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Marcel Cuttat déplace des foules, comme des centaines d'autres guérisseurs romands. ?ATRICK CHUARD M arcel Cuttat a paraît-il des mains miraculeuses, . «Elles trouvent au milli- mètre près l'endroit oü.quelquun a mal. il suffit que je vous touche la peau pour que mes mains voient à l'intérieur de votre corps», assure ce quinquagénaire à chemise bariolée, qui pratique des massages énergétiques. Chez lui, à Ecublens, il reçoit quelque dix patients par jour. il est l'un des 230 guérisseurs romands que re- cense le livre à succès de l'ethnolo- gue Magali Jenny (lire ci-contre). Marœl Cuttat a découvert ce don lorsqu'il travaillait comme ser- rurier et, plus tard, comme instal- lateur en chauffage. <<A l'époque,je soudais à l'aveugle, dit-il sur un débit rapide que syncope un solide accent vaudois. J'étais capable de voir à travers des plaques de mé- tal, et je ne me rendais méme pas compte que c'était extraordinaire» Un art multiple Guérisseur à son compte de- puis neuf ans, Marcel Cuttat est, ,selon Magali Jenny, un «inclassa- ble»: Son art est multiple: re- boutage, massages, reiki (une technique ile soins énergétiques venue du Japon), guérison à dis- tance, «secrets» pour guérir, sans compter le recours aux anges. A raison de quelques séances d'une heure, il assure pouvoir vous «re- mettre le sciatique, tous les nerfs ou les vertèbres en place». Mais il intervient aussi sur d'autres maladies, qu'il ressent avec acuité: «Quand je sens un caneer ou une maladie grave, mes mains commencent à trembler, dit-il Cela soulage la personne, mais moi ça me pompe beaucoup d'énergie» Précision: il ne guérit pas, mais «aide à guérir» car il a reçu «le message d'en-haut», il dit que les anges lui offrent parfois des «révélations» pendant qu'il soigne, et apportent «des messa- ges qui peuvent débloquer beau- coup de choses, changer une vie». Superstitions ou dons réels? Une certitude: les guérisseurs comme Marcel Cuttat connais- sent un incroyable engouement, le livre de Magali Jenny en témoi- gne. On a tous un parent ou un ami qui a consulté un rebouteux et qui assure s'en être trouvé mieux, ou guéri. Sans compter «les hémorragies stoppées suite à un appel à un faiseur de secret» ou ces histoires de «brûlures qui ne laissent ancune cicatriee quand on a appelé un barreur de feu», ajoute Magali Jenny. Cer- tains sont des stars, comme cet autre «inclassable», le magnéti- ••.•_~ •.•,ç... •.•.••••. ~l~i~ })Pnk v.inret ~ §~~~~~~~~~~--~~ •• Marcel Cuttat magnétise ses patients par le toucher. «Je peux agir à distance, mais cela demande beaucoup d'énergie, dit-il. Une fois, je suis tombé da~.J~~..Rommest» Lui-même m.ê.lade et en proie à des insomnies des années durant, le Vaudois assure s'être ~uéri lui-même. Les guérisseurs ont aussi leurs dètracteurs dans les milieux mé- dicaux, religieux ou simplement chez les sceptiques. Des accusa- tions de charlatanerie ne sont pas rares. Magali Jenny réfute le terme dans la majorité des cas: généralement, les guérisseurs ne demandent pas des sommes exor- bitantes ni ne prescrivent de mé- dicaments. Marcel Cuttat indique que son activité de guérisseur lui rapporte entre 8000 et 13000 francs par mois. Magali Jenny ajoute: «La distinction en- tre un bon et un mauvais guéris- seur n'est pas si difficile à faire, car le bouche à oreille, qui fonc- tionne si bien pour faire une réputation, peut tout aussi bien la défaire.» "Plus fort qu~ moi» Les guérisseurs dont elle dresse le portrait paraissent animés d'un sincère désir de soigner des gens, d'aider leur prochain. Ainsi Mar- cei Cuttat, qui se dit incapable de résister à la douleur des autres: «Des fois,j'essaie de dëeompres-. ser en partant faire des virées à moto, raconte-t-il. Mais si je ren- contre quelqu'un qui a mal et que je le ressens, c'est plus fort que moi, je propose de soigner, même sans être oavê» POOR «Cela force à rester humble» - Le travail des guérisseurs est-II complémentaire à celui des médecins? - Dans certains cas, oui. Certains types de pathologies conviennent mieux au do- maine d'action des rebouteux, comme les brûlures, les verrues ou les problèmes musculaires. - N'avez-vous pas le sentIment d'encourager de vieilles superstitions au détrIment de la logique? - Non. Celui qui connaît des rebouteux, comme moi, se rend compte de leur efficacité et obtient la preuve que ça marche. J'ai moi-méme consulté un magnétiseur pour faire disparaître des verrues ou des infIanunations des articulations. C'était extraordi- naire de voir l'action concrète. Les médecins doivent se ren- dre compte qu'ils ne sont pas les seuis aptes à traiter et à guérir des gens. - N'est-ce pas dangereux de favoriser une confusIon dans l'esprit des patients? ~ Phmppe - . Fontaine, . . . médecin J gé~éraliste _ / à Satigny (GE). - Ce serait dangereux si des eharlatans incitaient les gens à stopper des traitements médi- caux. Ce n'est jamais à exclure, mais, dans la pratique, ça n'est généralement pas le cas. Ces guérisseurs agissent la plupart du temps par altruisme, d'ailleurs certains se font payer, mais d'autres pas. - Comprenez-vous les critiques virulentes de certains de vos confrères? - Les guérisseurs posent de sérieuses questions aux méde- cins. Cela foree à rester hum- ble. .. L'humilité fait partie de ce métier. Beaucoup de choses inexplicables marchent, et tant pis si le médecin doit descendre de son piédestal. Cela ne me dérange pas, personnellement je n'y suis jamais monté! p_C. Best-seller romand depuis trois mois Publié en novembre, rOlNrage de ~ Magali Jenny s'est déjà vendu à 21400 exemplaires. Ilfigure toujours dans les trois meilleures ventes du moment «Honnête- ment, je ne m'attendais pas à un tel succès», avoue l'ethnologue fribourgeoise de :;J ans. Etucrl8J1te en anthropologie sociale à Berne, MagaliJenny avait consacré son mémoire de licence aux rebouteux fribourgeois en 2005. "Un sujet qui m'intéressait à titre personnel» Les Editions Favre ont flairé la bonne affaire en luiproposant de reprendre la matière de son travail universitaire et de rédiger un livre à l'échelle romande, qui soit accessible au grand public, en y joignant un fichier d'adresses. «ta démarche du livre est très diff~ rente de celle de mon mémoire, dit-elle. Le livre est expurgé dé la méthodologie scientifique.» Malgré cela, certains luireprochent de faire l'apologie des superstitions. «Je fais les mises au point néces- saires dans l'ouvrage. Cela dit, c'est vrai que mes portraits sont plutôt amicaux.» P. <: MagaliJenny, Guérisseut5, rebouteux et faiseurs de secret en SUISseromande, IOditionsFavre. CONTRE «Je n'ai jamais vu de miraculé!» - Le travail des guérisseurs est-il complémentaire à celui des médecins? - Franchement ... si un patieut vent tenter une nouvelle appro- che avec ml guérisseur, ça ne me dérange pas. Mais soyons honnéte, je ne crois pas qu'on en retire beaucoup de bénéfice. Je n'ai jamais VII de miraeulé grâce à l'intervention d'un guérisseur. Les histoires de verrues sont toujours fntêres- santes. Pour moi, l'explication rationnelle prime sans devoir faire appel au surnaturel: on sait que toutes les verrues disparaîssent généralement . au bout d'une annêe, - Les guérisseurs ont pourtant des réussites inalScutables à leur actif! - Oui, dans certains troubles fonctionnels. Ces gens n'auraient d'ailleurs pas autant de succès si leur taux de réus- site était proche de zéro. Mais quand on parle de tumeurs qui disparaissent de façon surnaturelle, par exemple, j'ai de sérieux doutes. mr-•• Phillppe Frefburghaus, médecin •••.. ..,--."...,'-.,._. généraliste à Corcelles (NE). - CertaIns de vos confrères recommandent pourtant de s'adresser à des rebouteux ou à des détenteurS du «SeCtet»' pour guérir des briilures.__ - Je ne peux pas comprendre cette démarche. 'Ç'est comme lorsque la fédération de médecine décide de soutenir des modules d'enseignement complémentaires en I)oméopa- thie, Je ne comprends pas non plus des phannaciens qui ont fait plus de cinq ans d"etudes pour comprendre comment un médicament interagit avec un récepteur et qui passent Jeurs journées à vendre de l'homéo- pathie! J'ai l'impression que les trois quarts du corps médical sont de mon avis. Mais n'est-œ pas devenu politiquement incorrect que de l'affirmer? p_(

Marcel Cuttat déplace des foules, comme descentaines d ... · Guérisseur à son compte de-puis neuf ans, Marcel Cuttat est,,selon MagaliJenny, un «inclassa-ble»: Son art est multiple:

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Page 1: Marcel Cuttat déplace des foules, comme descentaines d ... · Guérisseur à son compte de-puis neuf ans, Marcel Cuttat est,,selon MagaliJenny, un «inclassa-ble»: Son art est multiple:

Marcel Cuttat déplace des foules, comme des centaines d'autres guérisseurs romands.

?ATRICK CHUARD

Marcel Cuttat a paraît-ildes mains miraculeuses,

. «Elles trouvent au milli-mètre près l'endroit oü.quelquuna mal. il suffit que je vous touchela peau pour que mes mainsvoient à l'intérieur de votrecorps», assure ce quinquagénaireà chemise bariolée, qui pratiquedes massages énergétiques. Chezlui, à Ecublens, il reçoit quelquedix patients par jour. il est l'un des230 guérisseurs romands que re-cense le livre à succès de l'ethnolo-gue Magali Jenny (lire ci-contre).Marœl Cuttat a découvert ce

don lorsqu'il travaillait comme ser-rurier et, plus tard, comme instal-lateur en chauffage. <<Al'époque,jesoudais à l'aveugle, dit-il sur undébit rapide que syncope un solideaccent vaudois. J'étais capable devoir à travers des plaques de mé-tal, et je ne me rendais méme pascompte que c'était extraordinaire»

Un art multipleGuérisseur à son compte de-

puis neuf ans, Marcel Cuttat est,, selon Magali Jenny, un «inclassa-ble»: Son art est multiple: re-boutage, massages, reiki (unetechnique ile soins énergétiquesvenue du Japon), guérison à dis-tance, «secrets» pour guérir, sanscompter le recours aux anges. Araison de quelques séances d'uneheure, il assure pouvoir vous «re-mettre le sciatique, tous les nerfsou les vertèbres en place».Mais il intervient aussi sur

d'autres maladies, qu'il ressentavec acuité: «Quand je sens uncaneer ou une maladie grave, mesmains commencent à trembler,dit-il Cela soulage la personne,mais moi ça me pompe beaucoupd'énergie» Précision: il ne guéritpas, mais «aide à guérir» car il areçu «le message d'en-haut», il ditque les anges lui offrent parfoisdes «révélations» pendant qu'ilsoigne, et apportent «des messa-ges qui peuvent débloquer beau-coup de choses, changer une vie».Superstitions ou dons réels?

Une certitude: les guérisseurscomme Marcel Cuttat connais-sent un incroyable engouement,le livre de Magali Jenny en témoi-gne. On a tous un parent ou unami qui a consulté un rebouteuxet qui assure s'en être trouvémieux, ou guéri. Sans compter«les hémorragies stoppées suite àun appel à un faiseur de secret»ou ces histoires de «brûlures quine laissent ancune cicatrieequand on a appelé un barreur defeu», ajoute Magali Jenny. Cer-tains sont des stars, comme cetautre «inclassable», le magnéti-••.•_~•.•,ç...•.•.••••.~l~i~ })Pnk v.inret

~§~~~~~~~~~~--~~ ••Marcel Cuttat magnétise ses patients par le toucher. «Je peux agir à distance, mais cela demande beaucoup d'énergie, dit-il. Une fois, je suistombé da~.J~~..Rommest»Lui-même m.ê.lade et en proie à des insomnies des années durant, le Vaudois assure s'être ~uéri lui-même.

Les guérisseurs ont aussi leursdètracteurs dans les milieux mé-dicaux, religieux ou simplementchez les sceptiques. Des accusa-tions de charlatanerie ne sont pasrares. Magali Jenny réfute leterme dans la majorité des cas:généralement, les guérisseurs nedemandent pas des sommes exor-bitantes ni ne prescrivent de mé-dicaments. Marcel Cuttat indiqueque son activité de guérisseur luirapporte entre 8000 et13 000 francs par mois. MagaliJenny ajoute: «La distinction en-tre un bon et un mauvais guéris-seur n'est pas si difficile à faire,car le bouche à oreille, qui fonc-tionne si bien pour faire uneréputation, peut tout aussi bien ladéfaire.»

"Plus fort qu~ moi»Les guérisseurs dont elle dresse

le portrait paraissent animés d'unsincère désir de soigner des gens,d'aider leur prochain. Ainsi Mar-cei Cuttat, qui se dit incapable derésister à la douleur des autres:«Des fois, j'essaie de dëeompres-.ser en partant faire des virées àmoto, raconte-t-il. Mais si je ren-contre quelqu'un qui a mal et queje le ressens, c'est plus fort quemoi, je propose de soigner, mêmesans être oavê»

POOR«Cela force à rester humble»- Le travail des guérisseursest-II complémentaire à celuides médecins?- Dans certains cas, oui.Certains types de pathologiesconviennent mieux au do-maine d'action des rebouteux,comme les brûlures,les verrues ou les problèmesmusculaires.- N'avez-vous pas le sentImentd'encourager de vieillessuperstitions au détrImentde la logique?- Non. Celui qui connaît desrebouteux, comme moi, serend compte de leur efficacitéet obtient la preuve que çamarche. J'ai moi-mémeconsulté un magnétiseur pourfaire disparaître des verruesou des infIanunations desarticulations. C'était extraordi-naire de voir l'action concrète.Les médecins doivent se ren-dre compte qu'ils ne sont pasles seuis aptes à traiter et àguérir des gens.- N'est-ce pas dangereuxde favoriser une confusIondans l'esprit des patients?

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Phmppe- . Fontaine,

. . . médecinJ gé~éraliste

_ / à Satigny (GE).

- Ce serait dangereux si deseharlatans incitaient les gens àstopper des traitements médi-caux. Ce n'est jamais à exclure,mais, dans la pratique, ça n'estgénéralement pas le cas. Cesguérisseurs agissent la plupartdu temps par altruisme,d'ailleurs certains se font payer,mais d'autres pas.- Comprenez-vous les critiquesvirulentes de certainsde vos confrères?- Les guérisseurs posent desérieuses questions aux méde-cins. Cela foree à rester hum-ble. .. L'humilité fait partie dece métier. Beaucoup de chosesinexplicables marchent, et tantpis si le médecin doit descendrede son piédestal. Cela ne medérange pas, personnellementje n'y suis jamais monté! p_C.

Best-seller romanddepuis trois moisPublié en novembre, rOlNrage de ~Magali Jenny s'est déjà vendu à21 400 exemplaires. Ilfiguretoujours dans les trois meilleuresventes du moment «Honnête-ment, je ne m'attendais pas à untel succès», avoue l'ethnologuefribourgeoise de :;J ans. Etucrl8J1teen anthropologie sociale à Berne,Magali Jenny avait consacré sonmémoire de licence aux rebouteuxfribourgeois en 2005. "Un sujetqui m'intéressait à titre personnel»Les Editions Favre ont flairé labonne affaire en lui proposant dereprendre la matière de son travailuniversitaire et de rédiger un livreà l'échelle romande, qui soitaccessible au grand public, en yjoignant un fichier d'adresses. «tadémarche du livre est très diff~rente de celle de mon mémoire,dit-elle. Le livre est expurgé dé laméthodologie scientifique.» Malgrécela, certains lui reprochent defaire l'apologie des superstitions.«Je fais les mises au point néces-saires dans l'ouvrage. Cela dit,c'est vrai que mes portraits sontplutôt amicaux.» P. <:Magali Jenny, Guérisseut5,rebouteux et faiseurs de secret enSUISseromande, IOditionsFavre.

CONTRE«Je n'ai jamais vu de miraculé!»- Le travail des guérisseursest-il complémentaire à celuides médecins?- Franchement ... si un patieutvent tenter une nouvelle appro-che avec ml guérisseur, ça neme dérange pas. Mais soyonshonnéte, je ne crois pas qu'onen retire beaucoup de bénéfice.Je n'ai jamais VII de miraeulégrâce à l'intervention d'unguérisseur. Les histoires deverrues sont toujours fntêres-santes. Pour moi, l'explicationrationnelle prime sans devoirfaire appel au surnaturel:on sait que toutes les verruesdisparaîssent généralement. au bout d'une annêe,- Les guérisseurs ont pourtantdes réussites inalScutablesà leur actif!- Oui, dans certains troublesfonctionnels. Ces gensn'auraient d'ailleurs pas autantde succès si leur taux de réus-site était proche de zéro. Maisquand on parle de tumeursqui disparaissent de façonsurnaturelle, par exemple,j'ai de sérieux doutes.

mr-•• PhillppeFrefburghaus,médecin

•••....,--."...,'-.,._. généraliste àCorcelles (NE).

- CertaIns de vos confrèresrecommandent pourtantde s'adresser à des rebouteuxou à des détenteurS du «SeCtet»'pour guérir des briilures.__- Je ne peux pas comprendrecette démarche. 'Ç'est commelorsque la fédération demédecine décide de soutenirdes modules d'enseignementcomplémentaires en I)oméopa-thie, Je ne comprends pas nonplus des phannaciens qui ontfait plus de cinq ans d"etudespour comprendre comment unmédicament interagit avec unrécepteur et qui passent Jeursjournées à vendre de l'homéo-pathie! J'ai l'impression que lestrois quarts du corps médicalsont de mon avis. Mais n'est-œpas devenu politiquementincorrect que de l'affirmer? p_(