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1,00 € Numéros précédents 2,00 € L’O S S E RVATORE ROMANO EDITION HEBDOMADAIRE Unicuique suum EN LANGUE FRANÇAISE Non praevalebunt LXXI e année, numéro 14 (3.627) Cité du Vatican mardi 7 avril 2020 L’Eglise entre dans la Semaine Sainte 2020 Vivre pour servir La créativité de l’amour En ce début de la Semaine Sainte et en ce temps de pandémie du coronavirus, le Pape François a voulu exprimer sa proximité aux familles du monde entier à travers le message vidéo suivant, retransmis sur les chaînes de télévision dans la soirée du vendredi 3 avril. Chers amis, bonsoir! Ce soir, j’ai la possibilité d’entrer dans vos maisons d’une façon dif- férente de l’ordinaire. Si vous le permettez je voudrais parler avec vous quelques instants, en cette période de difficultés et de souf- frances. Je vous imagine dans vos familles, alors que vous vivez une vie insolite pour éviter la conta- gion. Je pense à la vivacité des en- fants, des adolescents, qui ne peu- vent pas sortir, aller à l’école, avoir leur vie. J’ai dans mon cœur tou- tes les familles, en particulier cel- les qui ont un proche malade, ou qui ont hélas connu des deuils à cause du coronavirus ou d’autres causes. Ces jours-ci je pense sou- vent aux personnes seules, pour lesquelles il est plus difficile d’af- fronter ces moments. Je pense sur- tout aux personnes âgées qui me sont si chères. Je ne peux pas oublier ceux qui sont malades du coronavirus, les personnes hospitalisées. J’ai à l’es- prit la générosité de ceux qui s’ex- posent pour soigner cette pandé- mie ou pour garantir les services essentiels de la société. Combien de héros, de tous les jours, de tou- tes les heures! Je pense aussi à ceux qui souffrent de difficultés économiques et sont préoccupés pour le travail et pour l’avenir. Ma pensée va aussi aux détenus dans les prisons, à la douleur desquels s’ajoute la peur de la pandémie, pour eux et pour leurs proches. Je pense aux sans-abri, qui n’ont pas de maison pour les protéger. C’est un moment difficile pour tous. Pour beaucoup, très difficile. Le Pape le sait et, à travers ces pa- roles, il veut dire à tous sa proxi- mité et son affection. Cherchons, si nous le pouvons, à utiliser ce temps au mieux: soyons généreux, aidons qui en a besoin autour de nous, cherchons éventuellement au téléphone, ou à travers les réseaux sociaux, les personnes les plus seules, prions le Seigneur pour ceux qui sont éprouvés, en Italie et dans le monde. Même si nous Homélie des Rameaux page 3 DANS CE NUMÉRO Page 2: Audience généra- le du 1 er avril. Décret de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Pa- ge 3: Angelus du 5 avril. Page 4: Note de l’Acadé- mie pontificale pour la vie sur l’urgence due au covid-19. Page 6: Lettre aux salésiens. Page 9: En- tretien avec le cardinal Zenari. Page 10: Inten- tions de prière pour avril. Page 11: Informations. Vi- déo spéciale du Réseau mondial de prière. Pa- ge 12: Lettre du cardinal Ouellet aux clarisses d’Assise. sommes isolés, la pensée et l’esprit peuvent aller loin, grâce à la créa- tivité de l’amour. C’est ce qui est aujourd’hui nécessaire, la créativité de l’amour. Nous célébrons de la Semaine Sainte d’une manière vraiment in- habituelle, qui manifeste et résume le message de l’Evangile, celui de l’amour de Dieu, sans limites. Et dans le silence de nos villes, l’Evangile de Pâques résonnera. L’apôtre Paul dit: «Il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressusci- té pour eux» (2 Co 5, 15). En Jé- sus ressuscité, la vie a vaincu la mort. Cette foi pascale nourrit no- tre espérance. Je voudrais la parta- ger avec vous ce soir. C’est l’espé- rance d’un temps meilleur, où être nous-mêmes meilleurs, enfin libé- rés du mal et de cette pandémie. C’est une espérance: l’espérance ne déçoit pas; ce n’est pas une il- lusion, c’est une espérance. Les uns aux côtés des autres, dans l’amour et dans la patience, nous pouvons préparer en ces jours un temps meilleur. Je vous remercie de m’avoir permis d’entrer dans vos maisons. Ayez un geste de tendresse pour ceux qui souffrent, pour les enfants, pour les person- nes âgées. Dites-leur que le Pape est proche et prie pour que le Sei- gneur nous libère tous vite du mal. Et vous, priez pour moi. Bon dîner. A bientôt!

1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E …...coronavirus, le Pape François a voulu exprimer sa proximité aux familles du monde entier à travers le message vidéo suivant,

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L’O S S E RVATOR E ROMANOEDITION HEBDOMADAIRE

Unicuique suum

EN LANGUE FRANÇAISENon praevalebunt

LXXIe année, numéro 14 (3.627) Cité du Vatican mardi 7 avril 2020

L’Eglise entre dans la Semaine Sainte 2020

Vivre pour servirLa créativitéde l’amour

En ce début de la Semaine Sainte eten ce temps de pandémie ducoronavirus, le Pape François avoulu exprimer sa proximité auxfamilles du monde entier à travers lemessage vidéo suivant, retransmissur les chaînes de télévision dans lasoirée du vendredi 3 avril.

Chers amis, bonsoir!Ce soir, j’ai la possibilité d’e n t re rdans vos maisons d’une façon dif-férente de l’ordinaire. Si vous lepermettez je voudrais parler avecvous quelques instants, en cettepériode de difficultés et de souf-frances. Je vous imagine dans vosfamilles, alors que vous vivez unevie insolite pour éviter la conta-gion. Je pense à la vivacité des en-fants, des adolescents, qui ne peu-vent pas sortir, aller à l’école, avoirleur vie. J’ai dans mon cœur tou-tes les familles, en particulier cel-les qui ont un proche malade, ouqui ont hélas connu des deuils àcause du coronavirus ou d’a u t re scauses. Ces jours-ci je pense sou-vent aux personnes seules, pourlesquelles il est plus difficile d’af-fronter ces moments. Je pense sur-tout aux personnes âgées qui mesont si chères.Je ne peux pas oublier ceux quisont malades du coronavirus, lespersonnes hospitalisées. J’ai à l’es-prit la générosité de ceux qui s’ex-posent pour soigner cette pandé-mie ou pour garantir les servicesessentiels de la société. Combiende héros, de tous les jours, de tou-tes les heures! Je pense aussi àceux qui souffrent de difficultéséconomiques et sont préoccupéspour le travail et pour l’avenir. Mapensée va aussi aux détenus dansles prisons, à la douleur desquelss’ajoute la peur de la pandémie,pour eux et pour leurs proches. Jepense aux sans-abri, qui n’ont pasde maison pour les protéger.C’est un moment difficile pourtous. Pour beaucoup, très difficile.Le Pape le sait et, à travers ces pa-roles, il veut dire à tous sa proxi-mité et son affection. Cherchons,si nous le pouvons, à utiliser cetemps au mieux: soyons généreux,aidons qui en a besoin autour denous, cherchons éventuellement autéléphone, ou à travers les réseauxsociaux, les personnes les plusseules, prions le Seigneur pourceux qui sont éprouvés, en Italieet dans le monde. Même si nous

Homélie des Rameauxpage 3

DANS CE NUMÉROPage 2: Audience généra-le du 1er avril. Décret dela Congrégation pour leculte divin et la disciplinedes sacrements. Pa-ge 3: Angelus du 5 avril.Page 4: Note de l’Acadé-mie pontificale pour lavie sur l’urgence due aucovid-19. Page 6: Lettreaux salésiens. Page 9: En-tretien avec le cardinalZenari. Page 10: Inten-tions de prière pour avril.Page 11: Informations. Vi-déo spéciale du Réseaumondial de prière. Pa-ge 12: Lettre du cardinalOuellet aux clarissesd’Assise.

sommes isolés, la pensée et l’espritpeuvent aller loin, grâce à la créa-tivité de l’amour. C’est ce qui esta u j o u rd ’hui nécessaire, la créativitéde l’a m o u r.Nous célébrons de la SemaineSainte d’une manière vraiment in-habituelle, qui manifeste et résumele message de l’Evangile, celui del’amour de Dieu, sans limites. Etdans le silence de nos villes,l’Evangile de Pâques résonnera.L’apôtre Paul dit: «Il est mortpour tous, afin que les vivants nevivent plus pour eux-mêmes, maispour celui qui est mort et ressusci-té pour eux» (2 Co 5, 15). En Jé-sus ressuscité, la vie a vaincu lamort. Cette foi pascale nourrit no-tre espérance. Je voudrais la parta-ger avec vous ce soir. C’est l’esp é-rance d’un temps meilleur, où êtrenous-mêmes meilleurs, enfin libé-rés du mal et de cette pandémie.C’est une espérance: l’esp érancene déçoit pas; ce n’est pas une il-lusion, c’est une espérance.Les uns aux côtés des autres, dansl’amour et dans la patience, nouspouvons préparer en ces jours untemps meilleur. Je vous remerciede m’avoir permis d’entrer dansvos maisons. Ayez un geste detendresse pour ceux qui souffrent,pour les enfants, pour les person-nes âgées. Dites-leur que le Papeest proche et prie pour que le Sei-gneur nous libère tous vite dumal. Et vous, priez pour moi. Bondîner. A bientôt!

page 2 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 7 avril 2020, numéro 14

Audience générale du 1er avril

Dans les épreuves de la vieun chemin de purification

Chers frères et sœurs, bonjour!Nous lisons aujourd’hui ensemble la sixième béa-titude, qui promet la vision de Dieu et qui a com-me condition la pureté du cœu r.

Un Psaume dit: «De toi mon cœur a dit:“Cherche sa face”. C’est ta face, Yahvé, que jecherche, ne me cache point ta face» (27, 8-9).

Ce langage manifeste la soif d’une relation per-sonnelle avec Dieu, pas mécanique, pas un peunébuleuse, non: personnelle, que le livre de Jobexprime également comme le signe d’une relationsincère. Le livre de Job dit ainsi: «Je ne te con-naissais que par ouï-dire, mais maintenant mesyeux t’ont vu» (Jb 42, 5). Et très souvent je penseque c’est le chemin de la vie, dans nos relationsavec Dieu. Nous connaissons Dieu par ouï-dire,mais avec notre expérience nous allons de l’avant,de l’avant, de l’avant et, à la fin, nous le connais-sons directement, si nous sommes fidèles… Et ce-la est la maturité de l’Esprit.

Comment arriver à cette intimité, à connaîtreDieu avec les yeux? On peut penser aux disciplesd’Emmaüs, par exemple, qui ont le Seigneur Jé-sus à côté d’eux, «mais leurs yeux étaient em-pêchés de le reconnaître» (Lc 24, 16). Le Seigneurouvrira leur regard au terme d’un chemin qui at-teint son sommet dans la fraction du pain et quiavait commencé par un reproche: «Cœurs sansintelligence, lents à croire tout ce qu’ont annoncéles prophètes» (cf. Lc 24, 25). C’est le reprochedu début. Voilà l’origine de leur cécité: leur cœursans intelligence et lent. Et quand le cœur est

sans intelligence et lent, on ne voit pas les choses.On voit les choses comme embrumées. C’est làque se trouve la sagesse de cette béatitude: pourpouvoir contempler, il est nécessaire de rentrer ennous et de laisser place à Dieu, car, comme le ditsaint Augustin, «Dieu m’est plus intime que moi-même» («interior intimo meo»: Confessions, III, 6,11). Pour voir Dieu, il n’y a pas besoin de changerde lunettes ou de point d’observation, ou dechanger les auteurs théologiens qui enseignent lechemin: il faut libérer le cœur de ses tromperies!C’est la seule route.

C’est une maturation décisive: lorsque nousnous rendons compte que, souvent, notre pire en-nemi est caché dans notre cœur. La bataille laplus noble est celle contre les tromperies in-térieures qui engendrent nos péchés. Car les pé-chés changent la vision intérieure, ils changentl’évaluation des choses, ils font voir des chosesqui ne sont pas vraies, ou tout au moins qui nesont pas aussi vraies.

Il est donc important de comprendre ce qu’estla «pureté du cœur». Pour le faire, il faut rappelerque pour la Bible, le cœur ne consiste pas seule-ment dans les sentiments, mais qu’il est le lieu leplus intime de l’être humain, l’espace intérieur ouune personne est elle-même. Cela, selon la menta-lité biblique.

L’Evangile de Matthieu dit: «Si donc lalum i è requi est en toi est ténèbres, quelles ténèbres ce se-ra!» (6, 23). Cette «lumière» est le regard ducœur, la perspective, la synthèse, le point à partir

duquel on lit la réalité (cf. Exhort. ap. Evangeliigaudium, n. 143).

Mais que veut dire un cœur «pur»? Celui qui aun cœur pur vit en présence du Seigneur, en con-servant dans son cœur ce qui est digne de la rela-tion avec Lui; ce n’est qu’ainsi qu’il possède unevie «unifiée», linéaire, qui n’est pas tortueuse maissimple.

Le cœur purifié est donc le résultat d’un pro-cessus qui implique une libération et un renonce-ment. Le pur de cœur ne naît pas tel, il a vécu unesimplification intérieure, en apprenant à renier lemal en lui, une chose qui dans la Bible est appe-lée la circoncision du cœur (cf. Dt 10, 16; 30, 6; Ez44, 9; Jr 4, 4).

Cette purification intérieure implique la recon-naissance de cette partie du cœur qui est sousl’influence du mal — «Vous savez, Père, je sens ai-nsi, je pense ainsi, je vois ainsi, et c’est laid»: re-connaître la partie laide, la partie qui est embru-mée par le mal — pour apprendre l’art de se lais-ser toujours enseigner et conduire par l’EspritSaint. Le chemin du cœur malade, du cœur pé-cheur, du cœur qui ne peut pas bien voir les cho-ses, parce qu’il est dans le péché, est l’œuvre del’Esprit Saint qui conduit à la plénitude de la lu-mière du cœur. C’est lui qui nous guide pour ac-complir ce chemin. Voilà, à travers ce chemin ducœur, nous arrivons à «voir Dieu».

Dans cette vision béatifique, il y a une dimensionfuture, eschatologique, comme dans toutes lesBéatitudes: c’est la joie du Royaume des cieuxvers lequel nous allons. Mais il y a aussi l’a u t redimension: voir Dieu signifie comprendre les des-seins de la Providence dans ce qui nous arrive, re-connaître sa présence dans les sacrements, sa pré-sence dans nos frères, en particulier pauvres et quisouffrent, et le reconnaître là où Il se manifeste(cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2519).

Cette béatitude est un peu le fruit des précé-dentes: si nous avons écouté la soif de bien quinous habite et que nous sommes conscients de vi-vre de miséricorde, un chemin de libération com-mence qui dure toute la vie et qui conduit jus-qu’au Ciel. C’est un travail sérieux, un travail quefait l’Esprit Saint si nous lui laissons place pourqu’il le fasse, si nous sommes ouverts à l’action del’Esprit Saint. C’est pourquoi nous pouvons direque c’est une œuvre de Dieu en nous — dans lesépreuves et dans les purifications de la vie — etcette œuvre de Dieu et de l’Esprit Saint conduit àune grande joie, à une vraie paix. N’ayons paspeur, ouvrons les portes de notre cœur à l’EspritSaint pour qu’il nous purifie et nous fasse avancersur ce chemin vers la joie en plénitude.

Au terme de l’audience générale, le Saint-Père aadressé le salut suivant aux fidèles francophones:

Je salue cordialement les personnes de languefrançaise. Frères et sœurs, profitons de ce tempsde carême pour entendre cette soif de Dieu quihabite en nous. Poursuivons notre chemin de li-bération, à travers les épreuves et les purificationsde la vie, qui nous conduise à la gloire du ciel.Que Dieu vous bénisse.

Décret de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements

En temps de covid-19Considérant l’évolution rapide de la pandémiede covid-19 et tenant compte des observationsreçues des conférences épiscopales, cette Con-grégation propose une mise à jour des indica-tions générales et des suggestions déjà donnéesaux évêques dans le précédent décret du 19 mars2020.

Comme la date de Pâques ne peut être dépla-cée, dans les pays touchés par la maladie, oùsont prévues des restrictions sur les rassemble-ments et les déplacements des personnes, lesévêques et les prêtres doivent célébrer les ritesde la Semaine Sainte sans la participation de lapopulation et dans un lieu approprié, en évitantla concélébration et en omettant l’échange de lapaix.

Les fidèles doivent être informés de l’heure dudébut des célébrations, afin de pouvoir se join-dre à la prière chez eux. Les moyens de commu-nication télématiques en direct, non enregistrés,pourront être utiles. Quoi qu’il en soit, il esttoujours important de consacrer un temps suffi-sant à la prière, en valorisant avant tout la Litur-gia Horarum.

Les conférences épiscopales et les diocèses in-dividuels ne devront pas manquer d’offrir leurconcours pour aider la prière en famille et per-sonnelle.

1 - Dimanche des Rameaux. La commémora-tion de l’entrée du Seigneur à Jérusalem doitêtre célébrée à l’intérieur du bâtiment sacré;dans les églises cathédrales, on doit adopter ladeuxième forme prévue par le Missel romain,dans les églises paroissiales et dans les autreslieux, la troisième.

2 - Messe chrismale. En évaluant le cas con-cret dans les différents pays, les conférencesépiscopales pourront donner des indications surun éventuel déplacement à une autre date.

3 - Jeudi saint. Le lavement des pieds, déjàfacultatif, doit être omis. A la fin de la Messe dela Cène du Seigneur, la procession doit égale-ment être omise et le Saint-Sacrement doit êtreconservé dans le tabernacle. Ce jour-là, les prê-tres ont exceptionnellement la faculté de célé-brer la Messe sans la participation du peuple,dans un lieu approprié.

4 - Vendredi Saint. Dans la prière universelle,les évêques veilleront à préparer une intentionspéciale pour ceux qui sont dans une situationde désarroi, les malades, les défunts, (cf. MissaleRomanum). L’acte d’adoration de la Croix par lebaiser doit être limité au seul célébrant.

5 - Veillée pascale. Elle doit être célébrée ex-clusivement dans les églises cathédrales et pa-roissiales. Pour la liturgie baptismale, seul le re-nouvellement des promesses baptismales doitêtre conservé (cf. Missale Romanum).

Les indications du présent décret doivent êtresuivies par les séminaires, les collèges sacerdo-taux, les monastères et les communautés reli-gieuses.

Les expressions de piété populaire et les pro-cessions qui enrichissent les jours de la SemaineSainte et du Triduum pascal peuvent, selon lejugement de l’évêque diocésain, être déplacées àd’autres jours adaptés, par exemple les 14 et 15s e p t e m b re .

De mandato Summi Pontificis pro hoc tantumanno 2020.

Du siège de la Congrégation pour le cultedivin et la discipline des sacrements, le 25 mars

2020, solennité de l’Annonciation du Seigneur.ROBERT CA R D. SARAH

P ré f e t

S. E XC. MGR ARTHUR RO CHES e c ré t a i re

numéro 14, mardi 7 avril 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 3

Homélie du Dimanche des Rameaux

La vie ne sert à rien si on ne sert pas

«Le drame que nous sommes en train de traverser ence moment nous pousse à prendre au sérieux ce quiest sérieux, et à ne pas nous perdre dans des chosesde peu de valeur; à redécouvrir que la vie ne sert àrien si on ne sert pas». C’est ce qu’a souligné lePape François au cours de la Messe célébrée dans lamatinée du 5 avril, Dimanche des Rameaux etXXXVe Journée mondiale de la jeunesse (au niveaudiocésain). La célébration s’est déroulée dans labasilique Saint-Pierre, vide en raison des dispositionsqui interdisent les rassemblements de fidèles pourlimiter la pandémie du coronavirus. Nous publionsci-dessous l’homélie prononcée par le Saint-Père.

Jésus «s’est anéanti, prenant la condition de servi-teur» (Ph 2, 7). Laissons-nous introduire dans lesjours saints par ces mots de l’apôtre Paul, où laParole de Dieu, comme un refrain, montre Jésuscomme un serviteur: le Jeudi saint il est le servi-teur qui lave les pieds à ses disciples; le Vendredisaint il est présenté comme le serviteur souffrantet victorieux (cf. Is 52, 13); et déjà demain, Isaïeprophétisera de lui: «Voici mon serviteur que jesoutiens» (Is 42, 1). Dieu nous a sauvés en nousservant. En général nous pensons que c’est à nousde servir Dieu. Non, c’est lui qui nous a servi gra-tuitement, parce qu’il nous a aimé en premier. Ilest difficile d’aimer sans être aimés. Et il est enco-re plus difficile de servir si nous ne nous laissonspas servir par Dieu.

Mais — une question — de quelle façon le Sei-gneur nous a-t-il servi? En donnant sa vie pournous. Nous lui sommes chers et nous lui avonscoûté cher. Sainte Angèle de Foligno a témoignéd’avoir entendu de Jésus ces paroles: «Ce n’estpas pour rire que je t’ai aimée». Son amour l’aconduit à se sacrifier pour nous, à prendre sur luitout notre mal. C’est une chose qui nous laissepantois: Dieu nous a sauvés en acceptant que no-tre mal s’acharne sur lui. Sans réagir, avec seule-ment l’humilité, la patience et l’obéissance du ser-viteur, exclusivement avec la force de l’amour. Etle Père a soutenu le service de Jésus: il n’a pas misen déroute le mal qui s’abattait sur lui, mais il asoutenu sa souffrance, pour que notre mal soitvaincu seulement par le bien, pour qu’il soit tra-versé jusqu’au fond par l’amour. Jusqu’au fond.

Le Seigneur nous a servis jusqu’à éprouver lessituations les plus douloureuses pour qui aime: latrahison et l’abandon.

La trahison. Jésus a subi la trahison du disciplequi l’a vendu et du disciple qui l’a renié. Il a ététrahi par les gens qui l’acclamaient et qui ensuiteont crié: «Qu’il soit crucifié!» (Mt 27, 22). Il a ététrahi par l’institution religieuse qui l’a condamnéinjustement et par l’institution politique qui s’estlavé les mains. Pensons aux petites et aux grandestrahisons que nous avons subies dans la vie. C’est

terrible quand on découvre que la confiance bienplacée a été trompée. Naît au fond du cœur unedéception telle que la vie semble ne plus avoir desens. Cela arrive parce que nous sommes nés pourêtre aimés et pour aimer, et la chose la plus dou-loureuse c’est d’être trahi par celui qui a promisde nous être loyal et proche. Nous ne pouvonspas non plus imaginer comme cela a été doulou-reux pour Dieu, qui est a m o u r.

Regardons-nous à l’intérieur. Si nous sommessincères avec nous-mêmes, nous verrons nos infi-délités. Que de fausseté, d’hypocrisies et de du-plicités! Que de bonnes intentions trahies! Quede promesses non tenues! Que de résolutions lais-sées s’évanouir! Le Seigneur connaît notre cœurmieux que nous, il sait combien nous sommes fai-bles et inconstants, combien de fois nous tom-bons, que de mal nous avons à nous relever etcombien il est difficile de guérir certaines blessu-res. Et qu’a-t-il fait pour venir à notre rencontre,pour nous servir? Ce qu’il avait dit par le pro-phète: «Mo i je les guérirai de leurs infidélités, jeles aimerai d’un amour gratuit» (Os 14, 5). Ilnous a guéris en prenant sur lui nos infidélités, enenlevant nos trahisons. De sorte que, au lieu denous décourager par peur de ne pas y arriver,nous pouvons lever notre regard vers le Crucifié,recevoir son étreinte et dire: «Voilà, mon infidélitéest là, tu l’as prise, toi, Jésus. Tu m’ouvres les

bras, tu me sers par ton amour, tu continues à mesoutenir... Alors j’avance!».

L’abandon. Sur la croix, dans l’Evangile d’au-j o u rd ’hui, Jésus dit une phrase, une seule: «MonDieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?»(Mt 27, 46). C’est une phrase forte. Jésus avaitsouffert l’abandon des siens, qui avaient fui. Maisil lui restait le Père. Maintenant, dans l’abîme dela solitude, pour la première fois il l’appelle par lenom générique de «Dieu». Et il lui crie «d’unevoix forte» le «p o u rq u o i », le «p o u rq u o i » le plusdéchirant: «Pourquoi, toi aussi, m’as-tu abandon-né?». Ce sont en réalité les paroles d’un Psaume(cf. 21, 2): on y dit que Jésus a aussi porté enprière l’extrême désolation. Mais il reste le faitqu’il l’a éprouvée: il a éprouvé l’abandon le plusgrand dont les Evangiles témoignent en rappor-tant ses paroles originales.

Pourquoi tout cela? Encore une fois pour nous,pour nous servir. Parce que lorsque nous nous sen-tons le dos au mur, quand nous nous trouvonsdans une impasse, sans lumière et sans issue,quand il semble que même Dieu ne répond pas,nous nous rappelions que nous ne sommes passeuls. Jésus a éprouvé l’abandon total, la situationqui lui est la plus étrangère, afin de nous être so-lidaire en tout. Il l’a fait pour moi, pour toi, pournous tous, il l’a fait pour nous dire: «N’aie paspeur, tu n’es pas seul. J’ai éprouvé toute ta déso-lation pour être toujours à ton côté». Voilà jus-qu’où Jésus nous a servi, descendant dans l’abîmede nos souffrances les plus atroces, jusqu’à latrahison et à l’abandon. Aujourd’hui, dans le dra-me de la pandémie, face à tant de certitudes quis’effritent, face à tant d’attentes trahies, dans lesens d’un abandon qui nous serre le cœur, Jésusdit à chacun de nous: «Courage: ouvre ton cœurà mon amour. Tu sentiras la consolation de Dieu,qui te soutient».

Chers frères et sœurs, que pouvons-nous fairedevant Dieu qui nous a servis jusqu’à éprouver latrahison et l’abandon? Nous pouvons ne pastrahir celui pour qui nous avons été créés, ne pasabandonner ce qui compte. Nous sommes aumonde pour l’aimer, lui et les autres. Le reste pas-se, cela demeure. Le drame que nous sommes entrain de traverser en ce moment nous pousse àprendre au sérieux ce qui est sérieux, et à ne pasnous perdre dans des choses de peu de valeur; àredécouvrir que la vie ne sert à rien si on ne sertpas. Parce que la vie se mesure sur l’amour. Alors,en ces jours saints, à la maison, tenons-nous de-vant le Crucifié — regardez, regardez le Crucifié!—, mesure de l’amour de Dieu pour nous. DevantDieu qui nous sert jusqu’à donner sa vie, deman-dons, en regardant le Crucifié, la grâce de v i v repour servir. Cherchons à contacter celui qui souf-

Angelus du 5 avril

Une JMJ inédite

Chers frères et sœurs,Avant de conclure cette célébration, je désire sa-luer ceux qui y ont pris part à travers lesmoyens de communication. Ma pensée va, enparticulier, vers les jeunes du monde entier, quivivent de manière inédite, au niveau diocésain,la journée mondiale de la jeunesse d’au-j o u rd ’hui. Le passage de la Croix des jeunes dePanama à ceux de Lisbonne était prévu au-j o u rd ’hui. Ce geste si suggestif est renvoyé audimanche du Christ-Roi, le 22 novembre pro-chain. Dans l’attente de ce moment, je vous ex-horte, vous les jeunes, à cultiver et témoignerl’espérance, la générosité, la solidarité dont nousavons tous besoin en ces temps difficiles.

Demain, 6 avril, est célébrée la journée mon-diale du sport pour la paix et le développement,organisée par les Nations unies. En cette pério-de, de nombreuses manifestations sont suspen-dues, mais les meilleurs fruits du sport viennent

au jour: la résistance, l’esprit d’équipe, la frater-nité, donner le meilleur de soi… Relançonsdonc le sport pour la paix et le développement.

Très chers amis, mettons-nous en marche avecfoi au cours de la Semaine Sainte, pendant la-quelle Jésus souffre, meurt et ressuscite. Les per-sonnes et les familles qui ne pourront pas parti-ciper aux célébrations liturgiques sont invitées àse recueillir en prière à la maison, également ai-dées par les moyens technologiques. Unissons-nous spirituellement aux malades, à leurs famil-les et à ceux qui les soignent avec tant d’abnéga-tion; prions pour les défunts, dans la lumière dela foi pascale. Chacun est présent dans notrecœur, dans notre souvenir, dans notre prière.

Apprenons de Marie le silence intérieur, le re-gard du cœur, la foi aimante pour suivre Jésussur le chemin de la croix, qui conduit à la gloirede la Résurrection. Elle marche avec nous etsoutient notre espérance. SUITE À LA PA G E 10

numéro 14, mardi 7 avril 2020 L’OSSERVATORE ROMANO pages 4/5

Note de l’Académie pontificale pour la vie sur l’urgence due au Covid-19

Pandémie et fraternité universelle

L’humanité tout entière est mise à l’épreuve. Lapandémie du Covid-19 nous place dans une situa-tion de difficulté sans précédent, dramatique etmondiale: son pouvoir de déstabilisation de notreprojet de vie s’accroît de jour en jour. L’omnipré-sence de la menace remet en question des preuvesqui étaient considérées comme allant de soi dansnotre mode de vie. Nous vivons douloureusementun paradoxe que nous n’aurions jamais imaginé:pour survivre à la maladie, nous devons nous isolerles uns des autres, mais si nous devions apprendre àvivre isolés les uns des autres, nous ne pourrionsque réaliser à quel point vivre ensemble est essentielpour notre vie.

Au milieu de notre euphorie technologique et en-trepreneuriale, nous nous sommes retrouvés sociale-ment et techniquement non préparés à la propaga-tion de la contagion: nous avons eu du mal à re-connaître et à admettre son impact. Et maintenant,nous luttons même pour enrayer sa propagation.Mais tout autant que l’impréparation — pour ne pasdire une certaine résistance — nous nous trouvonsdans la reconnaissance de notre vulnérabilité phy-sique, culturelle et politique au phénomène, si l’onconsidère la déstabilisation existentielle qu’il pro-voque. Cette déstabilisation est hors de portée de lascience et de la technique de l’appareil thérapeu-tique. Il serait injuste — et erroné — de faire portercette responsabilité aux scientifiques et aux techni-ciens. En même temps, il est certainement vraiqu’une plus grande profondeur de vision et unemeilleure responsabilité pour la contribution réflexi-ve au sens et aux valeurs de l’humanisme a la mêmeurgence que la recherche de médicaments et de vac-cins. Ce n’est pas tout. L’exercice de cette profon-deur et de cette responsabilité crée un contexte decohésion et d’unité, d’alliance et de fraternité, enraison de notre humanité commune qui, loin demettre à la peine la contribution des hommes et desfemmes de science et de gouvernement, soutient etapaise grandement la tâche. Leur dévouement — quimérite déjà aujourd’hui la gratitude justifiée etémue de tous — doit certainement être renforcé etvalorisé.

Dans cette optique, l’Académie pontificale pourla vie, qui par son mandat institutionnel promeut etsoutient l’alliance entre les sciences et l’éthique dansla recherche du meilleur humanisme possible, sou-haite apporter sa contribution par sa réflexion. Sonbut est de placer certains des éléments particuliersde cette situation dans un esprit renouvelé qui doitnourrir la socialité et les soins personnels. Enfin, lasituation exceptionnelle qui interpelle aujourd’huila fraternité de la humana communitas doit êtretransformée en une opportunité pour cet espritd’humanisme d’informer la culture institutionnelleen temps ordinaire: au sein des peuples individuels,dans la choralité des liens entre les peuples.

La solidarité dans la vulnérabilité et les limitesTout d’abord, la pandémie met en évidence avec

une dureté inattendue la précarité qui marque radi-calement notre condition humaine. Dans certainesrégions du monde, la précarité de l’existence indivi-duelle et collective est un vécu quotidien, en raisonde la pauvreté qui ne permet pas à chacun d’avoiraccès aux soins même s’ils sont disponibles, ou àune nourriture en quantité suffisante, qui ne man-que pas dans le monde entier. Dans d’autres partiesdu monde, les zones de précarité ont été progressi-vement réduites par les progrès de la science et de

la technologie, au point de nous faire croire quenous sommes invulnérables ou que nous pouvonstrouver une solution technique à tout. Pourtant,quels que soient les efforts déployés, il n’a pas étépossible de contrôler la pandémie actuelle, mêmedans les sociétés les plus développées sur le planéconomique et technologique, où elle a dépassé lescapacités des laboratoires et des établissements desanté. Nos projections optimistes sur la puissancescientifique et technologique dont nous disposonsnous ont peut-être permis d’imaginer que nous se-rions en mesure d’empêcher la propagation d’uneépidémie mondiale de cette ampleur, ce qui en faitune possibilité de plus en plus lointaine. Nous de-vons reconnaître que ce n’est pas le cas. Et au-j o u rd ’hui, nous sommes même amenés à penserque, outre les extraordinaires ressources de protec-tion et de soins que notre progrès accumule, il y aaussi les effets secondaires de la fragilité du systè-me, que nous n’avons pas assez surveillés.

Dans chaque cas, il apparaît traumatisant deconstater que nous ne sommes pas maîtres de notrepropre destin. Même la science montre ses limites.Nous le savions déjà: ses résultats sont toujourspartiels, soit parce qu’elle se concentre — pour desraisons de commodité ou des raisons intrinsèques —sur certains aspects de la réalité en en excluantd’autres, soit en raison du statut même de ses théo-ries, qui sont de toute façon provisoires et révisa-bles. Mais dans l’incertitude que nous avons con-nue avant le Covid-19, nous avons saisi avec uneclarté nouvelle le caractère progressif et complexeque requiert la connaissance scientifique, avec sesbesoins de méthode et de vérification. La précaritéet les limites de nos connaissances semblent égale-ment être globales, réelles, communes: il n’existepas d’arguments réels pour soutenir la présomptionde civilisation et de souveraineté considérée commemeilleure, et capable d’échapper aux réactions.Nous touchons du doigt à quel point nous sommestous étroitement liés: en effet, dans notre expositionà la vulnérabilité, nous sommes plus interdépen-dants que dans notre appareil d’efficacité. La conta-gion se propage très rapidement d’un pays à l’a u t re ;ce qui arrive à quelqu’un devient décisif pour toutle monde. Cette conjoncture rend ce que nous sa-vions encore plus immédiatement évident, sansnous en rendre suffisamment responsables: pour lemeilleur ou pour le pire, les conséquences de nosactes retombent toujours sur les autres. Il n’y a pasd’actes individuels sans conséquences sociales: celavaut pour les individus, comme pour les commu-nautés, les sociétés, les populations. Un comporte-ment imprudent ou téméraire, qui ne concerne ap-paremment que nous, devient une menace pourceux qui sont exposés au risque de contagion, sanspeut-être même affecter ceux qui le font. Et nousdécouvrons ainsi comment la sécurité de chacun dé-pend de celle de tous.

L’apparition d’épidémies est certainement uneconstante dans l’histoire de l’humanité. Mais nousne pouvons pas nous cacher les caractéristiques dela menace actuelle, qui montre qu’elle est capablede très bien adapter son omniprésence à notre mo-de de vie moderne et de contourner sa protection.Nous devons prendre note des effets de notre mo-dèle de développement, avec l’exploitation de zonesforestières jusqu’ici vierges où résident des micro-or-ganismes inconnus du système immunitaire humain,avec un réseau rapide et étendu de liaisons et detransports. Nous allons probablement trouver unesolution à ce qui nous attaque maintenant. Nous

devrons cependant le faire en sachant que ce typede menace accumule son potentiel systémique àlong terme. Deuxièmement, nous devrons aborderle problème avec les meilleures ressources scientifi-ques et organisationnelles dont nous disposons: enévitant de mettre l’accent idéologique sur le modèled’une société qui fait coïncider le salut et la santé.Sans devoir être considérées comme une défaite dela science et de la technologie — qui devra certaine-ment toujours nous exciter par ses progrès, mais enmême temps nous faire vivre humblement avec seslimites — la maladie et la mort sont une blessureprofonde de nos affections les plus chères et lesplus profondes, qui ne doit cependant pas nous im-poser l’abandon de leur justice et la rupture deleurs liens. Pas même lorsque nous devons accepternotre impuissance à réaliser l’amour qu’ils portenten nous. Si notre vie est toujours mortelle, nous es-pérons que le mystère de l’amour dans lequel elleréside ne le sera pas.

De l’interconnexion de faità la solidarité souhaitée

Jamais comme dans cette terrible conjoncturenous n’avons été appelés à prendre conscience decette réciprocité qui est à la base de notre vie. Réa-liser que chaque vie est une vie commune, c’est lavie des uns et des autres. Les ressources d’une com-munauté qui refuse de considérer la vie humainecomme un simple fait biologique, sont un bien pré-cieux, qui accompagne également de manièreresp onsable toutes les activités de soins nécessaires.Peut-être avons-nous sans y penser érodé ce patri-moine, dont la richesse fait toute la différence dansdes moments comme celui-ci, en sous-estimant sé-rieusement les biens relationnels qu’il est capable departager et de distribuer dans des moments où lesliens affectifs et l’esprit communautaire sont mis àrude épreuve, précisément par les nécessités de basede la protection de la vie biologique.

Deux modes de pensée assez grossiers, devenusdes références et du bon sens en matière de libertéet des droits, sont aujourd’hui remis en cause. Lepremier est «Ma liberté s’arrête là où commencecelle de l’autre». La formule, déjà dangereusementambiguë en soi, est insuffisante pour comprendrel’expérience réelle et ce n’est pas par hasard qu’elleest affirmée par ceux qui sont en position de force:nos libertés sont toujours entremêlées et superpo-sées, pour le meilleur et pour le pire. Il faut plutôtapprendre à les rendre coopératifs, en vue du biencommun et à surmonter les tendances, que mêmel’épidémie peut alimenter, à voir dans l’autre unemenace «infectieuse» dont il faut se distancier et unennemi dont il faut se protéger. Le second: «Ma viedépend uniquement et exclusivement de moi». Cen’est pas le cas. Nous faisons partie de l’humanitéet l’humanité fait partie de nous: nous devons ac-cepter ces dépendances et apprécier la responsabili-té qui fait de nous des participants et des protago-nistes. Il n’y a pas de droit qui n’ait pour implica-tion un devoir correspondant: la coexistence des li-bres et des égaux est une question éminemmentéthique, et non technique.

Nous sommes donc appelés à reconnaître, avecune émotion nouvelle et profonde, que nous som-mes confiés les uns aux autres. Jamais auparavant,la relation de soins ne s’est présentée comme le pa-radigme fondamental de notre coexistence humaine.Le passage de l’interdépendance à la solidaritésouhaitée n’est pas une transformation automatique.Mais nous avons déjà divers signes de cette évolu-tion vers des actions responsables et des comporte-ments fraternels. Nous le constatons avec une clartéparticulière dans le dévouement des professionnelsde la santé, qui mettent généreusement toutes leursénergies en action, parfois au risque de leur propresanté ou de leur vie, pour soulager les souffrancesdes malades. Leur professionnalisme se déploie bienau-delà de la logique des liens contractuels, témoi-gnant ainsi que le travail est avant tout un espaced’expression de sens et de valeurs, et pas seulementdes «actes» ou des «biens» à échanger contre rému-

nération. Mais cela s’applique également aux cher-cheurs et aux scientifiques qui mettent leurs compé-tences au service des gens. La volonté de partagerleurs forces et leurs informations a permis d’enta-mer rapidement des collaborations entre les réseauxde centres de recherche pour des protocoles expéri-mentaux qui permettent de vérifier la sécurité etl’efficacité des médicaments.

A leurs côtés, nous ne devons pas oublier toutesces femmes et tous ces hommes qui, chaque jour,choisissent positivement et courageusement de gar-der et de nourrir cette fraternité. Ce sont les mèreset les pères de famille, les personnes âgées et lesjeunes; ce sont les personnes qui, même dans des si-tuations objectivement difficiles, continuent à faireleur travail honnêtement et consciencieusement; cesont les milliers de bénévoles qui n’ont pas cesséleur service; ce sont les dirigeants des communautésreligieuses qui continuent à servir les personnes quileur sont confiées, même au prix de leur vie, com-me l’ont souligné les histoires de tant de prêtresmorts du Covid-19.

Sur le plan politique, la situation actuelle nousincite à adopter une vision globale. Dans les rela-tions internationales (et aussi dans celles entre lespays de l’Union européenne), c’est une logique àcourte vue et illusoire qui cherche à donner des ré-ponses en termes d’«intérêts nationaux». Sans unecollaboration et une coordination efficaces, qui fontface par leurs décisions à l’inévitable résistance poli-tique, commerciale, idéologique et relationnelle, lesvirus ne s’arrêteront pas. Bien sûr, il s’agit de déci-sions très sérieuses et onéreuses: une vision ouverteet des choix qui ne correspondent pas toujours auxsentiments immédiats des populations individuellessont nécessaires. Mais dans une dynamique aussinettement mondiale, les réponses à apporter pourêtre efficaces ne peuvent être limitées à l’intérieurde leurs propres frontières territoriales.

Science, médecine et politique:le lien social mis à l’é p re u v e

Les décisions politiques devront certainement te-nir compte des données scientifiques, mais elles nepeuvent être réduites à ce niveau. Permettre que lesphénomènes humains soient interprétés uniquementsur la base de catégories scientifiques empiriques neproduirait des réponses qu’au niveau technique. Onaboutirait à une logique qui considère les processusbiologiques comme les déterminants des choix poli-tiques, sur la voie dangereuse que la biopolitiquenous a appris à connaître. Elle ne respecte pas nonplus les différences entre les cultures, qui inter-prètent les systèmes de santé, de maladie, de décès

et de soins en attribuant des significa-tions qui, dans leur diversité, peuventconstituer une richesse à ne pas homo-loguer selon une seule clé interprétati-ve techno-scientifique.

Il faut au contraire une alliance en-tre la science et l’humanisme, qui doitêtre intégrée et non séparée, ni, pireencore, opposée. Une urgence commecelle du Covid-19 est vaincue avanttout par les anticorps de la solidarité.Les moyens techniques et cliniques deconfinement doivent être intégrés dansune recherche vaste et approfondiepour le bien commun, qui devra con-trecarrer la tendance à la sélection desavantages pour les privilégiés et à laséparation des vulnérables sur la basede la citoyenneté, des revenus, de lapolitique et de l’âge.

Cela s’applique également à tous leschoix de «politique de soins», y com-pris ceux qui sont plus étroitement liésà la pratique clinique. Les conditionsd’urgence dans lesquelles se trouventde nombreux pays peuvent aller jus-qu’à obliger les médecins à prendredes décisions dramatiques et déchiran-tes pour rationner des ressources limi-

«J’ai apporté ce matin le texte de notre document au Pape François», qui «m’a confié sa double préoccupation:dans l’immédiat, comment aider surtout les plus faibles; à l’avenir, de quelle façon sortir renforcés dans la solida-rité, afin que de cette crise découle un “s u rp l u s ” de fraternité au niveau mondial». C’est ce qu’a déclaré le prési-dent, Mgr Vincenzo Paglia, en parlant de la Note de l’Académie pontificale pour la vie — que nous publions iciintégralement — diffusée dans la matinée du lundi 30 mars, au terme de l’audience avec le Pape qui s’est dérouléedans la même matinée. «La pandémie du Covid-19 a interrogé l’Académie pour la vie — rapporte un communiquéde presse — qui a pour but spécifique la protection et la promotion de la vie humaine, à travers l’engagement descientifiques de diverses régions géographiques, traditions culturelles et religieuses, disciplines scientifiques». Le docu-ment, conclut le communiqué, «est le résultat d’une consultation à laquelle ont été appelés à participer les 163membres de l’académie».

SUITE À LA PA G E 8

tées, qui ne sont pas disponibles pour tous en mê-me temps. A ce stade, après avoir fait tout ce quiest possible au niveau de l’organisation pour éviterle rationnement, il faut toujours garder à l’espritque la décision ne peut se fonder sur une différencede valeur de la vie humaine et de la dignité dechaque personne, qui sont toujours égales et inesti-mables. La décision porte plutôt sur l’utilisation op-timale des traitements en fonction des besoins dupatient, c’est-à-dire de la gravité de sa maladie et deson besoin de traitement, et sur l’évaluation des bé-néfices cliniques que le traitement peut apporter, entermes de pronostic. L’âge ne peut être considérécomme le seul critère de choix automatique, sinonon pourrait tomber dans une attitude discrimina-toire envers les personnes âgées et les plus fragiles.En outre, il est nécessaire de formuler des critèresqui soient, dans la mesure du possible, partagés etfondés sur des arguments, afin d’éviter l’a r b i t r a i reou l’improvisation dans les situations d’u rg e n c e ,comme nous l’a appris la médecine des catastro-phes. Bien sûr, il faut le répéter: le rationnementdoit être la dernière option. La recherche de traite-ments aussi équivalents que possible, le partage desressources, le transfert des patients sont des alterna-tives qui doivent être soigneusement envisagées,dans la logique de la justice. La créativité a égale-ment suggéré, dans des conditions défavorables, dessolutions qui ont permis de répondre aux besoins,comme l’utilisation d’un même ventilateur pourplusieurs patients. En tout état de cause, il ne fautjamais abandonner le malade, même lorsqu’il n’y aplus de traitements disponibles: les soins palliatifs,le traitement de la douleur et l’accompagnement nedoivent jamais être négligés.

En termes de santé publique également, l’exp é-rience que nous vivons est un test sérieux, même sielle ne pourra être réalisée qu’à l’avenir, dans despériodes moins mouvementées. Elle concerne l’équi-libre entre les approches préventives et thérapeuti-ques, entre la médecine individuelle et la dimensioncollective (étant donné la corrélation étroite entre lasanté et les droits individuels et la santé publique).Ce sont des questions qui sous-tendent une interro-gation plus profonde, concernant les buts que lamédecine peut se fixer, en considérant globalementle sens de la santé dans la vie sociale avec toutes lesdimensions qui la caractérisent, comme l’éducationet la protection de l’environnement. On entrevoit lafécondité d’une perspective globale de la bio-éthique, prenant en compte la multiplicité des di-mensions en jeu et l’échelle mondiale des problè-mes, et dépassant une vision individualiste et réduc-trice des questions concernant la vie, la santé et lessoins des êtres humains.

Le risque d’une épidémie mondiale nécessite,dans une logique de responsabilité, la mise en placed’une coordination mondiale des systèmes de santé.Nous devons être conscients que le niveau de confi-nement est déterminé par le maillon le plus faible,en termes de préparation au diagnostic, de réactionrapide avec des mesures de confinement propor-tionnées, d’installations adéquates et de systèmed’enregistrement et de partage des informations etdes données. Il est également nécessaire que l’auto-rité qui peut considérer les urgences avec une vued’ensemble, prendre des décisions et orchestrer lacommunication, soit prise comme référence afind’éviter la désorientation générée par la tempête decommunication qui éclate (infodémie), avec l’incer-titude des données et la fragmentation desnouvelles.

L’obligation de protéger les faibles:la foi évangélique à l’é p re u v e

Dans ce scénario, une attention particulière doitêtre accordée aux personnes les plus fragiles, no-tamment les personnes âgées et les porteurs de han-dicap. Toutes autres conditions étant égales, la mor-talité d’une épidémie varie selon la situation despays touchés — et au sein de chaque pays — en ter-mes de ressources disponibles, de qualité et d’o rg a -nisation du système de santé, de conditions de viede la population, de capacité à connaître et à com-prendre les caractéristiques du phénomène et à in-terpréter les informations. Beaucoup plus de per-sonnes mourront si les soins de santé de base sim-ples ne sont pas garantis dans leur vie quotidienne.

Cette dernière considération, également sur la pé-nalisation accrue à laquelle sont confrontées les per-sonnes les plus fragiles, nous incite à être très atten-tifs à la manière dont nous parlons de l’action deDieu dans cette situation historique. Nous ne pou-vons pas interpréter les souffrances que l’humanitétraverse dans le schéma grossier qui établit une cor-respondance entre la «majesté blessée» du divin etles «représailles sacrées» entreprises par Dieu. Mê-me le simple fait que les plus faibles seraient punis,précisément ceux auxquels il tient le plus et aux-quels il s’identifie (Mt 25, 40-45) dément cetteperspective. L’écoute de l’Ecriture et l’accomplisse-ment de la promesse que Jésus accomplit indiquentque le fait d’être du côté de la vie, comme Dieunous l’enseigne, prend forme dans des gestes d’hu-manité pour l’autre. Des gestes qui, comme nousl’avons vu, ne manquent pas dans le moment pré-sent.

Toute forme de sollicitude, toute expression debienveillance est une victoire pour le Ressuscité. Ilest de la responsabilité des chrétiens d’en témoi-gner. Toujours et pour tous. A ce stade, par exem-ple, nous ne pouvons pas oublier les autres catas-trophes qui frappent les plus fragiles comme les ré-fugiés et les immigrants ou les peuples qui conti-nuent à être frappés par les conflits, la guerre et lafaim.

La prière d’i n t e rc e s s i o nLà où la proximité évangélique rencontre une li-

mite physique ou une opposition hostile, l’i n t e rc e s -sion — fondée sur la Croix — conserve sa puissanceimparable et décisive, même lorsque le peuple nesemble pas à la hauteur de la bénédiction de Dieu(Ex 32, 9-13). Ce cri d’intercession du peuple descroyants est le lieu où nous pouvons nous confron-ter au tragique mystère de la mort, dont la peurmarque aujourd’hui notre histoire à tous. Dans laCroix du Christ, il est possible de penser à la formede l’existence humaine comme à un grand passage:l’enveloppe de notre existence est comme une chry-salide qui attend la libération du papillon. Toute lacréation, dit saint Paul, vit «les douleurs de l’enfan-tement».

page 6 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 7 avril 2020, numéro 14

Lettre aux salésiens réunis en chapitre général

Ne fermez pas les fenêtres à la voix des orateurset au cri des jeunes

A l’occasion du 28e chapitre général de la Sociétésalésienne de Saint Jean Bosco — qui s’est ouvertle 16 février à Valdocco (Italie), sur le thème:«Quels salésiens pour les jeunes d’a u j o u rd ’hui?»— le Pape a envoyé le message suivant, qui a étélu au cours des travaux du vendredi 6 mars.

Chers frères!Je vous salue avec affection et je rends grâce àDieu de pouvoir, bien qu’à distance, partageravec vous un moment du chemin que vousp a rc o u re z .

Il est significatif que, après plusieurs décen-nies, la Providence vous ait conduits à célé-brer le chapitre général à Valdocco — le lieude la mémoire — où le rêve fondateur se con-crétisa et fit ses premiers pas. Je suis certainque le bruit et la voix des orateurs sera lameilleure musique, la plus efficace pour quel’Esprit ravive le don charismatique de votrefondateur. Ne fermez pas les fenêtres à cebruit de fond… Laissez-le vous accompagneret vous garder inquiets et intrépides dans lediscernement; et permettez que ces voix et ceschants, à leur tour, évoquent en vous les visa-ges de tant d’autres jeunes qui, pour diversesraisons, sont comme des brebis sans pasteur(cf. Mc 6, 34). Le son de ces voix et cette in-quiétude vous garderont attentifs et éveillésface à n’importe quel type d’anesthésie auto-imposée et vous aideront à rester dans une fi-délité créative à votre identité salésienne.

Raviver le donque vous avez reçu

Penser à la figure du salésien pour les jeu-nes d’a u j o u rd ’hui, implique d’accepter quenous soyons plongés dans un moment detransformations, avec tout ce que cela engen-dre d’incertitude. Personne ne peut dire aveccertitude et précision (s’il à jamais été possiblede le faire) ce qui se passera dans un procheavenir au niveau social, économique, éducatifet culturel. L’inconsistance et la «fluidité» desévénements, mais surtout la vitesse à laquelleles choses se succèdent et se communiquent,ont pour effet que tout type de prévision de-vient une lecture condamnée à être reformuléeau plus vite (cf. Const. ap. Veritatis gaudium,nn. 3-4). Cette perspective s’accentue encoredavantage du fait que vos œuvres sont orien-tées de manière particulière vers le monde desjeunes, qui en lui-même est un monde enmouvement et en transformation permanente.Cela nous demande une double docilité: doci-lité aux jeunes et à leurs exigences et docilitéà l’Esprit et à tout ce qu’Il désire transformer.

Assumer de manière responsable cette situa-tion — au niveau aussi bien personnel quecommunautaire — comporte de sortir d’unerhétorique qui nous fait dire sans cesse que«tout change» et qui, à force de le répéter, fi-nit par nous bloquer dans une inertie paraly-sante qui prive votre mission de la parrhésiepropre aux disciples du Seigneur. Cette inertiepeut également se manifester dans un regardet une attitude pessimistes face à tout ce quinous entoure et pas seulement à l’égard destransformations qui ont lieu dans la société,mais également en relation avec sa proprecongrégation, à ses frères et à la vie de l’Egli-se. Cette attitude qui finit par «boycotter» etempêcher toute réponse ou processus alterna-tif, ou bien par faire apparaître la position op-posée: un optimisme aveugle, capable de dis-

soudre la force et la nouveauté évangélique,en empêchant d’accepter concrètement lacomplexité que les situations requièrent et laprophétie que le Seigneur nous invite à porterde l’avant. Ni le pessimisme ni l’optimisme nesont des dons de l’Esprit, car tous les deuxproviennent d’une vision autoréférentielle,seulement capable de se mesurer avec ses pro-pres forces, capacités ou talents, en empêchantde voir ce que le Seigneur accomplit et veutréaliser parmi nous (cf. Exhort. ap. post-syn.Christus vivit, n. 35); ni s’adapter à la culture àla mode, ni se réfugier dans un passé héroïquemais déjà désincarné. A une époque de chan-gements, il est bon de s’en tenir aux parolesde saint Paul à Timothée: «C’est pourquoi jet’invite à raviver le don que Dieu a déposé entoi par l’imposition de mes mains. Car cen’est pas un esprit de crainte que Dieu nous adonné, mais un Esprit de force, d’amour et demaîtrise de soi» (2 Tm 1, 6-7).

Ces paroles nous invitent à cultiver une atti-tude contemplative, capable d’identifier et dediscerner les points névralgiques. Cela aideraà s’engager sur le chemin avec l’esprit et l’ap-port propres aux fils de Don Bosco et, com-me lui, à développer une «révolution culturel-le courageuse» (Enc. Laudato si’, n. 114). Cet-te attitude contemplative vous permettra dedépasser et d’aller au-delà de vos attentes etvos programmes. Nous sommes des hommeset des femmes de foi, ce qui suppose être pas-sionnés par Jésus Christ; et nous savons quenotre présent autant que notre avenir, sontimprégnés par cette force apostolique et cha-rismatique appelée à continuer à imprégner lavie de tant de jeunes abandonnés et en dan-ger, pauvres et dans le besoin, exclus et misau rebut, privés de droits, de logement… Cesjeunes attendent un regard d’espérance enmesure de contredire toute forme de fatalismeou de déterminisme. Ils attendent de croiser leregard de Jésus qui leur dit qu’«il y a une is-sue à toutes les situations difficiles ou doulou-reuses» (Exhort. ap. post-syn. Christus vivit,n. 104). C’est là qu’habite notre joie.

Ni pessimiste ni optimiste, le salésien duXXIe siècle est un homme plein d’esp érancecar il sait que son centre est dans le Seigneur,capable de faire toutes choses nouvelles (cf.Ap 21, 5). Seul cela nous sauvera de vivredans une attitude de résignation et de surviedéfensive. Seul cela rendra notre vie féconde(cf. Homélie, 2 février 2017), permettant que ledon reçu continue à être expérimenté et expri-mé comme une bonne nouvelle pour et avecles jeunes d’a u j o u rd ’hui. Cette attitude d’esp é-

rance est capable d’instaurer et d’i n a u g u re rdes processus éducatifs alternatifs à la culturedominante qui, dans de nombreuses situations— que ce soit par indigence et pauvreté extrê-me ou par abondance, dans certains cas égale-ment extrême —, finissent par asphyxier ettuer les rêves de nos jeunes, en les condam-nant à un conformisme assourdissant, insi-dieux et souvent anesthésié. Ni triomphalistesni alarmistes, des hommes et des femmesjoyeux et pleins d’espérance, pas des automa-tes mais des artisans; capables d’«afficherd’autres rêves que ce monde n’offre pas, té-moigner de la beauté de la générosité, du ser-vice, de la pureté, du courage, du pardon, dela fidélité à sa vocation, de la prière, de la lut-te pour la justice et le bien commun, del’amour des pauvres, de l’amitié sociale» (Ex-hort. ap. post-syn. Christus vivit, n. 36).

L’«option Valdocco» de votre 28e c h a p i t regénéral est une bonne occasion pour se con-fronter avec les sources et demander au Sei-gneur: «Da mihi animas, coetera tolle».1 To l l een particulier ce qui sur le chemin s’est incor-poré et perpétué et qui, bien qu’à une autreépoque cela ait pu être une réponse adaptée,vous empêche aujourd’hui de configurer et defaçonner la présence salésienne de manièreévangéliquement significative dans les diversessituations de la mission. Cela requiert, de no-tre part, de dépasser les peurs et les appréhen-sions qui peuvent naître pour avoir cru que lecharisme se réduisait ou s’identifiait avec desœuvres ou des structures déterminées. Vivrefidèlement le charisme est quelque chose deplus riche et stimulant que le simple abandon,repli ou réadaptation des maisons ou des acti-vités; cela comporte un changement de mentalitéface à la mission à réaliser.2

L’«option Valdocco»et le don des jeunes

L’Oratoire salésien et tout ce qui apparut àpartir de celui-ci, comme le raconte la biogra-phie de l’O ra t o i re , naquit comme réponse à lavie de jeunes ayant un visage et une histoire,qui firent agir ce jeune prêtre incapable derester neutre ou immobile devant ce qui sepassait. Ce fut beaucoup plus qu’un geste debonne volonté ou de bonté, et même beau-coup plus que le résultat d’un projet d’étudesur la «faisabilité numérico-charismatique». Jele considère comme un acte de conversionpermanente et de réponse au Seigneur qui,

Un moment des travaux capitulaires

numéro 14, mardi 7 avril 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 7

«las de frapper» à nos portes, attend quenous allions le chercher et allions à sa rencon-t re … Ou que nous le laissions sortir, quand ilfrappe de l’intérieur. Une conversion qui im-pliqua (et compliqua) toute sa vie et celle deceux qui étaient autour de lui. Don Boscochoisit non seulement de ne pas se séparer dumonde pour chercher la sainteté, mais il selaisse interpeller et choisit comment et quelmonde habiter.

En choisissant et en accueillant le mondedes enfants et des jeunes abandonnés, sanstravail ni formation, il leur a permis d’exp éri-menter de manière tangible la paternité deDieu et leur a fourni les instruments pour ra-conter leur vie et leur histoire à la lumièred’un amour inconditionné. Ceux-ci, à leurtour, ont aidé l’Eglise à se re-rencontrer avecsa mission: «La pierre rejetée des bâtisseursest devenue la tête de l’angle» (Ps 118, 22).Loin d’être des agents passifs ou des specta-teurs de l’œuvre missionnaire, ils devinrent, àpartir de leur condition — dans de nombreuxcas «illettrés religieux» et «analphabètes so-ciaux» — les principaux protagonistes de toutle processus de fondation.3 La salésianité naîtprécisément de cette rencontre capable de sus-citer des prophéties et des visions: accueillir,intégrer et faire grandir les meilleures qualitéscomme dons pour les autres, en particulierpour les exclus et les abandonnés dont onn’attend rien. C’est ce qu’a dit Paul VI:«Evangélisatrice, l’Eglise commence pars’évangéliser elle-même… Cela veut dire, enun mot, qu’elle a toujours besoin d’être évan-gélisée, si elle veut garder fraîcheur, élan etforce pour annoncer l’Evangile» (Exhort. ap.Evangelii nuntiandi, n. 15). Chaque charisme abesoin d’être renouvelé et évangélisé, et dansvotre cas, en particulier par les jeunes plusp a u v re s .

Les interlocuteurs de Don Bosco hier et dusalésien aujourd’hui ne sont pas les simplesdestinataires d’une stratégie projetée à l’avan-ce, mais les protagonistes vivants de l’o r a t o i reà réaliser.4 Par leur intermédiaire et avec eux,le Seigneur nous montre sa volonté et ses rê-ves.5 Nous pourrions les appeler co-fondateursde vos maisons, où le salésien sera un expertpour convoquer et engendrer ce type de dyna-miques sans s’en sentir le maître. Une unionqui rappelle que nous sommes une «Eglise ensortie» et nous mobilise pour cela: une Eglisecapable d’abandonner des positions conforta-bles, sûres et dans certaines occasions privilé-giées, pour trouver chez les derniers la fécon-dité typique du Royaume de Dieu. Il ne s’agitpas d’un choix stratégique, mais charisma-tique. Une fécondité soutenue sur la base dela croix du Christ, qui est toujours une injus-tice scandaleuse pour ceux qui ont bloquéleur sensibilité devant les souffrances ou quiont accepté des compromis avec l’injustice àl’égard de l’innocent. «Ne soyons pas uneEglise insensible à ces drames de ses enfantsjeunes. Ne nous y habituons jamais, car quine sait pas pleurer n’est pas mère. Nous vou-lons pleurer pour que la société aussi soit da-vantage mère» (Exhort. ap. post-syn. Christusvivit, n. 75).

L’«option Valdocco»et le charisme de la présence

Il est important de soutenir que nous nesommes pas formés pour la mission, mais quenous sommes formés dans la mission, autourde laquelle tourne toute notre vie, avec seschoix et ses priorités. La formation initiale etla formation permanente ne peuvent pas êtreune instance préalable, parallèle ou séparée del’identité et de la sensibilité du disciple. Lamission inter gentes est notre meilleure école: àpartir de celle-ci nous prions, nous réfléchis-sons, nous étudions, nous nous reposons.Quand nous nous isolons ou nous nous éloi-gnons du peuple que nous sommes appelés à

servir, notre identité de consacrés commence àse défigurer et à devenir une caricature.

C’est pourquoi, l’un des obstacles que nouspouvons identifier n’a pas tellement de rap-port avec une quelconque situation extérieureà notre communauté, mais c’est plutôt celuiqui nous touche directement à travers une ex-périence déformée du ministère…, et qui nousfait beaucoup de mal: le cléricalisme. C’est larecherche personnelle de vouloir occuper,concentrer et déterminer les espaces en mini-misant et en annulant l’onction du peuple deDieu. Le cléricalisme, en vivant l’appel demanière élitiste, confond l’élection avec le pri-vilège, le service avec le servilisme, l’unitéavec l’uniformité, la divergence avec l’opp osi-tion, la formation avec l’endoctrinement. Lecléricalisme est une perversion qui favorise lesliens fonctionnels, paternalistes, possessifs etmême manipulateurs avec le reste des voca-tions dans l’Eglise.

Un autre obstacle que nous rencontrons —diffus, et même justifié, en particulier en cestemps de précarité et de fragilité — est la ten-dance au rigorisme. En confondant l’autoritéavec l’autoritarisme, celui-ci prétend gouver-ner et contrôler les processus humains avecune attitude scrupuleuse, sévère et même mes-quine face aux limites et aux faiblesses de sapropre personne ou des autres (surtout desautres). Le rigoriste oublie que le grain etl’ivraie poussent ensemble (cf. Mt 13, 24-30) etque «tous ne peuvent pas tout, et qu’en cettevie les fragilités humaines ne sont pascomplètement et définitivement guéries par lagrâce. De toute manière, comme l’enseignaitsaint Augustin, Dieu t’invite à faire ce que tupeux et à demander ce que tu ne peux pas»(Exhort. ap. Gaudete et exsultate, n. 49). SaintThomas d’Aquin, avec une grande finesse etsubtilité spirituelle, nous rappelle que «le dia-ble trompe beaucoup de personnes. Certaines,en les poussant à commettre des péchés, d’au-tres, en revanche, vers une rigidité excessiveenvers celui qui pèche, de sorte que s’il nepeut pas les avoir avec un comportement vi-cieux, il conduit à la perdition ceux qu’il adéjà, en utilisant la rigueur des prélats, qui,en ne les corrigeant pas avec miséricorde, lespoussent au désespoir, et c’est ainsi qu’ils seperdent et tombent dans les filets du diable.Et c’est ce qui nous arrive, si nous ne pardon-nons pas les pécheurs».6

Ceux qui accompagnent d’autres individusdans leur croissance doivent être des person-nes aux grands horizons, capables de réunirensemble les limites et l’espérance, en aidantainsi à regarder toujours en perspective, dansune perspective salvifique. Un éducateur «quine craint pas de poser des limites et, dans lemême temps, s’abandonne à la dynamique del’espérance exprimée dans sa confiance dansl’action du Seigneur, est l’image d’un hommefort, qui guide ce qui ne lui appartient pas,mais qui appartient à son Seigneur»7. Il n’estpas licite pour nous d’étouffer et d’empêcherla force et la grâce du possible, dont la réali-sation cache toujours une semence de Vienouvelle et bonne. Apprenons à travailler et àavoir confiance dans les temps de Dieu, quisont toujours plus grands et sages que nosmesures myopes. Il ne veut détruire personne,mais sauver tout le monde.

Il est donc urgent de trouver un style deformation capable d’assumer de manièrestructurelle le fait que l’évangélisation im-plique la pleine participation, et avec unepleine citoyenneté, de chaque baptisé — avectoutes ses potentialités et ses limites — et passeulement des soi-disants «acteurs qualifiés»(cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 120);une participation où le service, et le service auplus pauvre, soit l’axe porteur qui aide àmieux manifester et à témoigner notre Sei-gneur, qui «n’est pas venu pour être servi,mais pour servir et donner sa vie en rançonpour une multitude» (Mt 20, 28). Je vous en-courage à continuer à vous engager pour faire

de vos maisons un «laboratoire ecclésial» ca-pable de reconnaître, apprécier, stimuler et en-courager les divers appels et missions dansl’Eglise.8

Dans ce sens, je pense concrètement à deuxprésences de votre communauté salésienne,qui peuvent aider comme éléments à partirdesquels confronter la place qu’occupent lesdiverses vocations parmi vous; deux présencesqui constituent un «antidote» contre toutetendance cléricaliste et rigoriste: le frère coad-juteur et les femmes.

Les frères coadjuteurs sont l’expression vi-vante de la gratuité que le charisme nous invi-te à sauvegarder. Votre consécration est, enpremier lieu, le signe d’un amour gratuit duSeigneur parmi ses jeunes qui ne se définitpas principalement comme un ministère, unefonction ou un service particulier, mais à tra-vers une présence. Le salésien est le souvenirvivant, avant même les choses à faire, d’uneprésence où la disponibilité, l’écoute, la joie etle dévouement sont les éléments essentielspour susciter des processus. La gratuité de laprésence sauve la congrégation de toute ob-session activiste et de tout réductionnismetechnico-fonctionnel. Le premier appel est ce-lui d’être une présence joyeuse et gratuite par-mi les jeunes.

Qu’en serait-il de Valdocco sans la présencede Mamma Margherita? Vos maisons au-raient-elles été possibles sans cette femme defoi? Dans certaines régions et lieux «il y a descommunautés qui se sont longtemps mainte-nues et ont transmis la foi sans qu’un prêtrene passe les voir; durant même des décennies.Cela s’est fait grâce à la présence de femmesfortes et généreuses. Les femmes baptisent,sont catéchistes, prient, elles sont missionnai-res, certainement appelées et animées par l’Es-prit Saint. Pendant des siècles, elles ont main-tenu l’Eglise debout dans ces régions avec undévouement admirable et une foi ardente»(Exhort. ap. post-syn. Querida Amazonia,n. 99). Sans une présence réelle, effective etaffective des femmes, vos œuvres manque-raient du courage et de la capacité de déclinerla présence comme hospitalité, comme mai-son. Face à la rigueur qui exclut, il faut ap-prendre à engendrer la vie nouvelle de l’Evan-gile. Je vous invite à faire avancer des dyna-miques dans lequelles la voix de la femme,son regard et son action — appréciée dans sasingularité — trouvent écho dans la prise dedécisions; comme un acteur non auxiliaire,mais constitutif de vos présences.

SUITE À LA PA G E 8

La statue de Mamma Margherita à Valdocco

page 8 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 7 avril 2020, numéro 14

L’«option Valdocco»dans la pluralité des langues

Comme en d’autres temps, le mythe de Ba-bel cherche à s’imposer au nom de la mondia-lisation. Des systèmes entiers créent un réseaude communication mondial et numérique ca-pable d’interconnecter les divers lieux de laplanète, avec le grave danger d’uniformiser lescultures de manière monolithique, en les pri-vant de leurs caractéristiques essentielles et deleurs ressources. La présence universelle devotre famille salésienne est une incitation etune invitation à conserver et à préserver la ri-chesse d’un grand nombre des cultures danslesquelles vous êtes plongés, sans chercher àles «homologuer». D’autre part, vous vous ef-forcez de faire en sorte que le christianismesoit capable d’assumer la langue et la culturedes personnes du lieu. Il est triste de voir quedans de nombreux lieux, on fait encore l’ex-périence de la présence chrétienne commed’une présence étrangère (surtout européen-ne); une situation que l’on rencontre égale-ment dans les parcours de formation et dansles styles de vie (cf. ibid., n. 90).9 Au contrai-re, nous agirons comme nous inspire cetteanecdote à propos de Don Bosco, qui répon-dit à la question pour savoir dans quelle lan-gue il aimait parler: «Celle que m’a enseignéema mère: c’est celle avec laquelle je peuxcommuniquer plus facilement». En suivantcette certitude, le salésien est appelé à parlerdans la langue maternelle de chacune des cul-tures dans lesquelles il se trouve. L’unité et lacommunion de votre famille est en mesured’assumer et d’accepter toutes ces différences,qui peuvent enrichir le corps tout entier dans

une synergie de communication et d’interac-tion où chacun puisse offrir le meilleur de soi,pour le bien de tout le corps. Ainsi, la salésia-nité, loin de se perdre dans l’uniformité destonalités, acquerra une expression plus belleet attirante… elle saura s’exprimer «en dialec-te» (cf. 2 M 7, 26-27).

Dans le même temps, l’irruption de la réali-té virtuelle comme langage dominant dans ungrand nombre des pays dans lesquels vousexercez votre mission exige, en premier lieu,de reconnaître toutes les possibilités et lesbonnes choses qu’elle produit, sans sous-éva-luer ou ignorer l’incidence qu’elle possèdedans la création de liens, en particulier sur leplan affectif. Même nous, adultes consacrés,ne sommes pas immunisés contre cela. La«pastorale de l’écran» si diffuse (et nécessaire)nous demande d’habiter le réseau de manièreintelligente, en le reconnaissant comme un es-pace de mission,10 qui demande, à son tour,d’installer toutes les médiations nécessairespour ne pas rester prisonniers de sa circularitéet de sa logique particulière (et dichoto-mique). Ce piège — même au nom de la mis-sion — peut nous renfermer sur nous-mêmeset nous isoler dans une virtualité commode,superflue et peu ou pas du tout engagée dansla vie des jeunes, des frères de la communautéou dans les tâches apostoliques. Le réseaun’est pas neutre et le pouvoir qu’il possèdepour créer une culture est très élevé. Sousl’avatar de la proximité spirituelle nous pou-vons finir aveugles ou éloignés de la vie con-crète des personnes, en nivelant et en appau-vrissant la vigueur missionnaire. Le repli indi-vidualiste, très diffus et socialement proposédans cette culture largement numérisée, de-mande une attention spéciale non seulement àl’égard de nos modèles pédagogiques, maiségalement à l’égard de l’utilisation personnelleet communautaire du temps, de nos activitéset de nos biens.

L’«option Valdocco»et la capacité de rêver

L’un des «genres littéraires» de Don Boscoétaient les rêves. A travers eux, le Seigneurtraça sa route dans sa vie et dans la vie detoute votre congrégation, en élargissant l’ima-gination du possible. Les rêves, loin de le gar-der endormi, l’aidèrent, comme cela arriva àsaint Joseph, à prendre une autre épaisseur etune autre mesure de la vie, celles qui naissentdes entrailles de la compassion de Dieu. Ilétait possible de vivre concrètement l’Evangi-le… Il le rêva et lui donna forme dans l’ora-t o i re .

Je désire vous offrir ces paroles comme lesvœux de «bonnes nuits» dans chaque bonnemaison salésienne au terme de la journée, envous invitant à rêver et à rêver en grand. Sa-chez que le reste vous sera donné en plus. Rê-vez des maisons ouvertes, fécondes et évangé-lisatrices, capables de permettre au Seigneurde montrer à de nombreux jeunes son amourinconditionné et de vous permettre de jouirde la beauté à laquelle vous êtes appelés. Rê-vez… Et pas seulement pour vous et pour lebien de la Congrégation, mais pour tous lesjeunes privés de la force, de la lumière et duréconfort de l’amitié avec Jésus Christ, privésd’une communauté de foi qui les soutienne,d’un horizon de sens et de vie (cf. Exhort. ap.Evangelii gaudium, n. 49). Rêvez… Et faitesrêver!

Rome, Saint-Jean-de-Latran,4 mars 2020

1 Une devise inscrite en lettres de feu chezles premiers missionnaires. Je rappelle la lettrede don Giacomo Costamagna à Don Boscooù, après lui avoir raconté les difficultés duvoyage et les divers échecs qu’ils durent af-fronter, il conclut en disant: «Nous deman-dons de manière unanime une seule chose:pouvoir aller rapidement en Patagonie poursauver d’innombrables âmes». La conscienced’être envoyés chercher des âmes aux périphé-ries et de rester en surmontant tout échec ap-parent est une caractéristique de l’identité àpartir de laquelle confronter et mesurer le cha-risme: «Da mihi animas, coetera tolle».

2 Rappelons l’avertissement du Seigneur:«Vous mettez de côté le commandement deDieu pour vous attacher à la tradition deshommes» (Mc 7, 8).

3 Grâce à l’aide du sage Cafasso, Don Bos-co découvrit qui il était aux yeux des jeunesdétenus; et ces jeunes détenus découvrirent unvisage nouveau dans le regard de Don Bosco.C’est ainsi qu’ils découvrirent ensemble le rê-ve de Dieu, qui a besoin de ces rencontrespour se manifester. Don Bosco ne découvritpas sa mission devant un miroir, mais dans ladouleur de voir des jeunes qui n’avaient pasd’avenir. Le salésien du XXIe ne découvrira passon identité s’il n’est pas capable de souffriravec «la quantité de jeunes, sains et robustes,à l’esprit vif qui étaient en prison dans lestourments et entièrement privés de nourriturespirituelle et matérielle… En eux était repré-senté l’opprobre de la patrie, le déshonneurde la famille» (Mémoires de l’Oratoire de saintFrançois de Sales, n. 48); et nous pourrionsajouter: de notre Eglise elle-même.

4 A u j o u rd ’hui, nous voyons que dans denombreuses régions ce sont les jeunes les pre-miers à se soulever, à s’organiser et à promou-voir de justes causes. Vos maisons salésiennes,loin d’empêcher ce réveil, sont appelées à de-venir des espaces qui peuvent stimuler cetteconscience de chrétiens et de citoyens. Rappe-lons le titre de l’étrenne de cette année du rec-teur majeur: «Bons chrétiens et honnêtescitoyens».

5 Je vous invite à avoir toujours à l’esprittous ceux qui ne participent pas à ces instan-ces, mais que nous ne pouvons pas ignorer sinous ne voulons pas devenir un groupe fer-mé.

6 Super II C o r. , chap. 2, lect. 2 (in fine). Lepassage commenté de saint Thomas est2 Co 2, 6-7 où, en ce qui concerne celui quil’a attristé, saint Paul écrit: «Il vaut mieux aucontraire lui pardonner et l’encourager, depeur que ce malheureux ne vienne à sombrerdans une peine excessive».

7 J.M. Bergoglio, Méditations pour religieux,n. 105.

8 Une vocation ecclésiale, avant d’être unacte qui différencie ou qui rend complémen-taires, est une invitation à offrir un don parti-culier en fonction de la croissance des autres.

9 Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 116:«Comme nous pouvons le voir dans l’h i s t o i rede l’Eglise, le christianisme n’a pas un modèleculturel unique, mais tout en restant pleine-ment lui-même, dans l’absolue fidélité à l’an-nonce évangélique et à la tradition ecclésiale,il revêtira aussi le visage des innombrablescultures et des innombrables peuples où il estaccueilli et enraciné».

10 A u j o u rd ’hui, en effet, «une évangélisationqui éclaire les nouvelles manières de se mettreen relation avec Dieu, avec les autres et avecl’environnement, et qui suscite les valeurs fon-damentales devient nécessaire. Il est indispen-sable d’arriver là où se forment les nouveauxrécits et paradigmes» (Exhort. ap. Evangeliigaudium, n. 74).

Lettre aux salésiensSUITE DE LA PA G E 7

Pandémie et fraternitéuniverselle

C’est dans cette optique que nous devonscomprendre le sens de la prière. Comme uneintercession pour tous et pour tous ceux qui setrouvent dans la souffrance, que Jésus a égale-ment apportée en solidarité avec nous, et com-me un moment pour apprendre de Lui com-ment la vivre en se confiant au Père. C’est cedialogue avec Dieu qui devient une sourcepour nous confier aussi aux hommes et auxfemmes. Nous en retirons une force intérieurepour exercer toute notre responsabilité et nousrendre disponibles à la conversion en fonctionde ce que la réalité nous fait comprendre etqui rend possible une coexistence plus humai-ne dans notre monde. Nous nous souvenonsdes paroles de l’évêque de Bergame, une desvilles les plus touchées d’Italie, Mgr FrancescoBeschi: «Nos prières ne sont pas des formulesmagiques. La foi en Dieu ne résout pas nosproblèmes comme par magie, mais elle nousdonne plutôt une force intérieure pour exercercet engagement que nous sommes appelés àvivre en chacun de nous, de différentes maniè-res, en particulier ceux qui sont appelés à en-diguer et à surmonter ce mal».

Même ceux qui ne partagent pas la profes-sion de cette foi peuvent en tout cas tirer dutémoignage de cette fraternité universelle destraces qui conduisent au meilleur de la condi-tion humaine. Une humanité qui n’abandon-ne pas le champ dans lequel les êtres humainss’aiment et luttent ensemble, par amour de lavie en tant que bien strictement commun, ga-gne la gratitude de tous et est un signe del’amour de Dieu présent parmi nous.

SUITE DE LA PA G E 4

numéro 14, mardi 7 avril 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 9

Entretien avec le cardinal Mario Zenari, nonce apostolique à Damas

La pandémie sur les ruines de la Syrieune catastrophe inimaginable

MASSIMILIANO MENICHETTI

En Syrie, neuf ans de guerre ont conduit à lamort de plus de 380.000 personnes et pro-voqué l’exode de 12 millions de Syriens, dé-placés ou réfugiés. Une «situation inhumai-ne» évoquée plusieurs fois par le Pape qui ainvoqué la fin des hostilités et l’aide pour lesréfugiés et les personnes qui souffrent. Dansle pays, plus de la moitié des hôpitaux sontcondamnés, il manque de l’eau, de la nourri-ture et des médicaments, et les Syriens crai-gnent maintenant la propagation du coronavi-rus. «La fête de Pâques approche et pour lapremière fois, les églises de Syrie sont fer-mées», affirme le cardinal Mario Zenari, non-ce apostolique à Damas. Au sein de la popu-lation syrienne, il y a une nouvelle peur. Lesstatistiques officielles ont recensé, à la fin dumois de mars, une dizaine de personnes con-taminées par le coronavirus, et déjà sont si-gnalées les premières victimes. Mais il faut sedemander s’il ne s’agit pas là de la pointe del’iceberg. Si la pandémie devait se propager,ce serait une catastrophe inimaginable, si l’onconsidère le fait que plus de la moitié des hô-pitaux ne sont pas opérationnels à causes desdommages subis pendant ces années de guer-re. Il manque du personnel soignant et descentaines de milliers de personnes déplacéesvivent dans des camps surpeuplés et sous-équipés d’un point de vue de l’hygiène et dela santé. Certains se demandent: «Commentpeuvent-ils se laver les mains, s’ils ont du malà avoir de l’eau à boire?».

Cardinal Zenari, que fait l’Eglise dans ce scéna-rio dramatique?

Avant tout les chrétiens respectent les direc-tives émises par les autorités ces dernières se-maines, même si elles sont drastiques. Parconséquent, toutes les églises sont fermées.Nous cherchons à poursuivre nos programmesd’assistance, malgré de grandes difficultés.Certaines de ces initiatives humanitaires soute-nues par la générosité de tant de chrétiens depar le monde, ont malheureusement dû êtresuspendues il y a quelques mois déjà à causede la crise libanaise et des difficultés bancairesque connaît ce pays. De telles difficultés sesont ultérieurement aggravées il y a une se-maine à cause de la fermeture des frontières.Parmi les nombreux programmes humanitai-res, il faut rappeler l’assistance médicale gra-tuite offerte à tous les malades sans dis-tinction de nos trois hôpitaux catholiques, vial’initiative particulière intitulée: «Hôpitauxouverts», ainsi que de l’hôpital grec-ortho-doxe et quelques petits dispensaires. «Maisqu’est-ce que cela pour tant de monde?» (Mt14, 17; Jn 6, 9) aurait-on envie de dire commeles disciples de Jésus, face à une telle massede personnes dans le besoin.

Il y a un risque selon vous que le coronavirusfasse oublier ceux qui souffrent à cause de laguerre ou que certains profitent de cette situation?

Déjà ces dernières années, l’aide des parti-culiers et de la communauté internationale adiminué. Un peu comme partout ailleurs dansces cas-là, après neuf ans de guerre, les genset les médias ne s’intéressent plus autant à latragédie que vit le peuple syrien. Le 9 janvierdernier, à l’occasion de l’échange des vœux deNouvel An avec les ambassadeurs accréditésprès le Saint-Siège, le Pape François, parlantde la Syrie, a observé comment une chape desilence risque désormais de recouvrir les souf-

frances endurées par le peuple syrien durantces longues années de guerre. Sous le pseudo-nyme de Waad Al-Kateab, une journaliste sy-rienne qui a réussi à s’échapper d’Alep avec safille de trois ans et à trouver refuge en Euro-pe, a écrit: «Nous, les Syriens, on nous laissemourir seuls, sans que personne n’en parle»(«The New York Times» International Edi-tion, 7 février 2020). Il existe un risque quecela puisse malheureusement se produire mê-me si éclate la pandémie de coronavirus.

Comment la communauté internationale agit-elle,que faudrait-il faire?

Très opportunément, le secrétaire généraldes Nations unies, Antonio Guterres, a lancéces derniers jours un appel pressant en faveurd’un cessez-le-feu global et immédiat. Ce mê-me appel a été réitéré par le Pape François àl’issue de la prière de l’Angelus du dimanche29 mars, qui en a profité pour souligner la né-cessité de créer des couloirs pour l’aide huma-nitaire. L’envoyé spécial des Nations uniespour la Syrie, Geir Pedersen, a également lan-

d’un autre événement mémorable, celui du 7septembre 2013. Alors, la place Saint-Pierreétait bondée et unie dans la prière avec le Pa-pe François pour la paix en Syrie, à un mo-ment particulièrement préoccupant.

Vous avez dit que la Syrie était en communion deprière avec le monde...

La Syrie qui depuis 10 ans souffre d’unatroce conflit, se sent solidaire en ce momentde la souffrance endurée à travers le monde àcause du coronavirus. De nombreux Syriensexpriment leur sincère solidarité vis-à-vis desItaliens et de toutes les personnes contami-nées.

Eminence, vous vous êtes toujours fait l’écho dudrame que vit le peuple martyrisé de Syrie, maisvous n’avez pour autant jamais perdu l’e s p é ra n -ce...

L’Evangile nous raconte la profonde com-passion ressentie par Jésus devant les person-nes fatiguées et affamées qui le suivaient de-

cé le même appel pressant pour un cessez-le-feu immédiat, durable et étendu à toute la Sy-rie afin de lutter ensemble et de vaincre l’en-nemi commun le covid-19. Le secrétaire géné-ral de l’ONU a également encouragé la levéedes sanctions imposées à certains pays afinque puissent être acheminés dans ces derniersde la nourriture et des médicaments pour lut-ter contre le covid-19. Cette terrible pandémie,qui suscite tant de peur chez les populationset d’inquiétude chez les responsables despays, devrait être l’occasion de faire taire lesarmes en Syrie une fois pour toutes et d’ini-tier une solution politique équitable. Il seraitimpardonnable qu’il s’agisse d’une nouvelleoccasion manquée.

Le 27 mars dernier, le Pape a présidé un mo-ment historique de prière sur le parvis de la basi-lique Saint-Pierre. La place devant lui était vide,mais tant de personnes de toutes les confessions etdu monde entier ont prié avec lui. Quelle signifi-cation ce moment a eu pour vous?

Ce fut un événement unique dans l’h i s t o i rede l’humanité et de l’Eglise, mémorable, trèsémouvant. Il n’y a pas de mots pour le com-menter. Ici, en Syrie, nous nous souvenons

puis trois jours: «J’ai de la compassion pourcette foule, car depuis trois jours déjà ils res-tent auprès de moi, et n’ont rien à manger. Sije les renvoie chez eux à jeûn, ils vont défailliren chemin, et certains d’entre eux sont venusde loin» (Mc 8,2-3). Il en fut de même, lors-que, au coucher du soleil, tous les malades dela ville lui furent amenés pour être guéris (Mc1, 29-34; Lc 4, 38-41; Mt 8, 16). Et ce fut lamême chose devant le fils unique de la veuvede Naïm, qui a été emmené pour être enterré(Lc 7, 11-15). Et puis, il y eut aussi l’émotionprofonde, jusqu’aux larmes, devant la tombede son ami Lazare (Jn 11, 35).

Dieu n’oublie pas la Syrie et les autres dramesdu monde...

Il ne fait aucun doute que le Seigneuréprouve une profonde compassion face à lasouffrance subie par la Syrie depuis dix ans etface à la tragédie qui touche tant de person-nes infectées par le coronavirus, dans tant derégions du monde. Et comme il disait à l’apô-tre Philippe: Celui qui me voit voit le Père(Jn 14, 8-14). Nous voyons en Lui le cœur de

Les Casques blancs syriens désinfectent une tente dans un camp de déplacés dans la province d'Idlib (AFP)

SUITE À LA PA G E 10

page 10 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 7 avril 2020, numéro 14

SUITE DE LA PA G E 9

Dieu qui est ému et éprouve de la compassionpour les nombreuses victimes innocentes de laguerre, de la violence, des catastrophes natu-relles et du coronavirus. La souffrance des in-nocents, en particulier des enfants qui sont lespremières victimes de la guerre en Syrie ouailleurs, reste un mystère pour nous, commenous l’a répété le Pape François à maintes re-prises. Mais il est certain que l’émotion et lacompassion de Dieu ne restent pas distanteset inertes, mais agissent, peut-être pas de fa-çon miraculeuse. Parfois sous des formes quenous n’imaginons pas.

La compassion de Dieu à pousser tant de gens àa g i r. . .

La compassion de Jésus a poussé ses disci-ples à agir: «Donnez-leur vous-mêmes à man-ger». Et ils se sont mis au travail: «Il y a làun jeune garçon qui a cinq pains d’orge etdeux poissons, mais qu’est-ce que cela pourtant de monde» (Jn 6.9). Ce garçon intelli-gent et prévoyant ne s’est pas enfui, mais aaccepté de donner généreusement ce qui luiétait cher. Comment s’appelait-il, de qui était-il le fils, de quel village venait-il ? Pas un motpour l’identifier. C’est peut-être mieux commeça! Il en va de même pour le bon Samaritain.Pas de nom. Et là encore, c’est peut-êtremieux ainsi! Parce que ce garçon et ce bonSamaritain représentent des centaines de mil-liers, des millions de personnes généreuses quisont émues et ont de la compassion pour lesnécessiteux. Le long et sanglant conflit syriena fait émerger tant de Véroniques qui épon-gent de nombreux visages défigurés; des Cy-rénéens qui aident tant de gens à se relever;de nombreux bons Samaritains dont certains,parfois volontaires, ont perdu la vie en se dé-

vouant aux malheureux. Et qu’en est-il desnombreuses personnes qui ont risqué et ris-quent héroïquement leur vie pour aider lespatients atteints du coronavirus?

Tant de personnes aident, des croyants de toutesles confessions et des non croyants...

Ce sont toutes des personnes qui prêtentleurs mains au cœur compatissant de Jésus,non sans l’inspiration et le soutien de l’Espritqui souffle où Il veut et touche les cœurs dePierre, Antonia, Youssouf, de membres d’insti-tutions et d’organisations humanitaires, etd’autres. Des gens qui un jour, peut-être sansle savoir, s’entendront dire: «C’est à moi quevous l’avez fait» (Mt 25, 40). Et les formes desolidarité sont nombreuses et variées. Précisé-ment selon ce que le Pape Jean-Paul II avaitdécrit comme la «fantaisie de la charité» dansla lettre apostolique Novo millennio ineunte(n. 50). Je ne mentionne personne, dans cebref espace, pour ne pas faire de tort à tousles autres. Mais un jour, il faudra essayer detous les mémoriser, si possible, tous.

En cette période difficile, comment vous préparez-vous à Pâques?

C’est un temps de préparation complète-ment nouveau, inimaginable, inattendu, diffi-cile à décrire. Pendant toutes ces années deguerre, nous n’avons jamais manqué de célé-brer les rites de la Semaine Sainte, aux horai-res convenables, même sous le risque desbombes et des tirs de mortiers. Pour la pre-mière fois en Syrie, les églises sont fermées.Néanmoins, la solennité de Pâques se vit enunion avec tous les chrétiens du monde, au-delà des particularités et des richesses de sonpropre rite. On vit «tout-court» la Pâque dumonde; le mystère de la Passion du Seigneurqu’est en train de vivre, en ce moment drama-

«Délivre-nous, ô Seigneur, de la peste, de lafaim et de la guerre». La guerre en Syrie n’estpas encore terminée. En outre, 8 personnessur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté.Et il y a désormais, à l’angle, la menace de laterrible pandémie. Je me tourne aussi souventvers la Vierge Marie avec l’une des plus an-ciennes invocations mariales qui trouve sesorigines au Moyen-Orient: «Sub tuum praesi-dium confugimus Sancta Dei Genitrix ... sed apericulis cunctis libera nos semper Virgo glorosa etbenedicta», «Nous nous réfugions sous ta pro-tection, ô Sainte Mère de Dieu... délivre-noustoujours de tous les dangers, ô Vierge glorieu-se et bénie». Je prie également les saints Cos-me et Damien, frères médecins, qui ont soignélibrement les malades dans le nord de la Sy-rie. Selon une ancienne tradition, ils ont subile martyre en 303. Ce sont les saints patronsdes médecins et des pharmaciens.

Entretien avec le nonce apostolique en Syrie

Intention de prière pour le mois d’avril

Accompagner les personnessous l’emprise d’addictions

L’intention que François a confiée pour le mois d’avril au ré-seau mondial de prière du Pape s’adresse à «toutes les person-nes sous l’emprise d’addictions».

Diffusée à travers la vidéo postée sur www.thepopevideo.org,l’invocation du Pape est un appel à la libération d’anciennes etnouvelles formes d’esclavage qui emprisonnent les âmes et lescorps d’hommes et de femmes, de tout âge — même très jeunesmalheureusement — et de tout milieu social. «Vous avez sansdoute entendu parler du drame de l’addiction», commence pardire le Pape, filmé en premier plan. «Et... avez-vous pensé aussià l’addiction au jeu, à la pornographie, à internet et aux risquesde l’espace virtuel?», poursuit François, tandis que la caméramontre à présent des images qui cherchent à raconter l’alco olis-me, la toxicomanie, la ludopathie et les autres «maladies» quiplongent dans un tunnel dont il est difficile de sortir seuls: unhomme la tête entre les mains, désespéré d’avoir tout perdu surle tapis vert, sur lequel, outre les cartes et les jetons, ont finiégalement des vrais billets de banque et les clés de sa voiture;ou encore, un jeune qui, dans une triste solitude devant son or-dinateur, navigue sur les sites internet pour adultes; ou unefemme qui, dans son lit, au milieu de la nuit, regarde obsessive-ment son téléphone portable.

D’où la demande du Pape d’aider ceux qui sont prisonniersdes chaînes de l’addiction. «Fondés sur l’“Evangile de la Misé-r i c o rd e ” — assure-t-il —, nous pouvons soulager, soigner et gué-rir les souffrances liées aux nouvelles addictions». Une fois deplus, la vidéo «suggère» les formes concrètes d’aide: un hom-me, peut-être un prêtre, en console un autre, désespéré, en po-sant sa main sur son épaule en signe de protection tandis qu’illui parle; un jeune, accroupi par terre, est aidé à se relever parla main que lui tend une personne; d’autres scènes d’accoladesdans un centre d’écoute.

tique, l’humanité entière. LaRésurrection du Seigneur auson des cloches et des si-rènes des ambulances.

Que signifie vivre la Résurrec-tion du Christ au milieu desruines, dans la dévastation etavec la peur de la pandémie?

En 2012, le jour du Ven-dredi Saint, le sacristaind’une paroisse de Homs àdemandé au prêtre: «PèreFadi où me faut-il préparerle “C a l v a i re ” pour la liturgied’a u j o u rd ’hui?» Le prêtre luia alors répondu: «Prend unelongue corde, fait le tour duquartier détruit, ferme le pé-rimètre et puis place ungrand carton avec écrit “Cal-v a i re ”». Ce Vendredi Saint,après 10 ans d’indiciblessouffrances, de morts et dedestructions, cette corde de-vra être très longue, sur desmilliers de kilomètres, aussilongue que le périmètre dela Syrie, et embrasser aussitoutes les régions du mondetouchés par le covid-19. Lemot «Calvaire» doit êtreplanté sur le globe terrestre.

Quelle est votre prière pour laSyrie et pour le monde?

Parfois, je prie selon l’an-tique et solennelle formulelitanique récitée dans descirconstances particulièrespar l’Eglise: «A peste, fame etbello libera nos Domine!»,

Homélie du Dimanchedes Rameaux

fre, celui qui est seul et dans le besoin. Nep ensons pas seulement à ce qui nous manque,pensons au bien que nous pouvons faire.

Voici mon serviteur que je soutiens. Le Pèrequi a soutenu Jésus dans sa Passion, nous en-courage nous aussi dans le service. Certes, ai-mer, prier, pardonner, prendre soin des autres,en famille comme dans la société, peut coûter.Cela peut sembler un chemin de croix. Mais lechemin du service est le chemin vainqueur,qui nous a sauvés et qui nous sauve, qui noussauve la vie. Je voudrais le dire spécialementaux jeunes, en cette Journée qui, depuis tren-te-cinq ans leur est consacrée. Chers amis, re-gardez les vrais héros, qui apparaissent cesjours-ci: ce ne sont pas ceux qui ont renom-mée, argent et succès, mais ceux qui se don-nent eux-mêmes pour servir les autres. Sentez-vous appelés à mettre en jeu votre vie. N’ayezpas peur de la dépenser pour Dieu et pour lesautres, vous y gagnerez! Parce que la vie estun don qui se reçoit en se donnant. Et parceque la joie la plus grande est de dire oui àl’amour, sans si et sans mais. Dire oui àl’amour, sans si et sans mais. Comme Jésus l’afait pour nous.

SUITE DE LA PA G E 3

numéro 14, mardi 7 avril 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 11

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Collège épiscopalNominations

Le Saint-Père a nommé:

25 mars

S.Exc. Mgr STEVEN J. RAICA, jus-qu’à présent évêque de Gaylord(Etats-Unis d’Amérique): évêque deBirmingham (Etats-Unis d’Amé-rique).

Né le 8 novembre 1952 à Muni-sing, dans le diocèse de Marquette,Michigan (Etats-Unis d’Amérique),il a été ordonné prêtre pour le dio-cèse de Lansing le 14 octobre 1978.Nommé évêque de Gaylord le 27juin 2014, il a reçu l’ordination épis-copale le 28 août suivant. Au seinde la conférence épiscopale desEtats-Unis, il a été membre du sub-committee on Native American Af-fairs.

Le père JÁN KUBOŠ, du clergé dudiocèse de Spiš (Slovaquie), jusqu’àprésent curé et doyen à Kežm a ro k :

évêque auxiliaire du diocèse de Spiš(Slovaquie), lui assignant le siège ti-tulaire de Quiza.

Né le 28 février 1966 à Trstená(Slovaquie), il a reçu l’o rd i n a t i o nsacerdotale le 18 juin 1989 à Bratis-lava.

27 mars

S.Exc. Mgr JEAN-BAPTISTE TIAMA,jusqu’à présent évêque de Sikasso(Mali): évêque du diocèse de Mopti(Mali).

28 mars

le père RAMI AL- KABALAN, jusqu’àprésent visiteur apostolique pour lesfidèles syriens en Europe occidenta-le et procureur du patriarcat d’An-tioche des Syriens près le Saint-Siège: évêque titulaire d’Aretusa desSyriens. L’élu a pris le nom de«Flavien».

30 mars

le père JOSÉ BENEDICTO MOSCOSOMIRANDA, du clergé du diocèse deJalapa (Guatémala), curé de la pa-roisse «La Sagrada Familia», mem-bre du collège des consulteurs etdoyen: évêque de Jalapa (Guatéma-la).

Né le 7 juillet 1959 à San Luis Ji-lotepeque, diocèse de Jalapa auGuatémala, il a été ordonné prêtrele 3 janvier 1987.

Démissions

Le Saint-Père a accepté la démis-sion de:

25 mars

S.Exc. Mgr ANTONIO JOSÉ LÓPEZCA S T I L L O, qui avait demandé à êtrerelevé de la charge pastorale de l’ar-chidiocèse de Barquisimeto (Véné-zuéla).S.Exc. Mgr MARCELLO RO M A N O,qui avait demandé à être relevé dela charge pastorale du diocèsed’Araçuaí (Brésil).S.Exc. Mgr ROBERT J. BAKER, quiavait demandé à être relevé de lacharge pastorale du diocèse de Bir-mingham (Etats-Unis d’Amérique).

28 mars

S.Exc. Mgr NI C O L AU S ADI SEPU-TRA, M.S.C., qui avait demandé àêtre relevé de la charge pastorale del’archidiocèse de Merauke (Indoné-sie).

30 mars

S.Exc. Mgr JULIO ED GAR CABRERAOVA L L E , qui avait demandé à êtrerelevé de la charge pastorale du dio-cèse de Jalapa (Guatémala).

Audiences pontificalesLe Saint-Père a reçu en audience:

26 mars

S.Exc. Mgr GIACOMO MORANDI,archevêque titulaire de Cerveteri,secrétaire de la Congrégation pourla doctrine de la foi;S.Em. le cardinal ROBERT SARAH,préfet de la Congrégation pour leculte divin et la discipline des sacre-ments.S.E. M. MARIO JUA N BOSCO CAY O -TA ZAPPETTINI, ambassadeur d’U ru -guay, en visite de congé;M. MARCO IM PA G L I A Z Z O, présidentde la Comunauté de Sant’Egidio.

27 mars

S.Em. le cardinal PETER KODWOAPPIAH TU R KS O N , préfet du dicas-tère pour le service du développe-ment humain intégral, avec sa suite.l’abbé GUILLERMO LEON ARBOLEDATA M AY O, O.S.B., président de la

Congrégation Subiaco Mont-Cassinde l’Ordre de Saint Benoît.

28 mars

M. ANDREA MONDA, directeur de«L’Osservatore Romano».S.Em. le cardinal MARC OU E L L E T,préfet de la Congrégation pour lesévêques.M. PAOLO PA PA N T I -PELLETIER, jugeunique du Tribunal de l’Etat de laCité du Vatican.M. FRANCO ANELLI, recteur magni-fique de l’université catholique duSacré-Cœu r.Mme VIRGINIA RAGGI, maire deRome.

30 mars

S.E. M. GIUSEPPE CONTE, prési-dent du Conseil des ministres de laRépublique italienne.S.Exc. Mgr VINCENZO PAGLIA, pré-sident de l’Académie pontificalepour la vie.

Vidéo spéciale du Réseau mondial de prière

Sous la protection de la ViergeEglises

d’O rient28 mars

Le Synode des évêques de l’Egli-se patriarcale d’Antioche des Sy-riens a élu exarque pour les fidè-les syriens à Jérusalem, en Pales-tine et en Jordanie, le père CA-MIL AFRAM ANTOINE SEMAAN,jusqu’à présent administrateurpatriarcal de la même circons-cription, auquel le Saint-Pèreavait donné son assentiment, luiassignant le siège titulaire de Ge-rapoli des Syriens.

Né le 2 mai 1980 à Beyrouth(Liban), il a été ordonné prêtrele 24 juin 2006.

Curie romaine

Nomination

Le Saint-Père a nommé:

28 mars

Mgr GIUSEPPE TO N E L L O, appar-tenant au clergé romain, chance-lier, membre du conseil presbyté-ral et de la commission discipli-naire du vicariat de Rome: con-seiller de la Pénitencerie aposto-lique.

Dans le contexte de l’urgence sani-taire mondiale à cause du covid-19,la prière doit elle aussi être excep-tionnelle. La diffusion d’une vidéospéciale de François pour implorerla fin de la pandémie rentre dansl’optique de la mobilisation spiri-tuelle. C’est une initiative du Ré-seau mondial de prière du Pape,qui a présenté le film dans l’après-midi du 24 mars.

Pour la première fois depuis que«La vidéo du Pape» a été lancée,l’urgence a dépassé la programma-tion mensuelle traditionnelle des in-tentions de prière. Le mot d’o rd relancé par le Pape est: «Tous ensem-ble prions pour les malades, pourles personnes qui souffrent». Fran-çois invite à le faire avec le plus an-cien troparion adressé à Marie, quiremonte au IIIe siècle, le Sub tuump ra e s i d i u m : «Sous l’abri de votremiséricorde, nous nous réfugions,Sainte Mère de Dieu. Ne méprisezpas nos prières quand nous sommes

dans l’épreuve, mais de tous lesdangers délivrez-nous toujours,Vierge glorieuse et bénie».

Dans la vidéo défilent les imagesdu «pèlerinage» accompli par lePape le dimanche 15 dans la basi-lique romaine Sainte-Marie-majeureet dans l’église San Marcello alCorso. L’image de la Salus populiromani sert de toile de fond à laprière du Pape, qui remercie ensuite«tous les chrétiens, tous les hom-mes et toutes les femmes de bonnevolonté qui prient en ce moment,tous unis, quelle que soit la tradi-tion religieuse à laquelle ils appar-tiennent».

Les images qui sont proposéessont significatives: parmi celles-ci,l’entrée d’un service de maladies in-fectieuses d’un hôpital avec un pan-neau qui avertit du risque biolo-gique à cause du covid-19 et un en-fant qui se met un masque. On voitégalement des vues de paysages etde villes, parmi lesquelles on recon-

naît Londres, avec saroue panoramique, BigBen et la Tamise. L’in-vitation à la prièrepeut être suivie avecl’hashtag #PrayFor-TheWorld, ou en accé-dant au profil «Prieavec le Pape» sur laplateforme Click ToPray (site web, app etréseaux sociaux).

page 12 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 7 avril 2020, numéro 14

Lettre du cardinal Ouellet aux clarisses d’Assise

L’heure de la vie contemplativeEn tant qu’épouses de l’Agneau immolé, les reli-gieuses contemplatives, en particulier en cette pé-riode de pandémie du covid-19, se penchent «ma-ternellement sur les agonisants du jour et sur lesdésespérés de la nuit» et invoquent sur toutedouleur et toute mort «la consolation de l’Espé-rance qui ne déçoit pas». C’est ce que souligne lecardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégationpour les évêques, dans une lettre envoyée à mèreChiara Agnese Acquadro, abbesse du protomonas-tère des clarisses d’Assise. La présence discrète etdiffuse de qui, par vocation et par amour duChrist, a choisi la voie de la clôture, souligne lecardinal, «est un baume de tendresse et de paixsur les plaies de tout frère et sœur en humanité».

Chère Mère Agnès,Vous m’avez appelé au sujet de la pandé-

mie du coronavirus. C’était au moment où lePape François demandait aux familles en con-finement involontaire que leurs cœurs dépas-sent les murs domestiques. Cor ad cor loquiturnous nous sommes aidés mutuellement à réa-gir dans la foi et vous m’avez prié d’é c r i requelques mots à vos sœurs moniales.

Je le fais volontiers par amitié, mais surtoutau nom de Jésus qui vous a un jour appeléesau confinement volontaire par amour. N’êtes-vous pas bénies de cheminer avec Lui aucœur de l’Eglise pèlerine, ouvrant toujoursplus votre âme aux secrets de Son Cœur? Onpense parfois que vous avez fui le mondepour jouir paisiblement de l’amitié de Dieu.L’actualité nous libère de cette vue partielle.Car, à l’heure où malgré l’héroïsme des servi-teurs et servantes de la santé publique, tant defamilles souffrent la maladie et la mort deleurs êtres chers dans la solitude, sans pouvoirles accompagner ni leur dire adieu, vous, con-templatives du Crucifié, vous êtes à leur che-vet, vous dont l’Esprit élargit le cœur jus-qu’aux frontières les plus cachées de l’humani-té souffrante.

Chère Mère Agnès, la pandémie qui nousconfine à la maison, c’est votre heure, l’h e u rede la vie contemplative qui ramène l’humanitéet l’Eglise à Dieu, à l’essentiel de la foi, à laprière et à la communion dans l’Esprit. Vous,épouses de l’Agneau immolé, vous êtes pen-chées maternellement sur les agonisants dujour et sur les désespérés de la nuit, et vousinvoquez sur toute douleur et toute mort laconsolation de l’Espérance qui ne déçoit pas.Votre présence discrète et diffuse, portée parle Souffle du Ressuscité et les effluves de SonAmour nuptial, est un baume de tendresse etde paix sur les plaies de tout frère et sœur enhumanité.

Comment cela est-il possible, demande unegénération tétanisée par la mondialisation del’indifférence et aveuglée par le culte deMammon. Et pourtant, dans la grande épreu-ve actuelle, chaque conscience est interrogéepar cet arrêt planétaire qui ressemble à un ca-rême universel. La peur de l’incontrôlablecontagion, l’effondrement des bourses finan-cières et la paralysie sociale obligent à s’ouvrirà des questions plus essentielles. Un jour, laVierge de Nazareth, ébahie par l’Annonce del’Ange, a posé une question vitale pour toutel’humanité: Comment cela sera-t-il puisque jesuis vierge? La réponse divine, inédite, tombadu ciel: L’Esprit Saint viendra sur toi et lapuissance du Très-Haut te prendra sous son om-bre. Réponse inaugurant l’ultime étape dudessein de Dieu, ses épousailles avec sa créa-ture en Jésus Christ, Lui qui élève son épousecréée aux plus hautes cimes de l’A m o u r.

Ce rêve était celui de la Sagesse divine auxorigines de la création, quand l’Esprit planait

sur les eaux primordiales, préparant le jardind’Eden pour le bonheur de la famille humai-ne. Yahvé m’a créée, prémices de son œu v re ,avant ses œuvres les plus anciennes. Quand lesabîmes n’étaient pas je fus enfantée (Pr 8, 22,24). Sa Sagesse ne fut point déboussolée parla folie humaine, elle sut la retourner de sonégarement par la folie d’Amour de Jésus jus-qu’à la mort de la Croix. Aussi Dieu l’a-t-ilexalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-des-sus de tout nom, afin qu’en son Nom nouspuissions nous aussi participer aux prérogati-ves de son amour créateur et rédempteur.

Chères moniales et chères âmes contempla-tives qui préservez l’espérance de notre terremenacée, l’Amour du Rédempteur qui vous aépousées, cet Amour sans frontière et sans li-mite dans la liberté de l’Esprit, vous permetde voler haut et loin comme des colombesmessagères de Paix et d’Espérance. L’Amourqui s’est chargé de nos douleurs et de nos fau-tes, qui a été «fait péché pour nous» (2 Co 5,21) et qui a vaincu le mal, la mort et l’Enferpar son obéissance, cet Amour immolé etvainqueur vous emporte avec lui dans sa cour-se vers les victimes les plus souffrantes de soncorps mystique.

Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix(Edith Stein), destinée à l’enfer d’Auchwitz,l’a exprimé un jour de cette manière: Entends-tu les gémissements des blessés sur les champs debataille? Entends-tu les râles d’agonie des mou-rants? La plainte, la soif et la douleur des hu-mains remuent-ils tes entrailles? Désires-tu êtreprès d’eux, les aider, les consoler et soigner leursplaies les plus profondes?

«Embrasse le Christ. Si tu lui es unie nup-tialement, son sang coulera dans tes veines,son sang qui guérit, rachète, sanctifie et sauve.Unie à lui tu seras présente dans tous leslieux de douleur et d’esp érance» (Ave Crux,Spes unica, 14 septembre 1939).

Aux jours de cette épouvantable tribulation,Etty Hillesum, une autre juive sacrifiée, dé-bordante d’une joie toute chrétienne à caused’une intime et fascinante découverte, étrei-gnait tendrement son Dieu pour Le secourir,car elle le sentait mis à mal par une haine in-nommable.

Il est vrai que nous ne sommes pas toutesdes âmes d’élite, le poids de nos propres fau-tes alourdit nos ailes de compassion, mais no-

tre vie contemplative n’est-elle pas enveloppéedans l’offrande immaculée de Marie unie in-dissolublement au sacrifice pascal de son di-vin Fils? Quel intérêt alors à s’attrister lourde-ment de nos péchés? Oublions notre propremisère et n’ayons d’yeux que pour cette Al-liance infiniment féconde dont nous portonsau monde le joyeux témoignage. Depuis leconfinement volontaire de nos âmes cachéesdans les fentes du rocher, ne sommes-nouspas l’Eglise épouse députée au culte du DieuEpoux en représentation de toute l’humanité,guettant ardemment son retour comme lessentinelles de l’a u ro re ?

Chères contemplatives de la Passion du Sei-gneur, vous trouvez en ses souffrancesd’Amour toute l’humanité et toute la divinitéréunies en une seule chair. Vous êtes amou-reusement présentes à Dieu et en Dieu à toutela création qu’Il porte dans sa main souverai-ne. D’Amour enamourées, vous mouvez lesétoiles, vous déplacez les montagnes, vous ir-riguez la terre d’eaux vives souterraines et pu-rifiantes, vous infléchissez le cœur des Angeset des hommes vers la paix dans l’h i s t o i re ,vous embellissez l’Eglise de fleurs et de fruitssavoureux, bref, vous réjouissez le Cœur de laTrinité sainte par votre louange sonore à laGloire de Son Amour.

Parce que vous êtes à l’avant-garde del’Eglise dans tous les combats de l’Esprit,nous, prêtres et laïcs aux prises avec les ur-gences de l’hôpital de campagne, nous levonsles yeux vers la lumière qui brille sur les ta-bors de vos cloîtres. Nous tenons bon dans laplaine soutenus par votre écoute de Jésus etpar vos bras levés vers le ciel. Votre vie illumi-ne notre vie et nous rend plus vivants de cetteVie divine à donner aux mendiants de cemonde. Soyez bénies et remerciées par Celuidont l’intimité comble tous les désirs et au-de-là. Gardez-nous dans votre prière avec le Suc-cesseur de Pierre qui vous supplie de l’assistertoujours et surtout en cette heure de pandé-mie.

Chère Mère Agnès, en ce temps inédit decarême et d’espérance, je vous reste uni et re-connaissant de votre appel, heureux de cettecommunion plus profonde qui rallume notreespérance dans le Christ ressuscité. Gloire àDieu, Merci à vous, Paix à la terre éprouvée!