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Art(s) et Politique(s) Cours de Caterina PREDA MAUS DE ART SPIEGELMAN : HISTOIRE, MÉMOIRE, ET CRÉATION ARTISTIQUE A l'époque contemporaine, l'essor de la diffusion des arts à travers différents médias a considérablement développé leur influence sur le monde politique. Les décennies suivant la fin de la Seconde guerre Mondiale ont connu un développement sans précédent des oeuvres d'art liées à l'histoire et à la politique, dont la spécificité a principalement été leur prise d'indépendance vis a vis des différents pouvoirs. L'art est donc de plus en plus intimement lié à la construction de la pensée politique, voire à la construction idéologique. Il en va de même pour la construction de la mémoire collective, dont l'élaboration est souvent menée par des pouvoirs publics, politiques, ce qui est particulièrement valable lorsqu'on parle de la mémoire de l'Holocauste. Pourtant, la relation entre art et mémoire ne va pas de soi. L'art est essentiellement une création individuelle, dans le sens ou la création touche à la sphère privée. La mémoire, dans le sens où nous l'entendons, est au contraire fondamentalement collective. En 1986, Art Spiegelman publie le premier tome d'une bande dessinée désormais considérée comme capitale dans l'histoire de la représentation de la Shoah dans les arts : Maus, A Survivor's Tale 1 , le second tome étant paru en 1991. Il est particulièrement intéressant d'y étudier cette articulation entre mémoire individuelle et collective. En effet, l'auteur est le fils de Vladek Spiegelman, juif polonais ayant été déporté à Auschwitz, puis à Dachau. C'est en interrogeant ce dernier que l'auteur de Maus a construit son ouvrage, relatant la vie de son père des années 1930 à la fin de la Seconde guerre Mondiale. L'ouvrage va même au delà de ces bornes chronologiques, puisqu'il relate également les étapes de la création de son œuvre, en se mettant en scène parlant avec on père, donnant au lecteur un aperçu à plus long terme des ravages du génocide juif. Alors, avec l'exemple de Maus, comment s'articulent la transmission d'une mémoire individuelle et l'élaboration d'une mémoire collective, à travers la création artistique? Pour répondre à cette question, nous commencerons par étudier le récit de la Shoah que nous livre l'auteur, puis nous verrons quelles sont plus précisément les modalités de l'intéraction entre histoire personnelle et mémoire collective, dans le but de déterminer dans quelle mesure on peut dire que cette œuvre peut être considérée comme un acte de mémoire. I – Récit de l'Holocauste : A Survivor's Tale A – La bande dessinée pour raconter la Shoah Avec Maus, on constate que la forme de la bande dessinée offre de nombreux avantages pour raconter la Shoah. En effet, elle permet une permutation aisée entre passé et présent, difficilement réalisable dans d'autres formes artistiques ou littéraires. Cela permet une conjugaison à la fois visuelle et verbale du passé historique et du présent de l'énonciation. La bande dessinée est sur ce point une forme à la fois plastique, libre, et ouverte, et c'est principalement ce en quoi elle diffère des autres genres artistiques. Dans l'ouvrage que nous étudions, il y a un passage récurrent du passé au présent : on passe d'Auschwitz à New-York, des souris aux hommes, dans un va et viens constant. De suite, cette réflexion ammène à une question évidente. Il n'est pas nécessaire pour une œuvre traitant de la Shoah d'effectuer ces aller-retours, alors pourquoi celle-ci le fait-elle? Une des 1 L'édition sur laquelle nous nous baserons pour notre travail et notre pagination est la compilation des deux volumes dans leur traduction française : SPIEGELMAN Art, Maus, Flammarion, 1998 Janvier 2011 1/8 Quentin GALURET

Maus de Art Spiegelman, Histoire Meu0301moire Et Creu0301ation Artistique

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Maus de art Spielgelman, Histoire Meu

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    MAUS DE ART SPIEGELMAN : HISTOIRE, MMOIRE,ET CRATION ARTISTIQUE

    A l'poque contemporaine, l'essor de la diffusion des arts travers diffrents mdias a considrablement dvelopp leur influence sur le monde politique. Les dcennies suivant la fin de la Seconde guerre Mondiale ont connu un dveloppement sans prcdent des oeuvres d'art lies l'histoire et la politique, dont la spcificit a principalement t leur prise d'indpendance vis a vis des diffrents pouvoirs. L'art est donc de plus en plus intimement li la construction de la pense politique, voire la construction idologique. Il en va de mme pour la construction de la mmoire collective, dont l'laboration est souvent mene par des pouvoirs publics, politiques, ce qui est particulirement valable lorsqu'on parle de la mmoire de l'Holocauste. Pourtant, la relation entre art et mmoire ne va pas de soi. L'art est essentiellement une cration individuelle, dans le sens ou la cration touche la sphre prive. La mmoire, dans le sens o nous l'entendons, est au contraire fondamentalement collective.

    En 1986, Art Spiegelman publie le premier tome d'une bande dessine dsormais considre comme capitale dans l'histoire de la reprsentation de la Shoah dans les arts : Maus, A Survivor's Tale1, le second tome tant paru en 1991. Il est particulirement intressant d'y tudier cette articulation entre mmoire individuelle et collective. En effet, l'auteur est le fils de Vladek Spiegelman, juif polonais ayant t dport Auschwitz, puis Dachau. C'est en interrogeant ce dernier que l'auteur de Maus a construit son ouvrage, relatant la vie de son pre des annes 1930 la fin de la Seconde guerre Mondiale. L'ouvrage va mme au del de ces bornes chronologiques, puisqu'il relate galement les tapes de la cration de son uvre, en se mettant en scne parlant avec on pre, donnant au lecteur un aperu plus long terme des ravages du gnocide juif.

    Alors, avec l'exemple de Maus, comment s'articulent la transmission d'une mmoire individuelle et l'laboration d'une mmoire collective, travers la cration artistique? Pour rpondre cette question, nous commencerons par tudier le rcit de la Shoah que nous livre l'auteur, puis nous verrons quelles sont plus prcisment les modalits de l'intraction entre histoire personnelle et mmoire collective, dans le but de dterminer dans quelle mesure on peut dire que cette uvre peut tre considre comme un acte de mmoire.

    I Rcit de l'Holocauste : A Survivor's Tale

    A La bande dessine pour raconter la ShoahAvec Maus, on constate que la forme de la bande dessine offre de nombreux avantages pour

    raconter la Shoah. En effet, elle permet une permutation aise entre pass et prsent, difficilement ralisable dans d'autres formes artistiques ou littraires. Cela permet une conjugaison la fois visuelle et verbale du pass historique et du prsent de l'nonciation. La bande dessine est sur ce point une forme la fois plastique, libre, et ouverte, et c'est principalement ce en quoi elle diffre des autres genres artistiques. Dans l'ouvrage que nous tudions, il y a un passage rcurrent du pass au prsent : on passe d'Auschwitz New-York, des souris aux hommes, dans un va et viens constant. De suite, cette rflexion ammne une question vidente. Il n'est pas ncessaire pour une uvre traitant de la Shoah d'effectuer ces aller-retours, alors pourquoi celle-ci le fait-elle? Une des

    1 L'dition sur laquelle nous nous baserons pour notre travail et notre pagination est la compilation des deux volumes dans leur traduction franaise : SPIEGELMAN Art, Maus, Flammarion, 1998

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    grandes caractristique de Maus, qui fait aussi toute sa complexit, est qu'elle ne traite pas uniquement de l'Holocauste, mais aussi d'une relation pre-fils, plus gnralement des rapports gnrationnels entre un tmoin direct et un homme lambda devant faire acte de mmoire. L'auteur confronte son lecteur, et lui-mme, la difficult de cette mmoire, sa ncessit, ses modalits galement. On peroit dans l'oeuvre de Spiegelman toute la complexit de la question de la mmoire. Sans y rpondre, l'auteur soulve donc de nombreuses questions, auxquelles il est lui-mme confront. La voie qu'il choisit pour les formuler et tenter de les expliquer en est une parmi d'autres, et comme tous les auteurs il doit faire certains choix dont certains peuvent paratre discutables, mais n'en restent pas moins comprhendibles. Nous allons donc par la suite analyser ces choix, et tenter les comprendre, d'approcher l'oeuvre dans sa complexit, dans son ambiguit galement.

    B Le choix du zoomorphismeMalgr les avantages prsents par la forme-mme de la bande dessine, la Shoah n'en demeure

    pas moins un pisode de l'histoire trs difficile transmettre. On peut le raconter de diffrents manires, mais aucune ne sera exhaustive, aucune ne pourra faire part de l'horreur que cela reprsente.

    Peut-tre est-ce pour cela que Spiegelman n'a fait le choix du ralisme dans ses dessins. Il utilise ce qu'on appelle le zoomorphisme, c'est dire qu'il remplace les hommes par des animaux. C'est une pratique rpandue dans le monde de la bande dessine ou du dessin anim, mais qui peut surprendre dans une uvre traitant de l'Holocauste. Les Juifs y sont reprsents par des souris, les Allemands par des chats, les Polonais par des porcs, les Amricains par des chiens, les Franais par des grenouilles... On peut y voir une rfrence plus ou moins ironique aux affiches de propagande nazie qui comparaient parfois elles aussi les Juifs des animaux2. Pour Pierre-Alban Delannoy3, le choix du zoomorphisme va au del de cette rfrence, et permet galement une sorte de simplification permettant de dire, de dessiner ce qu'il est autrement impossible de faire. De plus, cette manire de reprsenter les personnages efface beaucoup les traits individuels : on ne diffrencie plus gure les diffrents personnages grce l'image, mais plutt par ce qu'ils disent, ou par la narration. Le zoomorphisme permet alors d'une certaine manire un peu plus de ralisme, dans le sens ou il nous transpose dans l'eprit des nazis, en mettant en place une ngation de l'individu au profit du groupe : tous sont les mmes, tous sont Juifs. Si l'utilisation d'animaux a indniablement un sens mtaphorique, on peut galement la rapprocher de l'influence des comic books underground amricains, Spiegelman ayant t une des figures emblmatiques de ce milieu dans les annes 1960-70, avant la publication de Maus.

    C Un rel tmoignageMme si le graphisme n'est pas vraiment raliste, on peut toutefois dire de Maus qu'il s'agit d'un

    rel tmoignage. Le rcit est d'une manire gnrale trs dtaill, tant dans sa chronologie que dans les faits. Il y a par exemple de nombreuses vignettes contenant des sortes d'annexes explicatives : carte de la Pologne, plan des Camps, photos provenant des archives familiales4, plan dtaill d'un crmatoire, tableau explicant les valeurs d'change des biens Auschwitz5... Cette uvre a donc une certaine valeur documentaire, qui permet une approche de la Shoah trs diffrente ce que qui peut tre propos dans les manuels d'histoire ou certains ouvrages traitant de la question. Sur cette question du choix du graphisme, on pourrait avec pertinence affirmer que ce n'est pas

    2 Voir Annexe, Fig. 13 DELANNOY Pierre-Alban, Maus d'Art Spiegelman : Bande dessine et Shoah, L'Harmattan, 20024 Voir Annexe, Fig. 75 Voir Annexe, Fig. 5

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    ncessairement une bonne chose, que la mise en image donne une certaine orientation, que la ralit est vue travers un prisme. Malgr tout, c'est plus ou moins le cas pour tout ouvrage traitant de la question, et c'est d'autant plus valable concernant les oeuvres d'art. Les partis-pris artistiques et narratifs de Spiegelman sont par ailleurs justifiables pour peu qu'on prenne le soin d'y rflchir. Le choix du noir et blanc, par exemple, peut tonner du fait de l'avennement de la bande dessine en couleur, souvent permise par l'essor de l'outil informatique. Le noir et blanc dans Maus renvoie moins la mise en place d'une athmosphre vieillie, rappel d'une poque rvolue, qu' une volont de garder une certaine sobrit, qui renvoie celle de la littrature dite concentrationnaire6. Au sujet de cette sobrit, on peut rappeler la citation de Samuel Beckett prsente dans Maus7 : Chaque mot est comme une tche inutile sur le silence et le nant 8. On retrouve de la mme manire cette sorte de simplicit dans la sobrit du trait aussi bien que du rcit, qui finalement produit une uvre assez juste. Mme s'il est en pratique impossible d'prouver cette justesse, on peut nanmoins affirmer que cet ouvrage sait exposer les joies et peines avec une certaine authenticit qui ne vire jamais dans le pathos, point important s'il en est lorsqu'on veut obtenir un tmoignage juste, mais dlicat lorqu'on traite d'un sujet aussi motionnellement charg que la Shoah.

    Nous avons tudi en quoi Maus est une uvre pertinente en ce qui concerne la version purement historique du gnocide perptr par le rgime nazi. Il reste nanmoins inenvisageable d'aborder cet ouvrage sans en tudier le ct intime, personnel, qui fait la fois sa valeur et sa complexit en tant que mdia et uvre mmorielle. Nous allons en effet voir que, s'il s'agit d'un travail sur la mmoire, fait public en quelque sorte, c'est aussi une histoire prive, plus individuelle, ce qui soulve la question de l'invitabilit d'une interpntration de ces deux sphres lorsqu'on parle de mmoire collective.

    II A la fois un travail de mmoire et une histoire personnelle

    A Une uvre intime rsultant de l'implication personnelle de l'auteurSi Maus est une prsentation du gnocide des Juifs, il s'agit galement d'un ouvrage dimension

    cognitive, psychologique, psychanalytique presque, sur une relation pre-fils assez particulire. Vladek a t une figure paternelle parfois dgradante, et Art Spiegelman fait part dans son uvre des difficults qu'il a eu surmonter cela : il lui a t difficile de s'affirmer en tant qu'homme aprs avoir pass toute son enfance se sentir infrieur, pour une cause qu'il ne matrise pas, savoir le fait de ne pas avoir vcu la dportation. Il se met d'ailleurs en scne lui-mme dans sa bande dessine confiant sa femme que, d'une certaine manire, [il voudrait] avoir t Auschwitz avec [ses] parents ; comme a [il pourrait] vraiment savoir ce qu'ils ont vcu!.. 9. A travers ces mots ils nous fait part de ses doutes vis vis de la possibilit d'un rcit fidle10, ou en tout cas raliste de la Shoah, tmoignant par l de l'histoire de la cration de son uvre, des difficults rencontres. Il accepte en fin de compte l'impossibilit de son imagination retranscrire ces vennements, avouant par la mme occasion un certain parti-pris artistique et narratif dont nous avons parl plus haut. Ce parti-pris s'exprime aussi travers un certain dsengagement de l'artiste au profit d'une importance accrue donne la parole du tmoin, se traduisant par une omniprsence du texte narratif. Chaque

    6 LEVI Primo, Si c'est un homme, Pocket, ed. 1988 est un bon exemple de cette littrature concentrationnaire7 SPIEGELMAN Art, op. cit., p.2058 Citation prsente dans Maus, tire de BECKETT Samuel, En attendant Godot, Editions de Minuit, 19529 SPIEGELMAN Art, op. cit., p.17610 Voir Annexe, Fig. 4

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    flash-back et chaque scne, sont introduits par la parole du tmoin, ce qui rapproche le lecteur d'une forme de ralisme oral 11 qui rentranscrit le plus fidlement possible l'immdiatet du tmoignage.

    Mmoire collective et histoire familiale deviennet alors dans l'oeuvre deux thmes forts et indissociables : grce au rcit de cette horreur passe, un vieil homme juif polonais et son fils, jeune new-yorkais, peuvent se comprendre, s'estimer, et finalement vivre une vritable relation, un rapport la fois pre/fils et tmoin/hritier. Il s'agit donc d'une intraction entre la mmoire personnelle et intime de l'auteur et une mmoire collective se rapprohant de l'histoire, intraction qui peut se retrouver dans un ouvrage tel que Persepolis12.

    Pour Spiegelman, la Shoah n'est donc pas seulement quelque chose d'historique, mais aussi une difficult cognitive 13 avec laquelle il se dbat. C'est un acte de mmoire, certes, mais particulier dans le sens o il s'organise autour d'un rapport trans-gnrationnel. L'auteur nous fait part de son traumatisme propre, de ses propres difficults aborder la Shoah, de la culpabilit qu'il peut prouver de par sa simple existence : Je dois me sentir coupable quelque part d'avoir eu une vie plus facile qu'eux 14.

    Cela dit, mme s'il existe un rapport particulier entre l'auteur et le tmoin, Spiegelman ne s'en cache pas, et fait part au lecteur de ses doutes envers lui-mme, de ses traumatismes vis vis de cette mmoire.

    B Histoire, mmoire, ou journalisme?Art Spiegelman se trouve donc confront un problme et se pose lintrieur mme de son

    ouvrage la question de savoir comment recueillir un tmoignage sans y mettre une part de soi, un jugement, sans dformer la ralit et en respectant la parole recueillie chez lautre.

    Il se met en scne lui-mme, montrant les prcautions qu'il prend pour recueillir le tmoignage de son pre, ce qui peut se rapprocher d'une dmarche journalistique. Mme si avec Maus, on peut d'une certaine manire considrer l'historien comme une sorte de journaliste du pass, les dformations personnelles restent invitables, d'autant plus lorsqu'on considre le rapport existant ici entre le tmoin et l'historien/journaliste. Cependant, Spiegelman dans son travail ne parat pas pargner son pre, talant tous ses dfauts : sans aucun doute son pre a-t-il t marqu par la guerre, s'en tant sorti grce son courage, sa dbrouillardise, et son esprit de survie, mais aussi peut-tre grce son gosme comme peut le sous-entendre Spiegelman plusieurs reprises. Ce aspect reprsente d'ailleurs un point de tension tout au long de l'ouvrage : le Vladek des annes 1980, et dans une moindre mesure celui des annes 1940, est dpeint comme le strotype du Juif dpeint par la propagande nazie. Il s'agit d'ailleurs d'un aspect problmatique avou par l'auteur lui-mme : C'est quelquechose qui me tracasse pour le livre que je fais sur lui... sur certains points, il est exactement comme les caricatures racistes du vieux Juif avare 15. Le problme qui se pose Spiegelman lorsqu'il crit son livre est donc que son na pas la dignit quon attend des victimes. Son oeuvre concerne donc lhumanit de tous les hommes, puisquelle dit quon peut tre Juif, rescap des camps et, nanmoins, comme tout le monde peut ltre, assez dtestable. Comme lexplique Pavel le psychiatre de l'auteur on croit souvent que ceux qui survivent sont bons, et ceux qui sont morts sont mauvais. En ralit, Maus nous dmontre que cela na rien voir, que ce nest pas la survie qui nous fait bon ou mauvais, mais la vie et ce que nous en faisons16.

    11 DELANNOY Pierre-Alban, op. cit.12 SATRAPI Marjane, Persepolis, ditions L'Association, 2000 (pour le premier tome)13 DELANNOY Pierre-Alban, op. cit.14 SPIEGELMAN Art, op. cit., p.17615 SPIEGELMAN Art, op. cit., p.13316 Pour cette analyse, voir PELIER M., MOLLET C., DESHAYES S., Maus d'Art Spiegelman : un document historique comme

    les autres?, Publications de l'Acadmie de Besanon, 2008

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    On finalement un curieux mlange qui ne permet gure une entire objectivit, mais il faut par ailleurs souligner que l'historien n'est jamais aussi neutre que sa position l'exigerait, en particulier pour un sujet aussi dlicat que la Shoah. Plusieurs facteurs peuvent nous ammener qualifier l'ouvrage de Spiegelman d'un travail d'historien et de journaliste la fois : souci de prcision (par exemple en montrant le quotidien de Vladek avant et aprs la dportation), prise de note puis enregistrement avec un magntophone, volont de respecter la chronologie, de se confronter d'autres sources (le journal d'Anja la femme dfunte de Vladek ou les dialogues avec Mala la nouvelle femme de Vladek), et galement des recherches prcises pour pouvoir dessiner les lieux le plus fidlement possible17.

    Finalement, Maus n'est pas proprement parler un document historique, ni mme rellement un tmoignage. Pourtant il serait rducteur de l'envisager comme une simple fiction inspire du rel, tant elle y est ancre. L'intrt de l'auteur avant tout de faire comprendre, et de comprendre lui-mme, l'incomprhensible.

    En nous interrogeant l'articulation de la notion de mmoire collective et de celle de mmoire familiale au sein de l'oeuvre d'Art Spiegelman, nous avons pu prouver la difficult d'une retranscription authentique de ce genre d'histoire, en particulier dans le genre de la bande dessine, tout en constantant une certaine russite de la part de l'auteur. Nous avons galement vu que l'interpntration des genres histoire, mmoire, journalisme, aspect personnel n'entrave pas ncessairement la porte de l'ouvrage. Au contraire, Maus a eu un succs que l'on peut qualifier de considrable tant au niveau du public traduit en 18 langues que de la critique Prix Pulitzer Spcial en 1992 compte tenu de sa nature, savoir la bande dessine, entendue comme mdia mergent. C'est en effet la premire bande dessine dcrocher un Prix Pulitzer. Sa publication a permis la reconsidration d'un genre jusqu'alors considr comme mineur jusque dans les milieux intellectuels et scientifiques. Avant Maus, la bande dessine tait considre comme un simple divertissement, et on peut dire qu'Art Spiegelman a le mrite d'avoir particip la prise de conscience du fait que ce mode d'expression n'est pas condamn l'insignifiance. Cette reconsidration du genre a marqu l'histoire de la bande dessine, comme le montre l'exemple, pris par Charles MacGrath dans un article du New York Times Magazine18, de Marjane Satrapi, qui publie son premier volume de Persepolis19 une dizaine d'annes aprs la sortie du second tome de Maus. Elle dit elle-mme que c'est cette oeuvre qui lui a ouvert les yeux quant la possibilit du roman graphique, forme qui l'a tablie en tant qu'artiste. L'emploi-mme de l'expression roman graphique, de plus en plus usite depuis la publication de Maus, en dit long sur la revalorisation du genre, qui se spare de la connotation juvnile ou humoristique du terme de bande dessine l'exemple est plus parlant en anglais, o graphic novel se dmarque fortement des connotations impliques par l'utilisation de comics ou comic books.

    17 Voir Annexe, Fig. 3 et 618 It would be impossible to overstate the influence of Maus amoung other artists. Marjane Satrapi, for example, says

    that it was Maus that opened her eyes to the possibility of the graphic novel that created her as an artist and the same is true for many others. in MACGRATH Charles, New York Times Magazine, 11 Juillet 2004, New York Times, p.33

    19 SATRAPI Marjane, Persepolis, op. cit.

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    BIBLIOGRAPHIE

    DELANNOY Pierre Alban, Maus d'Art Spiegelman : Bande dessine et Shoah, L'Harmattan, 2002

    LEVENTHAL Robert, Art Spiegelman's MAUS : Working-Through The Trauma of the Holocaust, 1995

    MACGRATH Charles, New York Times Magazine, 11 Juillet 2004, New York Times, p.33

    PELIER M., MOLLET C., DESHAYES S., Maus d'Art Spiegelman : un document historique comme les autres?, Publications de l'Acadmie de Besanon, 2008

    PETITFAUX Dominique, Maus, Encyclopaedia Universalis, 2007

    PETITFAUX Dominique, Art Spiegelman, Encyclopaedia Universalis, 2007

    SPIEGELMAN Art, Maus, Flammarion, 1998

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    ANNEXESNote : Les Fig. 2 7 sont extraites de l'ouvrage de Spiegelman

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    Fig. 1 : Affiche de propagande nazie, reprsentation du Juif sous les traits d'un vautour

    Fig. 2 : Auschwitz selon un ancien dport

    Fig. 3 : Rprsentation de l'entre d'Auschwitz par Spiegelman

    Fig. 4 : Les doutes de l'auteur face sa propre cration artistique

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    Fig. 7 : Insersion d'une archive familiale au sein de l'oeuvre

    Fig. 5 : Tableau de valeur d'change des biens Auschwitz

    Fig. 6 : Plan d'un crmatoire par Spiegelman