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UNIVERSITÉ LYON 2 INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE LYON 2010-2011 L’urbanisation non réglementaire en Égypte : Analyse de l’habitat, de ses dynamiques et de ses représentations Mémoire de master 1 soutenu le 2 septembre 2011 Éléonore FALLOT Sous la direction de Karine BENNAFLA Membres du jury : Karine Bennafla Jamie Furniss

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UNIVERSITÉ LYON 2

INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE LYON

2010-2011

L’urbanisation non réglementaire en

Égypte :

Analyse de l’habitat, de ses dynamiques et de

ses représentations

Mémoire de master 1

soutenu le 2 septembre 2011

Éléonore FALLOT

Sous la direction de Karine BENNAFLA

Membres du jury :

Karine Bennafla

Jamie Furniss

Remerciements

Je tiens avant tout à remercier ma professeure Karine Bennafla pour ses conseils et son

attention au cours de ce travail de recherche. Je remercie également Jamie Furniss de

m‟avoir orientée dans mon travail et d‟avoir accepté d‟être membre du jury. Pour leurs

conseils bibliographiques, je remercie Pierre-Arnaud Barthel et Agnès Deboulet. Je tiens

également à remercier Julie Picard et Gaétan Du Roy pour leur enthousiasme, leur audace

et leur initiation au travail de terrain au Caire. J‟adresse également de sincères

remerciements à ma mère pour sa patience. Enfin, j‟adresse toute ma reconnaissance aux

personnes rencontrées dans les quartiers non réglementaires du Caire au mois de juin. Je

les remercie de leur hospitalité et de leur sincérité. Les rencontrer a été pour moi

l‟aboutissement de ce travail et c‟est à eux que je dois l‟envie de poursuivre, dans une

perspective professionnelle, un projet relatif au logement.

« J'aime le Caire. Si profondément, que quand on me pose la

question “Comment ?”, je me retrouve cherchant mes mots. Les moments

les plus doux de mon existence, les vers les plus beaux que j'ai connus.

Comment je t'aime, laisse-moi énumérer les manières. Est-ce les

innombrables vestiges ? Fabuleux ! Ton Nil généreux ? Ton soleil

resplendissant ? Aussi... Comme un Français aime Paris ? Évidemment.

Mais moi ... tu vois, moi, c'est les gens que j'aime. Pas les pierres. J'aime

leur bonté, leur humeur. Oui, le peuple égyptien est croyant. Mais loin

d'être fanatique. Il a le génie d'accoupler vie et Dieu. N'est-ce pas là l'amour

à deux ? Ou même plus ? Autrement, comment pourrais-je aimer 22

millions de personnes en même temps ? Toute une capitale. J'aime ceux qui

aiment vivre sans déranger l'autre et en vivant à six, coincés dans quatre

mètres carrés...

On apprend à attendre l'autre. À le comprendre. Surtout à l'aimer. À

l'aimer. »

Youssef Chahine

Liste des acronymes et abréviations employés

AFD : Agence française de développement

CAPMAS : Central Agency for Public Mobilization and Statistics

CEDEJ : Centres d‟Études et de Documentation Économiques, Juridiques et Sociales

ECHR : Egyptian Center for Housing Rights

FMI : Fonds monétaire International

GOPP : General Organization for Physical Planning

GTZ : Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit (Agence de coopération technique

allemande)

IAURIF : Institut d‟Aménagement et d‟Urbanisme de la Région d‟Ile-de-France

ONG : Organisation non gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

PAS : Programme d‟ajustement structurel

PND : Parti national démocratique

UN-HABITAT : United Nations Human Settlements Programme

USAID : United States Agency for International Development

Table des matières

Introduction ........................................................................................................................ 7

I. L’urbanisation non réglementaire : un phénomène complexe ............................. 13

A. Une terminologie laborieuse .................................................................................... 13

1. Pour une déconstruction du terme « informel » ............................................... 14

2. De l‟habitat spontané à l‟habitat anarchique, des notions qui méritent d‟être

interrogées .................................................................................................................. 15

3. L‟habitat d‟émanation populaire, une notion innovante .................................. 17

B. Un phénomène mondial néanmoins très varié ......................................................... 18

1. Une confusion sémantique qui empêche une analyse précise .......................... 18

2. Un phénomène qui s‟inscrit dans un contexte mondial .................................... 21

3. Une multiplicité de formes d‟urbanisation non réglementaire ......................... 23

C. En Égypte, un habitat pluriel ................................................................................... 25

1. Le Caire, ville sans bidonvilles ?...................................................................... 25

2. La prédominance de l‟habitat sur terres agricoles ............................................ 28

3. La précarité de l‟habitat sur terrains désertiques .............................................. 34

4. L‟habitat non réglementaire au cœur de la ville ............................................... 38

II. L’habitat d’émanation populaire : la mise en œuvre d’une solution aux

problèmes du logement ? ................................................................................................. 41

A. Quelques facteurs responsables du développement de l‟urbanisation non

réglementaire ................................................................................................................... 42

1. « Des habitants sans habitations et des habitations sans habitants » ................ 43

2. Des politiques de logement déficientes ou l‟échec de la maîtrise de la ville ... 45

3. Les projets actuels et à venir : porteurs d‟amélioration ? ................................. 55

B. Un habitat non réglementaire structuré et extrêmement dynamique ....................... 58

1. Une urbanisation structurée et relativement réussie qui prouve une réelle

connaissance de la ville .............................................................................................. 58

2. Le fort dynamisme des quartiers non réglementaires ....................................... 64

C. Un habitat qui n‟est pas figé dans son illégalité ...................................................... 69

1. Les stratégies mises en œuvre par les habitants ............................................... 70

2. L‟État et les institutions internationales : porteurs d‟amélioration ?................ 73

III. Les ‘ashwaiyyat dans la société égyptienne : une pathologie que le corps urbain

tend peu à peu à intégrer ................................................................................................. 80

A. La presse : un discours qui demeure stigmatisant malgré une certaine inflexion ... 80

1. Le tremblement de terre de 1992 : une prise de conscience ? .......................... 81

2. Imbaba, décembre 1992 : une zone de non droit ? ........................................... 83

3. Duweiqa : une nouvelle catastrophe qui montre que rien n‟a été fait .............. 85

4. Les émeutes post-révolution d‟Imbaba : la faute de l‟État ? ............................ 88

B. L‟émergence d‟un nouveau regard porté sur les habitants des quartiers non

réglementaires ................................................................................................................. 90

1. La GTZ ou la valorisation d‟une approche participative ................................. 91

2. L‟émergence d‟un droit au logement ............................................................... 94

C. La méconnaissance de l‟urbanisation non réglementaire au sein de la société

égyptienne ....................................................................................................................... 98

1. Les ‘ashwaiyyat ou l‟antithèse de la ville ........................................................ 98

2. Le danger sanitaire des ‘ashwaiyyat ............................................................... 101

3. Les ‘ashwaiyyat, objets d‟une amnésie ? ....................................................... 103

Conclusion ....................................................................................................................... 106

Table des photographies ................................................................................................ 108

Table des graphiques, tableaux ..................................................................................... 109

Table des cartes ............................................................................................................... 110

Annexes ............................................................................................................................ 111

A. Graphiques et cartes ............................................................................................... 111

B. Photographies ........................................................................................................ 120

Bibliographie critique ..................................................................................................... 125

7

Introduction

Misr, Le Caire, Misr, l‟Égypte, pour les Égyptiens le nom est le même, signe de la place

qu‟occupe la capitale. Le Caire est une ville qui fascine. Elle a été l‟objet de nombreuses

études scientifiques mais également d‟œuvres littéraires, notamment des carnets de

voyage. Aujourd‟hui, la ville du Caire est, la plupart du temps, étudiée à travers un prisme

anxiogène : l‟islamisme croissant, les tensions interconfessionnelles, la démographie

galopante, la chape de pollution écrasante, la dégradation du patrimoine architectural,

l‟urbanisation incontrôlée et sauvage. Le Caire est une ville mouvante, définir ses

frontières est un véritable casse-tête. Revenir au Caire après ce qu‟on appelle d‟ores et

déjà « la Révolution », c‟est revenir dans une ville qui a accéléré le rythme de son

extension, tant verticale qu‟horizontale. Le sentiment que tout est permis semble régner

depuis le départ de Moubarak et a entrainé une augmentation flagrante des constructions.

Le 11 février 2011, le vice président Omar Souleiman annonçait la démission de Hosni

Moubarak, président de l‟Égypte depuis trente ans. On parle d‟ores et déjà de Révolution

égyptienne, mais la révolte qui a mené à la chute du président Moubarak ne sera, me

semble-t-il, une Révolution que si un réel changement de régime a lieu. Pour l‟instant,

l‟Égypte est un pays en transition. Depuis les manifestations du 25 janvier, et plus encore

depuis le départ de Moubarak, la donne en Égypte a réellement changé. Après des

décennies d‟autoritarisme, l‟espoir de la population égyptienne est aujourd‟hui très fort.

L‟Égypte est un État-Nation qui se caractérise par une forte centralisation : Le Caire,

centre névralgique du pays, concentre toutes les fonctions. Selon le recensement officiel

de 2006, il y aurait 72 798 031 habitants en Égypte. Le site du CAPMAS (Central Agency

for public mobilization and statistics) affiche un compteur qui estime en temps réel le

nombre d‟habitants en Égypte. Avec une estimation de 80 620 030 habitants le 6 août

2011, l‟Égypte est le pays le plus peuplé du monde arabe. La croissance démographique

du pays a été extrêmement rapide. En effet, en 1950, l‟Égypte ne comptait que 21 millions

d‟habitants. Aujourd‟hui, 95% de la population vivraient sur seulement 5,5% du territoire.

L‟écoumène est concentré autour de la vallée du Nil, colonne vertébrale du pays. Comme

le disait Hérodote, « L‟Égypte est un don du Nil ». Le territoire égyptien est constitué à

94% de désert où le peuplement est à l‟évidence difficile. Selon le recensement de 2006,

seuls 42,7% de la population seraient urbaine. La définition égyptienne de l‟urbain doit à

8

l‟évidence être remise en question. Avant 1960, en Égypte, était considérée comme une

ville, une zone qui regroupait plus de 10 000 habitants et qui avait des caractéristiques

urbaines. Aucun détail supplémentaire sur les caractéristiques urbaines n‟était fourni.

Depuis, la définition de la ville est beaucoup plus restrictive. La définition ne prend plus

en compte ni la taille de la ville, ni le nombre d‟habitants. En Égypte, ne sont considérées

aujourd‟hui comme des villes que les capitales des gouvernorats, les 14 villes considérées

comme des unités administratives indépendantes, les capitales de district et les villes

nouvelles. Cette définition de la ville ne correspond évidemment pas à la réalité

égyptienne. David Sims (2010) affirme que si la définition américaine de la ville était

appliquée, la population de l‟Égypte serait à plus de 90% urbaine.

Le Grand Caire, véritable mégalopole est une ville difficile à délimiter. Composée de cinq

gouvernorats (muhafazat) (Le Caire, Giza, Qalyubia, Helwan, Six Octobre) entre mai

2008 et mai 2011, le Grand Caire a, depuis la « Révolution », retrouvé ses frontières

précédentes. Chaque gouvernorat est dirigé par un gouverneur nommé par le président de

la République. La région du Grand Caire est désormais composée de trois gouvernorats :

Le Caire, Giza, Qalyubia qui s‟étalent sur environ 700 kilomètres carrés et abriteraient,

selon le recensement officiel de 2006, 16,1 millions d‟habitants, c'est-à-dire près de 25%

de la population totale. Certains experts estiment qu‟il y aurait jusqu‟à 20 millions

d‟habitants dans la région du Grand Caire. Selon le ministère du logement, Le Grand

Caire comptera 38 millions d‟habitants en 2050. Le Caire est l‟une des villes les plus

peuplées dans un environnement contraint puisque l‟agglomération est cernée par le

désert. Si la mégalopole continue à croitre de façon extraordinaire (250 000 nouveaux

habitants chaque année) sa croissance est désormais moins forte que la moyenne nationale.

La croissance spatiale de l‟agglomération est bien plus impressionnante que la croissance

démographique. Ainsi, entre 1995 et 2007, l‟agglomération s‟étendait à un rythme moyen

de 8% par an alors que la croissance démographique dépassait difficilement les 2%. On

observe ainsi un processus d‟étalement très dynamique. Paradoxalement, comme nous le

verrons, la ville est étonnamment compacte. L‟étalement de l‟agglomération s‟effectue en

grande partie de façon illégale. Entre les recensements officiels de 1996 et 2006, 79% de

la croissance démographique auraient été absorbés par cette urbanisation non

réglementaire que nous nous attacherons à définir plus en détails.

La plupart des travaux, de même que tous les recensements depuis quarante ans, ont pris

en compte la région du Grand Caire comme la réunion des trois gouvernorats. Ainsi, à

9

travers cette étude, nous considérerons le Grand Caire comme la réunion des trois

gouvernorats.

La civilisation antique de l‟Égypte a fait l‟objet d‟un nombre exceptionnel de travaux.

L‟Égypte contemporaine elle, semble largement délaissée par les chercheurs et les médias

occidentaux alors que les pays voisins suscitent, eux, beaucoup plus de travaux. Ainsi,

Pierre Blanc affirme, au sujet de l‟Égypte « Force est d‟admettre que le fait conflictuel

suscite davantage l‟intérêt médiatique que l‟insécurité humaine (la faim, le chômage, la

confiscation des libertés, etc.) pourtant très réelle en Égypte. Autrement dit, le mourir

militaire intéresse plus que le mourir civil »1. Le Caire a fait l‟objet de nombreuses études,

notamment patrimoniales et architecturales puisqu‟on considère que c‟est au « Caire

islamique » que la concentration de bâtiments historiques est la plus forte au monde. Les

études urbaines sont relativement récentes et se sont dans un premier temps consacrées

essentiellement à la planification urbaine à partir des années 1970 : villes nouvelles, villes

satellites. Les grands schémas directeurs, destinés à façonner une ville moderne et à

contenir l‟urbanisation non réglementaire sont relativement bien étudiés. La thématique

des compounds ou gated communities a également fait l‟objet de nombreuses recherches.

Ainsi, les chercheurs ont tardé à accepter que la création de la ville pouvait échapper à

l‟État et être le fait des habitants.

Aujourd‟hui, le thème de l‟urbanisation incontrôlée en Égypte fait l‟objet de nombreuses

recherches. Malgré l‟importance de ces travaux, il apparait que l‟urbanisation dite tantôt

spontanée, informelle, ou anarchique reste un phénomène méconnu. Ce type

d‟urbanisation est l‟objet de mythes et de fantasmes, tant parmi les Égyptiens que parmi

les étrangers. Alors que les quartiers non réglementaires sont le lieu de résidence d‟une

majorité des habitants du Grand Caire (62% en 2006), ils sont vus comme une « tumeur »

de la ville, un phénomène à enrayer de toute urgence. Depuis quelques années, certaines

recherches insistent sur les compétences et la résilience des habitants de ces quartiers.

Toutefois, ces travaux restent minoritaires et le rôle des habitants est encore trop souvent

sous estimé.

Face à ce constat, nous nous demanderons si l‟urbanisation non réglementaire en Égypte,

effectuée par les habitants eux-mêmes, ne constitue pas davantage une solution à la crise

du logement qu‟un aspect de celle-ci.

1 « Égypte : une géopolitique de la fragilité », Confluences Méditerranée, 2010, p. 13

10

Pour comprendre cela, il est essentiel de définir le phénomène de l‟habitat non

réglementaire. Tout d‟abord nous prendrons le temps, nécessaire me semble-t-il, de poser

la question de la terminologie à employer. Nous observerons ensuite que ce phénomène

mondial prend différentes formes en Égypte. Dans un deuxième temps nous verrons que

l‟habitat non réglementaire a été favorisé par une crise du logement aiguë et par des

politiques de logement déficientes. Nous observerons également que si cette urbanisation

s‟effectue en dehors de tout contrôle de l‟État, elle n‟en est pas pour autant anarchique. Au

contraire, elle se caractérise par un fort dynamisme et de réelles capacités d‟évolution.

Enfin, dans une dernière partie, nous étudierons le traitement réservé aux quartiers non

réglementaires. Bien que la stigmatisation demeure, nous verrons que la perception de ces

quartiers semble évoluer positivement depuis quelques années.

Méthodologie

L‟envie de réaliser ce travail de recherches est née au cours de mon séjour de dix mois au

Caire. On dit souvent que Le Caire provoque des réactions extrêmes et ne laisse aucun de

ses visiteurs indifférent. Dès mon arrivée, la ville du Caire m‟a fascinée par son énergie et

son dynamisme. J‟ai été surprise par l‟aspect urbain des périphéries de la ville : l‟image

des immeubles de briques rouges au milieu des champs vert vif m‟a frappée. Lors d‟un

cours intitulé « Un an en Égypte » au sein du département d‟enseignement de l‟arabe

contemporain, l‟un de mes professeurs évoqua les ‘ashwaiyyat, ces quartiers non

réglementaires où il ne fallait pas aller seul, disait-il. Une visite dans la Cité des Morts, ce

cimetière où cohabitent morts et vivants, avait fortement attiré mon attention. Quelques

mois plus tard, à Lyon, j‟ai souhaité étudier les quartiers non réglementaires. Il était

initialement prévu que j‟effectue un séjour au Caire au mois de février 2011 afin de

réaliser des entretiens et éventuellement de cibler mon étude sur un quartier en particulier.

Les évènements survenus à la fin de l‟hiver m‟ont contrainte à reporter mon voyage au

mois de juin. S‟il était trop tard pour que ce séjour puisse constituer l‟opportunité d‟un

réel travail de terrain, il m‟a toutefois permis de confronter mes lectures à la réalité de ces

quartiers. Puisque mon travail de recherches tout au long de l‟année m‟avait réellement

enthousiasmée, j‟ai, dans une démarche personnelle, entrepris de me rendre, la plupart du

temps seule, dans quelques quartiers non réglementaires et lorsque cela était possible, de

11

discuter avec des habitants. Malheureusement, ces visites sont intervenues trop tard dans

ce travail de recherches et ne peuvent que constituer un complément.

Mes sources premières sont des ouvrages et articles scientifiques en français ou en anglais.

La revue Égypte/Monde arabe, publiée par le CEDEJ m‟a été particulièrement précieuse.

La presse égyptienne, francophone ou anglophone, a été une source importante

d‟informations. Malheureusement, mon niveau d‟arabe étant insuffisant, j‟ai rapidement

renoncé à entreprendre la lecture de la presse arabophone. Grâce aux archives en lignes

des journaux francophones ou anglophones (notamment Al Ahram Hebdo et Al Masry Al

Youm), j‟ai pu collecter de nombreuses informations. Toutefois les archives mises en ligne

ne sont pas toujours complètes. Ainsi, les archives d‟Al Ahram Hebdo ne sont disponibles

que jusqu‟en avril 1998. Mes demandes de consultations d‟archives, adressées à la

rédaction, sont, malheureusement, restées sans réponse. Les recensements officiels mis en

ligne sur le site internet du CAPMAS ont également été d‟importantes sources

d‟informations. J‟ai par ailleurs utilisé les différents rapports publiés par UN-HABITAT,

l‟agence de l‟ONU pour les établissements humains. La GTZ, la coopération technique

allemande a également mis en ligne de nombreux rapports sur l‟urbanisation non

réglementaire en Égypte. J‟ai également consulté certains rapports de l‟organisation non

gouvernementale de défense des droits de l‟Homme, Amnesty International.

Enfin, mon séjour au Caire m‟a permis de recueillir des sources orales. J‟ai eu la chance,

dans certains quartiers non réglementaires, d‟être accueillie dans quelques familles. Au

cours de ces conversations, j‟ai interrogé les habitants sur leur lieu de résidence. J‟ai ainsi

pu comprendre l‟importance du lieu et du type de résidence dans la construction de

l‟image de soi. Parallèlement, j‟ai entrepris d‟évoquer les quartiers non réglementaires

avec mes amis égyptiens et d‟observer l‟image qu‟ils en avaient. J‟ai également soumis

des questionnaires à huit personnes rencontrées l‟an dernier en Égypte. Les réponses aux

questions ouvertes m‟ont éclairée sur la perception des quartiers non réglementaires.

12

Carte 1 : Les quartiers d’une partie de la région du Grand Caire en 2009

Source : SIMS, D., 2010, Understanding Cairo, the logic of a city out of control, p. XVI

Cette carte permettra de localiser les quartiers du Caire mentionnés dans ce travail.

13

I. L’urbanisation non réglementaire : un phénomène

complexe

L‟urbanisation non réglementaire est un phénomène complexe qui recouvre des situations

extrêmement différentes selon les pays et même selon les villes. Il est primordial tout

d‟abord d‟étudier la terminologie employée. Nous observerons ensuite que l‟urbanisation

non réglementaire est un phénomène quasiment mondial. L‟ensemble des pays en voie de

développement connaissent, de façon plus ou moins massive, ce phénomène. Enfin, nous

observerons que cette urbanisation est plurielle en Égypte, c'est-à-dire qu‟elle recouvre des

formes très différentes.

A. Une terminologie laborieuse

La difficulté première de ce travail réside dans la terminologie à employer pour désigner

cette forme d‟urbanisation que nous avons ici choisi de qualifier de non réglementaire. Le

choix des mots a une importance cruciale dans la mesure où ceux-ci déterminent une

certaine prise de position et une connotation morale très marquée. Hervé Vieillard-Baron

observe cette difficulté et affirme « notre premier souci a été de “nommer” notre terrain

en le faisant entrer dans un ensemble de catégories : banlieue, quartier, cité, pauvreté,

marginalité, zone d‟influence »2 puis il ajoute qu‟«il convient de se tenir à distance de

cette neutralisation de l‟espace »3.

De nombreux débats autour de la terminologie agitent la sphère scientifique, tant

anglophone que francophone. Je n‟ai malheureusement pas pu consulter d‟ouvrages en

langue arabe, mais à ma connaissance, il n‟existe pas de débat similaire. En Égypte, le

terme ‘ashwaiyyat (hasardeux) est le plus employé. Cette terminologie „ashwaiyyat

apparait, en Égypte, au début des années 1990 dans la presse et les discours officiels.

Auparavant, on employait les termes bidûn takhtît (sans planification), sha‟abî (populaire),

hâmichi (marges), ghayr munazzam, ghayr muqannan (non structurés) ou ghayr rasmi

(non officiel). Aujourd‟hui, la G.O.P.P. (General Organization for Physical Planning) a

2 « Entre proximité et distance : le terrain pour le géographe urbain », 2007, p. 448. 3 Ibid, p.449.

14

remplacé le terme de ‘ashwaiyyat par celui de al manatiq al ghayr mukhattata (zones non

planifiées). En langue arabe, la terminologie actuelle semble avant tout avoir une fonction

sociopolitique (E. Denis, 1995) ayant pour objectif de présenter ces quartiers comme une

véritable menace pour la ville.

À travers cette étude, nous interrogerons plusieurs notions qui ont permis de nommer le

phénomène de l‟urbanisation non réglementaire, selon le terme pour lequel nous avons

opté. Tout d‟abord, nous remettrons en question la notion, sans aucun doute la plus

employée, d‟habitat informel. Nous aborderons ensuite la notion d‟habitat spontané ou

d‟urbanisation spontanée, ainsi que l‟emploi du terme slum inapproprié dans le cas

égyptien. Enfin nous observerons l‟émergence d‟une nouvelle notion, celle d‟habitat

d‟émanation populaire.

1. Pour une déconstruction du terme « informel »

La terminologie de quartiers informels, la plus fréquemment utilisée, est aujourd‟hui

largement remise en cause. En effet, le terme « informel » instaure une dichotomie entre,

d‟une part le formel et d‟autre part l‟informel, c'est-à-dire la norme et l‟anomalie érigeant

alors le secteur informel en exception alors même qu‟il est souvent majoritaire, tant dans

le secteur de l‟habitat que de l‟économie des pays en voie de développement. Au sujet de

l‟urbanisation non réglementaire, Galila El Kadi affirme que « l‟ampleur et la permanence

de ce phénomène excluent désormais qu‟on considère ces constructions comme

marginales. Il s‟agit bien de villes qui se constituent »4. De plus, cette notion d‟informalité

semble apparaitre comme une notion fourre-tout qui concerne de nombreux secteurs et ne

parvient pas à rendre compte de la complexité du phénomène qu‟elle prétend désigner. La

notion de secteur informel établie pour la première fois en 1972 se confond aussitôt avec

celle de marginalité.

La remise en cause du terme « informel » participe d‟une remise en question plus large

relative à la méthodologie de la recherche scientifique. On assiste alors à des

questionnements sur la définition de la marge et de la marginalité, sur l‟approche qu‟il

convient d‟adopter pour l‟étudier. Ainsi on interroge l‟existence d‟un dualisme entre

4 L’urbanisation spontanée au Caire, 1987, p. 5.

15

centre et périphérie ou au contraire d‟interdépendances asymétriques (P. Hugon, 2006).

Dans la même perspective, Hervé Vieilliard-Baron, à travers une étude sur les banlieues

françaises, évoque « le décentrement du regard par l‟inversion du questionnement » et

affirme qu‟il est « souvent nécessaire de retourner les problématiques initiales […] plutôt

que de penser la zone urbaine sensible comme une marge, il peut être intéressant de la voir

comme un lieu de centralité où s‟inventent de nouvelles formes urbaines et sociales. »5

L‟expression « habitat informel » est de loin la plus employée, tant en anglais (informal

housing) qu‟en français. Face à la remise en question de cette terminologie, une deuxième

expression émerge.

2. De l’habitat spontané à l’habitat anarchique, des notions qui

méritent d’être interrogées

Alors que le terme « informel » est remis en question, la notion d‟habitat spontané est de

plus en plus employée. Ainsi, Galila El Kadi choisit de parler d‟urbanisation spontanée.

Elle défend son choix en affirmant que cette expression est « celle du langage courant, elle

n‟est que la traduction de ce qui est l‟objet réel de cette recherche : l‟appropriation du sol

et la construction du logement pour le grand nombre. Ces termes, nous ne les avons pas

choisi par goût de complication ; ils reflètent les difficultés réelles de définir un

phénomène diversifié et complexe ».6

Cette terminologie, plus satisfaisante que celle d‟habitat informel, mérite toutefois d‟être

interrogée. En effet, l‟expression « urbanisation spontanée » permet de révéler l‟absence

de la contrainte étatique mais semble perpétuer l‟idée d‟une urbanisation désorganisée et

effectuée en dehors de toute logique et de règles. De cette manière, certains chercheurs -

ils sont assez peu nombreux - réfutent cette terminologie et estiment qu‟avant toute chose

ce type d‟urbanisation est le fruit d‟une réflexion, même si elle s‟exprime en dehors de

toute planification étatique.

Le terme d‟habitat anarchique est parfois employé pour désigner ce phénomène. Pour des

raisons évidentes nous ne nous attarderons pas sur la critique d‟un tel terme. À l‟évidence,

5 « Entre proximité et distance : le terrain pour le géographe urbain », 2007, p. 450. 6 Ibid, p. 5.

16

celui-ci est extrêmement péjoratif et ne rend absolument pas compte des logiques

structurantes mises à l‟œuvre dans la production de cet habitat.

D‟autres auteurs, comme Marion Séjourné qui y a consacré une thèse, emploient le terme

de quartiers illégaux. Cette terminologie ne me semble pas, non plus, satisfaisante dans la

mesure où elle ne considère cette urbanisation que selon sa conformité à la loi.

Dans les recherches anglophones, le débat sur la terminologie est similaire mais comporte

une dimension supplémentaire. Aussi, l‟emploi du terme slum est très fréquent dans les

recherches sur l‟urbanisation non réglementaire de la capitale égyptienne. Slum, que l‟on

peut traduire par taudis ou bidonvilles est fréquemment utilisé dans les travaux en anglais

alors que les équivalents français ne sont quasiment jamais employés. Il suffit de revenir à

l‟origine du mot slum pour comprendre que son usage est très stigmatisant : en effet la

première définition de ce mot est établie en 1812 et désigne les activités criminelles.

Ensuite, le terme slum est associé à l‟habitat précaire des villes indiennes. Au sens strict,

le terme bidonville est un habitat fait de bidons, de tôles, ou de planches. Il a été utilisé

pour la première fois en 1953 afin de désigner un quartier de Casablanca au Maroc. Dans

cette mesure, l‟habitat non réglementaire au Caire ne peut en aucun cas être assimilé aux

slums ou aux bidonvilles puisque, comme nous le verrons, il s‟agit d‟un habitat en dur, fait

de briques et de parpaings, qui n‟est pas un habitat de misère, le phénomène de bidonville

étant quasiment absent de la capitale égyptienne. En plus de ne pas correspondre à la

réalité de l‟habitat cairote, le mot bidonville ou slum implique une connotation morale

très forte. Comme le rappelle Raffaele Cattedra la notion de bidonville est un « paradigme

d‟un espace stigmatisé et stigmatisant : un lieu-dit fait de tôles et de bidons […] un espace

caché et marginal, la « zone », au sens littéral et/ou figuré, aux lisières de la ville et en

marge de la norme sociale urbaine »7.

On trouve également dans les recherches en anglais les termes shanty towns et squatter.

Là encore, l‟emploi de ces mots constitue un abus de langage. Le terme shanty towns est

relativement peu utilisé. Le terme squatter, qui désigne l‟usage illégal de la propriété

d‟autrui, est, lui, l‟un des termes les plus utilisés pour désigner l‟habitat non réglementaire

au Caire. Ce terme n‟est absolument pas approprié puisque, nous le verrons également, la

majorité des habitants des quartiers d‟urbanisation non réglementaire occupent des terrains

qu‟ils ont acquis légalement et pour lesquels ils détiennent un titre de propriété. Seule une

7 Dans DEPAULE, Jean-Charles (dir.), 2006, Les mots de la stigmatisation urbaine, p. 124.

17

minorité d‟entre eux habite dans des quartiers occupés illégalement, c'est-à-dire

effectivement squattés.

3. L’habitat d’émanation populaire, une notion innovante

Dans une perspective tout à fait différente, Agnès Deboulet choisit d‟utiliser une

expression traduisant sa « propre catégorie de pensée sur cette réalité »8. La thèse d‟Agnès

Deboulet est une étude centrée sur les « potentialités et les limites de la capacité des

habitants à générer des pratiques urbanistiques »9. Pour cela, la terminologie employée

insiste avant tout sur les compétences citadines. Aussi, Agnès Deboulet, s‟attache à

« décrire la logique de production » plutôt que de faire une « description en termes de

niveaux de conformité à la norme de droit ».10

Ainsi elle affirme sa volonté de « qualifier

ces quartiers par le mode de création, par les acteurs qui en sont à l‟origine, d‟où

l‟expression de quartiers d‟émanation populaire ce qui est indéniablement un

dénominateur commun. »11

Les expressions « quartiers d‟émanation populaire » ou encore

« d‟autopromotion » semblent les plus satisfaisantes.

Dans un ouvrage qu‟il codirige, Pierre Signoles utilise, dans un souci de neutralité,

l‟expression d‟ « urbanisation non réglementaire ou contested settlements » (1999). Selon

lui, cette expression permet de rendre compte du flou de la conception de cette

urbanisation et de la variété de ses situations et de ses processus.

Dans le souci de ne pas idéaliser cette forme d‟urbanisation, tout en refusant de la

stigmatiser, nous adopterons l‟expression de Pierre Signoles. En effet, celle-ci exprime

une certaine neutralité et même si elle peut être considérée semblable à celle

d‟urbanisation illégale, ici critiquée, nous estimons que la dénomination non réglementaire

est moins stricte. En effet, la notion d‟illégalité désigne ce qui est contraire à la loi, tandis

que la notion de non réglementaire désigne ce qui, en plus d‟être en infraction à loi, ne se

fait pas conformément aux règles en vigueur. Ainsi, l‟habitat non réglementaire ne désigne

8 Vers un urbanisme d’émanation populaire. Compétences et réalisations des citadins. L’exemple du Caire,

1994, p. 27. 9 Ibid, p. 27.

10 Ibid, p. 112.

11Ibid, p. 29.

18

pas seulement une infraction à la loi mais également une infraction aux règles générales

d‟urbanisme.

Même si l‟expression la plus satisfaisante est, à mon sens, celle d‟urbanisation

d‟émanation populaire développée par Agnès Deboulet, il m‟a semblé que celle-ci ne

reflétait pas suffisamment le caractère non réglementaire du phénomène. De plus, comme

ce travail n‟est pas centré sur les acteurs, il ne m‟a pas semblé judicieux de l‟adopter.

Toutefois, il arrivera parfois que nous utilisions cette notion pour insister sur la dynamique

de création populaire de cette urbanisation.

Comme nous l‟avons vu, le choix des mots est une entreprise délicate dans la mesure où

ceux-ci reflètent l‟approche « idéologique » du chercheur. Outre la connotation morale

qu‟il implique, le choix des mots expose à une deuxième difficulté : comment un seul mot

peut-il définir un phénomène aussi complexe et varié que ces formes d‟urbanisation ?

Ainsi, il semble utile de remettre en cause la pertinence de l‟emploi d‟un seul et même

terme. Comme nous le verrons, l‟urbanisation « non réglementaire » est un phénomène

très hétérogène qui recouvre des réalités tout à fait différentes selon les pays et les

situations foncières. Ainsi, les conditions de développement de cette urbanisation, de

même que les degrés d‟illégalité, sont très variés selon les pays mais également au sein

d‟une même ville. Dans cette mesure, l‟emploi d‟une seule expression pour désigner

l‟urbanisation non réglementaire semble réducteur et présente un risque d‟uniformisation.

B. Un phénomène mondial néanmoins très varié

1. Une confusion sémantique qui empêche une analyse précise

Le phénomène d‟habitat non réglementaire existe dans de nombreux pays. Il est massif

dans la plupart des métropoles du Sud mais ne concerne pas seulement les pays en

développement. Cette forme d‟urbanisation a été assez bien étudiée, à des degrés

différents selon les zones géographiques. Toutefois, les chercheurs semblent avoir mis du

temps à accepter que l‟État n‟était pas l‟unique acteur de l‟espace urbain. Ainsi, les

recherches urbaines ont longtemps privilégié la planification urbaine (en ce qui concerne

l‟Égypte, les études sur les villes nouvelles, villes satellites et gated communities

représentent la majeure partie des recherches urbaines), ont tardé à envisager le

19

phénomène de l‟habitat d‟émanation populaire comme une urbanisation différente de celle

des bidonvilles, et à accepter son caractère majoritaire et durable.

Aujourd‟hui, les travaux sur ces formes d‟urbanisation, notamment dans les pays dits du

Tiers-Monde, sont très nombreux. Toutefois, certaines études portant sur l‟habitat

populaire en général, c'est-à-dire sans zone géographique précise, ont confondu des

phénomènes tout à fait différents. Ainsi, certains travaux, très intéressants par ailleurs, ont

eu tendance à associer le phénomène de l‟habitat non réglementaire à celui des

bidonvilles. Mike Davis par exemple a mené une étude sur l‟explosion du phénomène

d‟habitat précaire à travers le monde. Toutefois, celui-ci ne distingue pas l‟habitat non

réglementaire de l‟habitat de misère. Ainsi, il affirme « les bidonvilles ont un brillant

avenir devant eux […] au moins la moitié de la future expansion urbaine du tiers monde se

fera de façon “ informelle” »12

. Par conséquent, même si son travail est intéressant, Mike

Davis pose une chape d‟uniformité sur l‟habitat non réglementaire. De plus, il ne cesse de

brandir le spectre de la croissance urbaine, notamment à travers des titres racoleurs, Le

pire des mondes possibles : de l’explosion urbaine au bidonville global. Ainsi,

l‟urbanisation non réglementaire des villes du Sud a été associée à tous les maux de la

ville : violence, insalubrité etc.

La courante confusion entre la « bidonvilisation » des villes et l‟habitat d‟émanation

populaire est entretenue par le flou sémantique que nous avons observé. En effet, la

difficile délimitation du phénomène d‟habitat non réglementaire, spontané, informel ou

anarchique rend encore plus complexe sa compréhension. Ainsi, des études traitent de

l‟habitat clandestin sans distinguer l‟habitat de misère type bidonville de l‟habitat

d‟émanation populaire qui n‟ont en commun que d‟être illégaux. De cette confusion

découle qu‟il est souvent difficile d‟analyser certaines informations sur le sujet. En effet,

les chiffres fournis par les institutions internationales (le programme de l‟ONU par

exemple, UN-HABITAT) sur l‟habitat informel à travers le monde n‟établissent pas une

distinction claire entre les différentes formes de cette urbanisation non réglementaire.

Ainsi, le programme UN-HABITAT définit les ménages habitant dans des slums « comme

un groupe d‟individus vivant sous le même toit et étant confronté à l‟une ou plusieurs des

conditions suivantes : déficience d‟accès à une source d‟eau améliorée, déficience d‟accès

à des équipements sanitaires améliorés, zone habitable insuffisante, surpeuplée, qualité de

12

« La planète bidonville : involution urbaine et prolétariat informel », 2005, p. 19.

20

construction et durabilité des habitations inadéquates, occupation non sécurisée.”13

Il suffit

donc qu‟une famille soit confrontée à une seule de ces difficultés pour que leur lieu de vie

soit assimilé à un slum. Dans cette perspective, une grande part des habitations non

réglementaires du Caire peut être considérée comme des slums. Cette confusion est

d‟ailleurs assumée lorsque le programme étudie la terminologie employée dans chaque

pays : UN-HABITAT affirme qu‟en français on parle de « bidonvilles, taudis, habitat

précaire, habitat spontané », qu‟en portugais on parle de « favela » et qu‟en arabe on

emploie le terme « aashwa’i ».

Par conséquent, comment comprendre l‟analyse de l‟agence UN-HABITAT lorsqu‟elle

affirme qu‟en 2001, plus d‟un milliard d‟êtres humains vit dans des slums et qu‟ils seront

deux milliards en 2030 ? Dans un rapport sur Le Caire (2011), l‟agence affirme que 17,1%

des Égyptiens vivaient dans des « slums» en 2007 alors qu‟ils étaient 50% en 1990 ! La

confusion est donc entretenue en plus haut lieu. La définition très large donnée aux slums

par l‟agence UN-HABITAT explique que les taux soient si élevés. Ainsi, le rapport admet

que la majorité des habitants des slums égyptiens ne font face « qu‟à une seule » privation

sur l‟ensemble des critères établis (selon la définition établie plus haut). Nous pouvons

nous interroger sur la pertinence de l‟emploi du mot slum dans le contexte égyptien et

nous demander pourquoi l‟agence n‟entreprend pas toujours de parler d‟informal areas

comme elle le fait dans la suite du rapport. En effet, le rapport établit par la suite une

distinction claire entre les slums et les « zones informelles » dans le contexte du Caire, et

affirme qu‟il s‟agit de deux phénomènes distincts. Pourtant, lorsqu‟il s‟agit de fournir des

données chiffrées, le rapport parle de slums.

Ainsi, on observe que l‟agence UN-HABITAT, qui fournit par ailleurs des analyses très

intéressantes sur l‟habitat dans le monde, étudie le phénomène de l‟habitat auto-construit

comme un ensemble uniforme et évoque l‟habitat non réglementaire du Caire et les

bidonvilles de Bombay au sein d‟une même étude sans établir de réelles différences. En

effet, la distinction entre « l‟habitat informel » et les slums n‟est faite que dans le rapport

consacré au Caire. Les autres rapports consacrés à l‟urbanisation et à la pauvreté dans le

monde n‟établissent pas cette distinction.

On compte ainsi un nombre incroyable d‟études simplificatrices sur les bidonvilles, les

slums des grandes villes du Tiers-Monde. On oublie trop souvent que la réalité de l‟habitat

13 UN-HABITAT, 2002.

21

populaire à travers le monde est extrêmement variée et que ceux qui, d‟un point de vue

d‟accès aux logements, peuvent être considérés comme pauvres ne vivent pas forcément

dans ces habitats de tôles et de bidons. Il semble donc plus que jamais nécessaire de

remettre en question la notion de bidonvilles et d‟affirmer la diversité des problèmes

d‟accès au foncier et à l‟immobilier à travers le monde.

2. Un phénomène qui s’inscrit dans un contexte mondial

À travers cette sous-partie, nous observerons que l‟habitat d‟émanation populaire est un

phénomène mondial qui s‟inscrit dans un contexte économique et démographique

particulier. L‟urbanisation sans précédent que connaissent les pays en voie de

développement depuis plus d‟un demi-siècle ainsi que le développement d‟une logique

économique libérale, qui a progressivement gagné du terrain, sont autant de facteurs qui

ont contribué à l‟accélération du phénomène d‟habitat d‟émanation populaire. Toutefois

nous observerons que ce phénomène ne peut être expliqué par les seuls facteurs de

l‟urbanisation et de l‟explosion démographique. En effet, même lorsque la croissance

démographique ralentit, l‟urbanisation d‟émanation populaire, au Caire notamment,

continue de plus bel. De la même manière, lorsque l‟exode rural s‟est ralenti, le

développement de ces quartiers est resté important. Ainsi, le développement de

l‟urbanisation non réglementaire est, au Caire, davantage le fruit de mécanismes de

redistribution des populations déjà installées dans la capitale que de l‟exode rural.

Nous illustrerons l‟étude du contexte mondial dans lequel s‟est développée l‟urbanisation

d‟émanation populaire par le cas égyptien qui, même s‟il n‟est pas représentatif de toutes

les formes de cette urbanisation - aucun ne l‟est - nous a semblé pertinent.

Le phénomène de l‟habitat d‟émanation populaire est la conséquence d‟un bouleversement

mondial des façons de faire et de penser la ville. Celui-ci est le fruit d‟une urbanisation

sans précédent, partout dans le monde, et plus encore au sein des pays en voie de

développement, mais aussi d‟une libéralisation économique qui touche de plus en plus de

pays et qui a entrainé un désengagement des États dans la production de logements.

L‟urbanisation du monde est spectaculaire. Selon l‟ONU, depuis 2008, la population

urbaine est devenue majoritaire. Ce phénomène devrait se poursuivre puisqu‟on estime

22

qu‟il y aura en 2050 6,4 milliards d‟urbains dans le monde, c'est-à-dire 70% de la

population mondiale, contre 3,3 milliards aujourd‟hui. Selon les estimations de l‟ONU, les

pays en voie de développement absorberaient 95% de la croissance des villes d‟ici à 2050.

En effet, l‟urbanisation des pays développés semble, elle, avoir atteint un seuil de

maturité.

En Égypte, la libéralisation économique, l‟infitah (ouverture), engagée par Sadate a

accéléré le retrait de l‟État. Ainsi la production publique de logements a considérablement

diminué tandis que le secteur privé du bâtiment, qui entretenait alors des liens très étroits

avec le gouvernement, a largement augmenté sa productivité. Les unités de logement

créées par le secteur privé du bâtiment n‟ont eu aucune incidence sur l‟habitat

d‟émanation populaire - sinon de stimuler son développement - dans la mesure où celui-ci

n‟entreprend de loger que les populations solvables et même très aisées. Ainsi, la

production de logements par le secteur privé est passée de 23 340 unités de logements en

moyenne par an au cours des années 1960 à 40 622 logements par an en moyenne entre

1973 et 1981. Nous étudierons, dans la deuxième partie de ce mémoire, les nombreux

types d‟habitat qui se sont développés au cours de la deuxième moitié du XXe siècle et qui

n‟ont fait qu‟aggraver la crise du logement en Égypte.

Dans les années 1980-1990, ce sont les programmes d‟ajustement structurel (PAS) qui ont

entrainé une réduction drastique des dépenses publiques des pays en voie de

développement. Les programmes d‟ajustement structurel sont un ensemble de mesures

économiques mises en place par le Fonds monétaire international (FMI) et/ou la Banque

Mondiale dans des pays touchés par d‟importantes difficultés économiques. L‟objectif

premier était « l‟assainissement » et la libéralisation des économies. En Égypte, le PAS a

notamment pour objectif la privatisation des entreprises publiques et la promotion du

secteur privé. Ces programmes ont depuis été largement critiqués et remis en cause, au

sein même des institutions qui les avaient promus.

Ce n‟est qu‟en 1991 (après la plupart des pays) que l‟Égypte, confrontée à une crise

économique de plus en plus sévère, s‟est engagée dans un programme de stabilisation et

d‟ajustement structurel, le premier élaboré par le FMI, et le deuxième par la Banque

Mondiale. Le montant total de l‟aide accordée à l‟Égypte était alors de 17,25 milliards de

dollars. Dans le cas égyptien, l‟un des objectifs chiffrés est la baisse des dépenses

budgétaires de 51,5% du PIB en 1990-1991 à 42,1% en 1995-1996. Ces objectifs seront

23

réalisés grâce à une baisse des dépenses publiques, qui de 19,1% en 1990-1991 ne

représenteront que 8,2% en 1995-1996 ainsi qu‟une importante baisse des subventions à la

consommation (L. Blin, 1992). Les programmes d‟ajustement structurel marquent le

triomphe de la logique néo libérale. Ils ont exacerbé les difficultés rencontrées par les

couches sociales les plus démunies, mais aussi, les couches sociales intermédiaires. Afin

de répondre aux exigences des institutions financières, de nombreuses entreprises ont été

privatisées. Ainsi, plusieurs entreprises du bâtiment ont été privatisées au début des années

1990. Paradoxalement, l‟État égyptien a augmenté sa production de logements au cours de

cette période sans toutefois parvenir à faire diminuer la croissance de l‟habitat

d‟émanation populaire. Nous étudierons ce paradoxe dans la deuxième partie.

Ainsi, nous avons pu observer l‟importance du contexte, notamment économique, dans le

développement de l‟urbanisation non réglementaire. Cette forme d‟urbanisation est la

conséquence de l‟échec des États en matière de politique du logement et de gestion des

villes. Cet échec peut être observé dans de nombreuses villes de la plupart des pays en

voie de développement, si ce n‟est la totalité. Il faut toutefois prendre garde à ne pas

simplifier la situation et ne pas établir un lien de cause à effet entre la mise en œuvre des

politiques d‟ouverture, comme l‟infitah en Égypte, et la naissance de l‟urbanisation non

réglementaire. En effet, le phénomène de l‟urbanisation non réglementaire a largement

précédé la mise en place de ces politiques économiques et le désengagement de l‟État du

secteur de la production de logements.

Les formes d‟urbanisation non réglementaire sont multiples : chaque ville, voire chaque

quartier, connait une situation particulière. C‟est à l‟échelle du quartier, voire de la rue,

qu‟il faudrait mener une étude. Ainsi, il n‟y a pas deux quartiers d‟habitat non

réglementaire qui se ressemblent (P. Signoles, 1999). L‟habitat d‟émanation populaire a

été inégalement étudié selon les régions du monde, et la confusion sémantique entretient

un certain flou autour de ces recherches.

3. Une multiplicité de formes d’urbanisation non réglementaire

C‟est en Amérique Latine que le phénomène a été le plus étudié ; par conséquent c‟est là

aussi qu‟il est le mieux connu. Ainsi on connait bien les favelas du Brésil, « baraques » en

24

espagnol, objets de nombreux fantasmes relatifs au péril urbain. Aujourd‟hui, plus de 50%

des habitants de Sao Paulo, c'est-à-dire 6 millions de personnes, vivraient dans des favelas.

Certains travaux sur l‟habitat précaire dans le monde évoquent les favelas et l‟habitat du

Caire comme des formes d‟urbanisation similaires. Or, les favelas n‟ont rien à voir avec

l‟habitat non réglementaire au Caire, si ce n‟est l‟illégalité. Traiter ces deux formes

d‟urbanisation de la même façon, en arguant du fait que l‟une et l‟autre sont illégales

semble tout à fait réducteur.

Le phénomène des barriadas, « quartiers » en espagnol, ou pueblos jovenes, cet habitat

non réglementaire au Pérou, à la croisée des bidonvilles et des quartiers non

réglementaires qu‟on observe au Caire, a lui aussi été bien étudié. On estime que 38% de

la population totale de Lima vit dans ces quartiers. Au Chili, on parle de poblaciones

callampas, « peuplements champignons » en espagnol, suggérant parfaitement le

caractère irrépressible de l‟urbanisation. À Mexico, les chiffres sont encore plus flagrants

puisque déjà en 1990, les quartiers non réglementaires de la ville abritaient 60% de la

population totale de la ville.

Le phénomène des slums indiens est également très bien connu. C‟est d‟ailleurs aux villes

indiennes, que le terme slum est désormais associé. Dans les années 1990, 60% de la

population de Bombay vivaient dans des quartiers illégaux dits bastee.

À Ouagadougou, en 1984, 65% de la population totale de la ville habitaient dans des

quartiers non réglementaires.

À Istanbul, le phénomène est connu sous le nom de gecekondus, qui signifie littéralement

« il s‟est posé cette nuit », une notion fourre-tout à déconstruire elle aussi (J.-F. Pérouse,

2004). À l‟origine, l‟illégalité des gecekondus stambouliotes est avant tout liée au sol

puisque les constructeurs ne sont pas les propriétaires du sol qu‟ils investissent. Avec le

temps, les formes de gecekondus ont évolué et se sont multipliés, l‟illégalité s‟étant

déplacée du statut du sol au statut de la construction. Cette multiplication des formes de

gecekondus nécessite plus que jamais que la notion soit revue.

Au Maroc, la terminologie officielle est le plus souvent celle de « quartiers clandestins ».

Une enquête menée par le ministère de l‟habitat et la Banque Mondiale en 1983 établit à

1 300 000 le nombre d‟habitants vivant dans ces quartiers c‟est à dire 13% de la

population urbaine nationale avec d‟importantes différences selon les villes. La Direction

25

de l‟urbanisme liée au ministère de l‟habitat, de l‟urbanisme et de l‟aménagement de

l‟espace évoque « l‟apparition de larges secteurs d‟habitat dit « non réglementaire »

(dénommé bidonvilles, clandestin, spontané, sous intégré etc.) » et parle d‟un

« phénomène complexe aux retombées négatives tant sur la santé des habitants que sur

leur environnement »14

. On remarquera qu‟au Maroc, le mot « informel » n‟est que très

rarement appliqué à l‟habitat, il est plutôt utilisé pour évoquer l‟économie informelle. La

Direction de l‟urbanisme évoque « la prolifération anarchique de l‟habitat clandestin ou

insalubre ». Nous pouvons observer, à travers ces déclarations officielles, la volonté

d‟uniformisation de l‟urbanisation non réglementaire. L‟État marocain mène des

politiques très dynamiques en matière d‟urbanisme, notamment à travers le programme

« Villes sans Bidonvilles » lancé en 2004 et qui aurait déjà atteint 70% de ses objectifs en

2010.

Ainsi, l‟habitat non réglementaire n‟est en aucun cas une spécificité égyptienne. Il se

développe de façon spectaculaire dans la plupart des villes du Sud. Les quartiers non

réglementaires se développent surtout en périphérie des villes, provoquant un

désengorgement des quartiers centraux.

C. En Égypte, un habitat pluriel

1. Le Caire, ville sans bidonvilles ?

Au sein même de la capitale égyptienne, le phénomène de l‟habitat non réglementaire

recouvre une réalité très variée. Toutefois, cette forme d‟urbanisation semble moins

difficile à cerner au Caire, mais aussi plus généralement en Égypte que dans d‟autres villes

des pays en voie de développement. En effet, la capitale égyptienne peut se targuer de ne

pas compter de bidonvilles, type d‟habitat bien connu et flagrant dans des villes comme

Rio, Bombay, Delhi etc. La quasi-absence de cette forme d‟urbanisation permet, dans une

certaine mesure, de simplifier l‟étude de l‟urbanisation d‟émanation populaire cairote.

Toutefois, cela ne doit pas nous laisser imaginer que l‟habitat non réglementaire ne

14

http://www.marocurba.gov.ma/urbanisme/index.asp

26

connait pas, au Caire, de formes précaires. Cela signifie plutôt que la plupart des

habitations sont « en dur ». Ainsi, Galila El Kadi parle d‟habitat « sous standard » et

affirme que cette « ville sous standard est pour une large part celle d‟un habitat qui a

toutes les apparences de la décence mais qui est excentré, mal construit, souvent exigu et

toujours mal équipé »15

.

Certains travaux sur l‟habitat non réglementaire (G. El Kadi, 1987 ; A. Deboulet, 1994)

font état de l‟absence de bidonvilles tout en mettant en garde contre le risque de

développement de ce phénomène. Ainsi, Galila El Kadi affirme « jusqu‟à maintenant le

phénomène des bidonvilles demeure embryonnaire, mais […] est appelé à se

développer »16

et prédit en conclusion « l‟apparition de nouvelles formes d‟invasion des

domaines privés, avec la construction de quartiers en bidons [qui] laisse supposer un

glissement vers le bas de l‟urbanisation spontanée »17

.

La capitale égyptienne peut encore se vanter de ne connaitre que de minuscules poches de

bidonvilles en sa périphérie. Ainsi, les bidonvilles existent au Caire mais selon Pierre

Arnaud Barthel « il ne s‟agit que d‟un phénomène très restreint de poches qui ne semble

pas appelé à croître. »18

. Les spécialistes estiment qu‟au maximum ces poches abriteraient

2% de la population du Grand Caire. Le recensement officiel de 2006 estime que 0,67%

des habitations de l‟ensemble du territoire égyptien sont composées de « cabanes ». En

dehors du Maroc, le phénomène des bidonvilles est extrêmement restreint dans les pays du

monde arabe. Toutefois, certaines villes, notamment au Yémen, connaissent un habitat très

précaire qui ne peut être considéré comme bidonville puisqu‟il est, pour la plupart, en dur.

Les rares bidonvilles de la capitale égyptienne sont visibles dans les espaces interstitiels

laissés vacants au sein même des quartiers non réglementaires. Ainsi, il est possible

d‟observer, notamment sur la route d‟Alexandrie en périphérie du Caire, la présence de

quelques habitations de tôles et de planches. Puisqu‟ils représentent une très faible part de

l‟habitat en Égypte, les bidonvilles sont très peu étudiés. Or, même s‟il est extrêmement

minoritaire, ce phénomène mérite d‟être analysé.

Malgré l‟absence d‟une urbanisation faite de matériaux précaires, la ville du Caire connait

une grande variété de formes d‟urbanisation non réglementaire. Le phénomène de

15 L’urbanisation spontanée au Caire, 1987, p. 99. 16

Ibid, p. 312. 17

Ibid, p. 327. 18

Entretien mené au Caire le 11 juin 2011.

27

l‟urbanisation non réglementaire est apparu en Égypte pour la première fois au début des

années 1950. Pour comprendre ce phénomène, il est nécessaire d‟en établir une typologie.

La notion d‟habitat non réglementaire au Caire n‟est pas toujours envisagée de la même

façon et le phénomène est entendu plus ou moins largement.

Ainsi certains étudient uniquement l‟extension non réglementaire de la ville sur terres

agricoles (G. El Kadi, 1987), tandis que d‟autres se concentrent sur l‟urbanisation des

terres désertiques, appartenant souvent à l‟État. Agnès Deboulet ne prend pas en compte

l‟urbanisation sur terres agricoles puisque l‟objet principal de son étude est de « repérer

les compétences et les performances des acteurs à concevoir l‟espace urbain. Or le

territoire agricole […] est tramé à l‟extrême [alors que] les terrains arides ou désertiques

presque exempts de tracés au sol pré existant […] sont par conséquent plus susceptibles de

se prêter à un exercice moins pré-contraint, plus à même de révéler les savoir faire sur

l‟espace. »19

Une troisième conception, plus large, considère qu‟il y a quatre grands types

d‟habitat non réglementaire : ainsi l‟agence de coopération technique allemande (GTZ)

adopte une typologie très précise selon laquelle le premier type de zones informelles serait

établi sur terres agricoles, le deuxième sur terrains désertiques appartenant à l‟État, le

troisième serait une détérioration du cœur historique de la ville, et enfin le quatrième

concernerait des poches urbaines détériorées (voir tableau établissant la typologie des

zones informelles selon la GTZ en annexe p. 111)

Nous nous attacherons ici à saisir la complexité des quartiers d‟urbanisation non

réglementaire de la ville du Caire. Ainsi, nous comprendrons que ces quartiers recouvrent

des situations très variées, selon le lieu et leur mode d‟implantation.

De cette manière, nous distinguerons deux grands types de quartiers non réglementaires :

ceux établis sur terres agricoles, et ceux sur terres désertiques. Enfin, nous étudierons un

troisième type d‟urbanisation non réglementaire qui s‟effectue en infraction aux normes

urbanistiques ainsi que l‟habitat dans les cimetières.

19

Vers un urbanisme d’émanation populaire. Compétences et réalisations des citadins. L’exemple du Caire,

1994, p.7.

28

2. La prédominance de l’habitat sur terres agricoles

En Égypte, les terres agricoles sont les premières concernées par l‟urbanisation non

réglementaire. Toutes les villes du Delta et du sud de la vallée du Nil sont touchées par

cette urbanisation qui « grignote » les terres agricoles et « ronge » la ville. Entre 1952 et

1976 on estime que 268 000 hectares de terres agricoles auraient été « dévorés » par

l‟urbanisation. Le degré d‟illégalité de l‟urbanisation non réglementaire sur terres

agricoles est différent de celui observé sur terres désertiques. En effet, comme le dit Galila

El Kadi « il n‟y a pas d‟atteinte à la propriété […] chaque parcelle est acquise légalement,

c‟est son changement d‟usage qui est illicite. »20

La transaction des terres agricoles est

donc légale, le propriétaire peut immatriculer sa terre au cadastre même si la procédure

d‟enregistrement est longue et laborieuse. Ainsi, même si la transaction est légale, certains

terrains ne sont pas inscrits dans les registres du Département public de l‟enregistrement

des propriétés. Si la transaction est légale, la construction, elle, est formellement interdite.

Le kordon mabâni ou cordon urbain est censé délimiter la zone non constructible sur

terres agricoles autour de la capitale. Dans les communes rurales, c‟est le zimâm qui fait

office de cordon. La délimitation de ce cordon urbain est, probablement volontairement,

extrêmement mal connue des autorités qui ont pour mission de protéger les terres fertiles

(A. Deboulet, 1994 ; G. El Kadi 1987). Il est évident que le cordon a, avant tout, un rôle

symbolique : celui de contenir et de contrôler la ville. Ainsi, Agnès Deboulet affirme que

« l‟utilité réelle du cordon n‟est pas de dissuader la construction mais de conforter les

dirigeants dans l‟idée que l‟urbanisation est contrôlée »21

. À l‟extérieur de ce cordon, les

terres sont strictement interdites - en théorie - à la construction. La première loi interdisant

la construction sur terres agricoles fut promulguée en 1940 (loi numéro 52) par le

ministère de la justice. L‟interdiction fut renforcée à de nombreuses reprises : en 1966 la

loi numéro 59 définit le cordon urbain, elle fut amendée quatre fois jusqu‟en 1979 (1973,

1975, 1978, 1979). La loi numéro 3 sur l‟aménagement urbain promulguée en 1982

autorise la construction sur certaines terres et définit les normes urbanistiques. Elle stipule

que l‟installation des équipements publics doit être effectuée avant la vente des lots et

qu‟un tiers de la superficie du lot doit leur être réservés (il s‟agit du coefficient

d‟occupation du sol). Elle affirme également qu‟une réserve d‟espaces publics doit être

20

L’urbanisation spontanée au Caire, 1987, p. 6. 21

Vers un urbanisme d’émanation populaire. Compétences et réalisations des citadins. L’exemple du Caire,

1994, p.115.

29

préservée, que les rues doivent mesurer 10 mètres de largeur au minimum (lorsque la rue

excède un kilomètre, elle doit mesurer au moins 20 mètres de large). La construction ne

doit pas dépasser 60% de la parcelle, 10% devant être réservés pour les espaces communs

(escaliers etc.). La hauteur des immeubles ne doit pas dépasser 1,5 fois le gabarit de la rue.

Le département du logement et de la reconstruction du gouvernorat peut demander que le

lotisseur fournisse l‟eau potable, l‟électricité et le système d‟évacuation des eaux usées à

ses frais.

La loi termine en affirmant que le non respect de ces règles est « un crime contre la société

S‟il contrevient à la loi, le propriétaire s‟expose au risque d‟expropriation et à la

démolition du bâtiment. »

En 1996, le Premier Ministre promulgue un décret selon lequel « Article 1 : le propriétaire

d‟un terrain agricole ou son possesseur, peu importe sa qualité ou son identité, a

l‟interdiction de construire sur sa terre, de transférer la terre pour d‟autres usages que celui

d‟améliorer la fertilité des cultures […] Article 2 : en cas de non respect, il se verra, en

vertu du code pénal, infliger une peine de prison comprise entre deux et cinq ans. Il se

verra également confisquer tous les matériaux, machines ou véhicules. » Ce décret a été

annulé en 2003 à la suite du congrès national de l‟ancien parti au pouvoir, le Parti National

Démocratique (PND).

Cette profusion législative nous permet d‟observer l‟intérêt accordé à la perte de ces terres

fertiles. En effet, l‟Égypte ne compte que 4% de terres cultivables et importe déjà 80% de

son blé. Ainsi, les surfaces agricoles du pays sont extrêmement précieuses. Entre 1991 et

1998, 1100 hectares de terres agricoles périphériques ont été urbanisées de façon non

réglementaire (M. Séjourné, 2006). Malgré les interdictions législatives, les autorités

compétentes peuvent parfois délivrer des permis de construire. Nous observerons dans la

deuxième partie, que par un système clientéliste, de corruption et de détournement de la

loi, les propriétaires des parcelles agricoles non constructibles parviennent, grâce à

plusieurs stratégies, à obtenir des autorisations.

Pour les paysans, la vente des terres pour la construction est bien plus rémunératrice que

leur culture. Galila El Kadi étudie les raisons qui poussent les paysans à vendre leurs

terres. Elle affirme que « l‟intégration de la terre à la production capitaliste d‟État

transforme le paysan en double prolétaire [car] même si juridiquement il continue à être

propriétaire, cette propriété est formelle » puis elle ajoute que l‟extrême fragmentation de

30

la propriété depuis la réforme agraire « rend la propriété paysanne très vulnérable à la

poussée urbaine, l‟activité agricole étant peu rentable »22

. De plus, le Haut Barrage

d‟Assouan, achevé en 1970, a entrainé une importante baisse de la fertilité des terres

agricoles dans la mesure où celui-ci a limité les crues qui assuraient auparavant le dépôt

du limon. De la même manière, la construction d‟un bâtiment sur une terre agricole

conduit à une forte détérioration de la fertilité des parcelles voisines. En effet, la

productivité de la terre voisine se dégrade rapidement en raison de la pollution entrainée

par la salinisation des sols (l‟Égypte est le deuxième pays au monde le plus affecté par la

salinisation des sols, toxique pour les végétaux), l‟engorgement des canaux d‟irrigation et

la hausse du niveau des eaux usées (M. Séjourné, 2006). Ainsi, la construction d‟un

bâtiment sur une parcelle agricole peut avoir un effet domino sur les terres voisines dans la

mesure où la fertilité de celles-ci se dégrade rapidement.

L‟habitat non réglementaire sur terres agricoles a la particularité d‟être extrêmement

tramé. Les anciens canaux d‟irrigation se transforment en égouts. Les rues sont souvent

très étroites (contrairement à ce qu‟exigent les normes urbanistiques) car les propriétaires

veulent utiliser au maximum la surface au sol. Les immeubles non réglementaires sur les

terres agricoles sont calqués sur l‟ancien parcellaire. Ainsi, les poteaux des immeubles

sont implantés aux angles de chaque bassin. Une fois l‟immeuble bâti, il est donc possible

de repérer les « traces » de la terre agricole sur laquelle il s'est implanté. Les immeubles

bâtis sur ces terres peuvent atteindre des hauteurs relativement importantes. Dans sa thèse

(1987), Galila El Kadi affirme que sur les grands axes routiers, les immeubles peuvent

atteindre jusqu‟à huit étages. Aujourd‟hui, dans les quartiers d‟urbanisation non

réglementaire sur terres agricoles, nous pouvons observer des immeubles d‟une hauteur

spectaculaire allant jusqu‟à une quinzaine d‟étages. Contrairement à la plupart des villes

du Tiers-Monde et du monde arabe où dominent les maisons individuelles et les petits

immeubles, au Caire, ce sont en majorité des immeubles assez hauts qui voient le jour

dans les quartiers non réglementaires. Ce phénomène de « verticalisation » de l‟habitat

témoigne de l‟attractivité qu‟ils exercent sur des franges de plus en plus larges de la

population. Il n‟y a pas un modèle-type de construction d‟immeubles, ceux-ci se

développent de façons différentes selon le profil de l‟acquéreur. En effet, un immeuble

relativement haut peut être construit très rapidement si le propriétaire est un promoteur

immobilier, un professionnel, ou tout simplement si celui-ci dispose d‟une fortune

22 L’urbanisation spontanée au Caire, 1987, p. 206.

31

personnelle suffisante. Ainsi, certains professionnels de l‟immobilier, dans une logique

spéculative, achètent plusieurs parcelles agricoles, les lotissent puis revendent ou louent

les appartements un par un à des prix assez élevés. Le secteur locatif est assez important

dans les quartiers non réglementaires puisque 50 à 70% des ménages seraient locataires

(M. Séjourné, 2006). La photo ci-dessous nous permet d‟observer la progression de la

construction : le lotisseur achève les appartements au fur et à mesure de la vente. Ce type

d‟immeuble, construit juste après le chemin de fer qui marque « l‟entrée » dans le quartier

non réglementaire témoigne de la présence de promoteurs immobiliers qui développent un

habitat qu‟on pourrait presque qualifier de « standing ». Ces immeubles, parmi les plus

hauts dans les quartiers non réglementaires, font le lien entre la « ville non réglementaire »

et la « ville réglementaire » ou la « ville légale » et la « ville illégale ».

Dans ce cas, l‟appellation « habitat d‟émanation populaire » utilisée par Agnès Deboulet

n‟est pas appropriée puisque ce sont des sociétés de lotissement ou de réels promoteurs

immobiliers qui participent à l‟urbanisation du quartier dans un but purement commercial.

On est donc très loin du modèle de l‟acquéreur d‟une terre agricole, qui entreprend de la

lotir très progressivement, afin de loger sa famille sur un étage d‟abord, puis de poursuivre

la construction pour loger ses enfants, lorsque ceux-ci décident de « décohabiter » (A.

Deboulet, 1994).

Les populations des quartiers non réglementaires sur terres agricoles, plus encore celle des

immeubles proches de la ville « réglementaire », ne sont pas démunies comme peuvent

l‟être celles des populations établies sur des terrains désertiques. Ainsi, nous pouvons

observer sur la photo ci-dessous, la bonne qualité du bâti et la peinture de la façade sur

l‟immeuble de droite. Lors du premier stade de développement, les immeubles non

réglementaires sont caractérisés par l‟absence d‟enduit extérieur et donc les briques rouges

apparentes. Dans un second temps, les habitants entreprennent de peindre les façades en

employant des jeux de couleurs souvent originaux, et d‟orner les balcons de diverses

décorations.

32

Photographie 1 : Exemple de "remplissage" des étages au fur et à mesure des ventes

d’un immeuble dans le quartier ‘Ard el Lewa.

Cliché pris par Éléonore Fallot le 26 juin 2011.

33

À l‟inverse des grands immeubles construits en une seule fois, nous pouvons observer des

cas d‟immeubles plus petits et construits très progressivement. Ainsi, Galila El Kadi

(1987) donne l‟exemple d‟un immeuble de trois étages, dont la construction a duré douze

ans. Lorsque l‟acquéreur de la terre ne dispose pas de fonds suffisants, il construit petit à

petit, souvent au fil des besoins de sa famille et des moyens financiers.

Puisque la transaction a été effectuée légalement, la situation des logements sur terres

agricoles est en général relativement sûre et rares sont les cas d‟expulsion ou de

démolition. Paradoxalement, la situation est bien plus instable sur les terrains désertiques

appartenant à l‟État que sur les terres dites « utiles ». De plus, puisque les terres agricoles

sont achetées et non squattées, les populations sont davantage solvables que celles établies

sur terres désertiques, leur situation est donc moins précaire. Les terres agricoles sont plus

convoitées que les terrains désertiques dans la mesure où l‟accès aux infrastructures est

meilleur. En effet, la présence de l‟eau est un atout non négligeable. Les équipements,

qu‟il s‟agisse des réseaux d‟eau, d‟électricité ou d‟assainissement sont toujours bien plus

développés dans les zones édifiées sur terres agricoles que sur terrains désertiques. De

plus, les terres agricoles sont mieux desservies par les moyens de transports : des lignes

ferroviaires sont souvent présentes à proximité. Ainsi, d‟importants quartiers établis sur

d‟anciennes terres agricoles, comme Ezbet El Nakhl ou El Matariya au nord est du Caire

disposent de stations de métro à proximité.

Parallèlement, la situation sociale des habitants des quartiers non réglementaires sur terres

agricoles est meilleure que celle des squatteurs. Ainsi, il y a une corrélation entre le niveau

d‟éducation et le type de quartier non réglementaire (M. Séjourné, 2006). Les taux

d‟analphabétisme les plus importants sont enregistrés sur terrains désertiques alors que

ceux des terres agricoles sont similaires à ceux de la ville « légale ». Dans les quartiers

établis sur d‟anciennes terres agricoles, le pourcentage de jeunes inscrits à l‟université est

pour la plupart le même – il est parfois même supérieur – dans les quartiers non

réglementaires que dans les quartiers réglementaires de la capitale.

Les terres agricoles les plus convoitées sont situées en proche périphérie de la capitale, la

« frontière » entre la ville « légale » et la ville dite « illégale » est parfois invisible : entre

Hadayek el Ma„adi et la riche zone de Ma„adi, c‟est simplement un rond point qui sépare

géographiquement les deux zones. Entre „Ard el Lewa et Mohandessin, ce sont les rails du

chemin de fer qui font office de séparation entre le quartier non réglementaire et le

34

quartier chic. La plupart du temps, la « séparation » entre les deux formes d‟urbanisation

n‟est visible que par le type du bâti.

3. La précarité de l’habitat sur terrains désertiques

Contrairement aux terres agricoles, l‟urbanisation sur terrains désertiques s‟effectue sur

des terrains squattérisés. Des individus, mais aussi parfois des sociétés de lotissement,

s‟approprient illégalement des terrains appartenant à l‟État égyptien. On distingue deux

types de terrains appartenant à l‟État :

- Les terrains appartenant au Domaine Public de l‟État : ils sont considérés comme

étant d‟utilité publique, ils sont inaliénables. Ce sont des zones sur lesquelles

peuvent être réalisés des projets d‟aménagement, ou des équipements publics.

- Les terrains appartenant au Domaine Privé de l‟État : ils peuvent être aliénés par

voie officielle. On compte dans ce domaine de nombreux types de terrains : parmi

eux, les propriétés de la famille royale confisquées au moment du Coup d‟État des

Officiers Libres en 1952, les terres expropriées au nom de la réforme agraire au

même moment, les terrains abandonnés ou sans propriétaires qui ont été récupérés

par l‟État.

Lorsque ces quartiers sont appropriés, on parle de was’al-yad ou mainmise. C‟est donc le

degré d‟illégalité qui, en premier lieu, distingue l‟urbanisation sur terres agricoles de

l‟urbanisation sur terrains désertiques. Dans ce cas, l‟illégalité réside avant tout dans

l‟occupation frauduleuse du sol. Les habitants de ces quartiers ne disposent d‟aucun titre

de propriété. Il est possible de distinguer trois catégories de quartiers non réglementaires

établis sur des terrains désertiques (M. Séjourné, 2006) :

- Une première catégorie de quartier est établie sur des terrains appartenant à l‟État

mais gérés par le gouvernorat (ou un appareil du gouvernorat). Par exemple le

célèbre quartier de Manshiet Nasser se trouve sur un terrain appartenant au

gouvernorat du Caire.

35

- Une deuxième catégorie regroupe des terrains anciennement propriété de l‟État,

ayant par la suite été vendus à des investisseurs ou à des fermiers, dans le but

d‟être bonifiés. Ces terrains ont ensuite été bâtis illégalement.

- La dernière catégorie peut elle-même être subdivisée. Tout d‟abord les terrains que

l‟État avait attribué à des entreprises du secteur public ; les terrains cédés à des

coopératives pour des logements publics ; les terrains ayant été classés zones

archéologiques et donc non-constructibles ; les terrains appartenant aux forces

armées et enfin, les terrains faisant partie du domaine public.

L‟urbanisation non réglementaire sur terres désertiques représente une petite part de

l‟ensemble de l‟urbanisation non réglementaire dans la région du Grand Caire. Les

estimations oscillent autour de 10%. La faiblesse de cette part est assez surprenante quand

on sait que l‟Égypte est à 94% désertique, et que l‟État possède la quasi-totalité du désert.

Le tableau ci-dessous nous permet d‟observer l‟importante part de l‟urbanisation non

réglementaire sur terres agricoles, par rapport à celle qui s‟effectue sur terrains

désertiques. Tant en termes de superficie qu‟en termes de population, l‟urbanisation sur

terres agricoles est de loin plus importante. Il faut cependant noter que ces statistiques ont

été établies grâce au recensement effectué par le CAPMAS et que celui-ci sous estime

largement l‟urbanisation sur terrains désertiques.

Tableau 1 : Répartition de la population et des surfaces urbanisées des quartiers

irréguliers du Grand Caire selon le type de terres occupées en 1996

Catégories Population En % Superficie (ha) En %

Terres agricoles 6 435 426 91 11 320 87,7

Terrains

désertiques

634 649 9 1600 12,3

Source : D. Sims, M. Séjourné, 2000, tiré de M. Séjourné, Les politiques récentes de

« traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et configuration du

système d’acteurs ?, 2006, p. 151.

36

Comme nous l‟avons vu, ces terrains sont soumis à une importante précarité. Cette

précarité résulte de plusieurs facteurs : tout d‟abord les taux de raccordements aux réseaux

publics sont bien plus faibles dans les quartiers désertiques, souvent plus éloignés du

centre que les quartiers établis sur terres agricoles. Ainsi, à Manshiet Nasser, seuls 92%

des habitants disposent d‟un raccordement au réseau d‟électricité, à Ezbet al Hagana, ils

ne sont que 63%. La faiblesse de ces taux ne doit pas laisser penser que le reste des

habitants n‟a pas l‟électricité : en effet, ces taux enregistrent la part de la population qui ne

dispose pas d‟un raccordement légal au réseau public. Lorsqu‟il n‟y a pas de raccordement

légal, les habitants parviennent à se brancher illégalement au réseau ou utilisent d‟autres

moyens d‟éclairages (kérosène, gaz en bouteille). Lorsque les appartements ne sont pas

raccordés au réseau public de l‟eau, les habitants ont recours à des pratiques similaires :

branchement illégal au réseau public, mise en place de pompes ou achat en jerricans au

secteur privé.

Les quartiers d‟urbanisation non réglementaires sur terrains désertiques sont également

moins bien lotis en termes d‟établissements types écoles, bureaux de poste, centres

médicaux, postes de polices etc., que les quartiers sur terres agricoles. Les situations sont

très variées mais le plus grand dénuement est observé sur les terrains squattés. Ainsi, un

quartier comme Ezbet al Hagana ne dispose d‟aucun équipement public. De la même

manière que pour les réseaux d‟eau, d‟électricité, d‟éclairage public, d‟assainissement etc.,

la faiblesse des équipements est compensée par d‟autres moyens. Ainsi, de nombreuses

associations (souvent à caractère islamique) suppléent aux carences de l‟État, notamment

dans les secteurs scolaires, culturels et médicaux.

L‟étude des équipements et des services dans l‟ensemble de la métropole cairote montre

de réelles disparités. Au sein même de la ville « réglementaire » certaines zones sont mal

pourvues. Quant à la ville non réglementaire, on observe des quartiers aussi bien équipés

que la ville « réglementaire », tandis que d‟autres connaissent une situation dramatique. La

différence d‟équipements est, en premier lieu, à corréler avec la « maturité » des quartiers.

En effet, plus ils sont récents, moins l‟équipement est développé. Au-delà de cette

distinction, nous pouvons observer que les quartiers établis sur terrains désertiques sont

toujours moins bien lotis que ceux établis sur terres agricoles.

La précarité de ces quartiers se manifeste également par l‟insécurité foncière. En effet,

l‟État égyptien, qui entend faire respecter sa propriété, fait preuve de beaucoup moins de

37

tolérance à l‟égard de ces quartiers. Ainsi, alors que les démolitions ou les expulsions sont

extrêmement rares sur les terrains agricoles, elles sont beaucoup plus fréquentes sur les

terrains désertiques appartenant à l‟État. Qu‟il s‟agisse de l‟un ou l‟autre type

d‟urbanisation, l‟expulsion et la démolition de ces habitations sont autorisées par la loi.

Toutefois, les conséquences ne sont pas les mêmes pour les habitants selon qu‟ils habitent

sur des terrains dont ils ont la propriété ou sont squatters. Puisque les squatters ne

disposent d‟aucun titre de propriété, ceux-ci ne sont ni relogés ni dédommagés, lorsque

l‟État décide de mettre en œuvre la « politique du bulldozer » (expulsion et démolition). À

l‟inverse, si l‟État démolit des habitations non réglementaires sur terres agricoles, la loi le

contraint à fournir une compensation aux propriétaires (mais pas aux locataires).

Au regard de l‟incessante expansion de la capitale, l‟urbanisation sur les terres désertiques

qui ceinturent le Caire apparait comme l‟unique solution si l‟État entend préserver les

rares terres agricoles encore cultivées. Ainsi, il semble urgent que l‟État cède une partie de

ses terrains. Toutefois, pour des raisons politiques, la mise à disposition de ces terrains est

assez rare. Ainsi Agnès Deboulet affirme qu‟à « la recherche de terrains à urbaniser en

priorité, le Gouvernorat du Caire aurait identifié entre 1984 et 1986 30 000 hectares de

terrains vacants sur le désert. […] Seul un dixième de la totalité des terrains vacants ont pu

être identifiés comme “raisonnablement exempts de conflits de propriété” alors [qu‟ils]

sont propriété de l‟État ». De plus, une forte proportion de ces terrains désertiques

appartient au ministère de la défense qui, plus que n‟importe quel autre organe de l‟État,

est réticent à les céder.

Bien que la majeure partie de l‟urbanisation non réglementaire continue à s‟opérer sur les

terres agricoles pour les raisons que nous avons évoquées (proximité de la ville

« réglementaire », situation foncière plus sûre, meilleurs équipements et infrastructures

etc.) les terrains désertiques sont l‟objet d‟importantes convoitises. L‟urbanisation sur les

terrains désertiques appartenant à l‟État est de plus en plus le fait de populations

insolvables qui ne peuvent pas se permettre de se loger sur les anciennes terres agricoles

dans la mesure où les prix y ont fortement augmenté. L‟augmentation des prix du foncier

sur les terres agricoles a contribué à en exclure une importante part de la population qui

s‟est alors rabattue sur les terrains désertiques.

38

4. L’habitat non réglementaire au cœur de la ville

L‟habitat non réglementaire n‟est pas uniquement le fait d‟une urbanisation opérée en

proche périphérie de la ville. Au cœur même de la capitale, il est possible d‟observer des

logements ou des constructions non réglementaires.

Aujourd‟hui le centre du Caire tend à se « dé-densifier » au profit des périphéries.

Toutefois, on a longtemps observé une densification, souvent réalisée de façon non

réglementaire, du centre de la ville. Cette densification s‟opère par des divisions

d‟appartements en petites pièces, des surélévations illégales d‟immeubles, des occupations

illégales d‟espaces réservés aux équipements publics, des modifications de bâtiments, le

non respect des normes urbanistiques (coefficient d‟occupation des sols, hauteur des

immeubles, largeur de la rue, espaces publics réservés etc.). On observe également le

développement d‟un habitat très précaire qui comble les espaces interstitiels de la ville.

Toutes ces modifications de la ville peuvent aussi être observées au sein même des

quartiers non réglementaires.

La photo ci-dessous illustre le phénomène d‟agrandissement illégal. Dans cet immeuble

d‟Imbaba, quartier non réglementaire du gouvernorat de Giza, des pièces ont été créées à

« l‟extérieur » de l‟immeuble. Ces extensions témoignent de l‟hyper densification de

certains quartiers de la capitale égyptienne. Par exemple, la densité d‟Imbaba dépasse celle

de Gaza (Newsletter pôle ville et développement durable, CEDEJ, Décembre 2009).

39

Photographie 2 : Création illégale de pièces supplémentaires à Imbaba.

Cliché pris par Éléonore Fallot le 26 juin 2011.

Aujourd‟hui, la « dé-densification » du centre de la capitale s‟opère au profit des quartiers

non réglementaires, en périphérie de la ville. Contrairement à une idée reçue très répandue

au Caire, la majeure partie de la population de ces quartiers n‟est pas constituée de

paysans mais plutôt de Cairotes qui ont changé de lieu de résidence. Ainsi, la croissance

de la capitale, et notamment celle des quartiers non réglementaires, est aujourd‟hui

davantage le fruit des migrations au sein même de la ville que de l‟exode rural. Tandis

qu‟en 1960, 35% des habitants du Caire étaient nés en dehors de la capitale, ils n‟étaient

plus que 12% en 1996. La densité des quartiers non réglementaires est donc plus forte

(528 habitants par hectare en moyenne) que dans les quartiers dits « légaux » (300

habitants par hectare en moyenne). De la même manière, le taux de croissance est

sensiblement plus fort dans les quartiers non réglementaires de la capitale. En effet, entre

les recensements de 1986 et de 1996 effectués par le CAPMAS, le taux de croissance

moyen des quartiers non réglementaires était de 3,38% par an, contre 0,31% par an dans

les quartiers dits « légaux » (M. Séjourné, 2006)

40

Une autre forme d‟urbanisation non réglementaire existe au sein de la capitale : l‟habitat

des cimetières. Bien que ce phénomène existe dans d‟autres pays, au Caire, il fait l‟objet

de nombreux fantasmes et constitue le drame urbain de la capitale en lieu et place des

bidonvilles dans d‟autres métropoles. Paradoxalement, le phénomène a été assez peu

étudié et les estimations relatives à la population habitant dans ces cimetières sont très

variées. L‟habitat dans les cimetières semble constituer une catégorie à part dans la mesure

où il est tout à fait différent de l‟habitat non réglementaire qu‟on peut observer dans le

reste de la capitale. Le bâti est en matériaux de très bonne qualité comme la pierre de

taille, le carrelage, le marbre puisque comme le disent Galila El Kadi et Alain Bonnamy

« L‟éternité de la mort exige la pérennité de la pierre. » 23

Les cimetières constituent le

trentième de l‟agglomération, c'est-à-dire 1000 hectares. L‟habitat des nécropoles du Caire

est ancien puisque déjà en 1459 un décret l‟interdit à la suite de la peste qui a décimé une

importante partie des habitants du cimetière. La fin de l‟époque mamelouke (fin XVe-

début XVIe) marque le déclin de l‟habitat des cimetières qui ne tardera pas à reprendre

sous le règne du vice roi d‟Égypte Muhammad Ali (1804-1849). Les facteurs qui ont

contribué au développement de l‟urbanisation non réglementaire ont également favorisé le

développement de l‟habitat dans les nécropoles. En 1966, la loi numéro 5 interdit de

demeurer dans les cimetières après le coucher du soleil. Lors du recensement de 1897, la

population des cimetières est estimée à 30 969 habitants. Au début du XXe siècle, les

croque-morts et gardiens s‟érigent en agents immobiliers, simsars, des nécropoles. Le

phénomène d‟habitat des nécropoles s‟accélère au cours de la deuxième moitié du XXe

siècle. Sans être légalisé, cet habitat est de plus en plus toléré et « officialisé » puisque

l‟État y installe des équipements comme des écoles, des postes de police, des bureaux de

poste, et même un bureau de l‟Union Socialiste Arabe sous la présidence de Nasser. En

1960, on dénombre 124 914 habitants dans les cimetières du Caire, ils sont 154 637

habitants seize ans plus tard en 1976. Ce phénomène a été très largement exagéré par la

presse égyptienne qui évoquait le million d‟habitants des cimetières cairotes. Des

spécialistes parlent de 500 000 à 800 000 habitants (S. Noweir, P. Panerai, 1987). Le

recensement officiel effectué par le CAPMAS en 1986 enregistre 175 000 habitants dans

les cimetières de la capitale.

23 La cité des morts, Le Caire, 2001, p. 11.

41

II. L’habitat d’émanation populaire : la mise en œuvre d’une

solution aux problèmes du logement ?

L‟habitat non réglementaire est la plupart du temps perçu comme une excroissance à

éliminer, un phénomène à enrayer. Nous tenterons ici de prendre le contre pied de cette

vision et d‟étudier l‟habitat non réglementaire comme une solution mise en œuvre par une

partie croissante de la population exclue des circuits légaux d‟accès au logement. La part

de la population exclue de ces circuits est de plus en plus importante. Alors que dans

certaines villes des pays en voie de développement, l‟habitat non réglementaire est une

solution mise en œuvre par, et à destination des plus pauvres, au Caire, cette urbanisation

concerne désormais également les classes moyennes supérieures.

Nous commencerons par étudier le contexte qui a favorisé le développement de l‟habitat

non réglementaire. Pour cela, nous étudierons dans un premier temps les formes que revêt

la crise du logement au Caire. Nous verrons ensuite que les programmes de logements

publics, trop éloignés de l‟idéal urbain des Cairotes, n‟ont pas permis d‟enrayer le

phénomène de l‟habitat non réglementaire et se sont, pour la plupart, soldés par de réels

échecs. Nous observerons également que, bien que l‟habitat non réglementaire ne soit pas,

comme son nom l‟indique, en conformité avec la loi et les règles urbanistiques, il n‟est en

aucun cas un habitat désorganisé ou anarchique. L‟habitat non réglementaire qui se

développe autour du Caire est une solution rationnelle mise en œuvre par une partie

croissante de la population pour répondre à un problème, celui de l‟accès difficile au

logement. Il répond ainsi à des exigences et des logiques qui sont le fruit d‟un idéal urbain

et d‟une volonté de droit à la ville. De cette manière, certains auteurs commencent à parler

du succès des quartiers non réglementaires. Ce succès est le fait des compétences des

citadins qui sont parvenus, en dehors de tout contrôle et de toute planification étatique à

créer des villes organisées et structurées. Evidemment, ce succès n‟est pas total et les

quartiers non réglementaires connaissent encore de réelles difficultés. Nous étudierons

également l‟exceptionnel dynamisme de ces quartiers par rapport à la « ville

réglementaire ». Enfin nous analyserons les possibilités d‟évolutions de ces quartiers.

L‟évolution de ces quartiers peut aussi bien être le fait des habitants, des autorités ou des

institutions internationales. Elle peut également prendre des formes différentes.

42

A. Quelques facteurs responsables du développement de

l’urbanisation non réglementaire

Le caractère majoritaire de l‟urbanisation non réglementaire en Égypte n‟est pas

seulement le fruit d‟une pauvreté urbaine croissante. Ainsi, Manal El Batran affirme « Un

bas revenu représente certes souvent une cause de logement inadéquat, mais on doit aussi

tenir compte d‟autres facteurs, tels qu‟une offre de logement insuffisante, des politiques

foncières inefficaces, des règlements de construction inadéquats et des déséquilibres entre

statut du sol et les moyens financiers pour y accéder. »24

Afin de comprendre les raisons

pour lesquelles l‟habitat non réglementaire est devenu une solution pour une majorité de

Cairotes, nous étudierons la situation du logement en Égypte. Pour cela, nous

commencerons par observer la crise du logement qui frappe la société égyptienne, puis

étudierons les politiques publiques en matière de logement.

Ce travail ne prétend pas énoncer de manière exhaustive les nombreuses raisons qui ont

contribué au développement de l‟habitat non réglementaire en Égypte et plus

particulièrement au Caire. De nombreux paramètres, souvent indissociables les uns des

autres, entrent en ligne de compte dans le développement de cette urbanisation. Nous

n‟aborderons pas ici des aspects qui ont été largement étudiés tels que la « démographie

galopante » de l‟Égypte, bien trop souvent exagérée ou présentée de façon dramatique,

ainsi que « l‟inquiétante urbanisation » de l‟Égypte. Ces deux phénomènes sont communs

à la plupart des pays du Sud mais ne suffisent pas à expliquer la croissance de

l‟urbanisation non réglementaire. Certes, Le Caire a crû bien plus rapidement que prévu et

la capitale n‟était pas prête à absorber le flux de migrants attirés par la politique

industrielle mise en place par Nasser. Toutefois, alors que l‟exode massif se ralentissait

très nettement au cours de la décennie 1970, l‟urbanisation non réglementaire continuait à

être le mode d‟urbanisation majoritaire de la capitale. Dès les années 1970, les taux de

croissance du Caire se stabilisaient au niveau de la moyenne nationale, puis étaient

inférieurs à celle-ci à partir de la décennie 1990. Désormais, ce sont les provinces

égyptiennes qui accueillent la plus grande part de migrants.

24

« Urbanisation et pauvreté : Le cas de l‟Égypte », 2004, p.500.

43

1. « Des habitants sans habitations et des habitations sans habitants »

La crise du logement en Égypte est assez complexe et ne correspond pas à l‟idée type que

l‟on se fait d‟une crise du logement. L‟Égypte ne connait en aucun cas une pénurie de

logements. Le problème n‟est pas le manque ou l‟insuffisance d‟unités de logements mais

plutôt une forte inadéquation qualitative plutôt que quantitative entre l‟offre et la demande

de logements.

Cette inadéquation qualitative est la conséquence d‟une profusion législative qui

commença avec un premier gel des loyers voté en 1941 à la suite de la forte augmentation

de ces derniers. Cette mesure fait suite à l‟importante pénurie de béton armé et de ciment

que connut l‟Égypte à partir de 1939. Au même moment, l‟article 563 du Code civil est

annulé. Cet article autorisait les propriétaires à expulser le locataire au terme du bail.

Ensuite, une série de lois et de décrets ont été votés pour, tour à tour, bloquer ou abaisser

les loyers. Ainsi, en 1947, un nouveau gel des loyers est voté. En 1952 les loyers sont

abaissés de 15% ; six ans plus tard, une autre loi impose un nouvel abaissement, de 20%

cette fois-ci. Une nouvelle baisse de 20% sera votée en 1961. Il y a alors, dans le cœur

historique de la capitale, de vastes et somptueux appartements dont le loyer ne dépasse pas

30 livres égyptiennes (3,50 euros).

Ces blocages successifs de loyers apparaissent dans un premier temps comme des mesures

extrêmement populaires en faveur des locataires mais à y regarder de plus près, ces lois et

décrets n‟ont profité qu‟à une extrême minorité de la population. En effet, ces mesures ont

eu pour conséquences de porter atteinte au secteur du logement. Tout d‟abord, le gel des

loyers a poussé les propriétaires des appartements à exiger des locataires des pas de porte

excessivement coûteux. Cette façon pour les propriétaires de compenser le bas prix des

loyers, voire de se prémunir d‟un nouveau gel, a contribué à exclure une importante partie

de la population de l‟accès à ces logements. De plus, en raison de ces lois de blocage des

loyers, les propriétaires ont cessé d‟entretenir leur patrimoine immobilier. En effet, dans la

mesure où ils ne pouvaient plus les valoriser financièrement, les propriétaires ne voyaient

plus l‟intérêt d‟entretenir ou d‟améliorer leurs appartements. On observe depuis, dans le

centre ville du Caire, une très forte dégradation du bâti. Le gel des loyers a également

encouragé les propriétaires, lorsque leurs appartements n‟étaient pas occupés, à les laisser

vacants plutôt que de les louer. La loi en Égypte est très favorable aux locataires

44

puisqu‟un contrat de location est transmissible de génération en génération. Ainsi, les

propriétaires préfèrent garder leurs logements vacants afin de pouvoir en disposer

librement.

En 1996, une nouvelle loi fut promulguée. Sans abolir la loi sur le contrôle des loyers, elle

imposa une nouvelle feuille de route pour le loyer des constructions à venir. Toutefois,

aujourd‟hui, 39% des appartements du Grand Caire sont encore soumis à la loi du contrôle

des loyers. Seuls 10% des appartements sont soumis à la nouvelle loi (cette proportion est

relativement importante compte tenu de la date à laquelle la loi a été promulguée).

La capitale égyptienne compte énormément de logements vacants qui ne trouvent pas de

locataires alors même qu‟en 2006 on estimait à 62% la population habitant dans des

quartiers non réglementaires. En 1986, le CAPMAS recensait 467 000 unités de logements

vides au Caire c'est-à-dire près de 16% du parc immobilier de la capitale. À l‟échelle du

Grand Caire, en 1998, 1,34 million d‟unités de logement, c'est-à-dire 29% de l‟ensemble

du parc immobilier, seraient inhabitées ou encore en construction (M. Séjourné, 2005).

Sur l‟ensemble du territoire égyptien, on compterait 10,5 millions de logements vides au

milieu des années 2000 (S. Pommier, 2008). Cette estimation semble toutefois exagérée.

Manal al Tibi, la directrice du Centre égyptien pour les droits au logement estime qu‟il y

aurait en 2006, 5,8 millions d‟unités de logement vacantes. Le Centre égyptien pour les

droits au logement résume la crise du logement en quelques mots : « des habitants sans

habitation et des habitations sans habitants ». Toutefois, il faut prendre garde à ne pas

interpréter l‟importante part de logements vides comme résultant uniquement de

l‟inadéquation entre l‟offre et la demande de logements. Ainsi, le nombre d‟unités

d‟habitations vacantes au sein des quartiers non réglementaires est très important. En

1998, 54% des logements vides ou encore en construction du Grand Caire se situaient

dans les quartiers non réglementaires. Cependant, la vacance des logements dans les

quartiers non réglementaires ne s‟explique pas de la même façon que celle que connait le

centre du Caire. Les logements vacants des zones non réglementaires sont souvent le fruit

d‟une stratégie du propriétaire. En effet, il arrive fréquemment, lorsque le propriétaire

d‟une terre entreprend de construire un bâtiment, qu‟il garde des appartements vides, en

vue de la décohabitation de ses enfants, ou de l‟arrivée d‟autres membres de la famille.

Les éléments de la crise du logement en Égypte révèlent l‟absurdité de la situation puisque

le législateur lui-même a créé les conditions du développement de l‟habitat informel. La

45

profusion législative relative au gel des loyers et aux normes urbanistiques que nous avons

pu observer au cours de la première partie sont des facteurs clés dans le développement de

cette urbanisation non réglementaire.

Toutefois, la crise du logement en Égypte est plus profonde que cela et ne peut pas être

uniquement imputée à la législation et aux réglementations. En effet, il est nécessaire de

prendre en compte d‟autres paramètres comme l‟absence de politiques publiques efficaces

en matière de logement et l‟investissement du secteur privé dans les seules unités de

logements luxueuses. L‟ouverture économique, infitah, engagée par le président Sadate, a

ouvert l‟économie égyptienne aux investissements privés. Les liens étroits que le président

a entretenus avec certaines sociétés immobilières ont permis à ces dernières d‟obtenir des

subventions sur les matériaux de constructions. Le secteur privé du logement a donc été

largement favorisé. Or, ce secteur construit avant tout des unités de logement à la vente et

donc à destination des seules populations solvables. Pour comprendre l‟inadéquation entre

la production et la demande de logements, toute l‟économie du secteur du bâtiment et de

l‟immobilier mériterait d‟être étudiée.

Tous ces facteurs sont autant de restrictions à l‟accès au logement par le circuit légal. Tous

les éléments observés peuvent nous permettre de comprendre le processus par lequel

l‟urbanisation non réglementaire est devenue majoritaire et les raisons pour lesquelles elle

répond aux besoins, non plus seulement des populations démunies comme c‟est le cas

dans de nombreux pays du Sud, mais aussi des classes moyennes supérieures de la

capitale.

2. Des politiques de logement déficientes ou l’échec de la maîtrise de la

ville

En Égypte, la planification urbaine est rythmée par les schémas directeurs qui énoncent la

façon dont les pouvoirs publics entendent modeler la ville. Les schémas directeurs ont

pour objectif premier de contenir la ville dans des limites et notamment d‟empêcher

l‟urbanisation sur terres agricoles. Successivement, les villes nouvelles, les villes satellites

46

et les new settlements sont planifiés pour absorber la croissance qui s‟effectue illégalement

sur les terres agricoles.

En 1956 déjà, le premier schéma directeur prévoyait la création de villes sur les franges

désertiques de la capitale. Le désert a très vite été perçu comme l‟unique solution à

l‟urbanisation non réglementaire qui s‟effectuait sur les terres agricoles. Faute de moyens

financiers et de stabilité politique, le projet n‟a pas vu le jour immédiatement.

En 1960, se développent les cités nassériennes, premier programme de « logements

populaires » en Égypte, selon les termes employés. Le programme des cités nassériennes

s‟adresse avant tout aux classes moyennes et populaires. Il faut reconnaitre les efforts

engagés par l‟État à travers ce projet. Les loyers des appartements des cités nassériennes

sont subventionnés par le gouvernement : le loyer est de deux livres égyptiennes 25

par

pièce alors que la construction a coûté entre huit et dix livres égyptiennes à l‟État. Par

ailleurs, le loyer ne doit en aucun cas excéder 15% du revenu des ménages. La plupart des

premiers habitants des cités nassériennes résidaient auparavant dans le centre ville, dans

des logements exigus et parfois délabrés. Ainsi, les cités nassériennes participent d‟une

amélioration du cadre de vie et parfois même d‟une ascension sociale. Si elles ont dans un

premier temps souffert du relatif éloignement par rapport au centre, les cités nassériennes

sont désormais, pour la plupart, du fait de l‟étalement urbain continu, complètement

intégrées à la capitale. La plus célèbre d‟entre elles, est la cité nassérienne d‟Helwan.

Avec le schéma directeur de 1970, le projet est à nouveau mis sur le devant de la scène.

On prévoit la création de deux programmes : celui des villes nouvelles et celui des villes

satellites qui, dans des conditions différentes, sont destinées à canaliser la croissance

urbaine vers certains pôles. En Égypte, le programme de villes nouvelles est le plus vaste

au monde (Rapport de Développement du Monde, Banque Mondiale, 2009). Ces

programmes concernent l‟ensemble du territoire égyptien mais c‟est évidemment Le

Grand Caire qui concentre la plupart des efforts puisque c‟est là, plus qu‟ailleurs, qu‟il

faut maitriser l‟expansion de la ville. Les pouvoirs publics entreprennent alors de partir à

« la conquête » du désert. Le programme des villes nouvelles est chargé d‟une forte

symbolique. Comme le dit Sabine Jossifort il « sert à conforter l'idée […] d'un État-

Providence investi dans une entreprise quasi pharaonique d'aménagement et de

25 Je ne suis pas parvenue à trouver le taux de la livre égyptienne à cette date, toutefois, pour donner un ordre

d‟idée aujourd‟hui deux livres égyptiennes valent 23 centimes d‟euro.

47

construction qui représenterait aussi un mouvement de générosité sociale […et lui permet]

d'être critique sur les comportements des citoyens qui ne cessent d'enfreindre les lois.

Cette façade lui permet par ailleurs de se justifier a posteriori sur les dysfonctionnements

croissants […] et sur la question plus qu'épineuse du logement. »26

Les villes nouvelles

sont d‟emblée présentées par les autorités comme des villes modernes idéales. Au modèle

des villes nouvelles, on oppose toujours les quartiers non réglementaires. L‟ordre (par le

biais du zonage) et l‟espace des villes nouvelles sont opposés à la proximité des

immeubles et à la densité des quartiers non réglementaires. De façon à peine voilée on

oppose la civilité des villes nouvelles à l‟incivilité des quartiers non réglementaires

peuplés de paysans censés menacer la capitale. Les villes nouvelles apparaissent comme

l‟unique lieu de la citadinité.

Nous observerons que la mise en chantier des villes nouvelles a été laborieuse et

qu‟aucune d‟entre elles, pour plusieurs raisons, n‟a atteint les objectifs annoncés. C‟est la

G.O.P.P. (General organization for physical planning), créée en 1973, liée au Ministère de

l‟Habitat, qui gère la planification urbaine en Égypte. Le programme des villes nouvelles

prit un certain temps à être mis en œuvre en raison des longues négociations nécessaires

au transfert des terrains du ministère de la défense au ministère de l‟habitat.

Les villes nouvelles situées assez loin du Caire, généralement éloignées de plus de vingt

kilomètres de la capitale, devaient à terme devenir de véritables cités indépendantes. Elles

devaient donc être des villes où les habitants vivent et travaillent. Ainsi, le président

Sadate s‟engagea à développer des pôles industriels à proximité de ces villes nouvelles

afin de déplacer à la fois les lieux de la croissance économique et les lieux de logements.

Les villes nouvelles devaient alors s‟implanter sur des « corridors de développement »

selon les termes du schéma directeur. Des zones industrielles ont alors été

progressivement installées dans quatre des huit villes nouvelles et satellites du Grand

Caire.

Les villes satellites ont la même fonction que les villes nouvelles, celle de désengorger la

capitale et de contenir des pôles de croissance économique. Si elles ont la même fonction,

les villes nouvelles et les villes satellites ne sont pas conçues selon les mêmes modalités.

Alors que la ville nouvelle est conçue pour être indépendante du Caire, la ville satellite,

26 « L‟aventure des villes nouvelles », 1995, p.176

48

elle, lui est liée. Ainsi, les villes satellites ne sont jamais éloignées de la capitale de plus de

50 kilomètres et n‟ont pas vocation à être complètement autonomes par rapport au Caire.

La carte ci-dessous nous permet d‟observer la localisation des villes nouvelles et des villes

satellites. Malheureusement David Sims ne distingue pas les villes nouvelles et les villes

satellites. Al „Ubur, Quinze de Mai, et Six Octobre sont des villes satellites.

Carte 2 : Les villes nouvelles et satellites dans le Grand Caire en 2009

Source : SIMS, D., 2010, Understanding Cairo, the logic of a city out of control, p. 174

Les raisons de l‟échec des villes nouvelles et des villes satellites sont nombreuses.

Tout d‟abord, les villes nouvelles ont été conçues pour résoudre un problème dont les

aspects ne semblent pas avoir été saisis par les planificateurs. Ainsi l‟habitat des villes

nouvelles est, pour une grande partie, un habitat de standing destiné à une population

solvable. Différents types de logements sont conçus au sein des villes nouvelles, pour les

classes moyennes et supérieures, mais aucune unité de logement n‟est prévue pour les

familles démunies. Les unités de logements réservées aux ménages modestes sont souvent

d‟un bâti médiocre et présentent d‟innombrables défauts de construction. De plus, le

secteur public s‟est peu à peu désengagé de la construction de logements dans les villes

49

nouvelles, laissant place au secteur privé qui investit avant tout des logements de haut

standing. Entre 1982 et 2001, le secteur public a pris en charge seulement un tiers des

logements construits dans les villes nouvelles. Au cours de cette même période, l‟État a

construit une moyenne de 2615 unités d‟habitations par an alors qu‟il en avait produit

13 900 entre 1960 et 1965. Certains terrains prévus pour la création ou l‟extension des

villes nouvelles ont alors été cédés à de grandes entreprises qui y ont développé des

quartiers de luxe. Progressivement, de nombreuses gated communities ou compounds

apparaissent au sein ou à proximité des villes nouvelles. Ces résidences sont clairement

destinées aux familles très aisées fuyant l‟agitation de la capitale. Ainsi, Bénédicte Florin

affirme que les compounds « modifient le dessein national des villes nouvelles » 27

et

« plus qu‟un modèle urbain radicalement différent, ce que proposent les compounds, c‟est

une transhumance hors de la ville populaire, qui, en ajoutant un degré à celui réalisé dans

les villes nouvelles, propose aux habitants qui en ont les moyens de vivre à l‟écart des

villes populeuses, et non en parallèle comme dans les villes nouvelles »28

. Nous ne

développerons pas davantage le sujet des gated communities car elles ne rentrent pas en

jeu dans le phénomène de l‟urbanisation non réglementaire. Il m‟a toutefois semblé

nécessaire de l‟aborder brièvement en ce qu‟elles témoignent de la place croissante

qu‟occupe le secteur privé dans la production de logements. Elles témoignent également

de l‟importante production de logements luxueux (voir graphique en annexe p. 113).

Il est donc surprenant de constater que l‟objectif des villes nouvelles et les modalités du

projet ne sont absolument pas en adéquation et que dans leur essence même les villes

nouvelles étaient vouées à l‟échec.

L‟échec n‟est pas uniquement dû à cet aspect financier et à l‟inadéquation entre l‟offre et

ce qui aurait pu être une demande de logements. En effet, les recensements montrent que

les appartements destinés aux classes inférieures et moyennes sont délaissés dans les

mêmes proportions que ceux destinés aux classes supérieures. Les villes nouvelles ont été

conçues sur le modèle français. Il s‟agit donc d‟un projet importé qui ne correspond ni à la

réalité de l‟espace cairote ni à l‟idéal urbain de ses habitants. Ainsi, ce modèle préconçu

de villes modernes, autosuffisantes, sans lien avec le centre historique de la capitale n‟a

pas relevé le défi qui consistait à enrayer la croissance de l‟urbanisation non

réglementaire.

27

« Vivre en parallèle ou à l‟écart ? L‟évolution des villes nouvelles du Grand Caire », 1998, p. 103. 28

Ibid, p.104.

50

L‟absence d‟investissement dans le secteur des transports a fortement limité l‟attrait que

pouvaient exercer les villes nouvelles qui ne sont reliées à la capitale par aucun transport

en commun. Dès lors, les populations ne disposant pas d‟un moyen de transport personnel

étaient exclues des villes nouvelles. Dans ce cas, habiter dans les villes nouvelles ne serait

possible que pour ceux qui y travaillent ou pour les propriétaires d‟une voiture (11% des

ménages du Grand Caire possèderaient une voiture). Or, les populations que le projet

entend détourner des quartiers non réglementaires disposent rarement d‟une voiture

personnelle. Les études sur les avantages que présente la vie dans les quartiers non

réglementaires démontrent en premier lieu que les habitants apprécient de pouvoir se

rendre sur leur lieu de travail à pied, cela constitue pour eux un gain de temps et d‟argent.

L‟absence de transport ne rend pas seulement difficile la liaison avec la capitale, mais

également les déplacements au sein même des villes nouvelles. En effet, celles-ci sont

souvent très vastes et les trajets pour aller d‟un bout à l‟autre sont souvent irréalisables.

David Sims (2010) donne l‟exemple de la ville satellite du Six Octobre qui s‟étend sur une

zone de plus de 400 km² pour environ 150 000 habitants, c'est-à-dire une zone presque

aussi large que le Grand Caire qui abrite, lui, plus de 12 millions d‟habitants. L‟étendue de

la ville du Six Octobre est bien plus grande que la distance entre la place Tahrir, cœur de

la capitale égyptienne, et l‟aéroport. Ainsi, on voit se développer au sein des villes

nouvelles des moyens de transports illégaux, très nombreux dans les quartiers non

réglementaires, comme les tuk-tuk dont nous reparlerons plus tard.

Selon les études, la création de lignes de métro à destination des villes nouvelles

améliorerait très nettement leur attractivité. Le refus des autorités de relier ces villes à la

capitale est motivé par plusieurs raisons. La raison la plus évidente est celle du coût

qu‟engendreraient ces travaux. De plus, ces travaux modifieraient la finalité des villes

nouvelles, censées à l‟origine être complètement indépendantes du Caire. Enfin, selon les

autorités, la création de lignes de métro encouragerait plus l‟urbanisation non

réglementaire le long des voies ferrées, que les Cairotes à s‟installer dans ces villes

nouvelles.

Le projet de villes nouvelles autonomes, et donc isolées, va à l‟encontre du droit à la ville

revendiqué par les habitants des quartiers non réglementaires qui, coûte que coûte, tentent

de s‟intégrer à celle-ci. Situées en plein désert, isolées du Caire, les villes nouvelles sont

loin des réalités du quotidien urbain des Cairotes. Le modèle est conçu sur le zonage ou

51

zoning c'est-à-dire que chaque zone a une fonction bien précise déterminée à l‟avance. Le

zoning entraine également une séparation stricte des populations, selon les couches

sociales. En effet, le zoning des villes nouvelles est à la fois spatial et social. Les villes

nouvelles ne laissent aucune place aux compétences des habitants pour qu‟ils façonnent

leurs espaces quotidiens. On observe alors un fossé entre les projets, sur le papier, et les

pratiques urbaines des habitants. Ainsi, il est interdit, au sein des villes nouvelles, d‟ouvrir

des commerces de détail ou des ateliers. La ville nouvelle est un outil de la politique

d‟ouverture économique engagée par Sadate. Seules les grandes industries et entreprises y

ont leur place. Ainsi, David Sims affirme que « le vaste secteur du commerce informel et

de proximité, qui génère au moins 40% des emplois de l‟Égypte urbaine, est presque

totalement exclu des villes nouvelles. »29

Les villes nouvelles sont donc des « villes fantômes » qui n‟ont pas rencontré le succès

escompté. En 1991, les cinq principales villes nouvelles et satellites du Caire

n‟accueillaient que 70 000 habitants. À titre de comparaison, à la même époque, Le

Grand Caire comptait 70 000 habitants de plus tous les 70 jours (J-C Depaule, G. El Kadi,

1990). Les villes nouvelles ne contiennent rien de ce que recherchent les égyptiens

lorsqu‟ils entreprennent de se loger en ville. Ainsi, Sabine Jossifort affirme « L'espace où

l'on érige les villes nouvelles se caractérise par le vide, l'absence de vie. On n'y retrouve

pas cette atmosphère particulière, ensemble de mouvements, de bruits et d'odeurs,

caractéristique des villes en général et notamment des cités égyptiennes »30

.

Les villes nouvelles ont engendré des coûts faramineux et ont accaparé la quasi-totalité du

budget en matière de logement. L‟emplacement géographique des villes nouvelles, en

plein désert, a notamment rendu très coûteux le raccordement au réseau d‟eau. L‟idéal

d‟une ville moderne pensée par les architectes et les urbanistes semble avoir parfois pris le

pas sur la rationalité et l‟habitabilité.

29 Understanding Cairo, the logic of a city out of control, 2010, p. 188. 30 « L‟aventure des villes nouvelles », 1995, p. 183

52

Photographie 3 : La ville nouvelle de Dix de Ramadan vue du ciel.

Photographie 4 : Dix de Ramadan à 70 kilomètres du Caire à mi-chemin entre Le

Caire et Ismaïlia.

Source : Google Earth, captures d’écran effectuées par Éléonore Fallot le 23 juillet

2011.

53

Si les villes nouvelles n‟ont pas été un succès en termes de logement, il faut reconnaitre

qu‟elles l‟ont davantage été en termes de développement industriel. La ville de Dix de

Ramadan notamment a attiré de nombreux investisseurs. Les autorités ont incité le

développement industriel des villes nouvelles par plusieurs biais. Tout d‟abord, une

exonération d‟impôts de dix ans était accordée aux entreprises privées qui s‟y installaient.

Les terres destinées au développement industriel étaient vendues à des prix extrêmement

bas. Enfin, les investisseurs étrangers n‟avaient pas d‟autre choix que de s‟implanter dans

les villes nouvelles. Malgré ce relatif succès, ceux qui travaillent dans ces zones, n‟y

résident pas. Ainsi, on observe d‟importantes migrations pendulaires, prises en charge par

les entreprises, du Caire ou des villes alentours comme Ismaïlia, vers les villes nouvelles.

Tableau 2 : Villes nouvelles et villes satellites : espoirs et déceptions

Villes

Statut Début de

réalisation

Projection de

population pour

l’an 2000

Population

résidente en

1996

Population

résidente en

2006

Al Badr Ville

nouvelle

1989 280 000 248 17 172

Dix de

Ramadan

Ville

nouvelle

1976 500 000 47 833 124 120

Al ‘Ubûr Ville

satellite

1983 150 000 997 43 802

15 de Mai Ville

satellite

1979 250 000 65 560 90 324

Al Sâdât Ville

satellite

1978 500 000 18 619

Six

Octobre

Ville

satellite

1979 500 000 35 354 157 135

Total 2 180 000 168 611

Source : Autorité des nouvelles communautés urbaines ; S. Jossifort, 1998 ; CAPMAS

1996, tiré de M. Séjourné, 2006, p. 235. La dernière colonne a été établie par mes soins.

Le tableau ci-dessus nous permet d‟observer qu‟entre les recensements de 1996 et 2006,

les villes nouvelles et les villes satellites ont accueilli plus d‟habitants que lors des

décennies précédentes. Malgré cette amélioration quantitative du peuplement des villes

nouvelles, celles-ci restent en grande majorité délaissées. De plus, les projections de

population pour l‟an 2000 ont été établies au début du programme. Au fur et à mesure des

années et des investissements, les projections ont été modifiées à la hausse. Les villes

nouvelles et les villes satellites sont donc très loin d‟avoir rempli leur objectif. En 2006, le

54

CAPMAS estime que 63% des unités de logements des villes nouvelles autour du Caire

sont vacantes.

Le schéma directeur de 1983 entend tenir compte de l‟échec du schéma directeur

précédent et lance les new settlements. L‟objectif des new settlements est sensiblement le

même que celui des villes nouvelles et des villes satellites, maitriser la croissance urbaine

de la capitale. Elles sont situées à environ 15 kilomètres du centre de la capitale et sont

censées accueillir chacune 200 000 habitants (le projet est donc moins ambitieux que celui

de 1973). L‟ensemble des new settlements aurait du accueillir deux millions d‟habitants en

l‟an 2000. Les new settlements, contrairement aux villes nouvelles et satellites, s‟adressent

aux populations démunies. Ce projet, établi par des urbanistes français, a fait l‟objet de

critiques encore plus vives que les villes nouvelles et satellites. Alors que les villes

nouvelles souffrent d‟un sérieux manque d‟investissement public, on s‟interroge sur la

pertinence d‟un nouveau projet qui va grever davantage le budget de l‟État. En effet,

pourquoi ne pas corriger l‟échec des villes nouvelles en modifiant les modalités de leur

développement plutôt que de recommencer un projet de part en part ? On reproche aux

planificateurs de ce projet de ne pas avoir réalisé d‟études sérieuses permettant un

développement réussi.

Le projet des new settlements était pourtant original. Comme le dit Marion Séjourné, les

« concepteurs […] ont le désir de prendre en compte les modes d‟urbanisation populaires

à savoir l‟auto production [...] et de permettre aux entrepreneurs du bâtiment du secteur dit

« informel » d‟en être les maitres d‟ouvrage.» 31

Les concepteurs du projet entendent donc

utiliser les compétences des citadins qui s‟expriment jusqu‟alors de façon non

réglementaire. Les terrains des new settlements sont équipés mais ne sont pas lotis. Il

s‟agit donc clairement de détourner l‟urbanisation non réglementaire des terrains agricoles

vers ces villes. Or, comme le dit Sabine Jossifort « on ne planifie pas l'informel. Une telle

fuite en avant ne peut résulter que d'un sentiment d'urgence justifié par un prétendu

échec »32

. Ce projet d‟auto promotion foncière s‟inscrit dans un courant de pensée qui

promeut les compétences des citadins, le self help housing (M. Séjourné, 2006). Freedom

to build: dweller control of the housing process de John Turner et Robert Fichter en 1972

est l‟ouvrage phare de ce courant. Ce courant a occupé une place très importante dans les

31

Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et

configuration du système d’acteurs ?, 2006, p. 245-246. 32 « L‟aventure des villes nouvelles », 1995, p. 187

55

politiques de logement des pays en voie de développement. Le projet Ebni Beitak,

Construis ta maison, lancé en 2006 par le président Moubarak, s‟inscrit dans la droite

ligne du courant de self help housing.

Les new settlements sont à l‟unanimité critiquées et sont qualifiées de banlieues dortoirs.

Malheureusement, ce programme a fait l‟objet de très peu d‟études. Malgré leur échec, les

new settlements sont un projet original dans le paysage des politiques du logement en

Égypte.

Les politiques du logement ont donc pour l‟instant largement failli et n‟ont pas réussi à

enrayer le phénomène de l‟urbanisation non réglementaire, qui continue à se développer à

un rythme soutenu. Ce phénomène ne semble pas amené à décliner dans la mesure où,

comme nous le verrons, la croissance des quartiers non réglementaires est bien plus forte

que celle des quartiers légaux.

À travers les politiques actuelles et les projets dans le domaine du logement, nous

tenterons de voir si des leçons ont été tirées de l‟échec des programmes précédents.

3. Les projets actuels et à venir : porteurs d’amélioration ?

Malgré le bilan négatif des programmes de logements, il semblerait que ceux-ci jouissent

d‟une nouvelle dynamique. En effet, une loi d‟aménagement promulguée en 2009 prévoit

de retravailler les villes nouvelles. Plutôt que de réaliser de nouveaux projets en plein

désert, où tout est à faire, il est désormais envisagé de corriger les erreurs au sein du bâti

existant des villes nouvelles. Les villes du Six Octobre et du Nouveau Caire sont les

principales cibles de ce projet mené par le bureau d‟études ArchPlan, le ministère du

logement, de l‟aménagement et des villes nouvelles et l‟Autorité des nouvelles

communautés urbaines. Ce projet vise à optimiser les tissus urbains existants. La priorité

du projet est la densification de l‟espace. Le projet est différent du schéma original des

villes nouvelles en ce qu‟il s‟oppose au zoning et entend planifier des zones de logements

mixtes. Cette volonté de mixité prend le contre-pied de nombreux projets comme ceux

d‟Orascom, un conglomérat égyptien, qui investit dans des complexes de luxes. Le

directeur du bureau d‟études ArchPlan, très optimiste, promeut une ville nouvelle durable

intégrée à l‟agglomération. Pour cela, il propose ainsi la création de cinq grandes routes et

56

d‟un tramway entre la ville du Six Octobre et le centre. Dans ce projet, les villes nouvelles

sont à la fois autonomes et parfaitement reliées au centre du Caire. Les priorités mises en

avant par ce projet s‟inscrivent dans un courant, souvent mal accepté, qui promeut la

compacité urbaine. Ainsi, l‟Institut d‟aménagement et d‟urbanisme de la région Ile de

France consacrait en 2009 un numéro de ses Carnets Pratiques à l‟intensification urbaine.

L‟IAURIF affirme que « l‟ensemble des tissus urbains existants […] doit faire l‟objet d‟un

effort de densification et d‟optimisation » et ajoute qu‟il faut « diversifier l‟offre de

logements » et renforcer « la mixité des fonctions ». Ces efforts sont justifiés dans la

mesure où « l‟étalement urbain a un coût écologique, économique et social. La promotion

d‟une ville plus compacte et plus dense a des effets positifs en termes de coûts publics

d‟investissement et de fonctionnement.» 33

Il apparait donc nécessaire de retravailler le

bâti et les terrains réservés aux villes nouvelles mais surtout d‟améliorer leur habitabilité.

Il est évidemment beaucoup trop tôt pour évaluer la portée de ces projets qui n‟ont parfois

pas encore été mis en chantier.

Tout en considérant les nouvelles orientations comme potentiellement porteuses

d‟amélioration, la construction publique de logements pour les ménages modestes reste

très insuffisante par rapport à la demande.

En 2005, le président Moubarak a lancé le Programme national du logement censé fournir

500 000 unités de logements d‟ici à 2011. 85 000 unités de logements doivent être

construites chaque année. Comme tous les programmes, l‟attention était avant tout portée

sur Le Caire qui devait concentrer la moitié des unités d‟habitation. Le secteur privé

collabore à ce projet. Le projet Ebni Beitak (construis ta maison) a été intégré au

Programme national du logement. Il autorise les constructions sur une surface de 63

mètres carrés. Les terrains sur lesquels les constructions peuvent être effectuées sont déjà

équipés et la verticalisation future du bâti est autorisée. Ebni Beitak semble avoir

rencontré un franc succès. Toutefois, le programme Ebni Beitak n‟est pas accessible aux

plus démunis car si la construction d‟un premier étage n‟est pas achevée au bout d‟un an,

le terrain est retiré. Ainsi, il faut disposer d‟un minimum de capital pour être éligible à ce

programme. Dans l‟ensemble, le programme national de logement reste inaccessible pour

une importante partie de la population. De plus, la plupart des unités d‟habitations

construites sous l‟égide de ce programme, sont situées dans les villes nouvelles et

33

« Comment encourager l‟intensification urbaine », 2009, p. 5-6

57

rencontrent donc les mêmes difficultés. Le bilan dressé par le journaliste Mohamed El

Sayed El Azzaoui dans Le Progrès Égyptien du 8 août 2010 est ainsi très éloigné de la

réalité. En effet, il affirme « Malgré les difficultés la solution existe toujours. Ce

programme ambitieux a largement répondu à la problématique du logement des jeunes.

D‟ici un an, les rêves des milliers de jeunes se concrétiseront dans le cadre du programme

électoral du Président Moubarak ».

Quels que soient les programmes lancés depuis plus d‟un demi-siècle, l‟insuffisance de la

construction de logements à destination des couches sociales populaires est une constante.

De la même manière, la production publique de logements est toujours très largement

inférieure à la production privée. L‟État s‟est fortement désengagé à partir de l‟infitah. La

présidence de Moubarak à partir de 1981 marque un net réengagement de l‟État. Malgré

les projets ambitieux, l‟urbanisation non réglementaire n‟a toujours pas été enrayée. Tout

d‟abord, les objectifs annoncés n‟ont pas été atteints, ensuite les unités construites ont

avant tout bénéficié aux classes moyennes.

La crise du logement et les politiques de logement défaillantes ont joué un rôle important

dans le développement de l‟urbanisation non réglementaire. Toutefois, au même titre que

d‟autres paramètres (l‟urbanisation sans précédent de l‟Égypte, l‟importante croissance

démographique), ces éléments ne peuvent être considérés comme les seuls facteurs du

développement et du caractère majoritaire de l‟urbanisation non réglementaire en Égypte.

Pour comprendre ce phénomène, la tolérance des autorités à l‟égard de ces quartiers doit

être prise en compte. Malgré les nombreuses lois interdisant l‟urbanisation non

réglementaire et les discours stigmatisant ces quartiers, on observe une réelle tolérance de

facto. Cette tolérance a permis à cette urbanisation de se développer et de devenir

majoritaire sans que lui soit opposé de réels obstacles. Dans le contexte national, les

quartiers d‟urbanisation non réglementaire apparaissent comme la seule solution aux

problèmes de logement d‟une majorité d‟Égyptiens.

58

B. Un habitat non réglementaire structuré et extrêmement

dynamique

Comme nous l‟avons vu, l‟habitat non réglementaire qui se développe en Égypte depuis

plus d‟un demi-siècle est un habitat en dur. S‟il a pu se développer à une telle vitesse et

dans de telles proportions, c‟est d‟abord parce qu‟il a été toléré par les autorités. Cette

tolérance des autorités doit être remarquée car elle est plutôt singulière. En effet, alors que

la « politique du bulldozer » est répandue dans de nombreux pays en voie de

développement, elle est très rarement appliquée au Caire. Dans cette partie, nous

observerons que les quartiers non réglementaires répondent à une logique qui témoigne

d‟une réelle connaissance de la ville. Nous verrons que, laissés pour compte, ces quartiers

parviennent à s‟auto organiser sur de nombreux plans (équipements, infrastructures,

transports etc.) témoignant d‟un réel dynamisme.

1. Une urbanisation structurée et relativement réussie qui prouve une

réelle connaissance de la ville

Comme Agnès Deboulet, nous commencerons par affirmer « qu‟un acte aussi important

que la création d‟un espace urbain s‟inscrit parmi les règles élémentaires de la

connaissance de la vie en collectivité, mais aussi du comportement des acteurs. Par

conséquent, proclamer que ces quartiers sont le fruit de pratiques spatiales incohérentes et

anarchiques nous semble contraire à une approche empirique basée sur la connaissance du

monde social. »34

Malgré cette volonté d‟affirmer la rationalité des agents de l‟urbanisation non

réglementaire en Égypte, nous garderons bien sûr à l‟esprit que leur entreprise n‟est pas en

tout point réussie. Ce travail n‟est pas exhaustif et si nous essayons ici de mettre en avant

l‟aspect rationnel et organisé de cette urbanisation, cela ne nous empêche pas, par ailleurs,

d‟avoir à l‟esprit ses failles.

34

Vers un urbanisme d’émanation populaire. Compétences et réalisations des citadins. L’exemple du Caire,

1994, p. 2

59

L‟ensemble des facteurs ayant contribué au développement de l‟urbanisation non

réglementaire doivent être étudiés avec précaution. En effet, en se concentrant uniquement

sur ces facteurs, on risque de faire apparaitre les habitants et les producteurs des quartiers

non réglementaires comme des personnes passives, victimes d‟une crise du logement et de

politiques publiques inadaptées. Or, il apparait fondamental de détourner le regard et de se

concentrer désormais sur les acteurs de la ville réglementaire. Les acteurs de la ville non

réglementaire, même s‟ils agissent en dehors des lois et des normes urbanistiques, font

preuve d‟une réelle connaissance de la ville. Ainsi, l‟urbanisation non réglementaire n‟est

en aucun cas le fruit d‟une méconnaissance des règles et des lois. Même s‟il participe

parfois d‟une amélioration du cadre de vie, le fait de vivre dans un quartier non

réglementaire est le fruit d‟un choix effectué sous la contrainte (M. Séjourné 2006). En

effet, l‟habitat des quartiers non réglementaires est celui de personnes qui n‟ont pas eu la

possibilité d‟avoir accès au logement par un circuit légal. Lorsque qu‟ils quittent le cœur

historique de la capitale, les habitants améliorent souvent leurs conditions de vie en

s‟installant dans des quartiers non réglementaires : ces quartiers leur permettent, à un prix

plus bas, d‟habiter un logement plus spacieux qu‟en centre ville et parfois même de

devenir propriétaire. Les quartiers non réglementaires permettent ainsi paradoxalement

une certaine ascension sociale. Toutefois, la situation des habitants n‟est absolument pas

homogène puisque, comme nous l‟avons vu, ces quartiers recouvrent une réalité

extrêmement variée. Ainsi, alors que les quartiers établis sur terres agricoles peuvent

permettre une amélioration du cadre de vie, les quartiers squattés, souvent très précaires,

sont occupés par des populations démunies qui se logent uniquement sous la contrainte.

De cette manière, l‟amélioration des conditions de logement apparait inenvisageable sur

terrains désertiques alors qu‟elle est courante sur terres agricoles.

L‟urbanisation non réglementaire recouvre en Égypte des formes très différentes de celles

qui existent dans d‟autres pays en voie de développement. En effet, comme nous l‟avons

vu, il ne s‟agit pas d‟un habitat de la misère, la plupart des constructions sont en dur et le

bâti est souvent de bonne qualité. Les quartiers non réglementaires du Caire ne

concentrent pas les problèmes, notamment sécuritaires et sanitaires, que connaissent de

nombreuses villes des pays du Sud. En Égypte, les quartiers non réglementaires se

caractérisent par une certaine réussite. En effet, la résilience des habitants a permis à ces

quartiers de se développer de façon parfois exemplaire. Ainsi, émerge l‟idée que les

quartiers non réglementaires du Caire seraient en réalité exactement ce que les urbanistes

60

et les politiques publiques ont tenté de mettre en place à travers de nombreux projets.

Ainsi, Dina K. Shehayeb affirme que « les zones informelles sont intégralement

autofinancées, développées par les habitants eux-mêmes. Elles s'adaptent à la demande,

suivent une croissance progressive et proposent une architecture à la fois compacte,

économe en énergie, "piétonne" avec un compromis efficace des usages autorisant la

proximité avec le travail et l'auto suffisance en termes de besoins journaliers et

saisonniers. »35

Le rapport de l‟agence UN-HABITAT, Cairo, a city in transition publié

en 2011 reprend mot pour mot cette affirmation. Il apparait donc que les quartiers non

réglementaires remplissent certains critères auxquels les villes nouvelles, satellites et new

settlements, planifiés à l‟excès, ne répondent pas. Ainsi, les habitants évoquent volontiers

les avantages que présente la vie dans les quartiers non réglementaires. Plusieurs

arguments reviennent systématiquement. Tout d‟abord, la possibilité de se rendre à pied

sur le lieu de travail est présentée comme un gain de temps et d‟argent. Les habitants des

quartiers non réglementaires insistent également sur la convivialité de leur lieu de vie et

sur l‟extrême solidarité. Les habitants ont un fort sentiment de sécurité dans ces quartiers

et assurent que la cohésion sociale y est très forte. Ainsi, les rues étroites des quartiers non

réglementaires apparaissent parfois comme des extensions du domicile privé où les

habitants se réunissent. Toutefois, n‟enjolivons pas la réalité des quartiers non

réglementaires : la rue est une extension du domicile privé car celui-ci est trop exigu pour

que puisse y être assurée une vie sociale satisfaisante. Ainsi, le graphique ci-dessous,

publié par l‟agence de l‟ONU sur les établissements humains dans un rapport sur Le Caire,

permet d‟observer que plus le développement du quartier est faible, plus la coopération est

élevée. Au sein de chaque quartier, quel que soit le type de zone, le niveau de coopération

est systématiquement plus élevé. Ce graphique n‟est toutefois pas entièrement satisfaisant

dans la mesure où les catégories « zone faible », « moyenne » et « élevée » ainsi que les

catégories pauvres/non pauvres sont extrêmement simplificatrices. Tous les habitants que

j‟ai eu l‟occasion de rencontrer au Caire au mois de juin 2011 ont évoqué cette solidarité

entre les individus. La solidarité interconfessionnelle est un élément clé de la vie de ces

quartiers. Ainsi, plusieurs familles à Ezbet el Nakhl et Ein Shams ont évoqué la

convivialité entre musulmans et chrétiens. Aux yeux de ces familles rencontrées, la

solidarité entre les communautés chrétienne et musulmane est caractéristique des quartiers

non réglementaires. Ainsi, plusieurs femmes m‟ont affirmé que les chrétiens effectuaient

35

Cairo‟s informal areas, between urban challenges and hidden potentials, 2009 p. 36, repris par UN-

HABITAT, Cairo, a city in transition, 2011, p. 15

61

le jeûne du ramadan « en solidarité » avec les musulmans et que les fêtes religieuses

étaient célébrées par tous. La solidarité entre les communautés chrétienne et musulmane

est également mise en avant par les habitants de Mafrouza dans le film d‟E. Demoris.

Tableau 3 : Le niveau de coopération entre les habitants en cas de problème pratique

(figure 1) et en cas de problème majeur (figure 2) selon le type de quartier et le

niveau de pauvreté des foyers.

Source : UN-HABITAT, Cairo, a city in transition, 2011, p. 44

62

Les habitants évoquent également des situations sécuritaires très bonnes et affirment que

le quartier est préservé des baltagias, les voyous dont tout le monde parle depuis la

« Révolution ».

Ces quartiers présentent évidemment de nombreux défauts sur lesquels nous nous

attarderons moins dans la mesure où nous estimons qu‟ils ont été suffisamment mis en

avant. Tout d‟abord, puisque les constructions sont non réglementaires, les normes en

matière d‟aération et d‟ouverture ne sont pas respectées. De plus, puisque l‟utilisation du

sol est maximale, aucun espace n‟est laissé libre. Cette surreprésentation du bâti rend

extrêmement difficile les travaux publics ultérieurs.

Enfin, le problème numéro un dans le quotidien des habitants est celui des transports.

Seuls certains quartiers sont situés à proximité d‟une station de métro. La plupart des

déplacements à l‟intérieur des quartiers non réglementaires se font grâce au tuk-tuk, une

sorte de triporteur, importé d‟Inde vers les villes du delta du Nil (voir photo en annexe p.

124). Ce moyen de transport arrivé au Caire il y a quelques années est extrêmement

populaire dans les quartiers non réglementaires puisqu‟il permet de circuler dans les rues

étroites. Ce véhicule, illégal reste circonscrit aux quartiers non réglementaires. Puisqu‟ils

sont illégaux, les tuk-tuk n‟ont aucune existence administrative, aucun véhicule n‟est

enregistré. La plupart des conducteurs de tuk-tuk sont mineurs et n‟ont évident pas de

permis de conduire. Selon un article publié dans le quotidien anglophone Daily News le 11

décembre 2007, il y aurait plus de 100 000 tuk-tuk dans les gouvernorats du Caire et de

Giza. Il y aurait plus de 500 000 tuk-tuk sur l‟ensemble du territoire égyptien. Avant la

« Révolution », le gouvernement avait envisagé de légaliser le tuk-tuk en Égypte à

l‟exception des gouvernorats du Caire et de Giza. Il semblerait que, depuis les évènements

du printemps, et dans un sentiment croissant de liberté et d‟impunité, le nombre de tuk-tuk

circulant en Égypte soit de plus en plus important. Dans les quartiers établis sur terrains

désertiques, on observe davantage de trucks qui permettent de transporter un nombre

important de passagers sur des terrains plus accidentés. Pour rejoindre la « ville

réglementaire », ou au moins s‟en rapprocher, les habitants empruntent des mini-bus. Les

minis-bus et les tuk-tuk sont des moyens de transport très peu sûrs qui ont des taux

d‟accident très élevés. Le secteur des transports fait l‟objet de nombreuses critiques de la

part des habitants qui se sentent, sur ce point, largement délaissés par les pouvoirs publics.

Même si les moyens de transports des quartiers non réglementaires sont imparfaits, ils

63

témoignent de la résilience des habitants et de leur capacité à s‟organiser pour combler la

carence de l‟État.

Dans un autre domaine, les habitants des quartiers non réglementaires se sentent délaissés

par les pouvoirs publics. Le ramassage des déchets fait défaut dans les quartiers non

réglementaires. En effet, les entreprises de ramassage des déchets ne pénètrent pas dans

ces quartiers ou alors seulement dans les grandes rues. Les rues étroites, où ne peuvent et

ne veulent pénétrer les entreprises de nettoyage, sont nettoyées par les habitants eux-

mêmes. Ainsi, il est fréquent de voir les habitants balayer ou nettoyer au jet d‟eau les rues,

la plupart du temps, non pavées.

Puisque ces quartiers se sont développés en dehors de toute planification officielle, le

mérite revient avant tout aux habitants et aux producteurs. Puisqu‟ils ne peuvent compter

que sur eux-mêmes, du moins lors des premiers stades du développement de leur quartier,

les habitants et les producteurs font preuve d‟une grande résilience. En général, les

immeubles sont d‟une bonne facture. Ainsi, alors que l‟intensité du séisme du 12 octobre

1992 a été la même dans les quartiers non réglementaires que dans les quartiers

réglementaires, les immeubles situés dans des quartiers non réglementaires ont parfois

mieux résisté au tremblement de terre que certains situés dans les quartiers chics, comme

celui d‟Héliopolis qui a enregistré d‟importants dégâts. Cette bonne qualité du bâti

s‟explique par le fait que le constructeur, le propriétaire et l‟habitant sont souvent une

seule et même personne. Ainsi, puisqu‟ils vont se loger, et dans la plupart des cas loger

leur famille, dans l‟immeuble qu‟ils entreprennent de bâtir, les producteurs s‟efforcent de

construire un bâtiment de qualité. En 2008, une étude sur le logement menée par l‟USAID

montre que 91,3% des Égyptiens vivant en ville se déclarent satisfaits de leur logement.

Au fil du temps, les quartiers non réglementaires sont intégrés à la ville. Ainsi, comme

nous l‟avons vu, certains sont mieux lotis que la « ville réglementaire ». Il faut toutefois

être prudent face à ce type d‟assertions dans la mesure où certains quartiers non

réglementaires comme celui d‟Ezbet al Hagana sont dans une situation d‟extrême

précarité. Les différences entre les zones non réglementaires et les zones réglementaires,

même si elles existent encore, tendent à se réduire. Ainsi, le recensement effectué en 2006

par le CAPMAS montre que les différences en termes d‟infrastructures, sont plutôt faibles.

Au Caire, 98% des foyers situés dans les quartiers réglementaires et 97% dans les foyers

non réglementaires sont connectés aux réseaux d‟eau, d‟électricité et d‟égouts. La

64

différence la plus flagrante se situe au niveau du réseau d‟égouts, dont l‟installation est

beaucoup plus coûteuse et complexe que les réseaux d‟eau et d‟électricité. Ainsi, à

l‟échelle de l‟ensemble du territoire urbain en Égypte, 95% des foyers établis dans des

quartiers réglementaires sont connectés aux égouts alors qu‟ils ne sont que 87,5% dans les

quartiers non réglementaires (D. Sims, 2010).

2. Le fort dynamisme des quartiers non réglementaires

Les quartiers d‟urbanisation non réglementaire se caractérisent par un dynamisme très

important dans de nombreux domaines. Tout d‟abord, la « ville non réglementaire » croît

bien plus vite que la « ville réglementaire », tant spatialement que sur le plan

démographique.

Alors que les quartiers non réglementaires étaient occupés par 52% de la population du

Grand Caire en 1991, ce taux a atteint 57% en 1998, et 62% en 2006. L‟habitat non

réglementaire est donc désormais largement majoritaire et complètement intégré à

l‟agglomération du Caire. Dans cette perspective, il semble plus que jamais inapproprié de

parler d‟habitat informel. Cette nette augmentation est le fait de plusieurs paramètres.

Tout d‟abord, des quartiers non réglementaires continuent à se développer tout autour de

la capitale, et donc à accueillir de plus en plus d‟habitants. Ces quartiers représentent

aujourd‟hui 54% de la surface bâtie du Grand Caire. Selon la GTZ, l‟espace occupé par

des quartiers non réglementaires aurait été multiplié par vingt entre 1950 et 2000. Ce n‟est

que depuis le milieu des années 2000 que les quartiers non réglementaires représentent

plus de la moitié de l‟espace bâti. Auparavant, ils accueillaient plus de la moitié de la

population sans occuper une surface majoritaire, témoignant ainsi de l‟importante densité

de ces quartiers par rapport au reste de la ville. Même s‟ils gagnent en surface, le décalage

est toujours important dans la mesure où la part de la population des quartiers non

réglementaires par rapport à la population totale de la ville est toujours plus importante

que la part de la surface bâtie qu‟ils occupent. En 1998, Marion Séjourné recense plus

d‟une centaine de quartiers non réglementaires dans l‟agglomération du Caire. Sur

l‟ensemble du territoire égyptien, entre 1986 et 1996, 45% des nouvelles unités de

logements auraient été construites par le secteur non réglementaire (et donc privé), 27%

65

par le secteur privé réglementaire et 28% par le secteur public. Le développement de

l‟urbanisation non réglementaire répond à une réelle demande. Le difficile accès au

logement par le circuit légal conduit à une demande très soutenue dans les quartiers non

réglementaires. En effet, ce sont ces quartiers qui accueillent désormais la majorité des

accédants au logement, par location ou achat. Le caractère majoritaire de l‟urbanisation

non réglementaire n‟est pas observable qu‟au Caire. À Alexandrie, au milieu des années

1990, 58% de la population habiteraient dans des quartiers non réglementaires (A.

Soliman, 2004).

Le développement de cet habitat participe également d‟un certain changement de mœurs

dans la société égyptienne. Ainsi, on observe une volonté de plus en plus forte de la part

des jeunes couples de « décohabiter » c'est-à-dire de quitter le domicile familial. Cette

volonté est, la plupart du temps, ralentie ou empêchée par des questions financières.

Lorsque les jeunes mariés ne disposent pas d‟un capital suffisant, ils sont contraints de

rester dans le logement familial, où un espace leur est réservé. Les quartiers non

réglementaires permettent aux jeunes couples d‟effectuer cette décohabitation à un

moindre coût. Les quartiers non réglementaires mais aussi les cimetières sont alors le lieu

de résidence de nombreux jeunes mariés. En effet, les jeunes couples, mais aussi une part

de plus en plus importante de la population, se tournent désormais vers les quartiers

accessibles d‟un point de vue foncier et immobilier à des bourses restreintes. Le coût

d‟achat moyen d‟un logement établi dans un quartier non réglementaire est de 40 000

livres égyptiennes (environ 4 700 euros) contre 80 000 livres égyptiennes (9 417 euros)

dans les zones réglementaires. Le loyer moyen d‟un appartement dans un quartier

réglementaire est lui, de 250 livres égyptiennes (environ 29 euros) et de 200 livres

(environ 23 euros) égyptiennes dans les quartiers non réglementaires du Caire.

Ce processus s‟effectue « au profit » des quartiers non réglementaires et entraine une dé-

densification importante des quartiers centraux de la capitale. Alors que dans les années

1950 et 1960, la croissance s‟effectuait dans le cœur historique de la capitale, elle

s‟effectue désormais aux périphéries de celle-ci. De cette manière, nous pouvons observer

aujourd‟hui une modification des trajectoires migratoires en Égypte. L‟exode rural a

longtemps alimenté la croissance démographique du Caire. La politique industrielle de

Nasser, polarisée sur l‟agglomération cairote, a contribué à sa forte attractivité et donc à

un exode rural important. Depuis plusieurs décennies, la croissance de la périphérie du

Caire et des villes de province est supérieure à celle de la capitale. Ainsi, alors que la

66

croissance démographique des quartiers non réglementaires était de 3,4% par an entre

1986 et 1996, elle n‟était que de 1,9% dans les quartiers réglementaires du Caire. La

croissance des quartiers réglementaires de la capitale est plus faible que celle des quartiers

non réglementaires, mais elle est également plus faible que la moyenne nationale qui est

de 2,08% par an entre 1986 et 1996 et de 2,05% au cours de la décennie suivante. (M.

Séjourné, 2006, CAPMAS recensements de 1986, 1996, 2006). Selon le rapport Cairo, a

city in transition publié par l‟agence UN-HABITAT, la croissance des quartiers non

réglementaires en 2006 serait de 2,57% par an tandis que Le Caire réglementaire

enregistrait une croissance de seulement 0,4% par an. Ainsi, on observe que lorsque la

croissance démographique du Caire se stabilise, celle des quartiers non réglementaires se

poursuit à des taux très élevés. Alors que, jusqu‟aux années 1970, la croissance des

quartiers non réglementaires était en premier lieu le fruit de l‟exode rural, elle est

aujourd‟hui, avant tout le fait des migrations interurbaines. Les migrations interurbaines

participent ainsi à la dé-densification du centre urbain et à l‟extension spatiale de la

capitale sur terres agricoles et terrains désertiques. Les flux migratoires vers la capitale ont

connu plusieurs modifications. Dans un premier temps, lors de l‟exode rural, les migrants

se logeaient dans des conditions très précaires (chambres exiguës, habitat sur les toits,

habitat interstitiel etc.) dans le cœur historique du Caire. Le centre du Caire apparaissait

systématiquement comme un lieu de passage obligé de l‟exode rural, une sorte

« d‟initiation » à la vie citadine. Dans un deuxième temps, une fois qu‟un certain pécule

avait été accumulé, les migrants s‟installaient dans des quartiers non réglementaires.

Quelle que soit leur « destination finale », les migrants transitaient par le centre du Caire.

Désormais, les flux migratoires semblent s‟être modifiés puisque le centre apparait de

moins en moins dans les trajectoires urbaines des migrants. Ainsi, le centre du Caire a

perdu son rôle, tant « effectif » que « symbolique ». En Égypte, les paysans sont sans

cesse accusés « d‟envahir » Le Caire et d‟en « barbariser » les mœurs. Cette opposition

entre les paysans et les citadins est vécue comme un fardeau par les migrants arrivés des

campagnes égyptiennes. La résidence temporaire dans le centre de la capitale apparaissait

comme une façon de gagner le « statut » de citadin aux yeux des Cairotes. Désormais, et

cela depuis quelques décennies, la « citadinité » des migrants se « gagne » directement

dans les périphéries de la capitale. Ce phénomène est observable dans tous les pays en

voie de développement. En effet, l‟urbanisation massive qui s‟effectue dans les pays du

Sud concerne avant tout les villes moyennes et ce ne sont plus les grosses villes qui

67

croissent le plus. Ce sont désormais les villes de moins de 500 000 habitants qui absorbent

la plus grande partie de la croissance urbaine.

Les modifications des trajectoires migratoires mériteraient d‟être observées plus en détail

afin d‟étudier la place qu‟y occupent les quartiers non réglementaires. Pour la plupart, les

migrations s‟effectuent désormais de ville à ville. De la même manière, dans une

dynamique mondiale, l‟exode rural s‟est nettement ralenti. En Égypte, l‟exode rural fut

très soutenu jusqu‟à la fin des années 1970. Au moment où l‟exode rural s‟affaiblit

fortement, de nombreux égyptiens émigrent vers les pays du Golfe, alors en plein boom

pétrolier. Le choc pétrolier de 1973 conjugué à la politique de libéralisation économique

mise en place par le président Sadate ont fortement encouragé l‟émigration des Égyptiens.

En effet, à partir de 1974, les Égyptiens n‟étaient plus obligés d‟obtenir un visa de sortie

pour quitter le territoire.

Outre cette modification des trajectoires vers les périphéries, le rôle de l‟apport migratoire

dans la croissance du Caire (ville « réglementaire et non réglementaire) s‟est affaibli.

Alors que l‟apport migratoire était responsable d‟environ 22% de la croissance du Caire

dans les années 1970, le recensement de 1996 montre que la part a chuté à moins de 10%.

Parallèlement, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, on observe un spectaculaire

ralentissement de la croissance démographique du noyau du Caire de 54,2% en 1960, à

27% en 1986 alors que les zones périphériques de la capitale enregistraient une croissance

soutenue et régulière sur la même période (18,7% en 1960 et 22,9 en 1986). La première

couronne connaissait, au cours de cette période, une croissance très forte de 27% en 1950

et de 50% en 1986.

Les quartiers non réglementaires jouent un rôle fondamental dans la croissance du Grand

Caire. En effet, entre 1996 et 2006, ils auraient absorbé 79% de la croissance

démographique de l‟agglomération. Ce fort taux cache toutefois une forte inégalité de

croissance au sein même des quartiers non réglementaires. En effet, ces zones ne croissent

pas toutes de la même façon et certaines semblent avoir atteint un certain seuil de maturité

et n‟enregistrent pas de croissance significative. Marion Séjourné (2006) distingue alors,

selon leur croissance et leur densité, plusieurs types de quartiers non réglementaires : les

quartiers mûrs en déclin, les quartiers mûrs stabilisés, les quartiers sur-densifiés qui

continuent à se densifier et enfin les quartiers récents en cours de forte densification. Cette

typologie permet d‟observer la grande diversité des quartiers non réglementaires et leur

68

dynamisme. Ceux-ci suivent un processus analogue au centre ville, ils se densifient

fortement pour ensuite décliner au profit d‟autres zones. La majorité des quartiers non

réglementaires maintient un dynamisme démographique très fort : ainsi les quartiers mûrs

stabilisés comme Bulaq al Dakrur (dans le gouvernorat de Giza) enregistrent des densités

et des taux de croissance toujours plus forts que la « ville réglementaire ». Ainsi cette

typologie permet d‟observer le dynamisme de certains quartiers non réglementaires par

rapport à d‟autres zones non réglementaires mais pas par rapport à la « ville légale ». En

effet, le quartier « mûr stabilisé » peut induire en erreur puisque celui-ci est en réalité

toujours beaucoup plus dynamique que le reste de la ville. Les quartiers mûrs en déclin

sont ceux qui sont les plus proches du centre ville ; ils se dédensifient au profit d‟autres

quartier non réglementaires. Les quartiers sur-densifiés sont déjà anciens puisqu‟ils ont

atteint une densification déjà extrêmement forte. Manshiet Nasser, le plus grand quartier

occupé illégalement en Égypte, fait partie de cette catégorie dont la densité ne cesse

d‟augmenter. La densité de population enregistrée à Manshiet Nasser était de 2200

habitants par hectare en 1991 et 2400 en 1998. (M. Séjourné, 2006). La densification

s‟opère en premier lieu par un phénomène de verticalisation du bâti, ou encore par un taux

d‟occupation des pièces très élevés. Le Caire et Lagos (ancienne capitale du Nigeria) sont

les deux seules villes d‟Afrique dont les densités de population rivalisent avec celles de

certaines villes asiatiques.

La vue du ciel d‟un quartier non réglementaire, „Ard el Lewa et d‟un quartier

réglementaire, Mohandessin permet d‟observer la différence flagrante de la trame urbaine.

En effet, Mohandessin, quartier chic de la capitale, se caractérise par une trame

parfaitement dessinée, de larges rues plantées d‟arbres et un bâti plutôt aéré. De l‟autre

côté du chemin de fer, le quartier prend des allures complètement différentes. Le bâti est

beaucoup plus dense et les espaces libres que l‟on pouvait observer à Mohandessin (petites

places, espaces verts) sont absents du quartier non réglementaire. Cela nous permet

d‟observer une occupation maximale du sol dans le quartier non réglementaire. Les seuls

espaces qui ne sont pas bâtis sont les poches agricoles qui ne tarderont probablement pas à

être loties. L‟extrême proximité des constructions est due à plusieurs raisons. Tout

d‟abord, les propriétaires entendent rentabiliser au maximum l‟espace au sol. De plus, la

loi numéro 3 de 1982 autorise le lotissement sur des terres agricoles mitoyennes de

parcelles d‟ores et déjà bâties. Puisque les terres sont illégalement loties, les normes

69

urbanistiques ne sont pas respectées. Ainsi, la hauteur des immeubles et la largeur des rues

ne correspondent absolument pas aux standards de l‟urbanisme égyptien.

Photographie 5 : Tissu urbain d’un quartier non réglementaire à gauche, ‘Ard el

Lewa, et d’un quartier réglementaire, Mohandessin, à droite.

Source : Capture d‟écran, Google Earth effectuée par Éléonore Fallot le 30 juin 2011.

Les quartiers non réglementaires sont donc des zones extrêmement dynamiques sur de

nombreux plans. Nous allons maintenant nous attacher à observer que les quartiers non

réglementaires ne sont pas dans une situation d‟illégalité ad vitam aeternam. En effet, la

situation de ces derniers est tout à fait évolutive. Ces possibilités d‟évolution sont autant le

fait des habitants que des interventions extérieures.

C. Un habitat qui n’est pas figé dans son illégalité

Comme nous l‟avons vu, les quartiers non réglementaires sont extrêmement dynamiques

tant sur le plan de la croissance démographique que de la croissance spatiale. Même s‟ils

n‟ont pas été planifiés, ces quartiers n‟en sont pas moins organisés. Une fois, ces quartiers

construits, il existe de nombreuses possibilités d‟évolution. Comme nous l‟avons vu,

70

l‟habitat non réglementaire recouvre une réalité très variée. Ainsi, aucun programme ne

peut être global et prétendre traiter l‟ensemble du phénomène d‟urbanisation non

réglementaire. En effet, certains quartiers bénéficient d‟un raccordement satisfaisant aux

réseaux d‟eau, d‟électricité et d‟assainissement tandis que d‟autres sont dans une situation

tout à fait précaire. Certains quartiers non réglementaires bénéficient de meilleures

infrastructures que certaines zones planifiées comme les villes nouvelles tandis que

certains quartiers comptent parmi les plus pauvres d‟Égypte, notamment celui de Manshiet

Nasser. De la même manière, certains quartiers sont établis sur des zones sécurisées tandis

que d‟autres se situent sur des zones dangereuses. Ainsi, les politiques visant à améliorer

ces zones devraient être menées quartier par quartier.

Les quartiers non réglementaires suivent un processus d‟évolution qui peut être mené par

les habitants mais aussi par le biais des politiques de régularisation, de réhabilitations.

Nous observerons que les habitants des quartiers non réglementaires revendiquent un réel

droit à la ville et font preuve, pour cela, d‟un grand dynamisme afin de sécuriser leur

situation. Par ailleurs, la perception et la gestion des quartiers non réglementaires par la

sphère politique ont connu une réelle inflexion.

1. Les stratégies mises en œuvre par les habitants

Les habitants des quartiers non réglementaires sont les principaux acteurs de la ville qu‟ils

ont produite. Puisque ces quartiers ont été établis en dehors de toute planification étatique

ou « professionnelle » (type entreprises du bâtiment etc.) c‟est aux habitants que le mérite

de création de la ville revient. Puisqu‟ils revendiquent un droit à la ville, les habitants des

quartiers non réglementaires tentent, tant bien que mal, de se conformer à la légalité de la

« ville réglementaire ». Cet objectif est mis en œuvre par les habitants de multiples façons,

parfois frauduleuses. Ces entreprises ne doivent pas nous laisser penser que les habitants

des quartiers non réglementaires ont un fort sentiment d‟insécurité quant à leur logement.

Même s‟ils sont dans une situation illégale, les habitants ont pleinement conscience qu‟ils

bénéficient d‟une tolérance de fait de la part des autorités et que les risques d‟expulsion ou

de démolition sont infimes. Ainsi, selon une enquête effectuée en 2007, 94,4% des foyers

du Grand Caire ne se soucient absolument pas du risque d‟expulsion. Cette relative

71

sécurité joue un rôle dans la pérennité des constructions. En effet, puisqu‟ils savent qu‟ils

courent peu de risques, les habitants n‟hésitent pas à investir pour améliorer leurs

conditions de vie. Ainsi, la tolérance dont bénéficient les quartiers non réglementaires doit

être prise en compte pour comprendre pourquoi le phénomène de bidonville est circonscrit

en Égypte. Les bidonvilles ne se développent pas seulement lorsque les habitants sont

dans une précarité extrême, ils se développent également lorsque les habitants savent que

leur tenure n‟est pas stable et qu‟elle ne mérite donc pas d‟investissement.

Sur terrains désertiques, les démarches entreprises pour tenter de se conformer à la loi sont

difficiles. En effet, comme nous l‟avons vu, les autorités sont bien plus sévères à l‟égard

des quartiers établis sur des terrains désertiques appartenant à l‟État. Il existe deux

possibilités pour obtenir un titre de propriété en bonne et due forme sur des terrains du

domaine privé de l‟État (un titre de propriété ne sera jamais délivré à des squatters du

domaine public de l‟État). Le titre de propriété peut être obtenu soit par une politique de

légalisation lancée par les autorités, soit par un recours en justice effectué par les habitants

eux-mêmes. Si la propriété du terrain est accordée aux occupants, ceux-ci devront

l‟acheter à un prix fixé par les autorités compétentes. L‟entreprise d‟un recours en justice

par les habitants est extrêmement rare. Tout d‟abord, cela demande une certaine

connaissance des rouages de la justice. Cette procédure n‟est, la plupart du temps,

entreprise que lorsqu‟une réelle menace pèse sur les habitants (expulsion) ou sur le

quartier (démolition). Toutefois, nous avons pu observer que les démolitions sont

extrêmement rares en Égypte, sauf lorsque les zones sont considérées comme étant à

risque, soit du fait du bâti, soit par leur localisation.

Lorsque les quartiers sont édifiés sur des terres agricoles interdites à la construction, les

propriétaires tentent de régulariser la situation du bâti. Comme nous l‟avons vu, les terres

agricoles sont protégées en Égypte car elles sont une ressource rare indispensable à la

sécurité alimentaire du pays. Une seule solution existe pour bénéficier d‟un permis de

construire sur les terres agricoles protégées : la terre doit être considérée comme stérile,

c'est-à-dire qu‟elle ne peut plus être cultivée. Pour cela, la couche organique qui fertilise la

terre est retirée et revendue à d‟autres agriculteurs. Une fois que l‟infertilité de la terre a

été attestée par les autorités compétentes, le propriétaire peut se voir attribuer un permis de

construire. Cette pratique, très répandue en Égypte est également rendue possible par la

corruption. L‟urbanisation sur terres agricoles ne s‟effectue pas uniquement sur des terres

pour lesquelles un permis de construire a été délivré. En effet, seule une partie des

72

propriétaires de ces constructions non réglementaires, entreprennent, dans une certaine

mesure, de se conformer à la loi.

Même lorsque la régularisation de la propriété (sur terrains désertiques) ou du bâti (sur

terres agricoles) n‟est pas obtenue, les quartiers non réglementaires bénéficient d‟une

tolérance et sont même, d‟une certaine manière, intégrés à la ville. Alors même que leur

situation est illégale, les habitants des quartiers non réglementaires sont, d‟un point de vue

fiscal, logés à la même enseigne que la « ville réglementaire » puisqu‟ils paient une taxe

foncière.

Tous les efforts qui permettent aux habitants des quartiers non réglementaires de gagner

en légalité nécessitent une bonne connaissance du système politique et judiciaire mais

également beaucoup de temps. En effet, tous ces moyens sont des entreprises de longue

haleine coûteuses et donc inabordables pour de nombreux habitants des quartiers non

réglementaires. Ainsi, Marion Séjourné donne l‟exemple d‟une tentative de régularisation

sur terrains désertiques à la suite d‟une loi qui permet à certains occupants de bénéficier

d‟un titre de propriété : « en moyenne pour obtenir la propriété du terrain qu‟il occupe le

demandeur aura dû effectuer 72 transactions auprès de 35 instances, ce qui lui prendra 262

jours […] et lui coûtera environ 10 000 livres égyptiennes [1167 euros en moyenne] »36

.

La complicité des notables locaux et de certains personnages politiques, par un jeu de

clientélisme, a permis à certains quartiers non réglementaires de bénéficier d‟interventions

publiques. La tolérance et la complicité font dire à Isabelle Berry Chikhaoui et Agnès

Deboulet qu‟il s‟agit d‟une véritable « coproduction de la ville »37

. Puisque les restrictions

législatives visant à empêcher l‟urbanisation des terres agricoles se multiplient, les futurs

habitants ou les entrepreneurs des quartiers non réglementaires ont recours à de

nombreuses stratégies pour contourner les interdictions. Certaines personnes de ces

quartiers ont des contacts ou sont directement impliqués dans la vie politique locale ; cela

leur permet d‟obtenir des permis de construire ou tout simplement d‟acheter la négligence

des autorités. Il existe également d‟autres stratégies plus « primaires » auxquelles ont

recours les habitants pour détourner l‟attention des autorités. Sur terres agricoles ou sur

terrains désertiques, les entrepreneurs savent qu‟il vaut mieux construire le vendredi, les

jours fériés ou encore la nuit.

36 Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et

configuration du système d’acteurs ?, 2006, p. 60 37

Les compétences des citadins dans le monde arabe : penser faire et transformer la ville, 2000, p. 16

73

La plupart des quartiers non réglementaires se dotent d‟un porte parole, le shaykh qui fait

office d‟intermédiaire avec les autorités. Le shaykh se voit confier les revendications des

habitants. L‟autorité du shaykh a deux sources : tout d‟abord il jouit d‟une position

économique dominante sur les autres habitants; ensuite, c‟est souvent lui qui a entrepris la

construction de la première mosquée du quartier. Par ce dialogue, les autorités ne se

contentent plus de tolérer l‟urbanisation non réglementaire mais elles participent à leur

développement officieux. Cette complicité, mais aussi les réseaux de solidarité, permettent

un réel développement des quartiers d‟émanation populaire. Des collectes sont parfois

mises en place et permettent l‟installation de certains équipements. Ainsi, Agnès Deboulet

(1994) donne l‟exemple d‟une collecte à l‟initiative des shaykhs et des leaders politiques

dans le quartier de Matariya qui réunit 60 000 livres égyptiennes (plus de 7000 euros) et

permit l‟installation d‟égouts

Malgré les réelles compétences mises en œuvre par les habitants des quartiers non

réglementaires, les carences de l‟État ne peuvent être complètement comblées. En effet, il

y a certains domaines pour lesquels les actions des habitants ne peuvent pas remplacer les

interventions des autorités publiques. Les compétences des habitants en matière

d‟équipements lourds (eau, électricité, assainissement) sont généralement bonnes lors des

premiers stades de développement des quartiers non réglementaires. En revanche, lorsque

le quartier se développe et donc se densifie, les équipements ne sont plus adaptés

La « débrouillardise » en termes d‟équipement se fait dans des situations particulièrement

dangereuses. Ainsi, elle ne peut en aucun cas justifier l‟absence d‟intervention de l‟État.

2. L’État et les institutions internationales : porteurs d’amélioration ?

Evidemment, les régularisations des quartiers non réglementaires sont en premier lieu le

fait de l‟État égyptien. L‟attitude de l‟État égyptien à l‟égard des quartiers non

réglementaires a évolué au fil des années, influencée à la fois par les évènements intérieurs

et sous la pression des institutions internationales.

Lorsque dans les années 1950, l‟urbanisation non réglementaire a commencé à se

développer de façon significative en Égypte, nous avons vu que l‟État a procédé à une

74

série de mesures législatives afin d‟enrayer le grignotage des terres agricoles. Les autorités

égyptiennes ont dès le départ tenu un discours très strict à l‟égard de cette urbanisation

tout en adoptant une attitude de laisser-faire. En effet, malgré les restrictions législatives

apportées aux constructions sur terres agricoles, les mesures de démolition ou d‟expulsion

sont restées extrêmement rares tandis que les menaces étaient beaucoup plus fréquentes.

L‟État égyptien avait bien conscience de la menace sur la paix sociale en appliquant la

politique du bulldozer. L‟attitude de l‟État a donc été plutôt ambivalente : alors que les

discours laissaient croire à une réelle sévérité, l‟attitude effective était celle d‟une

tolérance de fait. Cette tolérance ne peut pas être imputée à l‟absence de moyens répressifs

dans la mesure où il est acquis que l‟État aurait pu, s‟il avait voulu, empêcher cette

urbanisation. La contre partie à cette tolérance de l‟État était, de toute évidence, l‟absence

de toute intervention visant à l‟amélioration de ces quartiers. Ainsi, les quartiers non

réglementaires ont d‟abord été longtemps à l‟écart de l‟ensemble des interventions des

pouvoirs publics (équipements, infrastructures etc.). Puisque les lois et décrets ne

suffisaient plus à enrayer l‟urbanisation non réglementaire, l‟État a tenté d‟y mettre un

terme en refusant toute intervention dans ces quartiers. En effet, l‟État a longtemps

considéré qu‟il n‟avait pas à intervenir dans des zones créées en dehors de son contrôle.

Les schémas directeurs et les multiples projets de planification urbaine (villes nouvelles,

satellites, new settlements) permettaient à l‟État d‟ignorer les quartiers non

réglementaires. Puisqu‟il engageait par ailleurs des projets de planification urbaine, l‟État

pouvait, en toute impunité selon lui, rejeter la faute sur les habitants de l‟urbanisation non

réglementaire. Ces projets permettaient à l‟État d‟affirmer qu‟il fournissait l‟offre de

logements et qu‟il n‟était donc en aucun cas responsable du développement de

l‟urbanisation non réglementaire. Ainsi, l‟État égyptien n‟a eu de cesse de montrer du

doigt les producteurs et les habitants des quartiers non réglementaires et de remettre en

cause le caractère citadin et urbain de ces populations. De cette manière, toutes les

communications (discours, annonces, publicités etc.) autour des grands projets urbains,

ont entretenu une réelle dichotomie entre la ville nouvelle, propre, aérée, calme et la

prétendue anarchie des quartiers non réglementaires. Ces quartiers ont longtemps été

présentés dans la presse et dans les discours officiels comme une « excroissance », une

« tumeur » de la ville.

Après des années d‟ignorance teintée de mépris, face au caractère inexorable de cette

urbanisation, l‟État a été contraint de modifier son attitude.

75

À la fin des années 1970, la question urbaine devient l‟une des priorités des institutions

internationales. La décennie 1970 est marquée par l‟arrivée sur le devant de la scène de la

question du développement urbain. Ainsi, en 1978 est créée l‟agence des Nations-Unies

pour les établissements humains (UN-HABITAT). Au même moment, la Banque

Mondiale commence à accorder une attention particulière aux villes. En effet, la fin de la

décennie 1970 marque une modification des façons de considérer la ville. Alors qu‟elles

ont longtemps été perçues comme génératrices de difficultés et de pauvreté, les villes sont

désormais vues comme des vecteurs de croissance et de développement. La gestion des

villes trouve donc sa place dans l‟agenda des institutions internationales. Les institutions

et organisations internationales encouragent les États à intervenir dans le champ de

l‟urbain tout en promouvant une logique néo libérale. L‟État, selon cette logique, n‟est pas

censé fournir des logements. La démarche des institutions internationales n‟est pas

philanthrope. Il n‟est plus question de fournir des logements subventionnés aux

populations démunies. Désormais, l‟État est incité à intervenir dans les quartiers non

réglementaires afin de tirer profit de la manne financière qu‟ils représentent. En 1996,

l‟économiste Hernando De Soto, directeur du néolibéral Institute for Liberty and

Democracy, estimait à 170 milliards d‟euros le capital foncier et immobilier non

réglementaire en Égypte et parle de « capital mort ». Éric Denis évoque alors une

« marchandisation des „ashwaiyyat » et décrit De Soto comme « le chantre de l‟intégration

des plus démunis à la libéralisation économique »38

. Ces politiques pro poor rencontrent

un franc succès auprès des instances de l‟ONU et du programme de l‟USAID alors

qu‟elles sont par ailleurs fortement critiquées. La priorité est de légaliser les quartiers non

réglementaires c'est-à-dire de fournir des titres de propriété en bonne et due forme. La

fourniture de titres de propriété permettrait à l‟État égyptien de collecter une taxe foncière

dans chacune des unités de logement des quartiers non réglementaires. En effet, faute de

recensement dans ces quartiers, certains foyers n‟étaient pas soumis à la taxe foncière.

Cette demande de légalisation du secteur de l‟habitat informel est soutenue par de grandes

entreprises du bâtiment, proches de Gamal Moubarak. Le motif financier motive

également la légalisation des emplois informels. Ainsi le journal égyptien francophone Al

Ahram Hebdo titrait le 16 novembre 2005 « Le secteur informel : la valse à deux temps de

l‟État » et affirmait que derrière la volonté de légaliser le secteur informel « se cache le

désir d‟engranger plus d‟impôts » puisque la « légalisation des unités informelles signifie

38

« La marchandisation des „ashwaiyyat », 2008, p. 24

76

leur soumission à l'impôt […] et aboutit à des gains pour le fisc ». Ainsi, plusieurs

opérations de régularisation successives ont été faites par les autorités égyptiennes. En

1976, une loi permit aux gouvernorats de vendre les terrains publics à des entreprises

publiques ou à des promoteurs privés. En 1984, une loi offrit la possibilité aux squatters

des terrains publics d‟acheter les parcelles qu‟ils occupent. Si ces initiatives permettent

une régularisation, c'est-à-dire la fourniture d‟un titre de propriété en bonne et due forme,

elles ne peuvent pas être saisies par les plus démunis. En effet, le coût d‟achat des

parcelles était assez élevé.

La Banque Mondiale incite également l‟État égyptien à équiper ces quartiers. Le coût des

travaux doit, en théorie, être recouvert par les habitants eux-mêmes. Ces politiques visant

à améliorer les quartiers non réglementaires sont à double tranchant. En effet, elles

entrainent une augmentation des prix de l‟immobilier. Ces politiques ont alors eu l‟effet

pervers d‟exclure certains habitants et ont alors entrainé la création de poches urbaines très

précaires. Ainsi, les populations les plus pauvres des quartiers non réglementaires n‟ont

pas pu profiter des bienfaits des politiques publiques.

Les possibilités d‟amélioration des quartiers non réglementaires sont multiples. Comme

nous l‟avons vu, l‟urbanisation non réglementaire prend en Égypte une multiplicité de

formes. Ainsi, une seule politique, une seule façon d‟aborder les quartiers non

réglementaires est inenvisageable. Tout d‟abord, ces quartiers connaissent de nombreux

stades de développement et ne nécessitent donc pas tous la même intervention. Ainsi, la

GTZ recense plusieurs interventions, des plus primaires aux plus élaborées, permettant

l‟amélioration des « zones informelles » : l‟amélioration de l‟accessibilité des zones, le

pavage et l‟éclairage public des rues principales, l‟installation ou l‟amélioration des

infrastructures (eau, assainissement, électricité), l‟installation et l‟amélioration de la

collecte des déchets, la construction ou l‟amélioration des services publics (écoles,

établissements de santé, boulangeries, centres de jeunesse, postes de police et caserne de

pompiers). L‟ensemble de ces interventions visent à intégrer les quartiers non

réglementaires au reste de la ville. Dans cette perspective, les « zones informelles »

bénéficient du même traitement que la ville réglementaire. D‟autres programmes estiment

que les quartiers non réglementaires doivent bénéficier de politiques spécifiques (projet de

micro crédit, programme de prévention sanitaire). Une perspective tout à fait différente

propose de modifier en profondeur la trame urbaine des quartiers non réglementaires.

Comme nous l‟avons vu, les quartiers non réglementaires sont constitués de rues très

77

étroites et ne disposent pas d‟espaces vacants. Les interventions sur la trame urbaine

entendent élargir les rues et fournir des espaces publics aux quartiers. Ces interventions

font souvent face à l‟opposition des habitants. Ainsi, de nombreux projets d‟élargissement

des rues sont au point mort puisqu‟ils entraineraient la destruction de nombreuses unités

de logement.

Les politiques urbaines en Égypte sont assez complexes à étudier car elles ne sont pas

linéaires et sont constituées de multiples expériences promouvant chacune des modèles de

gestion urbaine parfois très différents. En effet, certains programmes promeuvent un

modèle participatif, avec les habitants et les associations du quartier tandis que d‟autres

constituent des politiques toutes faites qui sont appliquées dans un quartier sans que les

habitants ne soient associés au processus décisionnel. De nombreux projets se sont soldés

par un échec.

Sous l‟égide de la Banque Mondiale et de l‟USAID (United States Agency for

International Development) de nombreux projets sont menés dans les quartiers non

réglementaires. La Banque Mondiale mena un projet dans le quartier de Manshiet Nasser

entre 1978 et 1985 afin de fournir des services urbains au quartier tandis que l‟USAID

entreprenait de construire des logements à bas coût dans le quartier d‟Helwan.

La plupart du temps, les autorités égyptiennes ont été réticentes à intervenir dans le tissu

urbain pré existant des quartiers non réglementaires. En effet, selon les autorités, la

population des quartiers non réglementaires devait être déplacée dans les villes créées dans

le désert. Participer à l‟amélioration des quartiers non réglementaires revenait à

reconnaitre que l‟État n‟était plus le seul acteur de la ville et qu‟il n‟avait pas su contrôler

ce qu‟il considérait comme son territoire. Aujourd‟hui encore, les autorités sont réticentes

à restructurer les quartiers non réglementaires. Ainsi, lors d‟une conversation tenue au

Caire en juin 2011, Lise Breuil, chef de projet de la division Eau/Assainissement de

l‟Agence Française de Développement (AFD) m‟a affirmé que l‟AFD ne travaille pas avec

les autorités égyptiennes sur les quartiers non réglementaires car celles-ci refusent la

restructuration et persistent à vouloir concevoir de nouveaux projets. La façon dont les

autorités envisagent les interventions dans les quartiers non réglementaires est assez

surprenante. En effet, le 22 octobre 2008, dans une interview à Al Ahram Hebdo, le

gouverneur du Caire Abdel-Azim Wazir affirmait « Le gouvernorat du Caire s‟est engagé

dans une bataille acharnée contre les zones sauvages. Le gouvernorat a des expériences

78

très réussies dans ce domaine. L‟une d‟elles est la région des bidonvilles de Zeinhom qui a

été transformée en parc public et la région des bidonvilles du Torgoman qui a été

transformée en gare routière. »

Jusqu‟au début des années 1990, l‟État égyptien a mené des actions ponctuelles en

partenariat avec des institutions internationales. Les années 1990 marquent en Égypte un

profond changement de l‟attitude de l‟État à l‟égard des quartiers non réglementaires. En

effet, à partir de cette période, les planificateurs et les autorités égyptiennes comprennent

que les projets promus par les précédents schémas directeurs ont été inefficaces. Ils n‟ont

pas permis d‟attirer les populations des quartiers non réglementaires ni de préserver les

terres agricoles, rendant nécessaire désormais d‟intervenir au sein même des ‘ashwaiyyat.

Si aujourd‟hui encore, les autorités sont parfois réticentes à intervenir directement sur la

trame urbaine des quartiers non réglementaires, comme nous l‟a dit Lise Breuil, il est

désormais admis que cette solution est la plus efficace. Le tremblement de terre de 1992 et

les émeutes d‟Imbaba la même année, ont conduit les médias à accorder une importance

nouvelle à l‟excroissance que constituaient les quartiers informels de la capitale. Nous

observerons, dans la deuxième partie, le traitement médiatique qui a été réservé à ces

évènements et la façon dont ces quartiers ont été accusés de renfermer tous les maux de la

ville. Les interventions des autorités égyptiennes dans les quartiers non réglementaires

sont placées sous le signe de l‟urgence. Ce sont désormais des préoccupations sécuritaires

et l‟inquiétude d‟une opposition croissante qui ont poussé l‟État égyptien à intervenir dans

les quartiers non réglementaires. Les interventions seront d‟ailleurs marquées par des

exigences sécuritaires : puisque les forces de polices n‟étaient pas parvenues à intervenir

dans certaines rues d‟Imbaba, la priorité est donnée à l‟élargissement des rues. Dans cette

perspective, le gouverneur du Caire déclare dans Al Ahram Hebdo du 11 août 1993 qu‟il

faut absolument « réaliser de larges voies de circulation afin de permettre une meilleure

accessibilité aux forces de sécurité ».

La mise à l‟agenda politique du traitement des quartiers non réglementaires a clairement

été encouragée par les évènements de la fin de l‟année 1992, le tremblement de terre et le

siège d‟Imbaba. Ainsi, le 1er mai 1993, le président Moubarak inaugura le « Programme

national de réhabilitation des quartiers informels ». Ce programme marque une rupture

dans les politiques urbaines menées habituellement par l‟État égyptien. L‟initiative est

doublement originale : d‟une part, l‟État entreprend de modifier les quartiers

réglementaires in situ ; d‟autre par ce programme est assez surprenant puisqu‟il intervient

79

peu de temps après la signature du programme d‟ajustement structurel c'est-à-dire à un

moment où l‟État égyptien doit réduire ses dépenses publiques. Afin de le réaliser,

plusieurs ministères sont chargés de recenser les ‘ashwaiyyat du pays. Seuls dix

gouvernorats bénéficient du programme. Sans surprise, le nombre de quartiers non

réglementaires est fortement sous estimé. Dans la première phase, 106 millions de livres

égyptiennes (cela représente aujourd‟hui environ 12 millions d‟euros) ont été allouées au

programme pour fournir des infrastructures aux quartiers non réglementaires. Les objectifs

du programme étaient d‟équiper les ‘ashwaiyyat en réseaux d‟eau, d‟électricité, d‟égouts

ainsi que de paver et d‟élargir les rues. La priorité a été donnée à tout ce qui faciliterait les

interventions des forces de police : c'est-à-dire l‟élargissement, le pavage des rues et

l‟éclairage public. Les habitants n‟ont à aucun moment été intégrés au programme de

réhabilitation des quartiers non réglementaires. Le programme a clairement été placé sous

le signe de l‟urgence et de l‟intervention sécuritaire. Même s‟il n‟a concerné qu‟une partie

des quartiers non réglementaires, ce programme a permis d‟équiper certaines zones et

participe à la reconnaissance officieuse de ces quartiers. Ces interventions peuvent en

effet nous amener à considérer que l‟État égyptien reconnait cette forme d‟urbanisation.

Toutefois, cette reconnaissance reste officieuse dans la mesure où aucun titre de propriété

n‟a été fourni aux habitants.

80

III. Les ‘ashwaiyyat dans la société égyptienne : une pathologie

que le corps urbain tend peu à peu à intégrer

Si la perception des quartiers non réglementaires, dits ‘ashwaiyyat, demeure extrêmement

négative en Égypte, il semblerait que celle-ci s‟améliore progressivement. Dans un

premier temps, nous observerons le traitement médiatique de quatre évènements survenus

entre 1992 et 2011. Ce traitement nous permettra d‟observer la façon dont les ‘ashwaiyyat

sont perçus en Égypte. Nous étudierons ensuite l‟émergence d‟une perception nouvelle de

ces quartiers. Tout d‟abord, l‟agence de coopération technique allemande, la GTZ promeut

des politiques participatives dans ces quartiers, valorisant ainsi l‟action des habitants.

Certaines associations ou organisations commencent à porter la voix des habitants des

‘ashwaiyyat sur la scène publique. Enfin, nous verrons que, malgré les améliorations, la

perception des ‘ashwaiyyat comme bidonville demeure.

A. La presse : un discours qui demeure stigmatisant malgré une

certaine inflexion

Les quartiers non réglementaires ont été fortement stigmatisés en Égypte. Les autorités et

les médias ont longtemps accusé ces quartiers de renfermer tous les maux de la ville. Les

quartiers non réglementaires étaient vus comme des bombes prêtes à exploser qu‟il fallait

désamorcer de toute urgence. Tous les travaux menés sur les « zones informelles », les

« zones spontanées » s‟accordent sur l‟importance de deux évènements. Le tremblement

de terre qui s‟est produit le 12 octobre 1992 fit apparaitre au grand jour les conditions de

logement d‟un nombre important d‟Égyptiens et donc la question des quartiers non

réglementaires. Un deuxième évènement a marqué l‟esprit des Égyptiens : les émeutes

survenues dans le désormais devenu célèbre quartier d‟Imbaba les 8 et 9 décembre 1992.

Ces deux évènements ont été relativement bien étudiés. À ces deux faits, nous ajouterons

deux autres évènements, plus récents. Tout d‟abord, l‟éboulement d‟un flanc de la falaise

du Muqattam en septembre 2008 sur le quartier de Duweiqa a attiré l‟attention des médias

sur les conditions de vie dans ce quartier non réglementaire très précaire. Le second

81

évènement que nous retiendrons est celui au cours duquel ont éclaté des violences

interconfessionnelles dans le quartier d‟Imbaba le 7 mai 2011 Nous nous attarderons plus

longuement sur les deux évènements les plus récents dans la mesure où ils n‟ont, à ma

connaissance, pas encore été étudiés. L‟éboulement de la falaise a révélé au grand jour les

conditions de vie de plusieurs milliers d‟habitants du quartier de Duweiqa et l‟incapacité

des autorités à prendre en charge efficacement ces populations à la suite de la destruction

de leur logement. Les émeutes d‟Imbaba ont présenté le quartier non réglementaire

comme une zone de non droit.

1. Le tremblement de terre de 1992 : une prise de conscience ?

Le tremblement de terre survenu le lundi 12 octobre 1992 (5,6 sur l‟échelle de Richter) a

causé d‟importants dégâts dans la région du Caire et du Fayoum, une oasis située à près de

100 kilomètres au sud ouest du Caire. Le bilan officiel fait état de 561 morts et 9922

blessés uniquement dans la région du Grand Caire. 1087 écoles et 5004 autres types de

bâtiments se sont effondrés. Un bilan précis n‟a pas pu être établi pour l‟ensemble des

zones touchées. Les médias expliquent l‟ampleur des dégâts par les mauvaises conditions

de l‟urbanisation de la capitale. Ainsi, le 23 octobre 1992, le journal Le Monde titre « Les

convulsions du Caire : les dégâts provoqués par le séisme sont venus s'ajouter à ceux du

passé, dans une ville chaotique et surpeuplée ». Le journaliste Claude Patrice décrit Le

Caire comme « un grand corps malade et pustulé », « une souillon ». Il affirme que la ville

« souffre déjà de mille maux, et d'abord d'éléphantiasis chronique » et est « une mégapole

qui a, vingt heures par jour, les artères bouchées, les poumons enfumés, les intestins

crevés et les tympans éclatés ».

La catastrophe de Duweiqa a, avant tout, révélé la lenteur des autorités à réagir,

notamment dans les quartiers non réglementaires. La secousse a frappé autant les quartiers

non réglementaires que certains quartiers chics de la ville comme Héliopolis, lieu de

résidence du président Moubarak et de sa famille. Toutefois, les secours se sont concentrés

uniquement sur les quartiers chics, laissant alors un sentiment d‟amertume très vif dans les

quartiers non réglementaires. Le tremblement de terre a révélé un double déséquilibre :

tout d‟abord, l‟attention a été portée de façon démesurée à la ville du Caire, ensuite au sein

même de la ville du Caire, les secours se sont polarisés dans le quartier de résidence du

82

président Moubarak. Les habitants des quartiers non réglementaires ont exprimé un

sentiment d‟abandon très fort. Ainsi, Galila el Kadi cite un article d‟Al Ahram Hebdo du

16 octobre 1992 qui affirme « un habitant du quartier d'al-Khalifa était resté perché, isolé

pendant quatre jours sans aucun secours, sur le balcon du quatrième étage de son

immeuble, suite à l'effondrement de la cage d'escalier ». Les cas de ce type se sont

multipliés dans les semaines qui ont suivi le tremblement de terre. Si les journaux

d‟opposition ont dénoncé la lenteur des secours et le désintérêt des autorités égyptiennes à

l‟égard des quartiers non réglementaires, les journaux pro gouvernementaux ont présenté

l‟État, notamment le président Moubarak, comme le sauveur de la situation. La plupart des

immeubles qui se sont écroulés lors de ce tremblement de terre avaient été déclarés

impropres à l‟habitation en raison de leur usure. Or aucune mesure n‟avait été prise pour

reloger les familles ou réhabiliter les bâtiments. Plusieurs semaines après la secousse, de

nombreuses familles en attente de relogement ont trouvé refuge dans des abris de fortune.

D‟autres familles ont été relogées dans des logements encore inachevés. Près de 10 000

familles auraient été relogées dans la cité satellite qui prendra le nom de Masakin al zilzal

(les logements du tremblement de terre) à une quinzaine de kilomètres à l‟est du Caire sur

le plateau du Muqattam. Cette ville « d‟urgence » avait été initialement conçue pour les

jeunes ménages désireux d‟accéder à la propriété. Dans l‟urgence, alors même que la

construction des logements ne serait achevée qu‟à la fin des années 1990, de nombreuses

familles y ont été logées. Au moment du tremblement de terre, les logements n‟étaient pas

équipés en eau courante, électricité et égouts. La ville était dépourvue d‟école, de bureau

de poste, de centre médical et de toute sorte de magasins. Il serait intéressant d‟étudier les

compétences mises en œuvre par les nouveaux habitants de cette cité pour combler les

carences de l‟État. En effet, dans cette situation de précarité, les habitants mettent en

œuvre de réelles compétences qui leur permettent, malgré tout, d‟habiter la ville dans des

conditions décentes. Ainsi, les nouveaux résidents se sont approprié l‟espace du quartier et

ont modifié le paysage urbain de la cité satellite. Masakin al zilzal est alors devenue une

ville vivante dans laquelle les relogés ont tentés de reproduire la vie de leur quartier

d‟origine en ouvrant des cafés, des boutiques etc.

Face à la lenteur des secours dans les quartiers non réglementaires, les associations à

référent religieux ont joué un rôle considérable. La rapidité d‟action de ces associations

leur a permis de trouver une assise encore plus forte au sein de ces quartiers. Bien avant le

tremblement de terre, de nombreuses associations existaient dans les quartiers non

83

réglementaires : le désintérêt de l‟État à l‟égard de ces quartiers a contraint les habitants à

s‟organiser. Nous avons vu que ces organisation parvenaient parfois à établir des liens

avec les autorités, notamment par le biais de complicité avec des représentants locaux du

Parti national démocratique (PND). D‟autres organisations au contraire, se sont construites

dans une démarche d‟opposition, voire de rivalité, avec les autorités. Ainsi de nombreuses

associations, notamment à caractère islamique, parfois islamiste, ont entrepris d‟endosser

le rôle de l‟État dans de nombreux domaines (social, culturel, scolaire, médical). Les

associations islamistes ont réussi à s‟approprier l‟espace public de ces zones délaissées par

l‟État. Bien que les interventions de ces associations soient quotidiennes, il a fallu attendre

l‟intervention d‟urgence, survenues au lendemain du tremblement de terre, pour révéler

l‟ampleur et le succès du phénomène.

2. Imbaba, décembre 1992 : une zone de non droit ?

Les évènements survenus à Munira al Gharbiya dans le district d‟Imbaba, qui abritait alors

environ 1,5 millions d‟Égyptiens, en décembre 1992 ont mis sur le devant de la scène la

question des quartiers non réglementaires. Alors que le tremblement de terre avait entrainé

une certaine compassion à l‟égard des habitants, les émeutes d‟Imbaba ont créé une réelle

psychose autour des quartiers non réglementaires. On remarquera la pérennité de

l‟angoisse comparée au caractère éphémère de la compassion.

Au début du mois de décembre 1992, l‟organisation islamiste al-Gama‘a al-Islamiya

(groupe islamique) proclama, lors d‟une conférence, la création d‟un État indépendant au

sein du quartier d‟Imbaba sous le nom de l‟Émirat d‟Imbaba. Lors de cette même

conférence à laquelle avaient été conviés de nombreux journalistes, les membres de

l‟organisation revendiquèrent l‟assassinat de Rifaat al Mahgub, président de l‟Assemblée

du peuple, et de l‟écrivain laïc Farag Fuda. Les 8 et 9 décembre 1992, les forces de polices

investirent le quartier afin de procéder à une « opération de ratissage » dans le but de

mettre fin aux émeutes survenues à la suite de la condamnation à mort de huit islamistes.

La mobilisation policière dans le quartier d‟Imbaba était inédite puisque 16 000 agents

sont intervenus (certains médias ont évoqué le chiffre de 18 000). Les policiers étaient

accompagnés de plus de 2 000 officiers de l‟armée, d‟une centaine de voitures blindées, de

bulldozers ainsi que de chiens. La veille au soir, l‟intervention avait été préparée par de

84

faux balayeurs. L‟intervention spectaculaire avait évidemment pour objectif de montrer

que l‟État était maître de la situation. À partir de cet épisode, les quartiers non

réglementaires ont été traités d‟un point de vue sécuritaire. Les ‘ashwaiyyat apparaissaient

comme des espaces communautaires au sein desquels les mouvements islamistes s‟étaient

développés et étaient susceptibles de déstabiliser l‟État, voire même de rivaliser avec son

autorité. À la suite de ces évènements, la société égyptienne semble avoir réalisé que les

mouvements islamistes gagnent du terrain et ne se concentrent plus uniquement en Haute

Égypte, notamment dans la ville d‟Assiout.

La presse établit un lien de cause à effet direct entre les ‘ashwaiyyat et la menace

islamiste. Les quartiers non réglementaires sont perçus comme un terreau propice à

l‟insurrection urbaine et au développement d‟une idéologie islamiste menaçant la stabilité

de l‟État. Ce serait l‟environnement urbain défaillant des ‘ashwaiyyat qui aurait permis le

développement d‟une telle violence. Les articles de presse parus dans les jours suivant le

« siège d‟Imbaba » sont extrêmement sévères à l‟égard des habitants des quartiers non

réglementaires. Diane Singerman (2009) établit une corrélation entre la figure de

« l‟autre » élaborée dans les discours coloniaux et la figure de l‟habitant des ‘ashwaiyyat.

De la même manière, Éric Denis affirme que d‟après la presse « Imbaba, ce n'est pas Le

Caire, c'est “autre chose” ; c'est l'ailleurs, l‟extérieur au regard duquel Le Caire existe ; et

ses habitants, ce sont “les autres”, par rapport auxquels il est possible de se définir comme

citadin, comme appartenant à la cité »39

. Ainsi, la figure de l‟habitant des ‘ashwaiyyat

apparait avant tout comme la figure de l‟altérité. C‟est en opposition au citadin cairote que

l‟habitant des ‘ashwaiyyat est présenté. Dans tous les domaines, celui-ci est présenté

comme menaçant la stabilité de l‟État et le caractère urbain, c'est-à-dire, selon ce point de

vue, civilisé de la capitale. Les habitants des ‘ashwaiyyat sont présentés comme des

fellahin, des paysans, qui menacent la culture urbaine. Ainsi, le journal égyptien Akhir

sa‘a du 14 avril 1993 affirme que l‟intervention policière à Imbaba a conduit à

l‟arrestation de nombreuses personnes dont 50% seraient « des migrants vers les villes » et

ajoute que « leur incapacité à s'insérer dans la société urbaine s'est transformée en une

pulsion insurrectionnelle, alors la violence contre le quartier et toute la société a

commencé à menacer les droits essentiels de millions d'humains »40

.

39

« La mise en scène des „ashwaiyyât. Premier acte : Imbâba, décembre 1992 », 1994, p. 124 40

Ibid, p. 126

85

En dehors de l‟Égypte, le discours tenu sur Imbaba est également empreint de clichés.

Ainsi, le 27 décembre 1992, un article du quotidien français Le Monde affirme « Depuis

une vingtaine d'années, sur d'anciennes terres agricoles, Imbaba a poussé tel un gros

champignon sauvage. Ni voirie ni urbanisme. En rangs serrés s'y alignent les HLM de

l'anarchie » et évoque des « ilots insalubres » « des ruelles sombres et étroites, où la police

ne pénétrait plus guère depuis des mois, sinon des années, quelques jeunes " barbus " ont

imposé leur loi. » Quelques semaines avant le « siège d‟Imbaba », dans Le Monde du 23

octobre 1992, le journaliste Patrice Claude évoquait Imbaba en ces termes « Ici s'entassent

des centaines de milliers de laissés-pour-compte d'une éphémère croissance. Quart-monde

du tiers-monde. Des meutes de chiens galeux, d'ânes bâtés, de chèvres bêlantes, de poules

caqueteuses et de gosses dépenaillés s'entrecroisent dans un interminable capharnaüm

médiéval. Il n'a pas plu depuis six mois et l'on patauge dans les flaques boueuses crachées

en surface par des égouts crevés. Effluves puantes, fumerolles écœurantes, échappées à

longueur de jours et de nuits de tas d'ordures hauts comme des immeubles. Conglomérat

de taudis, aux balcons branlants, aux terrasses transformées en basse-cour ou en bergeries.

Fouillis de ruelles et de venelles crasseuses. Magmas de caillasses et de clapiers lépreux,

chancelants, bâtis à la va-comme-je-te-pousse. »

Ces deux évènements ont eu une portée importante puisque quelques mois plus tard, le 1er

mai 1993, le président Moubarak annonça le « Programme national de réhabilitation des

quartiers informels ». Ainsi, le Maglis al Shura (l‟assemblée consultative égyptienne)

affirme que « ce programme est une réponse sociale à la propagation de l‟idéologie

fondamentaliste religieuse dans les quartiers informels et une intensification de la

répression du terrorisme »41

3. Duweiqa : une nouvelle catastrophe qui montre que rien n’a été fait

Si les logements extrêmement précaires, du type bidonville, sont assez rares au Caire, ils

concentrent l‟attention des médias. L‟éboulement d‟un pan de la falaise en calcaire du

Muqattam sur le quartier de Duweiqa, dépendant de la municipalité de Manshiet Nasser, le

6 septembre 2008 a entrainé la mort d‟au moins 119 personnes selon le bilan officiel.

41 Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et

configuration du système d’acteurs ?, 2006, p. 345

86

D‟autres bilans font état de plusieurs centaines de morts. Selon l‟autorité égyptienne pour

la télédétection et les sciences spatiales, les rochers tombés sur le quartier de

Duweiqa/Ezbet Bekhit pesaient plus de 18 000 tonnes. Les habitations frappées par la

catastrophe étaient certes très précaires mais c‟est surtout la localisation géographique qui

était source de danger. En effet, les habitations étaient nichées au pied de la falaise du

Muqattam. Par cet évènement, la presse égyptienne semble avoir redécouvert l‟existence

d‟un habitat de ce type, comme si les effondrements d‟immeubles précaires suite au

tremblement de terre de 1992 avaient déjà été oubliés. Les autorités ont été accusées de

négligence puisqu‟elles auraient été tenus informées du risque d‟éboulement.

L‟effondrement d‟un pan de la falaise serait la conséquence d‟infiltrations provoquées par

des travaux au dessus de la falaise. La société émiratie Emaar, en construisant un

complexe immobilier de luxe sur le haut de la falaise, n‟aurait respecté aucune norme. Les

autorités sont doublement accusées : tout d‟abord elles sont accusées de négligence,

ensuite elles sont accusées d‟avoir mal géré la catastrophe. Le traitement médiatique de

l‟évènement est similaire en de nombreux points à celui du tremblement de terre de 1992.

Les médias insistent sur la pauvreté et le malheur des familles touchées. Toutefois, les

médias évoquent le rôle de l‟État dans des termes sensiblement différents à ceux utilisés

lors du tremblement de terre. En effet, la gestion de la crise semble cette fois-ci

unanimement critiquée. Le sentiment d‟abandon des habitants est plus amplement relayé

qu‟en 1992. Ainsi, le 24 septembre 2008 Al Ahram Hebdo affirme que les autorités ont

rapidement annoncé la fin des recherches des victimes dans les décombres et affirme que

« l‟amertume demeure vive ». La journaliste Marianne Youssef donne la parole aux

rescapés : « Nous avons perdu toute confiance dans les déclarations du gouvernement. Les

responsables viennent en voitures très chic. Ils font quelques déclarations et repartent.

Personne ne ressent nos blessures. Nos proches sont ensevelis sous les décombres et

personne ne bouge » et ajoute que les rescapés accusent le gouvernement de « négligence

et de corruption. Négligence car cela fait un an et demi que les habitants avaient informé

la municipalité de quelques éboulements, faisant des blessés légers, mais aucune démarche

n‟a été prise. » En effet, en 2007, des experts avaient remis un rapport aux autorités

recommandant l‟évacuation des habitations en raison de forts risques d‟effondrement de la

falaise. Même après la catastrophe, la gestion des risques est extrêmement mauvaise

puisqu‟en juin 2010, les autorités municipales estimaient que « 14 800 familles vivaient en

danger imminent de mort dans le seul secteur de Manshiet Nasser » selon un article publié

dans Al Ahram Hebdo le 29 septembre 2010.

87

De la même manière que le tremblement de terre de 1992 avait encouragé l‟État à

intervenir à travers le programme de réhabilitation des quartiers informels, la catastrophe

de Duweiqa a entrainé la création d‟un fonds national pour les zones dangereuses. Le 17

décembre 2008, le journal Al Ahram Hebdo annonce la création du « fonds destiné à

réaménager les zones sauvages ». Les critiques à l‟égard de ce fonds sont extrêmement

vives. Ainsi l‟urbaniste Milad Hanna affirme, dans l‟article du 17 décembre, qu‟il est

« probable que ce fonds ne soit qu‟une simple fumée à caractère médiatique destinée à

l‟opinion publique ». De plus, le fonds n‟est pas créé pour améliorer les quartiers non

réglementaires mais pour recenser les zones dangereuses dans lesquelles se sont

développées des habitations. Le fonds distingue trois types de zones : tout d‟abord les

quartiers insalubres qui exposent à un danger de mort, ensuite les quartiers illégaux de

facture relativement bonne mais non viabilisés c'est-à-dire non équipés, et enfin les

quartiers illégaux viabilisés dont l‟équipement est obsolète. Le fonds prévoit la démolition

du premier type de quartier (16 quartiers de ce type sont recensés uniquement au Caire) et

le relogement des habitants, la viabilisation du deuxième type tandis que l‟équipement du

troisième sera rénové. Inutile de préciser que le fonds n‟a pas rempli ses objectifs.

La journaliste Ola Hamdi affirme « Si le problème des zones sauvages a pris une telle

ampleur aujourd‟hui, c‟est parce que durant des années, l‟État n‟a rien fait pour le

résoudre » et ajoute « l‟État ne s‟est intéressé au danger de la prolifération des zones

sauvages que dans les années 1990, lorsqu‟il s‟est avéré que ces régions défavorisées

constituaient un véritable terrier pour terroristes ». À la suite de cette catastrophe, le centre

égyptien pour les droits au logement a organisé un rassemblement sur la place Talaat Harb

du centre ville du Caire afin d‟attirer l‟attention des médias sur la situation de nombreuses

familles, toujours en attente de relogement. Les manifestants ont été évacués par la police

« comme si le gouvernement voulait à tout prix taire le drame de Duweiqa comme tant

d‟autres drames. Les sinistrés de Doweiqa hurlent leur colère pour dire que ce ne sont pas

des malfaiteurs, mais des gens modestes qui méritent plus d‟attention. Des êtres humains »

conclut un article d‟Al Ahram Hebdo du 17 septembre 2008. Le sentiment de lassitude est

extrêmement fort et la société égyptienne semble prendre conscience que les interventions

de l‟État dans les quartiers non réglementaires sont insuffisantes et que le problème de ces

zones revient régulièrement sur le devant de la scène, au rythme des catastrophes. Ainsi, le

10 septembre 2008, Al Ahram Hebdo réagit à l‟annonce du premier ministre égyptien de

créer un fonds national pour les zones dangereuses en affirmant qu‟il s‟agit d‟« un

88

discours ancien qui se renouvelle à chaque fois qu‟un drame pareil touche les plus

démunis de ce pays » et s‟interroge « l‟écroulement du pan de Muqattam ne serait-il pas

aussi celui d‟un pays géré au jour le jour ? C‟est le cas des habitants de Duweiqa qui

resteront sous les projecteurs un moment avant de tomber de nouveau dans l‟oubli ou

avant qu‟une autre catastrophe ne se déclenche ailleurs. »

Cette catastrophe a, à nouveau, mis en avant le rôle primordial des associations dans la

gestion de la crise. Ainsi, le même article d‟Al Ahram Hebdo affirme que le « manque

d‟intérêt et [l‟] incapacité à gérer les crises de la part du gouvernement ont été prévisibles

pour la société civile qui est intervenue sur-le-champ ». La mobilisation de la société

égyptienne a été d‟autant plus forte que la catastrophe a eu lieu lors du mois de ramadan,

mois de la zakat (l‟aumône) selon le mufti de la République qui a appelé aux dons.

4. Les émeutes post-révolution d’Imbaba : la faute de l’État ?

Le 7 mai 2011, au soir, des affrontements interconfessionnels ont eu lieu dans le quartier

d‟Imbaba. Comme en décembre 1992, les évènements de mai 2011 vont attirer l‟attention

des médias sur les conditions de vie dans le quartier d‟Imbaba. En revanche, douze

semaines après le départ du président Moubarak, le regard des médias sur les quartiers non

réglementaires et sur cet évènement en particulier n‟est pas du tout le même qu‟en 1992.

Les affrontements qui n‟ont duré qu‟une nuit ont provoqué la mort de 12 personnes, en ont

blessés 232 autres et ont entrainé l‟incendie de deux églises du quartier d‟Imbaba. Nous ne

rentrerons pas ici dans les développements partisans pour tenter de savoir qui des chrétiens

ou des musulmans ont entamé les hostilités mais nous contenterons de relater les faits tels

que les médias l‟ont fait. Selon la version officielle, quelques individus de confession

musulmane auraient tenté de pénétrer dans une église pour « libérer » une femme

chrétienne, prénommée Abeer, soi disant retenue en otage parce qu‟elle s‟apprêtait à

épouser un musulman et donc à se convertir. Sur Twitter, certains leaders salafistes

auraient appelé les musulmans à prendre d‟assaut l‟église Marimina d‟Imbaba. Une

deuxième église, l‟église de la Vierge a, à son tour, été incendiée. La célèbre bloggeuse

égyptienne Zeinobia rapporte sur son blog Egyptian Chronicles, dans un article datant du

8 mai 2011, que les habitants du quartier ont tenté de protéger l‟église en chantant

« musulman, chrétien, une seule main ». La plupart des médias sont unanimes pour

89

affirmer que les responsables de ces violences n‟étaient pas des habitants d‟Imbaba mais

des « voyous venus de l‟extérieur ». Ainsi, Yasser Hawary, membre de la Coalition des

jeunes de la révolution déclare dans Al Ahram Hebdo du 11 mai 2011 « Ce sont les

responsables du régime de Moubarak qui sont derrière ce qui se passe. Ils veulent créer

des affrontements entre chrétiens et musulmans en utilisant les salafistes, pour montrer

que sans eux, le pays sombrerait dans le chaos. Le régime de Moubarak a relâché ces

extrémistes pour faire échouer la révolution ». Dans le numéro suivant de Al Ahram

Hebdo, Abdel-Azim Hammad, l‟un des plus importants journalistes de l‟hebdomadaire

publiait une tribune dans laquelle il affirmait « Nous croyons effectivement que des

hommes du régime Moubarak, des membres du PND dissous, de la sécurité, des criminels

ou des hommes de main ont enflammé la sédition ou en étaient les instigateurs au moins ».

Dans l‟édition du 18 mai du même journal, un article titre « les anciens du PND dans la

ligne de mire » et évoque « un plan monté par les anciens responsables du PND ». Le 11

mai 2011, la version anglaise du quotidien Al Masry al Youm confirme le rôle joué par les

anciens du PND et évoque un rapport qui accuse « les anciens partisans du régime de

Moubarak d‟instiguer des conflits pour contrecarrer la révolution ». Le journal affirme que

« des milliers d‟anciens détenus et de voyous étaient habituellement déployés par

l‟appareil sécuritaire de Moubarak et du désormais dissous PND pour anéantir les

opposants politiques lors des élections et des manifestations ». Le journal Al Shourouk

affirme qu‟au lendemain des évènements, les forces de sécurité recherchaient activement

trois membres de l‟ancien parti au pouvoir, le PND, accusés d‟avoir lancé une bombe dans

l‟église de la Vierge.

Les médias égyptiens évoquent la montée en puissance des groupes salafistes depuis la

Révolution mais affirment, à l‟unanimité, que ces groupes sont manipulés par les partisans

de l‟ancien président Moubarak afin d‟empêcher une réelle transition.

Ainsi, la perception des quartiers non réglementaires et de leurs habitants s‟est

sensiblement modifiée au cours des années. Alors qu‟on déniait aux habitants toute

compétence et toute conscience politique, aujourd‟hui la presse met en avant les initiatives

politiques et sociales de certains habitants des quartiers non réglementaires. Le 4 mai

2011, Al Ahram Hebdo cite Ayman Hamdallah, un membre du « comité de défense de la

Révolution » du « quartier populaire d‟Imbaba » qui affirme « On doit informer les

simples citoyens sur l‟importance d‟exercer leurs droits politiques en participant aux

élections et en choisissant leur représentant au Parlement sans aucune soumission. » Le

90

journal affirme que ces comités n‟ont pour but « que le bien de la patrie ». Il semble

désormais que les habitants des quartiers non réglementaires fassent partie intégrante de la

ville, tant d‟un point de vue géographique que symbolique. Si le traitement médiatique de

ces évènements marque une nette amélioration de l‟image des quartiers non

réglementaires, gardons quand même à l‟esprit qu‟ils surviennent à un moment particulier

de l‟histoire du pays. En effet, malgré les dissensions, la société égyptienne tente de

promouvoir une union nationale, une union sacrée afin d‟effectuer sereinement le

processus transitionnel. La stigmatisation des quartiers non réglementaires et de leurs

habitants serait incompatible avec la promotion d‟une union sacrée. Aussi, il semble

prématuré d‟affirmer que l‟amélioration de l‟image des ‘ashwaiyyat survivra à l‟union

nationale.

Les trois premiers évènements évoqués, le tremblement de terre en septembre 1992, les

émeutes d‟Imbaba en décembre 1992 ainsi que l‟effondrement d‟un flanc de la falaise du

Muqattam sur le quartier de Duweiqa en septembre 2008, ont attiré l‟attention des médias

sur les quartiers non réglementaires. Après chacun de ces évènements, les autorités

égyptiennes ont réagi en créant des fonds, des programmes systématiquement placés sous

le signe de l‟urgence. Ces initiatives ont eu des effets limités pour plusieurs raisons. Tout

d‟abord, les autorités ont toujours été très réticentes à intégrer les habitants aux projets. De

plus, puisque les projets étaient réalisés dans l‟urgence, ils n‟ont la plupart du temps pas

été suffisamment mûris. Enfin, les sommes allouées aux projets ont toujours été très

largement insuffisantes.

Après chacun de ces évènements, la presse relaye un fort sentiment de lassitude. Au fur et

à mesure des catastrophes, la confiance faite aux autorités pour gérer la question des

‘ashwaiyyat s‟érode.

B. L’émergence d’un nouveau regard porté sur les habitants des

quartiers non réglementaires

Nous avons pu observer que l‟image des quartiers non réglementaires s‟est améliorée dans

les médias égyptiens. Nous avons également vu qu‟un courant relativement récent de

recherche insiste sur les compétences des habitants et sur les aspects positifs de ces

91

quartiers. En effet, de plus en plus de chercheurs et de professionnels tendent à présenter

les quartiers non réglementaires comme une solution aux problèmes du logement en

Égypte et non comme une partie du problème. Cette perception reste toutefois minoritaire

tant au sein des milieux de recherche que des milieux professionnels (urbanistes,

planificateurs etc.). Nous verrons ensuite que cette perception tarde à pénétrer la société

égyptienne.

1. La GTZ ou la valorisation d’une approche participative

Plusieurs institutions ont joué un rôle dans la mise en valeur des quartiers non

réglementaires. La GTZ, l‟agence de coopération technique allemande, qui travaille

étroitement avec les autorités égyptiennes a joué un rôle non négligeable. En effet, la GTZ

promeut une valorisation des quartiers non réglementaires et intervient à partir de la forme

urbaine de ces quartiers. Ce type d‟intervention a plusieurs avantages : en premier lieu,

cela est moins couteux qu‟une intervention en profondeur qui remodèle l‟ensemble du

tissu urbain. Ensuite, ces interventions permettent de reconnaitre les compétences des

citadins et donc d‟effectuer une opération qui a plus de chances de réussir. Un nombre

encore trop important d‟interventions sont le fruit de modèles d‟urbanisme préconçus qui

ne prennent en considération aucune des spécificités des quartiers non réglementaires.

Evidemment, ces interventions se soldent, la plupart du temps, par des échecs.

Dans son entreprise de valorisation des quartiers informels, la GTZ a publié plusieurs

rapports dans lesquels l‟accent est mis sur les avantages à vivre dans les quartiers non

réglementaires. Dans l‟un de ses rapports, la GTZ justifie la volonté de promouvoir ces

quartiers « ces avantages font que l‟environnement urbain informel, dans lequel vit une

grande partie de la population, mérite d‟être amélioré plutôt que d‟essayer de déplacer les

habitants dans de nouveaux projets immobiliers qui pourront, eux, absorber la croissance

future de la population. Cela ne contredit pas la stratégie qui consiste à arrêter la formation

de nouvelles zones informelles et la croissance de celles qui existent déjà ».42

Plusieurs

éléments sont pris en compte pour justifier l‟amélioration des quartiers non

réglementaires. Tout d‟abord, la GTZ insiste sur la valeur économique que représentent

ces zones. La GTZ incite l‟État égyptien à réveiller le « capital mort » de ces quartiers en 42

Participatory upgrading of informal areas: a decision-makers’ guide for action, 2010, p. 9

92

fournissant des titres de propriété et en enregistrant les activités du commerce informel.

Cela permettrait à l‟État de tirer profit de l‟ensemble de ce secteur et augmenterait la

valeur des activités et des logements des habitants des quartiers non réglementaires.

L‟agence de coopération technique allemande évoque également le « capital social des

zones informelles » et les réseaux qui permettent aux habitants d‟entreprendre des actions

collectives. Les interventions dans les quartiers non réglementaires doivent veiller à ne pas

affaiblir ces réseaux de solidarité mais au contraire d‟en tirer profit.

La GTZ encourage l‟intégration des habitants des quartiers non réglementaires aux projets

de réhabilitation. L‟agence estime que les projets ont plus de chance de réussir si les

habitants sont encouragés à s‟approprier l‟espace urbain. Ainsi, l‟intervention doit être

effectuée en collaboration avec les habitants. Cette approche est la conséquence de l‟échec

des interventions qui avaient imposé un modèle préconçu, souvent élaboré par des agences

occidentales qui n‟avaient aucune idée des spécificités de l‟habitat non réglementaire en

Égypte. L‟approche participative présente un double avantage : le projet a de plus grandes

chances de réussir et les habitants se sentent responsabilisés. En effet, la GTZ insiste sur

l‟objectif social des projets de réhabilitation : « L‟amélioration donne aux résidents des

zones informelles le sentiment qu‟ils font partie intégrante de la société et qu‟ils sont des

citoyens estimés qui méritent un accès égal à l‟eau, aux soins de santé, à l‟éducation aux

transports et aux autres services publics »43

. Les termes employés par l‟agence allemande

quant aux projets de réhabilitation des « zones informelles » sont nouveaux dans le

paysage des interventions urbaines. En effet, l‟agence évoque la « dignité » et

« l‟intégration » des habitants, l‟objectif « d‟inclusion sociale » et appelle « à défier le

stigmate lié aux zones informelles et à leurs habitants ». La GTZ présente également la

réhabilitation des quartiers non réglementaires comme un moyen de faire respecter les

droits de l‟Homme. Les habitants ne sont plus présentés comme des bénéficiaires de la

réhabilitation mais comme des partenaires. Ainsi, les rapports de la GTZ sont illustrés de

photos montrant les habitants des quartiers non réglementaires prenant part aux travaux :

des jeunes de Manshiet Nasser participent à la création d‟une carte du quartier, des

habitants réalisent un « atelier de planification » de Manshiet Nasser. Selon Marion

Séjourné, le travail effectué par la GTZ renvoie à un « idéal de démocratie directe et prône

43 Ibid, p. 11

93

la régularisation et la participation des habitants aux travaux de réhabilitation »44

. David

Sims affirme quant à lui que « la “participation des communautés” dans les projets

d‟amélioration des bidonvilles est quasiment devenue le graal sacré des agences de

développement » et évoque « le potentiel émancipateur des approches participatives »45

. Si

cette approche est effectivement très séduisante, elle mérite toutefois d‟être appréhendée à

travers un prisme plus critique. Ainsi, Elena Piffero énumère les éléments clés qui ont fait

échouer certains projets participatifs (nous n‟en examinerons, ici, que quelques uns). Elle

évoque tout d‟abord « l‟obsession du local » et affirme que « les programmes participatifs

concentrent leurs actions au niveau des quartiers (micro) et ont tendance à ignorer et

parfois renforcer les inégalités constatées à l‟échelle du pays (macro) »46

. Elle évoque

également une « conception romantique de la communauté ». En effet, beaucoup

d‟approches idéalisent les communautés des quartiers non réglementaires et l‟on oublie

souvent de prendre en compte le revers de ces communautés, et des réseaux de solidarité.

Ainsi, il existe, au sein de ces communautés, des jeux de pouvoir et d‟influence qui

peuvent, par un effet pervers, contribuer à accroitre l‟exclusion de certaines personnes. La

communauté n‟est pas forcément un cercle démocratique au sein duquel chacun peut

s‟exprimer. L‟existence de communautés n‟empêche en aucun cas l‟isolement de certains

individus. Les approches participatives ont parfois le tort de considérer la communauté

comme un ensemble représentatif de l‟ensemble du quartier. Les interventions prônant une

approche participative doivent donc être menées avec prudence. Il semble fondamental

que les interventions soient menées dans un cadre politique précis et que les projets soient

établis en partenariat avec certaines autorités politiques. Une intervention menée

individuellement par une agence a donc peu de chances de réussir. Les projets dans les

quartiers non réglementaires doivent donc être à la fois des projets politiques et sociaux.

Les opérations de réhabilitation des quartiers informels sont de plus en plus nombreuses

en Égypte mais elles ne sont pas toujours effectuées à travers l‟angle que promeut la GTZ.

En effet, de nombreux projets refusent encore d‟intervenir à partir de la trame urbaine

préexistante et en impose une nouvelle. Ainsi, Al Ahram Hebdo, dans son édition du 30

juillet 2008 publie une enquête sur le projet de réaménagement du quartier d‟Imbaba.

44

Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et

configuration du système d’acteurs ?, 2006, p. 395 45

Understanding Cairo : the logic of a city out of control, 2010, p. 134 46

In Cairo’s informal areas between urban challenges and hidden potential, 2009, p. 131

94

L‟article commence par une description de la zone concernée « Imbaba ressemble à un

grand quartier anarchique, composé de plusieurs zones sauvages privées de toute

planification […] la configuration fermée de ce quartier échappant ainsi au contrôle de

l‟État en a fait un terreau propice au terrorisme, notamment dans les années 1990 ».

Notons que le journal parle d‟un projet de réaménagement et non d‟une réhabilitation ou

d‟une restructuration. Il est d‟ailleurs précisé que le projet va « changer la face de ce

quartier » et « vise à raser les zones sauvages, en vue de la construction de nouvelles

habitations plus saines séparées par quatre grands parcs publics ». Suite à l‟annonce de ce

projet, plusieurs associations de quartiers ont été créées pour aider les habitants

susceptibles d‟être expulsés. Le paysage associatif lié au logement semble s‟être fortement

étoffé en Égypte depuis quelques années. En effet, la voix des habitants est relayée par un

nombre croissant d‟organes : associations de quartier, ONG, agence de coopération etc.

Des revendications liées au droit au logement commencent à se faire entendre en Égypte.

2. L’émergence d’un droit au logement

Le droit au logement, qui avait longtemps été occulté, commence désormais à émerger.

Alors que les projets urbains étaient auparavant discutés et travaillés au sein de cercles

fermés, il semble désormais que ceux-ci fassent l‟objet de débats au sein de la société

égyptienne. L‟existence de ces débats n‟implique pas nécessairement qu‟ils aient un

quelconque impact sur le processus décisionnel des projets. Toutefois, nous pouvons

imaginer qu‟à terme, la voix des associations et des différents organes se fassent entendre

et influent sur les projets. Certains quartiers attirent davantage le regard des médias et des

associations. Ainsi, le « quartier des chiffonniers », considéré comme le plus pauvre

d‟Égypte est historiquement celui qui a attiré le plus grand nombre d‟ONG,

d‟associations, de chercheurs et de journalistes. D‟autres quartiers attirent l‟attention des

spécialistes. Le quartier de Bulaq en plein centre du Caire, à proximité du siège de la

télévision et de la radio égyptienne, fait l‟objet de nombreuses convoitises de la part des

promoteurs immobiliers. Ce quartier non réglementaire situé au nord de la célèbre place

Tahrir et en face de la riche île de Zamalek est régulièrement menacé d‟être rasé afin d‟y

construire de gros complexes touristiques. Le projet Le Caire 2050 porté par Gamal

Moubarak, fils du président déchu Hosni Moubarak, prévoyait de faire du quartier de

95

Bulaq une zone strictement dédiée aux bâtiments touristiques ou aux bâtiments d‟affaires.

Ce projet aurait mené à l‟expulsion des habitants et à la destruction totale de leur quartier.

Les familles devaient, dans le meilleur des cas, être déplacées dans des villes nouvelles.

Ainsi, ce type de projets bouleverserait complètement la vie des habitants qui ne

pourraient plus se rendre sur leur lieu de travail. Dès lors, c‟est l‟ensemble du mode de vie

de ces familles qui est affecté. De nombreux projets menacent les quartiers d‟habitation

situés sur les berges du Nil. Face à ces projets, mais également aux projets dans les

quartiers non réglementaires situés en périphérie du Caire, certaines associations

commencent à se mobiliser. Les questions liées au logement ne sont considérées sur la

scène médiatique que depuis peu de temps. Ainsi Manal al-Tibi, responsable du centre

égyptien pour les droits au logement (the Egyptian center for housing rights-ECHR),

affirme qu‟en 1996 lorsqu‟elle a commencé à s‟intéresser à la question, « il n‟y avait rien

sur le sujet. Le terme lui-même [de droit au logement] n‟était pas utilisé en Égypte. »47

Manal al-Tibi présente le droit au logement comme un droit de l‟Homme à part entière.

Pionnier dans son domaine en Égypte, le centre, composé de seulement huit personnes,

affirme avoir connu plusieurs succès malgré les difficultés. Ainsi, en 2008, le

gouvernement égyptien a reconnu, pour la première fois, ce fameux « droit au logement »

aux familles expulsées des quartiers non réglementaires. La promulgation de cette loi

n‟assure qu‟en théorie le droit au logement et ne se traduit pas forcément dans les faits.

Toutefois, l‟évocation du droit au logement dans la sphère législative est une avancée

fondamentale. Confirmant ce que nous avons pu observer, Manal al-Tibi affirme « avant

les médias parlaient des occupants des quartiers précaires comme des criminels et les

stéréotypaient. À présent, la presse prend le parti des gens et non celui du

gouvernement »48

. On observe également depuis quelques années des manifestations

populaires liées à la question du logement. Ces protestations étaient inexistantes il y a

encore quelques années dans la mesure où la notion de droit au logement était largement

méconnue. L‟ECHR travaille en collaboration avec plusieurs institutions internationales

comme l‟ONU et bénéficie ainsi d‟une audience importante. Le Comité des droits

économiques, sociaux et culturels de l‟Organisation des Nations Unies a affirmé qu‟il

« ne faut pas entendre le droit au logement dans un sens étroit ou restreint, qui l'égale, par

exemple à l'abri fourni en ayant simplement un toit au-dessus de sa tête, ou qui le prend

47

« Le droit au logement, école de la contestation. Entretien avec Manal al-Tibi, responsable du centre

égyptien pour les droits au logement », 2011, p. 80 48

Ibid,p. 81

96

exclusivement comme un bien. Il convient au contraire de l'interpréter comme le droit à un

lieu où l'on puisse vivre en sécurité, dans la paix et la dignité». Les combats menés par le

centre sont relayés par de plus en plus de médias. Ainsi, le 20 février 2008, le journal Al

Ahram Hebdo a consacré un article à l‟ECHR et affirme que le droit au logement est une

« notion éclipsée depuis quatre décennies [qui] est remise en avant grâce à une association

qui tente de remplir un véritable besoin ». Les conditions de logement sont mises à

l‟agenda d‟organisations de plus en plus nombreuses. Ainsi, à la voix de Manal al-Tibi se

joint la célèbre organisation non gouvernementale pour la défense des droits de l‟Homme,

Amnesty International. Le 5 février 2009, le journal Al Masry al Youm rapporte que des

membres de l‟ONG effectuent une visite au Caire au cours de laquelle ils ont demandé à

rencontrer le ministre du logement. Au cours de cette visite, les représentants d‟Amnesty

International ont affirmé vouloir étendre le champ d‟action de l‟ONG aux droits sociaux et

économiques. Au lendemain de la catastrophe de Duweiqa, Amnesty International s‟est

fortement mobilisée pour défendre le droit des populations expulsées ou dont les

logements avaient été détruits, à disposer d‟un logement décent. Amnesty International et

l‟EHCR travaillent conjointement afin de faire entendre les voix des habitants des

quartiers non réglementaires en Égypte. L‟approche de ces deux organisations est avant

tout juridique : il s‟agit de faire respecter les droits des personnes menacées d‟expulsion.

Ainsi, le 4 octobre 2010, lors de la Journée mondiale de l‟habitat, l‟organisation Amnesty

International a publié un communiqué dans lequel elle annonce avoir envoyé, avec

l‟EHCR et la Coalition internationale de l'habitat-Réseau des droits à la terre et au

logement, une lettre au Premier ministre égyptien « afin d'exhorter le gouvernement à

empêcher l'expulsion forcée de résidents de quartiers informels du Grand Caire ayant

officiellement été désignés comme “zones de cabanes” ». Bien que le projet d‟expulsion

s‟accompagne de promesses de relogement dans les villes satellites du Six Octobre et de

Quinze de Mai, les organisations estiment que le gouvernement égyptien procède de façon

illégale dans la mesure où « les résidents n'ont pas été suffisamment consultés à propos de

cette expulsion forcée et de leur relogement ». Les organisations contestent les conditions

de l‟expulsion elle-même et appellent l‟État égyptien à respecter le droit international.

Ainsi, en 1988, l‟Assemblée Générale des Nations Unies a adopté la « Stratégie mondiale

du logement jusqu‟à l‟an 2000 » dans laquelle est affirmée « l'obligation fondamentale

[des gouvernements] de protéger et d'améliorer les maisons et les quartiers, au lieu de les

vouer à la détérioration et à la destruction ». En 1993, la Commission des Droits de

l‟Homme affirme, quant à elle, que « les expulsions forcées constituent une violation

97

flagrante des droits de l'homme ». Si l‟État égyptien a le droit, dans un certain cadre, de

pratiquer des expulsions, celles-ci doivent être justifiées et effectuées dans le respect de la

dignité humaine. De nombreuses expulsions en Égypte sont justifiées par la construction

de grands projets présentés comme facteur de développement et d‟enrichissement du pays.

En 1993, lors de la Conférence mondiale sur les droits de l‟Homme, la Déclaration et le

Programme d‟action de Vienne affirme « Si le développement favorise la jouissance de

tous les droits de l'Homme, l'insuffisance de développement ne peut être invoquée pour

justifier une limitation des droits de l'Homme internationalement reconnus ». La dignité

des personnes expulsées doit également être respectée, tant d‟un point de vue moral que

d‟un point de vue juridique. Ainsi, les autorités doivent fournir aux personnes expulsées

un logement décent, des certificats d‟expulsion et des garanties qu‟une nouvelle expulsion

n‟aura pas lieu. Amnesty International exhorte également « la police et les forces de

sécurité […] à ne pas recourir à une force excessive lors des expulsions ». Les expulsions

sont relativement rares en Égypte par rapport à d‟autres pays où la « politique du

bulldozer » est souvent employée. Néanmoins, les expulsions sont souvent effectuées

violemment. Ainsi, l‟expulsion des habitants et la destruction de 1054 unités d‟habitations

dans le quartier de Sayyida Zaynab au Caire après l‟incendie de la Qala„at al-Kabch en

2007 s‟est faite dans la violence. Manal al-Tibi affirme « ils ont utilisé des balles en

caoutchouc, ils ont frappé les gens, il y a eu des blessés et il n‟y avait aucune ambulance

sur place. […] Nous avons conservé des balles et des gaz lacrymogènes et il était écrit sur

ces projectiles : “pour usage militaire seulement”. »49

À propos du même évènement,

Marion Séjourné évoque « l‟intervention musclée des forces de l‟ordre, qui, à maintes

reprises, déploient leurs hommes, font usage de la force, blessent plusieurs personnes et

procèdent à de nombreuses arrestations. Les violences policières se manifestent dès le

lendemain du drame, alors que les camions et bulldozers des services du gouvernorat

arrivent sur place pour déblayer les décombres de l‟incendie. »50

Cet incendie survenu le

20 mars 2007 dans le cœur historique du Caire a été provoqué par l‟explosion d‟une

bonbonne de gaz. L‟incendie aurait dévasté les logements, très précaires, d‟une centaine

de familles. Comme lors de l‟éboulement de la falaise sur le quartier de Duweiqa en 2008,

l‟action de l‟État est fortement critiquée. Pire encore, une rumeur court selon laquelle les

autorités auraient elles mêmes mit le feu au quartier. Les évènements, de Duweiqa et de

49

« Le droit au logement, école de la contestation. Entretien avec Manal al-Tibi, responsable du centre

égyptien pour les droits au logement », 2011, p. 86 50

« L‟incendie de Qala„at al-Kabch : retour sur un drame social “ordinaire” en Égypte », 2008, p. 8

98

Qala„at al-Kabch illustrent l‟incapacité de l‟État à réagir dans des situations d‟urgence,

notamment lorsque les interventions concernent les quartiers non réglementaires. Ces deux

catastrophes ont été fortement médiatisées par des organisations qui ont fait entendre la

voix des habitants des quartiers non réglementaires.

C. La méconnaissance de l’urbanisation non réglementaire au sein

de la société égyptienne

Nous avons pu observer qu‟au sein du paysage médiatique, le discours relatif aux quartiers

non réglementaires s‟est sensiblement modifié au cours des dernières années. En effet,

alors que l‟existence et le développement de ces quartiers étaient auparavant imputés à

l‟ « incivilité » de leurs habitants, aujourd‟hui, ils sont reconnus comme étant la

conséquence de l‟incapacité de l‟État à fournir une alternative à l‟urbanisation non

réglementaire. Ainsi, la question du droit au logement prend, depuis quelques années, une

ampleur nouvelle. Cependant, dans l‟esprit de la plupart des Égyptiens, la perception des

‘ashwaiyyat demeure extrêmement négative. Cette image négative a été intégrée par les

habitants eux-mêmes.

1. Les ‘ashwaiyyat ou l’antithèse de la ville

Au cours de ce travail de recherche, j‟ai soumis un questionnaire à huit personnes

rencontrées en Égypte lors de mon séjour de dix mois en 2009-2010. Lors de mon dernier

séjour au Caire en juin 2011, j‟ai également tenté d‟aborder le sujet des „ashwaiyyat avec

d‟autres amis égyptiens. Les réactions recueillies à l‟écrit portent un regard beaucoup

moins sévère sur les ‘ashwaiyyat que les réactions orales, plus spontanées. La spontanéité

des réactions orales révèle un regard sévère que l‟on retrouve dans une moindre mesure

dans les réponses écrites. Selon l‟ensemble des personnes interrogées il ne fait pas de

doute que les ‘ashwaiyyat sont des slums (les questions ont été posées en anglais).

Parallèlement, tous affirment que les quartiers non réglementaires sont constitués

uniquement de populations pauvres. À la question « les ‘ashwaiyyat sont ils

99

dangereux (unsafe) ? », seule une personne a considéré la question d‟un point de vue de la

sécurité humaine. Ahmed, jeune homme de 24 ans habitant à Port Saïd, comptable dans

une compagnie grecque de transport maritime, a ainsi répondu que les quartiers non

réglementaires étaient dangereux pour les habitants comme l‟a montré la catastrophe de

Duweiqa. Les autres personnes interrogées ont affirmé que les ‘ashwaiyyat étaient des

quartiers dangereux pour plusieurs raisons. Mostafa, 24 ans, étudiant à Giza, affirme « les

habitants manquent d‟éducation et de manières » par conséquent « il y a beaucoup

d‟agressions et de vols ». Badr, 21 ans, étudiant en ingénierie du pétrole, affirme que les

vols sont très fréquents dans les quartiers non réglementaires et qu‟il vaut mieux ne pas

s‟y rendre. Toutefois, la perception des ‘ashwaiyyat est ambivalente. Toutes les personnes

interrogées semblent avoir l‟image de quartiers au sein desquels le lien social est

extrêmement fort. Les ‘ashwaiyyat apparaissent comme des lieux dangereux uniquement

pour ceux qui n‟y habitent pas. Toutefois, ces quartiers sont assimilés à des zones où les

habitants vivent en communauté. Ainsi, Badr qui tient par ailleurs les propos les plus

sévères sur les ‘ashwaiyyat, affirme, de façon idéalisée, que ce sont des lieux où « les gens

s‟aiment et se connaissent ». L‟image portée sur les quartiers non réglementaires est, en de

nombreux points, similaire aux clichés associés aux villages. Cette perception, si elle peut

avoir des aspects positifs, indique également que les ‘ashwaiyyat ne sont pas considérés

comme des parties de la ville. Certaines caractéristiques urbaines sont totalement déniées à

ces quartiers qui accueillent désormais la majorité des habitants du Grand Caire. Cette

image a parfois été intégrée par les habitants des quartiers non réglementaires eux-mêmes.

Ainsi, Sherif, chef couturier dans une boutique de vêtements de luxe au Caire, habitant

d‟un quartier non réglementaire établi sur terres agricoles en périphérie du Caire m‟a dit

« j‟habite dans le vert ». Les habitants des quartiers non réglementaires sont doublement

associés au monde rural. La plupart du temps, ceux-ci sont considérés comme des

individus issus de l‟exode rural qui ont quitté les campagnes égyptiennes afin de rejoindre

la capitale. La plupart des Égyptiens perçoivent les habitants des ‘ashwaiyyat comme des

individus qui n‟ont pas intégré le mode de vie urbain et qui se maintiennent dans leur

condition de fellahin ou sa‘idi (les habitants de la Haute Égypte). Nous avons vu que la

plupart des habitants des quartiers non réglementaires ne sont plus issus de l‟exode rural

mais plutôt des migrations interurbaines. Malgré le rôle de plus en plus faible joué par

l‟exode rural dans le développement de l‟urbanisation non réglementaire, cette image se

maintient. La soi disant culture rurale des habitants des quartiers non réglementaires

menacerait le mode de vie urbain de la capitale. L‟image est souvent celle de horde de

100

migrants ruraux imposant leurs traditions rurales arriérées dans la ville. Les habitants des

‘ashwaiyyat sont présentés comme des individus qui ne maitrisent pas les codes de la

culture urbaine. Considérés comme démunis et vulnérables, parce qu‟ignorants, les

habitants des quartiers non réglementaires sont alors présentés comme susceptibles de

cristalliser tous les maux de la ville. Ainsi, Diane Singerman affirme « il existe une

propension à représenter les sa‘idis comme des cibles faciles pour les islamistes parce

qu‟ils seraient simples d‟esprit, inéduqués, frustrés et pauvres »51

. Cette assimilation des

habitants des quartiers non réglementaires aux paysans est évidente, notamment dans la

presse. Quasiment tous les articles sur les ‘ashwaiyyat évoquent le nombre important de

ruraux dans ces quartiers. Ainsi, le 17 décembre 2008, Al Ahram Hebdo affirme « ce

phénomène [le développement des zones sauvages] est le résultat direct de l‟exode rural,

qui se poursuit depuis des décennies. Poussés par la pauvreté et le chômage, des milliers

de migrants venant notamment de Haute-Égypte et du Delta débarquent chaque année

dans la capitale ». L‟affirmation de l‟ancrage rural de ces quartiers a des connotations très

négatives. Cette culture rurale serait synonyme de traditions ancestrales et de résistance à

la modernité. Le 6 juillet 2011, Al Ahram Hebdo évoquait le quartier d‟Imbaba en ces

termes « l‟histoire et le présent d‟Imbaba montrent que les coptes et les musulmans

partagent ici la même vie, les mêmes habitations et les mêmes soucis. […] Mais au-delà,

la vie semble avoir ses propres lois. Dans cette petite société quelque peu tribale, ce sont

les “grands” qui ont le dernier mot. » Cet article, comme de nombreux autres, montre que

les quartiers non réglementaires sont souvent perçus comme des zones de non droit,

imperméables à la culture urbaine. Imbaba est sans aucun doute le quartier non

réglementaire sur lequel se polarisent les descriptions les plus négatives. Les évènements

de décembre 1992 ont fait d‟Imbaba une terre de violence et de criminalité. Imbaba

occupe une place très spécifique dans l‟imaginaire égyptien. Le quartier apparait comme

le lieu de tous les dangers, le lieu où se concentrent toutes les plaies de l‟Égypte : le

chômage, la pauvreté, la saleté, la maladie, la violence, l‟islamisme etc. Ainsi, de

nombreux journalistes jugent utile, dans des articles relatifs à Imbaba, de préciser que le

fondateur des Frères Musulmans, Hassan al Banna y a vécu. Les ‘ashwaiyyat sont

considérés comme des quartiers dominés par une culture de la violence, notamment par un

système primaire de vendetta (Patrick Haenni 2005). Les habitants des quartiers non

réglementaires seraient, selon une perception largement répandue, incompatibles avec la

51

Cairo contested. Governance, urban space and global modernity, 2009, p. 126

101

modernité urbaine. Les ‘ashwaiyyat sont également considérés comme des lieux où

règnent l‟anarchie et la laideur. Ainsi l‟édition du 2 juillet 2003 du journal Al Ahram

Hebdo évoque la ville du Caire et notamment les quartiers non réglementaires sous le titre

« Quand l‟anarchique fait la loi ». Le journal cite Samir Raafat, écrivain égyptien,

« spécialiste de l‟urbanisme » selon lequel il n‟y a « Rien d'harmonieux, rien de planifié.

Un informel synonyme d'individualisme poussé à l'extrême ». Hala Yousri, « socio

économiste et auteur d'une étude sur l'exode rural et la redistribution démographique »

affirme quant à elle que « l‟informel est synonyme de laid » et « obéit à des intérêts

individuels égoïstes ». Le 1er

septembre 2009, le journal s‟interroge « Comment la ville a-

t-elle pu changer de physionomie et avoir ce look laid et informel ? »

2. Le danger sanitaire des ‘ashwaiyyat

Les ‘ashwaiyyat sont également vus comme des lieux impropres au regard des normes

sanitaires et environnementales. Les projets du gouvernement dans les quartiers non

réglementaires sont souvent présentés comme une nécessité environnementale. Le mode

de vie des habitants de ces quartiers constituerait une réelle menace environnementale

pour le pays. À cet égard, la question des déchets est tout à fait emblématique. Chaque

évocation des ‘ashwaiyyat passe par les amas d‟ordures dans les rues. Ainsi le 18 février

2010, Al Ahram Hebdo évoquait « ce quartier populaire [Imbaba], connu pour ses rues mal

entretenues et insalubres, notamment à cause des amas d‟ordures gisant ici et là, à l‟entrée

des immeubles, au long des murs des écoles et des mosquées » puis à nouveau le 6 juillet

2011 « en pénétrant dans le quartier d‟Imbaba (gouvernorat de Giza), que ce soit à travers

le tunnel ou le fameux pont métallique qui porte le nom du quartier, la scène est la même :

des tas d‟ordures ornent les rues étroites et sinueuses qui n‟ont connu aucun projet de

nettoyage ni de maintenance depuis des années. ». En février 2009, le quotidien Al Masry

al Youm et la chaîne de télévision privée Al Mehwar ont lancé une campagne, sous le

slogan « Pour une Égypte propre » afin de dénoncer la gestion des ordures dans de

nombreux quartiers de la capitale. La campagne consistait en la publication quotidienne de

photos d‟amas d‟ordures dans les rues accompagnées du nom du responsable du quartier

et de la compagnie chargée de la collecte des déchets. Le journal appela tous les Égyptiens

à contacter la rédaction (une ligne téléphonique spéciale a été mise en place) afin de

102

signaler des lieux où s‟amoncelaient des ordures afin « d‟embarrasser les autorités » selon

l‟édition d‟Al Masry al Youm du 18 février. La campagne était également composée d‟un

volet « pratique ». Les Égyptiens étaient appelés à se mobiliser pour ramasser les ordures.

Le programme connut un franc succès, notamment d‟un point de vue médiatique puisque

de nombreuses personnalités (acteurs, écrivains, réalisateurs) ont participé au projet. Deux

semaines après le lancement de la campagne, le 18 février 2009, Al Masry al Youm se

félicite et affirme que le programme a permis d‟exercer une réelle pression sur le

gouvernement. Pendant quelques semaines, les quartiers ont recueilli les fruits de la

campagne. En effet, les autorités et les compagnies chargées de la collecte des déchets se

sont activées pour régler le dramatique problème des déchets dans de nombreux quartiers

de la capitale. Ainsi, le 18 février 2009, Al Ahram Hebdo rapporte « Les habitants

d‟Imbaba vivent depuis quelques jours une expérience unique. Ce quartier populaire […]

vit aujourd‟hui à l‟heure de la propreté. De grands camions de ramassage d‟ordures

passent quotidiennement depuis une dizaine de jours, témoignent les habitants avec

satisfaction imprégnée d‟étonnement.» Évidemment, les bienfaits de la campagne n‟ont

été effectifs que quelques semaines.

Le journal Al Masry al Youm a lancé une deuxième campagne en septembre 2009. Le

slogan de cette nouvelle campagne, « Aide toi et oublie le gouvernement », mérite d‟être

interrogé. Ce slogan ambigu peut nourrir des interprétations divergentes. En effet, on ne

sait pas vraiment qui en est la cible : l‟habitant qui ne gère pas correctement son quartier,

ou l‟État qui ne prend pas ses responsabilités ? L‟évènement, tel qu‟il est rapporté dans les

colonnes d‟Al Masry al Youm, semble mettre en cause les autorités avant tout. Ainsi, le 5

novembre 2009, le site du quotidien publie une vidéo52

dans laquelle des habitants du

quartier de Bulaq al Dakrur (un important quartier non réglementaire du gouvernorat de

Giza) se plaignent du fait que les ordures ne sont jamais ramassées. Ainsi, des femmes

affirment que les habitants ont des maladies à cause de ces ordures et s‟indignent de payer

une taxe de ramassage des déchets sans bénéficier du moindre service. La campagne a eu

un tel impact médiatique que le gouverneur de Giza, Sayid Abdel Aziz, y a participé. Le

traitement de l‟opération par le journal Al Ahram Hebdo est assez surprenant. En effet le

journal, réputé pour être assez proche du gouvernement titre « Aide toi et le gouvernement

t‟aidera » (édition du 23 septembre 2009). Notons que cette campagne intervient peu de

52

http://www.almasryalyoum.com/en/node/673

103

temps après la décision du gouvernement égyptien d‟abattre les cheptels de porcs, en mai

2009, invoquant les risques d‟épidémie liée à la grippe H1N1.

3. Les ‘ashwaiyyat, objets d’une amnésie ?

La stigmatisation des ‘ashwaiyyat par une grande partie de la société égyptienne est assez

surprenante lorsqu‟on sait que 62% de la population du Grand Caire y résident. Les

rencontres effectuées dans les quartiers non réglementaires m‟ont permis d‟éclairer ce

paradoxe. Toutes les personnes rencontrées dans ces quartiers m‟ont affirmé que nous

n‟étions pas dans des ‘ashwaiyyat. Mon niveau d‟arabe plutôt sommaire me permettait de

mettre sur le compte de l‟erreur linguistique le fait d‟avoir parlé d‟‘ashwaiyyat :

j‟expliquais alors que j‟avais entendu ce mot mais que je ne savais pas réellement de quoi

il s‟agissait. La stigmatisation des ‘ashwaiyyat est si forte que les habitants n‟envisagent

pas de vivre dans ces quartiers dénigrés de part et d‟autre, dans la presse, dans les discours

officiels mais également dans la société égyptienne. Ainsi, une femme qui m‟avait invitée

chez elle dans le quartier de El Matariya s‟est fortement offusquée lorsque je lui ai

demandé si nous nous trouvions dans un ‘ashwaiyyat et m‟a répondu qu‟à l‟évidence ce

n‟en était pas un, puisque sa maison n‟était pas en bois. La résidence de cette famille, onze

personnes vivant dans deux pièces, était pourtant extrêmement précaire, insalubre même.

Après cet échange, j‟ai entrepris de reformuler les raisons de ma présence dans ces

quartiers et ai préféré parler d‟un travail sur le logement en Égypte plutôt que sur les

‘ashwaiyyat. Nous pouvons toutefois envisager que les habitants savent que leur résidence

est considérée comme ‘ashwaiyyat mais refuse de le reconnaitre face à des personnes

extérieures. En effet, le fait que ces personnes réfutent le fait de vivre dans des

‘ashwaiyyat ne nous permet pas d‟affirmer de façon catégorique qu‟elles n‟en ont pas

réellement conscience. En 2008, l‟enquête sur le logement dans l‟Égypte urbaine menée

par l‟USAID établit que 41% des foyers interrogés considèrent leur voisinage comme des

‘ashwaiyyat. Nous pouvons facilement penser que les habitants interrogés entretiennent

une « relation » différente avec un programme comme l‟USAID duquel ils peuvent

attendre beaucoup.

Il apparait donc que les ‘ashwaiyyat sont assimilés à des bidonvilles, pourtant très

minoritaires en Égypte. Ainsi, un jeune homme de 25 ans, caricaturiste à Al Masry al

104

Youm, m‟a affirmé qu‟Imbaba n‟était pas un ‘ashwaiyyat puisque ce n‟était pas un

bidonville mais que c‟était « la jungle ». Les ‘ashwaiyyat sont donc complètement

associés aux bidonvilles, c'est-à-dire à des logements de fortune extrêmement précaires.

Cette perception est assez surprenante puisque les ‘ashwaiyyat sont sans cesse présentés

comme le fléau de l‟Égypte, un phénomène massif qui menace la capitale. Il est donc

surprenant de réaliser à quel point de nombreux habitants du Caire, si ce n‟est la majorité,

n‟ont pas conscience de la réalité de leur ville : pensent-ils alors que 62% des Cairotes

vivent dans des bidonvilles ? De la même manière, le 20 février 2008, Al Ahram Hebdo

affirmait « les habitants des bidonvilles ont atteint les 12 millions d‟après les chiffres du

Comité du logement au Parlement ». Ainsi, il y a une réelle confusion entre le phénomène

des bidonvilles et celui de l‟habitat non réglementaire.

Sur le chemin, parfois même à l‟intérieur des quartiers non réglementaires dans lesquels

j‟ai pu me rendre, j‟ai systématiquement été interpellée, par des personnes m‟incitant à

rebrousser chemin. L‟intervention des personnes extérieures au quartier ne m‟a pas

surprise puisque j‟avais d‟ores et déjà conscience de l‟image des quartiers non

réglementaires. J‟ai cependant noté que les habitants de ces quartiers avaient

complètement intégré la perception négative que suscitaient leurs quartiers. Si les

habitants des quartiers non réglementaires n‟ont pas toujours conscience de vivre dans ce

que l‟on appelle les ‘ashwaiyyat, ils ont néanmoins à l‟esprit qu‟ils vivent dans des zones

marginales et marginalisées. Cette stigmatisation a été complètement intégrée par les

habitants des quartiers non réglementaires. Ainsi Catherine Miller affirme « Interrogés sur

eux-mêmes [les habitants des ‘ashwaiyyat] ils ont tendance dans leur discours à souligner

leur spécificité là où leurs pratiques quotidiennes apparaissent souvent bien banales. Leur

inscription dans la ville se fait donc dans le cadre d‟une interaction assez tendue qui a des

implications directes sur les représentations identitaires. »53

L‟étude de la perception de

soi des habitants des quartiers non réglementaires est une entreprise délicate à laquelle je

ne me risquerai pas. En effet, compte tenu de l‟absence d‟une réelle étude de terrain, celle-

ci ne pourrait être menée correctement. Je ne prétends pas non plus que les quelques

personnes rencontrées au fil des visites des quartiers non réglementaires sont

représentatives de l‟ensemble de la population de ces quartiers.

53

In DEBOULET, Agnès, BERRY-CHIKHAOUI, Isabelle, Les compétences des citadins dans le Monde

arabe : penser, faire et transformer la ville, 2000, p. 221

105

Alors qu‟ils occupent une place importante sur la scène médiatique, les quartiers non

réglementaires sont très mal connus des Égyptiens. À cet égard, notons qu‟ils ne sont

toujours pas cartographiés sur les plans, même les plus détaillés, du Caire. La zone non

cartographiée à droite est le quartier „Ard el Lewa. Les ponts sont représentés en rose. À la

frontière entre les quartiers réglementaires et les quartiers non réglementaires, les ponts

permettent de traverser « en suspension » les quartiers non réglementaires, c'est-à-dire

sans y pénétrer. Ces ponts, appelés également flyover, ont été construits dans cet objectif :

permettre aux élites de quitter Le Caire sans passer par les ‘ashwaiyyat. Ainsi, tout est fait

pour occulter l‟urbanisation non réglementaire.

Carte 3 : L’absence de cartographie des quartiers non réglementaires de la capitale

Source : Cairo Maps, the practical guide, 2008, The American University in Cairo Press.

106

Conclusion

L‟habitat non réglementaire, plus connu sous le terme habitat informel, est un phénomène

rencontré dans de nombreux pays en voie de développement. En Égypte, ce phénomène

est depuis quelques années devenu majoritaire. Plus de la moitié de l‟urbanisation du pays

s‟effectue à travers cette filière illégale qui loge désormais une majorité d‟Égyptiens.

L‟habitat non réglementaire ne peut donc plus être considéré comme un phénomène

marginal. L‟honnêteté scientifique oblige à admettre que ce phénomène est désormais

devenu la norme.

L‟étude de cette forme d‟urbanisation ainsi que les visites que j‟ai pu effectuer démontrent

l‟extrême variété des quartiers non réglementaires. Aussi, nous pensons qu‟un travail de

recherche complet devrait se porter sur un quartier en particulier, voire même à l‟échelle

d‟une rue. Cette approche nécessiterait un travail de terrain très localisé qu‟il ne nous a

malheureusement pas été possible d‟effectuer. En effet, certains quartiers non

réglementaires ont atteint des stades de développement similaires à ceux de la ville dite

« légale » tandis que d‟autres se développent dans des conditions extrêmement précaires.

Parallèlement, certains habitants des quartiers réglementaires du cœur de la capitale vivent

dans des situations comparables à celles de quartiers non réglementaires démunis. Le

niveau de développement des quartiers non réglementaires dépend avant tout de leur

ancienneté. Ainsi, la distinction quartiers non réglementaires/quartiers réglementaires

n‟est parfois pas justifiée. Nous avons en effet pu observer que la situation des squatters

sur les terrains désertiques est, la plupart du temps, bien plus dramatique que celles des

populations établies sur terres agricoles. Cette différence de développement est

effectivement très visible.

Nous avons tenté dans ce travail de présenter l‟habitat non réglementaire non pas comme

une des formes que prend la crise du logement en Égypte mais plutôt comme une réponse

apportée par une partie croissante de la population à cette crise. Dans la même perspective,

nous avons essayé d‟aller à contre courant de l‟idée reçue qui veut que ces quartiers soient

caractérisés par une réelle anomie. Comme David Sims (2010), nous pensons que,

contrairement à l‟idée la plus répandue, et contre toute attente, Le Caire est une success

story. Cette entreprise de valorisation des compétences des habitants des quartiers non

réglementaires doit toutefois être effectuée avec prudence. En effet, il est important de

107

garder à l‟esprit que la « débrouillardise » des habitants ne peut en aucun cas suffire et que

certaines fonctions, assurées en théorie par l‟État, ne peuvent leur être déléguées. La

compétence des habitants n‟est pas sans limite. Certaines situations d‟extrême précarité

empêchent l‟expression de la moindre compétence. De plus, la valorisation de la

« débrouillardise » ou des compétences des habitants est parfois utilisée à des fins

perverses. En effet, certains professionnels, dans une tendance néo libérale aiguë utilisent

les compétences des citadins pour justifier le désengagement de l‟État.

Dans le contexte actuel, il semble que l‟urbanisation non réglementaire en Égypte ait

toutes les chances de poursuive sa dynamique. Rien ne semble ralentir la croissance du

phénomène de l‟habitat non réglementaire. Toutes les politiques destinées à freiner le

développement de l‟habitat non réglementaire se sont soldées par des échecs. De

nombreuses organisations et associations appellent désormais l‟État à réduire les

externalités négatives du phénomène plutôt que de le criminaliser. Les quartiers non

réglementaires d‟ores et déjà établis doivent être intégrés à la ville dans les meilleures

conditions possibles et bénéficier des bienfaits des politiques publiques. Certaines

organisations exhortent également l‟État égyptien à mettre à disposition des populations

pauvres les terrains désertiques situés en périphérie du Caire. Si la croissance de l‟habitat

non réglementaire se maintient à des taux très élevés, il semble désormais que celui-ci se

développe en majorité au sein de quartiers déjà établis plutôt que sur des terres vierges de

construction. L‟habitat non réglementaire se développe désormais dans un processus de

densification, dit également de « bourrage ». L‟extension de la surface bâtie dans la région

du Grand Caire, si elle reste importante, semble connaitre un certain ralentissement depuis

quelques années. Toutefois, les évènements du début de l‟année 2011 peuvent remettre en

cause toute tentative de prospective. En effet, les projets de développement urbain portés

par les autorités en place avant la « Révolution » ne sont plus à l‟ordre du jour. Ainsi, le

projet Le Caire 2050, porté par Gamal Mubarak a été supprimé. Cette période de

transition rend ainsi toute tentative de prospective extrêmement délicate.

108

Table des photographies

Photographie 1 : Exemple de "remplissage" des étages au fur et à mesure des ventes d‟un

immeuble dans le quartier „Ard el Lewa. ........................................................................... 32

Photographie 2 : Création illégale de pièces supplémentaires à Imbaba. ........................... 39

Photographie 3 : La ville nouvelle de Dix de Ramadan vue du ciel................................... 52

Photographie 4 : Dix de Ramadan à 70 kilomètres du Caire à mi-chemin entre Le Caire et

Ismaïlia. .............................................................................................................................. 52

Photographie 5 : Tissu urbain d‟un quartier non réglementaire à gauche, „Ard el Lewa, et

d‟un quartier réglementaire, Mohandessin, à droite. .......................................................... 69

109

Table des graphiques, tableaux

Tableau 1 : Répartition de la population et des surfaces urbanisées des quartiers irréguliers

du Grand Caire selon le type de terres occupées en 1996 _________________________ 35

Tableau 2 : Villes nouvelles et villes satellites : espoirs et déceptions _______________ 53

Tableau 3 : Le niveau de coopération entre les habitants en cas de problème pratique

(figure 1) et en cas de problème majeur (figure 2) selon le type de quartier et le niveau de

pauvreté des foyers. ______________________________________________________ 61

110

Table des cartes

Carte 1 : Les quartiers d‟une partie de la région du Grand Caire en 2009 ......................... 12

Carte 2 : Les villes nouvelles et satellites dans le Grand Caire en 2009 ............................ 48

Carte 3 : L‟absence de cartographie des quartiers non réglementaires de la capitale ...... 105

111

Annexes

A. Graphiques et cartes

Typologie des « zones informelles » selon la GTZ.

Source: Improving informal areas in Greater Cairo, 2010, GTZ, p. 23

112

Commentaire du tableau : Ce tableau publié par l‟agence de la coopération technique

allemande permet d‟avoir un aperçu relativement complet des différentes formes

d‟urbanisation non réglementaire en Égypte. Ainsi, la GTZ distingue quatre types

d‟urbanisation non réglementaire. La première est établie sur terres agricoles, la deuxième

sur terrains désertiques appartenant à l‟État, la troisième s‟effectue dans le cœur historique

détérioré de la capitale, enfin la dernière concerne les poches urbaines détériorées. La

dernière catégorie pourrait être assimilée aux poches de bidonvilles.

Chaque forme est étudiée selon quatre angles : Où ? Comment ? Et qui ? Ainsi, on observe

les différences en termes de tissu urbain, grâce à de petits schémas, de matériaux utilisés

pour la construction et de forme d‟illégalité.

La GTZ établit également une « typologie » des populations résidant dans ces quartiers.

On observe que le taux d‟analphabétisme est très élevé dans les quartiers établis sur

terrains désertiques (65,9% de femmes et 53,4% d‟hommes sont analphabètes). Le cœur

historique détérioré de la capitale enregistre des taux légèrement plus faibles (48,9% de

femmes et 36,8% d‟hommes). Le taux est encore plus faible dans les quartiers établis sur

d‟anciennes terres agricoles (40,3% de femmes et 28,9% d‟hommes). Ces taux doivent

évidemment être corrélés à la précarité de ces populations. Les taux d‟analphabétisme

dans les poches urbaines ne sont pas disponibles mais on imagine aisément qu‟ils sont très

forts étant donné l‟extrême précarité de ces populations. La proportion de foyers vivant

dans une seule pièce est un bon indicateur de la précarité dans laquelle vivent les

populations. Là encore, parmi les différents types de quartiers non réglementaires, ce sont

ceux établis sur terres agricoles qui sont le mieux lotis puisque « seuls » 18,7% des foyers

vivent dans une seule pièce. Cette part augmente très nettement dans les quartiers sur

terrains désertiques puisque 26,5% des foyers vivent dans une seule pièce. Là aussi, cette

forte différence est liée à la précarité des ménages établis sur terrains désertiques. La

proportion de foyers vivant dans une seule pièce atteint son maximum dans les quartiers

détériorés du cœur historique du Caire. Ce taux important d‟occupation des pièces est lié à

la forte densité de la capitale et à l‟impossibilité d‟agrandir son logement. Ce taux est

souvent l‟une des raisons qui pousse ces ménages à migrer dans les quartiers non

réglementaires établis en périphérie de la capitale. Le taux de raccordement à un réseau

public d‟eau signale encore la précarité des terrains désertiques. Nous remarquerons que la

proportion de ménage ne bénéficiant pas du réseau public d‟eau est quasiment la même

dans le cœur historique détérioré (32,1%) que sur les terrains désertiques (33,3%)

113

Les constructions de logements selon le type de logements en 2009/2010

Source : site internet du CAPMAS

Commentaire du graphique : Ce graphique permet d‟observer la part extrêmement faible

des constructions de logements à destination des populations les plus pauvres. La faiblesse

de cette part explique que les populations les plus démunies soient contraintes de se

tourner vers le secteur non réglementaire du logement. On remarque par ailleurs que la

part de logements dits « de luxe » est très importante par rapport à la part de la population

susceptible d‟y accéder. La part de logements dits « économiques » est la plus importante.

La source ne précise pas s‟il s‟agit des constructions effectuées par le secteur privé ou le

secteur public. Nous supposons donc qu‟il s‟agit de l‟ensemble de la production de

logements, secteur public et privé confondus. Toutefois, même si cela n‟est pas précisé, ce

graphique recense uniquement les constructions réglementaires. En effet, les constructions

non réglementaires ne sont pas recensées. Notons que le graphique, établi par le

CAPMAS, doit être étudié avec prudence dans la mesure où il peut être utilisé à des fins

politiques. De plus, la façon dont les catégories ont été établies n‟est pas précisée. Afin de

mener une analyse complète, ce graphique devrait être comparé au recensement des

logements vacants selon le type de logement. Cette comparaison permettrait d‟observer

l‟inadéquation entre la production et la demande de logements.

114

Croissance de la population des gouvernorats du Caire, de Giza et de Qalyubia entre

1976 et 2006

Commentaire du graphique : Ce graphique établi par le CAPMAS lors du recensement

de 2006 permet de comparer la croissance des trois gouvernorats qui constituent le Grand

Caire entre 1976 et 2006. Le graphique fournit le nombre d‟habitants lors des

recensements de 1976, 1986, 1996 et 2006. On observe que la croissance du Grand Caire

est soutenue et plutôt régulière entre 1976 et 2006. Le taux de croissance du Grand Caire

entre 1976 et 2006 est de 99,5%. Toutefois, on observe que la croissance du gouvernorat

de Giza est plus forte que celle des autres gouvernorats puisqu‟elle est de 159,5% sur la

même période. Le taux de croissance supérieur du gouvernorat de Giza est sans aucun

doute le fait des quartiers non réglementaires qui attirent une part croissante de la

population. Le gouvernorat de Qalyubia enregistre également une croissance supérieure à

celle du Caire. Sa croissance est toutefois inférieure à celle de Giza puisque le taux de

croissance entre 1976 et 2006 est de 99,2%. Le gouvernorat du Caire est donc celui qui

enregistre la croissance la plus faible au sein de la région du Grand Caire. On observe

toutefois que, malgré le processus de « dé-densification », la croissance du Caire reste

importante (53,5% entre 1976 et 2006).

115

Commentaire des cartes :

L‟ensemble des cartes proposées en annexe sont tirées de la thèse de Marion Séjourné, Les politiques

récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et configuration du système

d’acteurs ? soutenue en 2006.

La première carte permet d‟observer l‟importance de l‟urbanisation sur terres agricoles. On observe que les

terres agricoles privées sont les premières cibles de l‟urbanisation non réglementaire. Les terrains

désertiques urbanisés illégalement, représentés en jaune, sont extrêmement minoritaires. La Ring Road,

représentée sur chacune des cartes, est le boulevard périphérique inauguré il y a quelques années par le

président Moubarak. Ce boulevard a également une fonction symbolique : il vise à encercler la région du

Caire. Toutefois la Ring Road a eu des effets pervers puisqu‟elle a été implantée en grande partie sur des

terres agricoles. En cela, elle a fortement nui à leur fertilité et contraint les paysans à vendre leurs terres

afin que celles-ci soient loties.

La deuxième carte permet également de localiser les quartiers dits « illégaux » selon les termes de Marion

Séjourné dans la région du Grand Caire en 1998. Le bâti légal est représenté en blanc, tandis que les

quartiers « illégaux » sont cartographiés en rose. On observe l‟importance quantitative des quartiers

illégaux dans la région du Grand Caire. En effet, ceux-ci occupent une partie importante de la tâche bâtie.

La troisième carte indique le taux de croissance des quartiers illégaux de la région du Grand Caire entre

1991 et 1998. Nous remarquerons que les quartiers établis sur d‟anciennes terres agricoles, notamment

dans le gouvernorat de Giza enregistrent des taux de croissance extrêmement élevés. On observe également

que les quartiers illégaux les plus proches du centre ville enregistrent une croissance relativement faible.

Cela est probablement le fait de la maturité atteint par ces quartiers tandis que les quartiers périphériques

continuent de se développer.

Enfin, la quatrième carte nous permet d‟étudier les densités résidentielles en 1998 dans l‟agglomération du

Grand Caire. On observe une grande diversité de densités. En effet, certains quartiers enregistrent des

densités inférieures à 150 habitants par hectare tandis que d‟autres sont supérieures à 1000 habitants par

hectare. Les quartiers illégaux sont caractérisés par une forte densité résidentielle. Ainsi, le quartier de

Bulaq al Dakrur par exemple enregistre une densité supérieure à 1000 habitants par hectare tandis que le

quartier voisin de Duqqi, légal, enregistre des densités entre 150 et 300 habitants par hectare.

116

Localisation des quartiers illégaux du Grand Caire selon le statut des terres occupées

Source : SEJOURNE, M., 2006, Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et

configuration du système d’acteurs ?, p. 147

117

Les quartiers illégaux dans la région du Grand Caire en 1998

Source : SEJOURNE, M., 2006, Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et configuration du système d’acteurs ?, p. 105

118

Taux de croissance des quartiers illégaux de la région du Grand Caire entre 1991 et 1998

Source : SEJOURNE, M., 2006, Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et configuration du système d’acteurs ?, p. 115

119

Densités moyennes de population dans l’agglomération du Grand Caire en 1998

Source : SEJOURNE, M., 2006, Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : nouveaux enjeux et configuration du système d’acteurs ?, p. 128

120

B. Photographies

Constructions en dehors du kordon mabâni à la sortie du quartier „Ard el Lewa. Le rythme

des constructions illégales s‟est très nettement accéléré depuis les évènements du

printemps 2011. Lorsque j‟ai posé la question de la légalité de ces constructions, toutes les

personnes rencontrées autour des chantiers (habitants, marchands, ouvriers) m‟ont

répondu « il n‟y a plus de loi » (ma fich qanun khalass). Depuis quelques mois, il règne en

Égypte un sentiment d‟impunité très fort. En traversant les parcelles bâties, un homme

d‟une trentaine d‟années me raconte qu‟il a vu tout le processus d‟urbanisation. Les terres

agricoles sont grignotées à une allure impressionnante.

Photographie prise par Éléonore Fallot, le 18 juin 2011

121

Exemple d’une rue très étroite, non pavée dans le quartier ’Ard el Lewa établi sur

d’anciennes terres agricoles. Photographie prise par Éléonore Fallot, le 26 juin 2011.

122

Une autre rue étroite et non pavée dans le quartier de Hadayek el Maadi.

Photographie prise par Éléonore Fallot, le 13 juin 2011.

123

Exemple d’un canal où s’accumulent les déchets à la « frontière » entre ‘Ard el Lewa

et Mohandessin. Photographie prise par Éléonore Fallot, le 26 juin 2011.

Le quartier des Chiffonniers au pied du Muqattam.

Photographie prise par Éléonore Fallot, le 13 avril 2010

124

Tuk-Tuk à Ein Shams, moyen de transport le plus répandu dans les quartiers non

réglementaires.

Photographie prise par Éléonore Fallot, le 14 juin 2011.

125

Bibliographie critique

Dictionnaires & Manuels

DORIER-APPRILL, Élisabeth (dir.), 2001, Vocabulaire de la ville : notions et références,

Nantes, Éditions du Temps, 191 p.

PUMAIN, Denise, PAQUOT, Thierry, KLEINSCHMAGER, Richard, 2006,

Dictionnaire : La ville et l’urbain, Articles : « bidonville » ; « établissement humain » ;

« géographie urbaine » ; « habitat » ; « illégalité », Paris, Economica, 320 p.

SEGAUD, Marion, BRUN, Jacques, DRIANT, Jean Claude, (dir.), 2002, Dictionnaire de

l’habitat et du logement, Paris, Armand Colin, 451 p.

TRIBILLON, Jean-François, 2009, L’urbanisme, Paris, La Découverte, 126 p.

Études urbaines

BAIROCH, Paul, 1983, « Tendances et caractéristiques de l‟urbanisation du Tiers-Monde

d‟avant-hier à après-demain », p.325-348, Revue Tiers-Monde, Tome 24, n°94, Paris,

Presses Universitaires de France.

BERRY-CHIKHAOUI, Isabelle, DEBOULET, Agnès, ROULLEAU-BERGER, Laurence

(dir.), 2007, Villes internationales entre tensions et réactions des habitants, Paris, La

Découverte, 325 p.

LORRAIN, Dominique (dir.), 2011, Métropoles XXL en pays émergents, Paris, Presses de

Sciences Po, 400 p.

- Cet ouvrage étudie le développement de quatre villes du Sud : Bombay, Le Cap, Santiago

du Chili et Shanghai. Cet ouvrage m‟a intéressé de façon globale dans ma réflexion sur le

développement urbain dans la mesure où il présente plusieurs études sur des profils de

126

développement urbain différents. De plus, cet ouvrage donne une vision plutôt positive du

développement de ces villes, contrairement à des travaux comme ceux de Mike Davis.

TROIN, Jean-François, 2000, Les métropoles des « Sud », Paris, Ellipses, 160 p.

L’urbanisation dans le monde

DAMON, Julien, 2011, « L‟urbanisation mondiale en perspective positive », p. 739-749,

Études, Tome 414, Paris, SER.

- Cet article est très intéressant dans la mesure où Julien Damon va à contre courant de

l‟idée très répandue selon laquelle l‟urbanisation du monde serait source de dangers. En

effet, Julien Damon entreprend d‟étudier les aspects positifs de cette urbanisation.

DAVIS, Mike, 2006, Le pire des mondes possibles : de l’explosion urbaine au bidonville

global, Paris, La Découverte, 249 p.

VERON, Jacques, 2008, « Enjeux économiques, sociaux et environnementaux de

l‟urbanisation du monde », p. 39-52, Mondes en développement, n°142, Nancy, De Boeck

Université.

Les politiques urbaines

DEBOULET, Agnès, 2007, « Restructurer l‟habitat précaire. Récits de « meilleures

pratiques » », p.67-83, Espaces et sociétés, n° 131, Paris, Érès, 210 p.

La crise du logement

DURAND-LASSERVE, Alain, 1988, « Le logement des pauvres dans les villes du Tiers-

Monde : crise actuelle et réponses », p.1195-1214, Revue Tiers-Monde, Tome 29, n°116,

Paris, Presses Universitaires de France.

127

DURAND-LASSERVE, Alain, 1986, L’exclusion des pauvres dans les villes du Tiers-

Monde : accès au sol et logement, Paris, L‟Harmattan, 198 p.

MICHEL, Aurélia, DENIS, Éric, SOARES GONCALVES, Rafaël, 2011, « Les enjeux du

foncier urbain pour le développement : nouveaux marchés et redistribution des

responsabilités », p. 7- 20, Revue Tiers-Monde, n°206, Paris, Armand Colin.

L’habitat non réglementaire

Cette liste d‟ouvrages ne prétend évidemment pas être exhaustive. Toutefois, il m‟a semblé

fondamental de lire quelques études sur les formes que prenait l‟urbanisation non dans d‟autres

régions du monde. Ainsi, ces ouvrages m‟ont permis d‟appréhender la diversité et l‟importance du

phénomène de l‟urbanisation non réglementaire dans le monde.

- Études générales

COQUERY-VIDROVITCH, Catherine, NEDELEC, Serge, (al.), 1991, Tiers-Monde :

l’informel en question ?, Paris, L‟Harmattan, 285 p.

DAVIS, Mike, 2006, Planet of slums, Londres, Verso Books, 228 p.

DAVIS, Mike, 2005, « La planète bidonville : involution urbaine et prolétariat informel »,

p. 9-24, Mouvements, n°39-40, Paris, La Découverte.

- Cet article évoque l‟urbanisation ou la « sururbanisation » des villes du Tiers-Monde et

l‟expansion de la « bidonvilisation » des grandes villes. Mike Davis étudie les ravages

provoqués par les programmes d‟ajustement structurel lancés par le FMI (ici à Lagos) dans

les années 1980. Ce travail est intéressant, mais présente, à mon sens, l‟inconvénient

d‟évoquer uniquement l‟aspect chaotique de l‟urbanisation de ces villes.

PEATTIE, Lisa, ALDRETE HAAS, José, 1981, « Marginal Settlements in developing

countries: research, advocacy of policy, and evolution of programs », p. 157-175, Annual

Review of Sociology, volume 7, Palo Alto, Annual Reviews.

SUNIL, Kumar, 1989, « How poorer groups find accommodation in Third World Cities:

A Guide to the Literature », p. 71-85, Environment & Urbanization, volume 1, n°2,

Londres, Sage Publications.

128

- En Afrique

CANEL, Patrick, GIRARD, Christian, 1988, « Un paradigme à l‟épreuve des faits, l‟auto

construction en ville africaine », p. 1121-1133, Revue Tiers-Monde, Tome 29, n°116,

Paris, Presses Universitaires de France.

TRIBILLON, Jean-François, 1988, « Le logement du peuple par le peuple : le locatif

populaire en Afrique et dans le Tiers-Monde ; faits et politiques », p.1135-1144, Revue

Tiers-Monde, Tome 29, n°116, Paris, Presses Universitaires de France.

- En Amérique Latine

BAUTES, Nicolas, REGINENSI, Catherine, 2008, « La marge dans la métropole de Rio

de Janeiro : de l'expression du désordre à la mobilisation de ressources », p. 149 à 168,

Autrepart, n°47, Paris, Presses de Sciences Po.

SOARES GONCALVES, Rafaël, 2011, « Le marché et la location informelle dans les

favelas de Rio de Janeiro et sa régularisation dans une perspective historique »Revue

Tiers-Monde, n°206, Paris, Armand Colin.

WAGNER, Anna, 1988, « L‟invasion, principale filière populaire de production foncière

et immobilière à Lima », p. 1055-1066, Revue Tiers-Monde, Tome 29, n°116, Paris,

Presses Universitaires de France.

- En Asie

FAZAL, Shahab, 2000, « Urban expansion and loss of agricultural land - a GIS based

study of Saharanpur City, India », p. 133-149, Environment & urbanization, volume 12,

n°2, Londres, Sage Publications.

GIRAUD, Pierre-Noël, MARIA, Augustin, 2010, « L‟habitat informel à Delhi », p. 26-37,

Les annales de la recherche urbaine, Paris, PUCA.

- En Europe

PEROUSE, Jean-François, 2004, « Les tribulations du terme gecekondu (1947-2004) : une

lente perte de substance. Pour une clarification terminologique », European journal of

turkish studies, n°1, Paris, EHESS.

129

La marginalité en question & la question des frontières intra-urbaines

DEPAULE, Jean-Charles (dir.), 2006, Les mots de la stigmatisation urbaine, Paris,

Éditions UNESCO, 277 p.

ESCALLIER, Robert, 2006, « Les frontières dans la ville, entre pratiques et

représentations », p.79-105, Cahiers de la Méditerranée, n°73, Nice, Centre de la

Méditerranée Moderne et Contemporaine.

GIRAUT, Frédéric, ROCHEFORT, Michel, 2006, « Discussion : la marginalité socio-

spatiale : une notion à déconstruire dans le contexte des villes du Sud ? », p. 14-16, Revue

Tiers-Monde, n°185, Paris, Armand Colin.

- Les articles parus dans le numéro 185 de la Revue Tiers-Monde « Marges au cœur de la

ville » ont été essentiels dans le cadre de mes recherches. Ils m‟ont permis d‟identifier la

marge, de savoir comment et quand les sciences humaines ont abordé cette notion, dans

quel contexte et avec quel objet. Ces articles appellent, tout en mettant en garde contre les

risques que cela engendre, à déconstruire, ou en tout cas, à remettre en cause cette notion

de « marge » qui ne peut pas être employée de la même façon dans les villes du Sud que

dans les villes du Nord.

HUGON, Philippe, 2006, « Avant propos, remarques sur la notion de marge », p. 8, Revue

Tiers-Monde, n°185, Paris, Armand Colin.

LAUTIER, Bruno, 2006 « Notes d‟un sociologue sur l‟usage de la notion de « marge »

dans les sciences sociales du développement », p. 17-20, Revue Tiers-Monde, n°185,

Paris, Armand Colin.

NAVEZ-BOUCHANINE, 2002, La fragmentation en question : des villes entre

fragmentation spatiale et fragmentation sociale ?, Paris, L‟Harmattan, 412 p.

VIEILLIARD-BARON, Hervé, 2007, « Entre proximité et distance : le terrain pour le

géographe urbain », p. 446-455, Bulletin de l’association de géographes français.

130

Études sur le monde arabe (sauf Égypte)

L’urbain dans le monde arabe

ARNAUD, Jean-Luc (dir.), 2005, L’Urbain dans le monde musulman de Méditerranée,

Paris, Maisonneuve & Larose, 220 p.

CHALINE, Claude, 1989, Urbanisme et développement : Evaluation des schémas

directeurs d’Ankara, du Caire, de Rabat, de Tunis, Paris, SEDES, 167 p.

CHEVALLIER, Dominique, 1985, « Légalité de la ville », p.489-494, in METRAL, Jean,

MUTIN, Georges (dir.), Politiques urbaines dans le monde arabe, Lyon, Maison de

l‟Orient, 494 p.

CHOPLIN, Armelle, 2006, Fabriquer des villes capitales entre monde arabe et Afrique

Noire : Nouakchott (Mauritanie) et Khartoum (Soudan), étude comparée, Thèse de

doctorat, Université Panthéon Sorbonne, 535 p.

DAKHLIA, Jocelyne (dir.), 1998, L’urbanité dans le monde arabe, Paris, Actes Sud,

458 p.

EL BATRAN, Manal, 2004, « Urbanisation et pauvreté : Le cas de l‟Égypte », p. 495-513,

in DESTREMAU, Blandine, DEBOULET, Agnès, IRETON, François (dir.), Dynamiques

de la pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen Orient, Paris, Karthala, 513 p.

EL KADI, Galila, SIDI BOUMEDIENE, Rachid, SIGNOLES, Pierre (dir.), 1999,

L’urbain dans le monde arabe, politiques, instruments et acteurs, Paris, CNRS Éditions,

373 p.

STADNICKI, Roman, TOUBER, Julie, 2008, « Le grand Sanaa, multipolarité et nouvelles

formes d‟urbanité dans la capitale du Yémen », p.32-53, Annales de géographie, n°659,

Paris, Armand Colin.

TROIN, Jean-François, « Du bon usage du terme « métropole », notamment dans le

monde arabe », p. 83-104, Cahiers de la Méditerranée, n°64, Nice, Centre de la

Méditerranée Moderne et Contemporaine.

131

Politiques urbaines dans le monde arabe

AWADA, Fouad, 2009, « Stratégies urbaines d‟Alger à Beyrouth », p. 69-72, Revue

Urbanisme, n°369, Paris, Publications d‟architecture et d‟urbanisme.

BARTHEL, Pierre-Arnaud, MOULOUDI, Hicham, 2009, « Waterfronts de Casablanca et

de Rabat : un urbanisme de projet », p. 52-56, Revue Urbanisme, n°369, Paris,

Publications d‟architecture et d‟urbanisme.

LE TELLIER, Julien, 2009, « Maroc « villes sans bidonvilles » : une nouvelle ingénierie

sociale urbaine », p.57-59, Revue Urbanisme, n°369, Paris, Publications d‟architecture et

d‟urbanisme.

METRAL, Jean, MUTIN, Georges (dir.), 1985, Politiques urbaines dans le monde arabe,

Lyon, Maison de l‟Orient, 494 p.

L’habitat non réglementaire dans le monde arabe

BENDRAOUA, Fouzia, SOUIAH, Sid Ahmed, 2008, « Quand les pouvoirs publics

produisent de nouvelles marginalités urbaines : les recasés de Nedjma à Oran », p.173-

190, Autrepart, n°45, Paris, Presses de Sciences Po.

LE TELLIER, Julien, 2008, « A la marge des marges urbaines : les derniers bidonvilles de

Tanger. Logique gestionnaire et fonctionnement des bidonvilles à travers les actions de

résorption », p. 157-171, Autrepart, n°45, Paris, Presses de Sciences Po.

LEGROS, Olivier, 2003, Le gouvernement des quartiers populaires : production de

l’espace et régulation politique dans les quartiers non réglementaires de Dakar et de

Tunis, Thèse de doctorat en géographie, Université François Rabelais Tours, 485 p.

132

Les compétences des citadins dans le monde arabe

BERRY-CHIKHAOUI, Isabelle, DEBOULET, Agnès, 2002, « Les compétences des

citadins : enjeux et illustrations à propos du monde arabe », p. 65-85, L’Homme et la

société, n°143-144, Paris, L‟Harmattan.

BERRY-CHIKHAOUI, Isabelle, DEBOULET, Agnès, (dir.), 2000, Les compétences des

citadins dans le Monde arabe : penser, faire et transformer la ville, Paris, Karthala, 406 p.

- Cet ouvrage a fortement influencé le point de vue que j‟ai décidé d‟adopter dans mon

travail de recherches. Agnès Deboulet et Isabelle Berry Chikhaoui adoptent un point de

vue nouveau (qu‟A.Deboulet avait cependant déjà développé dans sa thèse en 1994) et une

approche originale.

Études sur l’Égypte

L’Égypte, études générales

BATTESTI, Vincent, IRETON, François (dir), 2011, L’Égypte au présent, inventaire

d’une société avant révolution, Paris, Actes Sud, 1179 p.

- Cet ouvrage est extrêmement complet. Il est composé d‟une série de contributions qui

traitent de nombreux aspects de l‟Égypte (politique, culturel, social etc.)

BLANC, Pierre, 2010, « Égypte, une géopolitique de la fragilité », p. 13-31, Confluences

Méditerranée, n°75, Paris, L‟Harmattan.

POMMIER, Sophie, 2008, Égypte, l’envers du décor, Paris, La Découverte, 297 p.

- Cet ouvrage de vulgarisation est une très bonne synthèse. Sophie Pommier y évoque les

fondamentaux de l‟Égypte contemporaine dans les domaines politiques, économiques et

sociaux.

133

Le Caire, ouvrages généraux

ABU-LUGHOD, Janet, 1971, Cairo: 1001 years of the City Victorious, Princeton,

Princeton University Press, 284 p.

ARNAUD, Jean Luc, 1998, Le Caire, mise en place d’une ville moderne, 1867-1907, des

intérêts du prince aux sociétés privées, Arles, Sindbad, 444 p.

EDWIGE, Lambert, VINATIER, Isabelle, (dir.), 1985, Le Caire, Paris, Autrement, 257 p.

ISMAIL, Mahmoud, 2010, Le Caire, une cité mère à sauver, culture, urbanisme, société,

Paris, L‟Harmattan, 386 p.

RAYMOND, André, 1993, Le Caire, Paris, Fayard, 428 p.

Les programmes d’ajustement structurel en Égypte

AHMED NASSAR, Heba, 1993, « Quelques conséquences sociales des programmes

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Caire, CEDEJ.

BLIN, Louis, 1993, « Le renouvellement de l‟accord entre l‟Égypte et le Fonds monétaire

international et ses conséquences », p. 297-325, Égypte/Monde Arabe, Première série

n°15-16, Le Caire, CEDEJ.

BLIN, Louis, 1992, « Le programme de stabilisation et d‟ajustement structurel de

l‟économie égyptienne », p.13-46, Égypte/Monde Arabe, Première série n°9 Le Caire,

CEDEJ.

CLÉMENT, Françoise, 1995, « Table ronde : bilan et perspectives de l‟ajustement

structurel en Égypte : introduction », p. 129-142, Égypte/Monde arabe, Première série,

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CLÉMENT, Françoise, 1992, « Vers une économie libérale. Introduction », p. 7-11,

Égypte/Monde arabe, Première série, n°9, Le Caire, CEDEJ.

134

CLÉMENT, Françoise, 1992, « Genèse d‟une réforme : du discours à la réalité », p. 103-

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KAMEL EL-SAYYED, Mustafa, 2011, « Économie politique de la croissance : du

capitalisme d‟État à la libéralisation », p. 405-436, in BATTESTI, Vincent, IRETON,

François (dir), L’Égypte au présent, inventaire d’une société avant révolution, Paris, Actes

Sud, 1179 p.

VERNIER, Marie-France, 1993, « Ajustement structurel et pauvreté. Introduction », p.

101-108, Égypte/Monde arabe, Première série, n°12-13, Le Caire, CEDEJ.

La société égyptienne

KISHK, Hasanayn, 1998, « Pauvreté et paupérisation en milieu urbain. Une enquête

préliminaire », p.81-112, Égypte/Monde arabe, Première série, n°33, Le Caire, CEDEJ.

SABRY, Sarah, 2010, « How poverty is underestimated in Greater Cairo, Egypt », p. 523-

541, Environment & urbanization, volume 22, n°2, Londres, Sage Publications.

TOURNÉ, Karine, 2001, « Le chômeur et le prétendant », p. 191-206, Égypte/Monde

arabe, Deuxième série, n°4-5, Le Caire, CEDEJ.

Le Caire, études urbaines

BARTHEL, Pierre-Arnaud, MONQID, Safaa, 2011, Le Caire, réinventer la ville, Paris,

Autrement, 253 p.

- L‟ouvrage de Pierre Arnaud Barthel et Safaa Monqid est original, voire inédit, puisqu‟il

est consacré aux projets de développement durable au Caire. La thématique du

développement durable au Caire est assez surprenante. L‟ouvrage est composé de

nombreux entretiens avec des personnalités de la sphère politique ou de la société civile.

On s‟étonnera toutefois de la pauvreté de l‟ouvrage en termes de cartes.

135

BARTHEL, Pierre-Arnaud, 2010, « Relire le Grand Caire au miroir de la densité », p.121-

135, Confluences Méditerranée, n°75, Paris, L‟Harmattan.

DENIS, Éric (dir.), 2007, Villes et urbanisation des provinces égyptiennes, vers

l’écoumènopolis ?, Paris, Karthala, 439 p.

HAMDAN, Gamal, 1995, « Le Grand Caire. Étude de géographie urbaine », p. 195-236,

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PAGES, Jean-Louis, 1994, Silhouette urbaine, l’exemple du Caire, Paris, Institut

d‟Aménagement et d‟Urbanisme de la Région d‟Ile de France, 103 p.

L’étalement urbain & la croissance démographique : Le Caire sans

limite

BATTAIN, Tiziana, LABIB, Albert, 1991, « Le Caire-mégalopole perçue par ses

habitants », p.19-40, Égypte/Monde arabe, Première série, n°5, Le Caire, CEDEJ.

DENIS, Éric, 2001, « Du village au Caire, au village comme au Caire : vers la métropole-

État », p.225-253, Égypte/Monde arabe, Deuxième série, n°4-5, Le Caire, CEDEJ.

DENIS, Éric, 2000, « Le Caire, quand la ville déborde son enceinte », p.89-116, Villes en

Parallèle, n°30-31 Paris, Université Paris X Nanterre.

DENIS, Éric, 1995, « Le Caire : aspects sociaux de l‟étalement urbain », p.77-130,

Première série, n°23, Le Caire, CEDEJ.

- Éric Denis étudie, de façon originale, le processus d‟étalement urbain du Caire, une ville

qui ne cesse de sortir de ses limites. Il critique la terminologie généralement employée

« informel », « hasardeux » pour définir ce qu‟il appelle les « espaces périphériques en

devenir ».

DENIS, Éric ; VIGNAL, Leïla, 2002, « Dimensions nouvelles de la métropolisation dans

le Monde arabe : le cas du Caire », p. 119-166, Cahiers de la Méditerranée, n°64, Nice,

Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine.

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inventaire d’une société avant révolution, Paris, Actes Sud, 1179 p.

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l‟horizon 2050 », p.33-47, Confluences Méditerranée, n°75, Paris, L‟Harmattan.

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d‟urbanisme.

DEBOULET Agnès, 2011, « Contrer la précarité par la sécurisation foncière et la

légalisation : enjeux et opportunités dans le Monde arabe et en Égypte », p. 75-93, Revue

Tiers-Monde, n°206, Paris, Armand Colin.

DEBOULET Agnès, 1995, « Régularisation foncière, propriété et espace urbanisé », p.

57-75, Égypte-Monde Arabe, n°23, Première série, n°23, Le Caire, CEDEJ.

DENIS, Éric, 2008, « La marchandisation des „ashwaiyyat : H. de Soto et l‟unification des

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1981 », p. 118-128, in MARIE, Alain et HAUMONT, Nicole (dir.), Politiques et

pratiques urbaines dans les pays en voie de développement, tome 1, Paris, L‟Harmattan,

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137

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surpopulation ? », p-187-198, Égypte/Monde arabe, Première série, n°1, Le Caire,

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FLORIN, Bénédicte, 2011, « Des cités nassériennes aux villes nouvelles du désert : la fin

du logement social ? », p. 129-144, in BATTESTI, Vincent, IRETON, François (dir),

L’Égypte au présent, inventaire d’une société avant révolution, Paris, Actes Sud, 1179 p.

FLORIN, Bénédicte, 2002, « L‟image de la ville nouvelle : nouveau modèle urbain,

nouveau modèle d‟urbanité ? » p. 111-127, in DANSEREAU, Francine, NAVEZ-

BOUCHANINE, Françoise (dir.), Gestion du développement urbain et stratégies

résidentielles des habitants, Paris, L‟Harmattan, 356 p.

FLORIN, Bénédicte, 1998, « Vivre en parallèle ou à l‟écart ? L‟évolution des villes

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GILLOT, Gaëlle, 2006/4, « Du paradis à Dream Park, les jardins dans le monde arabe :

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JOSSIFORT, Sabine, 1998, L’aménagement de la région métropolitaine du Caire. La

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La crise du logement en Égypte

DEBOULET, Agnès, 2011, « Le droit au logement, école de la contestation. Entretien

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88, Mouvements, n°66, Paris, La Découverte.

138

DEBOULET, Agnès, 1991, « La diversification des filières de promotion foncière et

immobilière au Caire », p. 115-133, Revue Tiers-Monde, Tome 32, n°125, Paris, Presses

universitaires de France.

GUILLET, Marianne, 1994, « La loi qui n‟existait pas », p. 167-174, Égypte/Monde

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KHAROUFI, Mostafa, 1990, « Genèse et paradoxes d‟une crise », p.165-186,

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MILAD, Hanna, 1992, Le logement en Égypte, essai critique, CEDEJ, Le Caire, 254 p.

L’habitat non réglementaire en Égypte

DEBOULET, Agnès, 1990, « État, squatters et maîtrise de l'espace au Caire », p. 79-96,

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DEPAULE, Jean-Charles, 1990, « Modes d‟urbanisation en Égypte », p. 9-10,

Égypte/Monde arabe, Première série, n°1, Le Caire, CEDEJ.

EL BATRAN, Manal, ARANDEL, Christian, 1998, « A shelter of their own: informal

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EL KADI, Galila, 1990, « Nouvelles tendances de l‟urbanisation en Égypte : ruptures ou

continuités ? », p. 25-46, Égypte/Monde arabe, Première série, n°1, Le Caire, CEDEJ.

EL KADI, Galila, 1987, L’urbanisation spontanée au Caire, Tours-Paris, coédition

URBAMA-ORSTOM, 376 p.

- Cet ouvrage est le texte remanié de la thèse de Galila El Kadi soutenue en 1984. Cette

thèse est l‟une des premières études approfondies sur l‟urbanisation spontanée. Galila El

Kadi étudie les processus de production foncière de cette forme d‟urbanisation et étudie

les logiques et stratégies des acteurs. Parfaitement documenté et très riche, cet ouvrage

présente néanmoins l‟inconvénient de ne prendre en compte sous la dénomination

d‟urbanisation spontanée uniquement l‟urbanisation des terres agricoles. De plus certaines

données sur l‟organisation sociale de la capitale ne sont aujourd‟hui plus valables.

139

KHAROUFI, Mostafa, 1992, « Secteur « informel » et activités urbaines en Égypte :

le point sur quelques travaux », p. 83-99, Égypte/Monde arabe, Première série, n°9, Le

Caire, CEDEJ.

KHOURI-DAGHER, Nadia, 1985, « L‟urbanisation spontanée autour du Caire : logiques

économiques contre logiques politique et sociale », p.281-286, in METRAL, Jean,

LABIB, Albert, 1990, « L‟habitat spontané à Assouan », p.47-54, Égypte/Monde arabe,

Première série, n°1, Le Caire, CEDEJ.

NOWEIR, Sawsan ; PANERAI, Philippe, 1987, « Le Caire : habitat informel et territoire

agricole », p. 101-111, in MARIE, Alain et HAUMONT, Nicole (dir.), Politiques et

pratiques urbaines dans les pays en voie de développement, tome 2, Paris, L‟Harmattan,

327 p.

SÉJOURNÉ, Marion, 2011, « La banalité d‟une urbanisation illégale », p.111-128, in

BATTESTI, Vincent, IRETON, François (dir), L’Égypte au présent, inventaire d’une

société avant révolution, Paris, Actes Sud, 1179 p.

SÉJOURNÉ, Marion, 2006, Les politiques récentes de « traitement » des quartiers

illégaux au Caire : nouveaux enjeux et configuration du système d’acteurs ?, Thèse de

doctorat en géographie, Université François Rabelais Tours, 599 p.

- Ce travail a été, pour moi, le plus utile et le plus complet que j‟ai consulté sur

l‟urbanisation non réglementaire. La thèse de M. Séjourné présente tout d‟abord

l‟avantage d‟être l‟une des recherches les plus récentes sur ce thème. Son travail est le

fruit d‟une longue recherche et d‟une réelle expérience de terrain. En effet, M. Séjourné a

travaillé avec la coopération allemande, la GTZ, dans le cadre de projets de réhabilitation

de certains quartiers. M. Séjourné a également procédé à un véritable travail de

recensements et de cartographie.

SÉJOURNÉ, Marion, 2005, « Les figures contradictoires de la privatisation de l‟espace

cairote », p. 195-210, in SOUIAH, Sid-Ahmed (coord.), Villes arabes en mouvement,

GREMMO, Cahier n°18, Paris, L‟Harmattan, 265 p.

SHEHAYEB, Dina, 2009, « Advantages of living areas », p.35-43, in Cairo’s informal

areas. Between urban challenges and hidden potentials. Facts. Voices. Visions, Eschborn

GTZ-PDP, Le Caire, 224 p.

140

SIMS, David, 2010, Understanding Cairo, The Logic of a city out of control, Le Caire,

The American University in Cairo Press, 335 p.

- Cet ouvrage de vulgarisation fait un état des lieux général du développement urbain actuel

du Caire. D. Sims évoque le « succès » des quartiers informels. Il ajoute que malgré

l‟absence totale de planification ces quartiers constituent un « miracle » par leur

organisation et leur fonctionnement. D. Sims évoque la réussite de l‟urbanisation

informelle du Caire en l‟opposant à celle d‟autres villes comme Rio, Caracas, Chicago,

Lima, Bombay qui sont confrontées à de nombreux problèmes que ne connait pas la

capitale égyptienne.

SINGERMAN, Diane, (ed.), 2009, Cairo contested. Governance, urban space and global

modernity, Le Caire, The American University in Cairo Press, 488 p.

- Cet ouvrage édité par Diane Singerman est constitué d‟articles écrits par des spécialistes de

nombreuses disciplines (sociologie, anthropologie, urbanisme, sciences politiques,

géographie, littérature). Cet ouvrage d‟une grande qualité s‟attache à démontrer la richesse

et la complexité de l‟urbanisation cairote, il m‟a permis d‟approfondir le sujet et de

l‟aborder selon des prismes différents.

SOLIMAN, Ahmed, 2004, A possible way out, formalizing housing informality in

Egyptian cities, Lanham, University Press of America, 289 p.

- Ahmed Soliman est un architecte spécialiste de l‟urbanisation non réglementaire à

Alexandrie. Il recense les différentes formes d‟illégalité urbaine dans trois villes : Le Caire,

Alexandrie, et Tantâ.

Compétences des citadins en Égypte

DEBOULET, Agnès, 2000, « Apprendre à faire la ville : les compétences à l‟épreuve de la

restructuration urbaine (Ismailiya, Égypte) », p. 313-340, in BERRY-CHIKHAOUI,

Isabelle, DEBOULET, Agnès, (dir.), Les compétences des citadins dans le Monde arabe :

penser, faire et transformer la ville, Paris, Karthala, 406 p.

141

DEBOULET, Agnès, 1994, Vers un urbanisme d’émanation populaire. Compétences et

réalisations des citadins. L’exemple du Caire, Thèse de doctorat, Institut d‟urbanisme de

Paris, Université Paris-XII, 729 p.

- La thèse d‟Agnès Deboulet est un travail très original dans le champ des recherches

urbaines sur l‟habitat non réglementaire. Urbaniste de formation, A. Deboulet centre son

travail sur les compétences des acteurs. Cette approche est assez novatrice puisque les

travaux précédents se sont davantage attardés sur les acteurs institutionnels de la gestion

urbaine. Ainsi, A. Deboulet démontre que les acteurs de l‟urbanisation d‟émanation

populaire procèdent avec logique et revendiquent leur « droit à la ville ». La formation de

sociologue de l‟auteur participe aussi à l‟originalité de son travail.

FLORIN, Bénédicte, 2000, « Citadins ordinaires, citadins à part entière ? Compétences

individuelles et collectives mises en acte par les habitants d‟une nouvelle cité au Caire »,

p. 137-153, in BERRY-CHIKHAOUI, Isabelle, DEBOULET, Agnès, (dir.), Les

compétences des citadins dans le Monde arabe : penser, faire et transformer la ville,

Paris, Karthala, 406 p.

La cité des morts

BONNAMY, Alain, EL KADI, Galila, 2001, La cité des morts, le Caire, Paris, Institut de

recherche pour le développement, 303 p.

- Ce bel ouvrage livre une riche analyse de la Cité des Morts sous l‟angle du patrimoine et de

l‟architecture. Un chapitre de l‟ouvrage est consacré à une analyse sociologique et étudie

les raisons de l‟investissement du cimetière pas plusieurs milliers de personnes comme lieu

d‟habitat.

SUTTON, Keith, FAHMI, Wael, 2002, “Cairo's "Cities of the Dead": The Myths,

Problems and Future of a Unique Squatter Settlement”, p. 1-21, The Arab World

Geographer 5-(1), Akron.

142

Études d’évènements liés aux quartiers non réglementaires en Égypte

BAYAT, Asef, DENIS, Éric, 2000, « Who is afraid of „ashwaiyyât? Urban Change and

Politics in Egypt », p.185-199, Environment and Urbanization, volume 12, n°2, Londres,

Sage Publications.

DENIS, Éric, 1994, « La mise en scène des „ashwaiyyât. Premier acte : Imbâba, décembre

1992 », p. 117-132, Égypte/Monde arabe, Première série, n°20, Le Caire, CEDEJ.

EL KADI, Galila, 1993, « Le tremblement de terre en Égypte », p. 163-196,

Égypte/Monde arabe, Première série, n°14, Le Caire, CEDEJ.

FLORIN, Bénédicte, 1995, « Masâkin al-zilzâl ou la cité du tremblement de terre », p. 11-

56, Égypte/Monde arabe, Première série, n°23, Le Caire, CEDEJ.

HAENNI, Patrick, 2005, L’ordre des caïds, conjurer la dissidence urbaine au Caire,

Paris, Karthala, 322 p.

- Cet ouvrage de sciences politiques étudie la dissidence urbaine dans la capitale égyptienne

et notamment dans le quartier d‟Imbaba. Patrick Haenni s‟attache notamment à étudier les

succès et les échecs de la contestation menée au nom de l‟islam.

SÉJOURNÉ, Marion, 2008, « L‟incendie de Qala„at al-Kabch : retour sur un drame social

“ordinaire” en Égypte », p. 1-21, in AOUARDJI, Adjar, LEGEAY, Hélène, Chroniques

égyptiennes 2007, Le Caire, CEDEJ, 410 p.

Rapports

Organisations non gouvernementales

AMNESTY INTERNATIONAL, Enterrés vivants, délaissés et piégés par la pauvreté

dans les bidonvilles du Caire, [PDF] Londres, Amnesty International Publications, 2009,

56 p, [consulté le 3 mai 2011]

143

http://www.amnesty.org/en/library/asset/MDE12/009/2009/fr/4fb5380f-01e4-457c-a15c-

b57315d30a43/mde120092009fra.pdf

AMNESTY INTERNATIONAL, Déclaration publique, Risque d’expulsion forcée pour

les habitants de « cabanes » du Grand Caire, [PDF], 4 octobre 2010, 3 p. [consulté le 3

mai 2011]

http://www.amnesty.org/fr/library/asset/MDE12/031/2010/fr/5d820482-f48e-45dd-891b-

1b25e41caf09/mde120312010fra.pdf

Institutions

EL KADI, Galila, L'urbanisation et la gestion des villes dans les pays méditerranéens,

Étude sub-régionale : Égypte, Libye, [PDF], Plan Bleu, Commission Méditerranéenne du

développement durable, 2001, [consulté le 15 avril 2011],

http://www.planbleu.org/publications/villes_egy-lby.pdf

HABITAT II, 1996, Planification urbaine et développement durable, Sommet des Villes,

Istanbul, Contribution des agences d‟urbanisme, 236 p.

IAU, 2009, « Comment encourager l‟intensification urbaine ? », Carnets Pratiques, n°1,

Paris, IAU Ile de France, 71 p.

UN-HABITAT, 2011, Cairo, a city in transition, UN-HABITAT, The American

University in Cairo, 181 p.

- Ce rapport est le deuxième de la série Cities and Citizens publiée par l‟agence de l‟ONU

sur l‟habitat et les établissements humains. Ce rapport témoigne de l‟intérêt que porte cette

institution à la ville du Caire. Ces publications s‟inscrivent dans le Programme de

surveillance des inégalités urbaines.

UN-HABITAT, 2010, State of the World‟s cities 2010/2011, UN-HABITAT, 224 p.

UN-HABITAT, Slums of the World: The Face of Urban Poverty in the New Millennium,

UN-HABITAT, 2003

http://www.unhabitat.org/pmss/listItemDetails.aspx?publicationID=1124

144

Les rapports de la GTZ

ABDELHALIM, Khaled, 2010, Participatory upgrading of informal areas: a decision-

makers’ guide for action, Cairo, GTZ, 73 p.

GTZ, 2010, Improving informal areas in Greater Cairo: the cases of Ezzbet Al Nasr &

Dayer El Nahia, Berlin, GTZ, 86 p.

KIPPER, Regina, FISCHER, Marion (ed.), 2009, Cairo’s informal areas between urban

challenges and hidden potentials, facts, voices, visions, Cairo, GTZ, 223 p.

Journaux utilisés

- Journaux égyptiens

Al Ahram Hebdo : hebdomadaire fondé en 1993, il n‟est pas d‟une excellente qualité mais

permet d‟avoir un bon aperçu de l‟actualité égyptienne en langue française

Al Ahram Weekly : il est d‟une meilleure qualité que son équivalent francophone.

Al Masry al Youm : l‟un des quotidiens les plus populaires en Égypte. Fondé en 2004, ce

journal était réputé pour être proche de l‟opposition au président Moubarak. Le site

internet propose une version anglaise.

Le Progrès égyptien

- Journaux français

Le Monde

Libération

145

Filmographie

DEMORIS, Emmanuelle, Mafrouza, Production « Les films de la villa », Distribution

« Shellac », sortie en salle le 15 juin 2011, 14 heures 23 minutes réparties en cinq

parties (1 : Mafrouza-oh la nuit ! ; 2 : Mafrouza/cœur , 3 : Que faire ? ; 4 : La main du

papillon ; 5 : Paraboles)

- Ce documentaire exceptionnel a été réalisé dans un bidonville d‟Alexandrie située sur une

nécropole gréco-romaine. Le tournage a duré deux ans, au début des années 2000. Le

bidonville a été rasé en 2007. Le film rend compte de façon très juste de la précarité de la

vie des habitants de ce quartier. Emmanuelle Demoris dit au sujet du film « Il y a eu ce

choix d‟une durée inhabituelle […] il m‟est apparu que le temps passait à Mafrouza d‟une

façon singulière. Que les gens vivent au jour le jour, c‟était une donnée de base tenant à la

précarité de la vie matérielle. Mais il y avait plus. Il y avait une façon de faire durer le

présent, qui lui donnait une densité inhabituelle très forte. »