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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/4 Marine Le Pen en plein conflit d'intérêts au Parlement européen PAR LUDOVIC LAMANT ET MARINE TURCHI ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 18 JUILLET 2013 Au Front national, les liens politiques, financiers et familiaux s’entremêlent, à la lisière de la légalité. Alors qu'elle n'a de cesse de dénoncer le népotisme et les conflits d'intérêts de la classe politique, Marine Le Pen salarie depuis l'été 2011 comme assistant au parlement européen son compagnon et numéro deux du parti, à qui elle verse plus de 5 000 euros brut par mois, pour un temps partiel. Aux yeux de l'institution, l'embauche de Louis Aliot pose question, à plusieurs titres : d'après nos informations, la présidente du FN a dû répondre, à l'été 2012, à une enquête des services financiers du parlement. [[lire_aussi]]Selon le contrat de travail, signé à Nanterre le 1 er juillet 2011 entre Marine Le Pen et Louis Aliot, et que Mediapart s'est procuré (voir ci-dessous), le vice-président du FN est rémunéré à hauteur de 5 006,95 euros brut. Une somme particulièrement généreuse, alors que Louis Aliot n'est ici employé qu'à temps partiel : 17,5 heures par semaine (voire, parfois, « 19,25 heures par semaine, heures complémentaires comprises »). Cette embauche a attiré l'attention du Parlement européen l'été dernier. Selon nos informations, les services financiers de l'hémicycle ont demandé, dans un courrier daté du 25 juillet 2012, des explications à la présidente du FN sur le contrat, en s’appuyant sur l'article 43 d'un règlement du Parlement européen entré en vigueur en juillet 2009. Celui- ci stipule que l'enveloppe mise à disposition par le parlement, pour chaque eurodéputé, ne peut pas « financer les contrats permettant l'emploi ou l'utilisation des services des conjoints des députés ou de leurs partenaires stables non matrimoniaux ». Marine Le Pen s'est défendue, dans un courrier daté du 18 septembre 2012, que le Front national nous a transmis. Elle refuse de considérer Louis Aliot comme un « conjoint » ou « partenaire stable non matrimonial ». « Je ne suis ni mariée à Louis Aliot, ni liée avec lui par un Pacte civil de solidarité (PACS, ndlr), ni par une déclaration fiscale commune, ni par un quelconque statut reconnu par l’État français, toujours au titre de l’article 58 » des mesures d’application du statut des députés au Parlement européen, écrit-elle. Si Marine Le Pen et Louis Aliot ne sont effectivement pas mariés, ils ne cachent pas leur relation. Pendant la campagne présidentielle de 2012, le couple a posé dans Paris Match, et s'est exprimé sur le sujet dans plusieurs médias (exemples dans l’émission de Thierry Ardisson, dans Le Parisien, Rue89, ou encore Le Nouvel Obs). L'article paru dans Paris Match (février 2012). © Capture d'écran Paris Match Plus problématique encore, Marine Le Pen est liée à Louis Aliot au sein d'une société civile immobilière (SCI) qui lui a permis d'acheter en 2010, avec son compagnon, une maison à Millas, près de Perpignan, où Aliot, docteur en droit, a installé son cabinet d'avocat. Voici le document, où la présidente du FN apparaît sous son prénom d'état civil, Marion : Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit. Contacté, Louis Aliot se défend avec les mêmes arguments que Marine Le Pen. Il plaide le caractère juridiquement informel de sa relation avec elle et estime donc n'être « pas concerné par ce texte ». Quant à l'existence de la SCI détenue en commun, il se contente d'affirmer que sa « situation de copropriétaire » – « Millas étant ma résidence principale » – est « connue par le Parlement européen et évoquée dans son courrier » et qu'elle « n'a aucune

Marine Le Pen en Plein Conflit d'Intérêts Au Parlement Européen

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PAR LUDOVIC LAMANT ET MARINE TURCHIARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 18 JUILLET 2013MEDIAPART

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Marine Le Pen en plein conflit d'intérêtsau Parlement européenPAR LUDOVIC LAMANT ET MARINE TURCHIARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 18 JUILLET 2013

Au Front national, les liens politiques, financierset familiaux s’entremêlent, à la lisière de lalégalité. Alors qu'elle n'a de cesse de dénoncerle népotisme et les conflits d'intérêts de la classepolitique, Marine Le Pen salarie depuis l'été2011 comme assistant au parlement européen soncompagnon et numéro deux du parti, à qui elle verseplus de 5 000 euros brut par mois, pour un tempspartiel. Aux yeux de l'institution, l'embauche de LouisAliot pose question, à plusieurs titres : d'après nosinformations, la présidente du FN a dû répondre, àl'été 2012, à une enquête des services financiers duparlement.

[[lire_aussi]]Selon le contrat de travail, signé à

Nanterre le 1er juillet 2011 entre Marine Le Penet Louis Aliot, et que Mediapart s'est procuré (voirci-dessous), le vice-président du FN est rémunéréà hauteur de 5 006,95 euros brut. Une sommeparticulièrement généreuse, alors que Louis Aliot n'estici employé qu'à temps partiel : 17,5 heures parsemaine (voire, parfois, « 19,25 heures par semaine,heures complémentaires comprises »).

Cette embauche a attiré l'attention du Parlementeuropéen l'été dernier. Selon nos informations, lesservices financiers de l'hémicycle ont demandé, dansun courrier daté du 25 juillet 2012, des explicationsà la présidente du FN sur le contrat, en s’appuyantsur l'article 43 d'un règlement du Parlementeuropéen entré en vigueur en juillet 2009. Celui-ci stipule que l'enveloppe mise à disposition parle parlement, pour chaque eurodéputé, ne peutpas « financer les contrats permettant l'emploi oul'utilisation des services des conjoints des députés oude leurs partenaires stables non matrimoniaux ».

Marine Le Pen s'est défendue, dans un courrier datédu 18 septembre 2012, que le Front national nousa transmis. Elle refuse de considérer Louis Aliotcomme un « conjoint » ou « partenaire stable non

matrimonial ». « Je ne suis ni mariée à Louis Aliot, niliée avec lui par un Pacte civil de solidarité (PACS,ndlr), ni par une déclaration fiscale commune, nipar un quelconque statut reconnu par l’État français,toujours au titre de l’article 58 » des mesuresd’application du statut des députés au Parlementeuropéen, écrit-elle.

Si Marine Le Pen et Louis Aliot ne sont effectivementpas mariés, ils ne cachent pas leur relation. Pendantla campagne présidentielle de 2012, le couple aposé dans Paris Match, et s'est exprimé sur le sujetdans plusieurs médias (exemples dans l’émissionde Thierry Ardisson, dans Le Parisien, Rue89, ouencore Le Nouvel Obs).

L'article paru dans Paris Match (février2012). © Capture d'écran Paris Match

Plus problématique encore, Marine Le Pen est liée àLouis Aliot au sein d'une société civile immobilière(SCI) qui lui a permis d'acheter en 2010, avec soncompagnon, une maison à Millas, près de Perpignan,où Aliot, docteur en droit, a installé son cabinetd'avocat. Voici le document, où la présidente du FNapparaît sous son prénom d'état civil, Marion :

Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit.

Contacté, Louis Aliot se défend avec les mêmesarguments que Marine Le Pen. Il plaide le caractèrejuridiquement informel de sa relation avec elle etestime donc n'être « pas concerné par ce texte ».Quant à l'existence de la SCI détenue en commun,il se contente d'affirmer que sa « situation decopropriétaire » – « Millas étant ma résidenceprincipale » – est « connue par le Parlement européenet évoquée dans son courrier » et qu'elle « n'a aucune

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incidence ». Il estime que le Parlement « a entérinéla validité » de son contrat, puisqu'il n'a effectuéaucune réclamation supplémentaire depuis l'échangede courriers avec Marine Le Pen l'an dernier.

Pour Gérard Onesta, un ancien vice-président duparlement européen, qui fut l'un des principauxrédacteurs du statut des assistants aujourd'hui envigueur, le texte est « fluctuant » en ce qui concerneles règles sur l'embauche de son partenaire commeassistant : « Nous ne voulions pas faire la "police desbraguettes" – c'est l'expression qui avait été utiliséedans les débats à l'époque. Nous avons donc décidéque l'on renvoyait aux règles légales en vigueur dansle pays dont est originaire l'eurodéputé. » Un floujuridique qui profite au couple Le Pen-Aliot.

L'existence d'une SCI en commun confirme en toutcas que Marine Le Pen et Louis Aliot sont aussi liésfinancièrement, à travers cet achat, au regard de laloi française. Mais là encore, Aliot nie tout conflitd'intérêts : « Ce serait un conflit d’intérêts si ce n’étaitpas une SCI », plaide le vice-président du FN, sans endire davantage (lire notre boîte noire).

Pendant la campagne, les deux vice-présidents du FN salariés par Le Pen auParlement européen

Dans leur courrier de juillet 2012, les servicesdu parlement s’interrogent également sur larémunération, jusqu'au 30 juin 2012, de l’autreassistant de Marine Le Pen à Strasbourg : FlorianPhilippot, son bras droit au FN et vice-présidenten charge de la stratégie et de la communication.Les experts du parlement rappellent que les fondsdébloqués pour financer le travail des assistantsparlementaires ne peuvent pas servir à financer unecampagne électorale. Or, ils notent que Louis Aliotcomme Florian Philippot furent, pendant la campagneprésidentielle, les deux directeurs de campagne deMarine Le Pen, mais aussi les deux porte-parole du FNpour les législatives. Le premier, fondateur du think-tank du FN Idées Nation, fut même le responsable duprojet présidentiel.

Tout cela contrevient, à leurs yeux, à l'article62 du même règlement définissant les « mesuresd'application du statut des députés » : le texteprécise que les fonds débloqués pour rémunérerles assistants « sont exclusivement réservés aufinancement d'activités liées à l'exercice du mandatdes députés et ne peuvent couvrir des frais personnels». Et en aucun cas une campagne électorale.

Louis Aliot et Marine Le Pen à l'universitéd'été du FN, en septembre 2011, à Nice. © Reuters

Si l'infraction était avérée dans l'un des deuxcas – utilisation des fonds parlementaires pour lacampagne présidentielle, ou rémunération de sonconjoint –, Marine Le Pen devrait remboursertout ou partie de ces sommes, prévient leparlement (pour un aperçu complet des trois textesréglementaires encadrant les assistants locaux, lirel'onglet Prolonger).

Dans son courrier de septembre 2012, la présidente duFN conteste là encore point par point l'argumentationdes services financiers. « La durée horaire modestede leurs contrats d'assistance parlementaire permetde concilier deux activités professionnelles », estimeMarine Le Pen. Elle explique notamment queFlorian Philippot, alors qu'il était assistant localà mi-temps, bénéficiait par ailleurs d'un « contratcomplémentaire » lié à la campagne. ConcernantLouis Aliot, elle assure qu'il conciliait « son mi-tempsprofessionnel avec ses responsabilités bénévoles dans(sa) campagne présidentielle ». Preuve, à ses yeux,que leurs deux activités étaient bien distinctes.

« J'effectue une mission d'attaché parlementaireà mi-temps notamment par le suivi de toutes lesquestions institutionnelles, ainsi que par le suivi derelations internationales concernant la zone ACP(Afrique Caraïbes Pacifique, ndlr) et les Dom-Com (départements et collectivités d'outre-mer, ndlr),

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dans le strict respect du statut et des obligationsprofessionnelles des collaborateurs de députés », nousa précisé Louis Aliot par mail, en soulignant qu'ilétait « docteur en droit public, avocat et spécialiste desquestions institutionnelles et constitutionnelles ».

Contacté par Mediapart, Florian Philippot préfèrequant à lui renvoyer la balle au conseiller aux affaireseuropéennes de Marine Le Pen, Ludovic de Danne,sans donner de détails sur la nature de son travailcomme assistant, ni la date de son départ : « Voyez toutcela avec lui, je n’ai absolument pas tout cela en tête.Je suis parti il y a plus d'un an, mais je ne sais plusquel mois exactement. »

Marine Le Pen entourée de ses deux vice-présidents, FlorianPhilippot et Louis Aliot, au siège du FN, le 6 octobre 2011. © dr

En rémunérant confortablement deux de ses piècesmaîtresses pendant les campagnes présidentielle etlégislative, le Front national a clairement utilisé lamanne européenne pour soulager ses finances. Carjusqu’aux élections de 2012, le parti était criblé dedettes. À la suite de ses législatives ratées en 2007 (quiavait entraîné la réduction de sa subvention publiquede 4,5 millions à 1,8 million d’euros), et après uncoûteux conflit avec son imprimeur Ferdinand LeRachinel (qui réclamait ses 7 millions d’euros prêtésau parti), le FN avait accumulé, en 2010, une dettecolossale de près de 10 millions d’euros. Les micro-partis des Le Pen (Cotelec et Jeanne) et la vente du« Paquebot », son siège historique, en avril 2011,pour 10 millions d’euros, avaient permis au FN de semaintenir la tête hors de l’eau, jusqu'aux législativesde 2012, où il a pu se renflouer.

Toujours d'après nos informations, les servicesfinanciers du Parlement ont un temps envisagéd'éplucher le détail des agendas des deux directeursde campagne de Marine Le Pen pendant la campagneprésidentielle, pour vérifier ses dires. Mais ils ontchoisi, pour l'heure, de classer l'affaire, jugeant que laprésidente du FN profitait d'un certain flou juridiqueconcernant la catégorie des assistants « locaux ».

Au parlement européen, chacun des 764 élus disposed'une enveloppe maximale de 21 000 euros parmois, pour employer des assistants. Certains sont «accrédités » (leur nombre peut aller jusqu'à trois), ettravaillent entre les murs du parlement, à Bruxelles etStrasbourg. Ce sont eux, généralement, qui détiennentune expertise sur certains dossiers dont l'élu estspécialiste. D’autres sont des assistants « locaux »,qui travaillent pour le député dans la circonscriptionlocale (c'est le cas d'Aliot aujourd'hui et de Philippotjusqu'au 30 juin 2012, à l'issue des législatives). À ladifférence des premiers, leur nombre n'est pas limité,et leur contrat obéit au droit de l'État membre dont estoriginaire l'élu.

Outre Louis Aliot, Marine Le Pen emploie aujourd'huideux assistants « accrédités » à Bruxelles. Depuis unerefonte du règlement entrée en vigueur en 2009, lecadre légal des assistants a profondément changé, maisil reste, de manière générale, bien plus difficile pour leparlement de contrôler l'activité des assistants locauxque celle des assistants accrédités.

Les choses sont tout de même en train d'évoluer. Enseptembre 2012, le parlement a communiqué des «lignes directrices » aux élus, et leur a expliqué qu'ilcontrôlerait désormais la « cohérence » entre le niveaudes salaires et la qualification des tâches confiées àl'assistant. En particulier, précise l'institution, lorsquecette rémunération dépasse le double du salaire moyende l'État membre en question – ce qui est le cas, à titred'exemple, de Louis Aliot en France.

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