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e journal de l'emi-cfd n o 94 ÉCOLE ET RELIGION UN EXERCICE DE COMPOSITION LA CHARITÉ UNE œUVRE DE BÉNÉVOLES DANS LA ET LE NEUVIÈME JOUR IL CRÉA LA BD LA CIT www.medialibre.info/religion-cite

Medialibre 2010

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Journal école de l'EMI-CFD

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e journal de l'emi-cfd

no94

école et religion un exercice de compositionla charité une œuvrede bénévoles

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L’École des métiers de l’information • 7, rue des Petites Écuries Paris 10e • www.emi-cfd.com

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édito

étymologie. Les linguistes en débattent depuis mille ans : l’origine du mot latin religio demeure incertaine. Pour les uns, elle est celle qui relègue et éloigne... S’agit-il alors d’une mise à l’écart subie ou choisie ? Les deux hypothèses sont ima-ginables, de la même manière que la notion d’identité permet de se distinguer des autres comme elle offre le loisir de se retrouver entre semblables. Pour d’autres étymologues, elle relie et permet la communion. C’est ainsi que la religion orga-nisait le lien social dans la cité grecque, la diversité des croyances cohabitant pour assurer le salut commun. Rome ira encore plus loin et distinguera la res publica de la sphère privée. C’est sans doute ici que l’on trouve les origines de la laïcité, conçue comme le respect de la conscience individuelle et la quête de l’intérêt général. C’est dans cet esprit de recherche bienveillante et critique que nos apprentis journalistes sont allés à la rencontre des pratiques religieuses dans la cité. En laissant le soin à chaque lecteur d’apprécier ce qui relève des libertés individuelles et ce qui est du ressort de la sphère publique. François Longérinas

Concisions ............................................................................. 3 Sarkozy inspiré .................................................................... 3 Portfolio Une église dans la « city » .................................... 4

voix au chapitre Petits hics à l’école laïque .................................................. 6 Dialoguer, c’est sauver des vies .......................................... 8 Apprendre à Coexister ! ........................................................ 8 Portfolio Quand le mot prend corps ..................................... 9

l'argent des cultes Halal, label en crise .............................................................10 Saint-Denis, l’exception cultu(r)elle ..................................12 Prier en toute décence .........................................................13 Médias chrétiens en tête ......................................................13

chemins de foi Un chœur pour deux ..............................................................14 Portfolio Vénération en clair obscur ...................................16 Conversions à la loupe .........................................................17 Naître juif, vivre chrétien ....................................................17 Portfolio Le choix des coiffes ..............................................18

charité ordonnée Servir l’Autre .......................................................................20 La Bible selon Jeannot .........................................................22 Un dominicain engagé ...........................................................22 Accès aux lieux de culte : le calvaire des handicapés ........23

cultures sacrées La BD prend de la hauteur ....................................................24 À la manière du missionnaire ...............................................26 Gargouille, vous avez dit gargouille ? .................................26 « Ce sont des chants qui portent un message » ...................27

Directrice de la publication :Marie-Geneviève Lentaigne.

Rédacteurs en chef : François Longérinas, Marc Mentré, Fidel Navamuel, Dominique Patte.

Rédacteurs en chef adjoints : Cindy Roudier, Jérémy Davis, Nicolas Vernet.

Conseillers à la rédaction : Laurent Catherine, Patricia Citaire, Wilfrid Estève, Hédi Kaddour,

Patrick Lenormand, Jacqueline Peragallo, Jean Stern.

Directeur technique site Web :Henri Grinberg.

Directeurs artistiques : Martine Billot, Dominique Morvillier, Dagui Tanaskovic.

Conceptrices graphiques :Anne-Marie Bretagne, Perrine Dorin, Marie Poirier.

Responsables photo :Félix Ledru, Elsa Palito.

Rédacteurs et secrétaires de rédaction :Christel Baridon, Sonia Boubarri, Nicolas Bourrié, Marie Chadefaux,

Jérémy Davis, Alexandra Dejean, Caroline Éveillard, Ngagne Fall, Marc Frohwirth, Laurent Garré, Anne Lamblin,

Thierry Lepin, Lise Michaud, Rémi Milesi, Vincent Motron, Anne-Sophie Potier, Joëlle Pressnitzer, Najat Rahmouni,

Cindy Roudier, Caroline Six, Nicolas Vernet.

Graphistes plurimédias : Karin Angel, Annabelle Borel, Anne-Marie Bretagne, Isabelle Courmont,

Perrine Dorin, Marie Dortier, Liberto Finster, Marion Geoffray, Laure Karayenga, Valérie Laude, Gaëlle Malmoux,

Olivier Montiège, Raphaël Panerai, Marie Poirier, Stéfane Rachita, Nabila Ramdani, Mathieu Salgues, Corinne Senecat.

Photojournalistes : Damien Alitti, Olivier Benier, Emmanuelle Charmant, Jean-Philippe Corre,

Jérémie Croidieu, Christophe Decollogne, Agnès Duret, Valérie Faucheux-Georges, Sophie Garcia, Jean Nicholas Guillo,

Félix Ledru, Cyril Marcilhacy, Florence Merlen, Elsa Palito, Geoffroy Perrot, Véronique Samson, Elsa Seignol, Eleonora Strano, Laura Surroca Vilarnau,

Bruno Tariol, Laure Vandeninde, Emmanuel Vivenot.

Journalistes vidéo : Elsa Dafour, Ivan Guilbert, Marion Hérail, Guillaume Lambert,

Capucine Lamoureux, Marie-Laure Le Foulon, Olivier Marcolin, Agnès Morel, Mario Raulin, Emmanuelle Valenti.

Impression : à venir à venir

Médialibre n°94, avril-mai-juin 2010Commission paritaire n° 65547. ISSN 7-590-997

Dépôt légal : 2e trimestre 2010www.medialibre.info/religion-cite

Ce magazine a été conçu et réalisé par les promotions 2010 de secrétaires de rédaction, de graphistes plurimédias, de photojournalistes

et de journalistes vidéo de l’École des métiers de l’information.EMI-CFD,

7, rue des Petites-Écuries 75010 Paris.

www.emi-cfd.com

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Barmes (or et émaux)

de Staraïa Riazan,

xie siècle (© Musées

du Kremlin, Moscou).

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concisions

« Vierge de la Tolga »,

de Iaroslav ou Rostov, fin du xiiie siècle

(© Galerie Tretiakov, Moscou).

20 %, ce chiffre correspond à la baisse du mar-

ché de l’hostie en 2009, selon La Croix du

28 février 2010. Il était de 15 % en 2009. 26 %

des Français déclarent lire la Bible, selon une

enquête Ipsos réalisée en janvier 2010 pour

l’Alliance biblique française.

Le rock chrétien est un phénomène auquel l’Église n’était pas préparée et qui semble être

appelé à durer. Pour aider les prélats à s’y retrouver, le Conseil pour la pastorale des enfants

et des jeunes a enquêté, à la requête de l’épiscopat, sur ce qu’il appelle les « musiques

actuelles chrétiennes » (MAC). L’étude distingue les chanteurs grand public, les groupes

de « pop-louange » ou de punk-rock chrétien (Glorious ou CarmenZ) et les orchestres

destinés à animer la messe. Après l’ère des MC du rap, voici le temps des MAC.

Des bibliothèquessans Livres

Montrer que les musulmans de France sont des citoyens comme les autres, hommes

et femmes impliqués dans la vie civile, dont la pratique religieuse concerne le seul domaine privé. Mettre à bas le cliché

du musulman en marge, fanatisé. Telle est la réussite de l’ouvrage Nous sommes Français

et musulmans 1, de France Keyser 2(photographies) et Vincent Geisser (texte).Fruit de quatre ans d’enquête, les images présentent des élus locaux, soldats, avocats, etc., dans leur quotidien et leur vie sociale.1. Editions Autrement, 19,90 €.2. Ancienne élève de l ’Emi-Cfd.

Une étude institutionnelle 1, conduite en 2008 sur une dizaine de bibliothèques publiques, révèle

la faible place donnée au fait religieux. Excepté les grandes

structures tel le Centre Georges-Pompidou, la plupart des fonds se limitent à une encyclopédie

générale et un abonnement au Monde des religions : rarement

une Bible, un Coran ou une Torah. La peur de mettre en cause la laïcité et un manque de formation des bibliothécaires, expliqueraient cette timidité.1. Enquête menée par Valérie Tesnière, directrice de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (www.infocatho.cef.fr).

Chiffres

La révolution rock de l’Église catholique

Musulmans de FranceSARKOZY INSPIRÉ

Le président français voudrait faire rimer répubLique Laïque avec cathoLique. une aspiration anticonstitutionneLLe.

rome, 20 décembre 2007 : nicolas sarkozy est intronisé chanoine d’honneur à Saint-Jean-de-Latran. Dans son discours au Vatican, le président a affirmé : « La laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. elle a tenté de le faire. Elle n'aurait pas dû. […] La République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. » 1Il souhaite redonner un droit de cité aux religions et n'a pas abandonné l’idée d’autoriser les subventions directes à la construction de lieux de culte. Cette forme de laïcité n’est pas ce que nos pères voulaient ; c’est probablement ce qui perturbe les Français aujourd’hui.« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » (art. 1er de la Constitution de 1958). La République assure la liberté de conscience pour tous, chaque citoyen a le droit d'appartenir ou non à une religion. La loi garantit la liberté de culte, mais ne reconnaît ni ne subventionne aucune religion.La loi du 9 décembre 1905 (séparation des Églises et de l’État) a aboli le Concordat de 1801, lequel mettait l’Eglise sous tutelle du pouvoir d’Etat. Il est encore en vigueur en Alsace et en Moselle, régions annexées par le iie reich allemand,de 1871 à 1918.Le 12 juillet 1790, la constitution civile du clergé (nationalisation des biens de l’Église) avait mis fin à une période de plusieurs siècles de souveraineté chrétienne « de droit divin », initiée par la conversionet le baptême de Clovis, à la toute fin du ve siècle. La Révolution françaisey a mis fin.Anne-Sophie Potier

1 Discours de Nicolas Sarkozy à Latran, consultable sur le site de l‘Élysée (www.elysee.fr).

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une église dans la « city ». Inaugurée le 7 janvier

2001, l’église Notre-Dame-de-Pentecôte a été

pensée par l’architecte Franck Hammoutène. Située à

La Défense, la première église du IIIe millénaire

s’inscrit dans l’univers contemporain du site. Elle surplombe les voies rapides, au cœur du plus grand quartier

d’affaires européen. Chacun peut venir y trouver une respiration le temps d’une messe, d’une prière ou d’une

exposition. Une parenthèse pour des salariés stressés. Photos d’Emmanuelle Charmant

Portfolio

1 Notre-Dame-de-Pentecôte, construite au-dessus

du vide, s’intègre discrètement dans le décor. Elle

allie formes géométriques et matières minérales

comme l’acier ou le verre. 2 Avant la messe, les feuil-

lets de chants sont déposés sur des chaises au

de sign épuré. 3 Les fidèles, ici réunis pour la messe

de mi-carême, côtoient une tapisserie rouge vif qui

éclaire le mur en béton brut. 4 En harmonie avec son

environnement, la silhouette du christ en croix de

Pierre de Grauw, devant le « Vitrail sans verre » de

Jacques Loire. 5 L’église Saint-Adrien de Cour-

bevoie, actuellement en rénovation, a choisi de prê-

ter son christ en croix, œuvre de Claire-Dominique

Laurent. 6 En filigrane, selon la lumière du jour et

selon le temps, la façade, recouverte de vitres en

verre opaque, laisse apparaître une croix.

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voix au chapitre

Petits hics

à l’école laïqueSix ans après l’interdiction du port de signes religieux

dans les établissements publics, les frictions entre enseignement laïque et convictions religieuses persistent, à moindre échelle.

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1882 : Les lois Jules Ferry imposent un enseignement laïque dans les établissements publics. 1989 : Le rapport du recteur Joutard préconise l’introduction du fait religieux à l’école.1989 : À Creil (Oise) et à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), plusieurs jeunes filles refusent d’enlever leur voile pour suivre les cours et créent la polémique. 2004 : La loi interdisant « l e p o r t d e s i g n e s o u d e t e n u e s m a n if e st a n t une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » est adoptée. 2006 : Un décret fait entrer l’enseignement du fait religieux à l’école.

Selon Jean-Marc Fert, « il faudrait

inventer un modèle

d'éducation moins dogmatique ».

« Touche pas à ma religion ! », « Touche pas à ma laïcité ! », deux revendications récurrentes sur un sujet sensible. Les professeurs d’histoire-géographie, qui enseignent le fait religieux, en savent quelque chose. En 2006, quand l’éditeur Belin pixellise la miniature Mohammed prêchant à Médine dans un manuel scolaire de cinquième, afin de ménager les élèves musulmans, ils montent au créneau. Souvent confrontés à des frictions ou à des provocations d’élèves, les ensei-gnants ont établi leur propre état des lieux en 2003 (enquête nationale interne à l’Association des professeurs d’histoire-géographie). Bilan : si les pro-blèmes existent toujours, ils sont circonscrits à certains établissements, soit 15 % des 630 lycées et collèges représentés dans l’étude.

L’adoption de la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes religieux dans les établissements publics avait engendré des tensions. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Pour Christiane Allain, secrétaire générale de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) : « Il n’y a plus de problèmes liés au port du voile dans les écoles et les collèges. Mais reste à savoir pourquoi. Est-ce parce que les jeunes filles voilées retirent leur voile en entrant à l’école et le remettent une fois sorties ? Ou parce que la loi de 2004 les a renvoyées vers d’autres établissements (privés) ? La loi avait-elle réellement pour but de stigmatiser ces jeunes filles ? »

« TarTufferie ». Les cantines sco-laires sont contraintes de faire des choix. « De plus en plus de parents deman-dent des menus compatibles avec leur reli-gion, constate Christiane Allain. La réponse appartient à la municipalité, c’est donc un choix politique. Certaines mairies créent des menus de substitution, mais beaucoup ont opté pour la solution du self, qui propose plusieurs plats. Pour la FCPE, “tous les enfants doivent être à la même enseigne”, ce qui exclut les régimes spé-ciaux. Mais dans leur intérêt, nous sommes amenés à considérer la question dans toute sa complexité. Nous incitons donc plutôt à la mise en place de selfs. »Pour Jean-Marc Fert, conseiller princi-pal d’éducation au lycée Jean-Jaurès de Montreuil (Seine-Saint-Denis) de 1993 à 2004, le sujet est effectivement épi-neux. Auteur de Éduquer pour une socié-té durable. Dieux et autorités en crise1, il considère que « la loi du 15 mars 2004 est une tartufferie, c’est “Cachez ce voile que je ne saurais voir” ! L’école n’est pas seule-ment un lieu de transmission de savoirs, c’est un lieu d’éducation qui doit permettre aux individus de s’épanouir. « Aujourd’hui, développe t-il, les auto rités et le modèle d’enseignement de la IIIe République sont en crise, il faudrait inventer un modèle d’éducation un peu moins dogmatique. Lorsque des élèves croyants s’opposent au professeur de sciences à propos de la théorie du big bang, cela signifie que le modèle d’ enseignement qui assène un dogme laïque contre un dogme religieux ne fonctionne plus. »

Laura (le prénom a été changé pour respec-ter l’anonymat, ndlr) est jeune profes-seure à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Pour elle, pas question d’être dogmatique. « J’enseigne dans un ghetto. Dans ce col-lège à forte majorité musulmane, une seule de mes élèves mange du porc et ses cama-rades se moquent d’elle ! Le niveau culturel des enfants est très faible. En cours de latin, quand je parle du polythéisme, mes élèves m’expliquent qu’il n’existe qu’un seul Dieu ! À la mort de Claude Lévi-Strauss, j’ai saisi l’occasion de leur apprendre le mot anthro-pologue. Je leur ai parlé de la racine “anthropos”, qu’on retrouve dans “pithé-canthrope”, créature intermédiaire entre le singe et l’homme. Aussitôt, un élève m’a rétorqué :“Vous croyez vraiment que l’homme descend du singe, madame ?”

Issus de milieux très défavorisés, ces enfants sont complètement endoctrinés. Ils soutiennent que ce sont les archéologues qui enfoncent des ossements dans la terre pour cautionner la théorie de l’évolution des espèces. » Pour Laura, la solution passe par le dialogue et le respect de leurs croyances : « Je profite de leurs remarques pour les obliger à se question-ner. Quand je parle de Zeus, et qu’ils évo-quent Allah, je leur dis : “Allah n’existait pas à cette époque-là !” Ils me répondent : “Mais il est éternel !” Je poursuis : “Le prophète, il est né quand ?” Pour les sortir de leur isole-ment culturel, on ne doit pas esquiver les sujets sensibles, mais les aborder de front. A l’école d’ouvrir les fenêtres pour leur per-mettre de faire leur choix ensuite. » Y Texte de Alexandra Dejean et Laurent Garré,

photos de Jean Nicholas Guillo,

photomontage de Perrine Dorin

1. L ’Harmattan, 2008, 134p., 13 €.

« Ils soutiennent que ce sont les archéologues

qui enfoncent des ossements dans la terre

pour cautionner la théorie de l'évolution. »

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voix au chapitre

« Notre personnel est mixte, dit l’affiche, et l’hôpital ne peut garantir la prise en charge de la patiente par une femme. » Dès l’entrée de l’hôpital, ces principes sont rappelés. Une mesure nécessaire dans un environnement où les dérives confessionnelles sont fréquentes, même si les incidents graves restent minoritaires. Au nom de leur religion, des patients se mettent en danger : les témoins de Jéhovah s’opposent aux transfusions, des musulmanes refusent qu’un homme les accouche, des juives orthodoxes demandent l’arrêt du monitoring pendant le shabbat.

ImpératIf de soIns. Face à ces situations, le personnel hospitalier est démuni : peu informé des lois et des religions, il accède aux requêtes extra-vagantes de patients connaissant mal leur propre culte. « Toutes les confessions mettent en avant l’ impératif de soins lorsque la vie du patient est en danger », souligne Paul Atlan, gynécologue- obstétricien et psychiatre à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart (93). Les cas graves surviennent souvent en service d’urgences : la vie des patients est en jeu. Stéphane Saint-Léger, chef du service de gynécologie-obstétrique

à l’hôpital Robert -Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (93), évoque le cas typique d’une patiente nécessitant une césa-rienne pour souffrance fœtale : son époux s’oppose à l’intervention, « contraire à sa tradition », et agresse violemment le praticien. Il faut faire appel au procureur de la République pour sauver la mère et l’enfant.Des lois statuent sur la religion à l’hô-pital ; le personnel préfère dialoguer. Les aumôniers sont alors un précieux recours. Le rapport de la commission Stasi sur l’application du principe de laïcité1 déplorait que « tous les cultes ne bénéficient pas dans les faits des avan-tages accordés par la loi en matière d’au-môneries », et l’absence d’aumôniers musulmans dans les hôpitaux.L’hôpital Avicenne de Bobigny (93) accueille l’unique aumônerie inter-religieuse de France ; six cultes y sont représentés. L’imam Ali Koussay inter-vient auprès de patients que le jeûne du ramadan mettrait en danger : « Nous n’avons pas le droit de nous faire du mal à nous-mêmes. » Une autre atti-tude relèverait de la « non-assistance à personne en danger », écrit Isabelle Lévy dans La Reli gion à l’hôpital (Presses de la Renais san ce, 2004). « Les trois religions

Dialoguer pour sauver des vies

À l’hôpital, le refus de soin au nom de la foi met parfois la santé en péril. L’équipe médicale doit s’adapter au cas par cas.

Rendez-vous est donné un dimanche, car « samedi, c’est shabbat », explique Samuel Grzybowski. Dans le XVe arron-dissement de Paris, là où tout a débuté 1. Ce catholique de 17 ans, sympathique, est aussi à l’aise avec les gens qu’avec les mots. Il est le président de Coexister. Avec lui, trois membres de l’association : Esther, juive, a 18 ans, Reda, musulman, 25, et Ardin, catholique, 22. Créé en 2003, ce groupe de dialogue interreligieux a pris son envol en 2008 après le choc provo-qué par un voyage à Auschwitz. Samuel cite Martin Luther King : « J’ai tant vu la haine que j’ai eu envie d’aimer. » Un manifeste sort en janvier 2009, avec cette épigraphe : « Nous croyons que l’Étoile, la Croix et le Croissant peuvent construire ensemble un monde plus uni. » Cette association unique en son genre est gérée par des jeunes de 15 à 25 ans. Ouverte à tous, apolitique, elle est fondée sur la rencontre de l'autre. Samuel

évoque Jean-Paul II : « On se ressemble comme un seul être. Il est temps d’apprendre à se connaître. » Reda présente le KIF (« Kulturel », Interreligieux et Fraternel). Sur la page face-book du groupe, on trouve le KIF du mois en cours : visite du Louvre à la recherche des secrets du judaïsme, découverte de Notre-Dame-de-Paris, théo café, etc. « Notre participation à Coexister réactive notre rapport à la religion et à la spiritualité », souligne Esther. Dans la famille d’Ardin, plusieurs croyances cohabitent : une mère subitement devenue protestante, un jumeau athée et un frère converti à l'islam. Ardin, qui voyait en lui « un futur poseur de bombes », peut désormais l’accom-pagner à la mosquée sans préjugés. « La meilleure religion, c’est la paix », conclut-il. Texte de Anne Lamblin,

et Joëlle Pressnitzer, photo de Elsa Seignol

1. www.coexister.fr

mono théistes sont beaucoup plus pragma-tiques que ne le pensent certains croyants tentés de faire du zèle. Elles donnent tou-jours priorité à la vie et admettent la trans-gression des interdits au cas où elle est en danger. Aux soignants de se montrer à la fois respectueux et stricts. »

Najat Rahmouni

1. www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports

Apprendre à Coexister

Des formations pour Les soignantsL’École pratique des hautes études (epHe) offre une for-mation « L’hôpital entre reli-gions et laïcité », à destination des médecins, chercheurs, aides-soignants, aumôniers. au programme : cadre juridique, exploration de situations réelles et de solutions pos-sibles. elle précise le rôle des aumôniers à l’hôpital. Les intervenants, professeurs uni-versitaires et spécialistes en exercice sont nombreux.

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De g. à dr. : Xavier, futur membre

de l’association Coexister, ardin

(catholique), samuel, le président

(catholique) et farah (musulmane).

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QuanD Le mot prenD Corps. Abstraite par nature, la notion de religion se matérialise entre les mains de citoyens croisés au hasard des rues de Paris. L’occasion pour eux

de répondre concrètement à cette question : « Quelle est votre position par rapport à la religion ? » Le langage du corps donne à voir une réaction, une interaction avec

le mot-objet ; à travers cette mise en scène spontanée, la pose physique traduit la position intellectuelle. photos de Jean nicholas guillo

se vit anonymement. Il tient la religion tout contre lui, comme un objet essentiel, mais

intime. Pas besoin d’afficher ses convictions ni de s’en justifier : « C’est à garder

pour soi. » 5 À travers ce don mutuel, Agnès et Louis affirment leur volonté de partage.

Leur religion, ils aiment avant tout la vivre ensemble et la faire vivre chez l’autre. Un

pont qui les unit : « tiens, c’est pour toi. »

1 Sur un pied et en pleine révolution, Linne exprime le tumulte de la société. Déséquilibre économique, désé-

quilibre des croyances : « C’est aussi la crise pour la religion. » 2 Béatrice refuse de se saisir de l’objet

comme du sujet. Son air distancié révèle un athéisme qu’elle revendique pleinement : « Ça ne m’appartient

pas. » 3 Accablé sous son fardeau, Thomasso peine à avancer. Selon lui, les divergences religieuses entre

les peuples sont un frein à leur bonne entente : « un poids pour la société. » 4 Pour ce jeune homme, la foi

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l'argent des cultes

Halal, label en criseUn chiffre d’affaires, en France, de 5,5 milliards d’euros pour le marché halal, voilà qui attire les convoitises. Sans aucune norme légale, le soupçon est dans l’assiette.

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Ils doutent, se méfient. Sur les forums Internet, les questions des consomma-teurs musulmans se multiplient. Tout comme les invitations à la prudence. Sur le site web aufeminin.com, plu-sieurs jeunes femmes assurent préparer elles-mêmes les repas de leurs bébés, car elles sont sceptiques quant aux pro-duits halal, « qu’ils soient pour adultes ou pour enfants ». « Ma mère se méfie et n’achète pas les produits vendus en super-marché », raconte également Najat, une jolie brune d’origine algérienne. « Elle préfère prendre sa viande en boucherie auprès de quelqu’un en qui elle a confiance et qui choisit ses marchandises. Je fais la même chose. » D’autres affirment pro-noncer le bismillah avant de consom-m e r u n s t e a k , u n e f o r m u l e sacramentelle qui leur permet de se placer sous la protection de Dieu et rejeter la faute sur la personne qui aurait menti en affirmant que la viande est conforme.

La certification halal n’a pas la cote : sur ce marché en pleine expansion, les gages de sérieux manquent. « Il est urgent de définir une véritable norme halal parce qu’il y a trop de flou sur le sujet », reconnaît Fouad Alaoui, président de l’Union des organisations islamiques de France (UoIF). En 1994, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, tente une régulation en accordant aux mos-quées de Paris, de Lyon et d’Évry la compétence pour délivrer des certifi-cats de sacrificateurs aux personnes autorisées à pratiquer l’abattage rituel. En 2004, le Conseil français du culte musulman (CFCM) devait s’attacher à définir une norme. Les représentants musulmans ne s’entendront que sur l’écriture du mot « halal ». Devant l’échec des institutions religieuses, la logique économique a pris le dessus.

Fraudes. Désormais, une soixan-taine de sociétés se partagent le gâteau de la certification. Toutes ne sont pas fiables. Elles sont attirées par une poule aux œufs d’or qui ne pèse pas moins de 5,5 milliards d’euros, sur le plan natio-nal, et qui vaut plus de 600 milliards de dollars à l’international. « Le marché du halal est la promesse de beaucoup d’argent, et de nombreux organismes aimeraient se lancer. Actuellement, tout le monde fait n’importe quoi. Certaines sociétés certifient les viandes qu’elles ont elles-mêmes abat-tues. On ne peut pas être juge et partie. Vous croyez que, si 300 bœufs n’ont pas été tués selon le rite, ils vont les jeter ! », s’in-surge Ali Pillois, un Breton converti à l’islam il y a trente ans, aujourd’hui pré-sident de l’Association de défense du consommateur musulman (ADCM). Les fraudes sont courantes. En sep-tembre dernier, la mosquée de Lyon est embarrassée par des rôtis de dinde contenant de la barde de porc, que son propre organisme, l’Association rituelle de la grande mosquée de Lyon (ARGML), a estampillés halal. « Lorsque

nous refusons de certifier des produits, comme récemment la bière halal, nous savons très bien que ces gens vont aller ailleurs et obtenir ce qu’ils veulent », raconte cheikh Al-Sid Cheikh, assistant du recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur. Depuis quelques années, la Grande Mosquée a abandonné la certi-fication par stickers au profit d’un logo inclus directement dans le packaging, « pour éviter les problèmes ». Même la direction générale de la répression des fraudes reste impuissante, puisqu’au-cune norme nationale n’existe. La ten-dance aux aliments transformés complique d’autant la question, et le manque de traçabilité se fait sentir.

Grande distribution. Devant la surenchère de certains certificateurs, qui font du « plus halal que halal », la suspicion n’en devient que plus légi-time. Un sentiment que la sociologue Florence Bergeaud-Blackler nuance : « Il existe un discours de méfiance commun à tous les consommateurs. Or chez les musulmans, pour lesquels risquer de man-ger une substance toxique est grave, ce doute n’empêche pas d’acheter. De plus, les consommateurs ont-ils une perception suf-fisante de la certification pour faire des choix, sinon par défaut ? » Leur voix n’est que peu représentée. « Les premières générations d’immigrés se débrouillaient. Elles ne considéraient pas le halal comme une offre légitime. Pour les jeunes généra-tions, c’est différent. Elles veulent avoir accès aux mêmes produits que leurs conci-toyens, en version halal », complète cette spécialiste de la question. Depuis peu, le halal s’étend : voyages, mariages ou champagne halal fleurissent. L’arrivée massive de la grande distribu-tion et de marques réputées sur ce mar-ché va-t-elle changer la donne ? Cheikh Al-Sid Cheikh en est persuadé : « Les grandes et moyennes surfaces vont sans doute faire du tri. Elles se tournent vers des institutions reconnues comme la nôtre. Halal, label en crise

Depuis 2009, Allianz,

par l’AGF, commercialise

la première assurance-vie

certifiée halal (5).

À gauche, Mir (2)

et Colgate (3) fabriquent

des produits certifiés

kasher. KFC assure

que ses hamburgers

sont halal (4)

et a demandé en 2007

une bénédiction papale

pour le Fishsnaker.

Il existe aussi du sel béni

pour purifier sa maison (1).

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l'argent des cultes

Saint Denis, l’exception cultu(r)elle

Dans le paysage de la laïcité à la française, la basilique de Saint Denis est un cas particulier. C’est une cathédrale comme les autres et un musée national, à l’accès payant.

Sur dix personnes qui pénètrent dans la basilique de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis, neuf sont

des touristes. Près de 140 000 visiteurs en 2009 ont généré 640 000 euros de reve-nus, tombés dans l’escarcelle de l’État via le Centre des monuments nationaux. Celui-ci a pour mission d’assurer la

conservation, la restauration et l’entretien des monuments sous sa responsabilité.

L’entrée est payante pour les touristes (7 euros), et gratuite pour les pèlerins et les fidèles.

NÉCROPOLE. La construction de la basilique a commencé en 1137, à l’initiative de l’abbé Suger, sur le site de l’abbatiale carolingienne édifiée en 636 par le roi Dagobert et saint Éloi. Dès le Moyen Age, l’église était un lieu de pèlerinage très important. On venait de loin pour vénérer les reliques de saint Denis, premier évêque de Paris. La basilique, premier chef-d’œuvre monumental de l’art gothique, abrite aussi la nécropole des rois de France, compo-sée de plus de 70 gisants et tombeaux sculptés. Elle conserve l’oriflamme et les instruments de leur sacre.

Élevée au rang de cathédrale en 1966, la basilique de Saint-Denis constitue l’exception à la loi de 1905 instituant la sépa-ration de l’Église et de l’État : elle est le seul musée de France, propriété des Monuments nationaux, situé au sein d’un lieu de culte encore en activité. Les relations entre le clergé et l’État n’ont pas toujours été faciles. Mais, depuis une tren-taine d’années, elles se sont apaisées et permettent un travail en bonne intelligence au bénéfice de tous.

fEstivaL. La réussite du Festival de Saint-Denis est un bel exemple de ces bonnes relations. Chaque année, au début de l’été, ce rendez-vous propose une multitude de concerts pres-tigieux de musique classique et religieuse, dont la majeure partie a lieu dans la basilique. Plus de 10 000 jeunes assistent chaque année aux répétitions dans l’édifice religieux. « La basilique est pleine à ce moment-là », se réjouit Roland Lacharpagne, délégué diocésain de Saint-Denis pour l’art sacré. « Les jeunes, qui n’ont jamais assisté à un concert, décou-vrent la musique classique et sont éblouis. Évidemment, ajoute-t-il, ça nous dérange, mais on est content d’être dérangé ! »

texte de anne-sophie Potier,

photo de Emmanuel vivenot

La profanation des tombes royales

de la basilique a constitué un épisode

marquant de la Révolution.

Les consommateurs doivent être vigilants et se tourner vers les grandes marques. Ils auront ainsi la garantie d’un produit sain. » Aujourd’hui, s’il continue de souhaiter l’émergence d’une norme nationale – « mais ça ne se fera jamais » –, l’homme concentre son attention sur les initiatives, notamment en Malaisie, en faveur de la création d’un standard international : « Il faudra du temps. Les juifs ont réussi, pourquoi pas nous ? »

texte de Cindy Routier,

photos de Christophe Decollognew

Le kaSheR tient La Route

Le Consistoire de Paris a longtemps fait autorité sur le contrôle de la kasherout, règles alimentaires juives, sous le sceau «Beth Din de Paris ». aujourd’hui, ce label est concurrencé par d’autres ra binats : « tous se valent même si certains sont plus exigeants. il est difficile de s’entendre sur un standard, car la kasherout alimente le budget des communautés. elles veulent garder leur autonomie », explique le rabbin Élie elkiess, du Consistoire. Les consommateurs choisissent de s’en remettre à l’une de ces autorités religieuses. Les acteurs économiques n’y ont pas leur place.

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Médias chrétiens en tête en France, la presse catholique domine le paysage

des journaux religieux en matière de diffusion.

La Fédération française de la presse catholique regroupe plus de 2 000 titres en 2010, représentant une diffusion cumulée de 150 millions d’exemplaires par an. La presse régionale compte seulement 26 hebdomadaires (diffusion cumulée de 7 millions d’exemplaires) et la presse nationale, 24 titres et dix entreprises de presse, soit 120 millions d’exemplaires diffusés. Dans ce panorama, Bayard tient une place essen-tielle : il est le 5e groupe de presse français avec un titre phare, La Croix, quotidien national qui réalise 96 000 ventes par mois (OJD 2009).

La ReLigion à La tÉLÉviSion PuBLiQueLe service public de la télévision a pour mission, depuis 1986, de diffuser des émissions à caractère religieux. ainsi, France 2 rassem­ble près de 700 000 téléspectateurs pour « Le jour du Seigneur », la plus ancienne émission religieuse de la télévision française. Sur la même chaîne, « Sagesses bouddhistes » réunit 230 000 téléspec­tateurs, alors que « islam » et « Judaïca » en ont chacun 174 000.

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Prier en toute décenceL’institut des cultures d’islam, qui sera construitdans le Xviiie à Paris, abritera des salles de culte.

Paris, quartier de la Goutte-d’Or : les musulmans prient dans la rue. Chaque vendredi, les mosquées Al-Fath, rue Polonceau et Khalid-ibn-Walid, rue Myrha, sont trop petites pour accueillir les fidèles. Rues bloquées, voitures détournées, piétons repoussés par les services de sécurité. La situation s’est aggravée depuis la fermeture, en 2006, de la mosquée de la rue de Tanger. « Ce n’est bon ni pour nous ni pour le voisinage, affirme Moussa Niambele, responsable financier de la mosquée Al-Fath. Nous pouvons accueillir jusqu’à six cents person-nes, mais le vendredi, près de deux mille mu sul mans viennent ici. » Michel Neyreneuf, adjoint au maire du XVIIIe arrondissement, chargé de l’urbanisme, insiste : « La prière dans la rue est indigne, à la fois pour les pratiquants et pour les riverains. Nous devions trouver une solu-tion. » La solution prônée par Bertrand Delanoë dès 2001, c’est l’Institut des cultures d’islam (ICI) dont la construc-tion doit débuter cette année.Le projet est à la fois culturel et cultuel. Il se déploiera sur deux sites, rue Polon-ceau et rue Stephenson. Le coût global s’élève à vingt-deux millions d’euros. Sur quatre mille mètres carrés, sept cents seront revendus, pour environ sept millions d’euros, à l’Association des musulmans de l’ouverture (AMO) qui en fera des salles de prière. Pour res-

pecter la loi de 1905, il s’agira d’un contrat de « vente en l’état futur d’achè-vement » (vente immédiate portant sur des biens non encore construits).Présidée par Moussa Niambele, l’AMO est aujourd’hui en quête de la somme nécessaire : « Nous comptons sur des dons et des aides de certains États. Mais nous ne voulons aucun fonds conditionnel. » À la fin des années 1990, la Mairie de Paris cherchait à financer une salle de prière boulevard de la Chapelle. Michel Neyreneuf, alors actif au sein de l’asso-ciation Paris-Goutte-d’Or, se souvient qu’à l’époque une fondation saou-dienne, Al-Haramein, avait proposé son soutien au projet. Celle-ci est considé-rée comme terroriste par les États-Unis. Le projet n’a jamais abouti.

CaPaCitÉ D’aCCUEiL. Si les respon-sables de la rue Polonceau se félicitent – « La Ville nous propose de prier décem-ment, on ne peut pas refuser » –, le recteur de la mosquée de la rue Myrha dénon-çe, lui, un manque de concertation. Reste une question à résoudre : la capa-cité d’accueil des salles de prière de l’Institut correspondra-t-elle au nombre de fidèles escomptés ? Non, répond Michel Neyreneuf. « On est actuellement dans une spirale qui ne peut que s’amplifier, on pourrait aussi avoir des fidèles jusqu’au métro Barbès. Nous comp-

à la marge. La presse musulmane est plus active sur le Net : oumma.com revendique aujourd'hui plus de 1 million de visiteurs par mois. En presse écrite, le mensuel gratuit Salam News est diffusé à plus de 100 000 exemplaires. La presse juive aussi souffre de visibilité. Sur un lectorat estimé à 600 000 : L’Arche, fondée en 1957 (20 000 exem-plaires) ; Actualité juive, fondé en 1982 (18 000 exemplaires) ; et Tribune juive, fondé en 1968 (10 000 exemplaires).

Texte de Rémi Milesi,

illustration de Mathieu salgues

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tons sur un changement des habitudes et avons notamment demandé à la préfecture de police de prendre ses responsabilités et d’assurer l’inter diction de prière dans la rue à l’ouverture de l’ICI. » Depuis octobre 2006, un site provisoire préfi-gurant l’Institut des cultures d’islam est installé rue Léon. C’est tout autant un lieu d’expositions et de concerts que d’en seignement et de réflexion.L’établissement de la rue Stephenson doit ouvrir ses portes en 2012, et celui de la rue Polonceau en 2013.

texte de thierry Lepin,

photo d'Elsa seignol

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Paris, janvier 2010.

Des musulmans prient

au dehors de la mosquée

al­Fath, ne pouvant

y entrer faute de place.

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Une brebis égarée à Athis-Mons un dimanche matin en perdrait son latin. Dans l'étroit vestibule de son église

Un chœurLes catholiques d’Athis-Mons, dans l’Essonne, partagent leur église avec les orthodoxes éthiopiens de Tewahedo. Cette communauté, comme beaucoup d’autres issues de l'immigration, souffre de la pénurie des lieux de culte.

u d’ inspiration bretonne, des chaussures sont soigneusement alignées. Un chant africain rythmé de clochettes remplit la nef. Des silhouettes drapées de fin coton blanc se prosternent. Nous sommes dans la paroisse catholique romaine du diocèse d’Évry. Depuis 2005, tous les dimanches, Notre-Dame-de-la-Voie devient Debre Metmak, pour l’Église orthodoxe éthiopienne Tewahedo. Deux noms pour un même édifice. Devant la pénu-rie de lieux de culte (lire encadré) qui affecte les communautés spirituelles issues de l’immigration, la paroisse a choisi l’accueil. Catholiques et ortho-doxes partagent le même site.

OrganisatiOn. Si le jeune prêtre éthiopien, l’aba Woldentensae, affirme : « In Christ we are one », en pratique, cette situation est un défi qui « demande d’accepter l’autre », résume Liliane Sizaire, médiatrice de l’équipe parois-siale catholique. Vivre en harmonie sur un plan spirituel passe par une bonne orga nisation matérielle. À l’origine de cette cohabitation, un appel de l’arche-vêque orthodoxe Abouna Yousef des-tiné au cardinal Jean-Marie Lustiger,

dans l’espoir de trouver une église catholique désaffectée. Transmis aux évêques d’île-de-France, il est entendu par Mgr Dubost, du diocèse d’Évry. La délégation éthiopienne choisit Notre-Dame-de-la-Voie, pour son jar-din, qui se prête aux processions des grandes célébrations, et pour la profon-deur de son chœur. Ce dernier, dissi-mulé par un épais rideau rouge, abrite l’Arche d’alliance : la liturgie orthodoxe impose que des actions soient cachées derrière cette « iconostase ». L’autel catholique est situé beaucoup plus bas, depuis les réformes de Vatican II, qui favorise la proximité du prêtre et de l’assemblée. Les orthodoxes installent leurs icônes au moment de leur messe, sans perturber l’office catholique. « Le respect de la foi passe par le respect de l’es-pace », précise Liliane Sizaire. « Si nous avions notre propre église, cela ne serait pas mieux », ajoutent les Éthiopiens. De l’avis des deux prêtres, tout se déroule conformément aux traditions de chacun. Tout, excepté les horaires. Déplacer le jour de la messe catholique au samedi soir afin de laisser la matinée dominicale aux orthodoxes n’est pas anodin. Pour le père René-Jacques

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pour deux

u Samedi soir (1), messe catholique

à Notre-Dame-de-la-Voie,

par le père Traonouïl. Dimanche

matin, office orthodoxe par l’aba

Woldentensae dans l'église

« Debre Metmak » (4). Il s'agit

pourtant du même édifice.

Les Éthiopiens (2) embrassent

l’Évangile, « Mätsehaf Queddus ».

Selon leur rite, l’hostie (3) est

remplacée par une bouchée et une

cuillerée. Séparées des hommes,

les femmes (5) ont couverts leurs

cheveux d'un châle de prière.

Traonouïl, la concession s’impose, « leurs offices étant beaucoup plus longs ». « Des personnes qui vivent en France depuis une trentaine d’années doivent avoir un lieu pour vivre leur religion », estime Liliane Sizaire. Tous n’ont pas ce pragmatisme. Accueillir l’autre chez soi ne va pas de soi, « surtout quand il ne nous ressemble pas », regrette-t-elle.

Partage. Peu de réticents toutefois : une dizaine seulement ont quitté la paroisse. D’autres apprécient la cour-toisie des Éthiopiens et dégustent l’ excellent café qu’ils préparent lors des kermesses. « Le partage, c’est le plus important », explique la médiatrice éthiopienne Tourounesh Hermann au milieu du repas dominical traditionnel, qui se déroule dans la crypte après la longue messe orthodoxe. Prendre le pain et le thé ensemble prolonge l’échange entre Éthiopiens venus de toute l’île-de-France. Ils se retrouvent dans ce lieu de sociabilité, capital pour

affronter les difficultés liées à une récente immigration. Également tréso-rière, Tourounesh Hermann compte les billets de la quête. Le partage passe aussi par là : les charges courantes sont équitablement réparties. Les seules ani-croches se limitent à : « Qui a oublié d’éteindre le chauffage ? » La commu-nauté Tewahedo a payé la moquette, dont elle a besoin pour se déchausser. Elle a participé à la réfection des instal-lations électriques. Construit en 1954, après la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, l’édifice est propriété du diocèse d’Évry-Corbeil-Essonnes, qui finance l’entretien.

rites séParés. Le ménage est fait par des équipes mixtes. Les prières le sont moins. La curiosité mutuelle se heurte à des obstacles pratiques. Le rite orthodoxe est en guèze (vieil éthio-pien). Et les fidèles hésitent à venir le samedi pour l’office catholique, car ils habitent trop loin. « Nous n’avons pas la

pleine communion eucharistique. Pas encore1 », précise le père René-Jacques, avec une pointe de regret. Les ortho-doxes sont plus stricts sur ce point. « Nous restons sur notre faim », ajoute-t-il à propos de la messe œcuménique organisée une fois par an. Il reconnaît pourtant que « les liens les plus forts, ici à Athis-Mons, sont avec les Éthiopiens ». Selon le prêtre, une cohabitation avec les luthériens voisins n’est pas vraiment envisageable. Les rapports avec les musulmans sont très bons, le temps d’un dîner annuel. La discorde survient dès que l’on aborde le thème de la Création. « Ils devraient aussi bénéficier d’un nombre suffisant de mosquées pour accueillir tous leurs fidèles, déclare Liliane Sizaire, que l’intolérance déses-père. À Athis-Mons, certains voisins se plaignent bien que nos cloches sonnent trop fort… » Texte de Caroline Six,

photos de Véronique Samson

1. Les dogmes catholiques et orthodoxes sont très différents.

RÉpARTITIoN DES LIEux DE CuLTE pAR RELIgIoNS Entre fidèles et lieux de culte, la répartition est inégale en France. Les 40 millions de catholiques disposent de 50 000 églises (sur un total de 100 000 sites religieux). Les 5 à 6 millions de musulmans peuvent se rendre dans 1 900 salles de prière, dont 90 mosquées. Les protestants (près de 1,4 million) ont accès à 2 000 temples et les 600 000 juifs, à 280 synagogues. Quant aux 150 000 orthodoxes, ils se partagent 128 églises. Les bouddhistes, non dénombrés, se rencontrent dans 180 pagodes. Ces données (Ifop et Bureau des cultes) sont à relativiser. Il est difficile, en effet, d'établir un parallèle entre la fréquentation des lieux de cultes et la pratique religieuse réelle, très différente selon les croyances.

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VÉNÉRATION EN CLAIR OBSCUR. Symbole de l’ordre cosmique, de la destruction, de la création et de la fertilité, Shiva est l’une des trois principales divinités hindoues. La

célébration de Maha Shivahari est marquée par un jeûne quotidien et des cérémonies nocturnes. Les femmes participent activement. Photos d’Agnès Duret et Cyril Marcilhacy

1 Durant la «pûjâ” (la prière), le “lingam” - symbole phallique de Shiva - est arrosé de lait,

de miel et reçoit fleurs, fruits et sucreries. Deux “puraji” (le prêtre) évoluent entre la table

d’offrandes et l’autel des divinités. Tandis que l’un offre les présents à la divinité, l’autre

récite des mantras. 2 Cette statue représente la danse cosmique de Shiva. 3 Pendant la nuit

de Shiva, les femmes sont séparées des hommes. Lors de la “pûjâ”, l’une d’elles chante des

prières. Les femmes mariées prient pour leurs époux et leurs fils, et les jeunes filles pour

trouver un mari idéal. 4 Les fidèles peuvent demander une bénédiction particulière pour leur couple. Ils

apportent des offrandes et font l’objet d’une attention spécifique de la part du prêtre. 5 Selon les textes

sacrés, les cadeaux du “pujari” à Shiva doivent comporter des feuilles de bili. Celles-ci ont pour vertu de

calmer ce dieu au sang chaud. Elles symbolisent également la purification de l’âme. 6 La table des offrandes

est remplie de noix de coco, de lait, de feuilles de bili, d’épices, de miel et de bananes. Cette nourriture est

réputée favorable à la longévité et à la satisfaction des désirs.

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chemins de foi

Daniel Siegel, 69 ans, est ingénieur chimiste à la retraite. De mère juive, de père catholique originaire d’Auvergne, il a été baptisé à 1 an pour échapper à la rafle nazie en 1942. Mais c’est à 8 ans qu’il fait sa véritable rencontre avec la religion, au sein du mouvement catholique des Cœurs vaillants, où il a passé quatre années inoubliables. Il y a appris la prière, la messe, surtout la charité. De cette période, lui vient l’amour du partage, l’implication dans des associations d’aide (Partage Rencontre Echange [PRE]). Sa conception de la foi et de Dieu se résume dans le « Sermon sur la montagne » (Évangile selon saint Matthieu) : selon lui, rien n’est plus beau que d’apprendre à vivre avec autrui. « On n’est jamais aussi bien avec soi-même que lorsqu’on est bien avec les autres », dit-il. Il prie avec ses mots, son cœur, s’adresse

à Dieu comme son plus proche confident. Il choisit la musique pour méditer, le silence pour prier, plutôt que l’église. En 2002, le curé de sa paroisse lui suggère de faire sa première communion. Un an plus tard, il fait sa confirmation à l’évêché de Versailles et participe à la vie de sa paroisse, où il a fait partie du conseil pastoral pendant sept ans. En 2003 encore, il décide de renouer avec ses racines, après une visite au Mémorial de la Shoah, à Paris, où il découvre, ému, les noms de ses grands-parents déportés à Auschwitz. En somme, l’histoire de Daniel Siegel lui a donné l’occasion de vivre sa foi chrétienne avec toute sa dimension judaïque. Texte de Najat Rahmouni, photo de Sophie Garcia

Recherche spirituelle ou mariage, quel que soit le motif, les conversions sont

en constante augmentation. Laïcité aidant, la question de la religion ne figure dans aucune statistique officielle. Seuls les pouvoirs publics disposent de moyens suff isants pour évaluer l’importance du phénomène. Mais les chiffres appartiennent aux services administratifs des différentes religions, qu’ils délivrent à discrétion.

Baptême. Selon l’Église catholique, le nombre de baptêmes a diminué de près de 20 % en dix ans (un peu plus de 300 000 baptêmes en 2009). Tra­ditionnellement, on baptise les enfants à la naissance, mais cette coutume tombe en désuétude, ce qui explique le moindre nombre de catholiques. Les conversions d’adultes, dites tardives, sont en augmentation de plus de 18 %. En 2009, on comptait 9 846 catéchu­mènes (aspirants au baptême) contre 8 290 en 1999. Une progression certes significative, mais insuffisante pour compenser la perte de vitesse que connaît la première religion française.Pour l’islam, les conversions sont quasi impossibles à dénombrer, la tenue de registre n’étant pas obligatoire. Celui qui se convertit doit prononcer la cha-hada – le premier pilier de l’islam –, avec réelle conviction, et devant témoins : « J’atteste qu’il n’y a de Dieu qu’Allah, et Muhammad est Son messa-ger ». Selon un article de La Croix, en 2006, il y aurait 3 600 nouveaux musulmans par an en France. Un

Conversions à la loupe

À l’issue d’une démarche personnelle et intime ou pour se marier, les Français sont de plus en plus nombreux à se convertir.

chiffre qui serait lié à l’explosion des mariages entre musulmans et non­musulmans, mais aussi dans le cadre d’une rencontre avec cette religion dans les banlieues.

mariage. Le Consistoire de Paris annonce environ 144 conversions par an qui intéresseraient essentiellement des personnes nées d’un mariage mixte (entre personnes de confessions diffé­rentes). Comme la religion juive se transmet de mère à enfant, la conver­sion devient nécessaire dés lors que cette condition n’est pas remplie. Le processus est long : études des textes sacrés (pendant parfois plusieurs années), examens écrits, entretiens avec un conseil de rabbins et le bain rituel, dit mikvé. Mais ce type de mariage est sujet à controverse. Certains mouve­ments, comme celui du judaïsme libé­ral, militent pour que tous les enfants issus d’unions mixtes soient d’emblée juifs. D’autres courants radicaux refu­sent jusqu’aux conversions en vue d’une union maritale.L’apostasie, rejet déclaré d’une religion, serait presque inexistante. Peu de gens se font débaptiser. Le père Alexandre, prêtre en banlieue parisienne, affirme : « En général, les gens ne prennent pas la peine de prévenir quand ils abandonnent une religion. » On peut se faire rayer des registres, on n’en a pas moins reçu le baptême aux yeux de l’Église. Il en va de même dans le judaïsme et l’islam, quel que soit le désir d’un individu.

Texte de Caroline Eveillard,

illustration d’Isabelle Courmont

naîTrE juIf, vIvrE ChréTIEn

En 1942, Daniel Siegel est baptisé par ses parents pour échapper aux rafles nazis.

Baptêmes et origines religieusesen 2009, sur les 10 000 catéchumènes en procédure, environ un tiers ont été baptisés dans l’année. près de un sur deux est issu d’un milieu chrétien. un convertis sur cinq ne professait aucune religion auparavant, ceux provenant d’une autre religion sont rare : seulement 1 % sont issus du judaïsme, 4 % de l’islam, 4 % de reli-gions orientales. plus étonnant encore, près de 23 % des aspirants au baptême sont incapables de déterminer leur tradition familiale religieuse d’origine.

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Portfolio

LE CHOIX DES COIFFES. La chevelure féminine est perçue, dans plusieurs religions, comme un symbole sexuel.

À l'heure où l'islam est souvent stigmatisé à propos du voile, on oublie souvent que le christianisme a été le premier à couvrir les cheveux des femmes.

Plusieurs croyantes, de confessions diverses, ont accepté de parler de leur choix. Photos de Valérie Faucheux-Georges

1 Sœur Marie-Claude, 83 ans : carmélite, elle a pris sa retraite

chez les Petites Sœurs des pauvres. « Notre costume cou leur

terre est signe d’humilité et de pauvreté. Le voile est un lien

avec Dieu. » 2 Ilhame, 29 ans : secrétaire de rédaction et mère

de famille, elle porte le hijab depuis ses 13 ans, contre l’avis de

ses parents. Elle le quitte au travail et à la mai son. « La femme

dans l’islam est une perle. L’homme doit mériter ses fa veurs. »

3 Sœur Anne-Marie, 83 ans : cette ancienne in fir mière passe sa

retraite chez les Petites Sœurs des pauvres. « Comme mon cos-

tume, le voile est l'expression de ma consécration à Dieu. Je

veux mourir avec. » 4 Sœur Sophie, 35 ans : l’exception. Elle vit

dans la communauté des Petites Sœurs de l’Assomption et ne

por te pas l'habit. « Le voile et le costume sont des signes exté-

rieurs. La foi reste intérieure. » 5 Trig-Hang, 63 ans : cette

bouddhiste vietnamienne, qui vit en Australie, a « pris refuge » il

y a trente-deux ans. « Les cheveux sont un signe de beauté et

de séduction. Une fois nonne, vous n’en avez plus besoin. »

6 Imane, 21 ans : musulmane pratiquante, étudiante en médecine,

elle a opté pour le hijab à 18 ans. « Le voile n’est pas une obli-

gation, j’ai choisi de le porter. L’enlever, c’est am puter une

par tie de ma personnalité. »

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charité ordonnée

Servir l’Autre cLe Secours catholique est un service de l’Église. Il dépend donc de la hiérarchie catholique. Le recrutement pour les postes d’enca-drement est avalisé par l’archidiocèse. Le Secours islamique, qui n'est pas soumis à une hiérarchie religieuse, a été créé pour per-mettre aux musulmans de s’acquitter de l’impôt obligatoire, la « zakat ». Celle-ci est versée à des actions d’aide aux plus démunis suivant les règles du Coran. La Cimade, selon l’article premier de ses statuts, « est une forme du service que les églises veulent rendre aux hommes au nom de l’Évangile libérateur ». Ce qui suscite quelques remous et a fait l’objet de débats lors des 70 ans de l’association, en janvier dernier.

Charité, devoir de bienfaisance et altruisme font partie des fondements des religions monothéistes. Ainsi, dans l’Évangile selon saint Matthieu, on lit au chapitre xxv : « Les hommes sont féconds ou stériles en bonnes œuvres par le choix de leur volonté ; et ainsi c’est très jus-tement que Dieu punit les uns et qu’Il cou-ronne les autres [...] Et le Roi leur répondra [aux justes] : Je vous dis en vérité que chaque fois que vous [avez donné à man-ger, à boire, un logement, des vête-ments] aux moindres de Mes frères, c’est à Moi-même que vous l’avez fait. » Et dans le Coran, il est précisé au verset 32 de la sourate v : « Et celui qui sauve un seul homme est considéré comme s’il avait sau-vé tous les hommes. » Si auparavant cer-taines organisations confessionnelles ont voulu convertir, aujourd’hui, elles sont des moteurs légitimes de la société. Elles pallient souvent les manques de l’État en matière d’action sociale. Le Secours islamique France (SIF), le Secours catholique et la Cimade font appel à des bénévoles qui ne sont pas tous des croyants, des pratiquants ou de même confession. Certes, ils sont généralement portés par la foi. Pour

Nora, 32 ans, s’engager est un moyen de vivre pleinement sa religion. Elle s’est dirigée vers le SIF en août 2009, pen-dant le ramadan. Parce qu’« à ce moment-là, particulièrement, on doit aider les autres », même si la charité, un des cinq piliers de l’islam, doit s’exercer toute l’année. Nora est donc restée et s’occupe de l’épicerie solidaire, Épisol, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et des « maraudes », tournées auprès des SDF. Nicolas, journaliste, la cinquantaine, a, lui, poussé la porte du Secours catho-lique pour approfondir les valeurs essentielles de la chrétienté. « La philo-sophie qui y est développée me paraît pro-fondément chrétienne, la valeur de l’individu est au cœur de toutes les actions. Mais, si ces valeurs étaient défendues dans une autre association et pas ici, c’est dans celle-ci que j’irais. » Depuis seize ans, il n’a jamais eu envie de partir.

Fraternité. Claire a la soixantaine. Médecin chercheuse, elle était active au sein de sa paroisse protestante, jusqu’à ce qu’une maladie bouleverse sa vie, la douleur lui laissant peu de répit. Elle évoque l’amour de Dieu qui l’a tournée vers les autres : « Je vivais à la fois dans la révolte, dans le cri et avec la sensation que j’étais toujours dans les bras de Dieu. Une fois qu’on a senti son amour, on ne peut qu’avoir une attitude fraternelle envers les autres. » C’est ainsi qu’en 1993, elle a monté un accueil de la Cimade au temple de la rue Madame, à Paris. Sylvia, elle, est entrée dans l’association au terme d’un parcours de syndicaliste et de militante au sein d’Amnesty International, entre autres. Autrefois mariée à un Mexicain sans papiers, c'est tout naturellement qu'elle défend la cause de la Cimade.Pour autant, ces associations confes-sionnelles recrutent leurs bénévoles sans distinction de religion. Gare du Nord à Paris, à l’accueil de rue du Secours catholique, parmi les collègues de Nicolas, il y a Jean-Christophe, agnostique, Mohamed, musulman pra-tiquant, et Claude, protestant. Le par-tage de valeurs les réunit. Bernard, lui, est catholique. Plus motivé par l’idée d’aider les plus pauvres que porté par la religion. Au SIF, les bénévoles sont

aussi bien athées que croyants, mais, fait important, ces derniers évoluent dans un contexte qui leur est favorable. Nora, qui porte le hijab, redoutait la réaction des SDF lors des maraudes. Finalement, rien. Elle reconnaît que le SIF lui permet de pratiquer en toute tranquillité : « J’aurais pu me diriger vers d’autres associations, mais, ici, je peux accomplir mes cinq prières par jour. Est-ce que je pourrais en faire autant ailleurs ? » Elle sourit : « Autant éviter les conflits. »

écoute. Tous ont la même opinion : la religion n’est pas un sujet de débats entre bénévoles et bénéficiaires. Souvent, ces derniers ne savent pas qu’ils ont affaire à une association cultuelle. Et quand c’est le cas, peu leur importe. À l’épicerie solidaire du SIF, une mère de famille, musulmane, apprécie de trouver des produits halal. Berbeline, elle, y voit un moyen d’allé-ger ses difficultés financières et de ren-contrer des personnes attentives. Elle a des copines musulmanes, mais, « bon, l’islam, je connais un peu. Y a le halal, c’est ça ? ». Les « accueillis » du Secours

catholique parlent surtout de la gen-tillesse et de la qualité d’écoute des bénévoles. Certains s’étonnent : « Ah bon, catholique ? Ah non, je ne savais pas ! » Quant à la permanence d’accueil des sans-papiers de la Cimade, il suffit de discuter avec les personnes qui font la queue pour comprendre que la confession des « accueillants » n’est pas un problème. Ce qu’attendent avant tout les bénéficiaires, c’est d'être épaulés dans le labyrinthe absurde de l’admi nistration française.Plus que la foi en Dieu, c’est l’inébran-lable énergie de ceux qu’ils aident qui porte les bénévoles. Comme le souligne justement Claire : « Moins on a de résul-tats, plus il faut être là. »

Texte de Christel Baridon,

photos de Jérémie Croidieu

Certains s'étonnent : « Ah bon, catholique ? Ah non,

je ne savais pas ! » Un bénéficiaire sri-lankais

du Secours catholique de la gare du Nord à Paris

De gauche à droite :

Nora, bénévole à Épisol,

épicerie solidaire

du Secours islamique ;

Nicolas défend

ses valeurs humaines

au Secours catholique.

En bas, la Cimade

accueille des sans-

papiers dans un temple

protestant, à Paris.

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Servir l’Autre Les bénévoles d’une association confessionnelle ne sont pas toujours croyants ou de la même religion. Enquête auprès des volontaires de la Cimade, du Secours islamique France et du Secours catholique.

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charité ordonnée

La galère, Jeannot la connaît bien. A Paris, la mission évangélique « Parmi les sans-logis » l’a accueilli, il en est devenu bénévole.

Une barbe blanche, des mains épaisses, un franc sourire auquel manquent quelques dents. Jeannot a 58 ans.Il venait manger à la mission évangé-lique « Parmi les sans-logis », puis en est devenu bénévole. Il fait un peu de tout : ménage, café, téléphone. Plus le tri du courrier : 500 à 600 lettres par jour pour 2 500 personnes domiciliées à la mission.Il est croyant, même s’il s’est parfois « un peu éloigné ». Il est homosexuel et n’a « pas honte de le dire », mais le chu-chote. Pour certains, « t’es homosexuel, t’es pas dans l’Église ».En 2005, il quitte Marseille où il vivait déjà dans la précarité. À Paris, Jeannot a « dormi avec des SDF au métro Saint-Ambroise ». C’était la première fois qu’« il dormait vraiment dans la rue ».

La Bible selon Jeannot

Un dominicain engagé

« Dieu, on sait pas trop

où il est », dit Jeannot.

P« Tant que l'injustice persistera,

ma foi ne me laissera pas tranquille. »

« Grâce à Dieu, explique-t-il, la rue, je connais sans vraiment connaître, ce que je connais c’est la galère, le Samu social… »Les gens, ici, « y en a beaucoup qui vien-nent que pour manger. Quand vous avez cinq, six, dix ans de rue… Dieu, on sait pas trop où il est ».« J’essaie de lire la Bible autant que pos-sible, mais ces temps-ci j’étais très fatigué. » Jeannot est séropositif : « L’année pro-chaine, je ne serais peut-être plus là. » La Bible, c’est des « valeurs de réconfort ». « Y a des gens qui ont besoin qu’on les aide, pas forcément financièrement… mais par une tape sur l’épaule, une main sur la joue. Parce que des gens crèvent de solitude, parce qu’on vit dans un monde où c’est cha-cun pour soi et Dieu pour tous. » Y Texte de Marc Frohwirth,

photo de Damien Alitti

Pourquoi avoir décidé de consacrer votre vie aux plus fragiles ?J’ai été ordonné prêtre en France, autour de 27 - 28 ans. J’ai ensuite été assigné à Montpellier. J’aurai voulu être aumô-nier des gitans, mais on a refusé que je vive avec eux. Je me

suis donc occupé des réfugiés de la guerre civile espagnole et des immigrés. Tant que l’injustice persistera, ma foi ne me laissera pas tranquille.

Vous avez conservé des liens avec votre pays d’origine, l’Espagne. Quel regard portez-vous sur ETA ?A ses débuts, ce mouvement était formé de jeunes du parti nationaliste basque (démocrate chrétien), qui se sont radica-lisés en opposition à l’Eglise catholique alliée à Franco. Le parti revendiquait un État. Le mouvement d’alors n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui. De Gaulle était-il patriote ou terroriste ? C’est curieux : quand on perd, on est terroriste ; si l’on gagne, on devient révolutionnaire. On ignore cepen-dant que la véritable force d’ETA réside dans la sympathie que lui attire l’incarcération de six cents de ses membres. Quant à savoir si sa politique suscite l’adhésion populaire, c’est une autre histoire !

Que pensez-vous de la laïcité à la française ?J’aime la laïcité, car elle tolère toutes les religions et impose les droits de l’homme et du citoyen. Pourvu que ses principes soient respectés. Texte de Lise Michaud,

photo de Sophie Garcia

Pedro Meca, prêtre dominicain, a donné sa vie aux exclus : des réfugiés de la guerre civile espagnole jusqu’aux SDF. L’ancien opposant au franquisme a choisi, depuis 45 ans, de lutter contre l’injustice.

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charité ordonnée

Paris, Ve. Église Saint-

Nicolas-du-Chardonnet,

à la sortie de la messe.

D’ici à 2015, les bâtiments publics devront être accessibles à tous. Les lieux de culte ne sont pourtant considérés ni par l’État ni par les associations comme des chantiers prioritaires.

Accès aux lieux de culte : le calvaire des handicapés

Le 11 février 2010, la « loi handicap » fêtait ses cinq ans. Pour quels résultats ? La loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyen-neté des personnes handicapées » pré-voit, entre autres mesures, que toute personne ait accès au « cadre bâti exis-tant ». Échéance fixée au 1er janvier 2015, pour tous les lieux de culte, donc. La mise en place, à mi- parcours, d’un « observatoire de l’accessibilité » par Nadine Morano, secrétaire d’État à la Famille et à la Solidarité, révèle les dif-ficultés de ce projet.Installer une rampe d’accès ou élargir les cheminements d’une église est certes plus compliqué qu’il n’y paraît.

Les contraintes techniques sont strictes. Une rampe doit être inclinée à 5 % et disposer d’une rambarde de sécurité et de paliers de repos ; il faut prévoir des boucles magnétiques pour les malen-tendants, des luminaires pour les mal-voyants... De plus, concilier application de la loi et respect des bâtiments histo-riques est parfois délicat. Les architectes des Bâtiments de France peuvent s’op-poser à des projets altérant l’esthétique ou le caractère originel des lieux.

indifférence. Certaines municipa-lités rechignent à la dépense. Question de moyens, mais aussi de priorités. Ainsi, en 2006, la commune de Joinville-le-Pont (Val-de-Marne) a opté pour une rénovation de la façade de l’église Saint-Charles-Borromée plutôt que pour sa mise en conformité. Ce relatif désintérêt se ressent aussi au niveau étatique : en 2009, les Journées du patrimoine avaient pour thème « Un patrimoine accessible à tous », mais les pouvoirs publics n’ont encore débloqué aucune aide pour aménager les monuments historiques. Du côté des organismes laïques, l’atti-tude de l’Association des paralysés de

France est significative. Elle n’a aucune revendication vis à vis des lieux de culte, en dépit des alertes de l’un de ses diri-geants, Didier Darcier. « Mes collègues n’en ont jamais eu cure. […] Le culte, les rites ou les sacrements n’y sont pas analy-sés comme socialisants, culturels ou théra-peutiques. […] Chrétien pratiquant dans ce fauteuil roulant, je ne peux me rendre – en général – qu’en instituts religieux, en communautés ou en hôpitaux », déplorait-il sur agoravox.fr en août dernier.Face à cette indifférence, les églises, les mosquées ou les synagogues sont for-cées de s’en remettre à la générosité des fidèles et de rares associations spéciali-sées. L’Office chrétien des personnes handicapées a ainsi accordé l’an passé 260 000 € de subventions à une qua-rantaine de projets.En cas de non-respect de la loi d’ici à 2015, des sanctions sont prévues : amende de 45 000 €, remboursement des subventions publiques, ou ferme-ture de l’établissement. Faute d’engage-ment sur l’accessibilité des lieux de culte, c’est l’ensemble des fidèles qui pourrait trouver porte close. Texte de Jérémy Davis,

photo de Laura Surroca Vilarnau

En France, tous les bâtiments religieux sont devenus des biens communaux ou étatiques en 1905. C’est donc à l’État, aux collectivités ou aux villes d’en assurer les frais d’entretien et d’aménagement. L’État est propriétaire de 90 % des églises, dont 86 cathédrales (sous la res-ponsabilité du ministère de la Culture). Les sanc-tuaires construits après 1905 sont des propriétés privées d’associations cultuelles.

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cultures sacrées

riste du Troisième Testa ment, évoquent leur « fascination pour le monde ésoté­rique et spirituel, l’envie de croire en quelque chose, comme [les] deux person­nages ». Thorgal ou Corto Maltese nous entraînent dans leurs « voyages initia­tiques »... Par ailleurs, les éditions Coccinelle et les Éditions du Triomphe rééditent de vieux classiques de BD confessionnelles.

Plein essor. Le développement de ce thème est significatif en termes de vente d’albums. À La Procure, une des plus importantes librairies religieuses d’Europe (Paris VIe), le diptyque Manga fait partie des meilleures ventes avec 1 000 exemplaires vendus en 2009, contre 500 volumes pour l’une des bibles illustrées phares. De même, Le Voyage des pères, de David Ratte, est autant acheté qu’Astérix ou Blake et Mortimer. Clémence Charetier, du rayon BD, confirme : « Les sections BD [dont un tiers des titres concerne la reli­gion] et jeunesse sont les seules de la librai­rie ayant des ventes en augmentation. » Au rayon jeunesse religieuse, 80 % des titres se rapportent au christianisme. Plus largement sur le marché, Les Gar­diens du sang (troisième saison du Trian­gle secret, de Convard, Falque et Juillard) sont en tête des ventes, tous thèmes confondus. Transmettre sa foi, sensibi­liser les jeunes générations à la lecture de façon à la fois ludique et pédago­gique, satisfaire un besoin d’imaginaire,

À Angoulême, le Festival de la BD chré­tienne s’est tenu parallèlement au Festival international de la bande des­sinée. Il a récompensé Manga. Le Messie et Manga. La Métamorphose, adaptation en deux volumes du Nouveau Testa­ment, 19e prix de la BD chrétienne fran­cophone, et L’Encre du passé, prix 2010 du jury œcuménique de la bande des­sinée. Au Salon du livre de Paris, Marc­Antoine Mathieu a reçu le grand prix de la critique 2010 de l’Association des critiques et journalistes de bande dessi­née (ACBD) pour son album Dieu en personne.

« La bande dessinée constitue un bon analyseur des courants et des change­

ments socioreligieux », lit­on dans l’essai de Jean­Bruno Renard1, sociolo­

gue. À une époque où les hommes sont en quête de spiritualité ou de leurs racines, la religion est devenue un thème parmi d'autres, abordé sous dif­férents angles : humour, hagiographie, mysticisme ou spiritualité, ésotérisme, voire fantastique. Ainsi, des séries comme Le Déca logue, La Bible en BD ou encore La Genè se, Le Triangle secret, Abbé Pierre. Mais aussi Sœur Marie­Thérèse des Batignolles, Le Chat du rabbin, La Vie de Bouddha... Il n’est pas une religion qui ne soit traitée. Dans L’Incal, Alexandro Jodorowsky et Moebius nous propo­sent une vision mystique avec la théo­rie des cycles, la place du bien et du mal, le chaos en tant qu’ordre... D’autres, comme Xavier Dorison, scéna­

Symbole de la contre-culture dans les années 1970, la bande dessinée aborde aujourd’hui la religionsous tous ses aspects, à travers des quêtes initiatiques ou réédition d’illustrés confessionnels.

La BD prend de la hauteur

Vignette extraite

des « Sept Missionnaires »,

d’A. Ayroles, Delcourt

(couverture de l'album page

de droite, en haut à gauche).

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« Le Chat du rabbin », de J. Sfar,

Dargaud ; « Le Décalogue »,

de F. Giroud, Glénat ;

« Dieu en personne »,

de M.-A. Mathieu, Delcourt.

de mystère, telles sont les principales motivations d’achat. La BD chrétienne l’entend bien mais, « ce qu’il [lui] manque, ce sont des inves­tisseurs; une bonne BD peut se rééditer presque à l’infini car son message est éter­nel et le public se renouvelle », indique le frère Roland Francart, fondateur et directeur du Centre religieux d’infor­mation et d’analyse de la BD (Criabd). Manque de propos motivants ? Peut­être, car des auteurs moins engagés ont su profiter de l’engouement religieux pour créer des collections spéciales : « La Loge noire » chez Glénat, « Secrets du Vatican » chez Soleil Production.

« feu’s d’saints ». Religieux et « anti » ont bien compris que l’image est un mode de communication uni­versel. Au xixe siècle, les jésuites utili­saient des tableaux de mission (succes­sion d’images), d’autres des « feu’s d’saints » (portraits de saints), ou les fameuses images d’Épinal. Bayard Presse et Fleurus Presse, maisons d’édi­tion catholiques nées en fin de siècle, ont joué un rôle majeur dans l’évolu­tion de la BD en France. Leurs hebdo­madaires (Pèlerin et Cœurs vaillants), relataient la vie des saints à côté des aventures de Tintin.Jusqu’aux années 1960, les éditeurs veillèrent à publier des histoires pour s’attacher une clientèle catholique. À partir des années 1970, des auteurs liés à la contre­culture se sont inspirés de

textes sacrés qu’ils réinterprétèrent voire détournèrent... Franquin a été un des premiers dessinateurs à s’attaquer à l’Église. Avec Delporte, il créa Le Trom­bone illustré, supplément de Spirou qui brise les conventions formelles du récit dessiné et les tabous du journal bien­

pensant. Alexi, Bilal, Gotlib ont parti­cipé à cette aventure. Les représenta­tions anticléricales foisonnent dans les magazines comme Fluide glacial, L’Écho des Savanes ou feu Métal hurlant... Dans les années 1980, les dessinateurs se sont contentés de sim ples attaques à une époque où fleurissait le néo­paganisme, avec la redécouverte de croyances celti­ques ou occultes. Aujour d’hui, on trou­ve, d’une part, une BD chrétienne à l’usage des croyants et, d’autre part, des albums teintés de dérision, de mysti­cisme, d’immoralité... Ainsi, le neu­vième art n’a pas fini de se nourrir du renouveau spirituel. Y

Sonia Boubarri et Nicolas Vernet

1 « Bandes dessinées et croyances du siècle,

essai sur la religion et le fantastique dans

la bande dessinée franco­belge », PUF. Remerciements à Didier Pasamonik , « L'église

et la bande dessinée », actuabd.com.

Le neuvième art décline la

religion sur tous les modes,

y compris l'humour.

« Une bonne bande dessinée chrétienne peut

se rééditer presque à l’infini car son message

est éternel et le public se renouvelle »

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cultures sacrées

Gargouille, vous avez dit gargouille ?

Effrayantes, fascinantes et haut perchées, ces créatures héritées de l’Antiquité, repoussent les torrents de pluie loin des murs et les esprits malins des édifices sacrés.

U Une gargouille n’est pas un monstre maléfique. C’est une invention archi-tecturale, présente dès l’Antiquité – en Égypte, en Italie ou en Grèce –, et dont la fonction est d’éloigner l’écoulement des eaux de pluie des murs, afin de contribuer à la salubrité des villes.C’est au xiiie siècle que le mot aurait été inventé, d’abord sous la forme gargoule. La racine garg (quasi ono-matopée), présente dans différentes langues dont le grec et le latin, évoque le bruit d’un liquide qui bouillonne ou passe dans la gorge de celui qui ingurgite bruyamment. Le mot goule, quant à lui, signifie « gueule » en ancien français. D’allure assez simple à l'origine, les gargouilles se font plus élaborées au fil du temps. Elles adoptent alors les traits d’animaux réels ou fantastiques, puis ceux de per-sonnages humains. Au xvie siècle, les sculpteurs finissent par délaisser les formes anciennes pour adopter des figures de chimères d’inspiration antique, voire de simples tuyaux de pierre en forme de canon.Symboliquement, la présence des gar-gouilles a vocation à éloigner les esprits malins, terrifier les ennemis, impressionner les croyants et rappeler que les églises sont la demeure de Dieu sur Terre.

Texte de Marc Frohwirth,

photo de Agnès Duret

À LA MANIÈRE Du MIssIoNNAIRE

en matière de position sexuelle, les humains, les bonobos et

les dauphins ont en commun celle dite du missionnaire.

Aucune trace de l’expression avant le xxe siècle. En 1947, Alfred Kinsey,

professeur d’entomologie et de zoologie, crée The Kinsey Institute for Sex Research à l’université d’Indiana, États-Unis. L’année suivante, il publie

« Sexual Behavior in the Human male » ou rapport Kinsey,où apparaît

pour la première fois la formule « position du missionnaire ». Son

étude se fonde sur « La vie sexuelle des sauvages du Nord-ouest de la Mélanésie » (1929) de Bronislaw

Malinowski. Cet anthropologue et ethnologue polonais a relaté que les

couples des Îles Trobriand avaient pour coutume de se se pencher l’un vers l’autre « misinari si bubunela », soit « à la façon des missionnaires ».

Kinsey aurait extrapolé à partir de cette observation. Bien que l'origine

de l’expression reste incertaine, son usage s’est largement

répandu : « missionary position » en anglais, « Missionarsstellung »

en allemand ou « postura del misionero » en espagnol. Au

Moyen Âge, la sexualité « par devant » était une pratique

préconisée par l’Église, en opposition aux mœurs

homosexuelles, considérées comme déviantes.

Texte de Marc Frohwirth

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cultures sacrées

Quelle place le gospel occupe-t-il en France aujourd’hui ?On recense près de 500 formations, du quartet à la chorale, et plus de 200 solistes à travers la France. Le gos-pel n’est pas pour autant une réussite commerciale. C’est dur pour les profes-sionnels, confrontés aux amateurs, très demandés pour les mariages ou les ani-mations de centres commerciaux. Ce boom des amateurs à la fin des années 1990 a inf lué sur le niveau de la

Le premier guide du gospel en France doit sortir à l’automne. Son auteur,

Narcisse d’Almeida, producteur de spectacles, retrace le parcours

de ces « chants de Dieu », hérités des protestants afro −américains. Depuis

l’an 2000, ils font fureur auprès des Français, croyants ou non. Interview.

“Ce sont des chants qui portent un message”

Concert de Gospel Dream

à l’église de la Madeleine, à Paris,

en mars 2010, sous la direction

de son créateur et chef

de chœur, Michel M’Passy.

musique et sur sa perception. Mais le public commence à faire la part des choses. Il y aura toujours deux catégo-ries : ceux qui chantent avec la foi, et ceux qui sont motivés par le cachet.

Comment ce genre musical américain est-il arrivé en France ?Sa découverte a suivi celle du jazz, après la Seconde Guerre mondiale. Le pre-mier groupe de gospel français, Les Compagnons du Jourdain, a été créé en 1947. La grande Gospel Queen Mahalia Jackson a inauguré une tournée euro-péenne en 1952. En 1959, le célèbre ensemble Golden Gate Quartet s’est établi en France. Le début d’une recon-naissance : avant, le gospel était assimilé au jazz ou au blues, pas vraiment iden-tifié. Peu à peu, des chorales se sont formées dans les églises. Les Palata Singers ont commencé à faire parler d’eux. Mais l’engouement a émergé surtout dans les années 1990, avec des groupes comme Les Chérubins de Sarcelles. Le premier Festival de Gospel à Paris, que j’ai lancé en 1994, a été une révolution. Le gospel est entré dans les théâtres, qui refusaient jusque-là de programmer de la musique religieuse.

Qui fait vivre le mouvement français de nos jours ?Il y a d’abord les chorales montées dans les églises protestantes et adventistes, où les communautés d’origine africaine ou antillaise sont très présentes. Puis les groupes à vocation commerciale, qui ne sont pas animés par des croyants ; ils sont mal vus dans les églises protes-tantes, mais accueillis par les catho-liques. De nombreux chœurs se sont créés en banlieue parisienne. Sans doute le gospel représentait-il l’espoir d’améliorer le sort des habitants. Gospel Dream et Gospel River ont une certaine notoriété en Ile-de-France, Spirit Gospel dans le nord du pays.

Le gospel français témoigne-t-il d’une véritable créativité ?Ce sont des chants qui portent un mes-sage, le respect de la tradition y est donc primordial. Quand on commence à chanter du gospel en français, cela ressemble à un cantique religieux, le public n’y adhère pas. La couleur du gospel est associée à la langue anglaise.

Propos recueillis par Marie Chadefaux

et Thierry Lepin,

photo de Laura surroca Vilarnau

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