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La Suisse devient un «repaire de pirates» dans le secteur du négoce MATIÈRES PREMIÈRES Un livre choc que «Le Matin Dimanche» a lu en primeur éclaire la face cachée des sociétés qui prospèrent sur l arc lémanique et dénonce le laisser faire de la Confédération Jean Claude Péclet jean claude peclet@edipresse ch Le pavé fera du bruit D abord parce que «Swiss Trading SA La Suisse le négoce et la malédiction des matières premières» est le premier livre cortiquant les rouages d un secteur qui contribue autant que l industrie des machines au revenu national de la Suisse mais restait nimbé de mystère jusqu ici Le commerce de transit par la Suisse a été multiplié par quinze entre 1998 et 2010 Le négoce de ma tières premières sur l arc lémanique ou dans le canton de Zoug représente près d un quart de toutes les opéra tions réalisées dans le monde «Swiss Trading SA» coéditéparla Déclaration de Berne DE est aussi un acte d accusation «Notre pays est aujourd hui devenu un repaire con fortable pour ces nouveaux colons que sont les groupes multinatio naux» écrit l ex procureur genevois Bernard Bertossa en préface L ouvrage développe une quinzaine de cas d école les sociétés de né goce ayant pignon sur rue en Suisse saccagent l environnement des pays producteurs ferment les yeux sur les violations des droits humains prati quent la corruption et surtout l éva sion fiscale à grande échelle En compilant les données du FMI et de différentes ONG la Déclaration de Berne arrive à la conclusion que les pertes fiscales pour les pays du tiers monde représentent entre 100 et 250 milliards de dollars par an un montant supérieur à celui de l aide mondiale au développement Ainsi la Zambie a vu chuter en douze ans de 200 à 8 millions de dollars ses impôts et royalties sur le cuivre tandis que le prix de la tonne augmentait d un quart pendant la même période Plus de transparence Les gagnants sont les sociétés de né goce grâce aux prix de transfert et à d autres astuces comptables rendues possibles par l enchevêtrement de leurs nombreuses filiales Jusqu à il y a peu elles pouvaient se murer dans le silence Le cycle des fusions et l am pleur des investissements les pous sent aujourd hui vers le marché obli gataire Trafigura ou à entrer en bourse Glencore donc à montrer plus de transparence Encore faut il que le cadre légal les y encourage ce qui n est absolument pas le cas en Suisse Non contentes d offrir des privilèges fiscaux remis en cause par l Union européenne aux holdings et autres sociétés mix tes la Suisse favorise de plusieurs LE CHIFFRE 23 milliards En dollars c est la somme partagée entre les six principaux partenaires de Glencore lors de l entrée en Bourse de la société basée à Zoug début 2011 manières les acrobaties comptables et le pillage du tiers monde estime la Déclaration de Berne Les sociétés de négoce ne sont pas considérées comme des intermédiai res financiers alors que plusieurs rent des hedge funds et échappent à la loi sur le blanchiment d argent LBA Cette pratique que le profes seur Mark Pieth considère comme «illégale» lire l interview découle selon lui des instructions données par l ancien directeur de l adminis tration des finances Péter Siegentha ler Contacté par «Le Matin Diman che» ce dernier dément «Je n ai aucun lien avec le milieu du négoce et ne suis pas intervenu Les décisions concernant l application de la LBA ont été prises suite à des expertises ju ridiques complexes J avais d ailleurs invité Mark Pieth à nous conseiller mais il a décliné l invitation La Suisse en retrait En Suisse contrairement à d autres pays le calcul des prix de transfert n est soumis à aucune législation Deux conseillères nationales Chiara Simoneschi PDC TI et Susanne Leutenegger PS BL ont demandé que le droit comptable suisse intro duise le principe du reporting pays par pays Le Conseil fédéral a refusé en 2010 estimant que «les règles ac tuelles constituent une base suffi sante pour garantir la transparence des relations entre le fisc et les entités assujetties à l impôt» Susanne Leu tenegger déclare au «Matin Diman che» qu elle reviendra à la charge La Suisse s est prononcée ferme ment contre la taxation des matières premières à l exportation pourtant considérée par le FMI comme l un des outils les plus efficaces pour dévelop per les pays producteurs Alors que les Etats Unis Dodd Frank Protection Act légifèrent pour appliquer le principe «publiez ce que vous payez» aux industries extracti ves et que l UE va leur emboîter le pas la Confédération se contente de verser quelques millions pour des initiatives internationales non contraignantes «Il est encore temps de combler les lacunes de la régulation et d imposer des pratiques éthiques et équitables dans le secteur des matières premiè res» conclut le livre Le débat est lancé Reste à voir s il trouvera un re lais politique ou si comme pour le se Le Matin Dimanche 18.09.2011 Seite 1 / 3 Auflage/ Seite 188053 / 39 5571 Ausgaben 52 / J. 9121298 © Le Matin Dimanche, Lausanne ZMS 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Matin Dimanche_SwissTrading

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La Suisse devient un «repaire depirates» dans le secteur du négoceMATIÈRES PREMIÈRES

Un livre choc que «Le MatinDimanche» a lu en primeuréclaire la face cachée

des sociétés qui prospèrentsur l arc lémaniqueet dénonce le laisser fairede la Confédération

Jean Claude Pécletjean claude peclet@edipresse ch

Le pavé fera du bruit D abord parceque «Swiss Trading SA La Suisse lenégoce et la malédiction des matièrespremières» est le premier livre décortiquant les rouages d un secteurqui contribue autant que l industriedes machines au revenu national de la

Suisse mais restait nimbé de mystèrejusqu ici Le commerce de transit parla Suisse a été multiplié par quinzeentre 1998 et 2010 Le négoce de matières premières sur l arc lémaniqueou dans le canton de Zoug représenteprès d un quart de toutes les opérations réalisées dans le monde

«Swiss Trading SA» coéditéparlaDéclaration de Berne DE est aussiunacte d accusation «Notre pays estaujourd hui devenu un repaire confortable pour ces nouveaux colonsque sont les groupes multinationaux» écrit l ex procureur genevoisBernard Bertossa en préfaceL ouvrage développe une quinzainede cas d école où les sociétés de né

goce ayant pignon sur rue en Suissesaccagent l environnement des paysproducteurs ferment les yeux sur lesviolations des droits humains pratiquent la corruption et surtout l évasion fiscale à grande échelle

En compilant les données du FMI etde différentes ONG la Déclaration deBerne arrive à la conclusion que lespertes fiscales pour les pays du tiersmonde représentent entre 100 et

250 milliards de dollars par an unmontant supérieur à celui de l aidemondiale au développement Ainsi laZambie a vu chuter en douze ans de

200 à 8 millions de dollars ses impôtset royalties sur le cuivre tandis que leprix de la tonne augmentait d unquart pendant la même période

Plus de transparenceLes gagnants sont les sociétés de négoce grâce aux prix de transfert et àd autres astuces comptables renduespossibles par l enchevêtrement deleurs nombreuses filiales Jusqu à il ya peu elles pouvaient semurer dans lesilence Le cycle des fusions et l ampleur des investissements les poussent aujourd hui vers le marché obligataire Trafigura ou à entrer enbourse Glencore donc à montrerplus de transparenceEncore faut il que le cadre légal les

y encourage ce qui n est absolumentpas le cas en Suisse Non contentesd offrir des privilèges fiscaux remisen cause par l Union européenneaux holdings et autres sociétés mixtes la Suisse favorise de plusieurs

LE CHIFFRE

23 milliardsEn dollars c est la somme partagée entre les sixprincipaux partenaires de Glencore lors de l entréeen Bourse de la société basée à Zoug début 2011

manières les acrobaties comptableset le pillage du tiers monde estime laDéclaration de Berne

Les sociétés de négoce ne sont pasconsidérées comme des intermédiai

res financiers alors que plusieurs gèrent des hedge funds et échappent àla loi sur le blanchiment d argentLBA Cette pratique que le professeur Mark Pieth considère comme

«illégale» lire l interview découleselon lui des instructions donnéespar l ancien directeur de l adminis

tration des finances Péter Siegenthaler Contacté par «Le Matin Dimanche» ce dernier dément «Je n aiaucun lien avec le milieu du négoce etne suis pas intervenu Les décisionsconcernant l application de la LBAont été prises suite à des expertises juridiques complexes J avais d ailleursinvité Mark Pieth à nous conseillermais il a décliné l invitation»

La Suisse en retraitEn Suisse contrairement à d autrespays le calcul des prix de transfertn est soumis à aucune législationDeux conseillères nationales ChiaraSimoneschi PDC TI et SusanneLeutenegger PS BL ont demandéque le droit comptable suisse introduise le principe du reporting payspar pays Le Conseil fédéral a refuséen 2010 estimant que «les règles actuelles constituent une base suffi

sante pour garantir la transparencedes relations entre le fisc et les entités

assujetties à l impôt» Susanne Leutenegger déclare au «Matin Dimanche» qu elle reviendra à la chargeLa Suisse s est prononcée ferme

ment contre la taxation des matières

premières à l exportation pourtantconsidérée par le FMI comme l un desoutils les plus efficaces pour développer les pays producteursAlors que les Etats Unis Dodd

Frank Protection Act légifèrent pourappliquer le principe «publiez ce quevous payez» aux industries extractives et que l UE va leur emboîter le pasla Confédération se contente de verser

quelques millions pour des initiativesinternationales non contraignantes

«Il est encore temps de combler leslacunes de la régulation et d imposerdes pratiques éthiques et équitablesdans le secteur des matières premières» conclut le livre Le débat estlancé Reste à voir s il trouvera un re

lais politique ou si commepour le se

Le Matin Dimanche18.09.2011 Seite 1 / 3Auflage/ Seite 188053 / 39 5571Ausgaben 52 / J. 9121298

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cret bancaire la réaction sera tardiveet désordonnée

Une saga suisseet mondiale

LE CONTENU «Swiss TradingSA» retrace la trajectoire de Glen

core Xstrata et Trafigura celle descinq grands acteurs pétroliers présents à Genève mais aussi la gloirepassée et la déconfiture des sociétés suisses de négoce Il analyseaussi les enjeux vus de Zambie duSoudan de la République démocratique du Congo et du Kazakhs

tan Le livre est en vente des le

22 septembreA lire

«Swiss Trading SALa Suisse le négoce etla malédiction des matières

premières» Déclarationde Berne 344 pEditions d En Bas

«UN GRAND DANGER POUR NOTRE REPUTATION»MARK PIETH

Professeur en droit pénalà l Université de Baieprésident du groupe de travailde l OCDE sur la corruption

La Suisse profite t ellede son statut de plaquetournante des matières

premièresAujourd hui l importancede la Suisse au niveau in

ternational tient en premier lieu à sa place financière et au rôle qu elle jouecomme lieu de domicilia

tion pour de nombreux«global players» de bran

ches stratégiques commela chimie et l agroalimentaire Les échanges réalisés depuis la Suisse dans lesecteur des matières premières sont une façonsupplémentaire pour laSuisse de continuer à jouerun certain rôle géostratégique en dépit de son absence au G20 et des problèmes rencontrés par leFMI La question est desavoir si les responsablespolitiques en sont conscients Et si de ce point devue là «la Suisse» existeen tant que telle J ai l impression que depuis long

temps de a on laisse leschoses se faire sans or

ganisation ni intentionC était comme ça pour lepillage des œuvres d art lecommerce des armes lesviolations d embargo etpour l évasion fiscaleL attitude risque d être lamême pour le commercedes matières premièresCe qui manque alorsc est une instance

centrale capablede prévoir et de guidersur le plan stratégique

et qui empêcheraitainsi que la Suisse neprenne conscience uni

quement en cas de pression extérieure de l aspectproblématique de domaines aussi sensibles Cer

tes les critiques étrangères sont en partie moti

vées par une certaineforme de jalousie et pardes conflits d intérêts

purs et durs Mais je necrois pas qu il existe pourautant en Suisse une politique délibérée de gestiondes intérêts destinée à

contrecarrer ce genred attaques et à tirer profitdes avantages qu offre leboom de son secteur des

matières premières

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Qui devrait être encharge de cette gestionpolitique de tels enjeuxUn organe de pouvoir central responsable de la formulation et de l application d une politique extérieure suisse rigoureuse Àla place nous avons un organe gouvernementalfragmenté que sept nainssepartagent et qui jusqu àprésent n a rienpu ou rienvoulu entreprendre pourenterrer définitivement la

réputation de repaire depirates qui colle à laSuisse À bien y réfléchirle commerce des matières

premières n a rien demauvais en soi Mais danssa forme actuelle il est synonyme de grands dangerspour la réputation de laSuisse

Quels sont les leviersqui permettraientde contenir ces risquesD après moi il faudraitavant tout soumettre en

fin les négociants à la loisur le blanchiment d ar

gent LBA En théorie ilsle sont depuis iççç maisl Autorité de contrôle de laConfédération a déve

loppé une pratique problématique que je considère comme illégale L article 2 30 de la LBA stipule

que les personnes qui«font le commerce pour

leur propre compte oupour celui de tiers demétaux précieux de matières premières et deleurs dérivés» sont aussidéfinies comme des intermédiaires financiers

S il est formule aussi

clairement pourquoi ceparagraphe n est il pasappliquéEntre autres parce qu àl époque de l entrée envigueur de la LBA Glencore a menacé de déplacer son siège principalhors de Suisse ndlrLes instructions de Pé

ter Siegenthaler alorsdirecteur de l Adminis

tration fédérale des fi

nances et à l époquede la juriste en chef auDépartement fédéraldes finances ont probablement été détermi

nantes jusqu à ce jour ence qui concerne l application concrète de ce

texte par l Autorité decontrôle On est en droit

de se demander pourquoiles négociants de devisessont soumis à des con

trôles très rigoureuxalors que les négociantsde matières premières yéchappent

Y a t il dans notre paysd autres lacunes

de régulation dansle domaine financier

Dans le scandale du programme «Pétrole contrenourriture» les banqueselles mêmes ont enfreint

les règles de précaution lesplus élémentaires de la législation bancaire Aujourd hui encore personne ne sait ou contrôle sices mêmes instituts finan

ciers effectuent les enquêtes préalables requisesavant l attribution de let

tres de crédit Je crois volontiers qu ils identifientclairement leurs clients et

certaines activités Mais

onpeut douter qu ils comprennent le sens éventuellement caché destransactions souvent ul

tracomplexes Et c estprécisément là que se situela faille permettant lesabus

Propos recueillispar Oliver Classen

Déclaration de Berne

X II faudrait avanttout soumettre les négociantsà la loi sur le blanchiment

d argent»MARK PIETH

Le Matin Dimanche18.09.2011 Seite 3 / 3Auflage/ Seite 188053 / 39 5571Ausgaben 52 / J. 9121298

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