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META-NOIA_Gérard Eschbach_BULLES BEANTES Livre I

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bulles béantes

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Gérard Eschbach

Bullesbéantes

Livre I

Notre bulle

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Introduction

Sans doute faut-il commencer par relire Platon en son allégorie de la caverne au Livre Septième de la Répub-lique. Une question vertigineuse. Probablement le plus énorme soupçon jamais posé sur l’homme. Soupçon... Sub-spicere. Regarder dessous. Découvrir ce qui n’ap-paraît pas d’emblée. Et porter un regard critique sur le regard lui-même.

Un étrange soupçon ! La réalité vraie est-elle seulement ce que les hommes expérimentent dans l’espace ‘naturel’ qui est le leur depuis leur naissance ? Une si radicale question ne peut se dire qu’à la limite. A travers une allé-gorie, agoreuo-allos, une parole qui crie un ‘ailleurs’ sur la place publique.

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Cela commence par une étrange mise en scène. Une demeure souterraine en forme de caverne. Des hommes sont enchaînés là depuis leur naissance, le dos tourné contre l’unique entrée d’où vient la lumière. De solides liens les empêchent de bouger et de tourner la tête. Ils ne peuvent donc voir que devant eux. La lumière vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux. Entre le feu et les prisonniers passe une route élevée et le long de cette route est construit un petit mur pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquels ils font voir leurs merveilles. Il faut maintenant se figurer le long de cette route, derrière ce mur, des porteurs d’objets divers. Ces porteurs parlent ou se taisent et leurs voix se répercutent en écho. Seuls les objets qu’ils portent dépassent le mur. Leurs ombres se projettent au fond de la caverne. Il faut encore imaginer ces prisonniers s’entretenir entre eux.

Etranges prisonniers! Ils sont tous esclaves du Maître de la caverne. C'est-à-dire de ce Discours qui fonctionne dans l'horizon indépassable de la caverne. Il représente la logique la plus pertinente de la grotte. Il s'identifie à la bonne conscience de la caverne. Il est promoteur du consensus de la caverne. Il fait la loi dans la caverne. Il est garant des euphories de la caverne. Il est détenteur des secrets de la caverne. Il meuble l'imaginaire de la caverne. Il porte les lumières de la caverne. Il instruit les magiciens des fictions de la caverne. Il donne voix aux ténors des polyphonies de la caverne. Il dicte les chroniques de la caverne. Il garantit le succès aux jeux et concours de la caverne. Il inspire les propagandistes des utopies de la caverne...

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Eh bien, ces étranges prisonniers nous ressemblent !

Ces cavernicoles enfermés depuis leur naissance peu-vent-ils avoir le moindre doute sur ce qui leur paraît être le ‘réel’ ? Manquant de toute référence à l’autre, ce même s’impose à eux comme un absolu. Il est seul à faire la loi sans la différence. Ainsi donc la réalité de la fiction peut-elle être pour l’homme plus réelle que le réel ! Et immédiatement la question nous concerne, inquié-tante. Si notre ’réel’ n’était qu’une sorte de cinéma ?

Qu’arrivera-t-il si l’on délivre un de ces prisonniers de ses chaînes et qu’on le délivre de son ignorance ? L’ébranle-ment de la fiction est douloureuse. Elle signifie la rupture d’un monde ’naturellement’ donné depuis notre nais-sance. Qu'on libère un de ces prisonniers. Il y faudra la force. On le fera souffrir. Il se plaindra. Tant proteste la nature. Aussi bien la première que la seconde. C'est pourtant le prix à payer pour découvrir la pertinence du dehors et passer de l'obscurantisme à la lumière.

Détachez-le. Vous le ferez souffrir. Il se plaindra de ces violences. Cet éblouissement lui sera intolérable. Les ombres qu’il voyait tout à l’heure lui paraissaient beaucoup plus claires et distinctes que les objets qu’on lui montre maintenant. Et que dire de la lumière elle-même ? Ce n’est pourtant qu’à travers une rupture douloureuse que la fiction se dévoile fiction. Il faut avoir risqué le passage pour ne pas se complaire dans l'obscurantisme.

Imaginons-le encore, ce prisonnier libéré, se souvenant de son ancienne caverne, de la sagesse que l’on y

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professait et de ceux qui y furent ses compagnons de captivité. Ayant connu la différence, ne se réjouira-t-il pas du changement ? Ne plaindra-t-il pas ses anciens compagnons ? Toute cette vanité des honneurs, des louanges et des récompenses qu’on se décernait alors. Pour celui qui saisissait de l’œil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble et qui, par là, était le plus habile à deviner leur apparition... Jaloux de ces distinctions et de ces honneurs ? Comment ne préférerait-il pas mille fois n’être qu’un valet de charrue au service d’un pauvre laboureur, et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à ses anciennes illusions et de vivre comme il vivait ?

Il faut encore imaginer cet homme redescendre dans la caverne et s’asseoir à son ancienne place. N’aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusque-ment du plein soleil ? Imaginons-le entrer à nouveau en compétition pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n’ont point quitté leurs chaînes, dans l’état où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis. Ne prêtera-t-il pas à rire à ses dépens ? Ne diront-ils pas qu’étant allé là-haut il en est revenu avec la vue ruinée ? Et donc que ce n’est même pas la peine d’es-sayer d’y monter !

Tu reviens comme étranger. Ton retour dans la caverne te laisse ridicule trouble-fête dans le petit monde des certitudes naturelles. Bien plus, tu risques la mort. Car la moyenne ne pardonne jamais à l’unique de l’avoir quittée pour la vérité. Etonnant retour sur le 'lieu du crime' ! Quel éros pouvait l'y inciter ? Pouvait-il trouver par lui-même et

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en lui-même la lucidité et le courage pour sa folle aventure ? De quel 'ailleurs' pouvait lui venir la force pour cela ?

Prisonnier libéré, tu reviens donc dans la `bulle` de tes anciennes amours et de tes vieilles habitudes. Tu y re-trouves tes compagnons, ton rôle et tes fonctions. Mais tu ne t'y retrouves plus toi-même. Tu n'entres plus dans le jeu aussi allègrement qu'auparavant. Tu ne brilles plus si facilement à ses jeux et ses concours. Tu risques sans cesse d'être la risée des tenants du clair-obscur. Mais en même temps ton retour est critique. Car désormais tu connais la grande différence. Tu sais.

On ne commence pas à prendre conscience de sa bulle sans commencer par ne plus être prisonnier.

La portée de l’allégorie est infinie

L’humain n’a pas fini de sortir de la caverne. L’humain n’a pas fini de faire son exode. Aujourd’hui plus que jamais. Heureux es-tu si tu as appris à lire entre les lignes et à discerner entre les ombres. Car les ombres sont inca-pables de se discerner elles-mêmes. Ces temps devenus si critiques sur les méthodes sont devenus si peu critiques sur ce qu’ils sont et comment ils fonctionnent. Car la sophistique de la caverne n'a jamais aussi bien fonctionné qu'en nos jours. Et jamais les dissidents ne furent plus impitoyablement expulsés. On n’a pas fini de livrer sournoisement à la dérision les témoins d’ailleurs, prophètes de l’Alliance avec l’Autre.

L'allégorie de la caverne reste plus que jamais d’actua-

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lité. Il est vrai que nous l'avons aménagée, la caverne de notre monde moderne. Elle a été immensément élargie. Eclairée désormais à l'électricité, sonorisée avec puis-sance et haute fidélité et dotée de mille facilités, elle est devenue encore plus confortable. Le jeu des ombres s'est perfectionné. On n'en perd pas le moindre détail sur les petits écrans de la télévision. Les media s'amusent à orchestrer et à amplifier les débats des cavernicoles...

Notre si vaste caverne résonne d'une multitude de dis-cours accordés à sa résonance. C'est-à-dire en accord avec le Discours qu'en ses profondeurs notre monde ne cesse de se tenir à lui-même. Essentiellement le Dis-cours bien-portant de l'homme bien-portant. Maître dans la caverne. Maître de la caverne. Le Discours fonctionne dans l'horizon indépassable de la caverne. Il représente la logique la plus pertinente de la caverne. Il s'identifie à la bonne conscience de la caverne. Il est promoteur du consensus de la caverne. Il fait la loi dans la caverne. Il est garant des euphories de la caverne. Il est détenteur des secrets de la caverne. Il meuble l'imaginaire de la caverne. Il porte les lumières de la caverne. Il instruit les magiciens des fictions de la caverne. Il donne voix aux ténors des polyphonies de la caverne. Il dicte les chroni-ques de la caverne. Il garantit le succès aux jeux et concours de la caverne. Il inspire les propagandistes des utopies de la caverne...

L'autre Parole venue d'ailleurs n'a que peu de chances de se faire entendre au milieu de ces voix assurées et entendues. Elèverait-elle la voix que sur le champ elle se ferait expulser avec violence. Cette voix trouble-fête des euphories de la caverne! Cette mauvaise conscience de

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la caverne a l'air ridicule dans la caverne. D'ailleurs a-t-elle tellement de choses à dire dans le concert de la caverne? N'est-elle pas plutôt perdante aux jeux et concours de la caverne? Et pourtant elle sait...

Nous n'avons pas fini de sortir de la caverne

L'humain n'a pas fini de faire son exode. Aujourd'hui en-core. Aujourd'hui plus que jamais.

La caverne représente notre espace humain avec ses limites et dans sa clôture. L'homme y est enchaîné par les nécessités `naturelles' de sa condition. Son regard et sa manière d'être sont conditionnés par les multiples contraintes qui lui viennent de naissance et, ensuite, par acquis: ses possibilités physiques et physiologiques, son héritage culturel, son éducation, les réflexes naturels et acquis, ses habitudes mentales, le mimétisme social... L'illusion d'une caverne infinie oblitère les chances du dehors. Les cavernicoles peuvent-ils avoir le moindre doute sur ce qui leur paraît être le 'réel' ? Manquant de toute référence à l'autre, ce même s'impose à eux com-me un absolu. Il est seul à faire la loi sans la différence.

Cette caverne symbolise avec beaucoup de pertinence la 'bulle' de notre univers mental. C'est-à-dire notre 'culture' prisonnière de son 'horizon indépassable' selon l'expres-sion de Sartre, le grand spécialiste de nos enfermements modernes. Notre modernité vit dans l'illusion d'un infini ouvert. Par là elle s'occulte à elle-même la 'bulle' dans laquelle elle vit.

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Trilogie

Le questionnement qui est le nôtre et qui va se pour-suivre à travers les trois livres de notre recherche, rejoint la question du cavernicole de la parabole en qui le soup-çon se lève et qui, dès lors, ne cesse de chercher du côté de l'Ouvert.

Livre I - Notre Bulle

A. Maîtres et possesseurs1. Notre espace d'humanité2. A partir de l'immanence3. Le grand enfermement4. Courbure de l'espace5. L'Alliance rompue

B. Démesure congénitale1. Paradigme2. D'où vient cette dynamique ?3. Païen et judéo-chrétien4. Deux révolutions5. Pourquoi cette longue gestation ?6. Irruption de radicale nouveauté7. Traumatisme de naissance8. La verticale explose à l'horizontale

C. Systémique1. Intelligibilité systémiques2. Energie systémiques3. Mortelle indifférence4. Ecosystème5. L'écologie du souffle

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D. Essoufflement1. Schizoïdie 2. Nous avons péché3. Prodigues4. Illusions5. Souffle enfermé6. Dieu refoulé7. Sans recours

Livre II - Incomplétude

A. Progrès1. Qu'est-ce que le progrès ?2. Pourquoi ça ne marche pas3. Les progressismes piégés4. Exponentielle frustration

B. Science1. Une construction de l'esprit2. Les mathématiques3. Entre4. La science et l'homme

C. Les originesQuestions béantes

D. Vérité1. Exigence de vérité: la raison2. De la vérité à la réalité3. Croyance et certitude4. Traversée sceptique5. Cogito

E. Idée1. Difficile assomption du réel2. La bulle de l'idée 3. L'autre de l'idée 4. Prisonnier de la bulle ?5. A bras le corps avec le réel

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Livre III - Dissidence

A. Facticité1. Il y a2. Le hasard3. L'événement

B. Fascinosum et tremendum1. Le sacré2. Le mal3. Monstrueux4. Dieu

C. Précédant1. Déjà2. Le logos précède3. Dans la lumière du Verbe4. Le Maître

D. Mystère personnel1. L'esprit2. Je, une illusion ?3. La personne4. La certitude intérieure

E. Béance1. Concepts en béance2. Béance mystique3. Agapè 4. Voie négative

F. Risque1. En exode2. Le logos en exode3. Au risque de l'histoire4. La foi5. Aventuriers de l'eschatologie

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On ne comprend une chose qu'à travers l'espace de sa compréhension. Cet espace peut tout aussi bien être ap-pelé une 'bulle'.

Notre recherche veut porter sur les bulles elles-mêmes, les bulles en tant que bulles. Il s'agit de prendre la mesure de cet espace englobé-englobant de notre 'préhension' d'un monde et, partant, de sa possible 'com'-'préhension'.

On commencera ici par ce qu'on pourrait appeler la bulle des bulles, à savoir notre espace de compréhension à travers lequel, nécessairement, nous essayons de com-prendre.

En ce premier livre de la trilogie il s'agit donc de « notre bulle ». Notre espace mental, intellectuel et cul-turel, c'est-à-dire l'espace d'humanité tel qu'il s'est consti-tué historiquement en notre Occident. Une aventure très originale comparée à d'autres humanités sur notre globe. Une aventure marquée par la démesure. Comment s'est-elle formée et comment a-t-elle évolué jusqu'en notre modernité ? Comment aussi, aujourd'hui, le souffle risque de lui manquer.

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Notre grande 'bulle' englobe une multitude de bulles plus ou moins vastes en interdépendance et en interaction. Nous les aborderons dans les livres suivants 2 et 3.

C'est sous le signe de l'intelligibilité systémique que se fait notre approche. La question du souffle ne peut pas ne pas y prendre les dimensions d'une vaste écologie spirituelle.

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A.Maîtres et

possesseurs

Il n'y avait jusque là qu'un seul « maitre et possesseur » de toutes choses. Par la suite, Dieu devait se contenter de jouer les seconds rôles. C'est l'homme qui, désormais occupe les devants de la scène. C'est à l'horizontale que l'homme investit désormais la dynamique qui lui vient de son expérience judéo-chrétienne de la verticale démesu-re. L'homme devenu divin peut-il rêver d'autre chose que de devenir "maître et possesseur" de l'immense domaine de son immanence ? Restent à trouver les moyens. Il faut commencer par la méthode.

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Et qu’en lieu de cette philosophie spéculative qu’on en-seigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme MAITRES ET POSSESSEURS de la nature.1

1 Descartes: Discours, VI.

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1. Notre espace d'humanité

Notre milieu humain, notre espace d'humanité. Aucun d'entre nous ne survit sans s'y désaltérer, sans s'y nourrir, sans y respirer. Pas seulement physiquement ! Avant même que 'je' ne devienne homme, déjà il y a un espace qui me précède et où le 'çà' du sens de l'humain se déploie ou se retire. Ainsi, par exemple, de l'espé-rance. Avant qu'il m'arrive de désespérer, déjà je baigne en quelque sorte dans un espace où 'çà' désespère. L'espérance est présente ou absente d'un 'Umwelt'. Cette absence ou cette présence affecte un milieu. Elles se vivent et se respirent comme le smog d'un endroit pollué ou comme la clarté d'une contrée ensoleillée. Il y a des espaces où l'espérance va tellement de soi que personne n'en parle. Il y a des espaces où se fait criante son absence.

L'espace de l'homme

L’humain n'est pas en l'air ! L'humain habite un espace. Cet espace où l’humain respire et se respire n’est pas

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d’abord la simple structure spatiale abstraite et vide de la géométrie, mais un espace-temps concret et vivant. Un espace qualitativement différent de la somme des espaces particuliers qui l’occupent. Un espace où les ‘contenus’ sont en interaction avec le ‘contenant’. Un espace quasi biologique qui a déjà sa densité et son intensité spécifiques. Quelque chose comme un habitat...

Différentes images peuvent s’en donner. Il y a le ‘territoire’ qui délimite l’espace vital. Il y a la ‘sphère’ qui englobe un possible ou une influence. Il y a 'l'habitacle spatial' de la science fiction qui enferme les conditions de survie dans n’importe quelle situation. Il y a la ‘coquille’ dans laquelle se retire une frileuse suffisance. Il y a la ‘maison’ qui abrite un foyer d’intimité.

Le milieu humain existe chaque fois comme espace de l'humain constitué en telle région du globe et à tel moment de l'histoire. Espace de la raison constituée avec ses possibilités et ses impossibilités épistémologiques et pragmatiques. Espace de la parole constituée à travers les philosophies et les lettres. Espace du savoir constitué à travers les sciences ou les mythes. Espace de la sensi-bilité constituée à travers les arts, les modes, les séduc-tions... Espace des constructions. Espace des innova-tions. Espace des surgissements. Espace des décaden-ces. Espace des techniques. Espace des réseaux et des communications. Espace des affrontements. Espace du désir. Espace des croyances. Espace des rêves. Espace des projets. Espace des valeurs. Espace des utopies...

Ce milieu de l'humain est essentiellement de nature sociale. C’est l’espace d’un 'nous’ et c’est ce ‘nous’ qui lui

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confère en même temps sa qualité propre. Un ‘nous’ qui n’est pas simplement un pluriel de singuliers, une collec-tion ou un collectif, mais une réalité vivante originale se déployant en tel temps et en tel lieu. Ce ‘nous’ n’est certes pas sans les multiples ‘je’ qui le constituent. Mais en même temps c’est lui qui les précède et les étreint.

L’éthologie peut souligner de nombreuses et troublantes ressemblances entre le règne animal et le règne humain. Reste cependant lune différence essentielle. Elle est criante. Le monde du chimpanzé demeure grosso modo identique à lui-même à travers les espaces et les temps. L’homme, au contraire, ne cesse de traduire l’humanité au pluriel en une incroyable diversité culturelle.

Un tel espace humain se définit par un référentiel, un horizon, des axes et un centre. Un référentiel qui en détermine les dimensions fondamentales. Un horizon qui trace les limites de ses possibilités et impossibilités théoriques et pratiques. Des axes marquant les grandes lignes de force selon lesquelles s’articule ce possible. Un centre, nœud de convergence des axes fondamentaux.

Une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part... Sans doute est-ce l'audacieuse métaphore qui caractérise le mieux ce monde d'humanité. L'image remonte à Boèce et s'applique essentiellement à Dieu, comme en témoigne encore, au Moyen-âge, un Alain de Lille. Elle glissera progressivement de Dieu vers l'hom-me. Avec le cardinal Nicolas de Cues, à l'aube de la Renaissance, une telle 'révolution copernicienne' semble accomplie. Mais un tel glissement est-il aberrant dans un espace où l'homme se reconnaît fondamentalement à

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l'image et à la ressemblance de Dieu ?

Une sphère, donc, dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Le centre est partout; il est donc omniprésent. La circonférence est nulle part; la sphè-re est donc illimitée. Est dès lors omniprésent le centre d'intérêt, le centre de gravité, le centre de perspective, le centre de convergence... Est dès lors illimité le champ d'action et le domaine du savoir. L'espace de l'humain devenu incontournable au sens premier du mot et son être rendu proprement indéfinissable, c'est-à-dire sans 'finis', sans frontière.

Notre milieu matriciel

Pour naître humain suffit-il d'être engendré dans le sein d'une femme ? La nature engendre chaque vivant selon son espèce dans une matrice spécifique. Mais la matrice `naturelle' de l'espèce humaine suffit-elle à engendrer authentiquement cet 'enfant d'ailleurs' qu'est l'homme ? La matrice `biologique' est certes condition sine qua non. Est-elle raison suffisante ? Par exemple, que devient le petit de l'homme abandonné à la simple nature ? Qu'y a-t-il de proprement `humain' chez l'enfant-loup ?

L'espace de l’humain est matriciel. Il porte en gésine. Le petit de l’homme sorti du sein biologique n’est encore, d'une certaine façon, qu’une sorte de ‘matière première’ à hominisation. Son humanité fœtale n’arrive à maturation qu’à travers un long engendrement dans le milieu humain et son dialogue qui, d’une certaine façon, précède la parole.

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Au sortir de sa matrice naturelle, l'homme ne fait que balbutier son humanité. La matrice biologique n'engendre encore que le préalable. Pour donner naissance à l'authentique spécifique humain, une autre matrice est indispensable. Comment la caractériser cette matrice `différente' ? Mais ne l'avons-nous pas déjà désignée comme espace d'humanité ? Il est identiquement espace d'humanisation. Le milieu dans lequel l'animal humain poursuit son ontogenèse du côté de l'autre. L'authentique maternité et l'authentique paternité sont ainsi moins procréatrices qu'éducatives. Au sens le plus fort qui reste à ce terme à partir de son étymologie. Ex-ducere. Conduire hors de... Très loin hors de... Et sans jamais s'arrêter.

Dialectique

Une culture engendre de plus en plus de différences. Mais déjà elle ne se constitue qu'à partir d'une concen-tration de différences. A l'origine des multiples cultures historiquement apparues il y a cette condition nécessaire bien que non suffisante de quelque chose comme une `oasis' de densité humaine, le long d'un fleuve nourricier, par exemple, ou bien dans une plaine fertile. Toute culture est inséparable d'une agriculture qui sédentarise une concentration humaine croissante. Aucune grande culture ne s'est constituée sans céréale, ce concentré miraculeux de glucides, de protides et de lipides avec ses sels minéraux et ses vitamines...

Un espace humain est essentiellement marqué par la différence. C'est la marque même de la liberté. Chaque milieu humain intègre, concentré, un maximum de

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différences intégrables. Différences physiques. Différen-ces géographiques. Différences historiques. Etc. Les espaces culturels sont multiples. Ils sont différents. Syn-chroniquement en eux-mêmes. Diachroniquement dans leur évolution historique. Quels critères choisir pour marquer les différences? Quelles polarités antithétiques? Et, partant, quelles coordonnées? Quel espace (au singulier) pour englober les différents espaces culturels (au pluriel)? Les possibilités sont quasi infinies.

Il faut souligner en particulier les différences personnel-les, puisque l'homme est la seule espèce où les individualités se différencient fortement et se différencient d'autant plus fortement qu'ils forment une plus grande communauté. C'est donc une communauté étreignant un maximum de différences qui devient source de culture marquante. Il suffit, ici, d'affirmer simplement ce principe, en n'oubliant pas que sa démonstration particulière repose sur une multitude d'études et d'observations.

Chaque concentration communautaire induit toute une série d'autres diversifications et d'autres intensifications comme, par exemple, la différenciation des tâches, la production plus intensive de subsistance ou la créativité spirituelle. La dynamique est en quelque sorte expo-nentielle. Elle est de nature profondément dialectique. C'est toujours une différence concentrée en même temps qu'une concentration différenciée qui fait ce mélange détonnant provocateur d'humanité.

Culture

Les innombrables cultures constituées présupposent une

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matrice constituante, quelque chose comme une préal-able matrice commune qui donne naissance à l'humain universel. Que peut-être fondamentalement cette matri-ce ? Peut-on la trouver ailleurs que du côté du logos ? Ce Verbe archéologique, ce logos anthropogène. qui engendre l'humain en tant qu'humain.

La parole est gestatrice d'humanité dans un espace spécifique que nous pouvons appeler « espace culturel » au sens profond du terme, à savoir un champ où l'humain est cultivé et où il se cultive. Un passif et un actif lourds de signification.

Il y a ce qui est donné avec la naissance. Il y a ce qui se donne par conquête. Les deux dimensions se recoupent. Les frontières sont indiscernables. L'homme se trouve dans l'impossibilité absolue de faire l'expérience de ce que serait la simple biologie sans l'esprit. L'homme est fondamentale unité à la fois physique, biologique, psy-chologique, sociologique et spirituelle. Que l'homme se soit dressé bipède et vertical, ce phénomène est-il naturel ou culturel ? En l'homme la matière est pétrie d'esprit. En l'homme l'esprit embrasse la matière. Sous quelque forme et à quelque niveau que nous tentions de les cerner, déjà la `nature' se manifeste avec un indice de `culture', déjà la `culture' n'est pas sans `nature'.

En fait il n'est pas faux de dire que la culture devient pour l'homme nouvelle `nature'. L'essentiel singulier de `la' culture se traduit inlassablement au pluriel. Une très grande variété de cultures particulières surgit à travers l'espace géographique et le temps historique. Une même humanité se traduit et se réalise de façons différentes.

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Toute culture est en effet synthèse vivante originale. Elle noue en un tout organique une multiplicité et une diver-sité de contenus. Elle les intègre dynamiquement en une synthèse totalisatrice et cohérente. La totalité `conte-nante' devient ainsi plus significative que les contenus eux-mêmes. L'ensemble devient plus que la somme des composants.

Chaque culture articule ainsi de façon originale et différentielle, à la manière d'un langage, les éléments culturels entre lesquels s'instaure une relation. Comment concevoir cette articulation intégratrice ? Les éléments s'intègrent-ils parce qu'ils `fonctionnent' ensemble, en s'ajustant et se réajustant sans cesse au tout, comme le pensait, par exemple, l'école fonctionnaliste avec Malinowski ? Ne faut-il pas plutôt dépasser une telle ap-proche quasi mécanique et chercher, comme l'ont fait Benedict et l'école thématique, un intégrateur plus spéci-fiquement humain ? Du côté des buts, des vouloirs, des motifs, du sens, du projet. Quelque chose comme un système de significations, fut-il inconscient, qui régit la 'configuration' d'ensemble de l'espace culturel.

Espace de la Parole

Il n'y a jamais d'humain que lorsque se dit une culture. Un discours multiforme à travers les temps et les lieux. Un discours polyvalent fait aussi bien de gestes construc-teurs et de graphies symboliques que de sonorités verbales. Un discours à la fois matériel et idéel. Un dis-cours tour à tour logique et prophétique. L'humain n'est pas sans ce discours par lequel l'homme se dit en disant sa culture. Cette parole décide de l'homme parce que

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l'homme se décide à proférer le verbe qui donne sens à son monde et qui lui donne sens.

Une culture est fondamentalement un 'discours'. Ce Discours noue en même temps le désir, les valeurs et le sens en raison de vivre. Ce discours se fait multiple et différent. On aura, par exemple, le discours idéologique qui donne des motifs, le discours mythique qui donne des signes, le discours scientifico-logique qui donne des raisons, le discours du désir qui donne des mobiles, le discours qu'est la construction matérielle qui articule les éléments...

La différence pertinente de l'humain, sa différence spécifique d'avec tout le reste de la nature, cette différence qui identifie l'homme en tant qu'homme, c'est le logos. Par lui l'humain se trouve en quelque sorte exposé hors de lui-même. Verbe métaphore c'est-à-dire qui porte infiniment au-delà. Par lui l'humain est entraîné dans une aventure qui ne finit jamais.

La parole... Existe-t-il une seule possibilité qui ne l'im-plique pas? Sans elle, que resterait-il de la pensée? Et de l'imagination? Et de la perception? Et du senti-ment? Que serait le simple donné naturel, que serait l'être du monde, s'il restait prisonnier du silence? Accéder à la parole c'est d'abord rompre l'éternel silence du monde. Et l'émergence de l'homme signifie cette rupture. Avec lui tout se met à parler. Et tout en lui, geste, main, regard, posture, attitude, démarche, rythme, devient “parlant”.

Sans la parole... On peut essayer d'imaginer, à la limite ‒ à l'extrême de la limite! ‒ un silence éternel et absolu.

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Mais c'est encore, c'est toujours, un silence qui parle! Et s'il se taisait? Alors plus rien... rien... rien... Même pas les points de suspension! Si n'était pas la parole... Ce conditionnel est lourd d'absurde. Mais sans la parole l'absurde lui-même n'aurait pas de sens. Rien n'aurait de sens. Bien moins, rien n'existerait. Que serait en effet l'être immergé dans un silence impénétrable? Rien ne serait. Même pas le néant puisque le néant lui-même a encore besoin de se dire.

Déjà est la parole. Toujours, déjà, est la parole. Il est impossible de contourner son en deçà. Elle est là, au surgissement de l'être. En archè est le Verbe.

Parler, c'est évoquer une présence à travers son absen-ce, c'est manifester du sens à travers des signes. Et qu'est-ce qu'un signe sinon l'expression d'une significa-tion à travers une réalité matérielle ouverte à son 'autre' ? Symbole au sens premier du mot. En lui-même, en sa clôture, le signe est vide. Il n'est que dans sa transcen-dance. Il n'est que dans et par l'intention de signifier. Lieutenant de l'autre. En son absence.

Parler c'est traverser infiniment le champ symbolique. Le langage est l'infini outil de cette traversée. L'animal n'ac-cède pas vraiment au langage parce que le signe ne peut pas se libérer. Il reste prisonnier de la chose, de la situation, des liens... L'homme parle dans la rupture des liens et dans l'exode hors d'un monde bouclé en son 'même'.

L'homme parle. Il dit et se dit à travers ce dire. L'humain est création du verbe. En même temps le verbe est

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création humaine. Le cercle n'est vicieux que dans le monologue. Il est par contre infiniment fécond dans le dialogue. Ici encore le critère passe entre le clos et l'ouvert.

Le Discours de base

Derrière l’infini du dire qui surabonde dans chaque espace culturel se tient un Discours aux prétentions totalitaires. Le Discours dominant. La multiplicité des dis-cours d'une culture se profère interactivement sur fond de murmure de ce Discours. Un Discours derrière les discours. Le grand ‘souffleur’ de nos mises en scène. C’est lui qui dicte ce qui est sortable et ce qui ne l’est pas, ce qui est ‘correct’ et ce qui ne l’est pas. Il se veut être donateur de cohérence, d'unité, de totalité, de valeur et de sens. La limite du Discours est à un moment donné d'une culture donnée l'horizon indépassable de cette culture, délimitant l'espace épistémologique et pragma-tique, l'espace du possible et de l'impossible. Le non-dit est son expression habituelle. Il ne prolifère que derrière les démissions personnelles. Le ‘on’ est son empire.

Ce Discours est donc plus inconscient que conscient, plus implicite qu’explicité, plus sous-jacent que mani-festé, plus omniprésent qu’exprimé. En lui-même, ce Dis-cours est plutôt silence, étant plus essentiellement ce qui rend possible la multiplicité des discours. Le non-dit der-rière le dit. L’englobant des discours. Un contenant plutôt qu’un contenu. Un champ.

Ici joue une sorte de catalyse. On sait que ce phéno-mène physique a lieu quand un corps met en jeu par sa

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seule présence certaines affinités qui sans lui resteraient inactives. Un phénomène identique a lieu dans l’espace humain où il prend des proportions inattendues. Bouclant la cause sur l’effet et l’effet sur la cause, il grossit selon la loi de la ‘boule de neige’. Ses mécanismes sont comple-xes. Il joue les séductions entre la majorité silencieuse et la masse critique. Les médias lui fournissent l’orchestra-tion et lui assurent l’amplification et la résonance. L’Audi-mat le dynamise. Pourtant le phénomène en lui-même reste mystérieux tout comme l’esprit du temps. Pourquoi ça prend ? Pourquoi ici et maintenant, et pas ailleurs ? Pourquoi telles idées sont-elles ‘dans le vent’ ?

Englobé et englobant

L'humain habite un espace. Le sens habite un espace. Avant même que `je' ne devienne homme, déjà il y a un espace où le 'çà' du sens de l'humain se déploie et y prend forme différemment. La grande et merveilleuse 'maison' de l'humain... qui, malheureusement, peut aussi devenir décharge de nos turpitudes.

Dis-moi ton englobant. J'entends l'ultime espace hors duquel il n'y a plus pour toi que vide et in-différence. Donc l'espace total de la 'maison' que tu habites et qui te donne tout ce dont tu as besoin (matériellement, socia-lement, psychologiquement, intellectuellement, spirituel-lement) pour vivre et pour survivre. Ton absolu 'oïkos'.

Il s'agit de l'espace humain total. Un espace pluridimen-sionnel avec toutes ses dimensions `humaines', géogra-phiques, écologiques, géopolitiques, économiques, cultu-relles, épistémologiques, pragmatiques, spirituelles... Il

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s'agit de notre espace d'humanité. Cet espace a une épaisseur. Il s'est historiquement constitué. Non seule-ment par accumulation de strates superposés mais essentiellement à travers la dynamique spécifiquement humaine des rencontres, des affrontements, des luttes et des défis sans cesse rencontrés et sans cesse provo-qués. Cette fondamentale historicité de notre espace relativise nos actualités pour nous situer dans la longue durée.

On peut aussi appeler 'monde' ou 'univers' ce concept totalisant de l'englobant de notre espace d'humanité qui est identiquement le contenant de notre condition hu-maine.

L'espace du sens

L'atmosphère, la sphère du souffle, n'est pas seulement physique. L'esprit a encore plus besoin de souffle que le corps. L'esprit s'asphyxie hors de l'espace du sens. Mê-me le non-sens en vit à sa manière. De fait, l'humain baigne dans le sens. On le trouve partout... du côté du sentir, de la compréhension, du signifier, de l'expliquer, de la direction, de l'orientation, de la valorisation, de la raison d'être... Il appelle même à travers son absence ou son contraire. Le sens, si difficile à se concevoir en lui-même, se comprend sans doute mieux en contre-point face à ses contraires, à savoir l’absurde, la déraison, l’insensé, la folie, l’aberrant, le dément, l’inepte...

Au-delà de son acception simplement abstraite et intel-lectuelle, il faut lui rendre toutes ses dimensions concrè-tes. Par analogie avec ce qui rend possible la vie déjà

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simplement biologique, l'étymologie dévoile des pertinen-ces. Ainsi entre l’esprit et l’air. Spiritus. Spirare. Respirer. L’air de l’inspire et de l’expire. L’air que, sous peine d’asphyxie, les corps respirent... L’air que l’âme et l’esprit respirent... Le souffle chargé d’énergie spirituelle. Le souffle de l’esprit.

Il s’agit essentiellement du sens existentiel, à savoir cette dynamique qui permet de ne pas mourir. La raison d’exis-ter, la raison de vivre, la raison de survivre. Lorsqu'un ébranlement ou un bouleversement nous éjectent hors de nos certitudes quotidiennes. La catastrophe. L’acci-dent. L’échec. La mort. Le scandale. Le non-sens... Sa-voir où l’on va. Ne manquer ni de boussole ni de réfé-rentiel. Etre paré pour affronter les tempêtes.

Le sens du sens

La maison du sens que nous habitons au jour le jour n’est pas d’emblée la grande maison. Elle ressemble plutôt à un pavillon fait à notre mesure où nous nous retrouvons ‘chez-nous’. Il faut un ouragan qui ébranle ses assises et dévaste les terres voisines pour que nous nous sentions dépendants d’un environnement plus large. L’espace de notre sens se sent pris dans un espa-ce plus grand qui l’englobe.

Le sens dans le sens. Cela veut dire qu’il y a toujours un sens plus large – un sens plus englobant – qui porte et englobe notre sens. On peut exprimer cela également en distinguant entre le sens constitué, celui qui est actuel-lement et effectivement mien ou nôtre, et le sens consti-tuant, à savoir cette dynamique même qui rend pos-

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sibles, qui engendre et qui porte les sens ‘constitués’.

Le sens n’est pas à partir de rien. Tout sens se donne toujours à partir d’un sens plus grand et plus fondamen-tal. La simple possibilité de dire: “c’est absurde” présup-pose une englobante possibilité de sens.

Ainsi donc les différents niveaux de sens s’emboîtent. Tel sens peut englober un sens plus régional et se trouver englobé, à son tour, par un sens plus englobant. Un ‘pourquoi’ n’est pas forcément l’ultime ‘pourquoi’. Il reste toujours un pourquoi du pourquoi.

Mener sa pensée jusqu’au bout d’elle-même ne va pas sans questionner sur l’englobant ultime du sens. L’ultime limite de notre possible dont un au-delà est impossible. La Nature ? Le hasard ? La Nécessité ? Dieu ?

L’ultime sens englobant, le sens du sens, reste extrême béance. Sans ‘ce que’. Simplement QUE ‒ qu’il y ait du sens, que ne soit pas absolument le non-sens... ‒ l’acte d’être même du sens, sans contenu et possibilité absolue de tout ‘ce que’.

Division des esprits

Chaque espace humain, social ou personnel, se consti-tue ultimement à travers des options fondamentales sur les enjeux fondamentaux. Face à des alternatives fonda-mentales telles que: Le sens du sens est-il en im-manence OU en transcendance ? La réalité est-elle d'un seul et même ordre OU relevant d'ordres différents ? La totalité peut-elle se boucler en clôture OU reste-t-elle

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radicalement ouverte ? L'ultime englobant est-il Nature OU Dieu ? L'espace est-il fini OU infini ? Le temps est-il cyclique OU vectoriel ? Le sens de l'humain se trouve-t-il ultimement dans les composantes OU à travers les ex-posantes ?

Ici la compréhension du phénomène humain se heurte à quelque chose comme le 'hard core' de l'incontournable et irréductible division des esprits. Pourquoi, face à l'équi-libre qui marque le règne des autres vivants, l'humain est-il livré si radicalement à l'incertitude sur l'essentiel et, partant, au risque de faire sa vérité ? C'est très certaine-ment ici le nœud (et le mystère) de l'authentique liberté. En effet, pourrait-elle être en vérité, cette liberté, sans l'urgence d'un risque pris dans les plus profondes pro-fondeurs personnelles ?

Depuis la floraison des lumignons se prenant pour des `Lumières', tous les optimismes `éclairés' du monde ‒ souvent en fait des `fascismes' qui ne disent pas leur nom ‒ voudraient conjurer cette radicale division des esprits et enrôler l'humain sous l'uniforme de la Pensée Unique. Ce qui, à l'usage, hélas!, ne manque pas de finir sous quelque Goulag ou autre Kz. Au risque de choquer les maternelles composantes de notre Occident fatigué, il ne faut pas avoir peur de marquer la virile grandeur des affrontements métaphysiques. Il n'est pas d'authentique humain qui ne passe par eux.

Sortir pour comprendre

Une bulle peut-elle s'étreindre sans éclater ? Est-il pos-sible de mesurer un espace à l'intérieur de cet espace

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lui-même ? Donc nécessairement avec les instruments (d'analyse, de mesure...) de cet espace ? Une compa-raison s'impose; elle vient de la théorie de la relativité einsteinienne. La longueur de nos mètres et la durée de nos horloges terrestres sont nécessairement déformées de par leur localisation spatio-temporelle. Nous ne mesu-rons jamais qu'à la mesure de nos déformations. Cela n'empêche pas la théorie de la relativité de pouvoir être formulée. Mais cela n'est possible qu'à travers une 'sortie' ‒ intellectuelle sans doute ‒ de notre espace `naturel' du pensable et du possible.

Il faut donc sortir. L'esprit le permet. L'intérieur ne devient intelligible pleinement qu'à partir de l'extérieur. C'est du `dehors' et du dehors seulement que le `tout' s'éclaire en vérité. Mais peut-on sortir jusqu'à l'infini ? Sans doute est-ce là `hybris' à jamais condamnée et qui pourtant ne doit pas condamner l'effort à la limite.

A moins de n’être que maison des morts, tombeau ou prison, une maison des vivants ne peut qu'être ouverte. Avec des entrées et des sorties. Une maison ouverte au souffle de l'Esprit. Au-delà de ce que nous prenons trop vite pour nos 'horizons indépassables'.

Notre espace moderne

La modernité au singulier ne couvre-t-elle pas une multi-plicité de situations historiques différentes, voire contra-dictoires ? Pourtant ce singulier marque une énorme pertinence. A condition de ne pas le prendre comme un commode fourre-tout où loger la diversité des ‘contenus’ dits modernes. Le singulier ne peut renvoyer qu’à la

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singularité de quelque chose comme un ‘contenant’. Plus exactement quelque chose comme un ‘englobant’ ou un ‘espace’ d’intelligibilité. L’espace du possible et de l’impossible à la fois épistémologique et pragmatique de l’homme dit ‘moderne’. Il s’agit donc de quelque chose de plus que la simple recherche d’un ‘dénominateur com-mun’. Il s’agit de rendre compte de ce dénominateur commun lui-même.

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2. A partir de l'immanence

Ainsi donc l'homme occidental veut-il devenir 'maître et possesseur'. Essentiellement à partir de lui-même. En pure immanence. Sans l'Autre. Il lui faut donc trouver par lui-même et en lui-même l'outil de cette maîtrise. Celui-ci s'élabore progressivement à partir de l'an 1100 et se formalise, au 17e siècle, avec le triomphe du 'mécanis-me'.

Le Discours de la Méthode de Descartes est de 1637. Il marque une rupture avec le savoir des écoles et représente une anticipation géniale de ce qui allait venir. Il annonce un nouveau projet et une nouvelle méthode. Connaissant... aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans... Disposer de la clé du monde exactement de cette même manière qu'utilisent les métiers et les artisans. C'est-à-dire la manière de ceux qui, déjà, savent transformer la réalité réelle et

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concrète de notre monde. Grâce au 'faisable' universel, à savoir le faisable par articulation, désarticulation et ré-articulation.

La révolution mécaniste

Il s'agit d'une gigantesque révolution épistémologique et pragmatique à partir du début du XVIIe siècle et ouvre un infini à la 'manipulation' intellectuelle et manuelle. La révolution mécaniste consacre les premiers triomphes de la science exacte et rigoureuse avec les Galilée, les Mersenne, les Gassendi, les Descartes... et annonce les futures révolutions scientifiques, techniciennes et indus-trielles.

Si la complexité de la nature ne peut pas être élucidée uniquement par la démarche déductive de l’esprit, elle ne saurait pas l’être non plus uniquement au niveau de l’expérience. La science moderne ne commencera à faire de réels progrès qu’à partir du moment où elle assumera dialectiquement les deux démarches, chacune restant stérile dans sa position exclusive mais se révélant vraie, fertile et efficace dans sa complémentarité avec l’autre. Un esprit à la fois philosophique et scientifique tel celui de Blaise Pascal en prendra une conscience aiguë. La véritable méthode scientifique ne peut être que la néces-saire dialectique entre l’idée abstraite et le fait concret. Cette démarche dialectique s’imposera progressivement comme la condition même de la possibilité des sciences de la nature. Elle constitue en quelque sorte la révolution à l’intérieur même de la révolution mécaniste.

Ce n’est qu’à l’intérieur de cette tension dialectique que

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la mathématique – appelée à devenir ‘les’ mathéma-tiques – pourra se concevoir non plus seulement comme archétype du savoir, mais comme outil au service de l’élucidation du réel. Outil opératoire qui, comme tout outil, est destiné à affronter le réel et à se perfectionner dans cet affrontement. C’est donc sous le chiffre mathé- matique que procède l’intelligibilité mécaniste. Cette nouvelle intelligibilité n’est plus centrée sur l’être mais sur la structure. Elle signifie la passage de l’ontologie vers les mathématiques. Elle n’appréhende plus un monde ontologiquement lié mais un univers logiquement struc-turé.

L’ancienne intelligibilité visait à connaître le mystère du lien ontologique des êtres et des événements. C’est pourquoi elle spéculait sur des ‘principes’, des ‘vertus’, des ‘forces’, des ‘influences’, etc., sensés nouer le mon-de conçu comme une totalité symbiotique. La nouvelle intelligibilité mécaniste abandonne l’être à la méta-physique. Délaissant progressivement sa visée ontolo-gique, elle finira par ne plus retenir que les structures articulables, désarticulables et ré-articulables selon des rapports mathématiques dans un espace-temps géo-métrique.

Dans ce renversement mécaniste du métaphysique au géométrique, l’esprit humain, désormais, est sensé pou-voir tout calculer. Et théoriquement aucun mystère du monde ne doit lui rester étranger. Les rapports entre les parties se substituent au lien total de tout avec le Tout. L’être n’est plus essentiellement don mais structure. L’articulation se met à la place de la participation. Ce n’est plus le sens qui est premier mais l’articulation des

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raisons. La compréhension du sens cède devant la ré-duction à la fabrication. Une rationalité unidimensionnelle s’impose contre la rationalité pluri-dimensionnelle. Sub-stitution des rapports explicites aux liens organiquement impliqués, des rapports quantitatifs aux liens qualitatifs, des rapports abstraits aux liens concrets, des rapports logiques aux liens mystérieux. La nécessité hypothétique des rapports remplace la nécessité catégorique des liens.

Les longues chaînes de raison

Après la rupture du lien total, voici, désormais, les "lon-gues chaînes de raisons"... Déjà monte le postulat que rien n’est dans la nature qui ne puisse être fait par art, selon l’archétype de la machine et de l’ingénieur. Le secret de Dieu enfin pénétré ? Dieu reste sans doute encore nécessaire. Au moins au départ. Car rien ne peut surgir sans au moins quelque chose, comme un premier montage et une chiquenaude initiale. Mais la ‘Nature’ commence à se suffire à elle-même. Bientôt elle pourra se passer même de l’hypothèse ‘Dieu’... Puisque ça mar-che !

Progressivement cette nouvelle intelligibilité s’étendra à tous les domaines de la nature, depuis l’infiniment grand (systèmes planétaires, galaxies, amas, quasars...) jus-qu’à l’infiniment petit (molécules, atomes, particules, particules élémentaires...), depuis les faits les plus sim-ples de la physique jusqu’aux phénomènes les plus complexes de la vie, voire même de la psyché. Ainsi la récente intelligibilité biologique au niveau de l’articulation chimique de l’ADN, montre que même le phénomène de

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la vie, apparemment le plus réfractaire au mécanisme, se trouve lui-même, trois siècles à peine après l’avènement du mécanisme, soumis à son système d’intelligibilité. L'âme elle-même ne résistera pas à la désarticulation et à la la nouvelle intelligibilité articulatoire.

‘La’ science se sépare des autres formes de connais-sance (philosophique, esthétique, religieuse...) et va se faire multiple. De fait à partir du 17e siècle, les sciences de la nature se détacheront progressivement du tronc commun dans l’ordre inverse de la complexité de leur objet. L’ancien idéal de l’unité totalitaire du savoir se trouve brisé. Alors que dans le système astro-bio-anthropo-logique les mathématiques, les sciences de la nature, les sciences de l’homme, la philosophie et la théologie concertent symphoniquement, l’apparition du système mécaniste entraîne des déchirures parfois dra-matiques dont le cas Galilée est un exemple typique.

Ex nihilo

Il faut commencer par le vide. L’absolu indubitable ne peut se fonder sur rien d’autre que ce qui se fonde soi-même à partir du rien. Ex nihilo ! Comme la création de toutes choses dans la Genèse, ainsi le nouveau possible de l’homme pour Descartes. Au commencement sera le rien. C’est-à-dire le doute.

Douter... Douter du doute... Quelque chose résiste quand même. Le fait même de douter ! Je peux douter de tout mais, ce faisant, je ne peux pas douter de l’acte lui-même de douter ! Même plus je doute, plus cet acte de douter se révèle indubitable. S’imposant comme un

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absolu. Je doute. Donc je pense. Et plus je doute, plus s’affirme l’indubitable ‘je pense’. L’acte du je pensant reste l’absolue évidence irréductible au cœur de l’extrê-me doute lui-même. Et cette évidence implique l’acte de ‘je suis’. Je pense donc je suis.

Est dubitable, tout ‘ce que’ je pense; absolument indu-bitable ‘que’ je pense ! Etre certain ou douter ne peuvent pas ne pas avoir un dénominateur commun, à savoir: je pense. Penser que je ne pense pas n’est-ce pas encore, nécessairement, penser ? ‘Je pense’ résiste tellement au doute que celui-ci le conforte. Une certitude fondamen-tale et inébranlable à partir de laquelle, par une démar-che logique sans faille, peut s’édifier comme un système axiomatisé de type mathématique une philosophie. La philosophie.

Rien ne semble lui résister. Relativité des mœurs. Con-tingence culturelle. Les sens parfois trompeurs. La contra-diction des pensées. Les raisonnements contra-dictoires. Les premiers maillons incertains. Suis-je réel-lement éveillé ? N’ai-je pas simplement l’illusion du réel ? Et si tout n’était que rêve ? Et si le vrai Dieu n’existait pas ? Et si, à sa place, un ‘malin génie’, rusé et puissant, s’ingéniait à tromper tout le monde ?

A partir de 'je pense'

C'est Descartes qui énoncera le nouveau principe. Il faut à tout enchaînement un point d'ancrage. Les `longues chaînes de raisons' resteraient flottantes si un premier anneau ne les reliait à de l'absolu. Jusque là, l'ancre pouvait être jeté de partout; il trouvait toujours en Dieu un

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roc ferme. A présent les fonds se révèlent plus mouvants. Et les points d'ancrage plus incertains. Où trouver l'indubitable solidité à laquelle raccrocher les liens de notre totalité ? Théoriquement, Dieu reste l'ultime garant. Trop `autre', cependant. C'est à partir du `même' que l'homme veut désormais enchaîner l'ensemble des en-chaînements. La philosophie commence désormais avec le `je'. Je pense, donc je suis. Le possible de l'homme n'est plus fondé dans le lien mais dans le point. Le point de départ.

Le recentrement de l’humain sur lui-même se clôt dans son strict possible et trouve en sa créance quelque chose entièrement indubitable. ‘Je pense donc je suis’. Cela se conçoit clairement et distinctement. Voilà le fruit de l’in-tuition évidente. Il suffit, à présent, selon la méthode, d’en tirer les déductions nécessaires. C’est-à-dire l’enchaîne-ment sans faille à la manière de la géométrie.

La force de l’évidence doit venir désormais de la subjec-tivité qui n’a plus besoin d’autre garant qu’elle-même. C’est elle qui veut se poser comme fondatrice de la totalité pensable. Ainsi donc doit s’accomplir le renverse-ment ‘copernicien’ de l’être à la pensée. Une nouvelle courbure de l’espace mental. Une nouvelle gravitation de l’être.

Descartes, sans doute, n’ose pas encore aller du côté de ces extrêmes. Il ne veut pas priver l’être de sa vérité objective. Il doit encore exister objectivement une ‘nature des choses’. Le ‘je pense’ ne peut pas être entièrement enfermé dans sa subjectivité. Ma pensée, d’autre part, est incapable de fonder entièrement sa propre vérité. Un

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garant objectif est nécessaire. Comment, autrement, dis-tinguer la pensée fausse de la pensée vraie ? Dieu reste donc garant de mes évidences. Il est aussi garant de la réalité du monde.

Maîtres et possesseurs du verbe

Devenir maître et possesseur de la nature... Ce rêve cartésien ne pouvait se formuler que précédé, plus de cinq siècles auparavant de cet autre rêve de devenir maître et possesseur du verbe et, partant, du sens. Com-ment, en effet, maîtriser complétement toute chose avant de s'être rendu maître des essences et du verbe ? Il faut certainement remonter bien plus haut qu'on ne le fait habituellement pour percevoir dans notre histoire occi-dentale les débuts de la 'modernité' et d'un long cycle euphorique. Sans doute vers 1100, lorsque avec ce qu'on appelle le 'nominalisme' émergent les premières revendi-cations à la puissance et à l'autonomie du possible hu-main.

La crise nominaliste est au fond une crise de l'Alliance. L'homme révélé divin par grâce revendique désormais cette divinité pour lui-même. Le theos doit donc le céder à l'anthropos. Il n'y a plus que l'homme à être détenteur et responsable du sens! En schizoïdie... cette crise émer-ge, quasi imperceptible, quelque part autour de l'an 1100. Ce doute chuchoté se fera clameur, amplifié par les mille échos de la bulle.

Une crise est toujours une crise de la parole. C'est-à-dire de la signification. Babel déjà ! Très profondément une crise du sens. Du sens total. Alors les hommes ont beau

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construire la plus merveilleuse des tours, ils ne se comprennent plus. Parce que le sens éclate. Parce qu'ils ne boivent plus à la même source du sens. La plus belle des tours voit la ruine !

La crise commence effectivement au cœur de la théo-logie. La `Querelle des universaux'... Le débat semble n'être qu'un débat d'école dont la terminologie nous est devenu bien étrange... Pourtant c'est l'humain dans sa dimension essentielle qui est en jeu. Cet humain qui n'est pas sans la parole. Quelle est la vérité de notre parole? Sur quoi se fonde ultimement l'authenticité de nos idées? Quel lien y a-t-il entre les mots et les choses en pro-fondeur? On touche ici aux racines de notre possible d'homme. En ce débat essentiel déjà s'affrontent les 'anciens' et les `modernes'! Il ne cessera d'être, sous-jacent, tantôt occulté, tantôt manifesté, le débat central de la modernité tout entière.

Quand je dis 'justice' ou 'vérité' ou 'homme', qu'y a-t-il derrière le concept ? Longtemps la réponse était: un réel plus profond qui fonde l'idée et le verbe humain. Un réel qui transcende notre réel empirique et lui confère son authenticité. Le réel du monde de l'Idée. Le réel du mon-de absolu de Dieu. C'est ce réel que l'homme commence à perdre. Reste 'notre' réel, c'est-à-dire notre possibilité de l'appréhender et de le penser. Sans référentiel trans-cendant ce réel peut-il être autre chose que le donné individuel ? Non plus `le' réel. Simplement `mon' réel. Désormais il y a `justice' et `justice', `vérité' et `vérité', `homme' et `homme'. Le réel derrière nos idées est écla-té. La parole est devenue orpheline. Les mots ne sont plus que simples dénominations, `nuda intellecta', et, à la

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limite, du vent, `flatus vocis'.

La question essentielle ainsi soulevée est la question du possible même de l'homme face au monde et face à Dieu. Question si peu grecque en elle-même. Question qui implique tout l'antithétique apport judéo-chrétien. Le monde et l'homme portés par une geste créationnelle. Grandeur du possible de l'homme fait à l'image de Dieu. A partir de la Création, la valeur du différent, du multiple, de l'individuel. A partir de l'Alliance, la consistance du personnel, de la responsabilité et de la liberté. A partir du dessein de Dieu, le surgissement incessant de nou-veauté, l'histoire, le sens d'une quête et d'une recherche infinie...

La rupture du lien théo-onto-logique

Le pari fondamental de tout le Moyen Age avait été de construire la majestueuse ‘cathédrale’ de la catholicité du Logos. L'ensemble du paysage médiéval est éclairé par l'idéal d'une Raison s'élargissant aux dimensions de la foi et d'une foi se mettant en lumière par la raison. Dans un tel univers, nos idées ne peuvent pas ne pas être en alliance avec les Idées divines. En alliance. C’est-à-dire dans l’étreinte de l'être et du connaître, de la subjectivité et de l'objectivité, de la foi et de la raison, de l'horizon-talité et de la verticalité, du verbe de l'homme et du verbe de Dieu. Lorsque le symbole peut encore parler très fort. Lorsque le monde ne cesse de chanter la gloire de Dieu. Cette 'alliance' se fissure à travers la crise nominaliste.

Par sa ‘révolution copernicienne’ anthropocentrique la modernité se refuse la possibilité d’un sens plus englo-

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bant qu’elle-même, et, partant, le don d’un sens qui ne soit pas sa propre production. A partir de là, par rapport aux âges précédents, tout un renversement. Le sens n’est plus donné objectivement mais se donne en sub-jectivité. Il y avait un espace du sens total capable d’inté-grer les sens particuliers; désormais le sens désintégré éclate en multiples sens. Le lien du sens était donné à partir des ‘extrêmes’; il veut se nouer maintenant à partir du ‘milieu’. L’étrange renvoyait vers les extrêmes de l’être; il envahit désormais le coeur de l’être. Le question-nement se faisait ‘dans’ la réponse; à présent toute réponse se dilue dans le questionnement.

Tout avait commencé par l’euphorie optimiste du rêve de l’homme complètement réconcilié avec lui-même. Pou-voir enfin vivre par soi et pour soi. Rompre avec le sens ‘donné’ pour se donner le sens. Construire la ‘bulle’ du sens total. En radicale autonomie. Où l’autre n’a plus de place. Ce rêve aujourd’hui brisé peut éveiller à la ques-tion de savoir si cette rupture du lien du sens donné ne constitue pas quelque chose comme une faute contre l’écologie du sens. Comme si le sens ‘donné’ (quasi ‘nature’), une fois éclaté, ne pouvait que laisser la place à l’artifice et au virtuel. Un sens ‘de synthèse’. Un ‘Ersatz’ de sens. Commercialisé sous de multiples étiquettes.

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3. Le grand enfermement

L’acte de naissance de la modernité rompt la communion originaire et instaure l’homme dans son autonomie anthropocentrique. L'humain se coupe de la plénitude de l'être, prend son autonomie, boucle sa boucle et s'en-ferme dans sa bulle. La judéo-chrétienne démesure, jus-que là verticalisée, rompt la 'mesure' de l’Alliance et, chargée d’une dynamique qui lui vient de l’Autre, peut se reprendre en autonomie et exploser en horizontalité. Alors commence l’aventure de la grande schizoïdie qui boucle le divin possible de l’homme sur lui-même et le déploie, anthropocentrique, en son immense caverne d’Utopie. Le fils de la mère païenne revendique pour soi l’héritage paternel. L’homme révélé divin à travers l’expé-rience judéo-chrétienne veut devenir dieu sans le Père.

Place à l'homme

Place à l'homme ! Le cri du cœur de nos audaces. Cela a commencé par un innocent balbutiement voici neuf

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siècles. Cela s'est amplifié en tonitruante revendication. C'est avec violence que nous nous sommes mis à chasser l'Esprit de Dieu, le Souffle de Dieu, de notre es-pace. Croyant respirer plus librement. Jusqu'au moment où nous sentons le souffle nous manquer. Nous nous sommes mis à boucler en clôture notre espace d'huma-nité. Nous avons cru pouvoir faire fonctionner exponen-tiellement nos possibilités dans l'enfermement de notre schizoïde autonomie, bouclant en un gigantesque feed back les sorties de notre système sur ses entrées.

Et d'emblée une terrible question. En s'enfermant ainsi farouchement sur lui-même, l'homme ne pèche-t-il pas contre sa vraie nature et son irréductible ouverture à l'autre transcendant ? Et ce péché pourra-t-il rester im-puni ?

Une certaine modernité se constitue progressivement en bouclant le règne de l’humain sur lui-même. Le système tout entier veut fonctionner en clôture. Pour la première fois depuis que l’homme existe, un système culturel pré-tend se fermer en absolue autonomie. C’est en autosuf-fisance qu’il veut fonctionner et progresser. C’est par auto-création même qu’il veut être. Cela veut dire que, désormais, il croit se faire créateur de l’unique source chaude de toute son énergie spirituelle. Le sens total enfermé en immanence. En totale finitude. Dans le com-plet oubli de son entropie et de sa nécessaire néguen-tropie. Dans l’oubli de son ‘puits froid’. Dans l’oubli, éga-lement, de ses accumulateurs non complètement déchar-gés et sans lesquels ses prétentions elles-mêmes d’au-tonomie se liquéfieraient dans le néant.

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Contre l'Alliance

La gravité de la chute se mesure à la hauteur d'où l'on tombe. La hauteur d'où l'homme tombe est, à la verticale de lui-même, vertigineuse. Peut-il tomber d'ailleurs que de Dieu ? L'homme n'est homme qu'en alliance. En origi-nelle alliance avec le Logos dont la lumière, déjà, éclaire tout homme. Conspirer contre l'alliance, c'est conspirer contre la parole à sa source, c'est conspirer contre le `logos anthropogène', la parole créatrice d'humanité, c'est conspirer contre l'homme. Ainsi donc, contre l'Al-liance, il arrive que se lève une conspiration. A la Parole qui veut nouer toutes choses dans la fidélité de l'amour s'oppose un discours qui mobilise dans la division. Quelque chose comme un pacte factieux d'éléments rebelles, un pacte schizoïde.

Cette orchestration à travers l'espace et le temps de notre monde joue si massivement, si invariablement con-tre l'Alliance qu'elle porte par là-même, quasi tangible, la marque d'une étrange conspiration, la signature d'une originaire négativité qui transcende littéralement les pos-sibilités simplement intra-mondaines. Ainsi donc l'humain se décide-t-il dans un monde dont les enjeux profonds débordent ce monde !

Ici on se trouve poussé hors du domaine philosophique. Sans doute faut-il un regard nouveau, un regard inno-cent, pour deviner ce gigantesque affrontement trans-cosmique entre lumière et ténèbres, entre amour et haine, dont les Ecritures désignent la réalité à la fois visible et cachée. Peut-être seul le regard clair d'un enfant de l'Alliance permet-il d'entrevoir sa consistance

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occulte et de le dévoiler comme conspiration contre l'Alliance, contre Dieu et contre son Christ. Un pacte d'anti-Alliance noué par une mystérieuse solidarité schi-zoïde orchestrée par le Satan qui est aussi Légion...

Si l’aventure de la modernité peut être considérée, très profondément, comme une négative théologie négative, un chapitre s’ouvrirait ici sur une négative démonologie négative dévoilant les ‘ruses’ du Prince de ce monde. Qui osera écrire un tel chapitre ? Le meurtre du Père judéo-chrétien. Ce Père, pourtant, par lequel les valeurs fonda-mentales, désormais revendiquées sans lui et contre lui, sont advenues à la modernité. L’homme. La liberté. L’é-galité. La fraternité. Le progrès... Dans quelle culture autre que celle fécondée par le père judéo-chrétien, ces valeurs sont-elles seulement pensables ?

Radicalisation du `je pense'

Il ne peut plus, désormais, exister de philosophie qui ne soit critique. C'est Emmanuel Kant qui la confirme dans cette fonction essentielle. Il s'agit de pousser jusqu'au bout de sa logique interne le renversement anthropo-centrique. Il s'agit de tirer toutes les conséquences du renversement `copernicien' qui pose la connaissance humaine au centre et fait graviter autour d'elle tous ses objets. L'absolu, désormais, ne peut être que la con-naissance. Ce sont ses objets qui se relativisent face à elle. Tout objet ne peut plus être désormais que relatif à la structure de la connaissance du sujet.

Il n'y a donc pas d'objet connu avant la connaissance. D'une certaine façon il n'existe pas. C'est la connaissan-

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ce humaine qui le crée en quelque sorte en le cons-truisant. Cette construction est `formation' au sens le plus fort du terme. C'est-à-dire une mise en forme sans la-quelle n'existe que l'informe. Et l'esprit humain a ce pouvoir créateur. Grâce aux formes de la sensibilité, l'espace, forme de la juxtaposition et de la connaissance sensible extérieure et le temps, forme de la succession et de la connaissance sensible intérieure. Grâce aux caté-gories de l'entendement, maîtresses de la quantité, de l'unité, de la pluralité et de la totalité. Grâce, enfin, aux idées de la raison, à savoir Dieu, le monde et l'âme, purs concepts, exigences régulatrices, principes heuristiques, règles à l'usage de l'entendement.

Avec Kant le `cogito' tend à se boucler en absolue auto-nomie. Il veut devenir législateur absolu. Avec lui on as-siste à une sorte de radicalisation du `je pense' cartésien.

Premier acte. Descartes. Je pense donc je suis. L'arkhè philosophique, le point de départ fondateur, n'est plus ontologique mais seulement logique. Renversement 'copernicien' du centre et de la périphérie, ce n'est plus la pensée qui gravite autour de l'être, c'est l'être, désor-mais, qui gravite autour de la pensée. Non seulement le 'sujet' pensant a barre sur l'objet pensé mais il devient le médiateur universel de la vérité sur l'être. Sans doute celui-ci garde-t-il une priorité ontologique indépendante des possibilités logiques de l'esprit humain. L'être existe encore indépendamment de ma pensée. Dieu existe. Encore. Le monde existe. Encore. Mais leur pertinence passe par mon possible sur eux.

Deuxième acte. Kant. L'être, l'être-en-soi, s'estompe. Il

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est relégué du côté de l'inconnaissable. Son existence n'est plus que postulée. C'est le sujet qui occupe toute la scène. Il me donne l'être-pour-moi. Avec désormais la question centrale, critique, à savoir quelles sont les exac-tes possibilités du Cogito et ses strictes limites.

Troisième acte. Hegel. Le Cogito s'identifie avec l'Absolu où coïncident Etre et Pensée. Il y a identité entre la pen-sée et le possible de l'homme et la pensée et le possible de l'Absolu. Tout le rationnel est réel et tout le réel est rationnel. Une Totalité sans altérité irréductible. Toute altérité se reprend comme moment intégrant dans le pro-cessus de la pensée dialectique qui est identiquement création. Le Cogito s'absolutise finalement en immanen-ce absolue.

La parole schizoïde

Cela commence vers l’an 1100. Très timidement encore. Et de façon quasi innocente. Sur fond de question qui peut se formuler de façon très simple. Enfermé dans la bulle du 'je pense', le verbe humain a-t-il besoin d'un autre garant que lui-même ?

Parmi les protagonistes nous trouvons un homme à la destinée singulière, Abelard, un des premiers ‘modernes’. Chez ce ‘maître de la dialectique’ un drame se joue entre la raison et la foi. C’est avec la crise nominaliste, en effet, que l’intelligence occidentale commence à succomber à la tentation schizoïde. Cela débute quasi imperceptible-ment par un ‘innocent’ péché contre le Logos, qui, alors, ne peut plus être simplement celui des Grecs. La nomi-nalistique tentation commence par susurrer cette simple

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question: lorsque tu parles, lorsque tu penses, est-il né-cessaire qu’il y ait un garant autre que toi-même pour assurer la consistance fondamentale de ta parole et de ta pensée ? Ce doute chuchoté se fera clameur, amplifié par les mille échos de la caverne. Cinq siècles plus tard, de ce doute procédera l’affirmation fondatrice – ‘je pense donc je suis’ – de notre plus récente modernité.

Créé à l'image et à la ressemblance du Logos divin, l'homme est le vivant qui parle. Par une conaturalité profonde, la parole humaine n'est pleinement elle-même qu'en dialogue, en alliance, avec la Parole de Dieu. Le péché commence et s'accomplit avec la parole qui se coupe de l'essentiel Dialogue et se met à fonctionner en schizoïdie. Le péché archéologique, péché originel, pé-ché du monde, est-il fondamentalement autre chose que la perversion de la Parole humanisante par l'instauration d'un discours schizoïde qui se fait discours dominant ? Une autre diction, une contra-diction par rapport à ce dire de la Parole et à ce souffle du Logos divin qui suscite l'humanité authentique. Un péché contre la matrice du spécifique humain et, partant, un péché contre l'être vrai de l'homme. Chaque homme naît là où le Père ne cesse de dire son Verbe. Et l'homme n'est homme que dans cette diction. Même si la masse des phénomènes semble l'occulter, cette vérité est seule fondatrice de la plénitude humaine. Sans elle l'humain se voit finalement condamné à tourner en rond. Sans partage avec le Logos. En clô-ture tautologique.

A la Parole qui veut nouer toutes choses dans la fidélité de l'amour s'oppose un discours qui mobilise dans la divi-sion. Un pacte factieux d'éléments rebelles, un pacte

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schizoïde. Quelque chose comme une complicité fuyan-te, un pacte à côté, une connivence contre la commu-nion ! La parole schizoïde... On la croyait d'audace, cette parole. On se retrouve avec des mots qui ont perdu le souffle.

Modulation d’amplitude ou modulation de fréquence, peu importe. Et nous sommes aujourd’hui particulièrement ingénieux à produire, à diversifier et à amplifier ces mo-dulations. En leur essence, cependant, elles ne sont jamais que de purs phénomènes ondulatoires. Du bruit. Flatus vocis du moderne nominalisme !

Abstraite à la fois du réel et de la pensée, la réalité lin-guistique se boucle en autonomie comme strict `objet' de science. Au fait que `l'homme parle' se substitue vite l'axiome `il y a du langage'. Derrière la liberté de la paro-le se profile la nécessité particulière de la langue consti-tuée; derrière cette nécessité particulière, la nécessité universelle du langage constituant. Cette nouvelle lin-guistique ne s'occupe que du rapport entre le signifiant et le signifié, c'est-à-dire du rapport entre la matérialité phonique du signe et le concept, entre l'image acoustique et l'image mentale. Elle ne s'occupe pas du rapport entre signe et chose. Le signe fonctionne dans l'espace clos d'un système structural. Dès lors ce n'est plus le projet humain qui produit le sens mais le système.

Exit le signifié. Reste le signifiant avec sa réduction à l'état de langage brut. Ce n'est plus l'humain qui explique le langage, c'est le langage qui explique l'humain. Se trouvent alors remises en question les sciences humai-nes en tant qu'humaines. Voilà l'humain livré à cette plus

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fondamentale nature derrière toute culture, à cette plus originaire structure derrière toute histoire. La boucle du même enfin complétement bouclée ! Le signe se trouve de plus en plus vidé face à l' `objet' qui fuit à l'infini. Le signe se coupe du référent. Le signifiant se coupe du signifié. C'est la subjectivité qui crée les signes et les signifiants. Le signe schizophrène s'éclate. La parole se désintègre. La parole humaine n'est plus à partir du sens mais se veut créatrice du sens. Le discours subjectif devient archéologiquement constituant. Désormais il y a la loi du langage qui régit l'ordre du signifiant et partant du symbolique. Le sujet est réduit à l'objet, le conscient à l'inconscient, la liberté à la nécessité, et finalement le sens au non-sens. La signification n'est plus que phéno-ménale. Derrière tout sens, dit Lévy-Strauss, il y a un non-sens. Le nouveau cogito veut, avec Lacan, se for-muler de façon suivante: je pense où je ne suis pas, donc je suis où je ne pense pas. Le langage parle sans je. Simplement ça parle ! Exit homo...

La parole devient folle. Folle comme une roue qui ne ces-se de tourner ayant perdu son `embrayage'. Toute crise est toujours en même temps crise de la parole. C'est-à-dire de la signification. Très profondément une crise du sens total. Alors les hommes ont beau construire la plus merveilleuse des tours. Ils ne se comprennent plus. La parole est livrée à l'équivoque. Parce que le sens éclate. Parce qu'ils ne boivent plus à la même source du sens. La plus belle des tours ne peut être que vouée à la ruine !

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L'idée

L’idée aime se retrouver avec l’idée dans le monde du ‘même’. Là règne l’ordre homogène de la transparence, de la clarté et de la distinction, et, partant, de la compré-hension et de la prévisibilité. Les choses sont appelées à s’ordonner logiquement les unes aux autres et à se tenir solidement par la main. Dans ce réseau de liens serrés la surprise ne peut être que passagère, vite arraisonnée par la nécessité de l’ordre du même qui tend à se faire totalitaire

Par manque d’ouverture à l’autre, par absence de réfé-rentiel qui la transcende, l’idée bouclée sur elle-même en idéologie ne peut que s’enfermer sur sa propre auto-justification. Cercle vicieux de la logique qui tourne en rond jusqu’à se trouver condamnée à justifier l’injusti-fiable. Idée... En ton nom que de terreurs engendrées !

Eidolos: idole... L’idée est sa création devant laquelle l’homme risque de se prosterner

Quelque chose, cependant, ne se laisse jamais complè-tement intégrer dans la sphère idéelle. C’est le réel. Non pas l’idée du réel, mais le réel-réel. L’idée fait très vite le tour de toute l’étendue de son domaine. Le réel, lui, déborde toujours les compréhensions. Il ne se livre pas entièrement. Il ne se laisse prendre que par un bout de lui-même. Ce qu’il a d’unique et de particulier résiste aux généralités. Sa dimension de facticité déborde les néces-sités logiques.

L’autre se révèle toujours, à terme, plus fort que les

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sécurités du même. Les idéologies ne tiennent que pour un temps, vaincues par les morsures de l’expérience, les béances de l’histoire et les négativités qu’elles-mêmes ne cessent d’engendrer. La liberté naît dans les failles des totalisations. L’idéologie, en voulant l’apprivoiser, ne peut que la malmener. Enfermée dans le strict horizon du ‘même’ moniste la liberté ne peut être que pour une infinie manipulation. C’est dans l’autre de l’idée qu’est la chance réelle de la liberté. Du côté du concret absolu. Du côté de la personne.

Idéalisme ou l'idée orpheline

La source de l'idéalisme est dans l'absolu 'je pense' clos sur lui même. Du nominalisme à Descartes et à toutes les formes d'empirismes et d'idéalisme, s'est imposé le postulat qu'un au-delà du possible de l'homme est impos-sible. L'autonomie du sujet connaissant est le point de départ de tout `idéalisme' pour qui un au-delà de la connaissance est inconnaissable, un au-delà de l'idée est illusoire, un au-delà de la pensée ‒ de 'ma' pensée ! ‒ est impensable.

La métaphysique est donc vouée à l'échec. Dieu ? Le monde ? Le je ? De pures idées de la raison pure. Seulement exigences régulatrices du sujet. Seulement transcendantales, sans aucune possibilité de transcen-dance. La raison ne peut faire qu'un mauvais usage d'elle-même en tenant ses `idées' pour des réalités ob-jectives. Passer du transcendantal au transcendant ne peut conduire qu'à des erreurs, des illusions, des para-logismes et des antinomies.

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Le réel en lui-même est hors de notre possible. Reste l'étendue du réel-pour-moi, c'est-à-dire du virtuel. Là l'Idée établit son règne absolu et prolifère sous les espè-ces de l'idéologie.

Dès lors, que peut-il rester d'une réalité hors de moi, de la réalité 'en soi' ? Simplement un 'x' non seulement in-connu mais encore inconnaissable. N'est donc 'réel' que ce qui l'est 'pour moi'. N'est plus vrai que ce que je perçois comme vrai. N'est vrai que ce que je 'sens' comme vrai. N'est vrai que ce que je totalise comme vrai. 'Je pense' se fait ainsi l'origine, le fondement absolu, le critère ultime de la vérité. Bien plus le connaissant' se fait pour ainsi dire créateur du `connu'.

Empirisme ou l'idée manipulée

Plus spécifiquement ‘moderne’ sera la rupture empiriste. Commencée au XVIIe siècle, elle dominera le siècle suivant et inspirera grandement les siècles suivants. 1690: ‘Essai sur l’entendement humain’ de Locke. ‒ 1710: ‘Traité sur les principes de la connaissance humaine’ de Berkeley. ‒ 1739: ‘Traité de la nature hu-maine’ de Hume. ‒ 1748: ‘Essai sur l’entendement hu-main’. ‒ 1754: ‘Traité des sensations’ de Condillac. En eux-mêmes, ces quelques titres disent tout un program-me. De la mise en question de l’entendement à l’affir-mation de la sensation. Le strict possible humain en stricte immanence. La finitude se boucle sur la pure empirie physique et la pure facticité spatio-temporelle. Toute ‘métaphysique’, étant expulsée, l’être et la connais-sance sont ramenés dans les limites d’une stricte ‘phy-sique’. Là, dans les limites de l’immanence, ne règne

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plus qu’un monisme. Et ce monisme est matérialiste. Et ce monisme est réductionniste. Le supérieur se réduit à l’inférieur. Le tout se réduit à la partie. L’inférieur explique le supérieur. La partie explique le tout. Que deviennent dès lors la connaissance, la substance et la causalité ?

L'humain se boucle en son immanence

L’humain se coupe de la plénitude de l’être. Le monde coupe ses liens ontologiques avec l'Autre transcendant et se boucle sur lui-même en immanence. Ce qui reste des naturelles ouvertures sur la transcendance sont colma-tées. Les béances sur Dieu sont comblées. L'humain se bétonne sur son noyau schizoïde.

La source chaude et le puits froid du sens sont enfermés en absolue finitude. Le sens total se donne ainsi, en lui-même et pour lui-même, à partir de son enfermement en immanence. Mais en même temps il ne peut pas ne pas faire sien, même en le renvoyant à l’infini (lequel infini se voulant lui-même enclos en finitude), le puits froid de sa production de sémantique entropie. La montée de l’ab-surde, de l’étrange, du désenchantement, de la déses-pérance... Bien sûr, jusqu'en ses extrémistes clôtures en finitude, la modernité ne cesse, effectivement, de parti-ciper, souvent malgré elle, et plus inconsciemment que consciemment, à quelque ‘transcendance’.

A Dieu le réalisme de l'idée. A l'homme le nominalisme du concept. Laissant à Dieu ce qui est à Dieu ‒ l'essentiel peut-être encore, mais tellement inintéressant! ‒ voici l'homme. Médiateur de sa propre connaissance. En attendant de le devenir de ses valeurs. Et finalement de

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son être. Maître désormais des significations, il reste à l'homme de gérer les signes. En attendant de gérer la totalité. La nouvelle courbure anthropocentrique de l'es-pace pourra désormais totaliser un monde en autonomie. Un monde éclaté aussi. Comme si, ironie de la crise nominaliste, Babel ne pouvait jamais se lézarder sans une confusion des langues!

En ses profondeurs, cependant, se joue quelque chose comme une négative théologie négative. C’est une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle avec l’infini Je Suis qui va historiquement se reprendre en elle-même et sur elle-même en autonomie anthropo-centrique totalisante. L’homme divinisé par grâce de Je Suis boucle sa divinisation sur elle-même et se prétend dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu doit mourir pour que l’homme puisse être absolument.

Notre empire d'humanité

Bouclant la boucle de l’homme sur lui-même. Nous nous sommes constitué un empire d’humanité. De façon auto-gène. Sans l’Autre. En autonomie. Sans l’Autre. Avec nos longueurs à nous, nos largeurs à nous, nos hauteurs à nous et nos profondeurs à nous. Quelque chose comme une caverne – oui, impertinente pertinence d’un Platon, déjà ! – une caverne aux prétentions infinies, mais ulti-mement caverne quand même. Là nous nous sommes ouvert un monde de possibilités simplement phénomé-nales. L’infinité de ces possibilités pouvait nous donner assez de vertige pour nous étourdir face aux questions essentielles. Alors nous nous sommes mis à ne plus chercher notre humanité que dans le vaste jeu de ces

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possibles, dans l’extension de notre champ d’être et d’action, dans notre ‘présence’ au monde et notre em-prise sur lui, sur les autres, sur l’histoire.

Nous avons scientifiquement désarticulé la densité de l’être pour disposer d’un foisonnement d’éléments articu-lables et ré-articulables indéfiniment, à notre guise. Cela nous a rendus maîtres des possibilités constructives. Et, effectivement, nous nous sommes mis à construire, à construire en tous les sens du mot et dans tous les domaines, avec frénésie. A partir d’atomes de facticité. Au point de confondre le sens avec cette constructivité. Nous y avons perdu l’âme. Parce que l’âme ne se cons-truit pas et que la construction l’oppresse. L’âme inspire. L’âme aspire. Dans le souffle de l’Esprit.

La schizoïdie des filles et des fils de Dieu n’a cessé de nouer sa cohérence dans l’autistique constitution d’un espace de pure immanence. Contre le Père. De cet espace de stricte ‘humanité’ il fallait – symétrique inver-sion du récit de la Genèse ? – chasser Dieu. De trop, donc, le père judéo-chrétien, devant la revendication d’une origine purement parthénogénétique à partir de la seule vierge Athena. De trop, le Père de l’Etre, du Bien et de la Vérité puisque nous suffisent nos propres produc-tions, nos propres valeurs, nos propres lucidités. Puisque nous prétendons être à nous-mêmes notre propre sour-ce. De trop, outrageusement de trop, le Père avec son Fils et le saint Esprit ! Une fois le lien rompu, tout se passe comme si la tâche philosophique par excellence ne pouvait plus être que la critique. Tâche de la con-naissance nue de l’homme nu.

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La raison unidimensionnelle... Désormais peut exister une foi sans raison et une raison sans foi. Un nouvel humanisme s’embarque d’un côté des ponts coupés. Le nouveau rationalisme n'est plus fondé sur la foi mais sur la critique... jusqu'au scepticisme. La nouvelle philoso-phie refuse d'être servante et veut devenir maîtresse de la théologie. La ‘dialectique’ se fraie un chemin de plus en plus large, promettant de devenir la voie impériale de l'humaine aventure en autonomie. Une dialectique cen-trée sur l'affecté universel qu'est le sujet sentant et pensant, à partir de son expérience et dans les limites de son expérience. Désormais une ‘physique’ peut se cons-tituer dans la distance d'avec la ‘métaphysique’, livrant l'être à la seule pensée et à la seule expérience humaine.

Clôture de la ‘Cité de l’homme’

La Cité de l’homme ne peut se construire que sur les ruines de la ‘Cité de Dieu’. Il faut ici retrouver un moment important de la fracture. Entre 1550 et 1750. Machiavel. Thomas More. Jean Bodin. Grotius. Hobbes... Vers une société humaine réellement ‘civilisée’, sans arbitraire, fondée sur le ‘droit’ et sur la ‘raison’ ?

La courbure anthropocentrique du possible de l’homme commence d’emblée par la courbure du possible de l’homme sur l’homme. La liberté des fils dans la ‘Cité de Dieu’ ramenée à la ‘raison’ de la ‘cité de l’homme’. Sous les signes de la Souveraineté, du Pouvoir, de l’Etat, de l’Autorité, du Droit, de la Loi... Avec l'énorme question sous-jacente: comment fonder ces Majuscules en l’ab-sence d’un fondement absolu ?

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Pour St. Augustin l’histoire universelle s’identifie avec la lutte entre le bien et le mal. A travers cette lutte se décide l’instauration de la ‘Cité de Dieu’. Celle-ci ne peut pas ne pas être aussi l’authentique cité de l’homme. Elle seule est capable de ramener la diversité voire l’antagonisme des vouloirs humains à l’harmonie de ce qui est vrai, de ce qui est beau et de ce qui est bien. Elle seule maîtrise les subjectivismes et les volontés de puissance. Car à la racine de la Création tout entière et à la racine de chaque création particulière il y a un seul et même ‘ordre’. Et cet ordre est le reflet de l’Ordre divin éternel. De cet Ordre découle une ‘norme’ dont chaque être humain porte au profond de soi-même la marque. Même obscurément elle ne cesse de resplendir en lui. Malheur aux hommes et aux Etats dont le vouloir va contre cette norme !

Au début des temps nouveau, la ‘Cité de Dieu’ garde cer-tes ses défenseurs: les Vitoria, les Bellarmin, les Suarez, les Mariana... Mais la voix des combattants pour la ‘cité de l’homme’ se fait de plus en plus puissante. Thomas More (1480-1535). Jean Bodin (1530-1596). Grotius (1583-1645). Et déjà l’enfermement du pouvoir de l’hom-me sur lui-même. Machiavel (1469-1527). Hobbes (1588-1679). Désormais veut se justifier la possibilité d’un Etat athée. On cherchera encore appui du côté de la ‘religion naturelle’. Longtemps et paradoxalement on refusera le fondement révélé tout en continuant de s’appuyer théori-quement et abstraitement sur lui !

On assiste au glissement de la ‘lex aeterna’ divine vers la loi naturelle et le droit naturel. Pour finir quasi fatalement dans la Force et l’Utile. Auparavant une fin transcendante ordonnait les moyens si bien que n’importe quoi ne pou-

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vait devenir ‘ordre’. Un désordre, même ‘établi’, restait un désordre. Désormais les lois humaines ne sont plus fondées objectivement dans l’objectivité de la Loi. Leur objectivité reste à fonder. A partir des faits ! Les effets, loin d’être portés par leur cause, se suffisent en autono-mie. Les moyens se justifient eux-mêmes. Il suffit qu’ils réussissent par force ou par utilitarisme pour devenir à eux-mêmes leur propre fin.

Machiavel (1469-1527). ‘Le Prince’ (1513). Quiconque veut fonder un Etat et lui donner des lois doit supposer d’avance les hommes méchants. Les hommes hésitent moins à nuire à un homme qui se fait aimer qu’à un autre qui se fait redouter. Tout commence avec les faits. Un fait est ce qui se donne à partir d’un tel réalisme et d’un tel pessimisme. Le droit, ensuite, n’est plus que le fait qui réussit et s’impose de façon naturaliste et utilitaire. L’or-dre public s’identifie à l’efficacité politique. La pure praxis politique est à elle-même sa propre fin. Elle fonctionne en quelque sorte pour elle-même, selon la ‘mécanique’ du jeu des forces des passions humaines. Comme une ‘phy-sique’. Comme une ‘technique’.

La ‘virtu’ n’a plus rien à voir avec la vertu morale; elle s’identifie à la force, à la puissance, à la virtuosité; elle est aussi le génie d’exploiter la fortune, c’est-à-dire les hasards et les circonstances changeantes. C’est unique-ment le succès du Prince qui fait sa ‘gloire’.

Avec plus de mesure et d’avantage conscient d’une exi-gence de rationalité un Jean Bodin (1530-1596) se fait le théoricien de la monarchie absolue. ‘Six livres de la République’ (1576). Retenons sa question sur le fonde-

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ment de la ‘souveraineté’. Celle-ci ne saurait être, en toute logique, que perpétuelle et absolue. Le pouvoir d’Etat doit pouvoir se trouver une justification absolue. Ne relever d’aucun juge non-absolu, donc terrestre. Totaliser la totalité des pouvoirs, spécialement celui ‘de donner et de casser les lois’.

D’où peut venir cet ‘absolu’ nécessaire. Il ne peut venir d’un vouloir, toujours subjectivement relatif. Il doit néces-sairement venir de la ‘nature’ des choses. De la nature de l’Etat. Une nature fondamentale se traduisant en lois fondamentales auxquelles la monarchie (absolue) elle-même doit être soumise. Le pouvoir absolu ainsi fondé absolument sur la nature du pouvoir !

A cette ‘nature’ il faut cependant un Garant. Dieu est (encore) là pour prêter une justification. Désormais ce-pendant bien théorique. Car il ne s’agit plus du Dieu Vivant. Comment un tel garant théorique et abstrait peut-il concrètement obliger le roi ? Les impasses commen-cent.

Graine de goulag

La courbure naturaliste de l’homme social en imma-nence, en bouclant l’humain sur l’humain, et en sacra-lisant cette boucle, peut-elle éviter la clôture d'un ‘gou-lag’ ? La stricte immanence joue finalement l’individu contre la personne et l’intérêt contre le sens du bien. Une sorte de fatalité ! Ce naturalisme va prendre chez Hobbes le chemin d’un singulier extrémisme. ‘De Cive’ (1642). ‘Leviathan’ (1651). La justification naturelle du despotisme dans un espace mécaniste où ne règne fina-

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lement plus qu’un jeu de forces brutes. Le ‘il y a’ quasi aveugle d’une empirie aux limites de la raison. Le déchaînement enchaîné des instincts de conservation et d’affirmation des individus contre les individus.

Tout commence avec l’état de nature. Il n’existe pas d’instinct social. L’homme n’est pas social par nature. Le droit de chacun est mesuré par sa force. Chacun cherche à dépasser son semblable non seulement pour satisfaire ses besoins matériels, mais surtout par vanité, ce plus grand plaisir de l’âme ! Chacun poursuit donc l’asservis-sement de chacun. ‘Homo homini lupus’ ! Mais plus puis-sante que la vanité est la crainte. Et cette crainte est permanente. Tous sont égaux devant la crainte; ainsi celui qui jouit de la force physique redoute-t-il le plus chétif à cause de cette autre force psychique qu’est la ruse.

L’état de nature est un état malheureux. Comment en sortir ? C’est la crainte qui rend la parole à la raison. L’homme se fait social par crainte. La crainte rusant avec elle-même aboutit au ‘contrat social’. Avec lui s’opère le passage de l’état de nature à l’état politique.

L’état politique doit organiser la paix et la sécurité. Cha-cun abdique ses droits absolus entre les mains du souverain. Le souverain, fort des droits absolus de tous, cumule une puissance absolue et sera donc le maître absolu. Dans cette convention unilatérale le maître ne s’est engagé à rien. Son droit n’a d’autre limite que son pouvoir et son bon plaisir. La seule mesure du droit est la force. C’est du bénéfice pour tous que naît la sécurité. Pour rester au pouvoir, le maître doit donc faire respecter

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l’ordre.

Le Léviathan... 'Sur son cou est campé la force et devant lui bondit l’effroi.'1 ‒ 'Il regarde en face les plus hautains, il est roi sur tous les fils de l’orgueil.'2 Le Léviathan bibli-que est tenu par Dieu en son pouvoir. Mais s’il n’y a plus Dieu pour conjurer le monstre ?

1 Job 41,13.2 Job 41,25.

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4. Courbure de l'espace

Désormais se constitue le nouvel espace du possible de l’homme dans sa courbure spécifique. Une sorte de sa-tellisation du centre et une 'centration' du satellite.

Révolution copernicienne

On sait que la ‘révolution copernicienne’ renverse l’antique image du monde. Notre terre n’est plus le centre de la sphère céleste. Désormais elle gravite, simple planète parmi d’autres planètes, autour d’un nouveau centre. Une ‘révolution’ identique s’opère dans le rapport de l’être et du connaître. Ce qui était centre est mis en orbite. Ce qui était satellite se met au centre. Jusqu’alors c’était l’être qui était central. Désormais c’est le connaître qui se fait centre. Le pensable et le possible de l’homme étaient définis par l’être. Désormais, c’est l’être qui est défini par le pensable et le possible de l’homme. Ce n’est plus le réel objectif préexistant à sa saisie par l’homme qui a la primauté mais le ‘je’ connaissant humain. L'ultime englobant du monde et de l'homme, ce n'est plus Dieu. C'est la pensée de l'homme !

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Cette ‘révolution’ est infiniment lourde de conséquence. Elle assigne au pensable et au possible de l’homme son nouvel espace de gravitation et son nouveau centre de gravité. De proche en proche une multitude de renver-sements. De la transcendance à l’immanence. De l’infini à la finitude. De l’absolu au relatif. De l’être à la phéno-ménalité. Du logos à la discursivité. De la valeur à l’affect. De l’objectivité à la subjectivité. Du sens à la structure. De l’essence au mot. De la vérité à la simple non-contradiction. De la lumière à la lucidité...

Même sans être créateur ex nihilo de l’idée claire et distincte, c’est quand même en mon possible qu’elle prend conscience d’elle-même. Et c’est ce possible qui désormais héberge le doute. Y a-t-il un Dieu ? Et s’il était trompeur ?

Le renversement copernicien de la modernité s’abso-lutise. Il ne se veut plus seulement méthodologique mais métaphysique. En brûlant en même temps les ponts de ‘la’ métaphysique. Le possible humain se reprenant en anthropocentrique rationalité ne pouvait pas ne pas expérimenter dans le mouvement en clôture d’imma-nence l’ouverture de transcendance congénitale à la raison. Aussi les systèmes ‘rationalistes’ du XVIIe siècle restent-ils, comme malgré eux, davantage en continuité qu’en rupture avec les grands courants de la métaphy-sique classique.

Un champ de gravitation

La boucle de l'humain se boucle sur elle-même créant ainsi son espace propre. Non pas une structure spatiale

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et vide mais un champ dynamique qui affecte de façon vitale le possible épistémologique et pragmatique de l'humain.

Notre réflexion, ici, procède analogiquement en s'appu-yant sur le paradigme géométrique. L’espace de notre possible est comme un champ de gravitation. Ce qui fait que les choses ont tendance à tomber toujours du même côté ou que les filets d’eau épars se retrouvent finalement dans le large lit d’un fleuve... Un champ de gravitation. Donc une certaine courbure de l’espace.

Il est difficile de comprendre notre ‘modernité’ sans la comparer à ce qui la précède. C’est alors que le concept de ‘courbure’ révèle sa pertinence. Ainsi donc, à partir de ce qu’on appelle la ‘Renaissance’, l’homme se découvre comme centre de perspective et comme nœud de croisement des axes de l’univers visible et invisible. L’uni-vers entier entoure l’homme comme le cercle entoure le point, écrit Paracelse. Le microcosme humain n’est pas seulement la réplique du macrocosme; il en est la reprise par l’intelligence, la raison, la liberté. L’infini, jusque là, était vertical. Désormais il se veut aussi horizontal. Un espace infini pour l’homme également et pas seulement pour Dieu.

Les perspectives médiévales étaient excentrées. Le nouveau regard veut mettre toutes choses en ‘perspec-tive’ à partir de l’homme uniquement. Par là, il courbe un horizon. La subjectivité humaine se fait centre et origine. Créatrice à l’image de celle du Père judéo-chrétien. L’homme révélé créateur par Dieu veut désormais l’être sans Lui. A quels extrémismes n’est pas promise la

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judéo-chrétienne démesure affranchie de sa mesure ? L’âge nouveau inaugure, en dionysiaque irruption explo-sive, la célébration du possible de l’homme en autono-mie. Avec une immense espérance.

Tout le monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche, nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu que notre imagination se perde dans cette pensée.1

Une certaine courbure de l’espace

Quelle courbure ? On sait que la géométrie d’Euclide, c’est-à-dire la géométrie du menuisier ou celle de nos perceptions habituelles, n’est qu’une géométrie parmi d’autres géométries possibles. Ce fut le mérite, au siècle dernier, de mathématiciens comme Lobatchevski ou Riemann d’avoir établi que toute géométrie commence par s’inscrire dans un espace d’une certaine ‘courbure’. L’espace euclidien postule implicitement un espace à courbure nulle. Dans un tel espace, d’un point pris hors d’une droite on peut mener une seule parallèle à cette droite et la somme des angles intérieurs d’un triangle y est égale à deux droits.

Mais cette courbure ‘zéro’ n’est qu’une des possibilités parmi d’autres possibles. On peut construire une géo-métrie tout aussi logique à partir d’un espace à courbure

1 Pascal Pensées 199 – 12

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‘positive’ comme le fait Riemann ou à courbure ‘négative’ comme le fait Lobatchevski.

Dans un espace à courbure ‘négative’, les parallèles ont tendance à s’ouvrir, s’éloignant l’une de l’autre. A partir d’un point pris hors d’une droite plusieurs parallèles peuvent donc être menées et la somme des angles d’un triangle est toujours plus petite que deux droits. Dans un espace à courbure ‘positive’, par contre, les parallèles ont tendance à se refermer et à se couper aux extrêmes. Donc d’un point pris hors d’une droite il est impossible de mener une parallèle à cette droite et la somme des angles d’un triangle est toujours plus grande que deux droits.

La ‘courbure’ de notre espace moderne est manifeste-ment ‘positive’. Les parallèles se rejoignent toujours. D’un point pris hors de l’immanence aucune perspective n’est possible qui ne converge finalement vers l’imma-nence. Un monde se totalise en clôture immanente. Et la somme de cette totalisation est toujours plus grande que...

Auparavant l’espace était de structure plus euclidienne. Peut-être même était-il plus lobatchevskien. Les paral-lèles, loin de se rejoindre, avaient plutôt tendance à s’ouvrir. D’un point pris hors de l’immanence, une autre droite, de nombreux vecteurs même, pouvaient courir à l’infini. La somme du totalisable n’était jamais plus grande, souvent plus petite, que la Totalité. Un tel espace à courbure ‘négative’ semble bien être l’espace du pensable propre à un univers où dominent les exposan-tes judéo-chrétiennes.

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A quel moment y eut-il ainsi inversion de la courbure de l’espace ? C’est la question du commencement du monde dit ‘moderne’. Sa courbure ‘positive’ ne peut pas ne pas en même temps affecter sa propre temporalité. La ‘délimitation’ est elle-même résultat de l’auto-compréhen-sion de notre modernité.

Courbure anthropocentrique

Le possible de l’homme se fait centre de perspective sur la totalité. La vérité sur toutes choses n’est désormais qu’à partir de la pensée humaine. C’est elle qui est l’immédiateté première. C’est elle qui fonde les fonde-ments de son savoir. Un au-delà de ma pensée est impensable. Un au-delà de l’idée, impossible. Le virtuel prolifère. S'ouvre alors le règne indéfini de l'idéalisme. Reste simplement 'transcendance' virtuelle prisonnière des enfermements. Une ‘logique’ est en marche. Elle exclut de plus en plus tout recours à un référentiel ou à un garant d’ailleurs. Reste désormais au possible humain de fonder le possible humain. Il n'existe plus de philo-sophie qui ne soit essentiellement critique.

Dans l’espace de la courbure anthropocentrique tout tend à prendre courbure. Un même espace de gravitation avec de multiples centres de gravité qui tendent chacun à l’exclusif de la gravitation. L’horizon ‘absolu’ de la modernité circonscrit des ‘relatifs’ qui tendent vers l’absolu ! Constitution en ‘autonomies’ et cristallisation en ‘réalités’ d’une multitude d’ ‘abstractions’. Par exemple: le profane, le religieux, l’argent, la propriété, le pouvoir, l’Etat, la Nation, les classes... Désormais la multiplicité ne pourra-t-elle pas crier contradictoirement ‘Gott mit uns’ ?

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Dans l’espace de chaque singulier règne l’optimisme. Le pluriel, pourtant, induit les affrontements. Guerres civiles. Guerres nationales. Guerres de religions. A moins d’entrevoir comme Montaigne la relativité essentielle et de continuer à vivre de scepticisme et de relativisme. Stoïquement. Comme le feront avec lui un Charron ou un Sanchez. ‘Docta ignorantia’ si différente pourtant de celle de Nicolas de Cues deux siècles auparavant.

Dieu n’est plus l’ultime englobant. Il est lui-même englo-bé dans un plus grand que lui. Il relève désormais du seul possible humain. Et ce possible le déclarera de plus en plus comme impossible. Dans la meilleure des hypothèses une chance lui est laissée aux limites. Ainsi pour Kant, au-delà des possibilités ‘théoriques’ de la raison, s’impose un impératif catégorique. Une pure exigence ‘pratique’. Et celle-ci ne peut pas ne pas postuler au-dehors de la sphère du possible de l’homme un quelque chose qui prend nom Dieu, et liberté, et immortalité. Non plus certitude. Simple postulat.

Les limites

L'espace dont il s'agit ici, l'espace de la réalité humaine, n'est pas l'espace vide et abstrait de la géométrie. Il s'agit de l'espace "de quelque chose". Un quelque chose qui existe, qui résiste et partant 'marque' son domaine et ses contours. Un espace où les concepts essentiels se jouent aux frontières et aux limites.

Clos et ouvert. Deux possibilités fondamentales de la boucle qui veut boucler un espace. Dans un espace à courbure négative, la boucle ne se boucle pas. A

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chacune de ses révolution la courbe se décale de façon excentrée à la manière d'une spirale. Elle s'ouvre de façon exponentielle. Dans un espace à courbure positive, par contre, la courbe rejoint son point de départ. Elle tourne en rond. La boucle se boucle et marque un espace clos. Dans un espace à courbure positive, la boucle est pour ainsi dire 'naturelle'. La boucle tend à se boucler. La boucle qui se boucle signifie un espace qui se clôt et partant un monde qui se totalise en clôture. La courbure ’positive’ de l’espace piège en quelque sorte tous ses contenus. Dans un tel espace l’infini ultimement se boucle en finitude et la transcendance épouse la cour-bure de l’immanence. Le projet en clôture nous permet de devenir ‘maîtres et possesseurs’. Il tend vers un mini-mum de sens et un maximum de puissance. Le projet en ouverture nous ex-pose et nous livre à l’infinie béance. Il tend vers un maximum de sens et nous laisse avec un minimum de pouvoir.

Dehors et dedans. Au 'dedans' les dynamiques de la pensée et de l'action tendent à converger dans une sorte de champ de gravitation. Au 'dehors' ces mêmes dyna-miques divergent. Dans l'ouvert d'un infini. Mais le 'dehors' n'invite pas à la résidence. Il appelle à l'aventure!

Même et autre. Le même tend logiquement à se boucler sur lui-même en excluant l’autre divergent et différent. D'un côté la convergence du même dans la clôture de l'espace. De l'autre côté la divergence vers une infinie altérité. Le paradigme optique permet de représenter quasi schématiquement les deux espaces du même et de l'autre. Dans un espace à courbure positive 'ça con-verge' et le 'même' y établit son règne. Dans un espace à

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courbure négative, au contraire, 'ça diverge' du côté des altérités.

Milieu et extrêmes. Nos cohérences sphérique occupent le vaste espace du milieu. C’est là, en notre ‘milieu’, entre des ‘extrêmes’, entre Alpha et Oméga, entre des frontières qui délimitent nos possibilités épistémologiques et pragmatiques. que nous existons. C'est là que nous connaissons et agissons. C’est là que se déploient notre science et notre technique. C’est là que nous construi-sons et organisons notre monde. C'est l'incessant 'pour-quoi', et le pourquoi du pourquoi, qui nous expose hors de la sécurité vers le risque des extrêmes. Quel sens, cependant, peut-il avoir, le milieu, sans ses extrêmes ?

Englobé et englobant. Chaque espace humain se trouve situé dans un espace plus large qui le contient, le porte et l'englobe. On risque d'être plus séduit par le contenu que par le contenant. La clé de l'intelligibilité de l'humain, pourtant, ne se trouve pas dans le contenu englobé mais dans le tout englobant. L'intérieur ne devient intelligible pleinement qu'à partir de l'extérieur. C'est du 'dehors' et du dehors seulement que le `tout' s'éclaire en vérité. Le tout est plus essentiel que les parties. La forêt explique les arbres et non pas l'inverse. Le généraliste voit au-delà du spécialiste.

L’englobant des englobants

Un espace ne peut être dit 'absolu' qu'à la condition qu'il ne soit pas englobé par un espace plus englobant. Or chacun de nos espaces humains n'est jamais que relatif. Mais chaque fois que nous voulons l'enfermer sur lui-

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même, en d'autres termes, chaque fois que nous voulons en faire l'espace unique et total de nos possibilités, nous l'érigeons en absolu. Mais cela se révèle être sans doute la plus gigantesque de nos illusions.

On ne se libère de cette illusion que par le question-nement critique, c'est-à-dire par la quête infinie du 'pourquoi' derrière chaque 'pourquoi'. Une authentique écologie (oïkologie) épistémologique ne peut pas passer à côté de la question de l'englobant de tous les englo-bants. Derrière la multiplicité des espaces englobés, quel est l'ultime espace englobant, c'est-à-dire finalement l'es-pace du sens du sens ? Ici l'éventail des options ouvre l'indéfinie différence des engagements.

La totalité est-elle finie ou infinie ? Qu'est-ce qui se tient à l'origine, un 'il y a' ou bien un 'Je suis' ? La réalité est-elle d'un seul ordre ou bien d'ordres différents ? L'espace du possible humain est-il fondamentalement clos ou ouvert ? La temporalité est-elle essentiellement cyclique ou bien linéaire ? Le monde se clôt-il en immanence ou bien s'ouvre-t-il en transcendance ? L'ultime référentiel est-il divin ou humain ?

Soit l'englobant de la science, c'est-à-dire du 'système' qu'est la science, à savoir l'espace total de son intelli-gibilité. La science se construit et se totalise en postulant – postulare: demander qu’on vous accorde – un espace d’intelligibilité hors duquel elle n'est pas compréhensible. Cet espace est nécessairement totalitaire; rien ne doit lui échapper. Cet espace doit être cohérent; c’est le même type d’intelligibilité qui le régit de part en part. Cet espace est homogène; il ne connaît aucune rupture d’intelligibi-

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lité. Cet espace est structural; il ne porte pas sur l’être mais sur la structure seulement. Il est déterministe, exclusivement régi par la nécessité des liens. Cet espace se veut objectif; il porte strictement sur un ‘ce que’ dépouillé de toute projectivité et de toute ‘intention’.

Cet espace que la science ne peut pas ne pas se donner, sous peine de se nier elle-même, recouvre-t-il la totalité de tout espace possible de l’intelligibilité ? Cet englobant que la science pré-suppose sans pouvoir en rendre raison constitue l’originaire postulat de la science. Le ‘régionalisme’ est tentation permanente de l’esprit humain. Le ‘cosmos’ est toujours à la mesure de notre possible. Quelle que soit la dimension de notre totalisa-tion. Notre possible nécessairement totalise. Notre raison totalise. Notre impossible possible est critique de la critique à l’infini.

Avec la science il ne s'agit encore que de l'englobant d'intelligibilité. Par contre, Une question comme "pour-quoi la science ?" la situe elle-même flottante dans un autre espace qui n'est plus simplement 'scientifique', à savoir l'espace du 'sens'. Ainsi l'englobant de la science se trouve lui-même englobé dans un englobant plus large. La 'maison' science se situe dans un oïkos plus englobant.

Et chaque espace 'englobant' d'un espace 'englobé' mar-que la béance de celui-ci. Mais où trouvera-t-on l'ultime espace englobant qui n'est lui-même béant sur aucun autre ?

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5. L'Alliance rompue

Vous serez comme des dieux ! Tentation de l’ange Luci-fer... Tentation de l'ange déchu 'porte-lumières'. A qui peut-il susurrer cela ? N'est-ce pas à celui qui a oublié l’essentiel de son héritage paternel, oublié la Parole certifiant qu’il était fils de Dieu, qu’il était infini, que la terre lui était soumise... Tout cela je te le donne, si tu te prosternes ! L’euphorie occulte alors ce qui un jour, nécessairement, adviendra. C’est écrit: Ils virent qu’ils étaient nus...

La parole pervertie

Le serpent dit... — La femme répondit... — Le serpent répliqua...1 L'engrenage fatal commence ainsi. On se laisse gagner par les charmes du séducteur. On s'excite au son de la voix tentatrice. 0n ne refuse pas de donner champ au soupçon sur la vérité de l'Alliance. On se prête à un échange en catimini. Le dialogue se noue. Ce que tout seul on n'aurait pas osé prend corps dans cette 'entente' sur des malentendus. De démission en démis-

1 Genèse 3.

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sion on glisse hors de l'Alliance. Quelque chose comme une complicité fuyante, un pacte à côté, une connivence contre la communion ! La parole schizoïde... On la croyait d'audace, cette parole. On se retrouve avec des mots qui ont perdu le souffle.

Créé à l'image et à la ressemblance du Logos divin, l'homme est le vivant qui parle. Par conaturalité profonde, la parole humaine n'est pleinement elle-même qu'en dialogue, en alliance, avec la Parole de Dieu. Le péché commence lorsque cette alliance 'naturelle' est rompue et que la parole se coupe de l'essentiel Dialogue et se met à fonctionner en schizoïdie.

Chaque homme naît là où le Père ne cesse de dire son Verbe. Et l'homme n'est homme que dans cette diction. Même si la masse des phénomènes semble l'occulter, cette vérité est seule fondatrice de la plénitude humaine. Sans elle l'humain se voit finalement condamné à tourner en rond. Sans partage avec le Logos. En clôture tauto-logique.

Le prince de ce monde

Que notre monde soit l'enjeu d'un affrontement qui le dépasse heurte visiblement notre perception moderne. Après avoir réduit la pluralité des ordres au seul règne phénoménal, c'est-à-dire transparent à notre seule possi-bilité scientifique d'aujourd'hui, nous présupposons un monde axiologiquement neutre, aseptisé de l'invisible. La science peut certes prétendre, et fort légitimement, qu'un tel monde lui suffit. Mais le monde, lui, n'a aucune raison d'être sûr, qu'ainsi réduit, il se suffise à lui-même ! Il a au

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contraire beaucoup de raisons pour soupçonner en ses béances des ouvertures vers sa propre transcendance.

C'est lui pourtant, le Prince de ce monde, qui prétend avoir le dernier mot sur le monde... Il est puissant. C'est en maître de la gloire du monde que le Tentateur s'appro-che de Jésus. Jésus refuse le triple pacte que lui propose le Puissant de ce monde. Au nom de l'Alliance. Quel culot quand même ! D'où lui vient cette puissance ? D'une démission. Celle de l'homme, à qui pourtant la domination du monde avait été donnée. Le `Malin' l'a usurpée. Contre l'Alliance !

Menteur et père du mensonge. Il pervertit la Parole dès le commencement et provoque l'homme à le joindre en son pacte schizoïde. Menteur dès l'origine. Pécheur dès l'origine. Maître d'un monde de ténèbres. Il ne sort que masqué. Maître des alibis mensongers. Maître des éti-quettes truquées. Maître des abstractions faciles. Maître des conformismes... Seul l'Esprit de Vérité le démasque !

Conspiration contre l’Alliance

Pourquoi quelque chose va-t-il sans cesse de travers? Pourquoi la parole humaine refuse-t-elle si souvent l’avec pour épouser le contre? Pourquoi l’être humain qui n’est authentiquement humain qu’en communion avec le Logos divin se met-il à tourner sur lui-même jusque dans l’inhumain? Pourquoi l’alliance naturelle entre parole humaine et parole divine est-elle rompue? Pourquoi la condition humaine est-elle affectée d’un si profond vouloir schizoïde?

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L'anti-Alliance conspire depuis l'origine contre le Verbe archéologique, premier-dit du Père, Vie et Lumière de tout homme qui naît en ce monde. Ce Verbe qui, selon l'extraordinaire vision de Johan Tauler, ne cesse d'être dit et engendré, au plus profond de l'homme pour l'engen-drer tout à la fois divin et humain.

Symétriquement caricaturale et contrefaisant l'authen-tique Parole qui engendre réellement les fils du Père, s'insinue alors la première affirmation mensongère: "vous serez comme des dieux". Elle eut un écho. Elle s'ampli-fia. Elle devint Discours dominant.

L'acte de naissance de la modernité scelle la rupture de l'Alliance

C’est donc une liberté radicalement ouverte par la ren-contre existentielle avec l’infini JE SUIS qui va historique-ment se reprendre en elle-même et sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante. L’homme divini-sé par grâce de JE SUIS clôt sa divinisation sur elle-même et veut devenir Dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu doit mourir pour que l’homme puisse être absolument.

Une fois l’Alliance rompue...

Les choses peuvent-elles tourner autrement qu’après l’originelle rupture ? Vous serez comme des dieux. La séduction du tentateur devenait irrésistible. Ensuite... Ils virent qu’ils étaient nus. Reste la honte ou l’exhibition-nisme. La modernité opte pour le deuxième terme de l’alternative. Comment rendre raison de ce mal mysté-

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rieux qui atteint si sournoisement notre culture ? Un mal sans doute beaucoup plus inquiétant que les diagnostics courants ne voudraient l’admettre. Quelque chose com-me une psychose de la culture ! Avec ses symptômes autistiques et schizophrènes. Ce mal est-il innocent ? Est-il sans faute ? Est-il sans péché ?

Une fois l'Alliance rompue, une fois Dieu refoulé, il reste à l'homme le repli autistique sur soi-même. Quelque chose comme une schizophrénie. L'esprit coupé. L'esprit divisé. L'esprit cassé. Nous n'avons plus besoin de toi !

Ayant coupé les liens avec la totalité théo-onto-logique, la raison schizoïde se boucle sur elle-même jusqu'à la dé-raison. Elle a beau vouloir se diviniser et se parer d'une Majuscule, en fait il ne lui reste que de tourner en rond dans l'enclos de la tautologie. Le règne des cercles vicieux et des tâches impossibles. Etre à soi-même l'absolue source chaude... Fonder ses propres fonde-ments... Tout peut devenir légitime parce que tout peut se légitimer.

Une psychose de la culture

Le combat de Jacob n'en finit pas. Il laisse le protago-niste visible avec la hanche démise... Une rupture des articulations, plus manifeste aujourd'hui en cette fracture de l'histoire et crise de la modernité. Une fois Dieu refoulé, reste la souveraineté schizophrène. La raison enfermée sur elle-même jusqu'à la déraison. Cette schi-zoïdie moderne n’est pas un fait neutre. Il s’agit d’une schizophrénie coupable. C’est justement cette culpabilité qui se refoule.

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Une psychose de la culture... Un mal de la culture est infiniment plus grave qu'un mal de civilisation. Celui-ci ne met en péril qu'une somme d'articulations accumulées. Celui-là atteint le spécifique humain lui-même en sa matrice, là où ce spécifique se signifie dans sa gestation. Et puisque l'humain est toujours moins ce qui est donné que ce qui se donne et donc se décide, le mal n'est pas sans faute. Et la faute n'est pas sans péché.

Le ‘vous serez comme des dieux’ de l'originaire tentation a exercé une séduction particulièrement puissante sur la modernité en sa genèse et en son déploiement. Aucune autre culture n'a connu la tentation avec une telle force et n'y a jamais succombé avec tant de frénésie. Et porté à son paroxysme la violence théurgique. Comme si le péché devait abonder là où la grâce avait surabondé... La grâce de la rencontre avec l'Autre. Le péché de la schizoïdie du Même.

L'humain s'enferme en immanence

Le monde coupe ses liens ontologiques avec l'Autre transcendant et se boucle sur lui-même en immanence. Les naturelles ouvertures sur la transcendance sont colmatées. Les béances sur Dieu sont comblées. L'hom-me boucle la boucle de l'humain autonome autour de son centre schizoïde. Dans cette bulle d'immanence les valeurs chrétiennes se sont acclimatées. Liberté. Justice. Fraternité. Universalité. Egalité... Tellement acclimatées qu'on en vient à oublier leur source et leur sens premier. Comment le chrétien lui-même pourrait-il vivre dans un tel monde sans compromission ? Et jusqu'où pourra-t-il résister à la tentation ?

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Notre espace culturel, c'est-à-dire notre espace d'huma-nité, s'est progressivement fermé sur lui-même, débar-rassé de sa dimension verticale. Signe des temps, notre contexte spirituel n'est plus à la foi. Celle-ci se trouve marginalisée sinon éradiquée. La vie publique est deve-nue de plus en plus hermétique à la présence chrétienne. Le Discours dominant avec ses Maîtres penseurs fait le silence sur ce qui n'a plus sa place dans l'idéologique-ment 'correct'.

Notre espace et notre temps se trouvent vidés de leur substance chrétienne. L'église n'est plus le `centre' d'une communauté villageoise ou urbaine. Ouvertes naguère du matin au soir, elles restent le plus souvent fermées. On cherche vainement les signes chrétiens qui abon-daient sur nos places publiques ou au bord de nos chemins. Les cloches qui rythmaient nos `angélus' se taisent. Les congés scolaires n'ont plus rien à voir avec les fêtes chrétiennes.

Ayant perdu ses références chrétiennes, notre culture s'est mise à fonctionner de façon unilatérale. Châtrée de sa verticale, elle se complaît dans son petit monde uni-dimensionnel où prolifèrent les redondances. Là elle trouve et fonde ses valeurs. Là elle élabore ses nou-veaux modèles. Dans ce contexte qui les expulse, on cherche vainement les `ténors' chrétiens des arts et de la pensée.

Ce qu'il est convenu d'appeler 'culture religieuse' se retrouve dans un lamentable état de sous-dévelop-pement. Une masse d'incultes opine benoîtement devant l'iconographie devenue incompréhensible de nos mu-

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sées. Les médias ne retiennent de la foi et de son histoire que l'accessoire futile ou croustillant. Les sym-boles chrétiens ou la musique religieuse trouvent une utilisation commerciale en accompagnant les publicités les plus scabreuses.

Une inquiétante dichotomie nous habite. Une étrange schizophrénie nous gagne. Elle porte toutes les marques d'une psychose. Le refoulement et la mise en place de mécanismes de défense. Nous refoulons Dieu. Nous dressons nos défenses contre lui.

Clôture

La transcendance est évacuée. Pourquoi ne le serait-elle pas ? Puisque au-delà de l'être phénoménal il n'y a que vide et néant. Reste le maintenant. Là notre monde a perdu le sens de la précarité de l'existence. Les petits enfants ne meurent plus. L'espérance de vie ne cesse d'augmenter. La mort peut aisément être renvoyée aux calendes grecques. Les catastrophes restent habituel-lement abstraites et hors de notre quotidien.

En clôture d'immanence il reste de l'humain déraciné. Les référentiels se mettent à devenir flottants. Dans le déclin des absolus, abondent les perspectivismes et s'étalent les relativismes. Dans le vaste mouvement de mondialisation où les différences se rencontrent et se relativisent, le christianisme ne serait-il pas simplement une religion parmi d'autres ? S'il n'y a pas de trans-cendance, pourquoi pas ?

Lorsque la clôture a expulsé la transcendance, il ne reste

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plus qu'un massif `il y a'. Un `ce-à-partir-de-quoi' supposé l'alpha et l'oméga de toutes choses. En clôture imma-nente le matérialisme ne peut que se déployer large-ment. Avec la suite de ses sous-produits comme les utilitarismes et les productivismes. Désormais l'homme 'bien-portant' dans l'immanence, l'homme 'petit-bourgeois' au sens quasi métaphysique, se suffit à lui-même. Il peut s'installer dans un hédonisme sans limite et sans fin. La société de consommation le comble. Carpe diem... Tout, tout de suite ! Qu'a-t-il encore besoin de salut 'autre' ?

L'immanence suffit à nous occuper

Blaise Pascal voyait dans le 'divertissement' une des causes de nos étourderies face à la transcendance. Les choses, depuis, ne se sont pas améliorées. Au contraire. Nous baignons littéralement dans une inflation d'images, de symboles, d'informations, de publicités et de solli-citations. Sciences et techniques nous gratifient presque journellement de leurs `mystères' et de leurs nouveautés. L'éventail des expériences possibles n'a jamais été aussi grand. Nos agendas ploient sous le nombre de nos rencontres. A peine trouvons-nous le temps de lire les modes d'emploi des multiples gadgets sensés simplifier notre vie. Ensuite vient le stress qui, pour se guérir, appelle de nouveaux défoulements et d'autres divertis-sements.

L'immanence ne suffit-elle pas pour combler l'éros de la connaissance, de la jouissance et de l'action ? Que peut-il rester de la pertinence chrétienne au milieu de tant de centres d'intérêt les uns plus `intéressants' et plus pre-

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nants que les autres ? Que devient l'engagement chré-tien lorsque le temps est pris ailleurs ?

Les transcendances de substitution

La vraie transcendance étant évacuée, on se donne les 'Ersatz' qu'on peut. Tant il est vrai que l'homme n'est homme que dans le dépassement. Aujourd'hui cette 'transcendance' ‒ cette 'transcendantalité' ‒ joue essen-tiellement en immanence. Et de mille façons, visibles ou invisibles. Elle se retrouve dans la fuite en avant de la croissance pour la croissance qu'on appelle `progrès'. On la rencontre à travers la démesure de nos projets d'amé-nagement et la hardiesse de nos constructions. Elle n'est pas absente de la compétitivité dans la recherche ou l'industrie. Elle stimule les concours. La chasse à tous les sens du mot ne serait pas sans elle. Elle habite l'orgie et le sexe débridé. C'est elle qui fait battre des records. Les courses à la nouveauté s'en nourrissent. Elle se cache derrière l'évasion dans les drogues. Elle anime les esthétiques de l'immédiat infini. Sans elle il n'y aurait pas de compétition sportive. On peut la soupçonner même derrière les plénitudes nihilistes, les ivresses du néant ou plus simplement le plaisir de transgresser l'interdit.

L'homme est un animal irréductiblement sacralisateur. Notre monde, bien qu'allergique à la transcendance, ne peut pas ne pas cultiver un 'sacré' à sa mesure. Ce 'religieux sauvage', en rupture de ban et en roue libre, foisonne. Il se cache et se dévoile en même temps sous mille avatars. Les formes les plus sortables de cette religion en immanence prennent l'habit sécularisé pour, à l'instar des fêtes chrétiennes, marquer les grandes

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étapes de l'existence comme la naissance, la jeunesse, le mariage, le décès. Et puis prolifèrent les mysticismes eux aussi 'sauvages', des plus discrets aux plus extra-vagants. Pendant ce temps le vrai sacré se voit profané. On vole dans les églises pas moins qu'ailleurs.

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B.La démesure congénitale

Singulière aventure que celle de l’Occident ! Le reste du monde, de gré ou de force, pour son bonheur ou pour son malheur, n’est resté et n’a pu rester étranger à cette aventure. Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, c’est un fait. Un fait de l'Histoire. D'où pouvait venir à sa 'bulle' anthropocentrique cette vitalité et ce dynamisme ?

Cette insolite aventure historique n'est-elle pas cepen-dant paradigmatique d'une dimension essentielle de l'Histoire universelle ?

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1. Paradigme

L'aventure de l’homme occidental est devenue spectacu-laire à travers l’aventure de sa modernité conquérante. Une aventure qui est en même temps paradigmatique de l’humain plus universel. Singulière aventure, en effet, que celle de l’Occident !

Europe, Occident, Modernité.

Les trois se rejoignent. L'Europe comme espace géo-historique devenu terre natale et foyer de la culture occidentale. L'Occident en tant que projet de civilisation et de culture qui, historiquement, déborde l'Europe. La Modernité qui traduit la pertinence `occidentale' dans l'actualité d'aujourd'hui. C'est par la `force' des choses que l'Occident s'est imposé en `conquérant' le monde et en imposant son modèle. Par les armes. Par les techni-ques. Par les séductions. Par les modèles. Pourquoi l'Occident? Pourquoi les Chinois, inventeurs de la bous-sole, ne l'ont-ils pas utilisée pour la découverte du monde? Et pourquoi, ayant inventé la poudre à canon, ne s'en sont-ils pas servis pour dominer par la force? Aucune culture humaine n'a jamais connu quelque chose

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approchant une telle exaltation explosive de la liberté humaine. Partout ailleurs, même chez les Grecs, reste trop absolu le fatum divin ou cosmique. Ici, par contre, la liberté humaine est ouverte infiniment, à l'image et à la ressemblance de la liberté de Dieu lui-même.

La modernité, sans doute, ne signifie rien de plus essen-tiel que la montée d'une gigantesque euphorie. Fondée sur l'homme. Fondée sur le possible de l'homme. Fondée sur la puissance et la gloire de l'homme. Rien ne semble impossible et immenses semblent les raisons d'espérer... Substituts, désormais, de la Foi, de l’Espérance et de la Charité: la ’Science’, le ’Progrès’ et le ’Bien-être’. Extra-ordinaire aventure... Mais paradoxale aussi !

Non pas un destin mais une aventure

Car rien n’était écrit d’avance et rien ne ‘devait’ arriver de la façon dont ‘c’est arrivé’. Et pourtant à partir d’un certain point d’arrivée une intelligibilité se profile. Une convergence apparaît. La multitude des décisions histori-ques concourent en une grande décision. Une aventure extraordinaire. ‘Extraordinaire’, ici, ne doit pas commen-cer par prendre une charge valorisante. Simplement ce qui sort de l’ordinaire et, partant, étonne. Pourtant le concept de ‘modernité’, depuis ses origines, ne se trouve-t-il pas survalorisé et surdéterminé ? Dès le sixième siècle cela se dit en bas latin ‘modernus’. Ce qui est conforme à la mode, au ‘modus’, c’est-à-dire à la manière d’être, de penser et de sentir. Conforme finale-ment au goût du moment. Modus qui tend à s’ériger en ‘modèle’, donc aussi en contrainte.

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Il y eut glissement. Ce ‘modus’, chez les anciens, ren-voyait en quelque sorte vers l’éternel intemporel. Dans l’espace de l’occidentalité il a de plus en plus visé un présent. Un présent décisif, c’est-à-dire qui décide du passé et du futur. Et ce glissement exacerbe la latence conflictuelle du concept de ‘modernité’. Tour à tour laudatif et péjoratif: ouverture et liberté de l’esprit mais aussi amour du changement pour le changement; auda-cieuse absence de routine mais aussi légèreté du souci de la mode; connaissance des faits et des idées récentes mais aussi méconnaissance de l’histoire... Implication contradictoire de quelque chose comme un ‘progrès’ (déjà !) et de ‘valeur éprouvée’ défiant les modes chan-geantes.

Opposition, au Moyen Age, de la ‘via moderna’ à la ‘via antiqua’. La ‘querelle des anciens et des modernes’, ensuite, fera s’affronter tenants de la tradition et tenants du progrès dans les lettres et les arts. Jusqu’à nos actuelles distinctions, dans l’enseignement, des ‘Lettres classiques’ et des ‘Lettres modernes’. Le risque est grand d’oublier que ‘moderne’ est par essence fluctuant. Le ‘démodé’ n’est jamais très loin. On reste toujours stupéfait devant l’interminable liste de toutes les choses qui, un jour, furent ‘modernes’.

Mais une charge polémique beaucoup plus puissante sous-tend le débat. Celle-là qui s’investit dans l’idée de ‘progrès’. La ‘modernité’ s’identifiant avec le progrès. Non plus simplement l’actualité, mais l’actualité grosse de possibilités d’avenir. Une actualité décisive d’une marche en avant vers un ‘plus’ et un ‘mieux’. Et devant cet avenir, cet ad-venir de montante voire d’exponentielle valori-

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sation, le ‘passé’ ne peut chaque fois que blêmir, le ‘pré-sent’ ne peut chaque fois que se dépasser. Se saisissant elle-même comme un ‘plus-que-présent’, la modernité non seulement se valorise elle-même, mais cette auto-valorisation ne peut pas ne pas faire partie intégrante et constituante de la modernité.

La querelle des anciens et des modernes est donc toujours plus que la ‘querelle des anciens et des moder-nes’ ! Elle met en jeu les décisions originaires des deux révolutions archéologiques. Car très fondamentalement ce qui est en jeu, c’est le dernier terme de la possibilité dialectique. Est-il le troisième ou le quatrième ? La perfection sphérique du CUM ou l’aventure dans l’ouvert du TRANS ? Radicalement: la belle harmonie païenne ou l’incessant exode judéo-chrétien ?

La modernité a vu s’engendrer un maximum de multi-plicité et de différence, donc aussi de contradiction. Comment, dès lors, parler de ‘la’ modernité au singulier ? Ne se retrouverait-elle pas beaucoup mieux au pluriel ? Qu’y a-t-il de commun entre Abélard et saint Bernard ? Entre les libertins et les jansénistes ? Entre Voltaire et Rousseau ? Entre Hegel et Kierkegaard ? Entre Lénine et Freud ? Encore ne s’agit-il là que de différences synchroniques. Si nous quittons le même moment histo-rique, que dire des plus énormes différences diachroni-ques qui apparaissent à travers la ‘longueur’ du cours de l’ensemble de ce qui peut s’appeler ‘modernité’ ?

Et pourtant le singulier de ‘la’ modernité marque une énorme pertinence. A condition de ne pas prendre ce singulier comme un commode fourre-tout où loger la

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diversité des contenus dits modernes. Au niveau des ‘contenus’ règne la multiplicité différentielle irréductible et irréductiblement contradictoire. Le singulier ne peut ren-voyer qu’à la singularité de quelque chose comme un ‘contenant’, à condition de purifier ce terme de toute con-notation chosiste. Disons plutôt quelque chose comme un ‘englobant’ ou une ‘forme’ ou un ‘espace’ d’intelligi-bilité. L’espace du possible et de l’impossible épistémolo-gique et pragmatique. Un espace d’intelligibilité dialec-tique.

En tant que dialectique cet ‘espace’ peut se mesurer au référentiel de la possibilité dialectique elle-même. Réfé-rentiel: c’est par rapport à lui, tout abstrait qu’il soit, que peut s’analyser la structure concrète de l’espace de la modernité. La relativité est incontournable. Mais elle n’est elle-même possible qu’à travers une ‘sortie’ – intellectuel-le sans doute – de notre espace ‘naturel’ du pensable et du possible.

Il faut donc sortir. L’intérieur ne devient intelligible pleine-ment qu’à partir de l’extérieur. C’est du ‘dehors’ et du dehors seulement que le ‘tout’ s’éclaire en vérité. Mais peut-on sortir jusqu’à l’infini ? Sans doute est-ce là ‘hybris’ à jamais condamnée et qui pourtant ne doit pas condamner l’effort à la limite. Un tel effort par rapport à la modernité semble jouer dans le vide. La modernité, en effet, secrète elle-même la croyance implicite qu’elle se reprend continuellement elle-même en même temps à partir de son ‘dehors’ et de son ‘dedans’. En son ‘dedans’ ! La fameuse ‘lucidité’ moderne...

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2. D'où vient cette dynamique ?

A travers le discours qu’elle ne cesse de se tenir à elle-même, à travers l’auto-compréhension qu’elle élabore continuellement d’elle-même, notre modernité joue à cache-cache avec l’énigme de sa propre possibilité. Ici intervient quelque chose comme un mécanisme de défense contre le 'père'. L’Occident refuse le Père. Il ne veut reconnaître que la mère. Il n’a de tendresse que pour sa mère païenne. Il expulse son père judéo-chrétien. La dynamique interne de la modernité reste ainsi occultée.

Une étreinte d'extrême différence

La rencontre de différence est féconde. La rencontre d'extrême différence est infiniment féconde. C'est ainsi que se rencontrent Athènes et Jérusalem. La plus gigantesque rencontre de différence imaginable ! Défi réciproque, affrontement, inter fécondation... De l'étreinte de ce maximum de différence naît l'Occident. Nulle part

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ailleurs autant de différence ne s'est étreinte qu'en notre Occident. Nulle part ailleurs ne fut libérée une plus grande dynamique.

Pourquoi l'Occident ? Pourquoi l'extraordinaire dynami-que de cette aventure ? Il ne semble y avoir qu'une seule réponse. C'est la dynamique dialectique du défi réci-proque, de l'affrontement et de l'inter fécondation de gigantesques différences entre la com-posante grecque et l'ex-posante judéo-chrétienne. L'homme occidental ne se comprend pas lui-même s'il méconnaît les énor-mes différences qui se sont affrontées et inter-fécondées pour lui donner naissance. Il n'est pas né par parthé-nogenèse ! Il est né de père et de mère. Sa mère est païenne. Son père est judéo-chrétien. Tous les meurtres du père, périodiquement et rituellement perpétrés, ne pourront rien contre cette évidence première.

Il faut le redire et le souligner. La rencontre de la mère païenne et du père judéo-chrétien représente la plus gigantesque rencontre de différence imaginable ! Un défi réciproque et un affrontement. Et de cette étreinte naît l’Occident.

Dans l'improbable rencontre entre une telle mère et un tel père deux mondes différents allaient s'affronter. Deux mondes humains ayant chacun sa langue, son histoire, ses valeurs, ses principes, ses articulations logiques, ses systèmes de représentation, ses formes de perception, ses codes régulateurs, ses types d'organisation, ses op-tions fondamentales, ses prégnances, ses finalités. Deux cultures, donc deux 'matrices d'humanité' étrangement hétérogènes ! Deux espaces culturels différents jusqu'à

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la contradiction.

Dialectique

D'un même absolu rien d'autre ne peut sortir. Sans la rencontre avec l'autre il reste stérile. L'extraordinaire dynamique de l'Occident reste incompréhensible sans la rencontre d'extrême différence.

Si le même reste clos sur lui-même, jamais rien d’autre ne sera. La nouveauté est enfant de la différence qui s’affronte dialectiquement.

Le génie païen avait réussi à boucler en harmonie la boucle des valeurs et des significations 'naturelles'. Thè-se parfaite de la plénitude immanente de l'humain. Or c'est cette positivité de la perfection 'thétique' qu'affronte la négativité 'anti-thétique' des significations chrétiennes. De l'inter-fécondation des acquis thétiques de la révolu-tion néolithique et des exposantes antithétiques de la révolution chrétienne naîtra, après une très longue gesta-tion, un extraordinaire déploiement de croissance et d'ac-célération. Le moteur de cette étreinte d'extrême différen-ce est dialectique.

Tout se passe comme si les 'mécanismes' néolithiques se mettaient à fonctionner de façon exponentielle. L'outil produisant l'outil qui le dépasse, une masse d'outilité gonfle et déborde. L'invention provoque l'invention de plus en plus hardie. De plus en plus énormes se suivent les vagues technologiques. Substituts, désormais, de la Foi, de l'Espérance et de la Charité: la 'Science', le 'Progrès' et le 'Bien-être pour tous'.

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En profondeur, très essentiellement, cette étreinte promi-se à tant de fécondité dialectique est celle entre le même et l'autre. La radicale nouveauté judéo-chrétienne pose l'autre avec une priorité ontologique, logique, axiologique, génétique, sur le même. Le même païen se trouvant ainsi radicalement 'pro'-voqué vers son propre dépasse-ment.

Nous risquons parfois de croire un peu naïvement que ces acquis qui se trouvent à l'avant-scène de notre modernité nous viennent en ligne directe, par évolution continue, de la problématique païenne. Or ils impliquent tous une gigantesque rupture. Notre monde moderne a tellement intégré ces acquis qu'ils semblent tout `natu-rels'. Si on les replace par rapport à leur 'avant' ils sont d'extrême audace.

Car ces concepts-clés vivent aujourd'hui d'une 'ouver-ture' qu'ils ne pouvaient acquérir qu'à travers un affron-tement avec leur 'autre'. Il fallait des générations d'hom-mes ‒ aujourd'hui peut-être méconnus ‒ pour les penser dans leur différence. Le temps entre création et parousie. L'histoire entre temps et éternité. La personne entre individu et acte créateur. L'existence entre être et créa-tion. La liberté entre essence et existence. L'expérience entre intelligible et réel (physique et mystique). La destinée entre fatum et grâce. La faute entre destin et péché...

Le coup de pied de l’âne

On se débarrasse des questions gênantes pour s’instal-ler dans les évidences paresseuses en piétinant les

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réelles conditions de possibilité de nos ‘valeurs’. D’où, en effet, peut nous venir l’urgence des ‘droits de l’homme’ sinon de là où règne l’absolue certitude que tout être humain, quelle que soit sa race, sa culture ou sa condi-tion, est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et né fils ou fille d’un même Père ? La ‘liberté de con-science’ ? D’où l’homme sait-il que la voix de sa propre conscience droite doit toujours couvrir celle de toute autre autorité, fut-elle du Parti, de l’opinion publique, de l’Etat ou du Pape ? Où chercher les sources de la ‘démo-cratie’ ? Chez les Grecs ? Mais qu’est cette ‘démocratie’ auto-proclamée qui ne fonctionne que par l’esclavage de la très grande majorité de la population ? D’où nous vient la ‘laïcité’ elle-même sinon de cet impératif: ‘Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu’ ?

Faites le tour de toutes nos valeurs fondamentales. D’où peut bien venir la graine qui les porte en germe ? D’où peut bien venir le terreau de leur croissance et de leur développement ? Où ailleurs sont-elles pensables, ces valeurs ? En Inde ? En Chine ? En Egypte ? Dans la Grèce Antique ? L’homme glorifié en ces temps nou-veaux, qui est-il ? Est-ce l’homme païen piégé par le cosmos, le fatum, la cité, les dieux, l’éternel retour... ? N’est-ce pas plutôt l’homme tel qu’en lui-même révélé sur-humain par grâce ? L’homme divin. Fils de Dieu. Tellement fils qu’il peut prendre la liberté, justement, en son âge ‘adolescent’, de s’opposer au Père. Libre de courir son aventure. Dans un espace-temps qui rompt les cercles et se libère des idoles, livré au possible à l’infini de la libre entreprise humaine.

Modernité... Ces valeurs qu’on croit sorties des cuisses

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de Jupiter ne sont autres que les fondamentales valeurs judéo-chrétiennes 're'-découvertes dans leur éternelle nouveauté. Ce qui est réellement nouveau, par contre, c’est que ces valeurs se reprennent en courbure païen-ne.

Les explications paresseuses

Parthénogenèse ? Ici intervient comme un mécanisme de défense contre le père. Avec une profonde nostalgie de parthénogenèse. L’Occident refuse le Père. Il ne veut reconnaître que la mère. Il n’a de tendresse que pour sa mère grecque. Il expulse son père judéo-chrétien. Dans une si limpide hérédité le judéo-christianisme est néces-sairement corps étranger et moment perturbateur. Le ’Moyen-Age’ ne peut être qu’obscurité transitoire. Au mieux le judéo-christianisme est mis entre parenthèses pour n’avoir rien à dire ni rien à voir avec l’aventure qui va de l’Antiquité gréco-romaine à la Modernité. Au pire, il est condamné à endosser la responsabilité de tous les retards et de tous les échecs.

Miracle ? La modernité se veut de naissance virginale. Bien plus, cette naissance doit être miraculeuse. Il en résulte un double réflexe: celui de ne pas situer cette naissance trop loin dans le passé – 1453 ? Un peu plus tôt ? Un peu plus tard ? – et celui de noircir la toile de fond de son berceau, le ‘ténébreux’ Moyen Age ! N’est-il pas symptomatique qu’il faille attendre la crise pour qu’aujourd’hui le Moyen Age se trouve revalorisé et que soient mieux perçue également l’importance des lentes fécondités ? Nous pensons que si ‘miracle’ il y a, il n’est pas à l’adolescence mais à la conception. Ce qui oblige à

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remonter plus haut dans les généalogies. Donc à étendre le concept de ‘modernité’ en-deçà des limites qu’une certaine modernité s’assigne à elle-même.

La cuisse de Jupiter ? Ce qui domine en général dans l'intelligibilité de notre généalogie culturelle et partant des possibilités de notre modernité, ce sont des grilles de lecture et des schémas qui valorisent nos racines païen-nes. Comme si notre héritage ne pouvait être que gréco-romain. Au commencement est donc l'Antiquité gréco-romaine. Elle est nécessairement 'miraculeuse' ! Elle se répète et revit en ce qui dès lors ne peut que s'appeler 'Renaissance', nouveau 'miracle' précurseur de nos prouesses modernes.

Renaissance ? Le ‘re’ est sans doute de trop. Cet âge, en effet, regarde plus en avant qu’en arrière. Le singulier, ensuite, est trompeur puisque depuis 1100 les explosions sont multiples. Mais, déjà, le terme tout entier ne se veut-il pas polémique ? N’a-t-il pas été fabriqué après coup pour marquer une rupture avec les âges plus chrétiens ? Comme s’il fallait les mettre entre parenthèses pour retrouver de plus authentiques valeurs fondatrices. Une approche naïve croit que les valeurs de la ‘Renaissance’ sont les valeurs ‘païennes’ des Anciens qui ‘renaissent’ pour se substituer aux valeurs ‘chrétiennes’ du Moyen Age. Une intelligibilité plus profonde dévoile au contraire que ces valeurs ‘nouvelles’ ne sont autres que des valeurs judéo-chrétiennes redécouvertes avec une grande radicalité et que les temps nouveaux déploient dans leur explosivité.

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Pour une lecture historique dialectique

Les explications paresseuses ne dépassent pas la philo-sophie du boutiquier ou du marmiton qui ne va pas au-delà de l'addition et de la soustraction d'ingrédients. On ajoute les 'plus'. On retranche les 'moins'. Cela peut suffire à la rigueur pour gérer un stock ou cuire une soupe. Mais les réalités humaines sont d'un autre ordre. Le 'plus' ne s'ajoute pas forcément au plus et le 'moins' ne s'en retranche par nécessairement. Au contraire, 'plus' et 'moins' s'étreignent pour donner naissance à une réalité nouvelle. Un 'moins', à tel moment ou dans telle perspective, peut se révéler incroyablement positif dans la suite du processus historique.

Le christianisme est considéré comme un 'ingrédient' plus ou moins heureux, qui se serait simplement ajouté ou juxtaposé au large flux de l'histoire comme ferait le stockiste qui ajoute ou retire tel 'produit' sur son étagère pour l'additionner ou le soustraire sur son inventaire. En prenant un soin extrême de surtout ne pas se tromper d'étiquette !

A une telle approche paresseuse il faut opposer une intelligibilité plus dialectique. Le christianisme n'est pas ingrédient mais ferment. Une puissante dynamique anti-thétique qui révolutionne radicalement le monde païen. Et cette dynamique a d'autant plus de chances d'être activement présente qu'elle reste invisible, ayant été récupérée en régime mondain comme valeur chrétienne sans Dieu. Mais d'où peut venir à notre pensée l'idée même de la `dialectique' sinon de la fondamentale expérience chrétienne ?

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Elles sont nombreuses les lectures historiques qui pèchent contre la dialectique. On reste insensible aux différences qualitatives énormes entre les valeurs et les enjeux de l’Antiquité et ceux de la modernité. On refuse de mesurer concrètement le poids des obstacles épisté-mologiques et pragmatiques. On reste aveugle aux dyna-mismes 'pro'-vocateurs. On privilégie de façon perspec-tiviste un faisceau de vecteurs historiques en faisant l’économie de leurs antithétiques conditions de possibi-lités. On perçoit fallacieusement en continuité ce qui n’est intelligible qu’en rupture à travers un affrontement.

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3. De mère païenne et de père judéo-chrétien

Il faut partir de notre originaire génétique culturelle. L'Occident et partant notre modernité restent inintelli-gibles sans l'étreinte dialectique d'extrêmes opposés. Nous sommes culturellement, donc en ce qui spécifie notre humanité, filles et fils d'une mère et d'un père. De père et de mère différents ! Notre mère est païenne. Notre père est judéo-chrétien. La rencontre de la mère païenne et du père judéo-chrétien représente la plus gigantesque rencontre de différence imaginable !. L'ex-trême simplicité d'une telle assertion risque de cacher l'extraordinaire complexité sous-jacente, le dense réseau, et leur enchevêtrement, de lignes d'ascendance, de descendance et de collatéralité. Du côté maternel, Indo-européens, Celtes, Germains, Slaves, Barbares... Du côté paternel, Sémites, Arabes...

Archétypes

Mère... Père... A la suite de Jung, il faut ici approcher ces

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concepts dans toute leur densité symbolique. Il faut également les comprendre sur fond de la différence de notre modernité où la prégnance des archétypes mater-nels risque de fausser la perspective, voire de rendre incompréhensible notre propos. Aujourd’hui nous nous crispons dans la défensive face au Père. Nos topiques sont coquilles plus que vastes espaces hostiles à traverser. La transhumance nous effraie. Nos nostalgies sont sédentaires, nos sécurités citadines et nos certi-tudes fortifiées. Nous nous sentons d’abord ‘fils de la même mère’ et très peu ‘frères conjurés’.

L’harmonie nous rassemble, l’aventure nous divise. Nous n’avons aucun goût pour célébrer la geste du Père. Au contraire, notre désir rêve d’éternel retour dans le sein maternel. Terriens habités par la phobie des nomades, nous passons notre temps à construire des enceintes protectrices et à consolider nos défenses.

Nos tropismes tirent vers le milieu plus que vers les extrêmes, vers la mesure plus que vers la démesure. Que l’homme passe l’homme infiniment est incompré-hensible à la multitude. A la folle aventure de l’esprit et du cœur nous préférons les positives évidences naturelles. Nos raisons de vivre et d’espérer se cherchent du côté des savants, des administrateurs ou des idéologues. Non pas chez les prophètes. La règle nous sécurise. L’excep-tion nous terrorise. Face à Abraham prêt à sacrifier son fils Isaac, Œdipe est tellement moins inquiétant ! Et tellement plus rassurant le Dieu-Nature, le Dieu-Néces-sité, avec ses lois et sa logique, et même le Dieu-Hasard, que Yahvé de la Bible, Personne face à des personnes, Liberté face à des libertés, Unique face à des uniques.

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Pour notre euphorie, notre puissance et notre gloire, il nous fallait gérer la judéo-chrétienne ouverture de l’his-toire. Nous avons donc planifié le temps. Nous avons structuré ses diachronies. Nous avons apprivoisé l’évé-nement. Nous avons désamorcé ses provocations. Nous avons logé dans la continuité l’urgence des ruptures et relégué dans l’insignifiance les traversées pascales.

Dans le règne des symétries, il ne reste que peu de place aux aventuriers de l’espérance. Les réflexes sont aux replis. L’épopée millénariste de la marche vers la Terre Promise investit à trop long terme et à trop lointaine échéance pour tenter les disponibilités bourgeoises. Le Royaume à venir ne fait plus le poids dans la balance des valeurs immanentes. La Parousie se troque sans cesse contre des arrivées de rentabilité plus immédiate. L’eschatologie ouvre trop radicalement un futur trop radical pour ne pas traumatiser les enfants maternés.

En ce continent d’Utopie, les appels d’offre vont aux constructeurs du meilleur des mondes et aux assureurs contre tous les risques. Les chantiers de la Cité Idéale se couvrent de slogans démagogues qui conjuguent au présent et au futur le droit à l’irresponsabilité. ‘On s’oc-cupe de toi’ s’étale partout en grandes majuscules. Seuls quelques graffitis furtifs disent encore: ‘Tu décides de ta liberté’. Ce monde se trouve les raisons qui doivent suf-fire à ses évidences, étayer ses cohérences et garantir ses lucidités, mais auxquelles il est interdit de douter d’elles-mêmes ou de s’aventurer ailleurs.

L’idéal se veut bulle aseptisée où règne le vide méta-physique et d’où sont chassées l’inquiétude religieuse et

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la soif des significations extrêmes. Une bulle où ne s’entendent que feutrés les cris de la souffrance et où la mort est escamotée. Une bulle où la chasteté le cède à l’hygiène et la fécondité à l’eugénisme. Une bulle qui refuse la grâce en même temps que la chance de l’im-prévu. Une bulle où initiés et éclairés éclipsent prophètes et saints. Une bulle où les gnoses tiennent lieu de foi, les progrès d’espérance et les humanitarismes de charité...

Païen et judéo-chrétien

Sans doute faut-il préciser ici ce que nous entendons par ‘Païen’ et par ‘judéo-chrétien’. Nous parlons d’antithèse judéo-chrétienne... mais sans oublier que le trait d’union est lui-même lourd de tension dialectique. Le christia-nisme est inséparable du judaïsme comme la couronne de l’arbre de ses racines. Le chrétien, ‘spirituellement un sémite’, selon la forte expression de Pie XI. En continuité avec le judaïsme. Mais en rupture aussi. En continuité ET en rupture. Dialectiquement. En assomption et dépas-sement.

En continuité et en rupture aussi avec le paganisme ! Mais autrement. Antithétiquement. Car le chrétien est ‘naturellement’ un païen... Depuis sa naissance. Selon une ‘nature’ à affronter, à mettre en question, à convertir, à baptiser... Il est naturellement un païen. Chrétien, il ne peut que le devenir ensuite. Il le devient contre le païen qu’il est au départ ! C’est donc contre les positions es-sentielles de la thesis païenne que nous allons ici poser les ruptures décisives de l’anti-thesis judéo-chrétienne.

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Composante set exposantes

Deux conceptions radicalement différentes de la totalité. Deux visions radicalement différentes de l'homme. Deux espaces et deux temps différents. Deux possibilités de penser et d'agir différentes. Deux longues séries d'antino-mies radicales pouvant se traduire en longue série de polarités fondamentales antithétiques et dont on n'évo-que ici que les axes majeurs. Les premières garantissent les cohérences et les harmonies. Les secondes ouvrent la démesure.

Composantesmaternelles

Exposantes paternelles

absolu 'il y a' absolu 'Je suis'fini infini

même autremilieu extrêmes

mesure démesurenature personne

être existercontinuité rupture

destin destinéecosmos création

structure gratuiténécessité liberté

objet projet

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éternel retour histoireéros agapè

harmonie aventureordre révolution

sécurité risquepossible impossible

Ainsi, par exemple, ce cosmos rationnel des Grecs ne pourra-t-il devenir scientifiquement articulable, désarticu-lable et ré-articulable que lorsqu'il ne sera plus absolu ni divin en lui-même mais, comme l'affirme avec force la raison judéo-chrétienne, créé, créé par un Dieu Tout-Autre, c'est-à-dire créé contingent, d'un autre ordre, créé essentiellement différent de Dieu, restant parfaitement rationnel mais devenant en même temps monde de l'homme, livré à la libre entreprise de l'homme qui peut désormais explorer systématiquement l'univers et dont le domaine du possible, science et technique, s'ouvre à l'infini. Cette science et cette technique ne pourront réel-lement devenir progrès que lorsque le temps, sans refuser la rationalité, ne sera plus cercle fermé mais, selon la nouveauté judéo-chrétienne, ligne ouverte à l'in-fini.

Ainsi, par exemple, à l'homme, ce 'microcosme' lié à la nécessité du cosmos et de la cité, sera-t-il révélé qu'il est encore plus profondément fils de Dieu et donc investi d'une liberté radicale et inaliénable. Il se découvrira `personne'. Raison et liberté si puissamment étreintes en lui le porteront à toutes les hardiesses. L'homme moder-ne est incompréhensible sans cette dialectique en lui de

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nécessité rationnelle et de liberté créatrice, de mesure logique et de démesure libertaire, de continuité et de rupture, d'insistance immanente et d'exigence transcen-dante. A un tel homme seulement peut s'ouvrir l'impos-sible. Un tel homme seulement peut en prendre le risque et courir l'aventure.

Constructeurs de la cité idéale et aventuriers de l'eschatologie

Deux génies opposés à travers notre histoire occidentale sur lesquels il nous faudra revenir par la suite. Une telle typologie différentielle renvoie à une division des esprits devant l’accomplissement de l’humain. Deux types hu-mains. Deux projets d’humanité. Deux ‘essences’ qui traversent l’histoire occidentale et divisent les esprits. Ils se signifient de façon antithétique. Chercher refuge dans le repli protecteur de l’Age d’or et de la Cité idéale. Ou bien marcher vers la terre promise en risquant l’aventure et en consommant les ruptures.

D’un côté, le retour dans le sein maternel avec ses archétypes. La femme idéalisée vierge et mère. Le repli sécurisant dans les coquilles. La maison protectrice. L’île fortunée. La cité pourvoyeuse avec ses enceintes et ses projets d’urbanisme. De l’autre côté, la geste du Père avec ses archétypes paternels. Abraham. Mais aussi la femme héroïne comme Judith. Les étendues déserti-ques. Les transhumances nomades. Le campement toujours provisoire. Les ‘constructeurs de la Cité Idéale’ rêvent d’établir le règne de l’homme en un paradis terrestre. Les ‘aventuriers de l’Eschatologie’ cherchent le règne de Dieu en un royaume à venir. Les premiers sont

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en quête d’un retour à la nature avec le souci de l’hygiène, de l’écologie, de la nudité, des aliments naturels. Les seconds tendent vers la Parousie. Les premiers prônent la régulation des naissances et l’eu-génisme. Les seconds croient à la fécondité et aux chances de l’imprévu. Les ‘constructeurs de la Cité Idéale’ pensent ‘nature’ avec ses lois là où les ‘aventu-riers de l’Eschatologie’ pensent ‘personne’ avec sa liberté. L’anonymat d’un côté. Le nom propre de l’autre. Fils de la même mère face aux frères conjurés sous l’autorité du Père. Sédentaires face aux nomades. ‘Eclairés’ ou ‘initiés’ face aux ‘élus’. Savants face aux prophètes. Techniciens face aux théologiens. Administra-teurs face aux héros. Bourgeois face aux mystiques. Intelligentsia face au peuple élu. Nationalisme face à l’universalisme. Une longue série d’antinomies.

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4. Deux Révolutions

Il faut remonter très haut dans l’histoire. Deux grandes ruptures ouvrent fondamentalement de nouvelles possi-bilités humaines. Et deux seulement ! Toutes les autres s'en nourrissent et s'articulent sur elles. Dix mille ans nous séparent des émergences de la première. Et quatre mille ans des origines de la seconde

Deux grandes ruptures

La première a commencé il y a plus de 10 000 ans. La seconde a fait irruption il y a 4 000 ans. Très schémati-quement on peut dire que l'intention essentielle de la révolution néolithique vise à intégrer l'autre dans le même et à composer le même avec le même. En sécurité. En harmonie. En clôture structurale. La visée essentielle de la révolution judéo-chrétienne, par contre, est de s'exposer à l'autre et à l'autre de l'autre. Courir infiniment l'aventure de l'exode incessant. Risquer la Pâque. En rupture. Dans l'ouvert infini. D'un côté joue la pertinence des 'com'-posantes. De l'autre côté celle des 'ex'-posantes. Les `composantes' garantissent les cohérences et les harmonies. Les `exposantes' ouvrent

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la démesure. La rencontre providentielle entre notre mère païenne et notre père judéo-chrétien fait s'étreindre les maternelles composantes et les paternelles expo-santes.

Entre les deux ruptures la différence est infinie. La rupture néolithique est thétique et joue en horizontalité. La rupture judéo-chrétienne est antithétique et joue à la verticale. La révolution néolithique dit profondément oui. Elle va de soi. Elle a toute la 'raison' pour elle. La révo-lution judéo-chrétienne renvoie tout `oui' vers un plus fondamental `non'. Elle est de trop. Elle est `déraison' pour la raison. La révolution judéo-chrétienne n'est pas parallèle. D'une part elle surgit à partir de la révolution néolithique, au cœur de la révolution néolithique. D'autre part elle signifie rupture radicale du mouvement lui-même de la révolution néolithique. Elle est révolution dans la révolution. Bien plus, elle est révolution permanente au cœur même de sa propre révolution.

Révolution néolithique et révolution judéo-chrétienne

Qu’est-ce qu’une ‘révolution’ ? C’est une explosion de rupture. C’est le surgissement de différence. C’est l’émer-gence d’un radical ‘non’ au cœur d’un ‘oui’ préalable. C’est l’ouverture d’un espace nouveau du pensable et du possible. Une révolution prend sa dynamique du côté de l’antithèse, du côté de sa dynamique d’exode. Il faut quitter un vieux monde et conquérir un nouveau.

Deux longues séries d’antinomies radicales dont on n’évoque ici que les axes majeurs. Les premières garan-

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tissent les cohérences et les harmonies. Les secondes ouvrent la démesure. L’absolu ‘Je suis’ face à l’absolu ‘Il y a‘. La liberté personnelle face à la nécessité naturelle. Le dessein face au destin. L’histoire face à l’éternel retour. La Création face au Cosmos. L’infini face au fini. La démesure face à la mesure. Les extrêmes face au milieu. L’aventure et le risque face à l’harmonie et à la sécurité...

Le génie néolithique

Derrière sa dynamique, quelle est l'essence du Néolithi-que ? Elle tient dans la libération d'une extraordinaire dynamique de construction de l'oïkos, de la 'maison', de la maison au sens le plus large du terme, à la mesure du possible de l'homme maître de la nature. Déploiement de 'bulles' en 'bulles' de plus en plus grandes. Selon la complémentarité différentielle du `ex' différenciateur et du `cum' constructeur. Car il n'y a de culture, nous l'avons vu, que lorsque se rencontrent et s'étreignent, 'oasis' culturelle féconde, beaucoup de concentration et beau-coup de différenciation.

Il s'agit de la construction d'une 'bulle' de sécurité ou d'une 'cité' de bien portance. Plus fondamentalement il s'agit de ce projet de l'homme qui le veut rendre, comme dira Descartes au seuil des temps modernes, maître et possesseur de la nature.

Le Néolithique ouvre une certaine logique qui se prolonge jusqu'à aujourd'hui. Très théoriquement on peut dire qu'il s'agit d'un déploiement de la dynamique sans cesse reprise du `ex' , de 'bulles' en 'bulles' grandis-

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santes. Ce déploiement s'opère dans quelque chose comme une oasis préalable, à savoir une concentration de possibilités dans un environnement désertique hostile. La concentration sédentaire d'une multiple diversité d'hommes, de talents, de possibilités, de ressources, de biens, d'outils, de techniques, de moyens de production, de réserves.

Le génie néolithique crée donc des sortes de concentrés de différences et ces concentrés sont féconds. Ainsi un nouveau monde fait par art commence à se déployer au cœur du vaste monde donné de la nature et progres-sivement à s'y substituer.

L'homme prend en main son destin

Il se met ainsi à maîtriser la 'nécessité' naturelle ouvrant par là le champ de la liberté. Cette 'prise en main' valorise l'artifice, ce qui est fait par art, ce qui est fait de 'main d'hommes'. Les très importantes racines indo-européennes ar et tek, par exemple, ne témoignent-elles pas de cette emprise de la main de l'homme sur son Umwelt ? La main avec son prolongement 'artificiel', c'est-à-dire l'outil, et l'outil de l'outil. Prothèses d'un corps limité au service d'une intelligence illimitée. Toute une cascade d'inventivité. La ruse multiforme. Se servir de la nature pour l'asservir et la conquérir. La croissance de l'outil se déploie, s'étend, se complexifie en réciprocité de l'articulation, de la désarticulation et de la ré-articulation à l'infini. Ces longues chaînes d'outilité accouplées aux longues chaînes de raison. Technologies. Outil fabri-cateur d'outil exponentiellement, chaque technique appe-lant une nouvelle technique. L'aventure des technolo-

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giques et industrielles...

Cette articulation de l'outil appelle le travail qui, à son tour, la promeut. Le Néolithique 'invente' proprement le travail en tant que producteur. Productivité croissante, quantitative et qualitative, de constructivité extensive qui consomme de manière croissante ressources et énergie. Cela signifie et va signifier de plus en plus l'enchaîne-ment de l'homme au travail ! Ce travail producteur divise et complexifie en même temps les liens et les tâches. Division du travail. Métiers. Spécialisations. Divisions sociales. Hiérarchisations. Les productions nouvelles créent des besoins nouveaux et ces besoins sont de plus en plus 'artificiels'. Le Néolithique fait être l'économique à proprement parler. Il commence à instaurer le cycle fatal qui boucle l'une sur l'autre production et consommation. Et l'homme s'engage dans sa possible aliénation à ce cycle.

L'espace-temps se fait décisif. Il se conquiert. Il se maîtrise. Il se structure. Il se construit. Il devient l'espace utile du champ, de la maison, du village, de la cité, du royaume, de l'empire et du cosmos. Il devient l'espace de la communication, des routes, de la navigation, des échanges, du commerce ou de l'exploration. Il devient le temps utile de la gestion. Le temps se faisant urgent. Le temps des semailles, des germinations et des récoltes. Le temps des rythmes saisonniers. Le temps des attentes et des espérances. Le temps du moyen et du long terme. Le temps devenu calendrier et chronique. Le temps des risques, des prévisions et des provisions. L'espace-temps est de plus en plus marqué par l'accu-mulatif. Les 'contenants' sous toutes les formes se

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multiplient et se perfectionnent, et ces contenants appel-lent un plein. Une mémoire se constitue. L'écriture s'invente. Une histoire s'ouvre.

Beaucoup de différence s'engendre et se rencontre. De plus en plus de différences s'intègrent. Une multiplicité croissante se totalise et souvent se totalitarise. De la maison à la cité, du royaume au cosmos. L'universalité se cherche. Sous le signe de la guerre ou de la paix, de la défense ou de la conquête.

Ces totalisations riment avec sacralisations. L'émigration ouranienne des dieux chthoniens consacre les emprises totalitaires. Du champ au cosmos un ordre se constitue. Un ordre et des ordres. Avec ses fonctionnaires et son clergé. Avec ses juges et sa police. Avec ses sages et ses sorciers. Avec ses hiérarchies sacrales. Le roi-prêtre. L'empereur-dieu. Les lois de la cité ne sont pas les étrangères des lois de la nature. Ne s'agit-il pas toujours et essentiellement d'instaurer, oïkos-nomos, la loi dans la 'maison'. La 'maison' des vivants et des morts, à travers les temples et les tombes. La 'maison' selon toutes ses extensions, jusqu'à la totalité cosmique ?

Le génie néolithique donne naissance au citoyen, fils de la cité, civilisé, fils d'une même mère Patrie, fils de la cité protectrice et pourvoyeuse. Une certaine idéologie se diffuse et cette idéologie est celle de l'homme bien-portant en sécurité dans un espace-temps qui conjure les risques et garantit les assurances. En somme, l'idéal du 'jardin zoologique' où la liberté s'échange contre l'hy-giène. L'idéal de la 'bulle' qui materne son microcosme. L'idéal du 'clapier' où se trouve une place pour chaque

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chose et chaque chose à sa place. L'idéal de la 'cruche' en tant que contenant plein...

Le spécifique néolithique émerge au cours de l'évolution. Mais son essence traverse ‒ en quelque sorte identique à lui-même ‒ les siècles de notre préhistoire, de notre protohistoire et de notre histoire. Ses manifestations varient au cours des âges. Sa dynamique grandit jusqu'à aujourd'hui. Ses composantes jouant moins en linéarité successive qu'en réciprocité interactive où l'effet joue comme cause et la cause comme effet, dans l'étreinte dialectique de l'articulation et de la signification.

La révolution judéo-chrétienne

Au cœur de la révolution du néolithique surgit donc une autre révolution. Elle commence avec une personne. Elle commence en alliance avec l'Autre. Dans le Souffle de l'Esprit. Dieu dit à Abram: « Quitte ton pays, ta famille, la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi un grand peuple. Je te bénirai. Je rendrai ton nom illustre. Sois une bénédiction pour tous ! »1 C'est à partir d'Abraham que la radicale nou-veauté se lève. Quitte tes sécurités. Cours l'aventure de la liberté. Existe comme personne devant ton Dieu. Sois le père des enfants de la Promesse.

Révolution 'judéo-chrétienne'. Entre `judéo' et `chrétien' le trait d'union traduit la permanence du même Esprit. Contrairement à la révolution néolithique qui se conjugue au pluriel à travers des temps, des lieux et des modalités différentes, la révolution judéo-chrétienne est unique. Elle

1 Genèse 12:1-2.

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est en quelque sorte insolite. Elle commence non par une nécessité évolutive commune mais par un nom propre, Abraham, et une décision personnelle. Son universalité n'est pas de fait mais de droit.

La révolution judéo-chrétienne n'est pas une révolution parallèle. D'une part elle surgit à partir de la révolution néolithique, au cœur de la révolution néolithique. D'autre part elle signifie rupture radicale du mouvement lui-même de la révolution néolithique. Elle est révolution dans la révolution. Bien plus, elle est révolution permanente au cœur même de sa propre révolution. Libération d'un mouvement in-fini de contestation et de protestance.

Ramener la différence à l'antagonisme naturel entre 'sé-dentaires' et 'nomades' au sens simplement matériel du terme, et, partant, entre le 'civilisé' et le 'sauvage', risque-rait d'obscurcir la vision par de trop faciles évidences. L'opposition, en l'occurrence, n'est pas d'abord phénomé-nale. Elle est métaphysique. Il faut aller jusqu'aux raisons profondes et expliquer pourquoi, ici, le sédentaire est sédentaire et le nomade, nomade.

Ces éternels 'nomades' spirituels que sont les sémites juifs, ils ne le sont ni par hasard et par nécessité. Ils le sont par choix. Ils le sont non par défaut mais par luci-dité. Les Grecs, sans doute, à plus d'un titre, pouvaient les regarder comme des 'sauvages'. Car ils le sont. Dans la mesure où ils contestent radicalement les aliénations de la 'civilisation'. La révolution judéo-chrétienne com-mence par une dénonciation du non sérieux radical et de la vanité foncière de cette 'bulle' en clôture qu'instaure le projet néolithique. Cette dénonciation est le plus souvent

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implicite. Elle procède par humour. Cette façon de se situer dans la béance.

Au Livre de la Genèse, par exemple, dès l'origine de l'homme, cette tentation de la 'maîtrise' totale: « vous serez comme des dieux... » La chute. Le péché. Survient en catastrophe un monde d'illusions, de problèmes et de peine. Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. Un monde d'après. Succédant à un monde d'avant. L'inno-cence désormais perdue. Le souci. Le souci-à-la-mort. Le costume et toutes les coutumes cache-misère à sa suite. Le travail. Pour ne pas mourir. Et pour finalement mourir quand même !

Désormais le champ se cultive et l'avoir s'accumule par souci du manque. Division du travail et sa suite, l'envie. Jusqu'au meurtre. Caïn tue son frère Abel. Les hommes seront à la peine, forgerons comme Tubal-Caïn ou constructeurs de villes comme Hénoch. Constructeurs jusqu'à la démesure. Babel. La ruine. Le parler pour ne plus rien dire. La confusion des langages. Finalement le Déluge... Mais Abraham pouvait-il paraître avant le Dé-luge ?

La révolution qui commence avec Abraham dit `non'

Elle dit non à l'essentiel des acquis de la révolution néo-lithique.

L'homme prend en main son destin ? Non, il n'y a pas de destin pour l'homme. L'être et la nature sont grâce. Non pas résultat d'un `il y a', mais création d'un `Je Suis'. Non pas destin, mais destinée. Destinée qui renvoie l'homme

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à l'infini de lui-même.

La valeur de l'artifice ? Non, l'homme est toujours plus grand que ce qu'il fait. L'homme est plus grand que sa simple efficacité. La confiance déplacée dans l'artifice est trompeuse. Tout ce qui est fait de main d'homme risque continuellement de n'être qu'idole.

Le culte de l'outil ? Non à l'outil qui fabrique des idoles à tous les sens du mot. L'outil n'est pas fin mais 'moyen'. Il est service. Au service de la création.

Le travail producteur ? Non, le travail n'est pas un absolu. Il n'est pas en lui-même valeur. Il ne prend valeur que dans le service. Toute production risque de produire de l'encombrement face à l'essentiel.

L'esclavage de la productivité ? Non, l'homme ne doit produire que le nécessaire et partager le superflu. L'hom-me est trop grand pour être réduit à ne combler que ses manques artificiels, fussent-ils prestigieux. Toute forme d'esclavage est radicalement condamnée. La Bible ne peut avoir que mépris pour une `civilisation' comme la grecque qui ne fonctionne que grâce à l'esclavage de neuf hommes sur dix !

L'accumulation de l'avoir ? Non, l'avoir est pour le don et pour le service, non pour l'accumulation. La richesse durcit le cœur et aliène l'homme à l'homme. Bienheureux les pauvres, c'est-à-dire bienheureux les hommes qui refusent la richesse et, partant, la constitution de pauv-reté.

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La complexification des structures ? Non, la création de grandes 'structures' risque de n'être que recherche de vaines sécurités et de masquer l'infidélité. La complexi-fication n'est que mal nécessaire face à l'essentiel qui est simple.

La complexification des tâches ? Non, elle risque de créer l'inégalité entre les fils du même Père. Les diffé-rences de conditions ne peuvent être que fondamentale-ment contingentes.

Les grandes constructions ? Non, toute construction n'est finalement que vanité puisqu'elle ne peut tendre que vers sa destruction. La tâche essentielle de l'homme est ail-leurs.

Boucler la consommation sur la production ? Non, ce cercle est vicieux puisqu'il enferme l'homme de façon uni-dimensionnelle sur lui-même.

Le culte de la force ? Non, c'est quand je suis faible que je suis fort. Il y a des fragilités qui, paradoxalement, ouv-rent à d'autres fécondités.

Réduire et intégrer la différence ? Non, la différence est grâce. Elle est signe de surabondance, chance de fécon-dité et promesse de liberté. Elle culmine dans la per-sonne. Et la personne est fin, absolument, sans pouvoir jamais être moyen. Et même, tu aimeras ton ennemi !

Faire régner l'ordre à tout prix ? Non, l'ordre n'est pas fin mais service. Très profondément l'homme n'est pas pour la mesure mais pour la démesure.

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Construire des enceintes de sécurité ? Non, Dieu seul est ta sécurité. Et sa parole ne cesse de tourner en déri-sion toutes les fausses sécurités. L'idéal humain ne peut pas être le `jardin zoologique' ! L'homme devient plus authentiquement homme à travers insécurité et risque.

Nouer des totalités ? Non à tous les totalitarismes. Non à toutes les idéologies. L'ouverture à l'autre est incom-parablement plus humanisante que les clôtures sur le même. L'homme en sa béance est infiniment plus grand que l'homme enfermé dans des `bulles'.

Totaliser le sacré ? Non, l'homme n'est pas fait pour le sabbat mais le sabbat pour l'homme. Le décisif n'est pas la `religion' mais l'existence vraie qui s'ouvre dans la foi. Un seul Dieu tu adoreras ! Il est Tout-Autre. Il est absolu 'Je suis'. Tu ne le trouves qu'en exode. Le temple sera détruit. Laissez les morts ensevelir les morts. Ultimement le tombeau est vide...

Deux conceptions radicalement différentes de la totalité

D’un côté la possibilité d’une totalisation parfaite, de l’autre un infini jamais totalisable. Altérité. Discontinuité des ordres face à l’harmonie ’sphérique’ du ’même’. Rup-ture des liens ’naturels’ entre le divin, le mondain et l’humain. Dieu tout-autre. Transcendance. Création. Un monde tout-autre. Le je s’affirmant contre le il y a. La liberté victorieuse de la fatalité. La contingence plus pertinente que la nécessité. Un monde qui ne soit plus essentiellement cosmos d’ordre et d’harmonie mais espace libre pour la libre entreprise de l’homme. Le faire

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être plus important que l’être. Exister. Démesure contre mesure. Pour que et pas seulement ’parce que’. Le mal comme mystère. Job contre Prométhée ou Œdipe. Du tragique vers l’éthique. De l’esthétique vers l’eschatolo-gique.

Ainsi, par exemple, ce cosmos rationnel des Grecs ne pourra-t-il devenir scientifiquement articulable, désarticu-lable et ré-articulable que lorsqu’il ne sera plus absolu ni divin en lui-même mais, comme l’affirme avec force la raison judéo-chrétienne, créé, créé par un Dieu Tout-Autre, c’est-à-dire créé contingent, d’un autre ordre, créé essentiellement différent de Dieu, restant parfaitement rationnel mais devenant en même temps monde de l’homme, livré à la libre entreprise de l’homme qui peut désormais explorer systématiquement l’univers et dont le domaine du possible, science et technique, s’ouvre à l’infini. Cette science et cette technique ne pourront réellement devenir progrès que lorsque le temps, sans refuser la rationalité, ne sera plus cercle fermé mais, selon la nouveauté judéo-chrétienne, ligne ouverte indé-finiment en avant d’elle-même, donc le temps décisif de l’histoire et le temps de l’audace pour l’homme qui, loin d’être prisonnier de l’ordre nécessaire, est désormais capable d’instaurer son ordre à lui et de rêver de devenir, comme le dira Descartes, maître et possesseur de la nature.

Deux visions radicalement différentes de l’homme

L’homme n’est plus ce microcosme aliéné à la nécessité du cosmos mais, à l’image et à la ressemblance de son Dieu, liberté créatrice. L’homme est moins en continuité

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qu’en rupture. L’homme est ailleurs que là où s’étale simplement la ’nature’. L’homme est en avant de l’hom-me. L’homme passe l’homme infiniment. Il est ouvert à l’impossible. Il est ouvert à la démesure, péché ou grâce. La personne l’emporte désormais sur le cosmos. L’ordre voulu se fait loi au détriment de l’ordre nécessaire. En même temps l’humain s’affirme au-dessus de toutes les lois. Le destin fait place à la responsabilité d’une desti-née historique. L’autre devient topos de l’authentique humain. La nouvelle naissance. La conversion. La résur-rection. Non pas simplement la survie d’un principe ’im-mortel’, l’âme contre le corps, mais re-surgissement, re-création, de tout l’humain qui meurt et de tout l’humain appelé à ressusciter.

Dieu est le Tout-Autre qui appelle gratuitement à l’Allian-ce. Le monde est le résultat autonome d’une création. Il est livré à la libre entreprise de l’homme. Il ne peut exister ni destin ouranien ni destin chtonien. L’ordre humain est radicalement différent de l’ordre du monde. L’homme est une personne à l’image et à la ressem-blance de Dieu, une personne libre, créatrice et respon-sable. Il est appelé à l’Alliance. Il est appelé à l’Exode. Il est appelé à la démesure !

Ainsi, par exemple, à l’homme, ce ’microcosme’ lié à la nécessité du cosmos et de la cité, sera-t-il révélé qu’il est encore plus profondément fils de Dieu et donc investi d’une liberté radicale et inaliénable. Il se découvrira per-sonne. Raison et liberté si puissamment étreintes en lui le porteront à toutes les hardiesses.

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Un nouvel espace et un nouveau temps

Abraham: Quitte ton champ, ta maison, ta patrie... L’Exo-de révèle l’espace traversé comme plus important que l’espace conquis. La marche en avant est plus essen-tielle que les installations. Cette création est promise à une nouvelle terre et à de nouveaux cieux. L’homme est fait pour l’en-avant. La condition humaine est en exode.

Un temps nouveau qui surgit de la rupture du cycle de l’éternel retour. Désormais vecteur, procès, projet histo-rique. Un temps livré à l’aventure humaine, marche ouverte à l’infini, entre des extrêmes Alpha et Oméga, commencement et fin devenus absolus, qui, eux, n’appartiennent qu’à Dieu. Un ‘avant’ donc et un ‘après’ qui ne sont plus réversibles, chaque moment devenant désormais unique et décisif. Unique et décisif pour l’éternité ! Non plus temps de la nécessité mais temps de la liberté et de la création. Non plus temps du destin mais temps du progrès. Non plus temps de la tragédie mais temps de l’aventure. Un temps ouvert pour le risque. Ce temps n’est plus totalisable en raison. Il ‘crucifie’ la raison et urge sa transcendance. Ce temps ex-pose l’homme et le fait ex-sister. Le ’retour’ n’y ramène pas au point de départ, le ’repentir’ n’y revient pas en arrière. La conver-sion est en avant.

Deux espaces différents du pensable et du possible

L’espace de nos ‘composantes’ maternelles et l’espace de nos ‘exposantes’ paternelles. Le premier est à courbu-re positive. Le second, à courbure négative. En quelque sorte au-delà de la géométrie euclidienne... La somme

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des angles d’un triangle plus grand ou plus petit que deux droit...

L’analyse des dimensions essentielles, des insistances centrales et des lignes de force majeures de ces deux espaces hétérogènes se traduirait en longue série de polarités fondamentales antithétiques. Contentons-nous ici d’un survol schématique en donnant la simple liste d’un certain nombre de ces concepts antithétiques qui se correspondent terme à terme.

Les concepts-clés de l’espace des composantes: l’absolu ‘Il y a’, le fini, le même, le milieu, la mesure, la nature, l’être, la continuité, le destin, le cosmos, la structure, la nécessité, l’objet, le cycle, éros, l’harmonie, la sécurité, l’ordre, le possible.

Les concepts-clés de l’espace des exposantes: l’absolu ‘Je Suis’, l’infini, l’autre, les extrêmes, la démesure, la personne, l’exister, la rupture, le dessein, la création, la gratuité, la liberté, le projet, l’histoire, agapè, l’aventure, le risque, la contingence, l’impossible.

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5. Pourquoi cette longue gestation

En apparence, durant longtemps, cette union semble promise à la stérilité sinon à la catastrophe. Que n'a-t-on dit des `ténèbres du Moyen Age' ! Pourquoi cette relative 'lenteur', voire cette apparente 'régression' du procès historique ? Il ne peut y avoir à cela que des raisons pro-fondes.

L'énormité de la différence ainsi rencontrée ne peut pas ne pas être traumatisante. L'Occident ne sort ni facile-ment ni rapidement de son traumatisme de naissance.

En tout processus vivant, les cycles gestateurs ou de maturation sont des cycles longs. Ici le temps de gesta-tion était inévitable-ment à la mesure de l’énormité des différences qui se sont étreintes. De telles semailles ne pouvaient que traverser un très long hiver.

Lorsque l’éternité est ouverte, le temps peut se faire patience. Les investissements se font à très long terme. On sème pour une récolte qui transcende les rythmes

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solaires. Étonnante patience ! Au Moyen Age encore, les décennies voir les siècles nécessaires à la construction d’une cathédrale sont loin de paralyser les projets. Et pourtant n’avaient-ils pas une espérance de vie nette-ment plus courte que la nôtre ?

La révolution judéo-chrétienne désagrège la massive cohérence gréco-romaine. Entre cette déstructuration et la nouvelle restructuration, il faudra des siècles de profonde re-signification et de lente trans-signification. Grégoire le Grand... Vers l’an 600. Deux siècles après, une première ‘Renaissance’ avec Charlemagne...

Toute déstructuration laisse un émiettement et un éparpillement d’éléments structurels à partir desquels la construction d’une nouvelle structure n’est pas immé-diate. Elle l’est d’autant moins que la structure détruite est plus énorme. Or l’impact judéo-chrétien, fondamenta-lement désagrégateur de toute clôture structurale parce que son projet essentiel n’est pas horizontale con-struction mais verticale ouverture, ne peut jouer que de façon déstructurante et désagréger la massive cohé-rence païenne, en l’occurrence gréco-romaine. Entre cette déstructuration et une nouvelle restructuration, il faudra des siècles de réajustements.

La culture antique ainsi déstructurée est ’élitiste’. Elle fonctionne insulairement. La cité vit au détriment des immenses espaces environnants et, dans la cité, neuf dixièmes des habitants sont esclaves de la minorité citoyenne. La révolution judéo-chrétienne proclame qu’il n’y a plus ni esclave ni homme libre mais uniquement des fils et des filles du même Père. Une telle ’démocratie’

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et son apprentissage ne peut être, durant de longs siècles, qu’un facteur de profond dysfonctionnement.

L’esclavage, c’est-à-dire le mode de production où le producteur-esclave, très peu consommateur, libère une disponibilité de consommation, constitue l’outilité motrice de la puissance antique. Or cette outilité est principiel-lement niée par la nouveauté judéo-chrétienne. Néces-saire conséquence de la suppression de l’esclavage, c’est donc l’homme ‘libre’ qui doit se convertir en travail-leur. Cette conversion, cet apprentissage de la liberté libérée est nécessairement un processus lent.

La culture commence avec l’agriculture. Et l’agriculture avec le long travail préalable des ’moines défricheurs’...

Le concept de ’progrès’ qui a si souvent servi de cheval de bataille contre la pertinence judéo-chrétienne est lui-même, comme bien d’autres concepts dynamiques, fruit tardif de l’histoire à partir de l’inter-fécondation entre les deux apports antithétiques. Il a ses racines davantage au Sinaï qu’à Athènes. Ce concept, essentiellement relatif, n’est ensuite devenu un absolu que par manque d’Absolu et par substitution.

Parce que la nouveauté judéo-chrétienne refuse d’enfer-mer l’homme dans le cercle vicieux de la production bouclée sur la consommation, l’idée de ’progrès’ est signifiée et valorisée par rapport à bien autre chose que le simple accroissement cumulatif voire exponentiel de l’avoir et du pouvoir. Mais le progrès spirituel est infini-ment plus laborieux et plus lent que l’autre.

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L’affrontement entre composante gréco-latine et expo-sante judéo-chrétienne n’a pas joué à l’état pur. Il s’est compliqué et complexifié comme à plaisir. Mesure-t-on assez, par exemple, la perturbation que représente la menace permanente et l’invasion successive des ’barba-res’ ? Ensuite la nécessaire ’durée’ entre les affronte-ments jusqu’aux intégrations.

Et que dire de l’affrontement avec l’Islam ? Ces ’cousins’ spirituels farouches constitueront un défi majeur. Ici, pourtant, la différence ne joue plus à l’état brut et les espaces culturels ne sont pas fondamentalement hétéro-gènes. Mais l’Islam se noue en totalité idiosyncratique et risque ainsi de heurter sans cesse l’autre de plein fouet dans un affrontement du tout ou rien. L’Islam ne renvoie-t-il pas parfois à la révolution judéo-chrétienne l’image de ce qu’elle aurait pu devenir si elle s’était refermée sur son absolu en refusant de rencontrer et d’affronter son ’autre’ pour l’étreindre et le féconder ?

Les 'valeurs' apportées par la révolution judéo-chrétienne sont d’abord des anti-valeurs. Elles risquent de laisser à la paganité de très longues indigestions. L’énormité de la différence rencontrée ne pouvait pas ne pas laisser une profonde blessure. L’Occident ne sortira ni facilement ni rapidement de son traumatisme de naissance.

A partir de cette interfécondation des acquis thétiques de la révolution néolithique et des exposantes antithétiques de la révolution judéo-chrétienne naîtra, après une très longue gestation, un extraordinaire déploiement de crois-sance et d’accélération. L’invention provoque l’invention de plus en plus hardie. De plus en plus énormes se

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suivent les vagues technologiques.

Durant des siècles la démesure chrétienne reste contenue

Parce qu'essentiellement verticalisée, l'audace chrétien-ne joue en Alliance. Ses prouesses sont mystiques. Ses audaces culminent dans les flèches des cathédrales. Elle joue peu dans le spectaculaire horizontal.

L'immanence est encore béante sur une transcendance. La pensée pense encore dans l'alliance entre l'être et le connaître. Elle n'est pas encore condamnée à la quête infinie des médiations. Elle n'est pas encore livrée à la tâche infinie de fonder le fondement. L'homme n'est pas encore le berger angoissé de l'être étrange. Il est le berger étonné et reconnaissant de l'être en plénitude.

Sur la scène du monde la démesure chrétienne reste à sa façon `mesure'. Mais de façon radicalement différente de la 'mesure' grecque. Celle-ci est accord avec la nécessité du 'il y a'. Celle-là est convivialité avec la liberté de 'Je suis'. Celle-ci est lien nécessaire avec la rationalité de la totalité théo-cosmo-anthropologique. Celle-là est alliance avec l'Infini Personnel dans la communauté ec-clésiale humano-divine.

Vient cependant le moment où cette démesure encore verticale explose à l'horizontale et où l'alliance risque de se rompre. Cela commence autour de l'an 1100. Départ d'une nouvelle et extraordinaire aventure. Elle ne cesse de nous concerner aujourd'hui.

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Les protagonistes

Ce ne sont pas des Maîtres Penseurs ! Ces hommes des premières générations chrétiennes sont des lutteurs. Témoins du mystère indicible qui veut quand même se dire à travers le logos intellectuel. Parce que déjà il s’est dit dans sa manifestation comme Logos fait chair.

Ces hommes des premiers siècles chrétiens que nous appelons 'Pères' veulent rendre raison de la scanda-leuse déraison chrétienne. Une très grande certitude ani-me leur effort de mettre en lumière le paradoxe chrétien, à savoir que rien, absolument rien, ne peut rester radi-calement étranger au Christ. La raison humaine ne peut pas ne pas être en accord profond avec le Logos de Dieu. Foi et raison doivent finalement converger.

L'Incarnation ne désespère d'aucune réalité humaine. Le logos, fut-il païen, n'est pas indigne de porter le mystère divin. Ces croyants font le pari d'une étreinte possible de theos et de logos. Ils osent une théologie. Dans une extraordinaire effervescence intellectuelle et spirituelle où la foi veut rendre raison d'elle-même et de son objet.

Ils affrontent la thesis païenne en face. Certes, ils ne sont pas les premiers. Cet affrontement commence deux mille ans avant le christianisme déjà, avec Abraham et l'étrange tribu des croyants issue de lui. Le paganisme inlassablement provoqué dans et autour du Peuple Elu. Provocation portée plus tard aux confins du monde païen à travers la Diaspora. Toute la Bible juive, tout l'Ancien Testament, est défense et illustration de la geste de l'Autre face aux paganismes. Avec les premiers penseurs

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chrétiens l'affrontement se fera encore plus direct et le combat plus serré. Car l'Evangile doit se porter aux confins du monde. Et la 'folie' de la croix est appelée à vaincre les sagesses professées dans la caverne.

Génie de l'Eglise. Génie de l'Esprit ! Dans le désaccord surmonté entre Athènes et Jérusalem s'ouvre progres-sivement un espace nouveau d'intelligibilité. Un débat s'instaure. Les penseurs grecs sont relus avec passion. Platon surtout, ce `saint' païen si étonnamment proche des réalités invisibles, qui prolonge sa présence sous les mille formes de néo-platonisme. Derrière des formu-lations souvent identiques il s'agit en fait d'un éclairage nouveau sur les thèmes anciens, sur les thèmes éter-nels, pourrait-on dire. A travers des glissements de sens, parfois imperceptiblement progressifs et parfois brus-ques, c'est un espace nouveau d'intelligibilité et de pos-sibilité qui lentement s'ouvre.

De la multitude des premiers penseurs chrétiens il suffit de rappeler ici les oeuvres qui ont le plus explicitement affronté la thesis païenne:

PAUL de Tarse (5-67).Ses Epîtres font partie intégrante du canon du Nouveau Testament.

CLEMENT de Rome (pape de 92 à 101). Epître aux Corinthiens. Epître de Barnabé.

HERMAS. Le Pasteur.

JUSTIN (+165). Dialogue avec Tryphon.Apologie.

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Pseudo-JUSTIN. Traité de la Résurrection.

ARISTIDE d'Athènes (deuxième siècle). Apologie du christianisme à l'Empereur Hadrien.

ATHENAGORE (deuxième siècle). Supplique au sujet des chrétiens.De la résurrection des morts.

THEOPHILE d'Antioche (+186). A Autolycus.

TATIEN (120-190). Discours aux Grecs.Ecrit à Diognète.

IRENEE de Lyon (+202). Démonstration de la prédication apostolique.Contre les hérésies.

CLEMENT d'Alexandrie (140-216). Le Proptreptique.

TERTULLIEN (160-220). Contre Hermogène. Traité de la prescription.Contre Marcion. Apologétique. Traité de la résurrection des morts.

HIPPOLYTE de Rome (+235). Réfutation. Contre toutes les hérésies.

Pseudo-HIPPOLYTE. Elenchos.

ORIGENE (185-254). Contre Celse.Traité du Principe. Commentaire de la Genèse.

CYPRIEN (+258). De la vraie foi en Dieu.

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ALEXANDRE de Lycopolis (vers 300). Contre la doctrine des Manichéens.

METHODE d'Olympe (+311). Le Banquet des dix vierges. Traité sur le libre arbitre.Traité sur la résurrection.

LACTANCE (250-320). Contre les païens.

EUSEBE de Césarée (265-339). Préparation évangélique.

APHRATE (270-345). Démonstrations.

SERAPION de Thmuis (+362). Contre les Manichéens.

ATHANASE d'Alexandrie (295-373). Contre les païens.Exposition de la foi.Apologie à Constantin.Contre les Ariens.

EPHREM (306-373). Sermons polémiques contre les hérétiques.

TITUS de Bosra (+378). Trois livres contre les Manichéens.

BASILE de Césarée (330-379). Homélies sur l'Hexaéméron.

CYRILLE de Jérusalem (313-387). Catéchèses.

GREGOIRE de Nazianze (330-390). Discours sur la Trinité.

GREGOIRE de Nysse (334-394). Traité sur la création de l'homme.

AMBROISE de Milan (339-397). Sur l'Hexaéméron.

EPIPHANE (315-407).

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Panarion.JEAN CHRISOSTOME (345-407).

Sur l'incompréhensibilité de Dieu.THEOPHILE d'Alexandrie (345-412).

Lettres pascales.SYNESIOS de Cyrène (370-413).

Traité sur la Providence.JEROME (347-420).

Lettres.Contre Jean de Jérusalem.

EVODIUS (+424). Traité sur la Foi: contre les Manichéens.

AUGUSTIN (354-430). Les Confessions. La Cité de Dieu.Du libre arbitre.Contre Faustus. De la genèse: contre les Manichéens.Contre Fortunatus.De la vraie religion.De la nature du bien. A Orose: contre les priscillianistes et origénistes. Des hérésies.

ISIDORE de Péluse (360-440). Lettres.Traité de l'âme.

CYRILLE d'Alexandrie (+444). Commentaire sur l'Evangile de Saint Jean.

ENEE de Gaza (Cinquième siècle). Théophraste ou Dialogue sur l'immortalité de l'âme et la résurrection des corps.

NEMESIUS d'Emèse (400-450). Traité sur la nature de l'homme.

EZNIK de Kolb (Cinquième siècle).

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Traité sur Dieu.THEODORET de Cyr (393-466).

Thérapeutique des maladies helléniques.DIADOQUE de Photicée (+486).

Cent chapitres gnostiques.Pseudo-DENYS (fin du cinquième siècle).

Des Noms divins.JUSTINIEN (527-565).

Livre contre Origène.JEAN PHILOPON (Sixième siècle).

De la création du monde.MAXIME le Confesseur (580-662).

Ambiguorum liber.JEAN DAMASCENE (650-740).

De la foi orthodoxe.Dialogue contre les Manichéens.

Les Pères, en pensant le spécifique chrétien, ne peuvent pas ne pas le penser avec le ’logos’ constitué de leur culture d’origine. Tout un espace épistémique avec son outillage intellectuel, avec ses structures mentales, avec ses schèmes, ses catégories et ses valeurs. Un logos constitué nettement marqué et dominé par les lignes de force et l’englobant de la thesis païenne en général et du néoplatonisme en particulier. Les compromissions ne manqueront pas. Ni les ambiguïtés. Ni les confusions. Ni les complications inutiles. Ni les problématiques bâtar-des. Ni les polémiques stériles. Ni les impasses... Le néoplatonisme semble d’emblée être la philosophie ’na-turelle’ du mystère chrétien. Pour le traduire. Pour le trahir aussi.

Chez ces premiers penseurs chrétiens, il faut sans cesse distinguer entre l’argumentation philosophique qui s’arti-

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cule dans un espace de type néoplatonicien et leur intention de signifier en rupture la radicale nouveauté chrétienne. La virginité philosophique que nous aime-rions trouver chez eux n’est-elle pas elle-même le reflet d’une tentation dualiste ? L’exigence chrétienne d’incar-nation signifie la rupture non pas dans la fuite mais dans la compromission. Là est le risque de l’incarnation ! Car finalement l’essentiel, loin d’être occulté, se manifeste. Derrière ce qui sera souvent faux problème, et à travers l’ambiguïté de la compromission, une pensée spécifique-ment chrétienne surgit. L’essentiel du paradoxe chrétien se met en lumière.

Dans le désaccord surmonté entre Athènes et Jérusalem se constitue progressivement un espace nouveau d'intel-ligibilité et de possibilité. Les penseurs grecs, Platon, bien sûr, mais Aristote aussi, et de plus en plus, avec tous les autres philosophes païens, ont non seulement droit de cité, mais sont à l'honneur. Le DIALOGUE se fait avec eux et se poursuit à partir d'eux. Lorsque le chrétien Boèce (+524), dernier des romains et premier des philosophes médiévaux, découvre Aristote, ce n'est pas simplement pour le réécrire. De son dialogue avec le Stagirite naissent de nouveaux outils conceptuels et de nouvelles perspectives. Lorsque, par exemple, la réalité personnelle est affirmée comme `rationalis naturae individua substantia' ou que l'éternité se définit comme un éternel présent, `tota simul', n'est-ce pas un nouvel éclairage qui se jette sur la personne humaine et sa liberté engagée entre temps et éternité ? C'est à la limite du pensable païen que de tels thèmes nouveaux surgis-sent.

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En fait il s'agit non seulement d'un élargissement de l'espace de rationalité mais de l'élargissement de la raison elle-même. Dans une lettre à Charlemagne, Alcuin d'York ne cache pas son enthousiasme d'édifier en Francie une Athènes nouvelle, plus brillante que l'ancien-ne, puisqu'elle sera l'Athènes du Christ. Une Athènes nouvelle. Une raison nouvelle. Né cinq siècles après Alcuin d'York, Ramon Lulle (+1316) ne vivra que pour un tel idéal: établir sur terre la `catholicité' de la raison et de la foi. Une catholicité missionnaire dans l'exigence de l'universel.

En profondeur

Ainsi un travail se poursuit lentement en profondeur. Derrière des formulations souvent identiques de nou-velles lumières jaillissent et de nouvelles perspectives s'ouvrent. Derrière des formulations souvent identiques il s'agit en fait d'un éclairage nouveau sur les thèmes anciens, sur les thèmes éternels, pourrait-on dire.

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6. Irruption de radicale nouveauté

Beaucoup ne voudraient voir dans l'impact chrétien qu'une contradiction stérile, voire néfaste. Il faut cepen-dant se rendre à l'évidence qu'elle est antithèse. C'est-à-dire violence. C'est-à-dire dynamique révolutionnaire.

La massive et 'naturelle' cohérence de la thesis païenne tend à se poser en absolu logique et rationnel. Cette naturelle tentation totalitaire refuse toute anti-position, toute anti-thèse, venant de l'autre d'elle-même. Elle pour-ra bien accepter l'antithèse issue de son propre sein et nourri de son propre lait, l'antithèse faite à sa mesure et finalement assimilable et digestible par son propre corps totalisant. Mais laisser mettre en question sa propre totalité totalisante... Voilà son allergie maximale ! Et scandaleuse. Alors il lui est facile de reléguer l'autre chrétien dans les zones obscures du 'religieux' et de l'ir-rationnel. Comme non-pertinence dans l'espace stricte-ment philosophique. Comme congénitalement non habili-tée à prendre part aux débats de l'Agora.

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En profondeur, très essentiellement, cette étreinte promise à tant de fécondité dialectique est celle entre le même et l'autre. La radicale nouveauté chrétienne pose l'autre avec une priorité ontologique, logique, axiologique, génétique, sur le même. Le même païen se trouvant ainsi radicalement 'pro'-voqué vers son propre dépasse-ment.

De quel côté est le 'meilleur' ?

En fait, ce qui nous préoccupe ici c'est la différence et non pas la 'valeur'. Si, effectivement, le spécifique hu-main est fondamentalement dialectique, il ne surgit et ne se déploie que par différences affrontées et dépassées.

A comparer les deux, la 'valeur' est incontestablement du côté païen ! Du côté chrétien abondent des anti-valeurs. Nietzsche l'a parfaitement perçu ! Quel monde, en effet ! Où les premiers sont derniers et les derniers premiers. Où les gouvernants servent et les serviteurs gouvernent. Où les pauvres sont comblés et les riches dépouillés. Où les doux sont plus puissants que les forts. Où les puissants sont renversés et les humbles élevés. Où les esclaves sont plus libres que leurs maîtres. La radicale antithèse de toutes nos valeurs naturelles et leur véri-table crise.

La révolution chrétienne est folie et non pas sagesse à la manière humaine. Elle est compromise avec la faiblesse et non pas avec la force. Elle n'est pas partie pour la gloire mais elle s'aventure humblement à travers le réel humain.

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La dynamique de l'Esprit ne devient efficacement visible et visiblement efficace qu'à travers une crucifixion, une mort et une résurrection. Et, paradoxe pascal, la plus grande faiblesse révèle dans le retournement une singu-lière puissance. Mais pour comprendre cela il faut déjà être ouvert à l'altérité.

Révolution

Faites le tour de toutes les valeurs devenues pour nous fondamentales. D'où peut bien venir la graine qui les porte en germe ? Où ailleurs sont-elles pensables, ces valeurs ? En Inde ? En Chine ? En Egypte ? Dans la Grèce Antique ?

Il s'agit d'abord d'une révolution des esprits. Elle n'a pas immédiatement une claire conscience d'elle-même. Elle ne se manifeste pas d'emblée de façon explicite. Elle reste longtemps impliquée dans l'essentiel, à savoir la Foi nouvelle.

Nous l'avons fait tellement nôtre que nous risquons de ne plus voir, aujourd'hui, sa nouveauté révolutionnaire. Per-cevoir cette nouveauté implique, en effet, la capacité de s'abstraire de l'esprit `constitué' de notre temps pour communier à son esprit `constituant'. Un tel effort ne va pas sans intelligence.

Il est impossible, ici, d'analyser dans le détail toute l'éten-due d'une telle révolution à la fois épistémologique et pragmatique. L'inévitable schématisme des propositions qui vont suivre doit suffire cependant pour en jauger la pertinence.

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Dieu - Il ne fait question qu'à l'homme. Le chimpanzé s'en moque. Il est a-thée. Mais qui est Dieu ? Cette ques-tion, déjà, voudrait l'englober dans sa compréhension. Mais Dieu n'est pas 'com-préhensible' au sens où notre possibilité intellectuelle pourrait le saisir pour l'embrasser. Dieu reste irréductiblement le Tout-Autre. L'Alter absolu. Il englobe tout et n'est lui-même englobé par rien, même pas par notre raison.

L'Absolu - L'Absolu est non-totalisable. Il est en deçà et au-delà de toute définition. Il ne peut être enfermé dans aucune image ni aucun concept. Nos possibilités humai-nes sur Dieu restent béantes. Toute parole sur Dieu est d'abord fausse. Elle doit en quelque sorte se vider pour entrevoir la vérité sur Lui.

L'Etre - L'être n'est plus enfermé dans la nécessité d'un neutre `il y a' immense, éternel, immuable, parfait, néces-saire. L'être ad-vient comme événement et comme avènement. Il 'ex'-siste scandaleusement dans la rupture. Sa contingence l'ex-pose à l'altérité d'un `Je Suis'.

La création - L'affirmation de la création est d'emblée l'affirmation la plus énorme et la plus scandaleuse face à la raison païenne. Penser la création n'est en effet pas possible en continuité. Entre Dieu et le monde il n'y a aucun lien logique de nécessité. La création est en rupture. Elle est à partir d'un acte. Poïèsis originelle d'Agapè. Cet acte gratuit et libre la pose dans l'existence à partir de rien. Elle est donc contingente ce qui veut dire qu'elle 'flotte' en quelque sorte gratuitement dans la facticité.

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La totalité - La totalité 'réelle' déborde infiniment la tota-lité `pensée'. La pensée ne l'englobe pas mais se trouve englobée par elle. L'impensable peut devenir réel. La contingence de l'événement est humour, parfois ironie.

L'origine - Le temps chrétien est temps des radicales origines et des absolues nouveautés. Sans conditionne-ments préalables. Sans conditions de possibilités. A partir de rien. Temps de la création. Instauré par l'acte créateur et dimension du créé. Temps qui commence avec lui-même sans temps préalable. Temps qui finit avec lui-même sans temps succédant. Entre Alpha et Oméga. Englobé dans l'éternité. Tes années sont comme un seul jour, s'exclame saint Augustin au Livre XI des Confes-sions. Ton jour est un aujourd'hui... Ton aujourd'hui, c'est l'éternité.

Le temps des acheminements - Ce temps est le temps des acheminements et des achèvements. Et donc des commencements pas forcément parfaits. La création tout entière crie sa souffrance. Elle passe par les douleurs d'un enfantement qui dure encore.1 L'homme n'est pas parfait par construction; il est capable de perfection. Il est créé inachevé pour qu'à travers le temps, il continue en liberté sa création.

Le cosmos - Le cosmos n'est pas l'Absolu. Il n'est pas non plus une émanation de l'Absolu ou une parcelle du divin. Il est création. Il n'est donc ni divin, ni éternel, ni impérissable. Le monde n'est pas nécessaire à Dieu. La raison de la création est gratuite déraison. Dieu crée par débordement de bonté où tout 'pourquoi' ne peut finale-

1 Romains 8,22.

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ment que se dissoudre en Agapè.

La possibilité scientifique et technique - Le cosmos rationnel des Grecs, par exemple, ne pourra devenir scientifiquement articulable, désarticulable et ré-articu-lable que lorsqu'il ne sera plus absolu ni divin en lui-même mais, comme l'affirme avec force la raison chré-tienne, créé, créé par un Dieu Tout-Autre, c'est-à-dire créé contingent, d'un autre ordre. Un cosmos différent de Dieu, livré à la libre entreprise de l'homme qui peut désormais explorer systématiquement l'univers et dont le domaine du possible, science et technique, s'ouvre à l'infini. Cette science et cette technique ne pourront réellement devenir progrès que lorsque le temps ne sera plus un cercle fermé mais, selon la nouveauté judéo-chrétienne, un vecteur ouvert.

Le monde - Lorsque Saint Jean ou Saint Paul parlent du `monde' et de la `chair' de façon péjorative, il ne s'agit jamais du monde au sens de `cosmos' ni de la chair au sens de `corporéité', créations excellentes d'Agapè ! Il s'agit alors en quelque sorte de leur envers; le désordre, ou plus exactement un ordre qui n'est plus l'ordre. Une sorte d'entropie que produit le péché. En lui-même, en tant que création de Dieu, le monde ne peut être que bon. Dieu aime le monde des humains. Il l'aime tellement qu'il lui donne son Fils.

Le temps - Le temps païen est le temps de l'éternel retour. Il épouse la courbure de la nécessité sphérique du cosmos et du logos. Il se boucle dans l'équilibre et l'har-monie. Il se dissout en quelque sorte dans l'éternité. Le temps chrétien est réellement temps. Vecteur irréduc-

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tiblement irréversible avec une suite infinie de `main-tenant' uniques et décisifs. Il est histoire. Il ouvre à l'aven-ture et au risque. L'un est sous le signe de la continuité; l'autre sous le signe de la rupture.

Rupture de l'éternel retour - L'ouverture de l'histoire brise le cercle de l'éternel retour et la cyclique sécurité du destin. Le temps n'est plus nécessité; il s'ouvre irréver-siblement à l'ad-venir de gratuité et souvent déroutante nouveauté; il ouvre un espace de création et de liberté. L'historicité chrétienne n'est pas au rouet ni livrée au tragique du destin. Elle ne vise pas à annuler le temps. Elle ne conspire pas à sa propre négation.

L'homme - L'homme est créé à l'image et à la res-semblance de Dieu. Gigantesque affirmation du début du Livre de la Genèse1 ! L'homme glorifié aujourd'hui, qui est-il ? Est-ce l'homme païen piégé par le cosmos, le fatum, la cité, les dieux, l'éternel retour... ? N'est-ce pas plutôt l'homme tel qu'en lui-même révélé surhumain par grâce ? L'homme divin. Fils de Dieu. Tellement fils qu'il peut prendre la liberté, justement, en son âge 'adoles-cent', de s'opposer au Père. Libre de courir son aventure. Dans un espace-temps qui rompt les cercles et se libère des idoles, livré au possible à l'infini de la libre entreprise humaine.

L'homme passe l'homme - L'homme est un animal vertical. L'homme n'est pas en continuité avec la nature. Il est en rupture. Il relève d'un autre ordre que les autres vivants de l'univers. L'homme n'est pas enfant naturel de la nature mais fils de Dieu. Créé à l'image et à la ressem-

1 Gen.1,26.

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blance de Dieu. Fils du Père. Fils de la liberté. Fils de la gratuité. Fils de la démesure. Fils d'Agapè. Fils de l'Al-liance.

L'homme divin - L'homme est selon Saint Grégoire de Nazianze un 'zoôn theoumenon', un animal divin. Il existe dans l'appel infini de l'Autre. Dieu le crée en pensant au Christ. L'homme est la révélation de Dieu. La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant, dit saint Irénée. En Christ, Dieu se fait homme pour que l'homme puisse être fait Dieu.

La personne - Alors que l'individu ne représente qu'un sous-multiple intervertible d'une espèce naturelle, la per-sonne est existence unique et irremplaçable, non pas abstraction de l'espèce mais concret absolu. L'individu est donné en clôture dans l'ordre de la nécessité. Il caresse les déterminismes. La personne se donne dans ouverture de l'ordre de la gratuité. Elle surgit en nouvelle autonomie. L'individu consiste comme élément structural d'une masse. La personne ex-siste dans la liberté d'une communion. L'un est définissable, étiquetable. L'autre fait sauter toutes les étiquettes. L'un se répète dans la tautologie naturaliste. L'autre se dit de façon toujours nouvelle. L'individu a telle ou telle valeur. La personne n'a pas de prix. L'un se jauge par rapport à des valeurs préexistantes qui se ramènent finalement à l'utile. L'autre transcende toute utilité et décide elle-même de la valeur. L'un peut devenir objet manipulable. L'autre conteste les clôtures et proteste de sa radicale dissidence. L'individu cherche son point d'équilibre dans la sécurité du `milieu' et trouve son lieu dans l'immanence naturaliste. La personne est ouverture transcendante et se risque à la

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démesure des `extrêmes'. L'un est à lui-même sa propre fin. L'autre a des fins qui la dépassent. L'un simplement `est' et tend vers le plein être. L'autre n'est que dans le dépassement.

Les droits de l'homme - D'où, en effet, peut nous venir l'urgence des `droits de l'homme' sinon de là où règne l'absolue certitude que tout être humain, quelle que soit sa race, sa culture ou sa condition, est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu et né fils ou fille d'un même Père ?

La liberté de conscience - D'où l'homme sait-il que la voix de sa propre conscience droite doit toujours couvrir celle de toute autre autorité, fut-elle du Parti, de l'opinion pub-lique, de l'Etat ou du Pape ?

La démocratie - Où chercher les sources de la `démo-cratie' ? Chez les Grecs ? Mais qu'est cette `démocratie' auto proclamée qui ne fonctionne que par la 'force motri-ce' que représentent 90% d'esclaves. Ne faut-il pas être singulièrement 'païen' pour se sentir à l'aise parmi les 10% restants ?

La laïcité - D'où nous vient la 'laïcité' impensable en toute culture autre que celle issue de l'inter-fécondation avec le christianisme ? Elle n'est pensable et possible que là où sont affirmés des ordres radicalement différents et où peut régner cet impératif: `Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu'.

Historicité - L'histoire commence réellement avec la Bi-ble. Avant elle ou à côté d'elle ce qui a pu s'appeler

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histoire ne pouvait signifier, en fait, qu'une `mémoire du passé' sous forme de chroniques, de chartes ou de traditions. Il était impossible qu'il y eut `histoire' en son vrai sens de `projet historique'. L'histoire ne peut com-mencer réellement qu'avec l'acte créateur de Dieu et son projet sur le monde et sur l'homme. L'histoire humaine ne peut commencer réellement qu'avec le projet humano-divin de l'Alliance.

La liberté - Il n'y a pas de nécessité cosmique ou pré-cosmique. Il n'y a pas de fatalisme astral. Il y a la liberté historique. Le mal est création ex nihilo d'une liberté. C'est le diable qui se fait diable. Il n'y a pas de mal en dehors du péché. Le mal n'est donc pas destin mais mauvais dessein. Le mal n'est pas nécessaire. Si le mal était nécessaire, il aurait sa racine non seulement dans l'ordre nécessaire du créé mais encore dans la cause du créé, à savoir Dieu lui-même. Une nécessité s'imposerait à Dieu ! Or en Dieu il n'y a qu'un projet, c'est celui d'Agapè. L'unique projet de Dieu est le bien.

La foi - La geste d'Abraham commence avec le départ d'Ur en Chaldée. Il quitte une patrie avec sa religion au nom de la foi. La foi n'est qu'à travers la critique de la religion. De toute `religion', spécialement celles de l'ar-gent, celle du pouvoir, celle de l'Etat. L'homme, en effet, est un animal `naturellement' religieux. De fait, dans le monde de l'humain, la `religion' se manifeste à travers une incroyable diversité. Elle est omniprésente même là – et peut-être surtout là – où elle se refoule derrière d'autres étiquettes. Certes, la foi a dialectiquement besoin d'un point d'appui `religieux'. Dans le concret de l'expérience humaine, religion et foi peuvent se rencon-

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trer. Prises en leur 'essence', cependant, joue un rapport dialectique entre deux polarités en grande partie con-traires.

Histoire - L'homme ose s'embarquer dans l'Histoire. As-sumer l'Histoire. Créer l'Histoire. Et par elle se créer lui-même. Paradoxalement non dans l'insistance sur l'être (l'être-passé) mais dans le risque du non-être (le non-encore-être du futur) ouvert à l'autre être. Risquer l'aven-ture...

Histoire ouverte - L'histoire est ouverte. Le temps histo-rique n'est pas prisonnier du cycle naturaliste. L'histoire ne se réduit pas à une 'histoire' simplement `naturelle'. L'histoire est création originale. L'histoire est aventure d'humanisation. Non pas destin mais dessein et destinée. La temporalité historique n'est pas totalisable. L'histoire reste 'croix' de toute philosophie de l'histoire. L'histoire ne peut réellement prendre sens que dans sa tension avec une transhistoire. L'histoire reste mystère. En même temps elle 'donne' sens. Et ce sens se dévoile à l'homme dans la mesure où il s'ouvre sur le dessein de Dieu, et qu'il se fait partenaire d'une Alliance avec `Je suis'.

Démesure - Pour les Grecs, la mesure est un absolu. Elle s'identifie en quelque sorte avec le logos, mesure du cosmos et de l'anthropos. L'hybris, la démesure, ne peut être que péché. Et même péché absolu. En tant que telle elle ne reste pas impunie. Elle porte en elle-même com-me sa justice immanente. Elle `se paye'. Par nécessité. Pour l'Evangile, la mesure n'est que relative. Elle est en dépendance d'un vouloir et d'un `Je' personnel qui se révèle comme 'agapè' avec sa radicale démesure. Toutes

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choses sont par création 'ex nihilo', originellement posées comme 'être' par Agapè. Créée à l'image et à la res-semblance de Dieu, la liberté humaine est béante sur la radicale démesure.

Agapè christique - Le Christ n'est à la mesure de rien. Il est lui-même la mesure de toutes choses. Et en même temps la démesure de toutes choses. Son agapè n'est pas à la mesure d'éros. La miséricorde et le pardon ne sont mesurés par rien d'autre que par eux-mêmes, c'est-à-dire par leur démesure. Le Christ meurt librement. Sa mort n'est pas `nécessaire' pour sauver l'homme. La croix du Christ est la `croix' de toute mesure. Péché et grâce jouent à la démesure d'Agapè.

Le mal - Le mal qui n'est ni dieu, ni monde, ni matière, ni substance. Le mal n'est pas `être'. Il est non-être. Man-que. Absence. Privation. Il ne peut donc exister en soi. En soi le mal est simple corruption. S'il engendre, c'est par l'entremise du bien. En tant que mal, il n'est ni être ni producteur d'être... Les démons eux-mêmes ne sont pas naturellement mauvais, comme l'exprime le Pseudo-Denys. Le mal n'a pas de `nature' ! Rien n'est donc mauvais `naturellement'.

Optimisme radical - Et finalement un optimisme radical, insensé. O felix culpa ! Même du mal Dieu peut faire surgir du bien. Et quel bien ! La Rédemption. La déme-sure d'Agapè est à la démesure du péché. Si le péché n'est pas, la rédemption n'est pas !

Résurrection - Pour le chrétien, la puissance de l'Esprit se moque, comme dit Origène, des grossières spécul-

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ations matérialistes. L'âme n'est pas de soi immortelle. L'homme a été créé mortel, en son corps et en son âme. En même temps il a été créé avec la capacité d'im-mortalité. La résurrection signifie nouveau surgissement radical à travers une rupture. Nouvelle création. Elle signifie aussi rupture de tous les cercles vicieux de la nécessité logique, des lois de la nature, des systèmes, des blocages, de la violence, des déterminismes... Elle signifie ouverture du sens, de l'histoire, de l'avenir... L'immortalité est en continuité. La résurrection est en rupture. L'immortalité laisse mourir le corps pour garantir la survie de l' `âme'. La résurrection fait mourir l'homme tout entier pour le faire ressusciter tout entier. L'immor-talité païenne est par nature. La résurrection chrétienne est par grâce. Eros a horreur de trouver dignes d'éternité les corps voués à la pourriture. Seul Agapè peut dire avec Saint Paul: « On sème de la corruption, il ressuscite de l'incorruption; on sème de l'ignominie, il ressuscite de la gloire; on sème de la faiblesse, il ressuscite de la force; on sème un corps animal, il ressuscite un corps spirituel. »1

1 I Corinthiens.15,42-44.

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7. Traumatisme de naissance

En cet unique espace culturel, par l’irruption de la nouveauté judéo-chrétienne, l’homme a été provoqué, défié, à devenir créateur d’histoire, créateur d’historicité. Le seul espace culturel également où l’angoisse ait profondément pénétré ! Désormais c’est à l’homme d’écrire l’histoire des dieux ! Avec Dieu sans doute. Mais dans un rapport personnel qui laisse responsable l’autonomie humaine et ouvert le risque. Tâche infiniment exaltante mais en même temps infiniment angoissante. La grande peur humaine vaincue en son principe. Mais l'angoisse exacerbée. Les mécanismes de défense bri-sés. Le cercle fatal rompu. L’homme est 'pro'-voqué par l’Autre. Vers l’Autre. L’en-avant de la Terre Promise. A travers la rupture de l’Exode.

L’homme ose s’embarquer dans l’histoire. Assumer l’histoire. Créer l’histoire. Et par elle se créer lui-même. Paradoxalement non dans l’insistance sur l’être mais dans le risque du non-être ouvert à l’autre être. Risquer

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l’aventure. L'humain est projeté hors de lui-même. Hors de ses sécurités. Il lui reste à risquer l'aventure... Il se trouve irrémédiablement embarqué dans l'histoire. Voici que se rompent les ataviques mécanismes de défense contre l'urgence temporelle. Voici qu'il faut affronter l'ancestrale peur humaine devant l'aventure et le risque. Voici que se brise le cercle sécurisant de l'éternel retour. Cela peut être exaltant. Cela ne peut manquer d'être en même temps infiniment angoissant. Désormais l'homme est devenu responsable de son présent et de son avenir ! Et personne n'écrit plus l'histoire à sa place.

L'intelligibilité de l'histoire est identiquement intelligibilité de l'homme. L'humain est ex-posé dans l'histoire. Il est en même temps fils de l'histoire. L'histoire propulse l'homme dans sa liberté. L'histoire est l'espace de son 'é'-ducation, de sa culture, de son exode.

Liberté

Il fallait à cette fondamentale ouverture de la liberté des conditions concrètes de possibilité. Elles seront données, en amont et en aval, au long des cinq derniers millé-naires. Ainsi, par exemple, en passant du système bio-psychique du stade tribal au système astro-biologique du stade impérial, se conquiert un nouvel espace non seulement d’intelligibilité mais de vie. Si ‘pré-scientifique’ soit-il, en effet, le système astro-biologique représente une conquête extraordinaire du possible humain. Désormais il y a identité entre ordre des choses et ordre de la pensée. Désormais l’homme pensant participe activement de l’ordre cosmique. Le monde devient totalité pensée. Les divinités chtoniennes émigrent vers

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le ciel et la source de tout ordre se fait ouranienne. En même temps s’élargit la totalité pensable. L’espace grandit au-delà des horizons visibles. Le même soleil et les mêmes astres brillent pour tous les hommes. L’individu pensant et agissant y prend une place de plus en plus grande.

Et pourtant dans ce système astro-biologique la liberté rencontre encore d’énormes obstacles épistémologiques et pragmatiques. La vérité s’identifie avec la totalité en finitude. L’espace de jeu de l’autonomie personnelle est étroitement circonscrit par le fatum. La liberté n’est qu’en dépendance de l’ordre aussi bien cosmique que social. Elle reste pour ainsi dire insularisée, n’étant encore possible que pour quelques-uns au détriment d’une masse d’esclaves. Mais déjà la liberté se traduira par des gestes sublimes tel celui que rapporte la tradition à propos d’Alexandre le Grand qui, devant son armée mourant de soif dans les déserts d’Orient, renverse dans le sable l’unique casque d’eau dont on veut le gratifier.

La libération de l’authentique liberté restera plus tenacement bloquée dans l’espace oriental où la ’sagesse’ refuse la liberté. La suprême ’liberté’ ne peut coïncider qu’avec la suprême nécessité. Ainsi l’Inde refuse la personnalité individuelle comme une illusion et la pensée comme une aliénation de l’esprit dans le flux temporel. Pourquoi entrer en histoire si cela signifie l’entrée dans un écoulement inconsistant et vain ? Le seul effort valable à travers le temps ne peut être que la suppression du temps. La seule pensée valable ne peut être que celle de supprimer la pensée. Plénitude du vide. Nirvana.

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En Chine, il n’y a qu’un ordre anthropo-cosmique unique, le Tao. Le Tao qui se manifeste au ciel dans le soleil, dit Kouan Tse, se manifeste aussi dans le cœur de l’homme. Cet ordre unique pulse les différences, yin et yang, pour déployer la totalité. L’homme n’est essentiellement qu’en participation à cet ordre. Il y communie par ritualisme cosmique et par ’étiquette’.

L’espace culturel grec reste lui aussi globalement dominé par le ’destin’. Est-il besoin de rappeler ici combien la relecture de notre patrimoine grec, aujourd’hui, risque continuellement de fausser les perspectives, le lecteur et sa possibilité de relecture étant précisément déjà fécon-dés par l’autre judéo-chrétien ? Dans cet espace pourtant est prégnant le système astro-biologique avec son ordre cosmique. L’hybris y est suprême péché. Tout manque-ment à l’ordre se paye très cher. Les dieux eux-mêmes, soumis à la ’moïra’, sont esclaves de la mesure. Les stèles funéraires disent la calme résignation devant l’inévitable. La ’liberté’ n’a longtemps de sens que social. Déjà, pourtant, perce comme une ’autonomie’ nouvelle. Non pas pour tous, certes, mais pour quelques-uns. Héros homériques. ’Persona’ tragique ou comique, encore masque avant de devenir réellement personne. Les arts plastiques immortalisent les traits individuels des personnages. Socrate centre l’essentiel de la philosophie sur le ‘Connais-toi toi-même’. L’homme intériorise comme ’logos’ l’ordre universel. La ’liberté’, cependant, n’a encore de sens que dans l’ordre et pour l’ordre. Socrate saura mourir réconcilié avec le destin. La liberté stoïcien-ne culmine dans l’acceptation de l’ordre des choses.

Oser rompre radicalement le cycle du destin et assumer

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le risque de sa destinée ne deviendra possible qu’avec l’irruption de la subversive nouveauté judéo-chrétienne. L’effet ne sera pas immédiat. Il faudra encore une longue gestation pour que cette nouveauté transforme en profondeur la réalité humaine. Tant jouent massivement les séculaires mécanismes de défense contre l’aventure de la liberté.

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8. La démesure verticale explose à

l'horizontale

L’explosivité judéo-chrétienne ne reste pas indéfiniment contenue. Le fils de la mère grecque revendique pour soi l’héritage paternel. L’homme révélé divin par grâce veut devenir dieu sans le Père. L’homme manifesté divin à travers l’expérience judéo-chrétienne veut poursuivre seul cette expérience sans Dieu.

La judéo-chrétienne démesure, jusque là verticalisée, rompt la ’mesure’ de l’Alliance et, chargée d’une dynami-que qui pourtant lui vient de l’Autre, se reprend en auto-nomie et explose en horizontalité. Alors commence l’aventure de la grande schizoïdie qui boucle le divin possible de l’homme sur lui-même et le déploie, anthro-pocentrique, en son immense caverne d’Utopie. Le fils de la mère païenne revendique pour soi l’héritage paternel. L’homme révélé divin à travers l’expérience judéo-chrétienne veut devenir dieu sans le Père.

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La schizoïdie des filles et des fils de Dieu n’a cessé de nouer sa cohérence dans l’autistique constitution d’un espace de pure immanence.

Vous serez comme des dieux ! L’euphorie occulte alors ce qui un jour, nécessairement, adviendra. C’est écrit: Ils virent qu’ils étaient nus... Les dessous du jeu du Prince de ce monde n’ont probablement jamais été autant soupçonnés qu’en nos jours où cette folle aventure commence à tourner mal.

La naissance de la modernité se fait dans la rupture de l’Alliance. Cela émerge, quasi imperceptible, quelque part autour de l’an 1100. Cela débute par un ‘innocent’ péché contre le Logos, qui, alors, ne peut plus être simplement celui des Grecs. La nominalistique tentation commence par susurrer cette simple question: lorsque tu parles, lorsque tu penses, est-il nécessaire qu’il y ait un garant autre que toi-même pour assurer la consistance fondamentale de ta parole et de ta pensée ?

Ce doute chuchoté se fera clameur, amplifié par les mille échos de la caverne. Cinq siècles plus tard, de ce doute procédera l’affirmation fondatrice – je pense donc je suis – de notre plus récente modernité.

La crise qui commence avec le nominalisme est au fond une crise de l’Alliance. Sans doute quelque chose comme une crise d’adolescence. L'homme révélé divin par grâce veut désormais se savoir divin par lui-même. Le theos doit donc le céder à l’anthropos. Il n’y a plus que l’homme à être détenteur et responsable du sens! En schizoïdie... La philosophie, désormais, ne veut plus

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commencer ailleurs qu'à partir du ‘je’. Je pense, donc je suis. Le fondement ne se trouve plus dans le lien mais dans le point. Le point de départ. EX NIHILO. A partir de rien.

Huit siècles d’histoire seraient à reprendre pour montrer comment, à partir d’innocentes émergences, la déme-sure judéo-chrétienne va courir son aventure en autono-mie. Comment par une série de ruptures de plus en plus audacieuses cette démesure s’horizontalise dans l’imma-nence païenne jusqu’à l’athéisme. Comment toute l’aven-ture de la modernité n’est essentiellement, quant à son énergie et sa fécondité, que la poursuite de l’expérience judéo-chrétienne, mais sans l’Autre, sans Dieu. Com-ment les plus dynamiques des valeurs de notre moder-nité ne sont fondamentalement, malgré les apparences trompeuses, que des valeurs judéo-chrétiennes, mais tournant en ’roue libre’, devenues ’folles’, par-ce que hors de la source de leur sens. Comment c’est chaque fois la plus grande hardiesse contre l’Alliance qui se fait accla-mer sur la scène du monde en se faisant passer pour la plus ’libératrice’. Comment, ce faisant, les ’mauvais rôles’ à jouer incombent quasi fatalement aux tenants de l’Al-liance. Comment la dynamique ’révolutionnaire’ de leur foi leur est ravie, récupérée sans la foi, et même tournée contre eux. Contre l’Alliance. Malice du ’Prince de ce monde’... Ironie de l’histoire... Humour de Dieu...

L’homme divinisé par grâce veut devenir ’dieu’ sans Dieu. Le fils de l’Autre veut devenir fils de soi-même. L’homme divinisé par grâce de JE SUIS clôt sa divinisation sur elle-même et veut devenir Dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu doit mourir pour que l’homme puisse

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être absolument. Cet athéisme-là n’est réellement et radicalement possible qu’à partir de l’expérience judéo-chrétienne. Qui d’autre que l’homme révélé divin, bien plus, révélé ’fils’ de Dieu, peut véritablement vouloir ’tuer’ le Père ?

Etonnante aventure... Et jusqu’en sa crise d’aujourd’hui, un long cycle euphorique.

1100Emergences innocentes

1400Irruption explosive

1600Déploiement euphorique

1750Conquête triomphante

1850Défense militante

1950Béances inquiétantes

Aujourd’huiLes possibles piégés

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Quelques moments significatifs...

La connaissance dans les strictes limites de l’humain et à la mesure de l’homme. La crise nominaliste. Roscelin (1050-1120). Abélard (1079-1142). L’autonomie de la cité des hommes. Les chances du ’bourgeois’ et des métiers. Le mouvement des communes. La ’Magna charta liber-tatum’ de 1215. La raison humaine capable d’embrasser le mystère divin. La Somme théologique. Thomas d’Aquin (1226-1274). La fécondité de l’expérience humai-ne. Roger Bacon (1214-1294). La jubilation euphorique de tous les possibles humains. L’Humanisme de la Renaissance. La puissance humaine devenue conqué-rante. Christophe Colomb et les Indes Occidentales en 1492. La Cité, non plus ’Cité de Dieu’ mais cité de l’homme livrée à elle-même et pour elle-même. Machiavel (1469-1527). Thomas More (1480-1535). Jean Bodin (1530-1596). Campanella (1568-1639). Grotius (1583-1645). L’homme ’infini’ et ses coryphantes du quinzième siècle, Pléthon, Bessarion, Marcile Ficin, Pic de la Mirandole. L’homme micrososme, clé du mystère du monde. Paracelse (1493-1541). Jakob Boehme (1575-1624). L’homme devenant maître de la nature grâce à la science. Giordano Bruni (1548-1600). Kepler (1571-1630). Galilée (1564-1642). La raison humaine toute-puissante. Descartes (1596-1650). Spinoza (1632-1677). Leibniz (1646-1716). Les ’lumières’ humaines se suffisant à elles-mêmes sans la foi. L’Aufklärung. Les ’Philosophes’ du dix-huitième siècle. L’optimisme d’un progrès infini. Les révolutions industrielles. L’ ‘Encyclo-pédie’. Le progressisme scientiste. Le possible de l’hom-me devenant radicalement créateur. Kant (1724-1804). Fichte (1762-1815). Schelling (1775-1854). Hegel (1770-

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1831)...

Déploiement euphorique

La période d’effervescence entre l’âge médiéval et l’âge classique situe le centre de la philosophie partout et ne trouve sa circonférence nulle part. Il s’agit désormais de lui trouver un centre et de lui assigner une circonférence. Le nouvel âge ‘classique’ se propose-t-il autre chose ? Avec très profondément l’intention de ramener ‘à la raison’ la judéo-chrétienne démesure.

Le centre ne peut plus être désormais que le centre décentré du possible de l’homme lui-même. La circon-férence ne peut pas ne pas être la circonférence circon-scriptible du possible de l’homme ‘sur’ lui-même.

Est ainsi centré et circonscrit un espace. Un espace de la raison et de l’expérience. Un espace de l’avoir et du pouvoir. Espace totalisant de la totalisation du pensable et du possible. En système. Multiples.

Le rayon de cette courbure spatialisante pourra être variable d’un système à l’autre. Il y aura désaccord sur les grands axes et sur leur ancrage dans l’absolu. Mais le nouveau consensus s’accorde sur la construction, méthodique, d’un espace total du sens total.

Nouveauté donc. Mais pas unanimité. Au seuil de la modernité systémique le génie judéo-chrétien d’un Pascal perçoit que le centre reste plus ‘partout’ que jamais et la circonférence plus ‘nulle part’ que jamais. Que toujours l’homme crève les bulles. Que l’homme

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passe l’homme. Infiniment.

A ne pas oublier non plus qu’un Descartes est élève de la scolastique et qu’un Leibniz gardera le souci constant de penser la philosophie nouvelle dans le lien avec l’ancien-ne. Et que dire de la vitalité spirituelle d’un christianisme qui surmonte l’ébranlement du schisme ? En suscitant des saints et en rivalisant d’ardeur dans l’enseignement, dans les missions, parmi les malades et les pauvres...

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C.Systémique

Au fond, qu'est une 'bulle' sinon un 'système' qui se boucle sur lui-même ? Pour la comprendre on ne peut faire l'économie d'une intelligibilité systémique. Système, du grec sustèma, veut dire un ensemble, une orga-nisation. Une bulle fonctionne dans la logique d'un système. Elle rassemble dans l'unité une diversité d'éléments en interaction entre eux. Ces éléments se trouvent donc 'englobés' par un 'englobant'. Ils peuvent être à leur tour des systèmes plus petits ou micro-systèmes. Quels que soient ces éléments, l'essentiel est

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leur intégration dans un ensemble et leur fonctionnement comme un tout.

Le critère capital d'appartenance à un système est la frontière entre son 'dedans' et son 'dehors'. Ici, en effet, se joue le décisif entre la clôture et l'ouverture du sys-tème. Avec cette question lancinante: un système peut-il être vivant en se fermant et en se bouclant sur lui-même ?

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1. Intelligibilité systémique

L'esprit questionne. L'esprit comprend. Deux mouve-ments complémentaires de la connaissance. C'est cependant la compréhension qui est le but. Et l'homme n'a de cesse d'élargir le champ de sa compréhension. Ce faisant il ne cesse de créer des bulles. Ainsi se cons-tituent des 'bulles' de compréhension. Celles-ci sont diverses et inégales parmi les humains. Une telle dif-férence est la marque propre de la liberté. Mais chaque bulle particulière se trouve elle-même portée par une bulle plus englobante, plus 'comprenante', intégrée dans une théorie plus générale, située dans un espace mental plus large.

Comprendre – cum-prehendere – c'est rassembler une dispersion, embrasser une diversité, étreindre des diffé-rences. Comprendre, c'est boucler une boucle. Compren-dre c'est concevoir – cum-cipere – nouer un 'concept', former une représentation mentale. Comprendre c’est finalement aller jusqu’aux raisons des raisons pour,

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ultimement, comprendre les compréhensions elles-mêmes. La compréhension, cependant, traverse une explication. Expliquer – ex-plicare – déplier, étaler à plat, enlever les plis, montrer les éléments et les articulations. A travers l'explication, la compréhension doit exclure. Eliminer les apparences, le superflu, les fausses raisons, le redondant, les hypothèses provisoires, etc. Dis-moi ce que tu intègres et ce que tu exclus et je te dirai qui tu es.

La complexité des interactions d'un monde que nous découvrons de plus en plus complexe est telle, aujour-d'hui, qu'elle risque de dérouter l'intelligence. La forêt ne se voit plus. Cachée par une prolifération d'arbres. Embrasser le tout de notre complexité avec ses interac-tions multiples appelle un nouvel outil d'intelligibilité. Cet outil d'intelligibilité s'appelle systémique. Il s'agit de ne pas confondre `systémique' avec `systématique' !

Paradigme de la bulle de savon

Une bulle de savon prend 'naturellement' la forme d'une sphère. Pourquoi ? Parce qu'elle enferme un volume d'air donné dans une surface d'aire minimale. C'est un constat de l'expérience. Ce constat a mis longtemps avant de trouver sa démonstration mathématique en 1882.

La bulle est en fait un film d'eau savonneuse doté d'une certaine élasticité qui s'étire sous la pression interne. Cette pression est obtenue par le souffle, donc en produisant une certaine énergie, si faible soit-elle. Il y a ainsi une pression du gaz contenu dans la bulle légère-ment plus forte que celle de l'atmosphère environnante. Le film d'eau savonneuse s'étire en raison de la tension

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superficielle. Plus l'aire d'un film est importante, plus son énergie potentielle est élevée. Or tout système matériel atteint un équilibre stable lorsque son énergie potentielle est minimale.

Pour passer de l'extérieur à l'intérieur d'une bulle de savon, deux surfaces de changement de milieu sont à traverser. En vertu de la loi de Laplace on déduit la pression à l'intérieur d'une bulle. Elle est donnée par la formule : Pint = Pext + 4σ / R où Pint = pression à l'inté-rieur de la bulle; Pext= pression à l'extérieur de la bulle; σ = tension superficielle; R= rayon de la bulle de savon.

La bulle de savon pousse notre réflexion du côté de la différence. Différence de pression, différence d'état, diffé-rence potentielle. Dans la différence fondamentale entre un intérieur et un extérieur, entre un 'dedans' et un 'de-hors'.

Notre esprit semble plus à l'aise dans le 'dedans' que dans le 'dehors'. Nos réflexes scolastiques ou académi-ques ne trouvent-ils pas leur plaisir à mettre en ordre, à ranger, à classifier, à classer, à étiqueter, à inventorier, à enregistrer, à répertorier, à recenser, à cataloguer, à co-ter, à entretenir, à conserver, à stocker ?

Le rêve sous-jacent de notre modernité (et son illusion) n'est-il pas un 'dedans' absolu sans 'dehors' et sans pos-sible 'dehors' ? L'impossible englobé qui s'englobe lui-même en oubliant l'incontournable englobant...

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Le cristal et le vivant

Le modèle archétypique de l'intelligibilité de la structure est le cristal dans sa géométrie chimique. Celui du sys-tème est le vivant en interaction avec l'ensemble de la vie, avec l'ensemble de son écosystème. La `structure' est immédiatement intelligible en elle-même, on pourrait dire en sa clôture. Le `système', lui, prend son intelligi-bilité dans son fonctionnement dynamiquement interactif, sous le signe de l'ouvert. L'approche systémique se caractérise par la saisie organique d'ensembles en tant qu'ensembles en interaction.

Un système vivant est une ‘structure’ qui ne peut fonctionner qu’en étant essentiellement ouverte sur des échanges. Elle ne survit qu’avec portes et fenêtres. C’est-à-dire avec des entrées et des sorties.

Penser seulement ‘structure’ reste en marge de l'intel-ligence des réalités vivantes. Pour comprendre celle-ci il faut penser ‘système’, et plus spécialement ‘système vivant'. Une ‘structure’, celle du cristal par exemple, tient dans la clôture de sa géométrie chimique. Un ‘système vivant’, par contre, ne survit que dans l’ouvert. Ici les ‘contenus’ ne sont pas des ‘choses’ isolables. Ce sont des réalités vivantes. Organiques. En interdépendance. En inter-réaction. En interrelation. Impossible de soigner un organe sans soigner le corps tout entier et, surtout, sans soigner l’environnement de ce corps.

Le spécifique humain ‘fonctionne’, comme tout ce qui est vivant, dans la logique des systèmes ouverts, entre une source chaude et un puits froid. Source chaude de

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l’énergie spirituelle. Puits froid de la béance de l’humain. Entre les deux, une grande différence. Ou une grande indifférence ! Le fonctionnement appelle également des accumulateurs d’énergie spirituelle qui peuvent être bien chargés ou bien à plat... Le fonctionnement de l'humain peut être considéré comme systémique à l'image de n'importe quel système organique vivant. Il fonctionne selon le paradigme de tout `système' doué d'une entrée, d'une sortie et d'une fonction, en interaction avec d'autres systèmes englobés ou englobants. Avec des frontières qui marquent vitalement la différence entre un 'dedans' et un 'dehors', entre une 'clôture' et une 'ouverture'.

Pourquoi une approche systémique ?

La réponse est simple: pour comprendre une 'bulle' sans devoir comprendre toutes ses articulations internes, pour pouvoir comprendre le tout sans nécessairement devoir comprendre l'impossible détail des parties. Celles-ci sont en effet infinies, et, partant, demandent une infinité de spécialistes sur fond d'infini débat. Si bien qu'à la limite le monde peut partir en quenouille avant d'entrevoir le dé-but d'une possible compréhension. Pour que les arbres ne cachent pas la forêt, pour que les mondes ne cachent pas le monde, le recours à la systémique devient incon-tournable. Une telle approche est d’une extraordinaire fécondité puisqu’elle permet de comprendre le tout sans nécessairement devoir comprendre la multiplicité des éléments de ce tout. L’intelligibilité, en effet, vient du ‘con-tenant’. Ici l’intelligence du tout ‘englobant’ précède et conditionne celle de la partie 'englobée’.

L'approche systémique ne porte pas sur les contenus

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mais sur le contenant, à savoir un espace dynamique avec ses entrées et ses sorties. Cette approche est d'une extraordinaire fécondité. Elle est centrée sur le `tout'. Ici l'intelligence du tout précède et conditionne celle de la partie. L'intelligence de l'englobant précède et condition-ne celle de l'englobé. Les parties se comprennent dans et à partir de ce tout. On peut donc comprendre le tout sans nécessairement comprendre les éléments de ce tout. Il est ainsi possible de mettre entre parenthèses les 'contenus'. C'est le `contenant' qui donne l'intelligibilité.

Une approche systémique va contre des dérives qui risquent d'être aujourd'hui encore plus fallacieuses. Pre-mièrement, la dérive idéologique qui fait fi du 'réel' pour se complaire dans des constructions 'idéelles' garantes d'euphories émotionnelles. Deuxièmement, ce qu'on peut appeler la 'philosophie du boutiquier', c'est-à-dire un posi-tivisme de la bulle ou de la boutique qui gère les ingré-dients tenus en stock comme si eux seuls importaient et se suffisaient, en considérant tout le reste en fonction des calculs de cette gestion. Enfin, sur le plan d'une praxis, sans l'approche systémique, une réelle stratégie est im-possible; il reste seulement une prolifération d'éphémè-res tactiques.

Il s'agit d'une nouvelle façon de penser et d'agir qui se déploie dans un nouvel espace épistémologique et prag-matique. En rupture d'une certaine façon avec Descartes. Mais sans faire l'économie de l'analyse cartésienne, sans laquelle elle serait impossible. Il s'agit plutôt du dépas-sement dialectique d'une intelligibilité trop unidimension-nelle. Revanche du tout sur la partie et du tout orga-niquement interactif sur le tout structural. Revanche du

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vivant sur la mécanique. De tout le vivant non seulement biologique mais aussi économique, politique, social, culturel...

Ouvert

Le système en tant que système n’est clos qu’à la limite. Limite inférieure de la simple structure. Limite supérieure de la totalité. Entre les deux, c’est l’ouverture qui carac-térise le système. Un système n’est clos que dans son ‘isolement’, dans son insularité factice d’abstraction. Mal toujours nécessaire puisque pour pouvoir être étudié et compris, ‘un’ système, quel que soit son niveau d’inté-gration dans la totalité systémique et son degré de pos-sible relative autonomie, doit être abstrait de cette totalité et considéré en lui-même, pour ainsi dire dans sa ‘clôtu-re’. L’intelligibilité d’un système passe nécessairement par là et, partant, exige un supplément d’intelligence qui commande de faire en même temps abstraction de cette méthodologique ‘clôture’.

Cette essentielle ouverture ne se nie que sous peine de mort. Un système peut certes fonctionner en clôture. Mais seulement pour un temps. Toute autonomie est ici fonction de réserves disponibles. Un système ne peut se fermer que s’il a des réservoirs garnis et des possibilités de recyclage interne de ses déchets.

Englobant et englobé

On voudrait commencer pas comprendre au plus près, au centre ou au point de départ... La compréhension commence au plus loin. Au commencement de la com-

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préhension ne sont pas les 'longues chaînes de raisons' mais une totalité holistique. Comprendre, c'est boucler les boucles, 'englober'. Ma compréhension est toujours 'englobante'. La vérité se joue moins au 'dedans' qu'aux limites.

L'argument ontologique, par exemple, est ici révélateur. Il prend un sens radicalement différent chez saint Anselme et chez Descartes. La pensée d' Anselme procède dans la totalité de l'englobant. Descartes part d'un point en-globé. Typique de ce renversement schizoïde où le point de départ est nécessairement 'dans' la bulle.

Déjà ma compréhension (englobante) est englobée. Déjà ma compréhension est comprise. Le plein crie famine. "Il manque quelque chose". La boucle ne se boucle pas. La bulle n'est pas auto-suffisante. Elle reste béante. Gödel décèle cette 'incomplétude' au coeur de ce que nous prenons pour le plus massivement logique, à savoir les mathématiques.

L'approche systémique du réel nous met en garde contre les 'totalités' qui risquent toujours de n'être que des tota-lisations de nos limites.

Emboîtement des systèmes

La vie et partant le système vivant est en interrelation maximale. Impossible de soigner un organe sans soigner le corps tout entier sans soigner l’environnement de ce corps de et, de proche en proche, son emboîtement interactif avec l’ensemble de la vie, avec l’ensemble de la ‘nature’, avec l’ensemble de l’écosystème.

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A chaque niveau systémique, il y a ainsi une entrée et une sortie en liaison interactive avec les entrées et les sorties des autres systèmes, englobés et englobants, pour l'incessant échange des flux d'alimentation, d'élimi-nation, d'information, de régulation, de programmation...

Le système ne renvoie pas à la partie élémentaire. Le système renvoie au système. Entre le plus petit micro-système possible et la totalité du macro-système cosmi-que, ‘un’ système est chaque fois un ensemble qui fonctionne à partir d’autres ensembles dans un plus grand ensemble. Ainsi la nature: une solidarité de systè-mes enchevêtrés, un tout poly-systémique.

Chaque système est en interaction avec d’autres systèmes Le tout fonctionnant dans un plus grand système englobant. Du plus simple jusqu’au plus comple-xe, du plus élémentaire jusqu’à son extrême englobant, les systèmes s’emboîtent interactivement. Chaque sour-ce chaude partielle participant de la source chaude plus englobante. Il en va de même avec les puits froids.

Les différents systèmes s’emboîtent, chaque fois intégrés dans un système plus englobant et, à leur tour, englobant un sub-système en leur dépendance. Chaque système accapare des flux positifs et rejette des flux négatifs, et cela dans l’espace de son système englobant. Un sys-tème englobé ne survit et a fortiori ne grandit que si son solde énergétique global est positif. Cela ne peut se faire qu’au détriment de son système englobant. Celui-ci, à son tour, ne survit que sur le compte du système qui l’englobe lui-même. Et ainsi de suite.

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Dans l'emboîtement hiérarchique de multiples systèmes, la fonction du système `englobé' se détermine chaque fois par la fonction du système plus `englobant'. Ainsi, par exemple, la fonction d'une usine d'automobiles est de produire des voitures vendables. Un tel système régit une multitude d'autres systèmes subordonnés, dont la fonction est de produire des pneumatiques, des projets, des circuits électroniques, des études de nouveaux modèles, des culasses de moteurs, etc. Mais cette usine est elle-même en interaction avec d'autres systèmes, encore plus `englobants', comme le marché international, la mentalité des humains face à l'automobile, la pro-duction énergétique, etc.

Intelligibilité du complexe

L'approche systémique tient nécessairement compte de la complexité des interactions, c'est-à-dire de la grande multiplicité et de la grande variété des éléments, des liaisons, des interactions non linéaires et de l'organisation en niveaux hiérarchiquement intégrés. Loin de réduire la complexité, la systémique la conserve. Elle intègre par différenciation plutôt que par identification. Elle privilégie les systèmes complexes ouverts. Elle ne s'occupe pas d'une seule variable à la fois mais prend en compte des ensembles de variables simultanément. Sa compréhen-sion est pluridisciplinaire. Son approche est holistique. Son point de départ est un tout. La partie n'est pas iso-lable mais joue en interaction avec ce tout qui explique les parties.

Pour l'intelligence systémique, les buts sont plus importants que les détails. La fonction l'emporte sur la

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structure. Plus essentiels que les forces sont les flux et spécialement le flux des informations. D'où le rôle essentiel des entrées, des sorties et des vannes. Les effets sont plus pertinents que les interactions. L'équilibre dynamique prime sur la stabilité statique. L'énergie de commande l'emporte sur l'énergie de puissance. Le temps prend plus d'importance que l'espace. La causalité n'est pas linéaire mais circulaire: dans la réciprocité des échanges, elle procède par boucles. L'indéterminisme et même le désordre ne sont pas exclus a priori. L'impré-visible, le non reproductible et l'irréversible ne font pas peur, de même que la différence et le conflit.

Un ensemble interactif de micro-systèmes bouclés les uns sur les autres peut former un système plus complexe. Il n'y a théoriquement pas de limite à la com-plexification. Chacune des trois `ouvertures' d'un système peut se brancher sur celles du système voisin, et ainsi de suite, de proche en proche, d'unité systémique minimale vers la plus grande unité systémique souhaitée. Avec deux transistors on peut construire une `cellule' de mémoire. Quatre transistors suffisent pour construire une 'porte' logique, c'est-à-dire un microsystème capable de réaliser une des différentes fonctions logiques élémen-taires. Des millions de ces `cellules' et de ces `portes', reliées entre elles en fonction d'une organisation spéci-fique et déterminée par le concepteur, peuvent former un ordinateur ou tout autre machine cybernétique.

L'analyse `abstrait' inévitablement un système de ses interconnexions. Dans la réalité, cependant, l'entrée et la sortie d'un système réel ne sont jamais `en l'air', mais en liaison interactive avec les entrées et les sorties des

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autres systèmes, englobés et englobants. Les sorties et les entrées des différents sub-systèmes sont intercon-nectées pour l'incessant échange des flux. Selon la très grande complexité interactive dans l'emboîtement des systèmes. Toute une combinatoire systémique avec l'infinie possibilité d'interconnexions et d'interactions inter systémiques.

Et pourtant, dans le tissu inter systémique, à l'intérieur de ces réseaux interactifs, chaque système constitue une spécificité et fonctionne avec une relative autonomie comme un nœud, une totalité, une unité, un `autos' soi-même... Car tout en étant en interrelation et en interaction avec d'autres systèmes, tout en étant bouclé sur d'autres systèmes, un système se boucle aussi lui-même. Mais toute autonomie est fonction de réserves disponibles. Et les disponibilités ici doivent être aussi diverses que les flux de matière, d'énergie, d'information, en interaction dans le système.

Boîte noire

Le système en lui-même avec son fonctionnement inter-ne et toute la complexité de ses articulations peut, en effet, être considéré comme une `boîte noire'. Le terme dit sa `mystérieuse' complexité. Il dit aussi que cette `boîte' peut rester obscure sans pour autant empêcher l'intelligence de ce qu'elle est globalement et de ce qu'elle signifie profondément. Ce qui, par contre, ne peut absolument pas rester obscur, c'est la connaissance précise de sa fonction, des entrées et des sorties.

Méthodologiquement, chaque système, quelle que soit

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sa complexité, sa taille ou sa situation au milieu d'autres système, fonctionne, en tant que système, de façon iden-tique. Il suffit donc de connaître le fonctionnement d'un quelconque système pour les comprendre tous. N'impor-te quel système peut donc être pris comme 'modèle'. Dès lors il ne faut pas avoir peur d’analyser le phénomène humain à l’aide de concepts comme ‘systémique’, ‘en-globé/englobant’, ‘emboîtement des systèmes’, ‘source chaude/source froide’, ‘flux’, ‘entrées’, ‘sorties’, ‘réser-ves’, ‘accumulateurs’, ‘écosystème’, ‘interactivité’, ‘dégra-dation de l’énergie’, ‘entropie’, ‘néguentropie’, etc. Dès lors deviennent quasi naturelles les expressions comme: ‘source chaude de signifiants’, ‘accumulateurs séman-tiques’, ‘réservoirs d’énergie spirituelle’, ‘asphyxie spiri-tuelle’, ‘écosystème du sens’...

La compréhension passe par un `modèle'. L'intelligibilité 'systémique' fonctionne par modélisation. On commence par avoir recours au modèle de fonctionnement qu’est la ‘machine’. Seulement il s’agit ici d’une machine non-mécaniste. Une autre machine. Une machine de type cybernétique avec ses interactions auto-gouvernées. N'importe quel système peut donc être pris comme 'modèle'. Le modèle cybernétique trouve cependant sa particulière pertinence. Il s'agit encore d'une 'machine', seulement cette machine est différente, non mécaniste. Elle fonctionne avec des interactions auto-gouvernées.

Système

L'atome de structure d’un système peut être considéré comme un micro-système non bouclé. Sa plus simple expression est celle d’une ‘vanne’ électronique, un tran-

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sistor, par exemple. Il a trois portes: une entrée, une sor-tie et une ligne de commande. On applique une grandeur physique à l’entrée. Une autre grandeur physique appa-raît à la sortie en fonction de la grandeur physique ap-pliquée. Entrée, sortie et ligne de commande sont donc comme trois portes qui ouvrent le système sur un ‘extérieur’.

Du plus simple microsystème au plus complexe des macrosystèmes, et quel que soit son degré d'emboîte-ment systémique, c'est la fonction qui caractérise un système. Et ces fonctions peuvent être d'une incroyable diversité.

Ce qui d’un ensemble fait fondamentalement un systè-me, c’est son organisation. Le système ne se comprend pas à partir de ses éléments constitutifs, ni des liaisons entre ces éléments, ni même des interactions entre ces liaisons, mais essentiellement en fonction de ses spécificités organisationnelles. C’est en tant qu’organisé, et en tant qu’organisé seulement, que le système est rebelle à la réduction en ses éléments et transcende la juxtaposition quantitative de la multiplicité et de la diversité qui le compose. Dans cette unité complexe organisée le tout est toujours plus que la somme des parties, l’organisation leur conférant en quelque sorte un supplément d’être, de fonctionnement et d’action incom-mensurable aux parties seules. Mais déjà la partie y est plus que la partie. Le tout organisé est émergence nouvelle.

C'est le programme qui représente la fonction complexe du système. Un flux, qu'il soit matériel, énergétique ou

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informationnel, entre dans le système, subit une trans-formation commandée par la fonction et se trouve ainsi transformé à la sortie. La nature, la forme, la quantité de l'entrée et de la sortie dépendent de la complexité du système et de la nature, de la forme ou de la variété des flux. La valeur 'fonction' implique toujours l'équivalent d'un programme dont la complexité dépend de la com-plexité de la fonction elle-même. Ce programme peut être invariable et le système est alors considéré comme programmé. Il peut aussi être variable selon les néces-sités du moment et lui venir chaque fois du dehors, par une des entrées. Le système est alors dit programmable.

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2. L'énergie

L'intelligibilité de la structure et du fonctionnement d'une 'bulle' est de nature systémique. La bulle d'humanité ne fait pas exception. Tout en soulignant avec Pascal la distance infinie de l’ordre des corps à celui des esprits, il faut en même temps ne pas oublier le lien de parenté analogique entre les différents ordres de la création. Dans le grand ‘oïkos’ de la totalité, 'distance’ ne peut pas vouloir signifier hétérogénéité absolue. La maison de la Création n’est pas divisée. Dans la fondamentale unité du domicile de la création, même les réalités spirituelles ne doivent donc pas ‘fonctionner’ de façon radicalement différente des réalités matérielles complexes. Et ce fonctionnement est systémique.

Le plus parfait des systèmes ne fonctionne pas sans énergie. Le système de l'humain — le système vivant d'humanité — moins que tout autre. Se pose dès lors la question: de quelle énergie s'agit-il ? Qu'est-ce qui fait fondamentalement 'marcher' l'humain ? Derrière la multi-plicité et la variété des ressources énergétiques de l'humain ne faut-il pas postuler une dynamique fonda-mentale qui donne énergie à toutes les autres énergies ?

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Une originaire énergie spirituelle. On l'appellera aussi bien le 'souffle'.

Différence de potentiel

L'énergie ne peut pas être par génération spontanée. Le 'mouvement perpétuel' est impossible. Les principes de la thermodynamique sont en effet incontournables. Il n'y a pas d'énergie sans différence. L'énergie spirituelle ne fait pas exception. L’énergie spirituelle est fille de la diffé-rence. Elle fonctionne comme toute énergie physique sur une différence de potentiel. Elle fonctionne entre une source chaude et un puits froid.

Sans la différence il n'est pas d'énergie. Une grande philosophie, par exemple, est celle dont les concepts essentiels fonctionnent sur une différence de potentiel importante. Il en va de même pour les religions, les systèmes de salut, les projets politiques, etc. La source chaude se situe face au puits froid comme le plein face au vide, le haut face au bas, le positif face au négatif. Elle est de l’ordre de la néguentropie face à l’entropie. En fait il s’agit de concepts dialectiquement antithétiques. La source chaude n’est qu’en face d’un puits froid. Le puits froid n’est qu’en face d’une source chaude. Ce qu’est concrètement la source chaude et le puits froid de l’énergie spirituelle de l’humain et comment joue le face-à-face de l’entropie et de la néguentropie se dévoilera progressivement au cours de notre démarche.

Une grande pensée est celle dont les concepts essen-tiels s'articulent sur une différence de potentiel impor-tante. Le souffle spirituel 'fonctionne' comme toute réalité

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énergétique entre une source chaude et un puits froid. Sa dynamique est fonction de cette différence de poten-tiel. Les raisons profondes de sa vie et de sa mort sont de l’ordre de l’entropie et de la néguentropie. Le para-digme thermodynamique les met en lumière.

Un système vivant ne peut fonctionner qu’en étant ouvert sur des échanges. Il ne survit qu’avec portes et fenêtres, c’est-à-dire avec des entrées et des sorties. Les grandes entrées et les grandes sorties, celles qui ‘branchent’ un système sur ses flux vitaux d’énergie, de matière et d’information, peuvent s’appeler ‘source chaude’ et ‘puits froid’. Il ne peut y avoir de dynamique systémique que s’il existe entre source chaude et puits froid une différence de potentiel.

Source chaude et puits froid se déterminent concrète-ment à travers l’analyse de chaque système énergétique. En fait il s’agit de concepts dialectiquement antithétiques relatifs l’un à l’autre. La source chaude n’est qu’en face d’un puits froid. Le puits froid n’est qu’en face d’une source chaude. La source chaude se situe face au puits froid comme le plein face au vide, le haut face au bas, le positif face au négatif. Il s'agit de la différence entre deux niveaux énergétiques, l’ignorance, par exemple, et le savoir. Comme le 'plus' (+) et le 'moins' (-) d'une pile électrique, le 'haut' et le 'bas' d'une chute d'eau ou en-core le 'chaud' et le 'froid' d'un moteur thermique.

Un exemple suffit ici pour saisir ce que veut dire concrètement 'source chaude' et 'puits froid' de l'énergie spirituelle. Dans un espace culturel comme celui du bouddhisme, le puits froid de l'existence humaine peut

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être identifiée au 'karma', cet enchaînement au cycle fatal des réincarnations, Face à cet entropique destin se situe alors la source chaude de l'illumination qui urge la libération.

Face au puits froid, le surplombant en quelque sorte, se tient la source chaude de nos énergies spirituelles. Ses manifestations sont elles aussi infinies. La foi. La certi-tude. La lucidité. La joie. L'espérance. La paix. Agapè. La générosité. L'inspiration. La conversion. L'enthousias-me... Cette source chaude peut-elle être ultimement ailleurs qu'en Dieu ? Tu peux certes vivre en ignorant ta source chaude. Elle, elle ne t'ignore pas. Sous peine de mort !

La source chaude est là où est l'éternelle jeunesse de l'esprit, l'exigence de sens et de vérité, l'appel de lumière, l'inlassable provocation vers plus loin et plus haut. Le puits froid est du côté de la dépression, de l'asthénie, de la fatigue, de la paresse, de l'indifférence, de l'ignorance crasse, de l'abrutissement, des démissions... Le ques-tionnement face à l'ignorance, l'intelligence face à la bêtise, le certitude face au doute, la clarté face à la con-fusion, la raison face aux incohérences, le sens face à l'absurde...

Le puits froid de notre souffle mine en quelque sorte, en permanence, nos énergies spirituelles. Il est omnipré-sent. Lassitude. Vieillissement. Doute, Oubli. Routine... Et mille autres encore, sans oublier les péchés capitaux qui monnayent en quelque sorte le péché du monde. Orgueil. Envie. Colère. Avarice. Luxure. Intempérance. Paresse...

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Un système, quel que soit son niveau d’intégration, ne survit qu’ouvert sur sa source chaude et son puits froid énergétiques. Un système clos, où l’énergie serait obli-gée de se trouver ou de se recycler pour ainsi dire en ‘vase clos’, tend vers un équilibre thermique – une in-différence – qui signifie sa mort. Cette dégradation s’ap-pelle ‘entropie’. Les raisons profondes de sa vie et de sa mort sont de l’ordre de l’entropie et de la néguentropie.

Dis-moi ton puits froid et je te dirai la force qui t’habite. Le puits froid du souffle n’est pas ‘négatif’ de façon absolue. Que serait la vie de l’esprit, par exemple, s’il n’y avait pas de questions ? Et que serait une question qui ne repo-serait pas sur un vide, en l’occurrence un vide de savoir, une ignorance ? La dynamique de la recherche et de la connaissance ont autant besoin d’un vide que d’un plein. Il n’en va pas autrement avec le moteur de l’action humaine qui ne tournerait pas sans le désir. Mais qu’est fondamentalement le désir sinon un manque qui appelle un plein ? Mais tous les envers du monde n'appellent-ils pas à leur manière et ne provoquent-ils pas l'esprit ?

Aucun système ne peut fonctionner avec des accumulateurs à plat

Le 'système' humain moins que tout autre. Les réservoirs d'énergie spirituelle prennent une importance capitale dans le fonctionnement `systémique' du Souffle, entre Source chaude et Puits froid. Même si la Source chaude venait à perdre de son énergie, le moteur peut continuer à tourner, au moins durant un certain temps. A condition que les réservoirs ne soient pas vides. Les sources sont rarement spectaculaires et les conduits le plus souvent

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souterrains. Les choses essentielles pour notre survie ne prennent réellement de l'importance à nos yeux que le jour où elles se font rares et menacent de manquer. Il n'est pas sûr que ce jour ne tarde... L'urgence se fait criante de nous préoccuper des authentiques ressources d'humanité. Il s'agit de retrouver nos sources et de recharger nos capacités. Disposer d'assez d'authentique humanité `en réserve' pour faire face aux désespéran-ces.

Les réservoirs de la dynamique

La biosphère fonctionne en interaction avec les grands réservoirs dynamiques que sont l'atmosphère, l'hydro-sphère et la lithosphère. La noosphère, elle aussi, a besoin de réservoirs pour fonctionner.

Les réservoirs de la dynamique spirituelle: éducation, culture, coutumes, langues, formation, mémoire, appren-tissage, expérience, méthode, savoir, monuments, savoir-faire, sages, héros, modèles, paysages, saints, rencontres, souvenirs, traditions, réflexes, contacts, œuvres, etc. Ces réservoirs constituent l'acquis de la ‘culture’, la culture au sens le plus pertinent du terme c’est-à-dire ce qui est labouré et ensemencé en vue de moissons futures.

Toute culture, collective ou personnelle, accumule des réserves de sens – des réserves d’esprit – sous des formes très diverses et complémentaires. Il suffit d'en évoquer ici quelques-unes. Ainsi la masse des `coutu-mes' et des `traditions' d'une famille ou d'un peuple. Les `valeurs' transmises de génération en génération. Les

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'monuments' laissés par l'histoire. Les `modèles' d'action et de comportement. Les `pourvoyeurs de sens' que sont les `sages', les `héros' ou les `saints'. Les `œuvres' d'art et leur rayonnement esthétique. Les `paysages' qui inspirent...

Nos audaces d’aujourd’hui fonctionneraient-ils sans le formidable capital constitué au cours des siècles ? C’est parce que ses réservoirs d’énergie spirituelle et de ressources d’humanité ne sont pas vides et restent malgré tout encore ‘branchés’ sur la source chaude que l’humain est capable de traverser sans mourir des espaces désertiques où le sens s’étiole et où l’absurde prolifère. Mais si les réserves s’épuisent ?

Même l'absurde le plus radical, aujourd'hui, ne succombe pas à sa propre logique parce que ne sont pas encore à plat les puissants accumulateurs d'énergie sémantique. Elle ne peut que vouloir refouler ce sans quoi elle ne pourrait survivre et qui, pourtant, contredit si diamétra-lement ses présupposés. Car nos audaces d'aujourd'hui ne fonctionneraient pas sans cette formidable réserve de sens, véritable capital d'énergie spirituelle constitué au cours des siècles d'intense vie spirituelle de l'histoire occidentale. Constitué notamment durant ces longues périodes que nous avions crues obscures et qui étaient en fait les hivers écologiques où, imperceptiblement, sûrement, germaient les moissons à venir. Ce n'est que pour un temps seulement que le système peut ainsi se donner l'illusion de tourner quand même. Parce que les élans se prolongent par inertie cinétique. Parce que les réservoirs ne sont pas encore vides!

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La méconnaissance de l'importance des réservoirs d'énergie spirituelle peut entretenir de fallacieuses illusions. Celle, entre autres, de croire à une 'génération spontanée' du souffle là où c'est en fait l'énergie 'accu-mulée', peut-être durant de longs siècles précédents, qui continue d'alimenter la différence de potentiel et d'em-pêcher ainsi – pour combien de temps ? – l'asphyxie.

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3. Mortelle indifférence

Pourquoi l'énergie spirituelle meurt-elle ? La réponse est obvie. Elle meurt lorsque son potentiel énergétique se dégrade par manque de différence de potentiel. Très concrètement, lorsque les défis ne sont plus relevés. La dynamique de la recherche et de la connaissance ont autant besoin d’un vide que d’un plein. Il n’en va pas autrement avec le moteur de l’action humaine qui ne tournerait pas sans les manques que provoque le désir.

Sans différence, sans différence de potentiel, l'énergie atteint son point zéro. Et partant notre mortalité. Cette loi se vérifie à tous les niveaux de l'humain, depuis le plus matériel jusqu'au plus spirituel. Pourtant, n'est-ce pas vers l'in-différence que nous tendons sous ses mille formes du pacifisme, de la tolérance, de la fraternisation ou de la non-violence ? Jusqu'au kitsch, parfois, du `tout le monde, il est beau, tout le monde il est gentil'...

Cependant que deviendrait notre monde sans les grandes différences entre bien et mal, entre erreur et vérité, entre Dieu et Néant, entre sacré et profane, entre ciel et terre, entre juste et injuste, entre sens et non-sens,

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entre besoin et création, entre relatif et absolu, entre immanence et transcendance, entre réel et idéal, entre ce qui est et ce qui doit être, entre liberté et oppression, entre péché et grâce... ?

Entropie

Pourquoi le ‘mouvement perpétuel’ est-il impossible ? Pourquoi un système ne peut-il fonctionner indéfiniment dans sa clôture ? En 1850, Carnot et Clausius ont énoncé le second principe de la thermodynamique. Depuis nous savons que toute énergie est soumise à son inexorable dégradation. En prenant forme calorifique – passage obligé de toute énergie qui se fait ‘utile’ – l’éner-gie ne peut plus jamais revenir en sa forme première. Elle perd une partie de sa capacité d’effectuer du travail. Cette dégradation est irréversible. Cela veut dire concrè-tement qu’un système clos, où l’énergie est obligée de se recycler pour ainsi dire en ‘vase clos’, tend vers un équi-libre thermique qui signifie sa mort. Cette dégradation s’appelle ‘entropie’.

L’entropie affecte le temps d’un indice de dégradation, de dispersion et de mort. Tout effort de création et de développement se paye en entropie. Aucun système ne peut se régénérer dans sa clôture. L’ensemble de notre univers considéré comme un super-système clos va progressivement se désorganisant jusqu’à sa mort inéluctable. Clausius l’étendra à l’ensemble de l’univers considéré comme un super-système clos qui va, progres-sivement, se désorganisant jusqu’à sa mort inéluctable.

Le principe de la dégradation de l’énergie se généralise

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très vite en principe de dégradation de l’ordre. En 1877, Boltzmann montre que la chaleur n’est en fait que l’énergie propre aux mouvements désordonnés des molécules au sein d’un système. Un accroissement de chaleur signifie un accroissement d’agitation désordon-née. C’est le désordre qui caractérise la forme calorifique de l’énergie et explique la dégradation de son aptitude au travail. L’entropie s’identifie dès lors au désordre. Elle est dégradation de l’ordre.

En termes de probabilité statistique, les configurations moléculaires sont d’autant plus probables qu’elles sont plus désordonnées et d’autant moins probables qu’elles sont plus ordonnées. Le désordre, la désorganisation, l’entropie, s’identifient avec la plus grande probabilité physique pour un système clos. L’ordre est non seule-ment dégradable mais improbable ! A l’opposé de la science classique, l’ordre est devenu problématique.

Néguentropie

L’entropie est ‘naturelle’ descente. N’y a-t-il pas de ‘remontée’ ? Pour désigner une telle contrepartie de l’en-tropie on a forgé le concept de ‘néguentropie’. Celle-ci, cependant, contrairement à l’entropie, ne va pas de soi. Elle est tâche laborieuse.

Comment vaincre l’entropie ? La savant Maxwell invente pour cela un ‘démon’. Soit un récipient dans lequel règne l’équilibre thermique, c’est-à-dire l’entropie maximale. Il faut diviser ce récipient en deux parties, appelées respectivement ‘chaude’ et ‘froide’, grâce à une sépara-tion étanche munie seulement d’un clapet. Le démon doit

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surveiller l’agitation au hasard des molécules et ouvrir chaque fois le clapet pour laisser passer dans la partie ‘chaude’ une molécule rapide qui se présenterait du côté ‘froid’ et pousser dans la partie ‘froide’ une molécule lente qui se présente du côté ‘chaud’. Peu à peu toutes les molécules lentes se trouvent dans la partie ‘froide’ et toutes les molécules rapides, dans la partie ‘chaude’.

Rétablir une telle différence de potentiel signifierait incontestablement la victoire sur l'entropie. Mais quel serait le prix d'un tel travail ? En vertu du second principe de la thermodynamique la dépense d'énergie nécessaire serait supérieure à celle qu'on gagnerait! En fait, pour produire de la néguentropie à l'intérieur du système clos que constitue le récipient, le démon crée nécessairement de l'entropie en-dehors de lui, c'est-à-dire dans l'en-semble du système environnant. Le système récipient-démon-environnement ne peut pas ne pas sacrifier à l'entropie. Imaginons cependant ce démon infatigable et d'un dévouement sans limite. Soit. Seulement l'existence même d'un tel être est d'une extrême improbabilité!

La bulle humaine peut-elle fonctionner en clôture ?

Le système humain peut-il se donner à soi-même sa source chaude ? Par quel miracle l'esprit bouclé sur lui-même ne succomberait-il pas à son entropie ? Aucun système ne peut se régénérer dans sa clôture. L’en-semble de notre univers considéré comme un super-système clos va progressivement se désorganisant jusqu’à sa mort inéluctable.

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Ainsi en va-t-il du sens. Jusqu'à aujourd'hui nous ne savions pas son absence mortelle. Nous vivions incon-sciemment dans sa surabondance. Nous le produisions tout naturellement plus que nous ne le consommions. Nos réservoirs en débordaient.

Nous faisons de plus en plus l’expérience d’un impos-sible. Non pas pour des raisons idéologiques. Non pas pour des raisons épistémologiques. Mais pour des raisons physiques. L’expérience physique donc d’un impossible. Toutes nos euphories du ‘progrès’ se voient piégées. Puisque voilà ébranlé leur commun fondement. Puisque voilà coincé le système d’outilité exponentielle. Coincé dans la finitude incompressible de l’écosystème.

Il est sensé fonctionner dans un espace aux possibilités infinies. Comment ne croîtrait-il pas infiniment, ce système exponentiel du possible de l’homme ? Qu’est-ce qui pourrait arrêter son expansion ? Il est impensable qu’une limite quelle qu’elle soit menace un jour de le contenir. Impensable... Donc impossible ? Illusion typique de l'homme schizoïde qui oublie sa finitude et prend ses limites pour mesure de tout le possible.

Toutes ces cultures fonctionnent en homéostasie avec l'écosystème du sens. Et jusqu'à leur déclin, la néguen-tropie signifiante défie victorieusement la fatalité entro-pique de la dégradation du sens. Il s'agit ici non pas de tel ou tel sens particulier mais du sens total, en quelque sorte le sens du sens, le sens de tout sens possible, la donation radicale du sens, le champ fertile du sens ou encore la "vitalité" du sens en général.

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Puits froid

Laissée à elle-même, toute chose succombe à l'entropie qui marque la fatale déperdition d'énergie. Au fur et à mesure que la pollution sémantique obscurcit la lumière à sa source, au fur et à mesure que les réserves de sens s'épuisent et que les accumulateurs se déchargent, l'exponentiel système de production et de consommation de signifiant et de signifié se grippe. Il fait malgré lui l'expérience des limites. Il prend obscurément conscien-ce d'un grand enfermement. L'exponentielle démesure du possible de l'homme se voit piégée. Les idéologies de la modernité sont acculées à la faillite.

En un monde où les détracteurs du sens prolifèrent, forts de leurs lucidités démystificatrices et sûrs de leurs incer-titudes. En un monde où les significations, ayant perdu les références, tournent en rond, piégées en leur nomi-naliste tautologie. En un monde où les référentiels eux-mêmes se mettent à flotter au gré des conventions voire des modes...

Mille et une raisons du soupçon militent aujourd'hui en faveur des avortements sémantiques. Quelque chose comme une grande conjuration anonyme se ligue contre le sens. Et largement s'étale un consensus de démission. Il est vrai que la déroute spirituelle s'arrange à caresser nos démissions dans le sens du poil. Ces épidermiques connivences avec l'actualité garantissent les euphories de nos démangeaisons. Etre dans le vent devient l'impé-ratif catégorique de nos déracinements.

Si la faillite du sens est d'actualité, il faut devenir inactuel

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en refusant le non-sens. Une telle dissidence urge plus que jamais. Et plus que jamais elle exige audace. Tant est massive la contrainte mimétique de la liquidation. Notre péché contre l'écosystème `matériel' n'est encore que le corollaire de notre péché contre l'autre écosys-tème, le `spirituel', celui du sens. Celui du sens donnant sens.

Il s'agit ici du système total du sens. Non pas de tel ou tel sens particulier, non pas de telle ou telle culture particulière, mais du sens absolu, c'est-à-dire du sens du sens. L'écosystème du sens est la grande maison du sens, la grande matrice spirituelle dans laquelle s'en-gendre et s'éduque l'humain en tant qu'humain.

Sous peine d'inanition spirituelle, il nous faut restaurer cette `maison' du sens. Pour cela nous devons commen-cer par ne pas tricher avec les sources chaudes et les puits froids du souffle de notre verbe.

L'énergie spirituelle se dégrade par démission en chaîne, par d'imperceptibles fragments de démissions accumu-lées, par d'innocentes minuscules démissions juxta-posées. Les mécanismes démissionnaires ont besoin, pour fonctionner, de la force que procure l'illusion. Cha-cun se croit seul résistant. Tous se sentent noyés dans le "on" qui démissionne. Donc aucun n'ose protester. Et, cercle vicieux, ce silence collectif conforte les solitudes découragées.

Face à la dégradation de l'énergie spirituelle l'esprit seul est victorieux de l'entropie.

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Enlevez le souffle de l'Esprit, il ne reste que matière première. Ossements. Poussière. Car seul le Souffle, la ‘ruah Yahvé’, fait surgir Adam de l'adamah, l'élément ter-reux des origines.

L'homme peut-il se donner à soi-même sa source chaude ?

Ce qui est remarquable c'est que toutes les cultures, à l'exception de la culture `moderne', fonctionnaient ou continuent de fonctionner avec une source chaude puissante et avec des accumulateurs de sens bien char-gés. Source chaude puissante de signifiants absolus: Dieu, l'Etre, le Cosmos, la Nature, l'Ordre, les Valeurs... Accumulateurs de sens bien chargés: la tradition trans-mission d'un donné signifiant et signifié important.

Plus qu'elle n'ose se l'avouer à elle-même, notre monde moderne fonctionne malgré tout, même par subreptice participation, sur une formidable réserve de sens, véritable capital d'énergie spirituelle constitué au cours de l'histoire occidentale. Constitué notamment durant ces longues périodes que nous avions crues obscures et qu'une plus saine écologie du sens commence à nous faire reconsidérer aujourd'hui.

La schizoïdie moderne a cru s'épanouir en rompant les liens. En fait elle ne survit que grâce aux réservoirs qui ne sont pas vides et aux canaux qui ne sont pas complétement bouchés. Ne cesse d'opérer cette mysté-rieuse solidarité de grâce dans un monde où les uns ne peuvent jouer les prodigues que parce que d'autres restent `branchés'. La `communion des saints'... Il suffit

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qu'il n'en reste que quelques-uns. Mais sans doute sont-ils beaucoup plus nombreux qu'il n'y paraît aux petites lucarnes de nos médias.

Réservoirs d'énergie spirituelle

Les sources sont rarement spectaculaires et les conduits le plus souvent souterrains. Les choses essentielles pour notre survie ne prennent réellement de l'importance à nos yeux que le jour où elles se font rares et menacent de manquer. Il n'est pas sûr que ce jour ne tarde... L'ur-gence se fait criante de nous préoccuper des authen-tiques ressources d'humanité. Il s'agit de retrouver nos sources et de recharger nos capacités. Disposer d'assez d'authentique humanité `en réserve' pour faire face aux désespérances.

Faut-il le redire ? Les réservoirs d'énergie spirituelle prennent une importance capitale dans le fonctionnement `systémique' du Souffle, entre Source chaude et Puits froid. Aucun système ne peut fonctionner avec des accu-mulateurs à plat. Le `système' humain moins que tout autre.

Pour traverser sans mourir des espaces désertiques où le sens s'étiole et où l'absurde prolifère il faut des réservoirs chargés d'énergie spirituelle et de ressources d'humanité. Mais si les réserves s'épuisent ?

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4. Ecosystème

L'espace total de l'humain, la grande 'maison' – le grand oïkos – qui loge les systèmes de notre terre en unité interdépendante et en interaction s'appelle oïkosystème, écosystème. L'oïkos total des systèmes. L’englobant système des systèmes.

Tout se passe comme si, à l’image du monde matériel, l’ordre spirituel se déployait dans un écosystème spécifique d’énergie spirituelle. Dans la biosphère il y a des éléments vitaux comme l’eau ou l’air qui sont pourtant bien communs. Nous n’en prenons réellement conscience que lorsqu’ils viennent à manquer. Ainsi en va-t-il du sens. Jusqu’à aujourd’hui nous ne savions pas son absence mortelle. Nous vivions inconsciemment dans sa surabondance. Nous le produisions tout naturellement plus que nous ne le consommions. Nos réservoirs en débordaient.

L'englobant systémique

L'écosystème est le système des systèmes. L'habitacle total englobant l'incroyable multiplicité et diversité des

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systèmes dans leur emboîtement interactif. La `maison' qui loge tous les systèmes de notre terre en unité inter-dépendante et en interaction. L'écosystème.

Le principe de fonctionnement de cette gigantesque complexité n'est pas plus difficile à saisir que celui du plus élémentaire des systèmes. Là encore il suffit de connaître la fonction, les entrées et les sorties. Sa fonction est de 'vivre'. Ses entrées et ses sorties sont la 'source chaude' et le 'puits froid' de la différence de potentiel de ses flux énergétiques. Avec, à sa frontière, un peu en aval et en amont de la source chaude et du puits froid, les réservoirs, les accumulateurs et les possibilités de recyclage.

Rien ne `tourne' sans différence de potentiel. Toute vie n'est qu'entre une `source chaude' d'apport d'énergie et un `puits froid' d'utilisation et de déperdition d'énergie. Les différents systèmes s'emboîtent, chaque fois intégrés dans un système plus englobant. Chaque système accapare des flux positifs et rejette des flux négatifs. La différence se solde toujours négativement. Un système englobé ne peut tourner que sur des réserves et des possibilités de recyclage de son système englobant. Un système ne peut donc fonctionner en clôture que jusqu'à un certain point. En va-t-il différemment du système des systèmes, de notre écosystème?

Le flux d'énergie est irréversible mais inépuisable (jus-qu'à la fin du monde!). Par contre, les éléments chimi-ques sont en nombre fini et leur recyclage est limité par le temps. Le recyclage est la base du fonctionnement de l'écosystème et de la régulation de son équilibre.

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La biosphère fonctionne en interaction avec les grands réservoirs dynamiques que sont l'atmosphère, l'hydro-sphère et la lithosphère. La régulation interactive entre les différentes `sphères' est d'une incroyable complexité. Les régulateurs jouent à des rythmes très variables. Les grands réservoirs limitent les variations brusques grâce à leur 'effet tampon'. Tout concourt à l'équilibre homéosta-tique du système.

Paradigme systémique

Les réalités spirituelles se comprennent à travers le paradigme des réalités naturelles et matérielles. Il faut commencer par réfléchir sur ce qu'est un écosystème et comment il est menacé de mort lorsque lui est refusée l'ouverture. L'écosystème est clos par rapport aux éléments. C'est dire qu'il fonctionne avec une quantité finie de possibilités matérielles. L'écosystème doit équilibrer son bilan. Par contre il est ouvert par rapport à l'énergie. Entre source chaude de l'énergie résiduelle du `Big Bang' et puits froid du 'Fond Noir' de l'espace il y a une différence de potentiel. C'est elle qui fait fonctionner l'écosystème. A l'entrée il y a l'énergie reçue par le soleil, par la gravité et par l'énergie interne du globe. A la sortie il y a l'énergie dégradée en chaleur irrécupérable. Entre les deux, l'énergie utilisée. Les processus géologiques, biologiques et climatologiques fonctionnent dans l'inter-action systémique de l'atmosphère, de l'hydrosphère, de la lithosphère et de la biosphère.

Toute vie sur terre repose sur le fonctionnement présent ou passé de l’écosystème. Ainsi, grâce à son fonction-nement, les réservoirs ne sont jamais vides et permettent

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au système vivant de tourner en lui fournissant les réserves disponibles et utilisables. Réservoirs des éléments de la vie (spécialement les six éléments de base que sont C,H,O,N,S, et P). Réservoirs de l’atmos-phère (N2, O2, SO2, CO2). Réservoirs de l’hydro-sphère (ions solubles). Réservoirs de la biomasse (molécules organiques). Réservoirs des sédiments (sels cristallisés, carbonates, nitrates, sulfates, phosphates). D’autre part, grâce aux cycles biologiques – cycle de l’azote, cycle du souffre, cycle du phosphore, etc. – les éléments se trou-vent continuellement recyclés et régénérés.

L’ensemble de l’écosystème fonctionne comme une mer-veille d’ingéniosité. Ainsi, par exemple, la concentration importante dans les océans d’ions carbonates permet de maintenir constante dans l’atmosphère la concentration de gaz carbonique, matière première de fabrication, par photosynthèse, de matière organique. Mais combien d’autres exemples ne pourrait-on citer ?

Les processus géologiques, biologiques et climatol-ogiques fonctionnent dans l’interaction systémique de l’atmosphère, de l’hydrosphère, de la lithosphère et de la biosphère. Le flux d’énergie est irréversible mais inépuisable. Par contre, les éléments chimiques sont en nombre fini et leur recyclage est limité par le temps. Le recyclage est la base du fonctionnement de l’écosystème et de la régulation de son équilibre. Grâce à ce principe d’économie une quantité finie de matière est destinée à un renouvellement indéfini et à une créativité sans fin. En d’autres termes, l’écosystème s’interdit toute ‘folie’. L’énergie est utilisée jusqu’à la dernière ‘miette’. De la matière élaborée, rien n’est perdu !

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N’est-il pas remarquable, par exemple, comment se répartit cette ‘économie’ entre les différentes sortes de vivants que sont les producteurs, les consommateurs et les décomposeurs ? Les producteurs fabriquent de la matière vivante grâce à la photosynthèse (énergie radiante du soleil + CO2). Ils fournissent aliments et oxygène aux consommateurs et en reçoivent des élé-ments minéraux et du CO2. Les consommateurs - au premier degré, c’est-à-dire les herbivores et au second degré, c’est-à-dire les carnivores - vivent par oxydation des produits des producteurs et dégagent de la chaleur irrécupérable. Les décomposeurs sont des micro-orga-nismes au rôle écologique essentiel; ce sont en effet eux qui recyclent les éléments minéraux des déchets aussi bien des consommateurs que des producteurs, pour les rendre aux producteurs. Les boucles se bouclent en bouclant la grande boucle de la production-consom-mation de matière vivante...

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5. L'écologie du souffle

Notre souffle doit retrouver son écologie. Ecologie... Non pas l'idée un peu fade récupérée en faciles idéologies ici et là. Mais la tâche la plus haute et sans doute le plus grand défi lancé à notre temps. On pense d'abord aux simples possibilités de survie matérielle. Les possibilités de survie d'authentique humanité sont encore beaucoup plus menacées.

La crise de notre écosystème 'matériel' n'est encore que le corollaire de celle de l'autre écosystème, le `spirituel', celui du sens. C'est-à-dire celui du sens donnant sens. Sous peine d'inanition spirituelle, il nous faut restaurer la `maison' du sens. Pour cela nous devons commencer par ne pas tricher avec les sources chaudes et les puits froids du souffle de notre verbe.

L'écosystème du souffle

L'écosystème du souffle est la grande matrice spirituelle dans laquelle s'engendre et s'éduque l'humain en tant qu'humain. Jusqu'à son déclin un système culturel fonc-tionne grâce à son ouverture sur l'écosystème du sens

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total. C'est ainsi qu'il peut être vivant. C'est ainsi que sa vitalité spirituelle, c'est-à-dire sa néguentropie, ne cesse de défier victorieusement la fatalité entropique de la dégradation du sens.

Pourquoi les civilisations meurent-elles ? Elles meurent lorsqu’elles s’essoufflent... La raison n’est pas différente de celle qui préside à la mort de n’importe quel système vivant. Elle s’énonce de façon très simple. Un vivant meurt lorsqu’il se ferme et, en se fermant, perd sa différence de potentiel et succombe ainsi à son entropie. Pourquoi le sens meurt-il ? La réponse est obvie. Le sens meurt lorsque l’énergie se dégrade par manque de différence de potentiel. Très concrètement, lorsque les défis ne sont plus relevés. Mortelles in-différences !

Oïkologie...

Il faut l'orthographier selon son étymologie pour éviter toute confusion avec ses contrefaçons qui prolifèrent par les temps qui courent. Le `logos' invité en notre `oïkos'. C'est-à-dire en notre maison d'humanité. C'est-à-dire dans toute la maison de l'humain. C'est-à-dire dans la maison de tout l'humain. Il vient et nous force à réfléchir sur nos clôtures. Il vient nous faire prendre conscience des frontières et des limites. Il vient nous rappeler que le dedans n'est possible que par le dehors. Il vient dissiper nos illusions.

Lorsque l'air empeste

C'est lorsque l'air empeste que nous pensons à ouvrir nos fenêtres. C'est lorsque le souffle vient à manquer

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que nous nous souvenons qu'il y a un dehors. C'est lorsque nous étouffons sous les déchets que nous vient l'idée d'une écologie. Aujourd'hui, plus que jamais, alors que notre souffle s'essouffle dans l'indifférence, urge quelque chose comme une écologie du souffle.

Jamais autant qu’aujourd’hui risquions-nous l’asphyxie spirituelle. Pourtant n’a-t-il jamais existé une civilisation aussi riche en productions culturelles que la nôtre ? Certes. Mais il manque à cette prolifération de sens ‘constitué’ un espace ouvert à sa démesure.

Quelle valeur a l'eau lorsqu'elle surabonde ? Elle peut prendre un prix infini lorsque tu es perdu dans le désert. Nous n'avons pas fini de traverser notre désert spirituel. Pour étancher nos soifs essentielles nous risquons de ne plus trouver que les puits obstrués et les sources polluées par nos maîtres penseurs.

L'urgence écologique se fait criante lorsque nous prenons conscience que nos puits sont obstrués et nos sources polluées. Elle vient lorsque les flux énergétiques se font insuffisants et que les réservoirs se vident. Elle vient lorsque les éboueurs ne suffisent plus à la tâche. Elle vient lorsque nous nous sentons vivre au-dessus des possibilités d'approvisionnement et de recyclage de notre terre. Elle vient et nous force à réfléchir sur nos clôtures et nos ouvertures. Elle vient dissiper nos illusions. Elle vient nous faire prendre conscience des frontières et des limites. Elle vient nous rappeler que le `dedans' n'est possible que par le `dehors'. Elle vient briser nos chaînes et nous presser à sortir de la caverne.

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Entropie du souffle

Pourquoi l'énergie spirituelle, lorsqu'on lui refuse l'ouver-ture à l'Autre, ne serait-elle pas, elle aussi, menacée par l'inexorable dégradation ?

L’absurde naît de l’enfermement. Lorsque les existences schizoïdes se retrouvent sans lien avec l’être total, sans lien avec la raison totale, sans lien avec le sens total. Reste alors l’être cassé. L’absurde en emplit les inter-stices.

L'entropie d'un système et partant son absurde naît de l'enfermement de sa source chaude et de son puits froid. Elle est à la mesure de sa clôture. Ainsi l'espace du sens frôle-t-il l'absurde chaque fois que s'enferme la trans-cendance dans l'immanence, l'infini dans le fini, l'absolu dans le relatif, l'objectif dans le subjectif, le sens dans la structure, l'essence dans le mot, la valeur dans l'affect, l'être dans le phénomène...

Notre progrès. Pourquoi ça ne fonctionne pas ? Nos euphories. Pourquoi sont-elles piégées ? Mais il y a bien plus grave. Notre sens de l'homme. Pourquoi s'enlise-t-il dans le doute ? Notre dynamique d'humanité. Pourquoi est-elle rongée par la désespérance ? Il faut sans doute chercher les raisons du côté de l'entropie.

L'entropie affecte le temps d'un indice de dégradation, de dispersion et de mort. Tout effort de création et de déve-loppement se paye en entropie. Aucun système ne peut se régénérer dans sa clôture. L'ensemble de notre univers considéré comme un super système clos va pro-

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gressivement vers sa mort inéluctable.

Notre humanité occidentale s'était construite dans l'ouvert à l'Autre. Dans l'Alliance avec le Dieu d'Abraham et de Jésus Christ. Ensuite, historiquement, elle a bouclé l'humain sur lui-même et l'a enfermé dans sa 'bulle'. Elle n'a pas fini de mesurer ses béances.

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D.Essoufflement

Jamais autant qu'aujourd'hui, risquions-nous l'asphyxie spirituelle. Pourtant n'a-t-il jamais existé une civilisation aussi riche en productions culturelles que la nôtre ?

L'essoufflement est le destin inexorable de tout système qui se ferme... La parole constitutive d'humanité est devenue schizoïde. Ayant rompu l'Alliance, elle s'est bouclée en son grand enfermement. Le souffle lui man-que. L'homme risque désormais de se retrouver avec une parole essoufflée. Et avec l'essoufflement de la parole humanisante se perd le sens.

Il lui manque le sens 'constituant'. Le sens qui donne sens. Le sens qui proteste contre l'absurde. Le sens qui

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résiste au non-sens. Le sens qui ouvre les horizons. Le sens qui met en perspective. Le sens qui rassemble ce qui est dispersé et disperse ce qui s'agglutine. Le sens qui libère les `pourquoi' de l'angoisse. Le sens qui affecte d'un `plus' le verbe être. Le sens qui crève les cercles vicieux. Le sens qui fait que les raisons se tiennent et s'entretiennent. Le sens qui lit entre les lignes. Le sens qui met en transparence. Le sens qui ne perd pas l'hu-mour.

L’animal ne ‘perd’ jamais le sens. Seul l’homme peut le perdre. Contrairement à l’animal à qui le sens est pour ainsi dire donné d'emblée, l'homme est l'être en qui le sens se décide. Et en l'homme le sens peut se décider en contre-sens. Profusion d'absurde, de déraison, d'in-sensé, de folie, d'aberrant, de dément, d'inepte... Où les humains ne vont-ils pas chercher le sens ? Pourquoi sur la scène du monde les grands ‘pourquoi’ sont-ils si absents et pourquoi le futile occupe-t-il si largement l’es-pace de la scène ?

Dis-moi le sens englobant derrière les multiples sens englobés qui régissent ton existence concrète. C'est-à-dire l'espace total de la 'maison du sens' que tu habites et qui te donne ultimement le souffle pour vivre et pour survivre. Les différents niveaux de sens s’emboîtent. Un ‘pourquoi’ n’est pas forcément l’ultime ‘pourquoi’. Il reste encore et encore un pourquoi du pourquoi. Chaque sens constitué vit ainsi par grâce d'un sens constituant. Il se donne dans l'espace d’un sens plus grand et plus fondamental qui l'englobe et le porte. Ce sens constituant est tellement discret qu’il ne se manifeste pas habituel-lement en pleine lumière. Il est comme l'âme dans un

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corps. Il reste toujours pauvre face à la richesse des sens constitués.

Urgence d'une écologie du souffle

Dans la biosphère il y a des éléments vitaux comme l’eau ou l’air qui sont pourtant bien communs. Nous n’en prenons réellement conscience que lorsqu’ils viennent à manquer. Ainsi en va-t-il du sens. Jusqu’à aujourd’hui nous ne savions pas son absence mortelle. Nous vivions inconsciemment dans sa surabondance. Nous le produi-sions tout naturellement plus que nous ne le consom-mions. Nos réservoirs en débordaient.

Le manque du sens, aujourd'hui, et la prolifération du contre-sens, urge la quête de sens authentique. Et l'authentique ne vient pas de nos produits factices. Il ne peut venir que d'une véritable écologie du souffle.

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1. Schizoïdie

Une fois l’Alliance rompue, une fois Dieu refoulé, il reste à l’homme le repli autistique sur soi-même. Quelque chose comme une schizophrénie. L’esprit coupé. L’esprit divisé. L’esprit cassé. Nous n’avons plus besoin de toi ! Voici que le possible humain expulse la grâce et se voit livré aux péchés capitaux. C’est-à-dire aux sources du péché. Et en premier lieu, l’orgueil. Les choses peuvent-elles désormais tourner autrement qu’après l’originelle rupture ? Vous serez comme des dieux. La séduction du tentateur devenait irrésistible. Ensuite... Ils virent qu’ils étaient nus. Reste la honte ou l’exhibitionnisme. La modernité opte pour le deuxième terme de l’alternative.

Une fois l'alliance rompue, règne le grand enfermement de l’homme sur l’homme. Fatale alternative à la méta-noïa ! L’autistique raison close sur elle-même jusqu’à la déraison ! Comment dans la rupture du lien théo-onto-logique nouer la schizoïdie ? Toute la modernité se bat jusqu’au désespoir et jusqu’à l’absurde avec cette question radicale. Une fois coupé de sa source chaude divine, l'humain schizoïde pers son identité, vit d'expé-dients et erre dans les limites de l'horizon indépassable.

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Désormais, à quelle mesure mesurer l'homme ? N'étant plus provoqué à la démesure de l'Autre il est réduit à sa propre mesure en immanence. Une fois le lien rompu, tout se passe comme si la tâche philosophique par excellence ne pouvait plus être que la critique, c'est-à-dire la tâche de la connaissance nue de l’homme nu.

Une fois enfermé dans l’enclos, reste-t-il autre chose à faire que de garder les cochons ? Combien de temps encore le fils prodigue de la modernité voudra-t-il s'en occuper avant de retrouver le chemin vers la maison du Père ? D’abord, sans doute, lui faut-il trouver le chemin de l’anamnèse. Et le cri profond de l’Esprit dans ses profondeurs encombrées. C’est par l’absurde que l’enfant aimé du Père, devenu prodigue, expérimente maintenant qu’il est fait pour autre chose que pour garder les cochons. Aujourd’hui, en cette fracture de l’histoire, n’est-ce pas par l’absurde que nous commençons à pressentir avec une évidence croissante que l’homme passe infiniment l’homme ?

Une fois le lien verticale rompu, reste quelque chose comme une 'bulle' de pure humanité bouclée sur elle-même et pure immanence. Il reste à l'animal sacralisa-teur qu'est l'homme la panthéiste sacralisation des 'valeurs' schizologiques avec leur cortège de Majus-cules ! Et le culte des idoles. Et la floraison des 'ismes'. Et les 'Maîtres Penseurs'. Le soupçon à l'infini. Le soup-çon du soupçon ne mérite-t-il pas son autel ? Mécanis-mes de défense toujours. Avec le mensonge. Et le retour du refoulé sous mille avatars. Le grand enfermement dans les 'systèmes' totalitaires. Ultimes refuges du salut. Ile d'Utopia... Ou Archipel du Goulag ?

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L’humain s’enferme dans sa ‘bulle’. L'homme se veut être 'maître et possesseur' de l'univers. Mais il a beau faire tout ce qu'il voudra, son 'royaume' ne pourra jamais être autre chose qu'une 'bulle' qui flotte dans un vide englo-bant.

Je suis nu...

L'histoire est ancienne comme le monde. On rêvait d'un souffle plus excitant. Un grand souffle d'autonomie et de liberté. On s'est retrouvé nu.

Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur avait faits. Il dit à la femme: “Alors, Dieu vous a dit: “Vous ne mangerez le fruit d’au-cun arbre du jardin” ?” – La femme répondit au serpent: “Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais pour celui qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.” – Le serpent dit à la femme: “Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.”

La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre était savou-reux, qu’il avait un aspect agréable, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de ce fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuier, et ils s’en firent des pagnes.

Ils entendirent le Seigneur Dieu qui se promenait dans le

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jardin à la brise du jour. L’homme et la femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin. Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit: “Où es-tu donc ?” – L’homme répondit: “Je t’ai entendu dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché.” – Le Seigneur reprit: “Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Je t’avais interdit de manger du fruit de l’arbre; en aurais-tu mangé ?” – L’homme répondit: “La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé.” – Le Seigneur Dieu dit à la femme: “Qu’as-tu fait là ?” La femme répondit: “Le ser-pent m’a trompée, et j’ai mangé.” 1

Depuis que l'homme est homme, il s'efforce de surmonter une double crise: celle des moyens et celle des fins. L'histoire s'identifie à ces efforts et témoigne en même temps de leur échec inlassable. La modernité occidentale croyait avoir découvert le secret d'une définitive solution. Il suffisait de la formuler et de la mettre en application. Les formulations se sont succédées et quelques-unes sont même passées à l'acte... Que les idéologies se prétendant ‘libératrices’ soient au pluriel suffit déjà en lui-même à prouver leur réciproque inanité. Que leur concrétisation, là où elle a pu jouer, engendre la tyrannie et rien qui puisse dépasser la tyrannie et rien qui puisse permettre d'envisager un tel dépassement, achève la démonstration des impasses.

Auraient-elles même réussi à mettre en place, ne serait-ce qu'en une infime partie de notre monde, quelque chose comme un ‘paradis’, il n'y a aucune raison de

1 Genèse 3:1-13.

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croire que, le temps passant, quelques bienheureux ne se révoltassent contre la tyrannie du bonheur.

Depuis le premier, l'histoire boude les paradis terrestres. Et très certainement pour la même raison! Que pourtant l'homme moderne refuse d'admettre. On tourne et retour-ne mille questions, on formule les hypothèses les plus invraisemblables. Exceptée une. C’est pourtant elle qu’un si énorme refoulement désigne à la vérité.

Sans vertical enracinement

L'homme qui n'a pas rompu ses liens d'alliance garde son fin-fond intime béant sur le fin-fond divin. Il est ouvert à l'Autre qui lui est plus intime qu'il ne l'est jamais à lui-mêmes. Le fond de l'homme schizoïde, au contraire, est pris dans quelque chose comme le cul-de-sac d'un 'ça'. L'inconscient sans Père. Un inconscient qui s'enlise dans la clôture du 'ça' pulsionnel ou structural, laissant un inconscient orphelin. A la place du Père de qui vient toute paternité et qui, par Agapè, dit son Verbe, engendrant son Fils et une multitude de ses frères, il ne reste qu'une structure mécanique.

Jean Tauler, cinq siècles avant Freud, éclaire les épais-ses `instances' qui stratifient l'inconscient. Il en compte jusqu'à quarante, les comparant à des peaux d'ours noires et gluantes. Avec infiniment plus de perspicacité, il dévoile les profonds mécanismes de méconnaissance et de défense qui s'interposent entre ces fausses profon-deurs dans lesquelles l'homme farfouille avec complai-sance et les plus profondes profondeurs où le Père, dans l'éternel maintenant, engendre son Fils, et avec lui, tous

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ses fils. Mais le schizoïde enfermement méconnaît ces mécanismes de méconnaissance et défend ces mécanis-mes de défense. Voilà donc cet homme qui, pourtant, "passe infiniment l'homme" enlisé dans les `peaux' nauséabondes. Il a beau en soulever, il en reste d'autres. Peut-être ne tient-il pas du tout à les soulever toutes ! Comme s'il avait l'appréhension qu'en soulevant la dernière il ne tombe, horrifié, dans un abîme de lumière, devant abandonner ses nyctalopes `certitudes'. Il vaut sans doute mieux les hanter de mythes. Œdipe suffit à son divertissement.

L'esprit devenu orphelin

Comment expliquer l'activité intellectuelle de l'homme réduit à sa simple immanence matérielle ? Au départ il n'y a qu'une possibilité vide. La statue de Condillac. Tabula rasa in qua nihil scriptum. Il suffit de doter cette statue d'ouvertures. Ce seront les sens, aussi bien externes qu'internes. Rien n'entre dans la statue sinon à travers les sens. Tout ce qui s'écrit sur la table rase ne vient donc que de l'expérience. Et uniquement de l'expérience sensible, source unique de nos représen-tations. Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu.

Reste à expliquer comment la statue en vient à avoir des `idées', à penser et à construire son univers spirituel. Ici il ne reste à la possibilité matérialiste que le recours au mécanisme. Avec ses propres présupposés. D'abord, que tout complexe s'explique à partir d'éléments simples, en l'occurrence les impressions sensualistes élémentai-res, et suffisent. Ensuite, que ces éléments se combinent

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par simple contiguïté et par simple `association'. Toute la vie spirituelle de l'homme se trouve ainsi réduite à une simple affaire de combinaisons et renvoyée du côté de la statue nue.

Paradoxes

Le moins surprenant de la récente modernité n'est pas qu'elle commence à prendre une conscience concrète d'un certain nombre de paradoxes.

Premier paradoxe. La désintégration concrète est proportionnelle à l'intégration abstraite. L'intégration de l'étrange par la 'science' ne fait que briser les liens concrets pour leur substituer les liaisons abstraites de l'extériorité. Loin de `donner' sens, la science ne peut que nouer en faisceau abstrait un éparpillement de débris du sens concret dont elle a provoqué l'éclatement. Grâce à la science, l'étrange objectif diminue. Mais dans l'expérience concrète de l'homme, l'étrange subjectif déborde. Comme si une abondance quantitative au niveau des idées trouait l'existence d'un vide qualitatif.

Deuxième paradoxe. La croissance de la totalisation harmonieuse fait croître le Goulag. En bouclant l'har-monie sur elle-même dans l'exclusion de l'étrange on boucle un enfermement qui engendre un plus grand étrange ! Comme si le sens était réfractaire à sa reprise dans l'harmonie de l'idée. Et plus encore à la cage, fut-elle dorée, que veut lui réserver l'idéologie, destin quasi fatal du sens devenu schizoïde. Comme l'a profondément perçu Soljenitsyne, l'étrange apprivoisé engendre le carcéral étrange qui condamne à de plus en plus d'étran-

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ge non seulement celui qui est interné mais sans doute encore davantage celui qui y enferme, et le geôlier du geôlier jusqu'au sommet de la pyramide.

Troisième paradoxe. A partir du lien total rompu, l'effort d'intégration totalitaire engendre une prolifération d'insu-larités étrangères les unes aux autres. Une sorte d'ato-misation de l'humain en miettes. Dieu devient étranger à l'homme et l'homme devient l'étranger de l'autre et de soi-même. La fameuse `incommunicabilité'... Et comme un cancer cela gagne le tout. Non seulement classe contre classe mais aussi travail contre travail et savoir contre savoir. Un monde éclaté où mille domaines se crispent en autonomie. Unités partielles extérieures les unes aux autres se constituant en étrangetés réciproques où à la limite n'importe quoi devient altérité aliénante de n'importe quoi. La schizoïdie elle-même émiettée !

Quatrième paradoxe. L'effort d'intégration totalitaire ne fait qu'accentuer la non coïncidence avec l'être. Plus l'homme 'in'-siste sur le 'même', plus il expérimente la vacuité de cette insistance et son ex-position à l'autre. L'étrange intégré fait ressentir comme d'autant plus étrange ce qui reste inintégrable. L'étrange devenant encore plus étrange. Et l'absurde exponentiel...

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2. Nous avons péché

Ils sont quasi inhérents à notre nature et prolifèrent lorsque celle-ci tend à se boucler sur elle-même. Les péchés capitaux monnayent en quelque sorte le péché du monde. Traditionnellement on en compte sept. L'or-gueil, l'envie, la colère, l'avarice, la luxure, l'intempé-rance, la paresse. On les croit d'un autre âge. Leur actualité est plus brûlante que jamais. Ils piègent notre désir. Ils le piègent à sa racine.

Il reste au désir de se masquer pour se rendre sortable. Il se déguise et s'habille de 'bonnes manières'. Mais qui est dupe de ce jeu de cache-cache ? La `civilisation' peut sans doute rendre sortable. Mais peut-elle `sauver' ?

Avant que je ne désire, déjà ça désire en moi. Ce désir d'avant, ce désir fondamental, est marqué d'une profon-de ambivalence. Quelque chose comme une faille entre grâce et péché. Il désire à la fois l'ouvert et le clos. La généreuse ouverture qui lui reste de l'originaire acte créationnel. Le repli dans la clôture qui ne peut lui venir que de l'originel acte schizoïde, comme un vestige très concret du péché du monde dans nos psychologies. Tels

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sont les péchés capitaux. Ils affectent négativement notre désir à sa source.

Les péchés capitaux régissent un système totalitaire du même. L'orgueil s'enferme dans le `je'. L'avarice, la luxure, l'intempérance, la paresse insistent sur `mon' avoir, sur `mon' plaisir, sur `ma' satisfaction, sur `mon' bien-être. `Je', `moi', `mien'... face à l'autre, au détriment de l'autre, contre l'autre; voilà pour l'envie et la colère. Le système des péchés capitaux enferme ainsi le désir en son autistique schizoïdie. Mais ce faisant il ne peut pas ne pas le faire jouer contre lui-même. Tel le serpent qui se mord la queue, pris à sa propre voracité.

Devenu 'maître et possesseur', le projet humain ne succombe-t-il pas aux instincts (primitifs) de l'avoir et de la domination ? Donnant allégrement libre cours à l'exploitation du monde et de l'homme par l'homme... Le désir débridé. Nous le voulons sans tabou. Nous le voulons sans péché. Nous le voulons sans mesure. Même les plus farouches hérauts de la ‘libération totale’ doivent déchanter. La nature des choses, au besoin, le leur rappelle cruellement. On croyait trop naïvement l’homme enfin rendu à la plénitude de lui-même. Hélas ! C’est le fondamental désir des profondeurs humaines qui a été rendu aux péchés capitaux.

Une réflexion sur les péchés capitaux, et sur l'envie en particulier, aurait pu éviter à Marx d'échafauder sa monumentale illusion. Mais sans doute, alors, ne l'aurait-on pas pris au sérieux. Marx voulait libérer une dyna-mique capable de combler radicalement le désir humain. Tout le désir et le désir de tous. Un tel optimisme, nous

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l'avons vu, sous-estime les limites, physiques et morales, des possibilités de l'outil producteur d'euphorie. Mais il pèche plus gravement encore contre la nature profonde du désir lui-même. Car il ne s'agit pas d'une abstraction. Il s'agit du désir réel et concret. Et ce désir est blessé. Comment, par exemple, sortir du cercle vicieux de l'envie contre l'envie à partir de la seule 'lutte des classes', ? Comment accéder à la `société sans classes' sans convertir le désir à sa racine ? Et comment désaliéner le désir de son péché originel dans l'immanence ? Suffit-il de dire que la lutte en elle-même est purificatrice des négativités ? Ce recours à l'éros dominateur est certes immédiatement mobilisateur en un espace matérialiste et athée posé comme principe. L'homme rendu à lui-même ? Non, le désir simplement rendu aux péchés capitaux.

Une fois donné libre cours aux péchés capitaux, rien ne semble pouvoir arrêter leur prolifération et le déchaîne-ment de leur conflictualité. Envie contre envie. Orgueil contre orgueil. Soif d'avoir contre soif d'avoir. Injustice contre injustice. Avidité contre avidité. Jouissance contre jouissance... Eros ne peut pas ne pas vouloir combler la différence. Mais ainsi la distance entre source chaude et puits froid va nécessairement en se rétrécissant. L'entropie croît. La différence sans laquelle le désir n'est pas glisse vers l'indifférence. Donc vers la mort. Ce destin est fatal en immanence. Pour vaincre l'entropie, pour faire grandir la néguentropie, il faut un renverse-ment et un retournement d'Eros. Qui ou quoi peut opérer ce renversement ? Le chrétien sait... Cette conversion d'Eros s'appelle Agapè.

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Nous avons péché contre l'Ouvert

Le péché le plus grave contre l'écosystème du sens a été de nier son essentielle ouverture. Nous avons cru pou-voir le faire fonctionner en clôture, comme une simple mécanique, crispé sur lui-même, bouclé en schizoïde autonomie auto productrice. Nous nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même. Bien plus, maîtres et possesseurs aussi de sa source chaude et de son puits froid. Maîtres et possesseurs donc de toute sa différence de potentiel, c'est-à-dire de toute son énergie spirituelle créatrice.

Nous pensions nos horizons illimités. Nous n'avons pas fini de mesurer l'étroitesse de notre pensée et des petites lueurs de nos lumignons que nous prenions pour les `Lumières'.

Nous avons oublié l’essentielle ouverture de tout sys-tème vivant. L’écosystème du sens encore plus que tous les autres. Obnubilés par nos prouesses et béats devant nos aménagements intérieurs nous avons oublié qu’il y a un ‘dehors’ de notre caverne. Nous nous sommes mis à boucler en clôture notre espace d'humanité.

Nous nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même. Maîtres et possesseurs de toute sa diffé-rence de potentiel. Maîtres et possesseurs de toute son énergie spirituelle créatrice. Maîtres et possesseurs de sa source chaude et de son puits froid. Maîtres et possesseurs non seulement de notre possible englobé mais aussi de notre impossible englobant.

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Par quel miracle l'humain bouclé sur lui-même ne suc-comberait-il pas à son entropie ? Notre modernité vit dans l'illusion d'un tel miracle. Obnubilés par notre possible sans aller jusqu'aux raisons profondes de ce possible nous croyons que l'humain est à lui-même sa propre source chaude. Pourquoi l'homme, fabricateur d'outilité, fabricateur de texture, fabricateur de texte, ne serait-il pas aussi fabricateur de ce qui lui vient d'ailleurs, par grâce ?

Nous avons péché contre le sens

C’est-à-dire le sens qui donne sens... La bulle de notre modernité s’est constituée en gigantesque système résonateur. C’est là que son Discours prend sa ‘consis-tance’. Le système résonnant vibre en tautologique auto-engendrement de la signifiance. Signifiés et signifiants, signes et référents n’ont plus fondamentalement qu’une épiphénoménale ‘consistance’ vibratoire. Qu’est le ‘reten-tissement’ dans la bulle sinon un phénomène d’auto-résonance ? Pour qu’un discours particulier ne soit pas réduit au silence il faut nécessairement qu’il soit accordé à la résonance propre de la bulle. Sous peine de cen-sure, de marginalisation, voire d’expulsion.

Modulation d’amplitude ou modulation de fréquence, peu importe. Et nous sommes aujourd’hui particulièrement ingénieux à produire, à diversifier et à amplifier ces modulations. En leur essence, cependant, elles ne sont jamais que de purs phénomènes ondulatoires. Du bruit. Flatus vocis du moderne nominalisme !

Le retentissement s’entretient tautologiquement lui-même

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et s’amplifie par réverbération. Le désir peut même fonctionner sans objet, devenant à lui-même son propre objet, l’ensemble des désirs se désirant mutuellement en tant que désirs. L’ensemble des affects s’affectant en leur affectation. Un consensus se met ainsi à vibrer aux fréquences des affects dominants. Au gré des ‘modes’ en lesquelles la libido sentiendi se cherche inlassablement de nouvelles ‘sensations’. Et ce consensus décide chaque fois du ‘valable’, des pudeurs et des silences.

Il faut au sens schizoïde un effet de masse pour se donner sa légitimité et l’illusion de consistance. Il n’est plus d’autre instance décisive que la sacro-sainte ‘opi-nion publique’. Une large quantité affectée et résonnante. Comme si la qualité ne pouvait plus être que par quantité accumulée. Comme si les manipulateurs-manipulés du Discours s’évanouissaient sans cette caisse de résonan-ce du quantitatif résonnant disponible. Une voix ne peut plus trouver de justification que dans son écho.

On croit que le sens surabonde. En fait ce ne sont que des débris de sens qui prolifèrent. On se félicite d’une raison en croissance. En fait ce n’est qu’encombrement de 'raisons’ hétéroclites. On se réjouit d’une société qui devient transparente à elle-même. En fait c’est un désarroi qui porte le masque d’une sécurisante unifor-mité. On se vante d’avoir démystifié tous les absolus. En fait on ne cesse d’absolutiser des étiquettes. On se fait fort de n’avoir plus de tabous. En fait c’est le système tout entier qui fonctionne répressivement. On pense proférer une parole différente. En fait on se contente de moduler différemment – droite, gauche – un même Dis-cours. On vante les progrès de l’instruction. En fait on ne

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fait qu’éveiller aux inadaptations. On parle de maturité grandissante. En fait on s’illusionne sur les manipulations et les détournements de sens. On s’extasie sur la créativité. En fait ne fonctionne qu’une mécanique de production et de consommation inflationniste de signi-fiants d’un jour.

Nous avons péché contre l'écosystème du sens

Notre péché contre l'écosystème `matériel' n'est encore que le corollaire de notre péché contre l'autre écosys-tème, le `spirituel', celui du sens. C'est-à-dire celui du sens donnant sens. Sous peine d'inanition spirituelle, il nous faut restaurer la `maison' du sens. Pour cela nous devons commencer par ne pas tricher avec les sources chaudes et les puits froids du souffle de notre verbe.

Un monde qui méprise les nappes phréatiques de ses sources en vient vite à être condamné à boire l'eau de ses citernes frelatées. Nous avons cru garder la divine démesure en refusant sa source, l'Alliance, qui lui donne sens. A l'homme schizoïde devenu 'suprême' revient maintenant la tâche surhumaine d'inventer inlassable-ment l'homme ! Il est impossible que de l'immanence bouclée en stricte immanence puisse sortir autre chose que du tautologique trop humain. Il faut à l'homme plus que l'homme pour devenir vraiment humain. Il lui faut l'Autre. Il lui faut la grande Différence verticale. Il lui faut le Souffle de Dieu.

Nous avons péché contre notre héritage d’humanité

Si vaste soit-il notre ‘oïkos’ d’humanité, il n’est pas pos-

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sible d’y donner cours à toutes les folies. Nous décou-vrons que notre monde n’est pas infini, que la nature ne se laisse pas violer impunément et que notre ‘maison’ est sacrée.

N’avons-nous pas péché contre les générations futures ? Gaspillant les précieuses réserves qui leur appartiennent aussi et les encombrant de nos déchets. N’avons-nous pas péché contre la ‘famille’ humaine ? La machine de notre bonheur n’a tourné que pour quelques privilégiés, ‘au nez’ de et souvent ‘sur le dos’ des quatre cinquièmes sous-développés de l’humanité.

Devenus prodigues... Et quelles richesses n’avons-nous pas ainsi gaspillées ? D’où, en effet, pouvait nous venir la dynamique derrière notre aventure exponentielle ? D’où pouvait nous venir la foi en une montée infinie ? D’où pouvait nous venir cette passion de l’aventure et du risque ? Sinon des exposantes paternelles ?

Ces gigantesques réserves de sens produites et accu-mulées par les siècles d’extraordinaire croissance spiri-tuelle de cet Occident où s’étreignent, fécondes, depuis leur première rencontre, les extrêmes différences païen-nes et judéo-chrétiennes. Ces prodigieuses réserves d’énergie spirituelle rassemblées au cours de l’aventure chrétienne occidentale par de longues générations de foi, de prière, de contemplation, de charité, de travail, de sacrifice, de réflexion, de création, de construction...

Grâce à cette vitalité sémantique, grâce à cette surabon-dance d’énergie spirituelle, il n’y a rien que nous n’osions entreprendre. Croyant trop facilement le sens infiniment

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disponible, nous nous laissions aller, insouciants et euphoriques, à le gaspiller toujours plus allégrement. Prodigues du patrimoine du Père !

Mais jusqu’où peut-on ainsi se livrer au jeu gratuit et brûler ses réserves avant d’atteindre le point mort du non-sens absolu ?

Nous avons péché contre l’humain

Diviser pour régner... Vouloir devenir ‘maître et posses-seur’ a ses exigences. Les corps d’un côté. Les âmes de l’autre. Il est plus facile de manipuler un corps sans âme. Mais que peut-il rester à la pauvre âme toute seule sinon de s’éclipser dans les coulisses?

L’homme, simple produit du hasard et de la nécessité ? Comme un texte incroyablement complexe écrit au hasard avec un alphabet chimique dans une langue sans significations mais aux règles strictes. Ces règles cor-rigent lentement et progressivement le texte écrit et réécrit inlassablement et mécaniquement durant des millions d’années. Un texte où les fautes de frappe, les erreurs de duplication ou de transmission se révèlent elles-mêmes fécondes dans la mesure où elles ne contredisent pas radicalement le texte en construction. De ce texte il est vain de chercher quelque signification en-dehors de l’insensé de sa stricte articulation elle-même.

Hasard et nécessité... C’est ce qui reste logiquement lorsqu’à l’être et à la pensée il n’est plus d’autre pos-sibilité que de tourner en rond dans l’enclos. C’est-à-dire

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dans l’horizon indépassable de l’absolu ‘il y a’. Tous les matérialismes du monde ne peuvent pas ne pas se rejoindre dans une clôture initiale. L’ultime archè de toute chose, qu’il soit structure ou infime élément de structure, ne peut être qu’un absolu ‘il y a’, sans raison précédente, sans plan préalable et surtout sans constructeur. Mais comme la réflexion part nécessairement d’un déjà-construit hautement complexifié au point de penser, il s’agit d’expliquer en descendante ‘tomie’ jusqu’à l’insé-cable ‘a-tome’ et à faire le pari que la montée s’est opérée par processus exactement symétrique mais inversé. C’est moins dans l’analytique descente que se reconnaissent les matérialismes que dans le pari sur une montante mécanique.

L’homme, un texte clos sur lui-même ? A la racine de l’humain, il n’y aurait plus qu’un ‘logos’ brut sans pensée ni penseur, une règle sans législateur, un langage sans parole et, partant, sans locuteur. Que peut-il rester de l’homme, fils d’un tel verbe anthropogène ? Que peut-il rester du spécifique humain ainsi réduit à la radicale insignifiance de la structure fonctionnant pour fonctionner dans l’absolue finitude de la clôture ?

L’homme une passion inutile ? La soif démontre par la négative que la vie n’est pas morte. L’absurde, à sa manière, proteste encore de l’homme. Tant que crie la protestation la mort n’est pas. Mais que ce cri cesse pour ne plus laisser place qu’à une passion inutile, alors le tragique lui-même s’enlise dans le vide infini. Exit homo. L’homme est mort. Comme Dieu. Et à peine un siècle après lui. Mais n’est-ce pas dans la même logique des choses ?

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L’homme, un faux-semblant ? Lorsqu’à l’homme est révélée son inanité radicale. Encore bien moins qu’une ‘passion inutile’. Un faux-semblant qui s’est pris au sérieux durant un court laps de temps et qui, aujourd’hui, se trouve amené à constater ‘lucidement’ la radicale fausse-semblance de cette illusion.

La mort de l’homme... Au milieu de la profonde histoire du ‘même’, l’ ‘autre’, à savoir l’homme, aurait dessiné sa figure. Pour un temps seulement. Avant d’être à nouveau ramené au ‘même’ !

En archè nous avions un ‘Je suis’; il nous reste un ‘ça’. Nous avons troqué le mystère du Père contre la fiction d’Œdipe. Et celle-ci, à son tour, se révèle superflue. Invités à oublier de qui nous sommes fils. Devenus orphelins du néant. Car désormais nous n’avons plus besoin de père. Puisque ‘ça’ marche tout seul !

Nous avons péché par hybris

Nous avons voulu devenir ‘maître et possesseur de la nature’ après nous avoir érigé en maîtres et posses-seurs du sens. Nous nous sommes donc mis à dévelop-per l’outil avec frénésie. L’outil intellectuel et l’outil matériel en féconde interaction. Une mécanique qui grossit et s’emballe de façon exponentielle, gourmande de plus en plus de matières et d’énergies et produisant de plus en plus de ‘bien-être’. Cet outil se faisait vecteur de nos euphories. La foi au ‘progrès’, la foi au progrès exponentiel, la foi au progrès infini, devenait notre nouveau Credo, inspirant les plus folles idéologies des progressismes de droite et de gauche.

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Nous ne l’avons pas chanté longtemps, cet hymne à la gloire de notre possible infini. Très vite nous avons déchanté ! Pris au piège. Coincés par nos finitudes et nos impossibles. Affolés tel l’apprenti-sorcier ayant découvert la puissance de Prométhée en oubliant les limites de son possible.

N’avons-nous pas fait notre bonheur d’une outilité qui, loin de notre bonheur, ne tourne que pour le plaisir de tourner ? N’avons-nous pas profondément aliéné notre être à l’avoir et l’avoir à la consommation ? N’avons-nous pas enfermé le désir dans le cercle infernal du progrès pour le progrès, de la croissance pour la croissance, de la rentabilité pour la rentabilité, de l’accumulation pour l’accumulation, de l’exponentialité pour l’exponentia-lité... ? N’avons-nous pas réduit les fins de nos moyens aux moyens de nos fins ? N’avons-nous pas confondu le sens de l’histoire avec le non-sens que l’outilité exponen-tielle a donné à ‘notre’ histoire ?

De telles questions ne peuvent pas ne pas renvoyer à un questionnement plus large sur la possibilité du bonheur lui-même. Existe-t-il pour l’homme un bonheur sans limites et partant sans maîtrise des limites ? Peut-il y avoir vrai ‘progrès’ et vraie ‘culture’, donc véritable huma-nité, sans la distance entre bonheur et bonheur ?

Nous avons péché contre le Verbe qui nous engendre humains

Car il n'y a d'homme que par un verbe qui le dit et par lequel il se dit en humanité. Et ce verbe, ultimement, archéologiquement, ne peut avoir que deux origines, soit

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le dialogue, soit le monologue. Le dialogue commence avec la Parole de l'Autre. Le monologue débute avec le Discours de Même.

C'est aux antipodes d'une crise possible que ‘le’ Discours s'était mis à fonctionner en autonomie. Nouveau logos anthropogène, substitut schizoïde à la Parole, il s'est cru, comme elle, créateur d'humanité. Et plus qu'elle, créateur de sur-humanité. Depuis ses premiers balbutiements nominalistes, à travers ses jubilations renaissantes, jusqu'à sa puissance et sa gloire, ce n'était qu'eupho-rique certitude de croissance et de progrès à l'infini.

Nous avons péché contre l'Esprit

Le péché contre l'écologie de la grâce est identiquement péché contre l'Esprit. Un péché contre la vérité de notre condition humaine. Ce péché se confond avec le péché du monde. C'est, en effet, par péché que la nature se constitue en autonomie opposée à la grâce. Lorsqu'elle se boucle sur elle-même et qu'elle résiste à sa trans-parence. Lorsqu'elle refuse de se laisser transfigurer par la gloire des enfants de Dieu qui doit se révéler à travers elle.

L'histoire, depuis, ne cesse de se le répéter à elle-même. Et cette redondance donne la clé de bien des mystères de notre état. Lorsque l'humain se laisse prendre aux mirages de l'originel tentateur, toujours 'prince de ce monde'. Rompez la grande Alliance. Prenez votre auto-nomie. Bouclez votre monde sur lui-même. Devenez 'maîtres et possesseurs' de vos possibles. 'Vous serez comme des dieux !'.

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Aux commencements il n'en est pas ainsi puisque tout déborde de la surabondance d'Agapè. Aux aboutisse-ments il n'en sera pas ainsi puisque tout harmonisera dans le plérôme du Christ. C'est dans l'entre-deux qu'urge une conversion.

Tout péché contre l'Esprit est aussi un péché contre l'homme. Il est d'abord un péché contre le cœur de l'homme qu'il coupe de ses sources, l'enfermant dans sa schizoïdie. Mais l'homme meurt d'un tel enfermement, car, à l'image de son Dieu, il est un être en relation. Un être en Alliance.

Tout péché contre l'homme est aussi un péché contre l'Esprit. Ce n'est pas le cœur qui peut dire: “L'enfer, c'est les autres.” A moins qu'il soit perverti. Car l'Autre est grâce. Et avec Lui, tous les autres. La véritable rencontre interpersonnelle est créatrice de quelque chose d'infini. Cette singulière solidarité mystique ou diabolique dont le génie d'un Dostoïevski évoque si intensément la réalité. Dans le bien comme dans le mal. Jusqu'à l'enfer ou jusqu'à la Communion des saints.

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3. Prodigues

Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père: 'Père, donne-moi la part d'héritage qui me revient.' Et le père fit le partage de ses biens. Peu de jours après, le plus jeune a rassemblé tout ce qu'il avait, et partit pour un pays lointain où il gaspilla sa fortune en menant une vie de désordre. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans cette région, et il commença à se trouver dans la misère. Il alla s'embaucher chez un homme du pays qui l'envoya dans ses champs garder les cochons. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.1

Combien de temps encore le fils prodigue de notre monde moderne voudra-t-il garder les cochons avant de retrouver le chemin vers la maison du Père ? D'abord, sans doute, lui faut-il trouver le chemin de l'anamnèse. Et le cri profond de l'Esprit dans ses profondeurs encom-brées.

1 Luc 15,11-16.

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La parabole de l'enfant prodigue dans l'Evangile de Luc dévoile à sa manière la dramatique profonde des filles et des fils prodigues de notre modernité. On connaît la suite de cette parabole. Nous aimerions sans doute nous retrouver ailleurs en compagnie de l'aîné. Mais de toutes façons Dieu ne semble pas lui donner raison.

Garder les cochons

Une fois enfermé dans l'enclos, reste-t-il autre chose à faire ? Combien de temps encore le fils prodigue voudra-t-il les garder, les cochons, avant de retrouver le chemin vers la maison du Père ? D'abord, sans doute, lui faut-il trouver le chemin de l'anamnèse. Et le cri profond de l'Esprit dans ses profondeurs encombrées.

Pourtant... N'est-ce pas dans un monde merveilleux que nous nous sommes enfermés ? Un monde où `vivre' se conjugue avec tant et tant de facilités. Jaillissement d'inventions et de découvertes. Conquêtes scientifiques. Prouesses techniques. Perfectionnement de l'outil producteur. Abondance des biens de consommation. Extension des réseaux de communication. Amélioration des conditions de travail et des possibilités de loisirs. Progrès du pouvoir d'achat, de la médecine et de l'espérance de vie. Création d'équipements pour l'âme et pour le corps. Surabondance d'informations. Foison-nement des productions artistiques et culturelles. Plé-thore d'assurances contre tous les risques imaginables...

Fils prodigue... La prodigalité n'est sans doute pas un si grand péché. Il lui arrive même plus d'une fois d'être vertu. Ici, cependant, il ne s'agit pas de n'importe quel

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prodigue. Il s'agit du fils. Il s'agit même du cadet, sans doute le préféré. Le bien qu'il gaspille n'est sien qu'en alliance. C'est d'abord un bien de famille qu'il dilapide. Et, ce faisant, c'est un lien d'alliance qu'il rompt. Faut-il parler d'enfant gâté ? Les fils savent rarement le prix de la fortune familiale et le travail qu'elle a coûté aux pères. Comme si l'abondance était due et allait de soi. Aux moments d'euphorie, leur gaspillage est à la mesure de leur insouciante irresponsabilité. Ils ne commencent à peser le prix des ressources que lorsqu'elles se mettent à manquer.

C'est d'un bien de famille immense que les fils de l'Occident, et à travers eux tous les fils de la modernité du globe, sont héritiers. Pris de vertige devant leurs prouesses, ils l'ont oublié. Croyant que leurs ressources et leurs énergies, matérielles déjà, spirituelles surtout, étaient leurs comme la chose la plus `naturelle' du monde. Il faut sans doute les défaillances et les échecs pour commencer à comprendre que loin d'être naturelles ces ressources nous viennent par héritage.

Livré aux maîtres du soupçon... Quelle image de soi peut bien avoir l'enfant prodigue en essayant de se mirer dans les flaques troubles de son enclos ? Voici quelques reflets de lui-même que lui renvoient les Maîtres du soupçon. Cela prend des formes aiguës au tournant de notre siècle. Après le divin, voici l'humain soupçonné. Dans ses hauteurs et dans ses profondeurs.

L'enclos

La façon la plus rationnelle de garder les cochons est de

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commencer par enfermer ces bêtes parfois turbulentes derrière une clôture.

Ce monde se caractérise sans doute par une extraor-dinaire multiplicité d'espaces riches et différenciées. Cette multiplicité, pourtant, ne fait que s'éparpiller dans le même espace englobant. De cet espace est expulsé tout ce qui est `de trop' dans l'enclos. C'est-à-dire l'essentiel. La mort. Le mal. Le péché. La grâce. La transcendance. L'accident. Le gratuit. Le mystère...

L'enclos suscite les `maîtres penseurs' à sa mesure. C'est-à-dire lucides seulement jusqu'à l'horizon indépas-sable de la clôture. Lorsque manque le sens qui donne sens toutes les logorrhées sont possibles. Il suffit de discourir... Courir de ci, de là. Mais, attention, pas au-delà des limites de l'enclos. On court ainsi jusqu'à l'étourdissement face aux questions essentielles.

Le grand enfermement. Spécificité de notre modernité ! Un Michel Foucault en a marqué les contours. Du côté des prisons. Du côté des hôpitaux psychiatriques. De tant et de tant de côtés ! Ce besoin perfectionniste de classer et de mettre en cage. Aux beaux jours du Moyen Age le fou avait droit de cité parmi les hommes à part entière. Le débile cohabitait avec les autres enfants de la maison. Le malade, même à l'hôpital, restait entouré des siens. On logeait les morts au cœur du village. Mais le grand enfermement n'est pas seulement de nature sociologique. Ce sont les âmes qu'il fallait parquer. Ce sont les esprits, toujours rebelles, qui devaient se façonner aux limites étroites de l'enclos.

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Alors il réfléchit

Beaucoup s'installent maintenant dans ce champ de ruines, tentés par la désespérance. D'autres, moins nombreux et plus lucides, découvrent que les déserts sont faits pour être traversés. C'est la foi en l'Exode qui fait la différence.

C'est par l'absurde que l'enfant aimé du Père, devenu prodigue, expérimente maintenant qu'il est fait pour autre chose que pour garder les cochons.

Aujourd'hui, en cette fracture de l'histoire, n'est-ce pas par l'absurde que nous commençons à pressentir avec une évidence croissante que l'homme passe infiniment l'homme ?

Alors il réfléchit: “Tant d'ouvriers chez mon père ont du pain en abondance, et moi je meurs de faim ! Je vais retourner chez mon père, et je lui dirai: Père j'ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d'être appelé ton fils. Prends-moi comme l'un de tes ouvriers.” Il partit donc pour retourner chez son père.1

Père, j'ai péché

Dans l'enclos des cochons reste, possible, le seul cri authentique. Et le seul libérateur. Car l'homme révélé divin par grâce ne refuse pas cette grâce sans faire la bête. Lorsque l'homme se détourne de la Source de son être et de son sens, fatalement lui reste une étendue d'absurde. Il faut savoir prendre la mesure de ce

1 Luc 15, 17-20

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contraste pour jauger la distance qui sépare la pers-pective schizoïde sur l'homme de l'originelle vision chrétienne. En réciprocité d'Alliance le Père dit: Tu es mon fils. A l'instant même ton je t'est donné. Tu dis: Tu es mon Père. A travers l'abîme des profondeurs humaines se donne le vertical vis-à-vis. L'archéologique et absolu `Je Suis'. Source de l'être et du sens. Bien plus, Père.

Etat des lieux

Ce monde qui se veut si critique met tout en question excepté ses propres présupposés. A trop se complaire dans l’enclos on risque de s’habituer. Il faut sans doute venir du dehors pour savoir discerner lucidement.

Le déclin des absolus... C’est une spécialité de notre temps. Restent les référentiels dans le vent. Variables, multiples, contradictoires... Reste une immense cacopho-nie sur l’essentiel... Avec une déflation des valeurs et une inflation de la surenchère. Comme un continent détaché de la terre-mère notre monde risque d’aller à la dérive. Et alors tout se met à dériver avec lui. Les repères. Les principes. Les valeurs...

Rien ne vaut plus dans l’absolu. La valeur se donne par tacite entente et par convention. Bien et mal se jaugent à la résonance, c’est-à-dire seulement aux vibrations de la sensibilité épidermique. Tout est vrai, tout est faux, cela dépend d’où on regarde et comment cela vous ‘touche’. Tout peut se justifier donc rien ne peut l’être vraiment. Quelles raisons de vivre peuvent rester à un monde qui n’a plus de raisons de mourir ?

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Le péché n’existe pas. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Jusqu’au moment où les monstres sont lâchés. Des enfants torturent des enfants... Notre monde reste sans réponse devant le mal qu’il découvre en lui. Ce monde qui se veut ‘impeccable’ n’a jamais autant rempli les prisons qu’aujourd’hui.

Nous nous voulions maîtres absolus de notre verbe. Nous nous retrouvons clochards des insignifiances. Un mot comme ‘enthousiasme’ devient suspect dans un monde qui cultive des vibrations plus épidermiques. Ainsi en va-t-il de la ‘fidélité’, du ‘sacrifice’, du ‘respect’, de la ‘piété’ et de tant d’autres valeurs régulatrices de l’humain authentique.

Nouvelle Babel... Les langages prolifèrent. Les hermé-neutiques se multiplient à l’infini. L’incommunicabilité s’épaissit à l’extrême. Que veut dire ‘humain’ ? Derrière le mot y a-t-il autre chose que le simple mot sans essence et sans transcendance ? Une vibration d’air seulement en résonance avec des sensibilités subjec-tives.

‘Etre dans le vent’ devient l’impératif catégorique lorsque les référentiels eux-mêmes sont embarqués sur le navire à la dérive. Quelle démangeaison de courir après des maîtres de pacotille ! On se livre au premier gourou venu. Point de salut ailleurs. ‘Idoles’, ‘stars’ et autres ‘vedettes’ rivalisent pour vous voir à genoux et pour solliciter votre denier du culte. On ne te pardonnera pas de ne pas être du grand nombre. Tu passes pour ridicule si tu t’obstines à creuser des puits là où l’on meurt de soif.

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On oublie les ‘données élémentaires de l’humain’. Il reste à réinventer sans cesse l’homme et à le conditionner en conséquence. La transcendance étant bouchée, on se donne les ‘Ersatz’ qu’on peut. Lendemains qui chantent. Argent facile. Musiques endiablées. Sexe déchaîné. Paradis artificiels... L’absurde a perdu son étrangeté. Il trouve partout ses adulateurs. Spontanéismes d’esthè-tes. Le ‘happening’ à tout prix. Le bizarre pour le bizarre. Les euphories exotiques. Les surgissements au hasard... jusqu’à la violence gratuite.

On couvre de gloire et d’argent les figurants télégéniques de nos turpitudes. Ensuite on s’en prend au gosse con-taminé. «C’est moi» clame l’acteur masqué. » – «Ce n’est pas moi !» proteste-t-il lorsqu’on lui soulève son masque.

Les corps se parent de mille habits différents. Les âmes restent en uniforme. La protestation individualiste a beau s’amplifier. Le ‘je’ n’est plus qu’en façade. En profondeur règne le ‘on’. Il est l’alibi universel face à toutes les démissions de la responsabilité personnelle.

La mise en scène épuise la vérité. Le battage médiatique devient norme et critère. La bonne conscience se donne très facilement. Il suffit d’obéir bêtement aux Maîtres penseurs du temps. L’applaudimètre décide du bien et du mal. C’est l’Audimat qui sacre les idoles et consacre les vérités. L’Audimat ? C’est-à-dire, impudiquement travesti, le ‘fric’.

Un univers vidé de Dieu. Un ciel vidé des essences. Un monde vidé du mystère. Restent les ‘profondeurs’

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creuses de nos futilités. La vacuité de notre monde se donne les pleins qu’il peut. Ils lui viennent par résonance. Comme si l’essentiel, dorénavant, par médias interposés, était moins les faits eux-mêmes que leurs répercussions, leur réverbérations et leurs échos. La résonance se fait fallacieuse source de vérité. Bouclant la cause sur l’effet et l’effet sur la cause, elle répercute en l’amplifiant un consensus trompeur qu’elle ne cesse de provoquer.

Espace et temps perdent leur profondeur sacrale. Amputés du mystère et de leur indice d’éternité. Restent un espace et un temps cloisonnés, morcelés, éparpillés pour présider aux cadences inhumaines. La fête tous les jours ? Ce monde d’enfants gâtés qui suspecte les élans et répugne aux engagements cherche frénétiquement le plaisir. Il en vient à perdre sa joie.

Notre monde est singulièrement friand d’épices. Une façon de rendre mangeable l’insipide. Nous fabriquons frénétiquement du plein. Et c’est là que prolifère un vide désespérant. Une abondance d’objets dans un vide de sens. Une accumulation de connaissances dans un vide de sagesse. Une masse d’idoles dans un vide de Dieu. On veut fabriquer le sens comme n’importe quel objet de consommation. Ensuite il est soumis à l’offre et à la demande qui régissent le marché. Le reflet l’emporte sur la chose.

Pourquoi l’espérance fuit-elle notre espace ?

C’est par son contraire que nous savons ce qu’espérer veut dire. Il faut commencer par prendre la mesure de la désespérance. Ici simplement quelques flashes... Avec

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téléobjectif et grand angulaire. Ils grossissent sans doute. Ils exagèrent. Mais passent-ils complètement à côté de la vérité ?

Nos terres ensoleillées et verdoyantes peuvent être menacées tantôt de glaciations et tantôt de déserti-fications. Pas seulement physiques. Dans un monde qui pourrait être si merveilleux, tel un mal inexorable, peut soudain proliférer le virus de la désespérance.

Un monde qui risque de devenir anémique et de perdre ses résistances profondes. Non pas celles des corps mais celle des âmes. Lorsque manque le souffle. Lorsque les élans retombent. Lorsque la parole se vide.

Pourquoi notre moderne espace d’humanité est-il devenu un espace que gagne la désespérance ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelles chances l’espérance y a-t-elle encore ? Ces questions hantent notre ‘aujour-d’hui’ où notre modernité aborde les rivages incertains de l’ère post-moderne...

De notre espace d’humanité, on a tendance à privilégier d’emblée les contenus. Mais ici c’est d’abord le conte-nant qui importe. Le contenant ou l’englobant. C’est-à-dire ce qui délimite. C’est aux frontières que se joue le décisif de la clôture et de l’ouverture et, partant, de l’espérance.

Il s’agit de mener l’analyse jusqu’aux raisons fondamen-tales, c’est-à-dire englobantes. Soigner des arbres peut ne jamais prendre fin si on oublie que c’est d’abord la forêt qui est malade. Et, au-delà de la forêt, c’est tout

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l’écosystème qui peut être mortellement atteint.

Pouvons-nous retrouver l’espérance autrement qu’en ouvrant à nouveau radicalement notre espace d’huma-nité ?

Impasse

L'impasse... Ce que nous appelons pudiquement la crise ne fait que commencer. Au bout d'une éphémère aven-ture seulement ! Et après que le fonctionnement de l'outil d'abondance n'ait profité qu'à un petit quart de l'humanité seulement. Et encore !

Qu'en sera-t-il dans deux siècles ? Dans vingt siècles ? Dans cinq cent siècles ? Le temps peut-il corriger les effets d'une accélération qu'il porte ? Pour combien de temps l'homme peut-il s'aveugler dans la stupide fuite en avant ? La crise à laquelle on pense trop souvent ne fait que cacher une autre beaucoup plus profonde. Notre crise est moins matérielle que spirituelle.

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4. Illusions

Notre modernité, encore trop éblouie par ses propres prouesses, n'a pas encore pris la mesure exacte de ses illusions. Peut-être l'enfant prodigue n'a-t-il pas encore touché le fond de l'angoisse de sa solitaire condition ? Mais déjà les réponses trop facilement optimistes et les dérobades d'une fuite en avant se sentent moins sûres d'elles-mêmes et même un peu ridicules devant la montée d'une remise en question radicale. Déjà un soupçon. L'homme 'moderne' ne serait-il pas malade ? Malade d'un mal beaucoup plus pernicieux que les diagnostiques courants, plus ou moins sécurisants, ne tendent à l'admettre ?

Il reste encore bien des illusions. Et, pour beaucoup d'esprits, l'évidence n'est pas encore évidente. C'est même incontestablement l'évidence la plus difficilement admissible par la modernité. Comme si le mythe de la `lucidité' était le plus aveuglant de tous ! Nous avons cru que la dynamique du sens surgissait ex nihilo ou encore sortait de la cuisse de Jupiter comme la chose la plus 'naturelle' du monde. Nous vivons dans l'illusion d'un `ouvert' grandissant que nous ne cessons de nous

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octroyer à nous-mêmes. Voyez la `liberté'. Sans règle. Sans contrainte. Sans bornes. Sans `maison'... Clochar-de.

Notre ‘lucidité’, aujourd’hui, voudrait se contenter de vivre ‘seulement avec ce que l’on sait’. Mais sait-on jamais autre chose que ce que l’on veut savoir ? En fait nous savons plus que ce que nous croyons savoir. Nous savons sur fond de savoir refoulé. Car nous avons connu au sens biblique où l’homme ‘connaît’ la femme en la fécondant. Nous avons beau protester, nous ne pouvons pas faire comme si la rencontre n’avait pas eu lieu. De guérison point, cependant. On croyait que l’homme, enfin délivré de son mystère, retrouverait son innocence. On croyait que l’homme, enfin rendu, sans illusions, à la pure immanence, s’épanouirait comme le plus bel animal dans le plus beau jardin zoologique. C’est seulement un étrange mal qui se mit à proliférer...

Prendre la mesure exacte de nos Illusions

Nous voulions accaparer la divine démesure en refusant sa source, l'Alliance, qui lui donne sens. A l'homme deve-nu 'suprême' revient la tâche d'inventer l'homme. La tâche de Sisyphe d'inventer inlassablement l'homme ! C'est à lui que revient alors la charge d'être créateur et fondateur radical de vérité, d'être, de valeur, de droits, de devoirs et de sens. De sens surtout !

Mais où commencer et où s'arrêter entre la belle 'idée' de l'Homme et le "réel" de l'humain trop humain ? Comment l'homme va-t-il se donner une généalogie ? Comment va-t-il se refaire une virginité ? Comment l'homme va-t-il se

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construire sa 'bulle' de survie ? Où va-t-il puiser le sens ?

Seule 'transcendance' à cette immanence du possible schizophrène, la fuite en avant du progressisme scien-tiste ou les paradis artificiels de l'idée ou de la drogue ! Mais que signifie une révolution qui renvoie le même homme dans les mêmes clôtures ? Que signifie un 'Progrès' qui ne tourne qu'en bouclant sur elles-mêmes productions et consommations ? La cohérence la plus logique de la condition schizophrène ne serait-elle pas la démesure nihiliste ? Drame d'une démesure infiniment libérée prise au piège d'une clôture qui ne peut être jamais à sa mesure !

Mais peut-être commençons-nous à pressentir, aujour-d'hui, comme une fracture de l'histoire où l'homme est appelé à expérimenter, fut-ce par l'absurde, que l'homme passe infiniment l'homme. Sans doute l'impasse n'est-elle pas fatale. Pourquoi cette même judéo-chrétienne dynamique qui ouvre les démesures n'ouvrirait-elle pas encore, comme toujours, l'infini espace de l'AUTRE ?

L'englobé veut se faire englobant

Les évidences, pourtant, se font criantes. Ainsi, la préten-tion moderne de “devenir maîtres et possesseurs de la nature" était logée et fonctionnait dans un système qui se prenait pour absolu. Mais, en fait, nous le découvrons aujourd'hui englobé dans un plus large système qui ne peut que le relativiser.

Insouciants des lois de l'énergie et de l'incontournable entropie de tout système clos. Comment, par exemple,

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faire fonctionner exponentiellement une dynamique infinie – le 'progrès', tels que nous l'imaginions – à l'inté-rieur d'un espace fini ? Ce n'est que pour un temps seulement que le système fermé peut ainsi se donner l'illusion de tourner quand même. Parce que les élans se prolongent par inertie cinétique. Parce que les réservoirs ne sont pas encore vides. Parce qu'il reste les prophètes et les témoins d'ailleurs. Mais inexorablement joue l'entropie. Mortelle.

'Ouverte' simplement pour la satisfaction d'elle-même et finalement pour rien d'autre qu'une profonde frustration. En nous bouclant sur notre possible clos sur lui-même, nous nous bouclons dans l'absurde. C'est en ouvrant l'espace de l'humain à l'infini de Dieu que s'ouvre grand un espace pour l'espérance. Ici l'impossible Démon de Maxwell doit céder sa place à l'Ange de la grâce.

Nous ne cessons de vouloir boucler le règne de l'humain sur lui-même. Le système tout entier veut fonctionner en clôture. C'est en autosuffisance qu'il veut fonctionner et progresser. C'est par autocréation même qu'il veut être. Cela veut dire que, désormais, il croit se faire créateur de l'unique source chaude de toute son énergie spirituelle. Le sens total enfermé en immanence. En totale finitude. Dans le complet oubli de son entropie et de sa nécessaire néguentropie. Dans l'oubli de son `puits froid'. Dans l'oubli, également, de ses accumulateurs non complètement déchargés et sans lesquels ses préten-tions elles-mêmes d'autonomie se liquéfieraient dans le néant.

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L'homme peut-il se donner à lui-même son absolue source chaude ?

Ce qui est remarquable c’est que toutes les cultures, à l’exception de la culture moderne, fonctionnaient ou continuent de fonctionner avec une source chaude puis-sante et avec des accumulateurs de sens bien chargés.

La schizoïdie anthropocentrique par laquelle la modernité accède à elle-même boucle l'autonomie en clôture totale dans le grand enfermement de l'humain sur l'humain. Pour la première fois depuis que l'homme existe, le système anthropogène se met à fonctionner en stricte clôture. C'est-à-dire en se mettant à réchauffer continuel-lement lui-même la source chaude de son sens et de ses significations. Et partant à recharger aussi par lui-même et à partir de lui-même ses accumulateurs sémantiques.

Voilà donc le possible de l'homme livré à lui-même. Une grande euphorie pour celui qui se veut être `maître et possesseur' de toutes choses. Mais, en même temps, une tâche qui se fait infinie. Car désormais il s'agit de fonder ses fondements, de certifier ses certitudes et de valoriser ses valeurs.

La justification s'interdisant un dehors d'elle-même, c'est désormais à l'intérieur de la clôture qu'il faudra fonder et justifier. Le vrai, par exemple, ne pouvant plus se fonder autrement que par la seule non-contradiction à l'intérieur d'une totalisation schizoïde. Dès lors seule l'articulation interne, c'est-à-dire la méthode, est capable de faire la vérité. Empirismes et rationalismes se justifient tour à tour par une insistance sur un `je perçois' ou un `je

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conclus'. Phénomènes ou rapports logiques, qu'importe au fond puisque l'intelligence reste prisonnière de son seul possible. Comment dépasser désormais les criticis-mes, les utilitarismes, les relativismes, et tant d'autres `ismes' à haut coefficient d'incertitude ?

Quelle justification reste possible ? Lorsqu'il n'y a plus de valeur qui ne soit enclose dans les limites de l' `humain trop humain'. Lorsque toute légitimation tourne en rond, autour d'elle-même. Lorsque tout peut devenir légitime parce que tout peut se légitimer.

La raison coupée du réel absolu, la raison renvoyée à sa propre justification par elle-même, ne peut pas ne pas promouvoir son `Etre suprême'. Au pluriel ! Nature. Cos-mos. Humanité. Société. Progrès. Science. Etat...

Pourquoi nous survivons quand même ?

Plus qu'il n'ose se l'avouer à lui-même, notre monde moderne fonctionne malgré tout, même par subreptice participation, sur une formidable réserve de sens, véri-table capital d'énergie spirituelle constitué au cours de l'histoire occidentale.

C'est parce que ses réservoirs d'énergie spirituelle et de ressources d'humanité ne sont pas vides et restent malgré tout encore 'branchés' sur la source chaude que l'humain est capable de traverser sans mourir des espaces désertiques où le sens s'étiole et où l'absurde prolifère. Mais si les réserves s'épuisent ? Si les canaux sont laissés à l'abandon ? L'humain peut-il survivre indé-finiment coupé de sa source chaude ?

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Nos réservoirs d'énergie spirituelle ne sont pas encore vides

Nous croyons le sens inépuisable. En fait ce sont les gigantesques réserves de sens accumulées au cours de siècles de communion au Souffle de Dieu que nous brûlons de façon insensée. Mais peut-on impunément se permettre de jouer avec le sens ?

Ces gigantesques réserves de grâce produites et accumulées par les siècles d'extraordinaire croissance spirituelle de cet Occident où s'étreignent, fécondes, depuis leur première rencontre, les extrêmes différences païennes et chrétiennes. Ces prodigieuses réserves d'énergie spirituelle rassemblées au cours de l'aventure chrétienne occidentale par de longues générations de foi, de prière, de contemplation, de charité, de travail, de sacrifice, de réflexion, de création, de construction... Il est vrai que nous risquons de nous trouver sans cesse expropriés de notre patrimoine. Nos valeurs se retrou-vent en réemploi. Coupées de leur sens, dénaturées, vidées de leur verticale, et souvent même tournées contre nous.

Les sources sont rarement spectaculaires et les conduits le plus souvent souterrains. Les choses essentielles pour notre survie ne prennent réellement de l'importance à nos yeux que le jour où elles se font rares et menacent de manquer. Il n'est pas sûr que ce jour ne tarde... L'urgence se fait criante de nous préoccuper des authen-tiques ressources d'humanité. Il s'agit de retrouver nos sources et de recharger nos capacités. Disposer d'assez d'authentique humanité `en réserve' pour faire face aux

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désespérances.

Réserves de sens

Jusqu'en ses extrémistes clôtures en finitude, la moder-nité ne cesse, effectivement, de participer, souvent mal-gré elle, et plus inconsciemment que consciemment, à quelque 'transcendance'. Sans ce subterfuge elle ne saurait survivre longtemps sans succomber à l'asphyxie. Ainsi la rupture avec la source chaude n'est jamais consommée. Et surtout les accumulateurs ne sont jamais complètement déchargés.

Les formes de cette accumulation de réserves du sens sont très diverses. Quelle réserve de sens ne constitue pas, par exemple, la `nature' ? A la fois sein maternel, terre natale, havre de paix et de silence, permanence d'imperturbabilité, maîtresse de mesure et d'harmonie... Indifférente au stress et à l'éphémère. Capable de panser les blessures de l'existence. Réconciliée avec les grands rythmes de la vie.

Et que dire de nos enfants ? Si spontanément chez eux dans la maison du sens. En si naturelle proximité avec le sens originaire... N'est-il pas des moments où prendre un petit dans tes bras te fait vivre une intense communion avec le sens total et une infinie réconciliation avec l'univers ? Sans doute la plus formidable réserve de sens nous accompagne-t-elle dès avant notre naissance, “dès le ventre de la mère”, comme disent déjà les prophètes d'Israël.

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5. Le souffle enfermé

Enfermé, c'est-à-dire matérialisé, structuralisé, naturalisé, mécanisé... Objectivement et subjectivement.

Le signifiant déraciné

Abstraite à la fois du réel et de la pensée, la réalité linguistique veut se boucler en autonomie comme strict 'objet' de science. Au fait que 'l'homme parle' se substi-tue vite l'axiome `il y a du langage'. Un glissement d'abord méthodologique. Il attente cependant à l'humain. De la science il déborde sur la philosophie. Derrière la liberté de la parole se profile la nécessité particulière de la langue constituée; derrière cette nécessité particulière, la nécessité universelle du langage constituant.

Cette nouvelle linguistique ne s'occupe que du rapport entre le signifiant et le signifié, c'est-à-dire du rapport entre la matérialité phonique du signe et le concept, entre l'image acoustique et l'image mentale. Elle ne s'occupe pas du rapport entre signe et chose. Le signe fonctionne dans l'espace clos d'un système structural. Dès lors ce n'est plus le projet humain qui produit le sens mais le

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système.

Exit le signifié. Reste le signifiant avec sa réduction à l'état de langage brut. Ce n'est plus l'humain qui explique le langage, c'est le langage qui explique l'humain. Se trouvent alors remises en question les sciences hu-maines en tant qu'humaines. Voilà l'humain livré à cette plus fondamentale nature derrière toute culture, à cette plus originaire structure derrière toute histoire. La boucle du même enfin complètement bouclée !

Désormais il y a la loi du langage qui régit l'ordre du signifiant et partant du symbolique. Le sujet est réduit à l'objet, le conscient à l'inconscient, la liberté à la néces-sité, et finalement le sens au non-sens. La signification n'est plus que phénoménale. Derrière tout sens, dit Lévy-Strauss, il y a un non-sens. Le nouveau cogito veut, avec Lacan, se formuler de façon suivante: je pense où je ne suis pas, donc je suis où je ne pense pas. Le langage parle sans je. Simplement ça parle ! Exit l'homme...

Nous qui, désertant la maison du Père, nous voulions maîtres de l’universel, nous nous sommes retrouvés clochards des insignifiances. Jusqu’où faudra-t-il traîner nos faméliques illusions pour, à nouveau, être touché par la nostalgie des espaces paternels ? Combien de temps encore le fils prodigue de la modernité voudra-t-il garder les cochons avant de retrouver le chemin vers la maison du Père ? D’abord, sans doute, lui faut-il trouver le chemin de l’anamnèse. Et le cri profond de la nostalgie.

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Le discours de l’inconscient

Derrière ce que dit l’homme est désormais postulé un pur dire obéissant à la stricte loi du système linguistique. Derrière la parole, il y a une structure qui devient le seul lieu d’intelligibilité du discours. Inconscient et structure se reconnaissent une identité de nature. Et comme des deux l’un resterait silence absolu et opacité confuse sans l’autre, c’est la structure qui permet à l’inconscient d’accéder à l’intelligibilité. Le structuralisme veut régir désormais les deux sciences de l’inconscient que sont la psychanalyse et l’ethnologie.

Derrière la multiple variété des discours culturels ne reste que ‘le’ discours. Un seul et unique discours. Inconscient. Impersonnel. Intemporel. Uniforme. Pur langage à l’état nu. Reste donc l’infinie finitude du ‘il y a’, englobant absolu de tous nos possibles. Ce à-partir-de-quoi nous sommes, nous pensons, nous savons, mais que nous ne pouvons plus penser. Existant depuis toujours avec la massive solidité d’une chose. Ça parle. Ça désire. La psychanalyse et l’ethnologie s’y reconnaissent sans pourtant y avoir accès.

En 1966, avec Les mots et les choses, Michel Foucault boucle froidement la finitude du discours de l’inconscient sur elle-même. Aussi bien la psychanalyse que l’ethno-logie ne traversent plus le champ du savoir sur l’homme qu’en rejoignant archéologiquement ses limites, à savoir ce discours qui se dérobe à toute signification et sans lequel, pourtant, un savoir sur l’homme reste impossible. L’homme serait apparu dans une place vide du savoir, dans une fêlure de la cohérence de l’espace épisté-

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mologique classique. Ce sont les sciences humaines qui ont occupé ce vide. C’est en constituant l’homme comme objet du savoir qu’elles font l’homme. Les sciences psychologiques et sociales, cependant, ne sauraient occuper longtemps cette fêlure. De nouveaux savoirs surgissent. Des savoirs plus critiques et plus fondamen-taux. Des savoirs qui défont l’homme.

Ainsi la psychanalyse et l’ethnologie. Ces sciences – en fait des contre-sciences – contournent les représenta-tions que les hommes et les cultures peuvent se donner d’eux-mêmes pour s’approcher d’une région fondamen-tale où se jouent les rapports de la représentation et de la finitude. C'est là et en même temps ça se refuse. Un texte bouclé sur lui-même. Une bulle épaisse et vide. Le système à l'état nu.

La boucle se boucle sur la finitude du pur langage nu et vide, à jamais extérieur à l’homme. L’homme se voit reconduit au nulle part du sens d’où il émerge. Retour à la sérénité du Discours de l’Inconscient... Au fond, la sérénité de l’insignifiance. Quelle différence avec la mort de l’homme ?

Ça parle ?

Ce que "je"parle ne veut plus dire... Devenue structura-liste objet de science, la réalité linguistique ne peut pas ne pas se constituer méthodologiquement en autonomie. Au constat ‘l’homme parle’ se substitue vite l’axiome ‘il y a du langage’. Ce glissement, apparemment inoffensif, attente cependant à l’homme s’il se déplace de la métho-dologie scientifique vers la philosophie. Et ce glissement

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n’a pas tardé à se produire. La parole ramenée et réduite au langage. Le langage ramené et réduit à la structure. L’autre enfin radicalement ramené et réduit au même !

Curieux flirt avec le néant ! Signe d’un temps où l’homme ne peut plus survivre après avoir rompu les liens ontologiques, après avoir perdu le signifié et proclamé le déclin des absolus, du sens et de la valeur. Signe d’un temps où l’homme ne peut pas ne pas mourir après avoir fait mourir Dieu... Il reste le signifiant. Nu. Insensé. Tournant à vide dans la finitude. Lorsqu’on démissionne de l’homme, lorsqu’on perd le sens de l’homme, on est prêt à se prostituer aux résidus idéologiques d’une simple méthode. Ici la perte de foi en l’homme se trouve l’alibi ’en béton’ de la neutralité structurale. Lorsque le souffle manque, on fait avec ce qu’on peut. Seulement, ici, il s’agit de faire ou de défaire l’homme lui-même. Et le pouvoir refuse d’être autre que celui de la méthode. Lorsque la possibilité de l’homme sur l’homme ne dépasse plus celle de l’outil, la méthodologie se prend pour un absolu et se boucle sur elle-même, idéologie. Il y a extension de ce qui est valable à un niveau du phénomène à l’ensemble du réel. La réduction méthodologique, scientifique, s’absolutise en réduction idéologique. L’homme n’est que... Paradoxalement cette clôture noue en projet un tel anti-projet !

Flirt avec le non-sens

Ce que ‘matérialisme’, aujourd’hui, veut dire... Signe d'un temps où l'homme ne peut plus survivre après avoir rompu les liens ontologiques, après avoir perdu le signifié et proclamé le déclin des absolus, du sens et de la

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valeur. Signe d'un temps où l'homme ne peut pas ne pas mourir après avoir fait mourir Dieu... Ne reste-il réel-lement que le signifiant nu, insensé, tournant à vide dans la finitude ? Lorsqu'on perd le sens de l'homme, on est prêt à se prostituer aux résidus idéologiques d'une simple méthode.

La méthode structurale est certes féconde en son domaine. Par contre, l’idéologie structuraliste qu’elle induit déborde largement ce domaine pour vouloir dominer – mais de quel droit ? – la totalité de la compré-hension du phénomène humain. Comme si la démission de l’homme et de sa liberté voulait se trouver l’alibi ’en béton’ de la neutralité structurale qui lui rend en même temps son absolue innocence.

La parole devenue folle

Folle comme une roue qui ne cesse de tourner ayant perdu son `embrayage'. Toute crise est toujours en même temps crise de la parole. C'est-à-dire de la signification. Très profondément une crise du sens total. Alors les hommes ont beau construire la plus merveil-leuse des tours. Ils ne se comprennent plus. La parole est livrée à l'équivoque. Parce que le sens éclate. Parce qu'ils ne boivent plus à la même source du sens. La plus belle des tours ne peut être que vouée à la ruine !

Ce que parler ne veut plus dire. Lorsque les référentiels glissent en immanence et que les valeurs se reprennent dans la courbure anthropo-centrique. Lorsque la Parole de Dieu ne transcende plus ce possible et ne lui confère plus sa norme. Lorsque la vérité tout entière est livrée au

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seul possible de l'homme. Reste le `Discours Dominant'. Avec ses `Maîtres penseurs'. Et les camps de concen-tration pour les pauvres libertés rebelles.

La parole condamnée à tourner en rond

Il s’agit du ‘Discours’ lui-même qui fait notre culture, c’est-à-dire la parole créatrice d’humanité. Le Discours ainsi bouclé sur lui-même se met à fonctionner en clôture. Le grand discours tautologique, auto-producteur de sens et auto-justificateur de lui-même. Une tautologie résonnante dans la ‘caverne’. Elle doit se trouver une généalogie, une virginité et une innocence. Vaste déploiement de la sophistique cavernale. Une infinité de discours schizo-phrènes qui, dans leur différence, ne disent pourtant que le même.

Cette prolifération tautologique se dote de médiations – les ‘média’ justement ! – indispensables pour sans cesse lancer et relancer sa propre prolifération.

Le Discours produit de plus en plus de discours au pluriel qui prennent valeur par leur consommation même. Car cette production mercenaire de discours n’est que par le consommateur qui lui-même n’est que par son condition-nement. Par sondages interposés, un ‘public’ conditionné conditionne la croissance de son propre conditionne-ment. Un discours ‘lancé sur le marché’ peut ainsi faire ‘boule de neige’ à condition que le bruit publicitaire soit instantanément intense et que la ‘cible’ ait des réflexes suffisamment conditionnés.

L’ultime critère devient la non-contradiction à l’intérieur

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de la bulle. Inflation des signes et des signifiés... Prolifération de signes enflés et gonflés de vide... Poly-sémie où n’importe quoi signifie à la limite n’importe quoi... Tautologique auto-production du signe par le référent et du référent par le signe... Relativité...

Babel

La totalité constituante n'est plus donnée absolument. Une `bulle' se constitue ex nihilo. Elle se boucle en finitude. Elle flotte dans le vide sans possible recours. L'objectivité étant néantisée reste la subjectivité objec-tivée. Le sens constitué veut être le sens constituant. Les effets se rendent autonomes. La méthode se substitue aux liens.

Impossible recherche d'un langage qui soit, selon l'expression de Rimbaud, l'âme pour l'âme. Le signe se trouve de plus en plus vidé face à l' 'objet' qui fuit à l'infini. Le signe se coupe du référent. Le signifiant se coupe du signifié. C'est la subjectivité qui crée les signes et les signifiants. Le signe schizophrène s'éclate. La parole se désintègre. La parole humaine n'est plus à partir du sens mais se veut créatrice du sens. Le discours subjectif devient archéologiquement constituant.

Le Discours bien-portant

Le meurtre du Père judéo-chrétien. Ce Père judéo-chrétien par lequel les valeurs fondamentales, désormais revendiquées sans lui et contre lui, sont advenues à la modernité. L’homme. La liberté. L’égalité. La fraternité. Le progrès... Dans quelle culture autre que celle fécon-

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dée par le père judéo-chrétien, ces valeurs sont-elles seulement pensables ?

Mais cet âge ne peut pas et ne veut pas se poser de telles questions tant il est ébloui par le fonctionnement même de son propre mécanisme. Le fonctionnement du possible de l’homme en autonomie dans l’inconscience des conditions de possibilité de ce possible. Cet âge est plein de trop de certitudes et de trop peu de questions et d’étonnements. Son ironie l’empêche d’avoir l’humour. Il prend peu de temps pour méditer sur la mort ou sur les négativités, et encore moins sur le péché... Cet âge est ébloui par ses lampes artificielles qu’il prend pour LA lumière. S’aveuglant, dans le flottement entre théisme, déisme et athéisme, sur la Source de toute lumière.

Progressif glissement qui s’accélère. Et brusquement comme un basculement. L’audace devenant exponen-tielle. De la raison totale en alliance à la raison schizoïde. Du logos comme don du sens au logos comme discours tautologique. De la raison constituée ouverte sur la raison constituante à la raison constituée s’absolutisant elle-même comme rationalité conquérante et constituante à l’infini.

Les 'maîtres penseurs'

Nous perdons le sens au point de nous complaire dans le sens insensé. Voyez nos 'Maîtres Penseurs' qui se battent à occuper si verbeusement l'avant-scène de notre caverne... Il y a les trompettistes des prétendus `lende-mains qui chantent' et qui ne font que déchanter ! Il y a les vertueux dénonciateurs de l'opium du peuple dont le

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peuple, bien vite, se met à dénoncer l'opium ! Il y a les sentencieux qui prennent la myopie de leurs visions pour le dernier mot de l'histoire. Il y a les petits esprits qui ne doutent pas des `horizons indépassables' de leurs étroitesses. Il y a les éboueurs des `poubelles de l'histoire' qui ne finissent pas de vider les poubelles. Il y a les charlatans habiles à vous déclarer malades de complexes mythiques pour vous vendre leurs placebos. Il y a les coprophages...

Il est vrai que la déroute spirituelle s’arrange à caresser nos démissions dans le sens du poil. Ces épidermiques connivences avec l’actualité garantissent les euphories de nos démangeaisons. Etre dans le vent devient l’impératif catégorique de nos déracinements. Si la faillite du sens est d’actualité, il faut devenir inactuel en refusant le non-sens. Une telle dissidence urge plus que jamais. Et plus que jamais elle exige audace. Tant est massive la contrainte mimétique de la liquidation.

Le discours tautologique

L’ensemble systémique du Discours semble singulière-ment avoir échappé à l’auto-compréhension de la modernité qui se croyait discursivité exponentielle à l’infini s’identifiant avec l’ouvert infini. La crise, aujour-d’hui, nous renvoie du côté des limites et de l’entropie. Et derrière la crise d’un discours particulier nous percevons la crise de son englobant. Et, par systémique inter-activité, renvoyés d’englobant en englobant, nous com-mençons à percevoir que c’est l’ensemble des ensem-bles, le système des systèmes discursifs, qui est en crise. ‘Le’ Discours lui-même de la modernité.

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Ce discours fonctionne en effet comme un système. Et comme tout système particulier, il se situe dans un méga-système plus large et plus englobant. Quelque chose comme son ‘écosystème’. Cependant l'anthropocentrique revendication d’autonomie ne peut que refuser cet ‘éco-système’ d’une donation plus englobante. La schizoïdie anthropocentrique par laquelle la modernité se boucle sur elle-même se révèle être ainsi un gigantesque feed back par lequel la sortie du système se réinjecte en son entrée. Tout en prétendant fonctionner exponentiellement à partir de cette autonomie.

Le Discours ainsi bouclé sur lui-même et bouclant sa propre exponentialité sur elle-même se met à fonctionner en clôture systémique avec feed back de rétroaction positive qui ne cesse d’emballer ce même Discours et lui donne l’illusion d’une indéfinie auto-créativité. Vaste déploiement de la sophistique de la caverne, voici le grand discours tautologique, auto-producteur de sens et auto-justificateur de lui-même. Régisseur d'une infinité de discours schizophrènes qui, dans leur différence, ne disent pourtant fondamentalement que le même.

La parole désormais condamnée à tourner en rond. Il s’agit du ‘Discours’ lui-même qui fait notre culture, c’est-à-dire la parole créatrice d’humanité. Le Discours ainsi bouclé sur lui-même se met à fonctionner en clôture. En rupture avec le dialogue à la fois théologique, ontolo-gique et axiologique avec l’Autre, sans quoi aucune culture n’a jamais réussi à fonctionner longtemps sans courir à sa perte. Vaste déploiement d’un monologue de l’immanence avec elle-même. Finalement, gigantesque tautologie tournant sur elle-même totalitairement.

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Le grand discours tautologique désormais auto-produc-teur de sens et auto-justificateur de lui-même. Une tautologie résonnante dans la ‘caverne’. Elle doit se trouver une généalogie, une virginité et une innocence. Vaste déploiement de la sophistique cavernale.

Ainsi fonctionne le Discours tautologique dans la clôture et en stricte finitude. Mettant entre parenthèses l’essentiel. Entre parenthèses: la vérité, le Sens, les Valeurs. Entre parenthèses: le fondement. Entre paren-thèses: l’archè et le télos. Le cercle vicieux des effets et des causes. Mais comment faire autrement puisque toute signifiance veut s’autoproduire en autonomie ? L’ultime critère devient la non-contradiction à l’intérieur de la bulle. Inflation des signes et des signifiés... Prolifération de signes enflés et gonflés de vide... Polysémie où n’importe quoi signifie à la limite n’importe quoi... Tauto-logique auto-production du signe par le référent et du référent par le signe... Relativité...

La prolifération tautologique fonctionne en embrayage direct sur le système d’outilité exponentielle. Et trouvant dans cette exponentialité même sa propre consistance. Les media lui fournissent l’orchestration et lui assurent l’amplification et la résonance. L’Audimat le dynamise. Le discours dominant délimite l’horizon indépassable de la caverne. Il en exprime la logique la plus pertinente. il en constitue la forme suprême de ‘bonne conscience’. C’est dans sa logique qu’on réussit aux jeux et concours de la caverne. Les enfants de la caverne sont plus malins que les enfants de lumière... La foi chrétienne ne peut avoir que l’air ridicule dans la caverne. Elle est l’éternelle perdante aux jeux et concours de la caverne. Qu’a-t-elle

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d’intéressant à produire pour amuser les cavernicoles ? N’est-elle pas leur inlassable trouble-fête et leur ‘mauvaise conscience’ ? Mais peut-il en être autrement pour une foi qui ne peut qu’être fondamental refus de toute caverne ?

Masqué du 'on'

Le péché n'est prométhéen que dans les fictions. En fait il commence par l'insinuation plutôt que par des invec-tives tonitruantes. Il arrive de biais. Il vient par glisse-ment. Il se masque du `on'.

Voyez Babel. Pas de grand chef. Pas de meneur. Simple-ment le 'on' diffus. Comme pour se donner courage à travers les démissions irresponsables. 'On' s'entend à demi-mot. `On' trame. 'On' se dit l'un à l'autre... 'On' se sent d'autant plus fort dans la masse anonyme. Est-ce si différent aujourd'hui ? Passez au crible les mégatonnes de paroles proférées, cette masse innombrable de verbe médiatisé et mercantilisé. Sous toutes les formes. `Ça' prend. 'On' en parle. 'C'est' dans le vent. “Il ne faut surtout pas manquer ça” !

Effet `boule de neige'... Les prétendues `audaces' - qui sont autant de `démissions' - s'accumulent et gonflent en s'accumulant... Il y a toujours assez d'imbéciles pour applaudir et toujours assez de mécréants pour monnayer ces applaudissements. Et elle fonctionne, la mécanique démissionnaire...

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6. Dieu refoulé

La tentation, depuis l'origine de l'humanité, ne cesse de susurrer: « Vous serez comme des dieux ». Lorsque la séduction bascule du conditionnel dans la réalité, l'homme découvre qu'il est dieu et qu'il doit mourir. En attendant il est nu. Il est en manque de costume. Il est en manque de coutume. Il est en manque de culture. La culture commence avec l'agriculture. Elle engendre la division du travail. Très vite c'est le meurtre du frère. Ainsi se joue archéologiquement le premier acte du drame théurgique. L'homme se découvre dieu sans dieu dans la violence. Et depuis lors l'histoire grince...

Contrastes

Pour prendre la mesure de l’étende de cette schizoïdie conquérante et de la perte des liens ontologiques, il faut, par contraste, revenir aux possibilités de l’espace culturel qui précède. Par exemple, saint Augustin. Par exemple, saint Anselme.

Saint Augustin. La vérité est sa passion et son angoisse. A l’inverse de la philosophie antique, il ne la cherche pas

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du côté des vérités transcendantes. Comme Descartes, plus de dix siècles après lui, il veut la tirer d’évidences immédiates données à la conscience. Tu doutes ? Mais peux-tu douter du doute ? Non. Si enim fallor, sum. La vérité appelle. Il faut la chercher. Elle ne se fabrique pas. Elle se laisse trouver. Entre en toi-même. C’est à l’inté-rieur de l’homme qu’habite la vérité. Et si tu éprouves que ta propre nature est encore changeante, alors trans-cende-toi toi-même.

La vérité en toi-même ? Oui. Mais elle n’est pas ta propriété. Elle ne vient pas de toi-même. Tu la trouves à condition que tu restes ouvert sur l’Autre. Elle te vient d’une sorte d’irradiation naturelle de la vérité divine en toi. Elle resplendit en toi. Elle active ton esprit. C’est à sa lumière que tu comprends et que tu penses. En même temps tu fais l’expérience de l’intemporel et de l’absolu. Tu te sens émerger dans le monde de la vérité.

Cette vérité n’est pas abstraite. Elle est ‘loi éternelle’ du plan de Dieu sur le monde. Elle s’identifie à l’Amour. Les lois du Bien sont inscrites de façon ineffaçable dans le cœur de tout homme. Il y a comme une pesanteur du cœur, quelque chose comme une loi de gravitation vers les valeurs divines. Tu ne coïncides avec elles qu’en tombant en leur lieu naturel. En communiant à l’Amour. Le reste n’a plus tellement d’importance. Dilige, et quod vis fac.

Saint Anselme. Faut-il commencer par comprendre ou commencer par croire ? Neque enim quaero intelligere ut credam, sed credo ut intelligam. Je crois pour pouvoir comprendre. Il faut en effet croire pour expérimenter et

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expérimenter pour comprendre. La foi est première. C’est elle qui appelle l’intelligence. Fides quaerens intellectum. Une telle évidence ne peut venir que d’une originaire inondation de lumière. Lorsque la présence de Dieu se donne dans cette lumière. Or tout homme porte au plus profond de soi cette illumination. S’il y reste aveugle, c’est que sa liberté n’est pas en accord. On ne communie avec la vérité des êtres qu’en se conformant au dessein de Dieu sur eux. Car c’est ce dessein qui est identique-ment leur raison et leur essence. Il s’agit là encore d’en-trer au-dedans de soi. Le soliloque de l’âme, l’entretien de l’âme avec elle-même ne peut pas ne pas être en même temps un dialogue de la créature avec son Créa-teur. Pour cela il suffit de demander. Il suffit de prier.

Prouver Dieu ? Mais est-ce nécessaire ? N’est-il pas plus intérieur à toi que tu ne l’es à toi-même ? Son concept ne fait-il pas profondément partie des concepts fondamen-taux de ton esprit ? Tu fais l’expérience du parfait au cœur de l’imperfection et celle de l’absolu au milieu du relatif. Pour Augustin Dieu ne peut d’aucune façon être la ‘conclusion’ d’un raisonnement causal. Tu ne peux le comprendre. Si comprehendis, non est Deus. Déjà tu es compris par lui. Déjà tout est englobé par lui. Déjà ton esprit ne s’épanouit qu’en lui. Déjà ta vérité ne grandit que dans la vérité du Logos illuminant tout homme.

Voici l’argument du Proslogion de Saint Anselme. Dieu est un être tel que rien de plus grand ne peut être pensé. L’insensé comprend cela même s’il ne comprend pas que cet être existe. Autre chose est être dans l’intelligence. Autre chose est exister. L’être qui est tel que rien de plus grand ne saurait être pensé ne peut être dans le seul

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intellect. Même s’il n’était que dans l’intelligence, on pourrait concevoir qu’il est aussi dans la réalité. Ce qui est plus. Si donc l’être dont on ne peut concevoir de plus grand est dans la seule intelligence, ce même être dont on ne peut concevoir de plus grand est quelque chose dont on peut concevoir quelque chose de plus grand. Mais cela ne peut être. Il existe donc un être dont on ne peut concevoir un plus grand et dans notre pensée et dans la réalité.

Le moine Gaunilon objecte: on ne saurait conclure de l’idée que nous avons d’une chose à son existence réelle. Autrement on pourrait démontrer l’existence des ‘Iles Fortunées’ à partir de l’idée que nous en avons, les concevant les plus belles de toutes ! Gaunilon aurait la raison pour lui si Dieu, à l’instar des Iles Fortunées, n’était qu’un objet contingent de notre pensée. Pour Anselme il s’agit d’une présence nécessaire. Il s’agit de l’existence de Dieu comme nécessairement liée à la pensée. Ainsi l’Idée de Parfait n’est-elle rien d’autre que la présence en nous de cette lumière inaccessible dans laquelle nous voyons qu’on ne peut pas penser qu’il n’est pas. Notre pensée atteint là, à la limite d’elle-même, son au-delà. En même temps elle découvre Celui qui contraint notre pensée à se dépasser.

Si l’argument n’était, selon Kant, qu’une ‘preuve de Dieu par concepts’, alors on se trouverait effectivement en face d’un sophisme. Mais Anselme ne conclut pas du logique au réel. Il ne tire pas l’existence de la conception que nous nous en faisons. Il donne pour objet de la pensée non pas le concept, ni même l’idée de l’Etre, mais l’Etre même qui lui est présent. La Présence de

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dieu dans l’âme, réelle mais obscure, qu’il s’agit d’ame-ner sous la claire lumière de l’intelligence. Il est vrai que notre âge imprégné d’idéalisme a beaucoup de peine à entrer dans une telle perspective d’un réel plus réel plus grand que nos possibilités sur lui.

Dieu n'est plus l'ultime englobant

Il est lui-même englobé dans un plus grand que lui. Il relève désormais du seul possible humain. Et ce possible le déclarera de plus en plus comme impossible. Dans la meilleure des hypothèses une chance lui est laissée aux limites. Ainsi pour Kant, au-delà des possibilités `théori-ques' de la raison, s'impose un impératif catégorique. Une pure exigence `pratique'. Et celle-ci ne peut pas ne pas postuler au-dehors de la sphère du possible de l'homme un quelque chose qui prend nom Dieu, et liberté, et immortalité. Non plus certitude. Simple postulat.

Le premier chaînon des ‘longues chaînes de raisons’ ? Leur anneau d’ancrage ? Il faut commencer par le vide. Il faut que soit méthodologiquement le doute pour que métaphysiquement puisse être l'absolu fondement. Puisque tout commence à partir de l’homme. Maître désormais non seulement des significations mais aussi de la substance et de la causalité. Articulables archéo-logiquement et téléologiquement en infinie outilité. La Genèse devenue totalement anthropocentrique. ‘Au commencement’, le ‘poïète’ non plus divin mais humain. Au commencement sera le DOUTE.

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Quel Dieu ?

L'athéisme occidental n’est réellement et radicalement possible qu’à partir de l’expérience judéo-chrétienne. Qui d’autre que l’homme révélé divin, bien plus, révélé ’fils’ de Dieu, peut véritablement vouloir ’tuer’ le Père ?

L'athéisme occidental déborde de transcendance judéo-chrétienne, et cela dans la mesure du refoulement. Il rejette l'exposante sans laquelle pourtant il n'est pas. Est éclairant à ce niveau le débat entre Marx et Stirner. Ce dernier a parfaitement saisi que l'immanence absolue ne peut pas ne pas démystifier et évacuer toute transcen-dance, quelle que soit la dénomination sous laquelle elle se présente: `Dieu', `Humanité', `Révolution'... Transcen-dance chrétienne ou laïcisée, peu importe puisqu'il y a toujours transcendance, puisqu'il y a toujours `plus' qu'un neutre donné. Du moins Stirner est-il logique. En suppri-mant radicalement la transcendance, toute transcendan-ce, il ne peut rester que la pure immanence d'un neutre quasi-néant.

Mais en réalité il ne s'agit pas d'une abstraction, de quelque ‘divinité’ abstraite, fruit de la raison que la raison peut mettre entre parenthèses ou exclure. Il s'agit de ‘Je Suis’ rencontré concrètement et existentiellement à travers une expérience historique.

L'homme moderne a beau protester. Il ne peut pas faire comme si cette rencontre n'avait pas lieu. Si l'expérience personnelle lui est refusée, du moins participe-t-il de la rencontre communautairement historique. Il ‘connaît’... au sens biblique! Même s'il fait semblant de ne pas

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connaître. Il ‘connaît’ parce que toute sa culture ne peut pas ne pas connaître. On ne lutte pas toute une nuit – comme Jacob – avec l'Autre sans se retrouver déhanché le matin. A partir de l'expérience judéo-chrétienne l'athéisme prend une dimension et une signification radicalement différentes de ce qu'il peut être en d'autres espaces. Parce que Dieu s'est révélé comme le Toute-Autre ‘Je Suis’. Parce que l'homme est créé et continue à se créer dans et à partir de cette révélation.

Qui d’autre que l’homme révélé divin, bien plus, révélé ’fils’ de Dieu, peut véritablement vouloir ’tuer’ le Père ? Il faut remarquer la signification radicalement originale de l’athéisme occidental à partir de l’expérience judéo-chrétienne. Ce préfixe ’a-’ n’est pas neutre absence. Le ’theos’ n’est pas abstraite idée. En ses profondeurs, il s’agit d’un refoulement. Dieu refoulé comme est refoulée une angoisse. Car celui qui est ainsi refoulé a été ’connu’, au sens biblique du terme, concrètement et existentiellement rencontré. Même si un tel ou un tel peut croire ne l’avoir pas personnellement rencontré, la ’rencontre’ pourtant le marque parce que, déjà, il se trouve enfanté dans cette matrice culturelle, en cette histoire vécue, qui, elle, en a fait l’expérience vivante. L’homme moderne ne peut donc pas ne pas être ’complexé’ de Dieu ! Mais finalement, est-ce Dieu qui est ainsi refoulé ou est-ce l’homme qui se refoule devant Dieu ? On ne lutte pas toute une nuit – comme Jacob – avec l’Autre sans se retrouver déhanché le matin. Blessé.

La lucidité moderne prétend vivre `seulement avec ce que l'on sait'. Mais on ne sait jamais que ce que l'on veut

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savoir! Sur fond de refoulement. En fait la modernité en sait bien plus qu'elle ne sait. Elle sait sur fond de savoir refoulé. Elle ne peut pas, en effet, ne pas savoir! Puisqu'en sa matrice culturelle elle a connu. Au sens biblique où l'homme `connaît' la femme en la fécondant. L'homme moderne a beau protester. Il ne peut pas faire comme si la rencontre n'avait pas eu lieu.

Une fois Dieu refoulé, une fois l’Alliance rejetée, reste la souveraineté schizophrène. Le repli autistique de l’hu-main sur soi-même. La raison enfermée sur elle-même jusqu’à la déraison. Notre schizoïdie n’est pas un fait neutre. Il s’agit d’une schizophrénie coupable. C’est justement cette culpabilité qui se refoule. On ne refoule pas impunément Dieu. On refoule encore moins impuné-ment ce refoulement lui-même. Ce péché contre l’Esprit est promis à la mort.

L’homme honteux se réfugie dans la caverne. Et là, ayant perdu le sens de sa raison, tourne désespérément en rond. Le grand enfermement. Ile d’Utopia. Société parfaite. Jardin zoologique. Asile d’aliéné. Archipel du Goulag... Pour une intelligence malade de l’anthropocen-trique schizophrénie une idéologie comme le marxisme peut représenter, selon la formule de Sartre, l’horizon indépassable de la modernité. Mais n’est-ce pas précisément parce que cette idéologie constitue, selon l’expression de J. Ellul, l’acrostiche géant de nos men-songes modernes ?

Tuer le Père

Il ne s'agit pas d'une `divinité' abstraite, fruit de la raison

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que la raison peut mettre entre parenthèses ou exclure. Mais `Je Suis' rencontré concrètement et existentielle-ment à travers une expérience historique.

Même celui qui se dit athée ne peut faire comme si, déjà, il n'était enfanté dans cette matrice culturelle. L'homme moderne ne peut donc pas ne pas être 'complexé' de Dieu! On ne lutte pas toute une nuit ‒ comme Jacob ‒ avec l'Autre sans se retrouver déhanché le matin. A partir de l'expérience judéo-chrétienne l'athéisme prend une dimension et une signification radicalement différentes de ce qu'il peut être en d'autres espaces. Parce que Dieu s'est révélé comme le Toute-Autre `Je Suis'. Parce que l'homme est créé et continue à se créer dans et à partir de cette révélation.

Ouverture d'une infinie liberté créatrice de l'homme créé à l'image de `Je Suis' et éduqué – conduit hors de – en Alliance avec lui. C'est une telle liberté, ouverte radicale-ment par la rencontre de l'infini de `Je Suis', qui va histo-riquement se reprendre en elle-même et sur elle-même en autonomie anthropocentrique. L'homme divinisé par grâce de `Je Suis' clôt sa divinisation sur elle-même et veut devenir Dieu sans Dieu! Dès lors il reste à Dieu de mourir pour que l'homme puisse être absolument pour lui-même son Dieu.

Mais`Je Suis' résiste infiniment à la mortalité. C'est vainement que l'homme s'ingénie à faire mourir celui qui est Résurrection et Vie. L'homme peut simplement le refouler! Pendant ce temps Dieu, selon l'expression biblique, 's'en amuse' !

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Dieu chassé hors de notre paradis

La schizoïdie des filles et des fils de Dieu n'a cessé de nouer sa cohérence dans l'autistique constitution d'un espace de pure immanence. De cet espace de stricte ‘humanité’ il fallait – symétrique inversion du récit de la Genèse ? – chasser Dieu. Pourtant on n’en finit pas de chasser Dieu. Il résiste au-delà de cette logique et de cette cohérence qui ne sont que de surface. Profondé-ment, beaucoup plus profondément, occultée, refoulée, se joue, fascinante et effrayante, la grande dramaturgie. Mystérieuse négative théologie négative ! Le combat de Jacob n’en finit pas. Le corps à corps des esprits, plus meurtrissant que le combat avec l’Autre. L’homme n’en sort jamais que déhanché. Et la lutte reprend... La théomachie se poursuit.

Dieu refoulé

Pourquoi refoule-t-on ? On ne refoule pas l’agréable. C’est l’insupportable qu’on essaye d’expulser. Lorsque la situation devient trop gênante, trop pénible ou trop douloureuse. Essentiellement lorsqu’on n’arrive pas à supporter la vérité qui dévoile le mensonge et révèle le péché. Le refoulé de notre culture est monstrueux. Il s’agit essentiellement du refoulement de son exposante judéo-chrétienne.

Les cultures sont peut-être capables d'un plus grand refoulement encore que les individus. Le refoulé de la modernité est monstrueux. Il s'agit essentiellement du refoulement du Père de l'exposante judéo-chrétienne. Et, en symétrique inversion, le refoulement de celui qui,

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depuis les origines, est le père du mensonge.

L'entreprise de refoulement s'est mise à fonctionner, à travers notre histoire, avec l'implacable logique et la farouche énergie des désespérés. La gloire de l'homme était en cause, et sa puissance, et sa gloire. Aux massives mécaniques de refoulement et aux lourds mécanismes de défense, on s'est efforcé de prêter la solidité scientifique. Une méta-histoire des ‘sciences’ dites humaines, depuis leurs origines, révélerait sans doute la finalité occulte de leurs lucidités et l'ampleur de l'acharnement thérapeutique pour `sauver' l'homme de lui-même, c'est-à-dire pour le `sauver' de sa filiation divine..

Dieu peut-il être chassé des profondeurs humaines?

Contre ce vertical enracinement créateur d’humanité, antagonisme radical de la schizoïdie, l’acharnement s’est fait extrême. Là, de cette intériorité, Dieu devait être chassé avec beaucoup plus de violence que de toutes les extériorités. Mais de là, justement, Dieu ne se laisse pas chasser. C’est ontologiquement impossible. Vous ne pourrez jamais l'expulser. De même qu'un arbre ne peut se séparer de ses racines. De même qu'une rivière ne peut nier sa source. C'est impossible. Vous pouvez seulement le refouler.

De guérison point, cependant. On croyait que l’homme, enfin délivré de son mystère, retrouverait son innocence. On croyait que l’homme, enfin rendu, sans illusions, à la pure immanence, s’épanouirait comme le plus bel animal

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dans le plus beau des jardins zoologiques. C’est seulement un étrange mal qui se mit à proliférer... contre l’Esprit est promis à la mort.

La raison la plus profonde de l’unidimensionnalité des sciences humaines qui ne peuvent révéler qu’une des faces du mystère humain c’est que, de fait, elles se constituent comme négative théologie. L’endroit d’un envers. L’envers d’un endroit. Le refoulement massif témoigne négativement du refoulé. Le même crie négativement l’autre. Un vide de Dieu se remplit étrange-ment de substituts inversés du divin. Là où la totalisation schizoïde expérimente l’ultime rétrécissement de la finitude et où elle croit rencontrer l’absolu neutre côtoyant l’absolu néant se situe un point décisif. Un point de rupture. Mais d’intersection aussi. Et de symétrique inver-sion.

Ce sur quoi toute notre recherche sans cesse converge, la béance, trouve là son lieu propre. Comme un ‘trou noir’ qui happe les trompeuses consistances. La béance semble s’abîmer dans le néant. En fait elle ouvre aux sources. Elle accule l’anthropo-logos aux extrêmes. Non pas pour sa mort. Mais pour sa résurrection. Une anthropologie négative ne peut que situer dans l’humour radical les positivistes consistances. C’est en leur cœur qu’elle surgit. Et c’est dans leur négation qu’elle procède. Dialectiquement.

L'anthropologie négative n'a pas peur de dévoiler le mécanisme du refoulement. Dût-elle pour cela opérer une psychanalyse de la psychanalyse elle-même. Les mécanismes de la psychanalyse, leur fonctionnement et

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leur impact dans la modernité sont parfaitement signifi-catifs de ces enfermements. D'avoir enclos l'inconscient dans la caverne en faisant croire aux hommes que leurs profondeurs et, partant, leurs béances ne vont pas au-delà de la finitude, tel est bien la pertinence de cette sotériologie en gnosticisme inversée.

Prenez une âme 'bourgeoise', c'est-à-dire une âme qui se retrouve et se complait dans le 'Discours bien-portant', tout en souffrant de certaines inadéquations. Vous la persuaderez sans peine que ses négativités sont de conjoncture et non pas d'état ni de décision. Car la voilà déculpabilisée en profondeur. Promettez lui de l'accorder à la consonance. Vendez lui une technique indolore qui ravale sa façade. Que ne ferait-elle pas pour racheter sa parfaite sortabilité ? Et ça marche ! Ça marche d'autant mieux que pour cela elle est priée à la caisse. Les bons comptes... Son praticien, bien sûr, s'y retrouve. Elle se sent acquittée.

Toute une mécanique se met ainsi à fonctionner en systémique enfermement. Secrétant ses 'révélations' en clôture et ses thérapies de remplacement. En négative inversion théologique. Passant à côté de l'originaire con-flictuel de la violence théurgique.

Jusqu'à quel point `Je Suis' peut-il être refoulé ?

Barbey d'Aurevilly a cette phrase lourde de signification: “Les hommes n'ont jamais eu le choix qu'entre deux religions: le judéo-christianisme et le panthéisme”. Refou-lez 'Je Suis' et voici le panthéisme omniprésent. Qu'il est donc difficile d'être athée!

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A l'immanence du possibles chizophrène, il ne reste d'autre dimension de `transcendance' que celle de l'écou-lement de la temporalité qui permet une fuite en avant. Le `Progrès'. Sacralisation d'une fuite en avant. Fuite en avant de l'homme chassé du paradis...

Surtout il n'y a plus de justification possible. Lorsque toute valeur se trouve enclose dans les limites de l'humain trop humain, toute légitimation tourne en rond. Autour d'elle-même. Dès lors tout peut devenir légitime parce que tout peut se légitimer.

Enfin,suprême illusion schizophrène, celle de l'homme impeccable. Mais cette illusion tient-elle devant tant de négativités engendrées? Et que devient l'homme désil-lusionné sans radicale possibilité de pardon? Si l'homme est responsable sans recours, qui nous pardonnera questionne le moderne Camus. S'il n'y a plus de radical pardon possible, il ne reste que la honte ou la fuite. Et souvent les deux en même temps. Fuite honteuse qu'on décèle jusque dans les idéologies les plus séduisantes. Avec leur fausse mauvaise conscience qui choisit chaque fois l'explication qui ne la met en question que fictive-ment. Avec leur mécanisme de défense contre l'angoisse inhérente à la réelle décision. Avec leur réflexe mani-chéen de dissocier le bien et le mal en pure extériorité. Avec leur réflexe infantile de toujours rejeter la faute sur l'autre...

A moins d'assumer son péché pour le révolutionner en grâce, l'homme, consciemment et beaucoup plus incon-sciemment encore, ne peut qu'avoir honte. La honte se trouve les raisons pour supprimer l'autre sans qui,

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fondamentalement, la honte ne serait pas.

Est-ce Dieu qui est refoulé? Ou est-ce l'homme qui se refoule devant Dieu ?

Une fois Dieu refoulé, il reste à l'homme le repli autistique sur soi-même. La raison enfermée sur elle-même jusqu’à la déraison. Quelque chose comme une schizophrénie. L'esprit coupé. L'esprit divisé. L'esprit cassé. « Nous n'avons plus besoin de toi ! » Cette schizoïdie moderne n’est pas un fait neutre. Il s’agit d’une schizophrénie coupable. C’est justement cette culpabilité qui se refoule. Un mal de la culture est infiniment plus grave qu’un mal de civilisation. Celui-ci ne met en péril qu’une somme d’articulations accumulées. Celui-là atteint le spécifique humain lui-même en sa matrice, là où ce spécifique se signifie dans sa gestation. Et puisque l’humain est toujours moins en ce qui est donné qu’en ce qui se donne, le mal n’est pas sans faute. Et la faute n’est pas sans péché. Il y a un redoutable mystère à la racine de la culturalité elle-même. Et l’archè de la modernité ne doit pas lui être étranger.

L'homme honteux se réfugie dans la caverne. Et là, ayant perdu le sens de sa raison, tourne désespérément en rond. Le grand enfermement. Ile d'Utopia. Société par-faite. Jardin zoologique. Asile d'aliéné. Archipel du Goulag...

Il reste à l'homme de singer Dieu

Là où l'Alliance appelle à l'imitation ‒ soyez parfaits comme votre Père du Ciel est parfait ‒ l'anti-alliance se

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crispe sur un néant gonflé d'orgueil. Coupé du Souffle divin il ne reste plus à l'homme que de singer Dieu. Cette condition inauthentique, dès lors, s'entretient par mimé-sis. Une mimésis conflictuelle, car l'impossible adéqua-tion de l'homme schizoïde avec le Dieu de l'Alliance ne peut que nourrir le ressentiment. On ne refuse pas l'alliance sans refoulement et sans violence. Et lorsque le regard de l'homme sur Dieu est perverti, le regard de l'homme sur l'homme ne peut pas ne pas l'être à son tour. La violence mimétique joue en escalade. Elle conspire. L'homme est si profondément fils de l'Alliance qu'il ne la rompt pas sans nouer des pactes fondés sur la vanité mimétique. On se dit l'un à l'autre... L'audace vient de ces démissions partagées. Et l'insignifiance se donne ainsi fausse contenance.

Il faut retrouver la lucidité et refuser le mensonge. Il n'y aurait pas refoulement s'il n'y avait pas conscience, écrit Simone Weil. Le refoulement est une mauvaise con-science. L'essence des tendances refoulées, c'est le mensonge; l'essence de ce mensonge, c'est le refoule-ment dont on a conscience. Il faut tirer au clair les monstres qui sont en nous, ne pas avoir peur de les regarder en face...

Singulier crépuscule des idoles

Une bien étrange inversion de cette ‘Götzendämmerung’ annoncée naguère dans l'euphorie! Les idoles se mettent à vaciller. Toutes les idoles, spécialement ces belles idées – 'eidôlon', 'eidos' – fabriquées par l’homme et bouclées en séduisants systèmes ou en pompeuses idéologies. Avec les 'maîtres à penser' de l’enclos l'un

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après l'autre déboulonnés et renversés.

Au moment même où l'homme avait cru boucler la boucle de sa propre divinité, déjà se levaient les ‘maîtres penseurs’ du soupçon. Marx. Nietzsche. Freud. Les Maîtres penseurs du soupçon n’avaient pas fini d'annon-cer la mort de Dieu que déjà les Maîtres penseurs de l'absurde annonçaient la mort de l'homme.

Beaucoup s'installent maintenant dans ce champ de ruines, tentés par la désespérance. D'autres, moins nombreux et plus lucides, découvrent que les déserts sont faits pour être traversés. C'est la foi en l'Exode qui fait la différence.

C’est par l’absurde que l’enfant aimé du Père, devenu prodigue, expérimente maintenant qu’il est fait pour autre chose que de garder les cochons. Aujourd'hui, en cette fracture de l'histoire, n’est-ce pas par l’absurde que nous commençons à pressentir avec une évidence croissante que l'homme passe infiniment l'homme?

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7. Sans recours

Une fois Dieu chassé, une fois l'homme seul maître à bord de lui-même, par quel miracle peut-il subsister 'humain' ? Car désormais il s'agit de fonder ses fonde-ments, de certifier ses certitudes et de valoriser ses valeurs. Sans au-delà de l'horizon. Sans possible re-cours.

La totalité constituante n’est plus donnée absolument. Une ‘bulle’ se constitue ex nihilo. Elle se boucle en finitude. Elle flotte dans le vide. L’objectivité étant néan-tisée reste la subjectivité objectivée. Le sens constitué s’identifie au sens constituant. Les effets se rendent auto-nomes. La méthode mange les liens.

Horizon indépassable...

L’expression est de Jean-Paul Sartre, mais l’idée était dans (presque) toutes les têtes. Il s’agit du marxisme qui occupait alors largement le champ intellectuel et nourris-sait le Discours des Maîtres penseurs du temps. Tout le monde se mettait à humer goulûment l’air du temps. Personne ne voulait rater le train de l’histoire et rester en

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marge du messianisme des temps modernes. Comment ne pas communier à l’alliance enfin célébrée entre ceux qui pensent et ceux qui travaillent ? Quintessence de la ‘modernité’, le marxisme s’identifie alors à l’espérance tout court. L’espérance au-delà de laquelle aucune espé-rance ne pouvait plus jamais trouver de place. En fait l’horizon indépassable de notre modernité. Depuis, les horizons ne cessent de changer au gré des illusions. Mais la clôture, elle, veut rester identique à elle-même.

La courbure anthropocentrique du possible de l’homme commence d’emblée par la courbure du possible de l’homme sur l’homme. La liberté des fils dans la ‘Cité de Dieu’ ramenée à la ‘raison’ de la ‘cité de l’homme’. Sous les signes de la Souveraineté, du Pouvoir, de l’Etat, de l’Autorité, du Droit, de la Loi... Avec la gigantesque question sous-jacente: comment fonder ces Majuscules en l’absence d’un fondement absolu ? Désormais se justifie la possibilité d’un Etat athée. Sous couvert de ‘religion naturelle’. Refus du fondement révélé tout en continuant de s’appuyer théoriquement et abstraitement sur ce fondement ! Glissement de la ‘lex aeterna’ divine vers la loi naturelle et le droit naturel. Pour finir quasi fatalement dans la Force et l’Utile. Une fin transcendante ordonnait les moyens et n’importe quoi ne pouvait devenir ‘ordre’. Un désordre, même ‘établi’, restait un désordre. Désormais les lois humaines ne sont plus fondées objectivement dans l’objectivité de la Loi. Leur objectivité reste à fonder. A partir des faits ! Les effets, loin d’être portés par leur cause, se suffisent en autono-mie. Les moyens se justifient eux-mêmes. Il suffit qu’ils réussissent par force ou par utilitarisme pour devenir à eux-mêmes leur propre fin.

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Maître de la 'bulle'

Nous avons cru pouvoir faire tourner notre monde en clôture, crispé sur lui-même, bouclé en schizoïde auto-nomie auto-productrice. Nous nous voulions maîtres et possesseurs non seulement du système mais aussi de son écosystème. Maîtres et possesseurs de sa source chaude et de son puits froid. Maîtres et possesseurs, donc, de toute sa différence de potentiel, c’est-à-dire de toute son énergie spirituelle créatrice.

L'homme, 'maître et possesseur' de l'univers, a beau faire tout ce qu'il voudra, son 'royaume' ne pourra jamais être autre chose qu'une 'bulle' qui flotte dans un infini englo-bant qui l'englobe et le dépasse.

La 'bulle', encore trop éblouie par ses propres prouesses, n’a pas encore pris la mesure exacte de ses illusions. Peut-être l’enfant prodigue n’a-t-il pas encore touché le fond de l’angoisse de sa solitaire condition ? Mais déjà les réponses trop facilement optimistes et les dérobades d’une fuite en avant se sentent moins sûres d’elles-mêmes et même un peu ridicules devant la montée d’une remise en question radicale.

L'homme entièrement responsable de l'homme

Coupé du Verbe de Dieu l’humain en est réduit à trouver en son auto-éclairage ses propres lumières. Avec des questions terribles. Dieu étant chassé de notre paradis, où est désormais le coupable ? Où trouver un autre bouc émissaire ? Que faire de nos négativités ? Comment nous arranger avec notre fondamentale contingence ?

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L'homme est désormais entièrement responsable de l'humain, de son sens, de son salut, de son projet, de ses sources, de ses valeurs, de ses justifications, de son développement.

Suprême illusion schizophrène... L’homme impeccable. C’est-à-dire l’homme au péché refoulé. Le réflexe jouait immédiatement après la chute. "Ce n'est pas moi." Et depuis, l'infantile excuse piège notre liberté.

Combien de temps cela peut-il tenir sans lamentable déconfiture ? Face à l'absolu du mal... Face à l'incon-tournable de la négativité... Que devient l'homme faillible sans radicale possibilité de pardon ? Et sans pardon reste-t-il autre chose que la honte ou la fuite ? Souvent les deux en même temps.

Si tout le 'positif' est pris entre les mains du 'Maître et possesseur', qui va prendre en charge le 'négatif' dans la bulle ? La 'justice' désormais ne cesse de courir après la Justice. Il faut bien décharger les résidus de nos frustra-tions sur un 'bouc émissaire'. Cela calme nos passions mais ne rend pas la justice.

Quelle justification reste possible ? Lorsqu’il n’y a plus de valeur qui ne soit enclose dans les limites de l’ ‘humain trop humain’.

Fonder et justifier

Comme il n'y a plus de justification possible en dehors d'elle-même, tout peut devenir légitime parce que tout peut se légitimer. La raison coupée du réel absolu ne

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peut pas ne pas promouvoir son 'réel' à elle. Nature. Cosmos. Humanité. Société. Progrès. Science. Etat... Avec des rationalisations multiples qui sont autant de mécanismes de défense ! Et au fond la recherche déses-pérée, sans cesse reprise, d'un ultime sacral dans un des possibles humains.

Tâche de Sisyphe

L'humain enfermé dans sa bulle peut-il se donner à soi-même la grande différence de potentiel qui le rend réellement humain ? Cela reviendrait à dire qu'il réalise l'absolue néguentropie de son existence. Mais comment pourrait-il être à soi-même, en contradiction avec les lois de la thermodynamique, son absolue source chaude et son absolu puits froid, c'est-à-dire la source chaude de ses sources chaudes et le puits froid de ses puits froids ?

La bulle anthropocentrique est loin de suffire à rendre compte de la différence de potentiel nécessaire à son énergie spirituelle. Dans les grandes questions existen-tielles, la quête du sens et du souffle reste béante sur une extrêmes source chaude et un extrême puits froid.

Ainsi l’être, la vie, la liberté, l’homme, Dieu, la personne, le hasard, la totalité, l’éternité, l’infini, la création, la résur-rection, la nécessité, la catastrophe, la contingence, l’accident, l’eschatologie, l’histoire, le mal, la grâce, le péché, l’échec, la mort... Et que dire de la différence de la différence ?

Tâche de Sisyphe sans cesse reprise et sans cesse échouée. Désormais l’homme est responsable de l’hom-

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me. Radicalement. Sans recours et sans garant autre que l’homme. Mais si l’homme est responsable sans re-cours, qui nous pardonnera ? Comment l’homme pourra-t-il se justifier ? Il reste le refuge dans la sublime illusion de l’homme impeccable ou le réflexe infantile de rejeter la faute hors de soi.

A l’homme devenu ’suprême’ revient la tâche impossible d’inventer inlassablement l’homme ! C’est à lui que re-vient alors la charge d’être créateur et fondateur radical de vérité, d’être, de valeur, de droits, de devoirs et de sens. De sens surtout ! Mais où commencer et où s’arrêter entre la belle ’idée’ de l’Homme et le "réel" de l’humain trop humain ? Comment l’homme va-t-il se donner une généalogie ? Comment va-t-il se refaire une virginité ? Comment l’homme va-t-il se construire sa ’bulle’ de survie ? Où va-t-il puiser le sens ? Il faut jouer ou se battre. Jouer en fermant les yeux sur les règles conventionnelles du jeu. Ou se battre pour se mettre d’accord sur les conventions. Mais au nom de quelle convention se mettre d’accord sur les conventions ?

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Table des matières

Introduction 5

Plan des trois livres 13

Livre I - Notre Bulle 17

A. Maîtres et possesseurs 211. Notre espace d'humanité 232. A partir de l'immanence 413. Le grand enfermement 534. Courbure de l'espace 755. L'Alliance rompue 87

B. Démesure congénitale 991. Paradigme 1012. D'où vient cette dynamique ? 1073. Païen et judéo-chrétien 1174. Deux révolutions 1255. Pourquoi cette longue gestation ? 1416. Irruption de radicale nouveauté 1557. Traumatisme de naissance 1698. La verticale explose à l'horizontale 175

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C. Systémique 1831. Intelligibilité systémiques 1852. Energie systémiques 2013. Mortelle indifférence 2094. Ecosystème 2195. L'écologie du souffle 225

D. Essoufflement 2311. Schizoïdie 2352. Nous avons péché 2433. Prodigues 2574. Illusions 2695. Souffle enfermé 2776. Dieu refoulé 2917. Sans recours 309

Bibliographie 315

Table des matières 353

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