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Chapitre 1 Définir le Moyen âge
Séance 1: Une définition? quand commence le Moyen Age
Prononcer « Moyen Age » éveille une série d’images précises chez la plupart d’entre
nous : les châteaux forts bien sûr, les chevaliers, voire les croisades, et la mythologie afférente,
dragons, fées, enchanteur Merlin, Mélusine, c’est tout un réseau d’images faciles à mobiliser
que le Moyen Age suscite, au point d’être utilisé comme un décor commode : le Seigneur des
Anneaux comme Harry Potter profitent de l’imaginaire médiéval qui séduit lecteurs et
spectateurs. Ce n’est pas élitiste - les Schtroumpfs, avec sorcier, sort, enchanteur ou Ivanoë le
bon chevalier, sans parler de Thierry la Fronde ou Robin de Bois -témoignent d’une
popularité de la période Ŕ et ce n’est pas nouveau : dès l’ère victorienne, début du XIXe s. en
Angleterre, on s’est plu à retrouver avec le Moyen Age une esthétique gothique qui inspire
l’architecture Ŕ gothique devient alors un épithète mélioratif, alors qu’il signifie proprement
ce qui appartient aux Goths, donc ce qui est barbare ! - ou des thèmes iconographiques
exploités par les Pré-Raphaëlites. En France, le même XIXe s. mais dans sa version tardive et
républicaine, puise dans le Moyen Age les motifs dont il orne le Panthéon : il faut voir la
fresque de sainte Geneviève au Panthéon pour apprécier la récupération, par la Troisième
République, d’épisodes mérovingiens, mis au service de l’exaltation d’une histoire nationale
glorifiée.
Pourtant, alors même que la période semble ainsi avoir un contenu clair, et positif, pour
beaucoup, l’existence même de la période Moyen Age n’a rien d’une évidence. Disons plutôt
qu’il s’agit d’une construction, pas d’une donnée brute, et qu’en délimitant une période on
définit son contenu. D’où notre problème initial : comment définir le Moyen Age, en
particulier en lui donnant un point de départ, une origine.
Deux remarques préalables :
- 1) le terme de Moyen Age n’a pas de sens en dehors de l’Europe, et surtout de
l’Europe occidentale.
L’histoire de la Russie par exemple commence au moment où un peuple nouveau (d’origine
scandinave ou pas) s’est installé autour de la ville de Kiev, qui lui ouvrait la route
commerciale de la Mer Noire vers Constantinople. La prise de Kiev par le prince Oleg date de
882, date fondatrice donc de l’histoire de la Russie, bien que certains préfèrent celle du
baptême de la même Russie, sous influence byzantine, en 988. Dans l’un et l’autre cas, le
terme de « Moyen Age » à l’occidentale ne signifie rien, en 882, l’empire carolingien, qui
meurt avec Charles le Gros en 888, est déjà moribond.
Sans aller chercher les exemples japonais ou chinois ici, on doit remarquer que l’histoire de
l’islam elle-même entre mal dans nos catégories : la date absolue, le point de départ de
l’histoire de l’islam, est celle de l’Hégire en 622, c'est-à-dire de l’exil de Mahomet et de ses
partisans, de La Mecque vers Yathrib, appelée depuis Médine, la "ville du Prophète". Puis a
lieu l’expansion musulmane jusqu’aux années 750 ; nos découpages chronologiques
médiévaux ne rendent pas compte de cette singularité musulmane, alors que l’islam s’étend,
dès les années 640 à toute l’Arabie, à la Syrie au nord, au Yémen au sud, donc à tout l’océan
indien, puis à l’Egypte et à toute l’Afrique du Nord. L’Espagne elle-même est atteinte en 719
et désignée désormais dans nos sources comme al-Andalus, l’Espagne musulmane.
- 2) La première définition du mot impliquait une insuffisance ; est « médiéval » ce qui
n’est plus romain.
C’est en effet par le biais de l’histoire de l’art que, pour la première fois, on a qualifié les 10
ou 11 siècles qui vont de la chute de Rome au renouveau du XVIe s., en notant que durant
toute cette période, les canons de la beauté antique s’étaient perdus. Vasari en 1550, dans ses
Vies des plus excellents peintres, serait le premier à désigner le retour à l’esthétique gréco-
romaine par le terme de « Renaissance » : avant, entre Rome et la Renaissance, il reste donc
10 ou 11 siècles obscurs, barbares, malhabiles ou laids, selon les critères de Vasari, ceux du
Moyen Age, ou « période intermédiaire » puisque ici « moyen » doit se comprendre comme
ce qui est au milieu, entre deux périodes plus fastes. La première définition est donc venue
d’une interprétation polémique, destinée à justifier une esthétique contemporaine, et venue a
posteriori. Surtout, la définition est paradoxale puisqu’elle fait du Moyen Age la période qui
aurait tourné le dos à Rome ; or, depuis une trentaine d’années, les chercheurs se sont plus à
insister au contraire sur toutes les marques de continuité entre l’empire romain et le Moyen
Age occidental : continuité des élites qui auraient survécu, toujours dans une situation
dominante, de la classe sénatoriale romaine classique à la noblesse médiévale ; continuité des
systèmes fiscaux, les Mérovingiens percevant dans l’espace franc les mêmes impôts et selon
les mêmes formes que les Romains avant eux ; continuité de la langue bien sûr, le latin, qui
permet à un clerc du VIIIe s. de lire saint Augustin (du début du V
e s.) alors que nous avons
du mal à comprendre le français de La Bruyère ; continuité des systèmes de représentation,
qui conduit Charlemagne, roi des Francs de 768 à 814, de s’intituler empereur, comme si
l’empire romain n’avait pas cessé ou pouvait renaître avec lui ; continuité aussi, fondamentale,
de la religion puisque le catholicisme, né sous l’empire romain, est toujours la religion
officielle du Moyen Age, qui s’achève en même temps que naissent les Réformes
(protestantisme, luthéranisme et calvinisme) initiées par Luther.
De ces deux remarques préalables, il faut conclure que c’est seulement à l’échelle de
l’Europe occidentale qu’on trouvera une définition cohérente du Moyen Age, sans doute parce
que c’est l’espace où la question d’une continuité ou d’une rupture avec l’empire romain se
pose avec pertinence. Deux moments de rupture avec l’empire romain, donc deux hypothèses
générales de définition, peuvent être envisagées :
- soit c’est l’adoption de la religion catholique qui marque la fin de l’Antiquité romaine,
païenne, et le Moyen Age se trouve défini comme la période de christianisation
maximale de l’Europe occidentale.
- Soit ce sont les invasions barbares qui ont provoqué la rupture la plus vive, par
l’afflux massif et brutal de populations nouvelles, et le Moyen Age se trouve défini
comme la période de suprématie de sociétés germaniques sur l’Europe, avec leurs
mœurs propres, leurs systèmes de parenté et de gouvernement : la royauté s’impose
I- Première hypothèse, historiographie jusqu'au début XXe s., le Moyen Age commence
avec les barbares et l'empire romain tombe sous le coup de la menace extérieure. 1- Le
système tétrarchique mis en place par Dioclétien (284-305)La Tétrarchie a pour but
d’assurer une meilleure défense de l’empire en affirmant que l’autorité impériale, unique, peut
être exercée conjointement par deux empereurs seniors, les Auguste, et par deux empereurs
juniors qui leur sont soumis, les César. Chacun a pour but la défense particulière d’un
territoire : Dioclétien veille sur l’Orient proche (Syrie Egypte, Asie Mineure) avec son César
Galère (Danube), tandis que l’Auguste Maximien contrôle l’Italie, l’Afrique et l’Espagne,
avec l’aide de son César, Constance Chlore, chargé de la Gaule et de la Bretagne. Traduction
religieuse : l’origine de leurs pouvoirs respectifs est attribuée par Dioclétien à Jupiter lui-
même, qui délèguerait son pouvoir à son fils Hercule, incarné par l’Auguste Maximien. Les
deux Césars sont respectivement appelés jovien et herculéen. Leur pouvoir est garanti par la
protection des dieux. Cette partition est donc institutionnelle, et conçue comme une adaptation
pragmatique et temporaire aux besoins de la défense de l’empire : néanmoins, elle recouvre
des différences plus radicales, dont l’existence de deux langues : grec et latin. 2- La rivalité
entre Orient et Occident s’est accusée à partir des invasions gothiquesÀ sa mort,
l’empereur Théodose a laissé au pouvoir ses deux fils, Honorius en Occident sous la garde de
Stilicon, Arcadius en Orient sous la garde de Rufin. Or les migrations gothiques voient
s’aggraver la rivalité entre les deux frères. Les Goths ont été bouleversés par les migrations
hunniques : les Huns, quittant l’Asie centrale, ont franchi le Don vers 370, provoqué
l’irruption des Ostrogoths et des Wisigoths, normalement installés sur les rives du Dniepr, sur
le Danube. L’empereur Valens les a autorisés à franchir le Danube, de façon pacifique donc.
Les conditions de cette installation n’ont pas satisfait les Goths, qui se sont révoltés dès 378,
ont battu les troupes de l’empereur Valens lors de la bataille d’Andrinople du 9 août 378, où
l’empereur lui-même a trouvé la mort. Les Goths ont alors été établis en Mésie (Bulgarie
actuelle) mais en se soulevant en permanence : contre l’empire d’Orient (395-401) : À la
mort de Théodose en 395, ils mettent le siège devant Constantinople, conduits par Alaric.
Levant le siège, ils ravagent la Grèce et l’Illyricum, dont Arcadius et le préfet du prétoire
Rufin, les détournent en leur ouvrant les portes de l’Italie en 401. Contre l’empire
d’Occident (401-402)Les troupes de Stilicon sont occupées à maintenir les Alains et les
Vandales, Alaric et ses troupes peuvent aisément marcher vers Milan, où réside l’empereur. Il
est arrêté à temps par Stilicon, battu à Pollenta (402). Un traité est conclu, selon lequel Alaric
s’engage à quitter l’Italie. contre l’empire d’Orient ? (406-408)L’idée de Stilicon est alors
de retourner les Wisigoths contre l’empire d’Orient : Alaric peut être utile pour la conquête de
l’Illirycum oriental, au détriment de l’empire d’Arcadius. En 406, Stilicon passe un accord
avec Alaric pour organiser un débarquement sur les côtes d’Illyricum. Mais l’usurpation de
Constantin III en Gaule oblige Stilicon à patienter. Il est renversé par le Sénat
(408) Contre l’empire d’Occident !
Alaric assiège Rome en 409 puis met la ville à sac en 410 : trois jours de pillage et de
destruction qui achèvent de dépeupler la ville, déjà affamée par plus d’un an de siège.
L’empire grec réagit sans affolement comme en témoigne l’œuvre de l’historien grec
Sozomène, Histoire ecclésiastique, qui minimise les dégâts, annonce avec optimisme la
reconstruction de la ville, insiste sur la tolérance des Wisigoths qui ne démolissent aucun
sanctuaire catholique. L’empire latin est accablé : Augustin est conduit à commander au
chrétien Orose une Histoire en 7 livres contre les Païens (Historiarum adversus paganos libri
VII) entre 414 et 417 pour démontrer que le paganisme est responsable des malheurs du
monde en général et de Rome en particulier.
3- Les invasions germaniques Les Huns ont provoqué dans l’empire romain un bouleversement radical. Venus d’Asie, sans
doute de Sibérie, ils ont conquis les rives du Danube en 375 et arrivent sur le Rhin en 406. Ils
provoquent :
1- la fuite des Goths qui franchissent le Danube pour trouver refuge dans l’empire en
378. L’empereur Théodose signe en 382 un traité avec leur roi Fritigern, et leur
reconnaît le droit de stationner en Illyricum. C’est le début de l’implantation de
barbares sur le sol romain.
2- la fuite des Germains qui vivaient sur les bords du Rhin et qui le franchissent le 31
décembre 406 : les Vandales, les Suèves et les Alains entrent dans l’empire à la
hauteur de Mayence, provoquent l’exode vers le sud (Provence) des élites
romanisées, et s’installent ;
- les Suèves conquièrent le nord de l’Espagne actuelle
- les Vandales descendent plus au sud, jusqu’en Afrique du nord à partir de 429. Ils
conquièrent Carthage en 439.
D’autres Germains en profitent pour passer le Rhin à la hauteur de Strasbourg : les
Burgondes, les Alamans et les Francs rhénans. Les Francs sont à cette époque divisés en deux
groupes : seuls les Francs rhénans, qu’on appelait ripuaires, s’installent autour de Mayence,
Cologne et Trèves, c'est-à-dire sur le Rhin ou la Moselle, prennent part à l’invasion de 406.
En Bretagne (ie Grande Bretagne), les légions romaines se sauvent en 407, laissant les
populations celtes locales confrontées à deux vagues d’invasions :
- les Pictes du nord (Ecosse) et les Scots (de l’ouest, Irlande) qui agissent comme des
pirates et repoussent les populations bretonnes vers l’intérieur des terres
- les Germains - Saxons, Angles et Jutes - qui entreprennent la conquête de l’île à partir
des années 450.
Les populations romaines ou celtes, christianisées, se replient donc vers l’ouest, l’Irlande et le
Pays de Galles actuels (Cornouailles) ; la Bretagne devient l’Angleterre ; vers 550, de Celtes
émigrent et s’implantent en « nouvelle Bretagne » =la nôtre.
Enfin, Attila mène les Huns ravager l’ouest de l’empire en 451 : Metz, Reims, Troie, il
évite Paris pour gagner Tours ; il est battu à la bataille des Champs Catalauniques (451), près
de Châlons sur Marne. Sa mort accidentelle en 453 Ŕ coma éthylique ? Ŕ voit l’éclatement de
son armée, qui disparaît.
Les sources romaines qui relatent ces assauts de la première moitié du Ve s. (406-451)
montrent que les contemporains éprouvent le sentiment d’assister à la fin d’un monde :
- Salvien, un clerc de Marseille, explique dans son Sur le gouvernement de Dieu, qu’il
est légitime qu’un monde nouveau naisse avec les barbares parce qu’ils sont les
véritables détenteurs des vertus romaines d’humanité, de charité, de clémence, alors
que l’Etat romain lui-même s’est perverti au point de persécuter par sa pression fiscale
en particulier, les plus faibles et les plus pauvres.
- Augustin, évêque d’Hippone, dans La Cité de Dieu, donne le cadre théologique
d’interprétation des invasions : elles ne montrent pas que le christianisme a apporté la
ruine à l’empire romain, mais au contraire, que le christianisme ne dépend pas de
l’empire, que l’Eglise peut survivre à l’empire.
Bilan? Distinguer les "invasions barbares" fantasmées de la fin du XIXe s. et les
"migrations des peuples", qui peuvent entrer au service de Rome En même temps, ces invasions ne sont pas directement la cause de l’effondrement de l’empire.
Il faut distinguer deux étapes :
- des peuples battus par les Romains sont installés par eux, avec la charge de défendre
l’empire (avant les années 470)
Exemples à connaître :
- les Burgondes. Alors qu’ils avaient fondé un royaume autour de la ville de Worms (Rhin)
depuis 413, ils sont anéantis ou presque par les Huns en 437 et utilisés par Aetius, chef
militaire romain de la Gaule : Aetius déplace les Burgondes en Sapaudia en 443, à charge
pour eux de défendre cette frontière de l’empire contre les Alamans.
- les Francs Saliens, installés en Belgique actuelle (Toxandrie) descendent vers Tournai,
Cambrai et la Somme dans les années 430-440. Ils sont alors battus par Aetius en 448, leur roi
doit évacuer les villes de Cambrai et d’Arras et un pacte est conclu : ils sont enrôlés pour la
défense de la Belgique Seconde :
> ils participent très fidèlement, sous les ordres d’Aetius, à la bataille des Champs
Catalauniques (451)
> Childéric, père de Clovis, mène ses hommes au combat contre les Wisigoths, sous les
ordres du général Aegidius (magister militum) en 453
> quand Clovis succède à son père en 481, l’évêque de Reims Remi lui reconnaît le titre
de gouverneur de la province romaine de Belgique Seconde : il n’est pas un envahisseur mais
un allié des Romains
Ces barbares-là, ces étrangers, sont la suite d’une longue pratique romaine de l’utilisation de
contingents dans ses armées depuis le IIIe s., voire d’installation de vaincus sur les frontières,
à charge pour eux de les défendre ; les lètes ou déditices. En entrant au contact de Rome, les
tribus germaniques ont ainsi été profondément transformées : elles ne connaissaient pas, avant
l’époque des migration d’organisation ethnique ou politique stable. Chaque famille était liée à
un clan familial, une Sippe, plusieurs clans formant une tribu, dirigée tantôt par un double roi
Ŕ un roi prêtre et un roi militaire Ŕ tantôt par un dux ou chef militaire. Or Rome demandait
aux tribus de lui fournir des combattants : elle encourageait donc la création de bandes
militaires, de groupes de guerriers, et plus de clans - pour survivre aux invasions hunniques de
plus, la tribu n’a pas d’autre choix que de se militariser complètement, ce qui accroît
l’importance des chefs de guerre. Ceux-ci, qui n’exerçaient dans les tribus qu’un rôle
temporaire sont conduits à devenir des chefs permanents : les rois traditionnels se trouvent
remplacés alors par des heerkönig ou « rois d’armée ».
- ceux qui ont conclu un foedus avec Rome mais créent en fait des royaumes, comme
les Wisigoths
Au IIIe s., les Romains ont passé avec des Germains des traités, les foedera, qui établissent un
lien de sujétion entre l’empereur, qui concède le foedus et autorise l’installation d’un peuple
sur un territoire qui continue à lui appartenir, et les Germains ou autres barbares, qui reçoivent
par son intermédiaire un territoire à défendre militairement. Les foedera prévoient que les
bénéficiaires du traité pourront jouir d’un tiers des revenus fiscaux ou de la pleine propriété
des terres, les deux interprétations sont autorisées par nos sources. C’est ce qui arrive aux
deux peuples des Goths :
- les Wisigoths entrent en Narbonnaise en 413 où ils sont installés avec foedus par
l’empereur Honorius ; ils combattent en son nom les Vandales d’Espagne ; ils sont
implantés en Aquitaine en 418, avec un autre foedus. Puis Euric (466-484) conquière
en son nom l’Auvergne, la vallée du Rhône, la côte méditerranéenne. L’empereur
Julius Nepos en 476 doit reconnaître l’existence du royaume wisigothique indépendant
de Toulouse, en échange d’un retour de la Provence dans l’empire romain.
- Les Ostrogoths sont utilisés par l’empereur d’Orient Zénon comme des contingents
militaires à son service : il les envoie en 488 reconquérir l’Italie qui est gouvernée par
Odoacre (476-493). Alors que Théodoric (493-526) accomplit donc une mission, avec le titre
officiel de magister militum, il fonde en Italie un royaume wisigothique indépendant, qui dure
jusqu’à la reconquête de Justinien (535-555). Dernier exemple, le royaume indépendant de
Clovis (481-511).
On associe souvent le début du Moyen Age à la déposition en 476 de l’empereur Romulus
Augustule. De fait, après lui la dignité impériale n’est plus exercée en Occident avant le
couronnement de Charlemagne en 800, les insignes impériaux sont envoyés à Byzance.
Or c’est une date symbolique qui ne correspond à aucun changement profond. De fait, le
pouvoir politique est exercé dans l’empire romain sous la domination des « barbares » depuis
la fin de la dynastie théodosienne (378-450), voire depuis le début du Ve s. ; c’est le général
qui commande les armées « romaines » en Italie qui fait ou défait les empereurs :
- l’empereur Théodose en mourant en 395 a laissé au pouvoir Stilichon, un général
vandale, à charge pour lui de servir de tuteur au jeune empereur Honorius.
- Alaric, roi des Wisigoths, prend Rome en 410 : il a auparavant suscité deux empereurs
- Ricimer (456-472), un général d’origine suève et wisigoth, fait défiler au pouvoir à
Ravenne 5 empereurs successifs
- Odoacre, un skire, succède à Ricimer. C’est lui qui dépose Romulus Augustule en 476.
Mais Romulus n’est pas un empereur plus légitime que les 10 qui l’ont précédé : il est
lui-même le fils d’Oreste, chef des bureaux d’Attila. Odoacre gouverne l’Italie sans
discontinuer, de 472 (il remplace Ricimer) jusqu’à 493 (il est fait prisonnier puis
assassiné par Théodoric).
la définition du Moyen Age par son point de départ (476) est donc un symbole plutôt
pauvre : la barbarisation de l’empire est à la fois bien antérieure (IIIe s. pour l’armée, IV
e s.
pour la première implantation gothique dans l’empire) et moins grave que la création de
royaumes.
II- donc, le Moyen Age naîtrait au IVe s. de l’adoption du catholicisme par l’empire
romain (menace intérieure? Faiblesse?) 1- de religion persécutée à religion officielle et
seule tolérée (= approche juridique)
Au IIIe s., l’Eglise est confrontée à des persécutions brutales, du règne de Dèce (249) à celui
de Dioclétien (284). C’est sans doute l’effet d’un climat de crise durement ressentie par les
Romains : la menace barbare se faisant très pressante, les citoyens doivent moins jouir de leur
liberté individuelle qu’ils ne doivent faire preuve de pietas, de dévouement affiché et total
envers leurs dieux. Les barbares sont partout : les Goths, pressants sur le Danube, contrôlent
la Mer Noire (on dit Pont Euxin) dans les années 250, puis envahissent les Balkans, au point
que Rome leur abandonne la Dacie (270) ; les Perses Sassanides attaquent à l’est, menacent
l’Arménie, capturent l’empereur Valérien en 260 à Edesse ; les Francs reprennent la rive
droite du Rhin et des Germains s’emparent de Champs Décumates. C’est ce rentrant qui est
formé par le Rhin et le Danube et qui a été conquis dès l’époque d’Auguste)
Face à cette situation critique, le pouvoir politique répond par une exaltation sans
précédent de la fonction impériale : l’empereur est de plus en plus radicalement
divinisé, intouchable, habillé de pourpre, salué par la proskynèse (adoration) lors d’un
cérémonial appelé « l’adoration de la pourpre », qui aurait fait frémir d’horreur un
Romain du IIe s. Cette sacralisation grandissante du pouvoir impérial, devenu absolu,
se lit dans la terminologie : de princeps (le premier, entre d’autres égaux) on passe au
dominus, le seigneur. Le paganisme impérial s’en ressent : l’empereur Aurélien
attribue à une vision qu’il aurait eue du dieu solaire d’Emèse sa victoire sur Zénobie,
reine de Palmyre, et consacre l’empire au dieu Sol invinctus, Soleil invincible, fêté le
25 décembre : un dieu unique donc, supérieur aux autres qui n’en sont que des images,
transcendant, à l’image du pouvoir impérial absolu. Constantin lui-même, en 310,
alors qu’il est seulement empereur associé en poste à Trèves, se place sous la
protection du Soleil, Sol pacator, le Soleil qui apporte la paix ; un panégyrique de 310
affirme qu’il a bénéficié d’une apparition du dieu solaire Apollon qui lui a promis un
règne de trente ans.
Un tel système politique est radicalement incompatible avec le catholicisme, d’où des
persécutions au fur et à mesure que l’empire romain se donne un pouvoir impérial plus absolu.
Dèce le premier demande par édit en décembre 249 à tous les habitants de l’empire de
sacrifier aux dieux protecteurs de l’empire, soit de l’encens, soit du vin, soit un animal. Les
magistrats doivent organiser localement les examens de paganisme et délivrer, après sacrifice,
un certificat, un libellus. De ce fait, les chrétiens, très nombreux, qui auront sacrifié aux dieux
du paganisme seront stigmatisés dans leurs communautés du nom de libellatici (qui ont acquis
sans sacrifier un certificat de complaisance), thurificati (qui ont brûlé de l’encens), sacrificati
(qui ont égorgé un animal). Le but des persécutions est de recréer une unanimité romaine,
pour le salut de l’empire : les dieux païens se vexent de n’être pas les objets d’un culte
exclusif. Elles ne sont donc pas exclusivement d’abord tournées vers les chrétiens. C’est
Valérien, entre 257 et 258, qui inaugure les persécutions contre les chrétiens, et seulement eux,
dans le but de faire disparaître la religion : tous les clercs supérieurs, les évêques, prêtres et
diacres, doivent sacrifier sous peine d’exil, puis de mort. C’est le cas de Cyprien, évêque de
Carthage, ou de Sixte, évêque de Rome, qui sont décapités. Tous les chrétiens sont interdits de
réunion, donc de culte, sous peine de mort ici encore s’il s’agit de chevaliers ou de sénateurs,
donc de membres de l’élite économique et politique de l’empire. Après une période
d’accalmie, la persécution reprend sous la Tétrarchie, en 303 : ordre de détruire les églises, de
brûler les Ecritures, de déchoir de leurs rangs et fonctions les chrétiens qui serviraient dans
l’administration impériale, puis en 304 ? obligation faite aux chrétiens de sacrifier, sous peine
de mort. Les quatre édits de Dioclétien sont appliqués avec efficacité en Egypte, en Espagne,
en Afrique du nord, mais presque pas en Gaule ou en Bretagne ; la persécution est plus longue
en Orient qu’en Occident.
L’empire romain classique n’avait pas défini de religion officielle au sens où une unique
doctrine aurait été reconnue supérieure aux autres. L’empire utilisait en revanche le statut
juridique de religio licita : la pluralité des opinions est autorisée au nom de la liberté
individuelle, mais dans la mesure où les cultes sont compatibles avec la morale publique
romaine (refus des cultes qui s’accompagnent de prostitution rituelle, ou de mutilations). Le
judaïsme est depuis le Ier
s. reconnu comme religio licita. La nouveauté de l’empire chrétien
est donc d’imposer une unique religion comme religion de l’empire, pas seulement au niveau
des pratiques mais bien des convictions, selon les étapes suivantes.
La reconnaissance du christianisme comme d’une religion respectable, voir utile à
l’Etat vient de l’édit de Galère de 311. L’Auguste, qui va mourir 5 jours plus tard, constate
que les persécutions n’ont pas eu l’effet attendu et accorde aux chrétiens un droit de culte et
de réunion, dans des lieux dont on doit leur restituer la propriété ; il demande aux chrétiens de
prier pour le salut de l’empire. L’édit est appliqué aussitôt en Occident, en 313 seulement en
Orient après que la victoire de Constantin a mis fin au pouvoir de Maximin Daïa.
Puis Constantin, fils de Constance Chlore, qui gouverne la Gaule et la Bretagne,
marche sur Rome en 312 : il bat les armées de son rival l’Auguste Maxence, qui meurt noyé
dans le Tibre. C’est la bataille du pont Milvius, le 28 octobre 312. Or Constantin attribue à
« l’inspiration de la divinité » cette victoire décisive, selon les termes qu’il fait porter sur l’arc
de triomphe élevé à Rome dès 313. Lactance, dans son œuvre Sur la mort des persécuteurs
dès 314 explique avec plus de détails : la veille du combat, Constantin aurait eu un songe. Le
Dieu des chrétiens lui aurait enseigné Hoc signo victor eris, « par ce signe tu seras
vainqueur », en lui montrant un chrisme, un chi et un rho, début du mot Christ qui, tracé sur
les boucliers des soldats, aurait garanti la victoire. Ce thème de la victoire grâce au secours de
Dieu, donc d’un jugement de Dieu par les armes, ne cesse par la suite d’être amplifié : Eusèbe
de Césarée dans sa Vie de Constantin après 337 développe ce que son Histoire ecclésiastique
(316) ne disait pas aussi clairement : Constantin aurait vu une croix lumineuse lui apparaître
en plein jour, porteuse elle aussi d’une promesse de victoire. Le monnayage de Constantin,
qui fait apparaître dès 315 le signe du chrisme, confirme que c’est bien en tant que chrétien
sincère, et pas à des fins politiques, que l’empereur a confié son sort au dieu des chrétiens.
Dès février 313, il publie en accord avec son co-empereur Licinius l’Edit de Milan : chacun
peut suivre dans l’empire la religion de son choix. C’est la version positive de l’Edit de
Galère : ce que Galère acceptait faute de pouvoir l’empêcher, Constantin le souhaite, pour
continuer à jouir « de la faveur divine dont il a éprouvé les effets dans des circonstances si
graves ». À partir de sa victoire contre son associé Licinius en septembre 324, Constantin ne
fait plus aucun mystère de sa foi : il se présente dans ses édits comme un nouveau Moïse,
chargé de conduire le Nouvel Israël. L’Eglise dès lors jouit d’une situation officielle
exceptionnelle : le catholicisme n’est pas religion d’Etat, mais la loi donne à l’Eglise un statut
original et unique, en l’espace de quelques années (316-321) : l’Eglise peut recevoir des legs
et gérer des biens ; les clercs peuvent publiquement, dans l’église, affranchir des esclaves Ŕ
c’est la manumissio in ecclesia Ŕ et rédiger l’acte officiel de libération ; ; les évêques
obtiennent un large droit de juridiction civile, si l’une des deux parties est chrétienne. Le
dimanche est férié (pour le commerce urbain, pas pour les travaux des champs). Les clercs
sont dispensés des charges publiques officielles (magistratures). Par l’ensemble de ces
mesures, on voit l’empereur légiférer dans des domaines qui excédaient sa compétence : il
doit en effet définir qui est un clerc et qui ne l’est pas, donc trancher par exemple entre clercs
hérétiques et orthodoxes. En légiférant, l’empereur se place en fait en situation d’ingérence de
plus en plus directe dans les affaires de l’Eglise. Il fait de sa mission politique une mission au
service de l’Eglise et de son expansion. Eusèbe de Césarée, conseiller et porte parole de
Constantin, le répète dans ses discours : l’empereur est sur terre l’image du Fils de Dieu,
obéissant au Père, mais à qui tout doit être soumis. C’est à ce titre qu’il prend le droit en 325
de convoquer un concile à Nicée, pour aider l’Eglise catholique à définir sa doctrine face à
l’hérésie répandu par un alexandrin, Arius. Il n’intervient pas dans les débats, mais ouvre le
concile, réuni dans une résidence impériale, place les évêques à sa droite et à sa gauche et
définit son rôle : « Je suis l’évêque du dehors » - pas d’un siège précis, pas de l’extérieur de
l’Eglise, mais chargé des affaires extérieures tandis que les évêques sont chargées des affaires
intérieures.
Par delà la parenthèse du règne de l’empereur Julien, appelé l’Apostat par les auteurs
ecclésiastiques puisqu’il rétablit le paganisme dans l’empire, les empereurs Valentinien et
Valens ont d’abord perpétué la politique tolérante de Constantin. Puis Gratien (375-383)
s’attaque au paganisme : il renonce à son titre de grand pontife de tous les cultes ; il fait retirer
la statue de la déesse Victoire du Sénat romain ; il supprime toutes les subventions publiques
aux cultes païens, interdit aux temples de recevoir des legs.
Le 27 février 380, l’Edit de Théodose couronne l’œuvre de Constantin. L’empereur
affirme que « tous les peuples doivent vivre dans la religion que le divin apôtre Pierre a
transmise aux Romains », détaillée par une longue profession de foi, inspirée du Credo de
Nicée. L’empereur concluait que ceux qui n’adhèrent pas à cette foi seront qualifiés
d’hérétiques, donc exclus d’une société entièrement chrétienne.
Un Edit de 392 enfin, sous Théodose toujours, interdit toute manifestation, publique
ou privée, de culte païen, sacrifice, adoration, prière, etc.
avec les deux fils de Théodose, Arcadius et Honorius, et le tournant du Ve s., le
catholicisme orthodoxe est religion d’Etat.
2- la christianisation des populations est un phénomène plus lent et plus délicat à
diagnostiquer
Une fois qu’on a écrit cette histoire du christianisme triomphant, on n’a toujours pas
vu naître le Moyen Age. Rien n’a changé profondément dans la nature du pouvoir politique
avant et après Constantin, puisque l’évolution vers un pouvoir absolu, appuyé sur un
mysticisme providentialiste, existe depuis la crise du IIIe s. Ce sont des empereurs romains
parmi les plus forts (Constantin, Théodose) qui ont le mieux affermi l’alliance de l’Eglise et
de l’empire romain.
Il faut en dire davantage :
- le christianisme lui-même s’est développé dans un contexte spirituel favorable, au
milieu de religions païennes nouvelles, plus orientales.. Au IIIe s., les païens eux-
mêmes se tournent plus massivement vers des religions orientales dites de salut, autant
dire des cultes qui promettent l’accès à une nouvelle vie, une vie éternelle, à condition
d’en maîtriser les codes d’accès, les rites, les mystères. C’est en partie ce qui fait le
succès rapide du manichéisme, fondé par le Perse Mani (216-277), qui affirme que la
connaissance et non la foi sauve le manichéen : il lui suffit de connaître qu’il est une
parcelle de Lumière, plongé dans un monde de ténèbres, pour rejoindre à la fin des
temps, quand la lutte du bien et du mal aura pris fin, son Dieu de Lumière. C’est
encore cette aspiration au salut qui explique le succès du culte de Cybèle, associée à
Attis, dont on fête à Rome l’émasculation (2 mars), l’enterrement (24 mars) et la
résurrection (25 mars). Par le biais du sacrifice d’un taureau égorgé, dont le sang
jaillissant éclabousse son fidèle (taurobole), les dévots de Cybèle et d’Attis croient
participer eux aussi à cette résurrection. Ou paganisme égyptien qui brode lui aussi sur
une résurrection possible d’Osiris, d’une récompense après la mort, etc.
le christianisme est nouveau par rapport à ces religions, tout en appartenant à un contexte
plus large de « religiosité nouvelle ». Il n’y a pas du point de vue spirituel une rupture très
nette au cours du IVe s.
Surtout, l’attrait du paganisme demeure après la christianisation officielle de l’empire, au
moins jusqu’au VIe s., dans certaines catégories sociales :
les élites sénatoriales d’une part vont perpétuer des cultes civiques au moins jusqu’au
IVe s. À Rome, la majorité de l’aristocratie est païenne au milieu du IV
e s. ;
Symmaque, préfet de la Ville dans les années 380, est un païen convaincu au point de
plaider auprès de Valentinien II pour la réouverture des temples ; l’interdiction du
culte païen a suscité un grand scandale, au point que l’éphémère empereur Eugène
(392-393) veut s’attacher la fidélité du sénat romain en annulant cette législation ; au
moment du sac de Rome par Alaric en 410, des sénateur croient judicieux de faire
publiquement des prières aux dieux des Romains pour préserver la Ville. Certains rites
demeurent, immuables : ainsi les Luperques de Rome se déguisaient en bouc le 15
février, après avoir dépecé l’animal, puis se répandaient dans les rues de la ville où
l’on se massait sur leur passage. Au Ve s. encore, des femmes se précipitent sur leur
passage pour se faire fouetter par eux (accouchement facile garanti, ou meilleure
fertilité)…
des populations rurales ensuite maintiennent des cultes locaux (sources…) proches de
la magie et que dénonce Césaire d’Arles. Le Moyen Age est ainsi confronté à une
opposition entre les villes, où le réseau ecclésial est installé (les cités romaines
deviennent des évêchés) et les campagnes, où aucune structure d’encadrement
ecclésial n’est d’emblée prévu. Martin de Braga (ca. 520-579) s’en préoccupe :
originaire de Pannonie, il est arrivé en Galice, NO de l’Espagne actuelle, qui était alors
un royaume dominé par les Suèves. Il devient évêque de Braga, capitale religieuse du
royaume dont il accompagne la conversion au catholicisme ; Martin écrit un manuel
pour l’évangélisation des campagnes, De correctione rusticorum. Césaire d’Arles
avant lui s’est ému de cet abandon des campagnes et décrit dans un sermon célèbre (à
trouver chez Merdrignac) des restes de paganisme :
Certains sont les restes du paganisme d’une population chrétienne : réjouissances qui
accompagnent les calendes de janvier, visites, déguisements, chants, fête du solstice
d’été, baignade rituelle, consultation des augures, respect des jours fastes ou néfastes,
des arbres sacrés, port d’amulettes, potions magiques. Ce n’est plus à proprement
parler du paganisme (comme ensemble de doctrine limité et défini) mais des pratiques
syncrétiques.
Mais Césaire sait qu’existe aussi le paganisme pratiquant d’une forte partie de la
population rurale : il continue comme évêque à administrer des baptêmes d’adultes
(qui étaient donc païens). Et la campagne est pleine de païens qui célèbrent leur culte
(dévotion aux dieux des sources, des arbres, des fontaines…) dans de petits
sanctuaires ruraux (sacrifice d’animaux).
Même dans une société qui se définit comme chrétienne, des pratiques païennes demeurent :
la divination est condamnée par l’Église à de nombreuses reprises (concile d’Agde, 506)
La répression du paganisme doit se poursuivre au moins jusqu’au VIIe siècle (où le paganisme
semble avoir totalement disparu comme religion) voire au VIIIe s : les conciles des Estinnes
(Hainaut) et de Soissons (743-744) ont repris une série d’interdictions de pratiques païennes
en appendice (liste connue comme Indiculus superstitionum et paganiarum). C’est la dernière
description de pratiques païennes qui ressemblent à celles que blâme Césaire.
- Ce paganisme est réactivé par l’arrivée de populations germaniques qui ont leurs
propres traditions, dont on ne peut pas dire qu’elles sont parfaitement christianisées
avant le VIIIe ou IX
e s.
la christianisation des peuples est un phénomène trop lent et instable, pour servir de point
de définition à notre Moyen Age. Quant à la christianisation de l’Etat, l’adoption du
christianisme comme religion officielle, elle constitue effectivement une rupture majeure dans
l’histoire de l’empire ; elle s’accommode pourtant fort bien d’une exaltation du pouvoir
impérial, alors que le Moyen Age nous semble commencer justement quand le pouvoir
impérial ne s’exerce plus en Occident. Elle est de toute façon une entreprise vouée à l’échec
dès lors que l’Etat romain est renversé par les invasions barbares.
III- La partition du monde romain entre Orient et Occident Le Moyen Age commence
peut-être au moment où les destins de deux parties de l’empire se séparent ; l’empire d’Orient
perpétue Rome avec pour capitale Byzance ou Constantinople ; l’empire d’Occident meurt
puis renaît avec Charlemagne ; l’un et l’autre ensemble accusent alors leurs traits propres. 1-
Deux mondes qui ne se parlent plus: la scission culturelle La naissance d’une partition institutionnelle correspond profondément à une scission
culturelle et politique entre les deux mondes :
- les aristocraties sénatoriales de l’ouest et de l’est de l’empire se réunissaient
jusqu’au IIIe s. encore dans le Sénat romain et exerçaient des postes de
responsabilité dans l’ensemble de l’empire. À partir de la dynastie
théodosienne (fin IVe s.), les carrières se font soit dans l’empire d’Orient, soit
dans l’empire d’Occident. Les aristocrates jouissent toujours d’un titre
sénatorial, mais n’en exercent pas les prérogatives : seuls les Italiens
continuent à siéger au Sénat de Rome, ce qui suscite des jalousies presque
nationales : la prise du pouvoir impérial par Théodose entraîne ainsi un afflux à
Rome de sénateur d’origine espagnole ; l’usurpation d’Avitus en 455 est
soutenue par un parti de nobles gallo-romains du sud qui estiment qu’ils ne
sont pas ou pas assez bien représentés.
- Une nouvelle capitale naît en 330, quand Constantin inaugure sa ville de
Constantinople. Il a transformé de façon volontariste la petite ville de Byzance
en une ville capable de rivaliser avec Rome. Il installe dans la nouvelle capitale
un Sénat, une Université, donc une aristocratie et une vie de cour. Les
motivations de ce choix sont multiples : la situation de Constantinople, sur le
détroit du Bosphore, en fait un point de contrôle de la Mer Noire et des
bouches du Danube Ŕ en contexte de menace gothique ; les contemporains
insistent aussi sur la dimension religieuse de ce choix : en transportant à
Constantinople sa capitale politique, Constantin aurait laissé une plus grande
autonomie au vrai chef de Rome, son évêque qu’on appelle pape. Deux causes
paradoxales quand on considère l’évolution :
i. Constantinople, ville maritime qui fait face aux côtés égyptiennes
ou presque, est très exposée à la nouvelle vraie menace qu’est
l’expansion musulmane : elle ne joue pas son rôle de barrière contre les
Goths, mais est assiégée par les Arabes à plusieurs reprises, dont en
717-718.
ii. Constantinople devient le siège d’un patriarcat, une sorte de super-
diocèse, qui rivalise avec Rome au point de conduire au schisme de
1054.
- les deux espaces se parlent avec de moins en moins de facilité.
L’enseignement supérieur se régionalise : les bons étudiants en droit de l’est de
l’empire vont à Beyrouth se perfectionner, ceux de l’ouest à Bordeaux ou
Arles ; pour la philosophie, les uns iront à Alexandrie, les autres à Rome. Les
uns parlent et écrivent en grec, les autres en latin, rien de neuf, sinon que le
bilinguisme se perd. L’un des plus grands intellectuels du Ve s., le sénateur
Sidoine Apollinaire, gendre de l’empereur Avitus et son panégyriste, d’une des
meilleures familles de la Gaule romaine, connu pour ses talents littéraires
exceptionnels (9 volumes de correspondance), mort évêque de Clermont en
482, est l’un des rares savants latinophone de son temps à savoir encore lire le
grec : il réalise à l’intention de ses amis une traduction d’une Vie de sage grec,
Apollonius de Tyane : l’œuvre sinon leur serait restée incompréhensible.
2- la supériorité théologique de l'Orient : les conciles « œcuméniques » Dans un domaine en particulier, l’Orient affirme sa supériorité : c’est d’Orient que vient toute
la réflexion théologique, et l’établissement du dogme catholique orthodoxe.
Voc :
on parle d’Eglise pour désigner « l’assemblée des croyants appelés ». Bien sûr,
il existe durant l’Antiquité tardive et le Moyen Age des centaines de
communautés locales (une Eglise à Lyon, une Eglise à Marseille, une Eglise à
Arles…), mais les chrétiens affirment que ces Eglises locales sont toutes les
membres d’une unique Église, qui est une réalité spirituelle avant d’être une
réalité institutionnelle, l’assemblée de tous les hommes appelés et réunis par
leur baptême. L’Église est unique, et les théologiens l’appellent le Corps du
Christ.
L’Église est dite catholique, ce qui signifie « à vocation universelle » : tout
homme, sans distinction de race, de sexe, de langue, d’origine sociale, a pour
vocation de faire partie de l’Église (elle est catholique, c'est-à-dire pour tous).
Les croyants ont été dès les années 50 appelés des chrétiens, puisqu’ils se font
remarquer au milieu des sectes juives, par leur conviction qu’un homme, Jésus
de Nazareth, est le Christ, mot grec qui signifie « celui qui a reçu l’onction »,
qu’on peut aussi traduire par le Messie, l’envoyé de Dieu. Puisque ces croyants
adhèrent à Jésus, le Christ, ils sont chrétiens. Le Moyen Age jusqu’au XIe s.
ignore toute distinction parmi ces chrétiens entre protestants, orthodoxe ou
catholique. On ne parle que de chrétiens.
Ils partagent une même foi, c'est-à-dire adhèrent à un ensemble de vérités
révélées Ŕ des dogmes, des enseignements Ŕ sur des points fondamentaux : qui
est Dieu ? comment il se révèle au monde ? comment il agit dans le monde ?
La foi a donc un contenu objectif, et ne peut pas être réduite à une pratique, à
une morale, à un comportement.
La foi de l’Eglise est dite orthodoxe, c'est-à-dire conforme à la vérité, droite,
sans défaut, par opposition aux croyances hétérodoxes, des certitudes
reconnues comme déviantes, fausses. On trouvera donc en histoire des
hommes qui s’appellent eux-mêmes des orthodoxes et qui appellent les autres
des hérétiques, ceux qui adhèrent à des hérésies. Orthodoxie et hétérodoxie est
donc une question de doctrine. L’Église catholique est par définition orthodoxe,
puisque c’est elle qui définit la vérité dogmatique. Le fait d’appeler
« orthodoxe » l’Église de Constantinople, par opposition à l’Église catholique
qui serait romaine est donc un abus de langage contemporain, anachronique au
Moyen Age qui ne connaît pas avant 1054 de séparation radicale, de schisme,
entre l’Église de Constantinople et celle de Rome.
Lorsque surviennent des désaccords radicaux entre deux communautés,
désaccords sur le plan de la doctrine mais aussi des pratiques (comment on doit
célébrer la messe, choisir les prêtres, baptiser les enfants,…), le désaccord peut
aller jusqu’à considérer qu’un groupe n’est plus uni à l’Église, qu’il ne peut
plus faire partie du Corps du Christ : on l’appelle schismatique, c'est-à-dire
qu’une coupure, un schisme, est survenue entre l’Église schismatique et
l’Eglise catholique, qu’on appelle alors la grande Église. Le premier grand
schisme survient dans les années 300-315 avec la séparation de l’Église de
Carthage, qui a entraîné celle des chrétiens d’Afrique du nord : on appelle ce
mouvement le donatisme, du nom de l’évêque de Carthage élu en 313, Donat.
Il est né d’un désaccord sur la façon de survivre à la persécution de Dioclétien
(303-304) : les chrétiens doivent-ils en profiter pour rechercher
volontairement le martyre (position des donatistes) ou chercher à sauver leurs
vies (position des catholiques) ? Le donatisme est très vigoureux en Afrique du
nord de 300 à 440 environ.
Durant les deux premiers siècles de l’Église, les nouveaux chrétiens ont été formés,
d’abord par l’enseignement oral des disciples et des apôtres (les 12 disciples choisis par Jésus
pour être ses compagnons) puis par des textes de nature différentes : surtout des Evangiles,
qui rapportent quelques épisodes marquants de la vie de Jésus, sa mort et sa résurrection, et
son enseignement ; et des Lettres, envoyées d’une communauté à une autre, pour expliquer
quelques points délicats de pratique religieuse et sociale (faut-il ou non s’affranchir de la loi
juive ? faut-il ou non respecter le pouvoir politique romain ?...). Dans cette littérature, il n’y a
pas de résumé de la foi, de synthèse complète, de catéchisme. D’où la place, dans les premiers
siècles de l’Église, pour beaucoup d’interprétations, et la nécessité de rassemblements
fréquents pour élaborer une position commune à une Église locale : on parle en grec de
synode, en latin de concile, c'est-à-dire d’une réunion de délégués d’une Église autour de son
chef, l’évêque, pour réfléchir à des questions pratiques (peut-on choisir pour prêtre un homme
mariés deux fois ?) ou théologiques. Hors de ces synodes ou conciles locaux, deux graves
crises provoquent la réunion de conciles œcuméniques, qui doivent statuer sur deux points
fondamentaux :
comment peut-on décrire le Dieu des chrétiens qu’on appelle Trinité ?
comment peut-on qualifier la personne de Jésus, à la fois homme et Dieu ?
a- la crise arienne À la première question correspond la première crise doctrinale de l’Église, à l’occasion de
l’hérésie développée par Arius. Elle porte sur une définition centrale dans la foi catholique,
qui est la définition de Dieu lui-même, appelé Trinité : Dieu est unique, mais il est en trois
personnes, le Père, le Fils et le Saint Esprit, qui n’ont entre elles pas de relations hiérarchiques.
Chaque personne doit recevoir de la part des fidèles même adoration et même gloire.
La théologie d’Arius La théologie du prêtre d’Alexandrie Arius est connue directement par quatre de ses lettres Ŕ
mais ce sont des réponses précises à ses contradicteurs Ŕ et par une quarantaine de vers,
contenus dans son œuvre la Thalie (le Banquet). Il affirme l’existence d’un « Dieu unique,
seul éternel, seul principe, seul vrai, seul immortel », qu’il qualifie donc de « monade » selon
des termes platoniciens. Dès lors, pour qualifier les relations du Père avec le Fils, Arius ne
peut employer que des termes négatifs : le Père n’a pas de commencement, n’a pas d’origine,
mais le Fils est engendré, il appartient de ce fait à l’ordre des créatures (même des créatures
exceptionnelles !). Le Fils n’est pas une émanation du Père Ŕ qui ne peut pas se propager sans
être altéré Ŕ mais une création volontaire. De ce fait, il y a un Dieu supérieur (le premier seul
vrai) et un dieu inférieur, secondaire, qui est l’image du Père et se manifeste aux hommes. De
ce point de vue, l’humanité du Fils est un signe supplémentaire de son abaissement.
L’arianisme est donc une forme extrême de subordinationnisme. À Alexandrie, Arius fut
condamné dès les années 319-320 ( ?) par l’évêque, mais il avait beaucoup convaincu en
Orient.
Les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381)
Les évêques d’Orient et d’Occident se réunirent entre mai et juillet 325 pour trouver une
solution à la crise. On parle de premier concile œcuménique c'est-à-dire « du monde entier ».
Auparavant en effet, conciles ou synodes restaient diocésains ou provinciaux ; à Nicée, en
Asie mineure, ce sont entre 250 et 300 évêques qui se réunissent. Œcuménique donc, mais
avec une supériorité écrasante des évêques d’Orient : seuls un évêque d’Afrique, un de Gaule,
un d’Espagne, un d’Italie, un des Balkans participent au débat ; et l’évêque de Rome se fait
représenter par deux prêtres, qui n’ont qu’un rôle d’observateurs. C’est sans doute lié au fait
que l’hérésie d’Arius ne touchait guère que l’Orient. Le deuxième concile œcuménique, celui
de Constantinople (381), qui impose à toute l’Église les décisions de Nicée, n’est même pas
reconnu dans un premier temps comme « œcuménique » par l’Église d’Occident, qui n’envoie
aucun délégué.
Le CredoLe concile de Nicée a d’abord rapidement condamné les thèses d’Arius : « ceux qui
disent qu’il y a eu un temps où le Fils de Dieu n’était pas, qu’il a été tiré du néant, qu’il est
d’une autre substance ou d’une autre nature que le Père, qu’il est changeant ou variable, tous
ceux-là, l’Eglise les anathématise ». Mais il a aussi ajouté la rédaction d’un texte qui pourrait
servir de référence, en dehors de l’Ecriture ou en plus de l’Ecriture : l’Ecriture en effet laisse
beaucoup de place à l’interprétation, et Arius lui-même y avait trouvé des éléments pour
confirmer sa doctrine. Il y avait donc besoin d’un texte de référence hors-Ecriture, qu’on va
appeler Credo de Nicée, du nom de ses deux premiers mots Ŕ Credo signifie « Je crois » en
latin Ŕ dans lequel est résumée la doctrine de l’Église. Est affirmé entre autres : Nous croyons
en un Père tout-puissant créateur de choses visibles et invisibles
Nous croyons en un seul Seigneur Jésus, Christ, le Fils de Dieu, engendré unique du Père,
c'est-à-dire de l’essence du Père, Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière, Vrai Dieu né du
vrai Dieu, engendré pas créé, consubstantiel au Père, homo-ousios (de même essence).
Il y a bien eu engendrement, mais éternel (il n’y a pas de temps où le Fils n’a pas été Fils,
sinon il n’y aurait pas non plus eu de Père) donc pas de création, « engendré non pas créé ». Il
n’y a pas de hiérarchie entre les deux personnes de la Trinité. L’arianisme après Arius
Les vrais partisans d’Arius ont été peu nombreux ; mais ceux qui n’ont pas été contentés par
le Credo de Nicée en revanche sont très nombreux durant tout le IVe s. Plusieurs conciles
concurrents ont tenté, sous la protection de l’empereur Constance (353-360) de trouver une
formulation plus conciliante : on parle de position homéenne ou d’homéisme car il s’agit
d’affirmer que le Fils est « semblable au Père », homoios, sans dire en quoi (par l’essence, la
substance, la volonté ou l’action ?). C’est à ces formulations plus vagues, plus consensuelles,
mais hérétiques car ariennes pour l’Eglise catholique, que se sont ralliés les barbares qui se
sont convertis au christianisme :
- les Goths reçoivent la prédication de l’évêque Ulfila alors qu’ils sont encore
hors les frontières de l’empire dans les années 360. Ils sont donc ariens et pas
païens quand ils fondent les royaumes gothiques :
i. le royaume wisigothique de Toulouse, fondé par Euric (466-484)
en Auvergne, vallée du Rhône, côté méditerranéenne, hors Provence,
que l’empereur Julius Nepos doit reconnaître en 476 est arien, de même
que le 2e royaume wisigothique, celui d’Espagne, qui reste arien
jusqu’à la conversion du roi Récarède en 589.
ii. Le royaume ostrogothique d’Italie, fondé par Théodoric (493-526),
qui dure jusqu’à la reconquête de Justinien (535-555). - Peut-être les Burgondes de
Sapaudia, dont le roi se convertit au catholicisme en 517- Les Vandales, qui restent ariens
tant qu’ils gouvernent l’Afrique du nord (535, reconquête de Justinien)- Les Lombards, qui
descendent de Bavière actuelle en Italie du nord au début du VIIe s. et qui restent ariens
jusqu’au milieu du VIIe s.b- la crise christologique (V
e-VII
e s.)
Une crise plus longue s’est produite autour de la 2e personne de la Trinité : le Fils, parole et
sagesse de Dieu, qui est devenu un homme, Jésus : on parle d’Incarnation. Comment
caractériser les liens qui unissent, dans cette personne, la part humaine et la part divine ? Ce
n’est pas de la pure curiosité d’oisifs : de même que les débats trinitaires engageaient le salut,
les débats christologiques parlent de l’humanité et de ses espérances de salut : l’homme a-t-il
ou non été assumé par Dieu ? la 2e personne de la Trinité a-t-elle oui ou non connu nos
misères, notre mort, notre souffrance ?
La théologie de Nestorius Les débats ont été animés au IV
e s., mai sont restés affaires de spécialistes. Puis au V
e s., en
427, a été élu un nouvel évêque de Constantinople, Nestorius, qui s’est distingué par des
positions hétérodoxes : Nestorius enseignait en effet que Marie, mère de Jésus, ne pouvait pas
être appelée Mère de Dieu, mais seulement mère du Christ ; il ajoutait qu’il ne pouvait pas
concevoir que le Christ ait souffert, ait grandi, ait éprouvé des sentiments, ce que seul
l’homme Jésus aurait fait. Dès 430, Nestorius est condamné comme hérétique, par le pape de
Rome, Célestin et par l’évêque d’Alexandrie Cyrille.
Les conciles d’Ephèse (431) et de Chalcédoine (451) Un concile réuni à Ephèse voit venir
des représentants de tout l’empire d’Orient, mais seulement deux légats du pape, et un seul
diacre pour représenter l’Église d’Afrique. Il ne donne aucune nouvelle définition doctrinale,
mais condamne Nestorius et donne toute sa légitimité à l’expression Marie Théotokos, "Mère
de Dieu". Un concile réuni 20 ans plus tard à Chalcédoine réunit 343 évêques Ŕ c’est le
concile œcuménique le plus important en nombre de personnes Ŕ mais seulement 4 évêques
d’Occident. Il affirme que le Christ est une seule personne (hypostase) avec deux natures
(phusis), « parfait en divinité, parfait en humanité… engendré de la Vierge Marie, Mère de
Dieu ». Or en Egypte, Palestine, Syrie, surtout dans les milieux monastiques, cette définition
fait scandale : ceux qu’on a appelés les monophysites récusent l’idée d’une double nature
(phusis) du Christ, au nom de l’unité de sa personne. La position monophysite, qui est une
subtile position théologique, dérive bientôt vers une série de plus franches hérésies : certains
monophysites affirment que, puisqu’il y a une unique nature dans le Christ, l’une, la divine,
l’a emporté sur l’autre, l’humaine, et que par conséquent, le Christ en son corps complètement
divinisé ne pouvait pas souffrir. Ou l’hérésie réciproque, fondée sur la supériorité de la nature
humaine sur la nature divine, qui récuse à Jésus la capacité à connaître Dieu, à en parler, etc.
À la fin du VIe s., on dénombre ainsi une 20aine de sectes dérivant du monophysisme,
minoritaires et surtout, de véritables Églises monophysites organisées : l’Église jacobite en
Syrie, du nom du premier évêque d’Edesse, Jacques Baradée, qui s’oppose à l’Église melkite
(impériale, c'est-à-dire catholique) ; l’Église copte en Egypte, où elle est très majoritaire,
notamment dans les monastères ; l’Église arménienne. Monothélisme et monoénergisme,
condamnés par le concile de Constantinople de 680 Derniers avatars du monophysisme, deux hérésies condamnées à Constantinople : le
monoénergisme affirme que, s’il y a bien deux natures dans le Christ, elles sont mues par une
unique énergie, une unique activité Ŕ c’est une façon de rallier les monophysites arméniens.
Le monoénergisme dérive facilement en monothélisme, qui affirme que le Christ, avec ses
deux natures toujours, a une unique volonté. Le concile œcuménique de Constantinople
rétablit la vérité catholique d’une double nature donc d’une double activité et d’une double
volonté.
3- deux nouvelles conceptions du pouvoir politique séparent Orient et OccidentLes
empereurs d’Orient imposent la foi de Nicée L’empereur Constantin (m. 337) a reconnu à l’Église un statut juridique privilégié dans
l’empire, en même temps qu’il a pratiqué une ingérence de plus en plus directe dans les
affaires de cette Église. C’est lui qui prend l’initiative en 325 de convoquer le concile de
Nicée. Il n’intervient pas dans les débats, mais met à la disposition des évêques la poste
impériale pour les faire venir très nombreux, ouvre le concile, réuni dans une résidence
impériale, place les évêques à sa droite et à sa gauche et définit son rôle : « Je suis l’évêque du
dehors » - pas d’un siège précis, pas de l’extérieur de l’Église, mais chargé des affaires
extérieures tandis que les évêques sont chargées des affaires intérieures. Après lui, tous les
empereurs estiment légitime de promouvoir telle définition de foi contre telle autre, soit au
nom de leur conviction personnelle, soit pour rechercher la paix par des formules
consensuelles. Ainsi l’empereur Valens, qui invente et promeut l’homéisme (un arianisme
léger) dans les années 365, alors que son successeur Théodose (en 380) confirme la définition
de Nicée : dès son arrivée au pouvoir, il impose par une loi de se rallier à une formulation de
la foi nicéenne puis convoque le concile de Constantinople (381) pour refaire l’unité de
l’Eglise. Par édit, il condamne les hérétiques à remettre toutes leurs églises aux orthodoxes.
Les empereurs d’Orient voudraient se rapprocher de l’hérésie monophysiteCette
implication de l’empereur dans des affaires de dogme se produit donc au nom de la paix et de
la sécurité de l’empire. C’est aussi pour des raisons de politique intérieure que l’empereur
d’Orient Zénon soutient un compromis monophysite (476) au point de susciter l’hostilité du
pape qui déclare l’empereur hérétique. Justinien, avec sa femme Théodora, continuent cette
politique de rapprochement avec les monophysites, sans succès. Même problème et même
solution pour l’empereur Héraclius (m. 641) qui a besoin du soutien du royaume d’Arménie
pour appuyer sa campagne contre la Perse en 622 : il propose donc la doctrine du
monoénergisme, sans succès. dans tous ces débats doctrinaux, deux constantes :-
c’est l’Orient qui mène les débats, qui voit naître les hérésies et les conciles capables de les
réprimer, les théologiens, et l’empereur par-dessus tout pour appuyer à tort ou à raison telle ou
telle définition dogmatique. On tend donc vers l’établissement d’une Église impériale, voire
d’une théocratie, appuyée sur l’existence de quatre sièges épiscopaux qui animent les débats
et prétendent exercer un rôle dominant sur les autres, les patriarcats d’Antioche, Jérusalem,
Constantinople et Alexandrie.
- en Occident, la seule voix capable de se faire entendre, de s’intéresser aux
débats, voire de les contester, est celle du pape, le seul patriarche latin,
l’évêque de Rome, sans jamais l’appui d’un pouvoir politique.
C’est dans ce cadre qu’on voit s’affirmer deux théories opposées du pouvoir politique : selon
Eusèbe de Césarée, contemporain de Constantin (donc au IVe s.), le pouvoir impérial est de
nature divine, l’empereur peut régir les affaires de l’Eglise, c’est même pour cela que Dieu l’a
fait empereur. Pour le pape Gélase au contraire à la fin du Ve s., le pouvoir politique est une
potestas (une capacité d’action, de faire la police, d’imposer la loi) tandis que l’Eglise par le
pape possède l’auctoritas (le pouvoir fondamental, le principe même qui légitime le pouvoir).
Chapitre 2 Occident
Séance 2: l'Occident barbare L'Occident barbare
L'Orient repose sur un système romain antique pérennisé: un empereur, autorité en matière
religieuse voire dogmatique, qui dirige une fédération de peuples dont le catholicisme nicéen
est le ciment le Moyen Age n'y commence pas!
C'est en Occident que se créé un nouvel équilibre des pouvoirs civils et religieux en même
temps que naissent les royaumes barbares et des sociétés nouvelles, romano-barbares. Les
populations romanisées en effet n’y ont pas disparu : il y a plutôt une fusion lente des peuples
« barbares » et des indigènes, pour créer vers 700 en Europe occidentale, des sociétés
« romano-barbares » - on parle d’acculturation pour définir les emprunts réciproques des deux
sociétés.
La plus grande nouveauté peut-être du Moyen Age naissant est l'invention de la royauté:
conçue comme un système politique décadent et tyrannique par Rome, c'est LE régime qui
s'impose partout en Occident. Hypothèse de travail
- dans les peuples germaniques du IIIe s., avant l’époque des migrations donc, pas
d’organisation ethnique ou politique stable. Chaque famille était liée à un clan familial,
une Sippe, plusieurs clans formant une tribu, dirigée par un double roi Ŕ un roi prêtre
et un roi militaire. Le système politique n'est pas démocratique, mais collectif: c'est la
communauté des hommes libres qui dicte à la tribu ses lois, et les impose au groupe.
- Or Rome demandait aux tribus de lui fournir des combattants : elle encourageait donc la
création de bandes militaires, de groupes de guerriers, et plus de clans - pour survivre aux
invasions hunniques de plus, la tribu n’a pas d’autre choix que de se militariser
complètement, ce qui accroît l’importance des chefs de guerre. Ceux-ci, qui n’exerçaient dans
les tribus qu’un rôle temporaire sont conduits à devenir des chefs permanents : les rois
traditionnels, aux pouvoirs surtout religieux, se trouvent remplacés alors par des heerkönig ou
« rois d’armée », ce que Rome désigne sous le nom de rex.
- Au Ve s., quand les premiers rois barbares s'imposent dans le cadre de l'empire romain,
ils sont les héritiers de ces institutions en cours d'élaboration. Un roi germanique est
défini par son pouvoir militaire ; il est soumis aux mêmes lois que ses hommes ; il
doit les mener au combat victorieux ; s’il n’est pas victorieux, c’est que les dieux l’ont
déjugé et que ses hommes peuvent le remplacer par un autre roi. La royauté est en
effet élective. Changer de religion, c’est donc pour Clovis courir le risque de voir ses
hommes refuser de suivre une divinité nouvelle, donc changer de roi. Or, sans doute
parce que le baptême survient dans un contexte victorieux, la conversion de Clovis
« fonctionne » : ses hommes le suivent, ses antrustions Ŕ sa garde rapprochée
composée de 3000 soldats qui ont juré fidélité au roi jusqu’à la mort Ŕ reçoivent le
baptême en même temps que lui. L’idéologie de la victoire, germanique, est
compatible en fait avec la christianisation, sur le modèle de Constantin : Dieu peut
favoriser un roi.
Selon les espaces, l'institutions évolue alors: toujours élective chez les Wisigoths où aucune
dynastie ne parvient à s'imposer pendant plus de 2 siècles. Héréditaire au contraire dans le
royaume franc où Clovis parvient à faire monter sur le trône ses fils, remplacés par leurs fils,
etc. La monarchie héréditaire est la grande invention du royaume franc qu'on appelle dès lors
mérovingien: dirigé par la famille des descendants de Mérovée.
I - Des sociétés mixtes: organiser la coexistence 1-Deux modèles politiques
opposésa. L’échec programmé de l’acculturation en Italie ostrogothique : le dualisme
de Théodoric Théodoric (ca. 455-526) est un cas extrême de roi ostrogothique qui cherche à éviter à tout
prix l’acculturation dans son royaume d’Italie. Thodoric est un goth de la famille royale des
Amales, et à ce titre il a été retenu dans sa jeunesse à Constantinople comme otage : c’est
donc un homme qui a reçu une excellente éducation, et qui connaît bien le monde romain, qui
a été chargé par l’empereur d’Orient Zénon de reprendre le pouvoir en Italie, au moment où
elle est contrôlée par Odoacre. De fait, Théodoric réussit parfaitement sa mission, entre en
Italie en 489, bat Odoacre en 493, l’assassine et devient le véritable maître de l’Italie.
Du point de vue des institutions et des symboles, il est dans la continuité du pouvoir
impérial romain : il maintient en place le Sénat de Rome et recrute en son sein ses
meilleurs conseillers. Il faut connaître le nom de Cassiodore (ca. 485-580), qui est
un sénateur d’une des plus nobles familles italiennes et qui a poursuivi une carrière
très brillante au service de Théodoric : il a été consul, et surtout maître des offices
(=chef des bureaux) de 523 à 527. C’est à ce titre qu’il a rédigé l’essentiel de la
correspondance diplomatique de Théodoric, qui avait donc adopté les pratiques
romaines classiques et la meilleure rhétorique latine dans sa correspondance.
Mais du point de vue du gouvernement réel, il s’attache surtout à faire vivre
ensemble Goths et Romains, sans jamais les mêler :
- il institue une hiérarchie administrative gothique en parallèle de la hiérarchie
administrative romaine, respectée, mais qui n’a aucun pouvoir sur les Goths
- il demande qu’il n’y ait aucune confusion juridique entre les deux peuples, jugés selon
le strict principe de personnalité des lois, par des juges de leurs nations
- les Goths ne doivent pas devenir propriétaires du sol qu’ils ont conquis, mais y
exercer leur droit d’hospitalité : ils en tirent donc les ressources nécessaires sans en
être propriétaires, ce qui permet de les garder mobiles et disponibles pour leur seule
fonction, la fonction militaire / Les Romains a contrario ne doivent pas avoir accès à
la carrière militaire, monopole gothique
- Les Goths restent soigneusement ariens, avec des lieux de culte qui leur sont propres
et leur clergé arien, les Romains étant catholiques. Aucune conversion n’est souhaitée,
Théodoric s’enorgueillit même de ne pas avoir contraint les Romains à renoncer à leur
confession. Il se sert en fait de la confession arienne comme d’une idéologie nationale,
de l’Eglise arienne comme d’une Eglise nationale.
- Les mariages mixtes sont interdits.
la politique de Théodoric s’appuie sur une idéologie raciste : les Romains sont des
vaincus, parce que leur race s’est affaiblie ; il faut donc préserver le sang gothique
dans toute sa pureté, pour garder au peuple gothique ses qualités guerrières.
c’est ce qu’on appelle le dualisme et c’est un échec ; dès la mort de Théodoric (526) il est
évident que le système ne reposait que sur la personnalité du roi et les populations romaines
souhaitent la fin de la domination ostrogothique. Elles vont favoriser la reconquête de l’Italie
par l’empereur d’Orient Justinien.
b. Une acculturation réussie? Le royaume "franco-romain" de Clovis Clovis est en 481 le gouverneur, au nom de l'empereur romain, de la province romaine de
Belgique seconde. Son père Childéric a été engagé par Aegidius pour défendre la Gaule
romaine (notamment contre les Huns). Puis Clovis se détache de cette autorité supérieure, ou
prend le pouvoir comme un roi germanique, fonde un royaume, sans rencontrer l'hostilité de
la population gallo-romaine. Pourquoi?
a- il reçoit l'appui des évêques gallo-romains qui voient en lui une force capable de les
protéger contre les Wisigoths ariens. De fait, il repousse les Wisigoths du royaume de
Toulouse par la bataille de Vouillé (507) ce qui contribue à la fondation du 2e royaume
wisigothique, au sud des Pyrénées qui dure jusqu'en 711.
b- il reçoit le baptême catholique, et est donc le chef du premier peuple barbare qui
adhère à la foi catholique. Les Francs, et Clovis, étaient païens lors de leur accession
au pouvoir dans le nord de la Gaule. Puis Clovis a reçu le baptême à Reims, de la main
de l’évêque Remi, le 25 décembre entre 496 et 508.
Plusieurs faits ont pu le préparer à cette conversion : 1- il a épousé une princesse burgonde catholique Clotilde, entre 490 et 500. C’était un
mariage hypergamique pour le jeune homme et sa femme devait exercer sur lui une
influence importante. Clovis a d’ailleurs toujours accepté que les enfants du couple
reçoivent le baptême.
2- Grégoire, évêque de Tours, qui raconte la conversion de Clovis vers 590, associe cette
conversion et une bataille que Clovis a remportée contre les Alamans, près de la ville
de Tolbiac en 496 : Clovis aurait remporté la victoire après avoir demandé de l’aide au
Dieu de Clotilde, sa femme.
3- Nizier, évêque de Trèves, dans une lettre des années 560, explique que c’est parce que
Clovis a été témoin des miracles qui se produisent sur la tombe de saint martin, évêque
de Tours, à Tours, qu’il s’est converti.
Un contexte victorieux
Clovis réalise par sa conversion l’unité d’un royaume où les Gallo-romains étaient catholiques.
Il se présente en défenseur de la foi dans sa conquête du sud de la Loire, contre le royaume
wisigothique arien. Par sa victoire à Vouillé (507), il donne à son royaume les Pyrénées pour
limites. La conquête de la Burgondie, elle, est plus délicate : le royaume de Burgondie ne sera
vraiment annexé qu’en 534. Peu importe : pour Grégoire évêque de Tours qui fait l’histoire du
royaume, Clovis est un combattant qui agit au nom de Dieu, un saint roi qui mérite la victoire
par la foi. Les Francs sont présentés dans les Dix Livres d’histoire comme un nouveau peuple
élu.
2-La création d’une société mixte? le témoignage des sépultures et des liens de parenté
c. les sépultures
L’acculturation s’évalue mal à l’échelle réduite d’un règne. Par l’archéologie, on comprend
mieux en revanche comment deux populations, indigène et exogène, peuvent se mêler sur un
ou deux siècles. L’étude des nécropoles mérovingiennes, c'est-à-dire de cimetières retrouvés
sur le territoire de la France actuelle et qui datent des Ve, VI
e ou VII
e s., permettent les
observations suivantes :
influences barbares ?
- les populations adoptent la structure des cimetières « à rangées » en en plein champ,
qui voit les tombes alignées, en rase campagne, à l’écart de toute habitation ou de tout
sanctuaire jusqu’au VIIe s. Seule exception, la présence d’enclos privilégiés, de
tumulus, de structure circulaire qui manifeste l’existence d’un abri, d’une sorte de
hutte au-dessus de la tombe ou des tombes, groupées autour d’une personne plus
honorable que les autres : « tombes de chefs ».
- pratique très répandue de l’inhumation, alors que les Germains avant la conquête
pratiquaient massivement l’incinération, puis l’inhumation des cendres placées dans
une urne (cimetières « en champ d’urnes »).
- Pratique très répandue de l’inhumation habillée, qui culmine au VIIe s., tous milieux
sociaux et culturels confondus, avec des objets de la vie quotidienne (boucles de ceinture,
bijoux) et signes de la fonction sociale (armes, outils, calice pour un prêtre).
influences romaines ?
- le refus de l’inhumation à l’intérieur des murs des cités, conformément à la loi
romaine, qui voit le développement de nécropoles urbaines dans les banlieues :
« nécropoles suburbaines », le long des voies de communication.
- Très fréquente utilisation du sarcophage, en marbre de grand luxe s’il est récupéré
(Jovin, maître de la milice à Reims) ou en pierre calcaire très simple trapézoïdal un
peu partout, avec inscription.
christianisation du tout, qui réalise la grande synthèse après le VIIe s.
- réunion des sépultures et des lieux de culte : soit on inhume les morts dans des églises
ou à proximité des églises, qui sont elles-mêmes bâties sur le tombeau d’un saint.
C’est l’inhumation ad sanctos, « auprès des saints », qui est particulièrement
recherché après le VIIe s. / soit on construit une église au cœur de ce qui va être le
cimetière paroissial, pour pouvoir célébrer des messes près des tombes. Partout,
l’habitat et les sépultures se rapprochent. En milieu rural, c’est la naissance, partout au
VIIIe s., du village.
- Inhumation de plus en plus dépouillée, par humilité chrétienne, un simple linceul suffit,
sans mobilier. b. L’adoption d’une structure de parenté plus germanique
La famille surtout, cellule fondamentale de toute société, est modifiée par l’irruption des
peuples germaniques. On distingue commodément pour un individu deux façons de définir
avec ses ascendants des liens familiaux :
- soit la parenté est dite agnatique et c’est le lien avec le père qui est privilégié : on
parlera aussi de parenté patrilinéaire. L’enfant appartient donc à la lignée paternelle,
qui exerce son autorité et transmet le nom. C’est schématiquement le système romain,
avec la domination du pater familias et le statut d’éternelle mineure de la femme.
- Soit la parenté est dite bilatérale, aussi bien agnatique que cognatique donc, c'est-à-
dire aussi importante par la lignée paternelle que maternelle. C’est, schématiquement
toujours, cette parenté qui semble dominante dans les peuples germaniques.
C’est dire que dans la société du haut Moyen Age, les femmes ont le droit de transmettre leurs
biens propres, indépendamment de leur mari. C’est ce que fait la reine Frédégonde quand elle
constitue une dot royale à sa fille Rigonthe (fin VIe s.). Elles héritent des biens patrimoniaux
au même titre que leurs frères. La loi salique prévoit le cas d’un homme qui mourrait sans
enfants, ni parents, ni frères et sœurs : et bien c’est sa tante maternelle qui recevrait ses biens,
avant sa tante paternelle. Elles exercent le pouvoir politique par le biais des périodes de
régence si elles appartiennent à des familles régnantes (Nanthilde, veuve de Clotaire II, règne
en Neustrie au nom de son fils Clovis II après 614, etc.). Elles transmettent leur nom aussi
bien que leur mari, souvent par association des deux noms.
On désigne sous le nom de parentèle les alliances sur lesquelles chaque individu peut
compter : dans la société du haut Moyen Age, chacun peut donc s’appuyer autant sur les
parents du côté maternel que paternel. L’oncle maternel est même le parent le plus proche,
celui qui est réputé capable de s’occuper de l’éducation des jeunes gens en cas de besoin. La
justice germanique, qui est un système vindicatoire, montre l’importance de cette parentèle :
c’est la famille qui doit exercer la vengeance privée sur la famille de l’offenseur, c’est la
famille aussi qui obtient réparation par le wergeld en cas d’intervention de la justice publique.
Pour les groupes aristocratiques, on a la certitude qu’ils sont en outre groupés au sein de
Sippen, pluriel de Sippe, c'est-à-dire des groupes d’alliance horizontaux, unis par des
mariages endogames et la conscience d’intérêts communs. Ces Sippen sont dites horizontales,
parce qu’elles ne durent pas plus d’une génération : à chaque génération, elles sont réactivées,
confirmées par mariage, ou évoluent. L’idée de lignage, ou de solidarité de sang, sur plusieurs
générations est une création du Moyen Age tardif, à partir du XIIe s. seulement pour
l’aristocratie moyenne, à l’imitation du modèle dynastique inventé par les rois carolingiens
(après le VIIIe s.). Mais comme dans la société romaine, c’est la famille nucléaire (mari,
épouse, enfants) qui est la vraie cellule de sociétés qui ne connaissent pas l’idée de « famille
élargie » : le couple conjugal est protégé, bien avant la christianisation du mariage, par des
interdits moraux très stricts : les adultères sont punis de mort. 3- Un droit mixte?
Imposer son droit, sa loi, est le premier signe de souveraineté : quand les royaumes barbares
s’installent, leurs rois font donc appliquer leur loi propre, mais selon des arrangements qui
caractérisent une société mixte, et selon un rythme différent selon les espaces.
c. le maintien de la législation romaine En 438, l’empereur Théodose II a fait réunir tout le droit romain antérieur, depuis l’empereur
Constantin : c’est ce qu’on appelle le Code théodosien, réactualisé par le biais de novelles ou
ajouts de nouvelles constitutions. Il continue d’être massivement utilisé en Occident, où il sert
de base à l’enseignement du droit, pour plusieurs raisons :
le droit romain est dans un premier temps le seul à régler des questions comme le
droit des héritages, ou les relations entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux.
C’est pas excellence le droit de celui qui gouverne, donc il est imité dans sa forme
en Francie par les rois mérovingiens (481-751) dans leurs édits, et par les rois
carolingiens dans leurs capitulaires (751-888).
il est donc le droit qui s’applique aux clercs, aux membres de la hiérarchie
catholique. C’est lui qui sert de modèle à la loi de l’Eglise, qu’on appelle droit canon
(puisque énoncée sous la forme de chapitres ou canones).
il est le droit naturel des citoyens romains, même s’ils sont sous domination barbare.
C’est à ce titre que le roi des Burgondes, Gondebaud, a fait adopter dans son
royaume dans les années 500 un code appelé « loi romaine des Burgondes ». C’est
un abrégé du code théodosien. On pense qu’il devait aider les juges, d’origine
burgonde, à juger les accusés d’origine romaine : on sait que les procès mettaient
toujours en présence deux juges, l’un romain l’autre burgonde.
il bénéficie d’un prestige certain auprès des rois, qui cherchent à imiter Rome et ses
empereurs. C’est ainsi que le roi des Wisigoths Alaric II a publié en 506 un code
théodosien abrégé, dit « Bréviaire d’Alaric », appliqué à toute la Gaule franque
après 507 et qui sert de base à la législation en Aquitaine jusqu’au VIIIe et IX
e s.
d. la rédaction des lois barbares En même temps, les peuples qui arrivent en Occident ont leurs propres coutumes. Avec la
création des royaumes barbares, elles sont pour la première fois mises par écrit, par imitation
du droit romain et en latin :
le Pactus legis salicae dans le royaume franc de Clovis, vers 510. Elle parle en 65
titres des crimes de sang, des vols, des délits graves (rapts, adultères), des donations
et successions. L’essentiel de la loi restait donc sans doute orale, et devait être
répétée par les spécialistes du droit qui siégeaient au tribunal, appelés
rachimbourgs.
La loi lombarde, par exemple la compilation réalisée sous le roi Rothari et publiée le 22
novembre 643 à Pavie sous le nom d’Edit de Rothari : c’est un rassemblement de 388 lois.
Parmi les constantes de ces codes barbares, on trouve :
l’idée que la loi doit permettre de réduire le recours à la faide, c'est-à-dire à la
vengeance privée, d’une famille agressée sur la famille d’un agresseur.
L’idée que la peine la plus efficace pour réduire la faide est la compensation : à
chaque crime correspond un prix, le wergeld, que le coupable verse à la famille
lésée. Ce « prix du sang » ou « prix de l’homme » est fixé en fonction de la qualité
de la victime et pas en fonction de la nature du délit. Ainsi, tuer une femme en âge
de procréer est plus grave que tuer une vieille femme, selon la loi salique ; tuer un
clerc est deux fois plus cher que tuer un laïc dans les codes anglo-saxons du IXe s.,
etc.
Le tribunal n’a pas à décider de lancer une enquête ou à prouver la culpabilité de
l’accusé : on applique au contraire la procédure dite accusatoire, un homme est
accusé, il comparaît, il doit prouver son innocence. Au cas où il n’y a pas de flagrant
délit, les moyens privilégiés de l’enquête sont la production de preuves écrites, puis
le serment purgatoire (l’accusé jure qu’il n’a pas commis ce dont on l’accuse),
éventuellement corroboré par des témoins (12 ou plus), enfin l’ordalie ou jugement
de Dieu. Les juges ne prononcent pas de verdict, mais garantissent l’accord qui et
librement trouvé et consenti entre deux parties : il n’y a donc pas de peine de prison
et très peu de peines de mort. Sauf dans quelques cas qui agressent la famille, et où
l’on voit très nettement l’influence de coutumes germaniques anciennes, comme la
noyade de la femme adultère dans un marais.
À qui s’applique quel code ? Deux principes peuvent s’affronter, ou mieux, se succéder :
la personnalité des lois
= c’est en fonction de son origine ethnique qu’un homme sera jugé.
Ex : lorsque les Francs mènent la conquête du pays des Alamans, ils donnent au pays qu’il
viennent de soumettre un droit propre, le Pactus legis Alamanorum (vers 620, sous Clotaire
II), qui respecte donc en apparence le principe de personnalité des lois, indépendamment du
pouvoir politique. C’est un principe qui s’accorde bien d’un temps de migration - le lieu de
résidence importe moins que le lieu d’origine, qui, lui, est stable. Puis vient l’ethnogénèse : la
prise de conscience de soi d’un peuple qui se reconnaît dans une histoire commune et bientôt
dans un territoire commun. On passe alors à
la territorialité des lois
= on applique la même loi sur tout le territoire. Implique un pouvoir politique fort et la
conscience d’une unité nationale, au-delà de l’origine ethnique.
C’est ce qui se produit en Espagne wisigothique. Le royaume a adopté une monarchie
théocratique au début du VIIe s. : le roi légifère avec l’appui de l’Eglise, au cours de
conciles ; il gouverne avec l’appui des évêques, comme Isidore de Séville. Cette unité
nationale étant fortement fondée sur la religion et sur le pouvoir royal, le roi
Réceswinthe fait réunir les lois de son père et les siennes propres et les publie en 654
au cours du 8e concile de Tolède : c’est le Liber Judiciorum, Livre des Jugements. La
forme est celle d’un Code théodosien. Le Liber concerne tous les domaines. Il
s’applique à tous les habitants du royaume. Il donne au roi une place dominante
(existence du crime de lèse-majesté, puni de la mort ; pouvoir du roi d’être au-dessus
des lois dans certains cas, comme pour autoriser des mariages non-canoniques). Il
confirme l’existence de deux catégories sociales d’hommes libres, les aristocrates Ŕ
qu’on ne peut pas soumettre à la torture - et les humbles.
C’est peut-être aussi la situation dans la Loi des Burgondes, ou Livre des
Constitutions, promulgué entre 500 et 530 environ : on y trouve énoncé le principe
d’autorité royale (c’est le roi qui est l’origine du droit), et précisé que la volonté du roi
vise l’ bien du « peuple », défini donc, pas par son origine ethnique mais bien par son
installation dans un territoire sous autorité royale burgonde.
II- Naissance d’une chrétienté occidentale 1- Le pouvoir des évêques, originalité
occidentale n° 1 En Occident, ce sont les évêques qui assurent la continuité sociale et politique au moment où
le pouvoir impérial romain est remplacé par les royautés barbares. Les évêques en effet
s’établissent dans chacune des cités romaines et leur responsabilité s’étend à un diocèse, dont
les limites sont calquées sur les limites administratives de l’empire romain (principe
d’accommodement). Ils sont recrutés dans l’aristocratie des curiales, c'est-à-dire des
magistrats des cités responsables de leur administration. C’est donc tout naturellement qu’ils
assument, en tant qu’évêque comme en tant que curiales :
- le secours à apporter aux nécessiteux, par des distributions de nourriture,
l’organisation de l’approvisionnement, la tenue de matricules, c'est-à-dire de
listes de pauvres qui doivent être aidés
- ils rendent la justice
- la création d’écoles : le système éducatif romain reposait sur l’existence
d’écoles municipales financées par les cités ; les évêques perpétuent le système
et incarnent d’ailleurs la permanence de la culture romaine (Avit évêque de
Vienne et son registre)
- la négociation avec les autorités civiles : l’évêque est le defensor civitatis, il
s’interpose en cas de danger (saint Aignan sur les remparts d’Orléans contre
Attila en 451), il s’oppose aux barbares sanguinaires (saint Nicaise de Reims
face aux Vandales en 407), il rachète les prisonniers (saint Césaire d’Arles lors
de la conquête gothique), il organise la défense militaire (Sidoine Apollinaire à
Clermont en 475), il collabore avec l’administration locale (Remi évêque de
Reims et Clovis en 481).
- A titre personnel, grâce à leur fortune privée, ils peuvent agir comme des
propriétaires terriens capables d’organiser la mise en valeur agricole (les
vignes de Remi, l’installation d’une colonie de peuplement dans le Porcien)
Dans un monde occidental où le pouvoir politique est devenu très instable au Ve s., les
évêques incarnent la permanence de l’ordre, du droit, de la justice.
Au milieu de ces évêques occidentaux, l’évêque de Rome se voit reconnaître une voix
prépondérante. L’évêque de Rome ne possède pas de pouvoir supérieur à ceux des autres
évêques, mais un prestige particulier. Certes, celui qu’on commence à appeler exclusivement
pape (c’est le titre de tous les évêques en latin) jouit d’une autonomie enviable : pas
d’empereur à Rome, une aristocratie puissante qui lui est acquise, des biens très importants.
Mais c’est au nom de raisons plus historiques et spirituelles que Rome revendique la
primauté : Rome est le siège de l’apôtre Pierre, qui est mort à Rome au cours des années 60,
ce Pierre à qui Jésus Christ a dit, selon les Evangiles, qu’il fondait son Eglise sur lui. C’est
aussi le lieu du martyr de saint Paul de Tarse. On reçoit donc sa parole avec confiance sur le
plan dogmatique. Le pouvoir disciplinaire de Rome en revanche est très bien accepté en Gaule
ou en Italie, très peu ou mal en Espagne ou en Irlande.
NB : il n’y a pas quand commence le Moyen Age au IVe ou au V
e s. d’Etats
pontificaux.L’Hénotique : alors que l’empereur Anastase voulait régler la question
monophysite par une déclaration mi-chèvre mi-chou, le pape Gélase s’y oppose fermement et
expose sa théorie politique d’une séparation entre auctoritas et potestas. Fin Ve s.
L’apogée de la papauté est atteint vers 600 avec la personnalité de Grégoire le Grand.
2-la conversion au catholicisme des royaumes barbares Le cas du royaume franc est original par sa précocité: des païens sont devenus catholiques dès
les premières années du VIe s. Ailleurs, phénomène plus lent, mais achevé au VIIe s.
a. les Wisigoths (VIe s.)
Un siècle après le baptême de Clovis, le roi de l’Espagne wisigothique, Récarède, décide de
renoncer à la confession arienne (589). C’est une décision dangereuse : en 585, le roi
Léovigild a fait exécuter son fils Herménégilde parce que ce dernier s’était converti au
catholicisme. Il a conquis en représailles le royaume voisin des Suèves catholiques. Récarède,
lui, réussit à faire accepter sa conversion, rendue publique au concile de Tolède de 589.
Surtout, il fonde sur l’Eglise catholique la naissance d’un royaume unifié : alors qu’on
pratiquait en Espagne un dualisme proche du dualisme ostrogothique, les populations gallo-
romaines catholiques et wisigothiques ariennes sont invitées à se réunir dans la célébration
d’une même foi et sous l’autorité d’un même roi. Dans le royaume de Récarède,
développement d'une théocratie imitée de celle qui se pratique en Orient: le concile est
l'assemblée législative, définition d'un crime de lèse-majesté, imitation volontaire et
revendiquée de l'empire romain.
b. Les royaumes anglo-saxons : une conversion tardive La situation est toute différente dans les royaumes anglo-saxons, qui se sont formés au V
e s.
en refusant tout l’héritage romain (pas de continuité de l’administration, du droit, de la
religion ou de la langue) et en repoussant les populations autochtones christianisées vers le
Pays de Galles ou la Bretagne actuelle (Armorique). L’idée de réaliser l’unité politique au
moyen de l’unité religieuse est donc absurde. La christianisation présente même deux dangers
politiques importants :
- elle revient à adopter la religion des Francs, qui sont les voisins les plus puissants.
- Elle risque de créer des liens de sujétion entre royaumes : ainsi le Kent, royaume
d’Aethelbert le premier roi converti, s’est imposé comme royaume dominant sur les
voisins d’Essex et d’East Anglie, parce que Aethelbert était devenu le parrain des rois
d’Essex Saeberth et d’East Anglie Raedwald.
C’est donc la papauté - qui n’est pas un pouvoir politique et qui est bien éloignée ! - qui prend
en charge la conversion de ces rois. Aethelbert de Kent est converti en 597 à la suite de la
prédication du moine Augustin, devenu évêque de Canterbury, dans le cadre d’une mission
organisée et gérée depuis Rome par le pape Grégoire le Grand (590-604). S’opposent dès lors
un clergé irlandais local très indépendant dans ses pratiques mais plus ancien et un clergé
anglo-saxon récent, formé par Rome.c. les Lombards (VIIe s.)
En Italie, le renoncement des Lombards à l’arianisme est long et difficile. Les Lombards sont
entrés en Italie en 568, venus de Bavière. Ils redoutent, en embrassant le catholicisme, d’être
sous domination de la papauté, qui est leur grande rivale en Italie centrale, voire sous
domination byzantine. Les rois lombards ne deviennent catholiques que dans la deuxième
moitié du VIIe s. (rois Aripert, 653-661, et Perctarit, 661-688).
3-Naissance d’un monachisme occidental (de Martin à Benoît et Colomban)La chrétienté
occidentale, caractérisée par l’indépendance du pouvoir épiscopal et l’autorité du pape romain,
est enfin le lieu d’un développement original du monachisme. Le monachisme est cette
invention chrétienne qui consiste à se mettre à l’écart du monde pour mieux vivre sa foi.
L’Orient voit ainsi se développer au IVe s. différents monachismes : on distingue
l’anachorèse (la solitude totale de ceux qui ont choisi d’être des ermites, des anachorètes) du
cénobitisme (la solitude de ceux qui la partage avec d’autres moines, en communauté). En
Occident, l’adoption de cette forme de vie est tardive (fin IVe s.) : ceux des chrétiens qui
recherchaient une vie plus parfaite refusaient le mariage mais ne quittaient pas le monde pour
autant. Puis les monastères se multiplient parmi lesquels il faut connaître :
- vers 360, la fondation par Martin du monastère de Ligugé, puis après 371 et
l’élection de Martin sur le siège épiscopal de Tours, de celui de Ligugé. On y
encourage la vie semi-érémitique et la libre contemplation, grâce au refus d
travail manuel.
- Vers 400-410, la fondation par Honorat de Lérins. On y encourage la
recherche intellectuelle et théologique, comme le travail manuel et
l’obéissance comme ascèse.
- Vers 435, la fondation de Condat dans le Jura, qui est très cénobitique
au total, le monachisme gaulois connaît à la fin du VIe s. plus de 200 monastères,
d’hommes et de femmes, aux règles très variées.
Enfin, au tournant des VIe et VII
e s., le monachisme gaulois est bouleversé par l’arrivée du
monachisme colombanien entre 590 et 610 : Colomban, venu d’Irlande avec des disciples,
fonde des dizaines d’établissements grâce à l’enthousiasme de l’aristocratie franque. Il
encourage une grande austérité, dont l’usage d’une pénitence très stricte et héroïque,
l’indépendance vis-à-vis du pouvoir des évêques, et surtout l’évangélisation : les moines, loin
d’être seulement retirés du monde, doivent contribuer par leur enseignement et leur itinérance,
à la conversion des peuples qu’ils rencontrent. III- Des rois barbares mérovingiens aux
rois sacrés pippinides: le destin original de la Francie (ca. 600-751) 1-Les maires du
palais pippinides au VIIe s. les tria regna ; Mort de Clovis 511, partage entre trois
royaumes, toujours sous autorité mérovingienne : Burgondie (Châlons s/ Saône, Lyon, Vienne,
cols des Alpes, ouverture vers l’Italie), Neustrie (Paris, Soissons, Sens, terres riches, bornée
par la Bretagne), Austrasie (terres ancestrales, Metz, Reims, Trèves). Pratique fréquente de la
réunion des royaumes de Burgondie et de Neustrie. Problème de la situation de l’Aquitaine.
Idée d’un regnum Francorum qui intègre ces tria regna. Volonté royale de réunifier sous
une autorité unique les tria regna : ce qu’accomplissent Clotaire II et Dagobert. Apogée
jusqu’en 639. Le règne de Clotaire II, l’Edit de Clotaire II (614) et la création d’aristocraties
locales à forte implantation territoriale : le rôle des comtes (fonctionnaires du roi, rémunérés
par les revenus d’une terre fiscale, immobilisés dans les régions où ils sont propriétaires, souci
d’une bonne gestion avec réparation possible, en fait création d’une aristocratie puissante).
le rôle de maire du palais
Nécessité d’une administration locale. Le palatium ou palais : itinérance relative, mais
efficacité administrative, scribes. Présence d’officiers, qui détiennent une fonction domestique
et publique : camérier (chambre et trésor) ; maréchal (écuries et cavalerie)… ou seulement
publique : le comte du palais, et les procès devant le tribunal du roi. Les officiers sont dirigés
par le major-dome, le maire, qui est aussi l’administrateur des domaines royaux.
l’ascension des Pippinides
Parmi les familles aristocratiques qui prétendent exercer le pouvoir de MdP, on distingue en
Austrasie famille de Pépin l’Ancien, qui profite de la minorité du roi Sigebert III, né ca. 630,
fils de Dagobert, envoyé dès 632 ! il lui faut des « tuteurs », Cunibert, évêque de Cologne
et Pépin Ier
(m. 639). Pépin a accru son pouvoir local en mariant l’une de ses filles Begga à
Ansegisel, fils d’Arnoul devenu évêque de Metz et m. 640 en odeur de sainteté.
Le seul fils de Pépin Ier
, Grimoald, prend à son tour le poste de MdP en 643 = ébauche d’une
transmission héréditaire du pouvoir ? Il gouverne en même temps que roi mérovingien
Sigebert III, qui tard à avoir des enfants : idée d’une adoption par Sigebert III du propre fils de
Grimoald, « Childebert l’adopté », élu roi à la mort de Sigebert en 656. Dure jusqu’à
l’assassinat de Grimoald et Childebert en 662. Sentiment d’une sacralité de la famille royale
mérovingienne qu’on ne peut pas exclure du trône, même si elle partage de facto son pouvoir.
Les rois chevelus.
Pépin II reprend donc le pouvoir de Mdp en 679, fait assassiner le Mdp concurrent
de Neustrie qui s’appelle Ebroïn, et au terme d’une conquête militaire de la
Neustrie (victoire de Tetry en 687 contre Berchaire) devient le seul maire en 687,
avec un roi Thierry III. un homme tout-puissant mais pas un roi. Jouit
d'alliances dans la région de Cologne et autour de la Belgique actuelle. Riche.
2-Charles Martel, l’ascension d’un fils déshérité
Mort de Pépin II et situation héréditaire confuse : les deux fils de Plectrude sont
morts (Drogon 708 et Grimoald 714), reste le petit-fils Theodoald et la vieille
régent / le fils d’Alpaïs, Charles, est bien vivant. Il doit conquérir l’héritage de son
père. 716, évasion, 719, conquête contre Plectrude à Cologne, qui doit lui remettre
le trésor austrasien. 719, conquête (victoire de Néry) contre les Neustriens de
Ragenfred.
Charles fonde sa légitimité sur la capacité à combattre : c’est Charles Martel.
Expéditions victorieuses contre les Frisons (delta du Rhin) dès 719. Conquête de la
Thuringe, du duché de bavière, du duché des Alamans, reconquête de la
Bourgogne en 733. Dans une lettre, pape Grégoire II (722) lui donne donc le titre
de Dux. En 724, Continuation de Frédégaire, titre de princeps.
Devenir roi ? l’alliance lombarde, le subregulus et la papauté La « menace » ou l’alliance lombarde ? roi Liutprand, 732-734 : environs de Rome. Pape
Grégoire III se tourne vers Charles et l’appelle princeps Francorum et subregulus en 739.
Mort de Thierry IV en 737, trône laissé vacant.
Mais Charles refuse le rôle que veut lui faire jouer la papauté :
o L’alliance lombarde est indispensable en Provence
o Liutprand a adopté Pépin III et en a fait un fils de roi. c’est de la
royauté barbare que vient la légitimité, pas de l’autorité pontificale (bien
faible).
Poitiers, 732
la présence musulmane dans le sud du regnum : 711 : Esp. Wisigothique devient
musulmane. 719-725 : passage en Septimanie. L’émir Abd ar-Rahmân prend
Bordeaux et Poitiers en 732, menacent donc Tours ! = Reconquête de la 1ère
« Wisigothie » avant Vouillé. Or Charles Martel défait les troupes de l’émir en 732,
tue Abd ar-Rahman, bloque l’avancée musulmane, même s’il reste une forte
présence musulmane sur la côte Méditerranée.
Le jeu à trois : ce n’est pas une opposition chrétiens/musulmans, mais une
question de domination politique sur le sud de la Loire. Eudes a créé une
principauté en Aquitaine, se fait appeler princeps : principauté = une région, qui
reconnaît le pouvoir nominal des rois mérovingiens mais pas celui des Mdp et qui
est gouvernée de façon autonome dans les faits. Or il ne peut pas seul faire face à
l’avancée musulmane : tantôt il fait alliance avec certains émirs contre d’autres
(Munza en Cerdagne, 730) et se fait accuser de trahison par Charles ; tantôt il doit
appeler à l’aide le même Charles (732). Bilan : en 735, mort d’Eudes, Charles
reconnaît son fils Hunald comme Duc (pas princeps) et exige serment de fidélité.
L’écho de la bataille est faible dans les sources contemporaines rédigées dans le
sud, mais contribue à forger à l’échelle de la chrétienté et dans les sources
officielles du nord du royaume (Continuations de la Chronique de Frédégaire)
l’idée que Charles est le rempart de la chrétienté, qu’il combat au nom de Dieu,
donc qu’il mérite de devenir roi à la place de la famille mérovingienne. Paradoxe :
c’est donc le nom de cet homme qu’on donnera à la dynastie qu’il a contribué à
fonder (les Carolingiens, héritiers de Charles Martel) mais il n’est pas lui-même
devenu un roi.
3-Pépin III (741-768), seul héritier de Charles Martel
Charles Martel meurt en 741 et partage : Carloman (Austrasie) et Pépin (Neustrie).
747 : Carloman se retire. Pépin gouverne seul et renforce son autorité :
- intégration au royaume du duché de Bavière où Tassilon (neveu) est reconnu duc,
mais sous dépendance vassalique
- conquête militaire très dure de l’Aquitaine (760-768) qui s’achève par la mort de
Waïffre.
- Conquête du nord de l’Italie lombarde en 754-756, mais au profit de la papauté :
amorce de constitution des Etats pontificaux.
Pépin, premier roi pippinide (751, sacre de Soissons)
le rôle de l’autorité pontificale
Vers 750, une ambassade dirigée par Fulrad pape Zacharie (741-752) : il vaut mieux
que porte le titre royal celui qui exerce la réalité du pouvoir.
l’élection par les Francs
ce que signifie le sacre : le précédent wisigothique ? le précédent biblique. Saint
Chrême. Coopération de tous les évêques, comme pour un évêque. NB : aucun rôle
pour Reims ni pour l’évêque de Reims.
la naissance de la dynastie carolingienne (754, sacre de Saint-Denis)
Etienne II et la situation lombarde. Roi Aistulf. Remplacer le protectorat byzantin
(iconoclaste) par soutien pippinide.
Le sacre consacre une famille : Bertrade, Charles et Carloman.
tous les éléments de la politique impériale carolingienne sont en place : les Carolingiens
sont les défenseurs de la papauté, ils rivalisent légitimement avec les empereurs byzantins, ils
sont une famille élue et une dynastie légitime.
Chapitre 3 Orient
Chapitre 3 L'Orient, VI-IXe I- L'Orient du VIe au VII
e s. 1- L’empire romain
d’Orient sous Justinien, le dernier empereur d’Orient et d’Occident ? (527-
565)Restauration possible du pouvoir impérial romain classique? a- Les reconquêtes532,
paix avec l’empire perse pour pouvoir se consacrer à la reconquête de l’Occident.
de l’Afrique
Au début du Ve s., un royaume vandale s’est implanté en Afrique du nord, sous la domination
du roi Genséric. Justinien y envoie en 530 son général Bélisaire qui achève une reconquête
exemplaire : l’Afrique redevient byzantine jusqu’à la conquête arabe. Un gouverneur y est
installé dans la capitale vandale, Carthage. Elle sert de point d’appui pour la conquête du sud
de l’Espagne, jusqu’à Cordoue, menée en 554. Justinien est maître du littoral, de Valence à
Malaga.
de l’Italie
La succession de Théodoric a été délicate à cause d’ambitions rivales parmi ses héritiers
possibles. Justinien envoie à nouveau Bélisaire, qui conquière la péninsule du sud vers le nord
de 535 à 540. Dès le départ des troupes byzantines, les Goths reprennent le contrôle du sud,
de Rome à la Sicile. L’armée byzantine de Narsès reprend le dessus en une guerre atroce
(552-554). Justinien fait installer sa « capitale » italienne à Ravenne. Le représentant de
l’empereur en Italie n’est pas un simple gouverneur mais un exarque, c'est-à-dire un homme
qui cumule des fonctions militaires et civiles. On parle donc de l’exarquat de Ravenne.
L’Italie très affaiblie est une proie facile pour les Lombards. La conquête est accomplie sous
le commandement d’un roi unique, Alboin, entre 568 et 572, puis le pouvoir royal est contesté
et reste peu effectif sinon dans le nord autour de la capitale de Pavie. Ailleurs, c’est
l’émiettement en 35 duchés qui prime, duchés presque indépendants : duché à Spolète,
Bénévent, Salerne.
b- L'œuvre intérieure Le Code de Justinien ou Corpus Iuris civilis, Corps du Droit Civil. Il comprend :
le Digeste qui est un recueil de jurisprudence
les Institutes qui est un manuel de droit à l’usage des étudiants
les Code, recueil de lois antérieures, rédigé en latin (534).
Les Novelles, ajoutées en grec (535)
La croissance urbaine spectaculaire de Constantinople : (400 000 ou 500 000 hab. sous
Justinien) devenue une capitale, avec des institutions originales (un préfet pour la ville
l’Eparque), un poids politique important et des lieux de pouvoir symboliques : l’hippodrome
(sédition Nika en janvier 532), le Grand palais et l’église Sainte-Sophie, solennellement
dédicacée dès 537.
2- L'Arabie aux frontières de l'empirea- une région marginale Ce qu’a été l’Arabie
avant le Prophète est quasiment impossible à cerner. En effet, cette Arabie préislamique n’est
connue que par les sources musulmanes tardives (VIIIe ou IX
e s.) qui ont exercé un tri certain.
Elles désignent significativement cette ère comme la jahiliyya ou « période de l’ignorance ».
L'Arabie est une région qui semble marginale, entre deux mondes centralisés de type impérial:
- les Byzantins au nord ont créé des liens privilégiés avec l’Etat tampon chrétien des
Ghassanides, dirigé par des Arabes chrétiens. Les Ghassanides envoient des missions
vers l’Arabie, notamment vers Najran qui devient, au sud de la péninsule, la ville
chrétienne du VIe s. (christianisme de confession monophysite).
- les Perses Sassanides au nord-est, qui ont installés sur leurs frontières les chrétiens
Lakhmides, capitale Hîra.
Les années 600-620 sont marquées dans la région par l’affrontement de deux empires: le roi
perse Sassanide Khushrau II a occupé brutalement l’Asie Mineure en 602-610, jusqu'à
l'Arménie. 613, Syrie (Antioche), Palestine (Jérusalem), Egypte. 617, Chypre. Héraclius
reprend tout le terrain perdu ou presque entre 626 et 630. Envahit l’Iran. Khushrau est
assassiné en 628. Partout dans l’Orient, les villes se rétractent (Alep, Antioche). La religion
prend une importance démesurée, puisqu’elle semble signifier la fidélité politique elle-même :
les juifs d’Antioche se sont soulevés et ont permis aux armées sassanides de prendre la ville.
Avec le retour sous domination byzantine, Heraclius tente en 632 une conversion forcée des
juifs. Il résulte de ces bouleversements politiques une forte agitation messianique chez les
juifs d’Arabie et du Levant, favorable à l’irruption d’un prophète ou d’un homme providentiel.
La péninsule arabique elle-même est une terre généralement aride, où contrastent :
- l’Arabie heureuse (Yémen actuel). Routes commerciales vers l’Inde.
- un désert où coexistent des bédouins nomades et quelques sédentaires, groupés autour
des larges oasis qui permettent l’agriculture irriguée (Yathrib = Médine) ou d’une ville
commerçante, La Mecque.
La ville jouit de la confluence des roues commerciales, entre Syrie et Yémen, Abyssinie
(Ethiopie) et Irak. La ville est dirigée par une élite économique à laquelle appartient la
première femme du Prophète, Khâdidja. À la tête de la cité, une sorte d’élite municipale,
formé par des chefs de tribu : les deux clans les plus importants sont alors celui des Banû
Hâchim, celui de Muhammad, et celui des Banû umayya qui se prolonge dans la dynastie des
Ummayyades (661-750) ou Omeyyades. Le monde arabe se distingue par l’absence d’Etat
centralisateur, par l’absence d’institutions politiques stables, ce qui rehausse l’importance du
système tribal. Des règles tribales, comme l’élection d’un arbitre en cas de conflits dur, ou les
compensations financières plutôt que la vengeance selon la loi du talion, permettent de
réglementer la violence et de la modérer.
b- Connaître l'Arabie pré-islamique: le problème des sources Les sources sur les débuts de l’islam sont tardives et peu fiables. Elles ont toutes été
retouchées par les deux camps qui se disputent l’héritage du Prophète, chiites minoritaires,
partisans de Ali, et sunnites majoritaires, ou tenants de la tradition ou Sunna, et n’ont été
fixées par écrit que dans le cours du VIIIe ou du IX
e s.
Exemple : les hadiths ou récits traditionnels relatifs à Muhammad, à son enseignement, à la
façon dont il a propagé le message musulman, accumulés par les proches. La plupart sont
transmis dans l’œuvre de Bukhâri (810-870), qui a trié les hadiths en fonction de leur
crédibilité et publiés dans un livre appelé le çahîh ou Authentique. La crédibilité d’un hadith
est évaluée en fonction de la continuité de sa chaîne de transmission et de la personne qui est
à l’origine de l’anecdote. Ces hadiths dont la valeur est globalement reconnue par les croyants
fondent la Sunna, qui a autant de poids et d’importance dans la définition du dogme, du rituel,
des lois (charî’a) que le Coran.
Les hadiths débouchent sur la création d’une véritable « biographie officielle » du Prophète, la
Sirâ : Ibn Hichâm a composé avant 834 (date de sa mort) un résumé de l’œuvre d’Ibn Ishâq
(m. 767), qui avait écrit à la demande du calife abbasside al-Mançûr (754-775) une Histoire
du monde depuis sa création. Ibn Hichâm s’est centré sur les récits qui entourent la vie de
Muhammad : son œuvre, la Sîra, est donc une biographie du prophète, la première et celle qui
a été le plus constamment reçue comme fondée, juste et véridique dans le monde musulman.
Le statut du Coran pose problème pour l’historien. Selon les musulmans, c’est une révélation
orale, survenue entre 612 et 632 à Muhammad, de la part de Dieu lui-même, par
l'intermédiaire de son ange Gabriel, en langue arabe, d’une série de paroles. Mais ces
révélations peuvent se contredire et ont été révélées dans un ordre dont la chronologie n'est
pas connue: or, la théorie de l'abrogeant abrogé est une règle d'exégèse coranique qui précise
que si deux versets sont contradictoires, c'est le dernier qui l'emporte. Le calife ‘Umar (634-
644) aurait commencé à les réunir. Le calife ‘Uthman (644-656) les aurait fixées par écrit
dans leur ordre définitif. Les musulmans insistent bien sur l’exactitude de la transmission. Les
historiens eux, observent qu’on a continué à collecter des versets coraniques sous le calife
omeyyade ‘Abd al-Malik (685-705) et que des traces subsistent de traditions divergentes
jusqu’au début du VIIIe s. Ce qui doit nous pousser à le considérer comme une source de
première importance sur les débuts de l’islam, mais à utiliser avec prudence.
Le statut précis du Coran n’a pas été défini sans problème : les mutazilistes du début du IXe s.
ont opposé à la doctrine du Coran incréé, l’idée d’une création du Coran. Les Mutazilistes en
effet réfléchissent à la transcendance de Dieu et refusent de lui attribuer une voix, capable de
parler à Muhammad : Dieu a seulement créé une voix pour parler à Muhammad, c’était sa
créature, comme le Coran est créature de Dieu. La doctrine, logique, fondée sur un
raisonnement, est reçue dans les élites et promue officiellement par le calife à partir de 827.
Elle reçoit une forte opposition populaire surtout, et est interdite en 849. Retour au dogme du
Coran incréé. C’est une étape importante dans l’arrêt de la réflexion exégétique et théologique
appuyée sur la raison qui avait marqué les débuts du califat.
c- l'apparition d'un prophèteMuhammad est né dans la tribu des Quraysh, dans le clan des
Hâchim. De sa dizaine de femmes, il a eu de nombreux enfants. Parmi ceux qui ont de
l'importance politique, on retiendra: de sa première femme Khadîdja, trois fils morts en bas
âge et quatre filles. L’une d’elles, Fâtima, épousa Ali.
Il est peut-être né vers 570, après la mort de son père Abdallah. Sa mère le confie à une
nourrice et meurt quand le garçon a 8 ans. Il est pris en charge par son grand-père, puis par
son oncle. Il a progressivement la révélation de sa mission et groupe autour de lui une ou deux
centaines d’hommes qui le suivent. Les premières révélations qu’il reçoit menacent
directement la société de La Mecque : elles dénoncent les idoles et affirment l’unicité de Dieu
et sa capacité à juger les hommes ; elles critiquent la richesse, le luxe des Mecquois. Elles
mettent en cause directement le pèlerinage. Or, si dans un premier temps Muhammad a été
protégé par son chef de clan, son oncle, Abu Talib, Abu Talib meurt en 619 et est remplacé
par un adversaire du Prophète. Muhammad, soit qu’il ait été chassé de La Mecque, soit qu’il
ait été choisi comme arbitre de leurs différents par les habitants de l’oasis de Yathrib, quitte
La Mecque en 622 avec quelques dizaines de disciples : c’est l’Hégire, événement fondateur
du calendrier musulman. A posteriori, on construit dans l'historiographie musulmane l'idée
d'un prophète persécuté qui aurait dû quitter La Mecque pour mieux y revenir en triomphateur.
En fait, il y a sans doute accord des Mecquois qui laissent partir le Prophète pour l’oasis de
Yathrib, devenue Médine, c'est-à-dire la Ville du Prophète, va servir de lieu d’établissement
de la première communauté des croyants, moitié mecquois émigrés, moitié médinois convertis.
Après l'Hégire, 622, se forme à Médine la première communauté des croyants, fondée sur une
organisation sociale et politique entièrement nouvelle: les émigrés, les habitants de Médine,
les juifs, sont associés, avec une Charte de vie commune Ŕ la constitution de Médine qu'il
vaudrait mieux appeler Charte de Yathrib Ŕ pour former l'Umma, la communauté des affidés,
les mu'minûn, ceux qui peuvent se fier les uns aux autres - qui n'a plus de base tribale mais
dont le ciment est la conquête et la lutte: le but est "le combat sur le chemin de Dieu", le
jihad,entre deux groupes clairement définis: les affidés contre les réfractaires. Les liens
tribaux habituels sont niés au profit d'une solidarité entre affidés: "Un affidé ne tue pas un
autre affidé pour venger un réfractaire". Les juifs y ont leur place. La place de Muhammad y
évolue considérablement: il était chef religieux, il devient chef politique, C 4, 65: "Ils ne
seront pas des croyants tant qu'ils ne te prendront pas pour arbitre de leurs différends et tant
qu'ils trouveront des objections à ta décision au lieu de s'y soumettre totalement." Muhammad
reçoit dans cette charte le titre d'al-nabî, le chef législateur (comme Moïse).
En 628 : trêve de dix ans signée avec La Mecque à condition que les musulmans puissent
accomplir le pèlerinage annuel à La Mecque
629 : premier pèlerinage
630 : prise facile de la ville de La Mecque par Muhammad et ses partisans
632 : mort d Prophète
3- L'enseignement du Prophète, l'islama- Une foi née dans un contexte de grand
bouillonnement religieuxEn Arabie du VIIe s., il n'existe pas de religion autochtone
uniforme, mais différentes formes de polythéismes: à Tâ’if (en plein Hijâz, lieu d’oasis),
paganisme polythéiste; du monothéisme sans doute dans les oasis de Yathrib ou de Najrân,
Mais précocement à La Mecque, présence d'un important sanctuaire syncrétique.
Le paganisme arabe s’exprime par :
- la certitude qu’il existe de nombreux esprits, les jinns, capables d’inspirer les hommes.
Un hadith montre une femme qui prophétise le grand avenir de Muhammad parce
qu’elle est une devineresse, inspirée par un jinn (un peu comme la pythie de Delphes).
- L’absence d’un corpus de doctrine clair et d’un clergé : c’est une famille qui dirige et
contrôle un sanctuaire, ce dont elle tire son prestige. C’est la cause de l’opposition des
Quraysch à la prédication de Muhammad, au moment où le Prophète commence à
enseigner qu’il ne faut pas adorer les idoles.
- La croyance en des dieux qui peuvent être signifiés par des animaux (à La Mecque, un
serpent redouté vit dans le sanctuaire) ou des pierres, comme la fameuse pierre noire
qui est incluse dans le sanctuaire de la Kaaba. Dans les premières années de la
prédication de Muhammad, les habitants de La Mecque décident de reconstruire le
sanctuaire : ils en abattent les murs, les relèvent plus hauts, couvrent le tout d’un toit et
se disputent l’honneur de remettre en place dans l’angle la pierre noire. Il faut
l’arbitrage de Muhammad pour qu’ils parviennent à s’entendre et reportent tous
ensemble, dans un drap tenu aux quatre coins, la pierre dans le mur (épisode de la
Sîra)
- La croyance vraisemblable en un dieu créateur, Allah, avant même la prédication de
Muhammad, qui serait à l’origine du culte de la Ka’ba.
- Des pratiques, comme le sacrifice et le pèlerinage. Dans la Sîra, on voit la place du
sacrifice dans la vie du grand-père de Muhammad. Ce grand-père a fait un vœu : il
sacrifiera l’un de ses enfants s’il parvient à un âge avancé avec 10 garçons vivants. De
fait, il vieillit entouré de toutes les garanties de salut et de bonne vieillesse puisqu’il a
10 garçons… Il veut donc accomplir son vœu et tire au sort le nom de celui de ses
enfants qui doit mourir : comme c’est son fils préféré qui est désigné, ses proches
l’encouragent plutôt à chercher un moyen de dédommager la divinité. Il substitue
l’immolation de 100 chameaux au sacrifice de son fils. Le pèlerinage ensuite, auprès
de sanctuaires : La Mecque est le plus connu.
- L’existence d’un monothéisme arabe radical, la hanifiyya, qu’on imagine plus qu’on
ne la connaît. Ses fidèles, mentionnés aussi bien dans le Coran que dans la Sira, se
présentent comme les héritiers de la religion d’Abraham, qui aurait été déformée par le
christianisme comme par le judaïsme. C’est une religion nationale aussi dans la
mesure où les Arabes revendiquent leur filiation avec Abraham, par l’intermédiaire de
sa concubine Ajar, dont il a eu un fils Ismael. Cette tradition ethnique et nationale est
reçue comme une vérité d’évidence par la Sira. Dans ses origines, la prédication de
Muhammad apparaît comme le prolongement de cette religion des origines : retour à
un monothéisme strict, refus du culte des idoles, circoncision, respect pour la Ka’ba
parce qu’elle serait le sanctuaire fondé par Abraham lui-même, unification religieuse
et nationale autour d’une religion distincte des autres monothéismes, dont les
implications politiques menacent l’indépendance de l’Arabie.
Mais le christianisme et le judaïsme jouent un rôle fondamental dans le premier islam L'influence du christianisme, présenté dans la Sunna comme exerçant un grand attrait sur les
membres de la famille de Muhammad, dont trois oncles sur quatre sont réputés s’être
convertis au christianisme ; on trouve de nombreux hadiths qui montrent comment les Arabes
commerçants rencontraient le long de leur route des moines chrétiens qui les accueillaient
dans leurs monastères ou leurs ermitages ; les premiers musulmans enfin recueillent avec
gourmandise les prophéties, en milieu chrétien, qui annoncent le destin exceptionnel du
Prophète.
Le judaïsme est lui aussi bien représenté, sans doute à la suite de la fuite hors de Palestine de
groupes entiers, pour échapper à la répression romaine des Ier
et IIe siècles. Au moment où
l’histoire de l’islam commence, les juifs sont entièrement intégrés au système tribal arabe, ils
portent des noms arabes, parlent arabe et écrivent de la poésie bédouine qui ne se distingue en
rien de la littérature des païens. Ils exercent toutes sortes de métiers. En revanche, il est
possible qu’ils aient eu des options politiques autonomes, différentes : notamment en se
rapprochant du pouvoir des Perses Sassanides. On a noté que c’est un juif de Yathrib qui était
chargé, au nom des Sassanides, de percevoir des taxes sur les Bédouins. Les juifs et les
chrétiens d’Arabie pouvaient de ce fait se trouver en situation de concurrence, voire
d’opposition politique, comme c’est le cas autour de Najran, ville chrétienne persécutée par le
roi juif et pro-sassanide Dhu Nuwas, défendue par l’empereur byzantin Justinien et son allié,
le roi chrétien (mais monophysite) d’Axum, en Ethiopie.
b- Ce qu'enseigne le Prophète Dieu-Allah est
o Créateur, qui domine le monde visible par sa volonté, le monde invisible par
ses anges et ses archanges. Différentes écoles théologiques s'opposent ensuite
pour savoir si Dieu dirige le destin du croyant ou non, les Qadarites affirment
que l'homme reste libre et responsable de ses actes, tandis que les Jabrites
pensent qu'il y a une contrainte divine, jabr, qui mène les hommes. Cette
opposition est importante puisqu'elle a des conséquences politiques: les
Jabrites acceptent les changements de régime, l'état des lieux, sans discuter.
o Unique. , ce qui implique de refuser le culte de toute idole. L'un des épisodes
fondateurs de la doctrine de Muhammad est l'épisode dit "des verstes
sataniques", qui fonde la doctrine contre les associationnistes:
- alors qu'il est encore à La Mecque, le prophète reconnaît que trois idoles peuvent
servir d'interprètes de la volonté divine. C'est une révélation qui ne vient pas de Dieu
mais du diable qui veut tromper le Prophète
- donc Muhammad se rend compte que les versets qui reconnaissaient la légitimité des
idoles inférieures sont faux, diaboliques
- donc il reçoit une autre révélation, celle-là considérée comme vraie, qui est celle d'un
Dieu unique qui ne peut pas être vénéré par ceux qui sont des "associants". Coran,
sourate 112: "Dis, Dieu, il est Dieu, il est Un, Il n'a pas engendré et il n'a pas été
engendré et il n'a point d'égal."
o Adorable. C’est lui « qui a créé les hommes pour qu’ils l’adorent »
La prière qui lui est dûe n’est donc pas une prière de demande mais d’adoration, de louange :
l’homme doit donc à Dieu la prière ou salat, cinq fois par jour, après une purification rituelle
et le vendredi en commun. Pour prier, le croyant ne se tourne pas vers une représentation de
Dieu, mais vers le mihrab, niche ménagée dans le mur de la qibla- le mur de la mosquée qui
est du côté de la Mecque Ŕ qui est donc une absence, un creux.
o Juge des hommes, qui se rendent coupables de péchés, et à qui il rendra selon
leurs actes au jour du Jugement dernier. Chaque croyant est responsable de
mener, de toutes ses forces, une réforme de ses mœurs, une vraie guerre contre
soi qu’on appelle le « djihad majeur ». Il est le seul capable de pardonner, sans
l’intermédiaire d’un clergé : tous les croyants sont égaux devant un Dieu aussi
radicalement transcendant, l’imam qui dirige la prière en commun à la
mosquée le vendredi n’est pas un clerc, un consacré, mais un simple
coordinateur.
La Chahada ou profession de foi, résume l’essentiel de cette foi monothéiste quand le croyant
répète plusieurs fois par jour « il n’y a de divinité que Dieu et Muhammad est son envoyé ».
À côté de cette foi fondamentale, le croyant reste libre de mener une vie spirituelle qui le
conduit à se rapprocher de Dieu par la prière personnelle, l’ascèse ou la méditation. Ceux qui
privilégient cette voie d’union à Dieu sont appelés soufis, disons mystiques, encore qu’il
existe de nombreuses attitudes sous un terme aussi générique. Ils jouissent d’une grande
considération jusqu’au IXe s. avant que leurs audaces mystiques ne les rendent suspects aux
yeux des sunnites (thèmes de la fusion en Dieu, prévalence de la dimension spirituelle du
culte). La justice socialeL’islam comporte par nature une dimension sociale et politique
puisque cette religion refuse a distinction entre profane et religieux ou entre temporel et
spirituel : « Ce qui est dans le cieux et ce qui est sur la terre appartient à Dieu », Coran, IV,
131, ce qu’on pourrait opposer à « rends à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est
à Dieu ». Le Coran est donc, non seulement révélation sur Dieu, mais norme sacrée: 500
versets dits légiférants servent de base à la charia pour les matières de divorce, mariage, vol,
etc. Or le Coran affirme aussi que « Les croyants sont frères. » (49, 10). Donc :
le partage des biens est une obligation religieuse, pour que les riches viennent en aide
aux pauvres : l’aumône ou zakat est ce qui reste de cette dîme volontaire et charitable,
qui est devenue une véritable impôt prélevé par l’Etat. Elle n’épuise pas la charité
continue, moins institutionnelle, qui est pratiquée notamment le vendredi et durant le
mois de ramadan : durant le mois de ramadan, le croyant doit se priver de nourriture,
de boisson, de relations sexuelles et de cigarettes du lever au coucher du soleil. On
parle du sawm ou jeûne.
Le prêt à intérêt est interdit
L’esclavage est toléré, mais il est fortement recommandé d’affranchir ceux des
esclaves qui se convertissent, et généralement de bien traiter ses esclaves.
Les femmes doivent recevoir une égalité de traitement, jusque dans le cadre de la
polygamie tolérée, mais jugée peu favorable : « Epousez comme il vous plaira deux,
trois ou quatre femmes, mais si vous craignez de n’être pas équitable, prenez une seule
femme », Cor IV, 3.
Le pèlerinage ou hajj enfin manifeste la cohésion de toute la communauté des croyants
qui se rassemble, chaque année dans le douzième mois lunaire, dans la mesure des
forces de chacun, autour de la Mecque. C’est une sorte de retour aux sources : les
pèlerins passent par Arafa, où Dieu a accordé son pardon à Adam, ils se souviennent
qu’Abraham a abandonné son fils premier né Ismaël dans le désert près de La Mecque,
avec sa mère, l’esclave Hagar, et que l’enfant a survécu pour devenir l’ancêtre des
Arabes, ils arrivent à la Kaaba, pierre qu’Abraham a rapportée du paradis.
II- La conquête arabe 1- L'expansion musulmane
Dès 630, les Arabes commencent une guerre de conquête. Ce sont leurs itinéraires
commerçants qui semblent dicter les itinéraires de l'expansion.
- La première conquête est celle de l'Arabie elle-même, jusqu'au Yémen: de 632 à 634, la
"guerre de la Ridda" est en fait une conquête sanglante et brutale de la péninsule arabique.
- Palestine. Dès 629, incursions contre les royaumes du nord, en général des échecs jusqu'en
634 (bataille de Dathina), dans une terre que l'empereur Héraclius vient tout juste de
reprendre aux Sassanides. Les populations juives alors, persécutées par Héraclius car alliées
des Perses, accélèrent l'arrivée des musulmans. Prise de Jérusalem dès 635, construction d'une
mosquée sur l'esplanade du temple, ite plus tard Mosquée d'Omar, puisque c'est à ce calife
qu'on attribue la conquête de Jérusalem (traditionnellement datée de 638).
- conquête de la Haute Mésopotamie après 636, dans une région de forte présence arménienne
et syriaque, contre les Byzantins (conquête d'Edesse et de Nisibe) puis les Perses (637: prise
de Ctésiphon puis en 650 toute la Perse).
- conquête de l'Egypte, sur l'initiative d'un général 'Amr ibn al-'As de 639 à 646, marquée par
la 641 : création du camp arabe de Fustat (= Le Caire) et la prise d'Alexandrie (642).
Conquête violente et humiliante se heurte à forte résistance copte et soulèvements récurrents
(645).
647 : raid à travers la Libye, conquête de la Tunisie.
674 : première attaque par mer contre Constantinople. C’est une mini-révolution. Les
Byzantins pensaient en effet dominer pour toujours la mer. Constantinople est d’ailleurs
fortifiée du côté de ses frontière terrestres (murailles de Théodose II) en considération du
danger gothique ou danubien, mais pas du côté de ses frontières maritimes. Tous les
envahisseurs de Byzance ont échoué pour leur non-maîtrise des techniques maritimes. Or les
Arabes profitent du savoir-faire des Yéménites pour acquérir une flotte, des chantiers navals
d’Alexandrie et de Tyr et de Sidon, ils sont en mesure de conquérir les îles de Chypre (647),
de Crète (649), de Rhodes (650).
677 : première paix arabe-byzantine
697 : conquête de Carthage
711: passage de Gibraltar
717 : progression arabe en Anatolie
717-718 : siège de Constantinople. Le feu grégeois
740 : victoire byzantine d’Akroïnon : c’est le début du reflux arabe, le Poitiers byzantin.
827 : conquête arabe de la Crète
2- La succession de Muhammad
La succession de Muhammad ouvre de grandes difficultés. On dit dans les manuels: "Il n'est
pas évident qu'il doive y avoir un successeur à l'homme qui a reçu la révélation. Sauf à vouloir
transformer en pouvoir politique une intuition religieuse?" En vérité, on l'a vu avec la
Constitution de Médine, le chef religieux est un chef politique dans l'islam. Mohammad n'a
pas de fils vivant.
On ne sait pas ce qui s'est passé entre 632 et 634:
- selon la version officielle, celle qui est donnée par l'historiographie sunnite, il y a eu
élection consensuelle de l’ami et beau-père du Prophète, Abu Bakr, le père de son
épouse préférée Aïcha, comme son successeur, après qu’il a insisté sur l’union
nécessaire des deux partis, les fidèles de Médine et les parents de La Mecque. Mais
par humilité l'homme aurait refusé de prendre le titre de "lieutenant de Dieu", d’où le
titre humble choisi par Abu Bakr, khalifat rasul Allah, « représentant du Prophète de
Dieu », pour prendre le titre plus humble de "lieutenant du lieutenant de Dieu"… Dans
l'historiographie sunnite, on appelle Abu Bakr le premier des "bien guidés", les quatre
premiers successeurs de Muhammad = les Rashidun, les amis les plus intimes et ceux
qui jouissaient de la plus grande confiance de Muhammad. Ils auraient toujours été
choisis par consensus : après Abu Bakr, Umar, Uthman, auquel on ajoute le calife Ali
à partir du IXe voire du X
e s. seulement.
- Selon des hypothèses récentes, une autre façon de comprendre cette humilité d'Abu
Bakr: et si n'avait été qu'un représentant de Muhammad, encore vivant en 632, dans
une région donnée (la Palestine?) = cette nouvelle hypothèse expliquerait mieux le
titre, et la continuité dans la politique: ce serait Muhammad lui-même qui serait
responsable de la transformation de la prédication en conquête. Le premier successeur
dans cette optique ne serait pas Abu Bakr, mais Umar.
- Les Chiites proclament qu’avant sa mort le Prophète a désigné son cousin Ali et que
c'est à cause de l'ambition des autres qu'Ali a été écarté du pouvoir jusqu'aux années
656.
- Ce qui est sûr, c'est qu'entre 632 et 634 une forte opposition des tribus arabes s'est
manifestée contre le pouvoir hégémonique de Muhammad ou de son lieutenant. Ce
soulèvement a été appelé, après qu'il a été maté, la Ridda, c'est-à-dire l'apostasie, ce
qui est une façon de stigmatiser de façon religieuse (les opposants seraient des
croyants tièdes ou mous) une opposition politique à l'unification de l'Arabie par l'islam.
Les assassinats d’Umar (634-644) puis d’Uthman (644-656) semblent en tout cas montrer que
la succession était plus que délicate. Uthman avait apparemment favorisé l’ascension d’une
classe sociale mecquoise, celle de son clan, au détriment d’autres Arabes dont le pouvoir
aurait été tout aussi légitime. L’opposition a fait d’Alî son porte parole puisque Ali est le
gendre du Prophète et le père de ses seuls descendants mâles Hussein et Hasan. Quand
Uhtman est assassiné en 656, Ali est porté au pouvoir mais on l’accuse d’avoir commandité
l’assassinat. Mu’awiya ibn Abi Sufyan cousin d’Uthman et gouverneur de Syrie, prend la tête
de l’opposition = c’est le parti des Omeyyades.
La guerre civile culmine à la bataille indécise de Siffin en 657. Mu’awiya demande le recours
à des arbitres ce qu’Ali accepte. Deux conséquences :
- le pouvoir passe à Mu’awiya et aux Omeyyades puisque les arbitres pensent qu’Ali,
un assassin, ne peut pas régner
- le clan d’Ali se divise puisque les kharidjites (« ceux qui refusent ») quittent ses
troupes : ils refusent qu’on confie à un autre qu’à Dieu un tel arbitrage (donc c’est au
combat de décider pas à des hommes). C’est un kharidjite qui assassine Ali en 661.
Les Kharidjites sont d’une certaine façon les puristes de l’islam, pour lesquels la morale
personnelle a une importance fondamentale : au point qu’ils refusent de fonder le pouvoir du
calife sur une autre origine que sur son excellence morale. Est digne de régner, celui qui est
digne, vertueux : celui qui se rend coupable du moindre péché doit être destitué. C’est refuser
la transmission dynastique et favoriser l’instabilité politique. Mais c’est dire aussi à quel point
ces musulmans kharijites, recrutés surtout dans les classes populaires, sont sensibles au
problème de fondamental de l’islam à ses débuts, qui est la capacité de la nouvelle religion à
se transformer en une structure politique.
3- le califat Umayyade (jusqu'en 750)
En 661, Muawiya, gouverneur de Syrie, succède à Ali et inaugure une série continue
d’Umayyades sur le « trône », en modifiant profondément le principe successoral musulman :
il veut que le pouvoir devienne héréditaire, et place son fils Yazid à sa place en 680. C’est
inacceptable pour beaucoup :
- al-Husayn, un fils d’Ali s’y oppose mais sa révolte est écrasée à Karbala en 680
- un autre, Muhammad ibn al-Hanafiyya anime la résistance de l’Irak de 685 à 687
- Abdallah Ibn-Zubayr refuse de reconnaître Yazid et fonde un califat concurrent de
681 à 692 dans le Hijaz, qui contrôle par intermittence l’Irak, l’Iran ou l’Arabie.
C’est l’occasion chez les Omeyyades d’une définition accrue de leur rôle religieux. Jusque
dans les années 680, le pouvoir califal ne recouvre pas un contenu très clair : le calife est un
chef politique qui peut à l’occasion dire le droit ou préciser la religion. Le calife Abd al-
Malik, qui rétablit l’unité de l’ensemble en écrasant la révolte d’Ibn Zubayr (692, année de
l’unité dans le calendrier arabe), lui donne une dimension plus religieuse :
- il insiste sur la personne du Prophète, dans des inscriptions, sur des monnaies, des
papyrus. Avant les années 680, l’islam consistait apparemment à croire en Dieu et à
l’existence du jugement dernier. Après 680, redécouverte de la personne historique du
Prophète, de son rôle qui confère au monothéisme musulman son caractère propre, du
caractère exemplaire de son action. Insistance sur le thème de Muhammad, « sceau »
des Prophètes = il n'y en aura pas d'autres
- Il réforme le monnayage pour en faire disparaître les ornements figuratifs. Ils
porteront désormais l’affirmation : « Pas d’autre Dieu que Dieu » ou autres citations.
C’est une réponse au programme explicitement politico-religieux des monnayages
byzantins qui ont cours chez les musulmans. C’est l’affirmation d’une identité
musulmane, définie comme hostile à la représentation.
- Il construit à Jérusalem le Dôme, à l’endroit supposé du sacrifice d’Abraham, en
affirmation d’une supériorité et d’une spécificité de l’islam sur les deux autres
monothéismes. C’est sur les murs du Dôme que se trouvent les inscriptions les plus
anciennes de sourates du Coran, dont cette affirmation qui est destinée évidemment
aux chrétiens :
« O peuple du Livre… ne dit rien à propos de Dieu, que la Vérité. Certes, le messie Jésus est
le fils de Marie, et un apôtre de Dieu et sa parole, Parole envoyée à Marie. C’est un esprit
venu de Dieu. Alors crois en Dieu et en ses apôtres, mais ne dit pas que Dieu est trois. Arrête-
cela vaut mieux pour toi. En vérité, Dieu est Dieu, il est trop élevé pour avoir un fils. (4,
171) ».
les Ommeyyades dirigent l'empire arabe jusqu'en 750, remplacés par Abbassides sauf en
Espagne.
III- De l'empire romain d'Orient à l'empire byzantin 1- Le dernier empereur
romain, Héraclius (610-641) Héraclius parvient au pouvoir par usurpation : il est le 5
e successeur de Justinien. Son père
était exarque de Carthage. Il amorce un rétablissement de l’empire contre les Perses (voire
plus haut) mais assiste avec impuissance à la montée de l’empire arabe et des dangers qui
plongent l'empire byzantin dans les Dark Ages.
Bien des villes disparaissent pour n’être plus que de petits villages en Asie Mineure. C’est une
évolution longue qui transforme l'empire romain en empire byzantin : la cité jouait un rôle
déterminant dans la vie romaine, où l’on pensait que l’idéal de l’honnête homme était d’être
un urbain. Avec l’empire byzantin, l’élite urbaine perd son importance, se retire sur ses terres,
refuse d’exercer la charge coûteuse de curiale, bref de contribuer par sa fortune à l’entretien
des fonctions urbaines (adduction d’eau, assistance des pauvres, direction politique des
municipalités, entretien des bâtiments publics comme les thermes). Les élites retirées à la
campagne y contribuent au développement du patronage. Le patron, c’est l’homme influent
qui sert de bouclier à ceux qu’il protège, pour leur éviter d’avoir à remplir une obligation. Par
exemple, un patron interviendra pour qu’une communauté villageoise soit dispensée d’impôt
une année donnée. C’est un système qui tient à la corruption, quand c’est un fonctionnaire de
l’Etat qui utilise ainsi au profit d’une communauté locale le pouvoir dont il dispose. C’est un
système qui contribue surtout au plan local à rendre certains hommes très puissants, par la
quantité d’hommes avec qui ils sont liés par des liens de fidélité : les usurpations peuvent
s’appuyer sur ces liens de patronage.
Les SlavesLe VIIe siècle est marqué par une crise profonde : l’Empire romain d’Orient perd
la plus grande partie de son territoire, sauf en Anatolie, qui devient le cœur de la puissance
byzantine. Trois vagues d’invasion ont eu raison de l’Empire tel qu’il avait été construit par
Justinien au début du VIe s. :
- les conquêtes arabes conduisent à une rétractation de l'empire d'Orient à la seule
Anatolie centrale et occidentale
- Les Slaves et les Avars (païens) ont fait irruption dans les Balkans vers 580. Les Avars
sont des nomades de la Volga au Danube. Ils contrôlent des peuples comme les Slaves ou les
Bulgares. Ils les utilisent comme combattants contre les Byzantins. Ils peuvent s’allier aux
Perses pour prendre l’empire en tenailles, comme en 626 où ils participent au siège de
Constantinople. La chute des Avars (début VIIe s.) libère les peuples qu’ils opprimaient, dont
des Slaves qui s’emparent du Péloponnèse (sud de la Grèce actuelle). Byzance n'y conserve
plus après 615 que quelques têtes de pont, dont Constantinople, Thessalonique, Athènes et
leurs régions, ainsi qu’une partie du Péloponnèse, les îles égéennes et quelques villes de
l’Adriatique. Les Slaves s’y installent selon le système dit des sklavinies : de petites
communautés très décentralisées. La réduction des sklavinies s’est donc avéré aussi difficile
(sinon plus) que de vaincre une puissance organisée comme les Avars, car il fallu les réduire
une par une : dans le sud et l’ouest des Balkans (Grèce et Dalmatie), c’est l’œuvre des
empereurs du IXe s. Dans le nord des Balkans en revanche, les sklavinies n’ont jamais été
réduites et des entités politiques slaves ont pu se développer en concurrence de Byzance, et à
quelques centaines de kilomètres de la capitale. Après la chute de l’Empire avar à la fin du
VIIIe siècle, la puissance bulgare a pu se déployer dans les Balkans : elle a représenté le plus
grand défi à l’existence de Byzance aux IXe et X
e s. Ce n’est qu’au début du XI
e s. que Basile
II (le « Bulgaroctone ») parvient à abattre l’Empire bulgare et à l’annexer (1018) et à reporter
la frontière au Danube, retrouvant plus ou moins (sauf en Dalmatie) l’extension de l’Empire à
l’époque de Justinien.
- Les Lombards ont envahi l’Italie, ne laissant à Byzance que quelques régions
dispersées, principalement dans le sud. Rome et Ravenne sont restées byzantines
jusqu’au milieu du VIIIe s., et plus durablement l’extrême sud de l’Italie: les
Byzantins conservent les Pouilles et la Calabre jusqu’à la fin du XIe s., époque à
laquelle ces régions passent au pouvoir des Normands de Sicile.
le résultat est que l’Empire romain d’Orient devient un Etat médiéval classique, plus
compact, et finalement plus facile à administrer et à défendre. On parle désormais de
préférence d’Empire byzantin. En revanche, l’idéologie impériale reste inchangée :
officiellement, l’empire est universel et a vocation à réunir à nouveaux tous les territoires qui
ont été sous sa domination. Le principe même de l’Etat byzantin est donc la guerre de
reconquête (mais sans dimension religieuse de type « croisade » : c’est plutôt l’idéologie
impériale romaine qui soutient cet effort militaire). Les Isauriens stabilisent les frontières. La
reconquête sera plutôt l’œuvre de leurs successeurs, principalement les Macédoniens.
2- Rétablissement de l’empire par sa militarisationa- Création des thèmes
On ne sait pas la dater précisément, mais elle intervient bien dans la deuxième moitié du VIIe
s. L’idée est de transformer l’administration provinciale en administration militaire. Avant le
VIIe s. en effet, il y a une cinquantaine de provinces, regroupées en 7 diocèses. La séparation
des pouvoirs militaires et civils est complète : un gouverneur pour les question de police et de
justice, un dux pour les questions de défense. L’armée est en effet composée aux frontières de
soldats qui reçoivent en échange de leur service, une terre, dont ils doivent tirer assez de
revenus pour payer leur équipement et leur solde. On les appelle limitanei, « gens des
frontières », par opposition à l’armée centrale des comitatenses. La réforme du 2e VII
e s. est
de confondre les deux autorités : à la place des provinces, on créé de petits thèmes, dirigés par
un stratège, qui est dans sa circonscription à la fois le juge, le gouverneur, le percepteur et le
général. C’est évidemment plus efficace en contexte de menace militaire arabe permanente :
le stratège dispose dans son thème de 6000 à 12 000 soldats, les stratiotes, paysans aisés qui
cultivent les terres stratiotiques, et sont rapides à mobiliser.
b- Dynastie des Isauriens Le salut vient peut-être pour Byzance de la mise en place d’un pouvoir héréditaire fort, celui
de la dynastie des Isauriens qui dominent la situation de Léon III (717-741) à Nicéphore,
usurpateur en 802. Les Isauriens et Léon III sont efficaces contre les Arabes (levée du siège
de Constantinople en 717 et victoire d’Akroïnon, c’est Léon III) ; ils actualisent la législation
de Justinien par l’Eklogè.
Leur dynastie s'appuie sur un "sens patriotique fort", une propagande destinée à renforcer
l'unité nationale, qui passe par l'adoption d'une sorte de christianisme purifié: les empereurs
isauriens sont iconoclastes. La première crise iconoclaste (726-787)
La représentation divine : l’Ancien et le Nouveau Testament à de nombreuses reprises
dénoncent la tentation de représenter Dieu comme étant une pratique idolâtrique. Ils
rappellent que le Christ après sa résurrection n’a plus le même visage, donc qu’il est illusoire
de prétendre le représenter. C’est ce qui séduit nombre de clercs, parmi l’élite intellectuelle de
l’empire. En même temps, la pratique de la vénération des images s’est répandue dans
l’empire byzantin : ce sont des reliques et des images qui protègent l’empire (siège de 626
contre les Avars, siège de 717 de Constantinople) ; il existe des images qui font des miracles,
comme la Vierge de Sozopolis en Pisidie. Lors du siège de Nicée par les Arabes en 727, un
officier byzantin qui a jeté une pierre contre une image de la Vierge meurt brutalement. Il
existe des images achéiropoietès. Il existe même des images qui ont été voulues par le Christ
lui-même comme la Sainte-Face d’Edesse. Et refuser les images est le propre des autres
monothéismes (judaïsme et islam), donc il est tentant de se distinguer des autres par une
pratique différente, plus tolérante pour la représentation.
Le culte des saints : les saints surtout sont figurés (murs des églises, tableaux privés…) ce qui
est plus normal puisque ce sont des hommes, qu’on peut représenter dans leur cadre historique
réel pour encourager les fidèles à leur ressembler, mais ce qui établit une confusion
dangereuse. Est-ce qu’on ne risque pas alors de leur rendre un culte qui n’est dû qu’à Dieu ?
La dévotion envers les images et les saints était certainement excessive dans certains milieux
ou lieux : Théodore Stoudite félicite dans une de ses lettres son ami le spathaire Jean d’avoir
choisi pour parrain de son fils une icône de saint Démétrius. Ici ou là, on grattait les images
des murs ou la peinture des icônes pour la boire comme une potion capable de donner la
guérison. Les icônes portatives, sur support de bois, sont particulièrement propres à devenir
des talismans, des supports idolâtriques.
Léon III (717-741) et Constantin V (741-775) L’empereur Léon prend l’initiative d’une déclaration de foi hostile aux images, publiées par le
patriarche Anastase en 730. Il fait déposer une image du Christ qui ornait la porte de bronze
de son palais la Chalcé. Il la remplace par une croix : la figuration symbolique est tout à fait
acceptée. Le pape Grégoire II condamne cette position iconoclaste et rompt avec
Constantinople. Le concile de Hiéréia de 754, convoqué par Constantin V, donne une
définition ambitieuse et cohérente de la théologie iconoclaste, avec l’appui des 338 évêques
présents, au nom de l’orthodoxie chalcédonienne : la double nature du Christ ne peut pas être
représentée par un support qui est uniquement humain. Le culte des saints est très légitime, à
condition qu’on comprenne bien qu’ils sont surtout vivants dans le récit de leurs vies, plus
que vénérables dans les images. Après Hiéréia commencent les applications pratiques :
destructions des images, découpées dans le livres, blanchies sur les murs, brûlées sur les
icônes ; profanation des reliques des saints, dont Constantin V affirme qu’ils n’ont aucun
pouvoir d’intercession (on est là dans l’hérésie franche, loin des positions plus nuancées du
concile de Hiéréia) ; persécution des moines enfin (Etienne le Jeune livré à la foule qui le tue
en 764), humiliés à l’hippodrome (766), torturés ou exécutés, d’abord pour leur défense des
images, ensuite pour leur état même : Constantin V récuse l’utilité de l’ordre monastique et
persécute (760-775).
1er
rétablissement du culte des images (787) Irène a été mariée par Constantin V à son fils Léon IV (775-780) : à la mort de son époux, elle
se trouve en position d’exercer la régence pour son fils Constantin VI (780-797). Elle choisit
alors le patriarche Taraise (784-806) qui fait sa soumission totale au pape Hadrien Ier
(772-
795) et convoque avec l’accord du pape le 2nd
concile de Nicée (787) pour rétablir les images
(devant lesquelles il faut se prosterner et qu’il faut embrasser), le culte des saints et de leurs
reliques (qui doivent être replacées dans les autels), l’autorité pontificale qui est la garantie de
l’unité de l’Eglise.
Le deuxième iconoclasme (813-843) puis le rétablissement de l’orthodoxie Suscité par l’empereur Léon V en 813-814 à cause de son effroi devant les difficultés de
l’empire, qu’il attribue au rétablissement des images. Lui et ses successeurs se livrent
épisodiquement à une persécution brutale et dégradante des moines iconophiles.
C’est l’œuvre d’une 2e impératrice, Théodora, veuve de l’empereur Théophile (829-842) qui
exerce la régence au nom de leur fils Michel III. Ele réunit, sitôt après la mort de son époux,
un concile local à Constantinople qui rétablit l’orthodoxie selon le modèle de Nicée II. Le
premier dimanche de Carême est toujours célébré dans l’Eglise orthodoxe comme celui du
rétablissement de l’orthodoxie. 3- Dynastie des Macédoniens
Basile Ier
est un homme d’origine très modeste qui est parvenu au trône grâce à la faveur de
l’empereur Michel III, qu’il fait assassiner en 867 pour lui succéder. Il fonde une dynastie
nouvelle, dite Macédonienne, après que son règne (867-886) a marqué le véritable renouveau
de l’empire byzantin. Il est capable de consolider les frontières, voire de regagner du terrain,
contre les Arabes dans le sud de l’Italie, en Asie Mineure et jusqu’en Syrie. Il parvient à
transmettre son pouvoir à son fils Léon VI (886-912) puis, à travers la régence de Romain
Lécapène (919-944), à son petit-fils Constantin VII Porphyrogénète (944-963). La dynastie se
maintient alors même que quelques hommes s'intercalent:
- Romain Lécapène débarque à Constantinople et marie sa fille Hélène au jeune
empereur Constantin VII ; il reçoit le titre de basileopator. En 920-921, il est couronné
empereur, couronne son propre fils empereur désigné et sa femme Théodora. La
situation militaire, critique lors de la prise de pouvoir (nouveaux sièges de
Constantinople par Syméon en 923 et 924) s’améliore. Syméon meurt en 926, laissant
l’empire des Bulgares exsangue ; son successeur et fils Pierre est heureux d’accepter la
paix avec Byzance et son mariage avec Marie, petite-fille de Romain Lécapène. En
944, Constantin VII succède à Romain, déposé par ses fils légitimes!
- Constantin VII transmet le pouvoir à son fils Romain II, mort en 963.
- Suivent 20 ans de régence, puis Basile, fils de Romain II, reprend le pouvoir à Basile
Lécapène en 985, en s'appuyant sur l'alliance révolutionnaire avec le prince de Kiev
Vladimir, à qui Basile promet la main de sa sœur Anne Ŕ cadeau exceptionnel
qu’aucun prince païen n’a pu obtenir. Le mariage est accompagné à Kiev d’un
baptême massif à l’été 988. À la tête des troupes russes (la garde Varangue), Basile
remporte ses premières victoires en 989. En 989 seulement, Basile II devient
l’empereur indiscuté d’un empire épuisé par plus de dix ans de guerre civile.
Le règne de Basile II est ensuite marqué par la conquête totale de la Bulgarie (mort de son
meilleur général Samuel en 1014 et annexion totale en 1016). Il meurt sans héritier, mais avec
deux nièces, Zoé (49 ans !!) et Théodora (45 ans !).
ce sont ces deux femmes qui transmettent la légitimité politique à ceux qu'elles veulent
bien épouser ou choisir comme amants. Le pouvoir impérial n’est alors pas accordé de façon
héréditaire mais le sang des Macédoniens est sacré (donc les usurpateurs cherchent à s’en
rapprocher par mariage). Dynastie dure jusqu’en 1057 et Comnènes. Porphyrogénètes.
Sans oublier les succès militaires, c’est la période qualifiée d’humanisme byzantin :
renaissance des arts et des lettres, accession au trône d’empereurs lettrés comme Constantin
VII, rôle de la formation intellectuelle dans la création d’une bureaucratie et d’une aristocratie
de lettrés. C’est la grande époque des compilations, comme les Basiliques (de Basile 1er
et
Léon VI) et de l’étiquette (Livre des Cérémonies).
1- Les Macédoniens ou le bon empereur est aussi un prêtre
Le bicéphalisme inabouti de la fin du IXe s. l’Eisagôgè de 879/886 est une sorte de
projet de constitution, jamais appliquée, qui est rédigée par le patriarche Photius. Elle
élabore un équilibre entre les trois sources du pouvoir : I- l loi II l’empereur III le
patriarche. Elle se distingue par le faible pouvoir qu’elle attribue à l’empereur : il doit
seulement garantir l’application de la loi, élargir par ses conquêtes l’empire, faire le
bien, conserver la foi. Le patriarche en face de lui est sacralisé : « le patriarche est une
image vivante et animée du Christ et par ses actes et ses paroles, il exprime la vérité ».
titre 1. Projet jamais appliqué.
le règne de Léon VI a. il élève son propre frère Etienne au patriarcat (886) en accélérant ainsi la
confusion des pouvoirs politique et religieux. Lui-même gouverne comme un
empereur qui est persuadé de l’origine sacrée de son pouvoir et de sa
responsabilité dans tous les domaines. Il prononce des homélies en chaire. Il
accorde la loi civile et la loi de l’Eglise, souvent en faisant entrer dans le droit
civil des prescriptions du droit canon (sur les remariages ; sur la valeur
officielle du mariage béni à l’église).
b. C’est à ce moment-là que naît l’idée d’une sacralité de la famille impériale, et
le titre de « porphyrogénète », « né dans la salle de la Porphyre, de la Pourpre »,
« né dans la pourpre » = promis à régner puisque désigné par sa naissance (son
sang) et pas par ses exploits militaires (comme sous les Isauriens) à exercer le
pouvoir impérial. C’est pourquoi Léon VI fait accoucher sa maîtresse Zoé dans
la Pourpre pour donner à leur héritier, le futur Constantin VII
« Porphyrogénète » toutes les chances de régner, alors même que ses parents
ne sont pas mariés et que Léon VI en est à sa 4e union (tétragamie). C’est
pourquoi des femmes peuvent légitimer l’accession au trône d’un usurpateur,
comme le font Zoé et Théodora, uniques héritières du sang des macédoniens de
la mort de leur oncle en 1028 jusqu’en 1056 (mort de Théodora).
Le pouvoir sacré des Macédoniens Gilbert Dagron récuse comme anachronique et hors-contexte culturel le terme de
césaropapisme pour définir le pouvoir de l’empereur byzantin. Il souligne en revanche la
thématique de l’élection divine et la conscience d’une sainteté dynastique apparue avec les
Macédoniens, qui utilisent tous les éléments possibles d’une sacralisation grandissante de leur
pouvoir :
o Basile Ier
est porté au pouvoir à la suite d’une série de songes prophétiques et
de révélations divines : c’est par la volonté de Dieu que l’empereur devient
empereur. Cela passe par des symboles : Basile, associé au trône par Michel III
a été couronné par lui une première fois en 866 ; mais il a voulu, après avoir
assassiné Michel III, être à nouveau couronné, dans l’église des saints
archanges Michel et Gabriel, en signe d’un couronnement divin, sans
intermédiaires autres qu’angéliques.
o Basile Ier
fait construire une église nouvelle dans le Grand Palais (la Néa) qui
sera dédiée à saint Elie (avec conservation de la relique n°1, son manteau en
peau de mouton) parce que c’est une vision de saint Elie qui lui a promis
l’empire. La fête de saint Elie (dans la Néa) et la dédicace de l’église sont
l’objet de fêtes très codifiées (Livre des Cérémonies) qui unissent célébration
de la famille impériale et culte des saints.
o Les membres de la famille morts sans trop de reproches sont rapidement
l’objet d’un culte : Constantin, fils de Basile Ier
mort prématurément,
Théophanô (m. 895), 1ère
épouse de Léon VI qui préférait la vie dans un
couvent à la vie à la cour.
Chapitre 4 Construction et renaissance de l'empire carolingien
Cours 4 L'empire carolingien (751-888) I- Les rois carolingiens construisent un
empirePépin III (741-768) et Charlemagne (768-814)1- l'invention de la royauté
sacréePépin, premier roi pippinide (751, sacre de Soissons)
le rôle de l’autorité pontificale
Vers 750, une ambassade dirigée par Fulrad pape Zacharie (741-752) : il vaut mieux que
porte le titre royal celui qui exerce la réalité du pouvoir.
l’élection par les Francs
ce que signifie le sacre : le précédent wisigothique ? le précédent biblique. Saint
Chrême. Coopération de tous les évêques, comme pour un évêque. NB : aucun rôle
pour Reims ni pour l’évêque de Reims.
Puis naissance de la dynastie carolingienne (754, sacre de Saint-Denis)
Etienne II et la situation lombarde. Roi Aistulf. Remplacer le protectorat byzantin
(iconoclaste) par soutien pippinide.
Le sacre consacre une famille : Bertrade, Charles et Carloman.
tous les éléments de la politique impériale carolingienne sont en place : les Carolingiens
sont les défenseurs de la papauté, ils rivalisent légitimement avec les empereurs byzantins, ils
sont une famille élue et une dynastie légitime.Charles (768-814), son frère Carloman (m. 771),
apogée de la dynastie : passage roi empereur (800), conquête (1 M km2), réforme
administration, Église, renaissance carolingienne.2- l'expansion du royaume des
Francsa. en Lombardie Eléments de la crise lombarde 773-774 : Roi de Pavie, Didier, Ombrie, Ravenne, menacent
Rome. Ca. 773 : pape Hadrien Ier
(m. 795) montre la donation de Constantin. Lombards ont
recueilli fils de Carloman et veuve et menacent de les faire sacrer à Rome.
773-774 : conquête de la Lombardie. Cols du Grand-Saint-Bernard et du
Mont-Cenis. Juin 774, chute de Pavie. Partage entre le nord, Charles « roi des
Lombards » couronné à Pavie et le sud : duchés de Bénévent, de Salerne,
gouverneur de Sicile = des intrigues.
781 : installation de Pépin (n° 2) comme roi d’Italie. Sacre Hadrien Ier
.
787 : complot du duc de Bénévent soutenu par l’impératrice byzantine Irène,
qui a recueilli le fils de Didier, Adalgise. Nouvelle expédition victorieuse.
b. marche de Catalogne
C’est la région qui intéresse moins les Carolingiens, tournés vers le nord de l’Europe.
Cependant : création de la marche d’Espagne (Catalogne)
778 : Charles pense profiter de désaccords entre le wâlî de Saragosse et l’émir de Cordoue
pour prendre Saragosse. Echec et demi-tour. Affaire de Roncevaux : Roland, marquis de
Bretagne.
785 : retourne en Catalogne pour y établir une marche, glacis défensif dépendant de
l’Aquitaine. La principauté d’Aquitaine, pour séduire les aristocrates qui supportent mal le
pouvoir franc (imposé 768 seulement), est placée sous l’autorité d’un roi, Louis, 3e fils de
Charles.
800 : prise de Barcelone par Louis. Destin autonome de la Catalogne désormais séparée de
l’Espagne musulmane (par exemple adoption de l’écriture caroline). c. annexion de la Saxe
Espace païen en contact avec regnum (nord de l’Austrasie et de la Thuringe). Deux attitudes
possibles : 772-777, fortification défensive de la frontière / 777 : assemblée de Paderborn où
des nobles saxons se présentent à la cour avec le ferme désir de se convertir mener une
campagne en Saxe prend alors des allures de conquête missionnaire.
779-785 : conquête permanente qui s’achève par la mort de Widukind. De
partibus Saxoniae, capitulaire qui donne les cadres d’une assimilation rapide et
forcée. (contre technique mérovingienne et pippinide traditionnelle 1) de
conquête avec respect des lois locales (les alamans, les Bavarois) 2) et de
mission par des professionnels (Boniface, Wynfrid en Germanie) avec seul
soutien logistique). Culmine avec l’intégration forcée du duché de Bavière
(788) comme une sanction contre Tassilon qui aurait soutenu les Saxons.
793-797 : insurrection générale en Saxe et reconquête, mais avec méthode
« douce ». Suppression de l’essentiel du capitulaire. Occasion de saisir
influence des lettrés à la cour : Alcuin, qui condamne la possibilité d’une
mission armée.
Dernière conséquence, la mise en présence des Avars, battus par Charles en
795 : première intégration de peuples Slaves dans l’empire, dans le bassin du
Danube, avec création de trois espaces nouveaux : ce qui correspond à
l’Autriche (région de Vienne) rattaché à la Bavière / la Pannonie romaine / la
Croatie actuelle qu’on rattache au duché de Frioul.
3- Unité du royaume? Deux structures de fidélité complémentaires
Les comtes, bénéficiaires d’honores : les comtes (pouvoir de lever l’impôt,
de rendre la justice, de convoquer l’armée ou ost) = ceux qui exercent dans le
cadre de leur comté (une simple cité ou un pagus ou plusieurs pagus/i) les
pouvoirs régaliens. Ce sont des fonctionnaires : nommés et révoqués à sa guise
par le roi. Comme rémunération, reçoivent un honor, des honores : les revenus
des terres de l’Etat (terres du fisc) qui leur sont alloués (donc pas la propriété
de ces terres, inaliénables, non-transmissibles - mais seulement l’usufruit).
Certains abbés et évêques sont aussi des fonctionnaires : reçoivent leur charge
de la main du roi.
les vassaux : cette hiérarchie administrative a été doublée sous Charlemagne par une
hiérarchie de fidélités personnelles. Le roi utilise à son profit l’ancien système privée de la
commendatio ou recommandation : un vassal s’engage envers son seigneur à l’assistance
militaire contre l’entretien. Charles a encouragé la création de vassi dominici. Il a réclamé en
+ un serment de fidélité à tous les hommes libre de son empire, en 792 et 802 : c’est
l’intégration de toute hiérarchie dans le cadre d’une fidélité personnelle et pas administrative.
de + en + les comtes doivent devenir vassi. II- les rois carolingiens renouvellent
l'empire 1- L’élévation impérialea. la crise byzantine : l’impératrice Irène aveugle son
propre fils Constantin VI en 797 et s’intitule impératrice : c’est inadmissible en Occident qui
considère que l’empire est vacant. Rôle de défenseur de la papauté qui évolue vers celui de
garant, de protecteur, de tuteur naturel : débouche sur la capacité de l’empereur Charles à se
faire théologien. Affaire iconoclaste / iconodoule, Irène et le rétablissement du culte des
images en 787 (concile de Nicée II) : les libri carolini en réponse au pape et à sa traduction
hâtive des actes du concile. b. La crise romaine: Le pape Léon III est à Rome dans une
situation délicate : il a succédé à Hadrien en 795 ; d’origine sociale très modeste, se heurte à
opposition de l’aristocratie romaine. Accusé de malversations, de débauche, Léon III doit
s’enfuir et se réfugier auprès de Charles à Paderborn en 799. Charles décide donc de
réinstaller le pape légitime et l’accompagne à Rome en été 800.
le 25 décembre 800, il est couronné par Léon III dans la basilique Saint-Pierre (pas sacré
empereur). C’est une cérémonie ambiguë : Léon III a couronné Charles de sa propre initiative,
avant de le faire acclamer par les grands, et s’est placé ainsi à l’origine de toute dignité
impériale. L’empire que le pape veut créer est très nettement un remplaçant à l’empire
byzantin. Charlemagne entretient, lui, l’idée qu’un empire franc peut exister. Il normalise ses
relations avec Constantinople. Il accroît le rôle d’Aix-la-Chapelle comme lieu de résidence
principal.
2- L'œuvre unificatrice
Rappel : diversité des lois. Modernisation rapide :
a. Activité législatrice: Révision des lois en 802 : précisées et mises par écrit.
Les lois restent différentes selon les régions, mais + cohérentes, + écrites et
avec l'empereur pour origine. Mais à la diversité de lois nationales répond
l’uniformisation par les lois nouvelles, les mêmes pour tous. Activité
législative permanente : des capitulaires, qui régissent tous les domaines de la
vie : 789, Admonitio generalis organise la vie de l’Église et précise ses
responsabilités (dont éducation). Ca. 800, De villis décrit dans le détail
l’administration des domaines de l’Etat. Ca. 806 : réforme le recrutement de
l’armée et instaure « l’armée de métier ». Naissance d’un corps de juristes
professionnels, les scabini (« échevins ») en remplacement des rachimbourgs :
les scabini ont l’avantage d’être nommés par le pouvoir central (les missi) et
pas local (le comte), nommés à vie et pas convoqués à chaque mallus, bref
stables et a priori à l’abri de la corruption.
b. Uniformisation des normes pour toutes les catégories de la population.
Les clercs séculiers et les conciles, suivre les canons de l’Église; la Dyonisio-
hadrienne. Les chanoines et l’adoption obligatoire de la Règle de Chrodegang
de Metz (754) en 817. Les clercs réguliers et la promotion de la Règle de
Benoît de Nursie.
c. Instauration des missi : ancienneté de l’institution / systématisation du
principe en 802, partie intégrante du système de gouvernement . Leur
recrutement : Théodulfes, Vulfaire archevêque de Reims, duo / pouvoir général
de représenter localement l’autorité royale (pouvoir de ban Ŕ contraindre,
ordonner, punir) et pas seulement la potestas (comme le font les comtes), les
missi sont donc supérieurs aux comtes qu’ils inspectent et reprennent : ils
peuvent donc rendre localement la justice en complément de la justice comtale.
Ils peuvent aussi être investis de missions ponctuelles, définies dans des
capitulaires aux missi (instructions). les moyens réalistes d’un contrôle
strict exercé par le pouvoir carolingien.
3- Qu'est-ce que Charlemagne entend par "être empereur"? le césaropapisme Charlemagne ne distingue pas dans sa mission de roi et d’empereur entre ce qui appartiendrait
au domaine spirituel et ce qui relèverait du domaine temporel : il est responsable de tout,
l’expansion de la foi par ses conquêtes (Saxe), la stabilisation de la papauté comme institution
(Léon III en 800), le progrès spirituel du peuple qui lui est confié (Admonitio generalis, 789) :
on parle de césaropapisme pour désigner cette vision totalitaire de la responsabilité royale. Le
césaropapisme atteint son expression ultime dans la formulation de la vraie foi, la défense de
l’orthodoxie : ex. la querelle du Filioque résolue par un capitulaire (loi d’Etat !) en 809,
contre Byzance et malgré les réticences de la papauté. Voir aussi libri carolini contre Nicée II
787 et condamnation de l’adoptianisme.
Cette responsabilité (idée d’un ministère royal) a pour corollaire le droit naturel d’utiliser les
clercs dans son gouvernement : Charles nomme les évêques, comme des fonctionnaires (ex/
Leidrade de Lyon), il généralise le principe de l’abbatiat laïc. Le statut dérogatoire des terres
immunistes conduit certains clercs à exercer les fonctions de comtes laïcs : une terre immune
est une terre d’Église placée sous la responsabilité directe du souverain, qui échappe donc à la
tutelle administrative du comte. L’abbé ou l’évêque qui en est responsable doit donc y exercer
au nom du roi les pouvoirs du comte : prélèvement de l’impôt, conduite de l’ost, exercice de
la justice.
L’œuvre de restauration culturelle qu’on appelle la Renaissance Carolingienne est liée à ce
césaropapisme : Charlemagne encourage:
- la renaissance d’une langue latine excellente, pour corriger les textes
liturgiques
- Les progrès de la formation du clergé, pour le salut du peuple chrétien
- La révision du texte biblique (Bibles d’Alcuin et de Théodulfes)
- L’étude de la grammaire et de la rhétorique, voire de la dialectique, ie les trois
arts libéraux qui permettent de lire les textes sacrés
III- Le destin de l'empire carolingien 1- L’empire chrétien de Louis le Pieux (814-
840) Charles en 813 n’a plus qu’un unique héritier Louis, son 3
e fils devenu roi d’Aquitaine, qu’il
n’aime pas et à qui il n’a jamais confié la moindre autre responsabilité. Septembre 813,
l’association à l’empire en l’absence de Louis, sur initiative franque, avec acclamation des
grands (Eginhard) et sans l’avis de la papauté. La transmission du pouvoir fait intervenir pour
la première fois une sorte de serment du roi : Charles demande à Louis s’il est prêt et le fils
doit répondre oui. Louis est « associé à la royauté et héritier de l’empire ».
MAIS
Louis modifie cet "empire des Francs" en choisissant d'amplifier le thème de l'empire
chrétien:
- sacre de Reims de 816. Alors qu’il avait reçu l’empire de son père Charles,
LLP reçoit le sacre du pape Etienne IV à Reims, ainsi qu’Irmingarde.
Sacralisation du pouvoir.
- Ordinatio de 817 : LLP prévoit un partage très inégalitaire de l’empire (Pépin d’Aquitaine,
Louis de Bavière, Lothaire régnant sur tout et tous) sous influence cléricale : ne veut pas
partager ce que Dieu à uni- La pénitence d'Attigny: le meurtre de Bernard d'Italie (817)
dont LlP demande publiquement pardon- Louis dès lors gouverne avec l’appui de l’Eglise :
il définit en 823/825 son gouvernement comme un « ministère », un service rendu au nom de
Dieu ; les évêques sont associés au gouvernement- Louis a trois fils d’Irmingarde, Lothaire,
Louis et Pépin. Il se remarie sur le tard avec Judith, naissance de Charles en 823 : série de
crises pour savoir si Charles pourra hériter de son père et ce qu’il pourra hériter de son père.
Lothaire, le fils aîné, privilégié dans un premier programme de partage de 817, supporte mal
de voir sa part réduite au profit de ce demi-frère. Il prend les armes contre son père, avec
l’appui de ses frères, de l’Eglise (qui soutient l’idée d’une transmission intégrale de l’empire
et refuse le morcellement de l’héritage), du pape. Conciles de 829, œuvre de Jonas évêque
d’Orléans: thème du tyran qu'on doit déposer.- du Champ du mensonge (833) au deuxième
couronnement de Metz (février 835) : Louis le Pieux, lâché par tous ses « fidèles » est déposé
en octobre 833 et transformé « de son plein gré » en pénitent. Retournement : les dissensions
dans le camp de Lothaire, retour de LLP (835).
LLP meurt en 840 en laissant un empire affaibli et un partage délicat.
2- L'éclatement de l'empire sous les héritiers de Louis le Pieux
Fontenoy-en-Puisaye, 841
Trois fils prétendent à la succession de LLP : Louis, qui devient roi de Bavière, Charles, que
Lothaire veut exclure ou limiter à un petit royaume en Aquitaine. Les deux demi-frères
s’affrontent à FeP dans les environs d’Auxerre. Guerre très meurtrière, scandale des
contemporains (guerre fratricide) mais victoire de Charles, interprétée comme un jugement de
Dieu : il est légitime qu’il règne.
les serments de Strasbourg 842
Charles le Chauve et Louis le Germanique, contre leur frère Lothaire. En langue romane
(français) et en langue tudesque (allemand). Surtout, ce ne sont plus des rois qui s’engagent à
protéger le royaume de l’autre, mais des seigneurs qui promettent de ne pas se servir de leur
chaîne de vassaux contre l’autre : c’est le moment où le pouvoir royal n’est que le sommet
d’une pyramide vassalique.
le partage de Verdun, 843
Louis « le Germanique » (Francia orientalis outre-Rhin, Bavière, Alémanie, Saxe). Charles
en Francia occidentalis, mais avec une frontière orientale (ligne Reims Lyon, frontière de la
Saône et Rhône) qui ménage un royaume central, la Lotharingie de Lothaire, d’Aix à Rome.
L'Église encadre ce partage (qu'elle avait réprouvé) en réclamant le règne de la confraternité:
que l'empire demeure, puisqu'il est une mosaïque de royaumes gouvernés par la même famille.
Un seul hérite du titre impérial, donné par le pape à celui qui exerce une primauté d'honneur
et de pouvoir sur les autres: d'abord dans la famille de Lothaire Ier
(et son fils), puis en Italie
(Louis), puis en Francie occidentale (Charles le Chauve).
le traité de Meersen, 870
Le partage de Verdun fige les frontières en 843, mais ne prévoit pas les règles de succession
en cas de décès d’un des trois frères ou de ses héritiers : donc Charles le Chauve s’empare de
la Lotharingie en 869 contre un de ses neveux, Lothaire II. Il en rétrocède une partie à son
frère Louis le germanique par le traité de Meersen.
le pacte de Quierzy de 877
Charles le Chauve semble alors à l’apogée de sa puissance quand il reprend le titre impérial
en 875, à la mort d’un des fils de Lothaire qui régnait en Italie, Louis II. Il tient aussitôt les
engagements inhérents à la fonction impériale en partant pour Rome défendre la papauté
contre les musulmans. Juste avant son départ, il prévoit comment le royaume doit être
administré en son absence. Il n’empêche pas le mécontentement des grands qui lui reprochent
cette absence du regnum. Il meurt sur la route du retour.
l'émiettement des royaumes et la monté en puissance d'une aristocratie
nouvelle (879-888)
Un aristocrate, Boson est proclamé roi de Provence par quelques partisans (879): allié à la
famille carolingienne, mais tout de même! Prototype d'une usurpation aristocratique qui
cherche à créer une royauté proche, accessible, dans un contexte de danger extérieur accru
(Normands et Sarrasins). Le phénomène se répète en 888 à la mort du dernier empereur
Charles III le Gros:
- en Francie occidentale, choix d'Eudes, comte de Paris, fils de Robert le Fort
marquis de Neustrie contre les intérêts de Charles le simple, fils posthume de
Louis le Bègue
- en Francie orientale, choix d'un Arnulf, fils de Carloman, pour ses
compétences militaires
- autour du comté de Bourgogne transjurane, Rodolphe fonde un "royaume de
Bourgogne"
- des régions restent disputées, comme la Lotharingie, dont on ne sait pas à quel
royaume elle finira par être rattachée.
dans le royaume de l'ouest, de 888 à 987, alternance sur le trône, des héritiers
carolingiens et des robertiens-capétiens. Les rois carolingiens restent dans le
meilleur des cas sous tutelle des Capétiens qui les rappellent sur le trône (Louis
IV d'outremer) et prennent le titre de "duc des Francs" avec Hugues le Grand
(m. 956). Ils essaient de s'appuyer sur l'alliance ottonienne, au prix d'un
renoncement des prétentions sur la Lotharingie: les relations belliqueuses au .
En 987, à la mort précipitée du dernier carolingien Louis V, c'est Hugues
Capet qui est choisi et sacré.
3- un renouveau impérial dans le royaume de l'est, les Ottoniens Le royaume de l'est (Francie orientale) connaît après 888 une situation de forte instabilité et
est menacé d'éclatement: les 4 regna. Politique autonomiste des ducs de Bavière. Il n'y a pas
de transmission dynastique de la couronne, mais une royauté élective et pseudo-égalitaire,
jusqu'au règne d'Henri Ier
, duc de Saxe, qui obtient que la couronne soit transmise à son fils
Otton (936-973): c'est le début de la dynastie ottonienne (Otton II 973-983 puis Otton III 983-
1002) qui se prolonge dans une branche cousine par les femmes, les Saliens, sur le trône
jusqu'en 1138. Otton Ier
réitère l'empire carolingien:
- fondé sur une sacralité de la royauté max. (renouveau du sacre) et une
couronne impériale reçue du pape en 962
- fondé sur l'association de l'Italie au royaume de Germanie après 951
- cet empereur est le représentant et le lieutenant de Dieu sur terre, il s’appuie
sur une Église qui lui est soumise : on parle de Reichskirche, "Église d'empire"
ou de RKS, "Reichskirchensystem", "système de l'Église impériale"
i. une 30 aine d’évêchés d’empire dépendent directement de lui par le
système d’investiture laïque : on n’ordonnera évêque que celui qui aura
reçu, de la main de l’empereur, le pouvoir sur les biens de son évêché.
C’est l’empereur qui remet la crosse épiscopale et l’anneau. Les
évêques sont de + en + choisis parmi les proches de l'empereur, dans sa
chapelle (= organe de gouvernement). S'accroît avec le règne d'Henri II
(1002-1024).
ii. certains évêques reçoivent des droits civils (tonlieux, droits
comtaux)
iii. L’empereur Otton Ier
impose même comme une règle intangible
qu’aucun pape ne soit consacré sans l’accord préalable de l’empereur,
qui est seul maître du choix du candidat (963) : la papauté, et pas
l’Église nationale seul, entre donc en dépendance directe / empire
ottonien.
Cette main-mise de l’Etat sur l’Église n’est pas remise en cause par la papauté avant le milieu
du XIe s. et le mouvement appelé Réforme grégorienne : à partir de Léon IX (1049-1054) et
surtout pape Grégoire VII (m. 1075), conflit ouvert autour de la dénonciation de la simonie.
Veut interdire toute intrusion du pouvoir politique dans le choix des évêques. Au terme de la
Querelle des Investitures, l’empereur Henri V doit renoncer par le concordat de Worms
(1122), confirmé par le premier concile du Latran, à l’investiture par la crosse et par l’anneau
et reconnaître la liberté des élections canoniques.
Chapitre 5 La société de l'occident latin au tournant de l'an Mil
La société en Occident au tournant de l'an Mil I- le monde rural 1- une
agriculture en lent développement À partir du IXe s. en Occident, une lente mais continue
croissance démographique, qu'on est bien obligé de mettre en relation avec une certaine
amélioration de l'agriculture! Pourtant, les productions ni les techniques n'ont beaucoup
évolué apparemment: - complémentarité de la céréaliculture dominante (avec diversité des
blés selon les terres et les saisons, blés d'hiver et blés de printemps), de la culture des
légumineuses et de l'élevage d'appoint. Reste la faiblesse de l'économie traditionnelle: cercle
vicieux de l’élevage : bovin = prairie de fauche or terres arables = céréales, donc peu de
bovins, donc peu d’engrais, donc rendements faibles, donc surfaces emblavées nécessairement
importantes au détriment des prairies de fauche, etc. Les bovins sont donc élevés en petit
nombre, pour la traction animale. Les ovins en revanche produisent un meilleur rapport
viande/laine/cuir et parchemin/engrais/surface à brouter. Les porcins TB. Et les volailles (avec
les porcs, à proximité des moulins).- complémentarité de l'ager et du saltus. Forêt : glandée,
bois de chauffe et de construction, bois d’outillage, cueillette (baies nombreuses = mûres,
noisettes, prunelles, fraises, faînes…, champignons), gibier Ŕ oiseaux à la glue- œufs, miel
sauvage, écorce du chêne qui tanne les cuirs. Mer et rivières. Complémentarité d'autant plus
vive entre "espace sauvage" et "espace cultivé" que, en Occident, le peuplement jusqu’au
VIIIe s. est encore semi-itinérant ou provisoire, sans regroupement villageois durable, avec
foyers de peuplement isolés. La communauté villageoise n’est donc pas une communauté
d’exploitation en commun, de planification agricole. Pas d'assolement, pas de jachère
organisée, mais une série de défrichements à moyen terme. Nombreuses traces de
défrichement dans l’Occident carolingien: le défrichement est une démarche socialement
rentable puisqu’en général le paysan reste propriétaire des terres gagnées sur la forêt. Il peut
être un moyen politique : système de l’aprisio qui garantit aux populations chrétiennes
réfugiées d’Espagne dans le sud de la Francie (Septimanie) la pleine propriété des terres qui
viennent d’être reprises aux musulmans et qu’elles défrichent (IXe s.) ; repeuplement sur
initiative royale de la vallée du Douro par les rois des Asturies. Ces communautés paysannes
libres nouvelles soutiennent le pouvoir royal contre les empiétements des seigneurs locaux.-
complémentarité champ/ jardin, où l’agriculture intensive et la fertilisation par engrais humain
et animal est possible C'est donc plutôt sur la structure de mise en valeur que doivent
reposer les innovations et le progrès des rendements. 2- La naissance du grand
domaine Empire carolingien, le « Grand domaine », la réserve et les manses ou domaine
bipartite/ biparti (VIIe-VIII
e s.) = un espace central concentre les bâtiments d'exploitation
(silos, bergerie, écuries, …), les bâtiments socialement distinctifs (habitation du aître, église)
et les terroirs à forte valeur ajoutée (prairies de fauche ou d'embouche, forêt). Cet espace est
mis en valeur par une domesticité (familia) nourrie par le maître et par le travail des
tenanciers. Le reste des terres périphériques (parfois non jointives) est mis en valeur par des
tenanciers: des cultivateurs libres qui exploitent une terre ou tenure confiée par son
propriétaire en échange d’un loyer et de services ou corvées sur les terres de la réserve. Le
domaine fonctionne donc en complémentarité centre/périphérie du point de vue du travail,
mais aussi des ressources (le tenancier porte au moulin central ses céréales, etc.). Le modèle
est développé et documenté surtout entre Loire et Rhin, mais existe en Italie, d'abord dans les
terres monastiques puis les domaines publics, puis, tardivement, dans les terres aristocratiques.
Peut-être parce que les grandes abbayes ont été chargées par les rois carolingiens d'être des
viviers fiables de recrutement militaire: chaque abbaye dite royale (sous protection royale)
doit fournir un contingent au roi qui lève l'ost (armée) pour expédition lointaine. Donc, intérêt
de recenser des tenanciers, avec obligations militaires mises par écrit, en échange d'une
installation sur terres monastiques. Système connu par les polyptyques. À côté, reste toujours
une majorité de petites exploitations familiales (12 à 16 ha selon Riché ? on parle de manse
pour désigner la terre où l'on demeure, où une famille peut vivre): on parle d’alleutiers pour
désigner ces propriétaires libres et indépendants, mais ils s'intègrent sans doute pour partie
dans le système du grand domaine: c'est là qu'on trouve les infrastructures utiles (église, forge,
moulin), les ressources d'une grande forêt, aide et protection, etc. Donc, même si on est
alleutier, on peut choisir d'être EN PLUS tenancier. Le grand domaine est sans doute un
facteur de développement économique : - par la commercialisation et la
spécialisationLes marchés, présents partout en Occident au VIIIe s. (au moins un par diocèse),
prolifèrent au IXe s. Les marchés ici sont surtout ruraux, alors que son urbains en Orient. Les
surplus viennent surtout des grands domaines et des abbayes : rôle de la dîme (VIIIe s.) ; des
grands domaines (surplus, comme la vigne de l’abbaye Saint-Germain des Prés dont la
majorité de la production est commercialisée) ; de la dispersion géographique (Saint-Denis,
Reims, Corbie) qui favorise les échanges longs ! Certains produits circulent plus facilement
(le vin, qu’on doit importer au nord, dont en Angleterre le vin de Saint-Germain des Prés, le
sel, qui est produit sur la côte et dans les mines de Germanie).- par la stabilisation des
esclaves, devenus tenanciersRappel: permanence de l’esclavage antique au moins jusqu’au
VIIe s. : 20% de la population en Occident ? C’est la grande fracture sociale carolingienne :
les libres et les autres. Dans l'empire carolingien, on pratique de façon accrue la vente
d'esclaves étrangers, favorisée par les guerres de conquête. Grands marchés et circulation
internationale : - marché de Verdun et route de la Saxe vers l’Espagne- marché slave,
route de la mer Noire vers ConstantinopleSoit pour agriculture (mise en valeur de l’Espagne
par des esclaves qu’on prend le soin de rendre eunuques avant de les vendre) soit pour armée
(mercenaires turcs). Commerce florissant qui se heurtent à des problèmes moraux et
religieux : interdiction de vendre des chrétiens à des musulmans sous Charlemagne ; suspicion
contre les juifs de Lyon qui enlèveraient les enfants pour les vendre, etc. Or, hypothèse, le
grand domaine carolingien favoriserait la stabilisation, voire l'amélioration du statut, de ces
hommes du VIIIe au X
e s. Les esclaves (mancipia) qui exploitaient la réserve voire davantage
sur le modèle latifundiaire sont de plus en plus volontiers chasés : leur statut se rapproche
alors de celui de tenancier. Ils exploitent à leur gré une tenure, en échange de redevances et de
services. On parle dans les Polytptyques de tenures libres (ou ingénuiles) et de tenures serviles,
plus lourdement astreintes aux corvées, ce qui montre qu'à l'origine leur statut dépendait du
statut de l'exploitant; puis transformation, les terres gardent leur statut (ingénuile ou servile),
indépendamment de la qualité des personnes.Les conditions d’un essor économique sont
rassemblées jusqu’en 950 : il dépend de l’initiative paysanne d’améliorer son sort, les
redevances et les corvées laissent jouir chacun des fruits de son travail. Les différents statuts
sociaux s'uniformisent: une catégorie d'exploitants accède apparemment à une semi-liberté.
Cette homogénéisation, qui semblait profiter aux esclaves jusqu'au IXe s., peut s'opérer au
détriment des tenanciers libres à partir du Xe s. Contexte: invasions normandes et sarrasines
très dangereuses dans certaines régions (Flandre dès 860's, vallée du Rhône jusqu'en 972) et
perte en parallèle de contrôle de l'autorité royale: les exploitants, qui ont besoin de protection,
se placent "spontanément" sous l'autorité d'un propriétaire terrien. Les alleutiers ont intérêt à
hâter leur propre disparition en se mettant sous la protection d’un seigneur qu’ils choisissent :
multiplication des dons ou ventes à bas prix, notamment à des monastères. Puis récupèrent ce
qui était leur bien sous forme de tenure. Vers 1100, 10% d’alleutiers au plus. Les redevances
en nature et argent, et services sont de plus en plus nombreux (corvées, charrois) au
tournant de l’an Mil, le progrès économique s’accompagne d’une perte de liberté des
exploitants qui dépendent plus étroitement des seigneurs. 3- des pôles privilégiésDans ce
cadre instable, les monastères apparaissent comme des lieux privilégiés mais menacés:-
Usage de l'immunité, renforcée par l'abbatiat laïc (années 800)- Dévoiement de
l'institution dans le cumul des abbatiats laïcs, leur transmission héréditaire comme s'il
s'agissait de biens patrimoniaux, leur utilisation à des fins de prestige politique.-
Développement de la même idée (mettre des terres à l'abri des ingérences extérieures) mais
sur initiative aristocratique à Cluny: Guillaume duc d'Aquitaine, 910, fondation de Cluny, qui
n'est pas une réforme religieuse monastique mais institutionnelle: détacher une communauté
de l'influence de l'évêque (ordinaire) et de tout pouvoir laïc (fondateur ou roi) au moyen d'une
donation symbolique, mais efficace, à saint Pierre et saint Paul. En 998, cette indépendance
est confirmée par l’exemption romaine : elle garantit la liberté vis-à-vis de l’évêque du lieu,
qui n’a pas le droit de venir célébrer dans l’abbaye, ne doit pas nécessairement donner les
sacrements aux moins, n’a aucun pouvoir sur l’élection libre des abbés. Les moines peuvent
s’adresser à l’évêque de leur choix quand ils veulent consacrer une église ou conférer l’ordre à
un moine. Cette indépendance est une innovation radicale : l’Eglise carolingienne est celle du
pouvoir des évêques ; l’Eglise des IXe-XII
e s. est celle du primat des moines bénédictins et
dérivés (cisterciens) Le pape ajoute la capacité à accueillir des moines venus d’ailleurs
capacité de Cluny à devenir un ordre, en réformant les monastères qui le désirent, en
Provence, Italie, Bourgogne, Aquitaine, bientôt en Espagne, en Angleterre, en Alsace et dans
tout l’empire germanique. C’est l’œuvre d’un grand abbé, Odilon dont l’abbatiat a été
particulièrement long (994-1049) et profitable pour le développement de l’ordre : plus de 70
abbayes se sont rattachées à la réforme clunisienne au cours du Xe s., dans l’Europe entière.
Cluny se spécialise dans la célébration liturgique, par réactivation normale de l’opus Dei
bénédictin, mais avec des traits novateurs :
- faste et longueur des célébrations qui font que les moines passent leur temps
au chœur. On parle de prière perpétuelle.
- naissance de la prière pour les morts, dont la fête du 2 novembre, qui
spécialise Cluny dans l’intercession familiale, en fait le bénéficiaire naturel des
dons aristocratiques
- rôle de la célébration des messes pour les mêmes défunts, qui fait de Cluny un ordre de
moines-prêtres et des églises clunisiennes (refus de la concélébration qui est post-Vatican II)
des églises à multiples chapelles rayonnantes.Dans le sud de l'Europe à partir de la 2e moitié
du Xe s., Cluny se développe comme un premier modèle d'ordre monastique, autour d'usages
partagés, mais surtout de son statut d'exemption et d'immunité. Les prieurés. L'Ecclesia
cluniacensis. Modèle hiérarchisé, supra-territorial, développé en Catalogne et dans toute
l'Espagne chrétienne, sud de la Francie occidentale, pas du tout en Germanie où les
monastères restent sous influence aristocratique et épiscopale. II- Naissance de la
société seigneuriale
Deux modèles historiographiques s'affrontent pour décrire une évolution qui se produit au
tournant de l’an Mil: les historiens mutationnistes pensent qu'est alors née une société féodale
où quelques maisons guerrières accaparent les pouvoirs publics pour dominer
économiquement, juridiquement et socialement une paysannerie de plus en plus affaiblie.
L’Etat monarchique devrait naître en faisant valoir son autorité supérieure au détriment des
velléités d'indépendance de ces aristocraties fondées sur la supériorité militaire. Les historiens
non-mutationnistes récusent l'idée de rupture: ils insistent sur la continuité entre l'aristocratie
carolingienne, qui était déjà fondée sur la supériorité sociale plus que politique, et
l'aristocratie du XIe s., toujours contrôlée et justifiée par l'Église.
on ne peut pas trancher ici! Mais présenter quelques phénomènes visibles, sans préjuger de
leur interprétation. 1- Incastellamento et féodalité
On parle depuis la thèse de Toubert sur le Latium, d’incastellamento ou d’enchâtellement
(encellulement proposé par R. Fossier) pour désigner l’établissement au cours du XIe s. d’un
réseau castral, sous la forme de mottes fortifiées extrêmement nombreuses. La nouveauté
viendrait:
- de leur localisation en milieu rural: jusqu’à l’époque carolingienne, les lieux
fortifiés correspondent surtout aux cités de l’Antiquité tardive, voire aux castra
sur des lieux élevés (ex. Laon) avec une très vaste enceinte qui doit permettre à
toute la population rurale de trouver un abri temporaire. Les murailles
contribuent donc à donner à la ville le prestige d’une cité : ex. Reims. Vers l’an
Mil, ces très larges enceintes sont réduites à un simple réduit castral, surélevé
(motte), entouré d’une basse-cour (dépendances artisanales et agricoles). Avant
1100, on voit la prolifération de simples maisons fortes, parfois dans les fonds
de vallée, sur une motte artificielle, avec fossés emplis d’eau, palissades ou
murs de pierres, tours de bois.
- A joindre, c'est l'hypothèse mutationniste, à la mise en place d'une privatisation de
l'autorité. Ce ne sont pas des fortifications à rattacher aux nécessités de la défense contre
l’envahisseurs (plus de Sarrasins ni de Normands alors) mais l’expression d’un contrôle
militaire sur une terre, par le biais d’un château qui est avant tout un lieu de garnison : ce sont
donc des lieux de pouvoir sur la population, pas des équipements de protection de la
population = alentours, le seigneur du château est en mesure d’imposer : - son droit de
rendre la justice : à l’époque carolingienne, la justice est une prérogative royale, déléguée au
comte, qui peut la confier à ses viguiers pour les délits mineurs, mais qui doit réunir le mallus
pour les causes de sang (homicide), rapt, incendie ou vol = le comte exerce la haute justice et
délègue la basse justice. À l’époque féodale, le seigneur ou sire accapare cette justice dans
l’espace qu’il contrôle : à chaque château correspond un ressort de justice.- Sa force
militaire et le paiement d’une taxe qui rétribue la « sécurité » apportée par le sire : c’est la
taille - des monopoles variables, qui assurent sa supériorité économique : on parle de
banalités (donc de seigneurie banale). Interdiction de moudre ailleurs que dans le moulin du
seigneur, idem pour four, pour pressoir, pour grenier, pour forge… Interdiction de vendre son
vin avant le seigneur, etc.
le pouvoir n’est plus exercé par délégation, mais par droit du plus fort, sur un territoire
mouvant : aux circonscriptions traditionnelles du pagus et de la viguerie se substituerait le
territoire du château.
! c'est apparemment très vrai en Catalogne, et dans le sud de la France actuelle, beaucoup plus
difficile d'interprétation au nord de la Loire, faux en Flandre et en Normandie où les châteaux
prolifèrent, mais sans jamais échapper à la tutelle comtale ou ducale: ce sont des organes
d'administration publique. Il faudrait enfin pouvoir distinguer toujours l'érection d'un château
et une militarisation de la société: un château, ce peut être une résidence privilégiée, le siège
d'une administration, très fréquemment le lieu de fondation d'une église: donc c'est bien un
moyen d'encadrer la population, mais pas nécessairement par la force.
On parle de seigneurie pour qualifier ce pouvoir complet (juridique et économique et
social) qu'un propriétaire exerce sur ses terres, sans rapport avec une autorité publique
distante.
On parle de féodalité pour qualifier les liens personnels qui se nouent alors entre un seigneur
et ceux qui dépendent de lui: autour du seigneur se créé une catégorie de combattants capables
de tenir son château: ils reçoivent de lui une terre (petite) en fief - le fief est une terre que l’on
reconnaît devoir à la générosité du seigneur, et qui engage envers le seigneur à une fidélité
minimale Ŕ ils s’engagent envers lui par commendatio, ils lui doivent la garde de son château.
On parle de milites casati, "chevaliers casés" ou "installés". Le fief devient dans la deuxième
moitié du XIe s. héréditaire. Or le lien entre tenanciers et propriétaires est pensé, à partir du
XIe s., sur ce modèle féodal : au lieu de ne désigner qu’un lien militaire, l’hommage concerne
désormais toute la société toute la société paysanne se « féodalise ».
2- La chevalerie et la noblesse
Durant le haut Moyen Age, on utilise l'idée d'aristocratie pour parler de l'élite politique:
contrairement à la noblesse, elle ne repose pas sur une définition juridique et l'octroi de
privilèges. Cependant, une idéologie nobiliaire existe, fondée sur la conscience qu'une
naissance peut être illustre ou obscure. Cette noblesse-là (rattachement au lignage royal ou à
des nobles romains) prédispose à la richesse et au commandement, elle n’en est pas la
conséquence. Puis au XIe s., les sources du sud de l’Europe (Catalogne notamment) appellent
« nobles » ceux qui tiennent un château. Au nord, assimilation remarquable entre noblesse et
statut de liberté: par opposition à toute la paysannerie, décrite comme dépendante, la catégorie
des combattants est définie comme noble, car libre. Dans l'un et l'autre cas, apparition ou non
d'une catégorie sociale, la chevalerie? Le chevalier est celui qui monte un cheval et tient une
épée ; il se consacre d’une façon majoritaire à l’exercice des armes ; il exerce une mission de
protection et de défense du pauvre et du faible ; il trouve une place dans la société chrétienne
par ce monopole de la violence.
création d'une chevalerie là où il n'y avait que des cavaliers? Le mouvement est différemment décrit dans l'historiographie.
- les mutationnistes, souligne que l'an Mil est celui d'une classe sociale
nouvelle, la chevalerie, qui a le monopole des armes et consacre son temps
et sa fortune à en perfectionner l’usage. Parce qu’elle défend ceux qui
travaillent, elle gagne en retour le droit de jouir des fruits de ce travail ; la
seigneurie banale devient alors seigneurie foncière, légitimée par l’Église.
Dans cette perspective, la chevalerie naît au xie s. d’une rupture politique et
sociale, transformée en un ordre sanctifié. La Paix de Dieu pour certains, la
Trêves de Dieu pour d'autres, serait l’occasion d’une professionnalisation
de la classe des combattants: les milites seraient encouragés à modérer leur
violence, au nom de leur maîtrise même des armes.
- Les non-mutationnistes montrent qu'il y a une telle stratification sociale
parmi les combattants, que certains sont proches de la paysannerie (les
chevaliers-paysans" du lac de Paladru!) tandis que d'autres appartiennent
bien à l'élite politique. L’assimilation entre chevalerie et noblesse est donc
hasardeuse jusqu'au xie s.. Derrière ce débat, on peut tenter de voir une
opposition entre le discours que la noblesse tient sur elle-même (noblesse et
chevalerie vont de pair) et la réalité sociale d’un recrutement humble des
combattants.
3- l'Église et les combattants
a- Paix de Dieu et Trêve de Dieu Dès les années 950, certains évêques auvergnats s'élèvent pour réclamer des mesures en
faveur de la paix. Le premier concile "de paix" est réuni à Charroux en 989 autour de
l'archevêque de Bordeaux. Les évêques lancent l'anathème contre les violateurs d'églises, les
offenseurs des pauvres et du clergé. Ces canons conciliaires, qui reprennent les
condamnations formulées par les souverains carolingiens dans leurs capitulaires, serviront de
modèles aux assemblées ultérieures qui se réunissent au Puy, à Anse (994), Poitiers (1000-
1014), Vienne (vers 1021), Beauvais (1023) ou Bourges (1038). À la prononciation de canons
condamnant les violences s'ajoutent, à partir du concile de Limoges (994), des pactes de paix,
les jureurs s'engageant par serment à respecter les décisions prononcées. Ces conciles de paix
touchent d'abord l'Aquitaine et l'Auvergne puis, à partir de 1020, le duché de Bourgogne, les
provinces de Sens et de Reims. Les régions septentrionales sont touchées tardivement, alors
que les provinces de Tours et de Rouen ne connaissent pas d'assemblées de paix. L'Empire
n'est pas concerné par la paix de Dieu, excepté à Cambrai, où l'évêque Gérard la promulgue,
mais sous la pression des autres suffragants de la province de Reims (1023).
Une paix de Dieu est un pacte conclu à l'occasion d'un concile provincial réunissant
l'évêque du lieu, d'autres prélats venus de plusieurs provinces ecclésiastiques, des princes,
ainsi qu'une foule difficile à définir. On y règle les conflits, on prête serment de protéger
l'Église, de respecter les lieux saints et de ne pas opprimer les faibles.
À partir de 1027, de nouveaux canons sont prononcés par les évêques réunis en concile. Ils
instaurent la trêve de Dieu, c'est-à-dire l'arrêt des activités guerrières le dimanche (Elne, 1027),
puis entre le mercredi soir et le lundi matin, ainsi que l'interdiction des combats pendant
l'Avent, le Carême et à l'occasion des fêtes religieux (Narbonne, 1054). Alors que la paix de
Dieu délimitait des espaces de paix, la trêve de Dieu définit des temps de paix, que les
seigneurs s'engagent, par serment, à respecter. La trêve de Dieu est proclamée en Normandie
(1047), en Bourgogne (vers 1050), à Liège (1082) et Cologne (1083) et est étendue à tout le
royaume franc en 1095, lorsque Urbain ii fait jurer la paix de Dieu en même temps qu'il
prêche la première Croisade. En revanche, il faut attendre les premières années du xiie s. pour
que de telles mesures soient adoptées dans tout l'Empire (Mayence, 1103).
Plusieurs interprétations ont été avancées pour expliquer la naissance et l'essor du mouvement
de paix de Dieu. Pour les historiens partisans de la théorie mutationniste, les évêques se
substituent au roi, trop faible pour assurer la protection des paysans et du clergé face aux
exactions perpétrées par les seigneurs et chevaliers. Pour Dominique Barthélémy [1999], ce
mouvement n'est pas une réaction à la barbarie féodale. La paix de Dieu s'inscrit dans la
continuité des procédures carolingiennes de règlement des conflits, qui accordent une place
centrale à l'épiscopat et au sacré. Le mouvement de paix ne traduit pas une opposition de
classe entre l'Église et l'aristocratie laïque ; il exprime au contraire une collusion d'intérêts
entre la crosse et l'épée. Les évêques qui se réunissent à Charroux sont tous d'origine noble, et
sont liés aux grands qui dominent l'Aquitaine. Dans la plupart des conciles de paix, l'action de
l'évêque est soutenue par les grands féodaux. La paix de Dieu n'est donc pas un mouvement
anti-féodal mené par l'Église. D'ailleurs, les conciles n'interdisent pas la faide ou la guerre
privée. Ils ne font que définir ceux qui doivent être protégés de ces violences.b- la
possibilité d'une guerre sanctifiéeLes serments de Paix de Dieu semblent dessiner les
contours d’une nouvelle idéologie guerrière: il y a un bon et un mauvais usage possible de la
violence laïque selon l’Église. Vouloir freiner la violence des usurpateurs de biens d’Église
implique, en retour, la construction d’un discours positif sur la guerre menée pour de justes
motifs, sous la responsabilité d’une autorité ecclésiastique Ŕ la guerre, avant de devenir sainte
au xiie s. est pour le moins moralisée. C'est peu marqué dans l'ouest de l'Occident, où l'Église
semble là pour modérer l'usage de la force, qui est l'apanage du pouvoir royal voire
aristocratique. Dans l'empire salien en revanche, la collaboration entre le pouvoir royal et la
papauté peut avoir inspiré le développement plus net d’une idéologie de la guerre sainte.
Après qu’un contingent royal a été envoyé par Henri iii à Léon ix dans la perspective de la
bataille de Cividate (juin 1053) contre les Normands, les hommes morts au combat sont
célébrés comme des saints, voire comme des martyrs dans quelques sources de la fin du xie s.
Dans le même contexte on voit l’expression "combattants de saint Pierre" se substituer à
l’expression traditionnelle "combattants du Christ" : c’est le signe qu’on reconnaît à l’autorité
pontificale le pouvoir de dire si une guerre est juste ou non. on peut aller vers la croisade.
Ces évolutions économiques et sociales s'expriment dans la création d'un discours nouveau
sur la société: invention d’une tripartition fonctionnelle ou des trois ordres du féodalisme, qui
devient la norme intangible de tout l’Ancien Régime : ceux qui prient, ceux qui combattent,
ceux qui travaillent, par opposition à la norme carolingienne. Cette création n'est pas une
donnée, mais une prise de position, parmi d'autres théories sociales possibles
III- Une société ordonnée 1- la tripartition fonctionnelle a- la société
carolingienneQuand on pense la société jusqu'au Xe s., on l'imagine partagée en trois
groupes:
- les clercs séculiers, qui ont reçu tout ou partie du sacrement de l'ordre (sacerdoce)
- les clercs réguliers, qui ont fait profession monastique
- les laïcs = les autres! Qui !! font partie de l'Église (baptisés!) mais pas de sa hiérarchie
En 817, à l'occasion de la grande réforme dite de Benoît d'Aniane par Louis le Pieux, le
sommet de la hiérarchie dans la perfection chrétienne est ainsi occupé par les chanoines
récemment réformés: ceux qui vivent comme des réguliers (partageant un même dortoir et
récitant les offices en commun) mais qui sont des séculiers (avec ministère de prédication et
distribution des sacrements) le IXe s. est celui du triomphe du clergé séculier
b- la société du Xe s.: le triomphe des moines
Héric, moine de Saint-Germain d'Auxerre à la fin du IXe s., distingue "ceux qui combattent,
ceux qui travaillent la terre, ceux qui prient". C'est une proposition novatrice, sous-tendue par
une opposition de nature entre ceux qui prient, et qui sont déjà unis à Dieu donc hors du
monde, et les autres, soumis aux exigences de la nature, sexualité et travail. C'est donc une
tripartition fonctionnelle qui assigne aux moines un rôle de modèles pour la société et
d'intercesseurs. L'idée a été reprise et propagée par les sources clunisiennes de l'an Mil. Elle
donne le cadre idéologique de définition d'une supériorité monastique. le Xe s. avec Cluny
est celui du triomphe du monachisme réformé: on croit au pouvoir d'intercession maximal des
moines (réguliers)
c- la tripartition fonctionnelle du XIe s.
Apparition conjointe au cours des années 1024-1031 dans un discours de l'évêque Gérard de
Cambrai dans le Poème au roi Robert d'Adalbéron de Laon (v.), d'une définition tripartite de
la société: les évêques, ministres de Dieu dont ils reçoivent la sagesse et la science, pour prier
et guider les hommes, forment le premier ordre; les rois et les grands sont les ministres de
Dieu dans la garantie de l'ordre social et de la paix; les autres hommes travaillent. C'est un
projet politique polémique, surtout dirigé contre les moines et la supériorité qu'ils
revendiquent. Comme la tripartition du Xe s. on y remarque la séparation des laïcs en deux
groupes, désormais toujours séparés, les combattants professionnels et les laborieux.
2- la "famille féodale" existe-t-elle?
Depuis l'époque carolingienne, le roi, de concert avec l'Église, a imposé des normes au
mariage: le mariage est toujours une affaire privée qui se conclut en dehors de l’Église, pas un
sacrement, mais l'idée chrétienne qu'il doit être monogame et indissoluble s'impose peu à peu.
Le mariage devient un sacrement à la fin du xiie s.
Le contrôle sur le mariage s'exprime surtout pas la dénonciation élargie de l'inceste, écartée au
moyen des interdits de parenté: l'interdiction de s'unir à un parent au 4e degré, par
consanguinité ou affinité, voire par parenté spirituelle est portée au 7e degré au XI
e s. Les
papes d’origine germanique à partir de Léon IX étendent ces interdits à la chrétienté
occidentale. Pour expliquer cette extension des interdits Ŕ mise en place du mariage le plus
exogame possible - on peut y voir la volonté politique d’affaiblir les groupements de parenté
au profit du couple conjugal: les rois de Germanie ont ainsi un argument à opposer aux
grandes familles aristocratiques qui renforcent leurs liens par des mariages privilégiés entre
cousins. Les élites ont néanmoins adopté ces prohibitions matrimoniales, par conviction
religieuse ; parce que mettre en évidence le caractère consanguin d'une union, c'est pouvoir la
faire annuler à une époque où le divorce devient impossible; parce qu’elles coïncident avec
l’évolution d’une parenté bilatérale vers une parenté de type vertical et patrilinéaire = la
fameuse naissance de la "famille féodale".
= Les xe-xie s. sont réputés avoir vu la transformation des groupements de parenté larges et
dispersés du haut Moyen Age (les Sippen) en familles resserrées autour d’une ligne principale.
Prédominante au sein de l’aristocratie du viiie s., la Sippe forme une sorte de grand cousinage
dont le noyau dur est constitué par les membres d’une même génération. La puissance d’une
Sippe se mesure donc au nombre de personnes liées entre elles à un moment donné : c’est en
ce sens qu’elle est qualifiée de structure horizontale. Ce qui compte pour un individu au sein
d’une Sippe, c’est moins ses ancêtres que son réseau de relations. Les pratiques successorales
impliquent de répartir l’héritage entre tous les enfants, d'où une dispersion du patrimoine
foncier.La famille féodale est censée naître de l’organisation de la Sippe autour d’une lignée
dominante : elle s'emparerait d'une charge publique (un honor comtal par exemple) pour la
transmettre en ligne directe en favorisant les aînés au détriment des cadets. Avec des
variations locales, les lignages tendent à privilégier une transmission patrilinéaire*, qui exclut
les filles et les cadets, sur le modèle royal de l’association du fils aîné au pouvoir et de la
transmission de l’intégralité du royaume.Le modèle canonique du lignage féodal, présenté
dans l’école mutationniste, est donc celui de la primogéniture, de la restriction systématique
du mariage des cadets, de la réapparition de l’endogamie accompagnée de pratique
hypergamiques, de la dégradation du statut de la femme. Sans faire le catalogue de toutes les
situations locales, on doit souligner que ce modèle lignager n’existe pas partout et ne s’impose
pas au même rythme selon les espaces. 3- la séparation des clercs et des laïcs à la faveur
de la réforme grégorienneCe qu’on appelle réforme grégorienne tire son nom du pape
Grégoire VII (1073-1085) mais est un mouvement plus long, plus ambitieux, qui débute avec
Léon IX (1049-1054) et s’achève au XIIe s. seulement. Elle correspond à un désir de libérer
l’Église de toute emprise laïque.
refus du contrôle des élections pontificales par l’empereur après 1059. Des clercs
spécialisés dans l’élection des papes sont créés, les cardinaux, dans le but de
soustraire l’élection à l’influence des aristocrates romains (on a déjà vu la Querelle des
Investitures. À Canossa, Henri IV, excommunié, doit venir demander humblement
pardon à Grégoire VII en 1077 pour n'avoir pas voulu imposer à l'Église de Germanie
ces nouvelles normes de gouvernement).
Statut des clercs distingué du statut des laïcs : aux clercs, l’interdiction du mariage
(accusation de nicolaïsme). En Angleterre, le célibat s’impose très difficilement début
XIIe s. ; en Italie, le refus du mariage des clercs rencontre l’assentiment enthousiaste
des laïcs, notamment à Milan où se déroule une quasi-insurrection des laïcs contre
l’évêque, sous le nom de Pataria ou mouvement des Patarins (années 1050) ; aux laïcs,
le privilège de la situation matrimoniale. La sexualité active devient le propre des laïcs,
incités à une fécondité plus généreuse, la continence le signe des clercs, comme une
nouvelle frontière entre profane et sacré.
Le schisme de 1054. Plus l'Église en Occident entre dans un mouvement de réforme
qui passe par le développement d'une autorité pontificale incontestée, plus le fossé se
creuse avec Constantinople. Il naît de différences liturgiques minimes : le patriarche
Michel Cérulaire reproche aux Latins de communier avec du pain azyme et de jeûner
les samedis de Carême. Il fait fermer les églises de Constantinople où se pratique cette
liturgie latine (1053). Le pape Léon IX répond par un appel à l’unité et l’affirmation
de la primauté du siège romain. Juste avant de mourir (1054), il envoie trois légats à
Constantinople, qui sont reçus avec honneur par l’empereur Constantin Monomaque,
mais qui offensent le patriarche par une série de manquements à l’étiquette et par leur
ton accusatoire (notamment contre le mariage des prêtres byzantins = ça, c’est typique
du climat « réforme grégorienne »). Michel Cérullaire refuse de discuter avec eux. Les
trois légats déposent donc sur l’autel de Sainte-Sophie une bulle d’excommunication
du patriarche et de ses partisans, puis quittent Constantinople avec le soutien de
l’empereur. Michel Cérullaire s’émeut et excommunie réciproquement les légats.
C’est donc une querelle de personnes, sans aucune opposition réelle sur le fond, sans
implication directe de la papauté (Léon IX est mort). Mais le début d'un schisme qui
dure encore! Peut-être devenu irréconciliable à cause de la prise de Constantinople par
les Latins en 1204.
Chapitre 6
Le monde à l'aube du XIIIe s.
I- Du temps des principautés à la naissance de l'Etat capétien 1- le temps des
principautés en Occidenta. la permanence d'un système de gouvernement carolingien
au déb. Xe s.Après la mort de Louis le Pieux (840), l'empire carolingien est gouverné par plusieurs rois frères, oncles et cousins, dont un seul porte le titre d'empereur. L’Eglise encourage ce qu’elle appelle le régime de "confraternité" : à la place de l’unité acquise par un souverain dominant (Charlemagne), l'empire devient une confédération de régions, de sous-royaumes, dirigés par des frères condamnés à s’entendre l’émiettement de l’empire n’est donc pas la fin de la dynastie, au contraire : il reste des souverains carolingiens partout, ou presque, y compris après la mort du dernier Carolingien à régner sur tout l'empire, Charles III le Gros en 888. À cours terme, on peut alors avoir le sentiment de voir exploser l'empire: - permanence d'un royaume de Provence (né en 879, voir Boson)- création d'un royaume de Bourgogne transjurane avec Rodolphe Ier - création éphémère d'un royaume d'Aquitaine autour de la famille des comtes de Poitou mais tous ces royaumes fondent sur la légitimité carolingienne leur droit à l'existence: Arnulf, roi de Germanie; Rodolphe;
Charles le Simple en Francie occidentale; Louis l'aveugle en Provence, fils de Boson: Boson
est devenu en 870 le comte de Vienne, en remplacement de Girard. Il gouverne la Provence
au nom de Charles le Chauve, qui a épousé sa sœur Richilde. Il a lui-même épousé une fille
de Louis II d’Italie, empereur, Ermengarde. Donc ce n’est pas littéralement un carolingien,
mais il s'approche le plus près possible de la famille, par les femmes. C'est au nom de la
filiation carolingienne qu'Ermengarde réclame pour Louis le titre impérial et le trône de
Germanie. b. mais un nouveau rôle pour l'aristocratieS'il y a pourtant une nouveauté dans ces espaces, c'est la définition d'un nouveau pouvoir royal: basé sur le droit électif et plus sur l'hérédité seule. C'est en Francie occidentale que ces deux principes s'affrontent le
plus expressément entre Eudes (888-898) et Charles le Simple (895-929). Ce Charles, fils
posthume de Louis le Bègue, soutenu par l’aristocratie austrasienne, est sacré à Reims en 893
(sa majorité). Eudes, soutenu par l’aristocratie neustrienne (les Robertiens) est le fils aîné de
Robert le Fort (m. 866), marquis de Neustrie; comte de Paris, il a défendu la ville contre les
Normands (884-885), avant de recevoir le même honor que son père: marquis de Neustrie 885,
abbé de Saint-Martin de Tours. Il est élu et sacré roi à Sens par Gautier, archevêque de Sens,
le 29 février 888. Eudes reçoit le soutien d'Arnulf, roi de Germanie. Il reste au pouvoir, contre
Charles le Simple, jusqu'à sa mort en 898. Tout le Xe s. est l’histoire de l’alternance
Robertiens/Carolingiens: les Robertiens Robert (922-923) qui est le frère d'Eudes et Raoul
(923-936) son gendre laissent le trône aux carolingiens Louis IV d’Outremer (936-954),
Lothaire V (954-986), Louis V (986-987), qu'ils gardent cependant sous une forme de tutelle
plus ou moins pesante: Louis IV d’Outremer est rappelé sur le trône par le fils de Robert,
Hugues le Grand! (m. 956) qui mène ensuite contre lui une politique hostile: il l’encercle
(alliance avec Herbert II de Vermandois ; avec Guillaume Longue épée fils de Rollon en
Normandie ; avec Otton Ier
dont il épouse la sœur Hadwige). Hugues Capet est le fils
d’Hugues et d’Hadwige. Après une éclipse (difficultés de 956 à 960) il reprend la position
dominante de son père et le titre de "duc des Francs" qui en fait le second dans le royaume
après le roi. Quand Louis V meurt de façon très inattendue (21 mai 987), l’assemblée réunie à
Senlis élit Hugues Capet pour le remplacer. C'est le début, très fragile, conçu comme une
solution d'attente, de la dynastie capétienne. c. les principautés L'évolution politique majeure est donc celle d'une association plus étroite de grandes familles aristocratiques aux pouvoirs régaliens qui étaient restés ceux des seuls carolingiens. Dans certains espaces, qu'on appellera des principautés, des familles prennent alors le pouvoir comme des PRINCES = exercent des pouvoirs régaliens sans en prendre le titre, comme en Flandre, en Aquitaine et en Normandie:- c'est une même famille qui se transmet le titre comtal (Flandre) ou ducal (Normandie; Aquitaine) par voie héréditaire, sans intervention royale (alors que le titre est d'abord un honor!)- dans ces régions, cette famille contrôle abbayes et évêchés; mène une politique diplomatique autonome; lève l'armée- l'attitude d'une principauté n'est pas nécessairement hostile au gouvernement royal: o l'Aquitaine est indépendantiste et rebelle à l'autoritéo mais la Normandie est une création royale consentie (Saint-Clair sur Epte 911)o et la Flandre au XIe s. est la meilleure alliée du royaume capétien les principautés caractérisent le gouvernement de l'ouest de l'ancien empire carolingien (Francie occidentale) où un pouvoir royal affaibli doit tolérer ces régions + autonomes puis les rattacher + étroitement au royaume au cours du XIIe s. C'est l'évolution inverse qui se produit à l'est où un pouvoir central fort se recrée autour des dynasties ottoniennes (919-1002) puis salienne (1002-1138) qui limite la création de duchés nationaux (Bavière) aux Xe et XIe s., avant d'en
faire des structures de gouvernement indispensables au XIIe s. 2- Les Normandsa. des
envahisseurs Depuis les années 800 en Frise, 840 en Francie de l’Ouest, des hommes venus de Scandinavie,
surtout Danois. Technique de la razzia saisonnière : voies fluviales (Seine, Loire, mais aussi
delta du Rhône à la fin du IXe s.), butin, politique de la terreur : d’autant plus efficace que les
attaques normandes sont relayées par les auteurs les plus prolifiques, et les plus portés à
l’interprétation providentielle, les moines. Cibles privilégiées : monastères, villes sans
murailles. Montée en puissance d’une défense locale :
L’autorité royale fait face avec difficulté : fortifications efficaces sous Charles le Chauve (édit
de Pîtres, 864). Combats en face à face dont les rois tirent un grand prestige (882, Louis III de
Francie occidentale et le Ludwigslied). Mais souvent tribu : 7000 deniers d’argent prélevés
« au cas où » par Charles le Chauve en 877 avant de quitter le royaume. Variante :
autorisation par Charles III le Gros d’aller piller la Bourgogne pour détourner les Normands
de Paris en 887. L’autorité locale est mieux armée pour assurer la défense des villes et des
abbayes : prestige de Robert le Fort, marquis de Neustrie, comte d’Angers, qui meurt
héroïquement à la bataille de Brissarthe en 866 et pare ses descendants (Eudes et Robert)
d’une légitimité de « défenseurs de la patrie ». Réactivée quand Eudes défend Paris en 886.
Contribue à discréditer l’autorité royale au profit de l’autorité princière locale. C’est ce
qu’affirme Foulques, archevêque de Reims en 893 : on ne peut pas choisir en 888 un autre roi
que le roi qui sait se battre, Eudes.
b. création de la Normandie ducale (fin IXe-X
e s.)
En Angleterre, les Danois s’installent dans le Nord entre 866 et 886. Après une période de
statu quo, ils finissent par faire de ce Danelaw (royaume danois d’Angleterre) la base d’une
conquête totale de l’île : le royaume de Sven réunit en 1013 sous une autorité unique royaume
anglo-saxon et Danemark.
En Neustrie, Rollon installent ses hommes, avec l’accord du roi carolingien Charles le Simple,
entre Rouen et Evreux, selon les termes du traité de Saint-Clair-sur-Epte (911) : les Normands
jouissent du droit d’installation, en échange d’une reconnaissance de la souveraineté du roi
sur la Normandie et d’une promesse de conversion.
Après Rollon, stabilité de la Normandie : toujours fidèle aux Robertiens-Capétiens, toujours
chrétienne, bonne intégration dans l’espace franc (disparition du norrois comme langue
vernaculaire dès Xe s. au profit d’un franco-normand), transmission héréditaire du titre de duc
des Normands parmi les héritiers de Rollon [Guillaume Longue Epée ; son fils Richard Ier
,
son fils Richard II, son fils Richard III puis passage à Robert le magnifique, frère de Richard
III en 1027, qui meurt en 1035 en laissant un unique fils illégitime, Guillaume « le bâtard »
notre Conquérant).
c. conquête de l'Angleterre (XIe s.) Les prétendants anglo-saxons au trône d’Angleterre chassés par les Danois en 1013-1017
(conquête de Sven puis de son fils Cnut), ont trouvé refuge en Normandie Ŕ parmi eux le
jeune Edouard, héritier du trône, dont la mère est une Normande Emma - et encouragent le
duc de Normandie à une première conquête de l’Angleterre danoise au cours des années 1020.
La tentative est un échec et c’est à cause de dissensions danoises qu’un dernier roi anglo-
saxon monte sur le trône en 1042, Edouard le Confesseur. À la mort du roi Edouard le
Confesseur, Guillaume revendique son héritage et se heurte à l’autre prétendant, Harold
Godwinson, qui se fait couronner. Guillaume passe la mer, et remporte la bataille de Hastings.
Harold meurt, Guillaume le Conquérant est couronné le 25 décembre 1066. Témoignage
contemporain, la tapisserie (broderie) de Bayeux, réalisée (?) à Cantorbéry à la demande de
l’archevêque = un document d’auto-justification des Normands par démonstration de la
trahison d’Harold. Guillaume gouverne l’Angleterre « anglo-normande » jusqu’à sa mort en
1087, en donnant au pays le premier recensement, le Domesday Book (1086) qui témoigne de
l’important bouleversement causé à la société anglo-saxonne : partout, une société strictement
féodale normande a été importée, avec une aristocratie francophone. La conquête normande
est le point de départ de l’empire Plantagenêt qui s’étend au XIIe s. sur Angleterre +
Normandie + Poitou + Anjou + Touraine + Aquitaine.
En Italie, ce sont aussi des Normands, sous le commandement de Robert Guiscard, qui
s'imposent: Robert est reconnu par le pape comme duc de Pouille (Italie du sud) après 1059,
sur des terres qui appartenaient "normalement" à Byzance. Il achève la conquête de l'Italie
byzantine en 1071 (prise de Bari) et menace l'empire byzantin après son débarquement à
Dyrrachium (1081). Seule l'alliance avec les marchands vénitiens et la mort de Robert (1085)
permettent à l'empereur d'éviter la chute de Thessalonique.
3- Un Etat capétien? a. La création d'un royaume de Louis VI à Philippe Auguste
(1180-1223) Quand Louis VI (1108-1137) et son fils Louis VII (1137-1180) se succèdent, ils ne sont guère
maîtres que d’un domaine réduit, autour de la Seine (Mantes et Melun), de la Loire (Bourges
et Orléans), de l’Aisne (Senlis, Corbie, Laon). Le témoin de leur règne, l’abbé Suger (1081-
1151) auteur d’une Vie de Louis VI, les montre efficaces contre les seigneurs voisins par des
campagnes incessantes. Surtout, les rois revendiquent d’être considérés comme
l’aboutissement normal d’une pyramide féodale et réclament l’hommage de ceux qu’ils ne
contrôlent plus : Henri II d’Angleterre doit par exemple prêter hommage à Louis VII en 1169,
au titre des terres qu’il possède en Bretagne. De même, Philippe Auguste réclame du roi
d’Angleterre Jean sans Terre l’hommage pour la Normandie (1194), saisit ses terres en 1202
pour défaut de justice (seigneur de Lusignan) et envahit la Normandie (1202-1204). En 1213,
le nouveau comte de Toulouse Simon de Montfort [qui est intervenu au nom de la croisade
albigeoise mais est un baron d’Ile de France] fait hommage de son comté à Philippe Auguste.
C’est préparer l’annexion, sous Louis VIII (1223-1226) des marges du comté de Toulouse
(Carcassonnais et Baucaire) de Raymond VII. Louis IX encore en 1259 utilise l’investiture
féodale pour calmer les ambitions de Henri III d’Angleterre (1216-1272) : il lui cède la
Guyenne, Cahors, Périgueux, à condition que l’Anglais reconnaisse que Louis est son
seigneur pour la Normandie, la Touraine, le Maine, le Poitou. La pratique est soutenue par le
développement d’une pensée politique stimulée par Jean de Salisbury (1120-1180),
Policraticus : il existe un Etat, comme il existe une Eglise, et chacun doit agir dans le corps
politique au service du bien commun, sous l’autorité du roi.
Les Capétiens utilisent la politique matrimoniale
- le mariage de Louis VII avec Aliénor d’Aquitaine (1137) fait de l’Aquitaine un bien
de la couronne= tout le sud de l Loire jusqu’aux Pyrénées, surtout du côté du littoral
atlantique. Leur séparation et la reconnaissance en nullité du mariage en 1152 pose un
problème dangereux.
- Le mariage de Philippe Auguste avec Elisabeth de Hainaut ouvre, au terme d’une
campagne militaire qui l’accompagne, au roi l’Artois, Amiens et le Vermandois en
1185.
- Le mariage d’Alphonse de Poitiers (frère de Louis IX) avec Jeanne, héritière de
Raymond VII de Toulouse, doit ramener le comté dans le domaine royal. Ils meurent
sans enfants en 1271 (retour de croisade).
- Le mariage de Charles d’Anjou (frère de Louis IX) avec l’héritière des comtés de
Provence Béatrice lui ouvre les portes du midi (et de l’Italie : il est couronné roi
d’Italie, contre les intérêts des Hohenstauffen en 1265).
- Le mariage d’Henri III comte de Champagne avec une fille de Louis IX (Blanche
d’Artois) devrait apporter la Champagne au domaine royal= effective quand Jeanne,
fille du couple, épouse Philippe IV le Bel
b. la création d'un Etat de Philippe Auguste à Louis IX (1226-1270) Le roi PhAug créé une administration de professionnels recrutés dans l’Université : il refuse
de nommer un chancelier (qui serait le chef de son administration) mais prend un simple
« garde du sceau », refuse le sénéchal à la mort de Thibaut de Blois en 1191 et s’entoure de 20
clercs spécialisés Ŕ pas des nobles ; de même pour Louis IX qui s’entoure de bons conseillers,
des « intellectuels » mais pas des grands comme Robert de Sorbon son chapelain ou Etienne
Boileau, tout petit noble prévôt d’Orléans que le roi fait prévôt de Paris en 1261 pour ses
qualités. Le roi gouverne depuis une capitale, Paris, dans un château, le Louvre (construit
1190’s) avec un service d’archives permanent. Il recrute des spécialistes de droit dans
l’Université d’Orléans. Sur les terres du domaine royal, PA invente les baillis, dans le sud,
des sénéchaux, des inspecteurs et des juges, chargés de mission bientôt fixés à demeure dans
une circonscription où ils représentent la continuité de l’Etat et perçoivent les impôts.
Les premiers Capétiens encouragent l’idée d’une monarchie sacrée : soit en développant
la croyance qu’ils sont saints eux-même (Robert le Pieux), soit qu’ils sont protégés de Dieu
(Philippe Auguste et Bouvines, contre le comte de Flandres et l’empereur en 1214), soit qu’ils
soient croisés (Louis VI en 1146 pour la 2e croisade, échec militaire, succès d’estime en
France pour un roi qu’on trouve bien religieux ; Louis IX, pour la croisade de 1248 à 1254 qui
fait suite à la chute des Etats latins et de Jérusalem en 1244 ; en 1270 encore, où il trouve la
mort en Tunisie).
Ils développent un Etat de droit : les premiers Capétiens assistent à la renaissance du
droit romain (redécouverte du CIC au XIIe s., oublié au profit des abrégés de Code
théodosien), ils font mettre par écrit le droit privé (Très ancienne coutume de Normandie fin
XIIe s.). LIX vérifie par une grande enquête en 1247 que le droit règne partout : il entend les
plaintes portées contre l’alourdissement de l’administration royale. L’ordonnance de 1254
fustige l’accaparement du pouvoir au service de familles : elle débouche sur une mobilité
accrue des baillis pour qu’ils représentent bien la res publica et pas leurs intérêts personnels.
À partir de 1254, on enregistre systématiquement les Parlements, c'est-à-dire les jugements
rendus par la cour lors des sessions judiciaires = reconnaissance du droit de la cour d’être une
cour d’appel ; importance de l’enregistrement dans la rationalisation ; nécessité de
professionnels du droit à la cour ; naissance des enquêtes judiciaires l’emportant pour preuves
sur le duel (interdit en 1261). Le port d’armes est prohibé (pour nobles aussi) par LIX.
c. dans un contexte d’expansion économique urbaineIl y a un décollage économique qui
part des régions méridionales dès le Xe s. Puis XIIe s. = Attestations de défrichements, les
essarts, surtout quand ils sont organisés d’une façon centralisée, par les grands ou les
monastères : fondation des sauvetés dans le Midi, des Villeneuves, des bourgneufs, avec des
statuts attirant la main d’œuvre (liberté). Les défrichements accompagnent une certaine
hausse des productions, voire des rendements. Ils durent jusqu’aux années 1250.
Essor urbain en parallèle, reposant sur l’importance économique croissante des villes
(marchés) et garanti par une reconnaissance institutionnelle : les bourgeois prennent
conscience d’eux-mêmes, ont l’habitude de liens professionnels (confréries, etc.) et
revendiquent une certaine autonomie politique. C’est la commune, fondée sur un serment des
habitants entre eux (assistance mutuelle) = un nouveau lien social possible, entre égaux, et pas
entre seigneur et vassal ! C’est ce qui est juré à Noyon vers 1106, entre clercs, chevaliers et
bourgeois. Ailleurs, les villes obtiennent seulement des chartes de franchise : elles sont
reconnues comme des personnes morales douées de privilèges par le seigneur ou le roi (mais
sans serment d’assistance mutuelle). Dans le sud, cette « prise de conscience urbaine »
s’exprime par la naissance des consulats : des « maires » - 2 ou 4 Ŕ qui sont choisis dans la
petite noblesse locale.
Les villes gagnent d’autant + en importance qu’elles deviennent des villes de foire : dans les
Flandres (Lille, Bruges), dans le comté de Champagne (Troyes, Bar-sur-Aube, Lagny,
Provins), à Paris (Les Champeaux, de PA en 1181 = un marché permanent là où ont été les
Halles), la foire annuelle du Lendit (24 juin) à Saint-Denis. Les foires de Champagne attirent
un CM international (Flandres Italie).
Des écoles apparaissent avec la « Renaissance du XIIe s. », lieux d’enseignement itinérants,
sous la responsabilité d’un maître privé, mais sous autorité ultime de l’évêque diocésain : la
science quitte les monastères où les Carolingiens l’avaient cantonnée pour entrer en ville.
Ecoles de Reims, Chartres, Paris, Tours, Orléans. Les maîtres (Pierre Abélard, Pierre le
Mangeur) s’agitent autour de la philosophie aristotélicienne : il est possible (et permis ?) de
faire de la dialectique la voie de connaissance (y compris de Dieu). C’est le principe
d’enseignement de Thomas d’Aquin (m. 1274) maître incontesté de son vivant. Puis
reconnaissance par la papauté (Célestin III, 1174) de l’existence d’une « Université » à Paris
= une corporation urbaine des maîtres et des élèves jouissant de privilèges en commun.
Quatre facultés dans cette Université : arts libéraux, puis théologie, médecine et droit, mais
pas de lieux fixes, en dehors des Collèges (internats pour étudiants qui sont répartis en nations,
Français, Anglais, Picards et Normands) qui sont des fondations pieuses bientôt des lieux
d’enseignement (après 1300). Parmi les privilèges, celui de dispenser la licentia docendi =
licence d’enseigner à ceux des étudiants reconnus aptes par leurs maîtres = hors autorité du
diocésain ! C’est désormais sous cette forme que la vie intellectuelle éclot : à Orléans et
Bologne en droit, à Oxford, à Montpellier et Toulouse en arts…
II- Les divisions du monde abbasside 1- Les Abbassides sunnites
En 749, un nouveau calife est acclamé dans la mosquée de Kûfa : c’est Abu I-Abbâs, un
descendant de l’oncle du Prophète al-Abbâs. Il mène une guerre contre le calife omeyyade
Marwan II, battu à la bataille du Grand Zab (750). Tous les Omeyyades sont massacrés, sauf
un qui s’enfuit vers l’Espagne. Abu I-Abbâs se présente comme le seul calife légitime au nom
d'une succession prophétique dynastique. Du fait des conditions de cette prise du pouvoir, les
califes abbassides vont gouverner en accentuant leur caractère d’héritiers du Prophète, ce qui
augmente leur rôle religieux : le calife prend le titre de Prince des croyants, il doit diriger la
prière du vendredi, lutte contre les hérésies, est gardien du dogme. Héritier du Prophète, il
garde son manteau, son bâton et son sceau. Il est sacralisé jusque dans l’étiquette de la cour
qui se solennise : on doit au calife l’équivalent de la proskynèse, il reçoit caché derrière un
rideau, il fixe sa résidence en plein désert, puis à Bagdad, dans un palais impénétrable.
Néanmoins, le calife abbasside doit rester dans les limites religieuses de la tradition. Quand le
juriste al-Mawardi énumère les devoirs du calife abbasside (début XIe s.) dans un texte
programmatique célèbre et peu appliqué, il parle du « maintien de la religion selon les
principes fixés et ce qu’a établi l’accord des plus anciens musulmans ». En matière de dogme,
le calife abbasside est donc limité par le principe d’idjmâ : en cas de situation non prévue par
le Coran ou par la tradition, le consensus, l’accord de la communauté, doit guider
l’interprétation = le calife ne peut donc pas innover mais conserver. C’est une limitation au
nom de la sunna de l’autonomie de décision qui est reconnue a contrario aux dirigeants
chiites : les califes fatimides (à partir de 970-980) revendiquent le droit des califes à décider
en matière de dogme, à cause de leur définition du calife comme le mahdi, l’envoyé
messianique, chargé de rétablir la vraie religion. De ce fait, les Fatimides jouissent d’une plus
forte autorité : ils affirment par exemple que seul le calife peut choisir son successeur, avec
inspiration divine. Tout en jouissant du prestige héréditaire aussi (descendants d’Ali !).
Les Abbassides à leurs débuts tentent de ne pas faire les mêmes erreurs que les califes
omeyyades : ils écartent de leur administration les élites uniquement arabes et s’appuient pour
prendre le pouvoir sur des hommes du Khurâsân (approximativement Iran), surtout des
mawalis. Plus tard (IXe s.) et Hârûn al-Rashid, ils enrôlent dans leur administration des
iraniens chiites. Mais plus le pouvoir est défini par sa nature religieuse, plus le calife s’isole
de la politique et de l’administration. Rôle des vizirs : les chefs des bureaux, c'est-à-dire le
responsable n°1, le ministre de l’intérieur. L’époque abbasside est celle de l’apogée de la
bureaucratie, par le nombre de ses fonctionnaires et son efficacité. Mais ces vizirs peuvent
confisquer la réalité du pouvoir (notamment parce qu’ils dirigent le fisc), comme c’est le cas
au début du Xe s. Rôle surtout des émirs : le calife cesse avec les débuts du IX
e s. de mener
les troupes au combat ; il engage des professionnels (les émirs) et des mercenaires pour
remplacer les troupes fidèles, mais trop proches des cercles du pouvoir du Khurâsân = des
esclaves turcs. On voit donc apparaître en 936 le titre étonnant d’ « émir de tous les
croyants », porté d’abord par le chef militaire de Basra, puis adopté par une dynastie shi’ite
qui contrôle militairement le calife à Bagdad même : ce sont les émirs bouyides ou Bûyides,
de 945 à 1055 qui exercent leur protectorat sur les califes abbassides et prennent bientôt en
plus du titre de vizirs, celui de soultân, d’origine iranienne. La cohabitation n’est pas
mauvaise entre ces deux pouvoirs et rappelle un peu la répartition des tâches entre maire du
palais et roi mérovingien : le calife incarne la continuité et la légitimité du pouvoir, c’est en
son nom que les fonctionnaires sont nommés, il est la garantie religieuse du système ; le
sultan est le détenteur de l’autorité et de la force. MAIS paradoxe: ces sultans sont chiites et
iraniens!
La fin de la dynastie abbasside est enfin marquée par la prise du pouvoir paradoxale des
Seldjoukides, mercenaires turcs qui conquièrent Bagdad en 1055 : ils ont beau jeu de se
présenter comme les seuls défenseurs de l’orthodoxie puisque les califes ont laissé les iraniens
shiites exercer le pouvoir et ont pratiqué une politique de grande tolérance vis-à-vis du
chiisme depuis 945.
les califes abbassides ont été pris entre deux extrêmes, la théocratie fatimide (qu’ils
refusent au nom de la tradition) et l’hétérodoxie chiite (qu’ils tolèrent par faiblesse).
2- Les Fatimides et l’indépendance de l’EgypteL’élimination d’Ali a laissé des
mécontents nombreux. Les chi’ites ont été opprimés par les sunnites, Omeyyades puis
Abbassides, qu’ils considèrent comme des califes usurpateurs. Ils ont donc développé une
religion plus clandestine, qui a des implications politiques majeures. Pour les shi’ites, seuls
les descendants de Fatima et d’Alî sont des califes légitimes. Puisque ‘Alî et son successeurs
Husayn sont morts (Husayn à Kerbelâ), leur pouvoir, leur puissance ne peut pas avoir disparu
avec eux : il existe sûrement un chef qui a reçu leur inspiration divine et qui reviendra pour
guider les croyants. On parle du mahdî, ou imâm caché, un guide et pas un calife, un guide de
droit divin, infaillible, qui se manifestera quand les temps seront accomplis. Chez certains
chi’ites, cette doctrine reste discrète et non violente. Chez d’autres, dont les ismailistes ou
ismaéliens, elles débouchent sur une religion vraiment messianique (on attend celui qui doit
revenir) et ésotérique : il existe un sens caché à tout, en particulier au Coran, et les vrais
croyants sont des initiés à qui ce sens ésotérique est révélé. Ces ismailistes forment des
missionnaires, au sein d’une véritable organisation secrète. Dans un cas unique, ils ont de plus
réussi leur conquête du pouvoir.
Les Fatimides sont des chiites ismaéliens qui commencent leur conquête du pouvoir en
s’emparant de l’Ifrîqiya (Tunisie et est de l’Algérie) entre 893 et 904. C’était un moyen sûr
d’accumuler les moyens d’une conquête plus large : en Afrique du nord, ils levèrent des
impôts lourds et contrôlèrent les routes caravanières qui apportaient du sud vers le nord l’or
du Soudan et les ressources du Sahara. Dès 970, les Fatimides purent alors conquérir l’Egypte,
grâce à un esclave d’origine slave qui dirigeait les troupes, Djawhar. Ils y fondent la ville du
Caire où le calife fatimide s’installe. Ils élargissent leur domination à la Syrie dès 978. Des
chefs locaux reconnaissent leur pouvoir comme ceux d’Alep. Ils profitent d’un essor
économique considérable, et de l’intensité du trafic maritime grâce aux villes italiennes de
Pise, Amalfi, Venise, qui commercent avec Alexandrie comme avec Constantinople.
3- L’indépendance du califat de Cordoue
Al-Andalus est entrée dans son apogée au IXe et X
e s., au point de se sentir en mesure de
proclamer un califat autonome, strictement sunnite, comme une réponse aux califes fatimides
qui menacent al-Andalus de l’autre côté de la Méditerranée : c’est ce que fait ‘Abd al-Rahman
III (912-961). En théorie, l’émir de Cordoue n’est qu’un représentant local du califat. En
vérité, il est le descendant des califes omeyyades, il incarne en Espagne la légitimité sunnite et
profite de la crise fatimide pour achever de rendre l’Espagne indépendante. Curieusement, au
moment où le nouveau calife semble au sommet de sa puissance, il connaît la même évolution
qu’à Bagdad : après le règne d’Abd al-Rahman III, un premier ministre (on dit en Espagne un
hâdjib) gouverne au nom du fils d’Abd al-Rahman III, al-Hâkam (961-976) : le pouvoir
califal se divise, et ne représente plus qu’une autorité religieuse. C’est le premier ministre,
surnommé al-Mansour, « le Victorieux » (fin Xe s.) qui s’occupe de la dimension militaire du
règne ce qui permet au califat de ne rien craindre des royaumes chrétiens du nord : on lui
attribue 57 expéditions victorieuses contre les chrétiens. Il assure la domination de l’Espagne
musulmane jusqu’à la disparition du califat de Cordoue en 1031. Cordoue sert alors de centre
intellectuel de premier plan : il est possible que la bibliothèque du calife ait regroupé 400 000
ouvrages. Un recensement, cité par l’historien contemporain Ibn Hawqal, énumère 471
mosquées et plus de 80 000 boutiques, ce qui est très certainement exagéré mais souligne
assez la fascination que pouvait exercer Cordoue, seule ville capable selon Ibn Hawqal
toujours, de rivaliser avec Bagdad.
III- Un siècle d’expansion occidentale 1- La reconquista
Depuis la conquête musulmane de l’Espagne wisigothique, l’idée d’une nécessaire reconquête
chrétienne s’est développée : cette reconquista, qui est un mythe ou un idéal avant d’être une
réalité, implique la pratique d’une guerre au nom de Dieu, pour rétablir la souveraineté de rois
chrétiens sur tous les habitants de l’Espagne (et pas leur conversion). Elle est impossible
jusqu’au XIe s. et l’éclatement du califat en une 20aine de royaumes concurrents, les taifas :
les chrétiens peuvent alors connaître leurs premiers grands succès avec le roi Sanche III le
grand (1004-1035) ; et la prise de Barbastro (1064). La Reconquête du XIe s. s’appuie sur :
- la naissance de la chevalerie espagnole (naissance d’une classe qui acquiert des
privilèges par le métier des armes)
- importation de chevaliers français
- l’encouragement de la papauté qui définit en 1101 la guerre en Espagne comme une
croisade
- des symboles comme le sanctuaire de Saint-Jacques de Compostelle : le tombeau de
l’apôtre Jacques, lieu de pèlerinage réputé dès le IXe s., devenu le symbole de la
Reconquête de l’Espagne chrétienne contre les royaumes musulmans après que saint
Jacques est apparu à la bataille de Clavijo en 844, l’épée brandie contre les Maures.
Détruit par Al-Mansur en 987, mais rapidement reconstruit et connaît un succès de +
en + grand en Occident. C’est le seul sanctuaire capable de rivaliser avec Saint-Pierre
de Rome.
2- La première croisade
Conquête de la Palestine par les califes fatimides chiites met au début du XIe s. un frein
sensible au pèlerinage à Jérusalem : al-Hâkim (996-1021) ordonne en 1009 la destruction des
églises de Jérusalem, dont celle du Saint-Sépulcre. La situation s’améliore péniblement au
cours du XIe s., encore que la conquête éphémère de Jérusalem par les Turcs Seldjoukides
(1076) ait plutôt aggravé le conflit latent ; mais en dépit de la création de l’hôpital Saint-Jean
en 1080 à l’initiative de deux familles d’Amalfi, capable d’abriter les pèlerins au sein d’une
ville hostile, le pèlerinage demeure une expédition périlleuse.
La croisade a été lancée par un prêche du pape Urbain II à Clermont en 1095 : prendre les
armes pour délivrer Jérusalem. Le pape décrivait la situation pitoyable des chrétiens d’Orient,
opprimés par la domination musulmane ; il réclamait pour les pèlerins le droit de se rendre
sans être menacés sur les Lieux saints. La principale nouveauté du discours réside dans
l’enrôlement de la chevalerie par l’Eglise elle-même : c’est en plaçant sur leur épaule droite
une croix de tissu que ces chevaliers montreraient le pouvoir au nom duquel ils allaient se
battre, ni un roi, ni l’empereur de Byzance, mais le Christ lui-même. Le pape désigne donc un
évêque, Adhémar de Monteil, évêque du Puy, pour mener les troupes à Jérusalem en lui
donnant, le premier, l’insigne de la croix. Les « croisés » sont appelés « pélerins », s’engagent
par vœu à rejoindre Jérusalem, leurs biens et leurs proches sont placés sous la protection de
l’Eglise : ils jouissent en somme d’un statut de clerc qui les exempte de la justice laïque. La
croisade de ce point de vue est une étape vers la reconnaissance de la chevalerie comme d’un
ordre. Les chevaliers, disciplinés au Xe s. d’une façon négative (Ils doivent restreindre leur
violence sous peine d’être marginalisés, excommuniés car asociaux.) sont réintégrés dans la
société de façon positive : leur action peut être bénie par Dieu et leur vie, militaire, sanctifiée.
La mobilisation des « troupes officielles » de la première croisade repose sur l’influence
temporelle de l’Eglise : elle est d’autant plus forte parmi les chevaliers que l’influence de
l’Eglise romaine y est vive. Les princes qui contestent son pouvoir se tiennent à l’écart du
mouvement : seigneurs du nord de la France, fidèles à leur roi Philippe Ier
qui est excommunié
pour adultère, barons de l’empire germanique dont l’empereur Henri IV est un ennemi juré du
pape.
De fait, voulue par l’Eglise, encadrée et légitimée par elle, la première croisade s’est déroulée
comme une entreprise militaire et une guerre de conquête : après la traversée de l’Occident
par des routes diverses, les barons entrent dans un empire byzantin méfiant ; Nicée est reprise
aux Turcs et abandonnée aux Byzantins (26 juin 1097) ; la victoire de Dorylée ouvre la voie
en Anatolie ; les armées s’implantent alors plus durablement en Cappadoce et en Cilicie
(Tarse), pour établir en Petite Arménie les bases arrières indispensables à leur conquête de la
Syrie. La conquête d’Antioche (1098) donne alors à Baudouin de Boulogne les moyens de
créer la première principauté chrétienne autour d’Edesse. La première croisade est une guerre
de conquête réussie : conquête de la Syrie - Antioche (1098) - Baudouin de Boulogne créé la
première principauté chrétienne autour d’Edesse ; en juin 1099 à Jérusalem. Création des
« Etats latins ».
3- L'impossible installation en Orient
À Byzance, Alexis Comnène parvient sur le trône (1081) à la faveur d'une guerre civile au
cours de laquelle l'empereur byzantin a utilisé des mercenaires turcs et normands. Ce XIe s.
comnène est celui d'une influence majeure des Latins en Orient: les relations commerciales
sont extrêmement favorables aux Italiens (traités bilatéraux qui rompent avec l'isolationnisme
byzantin traditionnel), la première croisade est convoquée à la demande d'Alexis Comnène,
les empereurs épouse des princesses latines (Marie d'Antioche pour Manuel); mais après 1185
(renversement des Comnènes au profit des Anges), la xénophobie l'emporte: après
l'arrestation de tous les Vénitiens et la confiscation de leurs biens (1171), massacre des Latins
de Constantinople en 1182, inertie de l'empereur au moment où Saladin reprend Jérusalem en
1187 puis négociations du même empereur (Isaac Ange) avec Saladin au moment où il voit le
projet de 3e croisade se profiler: a peur de cette coalition majeure de Frédéric Barberousse,
Ph.Aug. et Richard Cœur de Lion. La 3e croisade a pour premier effet le pillage des Balkans.
Constantinople était peut-être l'objectif de Frédéric quand il meurt en 1190. Dès 1198, pape
Innocent III prêche une 4e croisade. C'est celle qui est la plus dévoyée, puisque les croisés
acceptent, contre l'avis du pape, de prendre parti entre deux empereurs byzantins possibles,
Alexis III et Alexis son neveu: débarquement des croisés en 1203 devant Constantinople
contre Alexis III, occupation de la ville, qui devient bientôt insupportable aux
Constantinopolitains, et incendie, massacre, pillage de 1204.
fin de l’empire byzantin classique, qui renaît sous forme de principautés sous influence
latine.