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César Ramiro Vásconez «L’Universel c’est le local, moins les murs» « C’est ton horrible période prolifique » Francisco Granizo En Équateur la littérature est un pari condamné à l’indifférence et à l’échec. Sans maisons d’éditions et avec un nombre insuffisant de lecteurs, l’académie s’est appauvrie à cause de son manque d’ouverture sur les sciences sociales et le journalisme a dégénéré en propagande des intrigues du pouvoir politique. D’ailleurs, ni l’un ni l’autre n’ont jamais tenté de cacher le mépris qu’ils partagent pour l’art et tout ce qui incarne la pensée critique. Cependant, des œuvres remarquables ont été produites dans ce pays, malgré le manque de respect pour le travail des artistes qui y est pro- fondément enraciné. Depuis très longtemps, cette littérature, qui est l’une des plus méconnues de l’Amérique latine, parcourt le monde dont elle a profondément imprégné le langage. Sa richesse réside dans ses exceptions. En Équateur, on produit d’excellents ouvrages, en particulier dans les domaines de la poésie et des nouvelles. Cette brève sélection – partielle et incomplète – prétend être un bref inventaire de ces exceptions. Avec Francisco Granizo (1925-2009), le déicide, Jorge Enrique Adoum (1926-2009), l’exilé et Francisco Tobar García (1928-1997), l’apatride, Efraín Jara Idrovo (1926) appartient à la génération qui a pris avec brio la relève des rénovateurs de la poésie équatorienne : Alfredo Gangotena (1904-1944), César Dávila Andrade (1918-1967), Gonzalo Escudero (1903- 1971) et Jorge Carrera Andrade (1902-1978). Dans l’œuvre de Jara Idrovo, les expériences linguistiques et la méditation philosophique s’articulent dans le paysage récurrent des Îles Galápagos et donnent naissance à une composition à la fois symphonique et architecturale. Sollozo por Pedro Jara, son œuvre majeure, est un poème qui est à la fois une partition, une 13 Revue 16-MP :gabarit 23/05/12 12:27 Page 13

L'universel c'est le local, moins les murs

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Introducción a la revista Quito/Dublin #16MeetSaint-Nazaire 2012

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César Ramiro Vásconez

«L’Universel c’est le local, moins les murs »

« C’est ton horrible période prolifique»Francisco Granizo

En Équateur la littérature est un pari condamné à l’indifférence et àl’échec. Sans maisons d’éditions et avec un nombre insuffisant de lecteurs,l’académie s’est appauvrie à cause de son manque d’ouverture sur lessciences sociales et le journalisme a dégénéré en propagande des intriguesdu pouvoir politique. D’ailleurs, ni l’un ni l’autre n’ont jamais tenté decacher le mépris qu’ils partagent pour l’art et tout ce qui incarne la penséecritique. Cependant, des œuvres remarquables ont été produites dans cepays, malgré le manque de respect pour le travail des artistes qui y est pro-fondément enraciné. Depuis très longtemps, cette littérature, qui est l’unedes plus méconnues de l’Amérique latine, parcourt le monde dont elle aprofondément imprégné le langage. Sa richesse réside dans ses exceptions.En Équateur, on produit d’excellents ouvrages, en particulier dans lesdomaines de la poésie et des nouvelles. Cette brève sélection – partielle etincomplète – prétend être un bref inventaire de ces exceptions.

Avec Francisco Granizo (1925-2009), le déicide, Jorge Enrique Adoum(1926-2009), l’exilé et Francisco Tobar García (1928-1997), l’apatride,Efraín Jara Idrovo (1926) appartient à la génération qui a pris avec brio larelève des rénovateurs de la poésie équatorienne : Alfredo Gangotena(1904-1944), César Dávila Andrade (1918-1967), Gonzalo Escudero (1903-1971) et Jorge Carrera Andrade (1902-1978). Dans l’œuvre de Jara Idrovo,les expériences linguistiques et la méditation philosophique s’articulentdans le paysage récurrent des Îles Galápagos et donnent naissance à unecomposition à la fois symphonique et architecturale. Sollozo por PedroJara, son œuvre majeure, est un poème qui est à la fois une partition, une

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épure et une élégie, comparable à Blanco d’Octavio Paz ou à Anagnórisisde Tomás Segovia.

La diaspora a été conflictuelle et multiple. Huilo Ruales Hualca (1947),est l’auteur de Fetiche y Fantoche (1994) et d’Historias de la ciudad prohi-bida (1997), deux livres de nouvelles qui sont des œuvres fondamentalesdans lesquelles le manque de repères, l’oralité et la marginalité s’entremê-lent et se distordent dans une ville plongée dans la dystopie. Quant àAdolfoMacías Huerta (1960), dans ses récits d’El Examinador (1995), il abordeavec beaucoup d’aisance le genre fantastique – peu fréquent dans la narra-tive très souvent engluée dans le réalisme de dénonciation. Son roman ElGrito del Hada (2010), est un portrait amer du milieu artistique capitalistedes années quatre-vingt.

Alexis Naranjo (1947) est un précurseur méconnu du néobaroque latino-américain. Dans Profanaciones (1988), il rend caduque le discours poétiquelocal – ce langage populaire qui a été contaminé par la propagande politiqueet tend vers la langue de bois. Dans El Oro de las Ruinas (1994), il s’en-gage sur la voie de l’orientalisme en menant des expériences sur le langage.Parmi les jeunes poètes de sa génération Ernesto Carrión (1977) est l’undes plus importants des Latino-Américains. DansDemonia Factory (2007)et dans Fundación de la Niebla (2010), la décharge électrique de sespoèmes en prose ne cesse de nous séduire. Dans son livre intitulé Barridode Campo (2010), Juan José Rodríguez (1979) nous dresse la carte de lanévrose, puis il décompose son code génétique dans Cromosoma (2011),une véritable apologie des dommages cérébraux. Dans Cinco Maneras deArmar un Travesti (2011), César Eduardo Carrión (1976) s’impose le défide réécrire certains poèmes capitaux de la tradition hispano-américaine, enpratiquant le collage et la distorsion.

Edwin Madrid (1961) est l’auteur de deux recueils de poèmes embléma-tiques : Celebriedad (1990) et Caballos e iguanas (1993). Ernesto Quiño-nez (1966) est portoricain, équatorien et nord-américain. La langue danslaquelle il s’exprime est l’anglais. Bodega Dreams (2000) a été encensépar la critique nord-américaine qui le considère comme un roman sur ladébandade migratoire qui a envahi New York. Son œuvre n’a cependantjamais été traduite en Équateur, pays marqué par la migration. GabrielaAlemán (1968) va et vient entre son pays et la Nouvelle Orléans, cette fois,elle revient avec l’Álbum de familia (2010), un livre de récits de la matu-rité. Leonardo Valencia (1969) est l’un des écrivains les plus représentatifs

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de la littérature latino-américaine actuelle. Son livre de nouvelles progres-sives La Luna Nómada (1995) a été réédité dans plusieurs pays, dans desversions plus ou moins écourtées ce qui en modifie le contenu et le modede lecture. Il est aussi l’auteur de romans réticents aux normes du genre :El Libro Flotante de Caytran Dölphin (2006) et Kazbek (2008).

Les propositions les plus consistantes de l’actuelle littérature équato-rienne sont celles de Yanko Molina (1975), Javier Cevallos (1976), EstebanMayorga (1977) et Izquierdo Salvador (1980), auteur d’Autogol (2009).Les regrettables absents de cette sélection sont : Carlos Béjar Portilla(1938), Francisco Proaño Arandi (1944), Javier Vásconez (1946), TelmoHerrera (1948), Alfredo Noriega (1962) et Paco Benavides (1964-2004).Les meilleurs auteurs équatoriens savent qu’une créativité exceptionnelleet un sens critique sans concession sont les uniques manières de faire faceà la précarité culturelle et intellectuelle de la nation.

Traduit de l’espagnol (Équateur) par Any Collin.

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