des programmes
d’ordinateurs. Comme l’explique Jean-Christophe Galloux231, les programmes et leurs
spécifications techniques (car ce sont des informations techniques, substantielles, secrètes
et transmissibles) sont considérés comme des secrets de fabrique. Si le droit d’auteur est
un régime offrant une protection bien plus efficace que celle du secret commercial pour
ces éléments, elle s’avère inefficace en pratique si le programme informatique ou ses
aspects techniques sont divulgués au public, que ce soit pendant sa phase préparatoire ou
qu’il soit considéré comme achevé. Il n’aurait plus de valeur car il serait facilement
reproductible : le secret d’affaires est donc un outil utile ici afin de contrôler l’étendue de
la divulgation. La protection de certains éléments techniques par le secret d’affaires
permet une protection efficace de la totalité du logiciel par le droit d’auteur. De plus, il
appartiendra au défendeur dans l’action en contrefaçon de démontrer que les
ressemblances résultent de circonstances fortuites232
Contrairement à la propriété industrielle (notamment le brevet), et à condition que
les mesures nécessaires à la qualification de secret d’affaires aient été prises, les œuvres
de l’esprit offrent l’avantage à l’entreprise de ne pas avoir à choisir entre la protection par
le droit d’auteur et le secret de commerce (plus particulièrement le secret de fabrique) :
les régimes se cumulent afin de prévenir toute communication indésirable au public
d’éléments indispensables du programme informatique et, a fortiori, afin de prévenir
toute contrefaçon de celui-ci. Certains éléments du logiciel seront protégés par le secret
d’affaires mais l’ensemble de la création sera envisagé par le droit d’auteur233.
Le « secret à perdre » et le « secret à garder »234 sont donc des stratégies dans
lesquelles l’entreprise fait appel au secret de commerce au surplus des droits de la
propriété intellectuelle : il permet par moments d’accéder à une telle protection, de la
compléter, voire de permettre son maintien. Il peut néanmoins arriver que l’entreprise
doive faire usage du secret d’affaires et délaisser la protection de la propriété intellectuelle
231 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 146-147.
232 Cass. 1re civ., 2 octobre 2013, n° 12-25.941, Plus belle la vie, CCE, nov. 2013, n° 111, obs. C. Caron ;
D. 2013. 2499, note A. Latil ; RTD com. 2013. 723, note F. Pollaud-Dulian.
233 V. not. Cass. 1re civ., 13 déc. 2005, n°03-21.154 ; RTD com. 2006 p.79, note F. Pollaud-Dulian.
234 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p.131.
50
pour certains éléments de son patrimoine : le choix ne lui est pas laissé, que ce soit par la
pratique ou par les normes.
ii) Le secret comme substitut des droits de propriété intellectuelle
Le secret n’est pas une voie d’appropriation du pauvre comme on le laisse souvent
entendre, notamment le texte de la directive (n°2016/943), mais la voie de l’opérateur
éclairé qui sait faire la part entre ses solutions accessibles aux concurrents et celles qui
ne pourront pas être identifiées par ces derniers. Dans ce dernier cas, le secret constitue
la solution d’appropriation la plus performante pour l’opérateur.235 [Mentions entre
parenthèses ajoutées]
L’entreprise se voit donc opposer un choix quant aux différents modes de
protection des éléments de son patrimoine. Le secret d’affaires peut parfois sembler être
le choix le plus approprié. Deux situations dans lesquelles le secret prévaut sont à relever.
La première concerne des éléments ne pouvant, à ce jour être protégés par un droit de la
propriété intellectuelle. Ainsi, même si le secret ne semble pas la solution la plus
appropriée par moments, l’entreprise est contrainte de devoir en faire usage, à défaut d’un
mode de protection plus efficace. Le choix du secret d’affaires est alors sans appel. Le
second cas de figure relève davantage du « choix de politique économique et
juridique »236 de l’entreprise évoqué précédemment. L’objet pourra cette fois être protégé
par un droit de la propriété intellectuelle, mais l’entreprise décidera d’avoir recours au
secret d’affaires. Cela démontre que, si, en théorie, les droits de la propriété intellectuelle
disposent d’un régime de protection plus efficace, le secret d’affaires peut se montrer plus
adapté au maintien de l’avantage concurrentiel de l’entreprise en pratique. Différentes
hypothèses poussent donc systématiquement les entreprises à préférer le secret de
commerce au droit de la propriété intellectuelle.
Ces deux situations seront donc étudiées dans l’ordre : le recours par l’entreprise
au secret de commerce est tantôt une contrainte (a), tantôt un choix stratégique (b).
235 N. BINCTIN, préc., note 33, p. 19.
236 J. PASSA, préc., note 18, p. 44.
51
a) Le recours contraint au secret de commerce
Le brevet ne peut protéger que des inventions, le secret est applicable, si on se limite à
la sphère de la technologie, à tout type d’information technique et commerciale ayant
une valeur du fait qu’elle n’est pas accessible aux tiers ce qui va au-delà des tours de
main et secrets de fabrication correspondant à l’acception traditionnelle du terme
« savoir-faire ».237
Le brevet, de même que les autres droits de la propriété intellectuelle, disposent
de champs d’application plus limités que celui du secret des affaires. Ce dernier régime
couvre donc, dans de nombreux cas, des éléments ne pouvant être protégés par le droit de
la propriété intellectuelle. Il s’agit alors d’un mode de protection de substitution.
En matière de brevets, les conditions d’attribution de ce titre étant rigoureuses238,
il peut arriver que l’inventeur soit surpris de se voir refuser la brevetabilité de l’invention.
Le secret d’affaires vient souvent remplacer la protection. Pour certains auteurs239, ce
substitut, bien qu’il soit moins dissuasif que le régime du brevet, permet néanmoins
d’atteindre le même objectif :
The case assumes that the government thinks the invention obvious […] The inventor
offers to demonstrate the contrary, that it is not an obvious invention, by keeping it a
secret. If he is wrong and someone else invents the same thing the next year, this proves
the government right; so it is as if the inventor had been denied a patent and the patent
laws were exclusive. But if the inventor is right and there is no duplication, then he
gets the approximate reward he would have gotten if the invention were patentable—
as he should [...]
En d’autres termes, si l’invention peut potentiellement apporter des bénéfices
équivalents à ceux d’un brevet, si elle ne remplit pas les conditions permettant d’obtenir
ce titre de propriété industrielle, le secret d’affaires est une (bonne) alternative. A défaut
237 Francis HAGEL, « Secret et droits de propriété intellectuelle : un tour d’horizon », RLDI 2009/10, N°53,
p. 73, à la p.76.
238 En France : C. propr. intell., art. L. 611-10, 1. : « Sont brevetables, dans tous les domaines
technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application
industrielle ». Au Canada : Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4), art. 2 : une invention est « Toute
réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout
perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ».
239 D. D. FRIEDMAN, W. M. LANDES ET R. A. POSNER, préc., note 173, p. 64 : « L’hypothèse serait
celle dans laquelle le gouvernement estime que l’invention est évidente […] L’inventeur propose de
démontrer le contraire, qu’il ne s’agit pas d’une invention évidente, en conservant le secret. S’il a tort et
que quelqu’un d’autre invente la même chose dans l’année qui suit, cela donne raison au gouvernement ;
alors ce sera comme si l’inventeur s’était vu refuser le brevet et le droit du brevet l’excluait. Mais si
l’inventeur a raison et qu’il n’y a pas de reproduction, il reçoit alors la récompense qu’il aurait
approximativement reçue si l’invention était brevetable – comme il le mérite […] » [Traduction
personnelle].
52
de pouvoir bénéficier de la protection par un droit de la propriété intellectuelle,
l’entreprise peut faire appel à ce substitut. Cela vaut également pour le droit d’auteur,
mais les enjeux y sont bien plus polémiques.
Il faut partir d’un principe important en droit de la propriété intellectuelle : le droit
des brevets et le droit d’auteur ne couvrent pas le même champ en raison de leurs
fondements distincts. Le droit des brevets cherche à récompenser l’innovation et à en faire
profiter la société en général (notamment par la publicité du titre accordé pendant vingt
ans, à la suite de quoi l’invention tombe dans le domaine public et peut être utilisée par
tous)240. Le droit d’auteur protège, quant à lui, l’originalité d’une œuvre de l’esprit et non
sa nouveauté. Ces précisions sont importantes pour la suite des développements. Le
savoir-faire semble aujourd’hui englobé dans la catégorie des secrets d’affaires : « le
secret des affaires est un savoir-faire à ne pas faire savoir »241. Un savoir- faire peut être
breveté s’il remplit les conditions exigées par la loi.
Il est certain que la création ne peut naître de la seule mise en œuvre d’un tel savoir-
faire mais la mise en œuvre d’un tel savoir-faire peut laisser prise à l’expression
créative lorsqu’elle ne l’absorbe pas complétement.242
Dans le cas des fragrances de parfums, une partie majoritaire de la doctrine milite
depuis longtemps pour leur reconnaissance par la Cour de cassation comme œuvre de
l’esprit protégeable par le droit d’auteur, au premier rang desquels se trouvent les auteurs
Lucas243. Ils décrivent la saga jurisprudentielle en expliquant que la Cour de cassation
s’oppose à l’attribution d’une telle protection244, malgré la position favorable des juges
240 M. BOURGEOIS, préc., note 105, n°4, p. 115 : « Le droit donne aux entreprises un moyen spécifique
de monopolisation de leurs créations techniques : le brevet d'invention, dont le fondement juridique réside
dans une convention synallagmatique entre la société et l'inventeur, par laquelle à l'inventeur qui accepte
de rendre publique sa création, la société confère, moyennant le respect de certaines conditions, un droit
exclusif d'exploitation pour une certaine période ».
241 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 17.
242 J.-C. GALLOUX, préc., note 190, p. 139.
243 André LUCAS, Henri-Jacques LUCAS et Agnès LUCAS-SCHLOETTER. Traité de la propriété
littéraire et artistique, 4e éd, Paris, LexisNexis, 2012, n°78, p. 92-93 : les auteurs expliquent l’état actuel
de la jurisprudence et leur position sur le sujet.
244 Cass. 1re civ., 13 juin 2006 : RIDA 4/2006, p. 349 ; JCP G 2006, II, 10138, note Pollaud-Dulian ; JCP E
2006, 2704, note Caron ; Comm. com. électr. 2006, comm. 119, note Caron ; D. 2006, p. 2470, note
Edelman ; Propr intell. 2006, p. 442, obs. A. Lucas ; Propr. indust. 2006, comm. 82, note Schmidt-
Szalewski. – Cass. com., 1er juill. 2008 : RIDA 3/2008, p. 315 ; D. 2009, p. 1182, note Edelman ; Propr.
intell. 2008, p. 419, obs. Bruguière ; RTD com. 2008, p. 735, obs. Pollaud-Dulian. – Cass. 1re civ., 22 janv.
2009 : RIDA 1/2009, p. 371. – Cass. com. 10 déc. 2013 : D. 2014, p. 8 ; RTD com. 2014, p. 103, note
Pollaud-Dulian ; D. 2014, p. 2078, obs. Sirinelli ; PIBD 2014, n° 999, III, p. 113 ; Prop. intell. 2014, p. 51,
obs. J.-M. Bruguière.
53
du fond245. Deux arrêts majeurs de la Cour de cassation refusent la protection des
fragrances de parfums par le droit d’auteur car il s’agirait d’une « simple mise en œuvre
d’un savoir-faire »246.
Sans chercher à débattre sur le fait que les fragrances de parfums devraient, en
toute logique, être protégés par le droit d’auteur, des auteurs proposant déjà des écrits
bien argumentés sur la question, les fragrances, étant reconnues comme l’expression d’un
savoir-faire peuvent, à défaut d’être protégés par le droit d’auteur, tout à fait être protégés
en tant que secret d’affaires, ce qui est majoritairement le cas aujourd’hui.
Si nous verrons par la suite que le secret d’affaires peut être préféré aux droits de
la propriété intellectuelle dans certains cas247, les entreprises ont recours à ce mode de
protection pour les fragrances, non pas car il est le plus adapté, mais car elles y sont
contraintes : le droit d’auteur aurait semblé être le mode de protection le plus adapté.
Comme précisé précédemment, le droit d’auteur et le droit des brevets ne peuvent porter
sur les mêmes aspects d’un objet mais un objet peut voir ses différents aspects protégés
par différents droits de la propriété intellectuelle. Pour les parfums, par exemple, il est
possible de protéger le flacon par le droit des dessins industriels, le nom du parfum par le
droit d’auteur (s’il est original) et le mécanisme aérosol par le droit des brevets (s’il est
inventif et nouveau). La question est donc de savoir comment protéger au mieux la
fragrance du parfum.
Le brevet pourrait être utile pour protéger le procédé de fabrication de la fragrance
contre la contrefaçon en théorie. Néanmoins, en pratique, aucune entreprise n’oserait
opter pour cette solution : elle causerait non seulement la publicité du procédé de
fabrication (facilitant ainsi sa contrefaçon) et surtout sa tombée dans le domaine public
après vingt ans. Or, certains parfums ont du succès depuis bien longtemps (il suffit de
245 V. not. CA Paris, 4e ch., 3 juill. 1975 : RIDA 1/1977, p. 108 ; D. 1976, somm. p. 19 ; Gaz. Pal. 1976, 1,
p. 43, note Calvo et Morelle. – TGI Paris, 3e ch., 26 mai 2004 : JCP G 2004, II, 10144, note Bruguière ; D.
2004, p. 2641, note Galloux ; Propr. intell. 2004, p. 907, 1re esp., obs. Sirinelli, confirmé par CA Paris, 4e
ch., 25 janv. 2006 : RIDA 2/2006, p. 286 ; JCP E 2006, 1386, note Caron ; Comm. com. électr. 2006, comm.
39, note Caron. – CA Paris, 4e ch., 17 sept. 2004 : RJDA 2005/5, 633 ; Propr. intell. 2005, p. 47, obs.
Sirinelli. – CA Paris, 4e ch., 15 févr. 2006 : PIBD 2006, III, p. 378.
246 Cass. 1re civ., 13 juin 2006, préc., note 236 ; Cass. com., 1er juill. 2008, préc., note 236.
247 Infra, p. 54 et s.
54
penser à Chanel n°5 qui existe depuis 1921248). A ce titre, la recette de fabrication
pourrait, elle, être protégée par le droit d’auteur mais des problèmes subsistent
également : il ne s’agirait pas de protéger le parfum en soi mais sa recette (des concurrents
pourraient donc se livrer à la mise en œuvre de la recette) et il faudrait que celle-ci soit
considérée comme originale (ce qui risque de poser problème).
A défaut de mieux, le secret de commerce semble donc, en France comme au
Québec, la meilleure solution pour protéger les fragrances de parfums à ce jour. Ils
subissent, néanmoins, les risques de la fragilité de ce régime, à savoir la licéité de
l’ingénierie inverse et la crainte d’une divulgation maladroite. Si le droit d’auteur venait
à être reconnu pour un tel produit, par ailleurs, nul doute que le secret d’affaires jouerait
encore un rôle essentiel. En effet, il permettrait de compléter la protection par le droit
d’auteur, au même titre que l’exemple des logiciels : le secret serait gardé sur le produit
pendant la durée de la protection par le droit d’auteur afin de pouvoir perdurer au-delà.
Le secret d’affaires permettrait de protéger le caractère confidentiel de la fragrance tandis
que le droit d’auteur se concentrerait sur le produit en lui-même (permettant ainsi de
considérer l’ingénierie inverse comme une contrefaçon). A la fin de la protection par le
droit d’auteur (soixante-dix ans après la mort de l’auteur en France249 et cinquante ans au
Canada250), seule la protection par le secret de commerce demeurera.
Il est important de noter que les œuvres culinaires ou gustatives subissent le même
rejet que les œuvres olfactives par le droit d’auteur. Au Québec, Gaëlle Beauregard s’est,
quant à elle, intéressée à la question de la protection des recettes culinaires par le droit de
la propriété intellectuelle. Elle note que celles-ci ne seraient probablement pas brevetables
car, depuis la décision Lawson c. Commissioner of Patents251, un savoir-faire ou un acte
professionnel ne saurait être breveté : seules les recettes pouvant être reproduites dans un
cadre industriel sont généralement brevetables252. Le critère de nouveauté serait
également un frein car il arrive que les chefs publient leurs recettes (mettant ainsi en échec
248 The Fragrance Foundation France, « Histoire d’un parfum mythique : N°5 Chanel », en ligne :
<http://www.fragrancefoundation.fr/2013/03/histoire-dun-parfum-mythique-n5-chanel/> (consulté le 7
août 2018).
249 C. propr. intell., L. 123-1.
250 Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42), art. 6.
251 (1970) 62 C.P.R. 101, 111 (C. de l’E).
252 G. BEAUREGARD, préc., note 3, p. 53, 55.
55
toute demande possible de dépôt) et un autre chef versé dans l’art pourrait sûrement
estimer qu’il ne s’agit pas d’une activité inventive253. Seules certaines recettes (celles
s’inscrivant dans le cadre d’un processus industriel) sont donc brevetables. Le droit
d’auteur serait-il efficace, quant à lui, pour protéger une recette ? La question est très peu
débattue au Canada mais l’auteure relève qu’il y a une analogie à faire avec l’arrêt Tri-
Tex254 dans lequel le juge estime qu’une formule chimique ne saurait être protégée par le
droit d’auteur car elle ne constitue qu’une idée, une simple série d’instructions255.
Pourtant, la qualification de savoir-faire ne s’oppose pas à la caractérisation de
l’originalité, mais la qualification d’idée et, par conséquent, la question de la fixation de
l’œuvre semblent être un enjeu majeur s’opposant à la reconnaissance d’un tel droit256.
Si le Canada semble avoir du mal à protéger les recettes par le droit de la propriété
intellectuelle, et surtout le droit d’auteur, il est peu probable que ce dernier soit accordé à
des créations telles que les fragrances de parfums qui, contrairement aux recettes
culinaires, sont invisibles et intouchables sous l’une de leurs formes. Le secret est donc
préconisé même s’il n’est pas la protection parfaite : pour des raisons de santé publique,
les ingrédients sont inscrits sur les emballages des produits, ce qui peut faciliter la
rétroingénierie257
La Cour de Justice de l’Union européenne devra d’ailleurs se prononcer bientôt
sur la question de la protection d’une saveur par le droit d’auteur mais, au regard des
conclusions de l’avocat général258, il semblerait que les portes de ce mode de protection
ne soient pas prêtes à s’ouvrir dans ce cas particulier : une œuvre protégeable doit pouvoir
être vue ou entendue et il n’est aujourd’hui pas possible d’identifier une odeur
objectivement. La décision de la CJUE pourrait être déterminante pour l’avenir.
En raison de son champ d’application accueillant, le secret d’affaires semble donc,
à première vue, constituer un dernier recours pour que les entreprises puissent obtenir un
253 Ibid., p. 61-62, 66.
254 Tri-Tex Co. Inc. c. Gideon, préc., note 101.
255 G. BEAUREGARD, préc., note 3, p. 79-80.
256 Ibid., p. 87-88.
257 Ibid., p. 39.
258 Levola Hengelo BV c. Smilde Foods BV, C-310/17, Conclusions de l’avocat général M. Melchior
Wathelet présentées le 25 juillet 2018, not. par. 54-62, en ligne : <https://eur-lex.europa.eu/legal-
content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62017CC0310&from=EN#Footref1> (consulté le 2 août 2018).
56
moyen de protection de leurs actifs intellectuels, à défaut de pouvoir bénéficier d’une
protection par le droit de la propriété intellectuelle. De plus, comme nous l’avons précisé,
certaines faiblesses subsistent, auxquelles le nouveau régime spécifique ne pourrait
remédier car elles relèvent de la nature même du secret d’affaires : les concurrents
peuvent exploiter les informations confidentielles s’ils les ont percées par eux-mêmes ou
qu’ils les ont obtenues licitement.
Néanmoins, les entreprises n’ont pas toujours recours au secret de commerce à
contrecœur pour protéger leurs actifs. Au contraire, il arrive que, pour des raisons
stratégiques ou économiques, le secret se révèle être un régime de protection plus adapté
que celui des droits de la propriété intellectuelle.
b) Le recours stratégique au secret de commerce
Le but de l’entreprise est de protéger son patrimoine du mieux qu’elle peut. Si,
généralement, le droit de la propriété intellectuelle offre une protection plus efficace, cela
n’est pas toujours le cas. C’est pour cette raison que la communication au sein de
l’entreprise est essentielle et que celle-ci doit mettre en place des mesures
organisationnelles (comme cela sera davantage développé par la suite259). Il convient
notamment d’identifier les éléments immatériels ayant de la valeur et choisir, au plus tôt,
une protection stratégiquement adaptée260. Jérôme Passa explique très bien cette stratégie
essentielle pour l’entreprise :
Le maintien dans le secret d’une technique qui pourrait faire l’objet d’une demande de
brevet est, pour l’entreprise confrontée à cette alternative, un choix de politique
économique et juridique […] La protection par brevet est certes plus étendue efficace,
mais elle est limitée dans le temps ; à l’expiration de la durée légale de protection, toute
personne intéressée peut librement exploiter l’invention telle que décrite dans le brevet
auquel elle a librement accès. Le maintien dans le secret, à condition qu’il soit possible,
peut alors présenter certains avantages, notamment en termes de durée de la protection
– qui se prolongera aussi longtemps que l’objet du secret ne sera pas divulgué. Mais il
faut évidemment mettre cet avantage potentiel en balance avec le risque d’une
divulgation malencontreuse ou avec celui qu’un tiers, par ses propres moyens,
autrement dit sans commettre de faute, parvienne à la connaissance de l’objet en
cause…261
259 Infra, p. 62 et s.
260 A. MICHELET, préc., note 200, p. 161.
261 J. PASSA, préc., note 18, p. 44.
57
Tout l’enjeu (ayant généralement trait à des situations dans lesquelles l’objet est
protégeable par le droit du brevet industriel) est donc résumé : une invention peut être
brevetable mais il appartiendra à l’entreprise de choisir si cela serait la meilleure stratégie.
En effet, la question de la durée peut être un élément important à faire peser dans la
balance : les empires de Coca-Cola (grâce à la recette de sa boisson) et de Google (par
son algorithme de recherche) ne seraient peut-être plus en place aujourd’hui s’ils avaient
décidé d’avoir recours au droit de la propriété intellectuelle plutôt qu’au secret d’affaires.
Des analyses économiques ont été menées outre-Atlantique afin de déterminer les
conditions faisant peser la balance en faveur du brevet ou du secret de commerce pour
l’entreprise. Celles-ci ayant été effectuées sur des entreprises au regard du droit
étatsunien, il est néanmoins possible d’incorporer les éléments de cette étude aux droits
français et québécois : les principes relatifs à l’articulation du brevet et du secret d’affaires
sont très proches dans ces trois systèmes juridiques. Une étude québécoise opère par
exemple une analyse économique de l’application du secret de commerce par des
entreprises dans différents pays (dont la France, le Canada, et les Etats-Unis)262. Ces
hypothèses sont donc les mêmes en France comme au Québec. Une étude de 1991
s’attache à la relation entre le secret d’affaires, le brevet et les conséquences que le choix
du premier plutôt que le second peut avoir263. Selon eux, le secret d’affaires constitue un
outil incontournable et parfois sous-estimé :
To summarize, trade secret law supplements the patent system. Inventors choose trade
secret protection when they believe that patent protection is too costly relative to the
value of their invention (as reflected, in part, in the length of time before any else will
invent it), either because the invention is not patentable or because the length (or other
conditions) of patent protection is insufficient. By successfully maintaining their trade
secret they provide evidence that their belief was correct.264
Selon ces mêmes auteurs, il est possible de distinguer deux hypothèses principales
dans lesquelles l’entreprise devrait préférer la protection par le secret de commerce à celle
262 Hélène DELERUE, « Secret et Confiance : Substitut ou complément dans la protection des actifs
intellectuels ? », La Revue des Sciences de Gestion, 2008/5 (n°233), p. 67-75.
263 D. D. FRIEDMAN, W. M. LANDES ET R. A. POSNER, préc., note 173.
264 Ibid., p. 64 : « En somme, le droit du secret d’affaires complète le système du brevet. Les inventeurs
choisissent la protection du secret d’affaires quand ils pensent que celle du brevet d’invention est trop
coûteuse au regard de la valeur de leur invention (reflété, en partie, par la durée avant que quelqu’un d’autre
ne l’invente), soit car l’invention n’est pas brevetable, soit car la durée (ou d’autres conditions) de protection
du brevet est insuffisante. En conservant leur secret d’affaires avec succès, ils démontrent que leurs
convictions étaient avérées. » [Traduction personnelle]
58
du brevet265. La première hypothèse, pouvant sembler assez logique, est celle dans
laquelle l’invention pourrait prendre autant de temps, voire moins, que la durée de
protection du brevet pour être découverte par une autre personne mais elle ne renfermerait
qu’une valeur économique modeste. Cela vaut généralement pour des inventions aux
durées de vie courtes comme dans le domaine des hautes technologies par exemple : les
technologies se développent tellement rapidement que le fait de breveter l’invention ne
serait pas rentable car ce titre de propriété intellectuelle serait très vite désuet (et nécessite
des coûts fixes à son maintien pouvant être supérieurs aux bénéfices engendrés par
l’invention). Il revient à l’entreprise de faire un calcul économique. Dans ce cas, le secret
est, selon les auteurs, la solution la plus rentable pour l’entreprise :
Protecting a trade secret avoids these fixed costs, but adds expenditures to prevent
disclosure of a secret. The latter cost should be roughly proportional to the value of the
secret to prospective appropriators, and hence should be low when the secret is of
modest value. In that situation, trade secret protection may well be cheaper than patent
protection, and the difference may exceed the difference in benefits arising from the
fact that patent protection is broader and lasts longer.266
Le second cas de figure relève d’un autre type de calcul, ayant davantage trait à la
prospection. En effet, le secret de commerce se révèle être un instrument plus utile que le
brevet quand il s’agit de protéger une invention pouvant prendre plus de temps que la
durée de protection du brevet pour être découverte par quiconque d’autre. La protection
par le brevet d’invention est de vingt ans en France et au Québec267, à la suite de quoi tout
individu peut faire librement usage de l’invention sans avoir à dépenser des coûts de
licences ou même de recherche et développement. Cette stratégie pourrait même être
considérée selon les auteurs comme une défiance faite à l’Etat et, plus particulièrement
au système des brevets tel qu’il est conçu aujourd’hui car le secret pourrait être plus
efficace au-delà d’être simplement plus rentable :
On the one hand, the inventor is more than demonstrating his claim ; the existence of
the invention will typically lower the cost to others of duplicating it, so that their failure
to do so will demonstrate a fortiori that they would not have come up with the
265 Ibid., p. 63-64
266 Ibid., p. 63 : « Protéger un secret d’affaires permet d’éviter ces coûts fixes, mais ajoute des dépenses
pour prévenir la divulgation d’un secret. Ce dernier coût devrait être approximativement proportionnel à la
valeur du secret pour les éventuels acquéreurs, et devrait, par conséquent, être bas quand le secret est de
valeur modeste. Dans ce cas, la protection par le secret d’affaires pourrait bien être moins coûteuse que
celle par le brevet, et la différence pourrait bien dépasser celle des bénéfices engendrés par le fait que la
protection par le brevet est plus étendue et de plus longue durée ». [Traduction personnelle]
267 C. propr. intell., art. L. 611-2 ; Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4), art. 44.
59
invention independently. On the other hand, the existence of the invention lowers the
return from duplicating it, and thus lowers the incentive to try to duplicate.268
Les arguments en faveur du secret sont donc au nombre de deux : les coûts sont
plus avantageux (car amputés des frais de maintien du brevet) pendant la durée désirée
(sur une courte durée ou une très longue durée). Selon ces auteurs, le secret d’affaires
disposerait même d’un effet social plus positif sur l’innovation que le brevet :
Where on the contrary the social costs of enforcing secrecy through the legal system
would be high, the benefits of shared information are likely to exceed the net benefits
of legal protection. There are gains when manufacturers are permitted to reverse
engineer each other's products—the manufacturers learn things they can put to use in
their own design of new products.269
De ce fait, les auteurs semblent affirmer que le fait, pour une entreprise, de
permettre l’ingénierie inverse sur un produit faisant l’objet d’un secret de commerce
engendrerait des bénéfices. En effet, d’une part, elle n’aurait pas à engager des dépenses
supplémentaires (à celles destinées à préserver le secret) pour vérifier si une exploitation
de son secret de commerce est opérée par des concurrents (à condition que celle-ci se
fasse de manière légale) et, d’autre part, elle économiserait elle-même sur les coûts de
recherche et développement en pouvant analyser les améliorations qu’aurait opéré le
concurrent. Elles auraient donc davantage à gagner qu’à perdre. Si la corroboration de
cette analyse économique nécessiterait une étude plus vaste et approfondie que ce
mémoire ne nous le permet, il convient néanmoins de noter que le secret d’affaires permet
par moments de faire échec au droit des brevets. En effet, cela peut s’observer à deux
moments : avant l’enregistrement du brevet d’un tiers et après l’acquisition du titre par
celui-ci. Dans le premier cas, le secret d’affaires peut permettre d’empêcher l’acquisition
du brevet par un concurrent en détruisant la condition de nouveauté absolue270 :
268 D. D. FRIEDMAN, W. M. LANDES ET R. A. POSNER, préc., note 173, p. 63 : « D’une part,
l’inventeur fait plus que démontrer ses allégations ; l’existence de l’invention entrainera typiquement une
baisse des coûts de sa reproduction par d’autres, démontrant par conséquent que, en y parvenant pas, ils
n’auraient pas pu concevoir l’invention par eux-mêmes. D’autre part, l’existence de l’invention diminue
les retours en raison de sa reproduction, et diminue de ce fait l’incitation de tenter de la reproduire ».
[Traduction personnelle]
269 Ibid., p. 67 : « Quand, au contraire, les coûts sociaux de la protection de la confidentialité par le système
légal seraient élevés, les bénéfices du partage de l’information sont susceptibles de dépasser les bénéfices
nets de la protection légale. Il y a des avantages quand les manufacturiers ont le droit d’opérer de
l’ingénierie inversée sur les produits des uns les autres – ils prennent conscience d’éléments qu’ils peuvent
utiliser dans leur propre conception de nouveaux produits ». [Traduction personnelle]
270 En France comme au Québec, la nouveauté n’est pas relative mais absolue en matière de brevet :
l’invention ne doit pas être comprise dans l’état actuel de la technique et n’être accessible au public nulle
60
l’invention, certes secrète mais, existant déjà, un brevet ne peut être accordé271. Dans le
deuxième cas, si le brevet est accordé, le titulaire de celui-ci ne pourrait s’opposer au
détenteur d’un secret de commerce ayant commencé à l’exploiter avant la demande de
dépôt du titre de propriété intellectuelle : le détenteur du secret pourrait se prévaloir de
l’exception d’ « exploitation antérieure »272.
Le secret d’affaires a donc le potentiel pour être un outil puissant : d’une durée de
vie modulable et aux coûts variables en fonction de sa valeur, l’entreprise peut trouver
des intérêts à en faire usage dans de nombreux domaines. Néanmoins, l’acteur
économique doit prendre en compte d’autres considérations au moment de choisir entre
le secret d’affaires et le brevet.
Premièrement, le secret ne fournit pas de monopole sur l’objet qu’il entoure. De
ce fait, les concurrents sont libres d’en faire usage à partir du moment où ils découvrent
l’information confidentielle de manière licite273 (les moyens les plus connus étant le
« reverse engineering » et les divulgations par maladresse). Cela signifie que l’entreprise
devra faire usage d’autres moyens pour tirer un véritable avantage confidentiel de leur
information : « … bien qu’ayant un impact sur la capacité des entreprises à protéger leurs
compétences clefs et leurs actifs intellectuels, le secret n’a pas d’effet direct sur le degré
d’appropriation perçu »274. La simple détention d’un secret d’affaires ne saurait donc
suffire à maintenir un avantage sur les concurrents ou tirer pleinement profit de
l’invention si d’autres entreprises l’ont découvert.
Deuxièmement, si les auteurs D. Friedman, W. Landes et R. Posner vantent les
mérites de l’ingénierie inverse275, leur position n’est pas partagée par tous :
Il est en effet démontré qu’au niveau d’une industrie, la réduction des flux
d’information a un effet négatif sur l’intensité de la R & D. Or, la capacité des
entreprises à s’approprier la valeur des résultats de la R & D accroît généralement les
part dans le monde. En France : C. propr. intell., art. L. 611-11. Au Canada : Loi sur les brevets (L.R.C.
(1985), ch. P-4), art. 28. 2 (1).
271 En France : C. propr. intell., art. L. 611-10, 1. Au Canada : Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4),
art. 2.
272 En France : C. propr. intell., art. L. 613-7. Au Canada : Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4), art.
56.
273 Dir. n°2016/943, art. 3.
274 H. DELERUE, préc., note 262, p. 74.
275 D. D. FRIEDMAN, W. M. LANDES ET R. A. POSNER, préc., note 173, p. 65-70.
61
activités d’innovation et les investissements en R & D. Par conséquent, il semblerait
que le secret par la réduction des flux d’information qu’il génère réduit la capacité
d’innovation et de fait les taux d’appropriation.276
Le secret d’affaires ne serait donc pas favorable à la société et à l’industrie mais
surtout aux entreprises détentrices de cette information. Cette question étant trop vaste et
d’ordre économique, elle mériterait, comme précisé précédemment, qu’une étude plus
pointue soit opérée à son sujet.
Finalement, la question des coûts est un élément indéniable à faire peser dans la
balance au moment où l’entreprise s’apprête à choisir entre le brevet et le secret
commercial. En effet, l’obtention et le maintien du brevet engendrent des dépenses
conséquentes pour l’entreprise qui peuvent être généralement amortis par la concession
de licences et les bénéfices obtenus par la commercialisation de l’invention brevetée ou
du produit la contenant. Si de tels coûts fixes n’existent pas pour le secret d’affaires, étant
un état de fait (le secret est maintenu tant qu’il est secret277), l’entreprise doit cependant
prévoir la mise en place de mesures (raisonnables278) afin de maintenir le caractère
confidentiel de l’information, ce qui peut parfois engendrer des coûts importants. Cela
serait même le principal point faible de ce mode de protection du patrimoine de
l’entreprise selon Hélène Delerue :
Par conséquent, si le secret est un mécanisme de protection des actifs intellectuels
souvent adopté par les entreprises, son efficacité présente des limites dans la mesure
où "les conditions organisationnelles de maintien du secret sont drastiques.279
En somme, le secret d’affaires constitue un outil indispensable de protection des
actifs intellectuels de l’entreprise. Si sa nature peut sembler incertaine, il est néanmoins
certain que, même avec la transposition de la directive en droit français, son régime ne
saurait être intégré au sein des droits de la propriété intellectuelle. Malgré cette
distinction, le secret de commerce constitue un mécanisme inséparable de la propriété
intellectuelle : il vient souvent le compléter et parfois pallier les limites fixées à ces
régimes plus effectifs. Afin de rendre ce régime plus incitatif et cohérent avec la pratique
276 H. DELERUE, préc., note 262, p. 74.
277 A. STEELE, préc., note 22, p. 99 : « Les informations confidentielles et secrets de commerce ont en
commun qu’ils ne sont pas de connaissance générale et qu’ils ne sont pas divulgués au public: leur
protection juridique, de même que la pérennité des avantages économiques et concurrentiels qu’ils
procurent, dépendront ultimement de la non-accessibilité de cette information ».
278 Dir. n°2016/943, art. 2. 1. c.
279 H. DELERUE, préc., note 262, p. 74.
62
des entreprises européennes, la directive semble par moments inviter à un renforcement
de la protection par le secret des affaires s’inspirant des mesures offertes par le droit de
la propriété intellectuelle. Cela pourrait justifier les affirmations de certains auteurs allant
dans le sens de la création d’un nouveau droit de propriété intellectuelle.
Avec la directive européenne, il s’agit désormais d’un véritable complément aux droits
de la propriété intellectuelle classiques. Ce serait même une alternative, davantage
qu’une exception, bien que n’étant consacré par aucun droit privatif.280
Néanmoins, comme évoqué, toutes ces mesures, parfois nécessaires à l’accès au
régime de protection, ont un coût : l’efficacité du régime de protection semble donc
déterminée par les moyens de l’entreprise.
280 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 17.
63
II. La lutte contre la fragilité problématique du secret de
commerce : le régime de protection
L’expérience le prouve : la nature humaine est curieuse ! Mais quelles sont les
conséquences de cette curiosité ? Qu’en coûte-t-il ?
Voilà ce contre quoi chaque gestionnaire doit se prémunir ! Cette curiosité pose
énormément de problèmes aux inventeurs et leur coûte chaque année des millions –
voire des milliards – de dollars en pertes de revenus et en pertes d’emplois, en plus de
déstabiliser l’économie d’une région ou même d’un pays.281
En effet, comme expliqué jusqu’à présent, la protection par le secret de commerce
est principalement assurée par des moyens de fait car une « connaissance dévoilée est
toujours irrémédiablement perdue par son titulaire antérieur »282. Par conséquent, la
protection perdurera tant que le secret existe. Il incombe à l’entreprise de mettre en œuvre
les moyens nécessaires pour y arriver. La directive n°2016/943 ne change pas ce principe
mais offre désormais un régime concret à ce type de protection :
Ce faisant, Bruxelles a introduit un droit d'un genre nouveau, en vue de protéger une
information stratégique, par nature volatile. Il s'agit de préserver par des mesures
juridiques l'avantage concurrentiel dans une économie largement ouverte et exposée
aux prédateurs. La protection des informations essentielles est assurée en amont par la
confidentialité renforcée, de manière à les rendre indisponibles, et a posteriori par le
juge qui doit préserver le secret.283
Il est ainsi possible de tirer trois éléments de cette citation. Premièrement, il s’agit
d’un droit d’un genre nouveau ne pouvant être assimilé, comme expliqué précédemment,
aux droits de la propriété intellectuelle tels qu’ils sont connus aujourd’hui. Cela est
notamment du au fait que la nature même du secret est difficilement identifiable.
Secondement, il appartient à l’entreprise, avant tout, de mettre en œuvre les
moyens nécessaires afin de protéger le secret d’affaires. « L’adage populaire "mieux vaut
prévenir que guérir" justifie une réflexion quant aux moyens d’éviter les litiges associés
au vol d’informations privées »284. Cela est à la fois une condition d’accès à la protection
en tant que secret d’affaires mais également la raison de son maintien. L’efficacité de la
protection est majorée à la hauteur des mesures préventives, déterminées par la rigueur
281 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 51.
282 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 17.
283 O. DE MAISON ROUGE, « Décryptage sur la protection juridique des informations sensibles », Dalloz
IP/IT 2017, p. 273.
284 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p.48.
64
de l’entreprise dans sa précaution. Cette rigueur est souvent induite par les moyens qu’elle
peut se permettre de dépenser afin de conserver la confidentialité de ses informations :
ces potentielles dépenses entrent donc en compte quand il s’agit pour l’entreprise de
déterminer si elle va avoir recours au secret d’affaires (en complément ou à la place d’une
protection par la propriété intellectuelle). La protection de fait du secret de commerce
dépend donc, a priori, de l’entreprise qui va la mettre en œuvre, ce qui la distingue des
droits de la propriété intellectuelle. Cela peut l’amener à prévoir la responsabilité de
certaines personnes pour les dissuader de divulguer le secret (A).
Finalement, mieux vaut donc prévenir que guérir. Néanmoins, malgré toutes les
mesures mises en œuvre, il peut arriver qu’une atteinte illégitime au secret de commerce
survienne. Il faut alors que l’entreprise puisse compter sur le système judiciaire afin de
faire cesser l’atteinte (ou la prévenir) et obtenir une réparation du préjudice. Or, les
entreprises ont longtemps été réticentes à faire appel au juge judiciaire par crainte de voir
leur secret divulgué au cours de la procédure et ainsi définitivement perdu. Le recours à
l’arbitrage était privilégié285. Pourtant, il semblerait aujourd’hui qu’un renforcement de
la protection du secret de commerce a posteriori se mette en place, en partie inspirée des
droits de la propriété intellectuelle, encourageant les entreprises à faire protéger cet actif
immatériel devant les instances judiciaires (B).
A. Les mesures de protection mises en œuvre a priori par l’entreprise :
une distinction majeure avec le droit de la propriété intellectuelle
L’infériorité de la protection du secret par rapport à celle conférée par un droit de
propriété intellectuelle tient dans ce que le détenteur du secret peut, subitement et
malgré lui, perdre son avantage concurrentiel si un tiers, par ses propres moyens et
sans commettre de faute, parvient au même résultat. Il peut aussi, à l’évidence, perdre
cet avantage par une négligence ayant abouti à une divulgation de l’objet jusque là
maintenu dans le secret. Cet avantage est fragile et implique de multiples précautions,
d’ordre matériel et contractuel.286
Les mesures prises par l’entreprise constituent donc la porte d’accès au régime de
protection du secret de commerce (le détenteur devant prendre des « mesures
285 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°199, p. 113.
286 J. PASSA, préc., note 18, p. 44.
65
raisonnables »287) mais également les conditions du maintien de sa protection. Les
mesures contractuelles sont un socle indispensable de la confidentialité mais il ne faut pas
laisser de côté les mesures organisationnelles et matérielles mises en œuvre par
l’entreprise. Il convient de présenter celles-ci avant tout car elles font partie des « mesures
raisonnables » à prendre : les mesures organisationnelles et matérielles démontrent à quel
point l’entreprise tient à la confidentialité de son information. De nombreux écrits288,
destinés aux professionnels du secteur, font des énumérations détaillées de ces mesures.
S’il n’est pas possible de toutes les citer ici, il est néanmoins intéressant de noter les
principales.
Comme le démontre la jurisprudence abondante sur le sujet, pour prouver l’existence
même des secrets de commerce et d’informations confidentielles, les demandeurs
devront démontrer que les documents et informations ont été protégés da façon
complète et continue. Il n’est pas inutile de rappeler que les informations
confidentielles et secrets de commerce ne bénéficiant pas de protection statutaire, le
silence demeure toujours la seule vraie forme de protection efficace.289
Avant toute chose, il convient d’identifier les secrets d’affaires de l’entreprise et
répertorier les éléments à protéger290. Il s’agit donc d’un processus continuel291 au fur et
à mesure que l’entreprise crée des actifs intellectuels. Cette étape est à rattacher au « choix
de politique économique et juridique » expliqué précédemment292.
Afin d’éviter que le secret ne se propage, il faut éviter de le disperser. Cela se
traduit concrètement par une clause de confidentialité. Mais encore faut-il savoir à qui
faire signer une telle clause. En effet, un élément essentiel quand il est question du secret
d’affaires est de le communiquer uniquement aux personnes pour qui il est réellement
essentiel de le connaître (selon une « base de nécessité » ou « need to know basis »293) et
287 Dir. n°2016/943, art. 2. 1. c. ; « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc.,
note 8, C. com., art. L. 151-1, 3° (après l’entrée en vigueur de la proposition de loi de 2018) ; ADPIC, art.
39. 2, c.
288 V. not. Laurent CARRIERE, « Le secret de commerce : notions générales », Robic, 1996, p. 3-5 en
ligne : <https://www.robic.ca/wp-content/uploads/2017/05/202-LC.pdf> (consulté le 2 août 2018) ; A.
MICHELET, préc., note 200, p.161-162 ; G. F. SAYEGH, préc., note 2 ; A. STEELE, préc., note 22 ; MPI,
« Protéger les secrets d’affaires de votre PME », en ligne : <
http://www.wipo.int/sme/fr/ip_business/trade_secrets/trade_secrets.htm> (consulté le 2 août 2018).
289 A. STEELE, préc., note 22, p. 128
290 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 62.
291 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 59.
292 J. PASSA, préc., note 18, p. 44.
293 A. STEELE, préc., note 22, p. 129
66
mentionner de qui il s’agit294. Il est à noter que des employés (ou des partenaires
commerciaux) peuvent mettre en œuvre le secret de commerce sans nécessairement être
au fait sur le fonctionnement exact de celui-ci : une division des tâches et de la mise en
œuvre du secret entre différents acteurs peut permettre de compliquer la mise en œuvre
de l’ingénierie inverse et limiter les préjudices en cas de divulgation maladroite, voire
d’atteinte illégitime295.
S’il est essentiel de limiter les personnes ayant accès au secret de commerce, il est
néanmoins déterminant de faire comprendre à tous les membres de l’entreprise
l’importance de la conservation de cette information confidentielle pour le maintien de
l’activité, et cela passe notamment par l’élaboration d’une politique de sécurité. Celle-ci
permet d’expliquer l’objectif visé par la confidentialité : « chaque individu est
responsable pour protéger les biens de l’entreprise »296. Ainsi, cela permettra aux
employés de comprendre qu’il ne faut pas disséminer les informations confidentielles
s’ils tombent dessus par mégarde.
Au-delà de l’organisation relative aux individus, des mesures matérielles
concernant le secret doivent également être prises. Cela concerne notamment la forme de
sa conservation. La forme matérielle est à privilégier pour des raisons de contrôle et de
preuve297. Il convient également de prévoir un entreposage sécuritaire pour éviter la
propagation du secret sous sa forme matérielle et limiter l’accès à celui-ci298. Il est ainsi
intéressant de noter, comme le fait Georges Sayegh, que « le nettoyage comme l’entretien
des secteurs restreints doivent s’effectuer sous surveillance »299. Malgré ces précautions,
294 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°31-32.
295 A. STEELE, préc., note 22, p. 142 : « Finalement, lorsque cela est possible, une entreprise devrait
évaluer la possibilité de scinder la fabrication de son produit afin de préserver l’intégralité de ses secrets de
commerce. Par exemple, si le secret de commerce est de la nature d’une recette, l’entreprise pourrait
envisager de faire fabriquer une partie du produit par une personne et l’autre partie du produit par une autre
personne, de manière à ce que chaque personne n’ait qu’une partie de la recette ».
296 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 64.
297 A. STEELE, préc., note 22, p. 129 : « Cela permet non seulement d’identifier quelles informations
existent et de mieux circonscrire sans quelles mesures elles sont données aux employés et tiers qui doivent
y avoir accès, mais aussi à une Cour de statuer sur leur protection contre une divulgation intempestive ou
mal intentionnée ».
298 A. STEELE, préc., note 22, p. 129 : « Cela préserve non seulement de l’espionnage industriel ou des
pertes, mais sert aussi pour limiter l’accès aux seules personnes qui en ont réellement besoin. Cela permet
également de prouver que cette information était effectivement traitée comme confidentielle par
l’entreprise ».
299 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 87.
67
les documents peuvent être amenés à circuler. Il est donc nécessaire de marquer le secret
comme tel avec des termes tels que « secret », « confidentiel » ou « défense de
communiquer »300. Cela permet de prouver que l’entreprise avait fait en sorte d’identifier
le secret en demandant aux individus non autorisés de ne pas le lire s’il leur arrivait entre
les mains et confirmer aux partenaires qu’ils doivent prendre les diligences nécessaires
quant à cette information301.
Cependant, à l’ère de l’information, les secrets de commerce sont également
amenés à circuler par voie électronique et peuvent ainsi subir des atteintes par cette voie.
Les précautions de l’entreprise doivent donc également s’effectuer dans le domaine
informatique. Il est ainsi à noter que la jurisprudence est relativement sévère avec les
entreprises qui ne prendraient pas suffisamment de mesures pour sécuriser leurs systèmes
informatiques302. Il s’agit donc de mettre à jour constamment ses systèmes de sécurité,
effacer les copies de sauvegarde, stocker les documents confidentiels sur un support
externe, etc.
Il est donc important pour les entreprises de toutes tailles de prendre un certain
nombre de mesures pour éviter l’atteinte comme l’explique Georges Sayegh : « il ne faut
pas tomber dans le piège qui consiste à dire que toutes ces procédures sont bonnes surtout
pour les grandes entreprises »303.
Si ces méthodes concrètes sont considérées comme des « mesures raisonnables »
prises par l’entreprise pour conserver le secret d’affaires, il convient également pour le
détenteur de ce dernier de prévoir comment répondre aux atteintes pouvant avoir lieu. En
effet, en anticipant qui pourrait porter une atteinte illégitime au secret d’affaires, qu’il
s’agisse d’un individu ayant conclu un contrat avec l’entreprise ou non, cette dernière
peut mieux organiser sa stratégie de défense. Ainsi, elle doit prévoir une clause
contractuelle, généralement la clause de confidentialité, assurant le respect du secret (i).
La loi offre également à l’entreprise la possibilité d’engager la responsabilité d’individus
(et de ce fait faire respecter la confidentialité) par un biais délictuel (ii). Une part de la
300 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 66.
301 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°35.
302 CA Paris, 12e ch., Sect. A, 30 oct. 2002, D. 2003. 2827, obs. C. Le Stanc ; Gaz. Pal., 2003. 2. 2364, note
V. Prat et Y. Bréban ; M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°35.
303 G. F. SAYEGH, préc., note 2, p. 60.
68
protection du secret d’affaires consiste donc pour l’entreprise à savoir quand il convient
d’engager la responsabilité d’un cocontractant ou d’un tiers : acquérir la connaissance
d’un secret de commerce est une responsabilité non négligeable.
i) La responsabilité contractuelle
Notons donc qu’il est essentiel pour les entreprises de prendre des « mesures
raisonnables » et que celles-ci incluent des prévisions contractuelles. C’est ce qui
distingue les secrets de commerce des droits de la propriété intellectuelle : la protection
demeure tant que la confidentialité est maintenue304. Les entreprises imposent donc, à
ceux ayant connaissance de l’information confidentielle, deux principaux types de
clauses : les clauses de confidentialité et de non-concurrence. Si les secondes sont
essentielles à la stratégie de l’entreprise et font l’objet d’une jurisprudence riche, notons
dès maintenant qu’elles ne s’attachent qu’indirectement au maintien du secret d’affaires.
Ces clauses n’ont pas le même objet, ni le même objectif. La clause de non-
concurrence est une clause imposant, dans le cadre du contrat de travail, à l’employé de
ne pas faire concurrence à l’entreprise pendant son contrat de travail ou à la fin de celui-
ci. Cette obligation va de la non-sollicitation de la clientèle à la défense d’exercer pour
une entreprise concurrente305. Au Québec, une telle clause est régie par l’article 2089 du
C.c.Q.306. Il s’agit d’une clause à visée bien plus large que la clause de confidentialité car
celle-ci prévoit que l’ex-employé ne pourra exercer la même activité et exploiter
l’ensemble de ses connaissances contre l’ex-employeur pendant une durée de temps
limitée et sur un territoire déterminé. La clause de confidentialité s’attache, quant à elle,
directement au secret de commerce dans notre cas : l’employé pourra exercer une activité
concurrente à condition de ne pas faire usage de cette seule information ou de la
communiquer. L’objet de la clause de non-concurrence s’éloigne donc de l’obligation de
304 Conception S.N. Vena Inc. c. DIT Équipements Inc., préc., note 149, par. 63 : « le secret, une fois
découvert, n’est plus secret ». A contrario, tant qu’il n’a pas été découvert, il est maintenu.
305 C. BOUCHARD, préc., note 97, n°213, p. 209.
306 C.c.Q, art. 2089 : « Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même après la fin du
contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une
entreprise qui lui ferait concurrence.
Toutefois, cette stipulation doit être limitée, quant au temps, au lieu et au genre de travail, à ce qui est
nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur.
Il incombe à l’employeur de prouver que cette stipulation est valide. »
69
secret mais permet de limiter indirectement le risque de fuites d’informations en
interdisant au salarié d’intégrer une entreprise concurrente307.
Cela se perçoit également quant à l’objet protégé : l’activité économique dans le
cas de la clause de non-concurrence et l’information confidentielle dans le cas de la clause
de confidentialité. La jurisprudence québécoise a ainsi rappelé que l’expérience et les
connaissances personnelles de l’employé ne pouvaient être considérées comme une
information confidentielle, et ne pouvant ainsi faire l’objet d’une clause de
confidentialité, même s’il les avait acquises au sein de l’entreprise qu’il quitte308. Cette
expérience et ces connaissances peuvent néanmoins faire l’objet d’une clause de non-
concurrence, mais qui devra donc présenter un certain nombre de limites. Celle-ci doit
être raisonnable : limitée dans le temps et dans l’espace309. En somme :
S’il est vrai que l’obligation de confidentialité protège un avantage concurrentiel, en
l’occurrence le secret de commerce qui confère un avantage économique à son
détenteur, son objet demeure bien plus restreint et fort différent de celui de
l’engagement de non-concurrence qui assujettit son débiteur à ne pas concurrencer. En
effet, l’obligation de confidentialité n’a pas un tel dessein, elle oblige plutôt à ne pas
divulguer des secrets. Dès lors, l’assimilation de l’obligation de confidentialité à
l’engagement de non-concurrence peut être trompeuse.310
De plus, comme l’explique Charlaine Bouchard311, la limitation de la clause de
confidentialité en l’alignant sur le régime de la clause de non-concurrence lui retirerait
toute son utilité car il est « peu probable que l’obligation de confidentialité puisse survivre
aux tests de territorialité, de durée et d’objet, lesquels sont fondamentaux pour la validité
de la clause de non-concurrence ». La clause de confidentialité est donc destinée
exclusivement à maintenir le secret de commerce et il est ainsi nécessaire, en pratique,
que les détenteurs de celui-ci insèrent une telle obligation dans le contrat afin de prouver
307 Arnaud MARTINON, « Secret des affaires et droit des parties à la relation de travail », dans Jean
LAPOUSTERLE (dir.), La protection des secrets d’affaires: perspectives nationales et européennes : actes
du colloque du 1er avril 2016, Palais du Luxembourg, Paris, 2017, p. 60, à la p. 63.
308 C. BOUCHARD, préc., note 97, n°230, p. 225 : « Alors que l’employeur peut protéger toute information
"objectivement" confidentielle, il ne peut tenter de soustraire à son employé les habiletés "subjectives"
obtenues à l’occasion de son travail ». V. not. 2413-8760 Québec inc. (Maison des encans de Montréal) c.
Forand, 2008 QCCS 2954, EYB 2008-132255.
309 En France, cette limitation spatiale et temporelle doit également être recherchée par le juge du fond : v.
not. Cass. com. 4 janv. 1994, Lacroix c. Société 3V, n°92-14.121 ; D. 1995, p. 205, note Y. Serra ; RTD
civ. 1994, p. 349, obs. J. Mestre ; RJDA 1994, n° 297.
310 C. BOUCHARD, préc., note 97, n°225, p. 221.
311 Ibid., n°226, p. 222.
70
qu’ils considèrent l’information comme un secret d’affaires et qu’ils prennent les
dispositions nécessaires à sa protection.
Une telle clause présente un intérêt limité en matière de contrat de travail, car le salarié
est tenu à une obligation de confidentialité. Il est toutefois utile à l’expiration du contrat
de travail car il n’est pas sûr que l’obligation de confidentialité perdure. La clause de
secret est essentielle dans les négociations contractuelles, ou dans tout accord de
transfert de technologie ou de savoir-faire ou encore dans un contrat d’entreprise ou de
rachat d’entreprise.312
Pourtant l’avantage de cette clause est essentiel car elle permet de créer une
présomption de transmission de certaines informations placées sous couvert du secret313.
Une telle clause de confidentialité s’observe notamment dans deux types de relations
contractuelles : la prévention des atteintes commises dans le cadre d’un contrat de travail
(a) et dans le cadre d’un accord avec un partenaire économique (b).
a) Les atteintes commises dans le cadre d’un contrat de travail
Afin d’obtenir une exploitation efficace du secret de commerce, il convient de le
communiquer à certains employés qui pourront le mettre en œuvre. Il est donc essentiel
de préciser à ces employés l’importance des informations qui leur ont été communiquées
et l’obligation qu’ils ont, à travers une clause de confidentialité, de ne pas communiquer
le secret d’affaires. Il est d’ores et déjà important de noter que, si les employés peuvent
également être tenus à une obligation de confidentialité en vertu de leur obligation légale
de loyauté, comme il le sera présenté par la suite314, la responsabilité engagée de manière
contractuelle permet généralement d’être plus dissuasive et, par conséquent, efficace en
raison de clauses pénales quasi-systématiques315. Ainsi, comme l’explique Arnaud
Martinon316, la clause de confidentialité a deux intérêts essentiels : elle « offre la faculté
de circonscrire l’objet des informations couvertes par une obligation particulière » et, si
elle n’est pas fondamentalement nécessaire pendant la durée d’exécution du contrat de
travail (en raison d’une obligation légale de loyauté inhérente au contrat de travail), elle
312 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°24.
313 A. STEELE, préc., note 22, p. 142
314 Infra., p. 79 et s.
315 Infra., p. 97 et s.
316 A. MARTINON, préc., note 307, p. 63.
71
Sest susceptible de produire des effets à la fin de celui-ci317. La clause de confidentialité
produit donc des effets pendant la durée du contrat de travail et à l’expiration de celui-ci.
Il a pu être noté que différentes terminologies peuvent être utilisées pour de telles
clauses : clause de secret (qui « vise une information que personne ne connaît en dehors
des parties signataires »318), clause de confidentialité (qui « vise une information
divulguée et connue au-delà des seuls co-contractants »319) ou encore clause de
discrétion320. Nous emploierons ces différents termes indifféremment car les mêmes
principes s’y appliquent. Il est essentiel de préciser que de telles clauses, étant rattachées
à l’obligation de bonne foi, sont licites321.
Mêmes si elles ne sont pas indispensables, de telles clauses sont très utilisées en
pratique dans le contrat de travail car il vaut « mieux prévenir que guérir » en matière de
secret d’affaires322. Précisons que, en limitant les communications pouvant être effectuées
par l’employé, l’entreprise pourrait porter atteinte à la liberté d’expression et la liberté
professionnelle. Il est donc essentiel que la clause de confidentialité de l’entreprise
présente certaines caractéristiques, comme l’explique Arnaud Martinon. En effet, en
France, une clause de confidentialité devra répondre à des exigences de nécessité (savoir
si le secret est nécessaire à la protection des intérêts de l’entreprise), de précision (savoir
si elle permet d’identifier suffisamment les limites de l’atteinte à la liberté) et de
proportionnalité (savoir si le secret est le moyen le mieux adapté et s’il n’y a pas d’autre
alternative)323
Cette démarche ressort de la jurisprudence Dassault324 : finalement, la Cour de
cassation ne condamne pas radicalement le dispositif des alertes professionnelles ; elle
retient la méthode traditionnelle des limites aux libertés en décidant que « les salariés
jouissent, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de leur liberté d’expression à
317 Ibid., p. 63.
318 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°23.
319 Ibid.
320 Ibid.
321 Ibid.
322 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p.48.
323 A. MARTINON, préc., note 307, p. 64.
324 Cass. soc. 8 déc. 2009, n°08-17.191; JCP S 2010, 1091.
72
laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et
proportionnées au but recherché peuvent être apportées ».325
En cas de litige, Vincent Karim326 rappelle qu’il appartient à l’employeur de
prouver le caractère confidentiel du secret de commerce et le dommage causé par sa
divulgation : le fait qu’une disposition telle que la clause de confidentialité précise
l’obligation de l’employé quant à cette information facilite la tâche de l’employeur en cas
de procès.
Le réel intérêt des clauses de confidentialité apparaît à la fin de la relation de
travail avec l’employeur. Comme le note Arnaud Martinon, ces clauses de confidentialité
sont extrêmement efficaces car elles peuvent avoir quasiment les mêmes conséquences
qu’une clause de non-concurrence : « en interdisant la divulgation des informations sur
le savoir-faire ou les méthodes de l’ancienne entreprise, le salarié se ferme les portes
d’entreprises concurrentes et limite ainsi sa liberté d’exercer une activité
professionnelle »327. Une distinction majeure est néanmoins à noter : s’il est essentiel, en
matière de clause de non-concurrence, de fournir à une compensation financière à
l’employé en raison de la limitation apportée à sa liberté de travail (ce qui n’est pas exigé
au Québec), le juge français a estimé qu’une telle obligation ne pouvait être étendue en
vertu d’une clause de confidentialité car cette dernière n’entraine pas de compensation
financière de l’ex-employé328. Cela semble logique si l’employé ne subit pas d’atteintes
à sa liberté d’exercer un travail (même si cela n’est pas toujours aussi évident) car, s’il
n’est pas libre de faire usage du secret d’affaires, il n’en demeure pas moins capable de
faire usage de ses connaissances et de son expérience personnelle qui ne sauraient être
assimilées à des informations confidentielles pouvant être couvertes par une clause de
confidentialité.
L’analyse de la clause doit être faite par référence à la raison d’être de la protection du
savoir-faire. En effet, un savoir-faire ou plus généralement une information stratégique
pour une entreprise est une information destinée à lui procurer un avantage
325 A. MARTINON, préc., note 307, p. 64-65.
326 Vincent KARIM, Les obligations, vol. 2, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, n°2103, p. 797.
327 A. MARTINON, préc., note 307, p. 63.
328 Cass. soc. 15 oct. 2014, n°13-11.524 ; D. 2014, p. 2118 ; RDT 2015. 39 ; Rev. trav. 2015, p. 39, note L.
Gratton.
73
concurrentiel. Or la protection d’une situation concurrentielle de l’entreprise ne peut-
être absolue.329
Il existe donc une certaine nécessité à cette clause mais la balance de sa
proportionnalité est essentielle pour ne pas entraver les droits et libertés des employés :
« Qui veut sanctuariser le secret des affaires risque de se heurter au droit du travail »330.
L’entreprise devra prendre soin de concentrer la clause de confidentialité, en particulier à
la fin du contrat de travail, uniquement sur les informations relevant réellement du secret
de commerce :
Ainsi, il nous semble qu’une clause de confidentialité postcontractuelle interdisant
l’utilisation de tout savoir-faire même acquis pendant le contrat ou de toute donnée sur
l’entreprise, serait disproportionnée et non justifiée par l’intérêt concurrentiel de
l’entreprise. Une telle clause doit être justifiée par la protection de la position
concurrentielle de l’entreprise.331
En matière de clause de confidentialité, il importe donc pour l’entreprise, au
moment de réfléchir aux mesures nécessaires à la protection du secret, de se montrer
mesurée dans les informations qu’elle décide d’imposer comme confidentielles et pendant
quelle durée de temps. Il s’agit d’un calcul stratégique que le détenteur du secret doit
effectuer afin de protéger son secret d’affaires de manière efficace sans pour autant porter
atteinte à la liberté d’expression et de commerce de ses employés.
Un arrêt Michelin de la chambre sociale de la Cour de cassation332 montre ainsi
l’intérêt de la clause de confidentialité post-contractuelle : un ex-employé, même s’il
n’est plus tenu par une obligation générale de discrétion, engage sa responsabilité sur le
fondement d’une telle clause s’il divulgue un savoir-faire et ce, même en l’absence d’une
faute grave. La clause de confidentialité a donc un intérêt certain postérieurement au
contrat de travail.
Il faut également noter un instrument dont les entreprises font usage, en marge des
clauses de confidentialité, mais tout aussi fréquentes : les différents documents
réglementaires internes de l’entreprise et les chartes éthiques. Celles-ci servent à conforter
329 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°29.
330 A. MARTINON, préc., note 307, p. 67.
331 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°29.
332 Cass. soc. 19 mars. 2008, n°06-45.322 ; RJS 2008, n°631 ; AJCA 2014, p. 119, obs. C. Caseau-Roche.
74
l’obligation légale de loyauté333. Le but de ces instruments est de sensibiliser les employés
à la valeur des secrets de commerce : « (à) chaque fois, il n’y a guère de volonté
malveillante de la part du salarié, mais il y a souvent un risque non mesuré, parfois non
conscient, de trahir les secrets de l’entreprise… Le tout étant facilement récupéré par un
concurrent assoiffé »334.
Arnaud Martinon335 note toutefois qu’une incertitude quant à l’autorité de ces
guides et codes pourra ressortir sur la vigueur de la sanction. La jurisprudence Dassault336
rappelle donc aux entreprises qu’elles doivent se montrer claires dans de tels documents
quant aux termes (en l’espèce, celui d’ « usage interne ») et les informations constituant
des secrets d’affaires. Cela permet finalement de mieux protéger le secret de commerce
car les employés seront mieux informés des enjeux et moins à même de commettre des
erreurs : la clarté permet à l’entreprise de diminuer les risques de divulgations maladroites
ou non intentionnées.
La clause de confidentialité est donc insérée dans les documents juridiques que
l’entreprise effectue en lien avec ses employés. Afin d’éviter la divulgation, la première
étape est d’assurer la confidentialité au sein de l’entreprise. Il demeure néanmoins
fréquent que le détenteur du secret d’affaires soit amené à conclure des contrats avec des
partenaires commerciaux extérieurs à l’entreprise. La clause de confidentialité jouera
alors également le rôle d’une mesure préventive essentielle.
b) Les atteintes commises par un partenaire économique
Tout comme pour un employé, la théorie du tremplin s’applique aux fabricants de tout
ou partie d’un produit en l’absence d’entente spécifique : les tiers ne doivent pas faire
usage pour des fins personnelles, et sans consentement, des informations
confidentielles et des secrets des commerce reçus dans le cadre de leur relation
contractuelle. Cependant, une entente claire et non équivoque sur la confidentialité des
informations constitue un atout non négligeable pour l’établissement d’une
333 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°21.
334 A. MARTINON, préc., note 307, p. 62.
335 Ibid.
336 Préc., note 324.
75
présomption (réfragable) de l’existence et la transmission de certaines informations
sous le sceau de la confidentialité ou du secret.337
La clause de confidentialité facilite donc la procédure pour le détenteur en
permettant de présumer une atteinte. Le détenteur du secret de commerce prévoit donc,
généralement, une clause de confidentialité dans les de contrats conclus avec ses
partenaires commerciaux. De telles clauses peuvent apparaître dans le contrat final
conclu, mais également lors de la phase précontractuelle.
Dans le contrat final conclut, les informations à retenir font écho aux éléments
présentés précédemment : il s’agit d’être précis sur les termes et les secrets concernés afin
d’éviter toute maladresse. Cette clause ne vient généralement pas seule. Comme le note
Marie Malaurie-Vignal338, la clause de confidentialité est généralement accompagnée
d’une obligation de prendre toute mesure pour éviter la diffusion de l’information. Cette
stratégie a un intérêt relativement à des questions probatoires : il peut être difficile de
prouver que la diffusion de l’information avait pour cause un manquement de la part du
cocontractant à son obligation de confidentialité. L’insertion d’une telle obligation
complémentaire permet d’engager plus aisément la responsabilité contractuelle du
partenaire économique s’il a manqué à ses engagements (la clause de confidentialité
permettant déjà de prouver que l’information a été transmise de manière confidentielle).
Il est intéressant d’étudier le rôle essentiel de la clause de confidentialité dans le
contrat régissant la phase précontractuelle de négociations. En effet, s’il est important de
faire respecter la confidentialité à son partenaire économique une fois le contrat conclu,
il est à noter que des secrets de commerce peuvent être révélés lors de la phase
précontractuelle. Ainsi, le détenteur peut chercher à convaincre un potentiel partenaire en
lui révélant, sous couvert de la confidentialité, un secret d’affaires339. « Les entreprises
fournisseures de biens d’équipements impliquant un transfert de technologie ou de
procédés de fabrication exigent, lors des négociations du contrat, un engagement de la
part du client à ne pas divulguer ou utiliser les informations technologiques qui lui seront
communiquées »340. De ce fait, même si le potentiel partenaire économique décide de ne
337 A. STEELE, préc., note 22, p. 142
338 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°35.
339 V. KARIM, préc., note 326, n° 2105, p. 798.
340 Ibid., p. 797.
76
pas conclure de contrat avec le détenteur du secret, il ne pourra pas faire usage de celui-
ci pour autant. La solution inverse n’aurait pas été logique car elle lui aurait permis
d’exploiter le secret de commerce sans conclure de contrat avec le détenteur de celui-ci.
Il est important pour les parties d’inscrire une durée pour l’obligation de
confidentialité afin d’éviter que les effets ne s’estompent à la fin de la négociation et que
le partenaire ne communique les informations à des concurrents. « La stipulation d’une
durée indéterminée est à proscrire » selon Arnaud Martinon, pour qui il serait d’usage de
convenir d’une durée variant d’un ou deux ans à compter de la signature de l’accord341.
Ne pas inscrire de durée permettrait de résilier le contrat à tout moment à condition de
respecter un délai de préavis raisonnable342. De ce fait, le détenteur du secret, même s’il
cherche à tout prix à conclure un contrat avec un partenaire, ne devrait pas révéler tous
les aspects du secret lors des négociations mais juste suffisamment pour convaincre
l’autre partie. De la sorte, si aucun contrat ne se trouve conclu et, à la fin de la durée de
la clause de confidentialité, il sera plus complexe pour l’autre partie de tenter de
reproduire le secret de commerce.
Pour autant, en matière de transmission de savoir-faire, les clauses de
confidentialité peuvent être pour une durée indéfinie :
… la jurisprudence admet une obligation sans terme, dès lors que le procédé
susceptible de protection n'est pas tombé dans le domaine public […] La Commission
des Communautés européennes s'est également prononcée, à plusieurs reprises dans
le passé, en faveur des clauses de confidentialité. À titre d'exemple, l'article 3.2 (a) du
règlement d'exemption relatif aux accords de franchise de 1988 prévoyait que le
franchiseur peut imposer au franchisé l'engagement de ne pas divulguer à des tiers le
savoir-faire fourni par lui, sans limitation de durée. En revanche, lorsque le savoir-faire
est tombé dans le domaine public, l'interdiction constitue une violation de l'article 101
du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.343
La question sera alors pour le détenteur du secret d’affaires de prouver que
l’information n’est pas tombée dans le domaine public.
341 N. BINCTIN, préc., note 33, p. 28
342 Ibid.
343 Cécile CASEAU-ROCHE, « La clause de confidentialité », AJCA 2014, p.119.
77
Il est encore une fois intéressant de remarquer qu’une clause pénale est
fréquemment insérée dans le cadre de tels accords avec les partenaires économiques, que
ce soit lors de la phase précontractuelle ou dans le contrat final344.
La clause de confidentialité a donc une efficacité indéniable pour le détenteur du
secret : elle permet d’insister sur la responsabilité qu’a son cocontractant dans la
conservation du secret de commerce mais également de prouver, en cas de divulgation de
sa part, immédiatement le dommage et engager sa responsabilité contractuelle345. Il s’agit
donc d’un outil essentiel pour préserver le secret d’affaires que l’entreprise doit prévoir,
ne serait-ce que pour insister sur la responsabilité. Néanmoins, l’entreprise doit également
savoir qu’elle dispose de moyens extracontractuels dont elle peut faire usage pour faire
cesser une atteinte à son secret de commerce.
ii) La responsabilité délictuelle
(Le détenteur du secret) ne bénéficie d’une protection que contre des fautes, consistant
principalement dans la violation de la sphère de confidentialité organisée par un
opérateur autour de ses connaissances. C’est alors, seulement, le contexte particulier
de l’acquisition ou de l’exploitation par un tiers de ces connaissances secrètes qui
justifie la protection.346
La France et le Québec permettent une protection du secret au-delà des simples
dispositions contractuelles. En effet, même si le détenteur du secret de commerce n’insert
pas une clause de confidentialité dans son contrat, il est possible d’engager la
responsabilité de celui qui porterait atteinte à cette information. De ce fait, en France (a),
comme au Québec (b), cette responsabilité peut être engagée, qu’il existe un contrat avec
l’individu ou non.
a) Les fondements de la responsabilité extracontractuelle en France
En France, il existe une obligation de bonne foi dans l’exécution des contrats et,
étant d’ordre public, elle ne peut être remise en cause par une clause contractuelle347. Cela
344 V. KARIM, préc., note 326, n° 2105-2106, p. 798.
345 V. KARIM, préc., note 326, n° 2105, p. 798.
346 J. PASSA, préc., note 18, p. 39-40.
347 C. civ., art. 1104 : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
78
oblige donc le cocontractant à ne pas rompre la confidentialité ou profiter du secret une
fois qu’on en a été informé. Il existe également une obligation de bonne foi pesant
particulièrement sur l’employé348.
« L'absence d'autre outil juridique que la responsabilité contractuelle stricte s'est
traduite en France par un recours plus fréquent qu'au Canada à la responsabilité civile
délictuelle »349. Si cette affirmation a longtemps été vraie en France, la directive
n°2016/943 constitue un changement majeur.
Dès 1978, la Cour de cassation dans un arrêt Rousset avait admis la responsabilité,
sur le fondement de la concurrence déloyale d’un individu ayant fait usage d’un savoir-
faire qui lui avait été divulgué au cours de négociations350 : « l’action en concurrence
déloyale ayant pour objet d’assurer la protection de celui qui ne peut, en l’état, se prévaloir
d’un droit privatif, ce qui était le cas de Rousset dont le brevet n’a été délivré
qu’ultérieurement »351. Ainsi, pour engager la responsabilité extracontractuelle du
défendeur, le détenteur du secret d’affaires doit prouver une faute de sa part. Celle-ci peut
être caractérisée de plusieurs manières, mais surtout par les actes de concurrence déloyale.
Cette faute est essentielle car elle témoigne de la distinction entre le régime de la propriété
intellectuelle et celle du secret d’affaires. Dans le cas de ce dernier, tous les actes
d’exploitation ne peuvent pas être sanctionnés :
Seuls peuvent l’être ceux qui, accomplis dans certaines circonstances, traduisent
l’existence d’une faute, laquelle implique que l’auteur de l’acte ait eu une connaissance
préalable de la sphère de secret organisée autour de la chose et à laquelle il a eu accès
directement ou indirectement. Il s’agit alors d’une protection, non plus réelle ou
attachée à la chose, mais délictuelle, contre certains actes de tiers.352
Le fondement n’est donc pas le droit de propriété mais l’atteinte à la sphère du
secret ou le fait de conserver des informations confidentielles par exemple à la fin de son
Cette disposition est d'ordre public ».
348 C. trav., art. L. 1222-1 : « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».
349 M. BOURGEOIS, préc., note 105, n°22, p. 124.
350 Cass. com. 30 oct. 1978, Dossiers Brevets 1979. II. 1. D. 1980. 55, J. Schmidt.
351 J.-M. MOUSSERON, préc., note 188, n° 21, p. 24.
352 J. PASSA, préc., note 18, p. 39-40.
79
contrat de travail353, comme le note Marie Malaurie-Vignal354. De plus, une faute peut
être caractérisée sur le fondement de l’atteinte à l’obligation de bonne foi dans l’exécution
de tous les contrats (art. 1104 C. civ)355 : cette obligation vaut donc dans les contrats avec
le salarié et avec le partenaire économique. Il faut également noter l’existence d’une
obligation légale de loyauté dans le cas particulier du salarié :
Une obligation légale de confidentialité pèse sur tout salarié (art. 1221-1 c. trav.), qui,
sous peine de commettre une faute grave356, ne doit pas divulguer des informations
auxquelles ses fonctions ou ses responsabilités lui donnent accès, que ce soit à
l'intérieur357 ou à l'extérieur de l'entreprise358.359
L’avantage de pouvoir invoquer la responsabilité délictuelle est qu’elle permet
d’engager celle des personnes avec qui l’entreprise n’a pas conclu de contrat, tel qu’un
concurrent se livrant à une concurrence déloyale ou parasitaire. Cela sera, par exemple,
le cas d’un tiers complice d’une violation d’une obligation contractuelle bénéficiant
directement de l’usurpation du secret d’affaires360
La directive n°2016/943 constitue un apport majeur en la matière. En effet, il ne
s’agit plus de caractériser une faute relevant du droit commun de la concurrence déloyale
mais un acte illicite. L’article 3. 1 de la directive énonce les cas d’obtention, d’utilisation
et de divulgation licites361 et l’article 4. 1 du même texte prévoit la liste des cas illicites :
2. L'obtention d'un secret d'affaires sans le consentement du détenteur du secret
d'affaires est considérée comme illicite lorsqu'elle est réalisée par le biais:
353 Com. 25 juin 1991, n° 89-20.506, Bull. civ. IV, n° 236 ; D. 1992. 249, note A. Batteur, et 1993. 156,
obs. Y. Picod ; JCP E 1992. II. 303, note G. Virassamy ; RTD civ. 1992. 390, obs. J. Mestre ; RTD com.
1992. 448, obs. B. Bouloc.
354 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°20.
355 A. MARTINON, préc., note 307, p. 61.
356 Cass. soc. 15 mars 2000, n° 98-46.096.
357 Soc. 5 juill. 2011, n° 10-17.284, CCC 2012, comm. 11, obs. E. Caprioli ; D. 2012. 902, obs. J. Porta ;
RDT 2011. 708, obs. M. Kocher.
358 Cass. soc. 30 juin 1982, Bull. civ. IV, n° 314.
359 M. MALAURIE-VIGNAL, préc., note 87, n°21.
360 Cass. com. 11 oct. 1971, Bull. civ. IV, n°237.
361 « a) une découverte ou une création indépendante; b) l'observation, l'étude, le démontage ou le test d'un
produit ou d'un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la
personne qui obtient l'information et qui n'est pas liée par une obligation juridiquement valide de limiter
l'obtention du secret d'affaires; c) l'exercice du droit des travailleurs ou des représentants des travailleurs à
l'information et à la consultation, conformément au droit de l'Union et aux droits nationaux et pratiques
nationales; d) toute autre pratique qui, eu égard aux circonstances, est conforme aux usages honnêtes en
matière commerciale. »
80
a) d'un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier
électronique ou d'une appropriation ou copie non autorisée de ces éléments, que le
détenteur du secret d'affaires contrôle de façon licite et qui contiennent ledit secret
d'affaires ou dont ledit secret d'affaires peut être déduit;
b) de tout autre comportement qui, eu égard aux circonstances, est considéré comme
contraire aux usages honnêtes en matière commerciale.
3. L'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaires est considérée comme illicite
lorsqu'elle est réalisée, sans le consentement du détenteur du secret d'affaires, par une
personne dont il est constaté qu'elle répond à l'une ou l'autre des conditions suivantes:
a) elle a obtenu le secret d'affaires de façon illicite;
b) elle agit en violation d'un accord de confidentialité ou de toute autre obligation de
ne pas divulguer le secret d'affaires;
c) elle agit en violation d'une obligation contractuelle ou de toute autre obligation de
limiter l'utilisation du secret d'affaires.
4. L'obtention, l'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaires est aussi considérée
comme illicite lorsque, au moment de l'obtention, de l'utilisation ou de la divulgation
du secret d'affaires, une personne savait ou, eu égard aux circonstances, aurait dû savoir
que ledit secret d'affaires avait été obtenu directement ou indirectement d'une autre
personne qui l'utilisait ou le divulguait de façon illicite au sens du paragraphe 3.
5. La production, l'offre ou la mise sur le marché, ou l'importation, l'exportation ou le
stockage à ces fins de biens en infraction sont aussi considérés comme une utilisation
illicite d'un secret d'affaires lorsque la personne qui exerce ces activités savait ou, eu
égard aux circonstances, aurait dû savoir que le secret d'affaires était utilisé de façon
illicite au sens du paragraphe 3.
La faute semble donc plus aisée à caractériser car le détenteur du secret d’affaires
devra désormais prouver l’un des actes suivants : la preuve du dommage se trouvera
facilitée pour le détenteur du secret d’affaires car il s’agira de prouver l’un des actes
illicites prévus par le texte. La proposition de la Commission mixte paritaire prévoit la
transposition de la liste des actes licites à l’article L. 151-3 C. com et les cas illicites aux
articles L. 151-4 et L. 151-5 du même Code362. Le texte envisage les mêmes cas tout en
se concentrant explicitement sur les cas de responsabilité extracontractuelle (quand la
directive prévoit les cas d’atteinte à une obligation contractuelle à l’article 4. 3. b) et c)).
Néanmoins, la proposition de loi prend en compte, tout comme la directive, un champ
large en incorporant une atteinte au secret d’affaires résultant des « usages honnêtes en
matière commerciale » (la proposition française parle de comportement « déloyal et
contraire aux usages en matière commerciale)363 et si la personne en faisant usage savait
362 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc., note 8.
363 Dir. n°2016/943, art. 4. 2. b) ; « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc.,
note 8, art. L. 151-4, 2° C. com.
81
ou aurait dû savoir que son emploi était illicite364. En somme, cette liste d’emplois illicites
du secret d’affaires ne peut probablement pas être considérée comme limitative en raison
du champ ample qu’elle prévoit et des termes utilisés.
On pourrait noter un certain rapprochement des prérogatives conférées en matière
de propriété intellectuelle : il est prévu une liste d’actes illicites auxquels sont posés des
limites. Pourtant, si cette construction semble s’en rapprocher, la logique demeure
distincte du régime de la contrefaçon : une liste d’actes non autorisés est identifiée mais
cela ne dédouane pas le détenteur du secret de devoir caractériser une faute. En effet, ces
précisions ne confèrent pas, pour autant, de droits privatifs sur le secret d’affaires.
Néanmoins, il s’agit d’une avancée : le secret d’affaires devrait disposer de son
propre régime de protection délictuelle désormais, facilitant la tâche des détenteurs pour
engager la responsabilité : la référence aux usages honnêtes « semble révéler la vitalité
de cette source du droit »365. Si ces fautes sont à prouver, on pourrait supposer que leur
preuve engendrerait une présomption de dommage subi : l’accès illicite au secret, par une
liste large d’actes, est une atteinte à réparer en soi. En rendant plus aisée la mise en cause
de la responsabilité de la personne ayant porté atteinte au secret des affaires, le nouveau
régime permet, par conséquent, une meilleure protection de celui-ci. La responsabilité
extracontractuelle est également bien implantée dans la jurisprudence québécoise.
b) Les fondements de la responsabilité extracontractuelle au Québec
Au Québec, le détenteur du secret de commerce peut également obtenir la
protection de celui-ci sur un fondement extracontractuel. En effet, la confidentialité est
protégée par l’obligation légale de loyauté découlant de l’obligation de bonne foi (articles
6, 7 et 1375 du C.c.Q366). Que ce soit dans sa relation avec un employé ou un tiers,
364 Dir. n°2016/943, art. 4. 4 ; « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc.,
note 8, art. L. 151-5 C. com.
365 Xavier DELPECH, « Une proposition de loi visant à transposer la directive "secret des affaires" », AJ
Contrat 2018, p.100.
366 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 24 : « La faute consiste à abuser de la
confiance de son partenaire d’affaires, son employeur, etc., et à manquer à un devoir de loyauté inclus dans
le principe de bonne foi et de fidélité contrairement aux articles 6, 7 et 1375 C.c.Q ». Les auteurs citent
deux décisions à cet effet : Industries Lumio (Canada) inc. c. Dusablon, 20 mars 2007 (C.S.), EYB 2007-
116943, par. 113 ; Conexsys Systems Inc. c. Aime Star Marketing Inc., [2003] R.J.Q. 2875 (C.S. Qué.), par.
142, 336 et 360.
82
l’entreprise peut oublier de prévoir de telles clauses. Leur responsabilité peut être engagée
en cas de détournement du secret de commerce, comme l’expliquent Judith Robinson et
Sébastien Jetté367 notamment relativement à la relation entretenue avec le tiers. En effet,
ils expliquent que la responsabilité extracontractuelle du tiers sera engagée s’il se livre à
de l’espionnage industriel ou s’il détourne le secret communiqué lors des négociations
mais non protégé par un accord de confidentialité : « la rupture même valable des
négociations, n’autorise pas pour autant la partie à utiliser au détriment de l’autre les
informations confidentielles et autres renseignements privés dont elle a pu avoir
connaissance lors de la phase précontractuelle »368. L’arrêt de principe à noter en la
matière est Lac Minerals : la Cour suprême du Canada sanctionne l’exploitation par un
tiers de secrets commerciaux qui lui avaient été communiquées lors de pourparlers369. Au
Québec, par la décision Anastasiu370, l’application du droit semble amener à la même
solution et protéger le secret de commerce, même en l’absence d’une clause de
confidentialité :
Le juge Gagnon affirme que l’absence d’entente de confidentialité n’affecte en rien les
droits du demandeur, étant donné que les renseignements étaient confidentiels «par
eux-mêmes», et que «la chose allait de soi», ce qui contraste avec la position prise dans
Bilodeau371, selon laquelle «ce que les demandeurs demandent au Tribunal, c’est de
décréter une clause de confidentialité qu’ils n’ont pas jugé utile d’exiger eux-mêmes
des défendeurs». Selon le juge Gagnon, la violation de l’obligation de négocier de
bonne foi, qui comprend l’interdiction de s’approprier une information confidentielle
communiquée dans le cadre de négociations, donne naissance à un «abus de
confiance» ou à de la «concurrence déloyale».372
La sanction peut donc être motivée par un abus de confiance ou un acte de
concurrence déloyale en matière de secret de commerce. Ce dernier est donc protégé par
le droit commun, contrairement au régime que la France s’apprête à mettre en place, qui
relève lui d’un régime spécifique.
367 S. JETTE ET J. ROBINSON, préc., note 26, v. not. p. 20-23.
368 Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 6e éd., Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2003, n°63, p.41.
369 Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., préc., note 115.
370 Anastasiu c. Gestion d’immeubles Belcourt Inc., [1999] R.J.Q. 3068 (C.Q.), inf. seulement quant au
quantum des dommages: REJB 2002-34004 (C.A.).
371 Bilodeau c. 2821061 Canada Inc., J.E. 98-2308 (C.S.).
372 S. JETTE ET J. ROBINSON, préc., note 26, p.22.
83
L’employé peut également être responsable d’une atteinte à son obligation de
loyauté. Le Code civil du Québec prévoit donc expressément son obligation de loyauté à
l’article 2088373. Il est d’ailleurs à noter que l’article 2088 et 2089 (relatif aux clauses de
non-concurrence) dudit code sont distincts, ce qui fait de l’obligation légale de loyauté
un outil extrêmement efficace :
Selon l’adage voulant que le législateur ne parle pas pour ne rien dire, il aurait
certainement été incohérent d’interpréter l’article 2089 comme une simple
répétition de l’obligation générale prévue à l’article 2088. L’obligation de loyauté
post-emploi dispose donc d’une nature et d’une finalité qui lui sont propres et qui la
rendent autonome des clauses restrictives pouvant être stipulées au moyen d’un contrat
de travail ou d’une entente particulière à cet effet.374
L’article 2088 du C.c.Q. permet donc d’assurer une protection légale des
informations confidentielles. Il appartiendra à l’entreprise de gérer les dispositions
relatives à la non-concurrence si elle le souhaite : « (r)appelons que l’article 2088 C.c.Q.
ne s’intéresse qu’à la déloyauté post-emploi. La concurrence, même féroce, n’est pas
déloyale »375. Cependant, au regard du vocabulaire de l’article 2088 C.c.Q. il est possible
de noter que les informations confidentielles couvertes par l’obligation de loyauté sont
uniquement celles ayant déjà été identifiées comme telles. Il est donc essentiel pour
l’entreprise, même si elle dispose d’une protection légale du secret de commerce,
d’identifier clairement quelles informations relèveront effectivement de ce régime afin
d’obtenir une obligation de confidentialité conventionnelle ou, à défaut, légale. Comme
précisé avant, afin de respecter les droits de l’employé quittant l’entreprise, « cette loyauté
vise les renseignements confidentiels de l’employeur, et non les connaissances et la
formation transmises à ce dernier »376
373 C.c.Q., art. 2088 : « Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence,
doit agir avec loyauté et honnêteté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il
obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.
Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps
lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui ».
374 Robert BONHOMME, « Obligation de loyauté post-emploi : plusieurs visages, gare à l’imposteur »,
dans S.F.C.B.Q., vol. 289, Développements récents sur la non-concurrence (2008), Cowansville, Editions
Yvon Blais, p. 139, à la p.142.
375 Ibid., p.168
376 G. BEAUREGARD, préc., note 3, p. 43.
84
Or, l’article 1434 C.c.Q dispose que des obligations implicites peuvent découler
du contrat377. Il peut ainsi en être déduit, dans le cadre du contrat de travail, que
l’obligation de l’article 2088 du C.c.Q, obligeant « l’employé à préserver les informations
confidentielles de son employeur pendant et après l’emploi »378, doit donc être également
limitée dans le temps afin de ne pas entraver de manière excessive les droits des
employés379. Sur ce point, l’affaire Bélisle380 tire de la jurisprudence antérieure381 le
principe suivant :
(L)e devoir de loyauté postcontractuel ne dure qu'un temps, celui d'un « délai
raisonnable », comme le dit l'article 2088 C.c.Q. Là encore, la jurisprudence est assez
réservée : la durée de l'obligation de loyauté postcontractuelle dépend des
circonstances de chaque espèce, mais elle dépasse rarement quelques mois. […] Après
l'expiration de ce délai raisonnable, l'ex-salarié n'est plus assujetti qu'aux règles
ordinaires applicables à la concurrence (en vertu de l'article 1457 C.c.Q.).
Les circonstances influant sur la durée de l’obligation de confidentialité seront,
par exemple, relatives à la fonction et aux responsabilités de l’employé, au motif de
terminaison de l’emploi ou à l’état de la concurrence dans le domaine382. Ainsi, sauf
exception, l’obligation post-contractuelle de loyauté de l’employé est généralement de
trois à neuf mois, à la suite de quoi la responsabilité civile extracontractuelle (en vertu de
l’article 1457) sera le mode de protection du secret383 : l’obligation contractuelle demeure
un certain temps après la fin du contrat avant de laisser place à une obligation
extracontractuelle. De ce fait, pour préserver la confidentialité plus longtemps et être sûr
d’assurer celle-ci, il convient de recourir à des ententes de confidentialité384.
377 C.c.Q., art. 1434 : « Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce
qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité
ou la loi ».
378 G. BEAUREGARD, préc., note 3, p. 43.
379 C.c.Q., art. 2088 al. 2 : « Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du
contrat, et survivent en tout temps lorsque l'information réfère à la réputation et à la vie privée d'autrui ».
380 Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc., 2007 QCCA 676 (CanLII), par. 42.
381 Sur ce point, la décision renvoie par exemple aux affaires suivantes : Excelsior (L'), compagnie
d'assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d'assurance-vie, 1992 CanLII 3559 (QC CA),
[1992] R.J.Q. 2666 (C.A.) ; Dufresne c. Groupe Christie Ltée, 1992 CanLII 2998 (QC CA), [1992] R.D.J.
546 (C.A.) ; Positron c. Desroches, [1988] R.J.Q. 1636 (règlement hors cour, C.A., 1991-09-16, 500-09-
000620-880).
382 G. BEAUREGARD, préc., note 3, p. 43.
383 Ibid., p. 44.
384 Ibid., p. 45.
85
L’obligation légale de bonne foi est donc un fondement important pour justifier la
réparation de l’atteinte à l’obligation de confidentialité et, par conséquent, au caractère
secret. Cependant, elle ne semble pas suffisante et un autre fondement peut être noté :
Les obligations de loyauté et de non-concurrence ont fait couler beaucoup d’encre,
surtout dans les cas où les employeurs n’avaient pas pris la précaution de faire signer
des engagements à leurs employés. De nouvelles théorie ont donc fait apparition afin
de rétablir l’équilibre entre employeurs et employés en l’absence de dispositions
contractuelles, mais comme il sera démontré dans les sections qui suivent, ces théories
n’ont pas toutes été incorporées en droit québécois.385
Si la théorie de la divulgation inévitable ne semble pas avoir été accueillie avec
succès par les tribunaux québécois (Alexandra Steele évoquant quelques décisions386 en
ayant fait application387), la théorie du tremplin semble s’installer de plus en plus
vigoureusement dans le paysage judiciaire. D’abord développée en Angleterre,
notamment par les décisions Saltman388 et Terrapin389, comme l’explique Charlaine
Bouchard390, la décision Lac Minerals391 de la Cour suprême implanta cette théorie au
Canada392. Puis, trois décisions majeures en matière de secret de commerce mirent en
œuvre cette théorie dans le droit provincial393 : les affaires Lange394 (où le juge ne fait
qu’évoquer la théorie du tremplin), Santé naturelle395 (où la théorie du tremplin motive
réellement l’attribution de dommages et intérêts) et Montour396. Cette théorie fut donc
385 A. STEELE, préc., note 22, p.135.
386 Groupe Biscuit Leclerc Inc. c. Rompré, [1998] R.J.Q. 855 (juge Viens) (C.S. Qué.); U.B.I Soft
Divertissements Inc. c. Champagne-Pelland, J.E. 2003- 1752 (juge Wery) (C.S. Qué.); Ubisoft
Divertissement Inc. c. Tremblay, J.E. 2006-1080 (juge Langlois) (C.S. Qué.); Alstom Hydro Canada inc. c.
Néron, J.E. 2007-289 (juge Fournier) (C.S. Qué.); ING Canada Inc. c. Robitaille, 2007 QCCS 1201 (juge
Capriolo) et J.E. 2008-567 (juge Prévost) (C.S. Qué.).
387 A. STEELE, préc., note 22, p.135-137.
388 Saltman Engineering Co. c. Campbell Engineering Co. (1948), 65 RPC 203.
389 Terrapin Ltd. c. Builders Supplies Co. (Hayes) Ltd., [1967] RPC 375, p. 392: « A person who obtained
information in confidence is not allowed to use it as a springboard for activities detrimental to the person
who made a confidential communication… »
390 C. BOUCHARD, préc., note 97, n°224, p. 217.
391 Préc., note 115, p. 44-45.
392 A. STEELE, préc., note 22, p. 137.
393 C. BOUCHARD, préc., note 97, n°224, p. 218-219.
394 Lange Canada Inc. c. Platt, (1973) 9 CPR (2d) 231.
395 Santé naturelle Ltée c. Produits de nutrition Vitaform Inc., préc., note 98.
396 Montour Ltée c. Jolicoeur, préc., note 99.
86
implantée en droit québécois et une auteure397 note que la décision Conexsys398 vient
commenter cette implantation. Le réel apport de cette théorie est de justifier l’attribution
de dommages en raison du préjudice subi par le détenteur du secret.
(L)’action fondée sur la violation de l’obligation de confidentialité, selon la théorie du
tremplin, est parfaitement recevable […] Il s’avère donc possible d’affirmer que la
théorie du tremplin est appliquée, non pas pour permettre à l’employeur de priver son
ex-employé de sa liberté de retrouver un nouveau travail dans son domaine, mais
plutôt de lui interdire d’utiliser les informations secrètes dont il a eu connaissance dans
le cadre de son emploi et qui méritent d’être protégées à ce titre.399
C’est en cela que la théorie du tremplin représente un fondement efficace devant
le juge : il s’agit de préciser l’atteinte à l’obligation de loyauté et de confidentialité car
l’employé ou le tiers se livre ici à une concurrence déloyale en faisant usage du secret de
commerce de manière non autorisée pour obtenir les bénéfices sans avoir à subir de pertes
quant à la phase de recherche. L’individu se sert du secret de commerce comme d’un
« tremplin » pour se lancer plus rapidement dans les affaires. Cette théorie est également
intéressante car elle permet de fonder la responsabilité, qu’il existe un contrat ou non. Or,
l’obligation de confidentialité pouvant découler, comme nous l’avons démontré, d’une
source contractuelle ou légale, la théorie sert de fondement dans ces deux cas :
Bref, il nous apparaît que même en l’absence d’engagement de confidentialité, il existe
en droit civil un devoir implicite de ne pas utiliser l’information confidentielle sans le
consentement de son propriétaire pour se lancer en affaires et devenir un concurrent,
devoir qui peut découler de la présence d’un contrat entre deux parties et par
l’obligation de bonne foi (art. 1375 C.c.Q).400
Donc, en vertu de l’obligation de confidentialité découlant de la relation
contractuelle ou de la loi, si un ex-employé ou un tiers manque à cette obligation, une
faute sera caractérisée pouvant fonder la mise en œuvre de la théorie du tremplin401. Si le
préjudice à démontrer découlera généralement des conséquences de la concurrence
déloyale, il peut également être caractérisé par la responsabilité extracontractuelle quand
l’utilisation cause un préjudice, ce qui rend le champ de protection conséquemment
397 A. STEELE, préc., note 22, p. 138.
398 Conexsys Systems Inc. c. Aime Star Marketing Inc., préc., note 365, par. 139-140, 142.
399 C. BOUCHARD, préc., note 97, n°224, p. 219.
400 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p.21.
401 Ibid., p. 24-25.
87
large402. Finalement, comme préconisé dans la décision FBI Foods403, il faut
généralement prouver un lien de causalité en démontrant qu’en l’absence de
l’appropriation, les ventes faites par le défendeur auraient été faites par le demandeur404.
En cas d’absence de clause de confidentialité, l’entreprise doit toujours garder en tête la
possibilité du recours à la théorie du tremplin.
Comme il ressort de ces développements, au Québec, le droit commun est le
principal recours juridique contre les atteintes au secret. Cela marque une forte distinction
avec les droits de la propriété intellectuelle, pour lesquels des prérogatives constituant un
monopole sont prévues. Celles-ci naissent de la volonté de l’Etat, du fait de son caractère
original pour le droit d’auteur ou du fait des conditions remplies par le dépôt pour les
droits de la propriété industrielle, tandis que la protection par le secret d’affaires naît par
les dispositions matérielles, contractuelles et préventives prises par l’entreprise qui choisit
les informations à protéger de la sorte.
En somme, la protection du secret d’affaires se fait avant tout par des moyens de
fait : il sera protégé tant que la confidentialité est maintenue mais s’il est porté atteinte à
celle-ci alors l’entreprise pourra obtenir réparation. Le détenteur du secret de commerce
prendra donc généralement des mesures matérielles et organisationnelles afin de protéger
le secret, ainsi que des mesures contractuelles afin de renforcer l’obligation de
confidentialité. Cette dernière est également assurée par une obligation légale de loyauté
(et par conséquent, de confidentialité) issue de l’obligation de bonne foi dont la rupture
peut engendrer une action sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.
Si le droit commun semblait donc envisager la protection du secret d’affaires en
France et au Québec, généralement, par le droit de la concurrence déloyale, la directive
prévoit désormais des mesures spécifiques permettant de mieux envisager la protection
du secret. Le fait que la protection majeure soit le moyen de fait consistant dans le
maintien de la confidentialité écarte le régime de protection de celui des droits de la
propriété intellectuelle.
402 Ibid., p. 25-26 : « En somme, notre droit protégerait une partie contre les manquements à l’obligation de
bonne foi en regard de la confidentialité des informations transmises, même en l’absence de concurrence
déloyale ».
403 FBI Foods Ltd. c. Cadbury Schweppes Inc., préc., note 116, par. 94.
404 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 27
88
Il appartient donc à l’entreprise de prévoir, a priori, toutes les éventualités afin de
mieux anticiper les atteintes pouvant avoir lieu. Néanmoins, une fois que celle-ci se
réalise et qu’il appartient à l’entreprise d’agir judiciairement pour faire cesser l’atteinte
par les moyens explicités, des réticences peuvent survenir : si des craintes de voir le
dommage amplifié par la saisie du juge judiciaire demeurent, des améliorations ont
permis de rassurer les détenteurs de secrets de commerce.
89
B. Les mesures judiciaires a posteriori de préservation et de réparation
du secret : un rapprochement des droits de la propriété intellectuelle
En fait, l’une des études commandées par la Commission européenne en prévision de
l’adoption de la Directive a révélé qu’un tiers des victimes d’actes illicites
s’abstiennent d’engager une procédure judiciaire, par crainte d’avoir à divulguer leurs
secrets d’affaires sans le cadre de l’instance. Il apparaissait donc nécessaire de prévoir
des dispositions permettant de s’assurer que les secrets d’affaires dont la Directive
organisait la protection ne puissent être divulgués à l’occasion de l’exercice d’une
action en justice.405
Au Québec406 comme en France le détenteur d’un secret d’affaires est donc
légitime à faire protéger celui-ci devant une instance judiciaire. En raison de faibles
mesures mises en place pour assurer le maintien de la confidentialité au cours du procès,
le fait de s’en remettre au juge peut sembler contradictoire : en voulant obtenir du tribunal
la cessation d’une atteinte au secret d’affaires, le détenteur de celui-ci ne ferait que le
mettre en péril. Des mesures sont néanmoins prévues pour maintenir la confidentialité
aujourd’hui, et la directive n°2016/943 permet de les renforcer (i).
Le but du procès judiciaire est d’obtenir une réparation et une cessation de
l’atteinte faite au secret de commerce. Des mesures peuvent donc se rapprocher de celles
prises en matière de propriété intellectuelle (et notamment l’injonction permanente).
Pourtant, en pratique, les mesures accordées tendent généralement à être des dommages
et intérêts. Cela est dû à la nature distincte du secret d’affaires (ii).
i) Les mesures de préservation du secret
La protection du secret d’affaires au cours de l’instance est aujourd’hui un enjeu
majeur. En effet, si de nombreuses entreprises ont recours à l’arbitrage par peur de voir
leur secret de commerce perdu au cours d’une instance, des mesures existent et tendent à
se multiplier pour protéger celui-ci. Des précautions peuvent ainsi être demandées au juge
avant le procès (a) et au cours de l’audience (b).
405 F. G’SELL, préc., note 49, p. 111.
406 Continental Casualty Company c. Combined Insurance Company, préc., note 20.
90
a) Les précautions avant le procès
En France, deux enjeux sont à noter sur ce point. Le premier est l’importance de
la question de la preuve dans les procès civils, et donc l’enjeu autour de l’article 145 du
Code de procédure civile. Le second est relatif à la cessation de l’atteinte au secret
d’affaires avant le procès.
En raison du principe du contradictoire, l’article 145 du CPC permet, s’il existe
un « motif légitime », d’obtenir la communication d’éléments pouvant avoir une
influence dans le procès. Le problème est que cela peut donc concerner des secrets
d’affaires et la partie adverse au détenteur fait donc parfois appel aux procédures
judiciaires pour obtenir sa divulgation par ce biais. Le problème de cet article est qu’il
s’agit d’introduire une requête non contradictoire : le détenteur n’est pas au courant
qu’une mesure d’instruction se prépare contre son secret d’affaires407. Et même si seules
les parties et les tiers ayant un intérêt légitime peuvent avoir accès à ces pièces, Olivier
de Maison Rouge notait :
Cela étant, à partir de cet accès privilégié, aucune disposition ne soumet ensuite les
parties au procès à une quelconque obligation de confidentialité portant sur les
éléments de preuve contenus et échangés dans le cadre de la procédure, quand bien
même ces actes et pièces seraient susceptibles de révéler des informations tenues
secrètes.408
Le détenteur se trouve donc dans une situation complexe : le procès peut porter
atteinte à son secret d’affaires car la partie adverse peut en demander la communication
et en prendre librement connaissance. Comme le note Florence G’Sell409, le secret
d’affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle aux mesures d’instruction410 et un
intérêt légitime suffit donc à obtenir la communication de ces informations (et il
appartiendra alors au détenteur du secret de prouver qu’il s’agit d’une manœuvre
déloyale)411. Des limites, même avant la directive, à l’accès abusif aux secrets d’affaires
pouvaient être relevées. En effet, les mesures d’instructions ont déjà été refusées par le
407 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°183, p. 107.
408 Ibid., p. 109-110.
409 F. G’SELL, préc., note 49, p.97-98.
410 Cass. 2e civ., 7 janv. 1999, n°95-21.934, Bull. civ. II, n°4 ; BJS 1999, n°6, p.666, note F.-X. Lucas.
411 Cass. com. 10 févr. 2015, n°14-11.909 ; Cass. 1re civ. 3 nov. 2016, n°15-20.495; JCP G 2017, 105, note
E. Jeuland ; Cass. com., 16 déc. 2008, n°10-19.777, Bull. civ. IV, n°206 ; D. 2009, P. 163, obs. V. Avena-
Robardet et p. 784, obs. J. Lasserre-Capdeville ; Cass. soc. 19 déc. 2012, n°10-20.526, Bull. IV, n°2711;
JCP S 2013, 1222 ; Gaz. Pal. 25 mai 2013, chron, p. 26.
91
passé, notamment, si cela mettait inévitablement le demandeur en possession du secret de
fabrication412. De plus, récemment, la Cour de cassation a rappelé qu’il faut que le « juge
s’assure, avant de donner droit à la demande qui lui est faite, qu’il n’existe pas d’autre
mesure plus appropriée »413. S’il y avait donc déjà une certaine limitation des atteintes au
secret d’affaires par les mesures in futurum, il convient de noter que la pratique s’éloigne
parfois de la théorie :
Mais le plus souvent, les tribunaux acceptent d’ordonner la communication tout en
cherchant à en évaluer les conséquences, de manière à faire en sorte que l’éventuelle
atteinte au secret des affaires soit proportionnée. Le juge veille, à cette fin, à limiter la
divulgation aux seules informations directement en relation avec le litige et exclut toute
investigation trop générale.414
Le but est donc d’endiguer les fishing expeditions (par les entreprises françaises
ou étrangères)415 et les procès effectués dans le seul but d’obtenir le secret d’affaires au
détriment des droits de son détenteur. Une autre distinction avec les droits de la propriété
intellectuelle ressort donc : en raison de la fragilité du secret d’affaires, sa simple
divulgation à la partie adverse peut engendrer sa fin. Florence G’Sell proposait d’ailleurs,
lors des débats sur la transposition de la directive en France, une protection sur le mode
de celui de la saisie-contrefaçon (en matière de propriété intellectuelle) afin d’offrir une
protection plus forte que celle de l’article 145 du CPC : l’article L. 716-7-1, alinéa 2nd du
CPI permet de s’opposer à la saisie contrefaçon en invoquant un « empêchement
légitime ».
La directive, reprise par le texte de la commission mixte paritaire permet donc de
prévoir des mesures, spécifiques à la protection du secret d’affaires, améliorant sa
protection avant le procès. Précisons dès maintenant que, selon certains, du fait qu’il ne
s’appliquerait pas hors instance, l’article 9 de la directive n’apporterait pas de
modifications aux principes dégagés par l’article 145 du CPC416. Cette disposition est
néanmoins essentielle car l’article 9.1 fait figure de principe en affirmant que le juge doit
412 Cass. 2e civ. 14 mars 1984, n°82-16.876, Bull. civ. II, n°49.
413 Cass. 1re civ., 22 juin 2017, n° 15-27.845 ; D. 2017. 1370 ; Dalloz IP/IT 2017. 543, obs. O. de Maison
Rouge ; RTD civ. 2017. 661, obs. H. Barbier ; LEDA sept. 2017, p. 1, note C. Béguin-Faynel ; D. 2017.
2444, obs. Y. Serra.
414 F. G’SELL, préc., note 49, p. 98.
415 Ibid., p. 102.
416 Ibid., p. 112 ; Jean-Daniel BRETZNER, « Chronique droit de la preuve », D. 2016, p. 2535.
92
faire en sorte que toute personne « participant à une procédure judiciaire relative à
l'obtention, l'utilisation ou la divulgation illicite d'un secret d'affaires, ou ayant accès à
des documents faisant partie d'une telle procédure, ne soient pas autorisés à utiliser ou
divulguer un secret d'affaires ou un secret d'affaires allégué ». Même si cela ne modifierait
pas nécessairement la jurisprudence relative à l’article 145 CPC, les apports de cette
disposition sont multiples : le secret en question peut être celui identifié par une partie ou
par le juge (ce qui peut faciliter la charge de la preuve) et, surtout, on vient réaffirmer que
le procès ne met pas fin à l’obligation de confidentialité417. Ces éléments permettent
d’améliorer la protection du secret d’affaires lors des procès civils et de mettre fin à des
situations que Jean-Christophe Galloux décrivait comme suit :
Lorsqu’un litige concerne une information secrète, celle-ci doit être intégralement
communiquée à l’adversaire et les secrets d’affaires ne font pas partie des exceptions
justifiant que les audiences se tiennent en chambre de conseil418, ce qui est de nature à
dissuader les entreprises d’agir en justice pour obtenir réparation.419
Un élément essentiel de la directive dans ce cadre est l’instauration de mesures
provisoires et conservatoires spécifiques au secret (et ne relevant donc plus du droit
commun de la concurrence déloyale) semblant se rapprocher de celles prévues en matière
de propriété industrielle. L’article 10 de la directive prévoit ainsi des mesures provisoires
et conservatoires420 et l’article 11 prévoit quant à lui des mesures de sauvegarde pour
assurer la proportionnalité des mesures de l’article 10. Le texte de la Commission mixte
paritaire prévoit la transposition de telles mesures à l’article L. 152-3 du Code de
commerce421. Il est également intéressant de noter que de telles mesures pourront être
417 F. G’SELL, préc., note 49, p. 113.
418 Infra., p. 92.
419 J.-C. GALLOUX, préc., note 11.
420 Dir. n°2016/943, art. 10 : « 1. […] a) la cessation ou, selon le cas, l'interdiction de l'utilisation ou de la
divulgation du secret d'affaires à titre provisoire; b) l'interdiction de produire, d'offrir, de mettre sur le
marché ou d'utiliser des biens en infraction, ou d'importer, d'exporter ou de stocker des biens en infraction
à ces fins; c) la saisie ou la remise des biens soupçonnés d'être en infraction, y compris de produits importés,
de façon à empêcher leur entrée ou leur circulation sur le marché… »
421 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc., note 8, C. com., art. L. 152-3,
I : « Dans le cadre d’une action relative à la prévention ou la cessation d’une atteinte à un secret des affaires,
la juridiction peut, sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, prescrire, y compris sous astreinte,
toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte. Elle peut notamment
: 1° Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires
; 2° Interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits résultant
de manière significative de l’atteinte au secret des affaires ou l’importation, l’exportation ou le stockage de
tels produits à ces fins ; 3° Ordonner la destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau,
93
prises en référé par le juge422. Les mesures prévues sont fortement similaires à celles
prévues pour empêcher l’atteinte aux droits de propriété industrielle423. Celles-ci
semblent donc avoir inspiré les mesures de protection prévues pour les secrets d’affaires.
A cet effet, Jean-Christophe Galloux424 relève d’ailleurs que, comme pour les mesures
provisoires et conservatoires disponibles en matière de contrefaçon, le détenteur du secret
ayant demandé les mesures conservatoires doit respecter un délai raisonnable pour
décider de procéder ou non à une action au fond425.
Toutes ces mesures envisagées en France depuis la directive permettent donc de
penser que le secret d’affaires sera désormais mieux protégé pendant la phase préparatoire
du procès judiciaire. A cet effet, nul doute que l’inspiration tirée des mesures prévues par
le droit de la propriété intellectuelle en cas de contrefaçon semblent avoir joué un rôle
déterminant.
Au Québec, l’injonction peut également constituer un apport essentiel pour
défendre le secret. En raison de l’obligation de confidentialité (légale et contractuelle),
des injonctions interlocutoire et provisoire peuvent être demandées et elles se révèlent
utiles en matière de secret de commerce (contrairement à l’injonction permanente426
comme il le sera expliqué par la suite427) si certaines conditions sont remplies. Le recours
en injonction est permis en vertu des articles 751 et suivants du Code de procédure civile
de Québec.
Cependant, force est de constater que la divulgation d’une information confidentielle
ou secret de commerce fait automatiquement perdre le statut de « secret » ou de
« confidentiel » à cette information. Malgré cela, les injonctions provisoire,
interlocutoire et permanente demeurent un excellent moyen de limiter les « dégâts »
ou encore de les prévenir si l’on peut agir assez rapidement.428
substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être déduit ou, selon
le cas, ordonner leur remise totale ou partielle au demandeur ».
422 C. com. art. L. 152-4.
423 C. propr. intell., art. L. 521-6 (pour les dessins et modèles), L. 615-3 (pour les brevets d’invention), L.
716-6 (pour les marques de fabrique).
424 J.-C. GALLOUX, préc., note 11.
425 Dir. art. 11, 3. a).
426 G. BEAUREGARD, préc., note 3, p. 46-47.
427 Infra., p. 102 et s.
428 A. STEELE, préc., note 22, p.139-140
94
Tout l’enjeu est celui de la rapidité, comme il le sera expliqué par la suite
relativement aux injonctions permanentes, pour éviter la propagation du secret. Il est
arrivé que le juge émette des ordonnances de sauvegarde (aussi appelées ordonnances de
type « Anton Piller ») pour conserver les éléments en possession de la partie adverse
pouvant constituer une atteinte au secret de commerce429.
Ainsi, comme l’explique Gaëlle Beauregard430, le détenteur du secret de
commerce doit prouver qu’il existe une question sérieuse à trancher, que la divulgation
du secret causerait un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients
penche en sa faveur431. Comme les décisions citées le soulignent432, le fait que le secret
de commerce (s’agissant ici de recettes) soit considéré comme banal ou connu du grand
public s’oppose à l’attribution d’une injonction faisant cesser l’exploitation du secret ou
la rupture de la confidentialité par l’autre partie. La « banalité » d’un secret d’affaires
s’oppose à une telle protection car cela signifie qu’il est facilement reproductible.
L’attribution d’un droit de propriété intellectuelle aurait ici permis d’assurer l’accès à
l’injonction du simple fait de l’existence du titre, à condition de prouver la probabilité
d’une contrefaçon.
De plus, si, dans la décision GSI Environnement433, le juge accorde une injonction
interlocutoire à la société détenant le secret de commerce, il rappelle qu’il s’agit d’une
mesure d’exception :
L'ordonnance d'injonction interlocutoire provisoire est une mesure extraordinaire, à
laquelle on devrait recourir que dans des circonstances exceptionnelles et en cas
d'extrême urgence. À la face même de la demande, le juge doit pouvoir conclure que
celle-ci rencontre a priori toutes les exigences liées à l'injonction interlocutoire, telles
que l'apparence de droit et le préjudice irréparable, en plus de présenter une urgence
telle que, sans l'émission immédiate d'un ordre du Tribunal, les demandeurs
risqueraient de subir, d'ici la date de présentation au stade interlocutoire, un dommage
irréparable.434
429 V. not. Nstein Technologies Inc. c. Chauvet, J.E. 2008-1763 (C.S. Qué.) ; Task-MicroElectronics Inc.
c. Bilkhu, 2008 QCCS 5305, J.E. 2009-818 (C.S. Qué.).
430 G. BEAUREGARD, préc., note 3, p. 46.
431 V. not. Laliberté & Associés inc. c. Sœurs de Ste-Jeanne d’Arc, J.E. 2000-81, REJB 1999-16087 (CS),
par. 62-64 ; 9080-5052 Québec inc. c. Thailyn, J.E. 2003-728, REJB 2003-39583 (CS), par. 45.
432 Ibid.
433 GSI Environnement inc. c. Potvin, 16 janvier 2006, EYB 2006-100277 (C.S.)
434 Ibid., par. 7.
95
Cette injonction paraît donc complexe à obtenir et le fait qu’il existe une
présomption de bonne foi au profit de l’employé étant tenu par une clause de
confidentialité après avoir quitté l’entreprise435 ne facilite pas l’accès à une telle
protection.
En somme, le fait que la protection du secret d’affaires, en France et au Québec,
par des mesures provisoires ne soit pas aussi systématique que celles afférent au droit de
la propriété intellectuelle montre bien la distinction avec cette dernière catégorie de droits.
Pour autant, le fait que les mesures prévues par la directive s’inspirent des mesures prises
contre la contrefaçon constituent une avancée, même s’il faudra attendre l’entrée en
vigueur de la loi de transposition pour constater l’existence de réels changements en
pratique. La protection du secret de commerce au cours du procès est également
nécessaire à la confiance des entreprises, et la directive constitue de nouveau un apport.
b) Les précautions pendant le procès
Le secret, une fois révélé, n’est plus protégé436. Le traitement du secret d’affaires
pendant le procès, son audience et sa publicité sont également des éléments dissuadant
depuis longtemps bon nombre d’entreprises d’avoir recours au juge judiciaire. En effet,
en France, comme le présente Olivier de Maison Rouge437, l’audience est en principe
publique438 et, même s’il est possible de tenir l’audience en chambre de conseil, cela ne
peut avoir lieu que sur demande de toutes les parties : le juge peut décider par lui-même
qu’il en sera ainsi seulement quand il est question d’atteinte à la vie privée439. Par
conséquent, si une partie s’y oppose, l’audience ne peut être tenue en chambre de conseil.
Ce même auteur proposait d’ailleurs déjà à l’époque d’étendre, comme cela est le cas en
matière de propriété industrielle440, la possibilité pour le juge de choisir, d’office, de tenir
l’audience en chambre de conseil441.
435 Laboratoires Constant inc. c. Beauchamp, 1997 CanLII 10161 (QC CA)
436 Conception S.N. Vena Inc. c. DIT Équipements Inc., préc., note 149, par. 63.
437 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°194, p. 110-111.
438 C. proc. civ., art. 433.
439 C. proc. civ., art. 435.
440 C. propr. intell. art. L. 612-10, L. 613-9, L. 613-20, R. 623-37, R. 613-42, L. 615-21, R. 615-22.
441 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°194, p. 111.
96
L’objectif est donc d’éviter que des tiers au procès n’assistent à l’audience et
n’acquièrent le secret d’affaires car toutes les précautions prises par l’entreprise auraient
alors été inutiles. Le fait de tenir l’audience en chambre de conseil permettrait alors de
diminuer le risque de divulgation. Cependant, malgré cette audience à l’abri des regards
indiscrets, le jugement est rendu public, par principe, en France442. Comme le note de
nouveau l’auteur443, la seule exception à cette règle est l’article 452, alinéa 2 du CPC444
mais cette disposition existe davantage pour procurer une économie de temps à l’audience
que pour protéger le secret d’affaires : la seule solution est d’insister auprès du juge sur
l’importance de l’information afin qu’il en tienne compte car aucun recours n’existe à
l’encontre de publications de jugements divulguant un secret d’affaires.
In fine, […] les normes régissant le procès en droit français ne permettent pas d’obtenir
satisfaction quant au maintien de la confidentialité autour des secrets d’affaires.
C’est pourquoi, si l’enjeu économique est conséquent, et sauf sanction pénale, à
condition que cela ait été contractuellement prévu ou que les parties en conviennent
ultérieurement, il conviendra de privilégier la procédure d’arbitrage qui, si cela a un
coût, préserve néanmoins beaucoup plus efficacement la confidentialité, tout en étant
de surcroît plus rapide.445
Ainsi, s’il était possible de faire ces remarques et que certains affirmaient que
seule « une réforme de l’ensemble de la procédure applicable devant les juridictions
civiles et commerciales paraît de nature à assurer une protection efficace du secret des
affaires devant l’instance »446, l’Union européenne semble avoir entendu le message qui,
de toute évidence, ne provenait pas que de la France. En effet, l’article 9. 2 de la directive
2016/943 prévoit que les Etats devront désormais mettre en place des dispositions afin
d’assurer la protection du secret d’affaires devant les instances judiciaires. Les mesures
devant être intégrées a minima sont au nombre de trois : limiter l’accès aux documents
contenant un secret d’affaires avéré ou allégué (et donc, par conséquent, dès le début de
l’instance) (article 9. 2. a), limiter l’accès à l’audience, aux procès-verbaux et aux notes
d’audience lorsque le secret d’affaires est susceptible d’être dévoilé (article 9. 2. b), et,
finalement, les décisions verront par principe leurs passages relatifs aux secrets d’affaires
supprimés ou biffés (sauf pour les personnes autorisées à accéder aux informations
442 C. proc. civ., art. 452, 453, 454, 455.
443 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°197-198, p. 112.
444 C. proc. civ., art. 452, al. 2nd : « Le prononcé peut se limiter au dispositif ».
445 O. DE MAISON ROUGE, préc., note 41, n°199, p. 113.
446 F. G’SELL, préc., note 49, p. 108.
97
confidentielles) (article 9. 2. c). Il est également important de préciser que ce même article
prévoit que le juge sera compétent, d’office, pour prendre de telles mesures et il ne sera
donc pas tenu par le refus d’une des parties s’il en décide ainsi.
Au regard des éléments présentés, le régime du secret d’affaires semble aller au-
delà de celui des droits de propriété industrielle au cours du procès : les mesures sont
renforcées et le juge a la compétence pour les prendre d’office. La confidentialité n’est
généralement pas un enjeu aussi majeur pour les droits de la propriété industrielle car les
biens en question ont déjà fait l’objet d’une publicité, contrairement au secret d’affaires.
Les instances judiciaires ont donc désormais plus de pouvoirs pour protéger ce dernier en
évitant sa divulgation au cours de l’instance et, par conséquent, sa perte.
Les mesures dans la directive sont supposées être transposées à l’article L. 153-1
du C. com.447 De plus, la transposition française prévoit, à l’article L. 153-2 du même
code, que les personnes ayant eu accès au secret d’affaires au cours de la procédure, et si
celui-ci n’a pas perdu cette qualité ou qu’il n’est pas devenu aisément accessible, sont
tenus par une obligation légale de confidentialité448. Cette disposition ajoute une valeur
dissuasive car la confidentialité semble donc certaine au cours du procès judiciaire
désormais dès le moment où le juge prend conscience de l’existence d’un secret d’affaires
pouvant subir une atteinte. L’article L. 152-7 C. com. obligerait à prendre les précautions
nécessaires quant à la publicité du jugement pour éviter qu’il ne dévoile le secret
d’affaires449.
De plus, l’article L. 152-8 du C. com. prévoirait des sanctions dissuasives pour les
individus agissant de manière dilatoire ou abusive450. Cela complique donc la tâche des
entreprises désirant se livrer à des fishing expeditions que ce soit lors de la préparation de
l’instance ou au cours de celle-ci. La protection du secret d’affaires semble donc devenir,
plus que jamais, la seule raison d’avoir recours à la procédure devant une instance civile
447 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc., note 8, C. com. art. L. 153-1.
448 Ibid.
449 Ibid.
450 « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires », préc., note 8, C. com. art. L. 152-8 :
« Toute personne physique ou morale qui agit de manière dilatoire ou abusive sur le fondement du présent
chapitre peut être condamnée au paiement d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 20
% du montant de la demande de dommages et intérêts. En l’absence de demande de dommages et intérêts,
le montant de l’amende civile ne peut excéder 60 000 € ».
98
Ces mesures sont essentielles et vont dans un sens du renforcement indéniable du
secret d’affaires en France en s’inspirant du droit de la propriété intellectuelle. Le Québec
n’a aujourd’hui pas prévu de mesures particulières pour les secrets d’affaires et donc les
mesures habituellement applicables en cas de concurrence déloyale sont mises à
disposition de celui alléguant une atteinte à son secret de commerce.
Au Québec, même si de telles évolutions ne semblent pas avoir lieu à l’heure
actuelle, les tribunaux sont tout de même en mesure d’émettre des ordonnances de
confidentialité pour protéger les informations confidentielles pendant la durée du litige.
Ce fut notamment le cas dans l’affaire Nstein451 : en raison de leur nature fragile, le
tribunal émit une telle ordonnance afin de préserver la confidentialité des informations
obtenues par le biais d’une ordonnance de type Anton Piller. Pourtant, comme
l’expliquent Sébastien Jetté et Judith Robinson452, « les tribunaux ont eu des attitudes très
peu constantes en matière d’ordonnance de confidentialité »453. La délivrance d’une
ordonnance semble donc dépendre, naturellement, des circonstances de l’espèce, mais
également de la volonté du juge (celui-ci allant, par moments, jusqu’à qualifier
l’ordonnances de confidentialité d’ « encombrante » et « perverse »454). Néanmoins, il
demeure reconnu que le détenteur d’informations confidentielles a le droit d’obtenir le
maintien de ce caractère secret devant les instances judiciaires. A cet effet, Sébastien Jetté
et Judith Robinson455 rappellent que la Cour d’appel du Québec456 a affirmé que le
détenteur d’un secret de commerce a le droit de se présenter devant un tribunal judiciaire
sans s’exposer à la perte de cette information (un risque de préjudice suffit alors à obtenir
une ordonnance) et que la Cour suprême du Canada457 a affirmé l’existence d’une règle
implicite de confidentialité pour les interrogatoires au préalable tenus en vertu du Code
451 Nstein Technologies Inc. c. Chauvet, préc., note 428.
452 S. JETTE ET J. ROBINSON, préc., note 26, p. 27-30.
453 Ibid., p. 27.
454 Merck & Co., Inc. c. Canada (Minister of Health), 1997 CanLII 5387 (CF) : « L'intimée, Nu-Pharm Inc.
(ci-après, parfois, Nu-Pharm), demande à la Cour de rendre l'habituelle, l'encombrante et la judiciairement
antipathique "ordonnance conservatoire", aussi appelée "ordonnance de confidentialité" ».
455 S. JETTE ET J. ROBINSON, préc., note 26, p. 30.
456 Audisoft Technologies Inc. c. Vizvocus Technologies Inc., [2001] J.Q. no 6212 en ligne: QuickLaw
(C.A.).
457 Lac d’amiante du Québec c. 2858-0702 Québec Inc., [2001] 2 R.C.S. 743.
99
de procédure civil. Au Québec, l’ordonnance de confidentialité est donc possible, mais
ne répond pas aux mêmes règles qu’en France :
En droit civil québécois, la problématique des secrets de commerce dans un contexte
judiciaire est […] souvent réglée en pratique en référence à la règle selon laquelle une
preuve doit être déclarée inadmissible si sa pertinence est faible et qu’elle est
susceptible de causer un préjudice substantiel (art. 2857 C.c.Q.). Autre difficulté, plus
technique, suivant cette méthode, la partie adverse doit établir la pertinence d’une
information dont elle ne connaît pas le contenu. Tenant compte de cette difficulté, la
Cour d’appel a permis que le juge du procès évalue la pertinence de la preuve ex parte,
en soulignant que, si elle devait autoriser la partie adverse à prendre connaissance de
l’information confidentielle, «il serait alors trop facile d’utiliser ce moyen pour obtenir
le contenu de tout document»458. Lorsque le cas s’y prête, le tribunal peut aussi
ordonner le huis clos complet ou partiel.
Le secret de commerce semble donc avoir vu son régime subir l’influence des
droits de la propriété intellectuelle : depuis la directive n°2016/943, il acquiert un régime
spécifique de protection au cours des instances judiciaires, que ce soit pendant l’instance
ou avant celle-ci. Nous comprenons donc mieux les affirmations avançant que le droit du
secret d’affaires deviendrait un nouveau droit de la propriété intellectuelle459. Si nous
avons déjà réfuté cette affirmation, il est vrai que certains éléments relatifs aux mesures
au fond de l’instance permettent également de penser à un rapprochement avec cette
catégorie de droits.
ii) Les mesures de réparation de l’atteinte
Il convient de préciser que le but de l’instance judiciaire n’est pas de sanctionner
l’atteinte au secret d’affaires mais de réparer le tort commis460. Notons dès à présent que
le fait pour la directive de prévoir un certain nombre de mesures pouvant être prises pour
remédier à l’atteinte à l’issu du procès461, insérées par le texte de la Commission mixte
paritaire à l’article L. 152-3 C. com., rapprochent de nouveau le régime de protection du
458 Lab Chrysotile Inc. c. Société Asbestos Ltée, [1993] R.D.J. 641 (C.A.).
459 V. not. R. MILCHIOR ET V. FOURGOUX, préc., note 10 ; F. MEURIS-GUERRERO, préc., note 34.
460 J.-C GALLOUX, préc., note 11.
461 Dir. n°2016/943, art. 13 : « a) la cessation ou, selon le cas, l'interdiction de l'utilisation ou de la
divulgation du secret d'affaires; b) l'interdiction de produire, d'offrir, de mettre sur le marché ou d'utiliser
des produits en infraction, ou d'importer, d'exporter ou de stocker des produits en infraction à ces fins; c)
l'adoption de mesures correctives appropriées en ce qui concerne les biens en infraction; d) la destruction
de tout ou partie de tout document, objet, matériau, substance ou fichier électronique qui contient ou
matérialise le secret d'affaires ou, selon le cas, la remise au demandeur de tout ou partie de ces documents,
objets, matériaux, substances ou fichiers électroniques ».
100
secret d’affaires de celui de la contrefaçon en France462. Tout comme au Québec, deux
mesures sont fréquentes : la compensation financière, tout naturellement, et l’injonction
permanente de cessation de l’acte illicite. Si la réparation du préjudice est souvent
privilégiée, notamment en raison de la quasi-systématicité de la clause pénale (a), la
demande de d’injonction permanente n’est pas toujours aussi concluante (b).
a) La compensation financière : le règne de la clause pénale
La clause pénale se définit comme « une clause par laquelle les parties évaluent à
l’avance le montant de l’indemnité compensatoire à payer par le débiteur qui ne respecte
pas son obligation de confidentialité »463. Une telle clause est fréquemment insérée dans
les contrats afférents au secret d’affaires, que ce soit en France, au Québec ou dans de
nombreux autres pays, en raison de son efficacité. En effet, en plus d’être dissuasive car
prévoyant des montants importants à payer en cas d’irrespect de l’obligation de
confidentialité imposée au cocontractant, une telle clause a l’avantage, pour le détenteur
du secret d’affaires, de permettre à ce dernier de ne pas avoir à prouver le dommage
devant le juge, qui n’aura quant à lui pas besoin d’évaluer le dommage464.
Certes, la clause pénale ne saurait être réduite à une peine contractuelle. Elle est aussi,
et c'est même sa fonction essentielle lorsque l'inexécution illicite de l'obligation
garantie engendre un préjudice pour le créancier, une clause qui fixe les dommages-
intérêts dus par le débiteur. Elle substitue une évaluation conventionnelle de la
réparation à l'évaluation judiciaire et, par conséquent, écarte l'intervention du juge dans
la détermination du montant des dommages-intérêts destinés à compenser le
préjudice.465
Ce montant forfaitaire prévu par les parties constitue donc une excellente méthode
de prévention de l’atteinte à la confidentialité car le créancier de cette obligation fait
souvent face à des montants le dissuadant de communiquer ou de faire usage du secret
d’affaires sans autorisation. Cependant, si l’employé a causé cette divulgation par
inadvertance, le juge pourra donc diminuer le montant prévu dans cette clause ou préférer
accorder des dommages et intérêts qu’il estimera plus justes.
462 V. not. C. propr. intell., art. L. 332-1 à L. 332-4 (droit d’auteur et droits voisins), L. 521-6 (dessins
industriels), L. 615-3 (brevets d’inventions), L. 722-3 (marques).
463 V. KARIM, préc., note 326, n°2107, p. 798.
464 Ibid., p. 798.
465 Denis MAZEAUD, « Les clauses pénales en droit du travail », Droit social, 1994, p. 343, n°9.
101
Cependant, et surtout dans le cadre de la position de force dont dispose l’entreprise
face à son employé, la clause pénale ne doit pas être excessive (en France) ou
déraisonnable (au Québec). En France, cette règle est désormais fixée à l’article 1231-5
du C. civ.466. En matière de droit du travail, la jurisprudence n’apprécie pas la clause
objectivement mais subjectivement : « l'excès ou l'absence d'excès manifeste de la peine
sont déduits de la situation économique et professionnelle du débiteur, de sa bonne ou
mauvaise foi, de l'importance de sa faute, de l'importance de l'atteinte portée par
la clause pénale à la liberté du licenciement, de l'existence d'autres indemnités perçues
par le salarié à l'occasion de la rupture du contrat de travail, etc. »467. Au Québec, comme
l’explique Vincent Karim468, la clause pénale ne doit pas être considérées comme
« déraisonnable » au regard de l’article 1623 du C.c.Q.469 ou de l’article 1437 du même
code470 : le juge pourra alors modifier le montant ou déclarer la clause pénale nulle. Dans
ce dernier cas, le détenteur du secret d’affaires pourra toujours demander des dommages
et intérêts sur le fondement de l’article 1612 du C.c.Q.
Il est également essentiel que la clause pénale soit présente directement dans le
contrat avec la personne à qui elle est opposée. Cela signifie donc que la clause pénale ne
peut simplement figurer dans le règlement intérieur de l’entreprise, mais doit être
consentie par chaque employé : « puisqu'elle s'applique à des tiers qui n'ont pas donné
leur consentement à sa création, la convention collective n'est guère compatible avec la
stipulation d'une clause pénale qui suppose, pour prospérer, un véritable contrat et, en
466 C. civ., art. 1231-5 : « Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine
somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est
manifestement excessive ou dérisoire… »
467 D. MAZEAUD, préc., note 464, n°47.
468 V. KARIM, préc., note 326, n°2107, p. 798-799.
469 C.c.Q, art. 1612 : « Le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant de la peine stipulée
sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi.
Cependant, le montant de la peine stipulée peut être réduit si l’exécution partielle de l’obligation a profité
au créancier ou si la clause est abusive ».
470 C.c.Q, art. 1437 : « La clause abusive d’un contrat de consommation ou d’adhésion est nulle ou
l’obligation qui en découle, réductible.
Est abusive toute clause qui désavantage le consommateur ou l’adhérent d’une manière excessive et
déraisonnable, allant ainsi à l’encontre de ce qu’exige la bonne foi; est abusive, notamment, la clause si
éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu’elle
dénature celui-ci ».
102
particulier, le consentement préalable du débiteur à qui elle s'applique »471. Cela vaut tant
en France qu’au Québec.
De plus, le juge québécois a dû se questionner sur un autre enjeu : savoir s’il était
possible d’appliquer une telle clause à un tiers connaissant l’existence de la clause de
confidentialité mais ayant sciemment aidé le débiteur de la clause pénale à y porter
atteinte472. Si la cour d’appel du Québec s’est opposée à une telle possibilité en raison du
principe de la relativité des contrats, certains notent que l’opinion du juge dissident
pourrait amener à une évolution jurisprudentielle : « (i)l est temps […] de déroger au
principe de la relativité du contrat lorsque les circonstances le justifient »473.
La clause pénale est donc un instrument efficace et, même si sa portée ne doit pas
être excessive, son effet dissuasif semble avéré. Si elle est extrêmement fréquente en
pratique, une telle clause n’est pas nécessairement prévue par le détenteur du secret de
commerce. Elle peut également être considérée comme déraisonnable. Dans ces deux cas,
il est possible d’obtenir l’attribution de dommages et intérêts auprès du juge judiciaire.
En France, désormais, la directive prévoit le principe de la réparation intégrale du
dommage474. Il est également intéressant de noter que la directive prévoit la possibilité
pour le juge de réduire les dommages et intérêts accordés à l’employeur dans le cas où
l’employé aurait inintentionnellement porté atteinte au secret. Cette règle est ainsi reprise
par la proposition de loi de la Commission mixte paritaire qui prévoit son intégration à
l’article L. 152-6 du C. com.
La règle de la réparation intégrale du préjudice subi par la victime de l’atteinte au secret
des affaires est posée avec force : ce préjudice doit être intégralement réparé, dans
toutes ses composantes, le manque à gagner, la perte subie et le préjudice moral.475
Il convient donc de prendre en compte, non seulement le dommage subi par le
détenteur du secret mais également les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte et les
économies en recherche et développement réalisées. La somme peut donc être très élevée
et reprend, en quelque sorte, la théorie du tremplin : si le secret d’affaires a permis, sans
471 D. MAZEAUD, préc., note 464, n°15.
472 Dostie c. Sabourin, AZ-50071094, J.E. 2000-712, [2000] RJQ 1026, [2000] RRA 321 (CA).
473 V. KARIM, préc., note 326, n°2108, p. 799.
474 Dir. n°2016/943, art. 14.
475 X. DELPECH, préc., note 365.
103
autorisation ou au détriment de son titulaire, de propulser le concurrent vers des résultats
commerciaux plus concluants, il convient de rétablir l’équilibre de la situation. Les
sommes pouvant être élevées et parfois complexes à calculer (notamment quant au
préjudice moral subi), le juge peut être autorisé à accorder un montant forfaitaire en tenant
compte de ce qui aurait dû être payé à la partie lésée476.
Il est donc possible de penser à un certain rapprochement avec les dispositions
relatives aux dommages et intérêts en matière de propriété industrielle et il est fort
possible que celles-ci aient, d’ailleurs, inspiré les législateurs européen et français comme
pour le reste des questions de protection du secret d’affaires devant les instances
judiciaires. Néanmoins, Jean-Christophe Galloux note la différence de logique entre ces
deux types de protection, découlant encore une fois de leurs natures distinctes :
Dans son exposé des motifs, la Commission exclut expressément tout dommage et
intérêt punitif ce qui est assez logique : imaginerait-on la violation d'une information
non appropriée mieux indemnisée qu'une information protégée par un droit de
propriété intellectuelle ?477
Les mesures de réparation suivent une logique tout à fait similaire au Québec. Il
faut d’ailleurs rappeler que l’un des deux seuls articles du Code civil du Québec (avec
l’article 1472) est relatif à la réparation du dommage subi par l’atteinte au secret de
commerce478. Il a donc été question de savoir comment articuler cet article avec les
dispositions générales relatives à la réparation d’un dommage. Comme la doctrine le
précise, cet article ne doit pas être interprété de « manière limitative », ces éléments ne
doivent pas être les seuls pris en compte pour le calcul des dommages. « Contrairement à
l’avis de certains, cet article n’est pas limitatif, compte tenu de l’article 1612 C.c.Q. ne
fait qu’ajouter des précisions nécessaires à l’évaluation du préjudice en matière
commerciale »479. Cet article amène donc deux précisions. Néanmoins, il ne semble avoir
476 C. com., art. L. 152-6, in fine : « La juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie
lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tient notamment compte des droits
qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires en
question. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».
477 J.-C. GALLOUX, préc., note 11.
478 C.c.Q., art. 1612 : « En matière de secret commercial, la perte que subit le propriétaire du secret
comprend le coût des investissements faits pour son acquisition, sa mise au point et son exploitation; le
gain dont il est privé peut être indemnisé sous forme de redevances ».
479 V. KARIM, préc., note 326, n°2098, p. 795 ; C. BOUCHARD, préc., note 97, n°222, p. 216 ; E.
COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 33 ; S. JETTE ET J. ROBINSON, préc., note
26, p. 19-20.
104
été appliqué qu’une seule fois à ce jour480. Alexandra Steele précise que l’action en
dommages peut également être fondée sur les articles 1458 C.c.Q. quand il existe une
obligation contractuelle de confidentialité et 1457 C.c.Q quand celle-ci n’existe pas481.
La question est donc de savoir comment calculer le dommage par application de
la théorie du tremplin et la réponse ne semble pas aisée. « Chaque juge exprime à sa façon
les dommages qu’il octroie en compensation de la concurrence déloyale suite à
l’application de la théorie du tremplin »482. Originellement, le calcul des dommages dans
la décision FBI Foods483 était le suivant :
Une fois le lien de causalité entre la perte des clients de la partie demanderesse et les
profits réalisés par la partie défenderesse établi, alors la perte de profit correspond à
appliquer le pourcentage de la marge bénéficiaire de la partie demanderesse aux ventes
réalisées par le défendeur […] La Cour rappelle que l’objectif est d’atteindre un résultat
généralement équitable. L’exactitude mathématique n’est pas possible et pas requise:
le tribunal doit faire de son mieux.484
Néanmoins, si la détermination des dommages à attribuer dépendra des cas, des
éléments demeurent constants : les dommages et intérêts correspondent à la perte de
profits subis pendant la durée de la confidentialité de l’information485 et donc le temps
que le concurrent aurait normalement pris pour mettre au point, lui-même, ce secret de
commerce486. Bien évidemment, s’il n’est pas possible de calculer le préjudice totalement,
le juge pourra accorder un montant forfaitaire487.
En somme, le principe de la réparation du préjudice est le même en France et au
Québec : les dommages et intérêts couvrent l’intégralité du préjudice subi et, si cela
semble se rapprocher des réparations accordées en matière de contrefaçons, les principes
de la propriété intellectuelle et du secret d’affaires demeurent distincts (notamment car le
480 Contrôle PC inc. c. DP Sys inc., préc., note 31, par. 72-73.
481 A. STEELE, préc., note 22, p. 140
482 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 34. Sur une étude cas par cas des
calculs appliqués par le juge : E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 34-37.
483 FBI Foods Ltd. c. Cadbury Schweppes Inc., préc., note 116, par. 94, 95, 99.
484 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 30.
485 C. BOUCHARD, préc., note 97, n°225, p. 220.
486 Santé naturelle Ltée c. Produits de nutrition Vitaform Inc., préc., note 98 ; Matrox Electronic Systems
Ltd. c. Gaudreau, (C.S.Q.), EYB 1993-742239 ; Montour Ltée c. Jolicoeur, préc., note 99 ; FBI Foods Ltd.
c. Cadbury Schweppes Inc., préc., note 116.
487 Santé naturelle Ltée c. Produits de nutrition Vitaform Inc., préc., note 98.
105
secret de commerce a perdu toute valeur commerciale à cause de sa divulgation par la
partie défenderesse). Cela se constate également relativement aux autres mesures pouvant
être prises au fond, et notamment la question de l’injonction permanente : si celle-ci est
prévue en matière de secret de commerce, son efficacité peut être mitigée.
b) Le difficile recours à l’injonction permanente
L’article 12.1 de la directive prévoit un certain nombre de mesures pouvant être
prises au fond en supplément de la réparation par des dommages et intérêts488. Ces
mesures permanentes imposées à celui ayant fait un usage non autorisé du secret
d’affaires sont reprises dans le texte de la Commission mixte paritaire qui prévoit de les
introduire à l’article L. 152-3 C. com. Les mesures pouvant être prises à l’issue d’une
injonction permanente sont donc les mêmes que celles résultant d’une injonction
interlocutoire ou conservatoire.
Il est donc, encore une fois, possible de noter un rapprochement des mesures de
protection en matière de propriété intellectuelle prises au fond à l’issue du procès489. Cela
constitue une avancée majeure en permettant, en plus de dédommager le titulaire du secret
d’affaires, de permettre la cessation de l’exploitation de ce dernier par l’entreprise y ayant
porté atteinte. Néanmoins, et c’est ce que la pratique démontre au Québec, il n’est pas
certain que le juge soit toujours en clin à donner droit à de telles mesures permanentes.
En effet, son utilité est avérée en matière de droit de la propriété industrielle car
l’exploitation non autorisée constitue un acte de contrefaçon du fait du monopole détenu
par le titulaire des droits. Il est donc légitime de demander la cessation de l’exploitation
du titre : seul le propriétaire peut en faire usage. Néanmoins, il n’existe pas de droit
privatif sur le secret d’affaires490. Si celui-ci est obtenu par un concurrent sans qu’il ne
488 Dir. n°2016/943, art. 12.1: « a) la cessation ou, selon le cas, l'interdiction de l'utilisation ou de la
divulgation du secret d'affaires;
b) l'interdiction de produire, d'offrir, de mettre sur le marché ou d'utiliser des produits en infraction, ou
d'importer, d'exporter ou de stocker des produits en infraction à ces fins;
c) l'adoption de mesures correctives appropriées en ce qui concerne les biens en infraction;
d) la destruction de tout ou partie de tout document, objet, matériau, substance ou fichier électronique qui
contient ou matérialise le secret d'affaires ou, selon le cas, la remise au demandeur de tout ou partie de ces
documents, objets, matériaux, substances ou fichiers électroniques ».
489 Préc., note 442.
490 J. PASSA, préc., note 18, p. 39.
106
porte atteinte aux mesures destinées à la protection du secret d’affaires (en raison d’une
maladresse ou d’un processus d’ingénierie inverse), il peut en faire usage à son gré.
Or, le problème majeur est relatif au fait que, lorsqu’un procès a lieu pour obtenir
la cessation d’une atteinte à un secret d’affaires, c’est bien souvent que ce dernier est
devenu connu au-delà de ce que le détenteur avait prévu. Le caractère « secret » (en ce
qu’il n’est pas généralement connu du public) n’existant parfois plus, l’injonction
permanente n’aurait aucune utilité : le mal est déjà fait. Le secret d’affaires pourrait perdre
sa qualité, étant devenu généralement connu, et il ne serait donc plus utile d’empêcher
son exploitation par autrui.
C’est ce qu’il est possible de prévoir au regard de la question de l’injonction
permanente en droit québécois : elle n’aurait que peu d’utilité en raison de l’ingénierie
inverse et les tribunaux préfèreraient donc accorder des dommages et intérêts
« correspondant à la perte de profits équivalent au temps qu’aurait pris le concurrent pour
développer lui-même sa propre recette »491. Ainsi, le juge se livre à une analyse qui lui
permet de tirer la conclusion suivante : il semblerait qu’il n’accorde l’injonction
permanente que dans le cas où le secret de commerce n’aurait pu être découvert autrement
que par une appropriation illicite de l’information confidentielle492. La question de la
banalité du secret de commerce revient donc au cœur de l’enjeu du recours. Ainsi, il faut
savoir si le juge considère que l’ingénierie inverse n’est pas possible493. Par conséquent,
comme le notent Jean Lemoine et Émilie Courchesne Tardif494, l’injonction ne sera pas
accordée si le juge estime que la reproduction de l’information protégée par le secret
d’affaires est trop aisée495 ou que l’action est trop tardive par rapport à la survenance des
faits496.
491 G. BEAUREGARD, préc., note 3, p. 46.
492 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 42.
493 Wrebbit inc. c. Benoît, 10 nov. 1998 (C.S.), REJB 1998-09100, notamment par. 313.
494 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 39-42.
495 Montour Ltée c. Jolicoeur, préc., note 99, par. 39 ; Nouveautés Camac Inc. c. Promotions Atlantiques
Inc., EYB 1994-73688 (C.S.), par. 41 ; Platt et al. v. Lange Canada Inc., préc., note 394.
496 9085-9638 Québec inc. c. Harvey, (C.S.), EYB 2006-109381, par. 81-82 ; Corporation scientifique
Claisse inc. c. Instruments Katanax inc., (C.A.), EYB 2006-111009 ; FBI Foods Ltd. c. Cadbury
Schweppes Inc., préc., note 116, par. 78.
107
En somme, contrairement à la propriété intellectuelle, il peut être compliqué de
démontrer que le secret d’affaires a besoin d’être protégé par une injonction permanente.
Mais, au regard des informations évoquées, la durée de l’injonction permanente, quand
celle-ci est accordée, semble être celle que l’entreprise aurait pris pour en arriver à la
découverte du secret d’affaires par elle-même.
Il s’agit, lorsque la sanction recherchée est une injonction pour que cesse la vente du
produit copié, de déterminer la durée que prendrait un entrepreneur autonome compte
tenu de son bagage de connaissances et de ses moyens financiers pour atteindre le
niveau atteint à l’aide de l’utilisation illicite de l’information ; cette durée correspondra
à la durée de l’injonction.497
De plus, un autre élément pouvant s’opposer au prononcé d’une injonction
permanente est la présence d’une entente de confidentialité. « En présence d’une clause
de confidentialité, la durée de l’ordonnance ne peut dépasser en principe la période
convenue contractuellement »498. L’action survient ainsi parfois bien après la fin de cette
période et les dommages et intérêts semblent donc être le seul remède. A partir de ce
constat, Jean Lemoine et Émilie Courchesne Tardif 499 relèvent que ces éléments
ressortent notamment des décisions Matrox500 et Laboratoires Constant501.
Il peut, en somme, être complexe de prouver au juge québécois la nécessité d’une
injonction permanente, et il est possible de penser que le juge français puisse adopter un
raisonnement similaire après l’entrée en vigueur de la loi de transposition : les dommages
et intérêts sont plus généralement accordés que les injonctions permanentes. Ce constat
n’étant pas le cas de la propriété intellectuelle, cela explique mieux la raison pour laquelle
certains militent pour la reconnaissance de droits de propriété intellectuelle sur des
éléments aujourd’hui protégés par le secret d’affaires (tels que les fragrances de parfums
par exemple). En effet, Gaëlle Beauregard se prononçait en ces mots sur la fragilité des
protections culinaires :
L’entreprise alimentaire industrielle et le chef gagnent à faire signer des ententes de
non-concurrence et de confidentialité s’ils veulent assurer le respect de leurs secrets.
Cela est un moyen éprouvé par les entreprises alimentaires et c’est celui qui permet
497 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p. 42.
498 Ibid., p. 44.
499 Ibid., 44-45.
500 Matrox Electronic Systems Ltd. c. Gaudreau, préc., note 486, par. 83.
501 Laboratoires Constant inc. c. Beauchamp, préc., note 435.
108
d’obtenir une injonction, même si elle ne peut être qu’interlocutoire dans les faits, étant
donné que les tribunaux ont préféré octroyer des dommages et intérêts.502
Cette citation résume bien le régime de protection du secret de commerce : même
si des éléments de sa protection devant le juge judiciaire permettent de constater des
inspirations par la protection accordée aux droits de la propriété intellectuelle (notamment
en France depuis la directive), la logique afférant à ces deux types de protections se
distingue fondamentalement. Cela engendre ainsi des conséquences sur les décisions et
la procédure judiciaires. De ce fait, et cela se constate par la pratique, le meilleur moyen
de protection du secret d’affaires demeure, encore aujourd’hui, le recours au contrat et
aux autres mesures permettant d’éviter une atteinte. Mieux vaut prévenir que guérir503.
502 G. BEAUREGARD, préc., note 3, p. 47.
503 E. COURCHESNE TARDIF ET J. LEMOINE, préc., note 37, p.48.
109
Conclusion
Comme cette étude l’a démontré, si la protection par le secret d’affaires est
théoriquement moins efficace que celle des droits de la propriété intellectuelle, la pratique
démontre que cela dépend des mesures préventives prises par le détenteur de celui-ci. Un
secret de commerce bien gardé est potentiellement perpétuel et inaccessible.
Les trois critères définissant le secret de commerce504 se retrouvent à travers les
pays, non seulement grâce à une harmonisation débutée par ADPIC, mais également car
ils décrivent la pratique : l’information est considérée comme secrète car pas
généralement connue (même si ce caractère est relatif), ce qui permet de lui conférer une
valeur commerciale et la volonté de le protéger ce qui explique que l’entreprise doit
prendre les mesures nécessaires pour protéger une telle information. Si les mesures sont
jugées insuffisantes c’est le signe que l’entreprise n’avait finalement pas conscience de
sa valeur ou qu’elle n’était pas prête à investir et croire en la réussite de sa création.
Il est donc ressorti, au travers de ces développements, que le secret d’affaires
dispose aujourd’hui d’un intérêt certain pour les entreprises, même si sa qualification
juridique reste quelque peu incertaine. En effet, il s’agit d’un outil de complément parfait
des droits de la propriété intellectuelle que l’entreprise peut mettre en œuvre afin
d’élaborer au mieux la protection de son patrimoine. Même si la directive n°2016/943 ne
crée pas un nouveau droit de propriété intellectuelle, le secret d’affaires étant trop écarté
des caractéristiques des autres droits de cette famille (en particulier la question de la
propriété sur cet actif informationnel), elle vient légitimer une pratique au cœur de la
stratégie de nombreuses entreprises.
Plus qu’un mur, la directive est une arme offerte aux entreprises à travers la crédibilité
au plan européen, des outils de rétorsion. Le mur, elles doivent le construire elles-
mêmes, c’est même une condition sine qua non de la protection, puisqu’un secret
d’affaires est défini en grande partie par la présence de moyens de protection
raisonnables de sa confidentialité.505
Il est néanmoins vrai que la directive crée un rapprochement, notamment
relativement à la procédure devant le juge, avec les autres droits de la propriété
504 ADPIC, art. 39. 2.
505 Constance LE GRIP, « La quête d’une protection efficace et respectueuse des droits fondamentaux :
l’équilibre retenu par le législateur européen », dans Jean LAPOUSTERLE (dir.), La protection des secrets
d’affaires: perspectives nationales et européennes : actes du colloque du 1er avril 2016, Palais du
Luxembourg, Paris, 2017, p. 87, à la p. 91.
110
intellectuelle : la protection et la préservation du secret est désormais renforcée par la
directive, au-delà des moyens de fait devant être mis en œuvre par les entreprises,
renforçant ainsi la confiance de ces dernières en l’usage de cet actif informationnel. Il
serait d’ailleurs intéressant, au travers d’une étude économique du droit et après une
transposition effectuée dans tous les pays de l’UE, d’observer si la directive a bel et bien
engendré une augmentation de l’usage du secret d’affaires et si cela aurait, par
conséquent, permis une progression de l’innovation.
Néanmoins, il convient de constater des taches d’ombre dans cette avancée
pourtant conséquente : s’il a été démontré que l’articulation entre la propriété
intellectuelle et le secret d’affaires constitue une stratégie majeure des entreprises, la
directive n’a pas apporté de précisions quant à cette question et d’autres enjeux. C’est
notamment ce que relève Jean-Christophe Galloux :
Le texte de la directive n’aborde ni la question de l’articulation des secrets d’affaires et
des droits de la propriété intellectuelle, voire leur éventuel cumul, ni l’articulation de
ce droit spécial et du droit de la concurrence déloyale (le droit commun de la
concurrence déloyale devrions nous dire). A notre sens, ce régime spécial devrait être
exclusif de l’application des deux autres, et en tout cas subsidiaire aux régimes de droit
privatif.506
Comme l’ajoutent Richard Milchior et Virginie Fourgoux, cette directive ne
semble donc pas être une fin en soi : « (u)n considérant de la directive507 fait apparaître
que l’évolution n’est peut-être pas terminée puisqu’il pourrait être nécessaire de procéder
à une harmonisation à tout le moins partielle du droit de la concurrence déloyale »508. En
attendant le prochain volet de ce parcours, le texte élaboré par la Commission mixte
paritaire du Parlement français a permis de consacrer ce régime en France reprenant
globalement le contenu de la directive.
Ce renforcement est nécessaire pour les entreprises à une période où elles
subissent des atteintes de plus en plus nombreuses dû aux progrès techniques et où elles
506 J.-C. GALLOUX, préc., note 11.
507 Dir. n°2016/943, préambule, cons. 17 : « … Certaines législations nationales qui traitent de la
concurrence déloyale abordent ces pratiques. Bien que la présente directive ne vise pas à réformer ou à
harmoniser le droit relatif à la concurrence déloyale en général, il serait approprié que la Commission
examine attentivement la nécessité d'une action de l'Union dans ce domaine ».
508 R. MILCHIOR ET V. FOURGOUX, préc. note 10.
111
ne se contentent plus d’avoir des relations avec les entreprises nationales509. Ainsi, la
directive n°2016/943 permet d’harmoniser la procédure à travers les Etats membres de
l’UE et de rapprocher le régime de protection de celui du Québec. La pratique y est
similaire et des incertitudes demeurent également, mais on peut espérer que cela permettra
de développer des partenariats économiques entre cette province canadienne et l’Europe
(en particulier la France).
Malgré le travail effectué lors de ce mémoire, il convient de préciser que le régime
pénal de protection du secret de commerce constitue un point essentiel dans la lutte contre
les atteintes à ce patrimoine informationnel de l’entreprise. Cet aspect permet d’ajouter
un aspect dissuasif à la protection en sanctionnant l’auteur d’actes répréhensibles.
Finalement, quant aux personnes qui ne seraient pas convaincues par l’idée même
d’une protection des secrets, il convient de préciser que celle-ci ne vise pas à dissimuler
des informations au public mais aux concurrents curieux.
Le fait de conserver secrètes les informations sur l'entreprise, et celles détenues par
elle, ne puise pas sa source dans une volonté d'occultation née d'une mauvaise
conscience sociale de l'entrepreneur français. C'est une attitude purement pragmatique
dictée par le bon sens qui amène ce dernier à préserver les informations valorisant son
entreprise en les gardant secrètes.510
Il s’agit donc d’une arme utile et loyale mais fragile pour les entreprises françaises,
québécoises, et de nombreux autres Etats : le secret est aujourd’hui indispensable. « Sans
le secret d’affaires, c’en serait fini de l’industrie, des services, de l’économie. »511
509 J. LAPOUSTERLE ET B. WARUSFEL, préc., note 7, p. xvi : « (Les entreprises) ont ainsi souligné leur
vulnérabilité croissante dans une économie mondialisée et ultra-connectée et soutenu qu’une protection
harmonisée et ambitieuse des secrets d’affaires permettrait de favoriser leur circulation en circuit fermé
entre des acteurs économiques distants les uns des autres, encourageant ainsi l’innovation » [Mentions entre
parenthèses ajoutées].
510 Didier PORACCHIA, « La protection juridique des secrets de l'entreprise », Dr. et patr. 2000, n° 85, p.
20-22.
511 Roger-Pol DROIT, « Dangereuse transparence », Les Echos, 26 oct. 2011, en ligne :
<https://www.lesechos.fr/26/10/2011/LesEchos/21046-077-ECH_dangereuse-transparence.htm>,
(consulté le 28 mai 2018).
112
Bibliographie
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CCQ-1991 – Code civil du Québec.
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d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites.
113
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nat. n°3985, enr. 22 nov. 2011.
114
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Continental Casualty Company c. Combined Insurance Company, (1967), B.R.
814 (C.A.Q.).
Contrôle PC Inc. c. DP Sys Inc., J.E. 2008-1887 (C.S Q.).
Corporation scientifique Claisse inc. c. Instruments Katanax inc., EYB 2006-
111009 (C.A.Q.).
Dostie c. Sabourin, AZ-50071094, J.E. 2000-712, [2000] RJQ 1026, [2000] RRA
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Dufresne c. Groupe Christie Ltée, 1992 CanLII 2998 (QC CA), [1992] R.D.J. 546
(C.A.Q.).
115
Excelsior (L'), compagnie d'assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La),
compagnie d'assurance-vie, 1992 CanLII 3559 (QC CA), [1992] R.J.Q. 2666 (C.A.Q.).
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118
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