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Message de Pâques – Avril 2020 Pape François (extraits) Chers frères et sœurs, === Aujourd’hui retentit dans le monde entier l’annonce de l’Église : « Jésus Christ est ressuscité ! », « Il est vraiment ressuscité ! ». Comme une nouvelle flamme, cette Bonne Nouvelle s’est allumée dans la nuit : la nuit d’un monde déjà aux prises avec des défis du moment et maintenant opprimé par la pandémie, qui met à dure épreuve notre grande famille humaine. En cette nuit la voix de l’Église a résonné : «Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! » (Séquence pascale). C’est une autre “contagion”, qui se transmet de cœur à cœur – parce que tout cœur humain attend cette Bonne Nouvelle. C’est la contagion de l’espérance : « Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! » Il ne s’agit pas d’une formule magique, qui fait s’évanouir les problèmes. Non, la résurrection du Christ n’est pas cela. Elle est au contraire la victoire de l’amour sur la racine du mal, une victoire qui « n’enjambe pas » la souffrance et la mort, mais les traverse en ouvrant une route dans l’abîme, transformant le mal en bien : marque exclusive de la puissance de Dieu. Le Ressuscité est le Crucifié, pas un autre. Dans son corps glorieux il porte, indélébiles, les plaies : blessures devenues fissures d’espérance. Nous tournons notre regard vers lui pour qu’il guérisse les blessures de l’humanité accablée. === Aujourd’hui ma pensée va surtout à tous ceux qui ont été frappés directement par le coronavirus: aux malades, à ceux qui sont morts et aux familles qui pleurent la disparition de leurs proches (...). Cette maladie ne nous a pas privés seulement des affections, mais aussi de la possibilité d’avoir recours en personne à la consolation qui jaillit des Sacrements, spécialement de l’Eucharistie et de la Réconciliation. Dans de nombreux pays il n’a pas été possible de s’approcher d’eux, mais le Seigneur ne nous a pas laissés seuls ! Restant unis dans la prière, nous sommes certains qu’il a mis sa main sur nous (cf. Ps 138, 5), nous répétant avec force : ne crains pas, « je suis ressuscité et je suis toujours avec toi » (cf. Missel romain) ! Que Jésus, notre Pâque, donne force et espérance aux médecins et aux infirmiers, qui partout offrent au prochain un témoignage d’attention et d’amour jusqu’à l’extrême de leurs forces et souvent au sacrifice de leur propre santé. À eux, comme aussi à ceux qui travaillent assidûment pour garantir les services essentiels nécessaires à la cohabitation civile, aux forces de l’ordre et aux militaires qui en de 1 - DECERE Newsletter (Mai)

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Message de Pâques – Avril 2020Pape François

(extraits)

Chers frères et sœurs,

=== Aujourd’hui retentit dans le monde entier l’annonce de l’Église : « Jésus Christ est ressuscité ! »,« Il est vraiment ressuscité ! ». Comme une nouvelle flamme, cette Bonne Nouvelle s’est allumée dansla nuit : la nuit d’un monde déjà aux prises avec des défis du moment et maintenant opprimé par lapandémie, qui met à dure épreuve notre grande famille humaine. En cette nuit la voix de l’Église arésonné : «Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! » (Séquence pascale).C’est une autre “contagion”, qui se transmet de cœur à cœur – parce que tout cœur humain attend cetteBonne Nouvelle. C’est la contagion de l’espérance : « Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! » Ilne s’agit pas d’une formule magique, qui fait s’évanouir les problèmes. Non, la résurrection du Christn’est pas cela. Elle est au contraire la victoire de l’amour sur la racine du mal, une victoire qui« n’enjambe pas » la souffrance et la mort, mais les traverse en ouvrant une route dans l’abîme,transformant le mal en bien : marque exclusive de la puissance de Dieu.Le Ressuscité est le Crucifié, pas un autre. Dans son corps glorieux il porte, indélébiles, les plaies :blessures devenues fissures d’espérance. Nous tournons notre regard vers lui pour qu’il guérisse lesblessures de l’humanité accablée.

=== Aujourd’hui ma pensée va surtout à tous ceux qui ont été frappés directement par le coronavirus:aux malades, à ceux qui sont morts et aux familles qui pleurent la disparition de leurs proches (...).Cette maladie ne nous a pas privés seulement des affections, mais aussi de la possibilité d’avoirrecours en personne à la consolation qui jaillit des Sacrements, spécialement de l’Eucharistie et dela Réconciliation. Dans de nombreux pays il n’a pas été possible de s’approcher d’eux, mais leSeigneur ne nous a pas laissés seuls ! Restant unis dans la prière, nous sommes certains qu’il a mis samain sur nous (cf. Ps 138, 5), nous répétant avec force : ne crains pas, « je suis ressuscité et je suistoujours avec toi » (cf. Missel romain) !Que Jésus, notre Pâque, donne force et espérance aux médecins et aux infirmiers, qui partout offrentau prochain un témoignage d’attention et d’amour jusqu’à l’extrême de leurs forces et souvent ausacrifice de leur propre santé. À eux, comme aussi à ceux qui travaillent assidûment pour garantir lesservices essentiels nécessaires à la cohabitation civile, aux forces de l’ordre et aux militaires qui en de

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nombreux pays ont contribué à alléger les difficultés et les souffrances de la population, va notrepensée affectueuse, avec notre gratitude. (...)

=== J’encourage tous ceux qui ont des responsabilités politiques à s’employer activement en faveurdu bien commun des citoyens, fournissant les moyens et les instruments nécessaires pour permettre àtous de mener une vie digne.

Ce temps n’est pas le temps de l’indifférence,parce que tout le monde souffre et tous doivent se retrouver unis pour affronter la pandémie.Jésus ressuscité donne espérance à tous les pauvres, à tous ceux qui vivent dans les périphéries,aux réfugiés et aux sans-abri. Que ces frères et sœurs plus faibles, qui peuplent les villes et lespériphéries de toutes les parties du monde, ne soient pas laissés seuls. Ne les laissons pasmanquer des biens de première nécessité, plus difficiles à trouver maintenant alors quebeaucoup d’activités sont arrêtées, ainsi que les médicaments et, surtout, la possibilité d’uneassistance sanitaire convenable. (...)

Ce temps n’est pas le temps des égoïsmes, parce que le défi que nous affrontons nous unit tous et nefait pas de différence entre les personnes.

Parmi les nombreuses régions du monde frappées par le coronavirus, j’adresse une penséespéciale à l’Europe. Après la deuxième guerre mondiale, ce continent bien-aimé a pu renaîtregrâce à un esprit concret de solidarité qui lui a permis de dépasser les rivalités du passé. Il estplus que jamais urgent, surtout dans les circonstances actuelles, que ces rivalités ne reprennentpas vigueur, mais que tous se reconnaissent membres d’une unique famille et se soutiennentréciproquement. Aujourd’hui, l’Union Européenne fait face au défi du moment dont dépendra,non seulement son avenir, mais celui du monde entier. Que ne se soit pas perdue l’occasion dedonner une nouvelle preuve de solidarité, même en recourant à des solutions innovatrices. (...)

Ce temps n’est pas le temps des divisions (...)

Ce temps n’est pas le temps de l’oubli.

Que la crise que nous affrontons ne nous fasse pas oublier tant d’autres urgences (...)

Indifférence, égoïsme, division, oubli ne sont pas vraiment les paroles que nous voulonsentendre en ce temps. Nous voulons les bannir en tout temps !

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Le Ramadan : La fraternité en humanitéAlioune Bah1 - 24 avril 2020

« Ma miséricorde embrasse toute chose » (Coran, VII ; 156). On retrouve une variante de ceverset coranique dans une parole prophétique, à propos de Dieu, qui dit: « Ma misércorde a précédéma colère ». Ces occurrences révèlent une double attention portée à l’humain, à son besoin de vivre etd’évoluer spirituellement et éthiquement dans un monde pacifié où l’espérance agit en chacun.

Par ces temps de pandémie, l’action de cette miséricorde est partout recherchée par lesmusulmans, pour eux-mêmes et pour toute l’humanité. Le Ramadan, qui commence et qui dureratrente jours, est porté par cette idée que l’espérance en Dieu ne peut être dissociée de l’attentionparticulière que les hommes doivent avoir les uns envers les autres. Il invite à la courtoisie, à labienveillance réciproque, à la solidarité et à l’acceptation que les hommes sont les plus chers les unsaux autres. C’est dans leur concorde qu’ils peuvent surmonter toutes les épreuves de la vie, car la foiest épreuve au sens où elle porte un engagement à persévérer dans son être et à promouvoir lareconnaissance et le respect inconditionnel de l’autre.

Ces valeurs morales sont intemporelles et dans cette période, si compliquée et si difficile quenous vivons, elles révèlent notre humanité, notre fraternité en humanité.

Notre humanité est mise à rude épreuve par l’actualité, et là où devrait prendre place le désespoir,c’est l’espérance qui l’emporte parce que la fraternité est active. Elle œuvre en nous au-delà de nosappartenances politiques, ethniques ou religieuses. Elle irradie notre situation de confinement parl’inquiétude de chacun pour son voisin, ses proches, et ces milliards d’anonymes de part le mondeavec lesquels il partage le même sort.

La fraternité raffermit en nous notre humanité en même temps qu’elle rend joyeuse notreespérance commune, celle d’une humanité guérie des maux du passé : la cupidité, la discrimination,l’égoïsme, le mépris, la colère, ainsi que la haine qui conduit à la violence et à la destruction.

Notre fraternité en humanité, en tant que socle de cette espérance commune, est aussireconnaissance pour les médecins, les infirmier(e)s, l’ensemble des personnels soignants, les services

1 Alioune Bah est docteur en philosophie des religions, il est l'auteur de La réception théologique et philosophiquede l'Islam en Europe à l'époque moderne (éd. De L'Harmattan 2014), ainsi que de Le Pater Noster et la Fatiha (éd.L'Harmattan 2015). Il vit en Alsace.

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de logistiques et transport, les commerçants, la communauté des bénévoles qui mettent en évidence laforce inaltérable de notre potentiel d’êtres rationnels, capables de compassion, de générosité et despiritualité.

C’est la leçon que le Ramadan rappelle au milliard et demi de musulmans, les invitant à(re)considérer toujours l’humain dans son essence première, ainsi que tout ce qui favorise uneexistence décente et joyeuse. Le caractère universel de ces valeurs se démontre ainsi facilement avecPâques et Pessah célébrées, en ce même mois d’Avril, en communion avec les juifs et les chrétiens,dans la fraternité d’Abraham.

Journal d'une confinée2

Janine Elkouby, présidente des Amitiés judéo-chrétiennes en Alsace

27 avril 2020

C’est un rite désormais bien ancré dans ledéroulement de mes longues et lentes journées: deboutsur mon petit bout de balcon, comme tous les soirs àvingt heures, à l’unisson avec mes voisins proches etlointains, j’applaudis. Avec toute l’énergie, toute laconviction dont je suis capable. Nos applaudissementssolidaires sont accompagnés et soulignés par lesmusiques hétéroclites et un brin discordantes, ici, d’unsifflet strident qui me vrille les tympans, là, d’une trompeau son grave comme une corne de brume, en contrebas,du klaxon puissant d’une voiture qui passe enralentissant. Je frappe dans mes mains, je promène monregard sur les hommes et les femmes qui, à droite, àgauche, en face, plus loin, penchés aux fenêtres,s’associent au concert d’applaudissements, le ponctuentde bravos qui vibrent dans l’air du soir.

Rendez-vous quotidien qui redonne un semblant destructure au temps qui s’effiloche et s’étire sansconsistance.

Rendez-vous quotidien qui conjure, l’espace dequelques minutes, au fil tissé des sourires qui s’envolent, des mains qui font signe, des appels qui selancent d’un immeuble à l’autre, la séparation sous le couperet de laquelle nos vies de confinés se sontorganisées.

2 https://www.facebook.com/search/top/?q=janine%20elkouby&epa=SEARCH_BOX

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Rendez-vous quotidien qui formalise et exprime notre reconnaissance, aux deux sens de ce terme :nous témoignons publiquement du travail des personnels soignants, mais aussi de celui de tous lesnon-confinés, ceux qui continuent à accomplir les tâches indispensables à la vie de tous les jours, etnous leur exprimons notre gratitude.

Instantanés de la vie d’avant. Celle qui, pensions-nous, allait de soi, coulait de source, dansl’évidence sans questions des acquis. Celle qui dissimulait sous son cours uni et sa routine pressée lescreux et les bosses, les ornières et les obstacles.

Le tintamarre des poubelles que les éboueurs, au petit matin, traînaient sur le trottoir, - quelboucan, pensions-nous, de mauvaise humeur - dans le cliquetis de leurs énormes trousseaux de clefs,plus tard, le vacarme des bennes qui basculaient les bacs et déversaient dans les entrailles des camionsnos montagnes de déchets…Avons-nous, parfois, gratifié ces travailleurs de l’aube, d’un regard ?Nous est-il arrivé de reconnaître, derrière leur apparence de préposés aux ordures, des hommes,derrière l’étiquette condescendante socialement apposée sur leur fonction, sa primordiale et vitaleutilité ?

La tâche sans éclat et sans nouveauté des caissières de supermarchés, pompeusement ethypocritement promues au rang, purement verbal, d’hôtesses de caisses, qui tapaient inlassablementsur leur clavier les codes-barres et inlassablement déposaient devant nous, d’un geste las, les pots deyaourts et les paquets de pâtes… Avons-nous, parfois, dépassant notre ennui et notre désir d’en finirau plus vite avec la corvée des courses, regardé la caissière autrement que comme une machineanimée, avons-nous su reconnaître en elle une femme, aux prises avec des soucis comme les nôtres,lui avons-nous souri, lui avons-nous parlé ?

L’humble fonction des femmes et des hommes de ménage, pardon, des techniciens de surface,qui, dans le silence et l’effacement, balayaient, lavaient, nettoyaient, et, combattant la saleté toujoursrenaissante, exécutaient une tâche si peu reluisante à nos yeux et pourtant si vitale : les voyions-nousseulement, ombres ceintes de blouses informes, qui glissaient, muettes et transparentes, yeux au sol,dépourvus à nos regards aveugles de visages, robots à peine vivants ?

Voici que ce soir, tandis que, debout sur mon balcon, je continue d’applaudir, me frappe soudainune évidence, une de ces vérités que, engourdis dans le ronron anesthésiant d’une routine pressée, etdans le credo implicite d’une façon de penser majoritaire, nous avions tout simplement perdue devue : voici qu’aujourd’hui, dans notre réalité défoncée, alors que se sont défaites les certitudes bienpensantes et mal pensées, voici que les « héros » dont l’image prend consistance, avec une nettetéirréfutable, sur l’arrière-plan du covid 19, ce sont tous ces oubliés, tous ces petits, tous ces invisibles,tous ces transparents, ceux à côté desquels nous passions sans les voir, réduits qu’ils étaient à leurutilité fonctionnelle, comme des machines…

Je forme silencieusement un vœu : que notre regard tout neuf reste vivant, que nos yeux dessillésne se referment pas…

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Face à la pandémie : action, amour et compassionpar Olivier Wang-Genh

Co-président de l'Union Bouddhiste de France et abbé du monastère de Weiterswiller (au nord de Saverne, en Alsace)

invité le 19 avril 2020, à 9h30 de l'Emission "Sagesses Bouddhistes" diffusée par France 2 dans les studios du Jour du Seigneur, avec l'appui technique des équipes du CFRT.

L'impermanence et l'interdépendanceVoilà deux points essentiels de l'enseignement du Bouddha sur lesquels repose toute la doctrine qu'onappelle le Bouddhisme : il s'agit d'une réalité qui imprègne tous les phénomènes que l'on trouve dansce monde. On ne parle pas vraiment ici de principes ou d'idées mais d'une réalité, l'interdépendance :« tout dépend de tout ». Il s'agit là de quelque chose de très profond, de réalités qui touchent à lanature même de ce que nous sommes en tant qu'êtres humains notamment, mais aussi en tant que noussommes faits de cellules et de corps et de conscience.

Quand on oublie ces réalités, elles se rappellent à nous et elles le font souvent de manière violente etdifficile à vivre, en créant beaucoup de souffrances. La méditation bouddhiste permet d'approcher cesréalités, de les voir, de s'y éveiller, d'en prendre conscience, avec énormément de douceur, dirai-je.Elles nous éveillent non pas à la dureté du monde, mais à sa beauté, car la beauté du monde repose,justement, sur ce changement et sur cette interdépendance : c'est toute la magie de l'univers qui reposesur ces principes.

Les communautés bouddhistes face à la pandémieToutes les communautés bouddhistes ont suivi absolument les mêmes principes, c'est à dire leconfinement au moment où il a été demandé par les Etats, que ce soit aux USA, que ce soit enAmérique du Sud, et même en Asie. On sait aussi que certaines grandes communautés au niveauinternational ont même précédé cette demande de confinement, c'est à dire qu'elles ont fermé leurscentres avant le début mars et des grands événements mondiaux comme le grand Vesak de Thaïlande(fête extrêmement importante qui commémore annuellement la naissance de Bouddha Shakyamuni,

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son illumination et sa mort) qui devait se dérouler en mai a été annulée il y a déjà deux mois. Bref, auniveau mondial, toutes les instructions sont respectées et très suivies, voire plus que suivies.

En France et au monastère de Weiterswiller (Alsace)En Europe, en France et notamment dans toutes les communautés de l'Union bouddhiste de France,tout le monde a suivi voire précédé ces demandes. Les temples, les communautés, les monastères, lespagodes sont fermés au public, bien évidemment. Les moines et les moniales qui habitent dans ceslieux, dans les monastères et lieux de pratique sont bien entendu restés confinés et d'après ce que jesais, certains abbés ou directeurs de communautés ont demandé aux moines et moniales de resterconfinés dans leurs cellules. C'est un confinement dans le confinement! Non seulement lacommunauté se protège mais elle protège aussi les autres par le fait de ne pas être en contact avec legrand public. (...)

Accompagner, écouterIl y a eu une initiative du gouvernement et au niveau de l'Etat, on a voulu permettre aux personneshospitalisées d'avoir un n° vert au cas où elles ressentiraient le besoin de communiquer avec unaumônier ou avec un prêtre ou un enseignant d'une religion bouddhiste. Il s'agissait, surtout pour lespersonnes isolées d'offrir la possibilité d'un contact. En général, en communauté bouddhiste, on a unréférent: "notre maître", "notre lama", "notre abbé" etc. Donc on sait à qui téléphoner en cas dedifficulté. Mais beaucoup de personnes sont isolées et ne sont pas forcément en contact avec desenseignants, ou des aumôniers ou des moines et donc ce n° vert permet de les mettre en contact avecdes personnes compétentes pour leur répondre. Ce n° est réservé aux personnes hospitalisées: il estdonc donné dans les services Covid des hôpitaux.

L'impact de la pandémie sur les pratiques funérairesIl y a un impact sur les pratiques funéraires et sur l'accompagnement, car l'accompagnement en fin devie est un aspect très important des pratiques bouddhistes. Il faut faire en sorte que la personne parte lemieux possible, et dans les meilleures conditions possibles, notamment au niveau de l'apaisement desa propre conscience. Or évidemment, dans les circonstances actuelles, cela n'est pas possibled'approcher la personne. Je sais qu'il y a eu des initiatives qui ont été prises par des moyens modernes,téléphone, video, et en ce qui concerne les funérailles, on ne peut pas rassembler une assemblée, maisdes cérémonies sont organisées quotidiennement, dans les centres et les monastères ou les pagodesavec les nones et les moines résidents, et dédiées aux défunts. Les familles peuvent y assister mais ennombre très très réduit et la plupart du temps avec des moyens audio-visuels.

Vivre ce confinement au quotidienPeut-être qu'une des pistes qu'on peut évoquer, c'est de ne pas vivre cette crise d'une manière passiveen étant juste habité par des peurs, des inquiétudes, des angoisses, des émotions très négatives. Peut-être qu'on peut devenir acteur de cette crise. L'une des principales pratiques bouddhistes est la pratiquedu don désintéressé (ce q'uon appelle le Dana paramita). Il me semble que ce n'est pas spécifiquementbouddhiste et énormément de personnes, dans la société, ont montré cette capacité à exprimer àtravers des petits riens, des petites choses, ou des grandes choses, cette créativité au niveau de ce qu'onpeut faire au quotidien pour aider ses voisins ou ses proches, en faisant des courses, en apportant duréconfort par un coup de téléphone, par un mail. Il y a ce bel exemple des personnes qui se mettentderrière leur machine à coudre et consacrent du temps pour autre chose qu'elles mêmes. Toutes cesinitiatives montrent qu'il y a là un terrain à explorer et qui procure, à la fin, énormément de réconfort,d'apaisement et de joie. De cette crise qui pourrait nous enfermer en nous-mêmes on fait donc quelquechose qui peut nous ouvrir aux autres. Il y a mille façons d'installer dans son quotidien, des petitsrituels pour revenir à sa respiration le plus souvent possible, revenir au calme et au silence.

Les périodes de méditation sont au coeur des journées des bouddhistes, le matin, le soir, à toutmoment de la journée. On peut installer au coeur de sa journée la méditation et chaque tradition a des

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enseignements très précis sur ce qu'il faut faire. Pour les personnes qui ne connaissent pas cespratiques je conseille d'aller voir les sites des grandes communautés bouddhistes françaises: Il y aeffectivement, en ligne, des opportunités de pratiquer, soit en même temps, soit en différé. Il y a aussides enseignements qui sont proposés avec de grands enseignants. Il y a une multitude de choses pournous aider, pour aider à découvrir de façon plus approfondie toutes ces pratiques.

Hommages pour les personnes décédéesIl y aura évidemment des cérémonies dans toutes les communautés, pour les familles et lescommunautés qui ont perdu des proches et certains de leurs membres durant cette période. Et nousenvisageons de faire, au mois de septembre, à la grande pagode du bois de Vincennes, siège del'Union bouddhiste de France, une grande cérémonie où toutes les communautés bouddhistes, toutesles traditions pourront se rassembler. Ce sera une cérémonie pour les défunts mais aussi pour lesfamilles et pour montrer notre gratitude envers les personnels soignants et envers toutes les personnesqui se sont impliquées dans cette crise.

En tant que pratiquant bouddhiste, depuis quelques décennies, j'observe que ce qui peut le plusfragiliser aujourd'hui les gens, c'est l'impréparation. C'est dans les périodes où tout va bien que l'ondevrait prendre soin de sa vie, mettre en place ces pratiques spirituelles: la méditation, les rituels, lesenseignements. Il faut anticiper, car c'est cela qui crée en nous cette capacité à la stabilité, notammentémotionnelle.

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Coronavirus : regards croisés de trois représentants religieux3

Public Sénat - 3 avril 2020

Public Sénat vous propose le regard, l’analyse, la mise en perspective de grandes personnalités sur une crisedéjà entrée dans l’Histoire. Aujourd’hui, entretien exceptionnel avec les représentants des trois religionsmonothéistes… Regards croisés de Haïm Korsia, grand rabbin de France, Mgr Eric de Moulins-Beaufort,président de la Conférence des Évêques de France, archevêque de Reims, Tareq Oubrou, grand imam deBordeaux. Si chacun utilise ses mots et ses références, tous sont porteurs du même espoir, celui de voir àl’issue de cette crise une société plus solidaire, plus forte et plus humble. Des propos pleins de sagesse etd’optimisme…

Par Rebecca Fitoussi

Comment vit-on une période aussi troublée lorsque l’on croit en Dieu ? Avec crainte ? Avecfatalisme ? Avec espoir ?

Haïm Korsia : Si on croit en Dieu, par nature, on est toujours plein d’espoir. Ce n’est pas unequestion de vivre bien ou mal les choses, ce qui importe, c’est ce qu’il y a après. Ce temps deconfinement est finalement une occasion de penser à ce qui est important ou pas dans notre vie, uneoccasion de rééquilibrer les choses et de ce point de vue, c’est aussi une espérance. Je vois des gensqui sont malheureux d’être chez eux, c’est vrai que c’est difficile de quitter toute sa vie extérieure,mais se retrouver avec sa famille est-ce si malheureux ? Si oui, alors il faut se poser des questions.L’essentiel, c’est de retrouver l’essence de la vie qu’est la joie. La vie c’est toujours une espérance,c’est quelque chose qu’on construit. Que l’on construise dans certaines conditions ou dans d’autresconditions, c’est toujours un futur à construire.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort : On essaie de vivre cette période dans la paix. En tant que croyants,on pense que la vie ne se limite pas à la vie terrestre, on sait que la mort appartient à la vie. Il faut à lafois se battre contre la maladie et faire ce qu’il y a à faire pour limiter la contagion. Personnellementj’essaie de tirer profit de ce que le confinement nous offre, c’est-à-dire un rythme plus lent, uneattention plus importante aux autres en se téléphonant, davantage de temps pour la prière, pour laméditation et pour la réflexion. Finalement l’épidémie nous rapproche de la mort et elle est aussi unavertissement de plus sur le fait qu’il y ait des choses à changer dans notre mode de vie. Mais on lesait depuis longtemps.

Tareq Oubrou : C’est une épreuve de la vie. En tant que croyants, nous pensons que la vie est unesuccession d’épreuves. C’est le risque de l’existence, les imprévus, ce qu’on appelle le destin. Il n’y apas de linéarité, on ne connaît pas le futur et on est toujours surpris par la réalité qui nous révèle ànous-même, à nos fragilités, à notre vulnérabilité. Et toute épreuve porte des enseignements au niveaumoral, éthique, politique, économique. L’homme a toujours su convertir les épreuves à son avantage.C’est grâce aux catastrophes que l’humanité s’est construit une force. C’est ce qu’on appelle la forcede la fragilité. C’est dans cette vulnérabilité de l’être humain que réside sa force. C’est une perceptionmétaphysique positive et optimiste de l’existence. Le propre de la foi, c’est de donner de l’optimismequi permet de faire face à l’épreuve. Il n’y a pas de fatalisme passif, il y a un fatalisme actif, c’est-à-dire qu’on accepte la situation pas pour l’approuver mais pour la transformer.

3 https://www.publicsenat.fr/article/debat/coronavirus-regards-croises-de-trois-representants-religieux-181731

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Diriez‐vous que la foi vous aide à mieux appréhender cette épreuve ?

Haïm Korsia : Pas à mieux l’appréhender, non. Je pense qu’il y a une transcendance républicaine. Laquestion est de savoir comment on décide ensemble de vivre quelque chose qui nous relie même si onn’est pas physiquement dans le même espace physique. Nous sommes dans un espace commun qu’estl’espérance de la République. Au-delà des religions des uns et des autres, qui sont différentes ou quisont absentes, c’est la capacité à faire vivre dans le même espace les gens qui ne croient pas de lamême façon ; et ce qui est le plus important, c’est que la foi des uns ne soit pas en opposition avec lafoi des autres, donc que l’espérance qui est la mienne ne soit pas en opposition avec celle de mesconcitoyens. C’est le principe même de cette réflexion sur ce que nous voulons faire. En fait, on s’estrendu compte de quelque chose d’extraordinaire : c’est qu’on a besoin des autres pour vivre.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort : La foi permet de vivre dans une certaine paix, ce qui n’empêchepas la peur, notamment quand on est pris par la maladie ou l’inquiétude quand on a un proche qui esttouché. Mais elle nous aide à vivre les conditions différentes de la vie d’une manière positive. La vieaujourd’hui n’est plus remplie d’activités, elle n’est plus remplie de rencontres, elle n’est plus rempliede courses, de consommation, et il me semble que les croyants, de quelque religion qu’ils soient, ontdes ressources pour vivre cela, parce que nous savons bien que la vérité de la vie humaine se vit dansla profondeur de chacun, dans le service du prochain et que tout cela peut aussi se vivre dans leconfinement.

Tareq Oubrou : Le propre de la foi, c’est la sérénité. C’est de donner la force pour exister. La foi doit« désangoisser » le croyant. Foi et angoisse sont antinomiques. La foi est une valeur ajoutée, c’est unethérapie de l’âme, elle donne une force intérieure qui permet de garder la lucidité, une forme derationalité devant les événements, de s’en remettre à la volonté absolue de Dieu tout en prenant sa partde responsabilité dans son propre destin. La foi n’inhibe pas, au contraire, c’est un moteur de l’action.Sans foi, il n’y a pas d’action. Et cette foi peut être religieuse, comme elle peut être laïque. L’êtrehumain procède par conviction, par foi. Donc il y a un aspect universel de la foi quel que soit lecontenu de cette foi. Par exemple, le fait d’être confiné, c’est une action solidaire, c’est un actereligieux, c’est un acte spirituel, c’est un moment de solidarité. Une solidarité passive parce qu’on metà l’abri de la contamination les plus vulnérables d’entre nous.

Qu’est-ce que cette épreuve vous apprend sur l’humanité ? Cela nous rappelle à quel pointl’homme est petit ? A quel point nous devons rester modestes ? A quel point la vie estprécieuse ?

Haïm Korsia : Toutes les réflexions que vous soulignez sont justes, mais il y en a une qui lestranscende toutes, c’est que finalement, on a beau reprocher tout ce qu’on veut à l’humanité, aucapitalisme, à nos sociétés mercantiles… Etc… Et bien, quand il a fallu choisir entre le PIB et lasanté, on a fait le choix collectif de la santé, un choix mondial. Mondial et collectif ! Je trouve quec’est un signe formidable.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort : Cette épreuve nous rappelle que l’humanité est une. Et cela, leschrétiens, mais aussi les juifs et les musulmans le savent, il n’y a qu’une seule humanité parce qu’iln’y a qu’un seul créateur. L’épidémie nous fait justement éprouver que nous ne sommes qu’une seulehumanité et que nous ne pouvons pas vivre tous seuls dans notre île et laisser les autres se débrouillercomme ils peuvent. D’autre part, cela nous rappelle que l’humanité est aussi très forte. La médecinepermet par exemple de lutter contre la maladie. Et c’est parce que nos sociétés sont très organisées quenous pouvons nous imposer ce confinement et répandre des consignes très rapidement.Cette épreuve nous montre à la fois la force de notre humanité et sa vulnérabilité.

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Mais nous, croyants, nous ne le vivons pas comme un manque seulement, nous le vivons aussi avecl’idée que la vie est un don, qu'elle est précieuse. Être vivant, ce n’est pas seulement posséder,consommer, fabriquer, produire… C’est plutôt aimer, être aimé, servir, s’émerveiller de la délicatesseet du dévouement des autres.

Tareq Oubrou : Le propre de l’homme, c’est la vulnérabilité, parfois il l’oublie et les événementsviennent le lui rappeler. La toute-puissance est toujours contredite par les événements. Mais cettevulnérabilité n’est pas péjorative. Il s’agit de la transformer à notre avantage. Par exemple cetévénement nous apprend que la délocalisation de l’économie a des aspects négatifs. A nous d’en tirerles leçons ! Peut-être faut-il une solidarité et une économie de proximité. Au lieu d’aller chercher despommes de terre en Chine, pourquoi ne pas les cultiver chez nous ? [rires] C’est le bon sens en vérité,cette épidémie nous renvoie au bon sens.

Dans certaines communautés religieuses, on perçoit cette épreuve comme un châtiment divin,c’est difficilement audible pour ceux qui ne croient pas en Dieu, peut-être même pour ceux qui ycroient… Qu’en pensez‐vous ?

Haïm Korsia : Il n’y a pas de châtiment si par nature on nous demande de nous enfermer. Il y a unverset dans la Torah (livre d’Isaïe chapitre 26, verset 20) qui nous dit : « Enfermez-vous mon peupledans vos maisons, restez un moment, le temps que la colère passe ». Celui qui veut, il trouve tout dansla Bible, mais ce qui est certain, c’est qu’on y trouve l’espérance humaine.Enfermé ou pas enfermé, ce qui compte, c’est le monde que l’on construira demain.J’ai le sentiment que se projeter dans le « demain », c’est y penser dès maintenant. Avant cette périodede pandémie, j’ai écrit un livre qui s’appelle « Réinventer les aurores », et j’y explique que le modèlepour moi, c’est le CNR, le Conseil National de la Résistance. C’est en pleine guerre, en plein milieudes combats, au 13 rue du Four, Paris 6ème arrondissement, que ce CNR se réunit, pas seulement pourunifier la résistance, mais pour penser le lendemain. C’est ce qu’il faut qu’on fasse. Dans nosconfinements, il faut qu’on soit capable de rêver un monde d’après qui soit un monde de fraternité.Parce que ce qui nous manque le plus, c’est cela. Ceux qui voient un châtiment perçoivent peut-êtrequ’eux-mêmes mériteraient ce châtiment. Je trouve scandaleux de dire « il est frappé, bien fait pourlui ! ». A la limite ce qu’on pourrait se dire c’est « si je suis frappé, qu’est-ce que j’ai fait pour méritercela », mais pas projeter sa responsabilité sur les autres.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort : Toute l’histoire biblique aboutit à la conviction que Dieu ne châtiepas comme ça les gens en masse, cela n’a pas beaucoup de sens. En revanche, Dieu permet qu’il y aitdes avertissements. Ce sont plutôt des signaux qui nous sont donnés pour nous indiquer que noussommes sur de mauvaises pistes, qu’il y a des choses à redresser dans notre manière de vivre, soitindividuelles soit collectives. Jésus reprend par exemple la phrase d’un prophète qui nous précède debeaucoup dans l’écriture sainte juive : « Ce n’est pas la mort du pécheur que je désire mais qu’il seconvertisse et qu’il vive ». Donc c’est toujours un appel à mieux vivre.

Tareq Oubrou : C’est une erreur théologique catastrophique ! Le châtiment et les récompenses, c’estdans l’au-delà, pas ici-bas. Le Coran parle d’une vie dans l’épreuve, il n’y a pas de châtiment de Dieudans ce bas-monde. Il n’y a pas de rétribution, pas de bénédiction ni de malédiction dans ce bas-monde. Il y a uniquement des épreuves. Les catastrophes sont des épreuves, pas des châtiments.Personne ne peut pénétrer les volontés ultimes de Dieu. Il faut rester modeste. Il n’y a pasd’automatisme entre le péché et la sanction divine. La preuve, c’est qu’il y a des pays prospères qui nesont pas touchés, ce sont au contraire les plus vulnérables qui payent la facture des catastrophesgénéralement. Est-ce que Dieu punit les plus pauvres, les plus démunis, les plus fragiles ? Il y a un

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paradoxe dans cette lecture qui relie catastrophe et châtiment divin. Ça, c’est une superstition, ce n’estpas une croyance !Les faits résumés dans la presse et notamment dans un article de L’Opinion montrent que lesrassemblements religieux ont amplifié la propagation du coronavirus… Y a-t-il eu un manqued’anticipation ? Aurait-il fallu interdire les rassemblements plus tôt ?

Haïm Korsia : Non, on a tout respecté, et on a même anticipé sur toutes les décisions dugouvernement. Quand le gouvernement autorisait les cultes jusqu’à 100 personnes, je les ai limités à50. Quand le gouvernement est passé à 20, mois je suis passé à 15. Dès mon déplacement àVilleurbanne le week-end du 6 mars, j’ai mis en place l’interdiction de se serrer la main ou des’embrasser dans les synagogues et j’ai demandé d’utiliser du gel hydroalcoolique en permanence.Cette nécessité de protéger les autres et de se protéger, elle était déjà à l’esprit des responsablescommunautaires. Est-ce qu’on aurait pu faire mieux ou différemment ? Je ne sais pas. Mais j’ai lesentiment que c’est une grande leçon, et la Bible le dit, sur le fait qu’il n’y ait pas de raison quel’épidémie ne frappe pas de la même façon tout le monde. Il faut juste se protéger, faire attention.C’est le verset dont je vous parlais tout à l’heure : lorsqu’il y a une épidémie, il faut s’enfermer chezsoi. Vous voyez que le confinement n’est pas nouveau. C’est la réalité de la vie depuis que l’humanitéest humanité.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort : Les rassemblements religieux, ce n’est pas plus que d’aller aucinéma, au théâtre, au restaurant. Le dimanche qui a précédé le confinement, ce qui a fait peur auPremier Ministre, ce ne sont pas les rassemblements religieux, ce sont les gens qui se promenaient surles bords de la Seine ou qui s’allongeaient dans les parcs. Peut-être aurait-il fallu interrompre toutrassemblement un peu plus tôt. On n’a pas pris tout à fait au sérieux ce qui se passait en Italie et on atardé à mettre en œuvre les mêmes mesures que les Italiens. Il y a le cas bien spécifique de Mulhouse,mais en fait il y a eu des messes comme il y a eu des gens au restaurant, dans les parcs, comme il y aeu des gens dans les salles de sport.

Tareq Oubrou : On découvre au fil du temps la nature de ce virus. Il faut rester modeste. On ne peutpas juger le politique sur une incertitude. Donc on évolue, le politique évolue, sa stratégie sanitaireévolue… Tout cela évolue en fonction des données scientifiques. On ne peut pas refaire l’histoire.

Tous les rassemblements religieux sont-ils désormais strictement arrêtés ? Y compris pour desfêtes importantes ? Dites‐vous à tous vos fidèles de ne plus se réunir ? Certains seront seuls pourles fêtes, que leur dites‐vous ?

Haïm Korsia : On n’est jamais seul quand quelqu’un pense à vous. Et je le martèle, je le dis trèsfermement, c’est très dangereux de se réunir. Si on se confine pendant deux semaines pour se« déconfiner » à Pâques, on brise complètement le principe de protection des autres. On ne sait pascomment interagit ce virus, donc on respecte les règles absolues données par le gouvernement. Maiscroyez-moi, même quand le confinement sera terminé, les rapports entre les personnes ne seront plusjamais les mêmes, plus jamais ! On ne serrera plus les mains de quelqu’un, on n’embrassera plusquelqu’un d’une manière insouciante. Ce sera une grande transformation sociale.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort : Nous essayons de tout organiser pour que les gens puissent suivrele plus possible les célébrations des jours saints et notamment Pâques. Nous avons la chance de vivreune époque où il y a des moyens de diffusion par la radio, la télévision et les réseaux sociaux. Il estclair que tout le monde n’y a pas accès. Dans ma région, la Marne et les Ardennes, il y a quelqueszones blanches, qui n’ont pas complètement accès à internet, donc nous tâchons de diffuser lesmessages par le biais des boites aux lettres en prenant toutes les précautions nécessaires.

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Malheureusement, on ne peut pas complètement contrôler tout ce qui se fera. Il se fera de belleschoses et puis il y aura des gens qu’on ne pourra pas atteindre, mais on fait tout ce qu’on peut pouressayer de les rejoindre. Ce sera à chaque chrétien de faire attention à son entourage.

Tareq Oubrou : Moi je dis toujours : si les lieux de cultes sont fermés, la porte du ciel est toujoursouverte. On n’a pas besoin d’un espace pour vivre la solidarité, la spiritualité, ou le culte. On s’adapteà la situation. Nous gardons cette dimension verticale qui la transcendance, combinée à une dimensionhorizontale qui est la solidarité. On peut complètement vivre sa spiritualité dans le confinement. Il estinconcevable aujourd’hui d’organiser des rencontres cultuelles collectives ! Ce serait un crime et unefaute morale !

Haïm Korsia, la communauté orthodoxe de Jérusalem semble plus touchée que les autres parl’épidémie. Des critiques montent sur le non-respect des consignes… Avez-vous envie de direquelque chose à ce sujet ?

Haïm Korsia : Moi je n’ai pas de conseil à donner aux uns et autres. Je sais simplement qu’il y a desrègles. Ce sont des gens qui paradoxalement ne connaissent pas les commentaires de la Bible, ou entous cas ne les reconnaissent pas. L’impératif de santé s’impose à tous. A tous ! La protections’impose pour tout le monde. Je déplore cet état de fait, mais je me dis simplement que leurgouvernement, peut-être par la coercition, doit sauver toute sa population. C’est ce qui s’est passé enFrance. Ce qui a été terrible, chez nous en France, c’est qu’il a fallu que l’on voie toutes ces personnessur les quais de Seine en train de se promener et de courir ensemble, comme si c’était une journée devacances, pour qu’on se dise que c’était plus sérieux que prévu. Vous voyez que ce n’est pas qu’àMéha Shéarim (ndlr : quartier religieux de Jérusalem). Toute population ne supporte pas qu’on metteune limite à ses libertés.

Dans ce drame que nous vivons, viennent s’ajouter la douleur des enterrements en petit comité,des adieux expédiés, des cérémonies et des deuils encore plus douloureux. Comment aidez‐vousles fidèles ?

Haïm Korsia : Les seules cérémonies que nous assurions encore avec les prêtres, les pasteurs et lesimams, sont les cérémonies d’obsèques. J’en ai assuré deux personnellement, et c’est terrible !Traditionnellement, plus il y a de monde dans un enterrement, plus on trouve que c’est un signe dereconnaissance pour le défunt. Là, quand vous êtes 12 à deux mètres d’écart les uns des autres commesi une main invisible avait prélevé tous les gens qui auraient dû être présents, c’est quelque chose deterrible. Par exemple, pour respecter le nombre de personnes autorisées à un enterrement, j’ai dûinterdire à la veuve d’un monsieur de venir. C’est terrible ! Mais je lui ai promis de faire unecérémonie importante après. Comme je l’ai promis à toutes celles et à tous ceux qui sont en deuil.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort : D’abord je pense beaucoup à tous ceux qui sont à l’hôpital ou quisont seuls et auxquels les proches ne peuvent pas rendre visite. Je pense à ces proches qui ne peuventpas visiter un parent ou un ami qui est malade ou mourant. Heureusement, dans un certain nombre delieux, les aumôniers qui sont appelés peuvent venir. J’ai entendu quelques belles histoires où lepersonnel médical a très bien accueilli l’aumônier et c’était précieux pour tout le monde, y comprispour le personnel soignant. Être seul à accompagner les morts ou les mourants, c’est extrêmementdifficile, surtout qu’ils sont débordés par ailleurs. Chaque paroisse essaie d’imaginer des moyens pourgarder la mémoire des gens dont les obsèques ont été tronquées, soit en faisant un mur de photosvirtuelles, soit en mettant des photos dans une église, de façon à ce qu’à la sortie du confinement onpuisse essayer de donner des messes en mémoire de tous ces gens et compléter ce qui n’aura pas pu

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être bien fait. Malheureusement pour ceux qui perdent un parent, ne pas pouvoir se rassembler, ne paspouvoir se serrer dans les bras, s’embrasser, accompagner dans sa dernière demeure, c’est trèsdouloureux, c’est certain.

Tareq Oubrou : Le deuil, on peut le vivre de différentes manières. Le rapport avec nos morts n’est liéni à un temps particulier, ni à un espace particulier. Le propre de la spiritualité, c’est de vivre lareligion dans toutes les situations possibles et imaginables. Le deuil c’est d’abord un rapport avec lemystère de la vie et de la mort, c’est un moment de méditation. Le culte s’adapte aussi. La cérémoniepeut se dérouler dans le confinement par petits groupes à la maison, en famille, etc… Il y a millemanières de célébrer le rite funéraire.

Qu’attendez‐vous de l’après ? Qu’espérez‐vous ?

Haïm Korsia : L’expérience nous force à voir le monde différemment. C’est une règle. Et j’ai lesentiment que là, c’est le moment de trouver des enseignements sur ce qui est important pour notresociété, sur la nécessité de penser le monde ensemble. On s’est rendu compte que ce qui se passe aubout du monde nous impacte. On n’est pas sur une île ! Il n’y a plus de barrière à cette humanité. Noussommes une humanité. On doit donc être capable de prendre les décisions ensemble. On doit êtrecapable de ne pas laisser les uns et les autres avec leurs problèmes, parce que leurs problèmes serontnos problèmes. Je pense par exemple à l’arrivée de migrants en Italie. Est-ce qu’on peut accepter queLampedusa ne nous concerne pas parce que c’est l’Italie ? Non ! Là, on essaie de régler la questiondes SDF et des étrangers en situation irrégulière, et quoi ? Après le coronavirus, on retourne à lasituation d’avant et on ne pense pas à eux ? Toutes ces grandes questions seront des questions qu’ondevra traiter. On doit construire quelque chose de nouveau qui partage l’espérance.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort : Depuis dix ou quinze ans, nous savons que nous devons changernotre mode de production et de consommation à cause de la contrainte écologique, il faudrait doncqu’on prenne les décisions personnelles et surtout collectives qui s’imposent. Sortirons-nous plus fortsde ce confinement pour prendre les décisions qui s’imposent ? L’épidémie a révélé la faiblesse ou lesdéfauts de l’organisation économique du monde. Serons-nous capables de faire ce qu’il faut pourconstruire autrement ? Il y a longtemps que nous savons aussi que notre système économique fait queles riches, les très riches décrochent du reste du monde et sont toujours plus riches, alors que lespauvres sont quelquefois plus pauvres. On l’a entendu en France avec les Gilets Jaunes. C’est surtoutle décrochage des riches par rapport au reste de la population qui est impressionnant et qui ne peut pasdurer éternellement. Par ailleurs, je trouve que nous faisons l’expérience d’un rythme beaucoup moinsfrénétique et donc d’une certaine capacité donnée à chacun de revenir en lui-même, donc j’espère quenous sortirons du confinement en sachant chacun trouver le moyen d’un certain ralentissement durythme et en gardant un peu de place à ce que l’on a redécouvert, un peu de silence, un peu deréflexion voire de la prière ou de la méditation, et puis une rencontre des autres moins nombreuse,moins frénétique et plus profonde.

Tareq Oubrou : J’espère plus d’union, plus de solidarité dans un moment d’effritement des identités,dans un moment de repli identitaire. Les catastrophes ne connaissent pas les clôtures religieuses etidentitaires. Si le ciel nous divise, la terre nous unit.Il faut avoir une éthique d’altérité et apprendre à vivre avec l’autre, à vivre dans une solidariténationale, dans une fraternité républicaine. Il ne faut pas utiliser cet événement pour diviser davantagela nation française.Après l’épidémie, il y aura toujours des enjeux politiciens à court terme et cela nuit au vivre-ensemble. Il faut dépasser les egos, les intérêts partisans, communautaristes, « identitaristes ». Nous

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sommes tous dans le même paquebot, le paquebot France qu’il faut préserver des naufrages et destempêtes futures. Un peu de sagesse ! Un peu d’altruisme ! Aujourd’hui c’est l’épidémie, demain il yaura une catastrophe économique et financière, peut-être ensuite une catastrophe climatique. Il fautque nous apprenions très tôt les gestes de solidarité, dans le regard, dans la parole, dans l’économie,dans le social, dans le monde médiatique également. On a besoin de médias qui jouent sur la solidaritéet pas uniquement sur les choses qui divisent. On a besoin de tirer tous ces enseignements, et lareligion doit être une valeur ajoutée, pas un catalyseur de cette division.

Ce sont des temps agités qui pourraient rapprocher l’homme sinon de Dieu, du moins d’uneforme de spiritualité ou de transcendance selon vous ? Vous l’observez déjà ?Haïm Korsia : Même les gens qui ne sont pas forcément pieux attendent quelque chose de nous. Il y aun respect de la parole de ceux qui portent un espoir. Et cette parole n’est pas forcément fondée sur lareligion. Elle est fondée sur une transcendance, qu’elle soit républicaine, religieuse, qu’elle soithumaniste. C’est la transcendance de celui qui ne reste pas enfermé dans ce qu’il vit, mais qui seprojette dans un futur qu’il est en train de construire.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort : Ce qui est sûr c’est que les catastrophes et la lutte contre elles ontl’avantage de simplifier la vie d’une certaine façon. On est devant le grand enjeu de la vie, toutes nosforces se mobilisent, ce qui fait que les tas de choses qui encombrent la vie ordinaire disparaissent…Les petits conflits, les ambitions médiocres, les peurs, les méfiances qu’on a les uns par rapport auxautres… Tout cela peut disparaître ou passer très loin derrière parce qu’on est mobilisé par un butunique. Dans cet élan-là, nous sommes peut-être plus disponibles pour découvrir le sens de la vie,pour découvrir qu’elle nous est donnée, peut-être nous interroger sur celui qui nous la donne, éprouverqu’on est une seule humanité, et comment à partir de là, nous pouvons davantage être des frères et dessœurs. On sait bien qu’il y a des tas de raisons de se frotter les uns aux autres, de se méfier, que la vieensemble n’est pas toujours facile, mais la situation de crise nous oblige d’une certaine façon à le faireet à nous permettre de franchir des pas que nous ne savons pas franchir dans la vie ordinaire. Cela peutdonc aider à nous poser les questions essentielles et peut-être apporter des réponses essentielles à cesquestions.

Tareq Oubrou : Cela fait déjà un certain temps qu’on voit une forme de « dé-sécularisation », unretour à la spiritualité en général et même malheureusement un retour fracassant à la religion ! Maissans médiation savante. La spiritualité qui n’est pas éclairée par la raison peut être un terrorisme, uneviolence. On a besoin d’une spiritualité au service de l’être humain dans son universalité et pas d’unespiritualité communautariste qui étouffe le fidèle dans sa communauté imaginaire et imaginée.Effectivement les malheurs rapprochent l’homme de la transcendance. On dit toujours : quandl’horizon social se ferme, l’horizon vertical s’ouvre. C’est dans la misère et les conflits que l’hommes’adresse à la transcendance. Mais il ne faut pas que ce retour à Dieu et à la religion soit égoïste, sanspartage, sans solidarité.

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