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Mémoire de l'industrie en Bretagne

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Toute la richesse d'un patrimoine peu connu et spectaculaire, qui porte aussi l'histoire des hommes et des femmes qui y ont travaillé, remarquablement illustré par Yves Berrier et commenté par des spécialistes de l'histoire industrielle.

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Page 1: Mémoire de l'industrie en Bretagne
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Carrières et mines

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concession souterraine. De 1912 à 1958, des puits furent

foncés et des galeries creusées. Puis on revint à un traite-

ment de surface, pour alimenter les cimenteries de la

Mayenne, jusqu'à la fermeture définitive intervenue ces

derniers mois. Le site conserve encore, sous les taillis qui

ont pris possession des lieux, divers bâtiments miniers et les

rails d'un Décauville s'arrêtant aux portes grillagées interdi-

sant l'accès aux galeries. Des Russes, des Polonais et des

Italiens furent embauchés au début du siècle : cantine, cités

et maisons en témoignent. Toujours debout parce qu'encore

habitées, elles surprennent en bord de route par leur isole-

ment et leur architecture différente de celle des maisons

rurales environnantes.

Pourtant, la Bretagne fut célèbre pour ses mines : celles d'où

l'on extrayait les minerais donnant de l'argent, du plomb, de

l'étain, du wolfram, de la pyrite, bref pour le domaine du non

ferreux, à l'exception du cuivre, notoirement absent du sous-

sol. Cette célébrité a une période, le 18e et le 19e siècle, et

ses lieux : Le Huelgoat et Poullaouen, Pont-Péan, Trémuson,

Coat-an-Noz, Plusquellec, puis La Villeder, La Touche,

Montbelleux, etc. Inopinément, on a retrouvé, il y une quin-

zaine d’années (à Plélauff, dans les Côtes-d'Armor), la galerie

abandonnée d'une mine de plomb argentifère datant de la fin

du Moyen Âge…

La Bretagne fut riche de ces « mines métalliques » tant que

la conjoncture internationale en protégea l'intérêt financier

de la ressource. De grandes compagnies s'érigèrent pour

extraire et traiter ce minerai, appelant les compétences là

où elles se trouvaient : au 18e siècle, directeurs, ingénieurs

et mineurs vinrent principalement d'Allemagne, de Belgique

et d'Angleterre, plus tardivement de Pologne et d'Ukraine,

tandis que la population locale, hommes et femmes, parfois

des milliers de personnes, était employée aux activités de

surface, moins qualifiées. Jusqu'en 1850, la Bretagne était

un passage obligé pour le jeune élève ingénieur de l'École

des mines : cette province avait expérimenté les plus nova-

trices des techniques d'exhaure par l'hydraulique ou de

fonderie du minerai dans des fours à réverbère. Le Huelgoat

et Poullaouen furent continûment exploités de 1732 à

1868 ; Pont-Péan, au sud de Rennes, de 1730 à 1904,

malgré une interruption durant la première moitié du 19e

siècle ; Trémuson, à Chatelaudren, près de Saint-Brieuc, de

1760 à 1790 puis de 1861 à 1890.

La mémoire de cette industrie ne se lit pas au premier

regard. Elle est d'abord inscrite dans les toponymes et dans

certains patronymes à consonance d'Europe centrale. Dans le

paysage, l'altération du temps a fait son œuvre. Tandis que les

Le sous-sol du massif armoricain n'est pas de ceux qui assu-

rèrent à notre pays la prospérité aux 19e et 20e siècles. Point

de houille, hormis à son extrémité orientale : l'exploitation du

bassin carbonifère de l'Anjou à Languin, Mouzeil et

Montrelais entre 1760 et 1840, au septentrion de Nort-sur-

Erdre, n'a laissé que des traces infimes que le temps a

gommées.

Pas plus le minerai de fer, abondant en surface – en fait foi

la permanence de l'activité

sidérurgique, du Moyen

Âge aux années 1870 –

n'a-t-il généré une exploita-

tion spécifiquement

minière. On s'est contenté

de cueillir en surface, ou

de gratter, les filons d'hématites affleurants. Telle est l'origine

la plus courante de ces insolites tranchées qui parsèment les

massifs forestiers de l'intérieur : longues de 60 ou 80

mètres et profondes de 3 au plus, elles témoignent de la

quête du minerai qui alimentait les hauts fourneaux au bois.

La mine de la Brutz, entre Rougé et Soulvache, aux limites

de la Loire-Atlantique et de l'Ille-et-Vilaine, est une exception

circonstancielle… L'important gisement affleurant, industriel-

lement exploité, fit l'objet, par une compagnie belge, d'une

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La mémoire de cetteindustrie ne se lit pas

au premier regard

Page 5: Mémoire de l'industrie en Bretagne

Carrière de granite

Île-Grande, Pleumeur-BodouLaverie

Mine de Bray, Vieux-Vy-sur-Couesnon

pages 14-15

Mine d’étain de La Villeder, Le Roc-Saint-André, Morbihan

puits s'ennoyaient, la quasi-totalité des installations de surface

a été détruite. Il ne subsiste plus rien des chevalements en

bois, des machines à molette et des systèmes hydrauliques

du 18e siècle ni des machines à vapeur, des laveries et des

fonderies du 19e siècle. C'est dans une observation fine du

paysage qu'on retrouve les traces de la mine, telles ces

grandes parcelles géométriques couvertes de taillis ou d'une

végétation trop atypique pour être naturelle, aux formes, aux

volumes, et parfois aux couleurs du sol, non caractéristiques

de la pédologie environnante ; tel le tracé des chemins qui ne

« collent » pas à ceux du monde rural. Plus visiblement, on en

trouve la mémoire dans certaines habitations avoisinantes,

dont la dimension, la disposition ou les ouvertures manifestent

qu’elles furent jadis logements ouvriers ou bâtiments d’exploi-

tation. C'est à une archéologie du paysage qu'il convient bien

souvent de se référer.

Depuis l'Antiquité, l'histoire minière est celle un éternel

recommencement, avec ses à-coups, ses fièvres et ses

arrêts brutaux. L'exploitation de l'uranium en Bretagne n'aura

duré que 40 années, de 1950 à 1991 : malgré la volonté

environnementale d'en effacer du sol toutes les marques, on

en lit encore la trace dans la presqu'île de Guérande, et dans

le Morbihan, à Lignol comme aux environs de Pontivy.

Rien ne permet d'affirmer que, demain, on n'exploitera pas

de nouveau le sous-sol armoricain.

L'extraction des matériaux de construction – les multiples

granites roses, bleus ou blancs, ou la kersantite – et l'exploi-

tation de l'ardoise ou du kaolin ont parfois épousé le genre

industriel quand l'ampleur de la demande, la mécanisation et

la concentration d'une abondante main-d'œuvre ont conduit à

la constitution de sociétés de capitaux. Parce que la quasi-

totalité de l'exploitation se faisait à ciel ouvert et non en sous-

sol, les traces qui en subsistent aujourd'hui sont souvent plus

visibles que celles des mines. Les cicatrices dénudées à flanc

de coteau et les profondes excavations emplies d'eau

côtoient cependant des installations de surface générale-

ment modestes.

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Page 6: Mémoire de l'industrie en Bretagne

P L E U M E U R - B O D O U - C Ô T E S - D ’A R M O R

Ni les dunes couvertes d'herbe fine, ni les chardons bleus,

ni le cul blanc des lapins qui s'esquivent dans leurs terriers

évoquent, en ce lieu, une quelconque activité manufacturière

passée. Rien ne distingue au premier coup d'œil l'Île Grande

(Enes Meur en breton) de l'une de ses nombreuses

consœurs bretonnes. Et pourtant, à bien observer, dés l'île

traversée, arrivé sur la côte du large, n'est-on pas frappé

par la forme des rochers ? Alors qu'aux alentours se dres-

sent d'immenses roches arrondies et polissées, ici ce ne

sont que longues étendues de blocs aux angles acérés et

aigus, un chaos erratique fait de saillants et de rentrants.

Ce rivage, cette falaise et cet estran ne sont pas naturels

ni façonnés par la mer : il sont anthropiques.

L'Île Grande, et plus généralement l'archipel des petits îlots

qui l'entourent, fut, au 19e siècle et jusqu'aux années 1930,

l'un des grands sites du littoral de la Bretagne d'où l'on

extrayait du granite, de la pierre à bâtir. Sans doute la

roche possédait-elle des vertus spécifiques par sa couleur,

la finesse de son grain et sa compacité. Mais, plus encore,

Le granite blanc de l’ÎLE-GRANDE

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Page 7: Mémoire de l'industrie en Bretagne

l'Île Grande avait l'immense mérite d'être accessible aux navires à

marée haute, entourée de plages permettant l'échouage à basse

mer : ainsi pouvait-on charger chaloupes et caboteurs de cet

encombrant et pondéreux produit qu'est la pierre de carrière.

Près de 1 000 personnes vivaient de cette activité à la fin du 19e

siècle et au début du 20e. Plusieurs centaines de carriers s'échi-

naient du matin au soir, isolés sur les îlots à marée haute, à débi-

ter, à tailler et à transporter ces pierres de tailles multiples qui

prenaient la destination de Bordeaux ou de Dunkerque pour y dessi-

ner les bordures des trottoirs. Moindrement taillées, elles étaient

expédiées à Cherbourg pour asseoir la fameuse digue pharaonique

protégeant la rade. Accessoirement, on y débita soigneusement le

granite destiné à la construction de divers phares.

S'agissait-il d'une industrie ? Les techniques étaient primitives et

les piètres innovations venaient de l'extérieur, apportées par les

carriers normands qui s'installèrent ici après avoir épuisé, pour la

digue de Cherbourg, les carrières du Cotentin puis les plateaux

rocheux des îles Chausey. Mais pour primitives qu'elles furent, elles

n'excluaient pas des formes d'organisation du travail. D'un côté les

carriers, de l'autre les forgerons qui, inlassablement, dans leurs

cabanes de pierre couvertes de tuiles rouges, redonnaient forme

et taillant aux outils. Au son mat et argentin des pics répondait le

martèlement cristallin du marteau sur l'enclume, couvrant, peut-

être, le roulement des vagues et le piaillement des goélands.

Archaïque était aussi l'organisation sociale et économique. Point de

grands capitaux, semble-t-il, mais plutôt un ou quelques proprié-

taires fonciers louant des lots à débiter à une myriade de carriers

pratiquant le troc pour subsister, à l'ombre de négociants. Au

début du 20e siècle, cependant, des compagnies s'établirent,

installant un decauville sur l'Île-Grande et sur certains îlots avoisi-

nants, édifiant des cales de pierre sèche pour le chargement des

navires.

Aujourd'hui, l'île qui n'était bâtie dans les années 1900 que de trois

fermes, désormais accessible à toute heure de la marée, s'offre

comme un lieu de villégiature estivale. Ce qu'il subsiste des édifices

de l'activité passée est mineur : quelques cales, des traces de la

voie ferrée, les murs en ruine des cabanes de forgerons. Mais, à

jamais, le paysage est marqué de l'indéfectible arasement qu'ont

subi falaises et plateaux rocheux.

Front de taille

Atelier de forgeron

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Page 8: Mémoire de l'industrie en Bretagne

C O U Ë R O N - L O I R E - A T L A N T I Q U E

Tel un phare dominant la Loire et les marais alentour la

« tour à plomb » de Couëron marque le paysage, identifiant

l’emplacement d’une ancienne usine gigantesque qui, en

1913 employait 700 personnes et traitait 40 % de la pro-

duction de plomb en France. Elle fournissait alors essen-

tiellement l’État et les compagnies de chemin de fer.

L’établissement naît en 1861 du rachat d’une entreprise

nantaise par deux actionnaires de la firme Pontgibaud (Puy-

de-Dôme) : R. Taylor et P. Bontoux. La société des « fonde-

ries de Couëron » profite rapidement du formidable essor

industriel de l’estuaire de la basse Loire. Dans cette petite

ville en aval de Nantes, le développement d’une verrerie de

bouteilles avait déjà démontré qu’il existait toute facilité pour

débarquer houille et matières premières nécessaires à l’in-

dustrie. En 1878, la Compagnie des mines de Pontgibaud

intègre l’usine de Couëron qu’elle transforme afin d’ouvrir

ses activités sur la façade atlantique. La houille est impor-

tée d’Angleterre et du Nord de la France, tandis que le

1861

1987Les fonderies de Couëron

L’usine de PLOMB

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Page 9: Mémoire de l'industrie en Bretagne

plomb argentifère et autres minerais, constituent le fret

des navires en provenance d’Espagne et de Méditerranée

(Sardaigne). Notons qu’en cette fin du 19e siècle, les mines

bretonnes de Pont-Péan (Ille-et-Vilaine) assurent un complé-

ment local non négligeable. On y traite dans des fours et

ateliers diversifiés, non seulement le plomb, l’argent et le

cuivre mais aussi tous les alliages et dérivés s’y rapportant,

tels le laiton, la céruse et le minium. Outre l’affinage des

métaux, l’activité de l’usine s’étend aussi à la fabrication de

produits manufacturés. Au traditionnel laminage et façon-

nage de feuilles et tuyaux, s’ajoutent désormais les tréfile-

ries pour files de cuivre et de laiton.

La fabrication de grenaille, bien qu’étant une activité sai-

sonnière, a paradoxalement nécessité la construction d’un

ouvrage remarquable : la fameuse tour à plomb, qui devient

à l’instar des usines d’Angers, de Rouen ou de Marseille,

l’apanage de ce type de production. Entièrement creuse, la

tour est dotée de chaudières installées dans la salle haute.

Vue intérieure de la tour à plomb

en service jusqu’en 1957

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Le plomb fondu s’y écoule dans un crible avant de tomber

plusieurs dizaines de mètres en contrebas dans des bas-

sins remplis d’eau. Gravitation et choc thermique lui don-

nent l’aspect de minuscules billes utilisées sous la forme de

cartouches pour la chasse. À la fin des années 1870, on

prévoyait que cet équipement produirait cinq tonnes de gre-

naille par jour.

Les vestiges de l’usine à plomb de Couëron témoignent

d’importants travaux engagés lors de sa reprise par

Pontgibaud puis Tréfimétaux, pour gagner des espaces nou-

veaux contre le coteau de la rive droite de la Loire. En

retrait de la route, la tour à plomb est protégée depuis plus

de dix ans au titre des monuments historiques. Ceci a per-

mis de « geler » tout aménagement intempestif aux abord

de l’édifice, dans l’attente d’un projet de réhabilitation des

anciens bâtiments industriels.

La salle des chaudières

(à 70 m en haut de la tour) pour fondre le plomb, où subsistent les cribles enforme de poêles percées

Page 10: Mémoire de l'industrie en Bretagne

La cristallerie de HAUTE-BRETAGNEF O U G È R E S - I L L E - E T -V I L A I N E

À l'origine de la cristallerie était une verrerie dite aussi ver-

rerie de Laignelet, située route de Caen, à l'orée de la forêt

de Fougères. Cet établissement

forestier créé par des gentils-

hommes verriers normands,

puis rejoint par les De Bigaglia,

originaires de Venise, tente une

reconversion à la houille au

début des années 1870. Les

directeurs Arthur et Jacques

Leclerc ont alors parié sur l'ar-

rivée du chemin de fer à

Fougères pour adapter les

fours au nouveau combustible.

Mais les débuts sont difficiles.

Vingt-cinq ans plus tard, Henri Chupin rachète l'affaire et

instaure une gestion nouvelle alliant rigueur et paternalis-

Four à gaz de la cristallerie

dont l’un des ouveaux ouvert laisse entrevoirun creuset rougeoyant de pâte de verre enfusion.

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me. Ainsi grandit aux côtés des bâtiments de production,

une cité ouvrière comprenant outre les logements, cantine,

crèche, école et dispensaire. « On peut vivre toute une

longue vie sans sortir des verreries de Laignelet » affirmait-

on en 1915.

En moins de quarante ans, les effectifs vont plus que qua-

drupler et en 1920, 350 ouvriers, hommes, femmes et

enfants, travaillent dans l'établissement. Mais c'est aussi à

cette époque que la contestation sociale ébranle « l'empire

Chupin ». Depuis 1919 des syndicalistes affiliés à la CFTC

tentent de faire réagir la population ouvrière de Fougères

face aux conditions de travail. Une première grève en

1920, puis une seconde, l'année suivante, aboutissent au

renvoi des grévistes de la verrerie. À la rue et sans res-

sources ces populations vont trouver auprès de l'abbé

Bridel un secours inespéré.

Page 11: Mémoire de l'industrie en Bretagne

Gestes du maître souffleur

Chacun d’entre eux nécessite des années d’apprentissage. Étapes délicates : la pose de la tige d’un verre à pied et la mise en formede sa base circulaire, requièrent une grande précision

Soufflage au moule

Certaines pièces aux formes anguleusessont soufflées dans un moule.

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Page 12: Mémoire de l'industrie en Bretagne

Q U I M P E R L É - F I N I S T È R E

L'entrée du site, à Combout, ne laisse rien présager de ce

que l'on produit ici. Au-delà de la barrière, une large place

est bordée sur sa gauche d'immeubles divers, bureaux et

habitations, datant d'une cinquantaine d'années. Plus loin,

une route suit la grande courbe en baïonnette de l'Isole

tumultueuse et semble aller se perdre sous les frondaisons.

Il faut parcourir près d'1,5 km de gorge encaissée avant

d'atteindre Kerisole, le lieu de production proprement dit…

Devant soi, la plus grosse usine au monde de papier à ciga-

rette, appartenant au leader de cette production,

l'Américain Schweitzer Mauduit International. Dans de

vastes ateliers, pas moins de onze lignes parallèles produi-

sent, nuit et jour, à une vitesse considérable, des centaines

de kilomètres de ce papier fin destiné aux plus grandes

marques de la planète.

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La papeterie de MAUDUIT

Page 13: Mémoire de l'industrie en Bretagne

On s'en doutera, ateliers et machines sont des plus

modernes… Le site, cependant, transpire la mémoire.

Par son histoire, d'abord. En réunissant deux moulins à

papier lui appartenant, le comte Joseph de Mauduit, avec

le concours du comte du Couédic, fonde en 1855 la pape-

terie de Kerisole. Peu après, le moulin de Cambout, situé à

1 500 mètres en amont, est rattaché aux deux premiers.

La papeterie connaît alors une trentaine d'années de

grande expansion. Mais Henri de Mauduit, déjà en difficulté

avant la première guerre mondiale, est contraint de passer

la main : en 1920, les papeteries de Mauduit deviennent

une filiale à 100 % de American Tabacco Company. Si, en

1959, les papeteries Bolloré détiennent 38 % du capital,

l'entreprise revient ensuite totalement dans le giron des

Américains.

Pile Bertram

Rames de papier

à la sortie desmachines avant

découpe au format depapier à cigarettes

103

Lessiveuse à pâte à papier

Page 14: Mémoire de l'industrie en Bretagne

L O R I E N T - M O R B I H A N

On reproche de nos jours à l’ancienne glacière de Lorient

de masquer la vue sur la rade quand on descend par l’ave-

nue Laperrière vers le port de pêche de Keroman. Avec le

slipway établi au fond de la grande darse, elle est cependant

l’un des témoignages les plus représentatifs de la naissance

de l’un des premiers ports de pêche industrielle français.

Le port de Keroman est issu d’une volonté politique natio-

nale : doter le pays d’un port moderne capable de rivaliser

avec ceux des pays voisins. L’intention remonte aux années

1910, quand l’État prend conscience de la faiblesse struc-

turelle de sa flotte, trop artisanale et non concentrée. Mais

les premiers comblements de l’anse de Keroman n’ont lieu

qu’après le premier conflit mondial. 1 500 mètres de quais

sont édifiés en eau profonde, accessibles à toute heure,

bordés de magasins et reliés au réseau ferré. Sur le grand

môle, un convoyeur à bande approvisionne les navires en

charbon stocké dans cinq silos.

Dès 1921, la glacière est mise en service. Elle est la clé de

voûte du système : la glace doit remplacer le sel dans les

Le slipway de Lorient

tel une plaque tournante de chemin de fer

La pêche INDUSTRIELLE

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Page 15: Mémoire de l'industrie en Bretagne

navires pratiquant la pêche hauturière si l’on veut développer le mareyage. Sa capa-

cité est de 120 tonnes par jour, mais celle-ci sera doublée dans les années 1950.

Dans cet énorme cube gris en béton, la production se faisait de haut en bas. Au der-

nier niveau, on fabriquait en continu les pains de glace dans de grands bacs ana-

logues, taille mise à part, à ceux de nos réfrigérateurs domestiques. Soulevés par un

pont roulant, puis déposés dans une goulotte, les pains descendaient par gravité à

l’étage inférieur où ils étaient broyés en paillettes, puis stockés avant d’être distribués

par tapis roulant aux chalutiers. Un niveau était également occupé par de vastes

chambres froides.

On y produit encore de la glace de nos jours, destinée notamment à quelques chalu-

tiers espagnols encore non pourvus d’installations frigorifiques autonomes. Mais en

bien moindre quantité et selon une technique ne nécessitant pas le préalable du pain.

La glacière abrite cependant diverses installations, notamment l’épuration et la distri-

bution de l’eau de mer dans les entrepôts et magasins à marée. Elle demeure le

centre nerveux de divers réseaux sans lesquels le port, système technique, ne pour-

rait pas fonctionner.

Le slipway n’a été mis en service qu’en 1932. Premier de ce type en France, sa tech-

nique emprunte au chemin de fer. Un ber sur rails hissé par des treuils conduit le navi-

re sur une plaque tournante qui l’oriente vers la voie disponible. Le système, qui fera

école, s’affranchit des cales de radoub et de la marée. 150 navires pouvaient en faire

usage chaque année. Pour entretenir leurs sous-marins, les Allemands l’utiliseront

dès 1940, avant que ne soit construite la base de Keroman : deux voies sont enco-

re protégées aujourd’hui d’une étrange couverture ogivale destinée à dévier les

bombes.

Cette installation est, aujourd’hui, menacée : il est prévu de la remplacer par un élé-

vateur sur roue, modernité oblige. Néanmoins, celui-ci aura une moindre capacité de

charge que l’ancien slipway.

«Moulos »

formes en zinc pour pains de glace, ici dans leur cellule réfrigérante

Fabrication actuellede la glace en paillettes

Glacière de Kéroman

et sa bande transporteuse initialement destinée au chargement ducharbon

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