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La théorie des ondes longues et le capitalisme contemporain Michel Husson Colloque Ernest Mandel, Bruxelles 19 novembre 2005 Le capitalisme a une histoire, qui ne fait pas que répéter un fonctionnement cyclique et conduit à la succession de périodes historiques, marquées par des caractéristiques spécifiques. La théorie des ondes longues développées par Ernest Mandel 1 conduit au repérage que l’on résume dans le tableau suivant. Tableau 1. La succession des ondes longues phase expansive phase récessive 1ère onde longue 1789-1816 1816-1847 2ème onde longue 1848-1873 1873-1896 3ème onde longue 1896-1919 1920-1919/45 4ème onde longue 1940/45-1967/73 les « Trente Glorieuses » 1968/73-> ? « la Crise » Le capitalisme connaît ainsi une alternance de phases expansives et de phases récessives. Cette présentation synthétique appelle quelques précisions. La première est qu’il ne suffit pas d’attendre 25 ou 30 ans. Si Mandel parle d’onde plutôt que de cycle, c’est bien que son approche ne se situe pas dans un schéma généralement attribué - et probablement à tort - à Kondratieff, de mouvements réguliers et alternés des prix et de la production 2 . L’un des points importants de la théorie des ondes longues est de rompre la symétrie des retournements : le passage de la phase expansive à la phase dépressive est « endogène », en ce sens qu’il résulte du jeu des mécanismes internes du système. Le passage de la phase dépressive à la phase expansive est au contraire exogène, non automatique, et suppose une reconfiguration de l’environnement social et institutionnel. L’idée clé est ici que le passage à la phase expansive n’est pas donné d’avance et qu’il faut reconstituer un nouvel « ordre productif ». Cela prend le temps qu’il faut, et il ne s’agit donc pas d’un cycle semblable au cycle conjoncturel dont la durée peut être reliée à la durée de vie du capital fixe. Voilà pourquoi cette approche ne confère aucune primauté aux innovations technologiques : dans la définition de ce nouvel ordre productif, les transformations sociales (rapport de forces capital-travail, degré de socialisation, conditions de travail, etc.) jouent un rôle essentiel. Le taux de profit Du côté de la production, il existe un fil directeur qui tient une place importante dans l'analyse de Mandel. C'est l'idée que la révolution technologique permanente conduit forcément à une croissance de la composition organique du capital, et cette approche s'inscrit dans une lecture assez orthodoxe de la baisse tendancielle du taux de profit. Dans le très intéressant texte adjoint à la réédition du Troisième âge 3 , Mandel synthétise ses principales thèses et en propose le résumé suivant : "La hausse de la composition organique du capital conduit à la chute tendancielle du taux moyen de profit. Celle- ci peut être partiellement compensée par diverses contre-tendances, la plus importante d'entre elles est la tendance à l'accroissement du taux de plus-value (le taux d'exploitation de la classe ouvrière) indépendamment du niveau des salaires réels (qui peuvent augmenter dans les mêmes circonstances, étant donné un taux suffisant d'accroissement de la productivité du travail). Cependant, à long terme, le taux de plus-value ne peut augmenter proportionnellement au taux d'accroissement de la composition organique du capital, et la plupart des contre-tendances tendent au moins périodiquement (et aussi à très long terme) à être supplantées à leur tour". Cette formulation classique n'est pas vraiment satisfaisante, pour plusieurs raisons. Encore une fois, la formulation concernant le taux de plus-value n'est pas claire. Ce dernier est déterminé par l'évolution relative du salaire réel et de la productivité du travail : cette dernière a pour effet de baisser la valeur de la force de travail à salaire réel donné, mais elle peut compenser une amélioration du niveau de vie des travailleurs, sans que cela se traduise par une baisse du taux d'exploitation. Il n'y a pas ici de loi générale selon laquelle le taux d'exploitation devrait ou non augmenter : cela dépend du rythme de la 1 Voir Ernest Mandel, Long waves of capitalist development, deuxième édition révisée, Verso, 1995. 2 Nicolas D. Kondratieff, Les grands cycles de la conjoncture, Economica, 1992. 3 "Variables partiellement indépendantes et logique interne dans l'analyse marxiste classique". Ce texte est paru initialement dans Ulf Himmelstrand, Interfaces in Economic & Social Analysis, Routledge, 1992.

Mandel Husson Colloque

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El artículo hace una revisión a la teoría de las ondas largas y adelanta algunas hipótesis trabajo sobre el actual periodo de la economía capitalista.

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  • La thorie des ondes longues et le capitalisme contemporain Michel Husson Colloque Ernest Mandel, Bruxelles 19 novembre 2005 Le capitalisme a une histoire, qui ne fait pas que rpter un fonctionnement cyclique et conduit la succession de priodes historiques, marques par des caractristiques spcifiques. La thorie des ondes longues dveloppes par Ernest Mandel1 conduit au reprage que lon rsume dans le tableau suivant. Tableau 1. La succession des ondes longues phase expansive phase rcessive 1re onde longue 1789-1816 1816-1847 2me onde longue 1848-1873 1873-1896 3me onde longue 1896-1919 1920-1919/45 4me onde longue 1940/45-1967/73

    les Trente Glorieuses 1968/73-> ? la Crise

    Le capitalisme connat ainsi une alternance de phases expansives et de phases rcessives. Cette prsentation synthtique appelle quelques prcisions. La premire est quil ne suffit pas dattendre 25 ou 30 ans. Si Mandel parle donde plutt que de cycle, cest bien que son approche ne se situe pas dans un schma gnralement attribu - et probablement tort - Kondratieff, de mouvements rguliers et alterns des prix et de la production2. Lun des points importants de la thorie des ondes longues est de rompre la symtrie des retournements : le passage de la phase expansive la phase dpressive est endogne , en ce sens quil rsulte du jeu des mcanismes internes du systme. Le passage de la phase dpressive la phase expansive est au contraire exogne, non automatique, et suppose une reconfiguration de lenvironnement social et institutionnel. Lide cl est ici que le passage la phase expansive nest pas donn davance et quil faut reconstituer un nouvel ordre productif . Cela prend le temps quil faut, et il ne sagit donc pas dun cycle semblable au cycle conjoncturel dont la dure peut tre relie la dure de vie du capital fixe. Voil pourquoi cette approche ne confre aucune primaut aux innovations technologiques : dans la dfinition de ce nouvel ordre productif, les transformations sociales (rapport de forces capital-travail, degr de socialisation, conditions de travail, etc.) jouent un rle essentiel. Le taux de profit Du ct de la production, il existe un fil directeur qui tient une place importante dans l'analyse de Mandel. C'est l'ide que la rvolution technologique permanente conduit forcment une croissance de la composition organique du capital, et cette approche s'inscrit dans une lecture assez orthodoxe de la baisse tendancielle du taux de profit. Dans le trs intressant texte adjoint la rdition du Troisime ge3, Mandel synthtise ses principales thses et en propose le rsum suivant : "La hausse de la composition organique du capital conduit la chute tendancielle du taux moyen de profit. Celle-ci peut tre partiellement compense par diverses contre-tendances, la plus importante d'entre elles est la tendance l'accroissement du taux de plus-value (le taux d'exploitation de la classe ouvrire) indpendamment du niveau des salaires rels (qui peuvent augmenter dans les mmes circonstances, tant donn un taux suffisant d'accroissement de la productivit du travail). Cependant, long terme, le taux de plus-value ne peut augmenter proportionnellement au taux d'accroissement de la composition organique du capital, et la plupart des contre-tendances tendent au moins priodiquement (et aussi trs long terme) tre supplantes leur tour". Cette formulation classique n'est pas vraiment satisfaisante, pour plusieurs raisons. Encore une fois, la formulation concernant le taux de plus-value n'est pas claire. Ce dernier est dtermin par l'volution relative du salaire rel et de la productivit du travail : cette dernire a pour effet de baisser la valeur de la force de travail salaire rel donn, mais elle peut compenser une amlioration du niveau de vie des travailleurs, sans que cela se traduise par une baisse du taux d'exploitation. Il n'y a pas ici de loi gnrale selon laquelle le taux d'exploitation devrait ou non augmenter : cela dpend du rythme de la 1 Voir Ernest Mandel, Long waves of capitalist development, deuxime dition rvise, Verso, 1995. 2 Nicolas D. Kondratieff, Les grands cycles de la conjoncture, Economica, 1992. 3 "Variables partiellement indpendantes et logique interne dans l'analyse marxiste classique". Ce texte est paru initialement dans Ulf Himmelstrand, Interfaces in Economic & Social Analysis, Routledge, 1992.

  • productivit du travail et du rapport de forces capital/travail. Il faut donc distinguer les deux composantes du taux de plus-value (salaire rel et productivit du travail) moins de se situer dans un cas trs particulier de maintien moyen terme du salaire rel. Mais, partir du moment o l'on introduit cette distinction, l'observation vaut aussi pour la composition organique du capital. Le rapport en valeur du capital constant au capital variable n'obit pas non plus une loi gnrale d'augmentation qui dcoulerait de l'accumulation du capital mort par rapport au capital vivant. Il y a trois raisons cela. La premire est que le capital mort transmet petit petit sa valeur aux marchandises produites. Le capital constant augmente avec l'accumulation, mais baisse avec ce transfert de valeur (lamortissement) de telle sorte que la composition organique aurait plutt tendance se stabiliser. Pour illustrer cette proposition, on peut imaginer une conomie o la dpense de travail, donc la valeur totale cre chaque anne, est constante, le taux de plus-value constant, et o toute la plus-value est accumule. Si le taux d'amortissement est constant, alors la composition organique du capital tend vers une constante4. Ce rsultat est assez simple saisir : en valeur, l'amortissement augmente proportionnellement au capital, tandis que la valeur nouvelle accumule est constante. La premire grandeur augmente jusqu' galer progressivement le surcrot (constant) de capital accumul et ce moment le capital constant n'augmente plus en valeur, puisque la quantit de valeur qu'on lui ajoute (l'accumulation) est gale ce qu'on lui retire (l'amortissement). On peut certes construire des exemples o la composition organique augmente indfiniment, mais cette tendance est obtenue comme sous-produit d'autres tendances que l'on ne peut considrer comme reprsentatives du fonctionnement normal du capitalisme, par exemple une augmentation de la partie accumule du produit social, o un allongement continu de la dure de vie du capital, etc. Ce rsultat heurte cependant l'intuition selon laquelle l'accumulation augmente le poids du capital relativement au travail. Cet alourdissement des combinaisons productives est un fait avr, mais il concerne la composition technique, dont la croissance n'entrane pas forcment celle de la composition en valeur. L'indicateur le plus simple est le capital par tte qui rapporte le stock de capital le nombre de machines si l'on veut aux effectifs employs ou au nombre total d'heures de travail. Mais, fera-t-on remarquer, un tel concept de "capital" dfini comme un stock de moyens de production est tranger la thorie marxiste et ne fait sens que dans la thorie no-classique. Une telle objection n'est cependant pas lgitime, parce qu'elle confond des problmes de mesure avec la critique d'un concept. Le concept de capital de la thorie marginaliste est certes critiquable, parce qu'il est cens prexister aux prix relatifs. Autrement dit, il devrait tre thoriquement possible de dterminer la quantit de cette substance particulire, de ce "facteur de production" que serait le capital en gnral, indpendamment des prix et donc de la rpartition. Cette exigence rsulte logiquement du fait qu'on va ensuite construire une thorie de la rpartition tablissant que le profit est dtermin par la productivit marginale du capital, le salaire refltant de manire symtrique la productivit marginale du travail. On reconnat la critique dite "cambridgienne" de la thorie du capital qui consiste dire que cette thorie est circulaire et que la mesure du capital physique ne peut prexister au systme de prix5. Tout ceci est parfaitement juste, mais n'a rien voir avec la possibilit de construire un agrgat baptis capital fixe. Personne ne discute la pertinence d'une notion de productivit du travail, qui suppose la mesure d'un produit "physique" en tant qu'agrgat, que "panier" de valeurs d'usage que l'on ne peut combiner qu' l'aide d'un systme de prix. Le stock de capital additionne quant lui des gnrations d'investissement et est redevable de conventions semblables, laquelle vient s'ajouter une loi raisonnable d'amortissement. Donc, le capital par tte augmente, et c'est un fait empirique qui ne fait l'objet d'aucune discussion. Pourquoi alors ne peut-on en dduire la tendance la hausse de la composition organique ? Cette impossibilit dcoule pour l'essentiel de l'action de la productivit du travail, ce qu'une formalisation minimale permet de percevoir (voir encadr). Le passage de la composition technique la composition organique dpend de l'volution de la productivit et du salaire rel. A taux de plus-value constant, la composition organique ne s'lve que si la composition technique du capital crot plus vite que la productivit du travail. En d'autres termes, l'identit entre les volutions de la composition technique et de la composition valeur ne peut tre tablie en toute gnralit. On ne peut donc invoquer une baisse tendancielle du taux de profit qui serait le reflet peu prs automatique dune lvation continue de la composition organique du capital.

    4 Si on appelle d le taux d'amortissement fixe, et m la fraction accumule de la valeur nouvelle, alors la composition organique tend vers une limite finie m/d. Avec un taux d'amortissement de 10 %, et un taux d'accumulation de 20 % de la valeur produite, la composition organique tend vers 2. 5 Pour une prsentation rcente, voir Grard Jorland, Les paradoxes du capital, Editions Odile Jacob, 1995, chap.8.

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  • Encadr Pour valuer le nombre d'heures de travail cristallises dans le capital fixe engag, on divise le volume de capital K par la productivit moyenne du travail dans la production des biens de capitaux. Comme il s'agit d'un assemblage de biens produits des poques diffrentes, il faut donc appliquer, non pas la productivit courante, mais la productivit moyenne de ces diffrentes gnrations. Si la dure de vie du capital est de T annes, son ge moyen est voisin de T/2, et on peut donc en premire approximation lui appliquer la productivit (prod) d'il y a T/2 annes. La valeur du capital constant est donc K/prodt-T/2. La valeur du capital variable est gal wN/prodt o w est la salaire rel, N les effectifs et prodt la productivit courante. La composition organique (CO) se calcule finalement selon la formule CO = [(K/N)/ prodt-T/2] / [w/ prodt]. Si le taux de plus-value [w/ prodt] est constant alors la composition organique (CO) n'augmente que si la composition technique (K/N) crot plus vite que la productivit moyenne du travail sur la priode, soit prodt-T/2. Il nen reste pas moins que le droul des ondes longues a quelque chose voir avec le taux de profit. Mais cela ne veut pas dire que la phase expansive se dclenche automatiquement ds que le taux de profit franchit un certain seuil. Cest l une condition ncessaire mais pas suffisante. Il faut que la manire dont se rtablit le taux de profit apporte en mme temps une rponse adquate dautres questions portant notamment sur la ralisation. Voil pourquoi la succession des phases nest en rien donne lavance. Priodiquement, le capitalisme doit redfinir les modalits de son fonctionnement et mettre en place un ordre productif , qui rponde de manire cohrente un certain nombre de questions quant laccumulation et la reproduction. Il faut en particulier combiner quatre lments6 : - un mode daccumulation du capital qui rgle les modalits de la concurrence entre capitaux et du rapport capital-travail ; - un type de forces productives matrielles ; - un mode de rgulation sociale : droit du travail, protection sociale, etc. ; - le type de division internationale du travail. Le taux de profit est cependant un bon indicateur synthtique de la double temporalit du capitalisme, comme y insistait Mandel. A court terme, il fluctue avec le cycle conjoncturel, tandis que ses mouvements de long terme rsument les grandes phases du capitalisme. La mise en place dun ordre productif cohrent se traduit par son maintien un niveau lev et peu prs garanti . Au bout dun certain temps, le jeu des contradictions fondamentales du systme dgrade cette situation, et la crise est toujours et partout marque par une baisse significative du taux de profit. Celle-ci reflte une double incapacit du capitalisme reproduire le degr dexploitation des travailleurs et assurer la ralisation des marchandises. La mise en place progressive dun nouvel ordre productif se traduit par un rtablissement plus ou moins rapide du taux de profit. Cest de cette manire quil nous semble utile de reformuler la loi de la baisse tendancielle du taux de profit : ce dernier ne baisse pas de manire continue mais les mcanismes qui le poussent la baisse finissent toujours par lemporter sur ce que Marx appelait les contre-tendances. Lexigence dune refonte de lordre productif rapparat donc priodiquement. Profit sans accumulation ? Cette discussion a des implications quant lanalyse de la configuration indite du capitalisme contemporain. Depuis le tournant no-libral intervenu au dbut des annes 80, la restauration incontestable du taux de profit na pas entran une augmentation durable et gnralise de laccumulation et de la croissance (graphique 1). La comparaison entre profit et accumulation permet de distinguer deux phases fortement contrastes. Jusquau dbut des annes 80, ces deux grandeurs varient de concert ; elles fluctuent des niveaux levs durant les annes 60 puis se mettent baisser, en deux temps, dabord les Etats-Unis, puis le Japon et lEurope. La reprise qui se situe entre les deux chocs ptroliers ne freine cette chute que de manire transitoire. Les deux autres courbes, celles de la croissance et de la productivit voluent en phase. Cest donc lensemble du cercle vertueux des annes fordistes qui se drgle. La dynamique du capital, mesure par ces quatre variables fondamentales, fait apparatre une grande cohrence, dans la prosprit comme dans la crise.

    6 pour une prsentation plus dtaille, voir Christian Barsoc, Les rouages du capitalisme, La Brche, 1994. http://hussonet.free.fr/rouages.pdf

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  • Graphique 1. Les courbes de lconomie mondiale 1961-2003

    61 63 65 67 69 71 73 75 77 79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03

    Profit Accumulation Croissance Productivit

    Moyennes pondres selon le PIB pour le G6 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie) Source : OCDE, Perspectives conomiques, 2003 Lhistoire des deux dernires dcennies peut alors se rsumer ainsi : le taux de profit tend se rtablir mais ne russit pas entraner les autres variables, ou seulement de manire transitoire. A la fin des annes 80, lconomie mondiale semble dope par le krach de 1987 et, contre toute attente, semble redmarrer de plus belle. La croissance reprend et, avec elle, laccumulation. Il est amusant de rappeler que cette priode est caractrise par un regain dintrt pour les cycles longs. Les articles de presse et les dclarations optimistes se multiplient alors, pour annoncer vingt nouvelles annes de croissance. Le soulagement davoir vit une crise profonde qui menaait depuis le tournant vers lconomie de loffre conduit une forme deuphorie que lon retrouvera un peu plus tard avec la nouvelle conomie . Les plus sceptiques se prparent presque, en leur for intrieur, admettre lentre dans une nouvelle phase. Encore plus que la foi dans les technologies, ce sont les rfrences au toyotisme qui jouent un rle idologique majeur dans ce climat. Le nouveau modle de travail semble tre la source de nouveaux gains de productivit, et sa gnralisation est perue comme le vecteur dun nouveau mode de rgulation. Il faut malheureusement dchanter assez vite. Le retournement seffectue ds le dbut des annes 90 (un peu avant la guerre du Golfe), et il conduit une rcession particulirement svre en Europe. Cest partir de ce moment aussi, mais on nen prendra conscience quun peu plus tard, que le Japon senlise dans une croissance peu prs nulle. Toujours sur ce mme graphique, on peut reprer lespoir suscit par la nouvelle conomie . La priode 1996-2000 est marque par une reprise trs marque de laccumulation qui semble pratiquement combler lcart avec le niveau atteint par le taux de profit. Mais, cette fois encore, le mouvement ne dure pas, et se retourne pour des raisons trs classiques. Il ne sest de toute manire pas tendu au reste du monde : la reprise en Europe a dautres ressorts que les nouvelles technologies et demeure un pisode conjoncturel. Enfin, sauf peut-tre aux Etats-Unis, la nouvelle conomie na pas qualitativement invers une tendance historique de ralentissement de la productivit du travail. Cest sans doute l que se trouve la cause profonde qui empche dentrer dans une nouvelle onde longue expansive. Lapproche marxiste de la dynamique longue du capital pourrait en fin de compte tre rsume de la manire suivante : la crise est certaine, mais la catastrophe ne lest pas. La crise est certaine, en ce sens que tous les arrangements que le capitalisme sinvente, ou quon lui impose, ne peuvent supprimer durablement le caractre dsquilibr et contradictoire de son fonctionnement. Seul le passage une autre logique pourrait dboucher sur une rgulation stable. Mais ces remises en cause priodiques qui scandent son histoire nimpliquent nullement que le capitalisme se dirige inexorablement vers leffondrement final. A chacune de ces grandes crises , loption est ouverte : soit le capitalisme est renvers, soit il rebondit sous des formes qui peuvent tre plus ou moins violentes (guerre, fascisme), et plus ou moins rgressives (tournant no-libral).

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  • Pas de solutions technologiques aux contradictions du capitalisme La productivit du travail mesure le volume de biens et de services produit par heure de travail et constitue donc une bonne approximation du degr de dveloppement des forces productives ; elle joue donc un rle dcisif dans la dynamique du capitalisme. Certes, lanalyse marxiste classique dcompose le taux de profit en deux lments : le taux dexploitation et la composition organique du capital ; mais ces deux grandeurs dpendent leur tour de la productivit du travail. Le taux dexploitation dpend de lvolution du salaire, et lefficacit du capital de celle du capital par tte, rapportes dans lun et autre cas la productivit du travail. De manire synthtique, on peut dire que le taux de profit va monter ou baisser selon que laugmentation du salaire rel est ou nest pas compense par lamlioration de la productivit globale des facteurs , dfinie comme une moyenne pondre de la productivit du travail et de la productivit du capital. Cest paradoxalement chez les partisans de la nouvelle conomie que lon assiste une rsurgence dun marxisme vulgaire, selon lequel la technique dcide de tout. Puisquil y a des nouvelles technologies, il doit donc y avoir aussi plus de productivit, plus de croissance et plus demplois. Cest sur ce raisonnement simpliste qua t construit la thorie du capitalisme patrimonial avance par Michel Aglietta7. Son hypothse fondamentale tait que la net conomie allait procurer au capitalisme une source renouvele de productivit permettant de stabiliser le taux de profit un niveau lev tout en redistribuant une partie du produit, non plus sous forme de salaire mais de rmunrations financires. Cest donc dans la plus belle tradition dun marxisme kominternien que les nouvelles technologies taient invoques comme la source automatique de nouveaux profits et mme dun nouveau modle social. Personne ne songerait videmment nier lampleur intrinsque des innovations dans le domaine de linformation et de la communication, mais ce sont les autres maillons du raisonnement qui font problme. Un prix Nobel, Robert Solow, a mme donn son nom un paradoxe qui consistait justement remarquer que linformatisation ne donnait pas lieu aux gains de productivit attendus. Apparemment, le rcent cycle de croissance aux Etats-Unis a mis fin ce paradoxe, puisque lon a enregistr un bond en avant des gains de productivit. Ce serait la base sur laquelle pourrait samorcer une nouvelle phase de croissance longue. Mais ce pronostic se heurte trois incertitudes. La premire porte sur la durabilit du phnomne aux Etats-Unis mmes : sagit-il dun cycle high tech, limit dans le temps ? La diffusion des gains de productivit peut-elle gagner lensemble des secteurs ? Le second doute, encore plus fort, concerne lextension possible de ce modle au reste du monde, dans la mesure o il repose sur la capacit particulire des Etats-Unis drainer les capitaux en provenance du monde, en contrepartie dun dficit commercial qui se creuse chaque anne. Enfin, et surtout on doit sinterroger sur la lgitimit du modle social, ingalitaire et rgressif, associ ces transformations du capitalisme. Ces interrogations peuvent tre claires par un autre constat : le retournement de la nouvelle conomie provient, trs classiquement, dune baisse du taux de profit. Cest pourquoi un conomiste qui a pourtant peu de choses voir avec le marxisme a pu affirmer : Marx is back 8. Le surcrot de productivit a en effet t chrement pay par un surinvestissement finalement coteux, qui a conduit une augmentation de la composition organique du capital, tandis que le taux dexploitation finissait par baisser. Gains de productivit et intensification du travail Il est une autre manire de questionner le lien entre innovations technologiques et gains de productivit, en montrant que ces derniers rsultent de mthodes trs classiques dintensification du travail. Les transformations induites par Internet, pour prendre cet exemple, nont quun rle accessoire dans la gense des gains de productivit. La commande en ligne fait gagner au mieux une journe par rapport au remplissage dun formulaire ou la consultation dun catalogue, pour une ractivit qui est rarement suprieure. Ce qui se passe ensuite dpend essentiellement de la chane dassemblage et de la capacit mettre en uvre une fabrication modulaire, et la viabilit de lensemble repose au bout du compte sur la qualit des circuits dapprovisionnement physiques. A partir du moment o elles ne sont pas elles-mmes transmissibles par Internet, les marchandises commandes doivent bien circuler en sens inverse. Lessentiel des gains de productivit ne dcoule donc pas du recours Internet en tant que tel, mais de la capacit faire travailler les salaris avec

    7 voir notamment Michel Aglietta, Le capitalisme de demain, Note de la Fondation Saint-Simon, 1998. 8 Patrick Artus, Karl Marx is back, CDC Flash n4, janvier 2002 http://hussonet.free.fr/marx2fr.pdf

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  • des horaires ultra-flexibles (sur la journe, sur la semaine ou sur lanne, en fonction du type de produit) et intensifier et fluidifier les rseaux dapprovisionnement, avec une prime aux livraisons individuelles et au transport routier. Bien des analyses du capitalisme contemporain adoptent ainsi une reprsentation idologique de la technique, qui vient constamment faire obstacle une tude raisonne de ce qui est vraiment nouveau. Cette idologie est dautant plus puissante quelle prend appui sur la fascination exerce par des technologies effectivement prodigieuses. Mais, du coup, elle biaise toutes les interprtations dans le sens dune sous-estimation systmatique du rle des processus de travail. Que ce soit dlibr ou non, le rsultat est atteint lorsque les enjeux sociaux des nouvelles technologies sont repousss dans les coulisses, au rang des vieilles questions sans intrt. On fabrique ainsi une reprsentation du monde, o les travailleurs du virtuel deviennent larchtype du salari du XXIme sicle, alors que la mise en uvre par le capital de ces nouvelles technologies fabrique au moins autant demplois peu qualifis que de postes dinformaticiens. Malgr tous les discours grandiloquents sur les stock options et lassociation de ces nouveaux hros du travail intellectuel la proprit du capital, les rapports de classe fondamentaux sont toujours des rapports de domination. La dvalorisation permanente du statut des professions intellectuelles, la dqualification ininterrompue des mtiers de la connaissance, tendent reproduire le statut de proltaire, et sopposent ainsi totalement des schmas nafs de monte universelle des qualifications et dmergence dun nouveau type de travailleur. Certes, on peut faire confiance aux nouveaux entrepreneurs pour rduire au minimum leurs dpenses et pour chercher imposer leurs revendications extravagantes en matire dorganisation du travail. Pourtant il aurait d sembler vident que bien des projets ne pouvaient accder la rentabilit. Cest ce que les multiples faillites de start-ups prometteuses sont venus dmontrer. Ce sont des arguments trs classiques de rentabilit qui ont rattrap la nouvelle conomie et dcid de la viabilit de ces entreprises. Le recours aux nouvelles technologies ntait donc pas en soi une garantie, ni un moyen magique dchapper aux contraintes de la loi de la valeur. La reproduction difficile Pour fonctionner de manire relativement harmonieuse, le capitalisme a besoin dun taux de profit suffisant, mais aussi de dbouchs. Mais cela ne suffit pas, et une condition supplmentaire doit tre satisfaite, qui porte sur la forme de ces dbouchs : ils doivent correspondre aux secteurs susceptibles, grce aux gains de productivit qui leur sont associs, de dgager une rentabilit la plus leve possible. Or, cette adquation est constamment remise en cause par lvolution des besoins sociaux. Dans la mesure o le blocage salarial sest impos comme le moyen privilgi de rtablissement du profit en Europe, la croissance possible tait a priori contrainte. Mais ce nest pas la seule raison, quil faut plutt trouver dans les limites de taille et de dynamisme de ces nouveaux dbouchs. La multiplication de biens innovants na pas suffit constituer un nouveau march dune taille aussi considrable que la filire automobile, qui entranait non seulement lindustrie automobile mais les services dentretien et les infrastructures routires et urbaines. Lextension relativement limite des marchs potentiels na pas non plus t compense par la croissance de la demande. Il manquait de ce point de vue un lment de bouclage important qui devait mener des gains de productivit des progressions rapides de la demande en fonction des baisses de prix relatives induites par les gains de productivit. On assiste ensuite une drive de la demande sociale, des biens manufacturs vers les services, qui correspond mal aux exigences de laccumulation du capital. Le dplacement se fait vers des zones de production (de biens ou de services) faible potentiel en productivit. Dans les coulisses de lappareil productif aussi, les dpenses de services voient leur proportion augmenter. Cette modification structurelle de la demande sociale est lune des causes essentielles du ralentissement de la productivit qui vient ensuite rarfier les opportunits dinvestissement rentables. Ce nest pas avant tout parce que laccumulation a ralenti que la productivit a elle-mme dclr. Cest au contraire parce que la productivit - en tant quindicateur de profits anticips - a ralenti, que laccumulation est son tour dcourage et que la croissance est bride, avec des effets en retour supplmentaires sur la productivit. Un autre lment prendre en considration est galement la formation dune conomie rellement mondialise qui, en confrontant les besoins sociaux lmentaires au Sud avec les normes de comptitivit du Nord, tend vincer les producteurs (et donc les besoins) du Sud.

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  • Dans ces conditions, la distribution de revenus ne suffit pas, si ceux-ci se dpensent dans des secteurs dont la productivit - infrieure ou croissant moins rapidement - vient peser sur les conditions gnrales de la rentabilit. Comme le transfert nest pas frein ou compens en raison dune relative saturation de la demande adquate, le salaire cesse en partie dtre un dbouch adapt la structure de loffre et cest une raison supplmentaire de le bloquer. Lingalit de la rpartition au profit de couches sociales aises (au niveau mondial galement) reprsente alors, jusqu un certain point, une issue la question de la ralisation du profit. Lenlisement du capitalisme dans une phase dpressive rsulte donc dun cart croissant entre la transformation des besoins sociaux et le mode capitaliste de reconnaissance, et de satisfaction, de ces besoins. Mais cela veut dire aussi que le profil particulier de la phase actuelle mobilise, peut-tre pour la premire fois dans son histoire, les lments dune crise systmique du capitalisme. On peut mme avancer lhypothse que le capitalisme a puis son caractre progressiste en ce sens que sa reproduction passe dornavant par une involution sociale gnralise. En tout cas, on doit constater que ses capacits actuelles dajustement se restreignent, dans ses principales dimensions, technologique, sociale et gographique. Si la technologie ne permet donc plus de modeler la satisfaction des besoins sociaux sous lespce de marchandises forte productivit, cela veut dire que ladquation aux besoins sociaux est de plus en plus menace et que les ingalits croissantes dans la rpartition des revenus deviennent la condition de ralisation du profit. Cest pourquoi le capitalisme est incapable de proposer un compromis institutionnalis acceptable, autrement dit un partage quitable des fruits de la croissance. Il revendique, dune manire compltement contradictoire avec le discours labor durant lAge dor des annes dexpansion, la ncessit de la rgression sociale pour soutenir le dynamisme de laccumulation. Il semble incapable, sans modification profonde des rapports de force, de revenir de lui-mme un partage plus quilibr de la richesse. Enfin, du point de vue gographique, le capitalisme a perdu sa vocation dextension en profondeur. Louverture de vastes marchs potentiels aprs la chute du Mur de Berlin na pas constitu le nouvel Eldorado imagin, et donc pas non plus le choc exogne salvateur. La structuration de lconomie mondiale tend renforcer les mcanismes dviction en contraignant les pays du Sud un impossible alignement sur des normes dhyper-comptitivit. De plus en plus, la figure harmonieuse de la Triade est remplace par des rapports conflictuels entre les trois ples dominants. Le dynamisme rcent des Etats-Unis ne jette pas les bases dun rgime de croissance qui pourrait ensuite se renforcer en stendant au reste du monde. Ses contreparties apparaissent de plus en plus videntes sous forme dtouffement de la croissance en Europe et au Japon. La priode ouverte par le dernier retournement conjoncturel est alors place sous le signe dune instabilit accrue de lconomie mondiale, avec une monte des tensions entre ses ples dominants. Bref, les possibilits de remodelage des trois dimensions (technologique, sociale, gographique) susceptibles de fournir le cadre institutionnel dune nouvelle phase expansive semblent limites et cette onde longue est vraisemblablement appele stirer dans la faible croissance. Pour paraphraser une formule clbre, le fordisme a sans doute reprsent le stade suprme du capitalisme , ce quil avait de mieux offrir. Le fait quil retire ostensiblement cette offre marque de sa part la revendication dun vritable droit la rgression sociale. Nouvelle conomie, nouvelle onde longue ? Sommes-nous entrs dans une nouvelle phase de croissance durable ? On peut rassembler les lments de rponse dj proposs en nonant de manire synthtique les ingrdients dune phase expansive : un niveau suffisamment lev du taux de profit et la reprise de laccumulation comme conditions immdiates ; un environnement relativement stable, notamment du point de vue de la structuration de lconomie mondiale, assurant les conditions de maintien du taux de profit ce niveau lev. Ce premier ensemble de conditions dfinit un schma de reproduction tablissant qui achte ce qui est produit. Il faut y ajouter des exigences de lgitimit sociale pour dfinir un ordre productif qui garantisse la reproduction gnrale du modle. Depuis la contre-rvolution no-librale, les dbats oscillent entre deux conceptions. Certains insistent sur la cohrence de ce projet, dautres sur ses imperfections et notamment linstabilit financire. Priodiquement, on annonce la mise en place dun nouveau modle. Le taux de profit a retrouv ses niveaux davant la crise. Les nouvelles technologies sont l. Nest-on pas entr dans un nouvel ordre productif ?

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  • Lanalyse propose ici dbouche sur cette conclusion : malgr le rtablissement du taux de profit, le capitalisme mondial nest pas entr dans une nouvelle phase expansive. Il lui manque essentiellement trois attributs : un ordre conomique mondial, des terrains daccumulation rentable suffisamment tendus et un mode de lgitimation sociale. La phase actuelle est particulirement tire, faute de boucler sur un ordre productif cohrent et sur une structuration stable de lconomie mondiale. Lanticapitalisme peut alors renatre sur la base du manque de lgitimit du modle. La grille thorique propose ici peut tre rapidement situe par rapport dautres approches. Elle ne soppose pas en tant que telle lapproche rgulationniste initiale et sa problmatique prsente bien des points communs : pour bien fonctionner, le capitalisme a besoin dun ensemble dlments constitutifs de ce que lon peut appeler un mode de rgulation ou un ordre productif. Limportant est de combiner lhistoricit et la possibilit de schmas de reproduction relativement stables. Mais il faut se sparer des travaux rgulationnistes de la deuxime gnration placs sous le signe de lharmonie spontane, et soucieux avant tout de dessiner les lignes dun nouveau contrat social, comme si ctait la logique naturelle de fonctionnement du capitalisme, et comme si celui-ci disposait en permanence dun stock de modes de rgulation o il suffirait de lencourager choisir le bon9. Cette approche se distingue galement dune interprtation marxiste trop monocausale faisant du taux de profit instantan lalpha et lomga de la dynamique du capital. Mais il faut surtout discuter les approches qui donnent une place disproportionne la technologie. Dans la thorie des ondes longues, il existe un lien organique entre la succession dondes longues et celle des rvolutions scientifiques et techniques, sans que cette mise en relation puisse se ramener une vision no-schumpeterienne o linnovation serait en soi la cl de louverture dune nouvelle onde longue. De ce point de vue, les mutations lies linformatique constituent nen pas douter un nouveau paradigme technico-conomique - pour reprendre la terminologie de Freeman et Lou dans leur remarquable ouvrage10 - mais cela ne suffit pas fonder une nouvelle phase expansive. Il est dautant plus urgent de prendre ses distances avec un certain scientisme marxiste que les avocats du capitalisme le reprennent leur compte en feignant de croire que la rvolution technologique en cours suffit dfinir un modle social cohrent. La thorie des ondes longues dbouche donc sur une critique radicale du capitalisme. Si celui-ci a autant de mal jeter les bases dun ordre productif relativement stable et socialement attractif, cest quil est confront une vritable crise systmique. Sa prosprit repose dornavant sur une exploitation aggrave des travailleurs, et sur la ngation dune grande partie des besoins sociaux. Arriv ce stade, les pressions quon peut exercer sur lui pour le faire fonctionner autrement, le rguler, doivent tre tellement fortes quelles se distinguent de moins en moins dun projet global de transformation sociale. Face ce capitalisme qui ressemble de plus en plus son concept, laspiration un peu de rgulation est lgitime. Mais il faut se garder dune double erreur dapprciation. Il faut dabord ne pas confondre le besoin de re-rgulation avec lillusion de la rgulation qui consiste penser que ce systme est rationnel et se laissera donc convaincre par un argumentaire bien construit. Une variante de cette illusion serait de se fixer la tche impossible de sparer le bon grain de livraie et de procurer une nouvelle raison dtre au capitalisme en le dbarrassant de lemprise de la finance. Ensuite, il faut admettre que la critique du capitalisme actuel ne peut se faire au nom dun fordisme mythifi auquel il sagirait de le ramener. Il nest bien sr pas interdit de sappuyer sur les acquis sociaux et la lgitimit dont ils jouissent, mais cest parfaitement insuffisant. Le dpassement de ces deux obstacles dessine une stratgie dont les intentions sont assez claires : la rsistance la marchandisation capitaliste conduit peu peu la construction dune nouvelle lgitimit, fonde sur des valeurs dgalit, de solidarit et de gratuit, qui remettent en cause le cur de la logique capitaliste. Parce quil refuse de rpondre positivement des demandes lmentaires et revient sur des droits acquis, le radicalisme du capital engendre ainsi une nouvelle radicalit des projets de transformation sociale.

    9 pour une critique de lcole de la rgulation, voir Michel Husson, L'cole de la rgulation, de Marx la Fondation Saint-Simon : un aller sans retour ? , in Jacques Bidet et Eustache Kouvelakis, Dictionnaire Marx contemporain, PUF, 2001 ; http://hussonet.free.fr/regula99.pdf 10 Christopher Freeman et Francisco Lou, As time goes by, From the Industrial Revolutions to the Information Revolution, Oxford University Press, 2002.

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    Nouvelle conomie, nouvelle onde longue?