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Université Paris-Est Marne-la-Vallée CFA Descartes Aurélie MARTIN Vertiges de l’autoportrait Photographie et mise en scène de soi sur les sites de rencontre Mémoire de recherche pour l’obtention du Master 1 Cultures et Métiers du Web Tuteur : Thierry BONZON Juin 2010

Memoire Aurelie Martin

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Université Paris-Est Marne-la-Vallée CFA Descartes

Aurélie MARTIN

Vertiges de l’autoportrait Photographie et mise en scène de soi sur les sites de rencontre

Mémoire de recherche pour l’obtention du Master 1 Cultures et Métiers du Web

Tuteur : Thierry BONZON

Juin 2010

Remerciements Je tiens tout d’abord à remercier Vincent LEMIRE, pour sa disponibilité et ses encouragements qui m’ont été très utiles durant l’élaboration de mon mémoire. Je pense également à toutes les personnes qui m’ont soutenue dans les moments de doutes que j’ai pu rencontrer, en particulier Morgane et Juliette, ainsi que Janick BARBE qui est responsable de communication dans l’entreprise qui m’accueille cette année. Enfin une mention spéciale pour mon tuteur en entreprise, Ludovic, pour sa bonne humeur et son dynamisme qui m’ont toujours redonnée le sourire dans les moments difficiles.

Dédicaces Je dédie ce mémoire à Michèle AQUIEN, que j’ai eu la chance d’avoir comme enseignante à Paris XII et dont je n’oublierai jamais les conseils. J’ai également une pensée toute particulière pour mon père spirituel, Daniel KAMSEU, sans lequel je ne serais jamais arrivée jusque là.

Sommaire

Introduction Première partie – La montée en puissance de la photographie dans la société A. Naissance et développement de la photographie B. Toute photographie est une image C. Lorsque la photographie rencontre les médias de masse Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre A. Le phénomène des sites de rencontre sur Internet B. Importance de la photographie C. Le degré d’intimité de la photo Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie A. La place du corps dans le cadre photographique B. Les grandes tendances photographiques C. Début de réponse Conclusion

« Connaître quelque chose sur le mode de la beauté, c’est nécessairement la connaître sur le mode de l’erreur. »

NIETZSCHE

Introduction

Introduction Il y a tout juste un an je m’inscrivais sur un site de rencontre. Je fus très vite fascinée par les photographies que j’y rencontrais ou comment chaque membre prenait un soin plus ou moins grand à se représenter, à illustrer sa fiche, à se vendre au travers d’une image. Etant très attentive aux descriptions (court texte où l’on doit se présenter), ce fut un peu par hasard et bien plus tard que je compris l’importance que représentait cette photographie. Ainsi, lorsque je parle de « cette photographie », je fais référence à la photo principale, parce qu’il y a toujours une photo que l’on choisit de mettre en avant, c’est cette photo que les autres membres verront en premier. Un jour, en changeant ma photo principale donc, je remarquai que le nombre de visites sur ma fiche avait triplé voire quadruplé. Une simple photo suffisait à augmenter significativement le nombre de visites sur ma fiche et de fait le nombre d’hommes désireux de me contacter. Une simple photo prise avec ma webcam contribuait à augmenter ma popularité, pourtant, je restais la même personne. Ainsi, c’est avec un regain d’intérêt que je mis plus de soin dans le choix de ma photo personnelle et que je détaillai celle des autres, me demandant si telle représentation plutôt que telle autre jouait en la faveur d’un membre ou au contraire le condamnait à un jugement négatif. Ce mémoire portera donc sur la photographie comme mise en scène de soi sur les sites de rencontre. D’un côté, il y a la photographie, médium complexe qui à lui seul soulève bien des enjeux et des analyses. Un médium qui possède une histoire, qui a connu des évolutions, pour arriver aujourd’hui à la photo numérique. De l’autre, il y a les sites de rencontre qui sont des plateformes créées spécialement pour que des personnes célibataires puissent entrer en contact. Ce n’est pas tant la photographie pour elle-même qui nous intéresse ici mais les formes qu’elle prend et les enjeux qu’elle peut véhiculer sur des sites web aussi particuliers. De même, il n’est pas question de reprendre l’analyse des sites de rencontre, mais véritablement, de se focaliser sur la photographie et de s’interroger sur ce que l’on est amené à voir. Il semble, sur ce fait, qu’une des difficultés majeures de cette recherche est d’objectiver au maximum son regard et donc son analyse. La photographie étant devenue un objet de consommation tellement répandu qu’il paraît compliqué de prendre du recul. Malgré tout, il me semble essentiel de faire cet effort d’analyse, en effet, alors que les photos d’amateurs envahissent nos écrans (à travers des plateformes d’échanges comme Flickr1 ou au travers des différents réseaux sociaux), nous devons faire cet effort de distanciation et développer un raisonnement critique. De fait, il faut souligner l’importance de la photographie personnelle sur les sites de rencontre et justifier ainsi la focalisation d’une recherche sur ce sujet. Dans la vie réelle, la première 1 FLICKR, site web de partage de photos, http://www.flickr.com

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Introduction

approche d’une personne est toujours visuelle. Lorsque nous rencontrons quelqu’un pour la première fois, nous sommes confrontés à son image, à son apparence physique. Or, sur Internet, un membre d’un site de rencontre se retrouve face à une photographie. Voilà donc qu’à la place d’un être en mouvement, nous sommes face à une image fixe, figée dans le temps, pixélisée et de plus ou moins bonne qualité. Cette image, ce « ca-a-été » de BARTHES, ce n’est qu’une prise de vue à un instant T, une prise de vue plus ou moins réussie avec des outils plus ou moins performants. Cette photo est dotée d’une subjectivité incroyable, de part son cadrage, de part la lumière, de part le choix de la prise de vue, peut-être même des retouches qui ont été opérées grâce à un logiciel adapté, et pourtant, derrière notre écran d’ordinateur, nous jugerons une personne que nous ne connaissons pas à travers la photographie qui la représente. Aussi, depuis l’apparition des sites de rencontre, il semblerait que l’image ait pris une place prépondérante, en effet, la photo est devenue l’élément le plus important sur la fiche d’un membre. Aujourd’hui indispensable, elle est peu à peu devenue un terrain d’expérimentation où chacun peut choisir de se mettre en scène. Après tout, puisque la personne qui me découvre ne me connait pas, je peux être moi ou quelqu’un d’autre. La photographie en tant qu’image est chargée de sens, elle peut être interprétée de différentes manières, mais surtout il faut savoir se mettre en valeur pour qu’un autre membre ait envie de nous contacter. Adieu beaux discours moralisateurs sur la beauté intérieure, nous voici en immersion complète dans la primauté des apparences et les membres de ces sites ne sont pas sans l’ignorer. Voilà pourquoi il est intéressant et parfois amusant de voir de quelle manière chacun se met en scène pour se montrer sous son meilleur jour. Dans cette perspective, il existe un nombre très important d’ouvrages. Tout d’abord sur la photographie, j’ai donc du en privilégier certains plus que d’autres. Parmi eux des ouvrages de quelques célèbres théoriciens sur la photographie comme Roland BARTHES2, Susan SONTAG3 ou encore Pierre BOURDIEU4. Ces trois auteurs m’ont permis de saisir la complexité et les enjeux du médium photographique, ils ont été une très bonne base théorique pour ma réflexion. Toutefois, leurs essais datant un peu, il a fallu que je m’appuie également sur des écrits plus récents sur le sujet : François SOULAGES5 m’a permis d’aborder la photographie contemporaine, Anne-Carole RIVIERE6 un phénomène encore plus actuel, les nouveaux usages liés à la prise de photo avec son téléphone mobile. Enfin, Gabriel BAURET7 est l’auteur d’un 128 qui réunit de manière synthétique mais efficace tout ce qui concerne la photographie, de sa naissance jusqu’à nos jours. Concernant la webographie, ce sont le plus souvent des sources que j’ai trouvée lors de ma rédaction, lorsqu’un complément d’informations s’est fait sentir. Ensuite, sur la littérature autour de l’image, très vaste elle-aussi, j’ai surtout gardé des

2 BARTHES Roland, La Chambre claire : note sur la photographie, Paris, Seuil, 1980, 192 p. 3 SONTAG Susan, Sur la photographie, Paris, Christian Bourgeois, 2000, 243 p. 4 BOURDIEU Pierre, Un art moyen : essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Editions de minuit, 1965, 361 p. 5 SOULAGES François, Photographie et Contemporain, Paris, L’Harmattan, 2009, 245 p. 6 RIVIERE Carole-Anne, « Téléphone mobile et photographie : les nouvelles formes de sociabilités visuelles au quotidien », Sociétés, 2006/1, n°91, p. 119-134. 7 BAURET Gabriel, Approches de la photographie, Paris, Armand Colin, 2004, 128 p.

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ouvrages qui traitent de l’image en sémiologie et en sociologie. Ici aussi un 128, très complet, par Martine JOLY, qui est comme son titre l’indique une « Introduction à l’analyse de l’image 8». Il était surtout important pour moi de cerner le rôle de l’image dans une perspective communicationnelle. J’ai également parcouru un très grand nombre de références sur la représentation du corps, la représentation de soi, le portrait et l’autoportrait. Bernard LECONTE9 et Fabienne MARTIN-JUCHAT10 m’ont aidé à saisir les principaux enjeux du corps face aux médias, que ce soit la publicité, la télévision les magazines ou Internet, les deux auteurs nous confirment que le corps est aujourd’hui appréhender d’une manière différente à cause de la place importante qu’ont pris les médias et ont exposé celui-ci. Georges VIGARELLO11, lui, nous parle de l’Histoire de la beauté, ou comment depuis les années 1920 l’esthétique a pris une place importante, d’abord chez les femmes ensuite chez les hommes. La webographie traite de sujets plus actuels, tel que l’exposition en ligne. Enfin concernant les sites de rencontre, ma principale source est une partie des travaux menés par Pascal LARDELLIER, professeur des universités en Sciences de l’information et de la communication et chercheur au LIMSIC. Son ouvrage Le cœur net : célibat et amours sur le web12 est une précieuse référence sur le sujet, en effet, malgré le succès des sites de rencontre, la littérature sur ce sujet est assez pauvre, il s’agit la plupart du temps de livres peu sérieux où chacun y va de sa propre expérience. L’article d’Eva ILLOUZ13 a également beaucoup retenu mon attention puisqu’elle y aborde l’expression de soi sur les sites de rencontre. Heureusement, si certaines de mes références abordent la photographie sur Internet ou sur les sites de rencontre, aucune ne l’étudie dans le détail. Seul le blog OkTrends14 propose un aperçu plus détaillé sur le sujet, ce qui m’a d’ailleurs aidé à analyser mon terrain. Toutefois, j’offre avec ce mémoire un discours neuf dans la manière d’analyser la photographie personnelle sur un terrain particulier. Revenons donc sur ce terrain justement. Je vais vous parler de sites de rencontre, néanmoins c’est un terrain vaste, il a donc fallu opérer des choix. Le premier fut de définir explicitement ce que j’entends par site de rencontre : je limiterai donc mon terrain volontairement aux sites de rencontre proclamés comme tel, dont la raison d’être est de mettre en contact des personnes célibataires. Il y a plusieurs terrains que j’ai choisi de ne pas aborder, tel que les sites communautaires de type Facebook ou Skyrock, les sites pour rencontres libertines, ainsi que les sites de rencontre autour de la confession religieuse pour leur caractère trop particulier. Ma deuxième démarche fut de distinguer les sites « grand public » qui ont une cible assez large de 18 ans et plus, et les sites dits « de niche » qui ont une cible restreinte.

8 JOLY Martine, Introduction à l’analyse de l’image, Paris, Armand Colin, 2005, 128 p. 9 LECONTE Bernard, L’image et le corps : propos sur la représentation image du corps dans les mass-médias, Paris, L’Harmattan, 2004, 214 p. 10 MARTIN-JUCHAT Fabienne, Le corps et les médias : la chair éprouvée par les médias et les espaces sociaux, Paris, DeBoeck, 2008, 150 p. 11 VIGARELLO Georges, Histoire de la beauté : le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Seuil, 2004, 346 p. 12 LARDELLIER Pascal, Le cœur Net : célibat et amours sur le web, Paris, Belin, 2004, 255 p. 13 ILLOUZ Eva, « Réseaux amoureux sur Internet », Réseaux, 2006/4, n°138, p. 269-272. 14 OK TRENDS, blog officiel d’OkCupid.com (site de rencontre américain), http://blog.okcupid.com

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Dans la grande famille des sites grand public j’ai volontairement choisi un grand site payant, un site dont l’abonnement payant est fortement recommandé pour les hommes et un site totalement gratuit. Ces sites seront mon terrain d’observation principal. Quant aux sites de niche, ils serviront surtout à établir des comparaisons selon des tranches d’âge ou des tendances sexuelles : adolescents, seniors, homosexuels, etc. Le but n’étant pas, bien sûr, de faire de la discrimination, ni des généralités grossières mais d’observer un terrain pour peut-être en tirer des tendances et apporter un début d’analyse qui sera, je l’espère, complétée dans le futur. Pour mener au mieux ma réflexion j’ai divisé le cheminement de cette dernière en trois grandes parties. Il sera question dans un premier temps de revenir sur la montée en puissance de la photographie dans la société : donc de revenir sur son histoire et la place qu’elle a prise au fil des décennies. Ce qui aboutira logiquement à la photographie numérique et aux nouveaux usages qui y sont liés. La photographie dans toute sa complexité est avant tout une image, je reviendrai donc sur quelques concepts fondamentaux, que ce soit en sémiologie ou en psychanalyse. Par là, je veux souligner combien l’image est importante chez chaque individu. Cette première grande partie s’inscrit volontiers dans une perspective diachronique, voila pourquoi je reviendrai ensuite sur la place de l’image aujourd’hui dans notre société et comment les médias nous assaillent de toutes parts d’images et de photographies. Que ce soit par la presse, la télévision ou sur Internet, notre esprit est soumis sans cesse à des images, si bien que chacun ne peut plus ignorer l’importance de sa propre image dans la société. Dans un second grand mouvement, j’introduirai les sites de rencontre, revenant sur le phénomène même de la rencontre en ligne ou comme l’appelle Pascal LARDELLIER « le Net sentimental ». Pourquoi peut-on dire que la photographie joue un rôle primordial sur les sites de rencontre ? Est-ce que nos yeux baignés d’images ne se laissent pas aveugler par des représentations de la réalité qui peuvent être trompeuses ? Non seulement, la photographie de chacun remplace le corps absent lors d’une communication médiée par ordinateur mais cette image devient parfois malgré elle, un terrain fantasmagorique, où chacun peut imaginer ce qu’il veut. De la photographie personnelle sur les sites de rencontre je commencerai à distinguer trois grands types de photographies, trois types qui se distinguent surtout de part leur production. Le troisième grand mouvement du mémoire sera consacré à l’analyse détaillée ce cet immense corpus photographique, celui que j’ai rencontré chez les hommes et chez les femmes inscrits sur les sites de rencontre ou en tout cas ceux appartenant à mon terrain (qui sera détaillé lors de l’introduction des sites de rencontre). Lorsque j’ai choisi mon sujet de mémoire, les mots « mise en scène de soi » se sont présentés comme une évidence. Chacun se met en scène par la photographie, une tendance qui s’accentue chez les jeunes générations. Devant ces photographies, j’ai été frappé par des visages, mais surtout des regards, en effet, l’importance de ce dernier en photographie a déjà été largement souligné dans les ouvrages théoriques sur le genre. Que laisse-t-on apparaître de soi sur un site de rencontre dont l’enjeu est de séduire cet autre qui regardera votre photographie ? N’étant pas en mesure de connaître quel type de réception pouvait avoir telle attitude du sujet plutôt qu’une autre, j’ai tenté de dégager les grandes tendances, en effet, il est curieux de constater que les membres, selon le sexe, se

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prennent en photo de la même manière ou presque. Il n’est pas dur de créer des typologies parce que les représentations se ressemblent sensiblement. Ainsi, après des heures d’observation sur mon terrain, à regarder quelle type de photographies les hommes et les femmes, les plus jeunes et les plus âgés, avaient laissé sur leur profil, j’ai tenté de dégager des éléments de réponse. Je vous livrerai donc ce qui m’a semblé évident dans mes observations et qui sont autant d’éléments sur les nouveaux enjeux véhiculés par la photographie amateur.

Première partie – La montée en puissance de la photographie dans la société

I. La montée en puissance de la photographie dans la société Avant même de se plonger au cœur des sites de rencontre, il semble évident et nécessaire de revenir sur l’histoire de la photographie et ses principaux enjeux. Cette partie permettra de resituer la photographie dans son contexte historique, un historique divisé volontairement en deux temps qui pourraient être : la photographie avant et après l’apparition d’Internet. Bien sûr, il n’est pas le seul média de masse présent dans la société, mais il est incontestablement celui qui permet une circulation massive des photographies. Entre ces deux temps il sera principalement question de l’image et de ses enjeux. Ainsi, je souhaite une immersion totale dans le développement et les enjeux de la photographie avant même de l’aborder sur les sites de rencontre.

A. Naissance et développement de la photographie

1. Historique

La première photographie est attribuée à Nicéphore Nièpce, il fut le premier à fixer une image en 1826. Pour se faire, il fallait réunir trois procédés : tout d’abord celui de la chambre noire (ou camera obscura15), ensuite avoir un support pour recueillir l’image et enfin choisir le produit adéquat pour fixer la lumière et donc fixer l’image. Ainsi, c’est avec des plaques d’étain recouvertes de bitume de Judée que Nicéphore Niècpe réalisa la toute première photo dont on estime le temps de pose entre 14 et 18 heures16. Toutefois, conventionnellement l’invention de la photographie est datée de 1839, en effet, c’est à cette date qu’est présenté devant l’Académie des Sciences le procédé du daguerréotype17, un procédé qui permet de fixer une image durablement avec un temps de pose ramené à quelques minutes. Cette méthode ne permet pas la reproduction photographique, à une prise de vue correspond une seule image. Puis, en 1841 apparaît le couple positif/négatif qui rend possible le tirage de plusieurs épreuves positives à partir d’un même négatif. Ce procédé fut mis au point par un anglais, William Henry Fox Talbot. Dès lors, les progrès qui vont apparaître tourneront autour de la qualité des supports négatifs ou positifs. En 1850, apparaît la technique dite du « collodion humide » qui a pour inconvénient qu’il faut exposer la plaque juste après l’avoir préparée, de fait ce procédé avait des conséquences sur la pratique de la photographie. Un photographe ne peut pas prendre de

15 camera obscura, procédé connu depuis Aristote, il s’agit de faire un trou dans une boite noire, possédant un fond blanc et de voir apparaître sur ce fond blanc une image inversée. 16 Source : Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Photographie 17 Procédé mis au point grâce aux recherches de Louis Daguerre.

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Première partie – La montée en puissance de la photographie dans la société

clichés sans avoir avec lui tout un laboratoire. A ce moment là, la photographie n’est pas accessible à tous et n’a aucune fonction sociale, comme le souligne Susan SONTAG18 :

« Les premiers appareils, fabriqués en France et en Angleterre au début des années 1840, ne pouvaient être manipulés que par des inventeurs ou des passionnés. Puisqu’il n’y avait pas de photographes professionnels à l’époque, il ne pouvait pas non plus y avoir d’amateur, et la photographie n’avait pas de fonction sociale clairement définie. »

Il faudra attendre 1880 pour que soit mis au point l’instantané. C’est un américain, Georges EASTMAN, qui va proposer une alternative aux plaques de verres assez encombrantes utilisées jusque là : un film souple et transparent. Ce même film permettra la mise en vente de petits appareils Kodak en 1888. La photographie devient désormais accessible aux amateurs19. Ensuite arrive la couleur, d’abord avec les Frères Lumières qui mettent au point un procédé autochrome en 1907, mais ce procédé reprenant le système des plaques de verre, il faudra attendre les années 1930 pour pouvoir parler de photographies en couleur. D’abord avec le Kodachrome en 1935 et l’Agfacolor en 1936. A partir de la couleur, selon Gabriel BAURET20, l’essentiel a été acquis et « au tournant du siècle, on peut désormais presque tout photographier. » Cet historique n’a rien d’exhaustif et ne prétend pas l’être. Le but étant d’introduire la photographie dans mon propos. Ainsi, après les dernières découvertes concernant la photographie (certains s’arrêtent à la couleur, d’autres à l’invention du Polaroïd21), ce qui suivra n’est que perfectionnement, que ce soit au niveau des formats, de la surface sensible ou encore du matériel. Ce qu’il semble important de souligner c’est comment la photographie s’est introduite dans la vie des gens. Au début, réservée à certains milieux privilégiés, elle va vite se répandre. Ce qui m’intéresse ici étant la pratique amateur de la photographie ainsi que la manière dont elle est venue se glisser dans la vie de tout un chacun. Au début du XXe siècle, on allait volontiers en ville pour se faire photographier, les familles plus aisées faisant parfois appel à un photographe professionnel. La photographie était réservée à des occasions précises, nous sommes très loin de la consommation photographique d’aujourd’hui. Sur ce sujet, l’article de Sylvain MARESCA22 : « L’introduction de la photographie dans la vie quotidienne », publié dans la revue Etudes photographiques, est très intéressant. En effet, il nous apprend que si le procédé même de la photographie a été inventé

18 SONTAG Susan, Sur la photographie, Paris, Christian Bourgeois, 1982, 243 p. 19 BAURET Gabriel, Approches de la photographie, Paris, Armand Colin, 2004, 128 p. 20 Ibid. 21 Inventé en 1948 par Edwin Land, premier appareil à développement instantané. Adapté à la couleur en 1962. Source Wikipedia (URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_photographie) 22 Sylvain MARESCA, sociologue et professeur à l’université de Nantes.

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en 1839, il faut attendre le début des années 1960 pour voir les Français s’équiper massivement en appareils photographiques.

« Bref, posséder des photographies et surtout en réaliser soi-même sont des pratiques récentes : leur banalisation délimite à l’intérieur de l’histoire déjà longue de la photographie une séquence sensiblement plus courte, qui s’inscrit dans l’expérience vécue de personnes encore vivantes à ce jour23. »

Ainsi, il faut prendre conscience que la photographie a fait irruption dans notre vie quotidienne depuis seulement une cinquantaine d’années. D’ailleurs, avant 1930, les personnes issues de milieux populaires ou paysans (ce qui constituait une majorité de la population) pouvaient ne jamais avoir eu de portrait d’eux-mêmes. Un portrait qui devient quasiment obligatoire en 1940 avec l’instauration de la carte d’identité. Si les années 1930 semblent marquer une étape dans la première photographie de soi (souvent une photographie de groupe lors d’évènement particuliers), les années 1960 sont une étape dans la pratique photographique, en effet, les Français achètent leur premier appareil photo et la pratique amateur de la photographie se développe.

2. Une photographie longtemps déterminée par sa fonction familiale

Dans les années 1960, la pratique de la photographie amateur est avant tout familiale. Une affirmation que l’on retrouve dans plusieurs ouvrages ou articles. Le plus célèbre d’entre eux, une référence encore largement citée aujourd’hui, est l’ouvrage de Pierre BOURDIEU, datant de 1965.

« Déterminée par sa fonction familiale, la pratique photographique est communément associée aux temps forts de la vie familiale (…) 24»

La photographie de mariage par exemple est devenue un véritable rituel depuis le début du XXe siècle, ce sont donc majoritairement des photos de groupes où certains individus sont photographiés pour la première fois de leur vie. Selon BOURDIEU toujours, elle s’y est tellement bien imposée dans la tradition du mariage que depuis lors « il n’y a pas de mariage sans photographie ». Le mariage bien sûr n’est pas le seul grand moment familial qui se voit éternisé en images, il y a également le baptême d’un enfant ou encore les communions. Tous les grands moments de fêtes sont autant d’occasions pour immortaliser l’instant en photo.

23 Maresca Sylvain, « L’introduction de la photographie dans la vie quotidienne », Etudes photographiques, N°15, novembre 2004, [en ligne : http://etudesphotographiques.revues.org/index395.html ] 24 BOURDIEU Pierre, Un art moyen… , op cit., p. 11

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Première partie – La montée en puissance de la photographie dans la société

« On voit que la pratique photographique n’existe et ne subsiste la plupart du temps que par sa fonction familiale ou mieux, par la fonction que lui confère le groupe familial, à savoir de solenniser et d’éterniser les grands moments de la vie familiale, bref, de renforcer l’intégration du groupe familial en réaffirmant le sentiment qu’il a de lui-même et de son unité. »

Déjà, on remarque que la photographie sert à prouver et à légitimer son appartenance à un groupe ou à s’affirmer d’une quelconque manière. L’indicialité de la photographie joue un rôle essentiel en ce sens où l’individu peut s’affirmer, ici dans le groupe familial, aujourd’hui en tant qu’individualité. Toutefois, je reviendrai sur ce point plus tard. Alors que de plus en plus de foyers français s’équipent en appareils photo, les sociologues remarquent un lien étroit entre la possession d’un appareil photographique et la présence d’enfants dans un foyer. Sur ce point, BOURDIEU fournit quelques chiffres dans une note de son essai25, rappelons que l’ouvrage date de 1965,

« 64% des foyers comportant des enfants ont au moins un appareil de photographie contre 32% des foyers sans enfants. »

Les enfants sont mis au devant de la scène, ils sont le centre de l’attention. Ce qui est déjà une tendance dans les familles se répercute sur les habitudes photographiques. Je tiens néanmoins à souligner l’importance que prend la photographie au sein des foyers, aussi je citerai Susan SONTAG qui écrit en 1977 :

« Ne pas prendre de photos de ses enfants, surtout lorsqu’ils sont petits, est un signe d’indifférence de la part des parents. »

Les photographies d’enfants permettent aussi d’avoir une trace en image de l’enfant qui grandit, ainsi l’enfant est photographié à plusieurs âges, les photos sont conservées et montrées en signe de souvenir. Ici encore c’est l’indicialité de la photo qui rentre en jeu. Qui n’a jamais vu ses parents ressortir de vieilles photos de famille pour les montrer à une personne en disant « Regarde, là il avait 2 ans … là il avait 5 ans » et ainsi pouvoir admirer comme nous avons changé au fil des ans. J’aimerais également citer mon expérience personnelle, une anecdote m’est revenue à l’esprit en lisant l’ouvrage de Pierre BOURDIEU. Etant le premier enfant que mes parents ont eu, mon père a acheté son premier appareil à ma naissance26. Ma mère m’a souvent racontée qu’il passait alors son temps à me prendre en photo quand j’étais bébé et en effet je possède un nombre assez important de photos prises par mon père à cette époque.

25 BOURDIEU Pierre, Un art moyen… , op cit. Note en bas de la page 39 26 Nous sommes dans les années 1980 à ce moment là.

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Ainsi soumis à l’objectif d’un appareil photo dès notre plus jeune âge, quel rapport avons-nous à l’image et plus particulièrement à notre image ? Un rapport certainement bien différent de celui qu’avaient nos parents ou nos grands-parents. Chaque génération a un rapport particulier à l’image et c’est un point important qui reviendra dans ce mémoire. A partir des années 1960 donc, la photographie se démocratise à une vitesse telle que dans les années 1970 Susan Sontag écrit :

« A notre époque, la photographie est devenue un divertissement aussi répandu que le sexe et la danse (…) »

Elle souligne par là la pratique populaire de la photographie qui est tout à fait différente de sa pratique en tant qu’art, mais également combien l’acte photographique est devenu banal voire naturel. Cette expansion de la photographie va devenir encore plus importante avec l’apparition de la photographie numérique.

3. L’arrivée du numérique entraine l’apparition de nouveaux usages

La technique de la photographie numérique apparaît comme révolutionnaire. Adieu pellicule photographique, nous sommes dans l’ère du numérique et tout est dématérialisé grâce à l’informatique. L’obtention d’une photographie se fait via un capteur électronique qui transforme l’image en une série de pixels. Les images ainsi numérisées sont enregistrées dans une mémoire interne ou externe27 à l’appareil photo numérique (aussi appelé APN). Le premier appareil photo numérique daterait de 1981 selon l’encyclopédie en ligne Wikipédia28. Toutefois, c’est véritablement à partir des années 1995-96 que les APN tels que nous les connaissons apparaissent, équipés d’un écran LCD à l’arrière, ce qui permet de visualiser la photo avant de la prendre. La vente des APN va exploser sur le marché vers les années 1997-98 pour en 2001 dépasser la vente des appareils photographiques traditionnels. Enfin, en 2009, les ventes d’appareils photo numériques ont battu un record historique avec plus de 5 millions d’appareils vendus (une hausse de 5% par rapport à 2008) et ce malgré la crise économique29. La numérisation des photographies a véritablement bouleversé la consommation et l’échange des photographies. Concernant la consommation d’images d’abord, puisqu’une pellicule

27 Carte mémoire que l’on insère dans l’appareil numérique. 28 « La photographie numérique », Wikipédia, URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Photographie_numérique 29 Communiqué de presse du SIPEC, URL : http://www.sipec.org/pdf/CP-SIPEC-Statistiques%202009.pdf

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photo pouvait contenir en moyenne une vingtaine de photographies alors qu’un appareil numérique doté d’une carte mémoire peut contenir un nombre très important de photos, mais bien plus, avec un appareil numérique on a la possibilité de supprimer très simplement une photo qui ne nous plaît pas, chose qui était impossible avec la photographie argentique30. Ainsi, plus besoin d’opérer des choix cruciaux sur ce que l’on veut photographier, la surconsommation d’images est autorisée, mais là encore, je développerai ce sujet plus loin dans mon mémoire. L’ère du numérique peut paraître effrayante, en effet, tout le monde peut prendre des photos, les appareils photographiques se multiplient et ils permettent de pouvoir capturer n’importe quoi, selon notre envie et à tout moment. Aujourd’hui il n’est plus indispensable de posséder un appareil pour pouvoir prendre des photographies, la plupart des téléphones portables et tous ceux qui apparaissent sur le marché sont dotés d’une fonction appareil photo, certains permettant de réaliser des photos de très bonne qualité. Une webcam permet également de prendre des photos. La rencontre entre la photographie et le téléphone mobile est la plus intéressante, tout d’abord parce que le téléphone mobile est un objet qu’on a (presque) tout le temps sur soi, mais surtout parce que cette innovation fait entrer la photographie comme moyen de communication interpersonnel31. En effet, il suffit de quelques secondes pour prendre une photo et l’envoyer immédiatement à la personne de notre choix et ainsi partager « en direct » ce que nous voyons.

« On peut dire d’emblée que le téléphone mobile a pour effet de banaliser l’acte photographique en autorisant chacun à s’en servir quotidiennement, n’importe quand, n’importe comment. Sa valeur au quotidien devient celle d’une rencontre avec l’inattendu, le fortuit, la magie de l’instant présent et le désir d’expression dans l’instant, pour lui-même, par opposition à une pratique traditionnelle occasionnelle, d’anticipation des évènements, avec des intentions soit esthétiques soit d’archives. »

Il est essentiel de relever la différence qui est pointé du doigt ici par l’auteur de l’article entre les pratiques qui sont liés au téléphone mobile et celles qui sont appelés « traditionnelles » où on choisissait de photographier tel évènement ou tel moment pour son caractère exceptionnel ou évènementiel. La photographie anciennement destinée à son archivage ou à se souvenir (ces usages n’ont pas disparu) se voit adjoindre un usage qui s’inscrit dans une temporalité présente, celle de l’immédiat : je vois, je photographie et je partage. La numérisation des photographies permet également un échange facilité par voies informatiques. Chaque photographie pouvant être dupliquée à l’infini sans aucune perte au 30 Photographie argentique : terme qui s’est répandu dans les années 2000, désignant les photographies fixées sur pellicules, en opposition à la photographie numérique. 31 RIVIERE Carole-Anne, « Téléphone mobile et photographie : les nouvelles formes de sociabilités visuelles au quotidien », Sociétés, 2006/1, n°91, page 120.

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niveau de la qualité. Forte de son succès, la photographie numérique a ainsi supplanté la photographie argentique. Pour avoir interrogé un responsable de développement photo32 dans un magasin qui propose ce service, celui-ci m’a affirmé qu’il recevait encore des pellicules photos à faire développer. La pratique de l’argentique n’a donc pas encore totalement disparu.

B. Toute photographie est une image Toute photographie est une image, mais toutes les images ne sont pas des photographies. Néanmoins, parce que les photographies sont des images, il fallait nécessairement que m’attarde sur cette notion, aussi complexe soit-elle. Mes recherches m’ont menée sur des pistes trop intéressantes pour que je n’en parle pas, même brièvement. Une image, c’est d’abord un outil de communication, utilisée comme tel depuis les origines de l’homme. Ensuite, l’image recouvre également le champ psychanalytique, chaque homme est « aliéné » selon Jacques LACAN33 à l’image de son propre corps. Le texte de LACAN sera d’ailleurs cité à plusieurs reprises dans ce mémoire, j’en ferai le résumé plus loin pour que chacun comprenne de quoi il s’agit et en quoi ce texte m’a interpellé. Enfin, nous avons la question de la matérialité des corps contre la matérialité de la photographie ou encore sa dématérialisation avec le numérique. Quel rapport avons-nous à notre image ou aux images que nous produisons ? Il faut en peser toute son importance pour mesurer sa signification sur les sites de rencontre.

1. L’image : rappel des principes fondamentaux

Le mot image peut renvoyer à un éventail très large de représentations, que ce soit pour un film, un dessin, une publicité, une peinture ou une photographie, le mot d’image peut-être employé. Aussi complexe soit-il pourtant, nous le comprenons tous. Il y a différentes manières d’aborder l’image, comme le rappelle Martine JOLY34 dans son ouvrage de référence, on peut choisir d’aborder l’image sous l’angle de l’émotion et du plaisir esthétique, ou bien sous l’angle de la signification. Si l’image photographique peut revêtir l’un ou l’autre angle, c’est celui de la signification qui est l’objet des lignes qui vont suivre. Lorsque l’image est étudiée comme signe, riche de significations, nous parlons de sémiotique, à ne pas confondre avec la sémiologie35, le terme désigne la philosophie des langages. 32 Labo Fnac, mars 2010. 33 LACAN Jacques, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je, telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », Revue Française de psychanalyse, 1949, Vol. 13, N°4, p. 449-455. 34 JOLY Martine, Introduction à l’analyse de l’image, Paris, Armand Colin, 2005, 128 p. 35 La sémiologie « est plutôt compris comme l’étude de langages particuliers (image, gestuelle, théâtre, ect.) », Ibid. p. 24

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« Même si les choses n’ont pas toujours été formulées ainsi, on peut dire qu’aborder ou étudier certains phénomènes sous leur aspect sémiotique c’est considérer leur mode de production de sens, en d’autres termes la façon dont ils provoquent des significations, c’est-à-dire des interprétations. En effet, un signe n’est « signe » que s’il « exprime des idées », et s’il provoque dans l’esprit de celui ou de ceux qui le perçoivent une démarche interprétative. »

Or l’image fait bien partie des signes, elle est porteuse d’un sens, et quand bien même elle n’aura qu’une vocation purement esthétique nous pourrions dire qu’elle véhicule une certaine idée du Beau. L’image produit un sens, qui peut être plus ou moins explicite, songeons notamment aux panneaux de la route dont le sens de chacun ne comporte aucune ambigüité. Je pense également à certaines images de prévention que l’on trouve dans les lieux publics et qui laissent peu de place à de multiples interprétations. Or, si toute photographie est une image, toute photographie est soumise à interprétation et à analyse, à une différence près, c’est que chaque photographie est unique et différente, celle-ci possède un champ d’interprétation très large. A cela, nous pouvons ajouter que chacun dispose d’un regard subjectif. Cette subjectivité est très souvent soulignée par les auteurs qui écrivent sur le sujet,

« Nous pouvons constater que s’établit une relation très forte, une analogie, entre le contenu représentatif et symbolique des images et la réalité. Mais il faut en même temps souligner que les outils visuels ne nous offrent jamais que des fragments et des témoignages de la réalité. La représentation de la réalité à travers les images est toujours subjective.36 »

Cette subjectivité propre à l’image, serait-elle exacerbée par la photographie ? Considérons qu’il y a deux regards au minimum qui se croisent dans chaque photographie, tout d’abord celui du photographe, ensuite le regard de celui qui regardera la photo. Sens et subjectivité, voilà les deux principes que je tenais à introduire et qui seront déterminants dans notre analyse des photos sur les sites de rencontre. Néanmoins, l’image étant un objet complexe, le terme d’image est également utilisé en psychanalyse, se rapportant au corps et au rapport que chacun entretien avec celui-ci.

2. L’image et le corps

En psychanalyse, il est un concept fondamental qui est celui de l’image, à savoir la conscience que chacun a de son propre corps. Selon Jacques LACAN (psychiatre et psychanalyste

36 LA ROCCA Fabio, « Introduction à la sociologie visuelle », Sociétés, 2007/1, n°95, p. 33-40.

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français), cette prise de conscience survient dans les premiers mois du jeune enfant alors même qu’il n’est pas capable de se tenir debout, et c’est par l’image que ce processus s’opère. Le petit enfant, âgé de quelques mois, n’a qu’une conscience très morcelé de son corps, en effet, son système nerveux n’étant pas encore arrivé à maturation, il voit des mains et des pieds s’agiter sous ses yeux mais ne sait pas qu’ils lui appartiennent. Ce petit enfant prendra conscience de l’unité de son corps en voyant son image, en saisissant cette unité par l’image, que ce soit la sienne dans un miroir ou bien celle de ses parents. Cette étape essentielle chez l’individu est appelé « stade du miroir »37. Cette étape permet également au bébé d’identifier son corps comme différent de celui des autres, voilà pourquoi LACAN dit que cette étape est formatrice du « Je ». Plus tard, lorsque l’enfant est assez grand pour maitriser ses gestes devant le miroir, son corps devient une « identité aliénante », c'est-à-dire qu’il prend conscience de la réalité qui est la sienne, l’image de ce corps qui est le sien, et « qui va marquer de sa structure rigide tout son développement mental ». En effet, LACAN reprend l’idée comme quoi l’image aurait un « effet formatif sur l’organisme ». C'est-à-dire que la vue d’une image peut agir sur notre comportement et avoir des répercutions sur notre psychologie. Sur ce même sujet, Françoise DOLTO (pédiatre et psychanalyste française) reconnait l’importance de l’image chez le jeune enfant, mais pour elle, cette image est avant tout une source d’angoisse puisqu’il prend conscience de l’écart qui existe entre lui-même et l’image qu’il renvoie. Jean-Paul SARTRE également a écrit sur l’image que notre corps renvoie et que nous devons assumer face aux autres. Il explique dans un de ces ouvrages que petit il n’avait pas conscience de son image physique mais que c’est bien devant autrui qu’il avait été jugé laid, lui tout seul n’ayant pas émis de jugement personnel sur son apparence physique. Il part donc du principe que c’est face aux jugements des autres que l’on devient beau, moche ou jugé de quelque manière. Ainsi, notre image, ce corps que nous gardons à vie, joue un rôle primordial. Or, aujourd’hui, dès le plus jeune âge l’individu est soumis à un appareil photographique ou à un appareillage capable de prendre des vidéos. La photographie, comme nous l’avons vu, est un élément du quotidien, il suffit d’avoir un téléphone portable à proximité pour saisir une image. Sur ce sujet, Serge TISSERON s’interroge,

« Du coup, nous n’avons plus affaire à une seule série d’images de nous-mêmes, mais à deux : celle des miroirs et celles des photographies et des films familiaux. 38»

37 LACAN Jacques, « Le stade du miroir comme formateur du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », Ecrits, Paris, Seuil, coll. Ecrits, 1966. 38 TISSERON Serge, « Le corps et les écrans. Toute image est portée par le désir d’une hallucination qui devienne réelle », Champ Psychosomatique, 2008/4, n°52, p. 47-57.

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Il me vient d’ailleurs à l’esprit une anecdote sur ce sujet : un collègue est tout récemment devenu papa et 1h après la naissance de son garçon il envoyait, via son smartphone, un mail à toute l’entreprise avec une photo du bébé, prise quelques secondes avant avec le même appareil. Bébé sera ainsi souvent pris en photo, seul ou accompagné, il sera mis en images et sera habitué à cet objectif fixé sur lui. Cette surexposition amène-t-elle des bouleversements dans le rapport que nous avons avec notre image ? A cela, Serge TISSERON ajoute,

« Sous l’effet de la généralisation de la photographie familiale, les jeunes rattachent beaucoup moins leur identité à la représentation visuelle d’eux-mêmes. A tel point que le traditionnel « stade du miroir » décrit par Jacques Lacan pourrait bientôt être remplacé par un « stade des écrans », les miroirs plans n’étant qu’une variété parmi d’autres de ceux-ci.39 »

Comprendre par là que la multiplicité des images auxquelles sont soumis les enfants engendre chez eux la conscience de pouvoir multiplier celles-ci et ainsi jouer avec les images. L’image qui était aliénante devient un moyen simple de se présenter sous différentes identités, ainsi, les jeunes générations ont un rapport différent avec les photos que n’avaient nos parents ou encore nos grands-parents, chose que nous constateront dans la suite de ce mémoire.

3. Toute photographie transforme le sujet en objet

Dernier grand point qu’il parait nécessaire de souligner, la photographie étant un objet matériel, il est courant de lire dans quelques ouvrages sur le sujet que la photographie transforme le sujet photographié en objet. Susan SONTAG l’affirme sans détours,

« Quelque valeur morale qu’on veuille attribuer à la photographie, elle n’en aboutit pas moins essentiellement à faire du monde un grand magasin ou un musée sans murs dans lequel tout est ravalé au rang d’objet de consommation, soit élevé à celui d’objet d’un jugement esthétique40. »

En effet, la personne qui se fait photographier est souvent qualifiée comme passive. Elle se voit de toute manière transformée en objet, cet objet étant multipliable à l’infini, surtout avec la photographie numérique. Si la production photographique a beaucoup augmenté, leur diffusion aussi, mais surtout leur consommation. Être pris en photo et jugé selon l’image produite est aujourd’hui monnaie courante.

39 TISSERON Serge, « Le corps et les écrans. Toute image est portée par le désir d’une hallucination qui devienne réelle », Champ Psychosomatique, 2008/4, n°52, p. 47-57. 40 SONTAG Susan, Sur la photographie, Paris, Christian Bourgeois, 1982, 243 p.

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C. Lorsque la photographie rencontre les médias de masse En ce début de XXIe siècle, dire que nous sommes submergés par les médias de masse est un lieu commun que personne n’est censé ignoré. Un média de masse (ou mass média) est un média qui est destiné à une très large audience, tel que la radio, le cinéma, la télévision ou encore Internet. Ces médias s’inscrivent dans une culture de masse qui est très largement associée à la société de consommation. Tout se consomme et se consume en quantité, il en va ainsi pour les images. D’ailleurs selon Dominique KALIFA, « la culture de masse est une culture de l’image41 ». Ici, le média qui m’intéresse est bien sûr Internet, mais la diffusion des images se fait aussi très largement par la télévision ou les magazines. Ainsi, lorsque je parle de société de l’image, je ne me limite pas à Internet qui semble se situer dans un prolongement logique de certains médias présents avant lui.

1. Une société de l’image

Est-il besoin de justifier que nous vivons bien dans une société bercée par les images, tant le sujet est repris par nos penseurs contemporains,

« Le besoin de voir la réalité confirmée et le vécu exalté par des photos constitue un mode de consommation esthétique dont personne aujourd’hui n’est capable de se passer. Les sociétés industrielles font de leurs membres des camés dont l’image est la drogue.42 »

En effet, les images sont partout : à la télévision, sur Internet, sur les panneaux publicitaires, dans les magazines, sur nos téléphones portables, sur les produits de consommations courantes, dans nos salons… Au quotidien, personne n’y échappe. Ces images ont pour conséquences de modifier le regard que nous portons sur les objets qui nous entourent. Les images, et plus particulièrement les photographies contemporaines, modifient notre perception du réel et nous imposent certaines représentations. L’image, bien plus que le texte, s’impose à notre esprit. Pour illustrer ce propos, j’utiliserai une anecdote racontée par Julien GRACQ dans son essai En lisant, en écrivant43. Dans cet essai, il nous fait partager sa sensibilité d’homme amoureux de la littérature et il raconte l’effet que produit chez lui le fait de voir au cinéma un film adapté d’une grande œuvre littéraire. Lors de la lecture d’un roman, le lecteur s’imagine les personnages et les décors, il est libre de fabriquer ses propres images, alors que voir cette même histoire adaptée sur écran, c’est un autre (le

41 Source Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_de_masse 42 SONTAG Susan, Sur la photographie, … op.cit. 43 GRACQ Julien, En lisant en écrivant, Paris, José Corti, 1980, 312 p.

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réalisateur) qui impose à notre esprit un certains nombre d’images. L’image une fois imposée, GRACQ explique qu’elle persiste dans son esprit et qu’il doit bien s’en accommoder. Nos esprits seraient-ils formatés par les images que nous rencontrons ? En tout cas, l’image est devenu un outil de communication incontournable, comme dans la publicité où elle joue un rôle central, qu’elle soit accompagnée ou non d’un texte. Dans cette sphère des médias, où la publicité est omniprésente (entre autres), le corps est de plus en plus sollicité.

« La profusion de l’image, la culture généralisée du magazine, ont imposé un autre personnage encore dont la qualité première est celle des lignes épanouies dans la photogénie : le mannequin. « Beauté marchandise », sinon « beauté publicitaire », substituée à celle plus tourmenté de la star, le mannequin a systématisé le principe d’un corps de « papier glacé ».44 »

La représentation des corps est formatée par l’image que nous renvoient les médias. Stars et mannequins participent à la promotion des canons de la beauté et sortir des normes sociales imposées n’est pas souhaitable. Ainsi, les personnes obèses sont montrées du doigt et à l’approche de l’été les publicités pour les produits de régime nous assaillent. Il faut être mince à tout prix et alors que de plus en plus de jeunes filles souffrent de troubles alimentaires, les médias continuent à exposer des mannequins sans formes. D’une manière plus générale, et comme l’écrit Gabriel BAURET,

« La photographie a modifié notre façon de voir les individus45 » En effet, nous attachons beaucoup plus d’importance à notre apparence physique, ainsi qu’à celle des autres. Nous vivons dans une dictature des apparences. Le paraître est devenu plus important que l’Être :

« Plus que jamais cette identité (de l’individu) se réduit aujourd’hui à l’individu lui-même, sa présence, son corps. […] Il est son apparence.46 »

Cette primauté des apparences est largement entretenue par la démocratisation de la photographie. Une photographie qui a naturellement trouvé sa place sur Internet et dont les chiffres traduisant sa diffusion montrent le succès qu’elle y a rencontré.

44 VIGARELLO Georges, Histoire de la beauté : le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Seuil, 2004, 346 p. 45 BAURET Gabriel, Approches de la photographie, Paris, Armand Colin, 2004, 128 p. 46 VIGARELLO Georges, Histoire de la beauté…, op.cit.

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2. Le succès de la photographie sur Internet

Non seulement la production s’est banalisée, mais elle se retrouve aujourd’hui couplée avec des activités d’édition et de diffusion sur Internet. Chacun pouvant désormais avoir accès à un bon matériel photographique et pouvant partager son travail (ou le fruit de sa passion) sur le web, la distinction amateur/professionnel est de plus en plus dure à faire. Internet change les comportements. L’album photo de famille, qui avait pour habitude de rester dans la sphère privée, se retrouve désormais public et sous le regard de tout le monde. Ces bouleversements sont dus à la technologie numérique qui apporte de nouvelles possibilités, dont la disponibilité immédiate des photos qui sont prises et la possibilité de prendre deux cents photos pour n’en garder que cinq. Les limites que posaient l’argentique ont disparu avec le numérique et la traduction des photos en pixels permet leur diffusion de manière presque instantanée. Ainsi, des sites de socialisation, comme Facebook47 avec ses milliards d’inscrits à travers le monde, sont devenus « une gigantesque salle virtuelle d’exposition de photographies qu’il est même possible de commenter48 ». Autre plateforme, emblématique du Web 2.0 : Flickr, crée en 2004, le site héberge aujourd’hui plus de 4 milliards de photos, et compte 32 millions d’utilisateurs (mars 2009), il est devenu une véritable communauté autour de la photographie. Chacun peut y poster ses photos gratuitement. La photo devient alors un « outil conversationnel incroyable » si on reprend les propos de Dominique CARDON49, en effet, chacun peut commenter les photos qu’il voit, les utilisateurs peuvent parler « sur » la photo avec leurs proches, ou « autour » de la photo, avec ce que la sociologie appelle des liens faibles : c’est-à-dire des personnes avec lesquelles nous discutons sur Internet sans forcément les avoir rencontrées. Ainsi, plusieurs auteurs soulignent que le visuel est aujourd’hui l’axe de développement majeur des nouveaux modes de communication interpersonnelle. Les possibilités de partage de ses photos sont aussi un appel à se montrer, d’ailleurs, toujours en reprenant Dominique CARDON, la photo numérique appelle à l’autoportrait. En effet, il suffit de regarder les photos postées sur Facebook ou sur certains blogs pour se rendre compte que chacun aime se mettre en avant par la photographie. En naviguant un peu sur la toile on peut très vite tomber sur des blogs où l’internaute ne poste que des photos de sa personne, sous différents angles de vue, on peut alors songer à des nouvelles formes de conduites narcissiques.

47 Facebook, http://www.facebook.com 48 SOULAGES François, Photographie et Contemporain, Paris, L’Harmattan, 2009, 245 p. 49 CARDON Dominique, « La photo comme conversation », Actualité de la recherche en histoire visuelle, 10 septembre 2009, http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/09/10/1051-dominique-cardon-la-photo-comme-conversation [consulté le 22/02/10]

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Première partie – La montée en puissance de la photographie dans la société

Pourtant, alors que les photos sur Internet se multiplient et circulent sous nos yeux, il faut toujours garder un esprit critique sur ce que nous voyons. Il semble donc important de revenir sur la banalisation des retouches numériques, ainsi que sur les limites de ce qui peut-être montré, en effet, les mœurs changent et tendent à devenir plus permissifs.

3. Les limites de la photographie

Que ce soit du côté des professionnels et de plus en plus chez les amateurs, les retouches photographiques sont monnaie courante. Autant, on est habitués à remettre en cause les photographies que nous voyons dans les magazines, la pluparts des publicités dans les magazines féminins par exemple montrent des mannequins qui ont été retouchés. Autant, les logiciels de retouches sont aujourd’hui à disposition des photographes amateurs :

« Le citoyen sait bien qu’une image peut-être modifiée, recadrée, prise hors contexte, qu’elle peut participer à une entreprise de mystification, il a la possibilité d’être critique, d’autant plus quand la technique lui permet de réaliser lui-même de telles modifications. 50»

Or, les retouches photographiques semblent de plus en plus courantes et certains logiciels comme Picasa51 sont assez simples à utiliser. Quelques clics suffisent désormais pour modifier un éclairage un peu sombre, corriger des yeux rouges et gommer quelques imperfections.

« La question de croire ou non à l’image photographique est ainsi dépassée par ces pratiques qui, peut-être, n’incitent pas à chercher du sens mais à réaliser un quotidien, à exprimer une individualité, à prolonger une construction, à assumer un environnement. »

La retouche photographique, entre autres par les amateurs, servirait-elle à la mise en scène de soi ? C’est une des interrogations que je soulève dans la suite de ce mémoire. Ces corps parfois retouchés ont également tendance à se dénuder de plus en plus. Désormais, il est beaucoup moins choquant de voir dans les médias des parties intimes du corps, chez les hommes comme chez les femmes. Selon Francine BARTHE-DELOIZY (enseignant-chercheur en Géographie spécialisée dans la représentation du corps), nous ne sommes pas plus exhibitionnistes qu’avant, le nu dans les médias est une façon de faire réagir,

50 SOULAGES François, Photographie et Contemporain, Paris, L’Harmattan, 2009, 245 p. 51 Logiciel gratuit de retouche photo proposé par Google.

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Première partie – La montée en puissance de la photographie dans la société

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« Se mettre nu permet de singulariser le discours, de le faire sortir du lot et du coup, de capter l’attention des médias. Or, aujourd’hui pour être entendu il faut d’abord être vu. Nous sommes dans la société du visuel. Les médias attendent des images chocs. Les corps nus sont une réponse. 52»

Cette banalisation du corps dénudé est un fait, le corps nu ne choque plus ou en tout cas pas toutes les générations. Ainsi, en janvier dernier, alors que Elle (magazine féminin) publiait un article intitulé « Sous les jupes des filles : épilation, mode d’emploi 53», Geneviève de FONTENAY, présidente du comité Miss-France, s’offusquait des photos qui accompagnaient l’article, brandissant le magazine sur les plateaux télé, ne comprenant pas que de telles photos puissent être publiées. En effet, le sexe féminin est mis à nu, la photo est sobre, certes, mais publier un tel cliché il y a quelques années, dans un magazine acheté et lu du grand public, n’aurait pas été possible. La surexposition du corps dans les médias a pour conséquences que les individus se dénudent eux-mêmes de plus en plus lors de prises de vues personnelles. On ne compte plus les jeunes actrices américaines qui ont fait scandale pour avoir publié des photos à la limite de la décence sur Internet (Miley Cyrus54, Mackensie Rosman, etc.). C’est donc sans surprise que nous retrouvons des clichés d’hommes et de femmes qui s’exhibent sans complexes sur les sites de rencontre, même si certains individus cachent leur visage pour mieux préserver leur identité. Toutefois, ne diabolisons pas tout, la plupart des photographies d’amateurs sur les sites de rencontre (sauf sites libertins) sont des représentations sages des personnes inscrites.

52Article « Nus pour êtes vus et entendus » publié sur le site FemmeActuelle.fr, http://www.femmeactuelle.fr/actu/c-est-dans-le-magazine/nus-pour-la-bonne-cause-12908#, consulté le 10/05/10. 53Article paru dans le magazine féminin Elle en janvier 2010, en ligne : http://www.elle.fr/elle/Beaute/Dossiers-beaute/Soins-Visage-Corps/Sous-les-jupes-des-filles-epilation-mode-d-emploi/, consulte le 10/05/10. 54 Scandale autour de la star des adolescents, http://www.staragora.com/news/scandale-miley-cyrus-des-photos-en-culotte/119066, consulté le 10/05/10.

Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

II. La photographie amateur dans les sites de rencontre Cette partie nous amène directement sur notre terrain, mais avant de pouvoir se focaliser sur les photographies elles-mêmes ou du moins de les regarder de manière approfondie, il faut introduire les sites de rencontre. Souvent méprisés, critiqués et montrés du doigt, ils ont pourtant le vent en poupe sur la toile. Ce succès a engendré une très grande concurrence dans ce secteur voilà pourquoi je prendrai le temps d’expliquer comment j’ai délimité mon terrain de recherche. Pourquoi ai-je choisi tel site plutôt qu’un autre ? Puis, je parlerai directement de la place importante qu’occupe la photographie au sein des sites de rencontre, ce qui est le point de départ de ma réflexion. Enfin, je termine cette partie en distinguant trois types de photographies, chacune ayant des intentions différentes.

A. Le phénomène des sites de rencontre sur Internet

1. Définition et historique

J’entends par sites de rencontre sur Internet, des sites qui utilisent les technologies liées au web pour mettre en contact des personnes célibataires désireuses de « trouver l’âme sœur ». Les sites de rencontre suivent le modèle du réseautage social sur Internet (via des plateformes d’échanges facilitant l’interaction entre les individus), voilà pourquoi il me faut préciser d’emblée que par « site de rencontre » je désigne des sites crées spécialement pour les célibataires, donc spécialement pour nouer des rencontres amoureuses. Ainsi, je n’inclus pas des plateformes de rencontre souvent détournées par les utilisateurs pour « draguer en ligne », telles que Facebook, Skyblog, MySpace, etc. En bref, un site de rencontre, tel que je viens de le définir, propose un service gratuit ou payant, pour mettre en contact des personnes célibataires. Un internaute s’inscrit sur un site de rencontre avec l’intention, plus ou moins reconnue, de rencontrer quelqu’un. Une fois inscrit, chaque membre a la liberté de compléter son profil : âge, taille, description physique, goûts, loisirs, niveau d’études, métier, attentes, mais surtout une courte description sous forme de texte et une photographie. Tout est mis en œuvre pour se présenter en détail afin que d’autres membres puissent juger intéressant de nous contacter. La plupart des sites se ressemblent beaucoup et proposent au minimum un système de messagerie pour que les membres puissent rentrer en contact, un système de « flash » ou « clin d’œil » pour signifier à un autre membre que son profil nous plaît, souvent les sites possèdent un tchat (système de discussion instantanée) et parfois la possibilité d’interagir par webcam. Parallèlement à l’évolution d’Internet et de ses usages, les sites de mise en relation ont une histoire. Ils s’inscrivent dans la suite (logique ?) des petites annonces et du minitel rose. En

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

effet, Internet a largement rendu le minitel désuet et les petites annonces paraissent aujourd’hui totalement révolues face aux possibilités qu’offrent les sites de rencontre. Pascal LARDELLIER propose d’ailleurs un historique assez complet sur le sujet et que je reprendrai succinctement. Il commence par évoquer les incontournables petites annonces ou P.A qui ont vu le jour dans les années 60. Puis le début des années 80 virent arriver le minitel et malgré les critiques exprimées par certains à son encontre, il constitua une « fabuleuse réussite55 » et eu beaucoup de succès, mais surtout,

« Il a suscité une véritable fascination technique, tout en introduisant dans l’imaginaire collectif français la possibilité, et surtout la réalité très concrète, de relations virtuelles […] C’est en ce sens aussi qu’il a ouvert la voie aux sites de rencontres sur Internet. »

Puis, un grand tournant se produit, qui fait passer le Minitel dans une histoire révolue, c’est l’apparition d’Internet et du cyberespace dès le début des années 1990 et plus précisément la date du 6 août 1991, à laquelle est inventé le World Wide Web par Tim Beners-Lee. La véritable « explosion » d’Internet ayant lieu dans le milieu des années 90. Les sites de rencontre se sont imposés sur la toile en peu de temps, LARDELLIER parle d’une décennie à peine56. Le premier site, pionner de tous, fut Match.com, lancé en 1995 aux Etats-Unis, mais Pascal LARDELLIER explique que le lancement réussi de Match.com était dépendant de trois facteurs qu’il identifie : technique, social et culturel. Technique d’abord parce qu’il fallait optimiser le réseau et ainsi rendre la navigation fiable en vue d’une commercialisation (abonnement payant sur les sites). Social, en effet, le nombre de célibataires depuis environ quarante ans aurait beaucoup augmenté et les célibataires nord-américains ne pouvaient que se laisser tenter par ce nouveau mode de mise en relation « confortable à tous niveaux : moderniste, peu onéreux, garantissant l’anonymat (…)57 ». Culturel enfin, les américains ayant une approche du rendez-vous ou « date » en anglais, qui chez eux ne signifie pas forcément rendez-vous amoureux mais une rencontre autour d’un verre où l’idée d’envisager une suite plus ou moins sérieuse, avec la personne que l’on rencontre, n’est pas engagée. De plus, les américains passent des petites annonces depuis longtemps d’une manière beaucoup plus libre et habituelle qu’en France. Ainsi, les sites de rencontre trouvèrent naturellement leur place. En France, il faut attendre 1997 pour voir apparaître NetClub (qui sera racheté par Match en 2007), puis Amoureux.com ou Affection.org, et si les débuts furent laborieux58, très vite une évolution positive se fit sentir, c’est-à-dire une augmentation assez importante du nombre d’abonnés. Si bien que la presse commença à s’intéresser à ce nouveau phénomène, ce qui 55 LARDELLIER Pascal, Le cœur Net : célibat et amours sur le web, Paris, Belin, 2004, 255 p. 56 Voir annexe 1 57 LARDELLIER Pascal, Le cœur Net : célibat et amours sur le web, Paris, Belin, 2004, 255 p. 58 Ibid.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

contribua à la visibilité de ces plateformes pour célibataires, et fut le moteur d’un premier reportage télévisuel par la chaine M6 en 2000. Puis en 2002 arrive sur la toile celui qui est devenu le leader européen : Meetic. Bien plus qu’un site de rencontre, le succès de Meetic en a fait une véritable entreprise qui dispose même d’un site institutionnel59. Son chiffre d’affaire ayant augmenté de manière exponentielle en quelques années suite à son lancement, l’entreprise est cotée en bourse depuis 2005, un succès que de nombreux sites aimeraient certainement rencontrer.

2. Succès et Déclinaison

L’avantage des sites de rencontre et ce qui participe à leur succès c’est d’abord l’anonymat qui est conféré aux membres, ainsi que de pouvoir aborder une personne qui elle aussi est célibataire. L’inscription sur un site de rencontre est toujours motivée par le désir de rencontrer quelqu’un (ou du moins plusieurs personnes dans l’espoir d’en croiser une qui nous convienne). Faire connaissance devient alors bien plus simple que dans « la vraie vie », c’est-à-dire, celle de tous les jours, celle où être timide est parfois un véritable handicap pour aborder une personne, sachant qu’on peut se heurter à un refus ou à une personne déjà en couple. Ainsi, le succès de ces plateformes d’un genre nouveau ne tarda pas à venir, si bien qu’aujourd’hui et depuis quelques années déjà, les sites de rencontre sont un véritable marché en pleine effervescence. S’il est difficile de trouver des chiffres exacts sur le nombre d’inscrits sur les sites de rencontre, notons qu’en 2004 déjà Pascal LARDELLIER écrivait : « en France, près de la moitié des célibataires se seraient déjà connectés à l’un de ces services60 », lorsqu’on sait qu’un internaute n’hésite pas à multiplier les sites pour accroître ses chances, on imagine effectivement que ces nombres ne sont pas négligeables. Tant qu’il y aura des célibataires, les sites de rencontre auront une existence prospère sur la toile. Le succès de ces sites a eu pour conséquence de créer un véritable business autour de la rencontre amoureuse, un business surtout basée sur la détresse sentimentale des célibataires de notre société moderne. Ainsi, beaucoup de sites proposent des services payants. Par exemple, être un homme sur Meetic exige de souscrire un abonnement, l’offre d’un mois étant à 34,90 euros, sachant qu’il existe des offres sur plusieurs mois qui se présentent comme très intéressantes sur une tarification au mois. Être une femme apporte plus de privilèges, ainsi, vous pouvez contacter des hommes sans payer et disposez de la plupart des services du site sans restriction. De la formule payante mensuelle, aux frais supplémentaires pour de multiples services, les sites de rencontre ne manquent pas d’imagination pour insiter leurs membres à sortir leur carte bleue. Une solution Paypal, rapide et sécurisée, vous attend et après quelques clics vous pourrez enfin discuter avec l’objet de vos désirs.

59 Meetic-Corp, http://www.meetic-corp.com 60 LARDELLIER Pascal, Le Cœur Net, … op.cit.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

Sur ce marché saturé, il existe des leaders, dont la réputation est généralement bien établie : Meetic.fr, Match.com, Be2.fr ou encore Parship.fr, et de part une modération plus stricte et plus présente, ils arrivent à conquérir la confiance des femmes, en effet, c’est bien connu, les sites de rencontre regorgent d’hommes et manquent souvent cruellement de femmes qui se font assaillir de messages privés. Puis il y a le reste du marché… et c’est à s’y perdre ! Se risquer à une recherche « site de rencontre » sur Google, c’est se retrouver face à un choix pléthorique de sites pour répondre à votre requête. Par curiosité, j’ai compté le nombre de sites que l’on peut trouver sur deux pages de résultats : j’en compte vingt-six. Heureusement, sur les vingt-six, beaucoup vous rebuteront par leur manque cruel de lisibilité et d’ergonomie qui leur enlève de fait toute crédibilité. Ensuite, il vous suffira de choisir celui qui semble le plus proche de vos aspirations et de constater s’il est totalement gratuit ou non. Pour se faire remarquer, et avoir la chance de ne pas passer inaperçu, il faut avoir soit une idée originale, soit s’adresser à une cible bien définie. Concernant ce dernier point, on remarque qu’il existe de plus en plus de sites spécialisés, que ce soit en fonction de votre âge (sites pour adolescents ou seniors), de vos goûts (si vous aimez la nature ou les animaux par exemple), de votre origine ethnique, de votre religion, de votre idéologie politique ou encore de votre profession, chacun peut trouver un site tout désigner pour lui. Cette multiplicité des sites de niches est confirmée par Frédérique PLOTON, auteure du Guide des rencontres sur Internet,

« Pour le moment, il y a un effet de masse : les très grands sites se sont emparés de la quasi-totalité du marché. Pour assurer leur développement, les nouveaux entrants n’ont donc pas d’autre solution que d’exploiter des niches très particulières.61 »

Toutefois, les sites de niche génèrent trop peu de membres, en effet, leur spécialisation entraine une restriction du nombre de membres potentiels et cette forme de communautarisme ne séduit pas tout le monde. Enfin, il y a des sites qui jouent sur la carte de l’originalité, comme AttractiveWorld62 où chaque membre est choisi par la communauté déjà présente. Le site se veut très sélectif et s’adresse à des célibataires « exigeants ». Le concept marche, si bien qu’il est repris par Meetic avec MeeticVIP63. Il y a également un petit nouveau, apparu en 2007, qui est devenu incontournable en à peine 3 ans d’existence : AdopteUnMec.com64. Le concept est simple : l’homme est ravalé au rang d’objet de consommation et la femme fait ses courses, munie d’un caddie, dans un supermarché dont les rayons sont remplis d’hommes célibataires. Elle seule

61 PEYREL Benjamin, « Le business très juteux des sites de rencontre », publié sur 01net.com, 13 mars 2007, http://www.01net.com/article/343268.html 62 AttractiveWorld, http://www.attractiveworld.net/ 63 MeeticVIP, http://www.meeticvip.fr 64 AdopteUnMec, http://www.adopteunmec.com/

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

décide si un homme peut lui parler et elle dispose pour ce faire d’un « panier » virtuel, si un homme ne lui plaît plus, qu’à cela ne tienne, il suffit de le reposer en rayon. Les hommes se retrouvent à la merci de ces demoiselles, avec comme seul moyen de se faire voir des « charmes », qu’ils peuvent envoyer aux femmes, à raison de cinq par jour maximum, au-delà il faudra payer un abonnement pour devenir « VIP ». Le concept séduit (autant qu’il fait réagir) et le site a acquis une popularité non-négligeable. Face à cette profusion des plateformes de rencontre, il m’a fallu opérer des choix afin de délimiter mon terrain d’observation. Ces choix sont parfois arbitraires, la plupart sont motivés et ont pour but d’être les plus représentatifs de ce que l’on peut trouver sur Internet.

3. Choix des terrains de recherche

Dans ma démarche, j’ai commencé par regarder ce qu’on trouve sur la toile lorsqu’on tape les mots « site de rencontre » sur le moteur de recherche Google. Comme dit précédemment, le nombre de sites est impressionnant et quelque peu déroutant. De manière générale, il y a deux types de sites : ceux que l’on pourrait qualifier de « grand public » parce qu’ils visent une cible assez large (18 ans et plus). S’adressant d’abord à un public hétérosexuel, certains d’entre eux (comme Meetic par exemple) proposent une partie réservée aux rencontres homosexuelles. Par contre, un site tel que AdopteUnMec, de par son concept, est majoritairement fréquenté par des hétérosexuels, seuls quelques internautes s’aventurent à détourner les règles de ce concept mais les transgressions sont rares (exemple de transgression : une femme qui se créerait un compte « homme » et pourrait ainsi être visible par tous les membres féminins). De cette catégorie de sites « grand public », j’en ai retenu trois, ceux qui m’ont semblée les plus pertinents ou du moins seront représentatifs du contenu que je cherche à analyser :

• Tout d’abord, Meetic (www.meetic.fr), leader sur le marché européen et dont la réputation n’est plus à faire. A noter que c’est un site qui propose des services payants, même s’il est pratiquement gratuit pour les femmes (ce qui n’a pas toujours été le cas).

• Ensuite, AdopteUnMec (www.adopteunmec.com), qui est devenu très populaire en quelques années et dont le contenu est accessible gratuitement. Un abonnement est exigé pour les hommes s’ils veulent avoir un accès privilégié au site, toutefois, un membre sans abonnement peut tout à fait l’utiliser.

• Enfin, MeetCrunch (www.meetcrunch.com), parce qu’au royaume des sites grand public je me devais d’en sélectionner un qui soit totalement gratuit, hommes et femmes confondus.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

Vient ensuite le deuxième type de sites : les sites dits « de niche » qui ont une cible restreinte, en effet, ils s’adressent à des catégories particulières d’individus. Là encore, il a fallu opérer des choix, ils sont donc neuf à avoir retenu mon attention :

Adolescents • Rencontre-ado.com (www.rencontre-ado.com) • Sortir ensemble (www.sortirensemble.com)

Seniors

• Seniors rencontre (www.seniorsrencontre.com) • Belle vie à 2 (www.belleviea2.com)

Homosexuels

• Rezog (www.rezog.com) • Mytilene (www.mytilene.fr)

Autres

• Solofamily (www.solofamily.fr) • Les amours bio (www.amours-bio.com) • Rencontre Militaire (www.rencontre-militaire.com)

Soit, deux sites pour les adolescents, deux sites qui s’adressent aux seniors, deux sites à destination de la communauté homosexuelle, Rezog étant pour les hommes et Mytilene pour les femmes. Dans la catégorie « Autres », on retrouve des sites avec des cibles très particulières : Solofamily s’adresse aux mères et pères célibataires, Les Amours bio aux amoureux de la nature et Rencontre militaire vise les personnes militaires de profession. Les terrains que je n’aborderai pas :

– les sites de type Facebook, MySpace ou Skyblog, tout simplement parce que les photos qui sont publiées ne sont pas forcément à destination d’un autre qu’on cherche à séduire. Les photos peuvent s’adresser à des amis ou des connaissances, elles ne véhiculent donc pas les mêmes enjeux.

– les sites de rencontre dites « libertines », ce qui comprend également, dans les sites de rencontres homosexuels la partie « hard » qui est proposée à l’inscription. Il semble évident que pour ce type de rencontre les photos sont tout à fait différentes, à forte connotation sexuelle. L’idée que la représentation pornographique est pauvre de sens a d’ailleurs été rencontrée dans plusieurs de mes références bibliographiques65, dans

65 BARTHES Roland, La chambre claire, … op cit. « Rien de plus homogène qu’une photo pornographique. C’est une photo toujours naïve, sans intention et sans calcul. » (p. 70)

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

beaucoup d’autres recherches sur le même terrain (les sites de rencontre), les auteurs n’abordent pas les sites libertins.

– les sites de rencontre selon la confession religieuse pour leur caractère très particulier. Je ne désire pas porter de jugement sur des photos qui peuvent véhiculer des signes que je ne saurais pas interpréter. Les débats religieux étant trop souvent source de polémique.

– le site Gleeden (www.gleeden.com), destiné aux personnes mariées à la recherche d’une aventure, ce terrain est trop particulier et je décide de façon arbitraire de ne pas l’inclure dans mes investigations.

Le terrain ainsi définit, notre attention va pouvoir se focaliser sur les photographies qui s’y trouvent, à noter que les trois sites grand public précédemment déterminés seront les terrains principaux de ma recherche, en particulier AdopteUnMec pour une raison que j’aborderai plus loin dans ce mémoire. Le corpus photographique est immense et changeant, les membres ajoutent et suppriment des photos en permanence, mais avant même d’aborder les photographies et de s’arrêter sur des cas particuliers, faut-il avoir conscience de l’importance qu’elles ont et des enjeux qu’elles peuvent véhiculer.

B. Importance de la photographie

Du texte à l’image… En 2004, Pascal LARDELLIER écrivait (plus généralement à propos des TIC) :

« L’écrit va de plus en plus être battu en brèche, et il gardera une prééminence chez les abonnés qui délibérément, par choix lui accorderont cette préséance. Pour le reste ? […] on va, de plus en plus, passer de l’écrit à l’image, et du différé au simultané. »

Cette citation veut bien dire que l’image n’a pas toujours eu l’importance qu’on lui accorde aujourd’hui, mais aussi que cette évolution était prévisible. L’image, cela signifie aussi bien la photographie que l’interaction grâce à la vidéo (par le biais d’une webcam), pourtant, l’échange vidéo a du mal à s’imposer, beaucoup de gens préfèrent se cacher derrière une image fixe que de se montrer « en live » via leur webcam. De plus, il est parfois préférable de ne pas se montrer à certains moments de la journée, comme le soir, lorsqu’on s’est déjà mis à l’aise. Voilà pourquoi je m’en suis tenue à la photographie. Elle fait l’unanimité, elle est partout et elle est devenue indispensable pour qui veut interagir avec d’autres membres.

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1. La photo est l’élément primordial du profil

Je le pose comme une affirmation et pourtant combien de fois n’avons-nous pas entendu « C’est la beauté intérieure qui compte ! », bien sur Internet, c’est votre photo, donc votre apparence et c’est seulement une fois qu’un membre aura été séduit par votre photo principale qu’il s’intéressera au reste de votre profil et qu’il prendra la peine de lire ce qu’il y trouve. Cette photographie fait partie de ce que Fanny GEORGES nomme « l’identité déclarative »66, c’est-à-dire que lors de votre inscription, vous aurez à choisir un pseudo (qui sera votre identifiant à défaut de ne pas donner votre nom), généralement les sites demandent de renseigner notre date de naissance, notre sexe et très vite de joindre à notre profil une photo. Les sites les plus modérés, comme Meetic, exigent une photographie nous représentant et non pas une image de notre actrice préférée. La plupart des sites offrent la possibilité de charger plusieurs photos, voire de constituer des « albums », néanmoins il y a toujours une photo dite principale, c’est cette photo qui aura la meilleure visibilité sur le profil. Le choix de la photo principale doit être particulièrement soigné par les membres. Tout d’abord, parce que c’est elle qui apparaît dans les moteurs de recherche du site. Qu’ils soient aléatoires, qu’ils affichent les membres « online » ou bien qu’un autre membre entrent plusieurs critères, la première chose qui attirera son attention, ce sont un alignement de miniatures, les unes à côté des autres, chacune représentante d’une autre personne célibataire. Les pages d’accueils de la plupart des sites de rencontre exhibent la photo de leurs membres, chaque site se constitue une vitrine de choix. (Voir annexe 2) Dans cet univers fortement concurrentiel, il faut une bonne photo, une photo qui plaise, c’est la condition sine qua non pour voir son nombre de visites augmenter. De la même manière, l’absence de photo aura pour conséquence une totale impopularité, pire, qu’une personne n’ait pas mis sa photo ou qu’elle ait téléchargé à la place une image qui ne la représente pas, cela éveille des soupçons chez les autres membres, comme l’expliquait déjà Pascal LARDELLIER, en 200467,

« L’absence de photo éveille la suspicion, attise les questions, voire énerve. Comme si ceux qui ont choisi d’être invisibles (se) cachaient quelque chose. »

Chacun doit donc jouer le jeu, sous peine de se voir ignorer et ce peu importe la richesse de son profil. Les membres des sites de rencontre ne l’ignorent d’ailleurs pas, l’un d’eux le souligne justement :

66 GEORGES Fanny, « Représentation de soi et identité numérique. Une approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du web 2.0 », Réseaux, 2009/2, n°154, p. 165-193. 67 LARDELLIER Pascal, Le Cœur Net… op.cit.

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« Les informations textuelles du profil ne jouent pas du tout, seule la photo a une réelle influence et détermine l’affluence ou non sur le profil. »

En réponse à la même question, un homme raconte sa propre expérience, ou comment il a réalisé l’importance de la photo qu’il avait mise en ligne :

« On m’a fait remarqué que je n’adoptais pas une attitude ouverte et engageante sur ma photo et que cela pourrait être un frein pour les personnes sur le site.68 »

L’importance de la photographie s’explique assez logiquement du fait que dans la vie réelle, le premier jugement que nous avons d’une personne passe forcément par son physique, c’est la première chose à laquelle nous sommes confrontés avant même de lui adresser la parole. Cet aspect visuel que ne permet pas Internet (disparition des corps derrière l’écran de l’ordinateur) est rétabli par la photographie. Cette sélection par l’image est confirmée par l’« itinéraire type » d’un célibataire sur Meetic que rajoute Johann CHAULET dans son article : le point de départ étant le regard qui s’arrête sur une photo, « est-elle jolie ? », si oui je continue à détailler sa fiche, si non, je passe à la suivante. (Voir annexe 3) Cette promotion visuelle de soi pousserait-elle au narcissisme ? En effet, ici plus qu’ailleurs, la personne qui viendra sur notre profil nous regardera avec attention. Voilà bien l’occasion rêvée pour exhiber ses muscles ou son décolleté. À plus forte raison qu’un site de rencontre n’est pas une communauté où on y retrouve nos amis, nous voilà un inconnu parmi d’autres, sous le masque d’un pseudo et de quelques lignes plus ou moins explicites sur soi. Une opportunité pour en faire un peu plus et dévoiler le séducteur ou la séductrice qui se cache en nous. Au-delà du corps lui-même, chaque photographie qu’un membre publiera pourra être scrutée plus en détail. Il suffit que cette dernière soit un tant soit peu intrigante pour pousser un autre membre à l’exploration et nos photographies en disent souvent plus qu’on ne le pense. C’est en tout cas ce que Anne-Carole RIVIERE souligne dans son article (et une idée que je partage),

« Si l’on considère que la photographie est toujours un choix de la perception qui traduit, comme le dit R. Castel, des normes positives ou négatives et qui témoignent d’attitudes sociales plus profondes, l’activité photographique est un indice dont un peut se saisir pour comprendre les valeurs auxquelles les individus souhaitent conférer une visibilité ou une consécration. 69»

68 Sondage réalisé dans le cadre du mémoire, voir annexe 15. 69 RIVIERE Anne-Carole, « Téléphone mobile et photographie : les nouvelles formes de sociabilités visuelles au quotidien », Sociétés, 2006/1, n°91, p. 119-134.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

Et quand bien même nous n’aurions pas pris toutes les photos postées sur notre profil, nous avons choisi de faire apparaître celles-ci plutôt que d’autres, comme nous avons choisi d’en sélectionner une qui sera notre photo principale. La rencontre amoureuse sur Internet est souvent comparée à un véritable « marketing amoureux » où chacun doit apprendre à faire sa « promotion ». Ainsi, pour tous les enjeux énumérés ci-dessus chacun a tout intérêt à apprendre à se mettre en valeur. Même si nous ne pouvons pas plaire à tout le monde, il faut maximiser ses chances de réussite. Certains membres semblent d’ailleurs l’avoir bien compris, le visuel est un outil de communication puissant.

2. L’image comme outil d’interaction

Cette idée se dessinait déjà dans mon esprit alors je parcourais des centaines de profils via différents sites, elle fut confirmée et prit véritablement naissance en lisant ces quelques lignes de l’article de Carole-Anne RIVIERE :

« Avec les récents développements des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le visuel devient l’axe de développement majeur des nouveaux modes de communication interpersonnelle (...) »

Ainsi il me semble bien que certaines photographies (pour ne pas dire la plupart) présentes sur les sites de rencontre sont comme des messages à elles seules. Ces photos veulent dire quelque chose, elles ne sont pas muettes et il ne faut pas qu’elles le soient. En effet, tout repose sur l’effet que provoquera votre photographie, souvent les descriptions qui accompagnent le profil des membres n’est pas lue ou en diagonale. L’offre des célibataires disponibles est tellement vaste que l’impression visuelle doit être forte et immédiate. Au delà du fait que vous pourriez plaire physiquement à telle ou telle personne, grâce à la photographie, vous pouvez modeler votre image et produire un effet qui n’aurait pas été possible dans la vie réelle. Cette communication par la photo passe par deux systèmes : tout d’abord, par ce qui est représenté dans le cadre photographique, ensuite par le corps.

« La photographie est toujours le résultat d’un choix volontaire, d’un tri de la perception qui résulte d’un choix plus ou moins conscient par lequel on fait exister un découpage de la réalité plutôt qu’un autre.70 »

70 RIVIERE Carole-Anne, « Téléphone mobile et photographie : … op.cit.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

Or si un individu peut-être jugé par un autre selon ce qu’il montre à travers ses photos alors il peut orienter la perception qu’on a de lui par le même procédé. Par l’image qu’il produit il peut vouloir faire passer un message et ce dernier doit être assez explicite pour être compris au premier coup d’œil. Je vous propose les deux photographies suivantes :

Toutes deux proviennent du site AdopteUnMec, la première étant la photo principale d’un homme, le seconde celle d’une femme. Pour quelles raisons puis-je dire que ces deux photos véhiculent un message ? Pour commencer, vous conviendrez que sur les deux clichés, on ne distingue pas au mieux les deux personnes. L’homme sur la photo de gauche a la tête baissée ce qui fait qu’on ne perçoit qu’une partie de son visage. La femme sur le cliché de droite est prise dans un plan d’ensemble et même affichée en plus grand sur le site, on ne voit pas très bien son visage. Ces photos n’ont pas pour fonction de montrer un visage souriant ou bien fait. Concernant la première, le membre a volontairement voulu mettre en avant le fait qu’il joue de la guitare, certainement parce que c’est une de ses passions mais aussi parce qu’il n’ignore pas que jouer d’un instrument (guitare ou piano de manière générale) est un atout pour séduire. Le message serait donc : « Je suis musicien ». Sur la seconde photo, le membre a voulu mettre en avant son goût pour l’équitation. Croirait-on que c’est la seule photo dont elle dispose d’elle ? Il y a forcément une raison qui explique qu’elle ait fait de ce cliché sa photo principale, elle doit donc apprécier l’équitation et elle a voulu le souligner, plus que tout le reste. Concernant le corps, ce dernier est à lui seul un outil d’interaction, il peut être le centre d’une stratégie de communication interpersonnelle. L’idée d’une « communication corporelle » est très bien développée dans l’ouvrage de Fabienne MARTIN-JUCHAT où elle confronte le corps aux médias et aux espaces sociaux,

« La communication corporelle est donc, depuis les années 1960, appréhendée comme un processus décontextualisé – et paradoxalement désincarné – d’encodage et de décodage d’unités que sont les gestes, les postures, les mimiques faciales, les émotions, etc. 71»

71 MARTIN-JUCHAT Fabienne, Le corps et les médias : la chair éprouvée par les médias et les espaces sociaux, Paris, DeBoeck, 2008, 150 p.

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Autrement dit, le corps est considéré comme un signe non-verbal (en opposition au signe verbal – donc à l’expression oral ou écrite), il peut participer à une construction de sens que ce soit par sa posture, les mimiques faciales ou encore les codes vestimentaires. Le corps peut faire l’objet d’un jugement de valeur et être au centre d’une communication interpersonnelle. Cette fonction du corps comme signe non-verbal est bien sûr exacerbée par les médias, comme par exemple la publicité. Sur les sites de rencontre, le corps en dehors de tout contexte est soumis aux regards des autres membres et il est souvent utilisé pour faire passer tous types de messages. A titre d’exemple, les photos suivantes :

Sur le premier cliché, le corps charnel est clairement présent, le hors cadre semble d’ailleurs très subjectif, en effet, le membre a choisi de mettre en avant une photo de lui où il pose sans vêtement apparent. La main qu’il tend est un appel à venir le rejoindre, le message semble donc clair. On remarque également la présence du regard, de ces yeux qui fixent l’objectif et de la même manière semblent fixer la personne qui regardera la photo. Sur le deuxième cliché, ce qui attire notre attention (le punctum de la photographie si on se réfère à l’ouvrage de Roland BARTHES) c’est le regard de la jeune femme. Ce regard semble vouloir nous exprimer quelque chose, en tout cas il ne nous laisse pas indifférent. J’en dirais plus concernant l’importance du regard par la suite. Toutefois, une objection semble se heurter à toute tentative d’interprétation de ce que les photographies donnent à voir : tout n’est que supposition, tout n’est qu’interprétation subjective de celui qui regarde la photo.

« L’image est ambiguë, par sa nature intrinsèque, et son ambiguïté est dissipée par les contenus qui lui sont attribués subjectivement. Autrement dit, les images ne parlent pas toutes seules.72 »

72 FACCIOLI Patrizia, « La sociologie dans la société de l’image », Sociétés, 2007/1, n°95, p. 9-18.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

Ainsi, si message il y a, la personne qui regarde la photo peut ne pas recevoir le message que le membre voulait faire passer initialement. De fait, parce que chacun peut trouver une signification différente à une même photo, ou bien s’attacher à des détails que la photographie n’avait pas forcément voulu mettre en évidence. La polysémie des images semble rendre impossible toute interprétation de celles-ci, à plus forte raison que « la vision d’une image a toujours lieu dans des contextes sociaux qui en conditionnent l’impact73 ». Le contexte social dans le cas présent est un site de rencontre, chaque photographie est interprétée dans le contexte d’une mise en contact à des fins amoureuses, charnelles, etc. Ce support photographique, dans toute sa complexité, peut être un terrain fertile pour l’imagination, or il faut savoir se méfier des apparences et ne pas juger trop vite ce qui est, comme dit précédemment, une simple image. A trop idéaliser une personne dont les photos nous ont plu, on prend aussi le risque d’être déçu si cette personne dans la vie réelle (donc lors d’une première rencontre par exemple) n’est pas telle qu’on l’avait imaginée.

3. Un palliatif au corps absent, terrain de tous les fantasmes

Au delà de la simple interaction ou du simple procédé interprétatif qui se crée grâce à et autour de la photographie, cette dernière peut entrainer notre esprit à fantasmer sur ce qui est représenté, comme sur ce qui ne l’est pas. Derrière notre écran, ce que nous avons de plus visuel d’une personne c’est sa photographie, parfois la description manque ou entraine un sentiment de frustration de ne pas en avoir plus. On cherche à percer la photographie, qui est cette personne ? A plus forte raison si la personne nous plaît on cherchera à en savoir plus, or comme la photographie est un moyen de communication asynchrone (le membre n’étant pas obligé d’être connecté pour être vu), il faudra s’armer de patience pour « faire connaissance » et assouvir notre curiosité. Ainsi, chaque photo présente sur le profil qui a retenu notre attention sera scrutée et détaillée. Si l’image ne dit rien d’elle-même, notre esprit parlera à sa place, aucune photo ne nous laisse insensible, tel que le décrivait Susan SONTAG,

« Au bout du compte, l’image photographique nous lance un défi : « Voici la surface. A vous maintenant d’appliquer votre réflexion, ou plutôt votre sensibilité, votre intuition, à trouver ce qu’il y a au-delà, ce que doit être la réalité, si c’est à cela qu’elle ressemble. »

En effet, une photographie n’est qu’une image prise à un instant T dont le cadre est choisi par le photographe et ce qui est représenté est généralement une réalité arrangée, surtout lorsqu’il s’agit de soi, on pose, on sourit, on espère que notre meilleur profil sera saisi par l’objectif. Pourtant (et logiquement) chacun aura tendance à imaginer la personne selon ce que ses photos montrent d’elle. Un membre ayant répondu à mon sondage l’a exprimé spontanément :

73 Ibid.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

« Une photo reflète beaucoup de choses, voire même raconte une histoire. L’habit, être souriant ou pas, peut donner une idée du caractère… »

Cette affirmation maladroite veut bien dire que nous jugeons une personne par ses photos (même s’il n’y en a qu’une). Or, si je déduis qu’untel a tel type de caractère par rapport à tel détail de sa photo, je dois aussi tenir compte du fait que je peux totalement me tromper. Pourtant, notre imagination travaille, et si la photo nous plaît, nous chercherons à « connaître » un peu plus cette personne grâce à ses photos. D’ailleurs, selon l’itinéraire type en annexes, une fois les photos regardées, la description texte est lue et cette dernière continuera d’alimenter notre imagination et la représentation mentale que nous nous faisons du sujet représenté. Ainsi, tout ce que nous ne savons pas encore de la personne sera comblé par notre esprit, notre imaginaire,

« Si les images et les mots, eux, sont bien la réalité, toute la virtualité est là, dans ce que nous fantasmons de ce qui est donné à voir mais aussi de ce qui nous manque.74 »

Lorsque la photo plaît et qu’un premier lien est établi entre les membres, qu’un échange par mail est instauré, les personnes fantasment sur une rencontre future75. De la même manière qu’il est très facile d’idéaliser une personne avec le peu d’éléments que nous avons d’elle, il est très facile d’idéaliser une première rencontre. Un phénomène qu’Eva ILLOUZ nomme « le choc de la photo », c'est-à-dire que les gens une fois en face de nous (dans la vie réelle) ne ressemblent pas à leur(s) photo(s). Cette déception est souvent évoquée et crainte par les membres eux-mêmes, voici ce que me précisait l’un d’entre eux :

« Une belle photo n'est que rarement synonyme d'une belle personne .... et on est toujours déçu lors de la rencontre »

Dans son article, Eva ILLOUZ montre que ce n’est pas « toujours » le cas, il arrive qu’on puisse être agréablement surpris. Toutefois, elle explique cette déception de la rencontre de la manière suivante :

74 CAUSSANEL Marie-Laure, CHATELAIN Yannick, World Wild Women, ou le net au féminin, Paris, L’Harmattan, 2007, 198 p. 75 ILLOUZ Eva, « Réseaux amoureux sur Internet », Réseaux, 2006/4, n°138, p. 269-272.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

« Une explication banale de ce phénomène consiste à dire qu’il est le fruit d’une représentation enflée du moi, de l’écart entre des attentes déraisonnablement élevées et une réalité fortement limitée. Internet exacerberait une dimension spécifiquement moderne : la disparité entre les attentes et l’expérience.76 »

C’est l’écart qui existe entre ce que l’on imagine d’une personne (notamment par le biais de sa photo) et ce qu’elle est vraiment qui engendre une déception lors de la rencontre. Cette déception est souvent évoquée dans les ouvrages qui traitent des sites de rencontre, ainsi on peut déduire que le phénomène est courant, tout aussi courant que de fantasmer à partir de quelques éléments laissés là par un membre à l’intention d’un autre. Par quoi cette idéalisation est-elle possible ? Si tant est qu’elle puisse être expliquée. Il semblerait qu’elle soit déclenchée par un détail, une posture ou un élément quelconque contenu dans la photographie :

« (…) des gestes insignifiants peuvent être à l’origine de fantasmes et de sentiments. Pour Freud, ressuscitant Platon, si nous pouvons être émus par des détails inexplicables et apparemment irrationnels, c’est parce que, dans l’amour, nous aimons l’objet perdu. »77

Loin de vouloir m’épancher sur une analyse freudienne de la question, il serait intéressant pour chaque membre de se demander de manière plus approfondie pour quelle(s) raison(s) il préfère telle photo à une autre. Ainsi, notre interprétation d’une photo et nos tentatives de déductions concernant une personne (que nous ne connaissons pas – encore ?) sont certainement faussées. Il faut se garder, dans l’idéal, de juger une personne sur une photographie, et pourtant, si je précise dans l’idéal c’est que chacun aura tendance à le faire, cela rentre dans un processus de sélection. Comme au supermarché, si nous saisissons un produit dont l’emballage ne nous plaît pas ou est en mauvaise état, nous le reposeront en rayon pour en choisir un autre.

C. Le degré d’intimité de la photo Cette photographie qui compte tant peut d’ores et déjà faire l’objet d’un tri par catégories, en effet, quelque soit le site, le sexe du membre, son orientation sexuelle ou son âge, il existe trois types de photographies. Leur distinction est importante parce que chaque type véhicule avec lui ses possibilités d’interprétation et surtout une intentionnalité. A savoir que ces catégories ne sont pas étanches les unes aux autres, d’une part parce qu’une « photo en contexte » peut être une « photo pour les amis » et inversement, ensuite parce qu’il n’y a pas

76 ILLOUZ Eva, « Réseaux amoureux sur Internet », Réseaux, 2006/4, n°138, p. 269-272. 77 Ibid.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

eu vérification des conditions de prises de vues des photographies présentées. Cette typologie a une valeur symbolique dans un premier classement des photos, si classement il peut y avoir78.

1. La photo en contexte

J’appelle « photo en contexte » toute photo qui renvoie à un évènement ou à un moment particulier de la vie du membre représenté par celle-ci. Cette photo regroupe plusieurs particularités :

– généralement, c’est une photo qui a été prise lors d’occasions telles que : fêtes de famille, fêtes ou sorties entre amis, vacances, etc.

– ce n’est pas la personne représentée qui prend elle-même la photo, donc pas d’autoportrait.

– l’attention de la personne photographiée peut être portée ailleurs que sur l’objectif. – D’autres personnes peuvent apparaitre sur la photo que ce soit sur le même plan que la

personne représentée ou en arrière-plan. Ce type de photographies a pour conséquences de présenter les personnes de manière plus naturelle, en effet, la photo n’est pas travaillée pour séduire une personne en particulier mais pour fabriquer matériellement un souvenir, ce type de photo n’étant pas, de toute évidence, initialement destinée à être postée sur un site de rencontre. Même lorsque la personne représentée prend la pose, elle ne contrôle pas totalement son image puisque c’est un tiers qui prend la photo. Voici quelques exemples :

La première photo est issue du site AdopteUnMec, la seconde de MeetCrunch. Le premier cliché représente un homme qui semble être au restaurant. Son regard n’est pas fixé sur l’objectif et son attention est apparemment portée sur un objet hors-cadre. On suppose que la personne, ne s’attendant pas à être photographiée, ne pose pas du tout sur cette photo, ce qui participe à l’impression de naturel, de non-jeu avec la photographe et surtout et non-tentative

78 Pour chaque type, des photos supplémentaires sont disponibles en annexes.

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de régler son apparence de manière à paraître mieux qu’à l’habitude. Le second cliché représente une femme, celle-ci, de par sa robe et son bronzage, semble être en vacances, à la terrasse d’un café. A la différence du jeune homme de gauche, celle-ci sait qu’elle est prise en photo, son regard est tourné vers l’objectif et on devine immédiatement qu’elle a figé son attitude pour la photographie. En définissant ce type de photographie comme photo principale, un membre peut vouloir dire qu’il aime s’amuser, sortir, voir ses amis, en tout cas qu’il est sociable et certainement jouer sur le côté naturel de la photographie. Une personne par exemple qui n’a sur sa fiche que des photos de ce type là, donc aucune qu’il n’ait prise lui-même pour le plaisir de faire son autoportrait, semble avoir une vie très active. Si toutefois, la raison de la présence d’une telle photo est que la personne n’en a pas d’autre d’elle, cet argument, qui autrefois pouvait en être un, devient de plus en plus rare, voire de moins en moins crédible, en effet beaucoup de personnes possèdent un appareil numérique ou une webcam et dans tous les cas un téléphone (sachant que la plupart qui sont vendus dans le commerce font désormais des photos). Sur le site, Amours Bio79, la photographie en contexte peut prendre une toute autre valeur. Le slogan du site Amours Bio est le suivant : « pour des amis ou un amour esprit bio et nature ». Le ton est donc donné dès le départ et la couleur verte dominante de l’interface du site ne laisse aucune place au doute. Ainsi, je n’ai pas été surprise de découvrir qu’un nombre important de membres, que ce soit du côté des femmes ou des hommes, postent des photos d’eux où ils sont en pleine nature et/ou accompagnés d’animaux. Cette pratique légitime la présence d’une personne sur le site puisqu’elle prouve à sa manière son goût pour la nature et/ou les animaux. (Voir annexe 4.1) Le type de photo qui vient ensuite n’est pas forcément plus intime que la photo en contexte, toutefois la nuance est assez sensible pour être admise et explicitée.

2. La photo pour les amis

Ce que je nomme la photo « pour les amis » ce sont des photos prises plus volontiers au sein d’un cercle d’amis, c’est exactement le type de photos qui circulent massivement sur les réseaux sociaux tel que Facebook. Que l’on y pose seul ou entouré de nos proches, nous y apparaissons distinctement et nous aimons les diffuser sur la toile. Leur pérennité a peu d’importance au fond, leur raison d’être est surtout d’être vues. La photo « pour les amis » n’est pas prise avec l’intention première d’être téléchargée sur un site de rencontre et si pourtant elle fait l’objet d’une utilisation sur ce genre de plateforme c’est que si elles sont assez bonnes pour être montrées à nos amis alors elles peuvent également l’être pour charmer des inconnus. Elles sont un reflet de nous-mêmes, en effet, si ce souvenir est partagé en

79 Amours Bio, site de rencontre pour les amoureux de la nature, www.amours-bio.com

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images avec des amis ou connaissances, c’est que ce souvenir nous a marqué positivement et telle photo peut témoigner de ce que nous apprécions. On pourra objecter que ces photos aussi sont prises dans un contexte particulier, certes, mais leur singularité vient du fait que le sujet représenté semble habiter d’une manière différente le cadre photographique, une manière plus intime, plus proche de nous. En voici quelques exemples :

Dans un premier temps, on remarque que le cadre est plus serré et le sujet photographié pose, il se sait photographié, il imagine peut-être même à qui sera montré cette photo. Le premier cliché à gauche illustre particulièrement bien ce qu’est la photo « pour les amis », en effet, le jeune homme semble être à une soirée où l’ambiance est très festive, il tient une bouteille d’alcool à la main et en prend une bonne gorgée (ou du moins c’est l’image que nous avons). On imagine mal ce même jeune homme montrer ce cliché à ses parents ou à ses grands-parents qui pourraient ne pas apprécier son comportement, en revanche, c’est sans complexe qu’il le montrera à ses amis et qu’il le poste sur un site de rencontre. Dans une autre perspective, le troisième cliché est un cas que l’on rencontre souvent et qui peut poser problème. En effet, certains membres postent des photos pour les représenter où ils ne sont pas seul à poser devant l’objectif. Là où cela devient vraiment problématique c’est lorsque cette photo est la seule que nous trouvions sur un profil, en effet, comment savoir quelle est la personne à qui correspond la fiche que nous visitons ? Laquelle de ses trois filles est inscrite sur le site ? Par déduction on élimine celle de gauche qui n’est pas au centre de la photographie et semble trop effacée à comparée des deux autres. Si aucun autre cliché ne vient confirmer l’identité de la personne, on se trouvera alors bien démuni. Heureusement, la plupart des photos principales sur les sites de rencontre représente des personnes seules ou en tout cas sont des clichés qui ne portent pas à confusion. Sur ce type de photos, la modération de Meetic interviendrait, soit en recadrant la photo sur le visage du membre (si la distinction de fait naturellement) soit simplement en ne la validant pas. Enfin, le dernier type nous plonge dans un rapport beaucoup plus intime entre le sujet de la photo et la personne à laquelle elle s’adresse.

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Deuxième partie – La photographie amateur dans les sites de rencontre

3. La photo prise pour le site

Ce type ne photo repose avant tout sur une supposition, mais une supposition assez évidente pour être émise. Sur tous les sites de rencontre, il y a un nombre important de photos qui semblent avoir été prises pour le site. Cela signifie que lors de la prise de vue, le destinataire de la photographie était clairement identifié, ce destinataire c’est un autre membre qui visitera la fiche et regardera la photo. Ce type de photographie a plusieurs caractéristiques qui font qu’elles sont assez facilement reconnaissables :

– il s’agit exclusivement d’autoportraits – ces autoportraits peuvent être faits avec un téléphone mobile, une webcam ou tout

autre appareil photo numérique. – ils sont la plupart du temps réalisés là où habite l’individu qui se prend en photo :

chambre, salon ou encore salle de bain (pièce souvent utilisée soit pour sa bonne luminosité, soit parce qu’elle dispose d’un miroir – nous reviendrons plus en détail sur le rôle du miroir).

– Il y a des indices qui nous permettent d’identifier (d’une manière plus ou moins sûre) si une photo a été prise à destination du site de rencontre : l’attitude de la personne qui se photographie, sa tenue ou encore son regard.

Ce type de photo est de qualité assez médiocre la plupart du temps, surtout si cette dernière a été prise à l’aide d’un téléphone ou d’une webcam, en effet, s’il y a de plus en plus de téléphones disposant d’une bonne résolution photographique, cela équivaut rarement à la résolution d’un APN. Quant aux webcams, la photographie est souvent très mauvaise, ou en tout cas assez bonne pour que l’on puisse distinguer correctement le visage de la personne et la jugée en conséquences. Peu importe, sur les sites de rencontre, la qualité n’a pas grande importance, ce type de photo doit son succès du fait qu’elle gagne en intimité. Regardons maintenant quelques exemples :

Le premier cliché de cette série contient un indice assez explicite pour ne laisser planer aucun doute. L’homme qui est représenté semble être chez lui, il ne porte pas de vêtements sur la partie supérieure de son corps mais surtout il envoie un baiser à l’objectif. Comment ne pas en conclure que lorsqu’il a pris cette photo il s’adressait directement aux femmes du site ? La stratégie semble d’ailleurs judicieuse, par l’attitude du sujet, la photo interpelle, au-delà même

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de l’individu qui y est représenté. Autre argument qui plaide en faveur de cette supposition : cette photo ne pourrait pas convenir dans un autre contexte. Il ne pourrait pas la montrer à des amis comme il montrerait une photo familiale par exemple. Il adopte une attitude particulière et sa cible est clairement définie. Le deuxième cliché laisse planer peu de doutes également, en effet, dans cette tenue, il est peu probable que cette photo soit publiée autre part que sur un site de rencontre. Le corps est exposé sans complexes comme un véritable argument de séduction. La photo est prise grâce à un téléphone portable que nous distinguons au sein même de l’image, en effet, le sujet se photographie devant un miroir. Encore une fois, je ne m’étends pas sur cette pratique puisque j’y consacrerai une partie. Le troisième cliché représente une jeune femme et ici la supposition est plus forte que sur les deux autres, en effet, rien ne nous indique vraiment qu’elle ait pris cette photographie spécialement pour le site. Toutefois, la moue qui est dessinée sur son visage est un indice, même si cette photo peut très bien être postée ailleurs que sur un site de rencontre. A noter que la photo est prise à bout de bras et dans ce qui semble être une salle de bain. Autre point fort de ce type de photo : le membre l’ayant prise dans un but bien précis, sa charge communicationnelle est beaucoup plus forte. C’est ce que nous avons pu constater sur le premier cliché puisque l’homme qui tire son propre portrait y ajoute une un geste à destination des femmes. Le message est bel et bien là même s’il n’est pas explicite, on ne saura jamais simplement en se basant sur la photo si cet homme cherche une relation plutôt sérieuse ou une aventure pour quelques nuits. Après lecture des réponses au sondage que j’ai réalisé dans le cadre de ce mémoire, je pus découvrir que plus 55% des membres interrogés reconnaissent avoir déjà pris une photo spécialement pour la poster sur le site où ils sont inscrits. Voilà donc une première typologie sur notre corpus photographique. Bien sûr toutes les photos ne répondent pas précisément à l’une de ces trois catégories mais une navigation approfondie sur les sites de rencontre m’a amené à distinguer ces trois types de clichés. Dans le détail, nous allons le voir, les choses sont beaucoup plus complexes, d’ailleurs, je ne prétends pas avoir fait une analyse exhaustive, loin de là. Entre les corps, les cadrages, le matériel utilisé, les contextes de prise de vue, les regards… mais également, chose que je n’ai pas traité : les rapports entre la photo et la description texte ou encore le pseudonyme choisi par le membre… Le sujet est vaste, les photos nombreuses et l’analyse qui suit inévitablement incomplète.

Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

III. Mise en scène de soi par la photographie

Entre stratégie marketing et narcissisme exacerbé Pourquoi peut-on parler de mise en scène de soi sur les sites de rencontre ? Tout simplement parce que remplir son profil ne consiste pas seulement à décliner son identité mais à brosser un portrait attrayant de soi-même. Pour être désiré, il faut savoir se rendre désirable. Or, la photographie participe activement à cette construction identitaire, pire l’image est venue renforcer ce mécanisme : l’image produit une impression directe dans l’esprit, par exemple, alors de la description texte d’un paysage nous peindrait celui-ci au fur et à mesure, introduisant chaque élément du décor, une photographie de ce même paysage nous le donnerait à voir dans son ensemble, de manière instantanée. De plus, la photographie paraît toujours représenter la réalité d’une manière plus fidèle. Ainsi, c’est sans surprise qu’aujourd’hui nous vérifions les prévisions que faisait Pascal LARDELLIER sur les sites de rencontre et la place de la photographie personnelle :

« Il est cependant évident que sa généralisation (de l’image) va contribuer à une mise en scène de plus en plus sophistiquée de chacun, et donc à une « professionnalisation » de la gestion des rencontres.80 »

La photographie qui apparaît sur le profil des membres est rarement là par hasard, même si certains s’en défendent, celle-ci résulte d’une série de choix : tout d’abord lors de la production de la photographie, surtout lorsqu’il s’agit d’un autoportrait. Ensuite, face à notre écran, lorsque les photographies sont transférées sur ordinateur et qu’elles sont triées par nos soins, celles jugées comme « ratées » sont tout simplement supprimées. Enfin, lorsque chaque photo est téléchargée sur le site auquel on appartient, on ne choisit jamais n’importe laquelle. Il s’agira alors de faire correspondre au mieux son « soi-idéal » et son « soi-réel 81». Le premier mensonge de la photographie sur les sites de rencontre c’est qu’elle est une image et elle ne doit jamais être perçue comme simple représentation de la réalité. Comme nous l’avons déjà abordé, l’image est un concept complexe, et doit être envisagée comme un processus,

« et plus précisément le processus par lequel nous tentons d’aménager notre monde environnant à l’image de notre monde intérieur.82 »

Le choix d’une photographie suppose donc une négociation avec son image, une négociation avec notre corps immobilisé par celle-ci et surtout qu’elle soit représentative de ce que nous sommes. Toutefois la tâche se complique. Il ne suffit plus de se plaire à soi-même, il faut 80 LARDELLIER Pascal, Le Cœur net, … op.cit. 81 Idib. 82 TISSERON Serge, « Le corps et les écrans, … », op. cit.

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Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

surtout plaire aux autres, donc apprendre à se vendre et sur les sites de rencontre cela s’apparente à une veille constante. Un membre change généralement plusieurs fois de photo principale pour évaluer l’impact de celle-ci. Sur 58 sondés83, ils sont plus de la moitié à avoir changé plusieurs fois de photo principale et certains en soulignent l’impact, si la photo plaît, le nombre de visites sur le profil augmentent. Face à de tels enjeux, on prend très vite conscience de l’importance de ses photos, or ce contrôle permanent de l’image amène t-il au narcissisme ? On se montre, on s’exhibe, il faut plaire à l’autre, séduire par le seul argument des apparences (du moins au début – mais nous l’avons souligné c’est une étape primordiale). Selon Pascal LARDELLIER, les sites de rencontre sont un dispositif narcissique,

« car sur Internet, on se présente en général de manière assez valorisante. Sur les profils mis « en ligne », tout pousse (…) à une mise en mots et en images de soi narcissique.84 »

Or je repense à un article d’André GUNTHERT où il souligne que la thèse du narcissisme est un préjugé, en effet

« Le choix d’un portrait est aussi, plus simplement, le résultat temporaire d’une négociation avec notre reflet 85».

Dans le monde des sites de rencontre, il est indispensable d’avoir une photo sur son profil, donc il faut bien se forcer à trouver une bonne image de soi que l’on se juge séduisant(e) ou non. Après ce long paragraphe introductif je vais donc regarder ces photos de plus près : tout d’abord les corps (avec les visages, le regard, l’exhibition), ensuite les types de clichés qui reviennent le plus (attitude des corps et cadrage des photos confondus) et enfin, ce que je considère comme l’aboutissement de mes recherches, je proposerai un certain nombre de constats (que j’appelle début de réponse) qui m’ont paru évidents lors de l’observation menée sur mes terrains.

83 Voir sondage en annexes 84 LARDELLIER Pascal, in MARQUET Jacques, JANSSEN Christophe (coll.), Amours virtuelles, Conjugalité et Internet, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2010, 286 p. 85 GUNTHERT André, « L’exposition en ligne : exhibition ou iconoclasme ? », Actualités de la recherche en histoire visuelle, 22 février 2009, http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/02/22/943-exhibition-ou-iconoclasme [consulté le 22/02/10]

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Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

A. La place du corps dans le cadre photographique

1. L’importance du corps

Tel que l’écrit Fabienne MARTIN-JUCHAT, professeure en Sciences de l’information et de la communication, le corps est constructeur de sens, ce qui n’est pas pour nous étonner puisqu’il est soumis à la vue, il est un processus d’images face à autrui.

« Les individus valorisent les caractéristiques du corps affectif car ce dernier leur permet de mettre en scène leurs aspirations sentimentales et leur système de valeurs. 86»

Le corps est représentatif de ce que nous sommes, il est notre image et peut être utilisé pour véhiculer des émotions. Notre corps, même immobile sur une photographie n’est pas muet. Eva ILLOUZ souligne à cet égard combien le corps a été utilisé comme procédé marketing et communicationnel par les médias, en particulier la publicité. Se mettre en scène c’est ainsi utiliser son corps, lui imprimer des émotions et les figer par la photographie. Quoi de plus logique que de parler marketing et communication lorsqu’il s’agit de site de rencontre, en effet, nous l’avons déjà abordé, il s’agit de communiquer, de (se) vendre et de convaincre. Ce corps est un médiateur, il parle plus qu’il n’y paraît, certains disent que notre vécu y est imprimé. Trahit-il vraiment nos émotions ou sommes-nous capables de contrôler notre image ? Selon Eva ILLOUZ, il permet « d’accéder à notre vie passionnelle et émotionnelle comme à celle des autres 87». Dans ce cas, il en dit effectivement plus que nous ne l’imaginons. Ainsi, au-delà même de la photo, qu’elle soit de bonne qualité, avec une bonne luminosité ou pas, notre corps est au centre de cette photographie et c’est lui le premier qui (logiquement) va retenir l’attention. La personne qui viendra voir notre profil commencera par nous dévisager et non pas par analyser les conditions de la prise de vue. Au-delà du fait que notre physique puisse être apprécié, notre regard, notre expression, notre posture, l’ensemble du corps représenté exprime quelque chose : que ce soit un sentiment de tristesse, de mélancolie, de

86 MARTIN-JUCHAT Fabienne, Le corps et les médias : la chair éprouvée par les médias et les espaces sociaux, Paris, DeBoeck, 2008, 150 p. 87 ILLOUZ Eva, « Réseaux amoureux sur Internet », Réseaux, 2006/4, n°138, p. 269-272.

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joie, de dynamisme… Il est un des facteurs fondamentaux de la communication interpersonnelle qui a lieu. Sur les sites de rencontre, ces corps sont mis à rude épreuve, accepter de joindre une photo à son profil c’est accepter d’être jugé et le jugement est souvent sans appel, la littérature sur ce sujet le souligne : la beauté est devenue un enjeu essentiel depuis les années 192088.

2. Hommes et femmes : le triomphe des apparences

Les sites de rencontre sont généralement fondés de manière à ce que les sexes ne se mélangent pas. Par exemple, si vous créez un profil femme hétérosexuelle sur Meetic, vous ne pourrez pas contacter une autre femme, ni même les voir puisque le moteur de recherche ne vous proposera que des hommes. Cette séparation des sexes, hommes d’un côté, femmes de l’autre, s’explique par la logique économique du site : un membre doit payer un abonnement pour contacter un autre membre. Une grande majorité des sites de rencontre sont conçus de la même manière. Même sur AdopteUnMec, si une femme peut voir à quoi ressemblent ses concurrentes, elle ne peut pas les contacter. Ainsi, si je suis un homme, je ne pourrais que voir l’offre des femmes célibataires du site et si je suis une femme, l’offre des hommes célibataires. Seuls quelques sites, à l’esprit plus communautaire ou gratuits comme MeetCrunch, permettent de voir et contacter l’ensemble des membres. Ainsi, une femme par exemple ne peut pas voir la manière dont les autres femmes se présentent avec leur photo. C’est en me créant un faux profil « homme » dans le cadre de ma recherche que j’eus la désagréable impression de ne vraiment pas être douée pour choisir mes photos et en faire moi-même. La concurrence est rude, des deux côtés. Le but n’échappe à personne : il faut être beau ou/et avoir du charme, ou tout faire pour donner cette impression. Est-ce que les sites de rencontre sont un terrain sociologique qui nous informe sur les canons de beauté actuels ? Que nous disent-ils au juste ? Qu’y trouvons-nous ? A défaut d’avoir énuméré précisément quels sont les canons de la beauté actuelle (est-il seulement possible d’en faire une liste exhaustive ?) je puis maintenant dire ce qu’on y trouve et ce qu’on ne trouve pas. D’emblée, j’aimerais faire la remarque suivante : si la photographie se démocratise sur les sites de rencontre, on en trouve sensiblement moins chez les femmes. Sur la liste de mes sites « grands publics » on le remarque en effectuant une simple recherche. Alors que sur Meetic et AdopteUnMec les photos sont manquantes, sur MeetCrunch (grâce à une modération très permissive) nous trouvons toutes sortes d’images à la place du portrait attendu.

88 VIGARELLO Georges, Histoire de la beauté : le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Seuil, 2004, 346 p.

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Dans notre société de l’image, nul n’est censé l’ignorer, les apparences comptent beaucoup. C’est donc sans surprise que nous retrouvons chez les membres des caractéristiques des canons de beauté actuels. On assiste d’ailleurs depuis les années 1920 (selon l’ouvrage de Georges VIGARELLO89) à un formatage des individus : il faut être mince, avoir une allure athlétique et un teint halé, de plus, pour ceux qui comptabiliseraient quelques années de plus, il faut rester jeune et faire la chasse aux traces laissées par le temps. Ainsi, pour avoir parcouru des centaines de profil, il y a des points assez précis qui n’apparaissent jamais ou très peu sur les photographies. Dans un premier temps, les personnes en surpoids sont relativement rares. Manipulation photographique ? Cadrage avantageux ? Cache-t-on ses formes de peur d’être jugé négativement ? D’autre part, très peu de membres portent des lunettes. Pour des raisons logiques de reflets sur les verres on imagine bien que ces derniers fassent très peu de clichés avec, toutefois, leur rareté est frappante lorsqu’on en prend conscience. Toujours selon Eva ILLOUZ, la présentation par la photographie nous incite à développer une conscience accrue de notre image :

« Les individus sont littéralement mis dans la même position que les mannequins ou les acteurs travaillant pour l’industrie de la beauté. »

Comment faire alors pour rester soi-même et se présenter tel que l’on est vraiment ? S’il est légitime d’être déçu lors d’une première rencontre parce que la personne ne ressemble pas à sa photo, cette dernière pourra toujours argumenter en disant qu’elle n’avait pas le choix ! Ainsi, les femmes font la moue comme les célébrités dont elles admirent le minois dans les médias et les hommes posent parfois comme de véritables mannequins. Toutes mes typologies ne sont pas conçues selon une différenciation homme/femme, même si elle reste importante ou sensible dans les représentations photographiques rencontrées. Dans l’absolu, il est très peu de sites, comme dit précédemment, qui proposent un résultat de recherche avec hommes/femmes confondus.

3. Primauté des visages

« Le visage au quotidien nous marque en raison de l’infinité de nuances dont il est capable. Cette impression doit être amplifiée en photographie, car celle-ci ne révèle qu’une microseconde des expressions du visage plongé dans un processus social. 90»

89 VIGARELLO Georges, Histoire de la beauté : … op.cit. 90 EWING William A., Faire Faces : Le nouveau portrait photographique, Paris, Actes Sud, 2006, 240 p.

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Dans la vie réelle, le visage d’une personne joue un rôle très important et c’est préférentiellement ce qu’on est amené à regarder lorsque nous parlons avec un autre, c’est donc sans surprise que nous retrouvons une majorité de photographies centrées sur le visage de la personne qu’elles représentent, que ce soit en plan large ou rapproché. Ce visage, il porte avec lui une expression, un regard, un sourire parfois, peu importe ce qu’il exprime et ce même s’il n’est que peu animé, il ne nous laissera pas indifférents. Un plan rapproché, donc un cadrage serré autour du visage, donne une impression de proximité avec la personne représentée. Ainsi, par soucis d’efficacité et de satisfaction de ses membres, Meetic précise dans ses principes de modération concernant les photos qu’il faut privilégier des clichés cadrés sur le visage, des photos « sur lesquelles vous offrez votre plus beau sourire ! ». De la même manière l’équipe du site se réserve le droit de recadrer une photo pour répondre à ces exigences. Ainsi, sur les deux photos ci-dessous, celle de gauche est tout à fait le type que nous trouvons sur Meetic, alors que celle de droite (photographie principale d’un membre du site AdopteUnMec) serait certainement refusée, en effet, de par l’effet de plongé on distingue mal le visage du jeune homme représenté et un recadrage n’y aiderait pas non plus.

Sur ces visages, nous trouvons parfois des sourires, et alors que nous pourrions communément penser qu’il est préférable de sourire sur sa photo pour se voir attribuer un capital sympathie, les fondateurs d’un site de rencontre américain nous apportent des précisions sur le sujet qui infirment cette idée reçue. Les fondateurs d’OkCupid91 (site de rencontre américain) tiennent un blog nommé OkTrends92 dans lequel ils nous font part de leurs remarques sur le comportement des membres de leur site. Selon leurs statistiques, sourire ne rend pas plus populaire.

91 OkCupid, site de rencontre américain, http://www.okcupid.com/ 92 OkTrends, blog des fondateurs de OkCupid, http://blog.okcupid.com/

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« You’re always told to look happy and make eye contact in social situation, but at least for your online dating photo, that’s just not optimal advice. »

Selon leurs statistiques, il est préférable pour une femme de flirter avec l’objectif et si ne pas sourire est déconseillé, sourire n’est pas le meilleur atout qu’elles puissent avoir. Quant aux hommes non seulement ils n’ont aucun intérêt à sourire mais en plus ils ne devraient pas fixer l’objectif pour optimiser leur chance. (Voir annexe 7) Pire, les fondateurs détruisent un autre mythe de ce qu’on aurait coutume de penser concernant nos photographies, il semblerait que montrer son visage n’ait aucune importance et n’influe en rien sur le succès qu’un membre peut rencontrer. Les fondateurs de OkCupid furent les premiers surpris, ils expliquent qu’eux-mêmes conseillaient à leurs membres de poster des photos où leur visage serait correctement visible et que désormais ce conseil n’apparaît plus sur leur site. Les chiffres parlent d’eux même :

Ce constat pourrait-il être établi avec un site de rencontre français ? En effet, Meetic, leader européen, n’accepte pas de photos où le membre ne serait pas clairement identifiable. La question reste donc entière. Cependant, la politique de modération de Meetic n’en est pas moins cohérente. Le visage reste un élément très important et ne pas l’inclure dans le cadre photographique a une signification, en effet « Symboliquement, dans un portrait, couper la tête revient à nier la personnalité.93 »

4. L’importance du regard

« Le regard est incontestablement l’objet le plus fascinant de la photographie. Face à toute photographie d’un visage qui me regarde, je ne peux m’empêcher de me demander comment il me voit.94»

Sur les photographies des membres d’un site de rencontre, un des détails qui nous interpelle le plus vite c’est si la personne fixe l’objectif de l’appareil photographique ou pas. En effet, comme sur toute photographie, lorsque le sujet fixe l’objectif, la personne qui regarde la 93 BRON Laurence, « Quelle vision du masculin et du féminin nous impose t-on ? », lecourrier.ch, 04 mai 2009, http://www.lecourrier.ch/index.php?name=NewsPaper&file=article&sid=442337 94 TISSERON Serge, Le bonheur dans l’image, Paris, Seuil, 2003, 182 p.

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photographie a l’impression que c’est elle qui est fixée. Voilà pourquoi Serge TISSERON qualifie le regard de « fascinant ». Ainsi, sur les sites de rencontre, le regard tout droit porté vers l’objectif ne laisse personne indifférent, ce même regard peut-être le punctum de la photographie, cette affirmation est sans surprise, d’ailleurs, on peut jouer avec ce regard et l’individu photographié peut véritablement flirter avec l’objectif ou vouloir faire passer une émotion. Tout ce processus participe à l’interaction entre les membres par le biais de la photographie. De la même manière, un regard qui n’est pas porté sur l’objectif nous donne une toute autre impression : si le regard d’une personne est porté sur un objet hors du cadre de la photo alors cette personne semble ne pas appartenir au cadre de sa photo. Un regard fuyant traduit généralement une sorte de désintéressement de la part de la personne photographiée pour son spectateur. Toutefois, il faut savoir se méfier des apparences, surtout lorsque la mise en scène est perceptible dans le champ même de la photo. Il est certaines photographies où l’individu ne fixe pas l’objectif mais cette attitude est une mise en scène, l’individu se photographie lui-même et fuit volontairement du regard. Il y a donc trois stades concernant le regard sur les sites de rencontre :

(De gauche à droite) Le regard qui fixe l’objectif, le regard posé sur un objet extérieur au cadre photographique, le regard mis en scène. Ce que j’appelle « regard mis en scène » c’est un regard que le membre ne nous offre volontairement pas, en d’autres termes, il n’y a rien hors-champ qui justifie cette fuite, c’est une véritable mise en scène de soi. Le troisième cliché (à droite donc) est issu d’une fiche qui comporte trois photos, ces trois photos nous laissaient deviner dans quel contexte elles ont été prises : la jeune femme est devant son ordinateur et a probablement pris les photos présentées avec sa webcam. Deux sont en couleur, la dernière en noir et blanc, et les deux couleurs nous permettent de distinguer que la lumière de l’écran de l’ordinateur éclaire le visage de la jeune femme. Voilà comment j’en suis venue à la conclusion que sur cette photo, alors que la jeune femme tient une cigarette de la main gauche, sa main droite est posée sur sa souris d’ordinateur et elle fait mine d’être attirée par quelque chose hors champ pour se donner un

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Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

air insaisissable ou une quelconque contenance. Ce type de mise en scène se retrouve assez fréquemment sur les sites de rencontre.

5. L’exhibition du corps ou au contraire la fuite de l’objectif

Chez les hommes comme chez les femmes, on cherche à séduire par l’érotisme. Il ne s’agit pas de tomber dans la vulgaire pornographie mais de dévoiler des endroits stratégiques du corps pour appâter le sexe opposé. Ces pratiques sont courantes et une simple recherche suffit à nous l’apprendre. Chez les hommes, lorsque le corps se dénude, biceps, pectoraux et abdominaux sont exhibés. Il arrive également qu’on rencontre quelques paires de fesses et parfois même des corps entièrement nus mais intelligemment cadrés pour cacher ce qui deviendrait indécent. Chez les femmes, c’est la poitrine qui est la plus mise en avant, viennent ensuite les jambes, les fesses et le corps tout entier. Sauf qu’à la différence des hommes, les femmes ont plus de contraintes, impossible par exemple de ne rien porter sur le haut du corps si cette partie est comprise dans le champ de la photo. Un torse nu ça ne choque personne, des seins nus ça ne se fait pas (encore ?). Chaque site est plus ou moins permissif sur ce qui est acceptable ou non, chaque site a ses propres principes de modération. Sur Meetic par exemple, la modération est peu permissive, réputation et qualité de service oblige, une photo n’apparaît qu’après avoir été modérée et elle doit « être décente et conforme aux bonnes mœurs ». Ainsi, hommes et femmes paraissent beaucoup plus sages que sur AdopteUnMec ou MeetCrunch, et pour cause, les deux autres sites sont beaucoup plus permissifs. La photo érotique, à la différence de la photographie pornographique, n’a pas besoin de montrer le sexe pour le suggérer,

« La photo érotique (…) ne fait pas du sexe un objet central ; elle peut très bien ne pas le montrer ; elle entraine le spectateur hors de son cadre (…). Le punctum est alors une sorte de hors-champ subtil, comme-ci l’image lançait le désir au delà de ce qu’elle donne à voir.95 »

Ainsi, la suggestion érotique peut se faire de différentes manières et le dévoilement peut avoir lieu soit grâce au cadre photographique soit par le biais des vêtements. (Voir annexes) Le problème de l’exhibition en ligne, c’est qu’elle peut être mal interprétée. Simple narcissisme ou libertinage de mœurs ? Si une femme pose en sous-vêtements, puis-je croire

95 BARTHES Roland, La Chambre claire, … op.cit.

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Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

qu’elle recherche une relation sérieuse ? Si elle cherche une relation sérieuse, pourquoi met-elle en avant sa poitrine ? Mêmes types de questions concernant les hommes. Si je ne peux pas mettre cette exhibition sur la nature de la recherche, dois-je croire que la personne prend du plaisir à dévoiler son corps de manière ostensible ? Ou est-ce que l’exhibition est désormais tellement courante (lorsque l’on voit ce que diffusent les médias de nos jours) qu’il est considéré comme banal de poser à moitié dévêtu ? S’il y a une communauté où l’exhibition est courante, c’est dans la communauté gay. Je l’ai constaté lors de mes recherches sur le site Rezog, en effet, il y a un nombre assez important d’hommes, pour ne pas dire plus de la moitié, qui posent avec peu de vêtements sur le corps. J’ai alors demandé à un ami homosexuel si les gays étaient plus exhibitionnistes que les hommes hétérosexuels et sa réponse fut catégorique, j’avais vu juste. De plus, si la photo principale ne montre pas le corps dénudé, il suffit de visiter la fiche du membre pour, dans la plupart des cas, trouver au moins une photo qui présente les attraits physiques de ce dernier. Comme s’il fallait montrer la marchandise, comme si les mœurs étaient plus libres. Dans un second temps, ce que j’appelle la fuite de l’objectif fait référence à un type de photographies où l’individu est effectivement présent dans le cadre photographique mais il se comporte comme s’il ne voulait pas révéler son identité et la garder secrète. Ce type de photos permet de voir globalement à quoi ressemble la personne mais la frustration naît de ne pas voir son visage ou une partie de celui-ci. Exhibition et fuite de l’objectif, que je pensais antinomiques, peuvent se compléter. En effet, certaines personnes n’assument pas leur présence sur le site de rencontre, ce qui nous amène à découvrir des photographies où le corps est mis dans une situation très érotique mais jamais nous ne découvrons le visage de la personne. Au-delà même du simple corps de la personne, il y a ce que le membre choisit de représenter. Quelle photo sera la plus représentative de sa personnalité ? Si une partie du message contenu dans l’image photographique passe par le corps, une autre partie de ce message est véhiculée par la photo elle-même, son cadrage, ce qu’elle représente et ce qu’elle semble mettre en avant.

B. Les grandes tendances photographiques Parmi la multitude de photographies personnelles qu’il est possible de croiser sur un site de rencontre, les pratiques amateurs, malgré leur incroyable diversité, révèlent cependant des tendances. Ces tendances sont sensiblement différentes selon les sexes, par exemple, les hommes vont avoir tendance à se représenter d’une manière, les femmes d’une autre. Ces tendances, ce sont des manières de se prendre en photo, de se présenter aux autres et de

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Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

présenter ses passions, ses loisirs, son métier… Tout ce qui peut être représentatif d’une personne, ou en tout cas la manière dont la personne veut se présenter et se représenter. Certains types se détachent assez nettement, de fait il ne fut pas difficile d’établir une typologie, et si cette manière de procéder peut paraître arbitraire et non fondée, c’est pourtant avec un jugement similaire que seront « filtrer » les membres. Autrement dit, lorsqu’à l’issue d’une recherche, exemple : femme, de 20 à 26 ans, de 1m60 à 1m75, je suis face à une centaine de fiches, mon regard va parcourir rapidement chaque miniature et opérer des choix tel que le présente Johann CHAULET dans son article, « typifier pour mieux filtrer »96. Il décrit l’ensemble du processus pour les annonces textes, mais celui-ci est tout à fait transposable pour nos photographies. Par exemple, si je ne supporte pas les femmes qui posent en faisant la moue devant leur appareil photo, je vais repérer très rapidement ce type de photographies pour mieux ne pas m’y attarder.

« Ainsi, certaines formes typiques de définition de soi ou de prise de contact sont identifiées et orientent directement le type d’attitude à adopter, ou de réponses à fournir. Les façons d’écrire ou de parler en disent souvent long sur les personnes sont la seule production personnelle se limite, avant les premiers échanges, aux quelques lignes d’une annonce.97 »

Ici, la production qui est jugée est photographique. Surtout si l’on considère que sur un site comme AdopteUnMec, où les femmes détiennent le pouvoir d’autoriser un échange par messages personnels ou non, les seuls éléments que nous avons d’un membre sont : sa photo et son annonce texte. Au même titre que les annonces peuvent faire l’objet de typologies, les photographies s’y prêtent également et elles en disent également beaucoup sur une personne. Mes typologies vont d’abord se faire selon une distinction homme/femme que j’ai jugé nécessaire, en effet, chaque sexe n’a pas les mêmes façons de se présenter. Premier constat : alors que les femmes privilégient des photos centrées sur leur visage, les hommes mettent en avant leurs diverses activités : loisirs, passions ou encore profession. Ensuite, j’aborderai le cas de la photo devant un miroir, pratique très répandue et assez curieuse pour faire l’objet d’une partie à elle seule. Enfin, je présenterai quelques cas particuliers que je ne voulais pas abandonner malgré leur caractère exceptionnel. Pour chaque catégorie, se référer aux annexes pour voir plusieurs autres photographies. J’espère que mon lecteur me pardonnera l’audace du ton que je vais employer dans les prochains paragraphes. Par soucis de préserver le dynamisme intrinsèque de mes typologies, je choisis de déroger au ton très soigné et académique qu’exige pourtant un mémoire universitaire. 96 CHAULET Johann, « Sélection, appariement et modes d’engagement dans les sites de mise en relation », Réseaux, 2009/2, N°154, p. 131-164. 97 Ibid.

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Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

1. Chez les hommes

Je montre mes muscles Sur tous les sites dont la modération le permet, les hommes exhibent volontiers leurs muscles. Encore faut-il en avoir, ceux qui osent tomber le haut sont ceux qui ont quelque chose à montrer. Ainsi, il n’est pas rare de rencontrer des photos d’hommes fiers de leur musculature. Ils en font l’argument principal de leur exercice de style visuel. Le corps est généralement photographié en biais ou de profil pour bien faire ressortir le dessin des muscles. La partie la plus exposée étant le haut du corps. Ce type de photographie est très peu présente sur les sites pour adolescents ainsi que les sites

e fais de la musique des activités pratiquées par les hommes, la

u’ils soient débutants, amateurs ou confirmés, la photo ne nous le ela laisse supposer un

e suis photographe (même amateur) primée par une autre photographie. Ce type de photo

compact.

pour seniors, dans l’un et l’autre cas on comprend aisément pourquoi. Sur Solofamily également, ce type de photo n’est pas beaucoup représentée, les hommes sont inscrits avant tout en tant que papa à la recherche d’une conjointe ou en tant que conjoint potentiel pour maman célibataire, de fait, ils se doivent de montrer une image plus sérieuse d’eux-mêmes. JDans la grande famillemusique se place en très bonne position. Toutefois, c’est une majorité de guitaristes et de pianistes qui apparaissent sur les sites de rencontre. Peu probable que les guitaristes aient un penchant plus marqué pour la rencontre virtuelle, les hommes ont surtout compris que cela avait un certain succès auprès des filles. Ainsi, sur la majorité des sites vous croiserez beaucoup de guitaristes et quelques pianistes. Qdira jamais sauf si l’individu est sur une scène devant un public, ccertain talent. L’argument marketing chez certains est inépuisable et toutes leurs photos de profil les représenteront avec leur instrument. Ce qui est frappant, c’est que toutes les photos se ressemblent, seul l’individu fera la différence, à condition qu’il lève le regard de son instrument, en effet, la tête est souvent baissée et le regard absent de la photo. JLa pratique de la photographie est ici exreprésente chaque fois un individu qui tient entre ses mains un appareil photo. Cet appareil photo n’est pas n’importe quel type de matériel photographique, en effet, il s’agit d’un appareil de type reflex ou reflex numérique et non pas d’un appareil photo numérique

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Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

Alors que certaines photos représentent un individu vec l’appareil entre ses mains, à hauteur d’œil ou à

tériel représenté et le choix de la représentation, on en déduit que homme qui pose sur la photo est un passionné, qu’il soit amateur ou professionnel. Ce type

e suis sportif e type de photographie montre les hommes qui y sont

s une pratique sportive quelconque. Comme

utre grande tendance chez les hommes : poser avec un (ou plusieurs) de ce type de photographie peut faire l’objet de

pposition, la photo avec enfant est-elle une simple tactique de rague ? La plupart de ces clichés mettent en scène une embrassade ou un câlin, c’est-à-dire

sensible et attachant.

ahauteur poitrine, d’autres photographies représentent le sujet lui-même en train de (se) photographier. Pratique à la mode ou volonté d’interpeller celui qui nous regarde ? La question se pose assez vite, je ne prétends pas y répondre. De part la qualité du mal’de photographie interpelle parce qu’elle semble nous dire « Je suis photographié mais j’ai un œil sur toi également. » Cette « mise en abyme » photographique se rencontre sur la plupart des sites de rencontre et beaucoup plus chez les hommes que chez les femmes. JCreprésentés dannous l’avons déjà souligné, ces messieurs se représentent assez souvent par le biais de leurs activités, le sport en est une. L’individu peut avoir été pris en plein action ou être dans une attitude figée pour les besoins de la photo. J’aime les enfants Aenfant(s). Le choix plusieurs suppositions. Cet enfant sur la photo est-il le sien ? Dans ce cas est-il judicieux d’exposer ainsi son propre enfant sur un site de rencontre, il suffirait de le mentionner dans son annonce texte. En effet, la plupart du temps, le visage de l’enfant sur la photo n’est pas flouté. Autre sudque l’individu serre l’enfant dans ses bras, de fait cela lui donne un airC’est un lieu commun connu, les hommes ont toujours l’air un peu plus sensibles et vulnérables au contact d’un enfant, quoi de mieux pour attirer une femme que de mettre en avant ce côté de sa personnalité.

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Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

Regarde ma belle voiture/moto ’amour des hommes pour les engins motorisés se confirme

contre. Que ce soit sur une moto ou

t qu’il arrive très ouvent que cette moto occupe les deux tiers de la photographie, on se

us évidente que les t en position sur la

uin et ma photo semble sortie d’un book ette typologie m’a parue évidente alors que lors d’un échange de

ec humour,

gée masculine oins évidente que son double féminin (la plongé féminine, que j’aborde plus loin dans ce

présentée sur tous les sites. Bien sûr, il y a des hommes qui se

itairement des autoportraits, pris à out de bras, de fait le champ de la photo s’en trouve réduit. Ce type de

Lvisuellement sur les sites de rendevant une voiture, ces messieurs prennent la pose. Il semblerait que la moto soit tout de même plus présente que la voiture. Ce qui m’a interpellé dans ce type de clichés c’essdemande alors pour quelle raison le membre a choisi de poster une photo de lui ainsi représenté : est-ce pour se montrer lui ou est-il juste très fier de sa moto ? La récurrence de la représentation est d’autant plclichés se ressemblent tous et l’absence de casque sur l’individu qui esmoto est une preuve évidente que ce dernier a grimpé sur son bolide sans intention première de le conduire. Je suis manneqCmessages avec un membre, celui-ci me faisait remarquer, avque certains membres semblaient avoir été pris par un photographe professionnel, tant la photo était « bonne » : l’individu est mis en valeur, la luminosité est travaillée, le cadrage judicieux et le résultat bluffant. Si bien que la notion de « photographie amateur » paraît inappropriée. La contre-plonMmémoire), cette catégorie est rephotographient en tenant l’appareil au dessus d’eux, ce qui donne une vue en plongée et effectivement, on trouve des femmes qui se photographient en contre-plongée, mais sur tous les terrains que j’ai sélectionné, la prise de vue en plongé est très utilisée chez les femmes et la contre-plongée chez les hommes. Cette contre-plongée concerne majorbphotographies ne devient intéressant dès lors qu’il fait apparaître un visage mais également si les yeux du sujet nous fixe, donc fixent l’objectif. Par ce mode de représentation, le spectateur de la photo se trouve dans une position d’infériorité par rapport à l’individu photographié. C’est en tout cas le sentiment qui s’en dégage, le regard joue un rôle primordial : en effet, à lui seul il donne un air prétentieux au

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Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

sujet représenté. Le rapport de dominant et dominé évoqué par certains théoriciens de la photographie (comme Roland BARTHES) se trouve alors renversé. Le sujet qui se photographie se place volontairement au dessus de celui qui observe(ra) la photo. Mise en avant de la catégorie socio-professionnelle Cette dernière catégorie est très fréquemment rencontrée, et ce, sur tous les sites appartenant à mon terrain. Il s’agit de membres qui choisissent de mettre en avant leur métier : que ce soit pour le prestige de l’uniforme ou parce que leur métier est générateur de fantasmes divers et variés. Ainsi il n’est pas rare de croiser des photographies représentant des pompiers, policiers, gendarmes (et autres militaires) mais également des hommes en blouse blanche (à vérifier si son port n’est pas seulement du à la photo ou à une fausse mise en scène), médecins, infirmiers, etc. Tous les métiers susceptibles d’avoir du succès auprès de la gente féminine sont représentés. Certaines photos étant accompagnées d’un pseudo tel que « Charmant pompier » ou encore « sexy_militaire », etc. Le site Rencontre-militaire.com est la meilleure illustration de ce type de photo, même si de part son intitulé, on ne s’étonne pas de voir les hommes mettre en avant leur profession. En revanche, il est curieux de constater que les femmes du même site se présentent beaucoup plus dans des attitudes très féminines que vêtues de leur uniforme. Comme je l’ai déjà fait remarquer, les hommes se représentent beaucoup plus dans des situations variées que par la seule présence de leur corps ou de leur visage, ce qui est beaucoup le cas chez les femmes. Le contenu de se qui est présenté par la photographie peut plus facilement chez les hommes constituer un point de départ pour une première interaction avec une personne qui ne nous connait pas. La conversation peut donc se nouer autour de la photographie telle que Dominique CARDON le conçoit98. C’est-à-dire que deux personnes qui ne se connaissent pas vont parler sur ce qui est représenté par la photographie. Ainsi, si un homme est présenté au travers d’une activité qu’une femme juge « intéressante », elle peut initier la conversation autour de ce sujet. La photographie, pour prendre de la valeur dans le processus de réception, doit attiser la curiosité de la personne qui la regarde.

2. Chez les femmes

Chez les femmes, l’activité narcissique est beaucoup plus développée : ce qui semble être le plus important c’est d’apparaître sous son meilleur jour, mais surtout d’apparaître, voire de

98 Cardon Dominique, « La photo comme conversation », Actualité de la recherche en histoire visuelle, 10 septembre 2009, [ URL : http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/09/10/1051-dominique-cardon-la-photo-comme-conversation, consulté le 22/02/10 ]

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paraître, pourvu qu’on se trouve jolie. Ainsi, c’est une multitude de visages et de corps qui se figent derrière les objectifs et qui deviennent la seule justification de la photographie. De fait, ma typologie est moins variée et plusieurs catégories sont tournées vers le corps et en particulier le visage. Faire la moue, une histoire de femme Elle est inévitable. Rarement utilisée par les hommes (même si certains s’y risquent) et largement exploitée par les femmes, celle-ci est tellement banale qu’à trop avancer les lèvres certaines femmes frisent le ridicule. La moue est une mimique faciale qui consiste à amener les lèvres vers l’avant, ce qui a pour effet de creuser les joues. Je n’ai pas réussi à trouver d’où pouvait venir cette grimace pourtant très répandue chez la gente féminine. Surtout que selon une définition courante, « faire la moue » consiste à montrer son mécontentement. En effet, cette transformation du visage peut s’apparenter à la mine que l’on fait en signe de bouderie. Toutefois, je ne pouvais pas passer à côté d’un tel faciès. La plongée féminine Autre composante inévitable sur les sites de rencontre, seulement il s’agit là d’une prise de vue particulière : l’appareil photographique est placée en hauteur, de manière à créer une plongée sur la personne représentée. Ce type de photo est très largement répandue dans la communauté féminine, elle est d’ailleurs évoquée par le blog OkTrends qui souligne sa popularité auprès des hommes. Les fondateurs de OkCupid l’appellent la « photo MySpace ». Doit-on en déduire que cette pratique a pris naissance avec la représentation photographique de soi sur les réseaux sociaux ? Les avantages de ce type de prise de vue, chez les femmes, c’est qu’elle permet de mettre en valeur les formes (plus ou moins avantageuses) de ces dernières et parfois même de créer une vue imprenable sur un décolleté plongeant. Ce type de photos présente toujours des autoportraits où l’individu se prend à bout de bras. Le langage du corps Le corps féminin est un objet de fascination et de désir pour l’homme hétérosexuel (et bisexuel mais ça n’est pas notre propos), de fait, les femmes savent pertinemment que mettre en avant leurs charmes est un atout pour séduire, c’est donc sans surprise que cette séduction charnelle se retrouve dans nos photographies. D’ailleurs, lors du sondage que j’ai réalisé

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auprès des membres de sites de rencontre (voir annexes), plusieurs femmes ont répondu que le succès de leur photo venait du fait qu’elles y étaient sexy. L’exposition du corps, sur un site de rencontre a tout de même un avantage sur la vie IRL, aussi charmantes et charmeuses qu’elles puissent être, l’homme qui est derrière son écran a une liberté limité et si l’un d’entre eux se montrent trop pressant, il suffira alors de le « bloquer » (action courante sur Internet : MSN, Facebook, etc.) ou de lui faire comprendre très nettement qu’il ne nous intéresse pas. On ose beaucoup plus derrière l’écran de son ordinateur que face à une personne réelle. La liberté des hommes est encore plus réduite sur AdopteUnMec puisque seule la femme décide si un homme peut lui parler ou non, ce système permet de limiter les sollicitations indésirables ou déplacées. Toutefois, certaines femmes exhibent leurs charmes à des fins explicitement libertines, leurs photos étant accompagnées d’un pseudo ou d’une annonce qui ne porte pas à équivoque. Savoir jouer avec ses cheveux Autre grande tendance chez les femmes : la mise en situation des cheveux lors de la prise de vue. Qu’ils soient relevés avec une main ou qu’ils viennent cacher une partie du visage, les cheveux sont souvent mis à contribution. Je suis mannequin, ma photo semble sortie d’un book. Comme chez les hommes, certaines femmes semblent sorties d’un magazine de mode, à se demander d’ailleurs si la photographie représente bien la femme qui est inscrite ou si cette photo est juste celle d’une très jolie femme dont on veut exploiter la beauté afin de séduire des hommes. S’il est probable que certains clichés postés sur des profils de membres sont des photos « volées », il y a tout autant de chance que cette femme soit celle qui s’est inscrite. Le doute peut être levé si la photo mise en cause est accompagnée d’autres photos représentant la même personne d’une manière plus naturelle. Concernant la miniature illustrative de mon propos, la femme représentée possède plusieurs photos, la plupart étant de très belles prises de vues, néanmoins, le nombre donne du crédit aux photographies présentes.

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Je suis rigolote Certaines femmes n’ont pas envie de jouer sur leurs charmes pour séduire, mais sur leur humour et montrer qu’elles ne se prennent pas au sérieux. Ainsi, au lieu de vouloir paraître belle à tout prix et singer les mimiques féminines citées ci-dessus, elles vont miser sur une charmante grimace, une attitude décalée et drôle. Cette attitude participe à une entreprise de séduction, ces femmes espèrent très certainement que le décalage de leur attitude retiendra l’attention d’un homme sensible à l’humour ou à leur grain de folie. De plus, ce type de photographie offre généralement une image plus naturelle du sujet. Dans la miniature ci-contre, la femme représentée pose pour la photo mais son attitude n’a rien de comparable avec celle d’une femme se voulant séduisante. L’intérêt de la photo, le motif de la prise de vue n’est pas de se représenter mais d’assumer une situation un peu folle ou ridicule. J’aime les animaux Que ce soit un chien, un chat, un lapin ou autre rongeur qui pose avec le sujet, bon gré mal gré, sur la photo, les animaux prennent la pose dans les mises en scène féminines. Ce type de représentation est particulièrement répandu sur le site Amour-bio.com, chez les femmes bien plus que chez les hommes, même si cela se fait chez les deux sexes. Par là on entend souligner son amour pour les animaux et pour certains montrer que l’on en possède un.

3. Un appareil + un miroir = un cliché

Quel que soit le site, le sexe ou l’orientation sexuelle de la personne, la photo devant miroir est devenue un classique dans la pratique amateur. Seul bémol, elle est peu ou pas pratiquée chez les seniors et pour cause, les générations qui sont associées à cette terminologie sont moins exposées aux nouvelles technologies. Nous reviendrons sur ce point.

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La photo devant miroir peut être prise avec tout type d’appareil photographique, toutefois, à y regarder de plus près, elle est le plus souvent réalisée avec un téléphone portable doté d’un appareil photo. La rencontre entre photographie numérique et téléphone portable est une innovation technologique qui amène de nouveaux usages, ces derniers sont décrits par Carole-Anne RIVIERE dans un article paru dans la revue Société99. Si cet article brosse les principales caractéristiques de ces nouvelles pratiques, l’une d’entre elle est manifeste sur les sites de rencontre : la photographie prise devant un miroir, ce qui permet à l’individu de se voir au même moment qu’il capture son image. En dehors des sites de rencontre, cette pratique est courante, ainsi, sauf indice extérieur, je ne peux pas supposer qu’un cliché devant miroir ait été réalisé spécialement pour être posté sur le site. Plus globalement, ce type de photo va de pair avec la démocratisation de la photographie, point que nous avons déjà largement développé. Cette pratique photographique semble la plus instantanée de toute, en effet, si l’individu fixe son image c’est qu’en se regardant dans le miroir cette image lui a plu et qu’elle mérite d’être figée puis gardée en mémoire. Ainsi, il suffit de prendre son téléphone et de réaliser la photo. Le temps entre le moment où l’individu voit son image, l’apprécie et prend la photo peut être très court. Dans le cas qui nous intéresse c’est un désir de capturer de manière instantanée sa propre image. Cette pratique serait-elle à mis chemin entre Lacan et Narcisse ? Jusqu’à quel point tentons-nous d’apprivoiser et de contrôler notre image ? A noter que sur la plupart des clichés correspondant à cette catégorie, les individus fixent leur reflet au moment même où ils prennent la photo. Non seulement ils posent, mais ils se voient en train de poser et peuvent régler leur image comme bon leur semble. Le miroir permet également de pouvoir capturer l’ensemble de son corps tout en gardant l’appareil dans les mains, ce qui n’est pas possible lorsque nous réalisons un autoportrait à bout de bras.

4. Quelques cas exceptionnels qui méritent d’être soulignés

Lors de mes recherches sur mes différents terrains, il m’est parfois arrivé de tomber sur des photographies assez singulières. Leur originalité et/ou leur spécificité les rendait assez

99 RIVIERE Carole-Anne, « Téléphone mobile et photographie : les nouvelles formes de sociabilités visuelles au quotidien », Sociétés, 2006/1, n°91, p. 119-134.

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intéressantes pour les évoquer au sein de ce mémoire. Néanmoins, leur rareté ne justifie pas qu’on s’étende plus de quelques paragraphes sur le sujet. Réinterroger les limites de la photographie Que ce soit de par l’attitude du sujet ou par un signe qui vient s’ajouter dans le cadre photographique, il y a des clichés qui retiennent l’attention, plus que les autres. Or, on ne s’arrête pas sur la photo parce que l’individu représenté semble à notre goût mais parce qu’il y a dans la photo quelque chose qui arrête le regard. C’est cet élément qui attisera notre dédain ou notre curiosité et motivera une visite sur la fiche du membre en question. Humour, provocation ou volonté de faire réagir la personne spectatrice de la photographie,

encore ne faudrait-il pas saboter ses chances de séduire avec une mise en scène un peu trop spéciale. Concernant la photo ci-contre, je n’ai pas résisté à l’envie d’interroger ce membre quant aux motivations de sa photo, et donc ce à quoi il avait pensé lors de la production de celle-ci. Ce à quoi il m’a répondu :

« Je n'ai rien pensé de particulier, je voulais faire quelque chose d'original ! Je désirais qu'on me voit, mais pas trop, que ce soit humoristique, et que les connaisseurs reconnaissent l'influence de Magritte ! »

Je dois avouer toute mon ignorance concernant l’œuvre de Magritte, toutefois j’ai trouvé assez facilement ce à quoi ce membre fait référence. (Voir annexe 14) Que l’on soit averti ou pas, la photo interpelle par le faux message qu’elle essaye de faire passer. Tentatives de post-production Le mot « tentative » marque une certaine ironie de ma part, en effet, il y existe des clichés où les individus pensent bon d’ajouter de la couleur et autres signes distinctifs à leurs photos grâce à un logiciel de retouche. Dans la plupart des cas, cela n’apporte rien. Dans cette catégorie, il ne s’agit pas de tous les clichés retouchés par logiciel, mais bien de clichés où on voit distinctement qu’il y a eu modification ou ajout de la part du membre et que cette modification est trop grossière pour apporter un quelconque intérêt à la photo. Pour chaque catégorie, je me suis efforcée de piocher sur mes terrains des photos suffisamment représentatives de ce qui j’avais perçu, je voulais éviter que ce qui semble évident ne soit qu’un flou abstrait pour mon lecteur. Je suis repassée sur chacun de mes

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terrains également pour vérifier que mes typologies n’étaient pas fondées sur mon humeur de l’instant, avais-je bien vu ? Avais-je suffisamment distancié mon regard ? N’ai-je pas affirmé précédemment que toute interprétation d’une image était subjective ? Néanmoins, je crois pouvoir soumettre au lecteur, avec sincérité, ce qui m’a semblé évident sur la représentation photographique au sein des sites de rencontre. Ma dernière sous-partie s’intitule donc début de réponse, un titre qui peut paraître audacieux, n’y voyez là que l’expression du souhait qu’un jour un chercheur reprenne cette analyse et l’enrichisse, la complète ou la remette complètement en question. Le terreau est fertile, il n’y a plus qu’à le travailler pour en extraire toute sa richesse.

Troisième partie – Mise en scène de soi par la photographie

C. Début de réponse

1. Les usages de la photo selon les générations

« La photographie (…) a modifié notre manière d’observer les individus qui nous entourent, il semble également qu’elle intervient dans notre propre comportement quotidien, révélant en particulier, plus encore que la peinture l’a fait, le rôle de l’image que nous nous donnons de nous-mêmes, « travaillant » notre conscience de cette image. 100»

Lors de mes recherches, je ne mis pas longtemps avant de constater qu’il y avait une vraie différence entre les générations concernant les mises en scène de soi par la photographie. Cette différence générationnelle tient naturellement du fait que les jeunes générations ont grandi avec les médias de masse et sont très sensibles aux nouvelles technologies, bien plus que leurs parents et leurs grands parents. Si ma première partie revient si longuement sur l’histoire et la démocratisation de la photographie, c’est précisément parce que la photo amateur est le reflet de cette évolution. Cette différence est particulièrement visible lorsque l’on compare les terrains entre eux. Chez les seniors, la photo se veut simple : pas de moue taquine chez les femmes, pas d’exhibition, pas de photo devant miroir, pas de lumière rajoutée ou autre fantaisie. Nous sommes face soit à des photos d’identité qui ont été scannées, soit à des photos qui semblent avoir été prises dans un contexte particulier et enfin, dans certains des photos qui semblent prise avec un appareillage plus modeste : téléphone portable ou webcam. Les individus sont très naturels, les visages sont souriants ou neutres. Chez les seniors également, peu de clichés qui semblent être des autoportraits. Il n’y a pas de production photographique faite spécialement pour être exposée sur Internet et quand bien même, sur les deux sites dédiés aux seniors de mon terrain, l’affichage des photos est assez médiocre. Par exemple sur Belle vie à deux, par défaut chaque photographie est retaillée en une petite miniature de mauvaise qualité avec le nom du site en bas à droite. (Voir annexe 15) En revanche, chez les adolescents, la mise en scène par la photographie semble particulièrement travaillée. Une impression qui est confirmée par les enquêtes faites sur ce sujet. Récemment, un sujet diffusé sur France 2 avait pour thème l’exhibition des adolescents sur Internet, montrant que c’est une « génération qui vit à travers les images », une affirmation soutenue par Françoise JOLY (journaliste française pour France Télévisions) :

100 BAURET Gabriel, Approches de la photographie, Paris, Armand Colin, 2004, 128 p.

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« La majorité des ados maîtrise très bien leur image, car c'est une génération élevée dans le visuel 101»

De plus, les chiffres sur leurs utilisations et leur maîtrise des nouvelles technologies sont éloquents. Une enquête du CREDOC102 datant de 2004 révélait déjà à l’époque une immersion de 12-17 ans dans les nouvelles technologies : ainsi, 93% d’entre eux étaient familiarisés avec un micro-ordinateur, 87% avec Internet et 63% disposaient d’un téléphone mobile103. Vue à la vitesse où vont les choses, il n’est pas dur de penser que les chiffres obtenus à ce moment là sont encore plus impressionnants aujourd’hui. Il me fut toutefois impossible de trouver une source fiable pour avoir des chiffres mis à jour. Ce qu’il est intéressant de constater, c’est que par une simple observation des sites de rencontre, qu’ils soient grand public, pour les seniors ou à destination des adolescents, je pus constater assez vite une mise en scène plus poussée de ces derniers et ainsi conclure à une réelle évolution des usages selon les générations. La consultation d’articles sur le sujet conforte mon idée. Que trouve-t-on chez les ados de si particulier ? Bien sûr, on retrouve les mêmes grandes catégories de représentations énumérées chez les adultes : les garçons affichent volontiers leurs activités, certains sont très portés sur leur physique et le mettent en avant ; les filles sont très portées sur elles-mêmes et on retrouve sans difficultés notre moue boudeuse104. La première chose à noter, c’est que les photos postées sont majoritairement des autoportraits, peu importe le type d’appareil, les adolescents se prennent en photo et contrôlent ainsi leur image, de manière plus accrue. Il n’est pas un seul cliché qui soit pris au hasard : que ce soit lors de la prise de vue ou le choix de la photo qui sera posté sur le site. Deuxième remarque : la photo-miroir est beaucoup plus présente que chez les adultes. Troisième remarque : la retouche numérique est très courante, quelque soit la forme qu’elle prend. Que ce soit l’introduction d’un texte particulier, l’augmentation de la saturation des couleurs ou des retouches partielles sur ou/et autour du sujet. La retouche photographique participe au processus de mise en scène, Stephanie KAIM (journaliste qui avait consacré un reportage sur l’exhibition des jeunes sur Internet en 2006) dit sur ce sujet :

« Les ados maîtrisent parfaitement les logiciels d’images tels que Photoshop, et leur but est de se mettre en scène, sous leur meilleur jour. Ils existent dans la vie et sur Internet. 105»

101 COFFIN Alice, « Les adolescents posent et s’exposent sur Internet », 20 minutes.fr, 07 janvier 2010, http://www.20minutes.fr/article/374608/Media-Les-adolescents-posent-et-s-exposent-sur-Internet.php [consulté le 10/05/10] 102 Credoc : Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie. 103 Internet et les nouvelles technologies, les ados pris dans la Toile ? http://www.credoc.fr/pdf/4p/172.pdf 104 Voir annexes. 105 COFFIN Alice, « Les adolescents posent et s’exposent sur Internet », … op.cit.

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Au jour des photographies que j’ai trouvées sur les sites de rencontre pour ados, je ne peux pas infirmer ce que dit cette journaliste mais juste apporter une nuance : tous ne maîtrisent peut-être pas Photoshop, mais la plupart utilisent et abusent des logiciels de retouche photographique afin de construire leur identité virtuelle. Enfin, la mise en scène dans le cadre photographique (sans considérer la retouche numérique mais seulement par ce qui est représenté par la photo) est parfois déroutante parce que très poussée. Selon le professeur et psychiatre infanto-juvénile, Jean-Yves HAYEZ, au sujet de l’identité des adolescents et Internet, le média participe à une recherche et une reconstruction de l’identité chez les ados :

« [L’adolescent] aime jouer avec des parties différentes de son soi, les palper et les délimiter, les goûter, rêver un peu… et aussi observer comment les autres y réagissent. 106»

Ainsi, peut-on aborder la photographie sur les sites de rencontre de la même manière chez les adultes et chez les adolescents ? Alors qu’il semble que les ados y laissent quelque chose de plus important que les générations précédentes. Ils investissent un peu d’eux-mêmes, ou un peu de ce qu’ils voudraient être. Entre la mise en scène de chacun, le nombre de photos retouchées et l’espoir que placent certains membres dans leur recherche de l’âme sœur, on est en droit de s’interroger sur la valeur des photographies sur les sites de rencontre. Si l’indicialité de la photo a participé à son succès, aujourd’hui le numérique permet à chacun de modifier ses photos. Que doit-on penser des clichés que nous croisons alors ? Quelle est leur part de vraie sur la personne qui y est représentée ?

2. Entre photos retouchées et indicialité : l’ère du numérique

La retouche photographique est désormais accessible à toute personne possédant un ordinateur et toute personne capable de transférer les photos qu’il a prises sur celui-ci. Les logiciels sont nombreux, certains sont totalement gratuits et facile à utiliser. Notre perception de la retouche numérique n’est pas la même qu’à ses débuts, aujourd’hui elle ne choque plus personne, c’est une pratique courante. Au sein d’une de mes références bibliographiques, j’ai

106 HAYEZ Jean-Yves, « Identité des adolescents et Internet », Identités, Printemps-Eté 2008, N°20, en ligne : http://www.reliures.org/dossiers/20/m-Identit%E9%20des%20adolescents%20et%20Internet.pdf [consulté le 10/05/10]

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même appris qu’au Japon, les traditionnelles cabines de photomaton étaient remplacées par des structures comprenant trois pièces : la première sert à se maquiller et à se déguiser, la deuxième à prendre une photo, et enfin la troisième à retoucher la photo que vous venez de prendre pour la mettre à votre goût107. De cette manière, la personne obtient une photo totalement personnalisée mais que reste t-il de notre « moi » profond après tant de modifications ? La photographie ci-contre a été trouvée sur le site AdopteUnMec. L’image est remarquable et pourtant elle est rangée dans la catégorie des photographies amateurs. De part le cadrage très serré et les retouches effectuées sur le visage, rien ne nous informe sur l’identité du sujet, qui en l’occurrence est une femme. Comment pourrions-nous la juger ? On ne saurait même pas la reconnaître dans la rue si nous la croisions. Juger une personne par le biais de sa photo c’est accepter de se tromper. On peut tout imaginer à l’aide d’une photographie, que ce soit à l’aide de la personne que nous voyons, de par son regard, son allure ou encore le décor dans lequel cette personne pose. Tout est sujet à interprétation mais toute interprétation a des chances pour être erronée. Ajouter à cela, il n’y a plus aucune honte à retoucher ses photos, c’est même pratique courante chez les plus jeunes. Partant de ces deux principes, sur quoi est-on censé se baser pour savoir si potentiellement une personne peut nous plaire ou non ? C’est à ce moment là que je repensais aux Portraits décalés de MEYER (photographe appartenant au collectif Tendance Floue108). Le principe de ses portraits était de demander à la future personne photographiée de choisir un décor dans lequel elle souhaitait apparaître.

« Dans le « Studio Numérique Ambulant », une petite case de toile bariolée installée dès le matin dans leurs quartiers, les futurs portraiturés choisissent dans un catalogue les images sur lesquelles leurs photos seront collées. Chaque sujet est ensuite photographié une dizaine de fois sur un fond blanc. Le travail sur ordinateur peut débuter, choix du portrait, découpage, collage, insertion dans un diaporama… 109»

Les photos issues de cette expérience sont très intéressantes. Ce que je cherche à faire apparaître ici, c’est que dans toute photographie, dès lors qu’il y a intervention du sujet

107 TISSERON Serge, « Le corps et les écrans. Toute image est portée par le désir d’une hallucination qui devienne réelle », Champ Psychosomatique, 2008/4, n°52, p. 47-57. 108 Site du collectif Tendance Floue, http://www.tendancefloue.net 109 Site du CNA, VIIes Rencontres Africaines de la Photographie, Portraits Décalés, URL : http://www.c-n-a.org/rencontres.htm

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photographié, que ce soit par sa présence ou d’un choix qu’elle aura fait, il y a une part de vérité, une part de la personne. Ainsi, sur nos terrains, les retouches numériques qui pourraient remettre en cause la valeur de la photographie ne devraient-elles pas être ressenties, au contraire, comme révélatrices du sujet ? Tout dispositif de mise en scène du sujet nous informe sur la personnalité de ce dernier. A condition que le sujet n’en devienne pas méconnaissable, pourquoi ne laisserait-on pas chacun s’exprimer et se mettre en scène par la photographie ? En effet, ça n’est pas toujours le cas sur les sites de rencontre. Certains d’entre eux exigent de leurs membres un certain type de photos, des exigences qui répondent à une qualité de service assurée par le site. Des modérateurs valident ou non toutes les photographies soumises par les membres. Ce formatage est-il vraiment nécessaire et bénéfique ?

3. Trop de modération tue la photo

Meetic, leader européen du marché, avec ses 844 000 abonnés (communication officielle du groupe, les abonnés étant les membres ayant payés un abonnement) a une image de marque à respecter. Le site se veut sérieux et offre une qualité de service supérieure à un site gratuit tel que MeetCrunch. La modération y est omniprésente, que ce soit lors de la soumission de votre annonce texte ou d’une photo, il faudra patienter le temps qu’un modérateur les valide. Concernant les photos, les principes de modération sont stricts, surtout pour la photo principale. La photographie doit permettre d’identifier clairement le sujet, ainsi : elle doit être cadrée sur le visage du sujet, représenter une personne seule, avec un bon éclairage et aucune retouche. Plongée et contre-plongée sont bannies, toutes poses indécentes également, ainsi que toute photo provenant d’un book ou réalisée par un professionnel. En clair, on vous demande une photo de bonne qualité, cadrée sur votre visage, sans aucun effet. C’est donc sans surprise que toutes les miniatures sur Meetic, chez les hommes comme chez les femmes ont l’air de se ressembler. C’est un véritable formatage photographique où vous êtes forcés de faire un choix parmi des centaines de visages mis les uns à côté des autres, à la suite d’une recherche. À ce système de modération je veux opposer celui du site AdopteUnMec, le nouveau venu qui ne cesse de monter depuis un peu plus de deux ans et qui compte aujourd’hui 4 millions d’inscrits110. La modération est bien plus permissive, le site nous informe seulement que les photos doivent obligatoirement représenter le membre, et que toute photo topless ou dénudée

110 Article sur le blog de Oliver Brinkz, « 1,7 million d’euros de chiffre d’affaire pour Adopte Un Mec », 04 avril 2010, http://blog.brinkz.com/17-million-d’euros-de-chiffre-daffaires-pour-adopte-un-mec [consulté le 11/10/10]

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voire à caractère sexuel seront supprimées. En pratique, c’est un peu plus subtil. Lorsqu’un membre charge une photo, celle-ci est affichée immédiatement, c’est-à-dire que même si cette photo transgresse les règles de modération, il faudra attendre qu’un modérateur le voie. Ensuite parce qu’il arrive très fréquemment de croiser des photos à la limite de la décence. Pourtant, cette liberté offerte aux membres de poster plus ou moins ce qu’ils veulent est très intéressante : chaque membre peut être représenté par une photo à son image, et non pas seulement par son visage. Si la photo d’un individu peut être l’expression de sa personnalité ou d’un peu de lui-même alors AdopteUnMec permet à ses membres d’être eux-mêmes et d’exprimer leur personnalité, ce que ne permet pas Meetic. La photographie amateur, qu’elle soit de bonne ou mauvaise qualité, permet à n’importe qui de représenter ce qu’il pense ou veut être, de séduire avec ce qu’il pense être le plus séduisant chez lui, de mettre en avant ses passions, ses envies voire même ses attentes. Ces photos amateurs sont un corpus varié et riche. Une modération trop exigeante affaiblit ce corpus, contraint les membres et gomme la personnalité de chacun. A mon sens et suite à tout ce que j’ai écris durant plus de soixante pages, il est plus facile de se faire une idée par la photographie d’un membre sur AdopteUnMec que sur Meetic. Si je ne parle pas de MeetCrunch c’est que le matériau photographique est plus pauvre, en effet, une modération inexistante laisse les membres poster ce qu’ils veulent, c’est ainsi que parmi des photos, nous retrouvons des dessins, des célébrités… Tout et n’importe quoi en somme. De fait, si j’ai pu établir des typologies et si la photographie amateur m’a tant interpellée, c’est en observant les champs de force de celle-ci sur AdopteUnMec, qui fut un de mes terrains privilégiés. Voilà pourquoi je rejoins l’idée de cette citation, extraite de World Wild Women, ou le net au féminin111,

« La rencontre, via Internet, finalement n’en est qu’à ses débuts. Il y manque, sûrement encore, des espaces de rencontre plus originaux, plus complexes, plus humains, plus sociaux, plus réels, des rubriques plus précises, plus osées, plus amusantes, plus libres, moins lisses, moins catégoriques et plus caractérielles.112 »

En effet, si les sites payants proposent des sites de qualité et mieux tenus que les sites gratuits (si tel n’était pas le cas, Meetic et autres auraient déjà mis la clé sous la porte), une modération moins rigide sur les photographies serait judicieuse, pour permettre à chaque membre de s’exprimer par la photo, dans des limites raisonnables bien entendu, par exemple interdire toute représentation à caractère sexuel ou pornographique. C’est par la photo que les membres auront l’air plus réels, plus humains et plus caractériels. Comment exprimer son caractère avec une miniature en cadrage serré sur le visage ? Comment faire preuve d’originalité pour se démarquer des autres si on ne nous en donne pas l’occasion ? 111 CAUSSANEL Marie-Laure, CHATELAIN Yannick, World Wild Women, ou le net au féminin, Paris, L’Harmattan, 2007, 198 p. 112 Ibid.

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Le secteur des sites de rencontre, et même, voire surtout, ceux qui proposent des services sérieux et payant, doivent revoir leur politique sur les photos. On pourrait objecter que, parce que ce sont des sites de rencontre, chacun doit se montrer sans artifices ? Certes, prenons un exemple. Un membre, deux possibilités

A gauche, la photo principale d’un membre sur AdopteUnMec. A droite, une autre photo du même membre que j’ai pris la liberté de recadrer de la même manière que la modération de Meetic. Précisons tout de suite que le premier cliché n’aurait jamais été validé comme photo principale sur Meetic, en effet, l’individu porte des lunettes de natation qui cache plus ou moins ses yeux. La seconde en revanche permet de bien distinguer son visage. La première photographie peut me suggérer plein de choses, mais surtout, elle va attirer mon attention. Je serai tentée de cliquer pour découvrir son profil, découvrir d’autres photos. Je vais supposer que cet homme n’aime pas se prendre au sérieux, donc qu’il a de l’humour et peut-être allait-il à une soirée mousse ? Peut-être aime-t-il la natation ? Que fait-il donc avec ces drôles de lunettes sur les yeux ? Il est probable que toutes ces questions provoquent l’envie de lui écrire, juste pour demander. Pour lui ce sera toujours un premier contact établi. Puis, il y a le deuxième cliché… et le même homme a juste l’air bien habillé et sympathique. Le grain de folie qui émane du premier cliché n’est pas sur la deuxième photo. Personnellement, pour toutes les interrogations qu’amène la première photo, je préfère celle-ci. La deuxième est trop lisse, elle ne dégage aucune essence particulière.

4. Qu’est-ce qu’une bonne photo ?

Finalement tout l’enjeu consiste à trouver pour chacun une photo principale qui favorise l’interaction avec ce qu’il est venu chercher, sachant que le contexte est particulier et la recherche toute aussi spéciale. Une bonne photo c’est une photo qui interpelle le membre qui la regarde, donc une photo qui retient son attention. Pour bien faire, il faut changer sa photo principale plusieurs fois et

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observer le nombre de visites qu’on reçoit avec tel ou tel cliché. La photo doit capter un regard, l’effet doit être instantané parce que sur ce type de sites, les membres se comportent comme dans un supermarché113 : on regarde si le produit nous plaît, si ça n’est pas le cas, on passe au suivant. Retenir l’attention peut se faire de deux façons. Il y a tout d’abord un facteur imprévisible qui dépend peu de nous : on plaît ou on ne plaît pas. La mise en beauté peut être soignée, certains membres vont vous trouver à leur goût et d’autres non. Il y a aussi des personnes qui ne sont pas franchement gâtées par la nature et dont la beauté ne transcendera pas l’écran, que celles-ci se réjouissent, il suffit d’avoir un peu d’imagination, de cadrer avantageusement sa photo et ils auront toutes leurs chances. Un des membres qui a répondu au sondage a parlé de « l’originalité de la photo 114» et c’est à juste titre. Avec un peu d’imagination, le champ de la photographie peut être un terrain d’expérimentation dans lequel chacun peut transgresser les règles d’une représentation ordinaire, celle de type « photo d’identité ». Qu’est-ce qu’une bonne photo donc ? Plusieurs femmes ont répondu que les photos qui ont le plus de succès sont celles où elles sont « sexy » : tenue légère, petite robe de soirée, décolleté plongeant… Il faut savoir « se mettre en valeur ». Après avoir beaucoup lu sur la photographie, sur le corps et les écrans, sur la représentation de soi, notre rapport à l’image et regardé des centaines de photos sur divers sites de rencontre, j’en suis venue à une conclusion simple : une bonne photo c’est celle qui va donner envie à l’autre de vous y rejoindre. Peu importe la méthode, il faut susciter l’envie, il faut faire naître chez l’autre le désir de venir dans la photo. Tant que cette personne aura envie de vous y rejoindre, cette personne aura envie de vous rencontrer.

113 Chaulet Johann, « Sélection, appariement et modes d’engagement dans les sites de mise en relation », Réseaux, 2009/2, N°154, pp. 131-164. 114 Voir annexes

Conclusion

Conclusion La photographie amateur sur les sites de rencontre, peu importe son contexte de production, sa qualité esthétique ou encore sa résolution, est devenue le porte-parole visuel du membre venu chercher l’âme sœur sur Internet. Adieu célibat, je veux tomber amoureux, mes yeux sont en alerte devant mon écran, je regarde avidement ce que la recherche avancée me propose… Celle-ci a du charme mais… Celle-ci n’est pas terrible, je zappe. Oh, tiens celle-ci me plaît bien, je vais aller voir sa fiche. « 1m60, 68 kilos » Tiens, on ne croirait pas en regardant sa photo. Finalement, je ne suis plus si sûr, je vais refaire une recherche, pour voir. Elle doit sûrement se trouver là, quelque part, celle qui me fera craquer… Analyser les enjeux de l’image, dans toute leurs complexités, permet de saisir à quel point celle-ci peut être trompeuse. Or, des individus sont prêts à payer jusqu’à soixante euros par mois les services d’un site qui leur promet de mettre fin à leur solitude. La plupart des sites de rencontre semblent avoir mesuré l’importance de l’image dans le cadre d’un échange médié par ordinateur. Sur Meetic, la plateforme vous rappellera à chacune de vos connexions que vous n’avez pas téléchargé de photo sur votre profil (si tel est le cas) et que cela joue en votre défaveur. Sur Rezog, chaque élément complété vous rapporte des points et tant qu’un minimum n’a pas été obtenu, vous serez limités pour contacter d’autres membres. De toute manière, inutile de lutter, sur la plupart des sites (pour ne pas dire tous) ne pas jouer le jeu de la photo vous condamne à l’ignorance des autres membres. Ensuite, libre à chacun de se mettre en scène comme il le souhaite, pourvu que le site valide la photographie. Le problème des sites de rencontre, fondamentalement, c’est qu’ils entrent dans le cadre d’une recherche spécifique. Lorsqu’un membre s’inscrit sur un site de rencontre et prend l’initiative d’écrire à un autre membre, il espère ne pas avoir été trompé par la photographie de ce dernier. Chacun veut pouvoir se faire une idée et on est en droit d’espérer que le visage qui a retenu son attention n’est pas que le résultat d’un cadrage avantageux. Or, lorsqu’une personne pousse sa mise en scène jusqu’à obtenir en image une personne différente de celle qu’elle est en réalité, cela a des chances d’aboutir à une forte déception le jour de la rencontre. Se mettre en scène est une chose, pourvu qu’il y ait une part de vérité. Il vaut mieux caricaturer ses traits que s’en inventer d’autres. Construire un personnage qui n’est pas soi n’a aucun intérêt dans le cadre de la rencontre en ligne, tôt ou tard le masque doit tomber, le jour de la rencontre réelle on ne pourra plus se cacher derrière son écran et quelques photos.

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Conclusion

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Toutes les investigations menées sur mes terrains m’ont permise de développer un certain sens de l’observation. Je ne regarde plus les gens que je croise dans la rue de la même manière. Les adolescents en particuliers. Travailler sur la place grandissante de l’image dans la société et le rapport que les générations après la mienne entretiennent avec elle, a attisé ma curiosité. Le terrain ne me suffisait plus, il fallait que je confronte mes hypothèses à la réalité. Je ne suis pas sociologue, seulement très observatrice et il me semble justifié de croire que les adolescents d’aujourd’hui font très attention à leur image : garçons comme filles sont très soucieux de leur apparence physique et de leur look vestimentaire. C’est une tendance générale. Le développement des technologies numériques et la démocratisation de la photographie ont joué un rôle majeur dans le développement identitaire de chacun par l’image, or cette identité ne repose que sur une production superficielle de soi. Il serait plus judicieux de passer plus de temps à développer notre identité profonde et notre façon de penser, plutôt que notre apparence physique. La beauté n’est qu’éphémère, alors que tout ce qu’un individu aura acquis par l’intellect ne pourra jamais être dérobé, ni par le temps, ni par un tiers. A mon sens, il est bien plus sage de spéculer sur des capacités intellectuelles que des mensurations physiques. En d’autres termes, si j’ai choisi de travailler sur la mise en scène de soi par la photographie, c’était également pour dénoncer cette primauté des apparences. Je ne suis pas de celles qui acceptent d’être belles et de se taire. Pour revenir sur les sites de rencontre, beaucoup de possibilités d’évolution peuvent être imaginées dans le futur concernant ce type de plateformes. Les prochains sites qui arriveront sur le marché devront de toute manière amener avec eux une idée ou un concept original pour espérer rencontrer du succès. Voilà la seule carte à jouer face à des géants comme Meetic ou Match. Concernant la photo sur les sites de rencontre, nous pourrions imaginer, à l’instar des photomatons japonais, la possibilité de retoucher sa photo directement sur le site, après l’avoir téléchargée, grâce à un outil en ligne. Il faudra forcément renouveler le genre, tôt ou tard, la photo seule ne suffira plus. Espérons juste que l’image ne prenne pas le pas sur la réalité et que chacun puisse toujours s’y reconnaître.

Table des matières

Introduction .............................................................................................................................. 1 

I.  La montée en puissance de la photographie dans la société ..................... 6 A.  Naissance et développement de la photographie .................................................... 6 

1.  Historique ................................................................................................................. 6 2.  Une photographie longtemps déterminée par sa fonction familiale ........................ 8 3.  L’arrivée du numérique entraine l’apparition de nouveaux usages ....................... 10 

B.  Toute photographie est une image ......................................................................... 12 1.  L’image : rappel des principes fondamentaux ....................................................... 12 2.  L’image et le corps ................................................................................................. 13 3.  Toute photographie transforme le sujet en objet .................................................... 15 

C.  Lorsque la photographie rencontre les médias de masse ..................................... 16 1.  Une société de l’image ........................................................................................... 16 2.  Le succès de la photographie sur Internet .............................................................. 18 3.  Les limites de la photographie ............................................................................... 19 

II.  La photographie amateur dans les sites de rencontre ............................ 21 A.  Le phénomène des sites de rencontre sur Internet ............................................... 21 

1.  Définition et historique .......................................................................................... 21 2.  Succès et Déclinaison ............................................................................................ 23 3.  Choix des terrains de recherche ............................................................................. 25 

B.  Importance de la photographie .............................................................................. 27 1.  La photo est l’élément primordial du profil ........................................................... 28 2.  L’image comme outil d’interaction ....................................................................... 30 3.  Un palliatif au corps absent, terrain de tous les fantasmes .................................... 33 

C.  Le degré d’intimité de la photo .............................................................................. 35 1.  La photo en contexte .............................................................................................. 36 2.  La photo pour les amis ........................................................................................... 37 3.  La photo prise pour le site ...................................................................................... 39 

III.  Mise en scène de soi par la photographie .............................................. 41 A.  La place du corps dans le cadre photographique ................................................. 43 

1.  L’importance du corps ........................................................................................... 43 2.  Hommes et femmes : le triomphe des apparences ................................................. 44 3.  Primauté des visages .............................................................................................. 45 4.  L’importance du regard .......................................................................................... 47 5.  L’exhibition du corps ou au contraire la fuite de l’objectif ................................... 49 

B.  Les grandes tendances photographiques ............................................................... 50 1.  Chez les hommes ................................................................................................... 52 

2.  Chez les femmes .................................................................................................... 55 3.  Un appareil + un miroir = un cliché ....................................................................... 58 4.  Quelques cas exceptionnels qui méritent d’être soulignés .................................... 59 

C.  Début de réponse ..................................................................................................... 62 1.  Les usages de la photo selon les générations ......................................................... 62 2.  Entre photos retouchées et indicialité : l’ère du numérique ................................... 64 3.  Trop de modération tue la photo ............................................................................ 66 4.  Qu’est-ce qu’une bonne photo ? ............................................................................ 68 

Conclusion ............................................................................................................................... 70 Table des annexes ................................................................................................................... 74 Annexes ................................................................................................................................... 75 Bibliographie ........................................................................................................................... 97 

Table des annexes 1 – Chronologie des sites de rencontre 2 – Visibilité de la photographie principale d’un membre 3 – Itinéraire type conduisant un(e) célibataire à contacter une partenaire potentiel sur Meetic 4 – La photo en contexte 5 – La photo pour les amis 6 – La photo prise pour le site 7 – Statistiques d’OkTrends 8 – L’importance du regard 9 – Exhibition du corps ou au contraire fuite de l’objectif 10 – Tendances photographiques chez les hommes 11 – Tendances photographiques chez les femmes 12 – Un appareil + un miroir = un cliché 13 – Cas particuliers 14 – Les usages de la photo selon les générations 15 – Sondage réalisé dans le cadre du mémoire

Annexes 1 – Chronologie des sites de rencontre

2 – Visibilité de la photographie principale d’un membre 2.1 – Page d’accueil du site AdopteUnMec (pour un membre identifié)

2.2 – Moteur de recherche sur le site Meetic

3. Itinéraire type conduisant un(e) célibataire à contacter un(e) partenaire potentiel(le) sur Meetic

4 – La photo en contexte

4.1 – Le cas particulier d’Amours Bio

5 – La photo pour les amis

6 – La photo prise pour le site

7 – Statistiques de OkTrends 7.1 – L’effet de l’attitude faciale chez les femmes

7.2 – L’effet de l’attitude faciale chez les hommes

8 – L’importance du regard 8.1 – Individu fixant l’objectif

Alors que le premier regard semble surpris, de par l’ouverture des yeux, le second tente de nous charmer. Les femmes, plus que les hommes, flirtent volontiers avec l’objectif. 8.2 – Regards fuyants

Le regard et l’esprit de ces deux personnes sont portés au-delà du cadre photographique. 8.3 – Mise en scène du regard

Les deux photos sont des autoportraits, ces deux individus ont choisi de pas regarder l’objectif.

9 – L’exhibition du corps ou au contraire la fuite de l’objectif 9.1 – Le corps dévoilé par les vêtements

9.2 – L’exhibition sur Rezog.com

9.3 – Fuite de l’objectif

La demoiselle sur la photo de gauche n’a posté que cette photo d’elle, sur laquelle on devine qu’elle a intentionnellement caché son visage. La femme sur la photo de droite n’a sur sa fiche que des photos très suggestives sans jamais faire apparaître son visage.

10 – Tendances photographique chez les hommes 10.1 – Je montre mes muscles

10.2 – Je fais de la musique

La flute a tout de même quelque chose de moins attirant que la guitare. 10.3 – Je suis photographe (même amateur)

10.4 – Je suis sportif

10.5 – J’aime les enfants

10.6 – Regarde ma belle voiture/moto

L’absence de casque est un indice précieux sur l’intentionnalité de la photographie.

10.7 – Je suis mannequin et ma photo semble sortie d’un book

L’individu sur la photo de droite déclare être mannequin dans l’annonce texte de sa fiche. 10.8 –La contre-plongée masculine

10.9 – Mise en avant de la catégorie socio-professionnelle

11 – Tendances photographiques chez les femmes 11.1 – Faire la moue, une histoire de femme

11.2 – La plongée féminine

Appelée également « the MySpace shot », cette forme de prise de vue serait celle à privilégier pour une femme sur un site de rencontre.

11.3 – Le langage du corps

11.4 – Savoir jouer avec ses cheveux

11.5 – Je suis mannequin et ma photo semble sortie d’un book

Alors que la première jeune femme a posté plusieurs photos d’elle, le nombre pouvant écarter l’hypothèse d’une photographie volée ou non représentative, la deuxième, ici à droite, n’a qu’un cliché sur son profil et la qualité de l’image tout comme les traits du visage nous laissent facilement sceptiques.

11.6 – Je suis rigolote

11.7 – J’aime les animaux

12 – Un appareil + un miroir = un cliché

La jeune fille sur la photo du milieu est dans une cabine d’essayage et porte sur elle une robe dont on distingue l’étiquette de prix. Cela confirme le caractère « instantané » de la prise de vue. La jeune fille sur la photo de droite semble apprêtée, aucun indice ne peut nous affirmer que ce soit spécialement pour la photo. 13 – Cas particuliers 13.1– Réinterroger les limites de la photographie

Le pseudo de l’individu sur la photo de droite est « Else », on peut donc en déduire qu’il y a un travail de mise en scène qui est fait afin de faire réagir les jeunes femmes. Ce cliché est extrait du site AdopteUnMec, lequel est assez permissif dans sa modération pour ne pas supprimer ce type de cliché. Une telle mise en scène aurait été impossible sur un site comme Meetic.

« L’influence de Magritte ! »

13.2 – Tentatives de post-productions

14 – Les usages de la photo selon les générations 14.1 – les seniors 14.1.1 – Résultat d’une recherche sur Belle vie à 2

14.1.2 – Résultat d’une recherche sur SeniorRencontre

14.2 – les adolescents

14.2.1– La place de l’autoportrait

14.2.2 – Un appareil + un miroir = un cliché

14.2.3 – La retouche numérique

14.2.4 – La question de l’identité

15 – Sondage réalisé dans le cadre du mémoire Compte rendu du sondage, mené du 28 avril au 1er mai. Sondage envoyé à des membres des sites de rencontre suivant : Meetic, AdopteUnMec, MeetCrunch, Rezog, Mytilene. Nombre de participants :

Hommes 31 Femmes 27 Total 58 Age des participants :

Âge minimum 19 Age maximum 52 Moyenne 30,7 Orientation sexuelle des participants :

Hétérosexuels 41 Homosexuels 13 Bisexuels 4 Sites sur lesquels ils sont inscrits :

Meetic 9 AdopteUnMec 18 MeetCrunch 14 Autres 17 Pourquoi sont-ils inscrits ?

• Par curiosité • Pour trouver l’âme-sœur, faire des rencontres • Passer le temps • Pour les homosexuels, c’est un moyen simple de se « trouver ». • Après une rupture

Combien de temps pour charger la première photo sur le profil après inscription ?

5 secondes 16 5 minutes 27 Un peu plus de temps… 15

Combien de fois ont-ils changé leur photo principale ?

0 9 1 14 Parfois 27 Souvent 8 « Avez-vous déjà pris une photo de votre personne spécialement pour la poster sur un site de rencontre ? »

Oui 32 Non 26 « Avez-vous remarqué si votre photo principale a une influence sur votre popularité auprès des autres membres ? »

Oui 49 Non 5 Ne sais pas 3 Cela dépend 1 Précisions …

• une photo plus claire (meilleure luminosité) • « Bien sur que oui, il faut jouer sur la photo de profil pour donner une bonne première

impression à la personne qui va regarder votre profil. La photo de profil est la plus importante »

• « Oui, plus de visites, notamment dans les jours suivant le changement... » • « On m'a fait remarquer que je n'adoptais pas une attitude ouverte et engageante sur

ma photo et que cela pourrait être un frein pour les personnes sur le site. » • « Oui, une photo où l'on voit plus son visage ou qui nous met plus en valeur nous rend

plus populaire. » • (une femme) « Si la photo est agréable ou coquine le nombre de visites est

exponentiel » • « Les informations textuelles du profil ne jouent pas du tout, seule la photo a une

réelle influence et détermine l'affluence ou non sur le profil. »

Il y a certainement une photo sur votre fiche qui rencontre plus de succès que les autres, à votre avis, pour quelle(s) raison(s) ?

• « Peut être l'originalité de la photo. Une photo reflète beaucoup de choses, voir même raconte une histoire. L'habit, être souriant ou pas, peut donner une idée du caractère... »

• Plus naturelle • « parce que je suis sexy » (plusieurs femmes ont donné cette réponse) • « Ah bah oui, forcément les photos où nous sommes en débardeur, tenue d'été ou de

soirées, il leur en faut peu aux mecs... » • « une photo qui met plus en valeur par rapport a d'autres il y en a certainement, peut-

être parce que le style vestimentaire est différent. mais le mieux je pense est de mettre plusieurs photos ce qui permettra à la personne qui va voir le profil de se faire une réelle idée de la personne »

• « éclairage, posture, sourire, regard » • « oui il y en a une sur laquelle mon décolleté est un peu plus prononcé » • « non .... pour moi une photo est l'image à l'instant T selon un certain angle et

luminosité .... l'important est l'intensité des yeux, du regard ..... une belle photo n'est que rarement synonyme d'une belle personne .... et on est toujours déçu lors de la rencontre »

• les yeux, la tenue (chez les femmes), musculature (chez les hommes) • « Elle correspond le plus aux standards édictés par les magazines de mode »

Bibliographie

1) Photographie

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2) Image

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3) Représentation du corps/Portrait/Autoportrait

Ouvrages EWING William A., Faire Faces : Le nouveau portrait photographique, Paris, Actes Sud, 2006, 240 p. LECONTE Bernard, L’image et le corps : propos sur la représentation image du corps dans les mass-médias, Paris, L’Harmattan, 2004, 214 p. MARTIN-JUCHAT Fabienne, Le corps et les médias : la chair éprouvée par les médias et les espaces sociaux, Paris, DeBoeck, 2008, 150 p. VIGARELLO Georges, Histoire de la beauté : le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Seuil, 2004, 346 p.

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4) Sites de rencontre

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Le XXe siècle est celui de la démocratisation de la photographie mais également celui qui a vu naître Internet au début des années 1990. Grâce aux technologies numériques et à la traduction de l'image en langage binaire, celle-ci s'échange sur la toile, se montre et devient un véritable outil communicationnel entre les personnes. C'est cette communication interpersonnelle par la photographie que l'on retrouve sur les sites de rencontre. Apparus au milieu des années 90, les sites de rencontre sont aujourd'hui un véritable phénomène de société mais surtout le terrain d'une mise en scène de soi, exigée par l'importance de la photographie principale sur la fiche des membres. La production d'images se met alors au service de la quête du célibataire, il peut se montrer tel qu'il le souhaite, quitte à creuser l'écart entre la réalité et le monde virtuel. Les mises en scène sont nombreuses et différentes selon le sexe, l'orientation sexuelle et l'âge des individus. L'exploration d'un terrain, aussi particulier soit-il, permet d'observer les grandes tendances photographiques mais surtout l'évolution des pratiques selon les générations. Sur Internet, les apparences, pourtant souvent trompeuses, ont pris une place trop importante pour être négligées. Mots-clés : photographie, sites de rencontre, image, mise en scène de soi, portrait, autoportrait. The twentieth century is the one of the popularization of photography, but also the one that was born Internet in the early 1990’s. Thanks to digital technologies and the translation of the images into binary language, pictures are traded on the web, watched and becoming a very important communication tool between people. This is the sort of interpersonal communication that we can found on dating web sites. Emerged in the middle 90’s, dating web sites have become a social phenomenon but also the place of a self-staging, required by the importance of main photography on members profiles. The production of images serves the single’s interests in his quest of love. He can show himself as he wants to be seen, left to widen the gap between reality and virtual world. Productions are numerous and differ according to gender, sexual orientation and age of individuals. The exploration of my field research, as special as it can be, can observe the trends and the evolution of photographic practices between generations. On the Internet, appearances, yet often misleading, have become too important to be neglected. Keywords : photography, dating websites, picture, self-staging, portrait, self-portrait.