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) éditions 100 ( Damien Verhamme Je suis une femme au foyer

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) édit ions 100 (

DamienVerhamme

Je suis une femmeau foyer

Dépôt légal D/2007/8474/1ISBN 2-930276-16-9© Verhamme 2007

Mise en page et photographies de Damien Verhamme

www.damienverhamme.net

Du même auteur

La coupe de cheveux (1996) SérieC Rue de Cassel (1999) SérieCFrédéric Garage (1999) SérieCOn n’écrase pas les gens le vendredi - illustré par Gordon War (1999) SérieC5000 agrafes (2000) Balland-ParisLe vieux cerf et l’écureuil écrit avec Valérie Nottebart (2001) SérieC Cougaï (2001) SérieCHistoires vraies et d’autres à dormir debout (2002) SérieCMots à Faille (2002) SérieCUn bon à rien est capable de tout - illustré par Gordon War (2005) éditions 100Je suis une femme au foyer (2007) éditions 100La Famille OLa (2010) éditions 100

Je suis une femme au foyer

à Alain Debaisieux

Du goudron et des plumes

Je cherche Alice. Comme un idiot j’ai repris le même chemin qu’hiermatin. Celui que je prends chaque lundi, chaquemardi, chaque mercredi, chaque jeudi, chaque ven-dredi et que j’évite soigneusement les samedisdimanches et jours fériés. Les vieux boulevardsarborés qui ceinturent la ville, la viei lle routed’Armentières, la départementale cent douze, la ruedu Général Bonaparte, le hameau des PierresHautes, le nouveau rond point François Mitterand. Je cherche Alice et j’écoute Katerine.J’ai acheté son dernier album ce matin chez le dis-quaire de la grand place. Quand dernièrement il s’estprésenté aux élections municipales, j’ai imaginé unbref instant lui accorder ma voix avant de me ravi-ser et d’appliquer ma méthode habituelle. Voter pourcelui ou pour celle qui arrivera, un court instant, àme faire croire que la connerie humaine pourra dansun avenir proche sinon être jugulée du moins s’atté-nuer. Cette fois-ci, ni leurs sourires un tantinet for-cés, ni leurs slogans d’une désuétude crétine arrivè-rent à aimanter ma voix. Sur le bulletin de voteglissé dans l’antique urne en bois j’ai écrit en itali-que Je sors ce soir. Je ne suis pas du genre à croireau sauveur suprême.J’écoute Katerine et je vois Dustan.

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Elle faisait du stop. — Vous avez l’air très, très fatigué.— Je suis très, très fatigué.— Vous pouvez me déposer au Carrefour, s’il vousplaît monsieur ? — Ça tombe bien mademoiselle, c’est là ou je merends.

Bien sûr, elle n’était plus là !Qu'aurait-elle fait au même endroit, à la mêmeheure, deux jours de suite ? Je ne la reverrai plus cette fille.

— Vous faites quoi ?— Maintenant ?— Non, dans la vie ?

Pour moi Katerine est un bon chanteur. Je sais, ça ne veut rien dire être un bon chanteur.Mais pour moi, il l’est. Je cherche mais je n’arrive toujours pas à compren-dre pourquoi je pense à Dustan quand j’écouteKaterine ! Katerine c’est l’un des grands de la Chanson fran-çaise. J’aime pas trop cette dénomination mais pourne pas commencer à déblatérer là-dessus je la garde.

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Pendant longtemps j’ai considéré Katerine commele fils spirituel de Gainsbourg. A la sortie du doublealbum Les créatures - L’homme aux trois mainsj’avais lu une critique qui comparait cet album àL’homme à la tête de chou. Sans bien réfléchir maissurtout sans bien écouter, pendant ces dernièresannées j’ai fait mien ce jugement. Ce matin, en décapant la porte de la salle de bain j’airéécouté L’homme à la tête de chou. Gainsbourgradotait déjà ! Si il faut trouver des points de comparaisons jedirais que pour moi Katerine c’est la créativité deGainsbourg jusqu’à la période Mélodie Nelson asso-ciée à la vitalité d’Higelin saupoudrée de la folietendre de Charles Trénet et avec comme cerise sur legâteau : la poésie infantile de Christophe qui seraitdevenue adulte. Toujours ce matin et toujours endécapant la porte de la salle de bain j’ai enfin com-paré ses Mots bleus avec la version de Bashung.Celle que je passais plus de quinze fois par jour àfond la caisse les fenêtres de ma chambre grandesouvertes quand Julie Legrand m’a largué commeune vieille merde en juillet quatre-vingt douze. — T’as aucun avenir qu’elle m’a dit par téléphone eten plus tu bandes mou ! C’est ce que je pense à l’instant : Les Mots bleus

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version Bashung ça bande mou. Ce que j’aime en Christophe c’est que, même quandil frôle la niaiserie totale, il conserve intactes saclasse et sa sincérité.Il est vrai qu’à l’époque mon avenir présumé n’étaitpas celui que l’on aurait souhaité à son meilleur ami.Fauché, sans travail et sans aucune envie d’en trou-ver un, je passais mes journées au pieu à regarder latélé ou à écouter en boucle Les Rita Mitsouko surma chaîne hi-fi achetée par correspondance via unecarte de crédit. J’en avais deux. Plus un gros décou-vert permanent accordé gracieusement par la banquesans que j’en fasse la demande. Au total je pouvaisretirer, en plus de mon découvert bancaire perma-nent de six cent cinquante euros, la somme de sixmille deux cents euros. Comme l’aide sociale m’al-louait un peu moins de cinq cents euros mensuelspour subvenir à mes besoins et que je claquais plusde la moitié de ce pactole au Sbang’s en bière,Marlboro et croque-Monsieur maisons, il va sansdire que j’avais soutiré de ces divers comptes lemaximum. Comme je me démerdais pour payer lesintérêts en temps et en heure j’étais donc considérécomme un bon client et pour me récompenser, lesdécouverts autorisés s’agrandissaient au fil dutemps. Les intérêts astronomiques aussi d’ailleurs.

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D’accord. Julie Legrand avait raison pour le futur. Ilfallait être totalement dingue pour espérer un jourpouvoir fonder une famille nombreuse avec un typecomme moi. J’aurais pu lui retourner la pareillemais à quoi bon, elle était dans le vrai. Par contre,pour la bandaison c’était mesquin de sa part. Elle nefaisait rien pour donner à ma queue une consistancecontractuelle. Un sexe de dépressif buveur ne se rai-dit pas au premier cul planté à moins de deuxmètres. Il faut l’aider. Il faut le stimuler. Surtout nepas l’abandonner, le laisser seul. Mais ça, JulieLegrand l’ignorait. Moi aussi d’ailleurs.

Je me suis trompé en voulant monter le volume. J’ai enclenché la radio. On y passait un morceau de Miossec. Le MichelBerger alternatif. J’ai retiré Katerine et j’ai glissédans la fente prévue pour un CD des Sheriff : Dugoudron et des plumes. Un des dix meilleurs albumsque j’ai pu écouter dans mon existence. Du moins,parmi ceux dont je me souvienne. Le plus redouta-ble anti-dépressif que je connaisse. J’ai écrit plu-sieurs fois à la sécurité sociale pour les en informer.Aucune réponse.

— Je suis graphiste. Enfin, bientôt. Pour l’instant je

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suis étudiante.— Moi je suis écrivain. Enfin, quand j’écris.— Mmm…— Le reste du temps, je suis femme au foyer.— Mmm…— Enfin, quand je suis chez moi. — Mmm…— Vous souffrez de la gorge ?— Non. Pas vraiment. Mais je ne sais pas quoi vousrépondre.— Ne répondez pas !— Vous n’allez pas sur les hippodromes ?— Non. Pourquoi ?— Vous auriez pu dire : Je suis un turfiste. Enfin,quand je parie sur un cheval.Là, c’est de ma gorge qu’est sorti le Mmm…— Désolée. Je n’ai pas voulu vous blesser.— Je l'admets, il m’arrive souvent de pomper àdroite et à gauche.— Moi jamais. Je suis du genre fidèle. Qu’elle merépondit coquinement en sortant une cigarette de sapoche.Soit elle avait de l’humour soit elle voulait m’ame-ner sur un terrain où je n’avais nulle envie de mettreles pieds.— Il y a un briquet dans la boîte à gants !

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Guillaume Dustan je ne l’ai vu qu’une fois dans mavie. Deux heures à tout casser. Il m’a offert un cafédans un bar près de chez Balland. Le quartier Latinà Paris. Je ne connaissais que de nom. Plein de ter-rasses, plein de librairies, plein de monde, pleind’automobiles. Je préfère de loin le calme et labeauté rurale-maritime du village d’Audressellesdans la Pas de Calais.— Quelle est la trame de ton livre actuel…— Rien. — Tu passes tes journées dans ton lit à déprimer…— Non. Mais je n’écris pas pour l’instant. Je m’oc-cupe de mes enfants. Je fais le père. Je suis avec eux.Je leur apprends ce que je sais de la vie.— Ecris là-dessus… C’est ça qui est intéressant…La vie… La journée d’un père avec ses enfants…

Devant nous une camionnette de police me rappelala limitation de vitesse.— Vous écrivez des romans ?— Non, des nouvelles.— Mmm…Elle commençait à me casser les couilles avec sesMmm…— J’aime pas ce qui traîne. J’adore quand c’est bref.J’en ai vite marre. Alors, les nouvelles c’est l’idéal.

— Mmm…— Et ça me procure beaucoup de plaisir. Je jouisquand j’écris.— L’écriture comme thérapie ?Ça y était. Le poncif que j’attendais.

Alice était comme les autres. Dès que je commençais à parler d’écriture avec unefemme —avec un homme aussi d’ailleurs mais leshommes ne sont pas les protagonistes principaux dece livre— elle arrivait toujours à un moment donnépar poser cette question récurrente. — L’écriture comme thérapie ?— Non. Aucunement. L’écriture ne peut être unethérapie quelconque. Les mots ont un relief. Lesmots sont trop travaillés, trop clairs, trop justes.L’écriture est une preuve, une réalité. Définie.Datée. Précise.— Une preuve ?— Une preuve pour soi-même. Une carte détailléeque l’on consulte quand on se perd dans un endroitinconnu. Qui remet vite tout à sa juste place. Quimontre la direction à prendre. Surtout si on croit laconnaître par cœur. Qui refait surgir ce que l’onpourrait avoir oublié. Un détail infime qui a une

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importance énorme. Elle ne me comprenait pas. Moi non plus d’ailleurs.Ça m’a fait songer à un journaliste de la presse écritelors d’une interview quelques semaines auparavantà Namur. — Alors, Frédéric, l’écriture comme thérapie ?— Excusez-moi ! Qui vous permet de me tutoyer etde m’appeler par le prénom ?Pas du tout décontenancé il reprit sur le même ton :— Ça sera plus cool pour l’interview. Non !— Non. Un peu vert il reformula sa question idiote :— Monsieur Garage, l’écriture comme thérapie ?Il en avait bien besoin d’une bonne thérapie ce petitbranleur merdeux mais j’avais autre chose à faire dema journée. — C’est quoi une thérapie Monsieur le journaliste ?— Ben, une thérapie quoi !— Vous pensez que je suis malade ?— Non, non, non.

J’ai déposé Alice à l’entrée du magasinBricolage.Net. J’ai garé la Kangoo dix mètres plus loin puis je suisrentré dans le magasin Carrefour acheter des linget-tes et une boîte de mouchoirs demandés par l’insti-

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tutrice de ma fille cadette. Pour la propreté corpo-relle en classe.

C’est Virginie qui m’a annoncé son décès. J’avais lu la rubrique nécrologique dans le Mondemais je n’avais rien vu.Il y a tellement de chose qu’on ne voit jamais. En quittant l’hypermarché j’ai jeté un coup d’oeilsur ma gauche. Alice, une plante gigantesque dansles bras, sortait du magasin Bricolage.Net. J’aihésité, mais je l’ai laissée partir.J’ai passé la soirée sur Internet à fouiner des infor-mations sur la mort de Guillaume Dustan. J’ai ouvert Google et j’ai tapé Dustan. Je voulais savoir quand ? Où ? Comment ? Parmi la centaine de documents divers j’ai trouvé unarticle de presse où le journaliste parlait de la bandeà Dustan.J’y ai vu mon nom. J’ai souri face à l’écran.Je n’ai jamais fait partie d’aucune bande. Je suis un solitaire à la limite de l’autisme.

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Je ne trouve pas Alice. D’ailleurs elle ne s’appelle pas Alice. Elle m’a articulé son prénom mais je l’ai oublié aus-sitôt. Alice n’est qu’un prétexte.Un pion placé par la vie pour me remettre à travail-ler.Qu’elle garde donc le Dupont qu’elle m’a empruntédans la boîte à gants ! De toute façon il ne me ser-vait plus. Depuis le temps que je ne fume plus.

Dustan c’était un homme qui, un jour, m’a édité. Non parce que j’étais de sa bande. Encore moinsparce que j’étais pédé. Je ne l’ai jamais été.Il m’avait écrit :— Après les pédés et les lesbiennes, pourquoi pasd’autres minorités comme les québécois ou les bel-ges ?Il était tombé sur La coupe de cheveux au festivalLivresse à Charleroi.Il avait acheté le livre. Il avait aimé. Il m’avait téléphoné un matin du mois de mars.— Je vais te publier.Il l’a fait.

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Je suis une femme au foyer

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Je suis une femme au foyer. Je fais la vaisselle à la main. Je m’en vais quérirl’eau chaude dans la salle de bain à l’étage car pourdes raisons esthétiques et écologiques Virginie neveut ni de lave-vaisselle ni de chauffe-eau dans lacuisine. Je suis sur la même longueur d’ondequ’elle. Vingt et une marches pour monter. Vingt etune marches pour descendre un seau d’eau bouil-lante passant de la main droite à la main gauchequ’il ne s’agit pas de renverser. Ça me brûlerait lesjambes et il me faudrait ensuite tout éponger. Quandla vaisselle est crasseuse ou le week-end quand elleest gigantesque et qu’il faut changer au minimumune fois l’eau sale ça fait un total de quatre-vingtquatre marches. Je me suis amusé à calculer le totalsur une année civile. J’arrive pas loin des vingt millemarches. J’ai fait la même chose pour la table oùnous prenons nos repas. Je la frotte plus de deuxmille fois par an. Je fais les courses. Chaque début de mois, je passeune grosse matinée à faire les courses mensuelles. Jeremplis en moyenne trois chariots. Un par grandmagasin. Au magasin Auchan, j’achète les yaourtsles petits suisses les fromages le détergent pour lalessive les conserves de pâtés les boîtes de cassouletles savons parfois de la charcuterie et le sirop de

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cola que l’on mélange avec de l’eau gazeuse quel-ques fruits et quelques légumes pour les jours quisuivent. Au magasin Colruyt, je prends l’eaugazeuse l’eau plate de marque Spa toujours en bou-teille de verre par bac de douze les boîtes de viandepour le chat —il consomme en moyenne vingt boî-tes par mois— les corn flakes Kellogg's le beurre decacahuète le lait demi-écrémé en boite le ketchup leschewing gum ronds multicolores pour mon distribu-teur personnel la viande que je congèle une fois ren-tré à la maison l’huile d’olive les bouteilles en verrede jus d’orange sanguine frais à garder au réfrigéra-teur les préservatifs les couches le dentifrice. Aumagasin Aldi, des plats surgelés des jus de fruitspour l’école des enfants en boîte de vingt centilitresdes biscuits le papier toilette. D’autres produitsviennent évidemment s’y ajouter selon les circons-tances les promotions les envies ou les manques à lamaison.Je lessive. Bien sûr pas à la main bien que parfoisquand les couches ont lâché il faut bien mettre lamain à la pâte et frotter vigoureusement pour enle-ver les traces tenaces. Je ne parle pas uniquement dela merde du bébé mais aussi des taches de sangmenstruelles laissées par Virginie dans les draps oudans les fonds de ses culottes car elle a la mauvaise

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Le livre entier en version PDF pour3 euros

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