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enquêtes ÉTATS-UNIS New York Boston Los Angeles San Francisco Houston BRÉSIL Rio de Janeiro EN COUVERTURE LES CAPITALES DE LA SANTÉ Enperte devitesse Émergentes Incontournables Boston,SanFrancisco,Shanghai,TelAviv… Faceàdesécosystèmesd’excellencedansla santé, la Franceperd du terrain dans la R& D pharmaceutique.Et tente dese ressaisir. PARGAËLLEFLEITOUR LA SANTÉDUFUTUR S’INVENTE HORSDEFRANCE académiques et de petites sociétés de biotechnologie. Elle est aussi délocalisée dans des « hubs », ces écosystèmes où se croise le top des big pharma, universités, start-up, hôpitaux et fonds d’investissement aux aguets. Résultat, c’est à Boston, à San Francisco, à Shanghai et à Tel Aviv que s’invente la santé de demain… [Lire nos reportages pages suivantes] L’Hexagone perd chaque année du terrain dans la com- pétition mondiale pour accueillir la recherche clinique, ces essais réalisés durant le développement d’un médicament afin de s’assurer de son efficacité et de sa non-toxicité. Trop de bureaucratie, de carcans, accusent les industriels… La France a pourtant lancé un «contrat unique » pour raccour- cir le délai de mise en place des essais dans les hôpitaux. « Il y a un manque de prévisibilité et de visibilité, observe Jérôme Bouyer, le patron France du laboratoire américain AbbVie. Il faut que la fiscalité soit plus incitative pour les investissements, la législation du travail plus flexible. Notre industrie a un niveau de risque qu’on ne retrouve dans aucun autre secteur ! Alors que d’autres aires géographiques pro- gressent à grands pas, nous devons être plus pragmatiques et ne pas opposer les gens. » Les échanges nourris qu’il observe entre les universités et les entreprises outre-Atlantique sont encore trop rares dans l’Hexagone. La France dispose pourtant de nombreux atouts. Un système de santé reconnu mondialement, des centres de recherche d’excellence, des écoles d’ingénieurs de renom, des groupes pharmaceutiques historiques réunis autour du G5… « Elle a une carte à jouer », assure Jérôme Bouyer. U n séisme. Quand GlaxoSmithKline (GSK) a annoncé le 24 septembre aux 67 salariés du laboratoire de Villebon-sur-Yvette (Essonne) qu’il allait fermer le site, ils ont senti le sol se dérober sous leurs pieds. C’était pourtant là, dans ce centre de R& D ouvert par l’anglais il y a près de trente ans, que le Cialis, le concurrent du Viagra, avait été découvert. La fermeture du laboratoire de GSK est la dernière opération en date, mais depuis trois ans les plans sociaux s’enchaînent dans la pharmacie française, sur un marché moribond. Rien qu’en 2013, 27 avaient été annoncés, avec 2 770 suppressions de poste. Si les fonctions support, commerciales et la production étaient jusqu’alors en première ligne, les chercheurs restaient relativement préservés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Plus inquiétant, les sup- pressions de poste s’accompagnent de fermetures de site. La recherche est externalisée ou délocalisée hors de France. GSK poursuivra bien ses essais de médicaments avec les hôpitaux français. Mais il abandonne, avec Villebon, son dernier centre français pour concentrer sa recherche sur deux sites : Stevenage au Royaume-Uni et Upper Providence aux États-Unis. Pendant ce temps, à Porcheville, dans les Yvelines, on se prépare à mettre la clé sous la porte. Spécialisé dans l’étude toxicolo- gique des médicaments, ce site avait été racheté en 2010 par l’américain Covance, un sous-traitant en R & D. Le repreneur s’était engagé à ne pas licencier durant cinq ans en échange de commandes de la part du vendeur, le groupe français Sanofi. Mais il n’a pas mis les moyens pour prendre le relais. D’ici à Noël, 135 salariés pourraient se retrouver sur le carreau. Autre cas: Pierre Fabre. Qui aurait pu imaginer que le laboratoire castrais, détenu par une fondation, sabrerait 534 postes en R & D et en promotion en fin d’année dernière ? Tropdebureaucratie L’innovation est le nerf de la guerre dans l’industrie pharma- ceutique, qui consacre en moyenne 15 à 20 % de ses revenus à la R & D. Trop longue, coûteuse et risquée, l’activité de décou- verte des médicaments est externalisée auprès de partenaires Tous droits de reproduction réservés PAYS : France PAGE(S) : 30,31 SURFACE : 200 % PERIODICITE : Hebdomadaire RUBRIQUE : Enquêtes DIFFUSION : 26554 JOURNALISTE : Gaëlle Fleitour 22 octobre 2015 - N°3441

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ÉTATS-UNIS

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ÉmergentesIncontournables

Boston,SanFrancisco,Shanghai,TelAviv…Faceà desécosystèmesd’excellencedans la santé,la Franceperddu terrain dans la R& Dpharmaceutique.Et tente dese ressaisir.PARGAËLLEFLEITOUR

LA SANTÉDUFUTURS’INVENTEHORSDEFRANCE

académiques et de petites sociétés de biotechnologie. Elle estaussi délocalisée dans des «hubs », ces écosystèmes où secroise le top des big pharma, universités, start-up, hôpitaux etfonds d’investissement aux aguets. Résultat, c’est àBoston, àSan Francisco, à Shanghai et à Tel Aviv que s’invente la santéde demain… [Lire nos reportages pages suivantes]

L’Hexagone perd chaque année du terrain dans la com-pétition mondiale pour accueillir la recherche clinique, cesessais réalisés durant le développement d’un médicamentafin de s’assurer de son efficacité et de sa non-toxicité. Tropde bureaucratie, de carcans, accusent les industriels… LaFrance a pourtant lancé un «contrat unique » pour raccour-cir le délai de mise en place des essais dans les hôpitaux.« Il y a un manque de prévisibilité et de visibilité, observeJérôme Bouyer, le patron France du laboratoire américainAbbVie. Il faut que la fiscalité soit plus incitative pour lesinvestissements, la législation du travail plus flexible. Notreindustrie a un niveau de risque qu’on ne retrouve dans aucunautre secteur ! Alors que d’autres aires géographiques pro-gressent àgrands pas, nous devons être plus pragmatiques etne pas opposer les gens. » Les échanges nourris qu’il observeentre les universités et les entreprises outre-Atlantique sontencore trop rares dans l’Hexagone.

La France dispose pourtant de nombreux atouts. Unsystème de santé reconnu mondialement, des centres derecherche d’excellence, des écoles d’ingénieurs de renom,des groupes pharmaceutiques historiques réunis autourdu G5… « Elle a une carte à jouer », assure Jérôme Bouyer.

Un séisme. Quand GlaxoSmithKline (GSK) aannoncéle 24 septembre aux 67 salariés du laboratoire deVillebon-sur-Yvette (Essonne) qu’il allait fermer le

site, ils ont senti le sol se dérober sous leurs pieds. C’étaitpourtant là, dans ce centre de R& D ouvert par l’anglais il ya près de trente ans, que le Cialis, le concurrent du Viagra,avait été découvert. La fermeture du laboratoire de GSK estla dernière opération en date, mais depuis trois ans les planssociaux s’enchaînent dans la pharmacie française, sur unmarché moribond. Rien qu’en 2013, 27 avaient été annoncés,avec 2 770 suppressions de poste. Si les fonctions support,commerciales et la production étaient jusqu’alors en premièreligne, les chercheurs restaient relativement préservés.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Plus inquiétant, les sup-pressions de poste s’accompagnent de fermetures de site. Larecherche est externalisée ou délocalisée hors de France. GSKpoursuivra bien ses essais de médicaments avec les hôpitauxfrançais. Mais il abandonne, avec Villebon, son dernier centrefrançais pour concentrer sa recherche sur deux sites: Stevenageau Royaume-Uni et Upper Providence aux États-Unis. Pendantce temps, à Porcheville, dans les Yvelines, on se prépare àmettre la clé sous la porte. Spécialisé dans l’étude toxicolo-gique des médicaments, ce site avait été racheté en 2010 parl’américain Covance, un sous-traitant en R& D. Le repreneurs’était engagé àne pas licencier durant cinq ans en échange decommandes de la part du vendeur, le groupe français Sanofi.Mais il n’a pas mis les moyens pour prendre le relais. D’ici àNoël, 135 salariés pourraient seretrouver sur le carreau. Autrecas: Pierre Fabre. Qui aurait pu imaginer que le laboratoirecastrais, détenu par une fondation, sabrerait 534 postes enR & D et en promotion en fin d’année dernière ?

TropdebureaucratieL’innovation est le nerf de la guerre dans l’industrie pharma-

ceutique, qui consacreen moyenne 15 à20 % de sesrevenus àla R& D. Trop longue, coûteuse et risquée, l’activité de décou-verte des médicaments est externalisée auprès de partenaires

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CORÉEDUSUD

PIA a facilité la naissance, àStrasbourg, d’un projet de R& Dcollaboratif de plusieurs millions d’euros pour la chirurgiemini-invasive guidée par la 3D. Et celle d’un démonstrateurde production en thérapie génique à l’AFM, l’association duTéléthon, qui suscite l’intérêt d’industriels du monde entier.En juin, le laboratoire américain Alexion a même implantéà Paris sa première équipe de R& D à l’étranger… dans leslocaux de l’institut Imagine, un centre public hors norme derecherche et de traitement des maladies génétiques.

Où devraient se concentrer les forces pour concurrencerces fameux hubs ? Christian Lajoux a sa petite idée sur laquestion. L’ancien patron France de Sanofi a repris il y asix mois les rênes de Medicen. Ce pôle de compétitivitéfrancilien, consacré depuis dix ans à la santé, souffrait desquerelles de chapelle et d’un manque de visibilité. Parmises 230 membres, les grands industriels étaient aux abon-nés absents. Il rassemble néanmoins 40 % de la recherchefrançaise, avec des structures de pointe et des PME inno-vantes. « En particulier dans l’imagerie, le numérique, leséquençage et les biomatériaux, qui sont les secteurs dela santé de demain », insiste Christian Lajoux. Il a décidéde prendre son bâton de pèlerin pour faire venir les géantsinternationaux de la santé. En s’appuyant sur un soutiende poids : Sanofi. Le troisième laboratoire pharmaceutiquemondial avait lui-même restructuré saR& D hexagonale il ya trois ans. Il entend désormais lui renouveler sa confiance,en multipliant les partenariats. Et refaire de la France unpôle d’innovation attractif. ❚❚

AbbVie a ainsi multiplié par trois ses études cliniquesdepuis trois ans. « La France est un terreau propice à desinnovations majeures, mais on y fait de la recherche fonda-mentale d’excellence dans l’espoir d’être publié ou d’obtenirle prix Nobel, estime Muriel Touaty, la patronne France duTechnion, un institut israélien de technologie. En Israël,c’est l’inverse : le chercheur est au service du marché. C’estpour cela que les fonds de capital-risque courent après lesstart-up israéliennes !»

Lapartie n’est pasperdueL’Hexagone aurait-il perdu la partie ? Pas si sûr, veut

croire Vincent Genet, l’un des associés de la société deconseil Alcimed. «La place parisienne a la capacité àattirerles talents, notamment de la génération Y. Mais elle doits’allier à d’autres filières, comme le génie informatique,le génie mathématique, la robotique ou bien encore lanutrition. Et drainer davantage de capitaux privés, ainsiqu’une politique volontariste pour définir des zones d’inves-tissement prioritaires. »

La volonté politique est là. Initié par Nicolas Sarkozy etpoursuivi par François Hollande, le Programme d’investis-sements d’avenir (PIA) consacre ainsi 1,5 milliard d’euros àla santé. Financement de projets de recherche en amont oumenés avec des industriels, fonds d’investissement dédiés,dont l’un de 100 millions d’euros annoncé le 5 octobre par laministre de la Santé pour soutenir des start-up innovantes…Ces interventions publiques ont un effet boule de neige. LeINFOGRAPHIE

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