3

Click here to load reader

Métamorphoses de la philosophie. Platon, Descartes, Kant, Nietzsche. : Fougeyrollas P. Paris : L'Harmattan, coll. « Ouverture philosophique å ; 2000. 398 p

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Métamorphoses de la philosophie. Platon, Descartes, Kant, Nietzsche. : Fougeyrollas P. Paris : L'Harmattan, coll. « Ouverture philosophique å ; 2000. 398 p

544 Notes de lecture

Cependant ici ou la, des associations de consommateurs, de riverains s’organisent en contre- pouvoir. Profanes et savants revendiquent chacun un savoir. Professeur d’histoire et de philo- Sophie des sciences a l’universite Paris-10, Bernadette Bensaude-Vincent nous invite a reflechir sur le lien particulier qu’entretient le grand public avec les scientifiques. Depuis la G&e anti- que, savants et grand public semblent Cvoluer dans une danse interminable. Entre admiration et mefiance, l’opinion publique compose avec une science libre et critique mais parfois toute puis- same et dogmatique. Au cows du vingtieme sitcle, les risques d’un fosd grandissant entre les scientifiques et les (( autres )) alimentent les debats sur la place et le role de chacun. Souvent disqualifiee, l’opinion publique ne peut rester passive face a autant d’enjeux. Souvent moteur de l’avenement de la democratic, la communaute scientitique ne risque-t-elle pas de le freiner en retisant aux citoyens le droit (( a juger et I decider de leur sante ou de leur avenir )) ?

M.V.

Fougeyrollas P. M&amorphoses de la philosaphie. Platon, Descartes, Kant, Nietzsche. Paris : L’Harmattan, ~011. (( Ouverture philosophique )) ; 2000.398 p.

Ceux qui ont frequent6 les ouvrages anterieurs de Pierre Fougeyrollas sont invites a changer leurs modalites de lecture. Ici, l’auteur est devenu un pur et brillant philosophe, hors de toute derive politique, loin de toute perspective polbmique, dans le total oubli de cette lourde charge d’obedience marxiste qui avait marque ses travaux anterieurs. Une pareille renaissance permet d’apprecier une approche philosophique qui expose d’une plume alerte et avec une grande chute pedagogique les auteurs ici retenus. Tire en avant de lui-m&me par une perspective << post- philosophique )), Fougeyrollas nous invite a suivre certaines des metamorphoses du discours philosophique autour de quatre points-carrefours : Platon, Descartes, Kant, Nietzsche. Le propos est orient6 vers une evolution de l’art de penser, acquisition necessaire dans le chemine- ment de l’humain. La clarte de l’exposd est contirmee par la presence d’un glossaire de treize pages qui foumit au lecteur le moyen de preciser les significations des termes utilises dans le corpus ou, au moment voulu, ces termes recoivent utilement une description appropriee. Livre agreable a lire et fortement utile pour savoir aujourd’hui se reindrer dans la pensee qui a contri- hue a fonder notre humanisme.

Des le preambule, Fougeyrollas nous annonce que (< La pensee de Kant a CtC incontesta- blement d’une grande originalite et d’une grande puissance )) (p. 14), pour ajouter encore : a Incontestablement Kant a completement change le statut Cpistemologique de la philosophie )) @. 19). Fougeyrollas n’hesite pas a choisir d’koquer cette demarche plutot que celle de Hegel, par exemple. Platon s’impose pour ses Dialogues et par la place qu’il accorde a Socrate ; c’est une sorte de pere fondateur. Descartes sollicite notre inttret en tant qu’initiateur de la modemite philosophique : il inaugure l’be du sujet pensant. Kant va dominer cependant la quadrature de l’expose. Enfin Nietzsche, qui exercait depuis longtemps une sorte de tentation, va desormais remplacer Marx dans les amours de notre auteur. Voyons cela dans le detail.

Platon (-427/-348) ou la fondation de la philosophie. L’allegorie de la caveme demontre le jaillissement du monde de l’esprit face aux simulacres trompeurs. I1 est evident qu’entre Platon et nous, << le christianisme a impose sa tradition et bien souvent la pensee grecque a souffert d’une sorte de christianisation intempestive >) (p. 27). L’instauration des deux mondes : celui, intelligible des idles, et celui des sensibilites, marque une coupure dont nous avons herite. (( Selon Platon, c’est le monde visible, celui des etres vivants, qui se trouve en bas et qui est

Page 2: Métamorphoses de la philosophie. Platon, Descartes, Kant, Nietzsche. : Fougeyrollas P. Paris : L'Harmattan, coll. « Ouverture philosophique å ; 2000. 398 p

Notes de lecture 545

beaucoup moins lumineux que le monde d’en haut, celui des Id&s. Le monde sensible n’est qu’une reproduction affaiblie, at&de et, en outre, dt!formCe et fallacieuse du monde intelligible 1) (p. 48). Rappelons ce qu’est l’tie humaine pour Platon ; dominCe par le nolis c’est g dire par la raison, l’intelligence, l’esprit, l’tie s’implique encore dans le thymes habit6 par le dtsir, le courage, la force, le caeur et s’entoure des Ppithymia @want les instincts sous toutes leurs formes. Pour Platon, l’ime reste enfermCe dans le corps qui figure une prison. Ce mCpris relatif du corps va irriter Nietzsche qui parlera de renverser le platonisme (il a eu affaire B toutes les retomties attribuCes g la doctrine) et non pas de d&uire Platon dont il admirait les &its d usage personnel. Fougeyrollas en brillant sociologue qu’il est, toujours soucieux du devenir politique des humains, ne manque pas, pour chacun des auteurs dont il traite, de dtvelopper les (< idles 1) politiques qui en dkcoulent. Platon a fait des essais infiwtueux en pratique, mais a laisst de beaux textes au service de ceux qui aspirent B << une citt idCale n. Le lecteur trouvera des rbfkrences sur Socrate, Aristote, les Pr&ocratiques (que P.F. prifere dCnommer Ioniens)

ainsi que sur le devenir de la doctrine platonicienne B travers les iges. Descartes (15961650) initie la vCritable r6forme de la philosophie. 11 y aurait ici g s&parer le

cart&anisme, mouvement doctrinal qui nous a Btt transmis par le XIXe sikcle, et qui a consac& la &pa&ion de l’tie et du corps en tant que substances, et l’aeuvre v&table de Descartes (dont l’oeuvre originale est htlas, beaucoup moins lue !) qui est beaucoup plus inventive. Brunschvicg, qui admirait le trio frangais form6 par Montaigne, Pascal, Descartes, avait l’habitude d’Ccrire que Descartes savant (la gtomCtrie analytique, la rkfraction de la lumibre) Ctait modeme, alors que dans sa foi, il Ctait rest6 accroche g la foi de sa nom-rice. Au-dell du Cogito et du sujet pensant, moments clts d’une modemit de la philosophie axCe sur l’humain soumis au doute methodique et au doute hyperbolique, Descartes dkveloppe cette idCe majeure que l’homme n’existe que dans la mesure oti il pense (cf. Les mdditations oti le penser est actuali& dans le sens qui enveloppe l’ensemble de l’activitk psychique). Fougeyrollas situe fort bien les cartCsiens et le devenir du post-cartbianisme, sans pouvoir s’eloigner cependant de cette structuration subs- tantialiste qui a barr6 la route g une rkelle anthropologie relationnelle.

Avec Kant (1724-1804) nous atteignons la v&able r&olution en philosophie. Entre la connaissance sensible (exp&ience des sensations) et la connaissance intelligible (concepts de l’entendement), Kant ajoute la raison pure, construite dans et par les idles. Cet Cclatement tria- dique est compl&C par le r81e accord6 aux schtmes de 1’Imagination dont les fonctions Ctaient jusque-ll tenues en suspicion (Imagination = la folle du logis). Kant accorde B l’imagination transcendantale une place majeure, originant les jugements synthktiques a priori. Transcen- dantal s’oppose g empirique et Cchappe g la dichotomie immanent-transcendant. Par 18, Kant ouvre g l’humain un avenir vers la seule connaissance possible, celle des phtkomtnes alors que la connaissance des chases en soi ou noumknes devient obsoltte. Kant barre la route aux spCcu- lations m&physiques au sens traditionnel. Laissons g Fougeyrollas le soin de rksumer la place du sujet pensant, par rapport a Descartes. (< Bien que chez Kant il n’y ait rien qui ressemble au doute mCthodique et encore moins au doute hyperbolique cartksiens, il a abouti ?I la conception selon laquelle, face aux objets de la connaissance humaine, il fallait qu’il y ait un principe supreme d’unification qui est un je pense, un sujet, car les objets ne peuvent pas s’unifier eux- m&mes. NCanmoins, alors que le sujet cart&ien est conCu comme “we chosepensante”, le sujet kantien est un ‘sujet transcendantal”. En d&want “je suis une chosepensante”, Descartes rava- lait son sujet pensant g la condition d’objet. Kant se garde bien de tomber dans ce piege de la vieille philosophie scolastique. En tant que “sujet transcendantaal”, son je pense n’est nullement

Page 3: Métamorphoses de la philosophie. Platon, Descartes, Kant, Nietzsche. : Fougeyrollas P. Paris : L'Harmattan, coll. « Ouverture philosophique å ; 2000. 398 p

546 Notes de lecture

un objet. I1 est la condition de toute connaissance possible. II n’est pas immanent puisqu’il n’est pas dans l’exptrience, en tant que precisement il la conditiomte. I1 n’est pas transcendant puisqu’il n’est pas une substance se trouvant en dehors ou au-dessus du champ de l’experience. 11 est, pour ainsi dire, a sa limite puisque c’est lui qui I’a faite telle. Le je transcendantal kantien n’est pas personnel et n’a rien de personnel )) (p. 193).

Les explicitations fougeyrolliennes semblent pertinentes et claires. Apres avoir expose (( La condamnation de la metaphysique theorique )) et la problematique du (( commandement moral )), l’auteur accorde ii la troisieme critique ou Critique du jugement (1790), la place qui lui revient dans le jugement subjectif du gout a travers les jugements reflechissants, sans concepts prtala- bles, ou le role des schemes de l’imagination apparait avec plus de vigueur. Suivent des pages fortes sur l’heritage kantien a travers Fichte, Schelling, Hegel et, plus pres de nous, chez Brunsch- vicg, Cassirer, Heidegger. La revolution copemicienne de Kant prend ainsi toute son ampleur.

Nietzsche ouvre a une pensee post-philosophique, sorte de perspectivisme actualise du deve- nir actuel de Fougeyrollas. Celui-ci passe en revue le (( retour a la Grece Antique )) en soulignant la place de Dionysos en tant qu’esprit createur par la musique et s’attarde plus longuement sur la portee du (( Dieu est mort )) pour mieux saisir la port&e de (( cette pens&e antephilosophique, postphilosophique, extraphilosophique et aussi intraphilosophique )) (p. 271). (( L’etemel retour )) et (< A la recherche du surhumain )), deux chapitres oh Fougeyrollas s’essaie a situer historique- ment l’anachronisme de certains propos de Nietzsche autour du politique, du social, de l’homme, du couple, de la femme, de la civilisation ; ces aspects m&a-idiologiques ne retre- cissent en rien, selon notre auteur, la portee actuelle de la pensee de Nietzsche. Fougeyrollas insiste avec raison sur les nouveautes des propos qui nous am&tent a ne plus opposer <t penser et creer )) et accordent a la creation dans le sentir et dans l’aimer un devenir qui, d’aprbs nous, reste a explorer et pour lequel l’homme devra batir un nouvel outillage mental.

L’auteur a pu nous montrer que (( consideree dans son essence, la pen&e comporte une fonc- tion critique qui tend a nous liberer de I’assujettissement aux donnees, et une fonction organique

qui nous presente diverses solutions a nos problemes [. . .] Poursuivant cette q&e, nous crayons que le temps est venu de participer a l’engendrement de ce que nous nommons la nouvelle

pens&e qui proviendrait de la conjonction entre l’heritage philosophico-scientifique et l’heritage religieux en s’efforcant de depasser l’un et l’autre )) (p. 346). C’est bien ce que Fougeyrollas a reussi dans cet essai, ou il a su, avec une clarte consommee, nous faire visiter des pensees repu- tees d’acces difftcile ; une attention particulibre doit Ctre accordee a son expose sur Kant, remar- quable en tous points.

Adolf0 Femandez-Zoila

Lafont M. L’extermination deuce. La cause des fous. 40 000 malades mentaux marts de faim dans les hSpitaux sous Vichy. Latresne : Le Bord de I’eau, ~011. (( Clair et net )) ; 2000, 271 p.

Les causes de la surmortalitC des malades mentaux dans les hopitaux psychiatriques durant la demiere guerre sont de plus en plus evoqdes.

L’ouvrage de Max Lafont, publie en 1987, <( L’extermination deuce )), consequence provo- cante, eut aussitot des retentissements mediatiques qui 6branlerent l’opinion publique ainsi que les milieux institutionnels, lesquels se trouvaient retrospectivement en position d’accuses. Et cela, pendant que la psychiatric publique risquait progressivement la mutation que I’on sait.