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Chapitre 1 Définir le Moyen âge Séance 1: Une définition? quand commence le Moyen Age Prononcer « Moyen Age » éveille une série d’images précises chez la plupart d’entre nous : les châteaux forts bien sûr, les chevaliers, voire les croisades, et la mythologie afférente, dragons, fées, enchanteur Merlin, Mélusine, c’est tout un réseau d’images faciles à mobiliser que le Moyen Age suscite, au point d’être utilisé comme un décor commode : le Seigneur des Anneaux comme Harry Potter profitent de l’imaginaire médiéval qui séduit lecteurs et spectateurs. Ce n’est pas élitiste - les Schtroumpfs, avec sorcier, sort, enchanteur ou Ivanoë le bon chevalier, sans parler de Thierry la Fronde ou Robin de Bois -témoignent d’une popularité de la période Ŕ et ce n’est pas nouveau : dès l’ère victorienne, début du XIX e s. en Angleterre, on s’est plu à retrouver avec le Moyen Age une esthétique gothique qui inspire l’architecture Ŕ gothique devient alors un épithète mélioratif, alors qu’il signifie proprement ce qui appartient aux Goths, donc ce qui est barbare ! - ou des thèmes iconographiques exploités par les Pré-Raphaëlites. En France, le même XIX e s. mais dans sa version tardive et républicaine, puise dans le Moyen Age les motifs dont il orne le Panthéon : il faut voir la fresque de sainte Geneviève au Panthéon pour apprécier la récupération, par la Troisième République, d’épisodes mérovingiens, mis au service de l’exaltation d’une histoire nationale glorifiée. Pourtant, alors même que la période semble ainsi avoir un contenu clair, et positif, pour beaucoup, l’existence même de la période Moyen Age n’a rien d’une évidence. Disons plutôt qu’il s’agit d’une construction, pas d’une donnée brute, et qu’en délimitant une période on définit son contenu. D’où notre problème initial : comment définir le Moyen Age, en particulier en lui donnant un point de départ, une origine. Deux remarques préalables : - 1) le terme de Moyen Age n’a pas de sens en dehors de l’Europe, et surtout de l’Europe occidentale. L’histoire de la Russie par exemple commence au moment où un peuple nouveau (d’origine scandinave ou pas) s’est installé autour de la ville de Kiev, qui lui ouvrait la route commerciale de la Mer Noire vers Constantinople. La prise de Kiev par le prince Oleg date de 882, date fondatrice donc de l’histoire de la Russie, bien que certains préfèrent celle du baptême de la même Russie, sous influence byzantine, en 988. Dans l’un et l’autre cas, le terme de « Moyen Age » à l’occidentale ne signifie rien, en 882, l’empire carolingien, qui meurt avec Charles le Gros en 888, est déjà moribond. Sans aller chercher les exemples japonais ou chinois ici, on doit remarquer que l’histoire de l’islam elle-même entre mal dans nos catégories : la date absolue, le point de départ de l’histoire de l’islam, est celle de l’Hégire en 622, c'est-à-dire de l’exil de Mahomet et de ses partisans, de La Mecque vers Yathrib, appelée depuis Médine, la "ville du Prophète". Puis a lieu l’expansion musulmane jusqu’aux années 750 ; nos découpages chronologiques médiévaux ne rendent pas compte de cette singularité musulmane, alors que l’islam s’étend, dès les années 640 à toute l’Arabie, à la Syrie au nord, au Yémen au sud, donc à tout l’océan indien, puis à l’Egypte et à toute l’Afrique du Nord. L’Espagne elle-même est atteinte en 719 et désignée désormais dans nos sources comme al-Andalus, l’Espagne musulmane. - 2) La première définition du mot impliquait une insuffisance ; est « médiéval » ce qui n’est plus romain. C’est en effet par le biais de l’histoire de l’art que, pour la première fois, on a qualifié les 10 ou 11 siècles qui vont de la chute de Rome au renouveau du XVI e s., en notant que durant toute cette période, les canons de la beauté antique s’étaient perdus. Vasari en 1550, dans ses Vies des plus excellents peintres, serait le premier à désigner le retour à l’esthétique gréco- romaine par le terme de « Renaissance » : avant, entre Rome et la Renaissance, il reste donc 10 ou 11 siècles obscurs, barbares, malhabiles ou laids, selon les critères de Vasari, ceux du

Médiévale

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Page 1: Médiévale

Chapitre 1 Définir le Moyen âge

Séance 1: Une définition? quand commence le Moyen Age

Prononcer « Moyen Age » éveille une série d’images précises chez la plupart d’entre

nous : les châteaux forts bien sûr, les chevaliers, voire les croisades, et la mythologie afférente,

dragons, fées, enchanteur Merlin, Mélusine, c’est tout un réseau d’images faciles à mobiliser

que le Moyen Age suscite, au point d’être utilisé comme un décor commode : le Seigneur des

Anneaux comme Harry Potter profitent de l’imaginaire médiéval qui séduit lecteurs et

spectateurs. Ce n’est pas élitiste - les Schtroumpfs, avec sorcier, sort, enchanteur ou Ivanoë le

bon chevalier, sans parler de Thierry la Fronde ou Robin de Bois -témoignent d’une

popularité de la période Ŕ et ce n’est pas nouveau : dès l’ère victorienne, début du XIXe s. en

Angleterre, on s’est plu à retrouver avec le Moyen Age une esthétique gothique qui inspire

l’architecture Ŕ gothique devient alors un épithète mélioratif, alors qu’il signifie proprement

ce qui appartient aux Goths, donc ce qui est barbare ! - ou des thèmes iconographiques

exploités par les Pré-Raphaëlites. En France, le même XIXe s. mais dans sa version tardive et

républicaine, puise dans le Moyen Age les motifs dont il orne le Panthéon : il faut voir la

fresque de sainte Geneviève au Panthéon pour apprécier la récupération, par la Troisième

République, d’épisodes mérovingiens, mis au service de l’exaltation d’une histoire nationale

glorifiée.

Pourtant, alors même que la période semble ainsi avoir un contenu clair, et positif, pour

beaucoup, l’existence même de la période Moyen Age n’a rien d’une évidence. Disons plutôt

qu’il s’agit d’une construction, pas d’une donnée brute, et qu’en délimitant une période on

définit son contenu. D’où notre problème initial : comment définir le Moyen Age, en

particulier en lui donnant un point de départ, une origine.

Deux remarques préalables :

- 1) le terme de Moyen Age n’a pas de sens en dehors de l’Europe, et surtout de

l’Europe occidentale.

L’histoire de la Russie par exemple commence au moment où un peuple nouveau (d’origine

scandinave ou pas) s’est installé autour de la ville de Kiev, qui lui ouvrait la route

commerciale de la Mer Noire vers Constantinople. La prise de Kiev par le prince Oleg date de

882, date fondatrice donc de l’histoire de la Russie, bien que certains préfèrent celle du

baptême de la même Russie, sous influence byzantine, en 988. Dans l’un et l’autre cas, le

terme de « Moyen Age » à l’occidentale ne signifie rien, en 882, l’empire carolingien, qui

meurt avec Charles le Gros en 888, est déjà moribond.

Sans aller chercher les exemples japonais ou chinois ici, on doit remarquer que l’histoire de

l’islam elle-même entre mal dans nos catégories : la date absolue, le point de départ de

l’histoire de l’islam, est celle de l’Hégire en 622, c'est-à-dire de l’exil de Mahomet et de ses

partisans, de La Mecque vers Yathrib, appelée depuis Médine, la "ville du Prophète". Puis a

lieu l’expansion musulmane jusqu’aux années 750 ; nos découpages chronologiques

médiévaux ne rendent pas compte de cette singularité musulmane, alors que l’islam s’étend,

dès les années 640 à toute l’Arabie, à la Syrie au nord, au Yémen au sud, donc à tout l’océan

indien, puis à l’Egypte et à toute l’Afrique du Nord. L’Espagne elle-même est atteinte en 719

et désignée désormais dans nos sources comme al-Andalus, l’Espagne musulmane.

- 2) La première définition du mot impliquait une insuffisance ; est « médiéval » ce qui

n’est plus romain.

C’est en effet par le biais de l’histoire de l’art que, pour la première fois, on a qualifié les 10

ou 11 siècles qui vont de la chute de Rome au renouveau du XVIe s., en notant que durant

toute cette période, les canons de la beauté antique s’étaient perdus. Vasari en 1550, dans ses

Vies des plus excellents peintres, serait le premier à désigner le retour à l’esthétique gréco-

romaine par le terme de « Renaissance » : avant, entre Rome et la Renaissance, il reste donc

10 ou 11 siècles obscurs, barbares, malhabiles ou laids, selon les critères de Vasari, ceux du

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Moyen Age, ou « période intermédiaire » puisque ici « moyen » doit se comprendre comme

ce qui est au milieu, entre deux périodes plus fastes. La première définition est donc venue

d’une interprétation polémique, destinée à justifier une esthétique contemporaine, et venue a

posteriori. Surtout, la définition est paradoxale puisqu’elle fait du Moyen Age la période qui

aurait tourné le dos à Rome ; or, depuis une trentaine d’années, les chercheurs se sont plus à

insister au contraire sur toutes les marques de continuité entre l’empire romain et le Moyen

Age occidental : continuité des élites qui auraient survécu, toujours dans une situation

dominante, de la classe sénatoriale romaine classique à la noblesse médiévale ; continuité des

systèmes fiscaux, les Mérovingiens percevant dans l’espace franc les mêmes impôts et selon

les mêmes formes que les Romains avant eux ; continuité de la langue bien sûr, le latin, qui

permet à un clerc du VIIIe s. de lire saint Augustin (du début du V

e s.) alors que nous avons

du mal à comprendre le français de La Bruyère ; continuité des systèmes de représentation,

qui conduit Charlemagne, roi des Francs de 768 à 814, de s’intituler empereur, comme si

l’empire romain n’avait pas cessé ou pouvait renaître avec lui ; continuité aussi, fondamentale,

de la religion puisque le catholicisme, né sous l’empire romain, est toujours la religion

officielle du Moyen Age, qui s’achève en même temps que naissent les Réformes

(protestantisme, luthéranisme et calvinisme) initiées par Luther.

De ces deux remarques préalables, il faut conclure que c’est seulement à l’échelle de

l’Europe occidentale qu’on trouvera une définition cohérente du Moyen Age, sans doute parce

que c’est l’espace où la question d’une continuité ou d’une rupture avec l’empire romain se

pose avec pertinence. Deux moments de rupture avec l’empire romain, donc deux hypothèses

générales de définition, peuvent être envisagées :

- soit c’est l’adoption de la religion catholique qui marque la fin de l’Antiquité romaine,

païenne, et le Moyen Age se trouve défini comme la période de christianisation

maximale de l’Europe occidentale.

- Soit ce sont les invasions barbares qui ont provoqué la rupture la plus vive, par

l’afflux massif et brutal de populations nouvelles, et le Moyen Age se trouve défini

comme la période de suprématie de sociétés germaniques sur l’Europe, avec leurs

mœurs propres, leurs systèmes de parenté et de gouvernement : la royauté s’impose

I- Première hypothèse, historiographie jusqu'au début XXe s., le Moyen Age commence

avec les barbares et l'empire romain tombe sous le coup de la menace extérieure. 1- Le

système tétrarchique mis en place par Dioclétien (284-305)La Tétrarchie a pour but

d’assurer une meilleure défense de l’empire en affirmant que l’autorité impériale, unique, peut

être exercée conjointement par deux empereurs seniors, les Auguste, et par deux empereurs

juniors qui leur sont soumis, les César. Chacun a pour but la défense particulière d’un

territoire : Dioclétien veille sur l’Orient proche (Syrie Egypte, Asie Mineure) avec son César

Galère (Danube), tandis que l’Auguste Maximien contrôle l’Italie, l’Afrique et l’Espagne,

avec l’aide de son César, Constance Chlore, chargé de la Gaule et de la Bretagne. Traduction

religieuse : l’origine de leurs pouvoirs respectifs est attribuée par Dioclétien à Jupiter lui-

même, qui délèguerait son pouvoir à son fils Hercule, incarné par l’Auguste Maximien. Les

deux Césars sont respectivement appelés jovien et herculéen. Leur pouvoir est garanti par la

protection des dieux. Cette partition est donc institutionnelle, et conçue comme une adaptation

pragmatique et temporaire aux besoins de la défense de l’empire : néanmoins, elle recouvre

des différences plus radicales, dont l’existence de deux langues : grec et latin. 2- La rivalité

entre Orient et Occident s’est accusée à partir des invasions gothiquesÀ sa mort,

l’empereur Théodose a laissé au pouvoir ses deux fils, Honorius en Occident sous la garde de

Stilicon, Arcadius en Orient sous la garde de Rufin. Or les migrations gothiques voient

s’aggraver la rivalité entre les deux frères. Les Goths ont été bouleversés par les migrations

hunniques : les Huns, quittant l’Asie centrale, ont franchi le Don vers 370, provoqué

l’irruption des Ostrogoths et des Wisigoths, normalement installés sur les rives du Dniepr, sur

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le Danube. L’empereur Valens les a autorisés à franchir le Danube, de façon pacifique donc.

Les conditions de cette installation n’ont pas satisfait les Goths, qui se sont révoltés dès 378,

ont battu les troupes de l’empereur Valens lors de la bataille d’Andrinople du 9 août 378, où

l’empereur lui-même a trouvé la mort. Les Goths ont alors été établis en Mésie (Bulgarie

actuelle) mais en se soulevant en permanence : contre l’empire d’Orient (395-401) : À la

mort de Théodose en 395, ils mettent le siège devant Constantinople, conduits par Alaric.

Levant le siège, ils ravagent la Grèce et l’Illyricum, dont Arcadius et le préfet du prétoire

Rufin, les détournent en leur ouvrant les portes de l’Italie en 401. Contre l’empire

d’Occident (401-402)Les troupes de Stilicon sont occupées à maintenir les Alains et les

Vandales, Alaric et ses troupes peuvent aisément marcher vers Milan, où réside l’empereur. Il

est arrêté à temps par Stilicon, battu à Pollenta (402). Un traité est conclu, selon lequel Alaric

s’engage à quitter l’Italie. contre l’empire d’Orient ? (406-408)L’idée de Stilicon est alors

de retourner les Wisigoths contre l’empire d’Orient : Alaric peut être utile pour la conquête de

l’Illirycum oriental, au détriment de l’empire d’Arcadius. En 406, Stilicon passe un accord

avec Alaric pour organiser un débarquement sur les côtes d’Illyricum. Mais l’usurpation de

Constantin III en Gaule oblige Stilicon à patienter. Il est renversé par le Sénat

(408) Contre l’empire d’Occident !

Alaric assiège Rome en 409 puis met la ville à sac en 410 : trois jours de pillage et de

destruction qui achèvent de dépeupler la ville, déjà affamée par plus d’un an de siège.

L’empire grec réagit sans affolement comme en témoigne l’œuvre de l’historien grec

Sozomène, Histoire ecclésiastique, qui minimise les dégâts, annonce avec optimisme la

reconstruction de la ville, insiste sur la tolérance des Wisigoths qui ne démolissent aucun

sanctuaire catholique. L’empire latin est accablé : Augustin est conduit à commander au

chrétien Orose une Histoire en 7 livres contre les Païens (Historiarum adversus paganos libri

VII) entre 414 et 417 pour démontrer que le paganisme est responsable des malheurs du

monde en général et de Rome en particulier.

3- Les invasions germaniques Les Huns ont provoqué dans l’empire romain un bouleversement radical. Venus d’Asie, sans

doute de Sibérie, ils ont conquis les rives du Danube en 375 et arrivent sur le Rhin en 406. Ils

provoquent :

1- la fuite des Goths qui franchissent le Danube pour trouver refuge dans l’empire en

378. L’empereur Théodose signe en 382 un traité avec leur roi Fritigern, et leur

reconnaît le droit de stationner en Illyricum. C’est le début de l’implantation de

barbares sur le sol romain.

2- la fuite des Germains qui vivaient sur les bords du Rhin et qui le franchissent le 31

décembre 406 : les Vandales, les Suèves et les Alains entrent dans l’empire à la

hauteur de Mayence, provoquent l’exode vers le sud (Provence) des élites

romanisées, et s’installent ;

- les Suèves conquièrent le nord de l’Espagne actuelle

- les Vandales descendent plus au sud, jusqu’en Afrique du nord à partir de 429. Ils

conquièrent Carthage en 439.

D’autres Germains en profitent pour passer le Rhin à la hauteur de Strasbourg : les

Burgondes, les Alamans et les Francs rhénans. Les Francs sont à cette époque divisés en deux

groupes : seuls les Francs rhénans, qu’on appelait ripuaires, s’installent autour de Mayence,

Cologne et Trèves, c'est-à-dire sur le Rhin ou la Moselle, prennent part à l’invasion de 406.

En Bretagne (ie Grande Bretagne), les légions romaines se sauvent en 407, laissant les

populations celtes locales confrontées à deux vagues d’invasions :

- les Pictes du nord (Ecosse) et les Scots (de l’ouest, Irlande) qui agissent comme des

pirates et repoussent les populations bretonnes vers l’intérieur des terres

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- les Germains - Saxons, Angles et Jutes - qui entreprennent la conquête de l’île à partir

des années 450.

Les populations romaines ou celtes, christianisées, se replient donc vers l’ouest, l’Irlande et le

Pays de Galles actuels (Cornouailles) ; la Bretagne devient l’Angleterre ; vers 550, de Celtes

émigrent et s’implantent en « nouvelle Bretagne » =la nôtre.

Enfin, Attila mène les Huns ravager l’ouest de l’empire en 451 : Metz, Reims, Troie, il

évite Paris pour gagner Tours ; il est battu à la bataille des Champs Catalauniques (451), près

de Châlons sur Marne. Sa mort accidentelle en 453 Ŕ coma éthylique ? Ŕ voit l’éclatement de

son armée, qui disparaît.

Les sources romaines qui relatent ces assauts de la première moitié du Ve s. (406-451)

montrent que les contemporains éprouvent le sentiment d’assister à la fin d’un monde :

- Salvien, un clerc de Marseille, explique dans son Sur le gouvernement de Dieu, qu’il

est légitime qu’un monde nouveau naisse avec les barbares parce qu’ils sont les

véritables détenteurs des vertus romaines d’humanité, de charité, de clémence, alors

que l’Etat romain lui-même s’est perverti au point de persécuter par sa pression fiscale

en particulier, les plus faibles et les plus pauvres.

- Augustin, évêque d’Hippone, dans La Cité de Dieu, donne le cadre théologique

d’interprétation des invasions : elles ne montrent pas que le christianisme a apporté la

ruine à l’empire romain, mais au contraire, que le christianisme ne dépend pas de

l’empire, que l’Eglise peut survivre à l’empire.

Bilan? Distinguer les "invasions barbares" fantasmées de la fin du XIXe s. et les

"migrations des peuples", qui peuvent entrer au service de Rome En même temps, ces invasions ne sont pas directement la cause de l’effondrement de l’empire.

Il faut distinguer deux étapes :

- des peuples battus par les Romains sont installés par eux, avec la charge de défendre

l’empire (avant les années 470)

Exemples à connaître :

- les Burgondes. Alors qu’ils avaient fondé un royaume autour de la ville de Worms (Rhin)

depuis 413, ils sont anéantis ou presque par les Huns en 437 et utilisés par Aetius, chef

militaire romain de la Gaule : Aetius déplace les Burgondes en Sapaudia en 443, à charge

pour eux de défendre cette frontière de l’empire contre les Alamans.

- les Francs Saliens, installés en Belgique actuelle (Toxandrie) descendent vers Tournai,

Cambrai et la Somme dans les années 430-440. Ils sont alors battus par Aetius en 448, leur roi

doit évacuer les villes de Cambrai et d’Arras et un pacte est conclu : ils sont enrôlés pour la

défense de la Belgique Seconde :

> ils participent très fidèlement, sous les ordres d’Aetius, à la bataille des Champs

Catalauniques (451)

> Childéric, père de Clovis, mène ses hommes au combat contre les Wisigoths, sous les

ordres du général Aegidius (magister militum) en 453

> quand Clovis succède à son père en 481, l’évêque de Reims Remi lui reconnaît le titre

de gouverneur de la province romaine de Belgique Seconde : il n’est pas un envahisseur mais

un allié des Romains

Ces barbares-là, ces étrangers, sont la suite d’une longue pratique romaine de l’utilisation de

contingents dans ses armées depuis le IIIe s., voire d’installation de vaincus sur les frontières,

à charge pour eux de les défendre ; les lètes ou déditices. En entrant au contact de Rome, les

tribus germaniques ont ainsi été profondément transformées : elles ne connaissaient pas, avant

l’époque des migration d’organisation ethnique ou politique stable. Chaque famille était liée à

un clan familial, une Sippe, plusieurs clans formant une tribu, dirigée tantôt par un double roi

Ŕ un roi prêtre et un roi militaire Ŕ tantôt par un dux ou chef militaire. Or Rome demandait

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aux tribus de lui fournir des combattants : elle encourageait donc la création de bandes

militaires, de groupes de guerriers, et plus de clans - pour survivre aux invasions hunniques de

plus, la tribu n’a pas d’autre choix que de se militariser complètement, ce qui accroît

l’importance des chefs de guerre. Ceux-ci, qui n’exerçaient dans les tribus qu’un rôle

temporaire sont conduits à devenir des chefs permanents : les rois traditionnels se trouvent

remplacés alors par des heerkönig ou « rois d’armée ».

- ceux qui ont conclu un foedus avec Rome mais créent en fait des royaumes, comme

les Wisigoths

Au IIIe s., les Romains ont passé avec des Germains des traités, les foedera, qui établissent un

lien de sujétion entre l’empereur, qui concède le foedus et autorise l’installation d’un peuple

sur un territoire qui continue à lui appartenir, et les Germains ou autres barbares, qui reçoivent

par son intermédiaire un territoire à défendre militairement. Les foedera prévoient que les

bénéficiaires du traité pourront jouir d’un tiers des revenus fiscaux ou de la pleine propriété

des terres, les deux interprétations sont autorisées par nos sources. C’est ce qui arrive aux

deux peuples des Goths :

- les Wisigoths entrent en Narbonnaise en 413 où ils sont installés avec foedus par

l’empereur Honorius ; ils combattent en son nom les Vandales d’Espagne ; ils sont

implantés en Aquitaine en 418, avec un autre foedus. Puis Euric (466-484) conquière

en son nom l’Auvergne, la vallée du Rhône, la côte méditerranéenne. L’empereur

Julius Nepos en 476 doit reconnaître l’existence du royaume wisigothique indépendant

de Toulouse, en échange d’un retour de la Provence dans l’empire romain.

- Les Ostrogoths sont utilisés par l’empereur d’Orient Zénon comme des contingents

militaires à son service : il les envoie en 488 reconquérir l’Italie qui est gouvernée par

Odoacre (476-493). Alors que Théodoric (493-526) accomplit donc une mission, avec le titre

officiel de magister militum, il fonde en Italie un royaume wisigothique indépendant, qui dure

jusqu’à la reconquête de Justinien (535-555). Dernier exemple, le royaume indépendant de

Clovis (481-511).

On associe souvent le début du Moyen Age à la déposition en 476 de l’empereur Romulus

Augustule. De fait, après lui la dignité impériale n’est plus exercée en Occident avant le

couronnement de Charlemagne en 800, les insignes impériaux sont envoyés à Byzance.

Or c’est une date symbolique qui ne correspond à aucun changement profond. De fait, le

pouvoir politique est exercé dans l’empire romain sous la domination des « barbares » depuis

la fin de la dynastie théodosienne (378-450), voire depuis le début du Ve s. ; c’est le général

qui commande les armées « romaines » en Italie qui fait ou défait les empereurs :

- l’empereur Théodose en mourant en 395 a laissé au pouvoir Stilichon, un général

vandale, à charge pour lui de servir de tuteur au jeune empereur Honorius.

- Alaric, roi des Wisigoths, prend Rome en 410 : il a auparavant suscité deux empereurs

- Ricimer (456-472), un général d’origine suève et wisigoth, fait défiler au pouvoir à

Ravenne 5 empereurs successifs

- Odoacre, un skire, succède à Ricimer. C’est lui qui dépose Romulus Augustule en 476.

Mais Romulus n’est pas un empereur plus légitime que les 10 qui l’ont précédé : il est

lui-même le fils d’Oreste, chef des bureaux d’Attila. Odoacre gouverne l’Italie sans

discontinuer, de 472 (il remplace Ricimer) jusqu’à 493 (il est fait prisonnier puis

assassiné par Théodoric).

la définition du Moyen Age par son point de départ (476) est donc un symbole plutôt

pauvre : la barbarisation de l’empire est à la fois bien antérieure (IIIe s. pour l’armée, IV

e s.

pour la première implantation gothique dans l’empire) et moins grave que la création de

royaumes.

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II- donc, le Moyen Age naîtrait au IVe s. de l’adoption du catholicisme par l’empire

romain (menace intérieure? Faiblesse?) 1- de religion persécutée à religion officielle et

seule tolérée (= approche juridique)

Au IIIe s., l’Eglise est confrontée à des persécutions brutales, du règne de Dèce (249) à celui

de Dioclétien (284). C’est sans doute l’effet d’un climat de crise durement ressentie par les

Romains : la menace barbare se faisant très pressante, les citoyens doivent moins jouir de leur

liberté individuelle qu’ils ne doivent faire preuve de pietas, de dévouement affiché et total

envers leurs dieux. Les barbares sont partout : les Goths, pressants sur le Danube, contrôlent

la Mer Noire (on dit Pont Euxin) dans les années 250, puis envahissent les Balkans, au point

que Rome leur abandonne la Dacie (270) ; les Perses Sassanides attaquent à l’est, menacent

l’Arménie, capturent l’empereur Valérien en 260 à Edesse ; les Francs reprennent la rive

droite du Rhin et des Germains s’emparent de Champs Décumates. C’est ce rentrant qui est

formé par le Rhin et le Danube et qui a été conquis dès l’époque d’Auguste)

Face à cette situation critique, le pouvoir politique répond par une exaltation sans

précédent de la fonction impériale : l’empereur est de plus en plus radicalement

divinisé, intouchable, habillé de pourpre, salué par la proskynèse (adoration) lors d’un

cérémonial appelé « l’adoration de la pourpre », qui aurait fait frémir d’horreur un

Romain du IIe s. Cette sacralisation grandissante du pouvoir impérial, devenu absolu,

se lit dans la terminologie : de princeps (le premier, entre d’autres égaux) on passe au

dominus, le seigneur. Le paganisme impérial s’en ressent : l’empereur Aurélien

attribue à une vision qu’il aurait eue du dieu solaire d’Emèse sa victoire sur Zénobie,

reine de Palmyre, et consacre l’empire au dieu Sol invinctus, Soleil invincible, fêté le

25 décembre : un dieu unique donc, supérieur aux autres qui n’en sont que des images,

transcendant, à l’image du pouvoir impérial absolu. Constantin lui-même, en 310,

alors qu’il est seulement empereur associé en poste à Trèves, se place sous la

protection du Soleil, Sol pacator, le Soleil qui apporte la paix ; un panégyrique de 310

affirme qu’il a bénéficié d’une apparition du dieu solaire Apollon qui lui a promis un

règne de trente ans.

Un tel système politique est radicalement incompatible avec le catholicisme, d’où des

persécutions au fur et à mesure que l’empire romain se donne un pouvoir impérial plus absolu.

Dèce le premier demande par édit en décembre 249 à tous les habitants de l’empire de

sacrifier aux dieux protecteurs de l’empire, soit de l’encens, soit du vin, soit un animal. Les

magistrats doivent organiser localement les examens de paganisme et délivrer, après sacrifice,

un certificat, un libellus. De ce fait, les chrétiens, très nombreux, qui auront sacrifié aux dieux

du paganisme seront stigmatisés dans leurs communautés du nom de libellatici (qui ont acquis

sans sacrifier un certificat de complaisance), thurificati (qui ont brûlé de l’encens), sacrificati

(qui ont égorgé un animal). Le but des persécutions est de recréer une unanimité romaine,

pour le salut de l’empire : les dieux païens se vexent de n’être pas les objets d’un culte

exclusif. Elles ne sont donc pas exclusivement d’abord tournées vers les chrétiens. C’est

Valérien, entre 257 et 258, qui inaugure les persécutions contre les chrétiens, et seulement eux,

dans le but de faire disparaître la religion : tous les clercs supérieurs, les évêques, prêtres et

diacres, doivent sacrifier sous peine d’exil, puis de mort. C’est le cas de Cyprien, évêque de

Carthage, ou de Sixte, évêque de Rome, qui sont décapités. Tous les chrétiens sont interdits de

réunion, donc de culte, sous peine de mort ici encore s’il s’agit de chevaliers ou de sénateurs,

donc de membres de l’élite économique et politique de l’empire. Après une période

d’accalmie, la persécution reprend sous la Tétrarchie, en 303 : ordre de détruire les églises, de

brûler les Ecritures, de déchoir de leurs rangs et fonctions les chrétiens qui serviraient dans

l’administration impériale, puis en 304 ? obligation faite aux chrétiens de sacrifier, sous peine

de mort. Les quatre édits de Dioclétien sont appliqués avec efficacité en Egypte, en Espagne,

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en Afrique du nord, mais presque pas en Gaule ou en Bretagne ; la persécution est plus longue

en Orient qu’en Occident.

L’empire romain classique n’avait pas défini de religion officielle au sens où une unique

doctrine aurait été reconnue supérieure aux autres. L’empire utilisait en revanche le statut

juridique de religio licita : la pluralité des opinions est autorisée au nom de la liberté

individuelle, mais dans la mesure où les cultes sont compatibles avec la morale publique

romaine (refus des cultes qui s’accompagnent de prostitution rituelle, ou de mutilations). Le

judaïsme est depuis le Ier

s. reconnu comme religio licita. La nouveauté de l’empire chrétien

est donc d’imposer une unique religion comme religion de l’empire, pas seulement au niveau

des pratiques mais bien des convictions, selon les étapes suivantes.

La reconnaissance du christianisme comme d’une religion respectable, voir utile à

l’Etat vient de l’édit de Galère de 311. L’Auguste, qui va mourir 5 jours plus tard, constate

que les persécutions n’ont pas eu l’effet attendu et accorde aux chrétiens un droit de culte et

de réunion, dans des lieux dont on doit leur restituer la propriété ; il demande aux chrétiens de

prier pour le salut de l’empire. L’édit est appliqué aussitôt en Occident, en 313 seulement en

Orient après que la victoire de Constantin a mis fin au pouvoir de Maximin Daïa.

Puis Constantin, fils de Constance Chlore, qui gouverne la Gaule et la Bretagne,

marche sur Rome en 312 : il bat les armées de son rival l’Auguste Maxence, qui meurt noyé

dans le Tibre. C’est la bataille du pont Milvius, le 28 octobre 312. Or Constantin attribue à

« l’inspiration de la divinité » cette victoire décisive, selon les termes qu’il fait porter sur l’arc

de triomphe élevé à Rome dès 313. Lactance, dans son œuvre Sur la mort des persécuteurs

dès 314 explique avec plus de détails : la veille du combat, Constantin aurait eu un songe. Le

Dieu des chrétiens lui aurait enseigné Hoc signo victor eris, « par ce signe tu seras

vainqueur », en lui montrant un chrisme, un chi et un rho, début du mot Christ qui, tracé sur

les boucliers des soldats, aurait garanti la victoire. Ce thème de la victoire grâce au secours de

Dieu, donc d’un jugement de Dieu par les armes, ne cesse par la suite d’être amplifié : Eusèbe

de Césarée dans sa Vie de Constantin après 337 développe ce que son Histoire ecclésiastique

(316) ne disait pas aussi clairement : Constantin aurait vu une croix lumineuse lui apparaître

en plein jour, porteuse elle aussi d’une promesse de victoire. Le monnayage de Constantin,

qui fait apparaître dès 315 le signe du chrisme, confirme que c’est bien en tant que chrétien

sincère, et pas à des fins politiques, que l’empereur a confié son sort au dieu des chrétiens.

Dès février 313, il publie en accord avec son co-empereur Licinius l’Edit de Milan : chacun

peut suivre dans l’empire la religion de son choix. C’est la version positive de l’Edit de

Galère : ce que Galère acceptait faute de pouvoir l’empêcher, Constantin le souhaite, pour

continuer à jouir « de la faveur divine dont il a éprouvé les effets dans des circonstances si

graves ». À partir de sa victoire contre son associé Licinius en septembre 324, Constantin ne

fait plus aucun mystère de sa foi : il se présente dans ses édits comme un nouveau Moïse,

chargé de conduire le Nouvel Israël. L’Eglise dès lors jouit d’une situation officielle

exceptionnelle : le catholicisme n’est pas religion d’Etat, mais la loi donne à l’Eglise un statut

original et unique, en l’espace de quelques années (316-321) : l’Eglise peut recevoir des legs

et gérer des biens ; les clercs peuvent publiquement, dans l’église, affranchir des esclaves Ŕ

c’est la manumissio in ecclesia Ŕ et rédiger l’acte officiel de libération ; ; les évêques

obtiennent un large droit de juridiction civile, si l’une des deux parties est chrétienne. Le

dimanche est férié (pour le commerce urbain, pas pour les travaux des champs). Les clercs

sont dispensés des charges publiques officielles (magistratures). Par l’ensemble de ces

mesures, on voit l’empereur légiférer dans des domaines qui excédaient sa compétence : il

doit en effet définir qui est un clerc et qui ne l’est pas, donc trancher par exemple entre clercs

hérétiques et orthodoxes. En légiférant, l’empereur se place en fait en situation d’ingérence de

plus en plus directe dans les affaires de l’Eglise. Il fait de sa mission politique une mission au

service de l’Eglise et de son expansion. Eusèbe de Césarée, conseiller et porte parole de

Page 8: Médiévale

Constantin, le répète dans ses discours : l’empereur est sur terre l’image du Fils de Dieu,

obéissant au Père, mais à qui tout doit être soumis. C’est à ce titre qu’il prend le droit en 325

de convoquer un concile à Nicée, pour aider l’Eglise catholique à définir sa doctrine face à

l’hérésie répandu par un alexandrin, Arius. Il n’intervient pas dans les débats, mais ouvre le

concile, réuni dans une résidence impériale, place les évêques à sa droite et à sa gauche et

définit son rôle : « Je suis l’évêque du dehors » - pas d’un siège précis, pas de l’extérieur de

l’Eglise, mais chargé des affaires extérieures tandis que les évêques sont chargées des affaires

intérieures.

Par delà la parenthèse du règne de l’empereur Julien, appelé l’Apostat par les auteurs

ecclésiastiques puisqu’il rétablit le paganisme dans l’empire, les empereurs Valentinien et

Valens ont d’abord perpétué la politique tolérante de Constantin. Puis Gratien (375-383)

s’attaque au paganisme : il renonce à son titre de grand pontife de tous les cultes ; il fait retirer

la statue de la déesse Victoire du Sénat romain ; il supprime toutes les subventions publiques

aux cultes païens, interdit aux temples de recevoir des legs.

Le 27 février 380, l’Edit de Théodose couronne l’œuvre de Constantin. L’empereur

affirme que « tous les peuples doivent vivre dans la religion que le divin apôtre Pierre a

transmise aux Romains », détaillée par une longue profession de foi, inspirée du Credo de

Nicée. L’empereur concluait que ceux qui n’adhèrent pas à cette foi seront qualifiés

d’hérétiques, donc exclus d’une société entièrement chrétienne.

Un Edit de 392 enfin, sous Théodose toujours, interdit toute manifestation, publique

ou privée, de culte païen, sacrifice, adoration, prière, etc.

avec les deux fils de Théodose, Arcadius et Honorius, et le tournant du Ve s., le

catholicisme orthodoxe est religion d’Etat.

2- la christianisation des populations est un phénomène plus lent et plus délicat à

diagnostiquer

Une fois qu’on a écrit cette histoire du christianisme triomphant, on n’a toujours pas

vu naître le Moyen Age. Rien n’a changé profondément dans la nature du pouvoir politique

avant et après Constantin, puisque l’évolution vers un pouvoir absolu, appuyé sur un

mysticisme providentialiste, existe depuis la crise du IIIe s. Ce sont des empereurs romains

parmi les plus forts (Constantin, Théodose) qui ont le mieux affermi l’alliance de l’Eglise et

de l’empire romain.

Il faut en dire davantage :

- le christianisme lui-même s’est développé dans un contexte spirituel favorable, au

milieu de religions païennes nouvelles, plus orientales.. Au IIIe s., les païens eux-

mêmes se tournent plus massivement vers des religions orientales dites de salut, autant

dire des cultes qui promettent l’accès à une nouvelle vie, une vie éternelle, à condition

d’en maîtriser les codes d’accès, les rites, les mystères. C’est en partie ce qui fait le

succès rapide du manichéisme, fondé par le Perse Mani (216-277), qui affirme que la

connaissance et non la foi sauve le manichéen : il lui suffit de connaître qu’il est une

parcelle de Lumière, plongé dans un monde de ténèbres, pour rejoindre à la fin des

temps, quand la lutte du bien et du mal aura pris fin, son Dieu de Lumière. C’est

encore cette aspiration au salut qui explique le succès du culte de Cybèle, associée à

Attis, dont on fête à Rome l’émasculation (2 mars), l’enterrement (24 mars) et la

résurrection (25 mars). Par le biais du sacrifice d’un taureau égorgé, dont le sang

jaillissant éclabousse son fidèle (taurobole), les dévots de Cybèle et d’Attis croient

participer eux aussi à cette résurrection. Ou paganisme égyptien qui brode lui aussi sur

une résurrection possible d’Osiris, d’une récompense après la mort, etc.

le christianisme est nouveau par rapport à ces religions, tout en appartenant à un contexte

plus large de « religiosité nouvelle ». Il n’y a pas du point de vue spirituel une rupture très

nette au cours du IVe s.

Page 9: Médiévale

Surtout, l’attrait du paganisme demeure après la christianisation officielle de l’empire, au

moins jusqu’au VIe s., dans certaines catégories sociales :

les élites sénatoriales d’une part vont perpétuer des cultes civiques au moins jusqu’au

IVe s. À Rome, la majorité de l’aristocratie est païenne au milieu du IV

e s. ;

Symmaque, préfet de la Ville dans les années 380, est un païen convaincu au point de

plaider auprès de Valentinien II pour la réouverture des temples ; l’interdiction du

culte païen a suscité un grand scandale, au point que l’éphémère empereur Eugène

(392-393) veut s’attacher la fidélité du sénat romain en annulant cette législation ; au

moment du sac de Rome par Alaric en 410, des sénateur croient judicieux de faire

publiquement des prières aux dieux des Romains pour préserver la Ville. Certains rites

demeurent, immuables : ainsi les Luperques de Rome se déguisaient en bouc le 15

février, après avoir dépecé l’animal, puis se répandaient dans les rues de la ville où

l’on se massait sur leur passage. Au Ve s. encore, des femmes se précipitent sur leur

passage pour se faire fouetter par eux (accouchement facile garanti, ou meilleure

fertilité)…

des populations rurales ensuite maintiennent des cultes locaux (sources…) proches de

la magie et que dénonce Césaire d’Arles. Le Moyen Age est ainsi confronté à une

opposition entre les villes, où le réseau ecclésial est installé (les cités romaines

deviennent des évêchés) et les campagnes, où aucune structure d’encadrement

ecclésial n’est d’emblée prévu. Martin de Braga (ca. 520-579) s’en préoccupe :

originaire de Pannonie, il est arrivé en Galice, NO de l’Espagne actuelle, qui était alors

un royaume dominé par les Suèves. Il devient évêque de Braga, capitale religieuse du

royaume dont il accompagne la conversion au catholicisme ; Martin écrit un manuel

pour l’évangélisation des campagnes, De correctione rusticorum. Césaire d’Arles

avant lui s’est ému de cet abandon des campagnes et décrit dans un sermon célèbre (à

trouver chez Merdrignac) des restes de paganisme :

Certains sont les restes du paganisme d’une population chrétienne : réjouissances qui

accompagnent les calendes de janvier, visites, déguisements, chants, fête du solstice

d’été, baignade rituelle, consultation des augures, respect des jours fastes ou néfastes,

des arbres sacrés, port d’amulettes, potions magiques. Ce n’est plus à proprement

parler du paganisme (comme ensemble de doctrine limité et défini) mais des pratiques

syncrétiques.

Mais Césaire sait qu’existe aussi le paganisme pratiquant d’une forte partie de la

population rurale : il continue comme évêque à administrer des baptêmes d’adultes

(qui étaient donc païens). Et la campagne est pleine de païens qui célèbrent leur culte

(dévotion aux dieux des sources, des arbres, des fontaines…) dans de petits

sanctuaires ruraux (sacrifice d’animaux).

Même dans une société qui se définit comme chrétienne, des pratiques païennes demeurent :

la divination est condamnée par l’Église à de nombreuses reprises (concile d’Agde, 506)

La répression du paganisme doit se poursuivre au moins jusqu’au VIIe siècle (où le paganisme

semble avoir totalement disparu comme religion) voire au VIIIe s : les conciles des Estinnes

(Hainaut) et de Soissons (743-744) ont repris une série d’interdictions de pratiques païennes

en appendice (liste connue comme Indiculus superstitionum et paganiarum). C’est la dernière

description de pratiques païennes qui ressemblent à celles que blâme Césaire.

- Ce paganisme est réactivé par l’arrivée de populations germaniques qui ont leurs

propres traditions, dont on ne peut pas dire qu’elles sont parfaitement christianisées

avant le VIIIe ou IX

e s.

Page 10: Médiévale

la christianisation des peuples est un phénomène trop lent et instable, pour servir de point

de définition à notre Moyen Age. Quant à la christianisation de l’Etat, l’adoption du

christianisme comme religion officielle, elle constitue effectivement une rupture majeure dans

l’histoire de l’empire ; elle s’accommode pourtant fort bien d’une exaltation du pouvoir

impérial, alors que le Moyen Age nous semble commencer justement quand le pouvoir

impérial ne s’exerce plus en Occident. Elle est de toute façon une entreprise vouée à l’échec

dès lors que l’Etat romain est renversé par les invasions barbares.

III- La partition du monde romain entre Orient et Occident Le Moyen Age commence

peut-être au moment où les destins de deux parties de l’empire se séparent ; l’empire d’Orient

perpétue Rome avec pour capitale Byzance ou Constantinople ; l’empire d’Occident meurt

puis renaît avec Charlemagne ; l’un et l’autre ensemble accusent alors leurs traits propres. 1-

Deux mondes qui ne se parlent plus: la scission culturelle La naissance d’une partition institutionnelle correspond profondément à une scission

culturelle et politique entre les deux mondes :

- les aristocraties sénatoriales de l’ouest et de l’est de l’empire se réunissaient

jusqu’au IIIe s. encore dans le Sénat romain et exerçaient des postes de

responsabilité dans l’ensemble de l’empire. À partir de la dynastie

théodosienne (fin IVe s.), les carrières se font soit dans l’empire d’Orient, soit

dans l’empire d’Occident. Les aristocrates jouissent toujours d’un titre

sénatorial, mais n’en exercent pas les prérogatives : seuls les Italiens

continuent à siéger au Sénat de Rome, ce qui suscite des jalousies presque

nationales : la prise du pouvoir impérial par Théodose entraîne ainsi un afflux à

Rome de sénateur d’origine espagnole ; l’usurpation d’Avitus en 455 est

soutenue par un parti de nobles gallo-romains du sud qui estiment qu’ils ne

sont pas ou pas assez bien représentés.

- Une nouvelle capitale naît en 330, quand Constantin inaugure sa ville de

Constantinople. Il a transformé de façon volontariste la petite ville de Byzance

en une ville capable de rivaliser avec Rome. Il installe dans la nouvelle capitale

un Sénat, une Université, donc une aristocratie et une vie de cour. Les

motivations de ce choix sont multiples : la situation de Constantinople, sur le

détroit du Bosphore, en fait un point de contrôle de la Mer Noire et des

bouches du Danube Ŕ en contexte de menace gothique ; les contemporains

insistent aussi sur la dimension religieuse de ce choix : en transportant à

Constantinople sa capitale politique, Constantin aurait laissé une plus grande

autonomie au vrai chef de Rome, son évêque qu’on appelle pape. Deux causes

paradoxales quand on considère l’évolution :

i. Constantinople, ville maritime qui fait face aux côtés égyptiennes

ou presque, est très exposée à la nouvelle vraie menace qu’est

l’expansion musulmane : elle ne joue pas son rôle de barrière contre les

Goths, mais est assiégée par les Arabes à plusieurs reprises, dont en

717-718.

ii. Constantinople devient le siège d’un patriarcat, une sorte de super-

diocèse, qui rivalise avec Rome au point de conduire au schisme de

1054.

- les deux espaces se parlent avec de moins en moins de facilité.

L’enseignement supérieur se régionalise : les bons étudiants en droit de l’est de

l’empire vont à Beyrouth se perfectionner, ceux de l’ouest à Bordeaux ou

Arles ; pour la philosophie, les uns iront à Alexandrie, les autres à Rome. Les

uns parlent et écrivent en grec, les autres en latin, rien de neuf, sinon que le

bilinguisme se perd. L’un des plus grands intellectuels du Ve s., le sénateur

Page 11: Médiévale

Sidoine Apollinaire, gendre de l’empereur Avitus et son panégyriste, d’une des

meilleures familles de la Gaule romaine, connu pour ses talents littéraires

exceptionnels (9 volumes de correspondance), mort évêque de Clermont en

482, est l’un des rares savants latinophone de son temps à savoir encore lire le

grec : il réalise à l’intention de ses amis une traduction d’une Vie de sage grec,

Apollonius de Tyane : l’œuvre sinon leur serait restée incompréhensible.

2- la supériorité théologique de l'Orient : les conciles « œcuméniques » Dans un domaine en particulier, l’Orient affirme sa supériorité : c’est d’Orient que vient toute

la réflexion théologique, et l’établissement du dogme catholique orthodoxe.

Voc :

on parle d’Eglise pour désigner « l’assemblée des croyants appelés ». Bien sûr,

il existe durant l’Antiquité tardive et le Moyen Age des centaines de

communautés locales (une Eglise à Lyon, une Eglise à Marseille, une Eglise à

Arles…), mais les chrétiens affirment que ces Eglises locales sont toutes les

membres d’une unique Église, qui est une réalité spirituelle avant d’être une

réalité institutionnelle, l’assemblée de tous les hommes appelés et réunis par

leur baptême. L’Église est unique, et les théologiens l’appellent le Corps du

Christ.

L’Église est dite catholique, ce qui signifie « à vocation universelle » : tout

homme, sans distinction de race, de sexe, de langue, d’origine sociale, a pour

vocation de faire partie de l’Église (elle est catholique, c'est-à-dire pour tous).

Les croyants ont été dès les années 50 appelés des chrétiens, puisqu’ils se font

remarquer au milieu des sectes juives, par leur conviction qu’un homme, Jésus

de Nazareth, est le Christ, mot grec qui signifie « celui qui a reçu l’onction »,

qu’on peut aussi traduire par le Messie, l’envoyé de Dieu. Puisque ces croyants

adhèrent à Jésus, le Christ, ils sont chrétiens. Le Moyen Age jusqu’au XIe s.

ignore toute distinction parmi ces chrétiens entre protestants, orthodoxe ou

catholique. On ne parle que de chrétiens.

Ils partagent une même foi, c'est-à-dire adhèrent à un ensemble de vérités

révélées Ŕ des dogmes, des enseignements Ŕ sur des points fondamentaux : qui

est Dieu ? comment il se révèle au monde ? comment il agit dans le monde ?

La foi a donc un contenu objectif, et ne peut pas être réduite à une pratique, à

une morale, à un comportement.

La foi de l’Eglise est dite orthodoxe, c'est-à-dire conforme à la vérité, droite,

sans défaut, par opposition aux croyances hétérodoxes, des certitudes

reconnues comme déviantes, fausses. On trouvera donc en histoire des

hommes qui s’appellent eux-mêmes des orthodoxes et qui appellent les autres

des hérétiques, ceux qui adhèrent à des hérésies. Orthodoxie et hétérodoxie est

donc une question de doctrine. L’Église catholique est par définition orthodoxe,

puisque c’est elle qui définit la vérité dogmatique. Le fait d’appeler

« orthodoxe » l’Église de Constantinople, par opposition à l’Église catholique

qui serait romaine est donc un abus de langage contemporain, anachronique au

Moyen Age qui ne connaît pas avant 1054 de séparation radicale, de schisme,

entre l’Église de Constantinople et celle de Rome.

Lorsque surviennent des désaccords radicaux entre deux communautés,

désaccords sur le plan de la doctrine mais aussi des pratiques (comment on doit

célébrer la messe, choisir les prêtres, baptiser les enfants,…), le désaccord peut

aller jusqu’à considérer qu’un groupe n’est plus uni à l’Église, qu’il ne peut

plus faire partie du Corps du Christ : on l’appelle schismatique, c'est-à-dire

qu’une coupure, un schisme, est survenue entre l’Église schismatique et

Page 12: Médiévale

l’Eglise catholique, qu’on appelle alors la grande Église. Le premier grand

schisme survient dans les années 300-315 avec la séparation de l’Église de

Carthage, qui a entraîné celle des chrétiens d’Afrique du nord : on appelle ce

mouvement le donatisme, du nom de l’évêque de Carthage élu en 313, Donat.

Il est né d’un désaccord sur la façon de survivre à la persécution de Dioclétien

(303-304) : les chrétiens doivent-ils en profiter pour rechercher

volontairement le martyre (position des donatistes) ou chercher à sauver leurs

vies (position des catholiques) ? Le donatisme est très vigoureux en Afrique du

nord de 300 à 440 environ.

Durant les deux premiers siècles de l’Église, les nouveaux chrétiens ont été formés,

d’abord par l’enseignement oral des disciples et des apôtres (les 12 disciples choisis par Jésus

pour être ses compagnons) puis par des textes de nature différentes : surtout des Evangiles,

qui rapportent quelques épisodes marquants de la vie de Jésus, sa mort et sa résurrection, et

son enseignement ; et des Lettres, envoyées d’une communauté à une autre, pour expliquer

quelques points délicats de pratique religieuse et sociale (faut-il ou non s’affranchir de la loi

juive ? faut-il ou non respecter le pouvoir politique romain ?...). Dans cette littérature, il n’y a

pas de résumé de la foi, de synthèse complète, de catéchisme. D’où la place, dans les premiers

siècles de l’Église, pour beaucoup d’interprétations, et la nécessité de rassemblements

fréquents pour élaborer une position commune à une Église locale : on parle en grec de

synode, en latin de concile, c'est-à-dire d’une réunion de délégués d’une Église autour de son

chef, l’évêque, pour réfléchir à des questions pratiques (peut-on choisir pour prêtre un homme

mariés deux fois ?) ou théologiques. Hors de ces synodes ou conciles locaux, deux graves

crises provoquent la réunion de conciles œcuméniques, qui doivent statuer sur deux points

fondamentaux :

comment peut-on décrire le Dieu des chrétiens qu’on appelle Trinité ?

comment peut-on qualifier la personne de Jésus, à la fois homme et Dieu ?

a- la crise arienne À la première question correspond la première crise doctrinale de l’Église, à l’occasion de

l’hérésie développée par Arius. Elle porte sur une définition centrale dans la foi catholique,

qui est la définition de Dieu lui-même, appelé Trinité : Dieu est unique, mais il est en trois

personnes, le Père, le Fils et le Saint Esprit, qui n’ont entre elles pas de relations hiérarchiques.

Chaque personne doit recevoir de la part des fidèles même adoration et même gloire.

La théologie d’Arius La théologie du prêtre d’Alexandrie Arius est connue directement par quatre de ses lettres Ŕ

mais ce sont des réponses précises à ses contradicteurs Ŕ et par une quarantaine de vers,

contenus dans son œuvre la Thalie (le Banquet). Il affirme l’existence d’un « Dieu unique,

seul éternel, seul principe, seul vrai, seul immortel », qu’il qualifie donc de « monade » selon

des termes platoniciens. Dès lors, pour qualifier les relations du Père avec le Fils, Arius ne

peut employer que des termes négatifs : le Père n’a pas de commencement, n’a pas d’origine,

mais le Fils est engendré, il appartient de ce fait à l’ordre des créatures (même des créatures

exceptionnelles !). Le Fils n’est pas une émanation du Père Ŕ qui ne peut pas se propager sans

être altéré Ŕ mais une création volontaire. De ce fait, il y a un Dieu supérieur (le premier seul

vrai) et un dieu inférieur, secondaire, qui est l’image du Père et se manifeste aux hommes. De

ce point de vue, l’humanité du Fils est un signe supplémentaire de son abaissement.

L’arianisme est donc une forme extrême de subordinationnisme. À Alexandrie, Arius fut

condamné dès les années 319-320 ( ?) par l’évêque, mais il avait beaucoup convaincu en

Orient.

Les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381)

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Les évêques d’Orient et d’Occident se réunirent entre mai et juillet 325 pour trouver une

solution à la crise. On parle de premier concile œcuménique c'est-à-dire « du monde entier ».

Auparavant en effet, conciles ou synodes restaient diocésains ou provinciaux ; à Nicée, en

Asie mineure, ce sont entre 250 et 300 évêques qui se réunissent. Œcuménique donc, mais

avec une supériorité écrasante des évêques d’Orient : seuls un évêque d’Afrique, un de Gaule,

un d’Espagne, un d’Italie, un des Balkans participent au débat ; et l’évêque de Rome se fait

représenter par deux prêtres, qui n’ont qu’un rôle d’observateurs. C’est sans doute lié au fait

que l’hérésie d’Arius ne touchait guère que l’Orient. Le deuxième concile œcuménique, celui

de Constantinople (381), qui impose à toute l’Église les décisions de Nicée, n’est même pas

reconnu dans un premier temps comme « œcuménique » par l’Église d’Occident, qui n’envoie

aucun délégué.

Le CredoLe concile de Nicée a d’abord rapidement condamné les thèses d’Arius : « ceux qui

disent qu’il y a eu un temps où le Fils de Dieu n’était pas, qu’il a été tiré du néant, qu’il est

d’une autre substance ou d’une autre nature que le Père, qu’il est changeant ou variable, tous

ceux-là, l’Eglise les anathématise ». Mais il a aussi ajouté la rédaction d’un texte qui pourrait

servir de référence, en dehors de l’Ecriture ou en plus de l’Ecriture : l’Ecriture en effet laisse

beaucoup de place à l’interprétation, et Arius lui-même y avait trouvé des éléments pour

confirmer sa doctrine. Il y avait donc besoin d’un texte de référence hors-Ecriture, qu’on va

appeler Credo de Nicée, du nom de ses deux premiers mots Ŕ Credo signifie « Je crois » en

latin Ŕ dans lequel est résumée la doctrine de l’Église. Est affirmé entre autres : Nous croyons

en un Père tout-puissant créateur de choses visibles et invisibles

Nous croyons en un seul Seigneur Jésus, Christ, le Fils de Dieu, engendré unique du Père,

c'est-à-dire de l’essence du Père, Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière, Vrai Dieu né du

vrai Dieu, engendré pas créé, consubstantiel au Père, homo-ousios (de même essence).

Il y a bien eu engendrement, mais éternel (il n’y a pas de temps où le Fils n’a pas été Fils,

sinon il n’y aurait pas non plus eu de Père) donc pas de création, « engendré non pas créé ». Il

n’y a pas de hiérarchie entre les deux personnes de la Trinité. L’arianisme après Arius

Les vrais partisans d’Arius ont été peu nombreux ; mais ceux qui n’ont pas été contentés par

le Credo de Nicée en revanche sont très nombreux durant tout le IVe s. Plusieurs conciles

concurrents ont tenté, sous la protection de l’empereur Constance (353-360) de trouver une

formulation plus conciliante : on parle de position homéenne ou d’homéisme car il s’agit

d’affirmer que le Fils est « semblable au Père », homoios, sans dire en quoi (par l’essence, la

substance, la volonté ou l’action ?). C’est à ces formulations plus vagues, plus consensuelles,

mais hérétiques car ariennes pour l’Eglise catholique, que se sont ralliés les barbares qui se

sont convertis au christianisme :

- les Goths reçoivent la prédication de l’évêque Ulfila alors qu’ils sont encore

hors les frontières de l’empire dans les années 360. Ils sont donc ariens et pas

païens quand ils fondent les royaumes gothiques :

i. le royaume wisigothique de Toulouse, fondé par Euric (466-484)

en Auvergne, vallée du Rhône, côté méditerranéenne, hors Provence,

que l’empereur Julius Nepos doit reconnaître en 476 est arien, de même

que le 2e royaume wisigothique, celui d’Espagne, qui reste arien

jusqu’à la conversion du roi Récarède en 589.

ii. Le royaume ostrogothique d’Italie, fondé par Théodoric (493-526),

qui dure jusqu’à la reconquête de Justinien (535-555). - Peut-être les Burgondes de

Sapaudia, dont le roi se convertit au catholicisme en 517- Les Vandales, qui restent ariens

tant qu’ils gouvernent l’Afrique du nord (535, reconquête de Justinien)- Les Lombards, qui

descendent de Bavière actuelle en Italie du nord au début du VIIe s. et qui restent ariens

jusqu’au milieu du VIIe s.b- la crise christologique (V

e-VII

e s.)

Page 14: Médiévale

Une crise plus longue s’est produite autour de la 2e personne de la Trinité : le Fils, parole et

sagesse de Dieu, qui est devenu un homme, Jésus : on parle d’Incarnation. Comment

caractériser les liens qui unissent, dans cette personne, la part humaine et la part divine ? Ce

n’est pas de la pure curiosité d’oisifs : de même que les débats trinitaires engageaient le salut,

les débats christologiques parlent de l’humanité et de ses espérances de salut : l’homme a-t-il

ou non été assumé par Dieu ? la 2e personne de la Trinité a-t-elle oui ou non connu nos

misères, notre mort, notre souffrance ?

La théologie de Nestorius Les débats ont été animés au IV

e s., mai sont restés affaires de spécialistes. Puis au V

e s., en

427, a été élu un nouvel évêque de Constantinople, Nestorius, qui s’est distingué par des

positions hétérodoxes : Nestorius enseignait en effet que Marie, mère de Jésus, ne pouvait pas

être appelée Mère de Dieu, mais seulement mère du Christ ; il ajoutait qu’il ne pouvait pas

concevoir que le Christ ait souffert, ait grandi, ait éprouvé des sentiments, ce que seul

l’homme Jésus aurait fait. Dès 430, Nestorius est condamné comme hérétique, par le pape de

Rome, Célestin et par l’évêque d’Alexandrie Cyrille.

Les conciles d’Ephèse (431) et de Chalcédoine (451) Un concile réuni à Ephèse voit venir

des représentants de tout l’empire d’Orient, mais seulement deux légats du pape, et un seul

diacre pour représenter l’Église d’Afrique. Il ne donne aucune nouvelle définition doctrinale,

mais condamne Nestorius et donne toute sa légitimité à l’expression Marie Théotokos, "Mère

de Dieu". Un concile réuni 20 ans plus tard à Chalcédoine réunit 343 évêques Ŕ c’est le

concile œcuménique le plus important en nombre de personnes Ŕ mais seulement 4 évêques

d’Occident. Il affirme que le Christ est une seule personne (hypostase) avec deux natures

(phusis), « parfait en divinité, parfait en humanité… engendré de la Vierge Marie, Mère de

Dieu ». Or en Egypte, Palestine, Syrie, surtout dans les milieux monastiques, cette définition

fait scandale : ceux qu’on a appelés les monophysites récusent l’idée d’une double nature

(phusis) du Christ, au nom de l’unité de sa personne. La position monophysite, qui est une

subtile position théologique, dérive bientôt vers une série de plus franches hérésies : certains

monophysites affirment que, puisqu’il y a une unique nature dans le Christ, l’une, la divine,

l’a emporté sur l’autre, l’humaine, et que par conséquent, le Christ en son corps complètement

divinisé ne pouvait pas souffrir. Ou l’hérésie réciproque, fondée sur la supériorité de la nature

humaine sur la nature divine, qui récuse à Jésus la capacité à connaître Dieu, à en parler, etc.

À la fin du VIe s., on dénombre ainsi une 20aine de sectes dérivant du monophysisme,

minoritaires et surtout, de véritables Églises monophysites organisées : l’Église jacobite en

Syrie, du nom du premier évêque d’Edesse, Jacques Baradée, qui s’oppose à l’Église melkite

(impériale, c'est-à-dire catholique) ; l’Église copte en Egypte, où elle est très majoritaire,

notamment dans les monastères ; l’Église arménienne. Monothélisme et monoénergisme,

condamnés par le concile de Constantinople de 680 Derniers avatars du monophysisme, deux hérésies condamnées à Constantinople : le

monoénergisme affirme que, s’il y a bien deux natures dans le Christ, elles sont mues par une

unique énergie, une unique activité Ŕ c’est une façon de rallier les monophysites arméniens.

Le monoénergisme dérive facilement en monothélisme, qui affirme que le Christ, avec ses

deux natures toujours, a une unique volonté. Le concile œcuménique de Constantinople

rétablit la vérité catholique d’une double nature donc d’une double activité et d’une double

volonté.

3- deux nouvelles conceptions du pouvoir politique séparent Orient et OccidentLes

empereurs d’Orient imposent la foi de Nicée L’empereur Constantin (m. 337) a reconnu à l’Église un statut juridique privilégié dans

l’empire, en même temps qu’il a pratiqué une ingérence de plus en plus directe dans les

affaires de cette Église. C’est lui qui prend l’initiative en 325 de convoquer le concile de

Nicée. Il n’intervient pas dans les débats, mais met à la disposition des évêques la poste

Page 15: Médiévale

impériale pour les faire venir très nombreux, ouvre le concile, réuni dans une résidence

impériale, place les évêques à sa droite et à sa gauche et définit son rôle : « Je suis l’évêque du

dehors » - pas d’un siège précis, pas de l’extérieur de l’Église, mais chargé des affaires

extérieures tandis que les évêques sont chargées des affaires intérieures. Après lui, tous les

empereurs estiment légitime de promouvoir telle définition de foi contre telle autre, soit au

nom de leur conviction personnelle, soit pour rechercher la paix par des formules

consensuelles. Ainsi l’empereur Valens, qui invente et promeut l’homéisme (un arianisme

léger) dans les années 365, alors que son successeur Théodose (en 380) confirme la définition

de Nicée : dès son arrivée au pouvoir, il impose par une loi de se rallier à une formulation de

la foi nicéenne puis convoque le concile de Constantinople (381) pour refaire l’unité de

l’Eglise. Par édit, il condamne les hérétiques à remettre toutes leurs églises aux orthodoxes.

Les empereurs d’Orient voudraient se rapprocher de l’hérésie monophysiteCette

implication de l’empereur dans des affaires de dogme se produit donc au nom de la paix et de

la sécurité de l’empire. C’est aussi pour des raisons de politique intérieure que l’empereur

d’Orient Zénon soutient un compromis monophysite (476) au point de susciter l’hostilité du

pape qui déclare l’empereur hérétique. Justinien, avec sa femme Théodora, continuent cette

politique de rapprochement avec les monophysites, sans succès. Même problème et même

solution pour l’empereur Héraclius (m. 641) qui a besoin du soutien du royaume d’Arménie

pour appuyer sa campagne contre la Perse en 622 : il propose donc la doctrine du

monoénergisme, sans succès. dans tous ces débats doctrinaux, deux constantes :-

c’est l’Orient qui mène les débats, qui voit naître les hérésies et les conciles capables de les

réprimer, les théologiens, et l’empereur par-dessus tout pour appuyer à tort ou à raison telle ou

telle définition dogmatique. On tend donc vers l’établissement d’une Église impériale, voire

d’une théocratie, appuyée sur l’existence de quatre sièges épiscopaux qui animent les débats

et prétendent exercer un rôle dominant sur les autres, les patriarcats d’Antioche, Jérusalem,

Constantinople et Alexandrie.

- en Occident, la seule voix capable de se faire entendre, de s’intéresser aux

débats, voire de les contester, est celle du pape, le seul patriarche latin,

l’évêque de Rome, sans jamais l’appui d’un pouvoir politique.

C’est dans ce cadre qu’on voit s’affirmer deux théories opposées du pouvoir politique : selon

Eusèbe de Césarée, contemporain de Constantin (donc au IVe s.), le pouvoir impérial est de

nature divine, l’empereur peut régir les affaires de l’Eglise, c’est même pour cela que Dieu l’a

fait empereur. Pour le pape Gélase au contraire à la fin du Ve s., le pouvoir politique est une

potestas (une capacité d’action, de faire la police, d’imposer la loi) tandis que l’Eglise par le

pape possède l’auctoritas (le pouvoir fondamental, le principe même qui légitime le pouvoir).

Chapitre 2 Occident

Séance 2: l'Occident barbare L'Occident barbare

L'Orient repose sur un système romain antique pérennisé: un empereur, autorité en matière

religieuse voire dogmatique, qui dirige une fédération de peuples dont le catholicisme nicéen

est le ciment le Moyen Age n'y commence pas!

C'est en Occident que se créé un nouvel équilibre des pouvoirs civils et religieux en même

temps que naissent les royaumes barbares et des sociétés nouvelles, romano-barbares. Les

populations romanisées en effet n’y ont pas disparu : il y a plutôt une fusion lente des peuples

« barbares » et des indigènes, pour créer vers 700 en Europe occidentale, des sociétés

« romano-barbares » - on parle d’acculturation pour définir les emprunts réciproques des deux

sociétés.

La plus grande nouveauté peut-être du Moyen Age naissant est l'invention de la royauté:

conçue comme un système politique décadent et tyrannique par Rome, c'est LE régime qui

s'impose partout en Occident. Hypothèse de travail

Page 16: Médiévale

- dans les peuples germaniques du IIIe s., avant l’époque des migrations donc, pas

d’organisation ethnique ou politique stable. Chaque famille était liée à un clan familial,

une Sippe, plusieurs clans formant une tribu, dirigée par un double roi Ŕ un roi prêtre

et un roi militaire. Le système politique n'est pas démocratique, mais collectif: c'est la

communauté des hommes libres qui dicte à la tribu ses lois, et les impose au groupe.

- Or Rome demandait aux tribus de lui fournir des combattants : elle encourageait donc la

création de bandes militaires, de groupes de guerriers, et plus de clans - pour survivre aux

invasions hunniques de plus, la tribu n’a pas d’autre choix que de se militariser

complètement, ce qui accroît l’importance des chefs de guerre. Ceux-ci, qui n’exerçaient dans

les tribus qu’un rôle temporaire sont conduits à devenir des chefs permanents : les rois

traditionnels, aux pouvoirs surtout religieux, se trouvent remplacés alors par des heerkönig ou

« rois d’armée », ce que Rome désigne sous le nom de rex.

- Au Ve s., quand les premiers rois barbares s'imposent dans le cadre de l'empire romain,

ils sont les héritiers de ces institutions en cours d'élaboration. Un roi germanique est

défini par son pouvoir militaire ; il est soumis aux mêmes lois que ses hommes ; il

doit les mener au combat victorieux ; s’il n’est pas victorieux, c’est que les dieux l’ont

déjugé et que ses hommes peuvent le remplacer par un autre roi. La royauté est en

effet élective. Changer de religion, c’est donc pour Clovis courir le risque de voir ses

hommes refuser de suivre une divinité nouvelle, donc changer de roi. Or, sans doute

parce que le baptême survient dans un contexte victorieux, la conversion de Clovis

« fonctionne » : ses hommes le suivent, ses antrustions Ŕ sa garde rapprochée

composée de 3000 soldats qui ont juré fidélité au roi jusqu’à la mort Ŕ reçoivent le

baptême en même temps que lui. L’idéologie de la victoire, germanique, est

compatible en fait avec la christianisation, sur le modèle de Constantin : Dieu peut

favoriser un roi.

Selon les espaces, l'institutions évolue alors: toujours élective chez les Wisigoths où aucune

dynastie ne parvient à s'imposer pendant plus de 2 siècles. Héréditaire au contraire dans le

royaume franc où Clovis parvient à faire monter sur le trône ses fils, remplacés par leurs fils,

etc. La monarchie héréditaire est la grande invention du royaume franc qu'on appelle dès lors

mérovingien: dirigé par la famille des descendants de Mérovée.

I - Des sociétés mixtes: organiser la coexistence 1-Deux modèles politiques

opposésa. L’échec programmé de l’acculturation en Italie ostrogothique : le dualisme

de Théodoric Théodoric (ca. 455-526) est un cas extrême de roi ostrogothique qui cherche à éviter à tout

prix l’acculturation dans son royaume d’Italie. Thodoric est un goth de la famille royale des

Amales, et à ce titre il a été retenu dans sa jeunesse à Constantinople comme otage : c’est

donc un homme qui a reçu une excellente éducation, et qui connaît bien le monde romain, qui

a été chargé par l’empereur d’Orient Zénon de reprendre le pouvoir en Italie, au moment où

elle est contrôlée par Odoacre. De fait, Théodoric réussit parfaitement sa mission, entre en

Italie en 489, bat Odoacre en 493, l’assassine et devient le véritable maître de l’Italie.

Du point de vue des institutions et des symboles, il est dans la continuité du pouvoir

impérial romain : il maintient en place le Sénat de Rome et recrute en son sein ses

meilleurs conseillers. Il faut connaître le nom de Cassiodore (ca. 485-580), qui est

un sénateur d’une des plus nobles familles italiennes et qui a poursuivi une carrière

très brillante au service de Théodoric : il a été consul, et surtout maître des offices

(=chef des bureaux) de 523 à 527. C’est à ce titre qu’il a rédigé l’essentiel de la

correspondance diplomatique de Théodoric, qui avait donc adopté les pratiques

romaines classiques et la meilleure rhétorique latine dans sa correspondance.

Mais du point de vue du gouvernement réel, il s’attache surtout à faire vivre

ensemble Goths et Romains, sans jamais les mêler :

Page 17: Médiévale

- il institue une hiérarchie administrative gothique en parallèle de la hiérarchie

administrative romaine, respectée, mais qui n’a aucun pouvoir sur les Goths

- il demande qu’il n’y ait aucune confusion juridique entre les deux peuples, jugés selon

le strict principe de personnalité des lois, par des juges de leurs nations

- les Goths ne doivent pas devenir propriétaires du sol qu’ils ont conquis, mais y

exercer leur droit d’hospitalité : ils en tirent donc les ressources nécessaires sans en

être propriétaires, ce qui permet de les garder mobiles et disponibles pour leur seule

fonction, la fonction militaire / Les Romains a contrario ne doivent pas avoir accès à

la carrière militaire, monopole gothique

- Les Goths restent soigneusement ariens, avec des lieux de culte qui leur sont propres

et leur clergé arien, les Romains étant catholiques. Aucune conversion n’est souhaitée,

Théodoric s’enorgueillit même de ne pas avoir contraint les Romains à renoncer à leur

confession. Il se sert en fait de la confession arienne comme d’une idéologie nationale,

de l’Eglise arienne comme d’une Eglise nationale.

- Les mariages mixtes sont interdits.

la politique de Théodoric s’appuie sur une idéologie raciste : les Romains sont des

vaincus, parce que leur race s’est affaiblie ; il faut donc préserver le sang gothique

dans toute sa pureté, pour garder au peuple gothique ses qualités guerrières.

c’est ce qu’on appelle le dualisme et c’est un échec ; dès la mort de Théodoric (526) il est

évident que le système ne reposait que sur la personnalité du roi et les populations romaines

souhaitent la fin de la domination ostrogothique. Elles vont favoriser la reconquête de l’Italie

par l’empereur d’Orient Justinien.

b. Une acculturation réussie? Le royaume "franco-romain" de Clovis Clovis est en 481 le gouverneur, au nom de l'empereur romain, de la province romaine de

Belgique seconde. Son père Childéric a été engagé par Aegidius pour défendre la Gaule

romaine (notamment contre les Huns). Puis Clovis se détache de cette autorité supérieure, ou

prend le pouvoir comme un roi germanique, fonde un royaume, sans rencontrer l'hostilité de

la population gallo-romaine. Pourquoi?

a- il reçoit l'appui des évêques gallo-romains qui voient en lui une force capable de les

protéger contre les Wisigoths ariens. De fait, il repousse les Wisigoths du royaume de

Toulouse par la bataille de Vouillé (507) ce qui contribue à la fondation du 2e royaume

wisigothique, au sud des Pyrénées qui dure jusqu'en 711.

b- il reçoit le baptême catholique, et est donc le chef du premier peuple barbare qui

adhère à la foi catholique. Les Francs, et Clovis, étaient païens lors de leur accession

au pouvoir dans le nord de la Gaule. Puis Clovis a reçu le baptême à Reims, de la main

de l’évêque Remi, le 25 décembre entre 496 et 508.

Plusieurs faits ont pu le préparer à cette conversion : 1- il a épousé une princesse burgonde catholique Clotilde, entre 490 et 500. C’était un

mariage hypergamique pour le jeune homme et sa femme devait exercer sur lui une

influence importante. Clovis a d’ailleurs toujours accepté que les enfants du couple

reçoivent le baptême.

2- Grégoire, évêque de Tours, qui raconte la conversion de Clovis vers 590, associe cette

conversion et une bataille que Clovis a remportée contre les Alamans, près de la ville

de Tolbiac en 496 : Clovis aurait remporté la victoire après avoir demandé de l’aide au

Dieu de Clotilde, sa femme.

3- Nizier, évêque de Trèves, dans une lettre des années 560, explique que c’est parce que

Clovis a été témoin des miracles qui se produisent sur la tombe de saint martin, évêque

de Tours, à Tours, qu’il s’est converti.

Un contexte victorieux

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Clovis réalise par sa conversion l’unité d’un royaume où les Gallo-romains étaient catholiques.

Il se présente en défenseur de la foi dans sa conquête du sud de la Loire, contre le royaume

wisigothique arien. Par sa victoire à Vouillé (507), il donne à son royaume les Pyrénées pour

limites. La conquête de la Burgondie, elle, est plus délicate : le royaume de Burgondie ne sera

vraiment annexé qu’en 534. Peu importe : pour Grégoire évêque de Tours qui fait l’histoire du

royaume, Clovis est un combattant qui agit au nom de Dieu, un saint roi qui mérite la victoire

par la foi. Les Francs sont présentés dans les Dix Livres d’histoire comme un nouveau peuple

élu.

2-La création d’une société mixte? le témoignage des sépultures et des liens de parenté

c. les sépultures

L’acculturation s’évalue mal à l’échelle réduite d’un règne. Par l’archéologie, on comprend

mieux en revanche comment deux populations, indigène et exogène, peuvent se mêler sur un

ou deux siècles. L’étude des nécropoles mérovingiennes, c'est-à-dire de cimetières retrouvés

sur le territoire de la France actuelle et qui datent des Ve, VI

e ou VII

e s., permettent les

observations suivantes :

influences barbares ?

- les populations adoptent la structure des cimetières « à rangées » en en plein champ,

qui voit les tombes alignées, en rase campagne, à l’écart de toute habitation ou de tout

sanctuaire jusqu’au VIIe s. Seule exception, la présence d’enclos privilégiés, de

tumulus, de structure circulaire qui manifeste l’existence d’un abri, d’une sorte de

hutte au-dessus de la tombe ou des tombes, groupées autour d’une personne plus

honorable que les autres : « tombes de chefs ».

- pratique très répandue de l’inhumation, alors que les Germains avant la conquête

pratiquaient massivement l’incinération, puis l’inhumation des cendres placées dans

une urne (cimetières « en champ d’urnes »).

- Pratique très répandue de l’inhumation habillée, qui culmine au VIIe s., tous milieux

sociaux et culturels confondus, avec des objets de la vie quotidienne (boucles de ceinture,

bijoux) et signes de la fonction sociale (armes, outils, calice pour un prêtre).

influences romaines ?

- le refus de l’inhumation à l’intérieur des murs des cités, conformément à la loi

romaine, qui voit le développement de nécropoles urbaines dans les banlieues :

« nécropoles suburbaines », le long des voies de communication.

- Très fréquente utilisation du sarcophage, en marbre de grand luxe s’il est récupéré

(Jovin, maître de la milice à Reims) ou en pierre calcaire très simple trapézoïdal un

peu partout, avec inscription.

christianisation du tout, qui réalise la grande synthèse après le VIIe s.

- réunion des sépultures et des lieux de culte : soit on inhume les morts dans des églises

ou à proximité des églises, qui sont elles-mêmes bâties sur le tombeau d’un saint.

C’est l’inhumation ad sanctos, « auprès des saints », qui est particulièrement

recherché après le VIIe s. / soit on construit une église au cœur de ce qui va être le

cimetière paroissial, pour pouvoir célébrer des messes près des tombes. Partout,

l’habitat et les sépultures se rapprochent. En milieu rural, c’est la naissance, partout au

VIIIe s., du village.

- Inhumation de plus en plus dépouillée, par humilité chrétienne, un simple linceul suffit,

sans mobilier. b. L’adoption d’une structure de parenté plus germanique

La famille surtout, cellule fondamentale de toute société, est modifiée par l’irruption des

peuples germaniques. On distingue commodément pour un individu deux façons de définir

avec ses ascendants des liens familiaux :

- soit la parenté est dite agnatique et c’est le lien avec le père qui est privilégié : on

parlera aussi de parenté patrilinéaire. L’enfant appartient donc à la lignée paternelle,

Page 19: Médiévale

qui exerce son autorité et transmet le nom. C’est schématiquement le système romain,

avec la domination du pater familias et le statut d’éternelle mineure de la femme.

- Soit la parenté est dite bilatérale, aussi bien agnatique que cognatique donc, c'est-à-

dire aussi importante par la lignée paternelle que maternelle. C’est, schématiquement

toujours, cette parenté qui semble dominante dans les peuples germaniques.

C’est dire que dans la société du haut Moyen Age, les femmes ont le droit de transmettre leurs

biens propres, indépendamment de leur mari. C’est ce que fait la reine Frédégonde quand elle

constitue une dot royale à sa fille Rigonthe (fin VIe s.). Elles héritent des biens patrimoniaux

au même titre que leurs frères. La loi salique prévoit le cas d’un homme qui mourrait sans

enfants, ni parents, ni frères et sœurs : et bien c’est sa tante maternelle qui recevrait ses biens,

avant sa tante paternelle. Elles exercent le pouvoir politique par le biais des périodes de

régence si elles appartiennent à des familles régnantes (Nanthilde, veuve de Clotaire II, règne

en Neustrie au nom de son fils Clovis II après 614, etc.). Elles transmettent leur nom aussi

bien que leur mari, souvent par association des deux noms.

On désigne sous le nom de parentèle les alliances sur lesquelles chaque individu peut

compter : dans la société du haut Moyen Age, chacun peut donc s’appuyer autant sur les

parents du côté maternel que paternel. L’oncle maternel est même le parent le plus proche,

celui qui est réputé capable de s’occuper de l’éducation des jeunes gens en cas de besoin. La

justice germanique, qui est un système vindicatoire, montre l’importance de cette parentèle :

c’est la famille qui doit exercer la vengeance privée sur la famille de l’offenseur, c’est la

famille aussi qui obtient réparation par le wergeld en cas d’intervention de la justice publique.

Pour les groupes aristocratiques, on a la certitude qu’ils sont en outre groupés au sein de

Sippen, pluriel de Sippe, c'est-à-dire des groupes d’alliance horizontaux, unis par des

mariages endogames et la conscience d’intérêts communs. Ces Sippen sont dites horizontales,

parce qu’elles ne durent pas plus d’une génération : à chaque génération, elles sont réactivées,

confirmées par mariage, ou évoluent. L’idée de lignage, ou de solidarité de sang, sur plusieurs

générations est une création du Moyen Age tardif, à partir du XIIe s. seulement pour

l’aristocratie moyenne, à l’imitation du modèle dynastique inventé par les rois carolingiens

(après le VIIIe s.). Mais comme dans la société romaine, c’est la famille nucléaire (mari,

épouse, enfants) qui est la vraie cellule de sociétés qui ne connaissent pas l’idée de « famille

élargie » : le couple conjugal est protégé, bien avant la christianisation du mariage, par des

interdits moraux très stricts : les adultères sont punis de mort. 3- Un droit mixte?

Imposer son droit, sa loi, est le premier signe de souveraineté : quand les royaumes barbares

s’installent, leurs rois font donc appliquer leur loi propre, mais selon des arrangements qui

caractérisent une société mixte, et selon un rythme différent selon les espaces.

c. le maintien de la législation romaine En 438, l’empereur Théodose II a fait réunir tout le droit romain antérieur, depuis l’empereur

Constantin : c’est ce qu’on appelle le Code théodosien, réactualisé par le biais de novelles ou

ajouts de nouvelles constitutions. Il continue d’être massivement utilisé en Occident, où il sert

de base à l’enseignement du droit, pour plusieurs raisons :

le droit romain est dans un premier temps le seul à régler des questions comme le

droit des héritages, ou les relations entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux.

C’est pas excellence le droit de celui qui gouverne, donc il est imité dans sa forme

en Francie par les rois mérovingiens (481-751) dans leurs édits, et par les rois

carolingiens dans leurs capitulaires (751-888).

il est donc le droit qui s’applique aux clercs, aux membres de la hiérarchie

catholique. C’est lui qui sert de modèle à la loi de l’Eglise, qu’on appelle droit canon

(puisque énoncée sous la forme de chapitres ou canones).

il est le droit naturel des citoyens romains, même s’ils sont sous domination barbare.

C’est à ce titre que le roi des Burgondes, Gondebaud, a fait adopter dans son

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royaume dans les années 500 un code appelé « loi romaine des Burgondes ». C’est

un abrégé du code théodosien. On pense qu’il devait aider les juges, d’origine

burgonde, à juger les accusés d’origine romaine : on sait que les procès mettaient

toujours en présence deux juges, l’un romain l’autre burgonde.

il bénéficie d’un prestige certain auprès des rois, qui cherchent à imiter Rome et ses

empereurs. C’est ainsi que le roi des Wisigoths Alaric II a publié en 506 un code

théodosien abrégé, dit « Bréviaire d’Alaric », appliqué à toute la Gaule franque

après 507 et qui sert de base à la législation en Aquitaine jusqu’au VIIIe et IX

e s.

d. la rédaction des lois barbares En même temps, les peuples qui arrivent en Occident ont leurs propres coutumes. Avec la

création des royaumes barbares, elles sont pour la première fois mises par écrit, par imitation

du droit romain et en latin :

le Pactus legis salicae dans le royaume franc de Clovis, vers 510. Elle parle en 65

titres des crimes de sang, des vols, des délits graves (rapts, adultères), des donations

et successions. L’essentiel de la loi restait donc sans doute orale, et devait être

répétée par les spécialistes du droit qui siégeaient au tribunal, appelés

rachimbourgs.

La loi lombarde, par exemple la compilation réalisée sous le roi Rothari et publiée le 22

novembre 643 à Pavie sous le nom d’Edit de Rothari : c’est un rassemblement de 388 lois.

Parmi les constantes de ces codes barbares, on trouve :

l’idée que la loi doit permettre de réduire le recours à la faide, c'est-à-dire à la

vengeance privée, d’une famille agressée sur la famille d’un agresseur.

L’idée que la peine la plus efficace pour réduire la faide est la compensation : à

chaque crime correspond un prix, le wergeld, que le coupable verse à la famille

lésée. Ce « prix du sang » ou « prix de l’homme » est fixé en fonction de la qualité

de la victime et pas en fonction de la nature du délit. Ainsi, tuer une femme en âge

de procréer est plus grave que tuer une vieille femme, selon la loi salique ; tuer un

clerc est deux fois plus cher que tuer un laïc dans les codes anglo-saxons du IXe s.,

etc.

Le tribunal n’a pas à décider de lancer une enquête ou à prouver la culpabilité de

l’accusé : on applique au contraire la procédure dite accusatoire, un homme est

accusé, il comparaît, il doit prouver son innocence. Au cas où il n’y a pas de flagrant

délit, les moyens privilégiés de l’enquête sont la production de preuves écrites, puis

le serment purgatoire (l’accusé jure qu’il n’a pas commis ce dont on l’accuse),

éventuellement corroboré par des témoins (12 ou plus), enfin l’ordalie ou jugement

de Dieu. Les juges ne prononcent pas de verdict, mais garantissent l’accord qui et

librement trouvé et consenti entre deux parties : il n’y a donc pas de peine de prison

et très peu de peines de mort. Sauf dans quelques cas qui agressent la famille, et où

l’on voit très nettement l’influence de coutumes germaniques anciennes, comme la

noyade de la femme adultère dans un marais.

À qui s’applique quel code ? Deux principes peuvent s’affronter, ou mieux, se succéder :

la personnalité des lois

= c’est en fonction de son origine ethnique qu’un homme sera jugé.

Ex : lorsque les Francs mènent la conquête du pays des Alamans, ils donnent au pays qu’il

viennent de soumettre un droit propre, le Pactus legis Alamanorum (vers 620, sous Clotaire

II), qui respecte donc en apparence le principe de personnalité des lois, indépendamment du

pouvoir politique. C’est un principe qui s’accorde bien d’un temps de migration - le lieu de

résidence importe moins que le lieu d’origine, qui, lui, est stable. Puis vient l’ethnogénèse : la

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prise de conscience de soi d’un peuple qui se reconnaît dans une histoire commune et bientôt

dans un territoire commun. On passe alors à

la territorialité des lois

= on applique la même loi sur tout le territoire. Implique un pouvoir politique fort et la

conscience d’une unité nationale, au-delà de l’origine ethnique.

C’est ce qui se produit en Espagne wisigothique. Le royaume a adopté une monarchie

théocratique au début du VIIe s. : le roi légifère avec l’appui de l’Eglise, au cours de

conciles ; il gouverne avec l’appui des évêques, comme Isidore de Séville. Cette unité

nationale étant fortement fondée sur la religion et sur le pouvoir royal, le roi

Réceswinthe fait réunir les lois de son père et les siennes propres et les publie en 654

au cours du 8e concile de Tolède : c’est le Liber Judiciorum, Livre des Jugements. La

forme est celle d’un Code théodosien. Le Liber concerne tous les domaines. Il

s’applique à tous les habitants du royaume. Il donne au roi une place dominante

(existence du crime de lèse-majesté, puni de la mort ; pouvoir du roi d’être au-dessus

des lois dans certains cas, comme pour autoriser des mariages non-canoniques). Il

confirme l’existence de deux catégories sociales d’hommes libres, les aristocrates Ŕ

qu’on ne peut pas soumettre à la torture - et les humbles.

C’est peut-être aussi la situation dans la Loi des Burgondes, ou Livre des

Constitutions, promulgué entre 500 et 530 environ : on y trouve énoncé le principe

d’autorité royale (c’est le roi qui est l’origine du droit), et précisé que la volonté du roi

vise l’ bien du « peuple », défini donc, pas par son origine ethnique mais bien par son

installation dans un territoire sous autorité royale burgonde.

II- Naissance d’une chrétienté occidentale 1- Le pouvoir des évêques, originalité

occidentale n° 1 En Occident, ce sont les évêques qui assurent la continuité sociale et politique au moment où

le pouvoir impérial romain est remplacé par les royautés barbares. Les évêques en effet

s’établissent dans chacune des cités romaines et leur responsabilité s’étend à un diocèse, dont

les limites sont calquées sur les limites administratives de l’empire romain (principe

d’accommodement). Ils sont recrutés dans l’aristocratie des curiales, c'est-à-dire des

magistrats des cités responsables de leur administration. C’est donc tout naturellement qu’ils

assument, en tant qu’évêque comme en tant que curiales :

- le secours à apporter aux nécessiteux, par des distributions de nourriture,

l’organisation de l’approvisionnement, la tenue de matricules, c'est-à-dire de

listes de pauvres qui doivent être aidés

- ils rendent la justice

- la création d’écoles : le système éducatif romain reposait sur l’existence

d’écoles municipales financées par les cités ; les évêques perpétuent le système

et incarnent d’ailleurs la permanence de la culture romaine (Avit évêque de

Vienne et son registre)

- la négociation avec les autorités civiles : l’évêque est le defensor civitatis, il

s’interpose en cas de danger (saint Aignan sur les remparts d’Orléans contre

Attila en 451), il s’oppose aux barbares sanguinaires (saint Nicaise de Reims

face aux Vandales en 407), il rachète les prisonniers (saint Césaire d’Arles lors

de la conquête gothique), il organise la défense militaire (Sidoine Apollinaire à

Clermont en 475), il collabore avec l’administration locale (Remi évêque de

Reims et Clovis en 481).

- A titre personnel, grâce à leur fortune privée, ils peuvent agir comme des

propriétaires terriens capables d’organiser la mise en valeur agricole (les

vignes de Remi, l’installation d’une colonie de peuplement dans le Porcien)

Page 22: Médiévale

Dans un monde occidental où le pouvoir politique est devenu très instable au Ve s., les

évêques incarnent la permanence de l’ordre, du droit, de la justice.

Au milieu de ces évêques occidentaux, l’évêque de Rome se voit reconnaître une voix

prépondérante. L’évêque de Rome ne possède pas de pouvoir supérieur à ceux des autres

évêques, mais un prestige particulier. Certes, celui qu’on commence à appeler exclusivement

pape (c’est le titre de tous les évêques en latin) jouit d’une autonomie enviable : pas

d’empereur à Rome, une aristocratie puissante qui lui est acquise, des biens très importants.

Mais c’est au nom de raisons plus historiques et spirituelles que Rome revendique la

primauté : Rome est le siège de l’apôtre Pierre, qui est mort à Rome au cours des années 60,

ce Pierre à qui Jésus Christ a dit, selon les Evangiles, qu’il fondait son Eglise sur lui. C’est

aussi le lieu du martyr de saint Paul de Tarse. On reçoit donc sa parole avec confiance sur le

plan dogmatique. Le pouvoir disciplinaire de Rome en revanche est très bien accepté en Gaule

ou en Italie, très peu ou mal en Espagne ou en Irlande.

NB : il n’y a pas quand commence le Moyen Age au IVe ou au V

e s. d’Etats

pontificaux.L’Hénotique : alors que l’empereur Anastase voulait régler la question

monophysite par une déclaration mi-chèvre mi-chou, le pape Gélase s’y oppose fermement et

expose sa théorie politique d’une séparation entre auctoritas et potestas. Fin Ve s.

L’apogée de la papauté est atteint vers 600 avec la personnalité de Grégoire le Grand.

2-la conversion au catholicisme des royaumes barbares Le cas du royaume franc est original par sa précocité: des païens sont devenus catholiques dès

les premières années du VIe s. Ailleurs, phénomène plus lent, mais achevé au VIIe s.

a. les Wisigoths (VIe s.)

Un siècle après le baptême de Clovis, le roi de l’Espagne wisigothique, Récarède, décide de

renoncer à la confession arienne (589). C’est une décision dangereuse : en 585, le roi

Léovigild a fait exécuter son fils Herménégilde parce que ce dernier s’était converti au

catholicisme. Il a conquis en représailles le royaume voisin des Suèves catholiques. Récarède,

lui, réussit à faire accepter sa conversion, rendue publique au concile de Tolède de 589.

Surtout, il fonde sur l’Eglise catholique la naissance d’un royaume unifié : alors qu’on

pratiquait en Espagne un dualisme proche du dualisme ostrogothique, les populations gallo-

romaines catholiques et wisigothiques ariennes sont invitées à se réunir dans la célébration

d’une même foi et sous l’autorité d’un même roi. Dans le royaume de Récarède,

développement d'une théocratie imitée de celle qui se pratique en Orient: le concile est

l'assemblée législative, définition d'un crime de lèse-majesté, imitation volontaire et

revendiquée de l'empire romain.

b. Les royaumes anglo-saxons : une conversion tardive La situation est toute différente dans les royaumes anglo-saxons, qui se sont formés au V

e s.

en refusant tout l’héritage romain (pas de continuité de l’administration, du droit, de la

religion ou de la langue) et en repoussant les populations autochtones christianisées vers le

Pays de Galles ou la Bretagne actuelle (Armorique). L’idée de réaliser l’unité politique au

moyen de l’unité religieuse est donc absurde. La christianisation présente même deux dangers

politiques importants :

- elle revient à adopter la religion des Francs, qui sont les voisins les plus puissants.

- Elle risque de créer des liens de sujétion entre royaumes : ainsi le Kent, royaume

d’Aethelbert le premier roi converti, s’est imposé comme royaume dominant sur les

voisins d’Essex et d’East Anglie, parce que Aethelbert était devenu le parrain des rois

d’Essex Saeberth et d’East Anglie Raedwald.

C’est donc la papauté - qui n’est pas un pouvoir politique et qui est bien éloignée ! - qui prend

en charge la conversion de ces rois. Aethelbert de Kent est converti en 597 à la suite de la

prédication du moine Augustin, devenu évêque de Canterbury, dans le cadre d’une mission

organisée et gérée depuis Rome par le pape Grégoire le Grand (590-604). S’opposent dès lors

Page 23: Médiévale

un clergé irlandais local très indépendant dans ses pratiques mais plus ancien et un clergé

anglo-saxon récent, formé par Rome.c. les Lombards (VIIe s.)

En Italie, le renoncement des Lombards à l’arianisme est long et difficile. Les Lombards sont

entrés en Italie en 568, venus de Bavière. Ils redoutent, en embrassant le catholicisme, d’être

sous domination de la papauté, qui est leur grande rivale en Italie centrale, voire sous

domination byzantine. Les rois lombards ne deviennent catholiques que dans la deuxième

moitié du VIIe s. (rois Aripert, 653-661, et Perctarit, 661-688).

3-Naissance d’un monachisme occidental (de Martin à Benoît et Colomban)La chrétienté

occidentale, caractérisée par l’indépendance du pouvoir épiscopal et l’autorité du pape romain,

est enfin le lieu d’un développement original du monachisme. Le monachisme est cette

invention chrétienne qui consiste à se mettre à l’écart du monde pour mieux vivre sa foi.

L’Orient voit ainsi se développer au IVe s. différents monachismes : on distingue

l’anachorèse (la solitude totale de ceux qui ont choisi d’être des ermites, des anachorètes) du

cénobitisme (la solitude de ceux qui la partage avec d’autres moines, en communauté). En

Occident, l’adoption de cette forme de vie est tardive (fin IVe s.) : ceux des chrétiens qui

recherchaient une vie plus parfaite refusaient le mariage mais ne quittaient pas le monde pour

autant. Puis les monastères se multiplient parmi lesquels il faut connaître :

- vers 360, la fondation par Martin du monastère de Ligugé, puis après 371 et

l’élection de Martin sur le siège épiscopal de Tours, de celui de Ligugé. On y

encourage la vie semi-érémitique et la libre contemplation, grâce au refus d

travail manuel.

- Vers 400-410, la fondation par Honorat de Lérins. On y encourage la

recherche intellectuelle et théologique, comme le travail manuel et

l’obéissance comme ascèse.

- Vers 435, la fondation de Condat dans le Jura, qui est très cénobitique

au total, le monachisme gaulois connaît à la fin du VIe s. plus de 200 monastères,

d’hommes et de femmes, aux règles très variées.

Enfin, au tournant des VIe et VII

e s., le monachisme gaulois est bouleversé par l’arrivée du

monachisme colombanien entre 590 et 610 : Colomban, venu d’Irlande avec des disciples,

fonde des dizaines d’établissements grâce à l’enthousiasme de l’aristocratie franque. Il

encourage une grande austérité, dont l’usage d’une pénitence très stricte et héroïque,

l’indépendance vis-à-vis du pouvoir des évêques, et surtout l’évangélisation : les moines, loin

d’être seulement retirés du monde, doivent contribuer par leur enseignement et leur itinérance,

à la conversion des peuples qu’ils rencontrent. III- Des rois barbares mérovingiens aux

rois sacrés pippinides: le destin original de la Francie (ca. 600-751) 1-Les maires du

palais pippinides au VIIe s. les tria regna ; Mort de Clovis 511, partage entre trois

royaumes, toujours sous autorité mérovingienne : Burgondie (Châlons s/ Saône, Lyon, Vienne,

cols des Alpes, ouverture vers l’Italie), Neustrie (Paris, Soissons, Sens, terres riches, bornée

par la Bretagne), Austrasie (terres ancestrales, Metz, Reims, Trèves). Pratique fréquente de la

réunion des royaumes de Burgondie et de Neustrie. Problème de la situation de l’Aquitaine.

Idée d’un regnum Francorum qui intègre ces tria regna. Volonté royale de réunifier sous

une autorité unique les tria regna : ce qu’accomplissent Clotaire II et Dagobert. Apogée

jusqu’en 639. Le règne de Clotaire II, l’Edit de Clotaire II (614) et la création d’aristocraties

locales à forte implantation territoriale : le rôle des comtes (fonctionnaires du roi, rémunérés

par les revenus d’une terre fiscale, immobilisés dans les régions où ils sont propriétaires, souci

d’une bonne gestion avec réparation possible, en fait création d’une aristocratie puissante).

le rôle de maire du palais

Nécessité d’une administration locale. Le palatium ou palais : itinérance relative, mais

efficacité administrative, scribes. Présence d’officiers, qui détiennent une fonction domestique

et publique : camérier (chambre et trésor) ; maréchal (écuries et cavalerie)… ou seulement

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publique : le comte du palais, et les procès devant le tribunal du roi. Les officiers sont dirigés

par le major-dome, le maire, qui est aussi l’administrateur des domaines royaux.

l’ascension des Pippinides

Parmi les familles aristocratiques qui prétendent exercer le pouvoir de MdP, on distingue en

Austrasie famille de Pépin l’Ancien, qui profite de la minorité du roi Sigebert III, né ca. 630,

fils de Dagobert, envoyé dès 632 ! il lui faut des « tuteurs », Cunibert, évêque de Cologne

et Pépin Ier

(m. 639). Pépin a accru son pouvoir local en mariant l’une de ses filles Begga à

Ansegisel, fils d’Arnoul devenu évêque de Metz et m. 640 en odeur de sainteté.

Le seul fils de Pépin Ier

, Grimoald, prend à son tour le poste de MdP en 643 = ébauche d’une

transmission héréditaire du pouvoir ? Il gouverne en même temps que roi mérovingien

Sigebert III, qui tard à avoir des enfants : idée d’une adoption par Sigebert III du propre fils de

Grimoald, « Childebert l’adopté », élu roi à la mort de Sigebert en 656. Dure jusqu’à

l’assassinat de Grimoald et Childebert en 662. Sentiment d’une sacralité de la famille royale

mérovingienne qu’on ne peut pas exclure du trône, même si elle partage de facto son pouvoir.

Les rois chevelus.

Pépin II reprend donc le pouvoir de Mdp en 679, fait assassiner le Mdp concurrent

de Neustrie qui s’appelle Ebroïn, et au terme d’une conquête militaire de la

Neustrie (victoire de Tetry en 687 contre Berchaire) devient le seul maire en 687,

avec un roi Thierry III. un homme tout-puissant mais pas un roi. Jouit

d'alliances dans la région de Cologne et autour de la Belgique actuelle. Riche.

2-Charles Martel, l’ascension d’un fils déshérité

Mort de Pépin II et situation héréditaire confuse : les deux fils de Plectrude sont

morts (Drogon 708 et Grimoald 714), reste le petit-fils Theodoald et la vieille

régent / le fils d’Alpaïs, Charles, est bien vivant. Il doit conquérir l’héritage de son

père. 716, évasion, 719, conquête contre Plectrude à Cologne, qui doit lui remettre

le trésor austrasien. 719, conquête (victoire de Néry) contre les Neustriens de

Ragenfred.

Charles fonde sa légitimité sur la capacité à combattre : c’est Charles Martel.

Expéditions victorieuses contre les Frisons (delta du Rhin) dès 719. Conquête de la

Thuringe, du duché de bavière, du duché des Alamans, reconquête de la

Bourgogne en 733. Dans une lettre, pape Grégoire II (722) lui donne donc le titre

de Dux. En 724, Continuation de Frédégaire, titre de princeps.

Devenir roi ? l’alliance lombarde, le subregulus et la papauté La « menace » ou l’alliance lombarde ? roi Liutprand, 732-734 : environs de Rome. Pape

Grégoire III se tourne vers Charles et l’appelle princeps Francorum et subregulus en 739.

Mort de Thierry IV en 737, trône laissé vacant.

Mais Charles refuse le rôle que veut lui faire jouer la papauté :

o L’alliance lombarde est indispensable en Provence

o Liutprand a adopté Pépin III et en a fait un fils de roi. c’est de la

royauté barbare que vient la légitimité, pas de l’autorité pontificale (bien

faible).

Poitiers, 732

la présence musulmane dans le sud du regnum : 711 : Esp. Wisigothique devient

musulmane. 719-725 : passage en Septimanie. L’émir Abd ar-Rahmân prend

Bordeaux et Poitiers en 732, menacent donc Tours ! = Reconquête de la 1ère

« Wisigothie » avant Vouillé. Or Charles Martel défait les troupes de l’émir en 732,

tue Abd ar-Rahman, bloque l’avancée musulmane, même s’il reste une forte

présence musulmane sur la côte Méditerranée.

Le jeu à trois : ce n’est pas une opposition chrétiens/musulmans, mais une

question de domination politique sur le sud de la Loire. Eudes a créé une

Page 25: Médiévale

principauté en Aquitaine, se fait appeler princeps : principauté = une région, qui

reconnaît le pouvoir nominal des rois mérovingiens mais pas celui des Mdp et qui

est gouvernée de façon autonome dans les faits. Or il ne peut pas seul faire face à

l’avancée musulmane : tantôt il fait alliance avec certains émirs contre d’autres

(Munza en Cerdagne, 730) et se fait accuser de trahison par Charles ; tantôt il doit

appeler à l’aide le même Charles (732). Bilan : en 735, mort d’Eudes, Charles

reconnaît son fils Hunald comme Duc (pas princeps) et exige serment de fidélité.

L’écho de la bataille est faible dans les sources contemporaines rédigées dans le

sud, mais contribue à forger à l’échelle de la chrétienté et dans les sources

officielles du nord du royaume (Continuations de la Chronique de Frédégaire)

l’idée que Charles est le rempart de la chrétienté, qu’il combat au nom de Dieu,

donc qu’il mérite de devenir roi à la place de la famille mérovingienne. Paradoxe :

c’est donc le nom de cet homme qu’on donnera à la dynastie qu’il a contribué à

fonder (les Carolingiens, héritiers de Charles Martel) mais il n’est pas lui-même

devenu un roi.

3-Pépin III (741-768), seul héritier de Charles Martel

Charles Martel meurt en 741 et partage : Carloman (Austrasie) et Pépin (Neustrie).

747 : Carloman se retire. Pépin gouverne seul et renforce son autorité :

- intégration au royaume du duché de Bavière où Tassilon (neveu) est reconnu duc,

mais sous dépendance vassalique

- conquête militaire très dure de l’Aquitaine (760-768) qui s’achève par la mort de

Waïffre.

- Conquête du nord de l’Italie lombarde en 754-756, mais au profit de la papauté :

amorce de constitution des Etats pontificaux.

Pépin, premier roi pippinide (751, sacre de Soissons)

le rôle de l’autorité pontificale

Vers 750, une ambassade dirigée par Fulrad pape Zacharie (741-752) : il vaut mieux

que porte le titre royal celui qui exerce la réalité du pouvoir.

l’élection par les Francs

ce que signifie le sacre : le précédent wisigothique ? le précédent biblique. Saint

Chrême. Coopération de tous les évêques, comme pour un évêque. NB : aucun rôle

pour Reims ni pour l’évêque de Reims.

la naissance de la dynastie carolingienne (754, sacre de Saint-Denis)

Etienne II et la situation lombarde. Roi Aistulf. Remplacer le protectorat byzantin

(iconoclaste) par soutien pippinide.

Le sacre consacre une famille : Bertrade, Charles et Carloman.

tous les éléments de la politique impériale carolingienne sont en place : les Carolingiens

sont les défenseurs de la papauté, ils rivalisent légitimement avec les empereurs byzantins, ils

sont une famille élue et une dynastie légitime.

Chapitre 3 Orient

Chapitre 3 L'Orient, VI-IXe I- L'Orient du VIe au VII

e s. 1- L’empire romain

d’Orient sous Justinien, le dernier empereur d’Orient et d’Occident ? (527-

565)Restauration possible du pouvoir impérial romain classique? a- Les reconquêtes532,

paix avec l’empire perse pour pouvoir se consacrer à la reconquête de l’Occident.

de l’Afrique

Au début du Ve s., un royaume vandale s’est implanté en Afrique du nord, sous la domination

du roi Genséric. Justinien y envoie en 530 son général Bélisaire qui achève une reconquête

exemplaire : l’Afrique redevient byzantine jusqu’à la conquête arabe. Un gouverneur y est

installé dans la capitale vandale, Carthage. Elle sert de point d’appui pour la conquête du sud

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de l’Espagne, jusqu’à Cordoue, menée en 554. Justinien est maître du littoral, de Valence à

Malaga.

de l’Italie

La succession de Théodoric a été délicate à cause d’ambitions rivales parmi ses héritiers

possibles. Justinien envoie à nouveau Bélisaire, qui conquière la péninsule du sud vers le nord

de 535 à 540. Dès le départ des troupes byzantines, les Goths reprennent le contrôle du sud,

de Rome à la Sicile. L’armée byzantine de Narsès reprend le dessus en une guerre atroce

(552-554). Justinien fait installer sa « capitale » italienne à Ravenne. Le représentant de

l’empereur en Italie n’est pas un simple gouverneur mais un exarque, c'est-à-dire un homme

qui cumule des fonctions militaires et civiles. On parle donc de l’exarquat de Ravenne.

L’Italie très affaiblie est une proie facile pour les Lombards. La conquête est accomplie sous

le commandement d’un roi unique, Alboin, entre 568 et 572, puis le pouvoir royal est contesté

et reste peu effectif sinon dans le nord autour de la capitale de Pavie. Ailleurs, c’est

l’émiettement en 35 duchés qui prime, duchés presque indépendants : duché à Spolète,

Bénévent, Salerne.

b- L'œuvre intérieure Le Code de Justinien ou Corpus Iuris civilis, Corps du Droit Civil. Il comprend :

le Digeste qui est un recueil de jurisprudence

les Institutes qui est un manuel de droit à l’usage des étudiants

les Code, recueil de lois antérieures, rédigé en latin (534).

Les Novelles, ajoutées en grec (535)

La croissance urbaine spectaculaire de Constantinople : (400 000 ou 500 000 hab. sous

Justinien) devenue une capitale, avec des institutions originales (un préfet pour la ville

l’Eparque), un poids politique important et des lieux de pouvoir symboliques : l’hippodrome

(sédition Nika en janvier 532), le Grand palais et l’église Sainte-Sophie, solennellement

dédicacée dès 537.

2- L'Arabie aux frontières de l'empirea- une région marginale Ce qu’a été l’Arabie

avant le Prophète est quasiment impossible à cerner. En effet, cette Arabie préislamique n’est

connue que par les sources musulmanes tardives (VIIIe ou IX

e s.) qui ont exercé un tri certain.

Elles désignent significativement cette ère comme la jahiliyya ou « période de l’ignorance ».

L'Arabie est une région qui semble marginale, entre deux mondes centralisés de type impérial:

- les Byzantins au nord ont créé des liens privilégiés avec l’Etat tampon chrétien des

Ghassanides, dirigé par des Arabes chrétiens. Les Ghassanides envoient des missions

vers l’Arabie, notamment vers Najran qui devient, au sud de la péninsule, la ville

chrétienne du VIe s. (christianisme de confession monophysite).

- les Perses Sassanides au nord-est, qui ont installés sur leurs frontières les chrétiens

Lakhmides, capitale Hîra.

Les années 600-620 sont marquées dans la région par l’affrontement de deux empires: le roi

perse Sassanide Khushrau II a occupé brutalement l’Asie Mineure en 602-610, jusqu'à

l'Arménie. 613, Syrie (Antioche), Palestine (Jérusalem), Egypte. 617, Chypre. Héraclius

reprend tout le terrain perdu ou presque entre 626 et 630. Envahit l’Iran. Khushrau est

assassiné en 628. Partout dans l’Orient, les villes se rétractent (Alep, Antioche). La religion

prend une importance démesurée, puisqu’elle semble signifier la fidélité politique elle-même :

les juifs d’Antioche se sont soulevés et ont permis aux armées sassanides de prendre la ville.

Avec le retour sous domination byzantine, Heraclius tente en 632 une conversion forcée des

juifs. Il résulte de ces bouleversements politiques une forte agitation messianique chez les

juifs d’Arabie et du Levant, favorable à l’irruption d’un prophète ou d’un homme providentiel.

La péninsule arabique elle-même est une terre généralement aride, où contrastent :

- l’Arabie heureuse (Yémen actuel). Routes commerciales vers l’Inde.

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- un désert où coexistent des bédouins nomades et quelques sédentaires, groupés autour

des larges oasis qui permettent l’agriculture irriguée (Yathrib = Médine) ou d’une ville

commerçante, La Mecque.

La ville jouit de la confluence des roues commerciales, entre Syrie et Yémen, Abyssinie

(Ethiopie) et Irak. La ville est dirigée par une élite économique à laquelle appartient la

première femme du Prophète, Khâdidja. À la tête de la cité, une sorte d’élite municipale,

formé par des chefs de tribu : les deux clans les plus importants sont alors celui des Banû

Hâchim, celui de Muhammad, et celui des Banû umayya qui se prolonge dans la dynastie des

Ummayyades (661-750) ou Omeyyades. Le monde arabe se distingue par l’absence d’Etat

centralisateur, par l’absence d’institutions politiques stables, ce qui rehausse l’importance du

système tribal. Des règles tribales, comme l’élection d’un arbitre en cas de conflits dur, ou les

compensations financières plutôt que la vengeance selon la loi du talion, permettent de

réglementer la violence et de la modérer.

b- Connaître l'Arabie pré-islamique: le problème des sources Les sources sur les débuts de l’islam sont tardives et peu fiables. Elles ont toutes été

retouchées par les deux camps qui se disputent l’héritage du Prophète, chiites minoritaires,

partisans de Ali, et sunnites majoritaires, ou tenants de la tradition ou Sunna, et n’ont été

fixées par écrit que dans le cours du VIIIe ou du IX

e s.

Exemple : les hadiths ou récits traditionnels relatifs à Muhammad, à son enseignement, à la

façon dont il a propagé le message musulman, accumulés par les proches. La plupart sont

transmis dans l’œuvre de Bukhâri (810-870), qui a trié les hadiths en fonction de leur

crédibilité et publiés dans un livre appelé le çahîh ou Authentique. La crédibilité d’un hadith

est évaluée en fonction de la continuité de sa chaîne de transmission et de la personne qui est

à l’origine de l’anecdote. Ces hadiths dont la valeur est globalement reconnue par les croyants

fondent la Sunna, qui a autant de poids et d’importance dans la définition du dogme, du rituel,

des lois (charî’a) que le Coran.

Les hadiths débouchent sur la création d’une véritable « biographie officielle » du Prophète, la

Sirâ : Ibn Hichâm a composé avant 834 (date de sa mort) un résumé de l’œuvre d’Ibn Ishâq

(m. 767), qui avait écrit à la demande du calife abbasside al-Mançûr (754-775) une Histoire

du monde depuis sa création. Ibn Hichâm s’est centré sur les récits qui entourent la vie de

Muhammad : son œuvre, la Sîra, est donc une biographie du prophète, la première et celle qui

a été le plus constamment reçue comme fondée, juste et véridique dans le monde musulman.

Le statut du Coran pose problème pour l’historien. Selon les musulmans, c’est une révélation

orale, survenue entre 612 et 632 à Muhammad, de la part de Dieu lui-même, par

l'intermédiaire de son ange Gabriel, en langue arabe, d’une série de paroles. Mais ces

révélations peuvent se contredire et ont été révélées dans un ordre dont la chronologie n'est

pas connue: or, la théorie de l'abrogeant abrogé est une règle d'exégèse coranique qui précise

que si deux versets sont contradictoires, c'est le dernier qui l'emporte. Le calife ‘Umar (634-

644) aurait commencé à les réunir. Le calife ‘Uthman (644-656) les aurait fixées par écrit

dans leur ordre définitif. Les musulmans insistent bien sur l’exactitude de la transmission. Les

historiens eux, observent qu’on a continué à collecter des versets coraniques sous le calife

omeyyade ‘Abd al-Malik (685-705) et que des traces subsistent de traditions divergentes

jusqu’au début du VIIIe s. Ce qui doit nous pousser à le considérer comme une source de

première importance sur les débuts de l’islam, mais à utiliser avec prudence.

Le statut précis du Coran n’a pas été défini sans problème : les mutazilistes du début du IXe s.

ont opposé à la doctrine du Coran incréé, l’idée d’une création du Coran. Les Mutazilistes en

effet réfléchissent à la transcendance de Dieu et refusent de lui attribuer une voix, capable de

parler à Muhammad : Dieu a seulement créé une voix pour parler à Muhammad, c’était sa

créature, comme le Coran est créature de Dieu. La doctrine, logique, fondée sur un

raisonnement, est reçue dans les élites et promue officiellement par le calife à partir de 827.

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Elle reçoit une forte opposition populaire surtout, et est interdite en 849. Retour au dogme du

Coran incréé. C’est une étape importante dans l’arrêt de la réflexion exégétique et théologique

appuyée sur la raison qui avait marqué les débuts du califat.

c- l'apparition d'un prophèteMuhammad est né dans la tribu des Quraysh, dans le clan des

Hâchim. De sa dizaine de femmes, il a eu de nombreux enfants. Parmi ceux qui ont de

l'importance politique, on retiendra: de sa première femme Khadîdja, trois fils morts en bas

âge et quatre filles. L’une d’elles, Fâtima, épousa Ali.

Il est peut-être né vers 570, après la mort de son père Abdallah. Sa mère le confie à une

nourrice et meurt quand le garçon a 8 ans. Il est pris en charge par son grand-père, puis par

son oncle. Il a progressivement la révélation de sa mission et groupe autour de lui une ou deux

centaines d’hommes qui le suivent. Les premières révélations qu’il reçoit menacent

directement la société de La Mecque : elles dénoncent les idoles et affirment l’unicité de Dieu

et sa capacité à juger les hommes ; elles critiquent la richesse, le luxe des Mecquois. Elles

mettent en cause directement le pèlerinage. Or, si dans un premier temps Muhammad a été

protégé par son chef de clan, son oncle, Abu Talib, Abu Talib meurt en 619 et est remplacé

par un adversaire du Prophète. Muhammad, soit qu’il ait été chassé de La Mecque, soit qu’il

ait été choisi comme arbitre de leurs différents par les habitants de l’oasis de Yathrib, quitte

La Mecque en 622 avec quelques dizaines de disciples : c’est l’Hégire, événement fondateur

du calendrier musulman. A posteriori, on construit dans l'historiographie musulmane l'idée

d'un prophète persécuté qui aurait dû quitter La Mecque pour mieux y revenir en triomphateur.

En fait, il y a sans doute accord des Mecquois qui laissent partir le Prophète pour l’oasis de

Yathrib, devenue Médine, c'est-à-dire la Ville du Prophète, va servir de lieu d’établissement

de la première communauté des croyants, moitié mecquois émigrés, moitié médinois convertis.

Après l'Hégire, 622, se forme à Médine la première communauté des croyants, fondée sur une

organisation sociale et politique entièrement nouvelle: les émigrés, les habitants de Médine,

les juifs, sont associés, avec une Charte de vie commune Ŕ la constitution de Médine qu'il

vaudrait mieux appeler Charte de Yathrib Ŕ pour former l'Umma, la communauté des affidés,

les mu'minûn, ceux qui peuvent se fier les uns aux autres - qui n'a plus de base tribale mais

dont le ciment est la conquête et la lutte: le but est "le combat sur le chemin de Dieu", le

jihad,entre deux groupes clairement définis: les affidés contre les réfractaires. Les liens

tribaux habituels sont niés au profit d'une solidarité entre affidés: "Un affidé ne tue pas un

autre affidé pour venger un réfractaire". Les juifs y ont leur place. La place de Muhammad y

évolue considérablement: il était chef religieux, il devient chef politique, C 4, 65: "Ils ne

seront pas des croyants tant qu'ils ne te prendront pas pour arbitre de leurs différends et tant

qu'ils trouveront des objections à ta décision au lieu de s'y soumettre totalement." Muhammad

reçoit dans cette charte le titre d'al-nabî, le chef législateur (comme Moïse).

En 628 : trêve de dix ans signée avec La Mecque à condition que les musulmans puissent

accomplir le pèlerinage annuel à La Mecque

629 : premier pèlerinage

630 : prise facile de la ville de La Mecque par Muhammad et ses partisans

632 : mort d Prophète

3- L'enseignement du Prophète, l'islama- Une foi née dans un contexte de grand

bouillonnement religieuxEn Arabie du VIIe s., il n'existe pas de religion autochtone

uniforme, mais différentes formes de polythéismes: à Tâ’if (en plein Hijâz, lieu d’oasis),

paganisme polythéiste; du monothéisme sans doute dans les oasis de Yathrib ou de Najrân,

Mais précocement à La Mecque, présence d'un important sanctuaire syncrétique.

Le paganisme arabe s’exprime par :

- la certitude qu’il existe de nombreux esprits, les jinns, capables d’inspirer les hommes.

Un hadith montre une femme qui prophétise le grand avenir de Muhammad parce

qu’elle est une devineresse, inspirée par un jinn (un peu comme la pythie de Delphes).

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- L’absence d’un corpus de doctrine clair et d’un clergé : c’est une famille qui dirige et

contrôle un sanctuaire, ce dont elle tire son prestige. C’est la cause de l’opposition des

Quraysch à la prédication de Muhammad, au moment où le Prophète commence à

enseigner qu’il ne faut pas adorer les idoles.

- La croyance en des dieux qui peuvent être signifiés par des animaux (à La Mecque, un

serpent redouté vit dans le sanctuaire) ou des pierres, comme la fameuse pierre noire

qui est incluse dans le sanctuaire de la Kaaba. Dans les premières années de la

prédication de Muhammad, les habitants de La Mecque décident de reconstruire le

sanctuaire : ils en abattent les murs, les relèvent plus hauts, couvrent le tout d’un toit et

se disputent l’honneur de remettre en place dans l’angle la pierre noire. Il faut

l’arbitrage de Muhammad pour qu’ils parviennent à s’entendre et reportent tous

ensemble, dans un drap tenu aux quatre coins, la pierre dans le mur (épisode de la

Sîra)

- La croyance vraisemblable en un dieu créateur, Allah, avant même la prédication de

Muhammad, qui serait à l’origine du culte de la Ka’ba.

- Des pratiques, comme le sacrifice et le pèlerinage. Dans la Sîra, on voit la place du

sacrifice dans la vie du grand-père de Muhammad. Ce grand-père a fait un vœu : il

sacrifiera l’un de ses enfants s’il parvient à un âge avancé avec 10 garçons vivants. De

fait, il vieillit entouré de toutes les garanties de salut et de bonne vieillesse puisqu’il a

10 garçons… Il veut donc accomplir son vœu et tire au sort le nom de celui de ses

enfants qui doit mourir : comme c’est son fils préféré qui est désigné, ses proches

l’encouragent plutôt à chercher un moyen de dédommager la divinité. Il substitue

l’immolation de 100 chameaux au sacrifice de son fils. Le pèlerinage ensuite, auprès

de sanctuaires : La Mecque est le plus connu.

- L’existence d’un monothéisme arabe radical, la hanifiyya, qu’on imagine plus qu’on

ne la connaît. Ses fidèles, mentionnés aussi bien dans le Coran que dans la Sira, se

présentent comme les héritiers de la religion d’Abraham, qui aurait été déformée par le

christianisme comme par le judaïsme. C’est une religion nationale aussi dans la

mesure où les Arabes revendiquent leur filiation avec Abraham, par l’intermédiaire de

sa concubine Ajar, dont il a eu un fils Ismael. Cette tradition ethnique et nationale est

reçue comme une vérité d’évidence par la Sira. Dans ses origines, la prédication de

Muhammad apparaît comme le prolongement de cette religion des origines : retour à

un monothéisme strict, refus du culte des idoles, circoncision, respect pour la Ka’ba

parce qu’elle serait le sanctuaire fondé par Abraham lui-même, unification religieuse

et nationale autour d’une religion distincte des autres monothéismes, dont les

implications politiques menacent l’indépendance de l’Arabie.

Mais le christianisme et le judaïsme jouent un rôle fondamental dans le premier islam L'influence du christianisme, présenté dans la Sunna comme exerçant un grand attrait sur les

membres de la famille de Muhammad, dont trois oncles sur quatre sont réputés s’être

convertis au christianisme ; on trouve de nombreux hadiths qui montrent comment les Arabes

commerçants rencontraient le long de leur route des moines chrétiens qui les accueillaient

dans leurs monastères ou leurs ermitages ; les premiers musulmans enfin recueillent avec

gourmandise les prophéties, en milieu chrétien, qui annoncent le destin exceptionnel du

Prophète.

Le judaïsme est lui aussi bien représenté, sans doute à la suite de la fuite hors de Palestine de

groupes entiers, pour échapper à la répression romaine des Ier

et IIe siècles. Au moment où

l’histoire de l’islam commence, les juifs sont entièrement intégrés au système tribal arabe, ils

portent des noms arabes, parlent arabe et écrivent de la poésie bédouine qui ne se distingue en

rien de la littérature des païens. Ils exercent toutes sortes de métiers. En revanche, il est

possible qu’ils aient eu des options politiques autonomes, différentes : notamment en se

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rapprochant du pouvoir des Perses Sassanides. On a noté que c’est un juif de Yathrib qui était

chargé, au nom des Sassanides, de percevoir des taxes sur les Bédouins. Les juifs et les

chrétiens d’Arabie pouvaient de ce fait se trouver en situation de concurrence, voire

d’opposition politique, comme c’est le cas autour de Najran, ville chrétienne persécutée par le

roi juif et pro-sassanide Dhu Nuwas, défendue par l’empereur byzantin Justinien et son allié,

le roi chrétien (mais monophysite) d’Axum, en Ethiopie.

b- Ce qu'enseigne le Prophète Dieu-Allah est

o Créateur, qui domine le monde visible par sa volonté, le monde invisible par

ses anges et ses archanges. Différentes écoles théologiques s'opposent ensuite

pour savoir si Dieu dirige le destin du croyant ou non, les Qadarites affirment

que l'homme reste libre et responsable de ses actes, tandis que les Jabrites

pensent qu'il y a une contrainte divine, jabr, qui mène les hommes. Cette

opposition est importante puisqu'elle a des conséquences politiques: les

Jabrites acceptent les changements de régime, l'état des lieux, sans discuter.

o Unique. , ce qui implique de refuser le culte de toute idole. L'un des épisodes

fondateurs de la doctrine de Muhammad est l'épisode dit "des verstes

sataniques", qui fonde la doctrine contre les associationnistes:

- alors qu'il est encore à La Mecque, le prophète reconnaît que trois idoles peuvent

servir d'interprètes de la volonté divine. C'est une révélation qui ne vient pas de Dieu

mais du diable qui veut tromper le Prophète

- donc Muhammad se rend compte que les versets qui reconnaissaient la légitimité des

idoles inférieures sont faux, diaboliques

- donc il reçoit une autre révélation, celle-là considérée comme vraie, qui est celle d'un

Dieu unique qui ne peut pas être vénéré par ceux qui sont des "associants". Coran,

sourate 112: "Dis, Dieu, il est Dieu, il est Un, Il n'a pas engendré et il n'a pas été

engendré et il n'a point d'égal."

o Adorable. C’est lui « qui a créé les hommes pour qu’ils l’adorent »

La prière qui lui est dûe n’est donc pas une prière de demande mais d’adoration, de louange :

l’homme doit donc à Dieu la prière ou salat, cinq fois par jour, après une purification rituelle

et le vendredi en commun. Pour prier, le croyant ne se tourne pas vers une représentation de

Dieu, mais vers le mihrab, niche ménagée dans le mur de la qibla- le mur de la mosquée qui

est du côté de la Mecque Ŕ qui est donc une absence, un creux.

o Juge des hommes, qui se rendent coupables de péchés, et à qui il rendra selon

leurs actes au jour du Jugement dernier. Chaque croyant est responsable de

mener, de toutes ses forces, une réforme de ses mœurs, une vraie guerre contre

soi qu’on appelle le « djihad majeur ». Il est le seul capable de pardonner, sans

l’intermédiaire d’un clergé : tous les croyants sont égaux devant un Dieu aussi

radicalement transcendant, l’imam qui dirige la prière en commun à la

mosquée le vendredi n’est pas un clerc, un consacré, mais un simple

coordinateur.

La Chahada ou profession de foi, résume l’essentiel de cette foi monothéiste quand le croyant

répète plusieurs fois par jour « il n’y a de divinité que Dieu et Muhammad est son envoyé ».

À côté de cette foi fondamentale, le croyant reste libre de mener une vie spirituelle qui le

conduit à se rapprocher de Dieu par la prière personnelle, l’ascèse ou la méditation. Ceux qui

privilégient cette voie d’union à Dieu sont appelés soufis, disons mystiques, encore qu’il

existe de nombreuses attitudes sous un terme aussi générique. Ils jouissent d’une grande

considération jusqu’au IXe s. avant que leurs audaces mystiques ne les rendent suspects aux

yeux des sunnites (thèmes de la fusion en Dieu, prévalence de la dimension spirituelle du

culte). La justice socialeL’islam comporte par nature une dimension sociale et politique

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puisque cette religion refuse a distinction entre profane et religieux ou entre temporel et

spirituel : « Ce qui est dans le cieux et ce qui est sur la terre appartient à Dieu », Coran, IV,

131, ce qu’on pourrait opposer à « rends à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est

à Dieu ». Le Coran est donc, non seulement révélation sur Dieu, mais norme sacrée: 500

versets dits légiférants servent de base à la charia pour les matières de divorce, mariage, vol,

etc. Or le Coran affirme aussi que « Les croyants sont frères. » (49, 10). Donc :

le partage des biens est une obligation religieuse, pour que les riches viennent en aide

aux pauvres : l’aumône ou zakat est ce qui reste de cette dîme volontaire et charitable,

qui est devenue une véritable impôt prélevé par l’Etat. Elle n’épuise pas la charité

continue, moins institutionnelle, qui est pratiquée notamment le vendredi et durant le

mois de ramadan : durant le mois de ramadan, le croyant doit se priver de nourriture,

de boisson, de relations sexuelles et de cigarettes du lever au coucher du soleil. On

parle du sawm ou jeûne.

Le prêt à intérêt est interdit

L’esclavage est toléré, mais il est fortement recommandé d’affranchir ceux des

esclaves qui se convertissent, et généralement de bien traiter ses esclaves.

Les femmes doivent recevoir une égalité de traitement, jusque dans le cadre de la

polygamie tolérée, mais jugée peu favorable : « Epousez comme il vous plaira deux,

trois ou quatre femmes, mais si vous craignez de n’être pas équitable, prenez une seule

femme », Cor IV, 3.

Le pèlerinage ou hajj enfin manifeste la cohésion de toute la communauté des croyants

qui se rassemble, chaque année dans le douzième mois lunaire, dans la mesure des

forces de chacun, autour de la Mecque. C’est une sorte de retour aux sources : les

pèlerins passent par Arafa, où Dieu a accordé son pardon à Adam, ils se souviennent

qu’Abraham a abandonné son fils premier né Ismaël dans le désert près de La Mecque,

avec sa mère, l’esclave Hagar, et que l’enfant a survécu pour devenir l’ancêtre des

Arabes, ils arrivent à la Kaaba, pierre qu’Abraham a rapportée du paradis.

II- La conquête arabe 1- L'expansion musulmane

Dès 630, les Arabes commencent une guerre de conquête. Ce sont leurs itinéraires

commerçants qui semblent dicter les itinéraires de l'expansion.

- La première conquête est celle de l'Arabie elle-même, jusqu'au Yémen: de 632 à 634, la

"guerre de la Ridda" est en fait une conquête sanglante et brutale de la péninsule arabique.

- Palestine. Dès 629, incursions contre les royaumes du nord, en général des échecs jusqu'en

634 (bataille de Dathina), dans une terre que l'empereur Héraclius vient tout juste de

reprendre aux Sassanides. Les populations juives alors, persécutées par Héraclius car alliées

des Perses, accélèrent l'arrivée des musulmans. Prise de Jérusalem dès 635, construction d'une

mosquée sur l'esplanade du temple, ite plus tard Mosquée d'Omar, puisque c'est à ce calife

qu'on attribue la conquête de Jérusalem (traditionnellement datée de 638).

- conquête de la Haute Mésopotamie après 636, dans une région de forte présence arménienne

et syriaque, contre les Byzantins (conquête d'Edesse et de Nisibe) puis les Perses (637: prise

de Ctésiphon puis en 650 toute la Perse).

- conquête de l'Egypte, sur l'initiative d'un général 'Amr ibn al-'As de 639 à 646, marquée par

la 641 : création du camp arabe de Fustat (= Le Caire) et la prise d'Alexandrie (642).

Conquête violente et humiliante se heurte à forte résistance copte et soulèvements récurrents

(645).

647 : raid à travers la Libye, conquête de la Tunisie.

674 : première attaque par mer contre Constantinople. C’est une mini-révolution. Les

Byzantins pensaient en effet dominer pour toujours la mer. Constantinople est d’ailleurs

fortifiée du côté de ses frontière terrestres (murailles de Théodose II) en considération du

danger gothique ou danubien, mais pas du côté de ses frontières maritimes. Tous les

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envahisseurs de Byzance ont échoué pour leur non-maîtrise des techniques maritimes. Or les

Arabes profitent du savoir-faire des Yéménites pour acquérir une flotte, des chantiers navals

d’Alexandrie et de Tyr et de Sidon, ils sont en mesure de conquérir les îles de Chypre (647),

de Crète (649), de Rhodes (650).

677 : première paix arabe-byzantine

697 : conquête de Carthage

711: passage de Gibraltar

717 : progression arabe en Anatolie

717-718 : siège de Constantinople. Le feu grégeois

740 : victoire byzantine d’Akroïnon : c’est le début du reflux arabe, le Poitiers byzantin.

827 : conquête arabe de la Crète

2- La succession de Muhammad

La succession de Muhammad ouvre de grandes difficultés. On dit dans les manuels: "Il n'est

pas évident qu'il doive y avoir un successeur à l'homme qui a reçu la révélation. Sauf à vouloir

transformer en pouvoir politique une intuition religieuse?" En vérité, on l'a vu avec la

Constitution de Médine, le chef religieux est un chef politique dans l'islam. Mohammad n'a

pas de fils vivant.

On ne sait pas ce qui s'est passé entre 632 et 634:

- selon la version officielle, celle qui est donnée par l'historiographie sunnite, il y a eu

élection consensuelle de l’ami et beau-père du Prophète, Abu Bakr, le père de son

épouse préférée Aïcha, comme son successeur, après qu’il a insisté sur l’union

nécessaire des deux partis, les fidèles de Médine et les parents de La Mecque. Mais

par humilité l'homme aurait refusé de prendre le titre de "lieutenant de Dieu", d’où le

titre humble choisi par Abu Bakr, khalifat rasul Allah, « représentant du Prophète de

Dieu », pour prendre le titre plus humble de "lieutenant du lieutenant de Dieu"… Dans

l'historiographie sunnite, on appelle Abu Bakr le premier des "bien guidés", les quatre

premiers successeurs de Muhammad = les Rashidun, les amis les plus intimes et ceux

qui jouissaient de la plus grande confiance de Muhammad. Ils auraient toujours été

choisis par consensus : après Abu Bakr, Umar, Uthman, auquel on ajoute le calife Ali

à partir du IXe voire du X

e s. seulement.

- Selon des hypothèses récentes, une autre façon de comprendre cette humilité d'Abu

Bakr: et si n'avait été qu'un représentant de Muhammad, encore vivant en 632, dans

une région donnée (la Palestine?) = cette nouvelle hypothèse expliquerait mieux le

titre, et la continuité dans la politique: ce serait Muhammad lui-même qui serait

responsable de la transformation de la prédication en conquête. Le premier successeur

dans cette optique ne serait pas Abu Bakr, mais Umar.

- Les Chiites proclament qu’avant sa mort le Prophète a désigné son cousin Ali et que

c'est à cause de l'ambition des autres qu'Ali a été écarté du pouvoir jusqu'aux années

656.

- Ce qui est sûr, c'est qu'entre 632 et 634 une forte opposition des tribus arabes s'est

manifestée contre le pouvoir hégémonique de Muhammad ou de son lieutenant. Ce

soulèvement a été appelé, après qu'il a été maté, la Ridda, c'est-à-dire l'apostasie, ce

qui est une façon de stigmatiser de façon religieuse (les opposants seraient des

croyants tièdes ou mous) une opposition politique à l'unification de l'Arabie par l'islam.

Les assassinats d’Umar (634-644) puis d’Uthman (644-656) semblent en tout cas montrer que

la succession était plus que délicate. Uthman avait apparemment favorisé l’ascension d’une

classe sociale mecquoise, celle de son clan, au détriment d’autres Arabes dont le pouvoir

aurait été tout aussi légitime. L’opposition a fait d’Alî son porte parole puisque Ali est le

gendre du Prophète et le père de ses seuls descendants mâles Hussein et Hasan. Quand

Uhtman est assassiné en 656, Ali est porté au pouvoir mais on l’accuse d’avoir commandité

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l’assassinat. Mu’awiya ibn Abi Sufyan cousin d’Uthman et gouverneur de Syrie, prend la tête

de l’opposition = c’est le parti des Omeyyades.

La guerre civile culmine à la bataille indécise de Siffin en 657. Mu’awiya demande le recours

à des arbitres ce qu’Ali accepte. Deux conséquences :

- le pouvoir passe à Mu’awiya et aux Omeyyades puisque les arbitres pensent qu’Ali,

un assassin, ne peut pas régner

- le clan d’Ali se divise puisque les kharidjites (« ceux qui refusent ») quittent ses

troupes : ils refusent qu’on confie à un autre qu’à Dieu un tel arbitrage (donc c’est au

combat de décider pas à des hommes). C’est un kharidjite qui assassine Ali en 661.

Les Kharidjites sont d’une certaine façon les puristes de l’islam, pour lesquels la morale

personnelle a une importance fondamentale : au point qu’ils refusent de fonder le pouvoir du

calife sur une autre origine que sur son excellence morale. Est digne de régner, celui qui est

digne, vertueux : celui qui se rend coupable du moindre péché doit être destitué. C’est refuser

la transmission dynastique et favoriser l’instabilité politique. Mais c’est dire aussi à quel point

ces musulmans kharijites, recrutés surtout dans les classes populaires, sont sensibles au

problème de fondamental de l’islam à ses débuts, qui est la capacité de la nouvelle religion à

se transformer en une structure politique.

3- le califat Umayyade (jusqu'en 750)

En 661, Muawiya, gouverneur de Syrie, succède à Ali et inaugure une série continue

d’Umayyades sur le « trône », en modifiant profondément le principe successoral musulman :

il veut que le pouvoir devienne héréditaire, et place son fils Yazid à sa place en 680. C’est

inacceptable pour beaucoup :

- al-Husayn, un fils d’Ali s’y oppose mais sa révolte est écrasée à Karbala en 680

- un autre, Muhammad ibn al-Hanafiyya anime la résistance de l’Irak de 685 à 687

- Abdallah Ibn-Zubayr refuse de reconnaître Yazid et fonde un califat concurrent de

681 à 692 dans le Hijaz, qui contrôle par intermittence l’Irak, l’Iran ou l’Arabie.

C’est l’occasion chez les Omeyyades d’une définition accrue de leur rôle religieux. Jusque

dans les années 680, le pouvoir califal ne recouvre pas un contenu très clair : le calife est un

chef politique qui peut à l’occasion dire le droit ou préciser la religion. Le calife Abd al-

Malik, qui rétablit l’unité de l’ensemble en écrasant la révolte d’Ibn Zubayr (692, année de

l’unité dans le calendrier arabe), lui donne une dimension plus religieuse :

- il insiste sur la personne du Prophète, dans des inscriptions, sur des monnaies, des

papyrus. Avant les années 680, l’islam consistait apparemment à croire en Dieu et à

l’existence du jugement dernier. Après 680, redécouverte de la personne historique du

Prophète, de son rôle qui confère au monothéisme musulman son caractère propre, du

caractère exemplaire de son action. Insistance sur le thème de Muhammad, « sceau »

des Prophètes = il n'y en aura pas d'autres

- Il réforme le monnayage pour en faire disparaître les ornements figuratifs. Ils

porteront désormais l’affirmation : « Pas d’autre Dieu que Dieu » ou autres citations.

C’est une réponse au programme explicitement politico-religieux des monnayages

byzantins qui ont cours chez les musulmans. C’est l’affirmation d’une identité

musulmane, définie comme hostile à la représentation.

- Il construit à Jérusalem le Dôme, à l’endroit supposé du sacrifice d’Abraham, en

affirmation d’une supériorité et d’une spécificité de l’islam sur les deux autres

monothéismes. C’est sur les murs du Dôme que se trouvent les inscriptions les plus

anciennes de sourates du Coran, dont cette affirmation qui est destinée évidemment

aux chrétiens :

« O peuple du Livre… ne dit rien à propos de Dieu, que la Vérité. Certes, le messie Jésus est

le fils de Marie, et un apôtre de Dieu et sa parole, Parole envoyée à Marie. C’est un esprit

venu de Dieu. Alors crois en Dieu et en ses apôtres, mais ne dit pas que Dieu est trois. Arrête-

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cela vaut mieux pour toi. En vérité, Dieu est Dieu, il est trop élevé pour avoir un fils. (4,

171) ».

les Ommeyyades dirigent l'empire arabe jusqu'en 750, remplacés par Abbassides sauf en

Espagne.

III- De l'empire romain d'Orient à l'empire byzantin 1- Le dernier empereur

romain, Héraclius (610-641) Héraclius parvient au pouvoir par usurpation : il est le 5

e successeur de Justinien. Son père

était exarque de Carthage. Il amorce un rétablissement de l’empire contre les Perses (voire

plus haut) mais assiste avec impuissance à la montée de l’empire arabe et des dangers qui

plongent l'empire byzantin dans les Dark Ages.

Bien des villes disparaissent pour n’être plus que de petits villages en Asie Mineure. C’est une

évolution longue qui transforme l'empire romain en empire byzantin : la cité jouait un rôle

déterminant dans la vie romaine, où l’on pensait que l’idéal de l’honnête homme était d’être

un urbain. Avec l’empire byzantin, l’élite urbaine perd son importance, se retire sur ses terres,

refuse d’exercer la charge coûteuse de curiale, bref de contribuer par sa fortune à l’entretien

des fonctions urbaines (adduction d’eau, assistance des pauvres, direction politique des

municipalités, entretien des bâtiments publics comme les thermes). Les élites retirées à la

campagne y contribuent au développement du patronage. Le patron, c’est l’homme influent

qui sert de bouclier à ceux qu’il protège, pour leur éviter d’avoir à remplir une obligation. Par

exemple, un patron interviendra pour qu’une communauté villageoise soit dispensée d’impôt

une année donnée. C’est un système qui tient à la corruption, quand c’est un fonctionnaire de

l’Etat qui utilise ainsi au profit d’une communauté locale le pouvoir dont il dispose. C’est un

système qui contribue surtout au plan local à rendre certains hommes très puissants, par la

quantité d’hommes avec qui ils sont liés par des liens de fidélité : les usurpations peuvent

s’appuyer sur ces liens de patronage.

Les SlavesLe VIIe siècle est marqué par une crise profonde : l’Empire romain d’Orient perd

la plus grande partie de son territoire, sauf en Anatolie, qui devient le cœur de la puissance

byzantine. Trois vagues d’invasion ont eu raison de l’Empire tel qu’il avait été construit par

Justinien au début du VIe s. :

- les conquêtes arabes conduisent à une rétractation de l'empire d'Orient à la seule

Anatolie centrale et occidentale

- Les Slaves et les Avars (païens) ont fait irruption dans les Balkans vers 580. Les Avars

sont des nomades de la Volga au Danube. Ils contrôlent des peuples comme les Slaves ou les

Bulgares. Ils les utilisent comme combattants contre les Byzantins. Ils peuvent s’allier aux

Perses pour prendre l’empire en tenailles, comme en 626 où ils participent au siège de

Constantinople. La chute des Avars (début VIIe s.) libère les peuples qu’ils opprimaient, dont

des Slaves qui s’emparent du Péloponnèse (sud de la Grèce actuelle). Byzance n'y conserve

plus après 615 que quelques têtes de pont, dont Constantinople, Thessalonique, Athènes et

leurs régions, ainsi qu’une partie du Péloponnèse, les îles égéennes et quelques villes de

l’Adriatique. Les Slaves s’y installent selon le système dit des sklavinies : de petites

communautés très décentralisées. La réduction des sklavinies s’est donc avéré aussi difficile

(sinon plus) que de vaincre une puissance organisée comme les Avars, car il fallu les réduire

une par une : dans le sud et l’ouest des Balkans (Grèce et Dalmatie), c’est l’œuvre des

empereurs du IXe s. Dans le nord des Balkans en revanche, les sklavinies n’ont jamais été

réduites et des entités politiques slaves ont pu se développer en concurrence de Byzance, et à

quelques centaines de kilomètres de la capitale. Après la chute de l’Empire avar à la fin du

VIIIe siècle, la puissance bulgare a pu se déployer dans les Balkans : elle a représenté le plus

grand défi à l’existence de Byzance aux IXe et X

e s. Ce n’est qu’au début du XI

e s. que Basile

II (le « Bulgaroctone ») parvient à abattre l’Empire bulgare et à l’annexer (1018) et à reporter

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la frontière au Danube, retrouvant plus ou moins (sauf en Dalmatie) l’extension de l’Empire à

l’époque de Justinien.

- Les Lombards ont envahi l’Italie, ne laissant à Byzance que quelques régions

dispersées, principalement dans le sud. Rome et Ravenne sont restées byzantines

jusqu’au milieu du VIIIe s., et plus durablement l’extrême sud de l’Italie: les

Byzantins conservent les Pouilles et la Calabre jusqu’à la fin du XIe s., époque à

laquelle ces régions passent au pouvoir des Normands de Sicile.

le résultat est que l’Empire romain d’Orient devient un Etat médiéval classique, plus

compact, et finalement plus facile à administrer et à défendre. On parle désormais de

préférence d’Empire byzantin. En revanche, l’idéologie impériale reste inchangée :

officiellement, l’empire est universel et a vocation à réunir à nouveaux tous les territoires qui

ont été sous sa domination. Le principe même de l’Etat byzantin est donc la guerre de

reconquête (mais sans dimension religieuse de type « croisade » : c’est plutôt l’idéologie

impériale romaine qui soutient cet effort militaire). Les Isauriens stabilisent les frontières. La

reconquête sera plutôt l’œuvre de leurs successeurs, principalement les Macédoniens.

2- Rétablissement de l’empire par sa militarisationa- Création des thèmes

On ne sait pas la dater précisément, mais elle intervient bien dans la deuxième moitié du VIIe

s. L’idée est de transformer l’administration provinciale en administration militaire. Avant le

VIIe s. en effet, il y a une cinquantaine de provinces, regroupées en 7 diocèses. La séparation

des pouvoirs militaires et civils est complète : un gouverneur pour les question de police et de

justice, un dux pour les questions de défense. L’armée est en effet composée aux frontières de

soldats qui reçoivent en échange de leur service, une terre, dont ils doivent tirer assez de

revenus pour payer leur équipement et leur solde. On les appelle limitanei, « gens des

frontières », par opposition à l’armée centrale des comitatenses. La réforme du 2e VII

e s. est

de confondre les deux autorités : à la place des provinces, on créé de petits thèmes, dirigés par

un stratège, qui est dans sa circonscription à la fois le juge, le gouverneur, le percepteur et le

général. C’est évidemment plus efficace en contexte de menace militaire arabe permanente :

le stratège dispose dans son thème de 6000 à 12 000 soldats, les stratiotes, paysans aisés qui

cultivent les terres stratiotiques, et sont rapides à mobiliser.

b- Dynastie des Isauriens Le salut vient peut-être pour Byzance de la mise en place d’un pouvoir héréditaire fort, celui

de la dynastie des Isauriens qui dominent la situation de Léon III (717-741) à Nicéphore,

usurpateur en 802. Les Isauriens et Léon III sont efficaces contre les Arabes (levée du siège

de Constantinople en 717 et victoire d’Akroïnon, c’est Léon III) ; ils actualisent la législation

de Justinien par l’Eklogè.

Leur dynastie s'appuie sur un "sens patriotique fort", une propagande destinée à renforcer

l'unité nationale, qui passe par l'adoption d'une sorte de christianisme purifié: les empereurs

isauriens sont iconoclastes. La première crise iconoclaste (726-787)

La représentation divine : l’Ancien et le Nouveau Testament à de nombreuses reprises

dénoncent la tentation de représenter Dieu comme étant une pratique idolâtrique. Ils

rappellent que le Christ après sa résurrection n’a plus le même visage, donc qu’il est illusoire

de prétendre le représenter. C’est ce qui séduit nombre de clercs, parmi l’élite intellectuelle de

l’empire. En même temps, la pratique de la vénération des images s’est répandue dans

l’empire byzantin : ce sont des reliques et des images qui protègent l’empire (siège de 626

contre les Avars, siège de 717 de Constantinople) ; il existe des images qui font des miracles,

comme la Vierge de Sozopolis en Pisidie. Lors du siège de Nicée par les Arabes en 727, un

officier byzantin qui a jeté une pierre contre une image de la Vierge meurt brutalement. Il

existe des images achéiropoietès. Il existe même des images qui ont été voulues par le Christ

lui-même comme la Sainte-Face d’Edesse. Et refuser les images est le propre des autres

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monothéismes (judaïsme et islam), donc il est tentant de se distinguer des autres par une

pratique différente, plus tolérante pour la représentation.

Le culte des saints : les saints surtout sont figurés (murs des églises, tableaux privés…) ce qui

est plus normal puisque ce sont des hommes, qu’on peut représenter dans leur cadre historique

réel pour encourager les fidèles à leur ressembler, mais ce qui établit une confusion

dangereuse. Est-ce qu’on ne risque pas alors de leur rendre un culte qui n’est dû qu’à Dieu ?

La dévotion envers les images et les saints était certainement excessive dans certains milieux

ou lieux : Théodore Stoudite félicite dans une de ses lettres son ami le spathaire Jean d’avoir

choisi pour parrain de son fils une icône de saint Démétrius. Ici ou là, on grattait les images

des murs ou la peinture des icônes pour la boire comme une potion capable de donner la

guérison. Les icônes portatives, sur support de bois, sont particulièrement propres à devenir

des talismans, des supports idolâtriques.

Léon III (717-741) et Constantin V (741-775) L’empereur Léon prend l’initiative d’une déclaration de foi hostile aux images, publiées par le

patriarche Anastase en 730. Il fait déposer une image du Christ qui ornait la porte de bronze

de son palais la Chalcé. Il la remplace par une croix : la figuration symbolique est tout à fait

acceptée. Le pape Grégoire II condamne cette position iconoclaste et rompt avec

Constantinople. Le concile de Hiéréia de 754, convoqué par Constantin V, donne une

définition ambitieuse et cohérente de la théologie iconoclaste, avec l’appui des 338 évêques

présents, au nom de l’orthodoxie chalcédonienne : la double nature du Christ ne peut pas être

représentée par un support qui est uniquement humain. Le culte des saints est très légitime, à

condition qu’on comprenne bien qu’ils sont surtout vivants dans le récit de leurs vies, plus

que vénérables dans les images. Après Hiéréia commencent les applications pratiques :

destructions des images, découpées dans le livres, blanchies sur les murs, brûlées sur les

icônes ; profanation des reliques des saints, dont Constantin V affirme qu’ils n’ont aucun

pouvoir d’intercession (on est là dans l’hérésie franche, loin des positions plus nuancées du

concile de Hiéréia) ; persécution des moines enfin (Etienne le Jeune livré à la foule qui le tue

en 764), humiliés à l’hippodrome (766), torturés ou exécutés, d’abord pour leur défense des

images, ensuite pour leur état même : Constantin V récuse l’utilité de l’ordre monastique et

persécute (760-775).

1er

rétablissement du culte des images (787) Irène a été mariée par Constantin V à son fils Léon IV (775-780) : à la mort de son époux, elle

se trouve en position d’exercer la régence pour son fils Constantin VI (780-797). Elle choisit

alors le patriarche Taraise (784-806) qui fait sa soumission totale au pape Hadrien Ier

(772-

795) et convoque avec l’accord du pape le 2nd

concile de Nicée (787) pour rétablir les images

(devant lesquelles il faut se prosterner et qu’il faut embrasser), le culte des saints et de leurs

reliques (qui doivent être replacées dans les autels), l’autorité pontificale qui est la garantie de

l’unité de l’Eglise.

Le deuxième iconoclasme (813-843) puis le rétablissement de l’orthodoxie Suscité par l’empereur Léon V en 813-814 à cause de son effroi devant les difficultés de

l’empire, qu’il attribue au rétablissement des images. Lui et ses successeurs se livrent

épisodiquement à une persécution brutale et dégradante des moines iconophiles.

C’est l’œuvre d’une 2e impératrice, Théodora, veuve de l’empereur Théophile (829-842) qui

exerce la régence au nom de leur fils Michel III. Ele réunit, sitôt après la mort de son époux,

un concile local à Constantinople qui rétablit l’orthodoxie selon le modèle de Nicée II. Le

premier dimanche de Carême est toujours célébré dans l’Eglise orthodoxe comme celui du

rétablissement de l’orthodoxie. 3- Dynastie des Macédoniens

Basile Ier

est un homme d’origine très modeste qui est parvenu au trône grâce à la faveur de

l’empereur Michel III, qu’il fait assassiner en 867 pour lui succéder. Il fonde une dynastie

nouvelle, dite Macédonienne, après que son règne (867-886) a marqué le véritable renouveau

Page 37: Médiévale

de l’empire byzantin. Il est capable de consolider les frontières, voire de regagner du terrain,

contre les Arabes dans le sud de l’Italie, en Asie Mineure et jusqu’en Syrie. Il parvient à

transmettre son pouvoir à son fils Léon VI (886-912) puis, à travers la régence de Romain

Lécapène (919-944), à son petit-fils Constantin VII Porphyrogénète (944-963). La dynastie se

maintient alors même que quelques hommes s'intercalent:

- Romain Lécapène débarque à Constantinople et marie sa fille Hélène au jeune

empereur Constantin VII ; il reçoit le titre de basileopator. En 920-921, il est couronné

empereur, couronne son propre fils empereur désigné et sa femme Théodora. La

situation militaire, critique lors de la prise de pouvoir (nouveaux sièges de

Constantinople par Syméon en 923 et 924) s’améliore. Syméon meurt en 926, laissant

l’empire des Bulgares exsangue ; son successeur et fils Pierre est heureux d’accepter la

paix avec Byzance et son mariage avec Marie, petite-fille de Romain Lécapène. En

944, Constantin VII succède à Romain, déposé par ses fils légitimes!

- Constantin VII transmet le pouvoir à son fils Romain II, mort en 963.

- Suivent 20 ans de régence, puis Basile, fils de Romain II, reprend le pouvoir à Basile

Lécapène en 985, en s'appuyant sur l'alliance révolutionnaire avec le prince de Kiev

Vladimir, à qui Basile promet la main de sa sœur Anne Ŕ cadeau exceptionnel

qu’aucun prince païen n’a pu obtenir. Le mariage est accompagné à Kiev d’un

baptême massif à l’été 988. À la tête des troupes russes (la garde Varangue), Basile

remporte ses premières victoires en 989. En 989 seulement, Basile II devient

l’empereur indiscuté d’un empire épuisé par plus de dix ans de guerre civile.

Le règne de Basile II est ensuite marqué par la conquête totale de la Bulgarie (mort de son

meilleur général Samuel en 1014 et annexion totale en 1016). Il meurt sans héritier, mais avec

deux nièces, Zoé (49 ans !!) et Théodora (45 ans !).

ce sont ces deux femmes qui transmettent la légitimité politique à ceux qu'elles veulent

bien épouser ou choisir comme amants. Le pouvoir impérial n’est alors pas accordé de façon

héréditaire mais le sang des Macédoniens est sacré (donc les usurpateurs cherchent à s’en

rapprocher par mariage). Dynastie dure jusqu’en 1057 et Comnènes. Porphyrogénètes.

Sans oublier les succès militaires, c’est la période qualifiée d’humanisme byzantin :

renaissance des arts et des lettres, accession au trône d’empereurs lettrés comme Constantin

VII, rôle de la formation intellectuelle dans la création d’une bureaucratie et d’une aristocratie

de lettrés. C’est la grande époque des compilations, comme les Basiliques (de Basile 1er

et

Léon VI) et de l’étiquette (Livre des Cérémonies).

1- Les Macédoniens ou le bon empereur est aussi un prêtre

Le bicéphalisme inabouti de la fin du IXe s. l’Eisagôgè de 879/886 est une sorte de

projet de constitution, jamais appliquée, qui est rédigée par le patriarche Photius. Elle

élabore un équilibre entre les trois sources du pouvoir : I- l loi II l’empereur III le

patriarche. Elle se distingue par le faible pouvoir qu’elle attribue à l’empereur : il doit

seulement garantir l’application de la loi, élargir par ses conquêtes l’empire, faire le

bien, conserver la foi. Le patriarche en face de lui est sacralisé : « le patriarche est une

image vivante et animée du Christ et par ses actes et ses paroles, il exprime la vérité ».

titre 1. Projet jamais appliqué.

le règne de Léon VI a. il élève son propre frère Etienne au patriarcat (886) en accélérant ainsi la

confusion des pouvoirs politique et religieux. Lui-même gouverne comme un

empereur qui est persuadé de l’origine sacrée de son pouvoir et de sa

responsabilité dans tous les domaines. Il prononce des homélies en chaire. Il

accorde la loi civile et la loi de l’Eglise, souvent en faisant entrer dans le droit

Page 38: Médiévale

civil des prescriptions du droit canon (sur les remariages ; sur la valeur

officielle du mariage béni à l’église).

b. C’est à ce moment-là que naît l’idée d’une sacralité de la famille impériale, et

le titre de « porphyrogénète », « né dans la salle de la Porphyre, de la Pourpre »,

« né dans la pourpre » = promis à régner puisque désigné par sa naissance (son

sang) et pas par ses exploits militaires (comme sous les Isauriens) à exercer le

pouvoir impérial. C’est pourquoi Léon VI fait accoucher sa maîtresse Zoé dans

la Pourpre pour donner à leur héritier, le futur Constantin VII

« Porphyrogénète » toutes les chances de régner, alors même que ses parents

ne sont pas mariés et que Léon VI en est à sa 4e union (tétragamie). C’est

pourquoi des femmes peuvent légitimer l’accession au trône d’un usurpateur,

comme le font Zoé et Théodora, uniques héritières du sang des macédoniens de

la mort de leur oncle en 1028 jusqu’en 1056 (mort de Théodora).

Le pouvoir sacré des Macédoniens Gilbert Dagron récuse comme anachronique et hors-contexte culturel le terme de

césaropapisme pour définir le pouvoir de l’empereur byzantin. Il souligne en revanche la

thématique de l’élection divine et la conscience d’une sainteté dynastique apparue avec les

Macédoniens, qui utilisent tous les éléments possibles d’une sacralisation grandissante de leur

pouvoir :

o Basile Ier

est porté au pouvoir à la suite d’une série de songes prophétiques et

de révélations divines : c’est par la volonté de Dieu que l’empereur devient

empereur. Cela passe par des symboles : Basile, associé au trône par Michel III

a été couronné par lui une première fois en 866 ; mais il a voulu, après avoir

assassiné Michel III, être à nouveau couronné, dans l’église des saints

archanges Michel et Gabriel, en signe d’un couronnement divin, sans

intermédiaires autres qu’angéliques.

o Basile Ier

fait construire une église nouvelle dans le Grand Palais (la Néa) qui

sera dédiée à saint Elie (avec conservation de la relique n°1, son manteau en

peau de mouton) parce que c’est une vision de saint Elie qui lui a promis

l’empire. La fête de saint Elie (dans la Néa) et la dédicace de l’église sont

l’objet de fêtes très codifiées (Livre des Cérémonies) qui unissent célébration

de la famille impériale et culte des saints.

o Les membres de la famille morts sans trop de reproches sont rapidement

l’objet d’un culte : Constantin, fils de Basile Ier

mort prématurément,

Théophanô (m. 895), 1ère

épouse de Léon VI qui préférait la vie dans un

couvent à la vie à la cour.

Chapitre 4 Construction et renaissance de l'empire carolingien

Cours 4 L'empire carolingien (751-888) I- Les rois carolingiens construisent un

empirePépin III (741-768) et Charlemagne (768-814)1- l'invention de la royauté

sacréePépin, premier roi pippinide (751, sacre de Soissons)

le rôle de l’autorité pontificale

Vers 750, une ambassade dirigée par Fulrad pape Zacharie (741-752) : il vaut mieux que

porte le titre royal celui qui exerce la réalité du pouvoir.

l’élection par les Francs

ce que signifie le sacre : le précédent wisigothique ? le précédent biblique. Saint

Chrême. Coopération de tous les évêques, comme pour un évêque. NB : aucun rôle

pour Reims ni pour l’évêque de Reims.

Page 39: Médiévale

Puis naissance de la dynastie carolingienne (754, sacre de Saint-Denis)

Etienne II et la situation lombarde. Roi Aistulf. Remplacer le protectorat byzantin

(iconoclaste) par soutien pippinide.

Le sacre consacre une famille : Bertrade, Charles et Carloman.

tous les éléments de la politique impériale carolingienne sont en place : les Carolingiens

sont les défenseurs de la papauté, ils rivalisent légitimement avec les empereurs byzantins, ils

sont une famille élue et une dynastie légitime.Charles (768-814), son frère Carloman (m. 771),

apogée de la dynastie : passage roi empereur (800), conquête (1 M km2), réforme

administration, Église, renaissance carolingienne.2- l'expansion du royaume des

Francsa. en Lombardie Eléments de la crise lombarde 773-774 : Roi de Pavie, Didier, Ombrie, Ravenne, menacent

Rome. Ca. 773 : pape Hadrien Ier

(m. 795) montre la donation de Constantin. Lombards ont

recueilli fils de Carloman et veuve et menacent de les faire sacrer à Rome.

773-774 : conquête de la Lombardie. Cols du Grand-Saint-Bernard et du

Mont-Cenis. Juin 774, chute de Pavie. Partage entre le nord, Charles « roi des

Lombards » couronné à Pavie et le sud : duchés de Bénévent, de Salerne,

gouverneur de Sicile = des intrigues.

781 : installation de Pépin (n° 2) comme roi d’Italie. Sacre Hadrien Ier

.

787 : complot du duc de Bénévent soutenu par l’impératrice byzantine Irène,

qui a recueilli le fils de Didier, Adalgise. Nouvelle expédition victorieuse.

b. marche de Catalogne

C’est la région qui intéresse moins les Carolingiens, tournés vers le nord de l’Europe.

Cependant : création de la marche d’Espagne (Catalogne)

778 : Charles pense profiter de désaccords entre le wâlî de Saragosse et l’émir de Cordoue

pour prendre Saragosse. Echec et demi-tour. Affaire de Roncevaux : Roland, marquis de

Bretagne.

785 : retourne en Catalogne pour y établir une marche, glacis défensif dépendant de

l’Aquitaine. La principauté d’Aquitaine, pour séduire les aristocrates qui supportent mal le

pouvoir franc (imposé 768 seulement), est placée sous l’autorité d’un roi, Louis, 3e fils de

Charles.

800 : prise de Barcelone par Louis. Destin autonome de la Catalogne désormais séparée de

l’Espagne musulmane (par exemple adoption de l’écriture caroline). c. annexion de la Saxe

Espace païen en contact avec regnum (nord de l’Austrasie et de la Thuringe). Deux attitudes

possibles : 772-777, fortification défensive de la frontière / 777 : assemblée de Paderborn où

des nobles saxons se présentent à la cour avec le ferme désir de se convertir mener une

campagne en Saxe prend alors des allures de conquête missionnaire.

779-785 : conquête permanente qui s’achève par la mort de Widukind. De

partibus Saxoniae, capitulaire qui donne les cadres d’une assimilation rapide et

forcée. (contre technique mérovingienne et pippinide traditionnelle 1) de

conquête avec respect des lois locales (les alamans, les Bavarois) 2) et de

mission par des professionnels (Boniface, Wynfrid en Germanie) avec seul

soutien logistique). Culmine avec l’intégration forcée du duché de Bavière

(788) comme une sanction contre Tassilon qui aurait soutenu les Saxons.

793-797 : insurrection générale en Saxe et reconquête, mais avec méthode

« douce ». Suppression de l’essentiel du capitulaire. Occasion de saisir

influence des lettrés à la cour : Alcuin, qui condamne la possibilité d’une

mission armée.

Dernière conséquence, la mise en présence des Avars, battus par Charles en

795 : première intégration de peuples Slaves dans l’empire, dans le bassin du

Danube, avec création de trois espaces nouveaux : ce qui correspond à

Page 40: Médiévale

l’Autriche (région de Vienne) rattaché à la Bavière / la Pannonie romaine / la

Croatie actuelle qu’on rattache au duché de Frioul.

3- Unité du royaume? Deux structures de fidélité complémentaires

Les comtes, bénéficiaires d’honores : les comtes (pouvoir de lever l’impôt,

de rendre la justice, de convoquer l’armée ou ost) = ceux qui exercent dans le

cadre de leur comté (une simple cité ou un pagus ou plusieurs pagus/i) les

pouvoirs régaliens. Ce sont des fonctionnaires : nommés et révoqués à sa guise

par le roi. Comme rémunération, reçoivent un honor, des honores : les revenus

des terres de l’Etat (terres du fisc) qui leur sont alloués (donc pas la propriété

de ces terres, inaliénables, non-transmissibles - mais seulement l’usufruit).

Certains abbés et évêques sont aussi des fonctionnaires : reçoivent leur charge

de la main du roi.

les vassaux : cette hiérarchie administrative a été doublée sous Charlemagne par une

hiérarchie de fidélités personnelles. Le roi utilise à son profit l’ancien système privée de la

commendatio ou recommandation : un vassal s’engage envers son seigneur à l’assistance

militaire contre l’entretien. Charles a encouragé la création de vassi dominici. Il a réclamé en

+ un serment de fidélité à tous les hommes libre de son empire, en 792 et 802 : c’est

l’intégration de toute hiérarchie dans le cadre d’une fidélité personnelle et pas administrative.

de + en + les comtes doivent devenir vassi. II- les rois carolingiens renouvellent

l'empire 1- L’élévation impérialea. la crise byzantine : l’impératrice Irène aveugle son

propre fils Constantin VI en 797 et s’intitule impératrice : c’est inadmissible en Occident qui

considère que l’empire est vacant. Rôle de défenseur de la papauté qui évolue vers celui de

garant, de protecteur, de tuteur naturel : débouche sur la capacité de l’empereur Charles à se

faire théologien. Affaire iconoclaste / iconodoule, Irène et le rétablissement du culte des

images en 787 (concile de Nicée II) : les libri carolini en réponse au pape et à sa traduction

hâtive des actes du concile. b. La crise romaine: Le pape Léon III est à Rome dans une

situation délicate : il a succédé à Hadrien en 795 ; d’origine sociale très modeste, se heurte à

opposition de l’aristocratie romaine. Accusé de malversations, de débauche, Léon III doit

s’enfuir et se réfugier auprès de Charles à Paderborn en 799. Charles décide donc de

réinstaller le pape légitime et l’accompagne à Rome en été 800.

le 25 décembre 800, il est couronné par Léon III dans la basilique Saint-Pierre (pas sacré

empereur). C’est une cérémonie ambiguë : Léon III a couronné Charles de sa propre initiative,

avant de le faire acclamer par les grands, et s’est placé ainsi à l’origine de toute dignité

impériale. L’empire que le pape veut créer est très nettement un remplaçant à l’empire

byzantin. Charlemagne entretient, lui, l’idée qu’un empire franc peut exister. Il normalise ses

relations avec Constantinople. Il accroît le rôle d’Aix-la-Chapelle comme lieu de résidence

principal.

2- L'œuvre unificatrice

Rappel : diversité des lois. Modernisation rapide :

a. Activité législatrice: Révision des lois en 802 : précisées et mises par écrit.

Les lois restent différentes selon les régions, mais + cohérentes, + écrites et

avec l'empereur pour origine. Mais à la diversité de lois nationales répond

l’uniformisation par les lois nouvelles, les mêmes pour tous. Activité

législative permanente : des capitulaires, qui régissent tous les domaines de la

vie : 789, Admonitio generalis organise la vie de l’Église et précise ses

responsabilités (dont éducation). Ca. 800, De villis décrit dans le détail

l’administration des domaines de l’Etat. Ca. 806 : réforme le recrutement de

l’armée et instaure « l’armée de métier ». Naissance d’un corps de juristes

professionnels, les scabini (« échevins ») en remplacement des rachimbourgs :

les scabini ont l’avantage d’être nommés par le pouvoir central (les missi) et

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pas local (le comte), nommés à vie et pas convoqués à chaque mallus, bref

stables et a priori à l’abri de la corruption.

b. Uniformisation des normes pour toutes les catégories de la population.

Les clercs séculiers et les conciles, suivre les canons de l’Église; la Dyonisio-

hadrienne. Les chanoines et l’adoption obligatoire de la Règle de Chrodegang

de Metz (754) en 817. Les clercs réguliers et la promotion de la Règle de

Benoît de Nursie.

c. Instauration des missi : ancienneté de l’institution / systématisation du

principe en 802, partie intégrante du système de gouvernement . Leur

recrutement : Théodulfes, Vulfaire archevêque de Reims, duo / pouvoir général

de représenter localement l’autorité royale (pouvoir de ban Ŕ contraindre,

ordonner, punir) et pas seulement la potestas (comme le font les comtes), les

missi sont donc supérieurs aux comtes qu’ils inspectent et reprennent : ils

peuvent donc rendre localement la justice en complément de la justice comtale.

Ils peuvent aussi être investis de missions ponctuelles, définies dans des

capitulaires aux missi (instructions). les moyens réalistes d’un contrôle

strict exercé par le pouvoir carolingien.

3- Qu'est-ce que Charlemagne entend par "être empereur"? le césaropapisme Charlemagne ne distingue pas dans sa mission de roi et d’empereur entre ce qui appartiendrait

au domaine spirituel et ce qui relèverait du domaine temporel : il est responsable de tout,

l’expansion de la foi par ses conquêtes (Saxe), la stabilisation de la papauté comme institution

(Léon III en 800), le progrès spirituel du peuple qui lui est confié (Admonitio generalis, 789) :

on parle de césaropapisme pour désigner cette vision totalitaire de la responsabilité royale. Le

césaropapisme atteint son expression ultime dans la formulation de la vraie foi, la défense de

l’orthodoxie : ex. la querelle du Filioque résolue par un capitulaire (loi d’Etat !) en 809,

contre Byzance et malgré les réticences de la papauté. Voir aussi libri carolini contre Nicée II

787 et condamnation de l’adoptianisme.

Cette responsabilité (idée d’un ministère royal) a pour corollaire le droit naturel d’utiliser les

clercs dans son gouvernement : Charles nomme les évêques, comme des fonctionnaires (ex/

Leidrade de Lyon), il généralise le principe de l’abbatiat laïc. Le statut dérogatoire des terres

immunistes conduit certains clercs à exercer les fonctions de comtes laïcs : une terre immune

est une terre d’Église placée sous la responsabilité directe du souverain, qui échappe donc à la

tutelle administrative du comte. L’abbé ou l’évêque qui en est responsable doit donc y exercer

au nom du roi les pouvoirs du comte : prélèvement de l’impôt, conduite de l’ost, exercice de

la justice.

L’œuvre de restauration culturelle qu’on appelle la Renaissance Carolingienne est liée à ce

césaropapisme : Charlemagne encourage:

- la renaissance d’une langue latine excellente, pour corriger les textes

liturgiques

- Les progrès de la formation du clergé, pour le salut du peuple chrétien

- La révision du texte biblique (Bibles d’Alcuin et de Théodulfes)

- L’étude de la grammaire et de la rhétorique, voire de la dialectique, ie les trois

arts libéraux qui permettent de lire les textes sacrés

III- Le destin de l'empire carolingien 1- L’empire chrétien de Louis le Pieux (814-

840) Charles en 813 n’a plus qu’un unique héritier Louis, son 3

e fils devenu roi d’Aquitaine, qu’il

n’aime pas et à qui il n’a jamais confié la moindre autre responsabilité. Septembre 813,

l’association à l’empire en l’absence de Louis, sur initiative franque, avec acclamation des

grands (Eginhard) et sans l’avis de la papauté. La transmission du pouvoir fait intervenir pour

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la première fois une sorte de serment du roi : Charles demande à Louis s’il est prêt et le fils

doit répondre oui. Louis est « associé à la royauté et héritier de l’empire ».

MAIS

Louis modifie cet "empire des Francs" en choisissant d'amplifier le thème de l'empire

chrétien:

- sacre de Reims de 816. Alors qu’il avait reçu l’empire de son père Charles,

LLP reçoit le sacre du pape Etienne IV à Reims, ainsi qu’Irmingarde.

Sacralisation du pouvoir.

- Ordinatio de 817 : LLP prévoit un partage très inégalitaire de l’empire (Pépin d’Aquitaine,

Louis de Bavière, Lothaire régnant sur tout et tous) sous influence cléricale : ne veut pas

partager ce que Dieu à uni- La pénitence d'Attigny: le meurtre de Bernard d'Italie (817)

dont LlP demande publiquement pardon- Louis dès lors gouverne avec l’appui de l’Eglise :

il définit en 823/825 son gouvernement comme un « ministère », un service rendu au nom de

Dieu ; les évêques sont associés au gouvernement- Louis a trois fils d’Irmingarde, Lothaire,

Louis et Pépin. Il se remarie sur le tard avec Judith, naissance de Charles en 823 : série de

crises pour savoir si Charles pourra hériter de son père et ce qu’il pourra hériter de son père.

Lothaire, le fils aîné, privilégié dans un premier programme de partage de 817, supporte mal

de voir sa part réduite au profit de ce demi-frère. Il prend les armes contre son père, avec

l’appui de ses frères, de l’Eglise (qui soutient l’idée d’une transmission intégrale de l’empire

et refuse le morcellement de l’héritage), du pape. Conciles de 829, œuvre de Jonas évêque

d’Orléans: thème du tyran qu'on doit déposer.- du Champ du mensonge (833) au deuxième

couronnement de Metz (février 835) : Louis le Pieux, lâché par tous ses « fidèles » est déposé

en octobre 833 et transformé « de son plein gré » en pénitent. Retournement : les dissensions

dans le camp de Lothaire, retour de LLP (835).

LLP meurt en 840 en laissant un empire affaibli et un partage délicat.

2- L'éclatement de l'empire sous les héritiers de Louis le Pieux

Fontenoy-en-Puisaye, 841

Trois fils prétendent à la succession de LLP : Louis, qui devient roi de Bavière, Charles, que

Lothaire veut exclure ou limiter à un petit royaume en Aquitaine. Les deux demi-frères

s’affrontent à FeP dans les environs d’Auxerre. Guerre très meurtrière, scandale des

contemporains (guerre fratricide) mais victoire de Charles, interprétée comme un jugement de

Dieu : il est légitime qu’il règne.

les serments de Strasbourg 842

Charles le Chauve et Louis le Germanique, contre leur frère Lothaire. En langue romane

(français) et en langue tudesque (allemand). Surtout, ce ne sont plus des rois qui s’engagent à

protéger le royaume de l’autre, mais des seigneurs qui promettent de ne pas se servir de leur

chaîne de vassaux contre l’autre : c’est le moment où le pouvoir royal n’est que le sommet

d’une pyramide vassalique.

le partage de Verdun, 843

Louis « le Germanique » (Francia orientalis outre-Rhin, Bavière, Alémanie, Saxe). Charles

en Francia occidentalis, mais avec une frontière orientale (ligne Reims Lyon, frontière de la

Saône et Rhône) qui ménage un royaume central, la Lotharingie de Lothaire, d’Aix à Rome.

L'Église encadre ce partage (qu'elle avait réprouvé) en réclamant le règne de la confraternité:

que l'empire demeure, puisqu'il est une mosaïque de royaumes gouvernés par la même famille.

Un seul hérite du titre impérial, donné par le pape à celui qui exerce une primauté d'honneur

et de pouvoir sur les autres: d'abord dans la famille de Lothaire Ier

(et son fils), puis en Italie

(Louis), puis en Francie occidentale (Charles le Chauve).

le traité de Meersen, 870

Le partage de Verdun fige les frontières en 843, mais ne prévoit pas les règles de succession

en cas de décès d’un des trois frères ou de ses héritiers : donc Charles le Chauve s’empare de

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la Lotharingie en 869 contre un de ses neveux, Lothaire II. Il en rétrocède une partie à son

frère Louis le germanique par le traité de Meersen.

le pacte de Quierzy de 877

Charles le Chauve semble alors à l’apogée de sa puissance quand il reprend le titre impérial

en 875, à la mort d’un des fils de Lothaire qui régnait en Italie, Louis II. Il tient aussitôt les

engagements inhérents à la fonction impériale en partant pour Rome défendre la papauté

contre les musulmans. Juste avant son départ, il prévoit comment le royaume doit être

administré en son absence. Il n’empêche pas le mécontentement des grands qui lui reprochent

cette absence du regnum. Il meurt sur la route du retour.

l'émiettement des royaumes et la monté en puissance d'une aristocratie

nouvelle (879-888)

Un aristocrate, Boson est proclamé roi de Provence par quelques partisans (879): allié à la

famille carolingienne, mais tout de même! Prototype d'une usurpation aristocratique qui

cherche à créer une royauté proche, accessible, dans un contexte de danger extérieur accru

(Normands et Sarrasins). Le phénomène se répète en 888 à la mort du dernier empereur

Charles III le Gros:

- en Francie occidentale, choix d'Eudes, comte de Paris, fils de Robert le Fort

marquis de Neustrie contre les intérêts de Charles le simple, fils posthume de

Louis le Bègue

- en Francie orientale, choix d'un Arnulf, fils de Carloman, pour ses

compétences militaires

- autour du comté de Bourgogne transjurane, Rodolphe fonde un "royaume de

Bourgogne"

- des régions restent disputées, comme la Lotharingie, dont on ne sait pas à quel

royaume elle finira par être rattachée.

dans le royaume de l'ouest, de 888 à 987, alternance sur le trône, des héritiers

carolingiens et des robertiens-capétiens. Les rois carolingiens restent dans le

meilleur des cas sous tutelle des Capétiens qui les rappellent sur le trône (Louis

IV d'outremer) et prennent le titre de "duc des Francs" avec Hugues le Grand

(m. 956). Ils essaient de s'appuyer sur l'alliance ottonienne, au prix d'un

renoncement des prétentions sur la Lotharingie: les relations belliqueuses au .

En 987, à la mort précipitée du dernier carolingien Louis V, c'est Hugues

Capet qui est choisi et sacré.

3- un renouveau impérial dans le royaume de l'est, les Ottoniens Le royaume de l'est (Francie orientale) connaît après 888 une situation de forte instabilité et

est menacé d'éclatement: les 4 regna. Politique autonomiste des ducs de Bavière. Il n'y a pas

de transmission dynastique de la couronne, mais une royauté élective et pseudo-égalitaire,

jusqu'au règne d'Henri Ier

, duc de Saxe, qui obtient que la couronne soit transmise à son fils

Otton (936-973): c'est le début de la dynastie ottonienne (Otton II 973-983 puis Otton III 983-

1002) qui se prolonge dans une branche cousine par les femmes, les Saliens, sur le trône

jusqu'en 1138. Otton Ier

réitère l'empire carolingien:

- fondé sur une sacralité de la royauté max. (renouveau du sacre) et une

couronne impériale reçue du pape en 962

- fondé sur l'association de l'Italie au royaume de Germanie après 951

- cet empereur est le représentant et le lieutenant de Dieu sur terre, il s’appuie

sur une Église qui lui est soumise : on parle de Reichskirche, "Église d'empire"

ou de RKS, "Reichskirchensystem", "système de l'Église impériale"

i. une 30 aine d’évêchés d’empire dépendent directement de lui par le

système d’investiture laïque : on n’ordonnera évêque que celui qui aura

reçu, de la main de l’empereur, le pouvoir sur les biens de son évêché.

Page 44: Médiévale

C’est l’empereur qui remet la crosse épiscopale et l’anneau. Les

évêques sont de + en + choisis parmi les proches de l'empereur, dans sa

chapelle (= organe de gouvernement). S'accroît avec le règne d'Henri II

(1002-1024).

ii. certains évêques reçoivent des droits civils (tonlieux, droits

comtaux)

iii. L’empereur Otton Ier

impose même comme une règle intangible

qu’aucun pape ne soit consacré sans l’accord préalable de l’empereur,

qui est seul maître du choix du candidat (963) : la papauté, et pas

l’Église nationale seul, entre donc en dépendance directe / empire

ottonien.

Cette main-mise de l’Etat sur l’Église n’est pas remise en cause par la papauté avant le milieu

du XIe s. et le mouvement appelé Réforme grégorienne : à partir de Léon IX (1049-1054) et

surtout pape Grégoire VII (m. 1075), conflit ouvert autour de la dénonciation de la simonie.

Veut interdire toute intrusion du pouvoir politique dans le choix des évêques. Au terme de la

Querelle des Investitures, l’empereur Henri V doit renoncer par le concordat de Worms

(1122), confirmé par le premier concile du Latran, à l’investiture par la crosse et par l’anneau

et reconnaître la liberté des élections canoniques.

Chapitre 5 La société de l'occident latin au tournant de l'an Mil

La société en Occident au tournant de l'an Mil I- le monde rural 1- une

agriculture en lent développement À partir du IXe s. en Occident, une lente mais continue

croissance démographique, qu'on est bien obligé de mettre en relation avec une certaine

amélioration de l'agriculture! Pourtant, les productions ni les techniques n'ont beaucoup

évolué apparemment: - complémentarité de la céréaliculture dominante (avec diversité des

blés selon les terres et les saisons, blés d'hiver et blés de printemps), de la culture des

légumineuses et de l'élevage d'appoint. Reste la faiblesse de l'économie traditionnelle: cercle

vicieux de l’élevage : bovin = prairie de fauche or terres arables = céréales, donc peu de

bovins, donc peu d’engrais, donc rendements faibles, donc surfaces emblavées nécessairement

importantes au détriment des prairies de fauche, etc. Les bovins sont donc élevés en petit

nombre, pour la traction animale. Les ovins en revanche produisent un meilleur rapport

viande/laine/cuir et parchemin/engrais/surface à brouter. Les porcins TB. Et les volailles (avec

les porcs, à proximité des moulins).- complémentarité de l'ager et du saltus. Forêt : glandée,

bois de chauffe et de construction, bois d’outillage, cueillette (baies nombreuses = mûres,

noisettes, prunelles, fraises, faînes…, champignons), gibier Ŕ oiseaux à la glue- œufs, miel

sauvage, écorce du chêne qui tanne les cuirs. Mer et rivières. Complémentarité d'autant plus

vive entre "espace sauvage" et "espace cultivé" que, en Occident, le peuplement jusqu’au

VIIIe s. est encore semi-itinérant ou provisoire, sans regroupement villageois durable, avec

foyers de peuplement isolés. La communauté villageoise n’est donc pas une communauté

d’exploitation en commun, de planification agricole. Pas d'assolement, pas de jachère

organisée, mais une série de défrichements à moyen terme. Nombreuses traces de

défrichement dans l’Occident carolingien: le défrichement est une démarche socialement

rentable puisqu’en général le paysan reste propriétaire des terres gagnées sur la forêt. Il peut

être un moyen politique : système de l’aprisio qui garantit aux populations chrétiennes

réfugiées d’Espagne dans le sud de la Francie (Septimanie) la pleine propriété des terres qui

viennent d’être reprises aux musulmans et qu’elles défrichent (IXe s.) ; repeuplement sur

initiative royale de la vallée du Douro par les rois des Asturies. Ces communautés paysannes

libres nouvelles soutiennent le pouvoir royal contre les empiétements des seigneurs locaux.-

complémentarité champ/ jardin, où l’agriculture intensive et la fertilisation par engrais humain

et animal est possible C'est donc plutôt sur la structure de mise en valeur que doivent

Page 45: Médiévale

reposer les innovations et le progrès des rendements. 2- La naissance du grand

domaine Empire carolingien, le « Grand domaine », la réserve et les manses ou domaine

bipartite/ biparti (VIIe-VIII

e s.) = un espace central concentre les bâtiments d'exploitation

(silos, bergerie, écuries, …), les bâtiments socialement distinctifs (habitation du aître, église)

et les terroirs à forte valeur ajoutée (prairies de fauche ou d'embouche, forêt). Cet espace est

mis en valeur par une domesticité (familia) nourrie par le maître et par le travail des

tenanciers. Le reste des terres périphériques (parfois non jointives) est mis en valeur par des

tenanciers: des cultivateurs libres qui exploitent une terre ou tenure confiée par son

propriétaire en échange d’un loyer et de services ou corvées sur les terres de la réserve. Le

domaine fonctionne donc en complémentarité centre/périphérie du point de vue du travail,

mais aussi des ressources (le tenancier porte au moulin central ses céréales, etc.). Le modèle

est développé et documenté surtout entre Loire et Rhin, mais existe en Italie, d'abord dans les

terres monastiques puis les domaines publics, puis, tardivement, dans les terres aristocratiques.

Peut-être parce que les grandes abbayes ont été chargées par les rois carolingiens d'être des

viviers fiables de recrutement militaire: chaque abbaye dite royale (sous protection royale)

doit fournir un contingent au roi qui lève l'ost (armée) pour expédition lointaine. Donc, intérêt

de recenser des tenanciers, avec obligations militaires mises par écrit, en échange d'une

installation sur terres monastiques. Système connu par les polyptyques. À côté, reste toujours

une majorité de petites exploitations familiales (12 à 16 ha selon Riché ? on parle de manse

pour désigner la terre où l'on demeure, où une famille peut vivre): on parle d’alleutiers pour

désigner ces propriétaires libres et indépendants, mais ils s'intègrent sans doute pour partie

dans le système du grand domaine: c'est là qu'on trouve les infrastructures utiles (église, forge,

moulin), les ressources d'une grande forêt, aide et protection, etc. Donc, même si on est

alleutier, on peut choisir d'être EN PLUS tenancier. Le grand domaine est sans doute un

facteur de développement économique : - par la commercialisation et la

spécialisationLes marchés, présents partout en Occident au VIIIe s. (au moins un par diocèse),

prolifèrent au IXe s. Les marchés ici sont surtout ruraux, alors que son urbains en Orient. Les

surplus viennent surtout des grands domaines et des abbayes : rôle de la dîme (VIIIe s.) ; des

grands domaines (surplus, comme la vigne de l’abbaye Saint-Germain des Prés dont la

majorité de la production est commercialisée) ; de la dispersion géographique (Saint-Denis,

Reims, Corbie) qui favorise les échanges longs ! Certains produits circulent plus facilement

(le vin, qu’on doit importer au nord, dont en Angleterre le vin de Saint-Germain des Prés, le

sel, qui est produit sur la côte et dans les mines de Germanie).- par la stabilisation des

esclaves, devenus tenanciersRappel: permanence de l’esclavage antique au moins jusqu’au

VIIe s. : 20% de la population en Occident ? C’est la grande fracture sociale carolingienne :

les libres et les autres. Dans l'empire carolingien, on pratique de façon accrue la vente

d'esclaves étrangers, favorisée par les guerres de conquête. Grands marchés et circulation

internationale : - marché de Verdun et route de la Saxe vers l’Espagne- marché slave,

route de la mer Noire vers ConstantinopleSoit pour agriculture (mise en valeur de l’Espagne

par des esclaves qu’on prend le soin de rendre eunuques avant de les vendre) soit pour armée

(mercenaires turcs). Commerce florissant qui se heurtent à des problèmes moraux et

religieux : interdiction de vendre des chrétiens à des musulmans sous Charlemagne ; suspicion

contre les juifs de Lyon qui enlèveraient les enfants pour les vendre, etc. Or, hypothèse, le

grand domaine carolingien favoriserait la stabilisation, voire l'amélioration du statut, de ces

hommes du VIIIe au X

e s. Les esclaves (mancipia) qui exploitaient la réserve voire davantage

sur le modèle latifundiaire sont de plus en plus volontiers chasés : leur statut se rapproche

alors de celui de tenancier. Ils exploitent à leur gré une tenure, en échange de redevances et de

services. On parle dans les Polytptyques de tenures libres (ou ingénuiles) et de tenures serviles,

plus lourdement astreintes aux corvées, ce qui montre qu'à l'origine leur statut dépendait du

statut de l'exploitant; puis transformation, les terres gardent leur statut (ingénuile ou servile),

Page 46: Médiévale

indépendamment de la qualité des personnes.Les conditions d’un essor économique sont

rassemblées jusqu’en 950 : il dépend de l’initiative paysanne d’améliorer son sort, les

redevances et les corvées laissent jouir chacun des fruits de son travail. Les différents statuts

sociaux s'uniformisent: une catégorie d'exploitants accède apparemment à une semi-liberté.

Cette homogénéisation, qui semblait profiter aux esclaves jusqu'au IXe s., peut s'opérer au

détriment des tenanciers libres à partir du Xe s. Contexte: invasions normandes et sarrasines

très dangereuses dans certaines régions (Flandre dès 860's, vallée du Rhône jusqu'en 972) et

perte en parallèle de contrôle de l'autorité royale: les exploitants, qui ont besoin de protection,

se placent "spontanément" sous l'autorité d'un propriétaire terrien. Les alleutiers ont intérêt à

hâter leur propre disparition en se mettant sous la protection d’un seigneur qu’ils choisissent :

multiplication des dons ou ventes à bas prix, notamment à des monastères. Puis récupèrent ce

qui était leur bien sous forme de tenure. Vers 1100, 10% d’alleutiers au plus. Les redevances

en nature et argent, et services sont de plus en plus nombreux (corvées, charrois) au

tournant de l’an Mil, le progrès économique s’accompagne d’une perte de liberté des

exploitants qui dépendent plus étroitement des seigneurs. 3- des pôles privilégiésDans ce

cadre instable, les monastères apparaissent comme des lieux privilégiés mais menacés:-

Usage de l'immunité, renforcée par l'abbatiat laïc (années 800)- Dévoiement de

l'institution dans le cumul des abbatiats laïcs, leur transmission héréditaire comme s'il

s'agissait de biens patrimoniaux, leur utilisation à des fins de prestige politique.-

Développement de la même idée (mettre des terres à l'abri des ingérences extérieures) mais

sur initiative aristocratique à Cluny: Guillaume duc d'Aquitaine, 910, fondation de Cluny, qui

n'est pas une réforme religieuse monastique mais institutionnelle: détacher une communauté

de l'influence de l'évêque (ordinaire) et de tout pouvoir laïc (fondateur ou roi) au moyen d'une

donation symbolique, mais efficace, à saint Pierre et saint Paul. En 998, cette indépendance

est confirmée par l’exemption romaine : elle garantit la liberté vis-à-vis de l’évêque du lieu,

qui n’a pas le droit de venir célébrer dans l’abbaye, ne doit pas nécessairement donner les

sacrements aux moins, n’a aucun pouvoir sur l’élection libre des abbés. Les moines peuvent

s’adresser à l’évêque de leur choix quand ils veulent consacrer une église ou conférer l’ordre à

un moine. Cette indépendance est une innovation radicale : l’Eglise carolingienne est celle du

pouvoir des évêques ; l’Eglise des IXe-XII

e s. est celle du primat des moines bénédictins et

dérivés (cisterciens) Le pape ajoute la capacité à accueillir des moines venus d’ailleurs

capacité de Cluny à devenir un ordre, en réformant les monastères qui le désirent, en

Provence, Italie, Bourgogne, Aquitaine, bientôt en Espagne, en Angleterre, en Alsace et dans

tout l’empire germanique. C’est l’œuvre d’un grand abbé, Odilon dont l’abbatiat a été

particulièrement long (994-1049) et profitable pour le développement de l’ordre : plus de 70

abbayes se sont rattachées à la réforme clunisienne au cours du Xe s., dans l’Europe entière.

Cluny se spécialise dans la célébration liturgique, par réactivation normale de l’opus Dei

bénédictin, mais avec des traits novateurs :

- faste et longueur des célébrations qui font que les moines passent leur temps

au chœur. On parle de prière perpétuelle.

- naissance de la prière pour les morts, dont la fête du 2 novembre, qui

spécialise Cluny dans l’intercession familiale, en fait le bénéficiaire naturel des

dons aristocratiques

- rôle de la célébration des messes pour les mêmes défunts, qui fait de Cluny un ordre de

moines-prêtres et des églises clunisiennes (refus de la concélébration qui est post-Vatican II)

des églises à multiples chapelles rayonnantes.Dans le sud de l'Europe à partir de la 2e moitié

du Xe s., Cluny se développe comme un premier modèle d'ordre monastique, autour d'usages

partagés, mais surtout de son statut d'exemption et d'immunité. Les prieurés. L'Ecclesia

cluniacensis. Modèle hiérarchisé, supra-territorial, développé en Catalogne et dans toute

l'Espagne chrétienne, sud de la Francie occidentale, pas du tout en Germanie où les

Page 47: Médiévale

monastères restent sous influence aristocratique et épiscopale. II- Naissance de la

société seigneuriale

Deux modèles historiographiques s'affrontent pour décrire une évolution qui se produit au

tournant de l’an Mil: les historiens mutationnistes pensent qu'est alors née une société féodale

où quelques maisons guerrières accaparent les pouvoirs publics pour dominer

économiquement, juridiquement et socialement une paysannerie de plus en plus affaiblie.

L’Etat monarchique devrait naître en faisant valoir son autorité supérieure au détriment des

velléités d'indépendance de ces aristocraties fondées sur la supériorité militaire. Les historiens

non-mutationnistes récusent l'idée de rupture: ils insistent sur la continuité entre l'aristocratie

carolingienne, qui était déjà fondée sur la supériorité sociale plus que politique, et

l'aristocratie du XIe s., toujours contrôlée et justifiée par l'Église.

on ne peut pas trancher ici! Mais présenter quelques phénomènes visibles, sans préjuger de

leur interprétation. 1- Incastellamento et féodalité

On parle depuis la thèse de Toubert sur le Latium, d’incastellamento ou d’enchâtellement

(encellulement proposé par R. Fossier) pour désigner l’établissement au cours du XIe s. d’un

réseau castral, sous la forme de mottes fortifiées extrêmement nombreuses. La nouveauté

viendrait:

- de leur localisation en milieu rural: jusqu’à l’époque carolingienne, les lieux

fortifiés correspondent surtout aux cités de l’Antiquité tardive, voire aux castra

sur des lieux élevés (ex. Laon) avec une très vaste enceinte qui doit permettre à

toute la population rurale de trouver un abri temporaire. Les murailles

contribuent donc à donner à la ville le prestige d’une cité : ex. Reims. Vers l’an

Mil, ces très larges enceintes sont réduites à un simple réduit castral, surélevé

(motte), entouré d’une basse-cour (dépendances artisanales et agricoles). Avant

1100, on voit la prolifération de simples maisons fortes, parfois dans les fonds

de vallée, sur une motte artificielle, avec fossés emplis d’eau, palissades ou

murs de pierres, tours de bois.

- A joindre, c'est l'hypothèse mutationniste, à la mise en place d'une privatisation de

l'autorité. Ce ne sont pas des fortifications à rattacher aux nécessités de la défense contre

l’envahisseurs (plus de Sarrasins ni de Normands alors) mais l’expression d’un contrôle

militaire sur une terre, par le biais d’un château qui est avant tout un lieu de garnison : ce sont

donc des lieux de pouvoir sur la population, pas des équipements de protection de la

population = alentours, le seigneur du château est en mesure d’imposer : - son droit de

rendre la justice : à l’époque carolingienne, la justice est une prérogative royale, déléguée au

comte, qui peut la confier à ses viguiers pour les délits mineurs, mais qui doit réunir le mallus

pour les causes de sang (homicide), rapt, incendie ou vol = le comte exerce la haute justice et

délègue la basse justice. À l’époque féodale, le seigneur ou sire accapare cette justice dans

l’espace qu’il contrôle : à chaque château correspond un ressort de justice.- Sa force

militaire et le paiement d’une taxe qui rétribue la « sécurité » apportée par le sire : c’est la

taille - des monopoles variables, qui assurent sa supériorité économique : on parle de

banalités (donc de seigneurie banale). Interdiction de moudre ailleurs que dans le moulin du

seigneur, idem pour four, pour pressoir, pour grenier, pour forge… Interdiction de vendre son

vin avant le seigneur, etc.

le pouvoir n’est plus exercé par délégation, mais par droit du plus fort, sur un territoire

mouvant : aux circonscriptions traditionnelles du pagus et de la viguerie se substituerait le

territoire du château.

! c'est apparemment très vrai en Catalogne, et dans le sud de la France actuelle, beaucoup plus

difficile d'interprétation au nord de la Loire, faux en Flandre et en Normandie où les châteaux

prolifèrent, mais sans jamais échapper à la tutelle comtale ou ducale: ce sont des organes

d'administration publique. Il faudrait enfin pouvoir distinguer toujours l'érection d'un château

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et une militarisation de la société: un château, ce peut être une résidence privilégiée, le siège

d'une administration, très fréquemment le lieu de fondation d'une église: donc c'est bien un

moyen d'encadrer la population, mais pas nécessairement par la force.

On parle de seigneurie pour qualifier ce pouvoir complet (juridique et économique et

social) qu'un propriétaire exerce sur ses terres, sans rapport avec une autorité publique

distante.

On parle de féodalité pour qualifier les liens personnels qui se nouent alors entre un seigneur

et ceux qui dépendent de lui: autour du seigneur se créé une catégorie de combattants capables

de tenir son château: ils reçoivent de lui une terre (petite) en fief - le fief est une terre que l’on

reconnaît devoir à la générosité du seigneur, et qui engage envers le seigneur à une fidélité

minimale Ŕ ils s’engagent envers lui par commendatio, ils lui doivent la garde de son château.

On parle de milites casati, "chevaliers casés" ou "installés". Le fief devient dans la deuxième

moitié du XIe s. héréditaire. Or le lien entre tenanciers et propriétaires est pensé, à partir du

XIe s., sur ce modèle féodal : au lieu de ne désigner qu’un lien militaire, l’hommage concerne

désormais toute la société toute la société paysanne se « féodalise ».

2- La chevalerie et la noblesse

Durant le haut Moyen Age, on utilise l'idée d'aristocratie pour parler de l'élite politique:

contrairement à la noblesse, elle ne repose pas sur une définition juridique et l'octroi de

privilèges. Cependant, une idéologie nobiliaire existe, fondée sur la conscience qu'une

naissance peut être illustre ou obscure. Cette noblesse-là (rattachement au lignage royal ou à

des nobles romains) prédispose à la richesse et au commandement, elle n’en est pas la

conséquence. Puis au XIe s., les sources du sud de l’Europe (Catalogne notamment) appellent

« nobles » ceux qui tiennent un château. Au nord, assimilation remarquable entre noblesse et

statut de liberté: par opposition à toute la paysannerie, décrite comme dépendante, la catégorie

des combattants est définie comme noble, car libre. Dans l'un et l'autre cas, apparition ou non

d'une catégorie sociale, la chevalerie? Le chevalier est celui qui monte un cheval et tient une

épée ; il se consacre d’une façon majoritaire à l’exercice des armes ; il exerce une mission de

protection et de défense du pauvre et du faible ; il trouve une place dans la société chrétienne

par ce monopole de la violence.

création d'une chevalerie là où il n'y avait que des cavaliers? Le mouvement est différemment décrit dans l'historiographie.

- les mutationnistes, souligne que l'an Mil est celui d'une classe sociale

nouvelle, la chevalerie, qui a le monopole des armes et consacre son temps

et sa fortune à en perfectionner l’usage. Parce qu’elle défend ceux qui

travaillent, elle gagne en retour le droit de jouir des fruits de ce travail ; la

seigneurie banale devient alors seigneurie foncière, légitimée par l’Église.

Dans cette perspective, la chevalerie naît au xie s. d’une rupture politique et

sociale, transformée en un ordre sanctifié. La Paix de Dieu pour certains, la

Trêves de Dieu pour d'autres, serait l’occasion d’une professionnalisation

de la classe des combattants: les milites seraient encouragés à modérer leur

violence, au nom de leur maîtrise même des armes.

- Les non-mutationnistes montrent qu'il y a une telle stratification sociale

parmi les combattants, que certains sont proches de la paysannerie (les

chevaliers-paysans" du lac de Paladru!) tandis que d'autres appartiennent

bien à l'élite politique. L’assimilation entre chevalerie et noblesse est donc

hasardeuse jusqu'au xie s.. Derrière ce débat, on peut tenter de voir une

opposition entre le discours que la noblesse tient sur elle-même (noblesse et

chevalerie vont de pair) et la réalité sociale d’un recrutement humble des

combattants.

3- l'Église et les combattants

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a- Paix de Dieu et Trêve de Dieu Dès les années 950, certains évêques auvergnats s'élèvent pour réclamer des mesures en

faveur de la paix. Le premier concile "de paix" est réuni à Charroux en 989 autour de

l'archevêque de Bordeaux. Les évêques lancent l'anathème contre les violateurs d'églises, les

offenseurs des pauvres et du clergé. Ces canons conciliaires, qui reprennent les

condamnations formulées par les souverains carolingiens dans leurs capitulaires, serviront de

modèles aux assemblées ultérieures qui se réunissent au Puy, à Anse (994), Poitiers (1000-

1014), Vienne (vers 1021), Beauvais (1023) ou Bourges (1038). À la prononciation de canons

condamnant les violences s'ajoutent, à partir du concile de Limoges (994), des pactes de paix,

les jureurs s'engageant par serment à respecter les décisions prononcées. Ces conciles de paix

touchent d'abord l'Aquitaine et l'Auvergne puis, à partir de 1020, le duché de Bourgogne, les

provinces de Sens et de Reims. Les régions septentrionales sont touchées tardivement, alors

que les provinces de Tours et de Rouen ne connaissent pas d'assemblées de paix. L'Empire

n'est pas concerné par la paix de Dieu, excepté à Cambrai, où l'évêque Gérard la promulgue,

mais sous la pression des autres suffragants de la province de Reims (1023).

Une paix de Dieu est un pacte conclu à l'occasion d'un concile provincial réunissant

l'évêque du lieu, d'autres prélats venus de plusieurs provinces ecclésiastiques, des princes,

ainsi qu'une foule difficile à définir. On y règle les conflits, on prête serment de protéger

l'Église, de respecter les lieux saints et de ne pas opprimer les faibles.

À partir de 1027, de nouveaux canons sont prononcés par les évêques réunis en concile. Ils

instaurent la trêve de Dieu, c'est-à-dire l'arrêt des activités guerrières le dimanche (Elne, 1027),

puis entre le mercredi soir et le lundi matin, ainsi que l'interdiction des combats pendant

l'Avent, le Carême et à l'occasion des fêtes religieux (Narbonne, 1054). Alors que la paix de

Dieu délimitait des espaces de paix, la trêve de Dieu définit des temps de paix, que les

seigneurs s'engagent, par serment, à respecter. La trêve de Dieu est proclamée en Normandie

(1047), en Bourgogne (vers 1050), à Liège (1082) et Cologne (1083) et est étendue à tout le

royaume franc en 1095, lorsque Urbain ii fait jurer la paix de Dieu en même temps qu'il

prêche la première Croisade. En revanche, il faut attendre les premières années du xiie s. pour

que de telles mesures soient adoptées dans tout l'Empire (Mayence, 1103).

Plusieurs interprétations ont été avancées pour expliquer la naissance et l'essor du mouvement

de paix de Dieu. Pour les historiens partisans de la théorie mutationniste, les évêques se

substituent au roi, trop faible pour assurer la protection des paysans et du clergé face aux

exactions perpétrées par les seigneurs et chevaliers. Pour Dominique Barthélémy [1999], ce

mouvement n'est pas une réaction à la barbarie féodale. La paix de Dieu s'inscrit dans la

continuité des procédures carolingiennes de règlement des conflits, qui accordent une place

centrale à l'épiscopat et au sacré. Le mouvement de paix ne traduit pas une opposition de

classe entre l'Église et l'aristocratie laïque ; il exprime au contraire une collusion d'intérêts

entre la crosse et l'épée. Les évêques qui se réunissent à Charroux sont tous d'origine noble, et

sont liés aux grands qui dominent l'Aquitaine. Dans la plupart des conciles de paix, l'action de

l'évêque est soutenue par les grands féodaux. La paix de Dieu n'est donc pas un mouvement

anti-féodal mené par l'Église. D'ailleurs, les conciles n'interdisent pas la faide ou la guerre

privée. Ils ne font que définir ceux qui doivent être protégés de ces violences.b- la

possibilité d'une guerre sanctifiéeLes serments de Paix de Dieu semblent dessiner les

contours d’une nouvelle idéologie guerrière: il y a un bon et un mauvais usage possible de la

violence laïque selon l’Église. Vouloir freiner la violence des usurpateurs de biens d’Église

implique, en retour, la construction d’un discours positif sur la guerre menée pour de justes

motifs, sous la responsabilité d’une autorité ecclésiastique Ŕ la guerre, avant de devenir sainte

au xiie s. est pour le moins moralisée. C'est peu marqué dans l'ouest de l'Occident, où l'Église

semble là pour modérer l'usage de la force, qui est l'apanage du pouvoir royal voire

aristocratique. Dans l'empire salien en revanche, la collaboration entre le pouvoir royal et la

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papauté peut avoir inspiré le développement plus net d’une idéologie de la guerre sainte.

Après qu’un contingent royal a été envoyé par Henri iii à Léon ix dans la perspective de la

bataille de Cividate (juin 1053) contre les Normands, les hommes morts au combat sont

célébrés comme des saints, voire comme des martyrs dans quelques sources de la fin du xie s.

Dans le même contexte on voit l’expression "combattants de saint Pierre" se substituer à

l’expression traditionnelle "combattants du Christ" : c’est le signe qu’on reconnaît à l’autorité

pontificale le pouvoir de dire si une guerre est juste ou non. on peut aller vers la croisade.

Ces évolutions économiques et sociales s'expriment dans la création d'un discours nouveau

sur la société: invention d’une tripartition fonctionnelle ou des trois ordres du féodalisme, qui

devient la norme intangible de tout l’Ancien Régime : ceux qui prient, ceux qui combattent,

ceux qui travaillent, par opposition à la norme carolingienne. Cette création n'est pas une

donnée, mais une prise de position, parmi d'autres théories sociales possibles

III- Une société ordonnée 1- la tripartition fonctionnelle a- la société

carolingienneQuand on pense la société jusqu'au Xe s., on l'imagine partagée en trois

groupes:

- les clercs séculiers, qui ont reçu tout ou partie du sacrement de l'ordre (sacerdoce)

- les clercs réguliers, qui ont fait profession monastique

- les laïcs = les autres! Qui !! font partie de l'Église (baptisés!) mais pas de sa hiérarchie

En 817, à l'occasion de la grande réforme dite de Benoît d'Aniane par Louis le Pieux, le

sommet de la hiérarchie dans la perfection chrétienne est ainsi occupé par les chanoines

récemment réformés: ceux qui vivent comme des réguliers (partageant un même dortoir et

récitant les offices en commun) mais qui sont des séculiers (avec ministère de prédication et

distribution des sacrements) le IXe s. est celui du triomphe du clergé séculier

b- la société du Xe s.: le triomphe des moines

Héric, moine de Saint-Germain d'Auxerre à la fin du IXe s., distingue "ceux qui combattent,

ceux qui travaillent la terre, ceux qui prient". C'est une proposition novatrice, sous-tendue par

une opposition de nature entre ceux qui prient, et qui sont déjà unis à Dieu donc hors du

monde, et les autres, soumis aux exigences de la nature, sexualité et travail. C'est donc une

tripartition fonctionnelle qui assigne aux moines un rôle de modèles pour la société et

d'intercesseurs. L'idée a été reprise et propagée par les sources clunisiennes de l'an Mil. Elle

donne le cadre idéologique de définition d'une supériorité monastique. le Xe s. avec Cluny

est celui du triomphe du monachisme réformé: on croit au pouvoir d'intercession maximal des

moines (réguliers)

c- la tripartition fonctionnelle du XIe s.

Apparition conjointe au cours des années 1024-1031 dans un discours de l'évêque Gérard de

Cambrai dans le Poème au roi Robert d'Adalbéron de Laon (v.), d'une définition tripartite de

la société: les évêques, ministres de Dieu dont ils reçoivent la sagesse et la science, pour prier

et guider les hommes, forment le premier ordre; les rois et les grands sont les ministres de

Dieu dans la garantie de l'ordre social et de la paix; les autres hommes travaillent. C'est un

projet politique polémique, surtout dirigé contre les moines et la supériorité qu'ils

revendiquent. Comme la tripartition du Xe s. on y remarque la séparation des laïcs en deux

groupes, désormais toujours séparés, les combattants professionnels et les laborieux.

2- la "famille féodale" existe-t-elle?

Depuis l'époque carolingienne, le roi, de concert avec l'Église, a imposé des normes au

mariage: le mariage est toujours une affaire privée qui se conclut en dehors de l’Église, pas un

sacrement, mais l'idée chrétienne qu'il doit être monogame et indissoluble s'impose peu à peu.

Le mariage devient un sacrement à la fin du xiie s.

Le contrôle sur le mariage s'exprime surtout pas la dénonciation élargie de l'inceste, écartée au

moyen des interdits de parenté: l'interdiction de s'unir à un parent au 4e degré, par

consanguinité ou affinité, voire par parenté spirituelle est portée au 7e degré au XI

e s. Les

Page 51: Médiévale

papes d’origine germanique à partir de Léon IX étendent ces interdits à la chrétienté

occidentale. Pour expliquer cette extension des interdits Ŕ mise en place du mariage le plus

exogame possible - on peut y voir la volonté politique d’affaiblir les groupements de parenté

au profit du couple conjugal: les rois de Germanie ont ainsi un argument à opposer aux

grandes familles aristocratiques qui renforcent leurs liens par des mariages privilégiés entre

cousins. Les élites ont néanmoins adopté ces prohibitions matrimoniales, par conviction

religieuse ; parce que mettre en évidence le caractère consanguin d'une union, c'est pouvoir la

faire annuler à une époque où le divorce devient impossible; parce qu’elles coïncident avec

l’évolution d’une parenté bilatérale vers une parenté de type vertical et patrilinéaire = la

fameuse naissance de la "famille féodale".

= Les xe-xie s. sont réputés avoir vu la transformation des groupements de parenté larges et

dispersés du haut Moyen Age (les Sippen) en familles resserrées autour d’une ligne principale.

Prédominante au sein de l’aristocratie du viiie s., la Sippe forme une sorte de grand cousinage

dont le noyau dur est constitué par les membres d’une même génération. La puissance d’une

Sippe se mesure donc au nombre de personnes liées entre elles à un moment donné : c’est en

ce sens qu’elle est qualifiée de structure horizontale. Ce qui compte pour un individu au sein

d’une Sippe, c’est moins ses ancêtres que son réseau de relations. Les pratiques successorales

impliquent de répartir l’héritage entre tous les enfants, d'où une dispersion du patrimoine

foncier.La famille féodale est censée naître de l’organisation de la Sippe autour d’une lignée

dominante : elle s'emparerait d'une charge publique (un honor comtal par exemple) pour la

transmettre en ligne directe en favorisant les aînés au détriment des cadets. Avec des

variations locales, les lignages tendent à privilégier une transmission patrilinéaire*, qui exclut

les filles et les cadets, sur le modèle royal de l’association du fils aîné au pouvoir et de la

transmission de l’intégralité du royaume.Le modèle canonique du lignage féodal, présenté

dans l’école mutationniste, est donc celui de la primogéniture, de la restriction systématique

du mariage des cadets, de la réapparition de l’endogamie accompagnée de pratique

hypergamiques, de la dégradation du statut de la femme. Sans faire le catalogue de toutes les

situations locales, on doit souligner que ce modèle lignager n’existe pas partout et ne s’impose

pas au même rythme selon les espaces. 3- la séparation des clercs et des laïcs à la faveur

de la réforme grégorienneCe qu’on appelle réforme grégorienne tire son nom du pape

Grégoire VII (1073-1085) mais est un mouvement plus long, plus ambitieux, qui débute avec

Léon IX (1049-1054) et s’achève au XIIe s. seulement. Elle correspond à un désir de libérer

l’Église de toute emprise laïque.

refus du contrôle des élections pontificales par l’empereur après 1059. Des clercs

spécialisés dans l’élection des papes sont créés, les cardinaux, dans le but de

soustraire l’élection à l’influence des aristocrates romains (on a déjà vu la Querelle des

Investitures. À Canossa, Henri IV, excommunié, doit venir demander humblement

pardon à Grégoire VII en 1077 pour n'avoir pas voulu imposer à l'Église de Germanie

ces nouvelles normes de gouvernement).

Statut des clercs distingué du statut des laïcs : aux clercs, l’interdiction du mariage

(accusation de nicolaïsme). En Angleterre, le célibat s’impose très difficilement début

XIIe s. ; en Italie, le refus du mariage des clercs rencontre l’assentiment enthousiaste

des laïcs, notamment à Milan où se déroule une quasi-insurrection des laïcs contre

l’évêque, sous le nom de Pataria ou mouvement des Patarins (années 1050) ; aux laïcs,

le privilège de la situation matrimoniale. La sexualité active devient le propre des laïcs,

incités à une fécondité plus généreuse, la continence le signe des clercs, comme une

nouvelle frontière entre profane et sacré.

Le schisme de 1054. Plus l'Église en Occident entre dans un mouvement de réforme

qui passe par le développement d'une autorité pontificale incontestée, plus le fossé se

creuse avec Constantinople. Il naît de différences liturgiques minimes : le patriarche

Page 52: Médiévale

Michel Cérulaire reproche aux Latins de communier avec du pain azyme et de jeûner

les samedis de Carême. Il fait fermer les églises de Constantinople où se pratique cette

liturgie latine (1053). Le pape Léon IX répond par un appel à l’unité et l’affirmation

de la primauté du siège romain. Juste avant de mourir (1054), il envoie trois légats à

Constantinople, qui sont reçus avec honneur par l’empereur Constantin Monomaque,

mais qui offensent le patriarche par une série de manquements à l’étiquette et par leur

ton accusatoire (notamment contre le mariage des prêtres byzantins = ça, c’est typique

du climat « réforme grégorienne »). Michel Cérullaire refuse de discuter avec eux. Les

trois légats déposent donc sur l’autel de Sainte-Sophie une bulle d’excommunication

du patriarche et de ses partisans, puis quittent Constantinople avec le soutien de

l’empereur. Michel Cérullaire s’émeut et excommunie réciproquement les légats.

C’est donc une querelle de personnes, sans aucune opposition réelle sur le fond, sans

implication directe de la papauté (Léon IX est mort). Mais le début d'un schisme qui

dure encore! Peut-être devenu irréconciliable à cause de la prise de Constantinople par

les Latins en 1204.

Chapitre 6

Le monde à l'aube du XIIIe s.

I- Du temps des principautés à la naissance de l'Etat capétien 1- le temps des

principautés en Occidenta. la permanence d'un système de gouvernement carolingien

au déb. Xe s.Après la mort de Louis le Pieux (840), l'empire carolingien est gouverné par plusieurs rois frères, oncles et cousins, dont un seul porte le titre d'empereur. L’Eglise encourage ce qu’elle appelle le régime de "confraternité" : à la place de l’unité acquise par un souverain dominant (Charlemagne), l'empire devient une confédération de régions, de sous-royaumes, dirigés par des frères condamnés à s’entendre l’émiettement de l’empire n’est donc pas la fin de la dynastie, au contraire : il reste des souverains carolingiens partout, ou presque, y compris après la mort du dernier Carolingien à régner sur tout l'empire, Charles III le Gros en 888. À cours terme, on peut alors avoir le sentiment de voir exploser l'empire: - permanence d'un royaume de Provence (né en 879, voir Boson)- création d'un royaume de Bourgogne transjurane avec Rodolphe Ier - création éphémère d'un royaume d'Aquitaine autour de la famille des comtes de Poitou mais tous ces royaumes fondent sur la légitimité carolingienne leur droit à l'existence: Arnulf, roi de Germanie; Rodolphe;

Charles le Simple en Francie occidentale; Louis l'aveugle en Provence, fils de Boson: Boson

est devenu en 870 le comte de Vienne, en remplacement de Girard. Il gouverne la Provence

au nom de Charles le Chauve, qui a épousé sa sœur Richilde. Il a lui-même épousé une fille

de Louis II d’Italie, empereur, Ermengarde. Donc ce n’est pas littéralement un carolingien,

mais il s'approche le plus près possible de la famille, par les femmes. C'est au nom de la

filiation carolingienne qu'Ermengarde réclame pour Louis le titre impérial et le trône de

Germanie. b. mais un nouveau rôle pour l'aristocratieS'il y a pourtant une nouveauté dans ces espaces, c'est la définition d'un nouveau pouvoir royal: basé sur le droit électif et plus sur l'hérédité seule. C'est en Francie occidentale que ces deux principes s'affrontent le

plus expressément entre Eudes (888-898) et Charles le Simple (895-929). Ce Charles, fils

posthume de Louis le Bègue, soutenu par l’aristocratie austrasienne, est sacré à Reims en 893

(sa majorité). Eudes, soutenu par l’aristocratie neustrienne (les Robertiens) est le fils aîné de

Robert le Fort (m. 866), marquis de Neustrie; comte de Paris, il a défendu la ville contre les

Normands (884-885), avant de recevoir le même honor que son père: marquis de Neustrie 885,

abbé de Saint-Martin de Tours. Il est élu et sacré roi à Sens par Gautier, archevêque de Sens,

le 29 février 888. Eudes reçoit le soutien d'Arnulf, roi de Germanie. Il reste au pouvoir, contre

Charles le Simple, jusqu'à sa mort en 898. Tout le Xe s. est l’histoire de l’alternance

Robertiens/Carolingiens: les Robertiens Robert (922-923) qui est le frère d'Eudes et Raoul

Page 53: Médiévale

(923-936) son gendre laissent le trône aux carolingiens Louis IV d’Outremer (936-954),

Lothaire V (954-986), Louis V (986-987), qu'ils gardent cependant sous une forme de tutelle

plus ou moins pesante: Louis IV d’Outremer est rappelé sur le trône par le fils de Robert,

Hugues le Grand! (m. 956) qui mène ensuite contre lui une politique hostile: il l’encercle

(alliance avec Herbert II de Vermandois ; avec Guillaume Longue épée fils de Rollon en

Normandie ; avec Otton Ier

dont il épouse la sœur Hadwige). Hugues Capet est le fils

d’Hugues et d’Hadwige. Après une éclipse (difficultés de 956 à 960) il reprend la position

dominante de son père et le titre de "duc des Francs" qui en fait le second dans le royaume

après le roi. Quand Louis V meurt de façon très inattendue (21 mai 987), l’assemblée réunie à

Senlis élit Hugues Capet pour le remplacer. C'est le début, très fragile, conçu comme une

solution d'attente, de la dynastie capétienne. c. les principautés L'évolution politique majeure est donc celle d'une association plus étroite de grandes familles aristocratiques aux pouvoirs régaliens qui étaient restés ceux des seuls carolingiens. Dans certains espaces, qu'on appellera des principautés, des familles prennent alors le pouvoir comme des PRINCES = exercent des pouvoirs régaliens sans en prendre le titre, comme en Flandre, en Aquitaine et en Normandie:- c'est une même famille qui se transmet le titre comtal (Flandre) ou ducal (Normandie; Aquitaine) par voie héréditaire, sans intervention royale (alors que le titre est d'abord un honor!)- dans ces régions, cette famille contrôle abbayes et évêchés; mène une politique diplomatique autonome; lève l'armée- l'attitude d'une principauté n'est pas nécessairement hostile au gouvernement royal: o l'Aquitaine est indépendantiste et rebelle à l'autoritéo mais la Normandie est une création royale consentie (Saint-Clair sur Epte 911)o et la Flandre au XIe s. est la meilleure alliée du royaume capétien les principautés caractérisent le gouvernement de l'ouest de l'ancien empire carolingien (Francie occidentale) où un pouvoir royal affaibli doit tolérer ces régions + autonomes puis les rattacher + étroitement au royaume au cours du XIIe s. C'est l'évolution inverse qui se produit à l'est où un pouvoir central fort se recrée autour des dynasties ottoniennes (919-1002) puis salienne (1002-1138) qui limite la création de duchés nationaux (Bavière) aux Xe et XIe s., avant d'en

faire des structures de gouvernement indispensables au XIIe s. 2- Les Normandsa. des

envahisseurs Depuis les années 800 en Frise, 840 en Francie de l’Ouest, des hommes venus de Scandinavie,

surtout Danois. Technique de la razzia saisonnière : voies fluviales (Seine, Loire, mais aussi

delta du Rhône à la fin du IXe s.), butin, politique de la terreur : d’autant plus efficace que les

attaques normandes sont relayées par les auteurs les plus prolifiques, et les plus portés à

l’interprétation providentielle, les moines. Cibles privilégiées : monastères, villes sans

murailles. Montée en puissance d’une défense locale :

L’autorité royale fait face avec difficulté : fortifications efficaces sous Charles le Chauve (édit

de Pîtres, 864). Combats en face à face dont les rois tirent un grand prestige (882, Louis III de

Francie occidentale et le Ludwigslied). Mais souvent tribu : 7000 deniers d’argent prélevés

« au cas où » par Charles le Chauve en 877 avant de quitter le royaume. Variante :

autorisation par Charles III le Gros d’aller piller la Bourgogne pour détourner les Normands

de Paris en 887. L’autorité locale est mieux armée pour assurer la défense des villes et des

abbayes : prestige de Robert le Fort, marquis de Neustrie, comte d’Angers, qui meurt

héroïquement à la bataille de Brissarthe en 866 et pare ses descendants (Eudes et Robert)

d’une légitimité de « défenseurs de la patrie ». Réactivée quand Eudes défend Paris en 886.

Contribue à discréditer l’autorité royale au profit de l’autorité princière locale. C’est ce

qu’affirme Foulques, archevêque de Reims en 893 : on ne peut pas choisir en 888 un autre roi

que le roi qui sait se battre, Eudes.

b. création de la Normandie ducale (fin IXe-X

e s.)

En Angleterre, les Danois s’installent dans le Nord entre 866 et 886. Après une période de

statu quo, ils finissent par faire de ce Danelaw (royaume danois d’Angleterre) la base d’une

Page 54: Médiévale

conquête totale de l’île : le royaume de Sven réunit en 1013 sous une autorité unique royaume

anglo-saxon et Danemark.

En Neustrie, Rollon installent ses hommes, avec l’accord du roi carolingien Charles le Simple,

entre Rouen et Evreux, selon les termes du traité de Saint-Clair-sur-Epte (911) : les Normands

jouissent du droit d’installation, en échange d’une reconnaissance de la souveraineté du roi

sur la Normandie et d’une promesse de conversion.

Après Rollon, stabilité de la Normandie : toujours fidèle aux Robertiens-Capétiens, toujours

chrétienne, bonne intégration dans l’espace franc (disparition du norrois comme langue

vernaculaire dès Xe s. au profit d’un franco-normand), transmission héréditaire du titre de duc

des Normands parmi les héritiers de Rollon [Guillaume Longue Epée ; son fils Richard Ier

,

son fils Richard II, son fils Richard III puis passage à Robert le magnifique, frère de Richard

III en 1027, qui meurt en 1035 en laissant un unique fils illégitime, Guillaume « le bâtard »

notre Conquérant).

c. conquête de l'Angleterre (XIe s.) Les prétendants anglo-saxons au trône d’Angleterre chassés par les Danois en 1013-1017

(conquête de Sven puis de son fils Cnut), ont trouvé refuge en Normandie Ŕ parmi eux le

jeune Edouard, héritier du trône, dont la mère est une Normande Emma - et encouragent le

duc de Normandie à une première conquête de l’Angleterre danoise au cours des années 1020.

La tentative est un échec et c’est à cause de dissensions danoises qu’un dernier roi anglo-

saxon monte sur le trône en 1042, Edouard le Confesseur. À la mort du roi Edouard le

Confesseur, Guillaume revendique son héritage et se heurte à l’autre prétendant, Harold

Godwinson, qui se fait couronner. Guillaume passe la mer, et remporte la bataille de Hastings.

Harold meurt, Guillaume le Conquérant est couronné le 25 décembre 1066. Témoignage

contemporain, la tapisserie (broderie) de Bayeux, réalisée (?) à Cantorbéry à la demande de

l’archevêque = un document d’auto-justification des Normands par démonstration de la

trahison d’Harold. Guillaume gouverne l’Angleterre « anglo-normande » jusqu’à sa mort en

1087, en donnant au pays le premier recensement, le Domesday Book (1086) qui témoigne de

l’important bouleversement causé à la société anglo-saxonne : partout, une société strictement

féodale normande a été importée, avec une aristocratie francophone. La conquête normande

est le point de départ de l’empire Plantagenêt qui s’étend au XIIe s. sur Angleterre +

Normandie + Poitou + Anjou + Touraine + Aquitaine.

En Italie, ce sont aussi des Normands, sous le commandement de Robert Guiscard, qui

s'imposent: Robert est reconnu par le pape comme duc de Pouille (Italie du sud) après 1059,

sur des terres qui appartenaient "normalement" à Byzance. Il achève la conquête de l'Italie

byzantine en 1071 (prise de Bari) et menace l'empire byzantin après son débarquement à

Dyrrachium (1081). Seule l'alliance avec les marchands vénitiens et la mort de Robert (1085)

permettent à l'empereur d'éviter la chute de Thessalonique.

3- Un Etat capétien? a. La création d'un royaume de Louis VI à Philippe Auguste

(1180-1223) Quand Louis VI (1108-1137) et son fils Louis VII (1137-1180) se succèdent, ils ne sont guère

maîtres que d’un domaine réduit, autour de la Seine (Mantes et Melun), de la Loire (Bourges

et Orléans), de l’Aisne (Senlis, Corbie, Laon). Le témoin de leur règne, l’abbé Suger (1081-

1151) auteur d’une Vie de Louis VI, les montre efficaces contre les seigneurs voisins par des

campagnes incessantes. Surtout, les rois revendiquent d’être considérés comme

l’aboutissement normal d’une pyramide féodale et réclament l’hommage de ceux qu’ils ne

contrôlent plus : Henri II d’Angleterre doit par exemple prêter hommage à Louis VII en 1169,

au titre des terres qu’il possède en Bretagne. De même, Philippe Auguste réclame du roi

d’Angleterre Jean sans Terre l’hommage pour la Normandie (1194), saisit ses terres en 1202

pour défaut de justice (seigneur de Lusignan) et envahit la Normandie (1202-1204). En 1213,

le nouveau comte de Toulouse Simon de Montfort [qui est intervenu au nom de la croisade

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albigeoise mais est un baron d’Ile de France] fait hommage de son comté à Philippe Auguste.

C’est préparer l’annexion, sous Louis VIII (1223-1226) des marges du comté de Toulouse

(Carcassonnais et Baucaire) de Raymond VII. Louis IX encore en 1259 utilise l’investiture

féodale pour calmer les ambitions de Henri III d’Angleterre (1216-1272) : il lui cède la

Guyenne, Cahors, Périgueux, à condition que l’Anglais reconnaisse que Louis est son

seigneur pour la Normandie, la Touraine, le Maine, le Poitou. La pratique est soutenue par le

développement d’une pensée politique stimulée par Jean de Salisbury (1120-1180),

Policraticus : il existe un Etat, comme il existe une Eglise, et chacun doit agir dans le corps

politique au service du bien commun, sous l’autorité du roi.

Les Capétiens utilisent la politique matrimoniale

- le mariage de Louis VII avec Aliénor d’Aquitaine (1137) fait de l’Aquitaine un bien

de la couronne= tout le sud de l Loire jusqu’aux Pyrénées, surtout du côté du littoral

atlantique. Leur séparation et la reconnaissance en nullité du mariage en 1152 pose un

problème dangereux.

- Le mariage de Philippe Auguste avec Elisabeth de Hainaut ouvre, au terme d’une

campagne militaire qui l’accompagne, au roi l’Artois, Amiens et le Vermandois en

1185.

- Le mariage d’Alphonse de Poitiers (frère de Louis IX) avec Jeanne, héritière de

Raymond VII de Toulouse, doit ramener le comté dans le domaine royal. Ils meurent

sans enfants en 1271 (retour de croisade).

- Le mariage de Charles d’Anjou (frère de Louis IX) avec l’héritière des comtés de

Provence Béatrice lui ouvre les portes du midi (et de l’Italie : il est couronné roi

d’Italie, contre les intérêts des Hohenstauffen en 1265).

- Le mariage d’Henri III comte de Champagne avec une fille de Louis IX (Blanche

d’Artois) devrait apporter la Champagne au domaine royal= effective quand Jeanne,

fille du couple, épouse Philippe IV le Bel

b. la création d'un Etat de Philippe Auguste à Louis IX (1226-1270) Le roi PhAug créé une administration de professionnels recrutés dans l’Université : il refuse

de nommer un chancelier (qui serait le chef de son administration) mais prend un simple

« garde du sceau », refuse le sénéchal à la mort de Thibaut de Blois en 1191 et s’entoure de 20

clercs spécialisés Ŕ pas des nobles ; de même pour Louis IX qui s’entoure de bons conseillers,

des « intellectuels » mais pas des grands comme Robert de Sorbon son chapelain ou Etienne

Boileau, tout petit noble prévôt d’Orléans que le roi fait prévôt de Paris en 1261 pour ses

qualités. Le roi gouverne depuis une capitale, Paris, dans un château, le Louvre (construit

1190’s) avec un service d’archives permanent. Il recrute des spécialistes de droit dans

l’Université d’Orléans. Sur les terres du domaine royal, PA invente les baillis, dans le sud,

des sénéchaux, des inspecteurs et des juges, chargés de mission bientôt fixés à demeure dans

une circonscription où ils représentent la continuité de l’Etat et perçoivent les impôts.

Les premiers Capétiens encouragent l’idée d’une monarchie sacrée : soit en développant

la croyance qu’ils sont saints eux-même (Robert le Pieux), soit qu’ils sont protégés de Dieu

(Philippe Auguste et Bouvines, contre le comte de Flandres et l’empereur en 1214), soit qu’ils

soient croisés (Louis VI en 1146 pour la 2e croisade, échec militaire, succès d’estime en

France pour un roi qu’on trouve bien religieux ; Louis IX, pour la croisade de 1248 à 1254 qui

fait suite à la chute des Etats latins et de Jérusalem en 1244 ; en 1270 encore, où il trouve la

mort en Tunisie).

Ils développent un Etat de droit : les premiers Capétiens assistent à la renaissance du

droit romain (redécouverte du CIC au XIIe s., oublié au profit des abrégés de Code

théodosien), ils font mettre par écrit le droit privé (Très ancienne coutume de Normandie fin

XIIe s.). LIX vérifie par une grande enquête en 1247 que le droit règne partout : il entend les

plaintes portées contre l’alourdissement de l’administration royale. L’ordonnance de 1254

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fustige l’accaparement du pouvoir au service de familles : elle débouche sur une mobilité

accrue des baillis pour qu’ils représentent bien la res publica et pas leurs intérêts personnels.

À partir de 1254, on enregistre systématiquement les Parlements, c'est-à-dire les jugements

rendus par la cour lors des sessions judiciaires = reconnaissance du droit de la cour d’être une

cour d’appel ; importance de l’enregistrement dans la rationalisation ; nécessité de

professionnels du droit à la cour ; naissance des enquêtes judiciaires l’emportant pour preuves

sur le duel (interdit en 1261). Le port d’armes est prohibé (pour nobles aussi) par LIX.

c. dans un contexte d’expansion économique urbaineIl y a un décollage économique qui

part des régions méridionales dès le Xe s. Puis XIIe s. = Attestations de défrichements, les

essarts, surtout quand ils sont organisés d’une façon centralisée, par les grands ou les

monastères : fondation des sauvetés dans le Midi, des Villeneuves, des bourgneufs, avec des

statuts attirant la main d’œuvre (liberté). Les défrichements accompagnent une certaine

hausse des productions, voire des rendements. Ils durent jusqu’aux années 1250.

Essor urbain en parallèle, reposant sur l’importance économique croissante des villes

(marchés) et garanti par une reconnaissance institutionnelle : les bourgeois prennent

conscience d’eux-mêmes, ont l’habitude de liens professionnels (confréries, etc.) et

revendiquent une certaine autonomie politique. C’est la commune, fondée sur un serment des

habitants entre eux (assistance mutuelle) = un nouveau lien social possible, entre égaux, et pas

entre seigneur et vassal ! C’est ce qui est juré à Noyon vers 1106, entre clercs, chevaliers et

bourgeois. Ailleurs, les villes obtiennent seulement des chartes de franchise : elles sont

reconnues comme des personnes morales douées de privilèges par le seigneur ou le roi (mais

sans serment d’assistance mutuelle). Dans le sud, cette « prise de conscience urbaine »

s’exprime par la naissance des consulats : des « maires » - 2 ou 4 Ŕ qui sont choisis dans la

petite noblesse locale.

Les villes gagnent d’autant + en importance qu’elles deviennent des villes de foire : dans les

Flandres (Lille, Bruges), dans le comté de Champagne (Troyes, Bar-sur-Aube, Lagny,

Provins), à Paris (Les Champeaux, de PA en 1181 = un marché permanent là où ont été les

Halles), la foire annuelle du Lendit (24 juin) à Saint-Denis. Les foires de Champagne attirent

un CM international (Flandres Italie).

Des écoles apparaissent avec la « Renaissance du XIIe s. », lieux d’enseignement itinérants,

sous la responsabilité d’un maître privé, mais sous autorité ultime de l’évêque diocésain : la

science quitte les monastères où les Carolingiens l’avaient cantonnée pour entrer en ville.

Ecoles de Reims, Chartres, Paris, Tours, Orléans. Les maîtres (Pierre Abélard, Pierre le

Mangeur) s’agitent autour de la philosophie aristotélicienne : il est possible (et permis ?) de

faire de la dialectique la voie de connaissance (y compris de Dieu). C’est le principe

d’enseignement de Thomas d’Aquin (m. 1274) maître incontesté de son vivant. Puis

reconnaissance par la papauté (Célestin III, 1174) de l’existence d’une « Université » à Paris

= une corporation urbaine des maîtres et des élèves jouissant de privilèges en commun.

Quatre facultés dans cette Université : arts libéraux, puis théologie, médecine et droit, mais

pas de lieux fixes, en dehors des Collèges (internats pour étudiants qui sont répartis en nations,

Français, Anglais, Picards et Normands) qui sont des fondations pieuses bientôt des lieux

d’enseignement (après 1300). Parmi les privilèges, celui de dispenser la licentia docendi =

licence d’enseigner à ceux des étudiants reconnus aptes par leurs maîtres = hors autorité du

diocésain ! C’est désormais sous cette forme que la vie intellectuelle éclot : à Orléans et

Bologne en droit, à Oxford, à Montpellier et Toulouse en arts…

II- Les divisions du monde abbasside 1- Les Abbassides sunnites

En 749, un nouveau calife est acclamé dans la mosquée de Kûfa : c’est Abu I-Abbâs, un

descendant de l’oncle du Prophète al-Abbâs. Il mène une guerre contre le calife omeyyade

Marwan II, battu à la bataille du Grand Zab (750). Tous les Omeyyades sont massacrés, sauf

un qui s’enfuit vers l’Espagne. Abu I-Abbâs se présente comme le seul calife légitime au nom

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d'une succession prophétique dynastique. Du fait des conditions de cette prise du pouvoir, les

califes abbassides vont gouverner en accentuant leur caractère d’héritiers du Prophète, ce qui

augmente leur rôle religieux : le calife prend le titre de Prince des croyants, il doit diriger la

prière du vendredi, lutte contre les hérésies, est gardien du dogme. Héritier du Prophète, il

garde son manteau, son bâton et son sceau. Il est sacralisé jusque dans l’étiquette de la cour

qui se solennise : on doit au calife l’équivalent de la proskynèse, il reçoit caché derrière un

rideau, il fixe sa résidence en plein désert, puis à Bagdad, dans un palais impénétrable.

Néanmoins, le calife abbasside doit rester dans les limites religieuses de la tradition. Quand le

juriste al-Mawardi énumère les devoirs du calife abbasside (début XIe s.) dans un texte

programmatique célèbre et peu appliqué, il parle du « maintien de la religion selon les

principes fixés et ce qu’a établi l’accord des plus anciens musulmans ». En matière de dogme,

le calife abbasside est donc limité par le principe d’idjmâ : en cas de situation non prévue par

le Coran ou par la tradition, le consensus, l’accord de la communauté, doit guider

l’interprétation = le calife ne peut donc pas innover mais conserver. C’est une limitation au

nom de la sunna de l’autonomie de décision qui est reconnue a contrario aux dirigeants

chiites : les califes fatimides (à partir de 970-980) revendiquent le droit des califes à décider

en matière de dogme, à cause de leur définition du calife comme le mahdi, l’envoyé

messianique, chargé de rétablir la vraie religion. De ce fait, les Fatimides jouissent d’une plus

forte autorité : ils affirment par exemple que seul le calife peut choisir son successeur, avec

inspiration divine. Tout en jouissant du prestige héréditaire aussi (descendants d’Ali !).

Les Abbassides à leurs débuts tentent de ne pas faire les mêmes erreurs que les califes

omeyyades : ils écartent de leur administration les élites uniquement arabes et s’appuient pour

prendre le pouvoir sur des hommes du Khurâsân (approximativement Iran), surtout des

mawalis. Plus tard (IXe s.) et Hârûn al-Rashid, ils enrôlent dans leur administration des

iraniens chiites. Mais plus le pouvoir est défini par sa nature religieuse, plus le calife s’isole

de la politique et de l’administration. Rôle des vizirs : les chefs des bureaux, c'est-à-dire le

responsable n°1, le ministre de l’intérieur. L’époque abbasside est celle de l’apogée de la

bureaucratie, par le nombre de ses fonctionnaires et son efficacité. Mais ces vizirs peuvent

confisquer la réalité du pouvoir (notamment parce qu’ils dirigent le fisc), comme c’est le cas

au début du Xe s. Rôle surtout des émirs : le calife cesse avec les débuts du IX

e s. de mener

les troupes au combat ; il engage des professionnels (les émirs) et des mercenaires pour

remplacer les troupes fidèles, mais trop proches des cercles du pouvoir du Khurâsân = des

esclaves turcs. On voit donc apparaître en 936 le titre étonnant d’ « émir de tous les

croyants », porté d’abord par le chef militaire de Basra, puis adopté par une dynastie shi’ite

qui contrôle militairement le calife à Bagdad même : ce sont les émirs bouyides ou Bûyides,

de 945 à 1055 qui exercent leur protectorat sur les califes abbassides et prennent bientôt en

plus du titre de vizirs, celui de soultân, d’origine iranienne. La cohabitation n’est pas

mauvaise entre ces deux pouvoirs et rappelle un peu la répartition des tâches entre maire du

palais et roi mérovingien : le calife incarne la continuité et la légitimité du pouvoir, c’est en

son nom que les fonctionnaires sont nommés, il est la garantie religieuse du système ; le

sultan est le détenteur de l’autorité et de la force. MAIS paradoxe: ces sultans sont chiites et

iraniens!

La fin de la dynastie abbasside est enfin marquée par la prise du pouvoir paradoxale des

Seldjoukides, mercenaires turcs qui conquièrent Bagdad en 1055 : ils ont beau jeu de se

présenter comme les seuls défenseurs de l’orthodoxie puisque les califes ont laissé les iraniens

shiites exercer le pouvoir et ont pratiqué une politique de grande tolérance vis-à-vis du

chiisme depuis 945.

les califes abbassides ont été pris entre deux extrêmes, la théocratie fatimide (qu’ils

refusent au nom de la tradition) et l’hétérodoxie chiite (qu’ils tolèrent par faiblesse).

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2- Les Fatimides et l’indépendance de l’EgypteL’élimination d’Ali a laissé des

mécontents nombreux. Les chi’ites ont été opprimés par les sunnites, Omeyyades puis

Abbassides, qu’ils considèrent comme des califes usurpateurs. Ils ont donc développé une

religion plus clandestine, qui a des implications politiques majeures. Pour les shi’ites, seuls

les descendants de Fatima et d’Alî sont des califes légitimes. Puisque ‘Alî et son successeurs

Husayn sont morts (Husayn à Kerbelâ), leur pouvoir, leur puissance ne peut pas avoir disparu

avec eux : il existe sûrement un chef qui a reçu leur inspiration divine et qui reviendra pour

guider les croyants. On parle du mahdî, ou imâm caché, un guide et pas un calife, un guide de

droit divin, infaillible, qui se manifestera quand les temps seront accomplis. Chez certains

chi’ites, cette doctrine reste discrète et non violente. Chez d’autres, dont les ismailistes ou

ismaéliens, elles débouchent sur une religion vraiment messianique (on attend celui qui doit

revenir) et ésotérique : il existe un sens caché à tout, en particulier au Coran, et les vrais

croyants sont des initiés à qui ce sens ésotérique est révélé. Ces ismailistes forment des

missionnaires, au sein d’une véritable organisation secrète. Dans un cas unique, ils ont de plus

réussi leur conquête du pouvoir.

Les Fatimides sont des chiites ismaéliens qui commencent leur conquête du pouvoir en

s’emparant de l’Ifrîqiya (Tunisie et est de l’Algérie) entre 893 et 904. C’était un moyen sûr

d’accumuler les moyens d’une conquête plus large : en Afrique du nord, ils levèrent des

impôts lourds et contrôlèrent les routes caravanières qui apportaient du sud vers le nord l’or

du Soudan et les ressources du Sahara. Dès 970, les Fatimides purent alors conquérir l’Egypte,

grâce à un esclave d’origine slave qui dirigeait les troupes, Djawhar. Ils y fondent la ville du

Caire où le calife fatimide s’installe. Ils élargissent leur domination à la Syrie dès 978. Des

chefs locaux reconnaissent leur pouvoir comme ceux d’Alep. Ils profitent d’un essor

économique considérable, et de l’intensité du trafic maritime grâce aux villes italiennes de

Pise, Amalfi, Venise, qui commercent avec Alexandrie comme avec Constantinople.

3- L’indépendance du califat de Cordoue

Al-Andalus est entrée dans son apogée au IXe et X

e s., au point de se sentir en mesure de

proclamer un califat autonome, strictement sunnite, comme une réponse aux califes fatimides

qui menacent al-Andalus de l’autre côté de la Méditerranée : c’est ce que fait ‘Abd al-Rahman

III (912-961). En théorie, l’émir de Cordoue n’est qu’un représentant local du califat. En

vérité, il est le descendant des califes omeyyades, il incarne en Espagne la légitimité sunnite et

profite de la crise fatimide pour achever de rendre l’Espagne indépendante. Curieusement, au

moment où le nouveau calife semble au sommet de sa puissance, il connaît la même évolution

qu’à Bagdad : après le règne d’Abd al-Rahman III, un premier ministre (on dit en Espagne un

hâdjib) gouverne au nom du fils d’Abd al-Rahman III, al-Hâkam (961-976) : le pouvoir

califal se divise, et ne représente plus qu’une autorité religieuse. C’est le premier ministre,

surnommé al-Mansour, « le Victorieux » (fin Xe s.) qui s’occupe de la dimension militaire du

règne ce qui permet au califat de ne rien craindre des royaumes chrétiens du nord : on lui

attribue 57 expéditions victorieuses contre les chrétiens. Il assure la domination de l’Espagne

musulmane jusqu’à la disparition du califat de Cordoue en 1031. Cordoue sert alors de centre

intellectuel de premier plan : il est possible que la bibliothèque du calife ait regroupé 400 000

ouvrages. Un recensement, cité par l’historien contemporain Ibn Hawqal, énumère 471

mosquées et plus de 80 000 boutiques, ce qui est très certainement exagéré mais souligne

assez la fascination que pouvait exercer Cordoue, seule ville capable selon Ibn Hawqal

toujours, de rivaliser avec Bagdad.

III- Un siècle d’expansion occidentale 1- La reconquista

Depuis la conquête musulmane de l’Espagne wisigothique, l’idée d’une nécessaire reconquête

chrétienne s’est développée : cette reconquista, qui est un mythe ou un idéal avant d’être une

réalité, implique la pratique d’une guerre au nom de Dieu, pour rétablir la souveraineté de rois

chrétiens sur tous les habitants de l’Espagne (et pas leur conversion). Elle est impossible

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jusqu’au XIe s. et l’éclatement du califat en une 20aine de royaumes concurrents, les taifas :

les chrétiens peuvent alors connaître leurs premiers grands succès avec le roi Sanche III le

grand (1004-1035) ; et la prise de Barbastro (1064). La Reconquête du XIe s. s’appuie sur :

- la naissance de la chevalerie espagnole (naissance d’une classe qui acquiert des

privilèges par le métier des armes)

- importation de chevaliers français

- l’encouragement de la papauté qui définit en 1101 la guerre en Espagne comme une

croisade

- des symboles comme le sanctuaire de Saint-Jacques de Compostelle : le tombeau de

l’apôtre Jacques, lieu de pèlerinage réputé dès le IXe s., devenu le symbole de la

Reconquête de l’Espagne chrétienne contre les royaumes musulmans après que saint

Jacques est apparu à la bataille de Clavijo en 844, l’épée brandie contre les Maures.

Détruit par Al-Mansur en 987, mais rapidement reconstruit et connaît un succès de +

en + grand en Occident. C’est le seul sanctuaire capable de rivaliser avec Saint-Pierre

de Rome.

2- La première croisade

Conquête de la Palestine par les califes fatimides chiites met au début du XIe s. un frein

sensible au pèlerinage à Jérusalem : al-Hâkim (996-1021) ordonne en 1009 la destruction des

églises de Jérusalem, dont celle du Saint-Sépulcre. La situation s’améliore péniblement au

cours du XIe s., encore que la conquête éphémère de Jérusalem par les Turcs Seldjoukides

(1076) ait plutôt aggravé le conflit latent ; mais en dépit de la création de l’hôpital Saint-Jean

en 1080 à l’initiative de deux familles d’Amalfi, capable d’abriter les pèlerins au sein d’une

ville hostile, le pèlerinage demeure une expédition périlleuse.

La croisade a été lancée par un prêche du pape Urbain II à Clermont en 1095 : prendre les

armes pour délivrer Jérusalem. Le pape décrivait la situation pitoyable des chrétiens d’Orient,

opprimés par la domination musulmane ; il réclamait pour les pèlerins le droit de se rendre

sans être menacés sur les Lieux saints. La principale nouveauté du discours réside dans

l’enrôlement de la chevalerie par l’Eglise elle-même : c’est en plaçant sur leur épaule droite

une croix de tissu que ces chevaliers montreraient le pouvoir au nom duquel ils allaient se

battre, ni un roi, ni l’empereur de Byzance, mais le Christ lui-même. Le pape désigne donc un

évêque, Adhémar de Monteil, évêque du Puy, pour mener les troupes à Jérusalem en lui

donnant, le premier, l’insigne de la croix. Les « croisés » sont appelés « pélerins », s’engagent

par vœu à rejoindre Jérusalem, leurs biens et leurs proches sont placés sous la protection de

l’Eglise : ils jouissent en somme d’un statut de clerc qui les exempte de la justice laïque. La

croisade de ce point de vue est une étape vers la reconnaissance de la chevalerie comme d’un

ordre. Les chevaliers, disciplinés au Xe s. d’une façon négative (Ils doivent restreindre leur

violence sous peine d’être marginalisés, excommuniés car asociaux.) sont réintégrés dans la

société de façon positive : leur action peut être bénie par Dieu et leur vie, militaire, sanctifiée.

La mobilisation des « troupes officielles » de la première croisade repose sur l’influence

temporelle de l’Eglise : elle est d’autant plus forte parmi les chevaliers que l’influence de

l’Eglise romaine y est vive. Les princes qui contestent son pouvoir se tiennent à l’écart du

mouvement : seigneurs du nord de la France, fidèles à leur roi Philippe Ier

qui est excommunié

pour adultère, barons de l’empire germanique dont l’empereur Henri IV est un ennemi juré du

pape.

De fait, voulue par l’Eglise, encadrée et légitimée par elle, la première croisade s’est déroulée

comme une entreprise militaire et une guerre de conquête : après la traversée de l’Occident

par des routes diverses, les barons entrent dans un empire byzantin méfiant ; Nicée est reprise

aux Turcs et abandonnée aux Byzantins (26 juin 1097) ; la victoire de Dorylée ouvre la voie

en Anatolie ; les armées s’implantent alors plus durablement en Cappadoce et en Cilicie

(Tarse), pour établir en Petite Arménie les bases arrières indispensables à leur conquête de la

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Syrie. La conquête d’Antioche (1098) donne alors à Baudouin de Boulogne les moyens de

créer la première principauté chrétienne autour d’Edesse. La première croisade est une guerre

de conquête réussie : conquête de la Syrie - Antioche (1098) - Baudouin de Boulogne créé la

première principauté chrétienne autour d’Edesse ; en juin 1099 à Jérusalem. Création des

« Etats latins ».

3- L'impossible installation en Orient

À Byzance, Alexis Comnène parvient sur le trône (1081) à la faveur d'une guerre civile au

cours de laquelle l'empereur byzantin a utilisé des mercenaires turcs et normands. Ce XIe s.

comnène est celui d'une influence majeure des Latins en Orient: les relations commerciales

sont extrêmement favorables aux Italiens (traités bilatéraux qui rompent avec l'isolationnisme

byzantin traditionnel), la première croisade est convoquée à la demande d'Alexis Comnène,

les empereurs épouse des princesses latines (Marie d'Antioche pour Manuel); mais après 1185

(renversement des Comnènes au profit des Anges), la xénophobie l'emporte: après

l'arrestation de tous les Vénitiens et la confiscation de leurs biens (1171), massacre des Latins

de Constantinople en 1182, inertie de l'empereur au moment où Saladin reprend Jérusalem en

1187 puis négociations du même empereur (Isaac Ange) avec Saladin au moment où il voit le

projet de 3e croisade se profiler: a peur de cette coalition majeure de Frédéric Barberousse,

Ph.Aug. et Richard Cœur de Lion. La 3e croisade a pour premier effet le pillage des Balkans.

Constantinople était peut-être l'objectif de Frédéric quand il meurt en 1190. Dès 1198, pape

Innocent III prêche une 4e croisade. C'est celle qui est la plus dévoyée, puisque les croisés

acceptent, contre l'avis du pape, de prendre parti entre deux empereurs byzantins possibles,

Alexis III et Alexis son neveu: débarquement des croisés en 1203 devant Constantinople

contre Alexis III, occupation de la ville, qui devient bientôt insupportable aux

Constantinopolitains, et incendie, massacre, pillage de 1204.

fin de l’empire byzantin classique, qui renaît sous forme de principautés sous influence

latine.