359
Le poème du Rhône en XII chants : texte provençal et traduction française / v Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Mistral, Frédéric (1830-1914). Le poème du Rhône en XII ...noelpecout.blog.lemonde.fr/files/2012/12/poeme-du-rhone.pdf · Farien ana si dono emai si frh~ Corossrrdo e frèro autant

  • Upload
    lydung

  • View
    218

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Le poème du Rhône enXII chants : texte

provençal et traductionfrançaise / v

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Mistral, Frédéric (1830-1914). Le poème du Rhône en XII chants : texte provençal et traduction française / v. 1897.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Poème du Rhôneil

EN XII CIIANTS

/I-¡-

f i

TE`TF7

tP10 ÇAL ET TRADUCTION FRANÇAISE'

W

1 PAR1 l'AR

tR ÉD ÉR IC MISTRAL

PARIS

ALPHONSE LEM ERRE, EDITEUR

1}-}1, PASSAGE CHOISEUL, 1}-}1

Il DCCC XC\'II

Le

Pdème

du Rhône

c'el,

~v ac~ac~ .~uT~v~t,

MIREILLE. Un volume in-n couronne, papier teinté, avec

portrait de l'auteur gravé à l'elu-forte .6 6 fr.

CALE\DAL. Un volume in.n couronne, papier teinté.. 6 fr.

LES ILES n'oR. Un volume in.n couronne, papier teinté. 6 fr.

LA REINE JEANNE, tragédie pro\'ençale en cinq actes en

vers. Un volume in-S' écu, pipicr vélin 6 fr.

Tous droift dt rtrrnfntficn tt dc fraduttiort ritrrc·it (nnr tous lis pays,

~· rornrritIn SuFdc tf la I~ôrt·igt.

oeme du Rhc~~e

EN CHANTS

TESrI'EPRO ENÇAL ET TRADUCTION FRANÇAISE

'2

EN

XII

CHANTS

I'~1 ':¡ '1 Î \> RÈDÉR1 C MISTRAL

PARIS

.i;z'~7T_T l;F;l::IL'

_c-1éï.T2_i<4 7

ALPHONSE LE1lIERRE, ÉDITEUR

1}-}1,PASSAGE CHOISEUL, 21-il

)1 DCCC XC\'II

Le

Lou Pouèmo dôu Rose

EN XII CANT

T~STE PROUVESÇAU E TRADUCIOVH FRANCESO

rÉa

FREDERI DiISTRAL

Le Poème du Rhône

EN XII CHANTS

TEXTE PROVENÇAL ET TRADUCTION FRANÇAISE

eaa

FRÉDÉRIC MISTRAL

Lou Pouèmo dôu Rose

CcA~? P~OU~IIÉ

~z~o~x ,,t~r.~x

1

Van parti de Lioun à la primo aubo

Li veiturin que règnon sus lou Rose.Es uno rafo d'ome asloussado,

Galoio e brav~, li Coundrifr~len. Sèmpre

Planta sus li radèu e li sapino,

L'uscle dôu jour e lou reb~rt de l'aigoIf dauron lou carage comme un brounze.Mai d'agufx tèmr encaro mai, vour dire,

Le Poème du Rhône

CHANT PREMIER

PATRON APIAN

I

Dès la prime aube, vont partir de Lyonles voiturins qui règnent sur le Rhône.

C'est une race d'hommes robustement musclée,gaillarde et brave, les Condrillots. Toujoursdebout sur les radeaux et les sapines,le hâle du soleil et le reflet de l'eau

leur dorent le visage comme un bronze.Mais en ce temps, vous dis-je, plus encore

CANT 1, PATROUN APIAN.4

If vesivs d'oumenas à barbo espesso,Grand, courpourènt, ctvpu t~tu que de chaine,

Boulegvnt un raumif coume uno busco,De poupo à pro cridant, jurdnt de-longo

E largamen, pèr se bviv courage,

Au poutarras pintant la roujo tencho,

A béu tvioun tirant la car de l'oulo.

De~lonb~dtiu Jtumeèro uno bramadisso

QNe d'auro en auro entendias de-countùni:

cr:Pro vers la 6aisso, hdu! reiaume! empèri!

Amount la pro dau! fv tira la maio

Il

Ero Coundrifu soun nis, ounte s'amodon

De noste vent-terrau li pronmif boufr.Sant lVlicoulau, patroun de la marino,

A ains Coundrifu soun autar, sa capello.

En capo d'or e mitro fourcarudo

Lou brnurous, em'uno tino contro

Q~e if verès testej~r li trer môurri

Escapoula de l'orro svlvdurn,

Estènd sa man sus tout f9 que novrgo.

Tduti lis an, a~irri if fvn sa ferto:

E li marin, sus lis espato, digne,

En proucersioun if porton uno farco;

E quand art Rose un negadis brossejo

CHANT 1, PATRON APIAN. f

on y voyaitdes colosses à barbe épaisse,

grands, corpulents, membrus, tels que des chênes,

remuant une poutre comme on fait d'un fétu,

de la poupe à la proue criant, jurant sans cesse

et largement, pour se donner courage,

au pot énorme humant le rouge piot,tirant à beaux lopins la chair de la marmite.

C'était le long du fleuve une haute clameur

que du nord au midi on entendait sans trêve:

Proue en aval, ho 1 royaume 1 empire 11

Amont la proue l sus! fais tirer la maille'! It

Il

Leur nid était Condrieu, où se meuvent

les premiers souffles de notre Vent-Terrail.

Saint Nicolas, patron de la marine,a dans Condrieu son autel, sa chapelle.

En chape d'or et en mitre fourchue

le bienheureux, ayant près de lui la cuve

d'où l'on voit émerger les têtes des trois mousses

réchappés sains et saufs de l'horrible saumure,

étend sa main sur tout ce qui navigue.

0, tous les ans, on célèbre sa fête;

et les marins, sur les épaules, dignes,en procession y portent une barque;

et lorsque au Rhône un noyé se débat

CANT 1~ PATROUN APIAN.6

a Au grand sant hficoulvr~, ié cridon t6rrti,

Arrecoumando-te, mai nado ferme Dn

De Vernesoun, de Givors an bérr dire

Renor~meru~pertorrt, de mr<<lo en mudo,

Conndriéu en aquéu tèms èro lu maire

Di grand patrorrn de Rose. Li bar~fr

Di port de Vieno o dc la Mrrlatiero

E li Canrrt Jl~tugrr~rrd le la Crorrs-Rorrsso

Avien bèu ié crirla «quiér~ de pèrt! D Éli,

Bèn que pourtant li braio de basano,

Farien ana si dono emai si frh~

Corossrrdo e frèro autant coume bourgero.Femo de bon, li Coundrih~lenco bello,Is omorrrié quand vai greia la fueio,

Dins la michour de sa peitrino forto

Metien couva de si magnan la grano;

En dentelino e por~ncheto flourido

Pèr pasro-tèrns brortdavon pièi la tul~;

A pichot poun tambèn rubien trepougne

La pèrt di gant e, bdni norrrrigtriero,

Tôrrti lis an fasien un chat superbe.

III

o tèms di vièi, d'antico bouncumio,

Que lis ottstau avien ges de Jarraio

E que li gènt, ,t Counrlrifrr coume au nostre,

Se gatihavon, au calèu, pèr rirel 1

CHANT 1, PATRON APIAN. 7

cr Au grand saint Nicolas, tout le monde lui crie,

recommande-toi bien; mais nage ferme e1)

De Vernaison, de Givors, que parle-t-on?

Épandant son renom sur tout le cours du fleuve,

Condrieu en ce temps était la mère

des grands patrons du Rhône. Les belitresdes ports de Vienne ou de la Iltulatiôre

et les Canuts falots de la Croix-Rousse

avaient beau leur crier cr culs de peau 1 Il Eux,

bien que portant la culotte de cuir,

faisaient aller leurs dames et leurs filles

cossues et braves autant comme bourgeoises.Maîtresses femme! les belles Condrillotes,

aussitôt que bourgeonne la feuille des mûriers,

dans la bonne chaleur de leur poitrine forte

mettaient la graine des vers à soie couver;

puis en dentelle fine et piqûre fleurie,

par passe-temps, elles brodaient le tulle;

elles savaient aussi piquer à petits pointsla peau des gauts et, vaillantes nourrices,faisaient un gars superbe chaque année.

III

o temps des vieux, d'antique bonhomie

où les maisons n'avaient point de serrure

et où les gens, Condrieu comme chez nous,se taquinaient pour rire, sous la lampe l

CANT 1, PATROUN APIAN.8

L~ro lou règno, aqrti, di fvtvndoulo,

La naciounalo danso roudanenco

E d~tt reiaume ancian di Bousounido

Qpe, de Coundrifu à-n-Arle, jour de voto,

Di viravdut dôu Rose imitardlo,

Ersejo e fai la serp au long di dougo.

Aqui drihavo, alor, la noblo justo

Q~rr, t6uti li dimenche, sus lou Rose,

Li ribeirau se derfirirant pèr troupo

lé luchavon l'utifu, la targo au pitre,

La lanfo au poung, l'artiu sus la quintvino,

Ounte li drote nus se jasien véire

Valént e fort is ine di billi chato,

Ounte !i cvdelas de Sant-Maurise

Emf li Civoursin s'opountclavon.

o tèms di 11; tèms gai, tèms de simptesro,

Qp'èro lou Rose un revoulun de vido

Otrnte venian, enfant, sus l'aigo longo

VdiFe passa, frér, li man à Pempento,

Li Coundrifulen! Lou Rose, gràci â-n-fli,

Éro un grand bruit plen dc vounvoun e d'obro.

Tout acd vuei a mort e mut e vaste

E, lasl d'aqufu varai tout Fo que r~rto

Es lou traFan e la rousigaduro

Que la maio a cava contro li pèiro.

Un fretvdis, acb 's tout ~o que soubro

D'un 6arcvr.·'s qu'avif pèr crid Empfri! 1

Mai luu traff di cJrri de vitdri

Sus li camin roumifu soun laisso en visto

Mai de rambuei ni mai dercavaduro.

CHANT 1, PATRON APIAN. 9

C'était le règne, là, des farandoles,

la danse nationale rhodanienne

et du royaume ancien des Bosonides,

qui, d'Arles à Condrieu, aux jours de fête,

imitatrice du Rhône en ses détours,

ondoie, serpente le long de ses berges.

Là florissait alors la noble jouteen laquelle, tous les dimanches, sur le Rhône,

les riverains, se divisant par groupes,

l'été, luttaient ensemble, la targe au poitrail,la lance au poing, l'orteil sur 1'écheleue;

où les garçons se montraient nus,v3i11ants et forts, aux yeux des belles filles;

où les jeunes mâtins de Saint-Maurice

s'accotaient, s'aheurtaient avec ceux de Givors.

o temps des vieux, temps gai, temps de simplesse,

où sur le Rhône tourbillonnait la vie,

où nous venions, enfants, voir sur l'eau longue,

voir passer fiers, les mains au gouvernail,

les Condrillots 1 LeRhône, grâce à eux,

fut une ruche énorme, pleine de bruit et d'œuvre.

Tout celaaujourd'hui est mort, muet et vaste,

et de ce mouvement, hélas 1 tout ce qui reste,

c'est la trace rongée, c'est le sillon

que le câble a creusé contre les pierres.

Oui, un frottis, c'est tout ce qui subsiste

d'une navigation qui eut pour cri Empire 1

Mais des chars de triomphe le passage

ne laisse point visibles sur les voies romaines

plus de vestiges ni plus d'excavation.

10 CANT 1, PATROUN APIAN.

IV

Ah! pèr s~rnt hficorrlarr, quand s'encantavo

Lou Reinage, au pourtegrre de la glèiro,

Crerèr que n'èro un fl~rme de triorrnfle

Pèr aqrrfr~ qu'èro Rèi de la hlarino t

E cresès que n'i' agtrèsse un de rebdbi

Pèr abotrra la gl~ri dBu Reinaa?e t

Li brout de bidu emf sa graisso rnoufloE li dindard e lis auco poupudo,

Li cam6ajoun estuba, li caieto

D'erbo chaplado e cuecho au four, bfn imo,

Li bdni pougno enredounido en totirto,

Pastado au burre emf d'idtr, li rigoto

Porrlidamen plegado fm! de pampo,

E lou vin blanc de païr que petejo,

Avien de tout, en aqufu jour, soun rule! ¡

N'èro-ti pas entre-rrritan d'aqufli

Baus fèr, Roco de Clrrn o Roco.Mauro,

Que Gargantian regnavo e que, fo dison,

Escambarlant lou Rose pèr if bfure,Emé sa man en guiso d'escudello

Engorrlissif li barco emai lis ome 1

A Pèiro-Lato mostron la ~·ravilro

Qlre lou gigant traguè de sa rabato

Un bèrr roucas, tanca dins la planuro.

CHANT 1, PATRON APIAN. l'

IV

A la Saint-Nicolas, lorsque à l'encan

on mettait le Reinage 4, au porche de l'église,

n'en était-ce pas un, et flambant, de triomphe

pour celui qui était le Roi de la marine 1

Et croyez-vous que l'on y tit bombance

pour arroser la gloire du Reinage?

Poitrails de bœuf à graisse potelée,

les oies dodues et les coqs d'Inde,et les jambons fumés et les caillettet s

d'herbes hachées, cuites au four, bien onctueuses,

et arrondies en tourte, les savoureuses pogneS6

pétries au beurre avec des oeufs, et les rigottes~

joliment pliées dans des feuilles de vigne,

et le vin blanc de pays qui pétille,ils avaient, en ce jour, tout à satiété 1

N'était-ce pas, en effet, entre ces

sauvages falaises, Roche de Glun ou Roche-Maure,

que Gargantua régnait et que, dit-on,

pour y boire enjambant le Rhône,

avec sa main en manière d'écuelle

il avalait ensemble les barques et les hommes l

On montre encore le gravier, à Pierrelatte,

que le géant tira de son soulier

un beau rocher, planté au milieu de la plaine.

11 CANT 1, PATROUN APIAN.

v

Or, aquel an d'aqui, ferto côulènto,

Aguènt Patroun Apian agu li joioE dôu Reinage encapa la courouno,

Li bacbelar de Coundrifu en riqueto

Avien touto la niue pourtv de brinde

Au rèi n~uvéu e, segound la coustumo,

Aprèr lou brinde, en l'èr jita si vèire.

Car Mèste Apivn, fu, avif l'eguipage

Lou plus famous de touto la ribiero.

Cvlvfotado emf de flo d'estoupo

Q~e retenien li tèrto di sentpo,

De pego negro en foro enguitranado,

1' apvrtenien, cuberto o noun :uberto,

Sèt bZni barco entaiado ,¡ la brroto

Lou Caburle d'abord, emf soun tèume

D'à poupo encartelv gu'agui-dessouto

Cadun la niue iE dourmif dins soun cadre.

Emf ra pro tviudo, enourguïdo

Pèr l'esperoun de soun escasso forto;

Pifi la pinrlln o bvrco civadiero

Que di chivau pourtavo la pasturo;

Pièi à l'après lou bvtèu de carato,

Coume lis autre en varenglo de roure;

Pièi uno risselvndo touto cloto,

CHANT 1~ PATRON APIAN. ~3

v

Or, en cette année-là, pendant la fête,

ayant Patron Apian eu la victoire

et de la royauté ceint la couronne,

les jeunes gens de Condrieu en frairie

avaient toute la nuit porté des brindesau roi nouveau et, selon la coutume,

après le brinde, jeté en l'air leurs verres.

Car Maître Apian, lui, avait l'équipage

le plus fameux de toute la rivière.

Calfatées de flocons d'étoupe

que retenaient les têtes des crampons,

et de poix noire goudronnées en dehors,il possédait, pontées ou non pontées,sept bonnes barques construites en bois brut

le Caburle8 d'abord, avec sa cabine

qui s'élevait en poupe, sous laquelle

chacun la nuit dormait dans son hamac;avec sa proue taillante, enorgueillie

par l'éperon de son étrave forte;

puis la penelle ou barque civadière,

qui portait la pâture des chevaux;

puis à la suite le bateau de corutr,

bâti comme les autres en varangues de rouvre;puis une risrel4nde toute plate,

CANT 1, PATROUN AP1.1N.14

Courbrrdo sns l'avans, carrado en rèire;

Dos grândi savouiardo pdr adurre

Li carboun de Givors e 'no sapino

Nr carga li castagno vivareso.

Sènso coumta dorrr coursié vo ckalorrpo,

De la frlado amarra sus li corto,

Pèr embarca li gros chivau de viage

Que sus la dongo, au retour de Prorrvèn`o,

Gaiardamen remountavon la rigo.

Pvtroun Apian avié pè: la remorrnto

Vrret~rnto bèu chivau à co rougnado

Que n'i'avié pas si parié sus lorr Rose

E qu'en tirant la maio e la veitrrro,

1 cop de fouit dôu baile de la trorrpo

E i tron de Diéu di carretié menèbre,

Fosien d6rr flume estrementi la ribo.

VI

Tenént ri mino, à la pro ddu CaburleSont Micoulau avif, Jacho à la grosso,

Sa tèsto emf la rnitro. Mai, en poupo

E plantado au gouvèr de la grand barco;S'aubouravo la crous de la cvpello,

La crour di marinié, tencho de rouge,Qpe hlèJte Apian, un an que dtiu gelibre

Lis aigo tout l'ivlr firgu~ron prerro,

CHANT 1~ PATRON APIAN.If

convexe sur l'avant, carrée sur l'arrière;

deux grandes savoyordes à transporter

les houilles de Givors et une sapine

pour charger les châtaignes vivaraises.

Sans compter deux coursierr ou chaloupes,

amarrés sur les flancs de la flottille,

pour embarquer les gros chevaux haleurs

qui, sur la berge, au retour de Provence,

gaillardement remontaicnt le convoi.

Patron Apian avait pour la remonte

quatre-vingts beaux chevaux à queue rognée

qui n'avaient pas leurs pareils sur le Rhône

et qui, en remorquant la maille et la voitrtre,

aux coups de fouet du baile du halage 9

et aux jurons des charretiers brutaux

faisaient trembler le bord du fleuve.

VI

Tenant son sérieux, la proue du Caburle,

saint Nicolas avait, grossièrement sculptée,

sa tête avec la mitre. /liais en poupe,

plantée au gouvernail de la grand'barque,

s'élevait la croix de la chapelle,

la croix des mariniers, teinte en rouge,que Maître Apian, un an où par la glace

les eaux restèrent prises tout l'hiver.

CANT 1, PATROUN APIAN.16

Éu l'avif furtejado à la picorso.

A l'entour de la crous if veriar tôuti

Lis estrumen de la Patsioun la lanyo

Emf lerpoungo, l'drti e lou calice,

La raubo d'ercarlato, la lanterno,

Lou martèu, li clavèu, lis ertenaio,

La santo faci, lou cor, la couloumbo,

Lou fiu, lou fouit, lou sont pieloun, la boro,

Lou glàri nus, lou mort que rersurcito,

La bono hfaire e sant Jan, l'ercaleto,

Lou gantelet, li got, li dot, la bourio,Lou serpatas, lou sant soulèr~, la luno,

Emf lou gau qu'rn subre ié cantavo.

VII

E canto, gau l'aubeto vèn de pougne.

Pir dermarra, ztiu tôutil s'opareion

Li veiturin que nan à la desciso.

En cargo pèr la fiero de Biu-Caire,l' a cint batiu que vuei soun de partinFo.

Ti tu té ifu! s'ngis pir quau que fugue

De gagna lou môutoun qu'au prat de fitro

Lou proumif 6artimen, lahut o barco,

Ndgo-roumifu di costo barbaresco

o rato-malo aguint soun ndli en riglo,

Au prat de ftero lou proumif qu'arribo

CHANT i~ PATRON APIAN.17

avait lui-même charpentée à la hache.

A l'entour de la croix on voyait tous

les instruments de la Passion la lance

avec l'éponge, l'hostie et le calice,

la robe d'écarlate, la lanterne,

le marteau, les clous, les tenailles,

la sainte face, le cœur, la colombe,

le fiel, le fouet, la colonne, le roseau,

le glaive nu, le mort qui ressuscite,la bonne Mère et saint Jean, l'échelette,

le gantelet, les dés, les gobelets, la bourse,

le grand serpent, le saint soleil, la lune,

avec le coq en dessus-qui chantait.

VII

Et chante, coq 1 l'aubette vient de poindre.Pourdémarrer, allons tous appareillent

les voiturins qui vont à la descÍse'o.En charge pour la foire de Beaucaire,

il y a cent bateaux, ce jour, sur le départ.

A toi 1 à moi 1 il s'agit pour chacun

de gagner le mouton car, au pré de la foire,

le premier bâtiment, tartane ou barque,

ou galéasse des côtes barbaresques,ou vieille coque ayant en règle son nolis,au pré de foire le premier qui arrive

CANT 1, PATROUN APIAN.18

E tiro lou canoun, pèr bèn-ven~udoLi Bèu-Cainn if baion un bèrr mdti.

Derpachatiéu, en aio, fortrro-bonrro,

Li porto-fais, li barcatif, carrejon,

Estivon, amoulorrnon, fan gnihèume.

Li trepadou cracinon; li fieraire

Fan sis adifu à si gènt, à si dono

çai sianl -Çai sian. Li maje, dins lou fuhe.

Van dertaca dis arganèu de Jerre

Cadun si nau e, plan, fasènt lou signe

De la crotrs en levant sorrn capèu large,

Lou bras en l'fr, Mèste Apian rubre tôuti

Au noum de Difu e de la santo Vierge,A Rosc! crido. Sa voues, que retrono

Dins la liunchour neblouso, entre li ribo

Dôu flume liounfr s'es entendudo.

Em' fu lis ome, closco dacuberto,

Se soun signa, trempant lou det dins l'oundo

D'oqufu grund signadou, que, charco annado,

En bello proucessioun, es la coustumo,

Au Pont Sant-Erperit lou benesirton..

Lis ome, dur, emf lis espaieto

Contro lou quèi enremblamen fan JorFo.

Patroun Apian fu-meme sus la poupo

Es au gouvèr que douno l'endnchiero.

A de long pfu en eadeneto grito

Que sus li tempe entrena ié retoumbon

Emf dour grand tourtis d'or que if pènjon

A sis auriho. Er aut de fnurcaduro

E, de sis iue lusènt sus charro bvrco

CHANT 1, PATRON APIAN.19

et tire le canon reçoit, pour bienvenue

des Beaucairois, un beau mouton!

En hâte et en émoi et pêle-mêle,

les portefaix, les nautoniers charrient,

arrangent, amoncellent, font la chaîne.

Les pontons craquent; les marchands

font leurs adieux à leurs gens, à leurs femmes

1(Y sommes-nous?-Çay est. D Dans le fouillis les maîtresvont détacher des organeaux de fer

chacun leurs'nefs et, lentement faisant le signe

de la croix en soulevant son chapeau large,

le bras en l'air, Maître Apian entre tous

a Au nom de Dieu et de la sainte Vierge,au Rhône 1 :1 s'écric-t-il. Sa voix, retentissante

dans le lointain brumeux, entre les rives

du fleuve lyonnais's'est entendue.

Les hommes avec lui, la tête découverte,

se sont signés, trempant le doigt dans l'onde

de ce grand bénitier que, chaque année,

en belle procession, c'est la coutume,

on va bénir sous le Pont Saint-Esprit.

Les hommes, rudement, avec les avirons

contre le quai forcent ensemble.

Patron Apian lui-même, sur la poupe,

est la barre donnant la direction.

Il a de longs cheveux en cadenettes grises

qui lui retombent tressés sur les tempes,

et deux grands anneaux d'or qui pendent

à ses oreilles. Il est haut d'enfourchure

et, de ses yeux luisants, sur chaque barque,

20 CANT 1~ PATROUN APIAN.

Ddu tèms que vèi se tout marcho dinr rordre,

De l'rrno à l'autro, ertacado à la filo

Pèr la calaumo urtenco e loungarrrdo,

En escatant dins lou gourgoui de l'aigo

Tônti li 6orco ri-de-rèng s'entrahinon.

VIII

Souto li tibanéu de telo cruto

Qire s'tntrianglon en esquino d'ast,

Li pasragié, li balot, li pBusito

De touto coundicioun e touto mtrEo,

Li stdariE de Lioun, ufanouso,Li rol de cuer, li matau de cantbe,

Tout bin ctrni, tout pourta bèn en comte

Pèr l'escrivln i letro de veituro,

E tôuti li proudu que s'engivanon

Dôu coustat d'aut, aqui jaison à poufe.

Mai cuerb lou Rore un sagarfs de niblo

Li couparias em' un cot~tiu. Amagon

Lou ribtirfr, tout, à perdo de virto.

Couneirias plus lou puget dt Fourviero

Emf sa glliro amoundaut que lai pouncbo.

E lou segren qu'adus la despartido

N'es que plus grèu eilalin a la 6aisso,

I canau de Bdu-Caire e d'.4igo-Morto,

P?r carga li 6ladtto de Toulouro,

CHANT1, PATRON APIAN. 11

pendant qu'il voit si tout marche dans l'ordre,

de l'une à l'autre, attachées à la file

par le long câble qui les réunit toutes,

en dérivant au gargouillis de l'eau,

toutes les barques à la suite s'entrainent.

VIII

Sous les bannes de toile écrue,

s'élevant en triangle et en dos d'âne,les passagers, les ballots, les denréesde toute condition, de toute sorte,

les soieries de Lyon, magnifiques,

les cuirs roulés et les bottes de chanvre,

tout bien rangé, tout bien enregistré

par l'écrivain aux lettres de voiture,

avec tous les produits que l'industrie

fabrique dans le Nord, gisent profusion.

Mais un brouillard épais couvre le Rhône,

à couper au couteau 1 Il cache

le rivage en entier et perte de vue.

On ne distingue plus le coupeau de Fourvière

avec l'église qui pointe son sommet.

Et la mélancolie qu'amène le départn'en est que plus griève I~-bas, dans le Midi,

aux canaux de Beaucaire et d'Aigucs-Mortes,

pour y charger les blés fins de Toulouse,

22 CANT 1, PATROUN APIAN.

Li vin dtin Lengadb, la sau de muro,

QrrJrt sarrp quantTL'ftJIJn lirten de si Jemo,

De si pichot! tres mes o belèrt quatre.

Grand barr encaro se, qrr~rnd se retonrno,

Un cop subit rl'Ardecho o de DurènFo

o quauco bnardounado enferounido

Noun vèn gounfla, faire peta lou Rore

E qu'emé li chiv~tu de l'eqrtipage

Noun faugue pas, dins lou pvtorri di terro,

Arpateja, s'enfanga jusquo au pitre!

E lou mirtrau, quand ronnJlo c!e mesado

E que li barco tèsto-aqui recc.to! 1

E, chanjadis, lis auve que s'escorrndon

E vous engravon, brbu! â l'imprevisto;

o la sequiero emé lis ai~o barso

Qlte, tout l'estiéu, en bando sus l'areno

Retèn ri patts li nvrt escl,rdenido! 1

IX

Atenciouua, lou prouvif, lou mudaire

Van de-tastoun, escandaiant li mueio,

Q~e G batètr en queuco graveliero

Noron vJgon s'encola. Dins l'oundo escuro

Jan Rocho lorr prortvif trais la pagello,

Longo barro de sause qu'an pelado

En if soubrant quàuquis anéu de rusco

CHANT 1, PATRON APIAN. 2}

les vins du Languedoc, le sel marin,

combien resteront-ils, loin de leurs femmes,

de leurs petiots? trois mois, peut-ètre quatre.Et fort heureux encore si, au retour,un coup subit d'Ardèche ou de Durance,

ou quelque crue farouche du Gardon,

ne vient pas faire enfler, faire crever le Rhône,

et qu'avec les chevaux de l'équipage

point il ne faille, dans les champs détrempés,

patauger, s'embourber jusqu'au poitrail1

Et quand, des mois entiers, le mistral ronfle

et qu'opiniâtre il arrête les barques 1

Et les graviers mouvants que l'eau recèle

et qui à l'improviste vous engravent;

ou bien la sécheresse avec les basses eaux

qui, tout l'été, échouées sur le sable,

retient dans l'inaction les nefs disjointes!

IX

Circonspects, le prouvier le pilotevont à tâtons, sondant les mouilles la

que les bateaux en quelque maigre Iln'aillent point s'enlizer. Dans l'onde obscure

Jean Roche le prouvier jette la sonde,

longue perche de saule qu'on pelaen y laissant quelques anneaux d'écorce

14 CANT 1, PATROUN APIAN.

Marcant de liuen en liuen se l'aigo es founro

Pan just! pan qu'à dous det! Péiro-Benilo,

Ajudo lèu, senoun la barco tocol 1

Pan larg! Anen, sian à la bono routo.

Pan cubert! pan e mié! Li barquejaireMolon sus lou gouvèr, lachon l'empento.

La soubeirano! Bon! tout acd erido.

Cato la man! E vogo à la teguro.

Se descabedelant de lono en lono,

Au menamen de la grand barco mèstro

Q~e vai davans, prudènto e majestouso,

La tirassiero emé si tèndo blanco,

Seguènt lou briéu de l'aigo que la porto,

A pres lou bon camin. Vers la capello

E dre sus lou pountin, la tèsto nuso,

Adounc Patroun Apian em'un grand signe

De crous, à-z-auto voues gu'auriston tôuti

Lou capéu à la man, fu entamnto

La prégo dôu matin 0 noste paire

Que siés au cèu, toun noum se santifiqucl

Vin coume aca. l.ir ome fan l'escouto

D'ageinouioun o bèn lu tèsto clino.

Lou ragarés blonguinous lis emborgno,

Atapant li mountagno e li broutiero

Qjte tout-de-long vcoumpagnon lou Jlume; iE podon ié conmta sus Cembourgnado

Jusquo à Givors e beléu jusquo à Vieno.

Éu countuniant: Toun règne nous a'lèngucl

Dis, adavau ta voulounta se fague

Coume adamount Lou pan quoutidian nostre

CHANT 1, PATRON APIAN. 1f

marquant de loin en loin la profondeur de l'eau

Pan juste! pan qu'à deux rloigts'·! Ir A l'aide,

Pierre-Bénite '1, sinon la barque touchel Jt

Pan large! Allons, voici la bonne route. Jt

Pin couvert! pan et demi Les bateliers

cèdent au gouvernail, làchent la barre.

La souvrraine! Ir Bon Jt tout le monde crie.

La main sous l'eau! Et vogue en sûreté.

Se dévidant de lone en lone 16

sous l'impulsion de la barque maitresse

qui va devant, prudente, qui va majestueuse,

la trainerie avec ses blanches tentes,

à vau-l'eau du courant rapide qui la porte,

a pris le bon chemin. Vers la 1: chapelle Jt

et droit sur le tillac, la tête nue,Patron Apian, avec un grand signe de croix,

à haute voix que tous entendent

le chapeau à la main, entame alors

la prière du matin 0 notre p?re

qui es au cirl, que ton nom se ranctifse!

dit-il. Les hommes se sont tus,

agenouillés ou inclinant la tête.

L'épais brouillard blanchàtre les aveugle,

dérobant les montagnes et les 1: brotteaux Jt I}

qui tout le long accompagnent le fleuve;

et ils en sont bien sûrs, d'aller à l'aveuglette

jusqu'à Givors, peut-être jusqu'à Vienne.Mais lui, continuant Ton rigne nous advienne!

dit-il, ct qu'en aval ta volontf rr fasre

comme en amont 1 Notre pain guotidien,

2

CANT 1, PATROUN APIAN.26

Dir, vuei porge-nous-lou! De nôsti dèutc

Fai nous la remessioun, coume nous-àutri

En quau nous es devènt, dis, fasèn quite.HEu! Toco-bibrr! pièi se corrpartt bramavo,

Capounar de pas Diéa! donner, frrlobro!

Aquéli ckivalar, amount, li veses

Que dintre si cabestre s'estrarrgulont.

Un batafréu que vous cenb~lèsse tôrrti!-

E reprenènt De tentacioun nous gardes!

E tiro-nous dÓu malan! Ansin sicgue!

x

Ha mis enfant, sus l'aigo grorradiuo,

Apoundié piéi lou patroun dtin Caburle,

Ndutri, que sian Lou vesès, sian la jogo

Ddu neblarfs, di ro qu'avèn dessouto,

E di ckarueve ounte anan faire rueio.

Eh 1 quau pau saupre !i rnalemparado t

Quau vLu aprene à prega, que navegr~e!

E n'es un béu, d'eisémple, aquel estùrti

Qu'en milo-vue-cènt-trento, ~r la desciso,Tirè 'n cop de fusifu, lou miserable,

Au grand sant Crist que i'a dins l'dtrratari

Dtiu castelas d'Ampuis, contro la dougo.

0, i'esclapé lore bras. Mai sa pinello,

D'aqufu marrit coula, dins quvu~ui mudn,

CHANT 1, PATRON APIAS.17

dit-il, donne-le-nons ce jorrrd'l~rri! De nos dettes

~ris-nonsla rémissimt, dit-il, comme nous autres

les remettons d cerax qui nous redoi~ent.

Parfois s'interrompant Il Toquebœufl braillait-il,

grand capon de pas Dieu, tu dors, eh! fainéant?

Ces malheureux chevaux; en amont, les vois-tu

qui s'étranglent dans leurs chevêtres ?.

Une garcette qui vous cinglât tous 1 D

Et reprenant De tentation aarde-nons!

Et tire-norrs du rnvl-étre! Ainsi soit-il!

x

a Ha! mes enfants, sur l'eau grouillante,

nous, ajoutait ensuite le patron du Caburle,

que sommes-nous? Vous le voyez, nous sommes

le jouet du brouillard, des rocs qu'on a dessous,et des grèves où l'on va quclqùcfois échouer.

Eh! qui donc peut savoir les hasards imprévus?

Qui veut apprendre à prier, qu'il navigue!C'en est un beau, d'exemple, l'insensé

qui, descendant le Rhône, en l'an mil huit cent trente,

tira, le misérable, un coup de fusil

au grand saint Christ qu'on voit dans l'oratoire

du vieux château d'Ampuis, contre la berge.Il lui brisa le bras, oui. biais sa penelle,au mauvais chenapan, dans quelques traites 1.,

CANT 1, PATROUN APIAN.18

.Au Pont Svnt-Esperit fa8aé d'esclapo.

Em'éu que fague 'n trau dins l'aigo glouto!-

Lou Caburle enterin, la prègo dicho,

Venié d'intra couchous à l'arehipèloDe la Grand Cabro, entre-coupa de vorge.

CHANT1,

PATRON APIAN.19

alla contre le Pont Saint-Esprit se briser.

avec lui qui dans l'eau gloutonne fit un trou! :t

Le Caburle, entre temps, la prière achevée,

venait de se ruer dans l'archipel

de la Grand'Chèvre, entrecoupé de saules.

2.

Ccrl~7~? SEGOUJ~D

LOU 2'RI:~LCE D'.rIU~E:~GjO

XI

Pico au reiamne, hdn ruto voues crido.

If sian! U sian! Sus lou gouvèr fan aigre

E lou prouvié mando lora carr en terro.

Es Vernesoun. Amarro! Entre que tocon,

Un blorrnd jorrvènt, aqui, parèis tout-d'rrno

Qgr, l6ugeirrt, sus la grand barco mounto.

Quou es a~uéu Es lou prince d'Aurenjo,

Lou maje frfu, se dis, ddu rfi d'Oulanrlo.

E de tout biais li lengo pnsurnisron,

Aforrrtisrènt, lis un, qri'es un levénti,

Q~t'rs un arquin, qu'er uno tèsto routo

E 'n se broniant emE lou rèi soun paire,

Q~'ért es parti pèr courre l'aventuro,

La vau-coundrifu emf la patantèino

1

00 G

CHANT DEUXIÈME

LE PRINCE D'ORANGE

XI

Pousse au royaume, ho » crie une voix.

Nous y sommes voilà 1 » On appuie au timon

etle prouvier jette le câblc à terre.

C'est Vernaison. Amarrc! » Dès qu'on touche,

apparait tout d'un coup, là, un jeune homme blond

qui, dégagé, monte sur la grand'barque.

Et quel est-il ? C'est le prince d'Orange,le fils aîné, dit-on, du roi de Hollande.

Et de toute façon les langues conjecturent

et pour les uns ce n'est qu'un éventé,

qu'un drille, assurent-ils, qu'une tête fêlée,

qui, se brouillant avec le roi son pèrc,a dû partir pour courre l'aventure,

le guilledou, la pretentaine,

11 CANT 11, LOU PRINCE D'AURENJO.

A travfr de pâis. Segound lis autre,

S'es afisca tant e tant sus li libre,

S'es 6upila talamen à l'eitirdi

Q~e n'es toumba, pauroun, dins la marrano,

Coume un enfant que manjarif de céndre; i

E l'an manda, li mége, vers lou Rose,Bfure lou bon soulfu ~~ue reviscoulo

E l'alen vifu d6u ruJe Manjo-Jangn.

XII

De soun reiaume ubogous e palustre

Ounte luu Ren dins li brumo se ndgo,

~u, quauque jour, se la santa if tourno,

Encenchara la courouno de glaujo.

Mai rirco rèn, pIr vuei, que se languigue

De prene en cargo lou gorwlr dis ome,

AJastiga comme es, avans de i'?stre,

De tout lou trrssimbci qu'acd meno,

Ddu magugnun de court, di ceremani,

E ddu charpin que vous iE manjo l'amo.

Uno fouliE d'amour s'es mes rn tirto,

FarJantetlo de prince pantaiairr;

S'es mes en tèsto d'atrouva pèr orto

G'trprlimrn de la Naiado antico

E la flnur d'aigo erpandido sus l'oundo

Ounte la Ninfo es amagado e nuso,

CHANT 11~ LE PRINCE D'ORANGE.il

à travers le pays. Scion les autres,

il s'est opiniâtré tant et tar~ sur les livres,

il s'est acoquiné tellement l'étude

qu'il en est, le pauvret, tombé en chartre,

comme un enfant qui mange de la cendre;

et vers le Rhône les médecins l'ont envoyé

boire le bon soleil qui ravigote,

boire le souffle vif du rude Maëstral r.

XII

De son royaume ombreux, paludéen,

où le Rhin se noie dans les brumes,

lui, quelque jour, s'il revient en santé,

ceindra la couronne d'iris.

Mais il s'en faut, pour l'heure, qu'il lui tarde

de prendre en charge le gouvernail des hommes,

dégoûté comme il est, avant d'y être,

de toutes les intrigues qu'il comporte,

des manoeuvres de cour, et des cérémonies,

et de l'ennui qui vous y mange l'âme.

Et il s'est mis en tête une folie d'amour,

lubie de prince imaginatif, rêveur;il s'est mis dans la tête de trouver en voyagel'éclosion de la Naïade antique

et la fleur d'eau épanouie sur l'onde

où la Nymphe se cache nue,

CANT 11~ LOU PRINCE D'URENJO.34

La Ninfo bello e prrro e lindo e v.ri~o

Qr~ l'esperit corrncéu e que desiro,

Que lou pincèu retnrir, que lou porrèto

Dinr si verioun eternamen e-~ocn,

La Ninfo atriv.rrello e vouluptorrso

Qr~ à l'entour d6u rradaire, au brihr de l'aigo

Bana'is jloutanto sa cvbeladuro

E se counfound e for~nrl emé la riro.

E, de crrnarr en canar~, pèr la Sono,

Es dercenlrr de soun païs de Flandro,

Coume davvlon dôn neblun li ciérrne

1 clar dôu Vacarér, quand vèn l'arrtorrno.

XIII

Entre sauta, pelin, sus lon Caburlr,

A torrca man au patroun, sènso croio;

P~rrlo emé tôuti à l~r bono franqtreto;

1 Corrndrifulen if p~rgo de cigaro

De roun pvir, que sènton gu'embausrmon,

E, pas plus fièr qu'un fraire dr la tasso,

A soun flosqurt it-de-réng li f~ri bfure

Un aigo-ardènt que li nèblo n'en joundon.

Agrrfu, entre fli diron, es di nostre! 1

Di vortre if respond, lorr poudir dire,

E, cambarado, se vous farr d'ajudo,

sian d'un païr que i'an pas pau de l'aigo

CHANTIl,

LE PRINCE D'ORANGE. H

la Nymphe belle et pure et claire et vague

que l'esprit conçoit et désire,

que le pinceau retrace, que le poètedans ses visions éternellement évoque,

la Nymphe séductrice, voluptueuse,

qui, autour du nageur, au cours de l'eau,

laisse flotter sa chevelure

et se confond et fond avec le flot.

Et de canal en canal, par la Saône,

il descendit de son pays de Flandre,comme descendent du nord brumeux les cygnes

aux c clairs Il du Vacarés, quand vient l'automne.

XIII

A peine il a sauté, pâlot, sur le Caburle

et au patron touché la main, sans morgue,

il converse avec tous à la bonne franquette;

aux Condrillots paye des cigares

de son pays qui fleurent comme baume,

et, pas plus fier qu'un « frère de la tasse ]1,

il leur fait boire à son flacon, aprèsl'un l'autre,

une eau-de-vie qui liquéfie les brumes.Et entre eux ils se disent Celui-là est des nôtres! D

c Des vôtres? répond-il, oh 1 vous pouvez le dire,

et s'il vous faut de l'aide, camarades,

nous sommes d'un pays où l'on ne craint pas l'eau

3iSCANT Il, LOU PRINCE D'AURENJO.

E que i~ tabon proun tira la remo.

Li barcatié soun ravi; t'envirounon

Coume lou cors d'un rèi e ié regardon

Sa barbo roursinetlo, si man fino,

Em'rtno flour d'esmaut que ié pendoulo,

Escrincelado, ir sonn clavié de mostro.

XIV

hfai lou patroun Apian Em,nèri! crido.

La barco primadiero e li segrrèr.to,

Au prottmié cop d'empento, vers la gaucho

An représ soun draidn. Sus l'aigo longo

Ddu tèms que vin li nau t6uti soraleto,

Gotr prince blound deviso emE la chourmo.

Por~lidarnen ié conto qtr'es d'Oulando

E fréu de rèi e que vai en Prouvènjo,Borrscant la flour que porto pèr ensigne

Flour de mistèri, dis, incouneigudo

Ir ome d'enJre terro, car dins l'aigo

Fai soun rejour emai soun espandido,

Flour de pantai, de gentun, de belesso,

Que mi Flamen la noumon r flour de ciérrne p

E que, pèr tout païr ounte s'atrovo,

L'ome i'er gai e la dono i'es bello.

Acd t diguèron en r'aproucharrt t6uti,

Mai es !a flour de Rose, moun bèu prince,

CIIANT Il, LE PRINCE D'ORANGE.17

et où l'on sait tirer assez bien la rame.

Les nochers sont ravis; ils l'entourent

comme le corps d'un roi et lui regardentsa jeune barbe blonde, ses mains fines

et une fleur en émail, ciselée,

qui pend à son clavier de montre.

XIV

Mais le patron Apian s'écrie a Empire! »

La barque capitane et les suivantes,

au premier coup de timon, vers la gauche

ont repris leur dérive. Sur l'eau longue

cependant que les nefs vont toutes seules,

le prince blond devise avec la chiourme.

Gentiment il leur conte qu'il est de Hollande

et fils de roi, et qu'il va en Provence,

cherchant la fleur qu'il porte pour insigne

c Fleur de mystère, dit-il, inconnue

aux profanes terriens, car dans les eaux

elle fait son séjour et s'y épanouit,

fleur de beauté, fleur de grâce et de rêve

que mes flamands appellent a (leur de cygne »

par tout pays où on la trouve,

l'homme est joyeux, la femme belle. »

« Cela ? en s'approchant dirent les bateliers,

mais c'êst la fleur de Rhone, mon beau prince,

3

CANT Il, LOU PRINCE D'AU1I.ENJO.18

L'erparganèr~, que sorrto l'oundo naiso

E qu'amo tant, l'Angloro, d'ana ctteie!

L'Anglorot Anen, avanFo-te, lan Rocho,

E digo-ié, faguèron, qu's aquelo.

Autant que ifu poudés n'en parla vautre,

Respoundegul brounzant r~njouvenome

Qfre d'un liban f~ssif l'emploumbaduro.

Ob I d'vgufu laid motrdonrre! ié cridèron,

Q~eI l'as belèu rounjado aniue, qu'en ribo

Fasif si panto emf quauque pucaire.

Avès bèu dire e rneissa, mai, pèr moio!

Rebriquè lou droulas, quand vers li tourco

Dôu Malatra, mounte l'Ardecho furgo,

lé passas contro en empegnènt la barro

E que, li pèd dercaus sus la sableto,

La vesès rire emf si dènt que mordon,

Ah! n'i' a de biu que, se vous fasif signe

Ddu bout dôu det, cabusrarias à l'aigo

Pèr i'ana traire r~n poutoun sus l'aubenco

De soun pèd nus!

xv

Hdu! certo, aquelo drolo,

Patrottn Apiarr digu?, l'are me quihe,

Vous fara quauque jour vira canturlo.

Parlon jamoi que d'elo es pas ben laido;

CHANT Il, LE PRINCE D'ORANGE. }9

le jonc fleuri, qui se nourrit sous l'onde

et que l'Anglore aime tant à cueillir Il»

« L'Anglore?Il a Allons, avance-toi, Jean Roche,

et dis-lui donc quelle est celle-la, Il firent-ils.

a Autant que moi, vous autres, vous pouvez en parler 1 a

répondit brusquement un jeune homme

qui tressait l'épissure d'un cordage.

a Oh lie vilain bourru I lui cria-t-on,

tu l'auras cette nuit songée peut-être -qui à terre

faisait gogaille avec quelque pêcheur. J)

Vous avez beau hâbler, mais, dame, quand,riposta le gros gars, vers les fourrés

du Malatra, là où l'Ardéche fouille,

vous passez à côté, poussant la barre,

et que, nu-pieds sur le sable fin,

vous la voyez riant avec ses dents qui mordent,

ah combien d'entre vous, si du bout de son doigtelle faisait un signe, se jetteraient l'eau

pour aller déposer un baiser sur l'aubier

de son pied nu Ila

xv

Ho 1 cette fille, certes,

dit Patron Apian, le diable m'emporte 1

vous fera quelque jour tourner la tète

Ils ne parlent que d'elle ce n'est pas un laideron,

40 CANT Il, LOU PRINCE D'AURENJO.

h~ui pèr n'en fuirr talo cridudisso,

l'a pièi pas d'aigo rici jttrgrro au cotti, cto l

A respèt dôu frlrurr de nôsti costo,

Caiard, poumpous e blunc courne.de tourno!

Reiartmc! buto à Givors! S'entrepachon

Li barco à quèi lort peirif sus l'es~rtino,

Li porto fris ab,rrbussi revèssnn

Li coufo de carborrn i r,rvorriurdo;

S'empielo à bèrt mouloun la ferrumento

E la guincaio e li duio e li forfe

E li furién requist de Sunt-F.st~tre.

E'm'acd fai tira! tôreti coutrio,

S'es deju mes lora prince blorurd à l'obro,

Car ia bèn di, vdrt viértre en cambur~rdo

Emé li ribeirié, patrot~n e chor~ro,

E barreja, rema, trima cortme éli,

Tau que faguè Peiroun, lou zar di Rûssi,A Zaardum, quand jouve s'er,:b.zuchavo

Pèr coumpagnoun fitstié, voulènt aprene.

XVI

Jll~ri lou ver~ri et que, /~ér rrno erporrncbo

QEte vin dôu sang, Gailrén (courne ié diron

Au béu dôufrn de la nvrioun flamenco)vart rnrfeb·a lou Rose. Vdu counèisse

Lou nit, lou corrv~rdou, la terro iturtro

CHANT II~ LE PRINCE D'ORANGE.41

mais pour en faire une crierie pareille,

il n'>, a pas ici d'eau jusqu'au cou, voyons l

à l'égarddes tendrons de nos côtes,

vigoureux, opulents et blancs comme jonchée!

Royaumel bute à Givors! J> Et bord à quai

cognentles barques le coussinet au dos,

les portefaix barbus déjà reversent

les mannes de charbon aux ravor~rdes;

on empile à beaux tas les ferrements

et la quincaille et les faux et les forces

et les fusils fameux deSaint-Ëtienne.

Puis derechef, en route et, d'accord tous,

le prince blond s'est déjà mis à l'œuvre,

car il a bien promis de vivre en camarade

avec les mariniers, patron et gens du bord,et rilanoeuvrer, ramer, trimer comme eux,

ainsi que fit Pierron, le czar des Russes, lorsque

à Zaardam, dans sa jeunesse, il s'embaucha

compagnon charpentier, voulant apprendre.

XVI

Mais le vrai, le voici: par une suggestion

qui vient du sang, Guilhem (ainsi se nommele beau dauphin de la nation flamande)

veut rouler par le Rhône. Il veut connaître

l'aire qui le couva, la terre illustre

CANT Il, LOU PRINCE D'AUItENJO.4Z

Qpe i'a trasmés lou noum preclar que porto,

Aurenjo e sa famouso Glourieto,

Palais e fourt~rresso de sis JlI;

Au tèms feran di guerro sarrasino.

E vdu ressrgre e vüre charco liogo

Ounte an leisra si piado aquili prince

Qlre soun Cournet clantiguè dinr li laisso

De tduri li cansoun caval~irouso.

E vdu r'aprene a~uelo parladuro

Ounte Bierris de Roumans bresihavo

Soun teta-dous lesbian, la lengo alègro

Ounte cant~ la Coumtesso de Dio

Si lai d'amour emé Rim6~ud d'Aurenjo.

~u a Icgi. Se sènt dins la courado,

l'a de mouraen, lis ambicioun superbo,

Lou rebroutun dis envej~rrso foto

Qite vers la gtbri an enaura si paire

E lou regrèt di coun~uisto perdudo.Mai en que bon lou regrèt, se di rüre

Pdu recoubra la terro soxleiouso

En l'ernbrassant de soun regard alabre!

Es-ti besoun d'esparo que fouguejon

Nr s'empara de Fo que l'iue nous mostro!

E sarié pas trop biu emai tout simple

De recounquerre aquiu flouroun d'Aurrnjo,

Aquiu relarg que li Bausren tenguèron,

Aqurl empèri enfin di Bousounido

Qire dinr lou crid empèri! a toujour duro,

En s'afreirant i bdni gènt déu pople

Q~r l'an garda, lori crid di sonveninfôt

CHANT Il, LE PRINCE D'ORANGE.4}

qui lui transmit le noble nom qu'il porte,

Orange et sa célèbre Gloriette,

château fort et palais de ses aïeux

au temps féroce des guerres sarrasines.

Et il veut parcourir et voir chacun des lieux

où ont laissé leurs vestiges ces princes

dont le Cornet J sonna dans les tirades

de toutes les chansons chevaleresques.

Il veut s'initier à ce langage

dans lequel Béatrix de Romans gazouillait

ses doux accents lesbiens, la langue allègre

en laquelle chanta la Comtesse de Die

ses lais d'amour avec Raimbaud d'Orange.Il a lu. Il se sent aux entrailles,

à de certains moments, les ambitions superbes,

le reverdissement des grandes envies folles

qui vers la gloire ont exalté ses pèreset le regret des conquêtcs perdues.Mais pourquoi le regret, si des ancêtres

il pouvait recouvrer la terre ensoleillée

en l'embrassant de son regard avidel

Qu'est-il besoin d'épées qui étincellent

pour s'emparer de ce que l'œil nous montre?Et ne serait-ce pas trop beau, tout simple aussi,

de reconquérir ce fleuron d'Orange,ce franc-alleu que tinrent ceux des Baux,

et cet empire enfin des Bosonides

qui dans le cri empire! dure encore,

cn s'accointant aux bonnes gens du peuple

qui l'ont gardé, le cri des souvenances ?

44CANT Il, LOU PRINCE D'AURENJO.

Lou dison proun d'un que vèn poupulhri

« Acd 's un rèi, nostè rèi Cavalisco i

Dtqrrfvortlès de mai? autant n'i'avèn~ue!

Car à soun tour li cartèu fort s'aclapon,

Coume ap.~rèis aqui sus chasqrre mourre,

E tout degrrrno e tout se renouvello.

Mai sus ti piue, inmudablo Natnro,

Espelisson torrjorrr li firigoulo

E sèmpre li pastour e pastoureto

If recoumenFaran si vifutoulado.

XVII

Gou neblarft, qu'à clia pau s'enlumino,

A descubert au jour l~r vort tubiero

Emé si verd coustau de mor~ntvgnolo

Qp'entre-mitan lou Rose ié barrulo.

E Mèste ~lpion, en countemplant la f,ici

Dôu soulèu n~u que regaiardis tôuti,

Crido 1: Un de mai I Li navegaire enrèmblt

An aussa lou capéu; r'eicarrabil~on

Li passagié, badant à tout rescontre,

Qtraad tout-d'un-cop, magnifico, au recouide

Aparèis dins rotrn plen l'antico Vieno,

Asretado en autar sus lis ancouln

Ddu noble Dôufinvt. Vaqui, celèbre,

Lou Toumbèu de Pilato qr~é pounchejo.

CHANT Il, LE PRINCE D'ORANGE.4f

On le dit bien de qui est populaire

c C'est notre roi, c'est un roi 1 » Eh bon Dieu,

quoi davantage? autant lui en advienne 1

Car à leur tour croulent les châteaux forts,

comme il apparait là sur chaque mamelon,

et tout s'éboule et tout se renouvelle.

Mais sur tes cimes, immuable Nature,à tout jamais les thyms éclosent

et toujours les pasteurs et pastourelles

s'y vautreront sur l'herbe au renouveau.

XVII

L'épais brouillard, qui peu à peu s'éclaire,

a découvert au jour la vallée vaporeuse

avec les verts coteaux de ses collines

où court le Rhône roulant au milieu d'elles.Et Maître Apian, en contemplant la face

du soleil neuf qui ragaillardit tous,

crie CI:Un de plus 1 Les nautoniers ensemble

ont haussé le chapeau; la joie réveille

les passagers, ébahis à tout coin,

quand tout d'un coup, magnifique, au tournant

apparait dans son plein l'antique Vienne,assise en autel sur les contreforts

du noble Dauphiné. Voilà, célèbre,

le Tombeau de Pilate et son aiguille.

46CANT Il, LOU PRINCE D'AUI\ENJO.

Li panrdou s'entènrlon que tabasson

Pèr oprert~r li drap dins li jabrico.

Copo jarret, l'escalabroufo auturo,

Espandis en ventau si bastidouno;E li clouchif 'mf li tourre e li tèmple,

Dins la lumiero inoundarello e cando,

l' ercriv~n dôu passat l'irtdri agusto.

XVIII

Soun pourtalan it la man que fuieto,

Em' ertrvmbord adounc cridè lot~ prince

Salut, empiri d6u roulèu, que 6ordo

Coume un orle d'argcnt lou Rose blfugr!

Empèri dôu soolas, de l'alegrio! 1

Empèri fvntatti de la PronvènÇo

Qlt'emf toun norrm soulet fvs gau au moundr!

Èstre naseu dins li tètns de bagarro,De bourroulis, de noun-rèn, d'rrvrnturo,

Ounte, uno espaso en man, lou valènt ome

Poudif, prenènt counsèu que de soun èimr,

Poudif, dins lou grouün di trrboulino,

Se taia libramrn un bèu reivume,

Acd si, de chabèu`o, que n'èro uno

Conme aqufu grand Bousoun, comte de Vieno,

Q~n, i'a milo an, a~tti dins la grand glèito

De Sant Maurise, porto sus sa toumbo

CHANT Il, LE PRINCE D'ORANGE.47

On entend les foulons qui frappent à grands coups

pour apprêterles draps, dans les fabriques.

Coupe-jarret., sur ses pentes ardues,

étale en éventail ses maisonnettes;et les clochers et les tours et les temples

dans la lumière inondante et limpide

écrivent du passé l'histoire auguste.

XVIII

Son portulan la main qu'il feuillette,

le prince transporté lors s'écria

Salut, empire du soleil, que bordecomme un ourlet d'argent le Rhône éblouissant 1

empire de plaisance et d'allégresse,

empire fantastique de Provenee

qui avec ton nom seul charmes le monde 1

oh 1 être né dans les temps de bagarre,de pêle-mêle, de néant, d'aventures,

où, une épée en main, le vaillant homme

pouvait, ne consultant que son instinct,

pouvait, dans le ferment des troubles,

se tailler librement un beau royaume,en voilà une, entre toutes, de chance 1

Comme ce grand Boson, comte de Vienne,

qui I?I, depuis mille ans, dans l'église majeurede Saint-Maurice, porte sur sa tombe

CANT Il, LOU PRINCE O'AUI\ENJO.48

Lou testimdni escri de soun audrici,

De sa munifrdnci, de sa ~ldri!

Rèi fouscarin e prince de cor~mèdi,

Nous-vutri vuei, despersnuna, dins l'or~mbro

De ndttis otribr~t legar~ e mingre,

Passan à la chut-chut ras de l'istùri,

En tenènt amaga courouno e rcètre,

Cortrne s'avian cregnèn~o d'èstre en visto!

Mai tu, comte Bousoun, à la barbeto

Di poutentat de Franfo e d'Alemagno,

T'enravalant d'r~n bnund i flanc dôu Rose

« Moun chivan, ârri! àrri! J) pèr li serre,

Au crid de vivo Prouvènço! t'auboures.

Li gènt dins lou mesclun Vaqui, se dison,

Un ome! E li b~rroun e lis cvesrJue

T'an aclama rèi d'Arle dins blantoio!-

XIX

Entvndôumens que lon prince es en dèstre,

Li ribeirié, butant à la redolo,

An embarca li boutaréu de bierro

Emf si jouns tngipa que blanquejon,

De bierro bloundo e bruno qu'ercumouso

Vai regala, tout lou tèms de la frero,

Dins li cvfourno e bvrar de Bdu-Cvire.Li gargassoun asseda di bevirto.

CIIANT Il, LE PRINCE D'ORANGE.49

le témoignage écrit de son audace,

de sa munificence, de sa gloire!

Princes de comédie et rois blafards,nous aujourd'hui, impersonnels, dans l'ombre

et l'étroitesse de nos attributs légaux,

nous passons chuchotant à ras l'histoire,

dissimulant couronne et sceptre,

comme si nous avions peur d'être en vue

Mais toi, comte Boson, ?lIa barbe

des potentats de France et d'Allemagne,tu enfourches d'un bond les flancs du Rhône

Allons, mon bon cheval! par les sommets,

au cri vive Provence! tu t'élèves.

Voilà, se disent les gens dans la mêlée,

un homme 1 Et les barons et les évêques

t'ont acclamé roi d'Arles dans Mantaille!

XIX

Mais pendant que le prince exulte,

les mariniers, les roulant devant eux,

ont embarqué les barriques de bièreavec leurs fonds plâtrés et blancs,de bière blonde et brune qui, mousseuse,va délecter, tout le temps de la foire,

dans les tavernes et bazars de Beaucaire,

les gosiers assoiffés des buveurs.

foCANT Il, LOU PRINCE D'AURENJO.

E tènso mai tarda, ~ue lou tèms prèsso,

An fu soun virvvdrrt e lou Cabrrrle,

Tirutsejunt uprèt sa blvnco Jfoto,

Repren requinrlrrihv lou fiéu de l'oundo.

blai tout-etcas sus li colo ~roupudo

An vist vmount, bén empaligoutvdo,

Li vigno d'or de la Costo-Roustido

E peralin devittv sus la drecho

Dôu mount Pilat li tres dènt bluvinello,

Duv~tns Coundriéu li vaqui. ~iton l'arrcro.

Es lou païs d'ounte sorrn quàsi ttiuti.

Sus lou Sublié, pèr ~rpeitv si paire,

Un vermenié rt'cnfrnt, despièi quatre ouro,

Soun a~ui nus o mita nus ~rre jogon

Lis un b"afant o fuènt rlc soupeto,

Au bataioun lis àutri que s'aquèiron.

Au pèd de sis oust.rra, dôa long de l'aigo,

A plen de pourtvlet li pàrrri femo

Desempièi lou matin soun ù l'espèro

Pèr vèire au bvrcarés passa sis ome.

xx

Blandino, conrre, que toun paire arribo!

Bon jour, patroun Apian!- Diéu vous lou dnum

Trasès-me lou mouchoun, que vous amarre!

Dig~-i'3 hlariocho que m'empligue

CHANT Il, LE PRINCE D'ORANGE. fi

Sans plus tarder, car le temps presse,ils ont viré de bord et le Caburle,

entraînant après lui sa blanche flotte

ct rengorgé, reprend le fil de l'onde.

Or, sur les croupes des collinos,

aussitôt vues là-haut, bien munies d'échalas,les vignes d'or de la Côte-Rotie

et aperçus au lointain sur la droite

le mont Pilat et ses trois dents bleuàtres,

devant Condrieu voilà qu'ils mouillent l'ancre.

C'est le pays d'où ils sont presque tous.

Sur le Sabliers, pour attendre leurs pères,un fouillis de gamins, depuis quatre heures,

sont là tout nus ou moitié nus qui jouent

les uns dans 1 'au barbotent ou font des ricoehets,

les autres se battant à coups de pierres.

Au pied de leurs maisons, le long du fleuve,

les pauvres femmes, sur le pas des portes,sont à l'affût, depuis la matinée,

pour voir au port passer leurs hommes.

xx

« Blandine, cours ton père qui arrive!

Bonjour, patron Apian! JI Dieu vous le donne Ila

« A moi le bout, je vous amarrerai

Dis-lui, à Marioche, de m'emplir

CANT Il, LOU PRINCE O'AURENjO.p

De vin rl'Amprrir, léu, aque% boumbouno.

l'er pas Dvrnivn t Tè, vaqui si cvmito.

Coutoun! hlioun! Dequ'rr que vous aduse

D'en frero, hdr~ ? Adure-me, Ribnri,

Qlràrrquir anèn de cren emai de vèire,

D'aquéli que derrus i'a 'n g~irri ronge!

O. lér~, arlrrre-mt pèr kr meinvdo

Uno titèi, d'rrqrréli que si giblon!

O. léu, adure-me de ~irnbrleto,

D'aqufti bono qu'eni r~n fréu s'enrèrton.

O. léu, adure-me. Tout acJ piaio;

Li racournand~rcioun de touto meno

Se van crousvnt di b~rtèn i finértro

A toun papet, dif;o-if que te croumpe

Dins r~n mvsrvpvn rose uno sortrreto,

Q~tr, Glaudilroun? bfoun grand, iétr it Bèrt-Coin

lé vole ana! Gort cop que vèn, moun drole.

Anar, carrej~rr-vour! I3ono avanturol 1

Tenès-vorrr bèn gaiardo, tanto Clrvirso!

R tu, Janin, vviro-tc di Trévo

E di fia de sant Èume e dis Oulurgue

Qlre vin, la nirre, pèr lis Alirwrmp d'Arle!

XXI

Piéi aderrias. La bairro lis atiro.

Fau pas que perdon témr, d'aiours, re volon

CHANT Il,LE PRINCE D'ORANGE. n

de vin d'Ampuis, vitc, cette cruche. JI

où est Damian? Tiens, voilà ses chemises. JI

Goton 111ion 1 Qu'est-ce que je vous apporte

de la foire, holà ho? CI:Apporte, Ribory,

quelques bagues de crin et aussi de verre,

de celles qui dessus ont un rat rouge l

a Oui 1 « Moi, pour la petite apporte-moi

une poupée, de celles qui se ploient l

« Oui. JI pour moi apporte des gimblettes,

de ces bonnes qui sont enlacées avec un fil. JI

0: Oui. JI Moi, apporte-moi. Tout ça jacasse;les recommandations de toute sorte

se vont croisant des bateaux aux fenétres

Dis à ton grand-papa de t'acheter

dans une boite rose une petite sœur,

ch! Claudillon? m « Père-grand, à Beaucaire,

moi je veux y aller!JI Le coup prochain, mon gars.

« Allons, portez-vous bien 1 bonne aventure l

« Tenez-vous bien gaillarde, tante Chaisse! JI

Et toi, Janin, prends garde aux Trèves6,

aux feux Saint-Elme et aux Oulurgues7

qui vont, la nuit, par les Aliscamps d'Arles 1 JI

XXI

Et puis adieu. Le Midi les attire.

Ils n'ont du reste pas dc temps à perdre

f4 CANT Il, LOU PRINCE D'AURENJO.

Arriba li proumif 'n terro d'Argén~o

E gagna lon mdutoun. Au brifn de l'aigo

Encaro touto bluio di turqtrero

Qu'a rvbaia dins lcs laur de Gencvo,

Dôu tèms que van li tèndo btanq:rinouso,

Uno après t'autro corrme un vau de cifune,

l'a lou prince oul~rndfr que vdu tout sa:rpre.

Metren long tdms pèr la ducito, méitre 1

ven conme aca. Patroun Apian i rrcuro

E, tout gauchous de faire uno pasrado

Sorrn Ciceror~n Dour jour, tres lou mai, prince,

Au cas que pér camin i'ague d'encoumbre,

Rrspond, tau que dr néblo, comme aquéli

Qp'avian agueJt matin r prouu upuso

Pér empacha de vdire l'rndraiado.

Car fau pas 6ouJouna 'm'aquéli roco,

Estèu, secan, agacin r berrugo

o 'm'aquéli graviero dangeirouso

Que i'a de liuen en liurn souto li riso.

Se Con s'aviso pas, la borco roto,

Se cnbo e bfu, Jlau! Jlau! a dins un auve

S'engravo jusquo i bord e tout se nègo.

Sènso parla di pont ounte l'on ruto

Ni dis entravadis que fan li traio.

Sant Micoulau, patroun de la ribiero,

Nous garde longo-mai!

CHANT Il, LE PRINCE D'ORANGE.ff

s'ils veulent arriver les premiers en Argence6

et gagnerle mouton. Au cours de l'eau,

encore toute bleue des turquoises

qu'ellea ramassées dans le lac de Genève,

pendant que vont les tentes blanches

une après l'autre, telles qu'un vol de cygnes,

le prince hollandais veut tout savoir.

Allons-nous mettre longtemps pour la descente,maitre? demande-t-il. Le patron bruyamment

tousse et, heureux de faire quelque peu

son Cicéron Deux jours, trois au plus, prince,au cas où par la routc il y ait de l'encombre,

répond-il, des brouillards, par exemple, pareilsà ceux que nous avions ce matin et assez denses

pour empêcher de voir la direction.

Car il ne s'agit pas de plaisanter avec ces roches,écueils, récifs et pointes et verrues

ou bien avec ces grèves dangereuses

que recèlent de loin en loin les eaux qui rient.

Si l'on n'ouvre pas l'œil, la barque râpe,

se crève et boit floc 1 floc 1 ou dans un « maigrep

s'engrave jusqu'aux bords et tout se noie.

Sans parler des ponts où l'on heurte

ni des empêchements des bacs.

Siint Nicolas, patron de la rivière,nous garde longuement

l

CANT Il, LOU PRO/CE D~AUREN10.f6

XXII

Rei~rrtme, fotrme!

Cridè lort veitrrrin coupant sa rlicho,Li verér par,. lis irclo de Sant Pèire,

Capounas de pas Difu, que vous entramblonl

Reprenguè pièi Es pèr vous dire, prince,

Ql~'emai, coume afourtis lou reprorrvèrbi,

Au d~rvala tduti li sant ajudon,

En davalado, anas, tant se rarcontro

Si contro-tèms, dertourbe e mau parado.

D'ourdinàri pamens, quanrl vai en bttlo

E que se pdu, meme au ctar rle la luno,

Counèisre à visto d'iue lis endreclriero,

Di grand quèi de Lioun i b~itri ribo

D6u Rose prorrvenFau, en dos journadoSe fai, i mes d'estiért, t'etcourregudo.

Corrc~rgno, acd! mai pièi es la remounto,

Segnour, rlue fai tira! De bondo en bando,

Sus li coursié qu'en remor~ nous teguisrnn,

Atucas-tèi, quicha corrme d'anchoio,

Avèn aqui nbrti chiv.rn de viage

Vint coublefort, tout rle bèsti chvusido,

La Jlour de la jrrmento rharorrleto,

Que li veirér, quvnd revendreu contro aigo,

S'erp,rngouna, superbe, long dtiu Jlume.

f7CHANT Il, LE PRINCE D'ORANGE.

XXII

« Royaume, foudre! JI

cria le voiturin en coupant son récit,

w vous ne voyez donc pas les iles de Saint Pierre,

grand capon de pas Dieu, qui vous entravent? D

Et il reprit « C'est pour vous dire, prince,que s'il est vrai, comme affirme un proverbe,que tous les saints aident à la descente,

tout de même en descente, allez, il se rencontreses contre-temps, incidents et hasards.D'ordinaire pourtant, quand tout va bel et bien

ct que l'on peut, même au clair de la lune,

reconnaître à vue d'oeil la bonne voie,

des grands quais de Lyon aux basses rivesdu Rhône provençal, en deux journées,aux mois d'été, se fait la course.

Un vrai jeu que cela mais puis c'est la remonte,seigneur, qui fait tirer! De chaque bord,

sur les bateaux plats que nous remorquons,voyez-les donc, encaqués comme anchois,

nous avons là nos chevaux de halage

vingt fortes couples 9, toutes bêtes de choix,

flcur des haras du Charolais,

que vous verrez, quand nous reviendrons contre-mom

s'évertuer superbes sur la rive du fleuve.

f8CANT Il, LOU PRINCE D'AURENJO.

Dire pas que noun i'a~ue, sus fEmpèri

o lou Reianrne, rèu de cor~mpanrGle

A norte cavalin; mai vous ret(~on~eQlte viut milo quint~ru norrn lis acurlon.

XXIII

E quant se met de tèms pèr la remounto? J

Depènd i mes d'estifrr, qrrand l'aigo es liso,

Dins dèt-e-vrre o vint jour p~rt se faire.

1 pichot jour, quand la sesoun iverno,

N'en fau de trento-cin~, vès, ~rqr~aranto.hf~ri lou terrible pièi es quand lou Rose,

Aboudenfli pèr li plueio arttor~nenco

O pèr aqufli grossi levantado

Qu'emf la pleuo av~rrt if fart rcbouto,

Mounto, emf soun eigasro de poustèmo,

Sus li trenado e paliero fourEttdo,

Negant li caladat e li carrairo.

Sacre couquin 1 n'es rrno de misèri,

Alor, quand li chivvu, à la maieto

Dt chasco nau, tirant de quatre en quatre,Veson plrts lou camin e s'empatouion

Enjrtr~uo au quifra dins li blad, dins tis drdi,

A li falf derraba 'mf 'no b~rrro

Que se if passo J dour souto lou vèntre! 1

o bén, moussu, quand fau chanj~r de ribo

CHANT Il, LE PRINCE D'ORANGE.f9

Je ne dis pas qu'il n'y ait, sur l'Empire

ou le RO)'3ume, rien de comparable

à notre chevaline; mais je vous garantis

que vingt mille quintaux ne les font point culcr. a

XXIII

Et quel temps se met-il pour la remonte? Il

c Cela dépend: aux mois d'été, quand l'eau est lisse,

cn dix-huit ou vingt jours on peut la faire.

Aux petits jours, quand la saison hiverne,

il en faut de trente-cinq, voyez-vous, quarante.Mais le terrible, puis, c'est quand le Rhône,

gonflé par les pluies automnales,

ou par ces gros temps d'Est

qui avec la marée en aval le refoulent,

déborde ses grandes eaux troubles

sur les puissantes digues et sur les clayonnages,

noyant les perrés et les voies.

Sacré coquin quelle misère,

alors, quand les chevaux, à la cordelle

de chaque nef, tirant quatre par quatre,ne voient plus le chemin et s'embourbent

jusqu'à la croupe dans les blés, dans les orges,

au point de les falloir lever avec un pieu

qu'on leur passe ?I deux sous le ventre 1

Ou lorsqu'il faut, monsieur, changer de rive

CANT Il, LOU PRINCE D'AURENJO.60

Pèr fourvia qrrurrcoribiero grosso

Qf~e s'entravlsro i pèd dis equipage;

o bèn, rnoursu, quvnd fart gaJà l'Ouvezo,

Quarrd frrt gafa lou Roubioun e la Drourno!

Es un br~rve trav~ri! Contro li roco

En fringouiant li corrlo se ~muirron

Fau f~rire un grorrp, fou rrno emploumb~rrluro;

F~rrr, à cop dr destrau, tor~mba lir aubre

Qln podon empedi; fau, rnilo-:lifune! i

A cop de poung, de paa e de partegn,

Entanterin que!i chivar~ se nègon,

S'agarri pèr camin emf li panto

Qitr, pèr gagna rlavanr emf si couble

o trebôuja (coumr disfrt tout rr~fe),

Vendnrn enjarreto, de fer, li nostre.

Ah boutas, n'i' a pdr tôrtti

XXIV

Emai n'en rèrto!

F~ri lorr prince en rirèn!. A l'avulido,

Encabana de rrèrt que blungrrincjo,Li serre dtirr Vercors pougnon l'crpJci.

Lis ubeié JI' Crau, d'a~uértir ouro,

Desbrouton adamorrnt lis erbo drrrdn,

Lou sant-janet flouri, la pirnpinello

Car es i pastre d'Arle que l'~rnhiso

CHANT Il,LE PRINCE D'ORANGE. 61

pour éviter quelque rivière grosse

qui se met en travers aux pieds des équipages;

ou lorsqu'il faut, monsieur, passer à gué l'Ouvèze,

passcr à gué le Roubion et la Drôme 1

C'est un rude travail 1 Contre les roches,au frottement les cordes s'usent

il faut bâcler un noeud, une épissure;

il faut abattre, ?I coups de cognée, les arbres

qui peuvent empêcher; oui, mille dieux l

il faut, à coups de poing ou de picu ou de gaffe,

pendant que les chevaux se noient,se mettre par chemin aux prises avec les rustres

qui, pour gagner devant avec leurs couples

ou trrboryer (ainsi que nous disons tout brut),viendront dans les jarrets parfois cingler les nôtres.

Allez, il y en a pour tous 1 JI

XXIV

Et il en reste »

fait le prince en riant. A l'horizon,

chaperonnés de neige blanchissante,les sommets du Vercors piquent l'espace.

Les troupeaux transhumants de la Crau, ?I cette heure,

broutent là-haut les herbes drues,

le cytise fleuri, la pimprenelle

car c'est aux bergers d'Arles que l'usage

4

CANT Il, LOU PRINCE D'AURENJO,62

De t6uti aqr~flis Aup e cimo linenclro

DeremPièi rie milo an es rererurdo.

E frn-qtt',tu Nivoulet de la Savoio

E pervr·,oont fin-qu'ar~ brccvs dôrt Viso

E peralin ri-n-rrr~rrfrt morrnt Genebre

Qu'es l'aigo-verr de Fraafo emvi d'Itrili,

Tout i'vpart~n. E de que tiron ~lôri

.Tdr~ti li counquistaire li mai trrtle

Qpe sus Rose à-de-rèng an fan l'nnpéri,

Li Charle-blv~ne emf li Bonapvrte,Lis Annibvu e li Cervr de Roumo,

Pfr avé treconla tàlis anturo 1

Qpand t6uti li printfmr, en cvrvvano,

Qirvnd tôuti lis ertifrt e lis arttouno,

Emf si grand rnenorrnque fan tralrino

Dintre /z nfu brennuro di neviero,

Emf tout soun ferlvn qu'a ges de noumbre,

Lou bartoun à la man, jortgvnt ~fdu fifre,

Escvlon, fli, e parron li mountvgno!

CHANT Il, LE PRINCE D'ORANGE,6}

de toutes ces Alpes et cimes lointaines

depuis des milliers d'années est dévolu.Ft jusqu'au Nivolet de la Savoie,

et jusqu'au pic escarpé du Viso,et loin, bien loin, ju!qu'à ce mont Genièvre

qui départit les eaux de France et d'Italie,à eux tout appartient. Et de quoi se prévalentles conquérants les plus goulus

qui eurent tour à tour empire sur le Rhône,les Charlemagne mac les Bonaparte,

les Annibal et les César de Rome,

pour avoir franchi ces hauteurs 1

lorsque tous les pr intemps, en caravane,

lorsque tous les étés et les automnes,

avec leurs grands boucs qui ouvrent la trace

parmi la !1eige grenue des nlvfs,

suivis de leurs innombrables brebis,le bâton à la main, jouant du fifre,

nos pâtres, eux, gravissent et passent les montagnes 1

~5

CcA~? ?7~ESE~

L,.f DESCISO 9)ÔU ~,ose

xxv

1 porrrtihoun d'AndvnFo e d'Andvnceto

Es arrib~rdo enterin la jloutiho

E i'an cargv de post, de tulvguëgno,

De fais de dougo e de roudatt de ciérrcle.

E ribejvnt la costo parpelouso

D6u Vivarés, toujour ~ue mai ardbro,

Toujour que mai feroujo e trvvrsrrrdo,

Se van crousant, quasimrn toco à toco,

Emf la maio lènto e la rejano

E li clrivvu d'uno autro longo tiero

Qrre sus Lioun peniblvmen remounto.Salut! De clrasque las li bras re lèvon

E li capèu vouguejon dinr l'esp~ici r

Eh! coume vai lou vivgel A la coutturno!

CHANT TROISIÈME

LA DESCENTE DU RHÔNE

xxv

Aux petits ports d'Andance et d'Andancette

est arrivée cependant la flottille

ct l'on y a chargé des planches, des poutrelles,et des douves en botte et des cerceaux en roue.

Et en longeant la côte sourcilleuse

du Vivarais, de plus en plus abrupte,

de plus en plus farouche, accidentée,

les voilà qui se croisent, se frôlent presque,

avec la maille 1 lente et le câbleau

et les chevaux d'une autre longue file

qui sur Lyon péniblement remonte.

Salut 1 Jt Les bras de chaque part se lèvent

et les chapeaux s'agitent dans l'espace:

Comment va le voyage?JI A la coutume a

4.

CANT fil, LA DESCISO DOU ROSE.66

1'èro aa Sant-Esperit lou gros mrrdaire?

Rewrdvvo vrr soulèrs qrrrnt èro d'orrro.

En bevènt à sorrn Jlasco ? Eto, plrdinclrc!

Er engravu lou pont vers BvgvlanFo?N'a pas parla lorr gros Tùni. G'Ardecho

Alor aura for~nru contro lis isclo.

Se p~~u. E vvutre, alin à la Crvn~-Cofo,

Avès agu forfo ai~o? Jusquo ars vèntre! 1

Mai de la frero an pancv fa li crido?

Rircas pas de gagna la m6utounerro,

Coulégo! Coume vai? D'en Aigo-bforto

Pvrtivn, i'a quinge jour, e vers Li Santo,

Se bidourrant subre sis ancoureto,Vesian sus Rose un bastimen de Tùnis

Q~t', en pano retengu souto la bisr,

Esperavo Pembat pèr faire velo

Au proumié jour vers lou port de Bèrr-Cvire.Èro cargv de dûti e de jruiolo

Qlre, sus si vètto roujo, èron garnido

De teqrsin d'or e de piastro lurénto.

XXVI

Nour enchau bln, aqr« fa~uè Jan Rocho,De si juJiéuvo, figo encobartvdo

Qfre tinton l'ercaufit emai lou turge!

Sus li lahtrt à la tasto re croumpon.

CHANT fil, LA DESCENTE DU RHÔNE. 67

Y était-il, au Saint-Esprit, le gros pilote? JI

il regardait quelle heure il était au soleil. JI

En buvant à sa gourde?JI -a Eh 1 oui 1 pardi! JI

Ya-t-il du gravier, au pont, vers Bagalance'?

« n'en a pas parlé, le gros Toni. JI L'Ardèche

pour lors aura foncé contre les îles. JI

JI sc peut. a Et vous autres, par 13-bas, au Grand Gué,

avez-vous eu beaucoup d'eau? JI «Jusqu'au ventre 1

biais on n'a pas encore crié la foire?

Ah! vous ne risquez pas de gagner le mouton,

collégues! Et pourquoi? «D'Aigues-Mortes

nous partions, il y a quinze jours, et voilà

que, vers Les Saintes roulant sur ses ancres,

un bâtiment de Tunis dans le Rhône,

tenu en panne sous la bise,

attendait le garbin pour faire voile

au premier jour vers le port de Beaucaire.

Il avait cargaison de dattes et de juivesqui, sur leurs vestes rouges, étaientgarnies

de sequins d'or et de piastres luisantes. JI

XXVI

Nous nous gaussons pas mal, reprit Jean Roche,

de ses juives, figues tassées

qui sentent le remugle et le suint 1

On les loue au tâter, sur les tartanes.

CANT 111~ LA DESCISO DOU ROSE.68

N'i 'en menaren, nous-autre, uno à Bèn-Caire

Que se, lort bèu dirnenche de la frero,

Dôr~ poulidige emporto pas li joio,

vole, rant blicorrluu, que sur ma tèJto

Li Bano de CrussEu tragon soun onmbro!

Qrrinto Devinas-la! Belèr~ la frho

Dôr< <~lalatra, de l'ome dc la mtrdo,

Que passo au crruelet l'or de paiolo t

Jtrst. Aquelo bdrrmiono 0 Jan-toutotrro

De boimo courno agnelo soun astrttgo

E porton lou bonrrr ounte i'ab~rado.

E, hou! avisas-vous que noun vous grrinche

De raire, quand passas la lrrno jouvo,Coume re dis, es bvnarudo e fèlo!

Siés enmasca! cridèron à Jan RochoLi veittrrin de Tautro bar~rrejvdo.

Croumpo r~n torrpin e fvi borrli d'abrrïo!-

Fai tira, blaritrs! Buto à l'empento!

En biair d'ernbrtt li man arredotrnido

D'nno barcado ~i l'atitro, enca 'no vdtrto.

Jiton de liuen li parvrrlo d'etcâfi;

blai li batèu de hlèste Apian, rapide,

Avien deja filu sus l'aigo frdro.

XXVII

Di miradou nouvdu que l'enviroirnon,

D6r~ ribeirau erpetaclous, di runo,

CHANT 111~ LA DESCENTE DU RHÔNE. 69

Nous allons en mener, nous, à Beaucaire,

une. Écoutez: le beau dimanche de la foire,

si elle ne remporte le prix de joliesse,

je veux, saint Nicolas, que sur ma tête

les Cornes de Crussol4 jettent leur ombre! JI

Il Laquelle? Devinez » a Peut-être bien la fille

du ~Ialatra, la fille au lamaneur,

celle qui passe l'or des paillettes au crible? JI

Oui. J) a Cette bohémienne?" Il 0 Jean-la-flûte!

Des bohèmes semblables ont les astres pour clles

ct portent le bonheur où il leur plait.Et prenez garde, ohé qu'elle ne vous guigne

de côté, en passant la lune jeune,comme l'on dit, est cornue et félonnel JI

Il Tu es ensorcelé! JI crièrent à Jean Roche

les voiturins de l'autre batelée.

Achète un pot et mets-y bouillir des aiguilles s! JI

a Fais tirer, hlarius -a pousse à la barre 1 a

En guise d'entonnoir les mains qui s'arrondissent

d'une barquée à l'autre, encore une tournée,

jettent de loin les paroles piquantes;mais les bateaux de Maître Apian, rapides,avaient déjà filé sur les eaux fières 6.

XXVII

Des points de vue nouveaux qui l'environnent,.

de l'admirable vallée, des éboulis,

C.\NT III, LA DESCISO DOU ROSE.70

Di deaoul~u emé sis ensurriado,

t Di vièi castèrr entn.rntela de gldri

E dôu chalrrn de l'èr ~rre lrrminejo

l'a lou prince Guilrèn qr~'a lort cor ébri,

E lon pougnun d'amour noun tardo à nvisre.

La veirai bèn, se dis entre érr, la divo

Que souu faclrin a sa bèutJ ferouno

Sèmblo farJàntela Jus tout lou Rose!

G'Anbloro, aquelo cbato incouneibudo

Qlre tout uc~ n'en parlo e n'en pantaio,

Aguelo perlo d'au~e que lrrsejo

A l'erperit coume au regard de tduti

E que, noun rai perqué, rèns l'agué visto,

A iéu peréu me danro pèr la tèlto!

L'aigo erbrihaudo e ris; li perqrreirolo,

Li barb.rran, farèrrt t'aleto, rason

L'oundo frrgènto au gai soulèu que viro;

E d'un moulin nadant msfourcrteg,o

De fes lnu mouleiroun, o li percairr

Tirant de si calèu lou toumbo-lèvo,

A mando-brvr de liuen en liuen srludon.

Mai dinr lou sang di vièi coume di jouineLa calo!~r ddu tantost met 1~~pereso.

Vér-.r?ui Sant-I~alié 'mé si terrassa

lé rniraiejo amount l'oumbrino iturtro

De Di.no de Peitiéu, l'enmuscarello

Dôro rèi Francés Proumié, la grand duquesrn

D'aquéu Valentinés que Droumo arroso,

La coumterso d'Ettello rl~rrirsimo

Qrr'enjouliè d'amour la court de Franfo.

CHANT fil, LA DESCENTE DU RHÔNE. 71

des rocs à pic aux ravines profondes,des vicux châtcaux cmmantelés de gloirc

et de la volupté de l'air si lumineux

Guilhem a le cœur ivre et chez le princel'élancement d'amour ne tarde point à naitre.

II:Mais je la verrai bien, se dit-il à part lui,

la dive dont le charme ou la beauté farouche

semble papilloter sur tout le Rhône 1

l'Anglore, cette vierge, cette jeune inconnue

dont tout le monde parle et rêve,cette perle des grèves qui scintille

à l'imagination comme aux regards de tous

et qui, sais-je pourquoi? sans l'avoir vue,

à moi aussi me danse par la tête!

L'eau étincelle et rit; les poules d'eau,les hirondelles, planant de l'aile, rasent

l'onde fuyante au gai soleil qui tourne;

et d'un moulin pendu sur barque

quelquefois le meunier, ou les pêcheurs

tirant leurs filets à bascule,

à tour de bras de loin en loin saluent.

llfais dans le sang des vieux comme des jeunesla chaude après-midi met la paresse.

Or voilà Saint-Vallier el ses terrasses

apparition illustre, en haut miroite

Diane de Poitiers, l'ensorceleuse

du roi François Premier, la grande duchessede ce Valentinois que Drôme baigne,

la comtesse d'Étoile clarissime

qui enjôla d'amour la cour de France.

7lCANT III,

LA DESCISC, DOU ROSE.

hfai Diano es morto c fr.gidirro à réire

Dins lou mouvent tvblèu ~.teFo que pasro

Autour di nau que van coxme d'auqneto;

E vuei, vcd 's l'Angloro, la pichouno

Qpe bdnlo â pèd dercvut l'areno molo,

G'Angloro nouveleto, acb 's la vido,

Lou regardo-veni, Iv fvrfantello

D'arJrréli que s'envvn atr fiérr de l'oundo! i

XXVIII

Guihèn p~rt plus teni; vèn ri Jan Rocho

Alor, etcouto un pau, dcquf me dison t

Que l'Angloro es poulido e que t'agrado t

Segnour, respond Jan Rocho, es tant plarènto

Qfre tôxti li petrarrn, quand la retcontron,

Ax pou que d'r~n regard if dertimbourle,

En lis embelinant, sis equipage.

Dison qu'a marrit iue, pèr oventuro I

E riés d'agufli, tu, que la Sereno

Tèn enclvur dins si lasl digxf lou prince.

léu à vorrs parla franc, de faire sduco

Erz' a~uelo bourcarlo de brorrtieroDirifu Gelèrr pas n~un; mai dins la eruco

Dèu avé quaxevrèu, er pas pottsriblel 1

Pdu n'en veni, raGèrT de calignaire

A rourr entour canta la pantouqucto.

CHANT fil, LA DESCENTE DU RHÔNE. 7J

.Niais Diane est morte, en arrière elle fuit

dans le mouvant tableau de ce qui passeautour des nefs qui vont comme des alcyons;

et aujourd'hui, l'Anglore, la petitedont les pieds nus foulent l'arène molle,

l'Anglore en son nouveau, elle est la vie,

l'avenir en vedette, l'illusion

de ceux-là qui s'en vont au fil de l'onde!

XXVIII

Guilhem, n'y tenant plus, dit à Jean Roche

Alors, écoute un peu, qu'est-ce qu'on m'apprend?

que l'Anglore est jolie et qu'elle te plait?Seigneur, répond Jean Roche, elle est si avenante

que les patrons, tous, lorsqu'ils la rencontrent,ont peur que d'un regard elle ne brouille

magiquement leurs équipagcs.

On dit qu'elle a mauvais œil, quelquefois! D

Et tu es de ceux-là que la Sirène

tient enchantés dans ses lacs? dit le prince.Moi, ?I vous parler franc, de faire couple

avec cette fauvette d'oseraie,

peut-être bien ne dirais-je pas non; mais dans la tête,

pas possible autrement, elle doit avoir un grain!

Car il pcut en venir, vous savez? des galants

à son cntour chanter goguettes.

CANTfil,

LA DESCISO DOU ROSE.74

Lis ercouto pas mai que se siblaaon.

N'a ~u'rtnamour es de rouda li mrrrio,

Pèr se ié miraia touto sorrletoo ié crtli de fer l~rJlour de Rore;E n'a ?u'uno obro, deain.~riar quinto?

De cre-vela li s~rblo de l'Ardecbo

Pèr arpaia (mesteiret de for~rnigo)

Li belugueto d'or que pdu ié cartpre.

labo! crid? lort regnouret alègre,

Sian pas lis Argounauto dôu Caburle?

Counquistaren, d'abord que sian en courso,

La Touisoun d'Or ernai Afedèio. Yogo!-

XXIX

Jan Rocho arJui-desrus, larg~rnt la c~rmGo

A la coumando d6u patroun empèri!

E s'apouirant emé touto la cliourmo,

A, d'un cop de timor~n, empen la rigo

Vers lou coustau fvmorrs de l'Ermitage,

Pèr ié cargu 'n harruu de fino tencho.

De la Taulo ddu Rei, es que, s'aprochon

E Alètte Apian, lou rèi de la rnarino,

Coume a proumés en partènt ti sis ome,

lé dèrr paga lou vin de sorrn reinvge.

Es, la Taulo d6u Rèi, uno ruundello,

Un ruei de roucas vifu que se countonrno,

CHANT 111~ LA DESCENTE DU RHÔNE.7f

Elle ne les écoute pas plus que s'ils sifflaient.

Elle n'a qu'un amour rôder le long des mouilles«

pour s'y mircr toute seulette

ou y cueillir parfois la fleur de Rhône JI

et elle n'a qu'une œuvre, la devineriez-vous?cribler les sables de l'Ardèche

pour or~ailler (industrie de fourmi)

les bluettes d'or qu'il peut y avoir.

f( Très bien 1 cria le damoiseau allègre.

Sommes-nous pas les Argonautes du Caburle?

Nous conquerrons, puisqu'on est en campagne,

la Toison d'Or et lllédée. En avantl JI

XXIX

kan Roche là-dessus, tendant la jambeau commandement du patron empire!

et s'accotant avec toute l'équipe,

a, d'un coup de timon, poussé la rigrrc

vers le fameux coteau de l'Ermitage,

pour y charger un baril de fin piot.De la Table du Roi en effet, ils approchent

et Dlaitre Apian, le roi de la marine,ainsi qu'il l'a promis en partant ?I ses hommes,doit leur payer le vin de son reinvge.

C'est, la Table du Roi, une rondelle,

un seuil de roche vive et circulaire,

CANT 111~ LA DESCISO DOU ROSE.76

En avans de Tournoun, au mié dtiu Jlitvi.lé dejunè'n passant, pèr ausi dire,

Lort réi Sant Louis, quand davalavo en guerro

Contro li Sarrarin, alin au diable;

E i'an dina despièi li rèi que porton

Courortno dins Coundriért. Li barco en ciéucle,

Au tour de la grand tortlo rottcarsouro,

D'à pro re soun rambado. D'en carrno

An lètt sortrgi pignnto e peiroulado

E pan d'anouno e liagno de saurrisso

E toumo de cabrun la mauno tottmbo!

La pouncho di corttéu i glortto perco.

htanjon de dre li vibre ansin desrttrcon

E, Diéu-merci, re la touaio es de manco,

blanco pas l'apetis. LaJt baile-mèrtre,D'ercambarloun sus la bouterlo pleno,'

Au bèu mitan de la tattlo presido;

E, d'ttno manque tèn â la canello,

Fai pèr cadun espila dins la tasso

Lou moust galoi qu'an soulèi~ belugnejo.

Vivo lou rèi! Finisson pèr la roupo

E, vujant dins lou brouit lou vin de JèstoQue fai bon ertouma, segound sa mndo,

Cadun â soun platet béu la goudalo.

CHANT 111~ LA DESCENTE DU RHÔNE. 77

en avant de Tournon, emmi le fleuve.

Saint Louis, en passant, à ce qu'on dit,

r déjeuna, quand il allait en guerre

contre les Sarrasins, là-bas au diable;et depuis lors y ont di'né les rois qui portentcouronne dans Condrieu. En cercle les bateaux,

autour de la grande table rocheuse,

se sont rangésde proue. De la carène

ont surgi aussitôt marmites, chaudronnées,

pains de froment et liasses de saucisses

et fromages de chèvre c'est la manne qui tombe!

La pointe des couteaux pique dans les potéeset ils mangent debout tel!' les castors dévorent,car si la nappe manque, Dieu merci,

pointne manque la faim. Le chef et maitre,

à califourchon sur le tonneau plein,au beau milieu de la table préside;

et, d'une main qu'il tient à la cannelle,

il fait jaillir pour chacun dans la tasse

le moût joyeux qui scintille au soleil.

Vive le roi! Par la soupe ils terminent

et, dans le brouet versant le vin de fête

qui fait bon estomac, selon leur mode,

chacun à son écuelle hume la soupe au vin.

CANT 111~ LA DESCISO DOU ROSE.78

xxx

E 'm' ucd pi~i lou I3runrle de l'Eireto,

Sus lort tmntvi di bvrcn, ziu! que drihe!

N'en vos de c~rnt! Li fiho de ValènçoSabon pas fai l'amour, li dc Prouvènço

Lou fan la niue, lou jour.I3rinde~il'Angloro'Cridè Crrihèn; iéu, sènso n'en mai saupre,

Em' aquest moust di vigno ribvssudo

hfotrn proumié bérrre es pèr lv flour de Rore!

E rnoun segoun l es pèr lott Rose érr-meme

Que rnir~rio la jlortr mirteriouso!

E moun treren es pèr lou soulèu cvnde

Q,lre nous counvido à viéure dins Iv jnio!

Enfant, diguè P~rtroren Apian, la vido

Es un trvfé corrme a~rrért de la barco

A si bèu jour e si laid. En ragerso

Dins li risènt f,rrt suupre se coundurre;

Dins !i rournpènt f.ru ana d'aire. L'ome

Es na pèr lou trav~ri fvn que navegue.

bfe pvrlon par d'v~rréli tiro-l'vufo

Qfre roun jamai corrntènt! Aquéu qai trimo,

Au bout dôrt mes ié toumbo sa mesvdo;

A~juéu qu'a pdu de s'uarmpu d'ampoulo

Dins lott revdn dôu artivié evbusso.

l' a cinquvnto an, vu plus p~ru, que b rrqueje,

CHANT 111~ LA DESCENTE DU RHÔNE. 79

xxx

Ensuite un branle, la rondc de l'Airette 8,

qui sous les sauts fait chanceler les barques,

et des chansons Les frller rlr Valence

scnt molles en amonr, les ProvenF~leile J~nt, l~i nrsit, le jour. « Brinde à l'Anglore!

cria Guilhem; sans savoir davantage,avec ce moût des vignes escarpées

mon premier brinde est pour la fleur du Rhône!

Et mon second, pour le Rhône lui-même

qui reflète en ses eaux la fleur mystérieuse 1

Et mon troisième est pour le soleil clair

q~~i nous convie à vivre dans la joie 1 JI

CIEnfants, dit le patron Apian, la vic

est un trajet pareil à celui de la barque

elle a ses beaux, ses mauvais jours. Le sage,

quand les flots rient, doit savoir se conduire;

dans Ics brisants, doit filer doux. Mais l'hommc

est né pour le travail, est né pour naviguer.

Qu'on ne me parle pas de ces lendores

que rien ne fait contents! Celui qui rame,

au bout du mois, il lui tombe sa paye;et celui qui a peur des ampoules aux mains

fait le plongeon au gouffre de misère.Sur les barques, depuis cinquante ans pour le moins,

80 C.\ST 111~ LA DESCISO DOU ROSE.

E n'ni vist de la tr~ ~SGriertirne

Qit'entre t'Empèri, iér, e lort Rei~rume,Coume entre lort rleraire e lu crerèny~o,

Frrn teni tou rnitau. Avèn fa noFo.

Ehl bèn, enfant, rrrt bon Diéu rtndengr~ci

E~u'urt rrtortr de'nn m.rn~ne ~1la ehortrrno!

XXXI

Vivo l'An~loro! crido mui lou prince

Qp'a begu 'n cop d'a~rréu bon vin de Rose.

E, lott soulèu prenènt la rluv~ilado

D~trrié lou plan de Gtrtn, durrié li serre

Qu ~sor~mbron d~n pounènt lorr jus dôu flreme,

La tir~rssiero emé si tènrlo blanco

Jouiourumen, pasiblamen s'enfslo,

Pèr ana faire tdti sus ValènFoQpe sotrn clotrchiè, dins la lindo esten.~ttrlo,

Lanfo lou noum rle sant Apoulinari.

CHANT I11~ LA DESCENTE DU RHÔNE. 81

oui, j'en ai vu de toutes. Mais j'estime qu'il faut,

entre l'Empire et le Royaume,

comme entre abandon ct outrecuidance,

tenir le milieu. On a festiné.

Eh bien, enfants, au bon Dieu rendons grâces

et qu'au retour nul ne manque à l'équipe!D

XXXI

« Vive l'Anglore! crie de nouveau le prince

qui a goûté à ce bon vin du Rhône.

Et, tandis que dévale le soleil

derrière le terroir de Glun, derrière les crêtes

qui ombrent au couchant le lit du fleuve,

le train nautique avec ses tentes blanches,

joyeusement, paisiblement défile,

pour aller faire escale sur Valencedont le clocher, dans l'étendue limpide,

lance le nom de saint Apollinaire.

c~ a~, r Q,v~ a~

LI l'E`.LICLR`:GO

XXXII

Fai bon ~lor~rmi. Tunt-lèu ramens l'atrbe:o

Fai tnbeja la brumo o, coume dison,

Lu Jlnnr de l'uigo, sus lou cours dtiu RoreAu bercarér renais la bouteg~rrloE di moulin nalarot v.ri la b.rlrtto.

Dr soun vièi castelus entre li rouino,

Crtrrs~:rr alir. rcnrèmbro encaro l'iro

D6u B~rroun dis A:Iré qrran:l, touto pleno

Dôu sang di Cutouti que ragatavo,

Fasuè, s'es ucrtadié fa que se conto,

Badnu si fréu ~rmonnt ~lins la citerno

Pèr i' ancra dins lou cor soun uhirdnfo.

Antan nis de barnun, vnei nis de nible.

Sus l~r ra·ounrlo rrau rnorrnto à l~alènFo

Emz2ke3mbm

CHANT QUATRHME

LES VJ!NITIE~NES

XXXII

Dormir est bon. Pourtant dès que l'aurore

fait monter en fumée la brume ou, comme on dit,I~ fleur de l'eau, sur le cour., du Rhône

renait au port le n,ouv~ment

et des moulins flottants va le bluteau.

Parmi les ruines de son vieux chàteau fort,

Crussol dans le lointain remémore encore l'ire

du Baron des Adrets quand, toute pleinedu sang des Catholiques égorgés,

il fit, si les récits sont véridiques,

baigner ses fils là-haut en la citerne,

pour leur ancrer sa haine dans le coeur.

Antan nid de barons, aujourd'hui d'éperviers!Sur la seconde nef monte à Valence

~in tz. a,~ I;lb.M irym

CANT IV, LI 1'ENICIAN~.84

Un Lèl eirrarnenorut de dono gaio,Cuheludaro en l'èr, blonndino o brunn,

Souto si ~r~in:li pienche J rèst de perln,

Emf dour cavalié que vun em' fli,

Sot~to lort bras d'eJtrarnen rle mrrsico,

T~unbonr de hasco e viôulorrn e marsdorrn.

Tout acû ris, j~rrgouno e cac~rlejo

En s'en!ravant li pè~l dins la barc,r:lo1 mouloun JI' balot dc touto rnerEo

Qfr'un vûu de porto-fais empielon dintre.

Li nagortciant, grèu, permenant ta buerbo

Orrnte brnsisson li cachet de mostroSus sa pecûni au centuroun rejouncho,

Dôx cargarnen srtrvihon l'ettiv.rge.

XXXIII

hlai la rigo s'esmou. A la desciso!

A crido lou patrottn e, la man drecho

Levado sus lou Rose, tau qrr'un prèire

Qir'envoco de l'Autisme l'auto sousto,

Se signo, e li batèu, de l'un u l'autre,

Prenènt lon fifrt de l'aigo aloubrtido,

S'rndraion au mitan dôrr large JlumeQpe li porto lôue~if coume un~ fueio.

Enbviardi pèr lou gentr~n di dono

Qut dins sa lengo aqui fan si g~rugaio,

CHANT IV, LES VÉNITIENNES.8f

un beau petit essaim de damcs gaies.

la chevelurc en l'air, blondine ou brune,sous leurs grands peignes ?I rangées de perles,Deux cavaliers vont avec elles,

instruments de musique sous le bras,tambour dc basque ct violon et mandorc.

Tout cela rit, jargonne et jase,en s'empêtrant les pieds dans la navéeà l'amoncellement des ballots de tout genre

qu'un tas de portefaix empile à bord.

Les négociants, lourds, promenant leur ventre

où les breloques de montre bruissent

sur leur pécune serrée au ceinturon,

du chargement surveillent l'arrimage.

XXX 1 Il

~13is le convoi se meut cr A la descise! })

a crié le patron; et, la main droiteélevée sur le Rhône, tel un prêtreinvoque du Très-Haut la protection,il se signe, et les barques, prenant de l'une à l'autre

le fil de l'eau vorace, impétueuse;

gagnent vers le milieu du fleuve large

qui les porte légères comme feuilles.

Émoustillés par l'agrément des dames

qui en leur langue bruyamment s'ébaudissent,

CANT IV,LI \'ENICIANO.86

Li gros march.rnd ié viron, ié reviron

A J'entour, coume autour de la ratiero

Orrnte sorrn embarrado quituqui frrrn

Un cvtaras virouio, l'iue alabre.

Es fret lou tèmr; lor~ vènt-loumbard que botrfoErcarrvbilro e bouto au cor la joio.Un Liorrnér vén s'rrJl~rt~r di bello

Aquéti fin tnorrrronn sarien ~l'it~rli?

Si, segnorrr,ié rerPondon, de I~eniso,

La vilo di cansoun e di gortndolo.

E morante van d'aqr~érr trin? A Bèu-Caire.

An~rs leva cab:rno de peteto?

Oh! pesqrri p~rr belèu de gvlo-lrrno.

E se fvi couneirrènFo. Li seb·nouro

Van i cef canta si rerenvdo.

Li negoucivnt vin f~ire si ne5~bci

Di brrar dôu Lev~rnt, de si foundegue,

Di coumerfant de T~rn~s e de Nimrs,

Di cens~ru rle hfvrsilro e de Narbouno,

Di boutigtdé rl'Alèr, d'Uzès e d'A~te,

Di bigatié qr~'aduson o qn'emportonPèr lou Camin de la Rèino Gileto,

Dis Auvergnos, di Limousin de Trrlo

Que dôrr Camin Rebortrdan ié dercèndott,

Argènt tintin, van emboursv li dito

Qir'en fiero de I3èrr-Ceire à jabo toumbon.

Un mes de tèms se vai menre grand roio.

E n'en saran, li bélli cantarello,

Es entendrt, re noun ié desagrado

Un brèn de passo-tèms. Li bnivi dono,

CIIANT IV, LES VENITIENNES. 87

Ics gros marchands autour d'elles tournoient,

comme autour de la souricière

où sont emprisonnées quelques souris

tourne et retourne un matou, l'œil avide.

Le temps est frais; le vent lombard, qui souffle

rend gaillard et dispos et met au cœur la joie.Un Lyonnais s'avance auprès des belles

Ces fins minois seraient-ils d'Italie? JI

Si, seigneur, répondent-clles, de Venise,b ville des chansons et des gondoles. 1)

a Et où va-t-on de ce train JI Il A Beaucaire. n

Lever peut-être boutique de poupées? JI

oh! que nenni plutôt de gobe-mouches. a

Et l'on fait connaissance. Les donzellesvont aux cafés chanter leurs sérénades.

Les négociants vont faire leurs négoces

des bazars du Levant, de ses fondiques

des commerçants de Tunis et de Nimes,des courtiers de blarseille et de Narbonne,

des boutiquiers d'Alais, d'Uzès et d'Agde,des muletiers qui charrient ou emportent

par le Chemin de la Reine Gillette;,

des Auvergnats, des Limousins de Tulle

qui y descendent par la Voie Régordane.,

ils vont, argent sonnant, encaisser les effets

qui tombent drus en foire de Beaucaire.

On va mener tout un mois grande vie.

Et les belles chanteuses y auront part,c'est entendu, si leur est agréable

un brin de passe-temps. Les chères dames,

C,\NT IV,LI VENICIANO.88

~li nimai, tirasson pas lou tèdi;

E la drihany~o ounèsto ni lou rire

Ni lort balun soun pas pèr ü desplaire.

AcJ fai pas. moun Diho, èstre panturlo!

Mai an mestic' de faire bono frero,

Qrr'â viagej~r pèr mountagno e pèr coumbo,

S'entre-teni, paga la coufoujôni,

P~rtin, coufin, se fii de ~ran~f despènto.

Mai li bourge'r, rm cop liuen de si jemo,

Couchon pas lou merlus e se relargon,

En parlunt sènr respèt, coume de g~rri

Qu', uno fes alanl~r pèr la earriero,

Tènon, coume se dis, toutp l'~rnrt~rno.

E n en voulès de cac.rl~rs!

XXXIV

Empéri 1

Cnum.rndo lou prtroun fatènt lis usso.

A vist veni, sus la man drecho, uno itclo

Ql:e van r.rsant, neissènto e graveiromo.

Mai au Caburte, a~trito, de que parlont

D'aguéti bèlti dono qu'à Valèn~o

Vènon de s'embarca. Jôusè Ribûri,

Entre si dént tout moursigont sa chico,Vèn comme eiFu Lou couneisrès, Méste Éime,

Q~'au trepadou m'a touca la paleto.

N'er pas un ome h caunta de gandourso.

CHANT IV, LES 1'~NITIENNES.89

elles non plus, ne trainent pas l'ennui;

et le déduit honnête ni le rire

ni le danser ne leur déplaisent point.

Cela, mon Dieu, ne fait pas gourgandine 1

llais elles ont besoin de faire bonne foire,

car à trôler ainsi et par monts et par vaux,

pour l'entretien et pour la colophane,

et ceci et cela, il y va de grands frais.

Mais les bourgeois, sitôt loin de leurs femmes,

au diable la lésine! Ils s'élargissent,

rérérence parler, tels que pourceaux

qui, une fois relâchés par la rue,tiennent, comme il se dit, toute l'allée.

Et de rire aux éclats!

XXXIV

fi Empire! JI

commande le patron en fronçant les sourcils.

Il a vu émerger, sur la main droite, une ile

qu'on va rasant, naissante et graveleuse.

Mais, à bord du Caburle, on y parle, de quoi?des belles dames, celles qui à Valenceviennent de s'embarquer. José Ribory,

pendant qu'il mâche entre ses dents sa chique,

commence donc fi Vous connaissez Ataitre Eyme

qui au ponton m'a topé dans la main.

JI n'est pas homme à conter des sornettes.

CANT IV, LI VENICI.\NO.go

Sabès fo que m'a di qu'entre li dumo

Q~t'avèn aqui-darrif fosènt si folo

l' a la Duquuso de Berri. Tatotrnes?

Nâni, taloune pas. Déu èstre a~rrelo

Q~'a li frisoun tant negre e d'iue que traucon.

Noun, noun, déu èstre aque% cupeludo

Q~te ié lrtsir, au cresten de sa pienche,

De grdssi perlo d'or. -Alr! pas mai!-Bouorr~

Norrn sariE pas a~uelo blounrlinello

Que jogo dôrt vent.ru e fri que riret

Cotrmprenès bèu, anen, diguè RibEri,

Qfi'uno persoano ansin, trno princesso

Que vdu recorrn~uirta, riboun-ribagno,

Lou trone de sonn frért, nor~n es prorrn simplo

Pér se d~una tant lèr~ à recounorrisse!

hlai d'aquéu vanc orrnte anarié? Bèu nèmi

Sabès dounc pas qti avvu en terro d'Arle,

Vers lott Grand Clar, dins li palun de Cordn,

Soun belèr~ milo o dotrs milo escaportcho

Qlte, noun vorrlènt servi de ges de modo

Loti gau-galin,bivacon sus la rae~·no?

Li palrtnif, li desertour, vos dire?

Li pvlunié, li cvss~rdou d'irrrge,

Lis insoumér de la Calejouniero,

Lis enfourniau ferouge dôu terraire

Qlre, dins li trantaitro e .lins li toumple

De si palrrn fougouso e negadisso,

Tènon couta li Bln que li secuton.

Eh! la v;rqui, l'armado touto lèsto

De la Duqrterso! Qlre n'en dis lou prince

CHANT IV, LES VÉNITIENNES. 91

S1\Z-vous bien ce qu'il m'a dit? Qu'entre Ics dames

qui là, derrièrc nous, font leurs follettes,

est la duchesse de Berri. » CITu bouffonnes?

« Je ne bouffonne pas. n CIC'est celle-là sans dout~

qui a les frisons noirs, des yeux qui pcrccnt. »

« Non, non, ce doit être cette huppée

qui porte reluisantes, au sommct de son peigne,de grosses perles d'or. a Tant s'en faut! »-"

« Bougre 1

Serait-ce pas cette jolie blondine

qui joue de l'éventail et qui est si rieuse? »

« Allons, dit Ribory, il faut comprendrc

qu'une personne telle, une princesse

qui veut reconquérir, coûte que coûte,

le trône de son fils, n'est pas simple à ce pointde se donner si vite à reconnaitre!

a ~Iais de ce train où irait-elle? a Beaux nigauds!vous ne savez donc pas qu'aval, en terre d'Arles,vers le Grand Clar, dans les p.~lrrds de Cordes,

sont mille sacripants, peut-être bien deux mille,

qui, ne voulant servir en aucune façon

le coq~ûtres, bivouaquent sur les joncs? »

Les paludiers, les déserteurs, veux-tu nous dire? »

Les paludiers, les chasseurs de sangsues,

les insoumis de la Galéjonière',

les oiseaux du terroir drus et farouches

qui, dans les prés crouliers et fondrières

de leurs marais touffus et inondés,

tiennent là en éc hec les Bleus qui les pourchassent.Eh! la voilà, tou:e prête, l'Hmée

de la Duchessd a 111a's qu'en dit le prince? JI

CANT IV, LI \'ENICIASO.91

xxxv

Dire qu'eu tau para~e rèn m'estortno

Dins lou clarun d'aquesto vart sr~perbo,

Souto li tibanèu de vbsti barco

Rerqrtiharello au gai cortrrènt de l'ortndn,

hletès-ié de princesro, de paperso,

D'emperairir o, se voulès, dc frdo,

En vertimen d'azar, d'or e de pourpro,

Tout acd bèr~ ié trèvo sus la visto,

Autant vivènt, rrutunt verrri e lèinre

Coume nous-autre eici que l'aigo emporto!

Verès de flourdulis? léu vese, Jiaire,

La Jlour de Rose eila que se souleio

Vers lou Miejour ot~n!e anan. Qlte, J.rn Rochn?N'i'a pèr long-tèrns encaro? Me landuirre.

Acd se rne vcnias manja m~r roupo?

Rcspoandeguè lou prouvié. Pren-te gardo! 1

Lis urnc de l'ernpento ié cridèron.

HLrt! lcu soulèu es pas leva pèr t6uti?

Sian pas julous. L'Angloro, fau qne fugue

L'ertello liuenclto or~nte degrtn adero

E que fai lrtme ert tduti nùsti barco.

D'aquest moumen, sabès pas? se perrchino,

Revertigueto e gènto, sus la dougo,

Lort pétt engrafottli pèr li borrfrrlo

CitANT 11'~ LES VÉNITIENNES.9}

xxxv

CIJe dis que rien, en ce parage, ne m'étonne

dans la splendeur de cette vallée claire,

sous les pavillons de vos barques

qui vont glissant au gai courant de l'onde,

mettez-y des princesses, des papesses,des impératrices, des fées,

en vêtements d'azur, d'or et de pourpre,

toute cette beauté y flotte à la vision,

aussi vivante et légitime et vraie

que nous-mêmes, ici, que l'eau emporte!

Vous voyez, dites-vous, des fleurs de lis? Moi, frères,

je vois la fleur de Rhône, là-bas, dans le soleil

de ce Midi où nous allons. Jean Roche,

y en a-t-il encore pour longtemps? Il me tarde. p

aÇà, vous ne viendrez pas manger ma soupe? »

repartit le prouvier. Prends garde 1

lui crièrcnt les hommes du timon.

« Peuh le soleil n'est-il pas levé pour tous i

Nous ne sommes pas jaloux. L'Anglore doit être

l'étoile lointaine où n'atteint personne,

l'étoile qui brille pour toutes nos barques.

Or, savez-vous? en ce moment elle se peigne,sémillante et charmante, sur la berge,

la chevelure ébouriffée au souffle

CANT IV, LI VENICIANO.94

Dôu fuiarèra qrrc fr~rno dins li fueio.

De la derernborri~r dins li surrreto,

Amariés rniès ~rcd, purai l g.riofre,

Ajustèron lis ome de la rigo,

Que d'em j~egne lu b~rrro, qrre Reiarune!Cridè Prrtrorrn Apian; e d'rrno brrto,Rc·vinrnt lou gorrvèr t6utis ensèmble,

S'èron remés v~rlènt à la ruanobrn.

XXXVI

Prince, coume dirius, sur la ribiero

Tout pdrt re vèire es lora rorrdart dôu rnounde,

Frrgué lott vièi patroren. Tenér, lott papo

Tout abiha de blauc, emé sa dèstro

Qlre nous benerissié de soun currosso,

L'avèrr pas vist dos fer? Uno, peeaire,

Q~rand presorrnié l'avien tira de Roumo,

Qli'eilamonndaut à P~rris lou menavon

E que pièi, d6u desfeci e ddu lassige,

Venouè rnoori p?r camin à ValènFo;L'autro, quand Bonaparte pèr soun sacre

Lotr rnandè qucrre e, de bon grat a luerdre,

Fauguè mai que rnarchèsre. Bonaparte!

Aquel inrersaciable de counrJuisto

Que, nous envertouiant ir ra Jourtuno,

Nous avif fa tant liuen tibla la guèto

CIIANT IV,LES V.'NITIENNES. 9f

de la brise des bois qui fouille dans les feuilles. n

Lui débrouiller les cheveux dans les saules,

tu aimerais mieux ça, n'est-ce pas? vaurien,

~joutèrcntles hommes de la rigue,

que pousser à la barre, hein? « Royaume!p

cria Patron Apian; et retournant

le gouvernail en un coup, tous ensemble

s'étaient remis vaillants à la manoeuvre.

XXXVI

« Ainsi que vous disiez, prince, sur la rivière

tout peut se voir c'est l'ornièrc du monde,

reprit le vieux patron. Tenez, le pape

tout habillé de blanc, et sa main droite

qui nous bénissait hors de son carrosse.

Ne l'avons-nous pas vu deux fois? Une, Ic pauvre!

lorsque, enlevé de Rome et prisonnier,on l'emmenait par là-haut ?I Paris

et qu'ensuite, de chagrin et dc fatigue,

il vint mourir en chemin à Valence;

l'autre, quand Bonaparte pour son sacre

l'('nv°)'3 prendre et que, de bon gré ou de force,

il lui fallut marc¡'er derechef. Bonaparte!

Oh! cet insatiable de conquêtes

qui, nous enveloppantà sa fortune,

nous avait fait si loin tendre la guêtre

CANT 11'~ LI \'ENICIANO.96

E tant de tèms ertrarsa la cartorrcho,

Que tant de courcricionn i chapladirro

Éu uvié corrrraia, febre-countûnio,

Que li nacioun disien a F~rrr que li vacn,

Dins lou païr de Franço, fagon d'ome! »

Fh! bèn, re vous diriérr gue, sus la ribo

Aqui dôrt Rose ortnte lusis la routo,

Aquéu grand otne, a~uért ftiurlre de gnerro,

A la rfesfrcho, l'avèn vist corruaurre

Courne un paciènt, derpoudera, toutm_arfe!0'

Lou rnenavon alin ~i l'irclo d'Èrabo.

Lott generarr Bertrvnd dins la veituro

~ro asreta contro éu la gartgno palo,

Un for~lard jartne à l'entour de si tempe,

Éu, l'emperaire aièr de tant de pople,

Vuei renega di siérr, de si rnenistre,De tôrtti ri attau que l'encensavon,

D,tvalavo au galop. Quanrf rre r~tprlle!

XXXVII

l' avié de jemo, ane;r, de malnrouso,

Q~re, sis enfunt estènt mort au service,

Dôu comin ié ~uiluvan cr hlanjo-mounde!

Rètrdc-me-lou, moun fréu! D Dins li vilagc,

Li p~d-terrour, quichant i det, terrible,

Un ercut deciu~J frane, pèr lort corrnéisre,

CHANT IV, LES VÉNITIENNES,97

et si longtemps déchirer la cartouche,

lui qui avait lancé, d'arrache-pied,tant de conscriptions aux tueries

que les nations disaient a Faut que les vaches,

s dans le pays de France, fassent des hommes! p

Eh bien! le croirez-vous, que sur la rive

du Rhône, là où luit la route,

lui, ce grand homme, ce foudre de guerre,

à la défaite, nous l'avons vu conduire

comme un patient, désemparé, tout veule!

On l'emmenait au loin, à l'ile d'Elbe.

Le général Bertrand était, dans la voiture,

assis à son côté la joue blafarde,un foulard jaune à l'entour de ses tempes,

lui, l'empereur hier de tant depeuples,

aujourd'hui renié des siens, de ses ministres,de tous ses matadors qui l'encensaient,

descendait au galop. Je m'en souviens!

XXXVII

II}"avait des femmes, allons, des malheureuses,

qui, leurs enfants étant morts au service,

du chemin lui criaient cr Mangeur de monde 1

e rends-moi mon fils! Dans les villages,

les paysans, press~ts, terribles,

un écu de Cin0.èSI~ot'r ~naitre,

1 0-

v

/h~'/l'¡:I\\i'/

CANT IV, LI VENICIANO.98

Loa poung en l'èr, ié bramnvon « A Rose

Lors castagnié Inrt toundu 1 hliser.rble! 1

Fasié freni. blui dins sa desfourtuno

AJ·amouti, rnut, tart qra'rtn Ecce-Homo,Érr regar.lavo eil~rlin, courne un ladre,

Lort Rose qa'~i la m~rr sun ~rvo perdre.

A-n-rur relais de posto, dins l~r mrtrlo

Que se fri di cliiv.rn, espeloufido,

Lou corttèrt .i l~r man, uno oustaliero

Qr~'èro ~i sa porto sarrrr.rnt un porrlastre

« Ha! cridè corrrne acô, lou sucre mortstre,

Se lort teniéu aqrti! Dins Gr corrrrrioln

léu ansin ié pluntèsre mu corttello! n»

Corrneirsié pas l'ernpenrire. Éu s'avanFo

« Qlre vous a fa? » ié vèn. « Aviéu rlour drclr,

Respond la maire en dbtt que s'enJalino,

Dous drole bèrt, que semblavon dos tortrre! 1

b1e lis a fa peri dirrs si batai~. D

cr Noun perinrn si norrm dirrs lis ertello,

Naporrleon iE dis em' un founs trirte; i

Pourquèsre-iéu èrtre tortrnba corrme éli! 1

Soun mort pèr la patrio au clramp de gldri. »

a E qrt.ru sias, vous? n a lèu, dis, siéu l'em(~eri:

Ai! bono femo! (vous demande, prince!)

D'ageinouioun à si pèd, erperdudo,

lé beisè lèu li man, p~ruro rnvrrido,

-lé dernan:lant perdoun, touto en l~rbrerno.

CHANT IV, LES VÉNITIENNES. 99

le poing en l'air, braillaient ainsi 1( Au Rhône

Ic chdtvi~nier! le tonrlrt!7 7 D Misérables 1

cela faisait frémir. biais dans son infortune,

atterré, silencieux, tel qu'un Ecce-Homo,

lui rcgardait là-bas, comme insensible,

le Rhône qui allait se perdrc dans la mer.

A un relais de poste, au changement

de chevaux qui a lieu, les cheveux hérissés,le couteau à la main, une hôtelière

saignant une volaille sur sa porte

proféra ce cri « Ha! le sacré monstre,

« si je le tenais là 1 En pleine gorge

« pussé-je ainsi lui planter mon couteau 1 D

L'empereur, d'elle inconnu, s'avance d'elle

«Que vous a-t-il donc fait? dit-il. « J'avais deux fils, »

répond la mère en deuil qui se courrouce,

deux beaux garçons, taillés comme deux tours l

« il me les fit périr dans ses batailles. D

« Leurs noms ne périront pas dans les astres n

Napoléon lui dit avec tristesse;

« Et que ne suis-je, moi, tombé comme eux 1

e car ils sont morts pour la patrie au champ de gloire. 1)

a:biais vous, qui êtes-vous?» » Moi? je suis l'empereur. n

Nie! bonne femme! (je vous demande, prince l)

A genoux à ses pieds, aussitôt, éperdue,

la pauvre mère lui baisa les mains,

lui demandant pardon, et toute en larmes. D

100 CANT 11', LI VENICIANO.

XXXVIII

E ~llèste Api:rn se derrournpènt Empèri!Crir!è snbran en r'eissngant li ciho

Gort capèrt ir la m.rn, nh! boutas! d'ome,

Pèr n'en trouv.r 'n resounrl d'aquelo esturnpo,

F.rndrié courre! Avisas-v~us, li m6rtssi!

Ch.rm~n li ra~lelié d'un trin de ftrsto

Qrte vai Jlortt~rnt pèr lou mitan ddn Rose.

D'ortnte vèn lou radèu, gorrrrin? D'Irero.

Avès rrno lien.rdo, rtgtti, f~rrnotuo!

N'i'a pèr vint milo franc. Bos de rnarino?Vai ~i Torrloun. Espinclras qrténti pège!

Falié li vèire, au roum de la mountagno,

Qfarnd bournbissien dins lis escoulanchortiro,

Av.rnr qu'èstre enliama pèr li rerlorto!

Avèn de sap, arlrri, de f.ru, de ronre,

Qt'an belèu dons cèntr an, sènro trop dire.

~Ac~ vèn dtiu Vercors, di Terro Frejo,

Di bor~scanrrro de la Grand Chartrouso,

Arnount ddrt tron de Diér~! De bèlli pèfo.

Anessi.rs pas tartc contro li pirlo

Dôr~ Pont Sant-Esperit N'i'aurié pèr tôuti,

Car es pas di que lou pont noun sautèsse.

A l'empento! à l'empento! Arlessias, brorlo!

Arlessias, ,~alavard!

CHANT IV, LES '"ÉNITIENNES. toi

6.

XXXVIII

Et ~Iaitre Apian s'interrompant « Empire! »

s'écria-t-il soudain en s'e3suyant les cils,

le chapeau à la main. II:Ah! en fait d'homme, allez,

pour trouver son second de cette frappe,

on pourrait bien courir! »-0. Prenez garde, les mousses! n

hèlent les radeliers d'un train de bois

qui va flottant par le milieu du Rhône.

-« Et d'où vient le radeau, fainéants?» II:De l'Isère. II

Vous avez là un flottage fameux! D

Oui, pour vingt mille francs. D cr Bois de marine? D

C'est pour Toulon. Regardez quels troncs d'arbres!Mais il fallait les voir, en haut de la montagne,lorsqu'ils bondissaient aux couloirs des pentes,avant que d'être reliés par les harts 1Nous avons des sapins, là, des hêtres, des rouvres,qui ont peut-être deux cents ans, sans trop dire.

Ce!a vient du Vercors, des Terres-Froides

et des futaies de la Grande-Chartreuse,

du tonnerre de Dieu 1 a De belles pièces.~lais n'allez pas heurter eontre les pilesdu

Pont-Saint-Esprit! D II:Il y en aurait pour tous,

car il n'est pas dit que le pont ne saute.

A la barre à la barre 1 cr Adieu, les Allobroges!D

cr Adieu, les goinfres 1 »

101 CANT IV, LI VENICIANO.

XXXIX

hLri sus hi tuerto

Sorru mui ~·roupa Jan Rocho emé lorr prince

Sabès? vous ié f~tudra paga sa frero,

A la pic!roto Angloro, aquesto vûrrto.

De-bon? creses que vèn~ue, elo, à Bèrt-Caire?

Eto! vers li murchartd fau bèn que vènaue

Chabi sotrn escachotut de pamj~aieto!

Vogo tortjour! rl'aqnelo grand Naturo

Q!ie descmpièi Lioun nous embelino,

A iéu me plais de saluda dius rio

L~r primo Jlour, Lr rèino n~ttrrralo.

Segnour, à diclro que vers sa prerènci

Nous ab.rsan, anas, de lono en lono,

Vèire lou flume espalarg~r si ribo

E lis amour f~rire si e.rbusseto.

Leissas passa lou Cengle emé sa torerre

Qpe, rnaledito, eila vèses que pènjo,

Despièi qu'is Uganaurl li couventialo

Un cop ié durbiguèron si grasiho; i

Pièi Charme, e Bèu-Ch.rstètt morrnte lou Rose.RecavJ pèr l'Eiriéu, tant s'aprefoando; i

E Pèiro-Gourdo e S,tnt-Gaurèns de P~rpo,Em'alin li Ceveno. De hr VEuto

Anan franrlrti lis isclo verdoulènto

CffANT 1\ LES VÉNITIENNES.103

XXXIX

Mais devers la proue

se sont retrouvés Jean Roche et le prince

« Savez-vous? il faudra que vous payiez sa foire

à la petite Anglore, ce voyage. D

Vraiment? tu crois qu'elle vienne à Beaucaire? JI

« Parbleu 1 chez les marchands il faut bien qu'elle vienne

vendre sa cueillette de paillettes d'or. »

« Voguons toujours 1 de la grande Nature

qui depuis Lyon nous fascine,

ce m'est un charme de saluer en elle

la prime fleur, la reine naturelle. D

« A mesure, seigneur, que devers sa présencenous dévalons, de lone en lone 8,

vous allez voir le fleuve rélargir ses rives

et les amours y faire leurs plongeons.

Laissez passer le Cengle avec sa tour maudite

que vous voyez pencher, là-bas,

d~puis qu'aux Huguenots certaines nonnesouvrirent une fois leurs grilles;

puis Charmes, et Beaucha5tcl, où le Rhône,

affouillé par l'Eyrieu, a tant de profondeur;

et Pierregourde, et Saint-Laurent-du-Pape,

et au loin les Cévennes. De la Voultenous franchirons tantôt les îles verdoyantes,

CANT IV, LI VENICIANO.l°-t

Qfre i'abiton li vibre emé li lùri,

Em'aquelo qu'upellon Pren-te gardo!

Veiren Crnaf, Rorho-,lfuuro lu neb~ro,

E rmrnduren l'~rmarro rrtt port d'Anconno.

XL

Au port d'Ancorano an pas quicha l'anrhoio

Qrre torrrna-mai se cargo, x,~rt que n'i'a~rre.

hfui rnumr acô sènt bon! sus lou Cuburle

An embarca vint saco de vidulcto

Qne porton à Bèu-Caire es lit culido

Que s'es facho au ~lfeunc, à Santo-Auluio,

Emai vers lou Gn~nl Serre e la I~uu-Droruno.

D'aquelo secarié de curtitorto

Lou Rose tout entié lèra se perfumo.

Sus la maire d6rr Rose pleno d'imlo

Jito si rai tebfs la souleiad~,

Sus li re;rdu que trilusènt virouion

E l'un dins l'autre en rebouiènt se perdon,

Sus li borrsgr~et d'orrnte lis aubo sorton

Emé si trounc cambaru que blanquejon,Redoun e lisc, coume diriar li cueirso

De quauco ninfo o divesso giganto.

Di ieb·ounax verdejon li brotrtïero; i

Dins li canié li rèsso-sagno en noumbre

F,zn tiro! sarro! Il 1 euhrnc que s'aliurnrhon

CIIANT IV, LES VÉNITIENNES. lOf

hantées par les castors et par les loutres,

et celle aussi qu'on nomme Pren-tE e~arde!

Puis nous verrons Cruas, Rochemaure la Noire,

et nous jetons l'amarre au port d'Ancone. })

XLL

Au port d'Ancone, à peine ont-ils mangé l'anchois

qu'on charge de nouveau, vlan sur le tas.

~iais que cela sent bon sur le Caburle

ils ont embarqué vingt sacs de violettes

qu'on portera aussi à Beaucaire récolte

qui s'est faite au Mézenc et à Sainte-Eulalie

ou soit vers le Grand-Serre ou la Val-Drôme.

De cette sécherie de la fleur au col tors

le Rhône tout entier aussitôt se parfume.Au lit du Rhône semé d'iles

le soleil jette ses rayonnances tièdes,

sur les tourbillons qui tournoient brillants

et l'un dans l'autre en bouillonnant se perdent,

et sur les bosquets d'où sortent les aubes9,

avec leurs troncs à haute tige, blancs,

ronds et polis, comme on dirait les cuisses

de quelque nymphe ou déesse géante.

Des rfgonaux'° verdoient les oseraies;

dans les cannaies, nombre de rousseroles"

poussent leur cri strident. Aux falaises lointaines

CANT IV, LI 1'ENICI.1N0.106

o se raproclron en tai~rnt I~r ribo,

Li caporrn-fer tamison à grand ciértcle

o radon li frr~cortn sus lis autrrro.

Entre li bord amrrdi, sottlitùri,

P.rcifico descènd la lon~o floto

Qu'ù soun errtour es tato t'avalido

E tal~rmen es v.rstc lou silènci

Qr'ir milo lègo sèmblo lirren dôrr motrnde.

XLI

Napo d'arcié, li lùnguis aigo tnorno

Menon la som e l'cmbriagadirso.

Sortto lott tibanètt de la grand barco

Lou prince f.ri miejottr. Olt! vido bello

Jasènt dius sa ,(last~rdo à raio rottjo

Ounte es brouda lou Cor d'argènt d'Ar~renjo,

L'iue mita clar~s, vèi dins l'azur rli lono

Se miraia li pibo loungarrrdo

Que vin fit~ènt emé li frais, li vege,

Li calarlat, li paliero, lis auve.

Atrevari, tout res~r«lrant sus l'oundo,

Vèi peramonnt, que passon à la frlo,

Li cartehrs coulour d'or, li tortrrello,

hiemour~rtiEu di tempourado Grtencho,

De si fttorgo en tout tneraviliouso!

Sènt l'infini bonur d'èstre delièure

Di cauro vano e mèco de la vido.

CHANT IV,LES VÉNITIENNES. 107

ou qui,taillant la rive, se rapprochent,

les vautours fauves décrivent de grandscercles

ou planentles faucons sur les hauteurs.

Entre Ics bords amuïs, solitaires,

p3cifique descend la longue flotte,

et autour d'elle s'épand la vue si loin

et tellement est vaste le silence

qu'clic semble être à mille lieues du monde.

XLI

Nappe d'acier, les eaux longues et mornes

amènent le sommeil, presquel'ivresse.

De la barque majeuresous la tente

le prince fait la sieste. Oh belle vie 1

Couché dans sa mante à rayures rouges

où est brodé le Cor d'argent d'Orange,et l'œil mi-clos, il voit dans l'azur des lagunes

se mirer les hauts peupliers

qui vont fuyantavec les frênes, les osiers,

les digues empierrées, les palées, les javeaux.

Ensommeillé, tout en glissant sur l'onde,

il aperçoit là-haut, qui passent à la file,

les chàteaux couleur d'or et les tourelles,

mémoratifs des époques lointaines,

de leurs légendes féeriques, merveill~uses!

Et il sent le bonheur infini d'être libre

des vanités, des inepties de l'existence.

CANT 1\LI VENICIANO.108

Un dous pantai d'amour l'envahis sounjo

A l'Évo incouneigudo que l'espèro

En qrtaueo part, lou cor eu Jlortr, sot~leto,

E 7u'arrra fe belètr dins sa paraulo,

Se'n-cop ié dis que la v~u. E trelimo

D`embessouna sa voigo jouventuroAu nottvelun de la bello ninoio

E de se perdre em'elo dins li tousco,

Bevènt l'tiublit de tout lor~ rèrto em'elo.

XLII

Tou-eu-an-cop li son rl'uno rnrtsico

Sus l'autro barco eila-lvrrié t'enartron,

E de vouer ctvrinelto, vrmourüouso,

Yeici que fan chulv l'emplun ddu Jlume.Li Yenicivno, aurias di tres Sereno,

Alegrvmen eiFû poulit cvnt~rvon

De-long de la marino

En se lavant li pèd,

A la bello Nourino

Soun anèu i'escapè.

Vèn à passa 'n pescaire

Qu'e vai dins soun barquct

E bourjo de tout caire

Pèr empli soun saquet.

CHANTIV, LES VÉNITIENNES.

109

Un doux rève d'amour l'envahit il songe

à l'Ève inconnue qui l'attend

quelque part, le coeur en fleur, seulette.

Elle aura foi peut-être en sa parole,s'il lui fait un jour son aveu. Et il tressaillc

de jumeler le nonchaloir de sa jeunesseau renouveau de la belle ingénue

ct dc se perdre au bocage avec elle,

avec clle buvant l'oubli de tout le reste.

XLll

Les sons d'une musique tout à coup

sur l'autre barque là derrière s'élèvent;

ct voici que des voix harmonieuses, claires,

font délecter l'amplitude du fleuve.

Les Vénitiennes, on eût dit trois Sirènes,

chantaient allégrement cette chanson jolie

Sur le bord de la mer,

En se lav~rnt les pieds,

A la belle Norine

Échupp~r son anneau.

En mer r~n péchenr passr

Qtri v~r rlanr ra n~rccllc

Et de tout cBté JonillePonr emplir soh s~rclret.

CANT IV, LI VENICIANO.110

pcscaire à barbo bloundo,

Pèr tu i'a 'n bèu flourin,

Se me pesques dins l'oundo

hioun aneloun aurin.

Se trais dins la marino

Lou pescaire aflamba

Vaqui, bello Nourino,

L'anèu qu'avias toumba.

Sa bourso elo desblouco

Veici toun pagamen.

Un poutoun sus li bouco,

Vole rèn autramen.

De-jour noun se poutouno,

Que nous veirié quaucun.De-niue souto la touno

Nous councira degun.

Mais la luno clarejo

Amount dins lou cèu grand.

Dins lou bos que soumbrejo

Mi bras t'amagaran.

La roso qu'ai au jougneVai chanja de coulour.

Au rousié fau se pougne,Avans que toumbe flour.

CHANTIV,

LES VÉNITIENNES. fl[

« Pécheur à barbe blonde,Un beau florin pour toi,

Si dans l'onde tu péclres

Dlon petit anneau d'or. n

Dans la mer il se jette,Le pécheur enflamrné

« Voilà, belle Noritre,

L'anrre~rtt tombé par vous. u

Elle délie sa bourse

CI Voici ton payement. D

« Un baiser sur les lévres,

Rien autre je neveux. D

a De jour nul ne se baise,Car nous verrait

quelqu'un. D

cr De nuit sous la tonnelle

Nrrl ne nous connaftra, »

CIMais la lune illumine

Là-haut dans le ciel grand. »

« Dans le bocage ombrertx

hfes bras te cacheront. D

« De mon corset la rose

Va changer de couleur. D

CIAu rosier piquonr-nous,

Avant que la,fleur tombe. D

112 CANT IV,LI 1'ENICIANO.

Laisso-m'esta, pescaire,

Qu'ai pbu ddu miéu marit!

léu noun lou cregne gaire,

A bèu èstre marrit!

Sus moun batèu que lando

Nous raubaren au fres,

Car siéu prince d'Oulando

E noun ai pbu de res.

Ole! la fl~mo caasoun! bello Veniso!

Vai rnrrrmurant lou prince que pantaio

Entre-dourmi sus lu nurr, burqucirolo

Q~r'J la veipr~rdo mounton di Placeto,

Dôrr Crund-Cunvu rilenciorrs e dôu Lido,

Oh! bresras-me dins ma be.rtitudo! i

E plus de pensumen, qn'es la sagesso

De se leissa porrrt~r sus l'aigo folo

A la gnici de Dirrr, coumn lorr ciéune

En rejorrgnènt hr tèsto souto l'alo.

Li rlono veniciurro soun pas nèrcio

Sabon deja qu'un prince vogo em'Eli

E c.rlon si frelat dins l'oundo bluio

En cantant la cansoun dôu rèi rl'Oulunrlo.

Afri acb 's un fin /~èis, e veiren viire

S'enlubrena pèr éli, tèsto j~nrrnchn

~rt vai pusru pèr itte o lèn pèr rnaio.

CHANT IV, LES VÉNITIENNES. ~~3

« Laisre-mni donc, pecl~eur!

J'ai peur de mon mari. »

« btoi je ne le cr~rins guère,

Si mcc5ant serait-il!

Sur mon bate.t:r qui file,

Viens, je t'anléve arr fr~ris,

Car, prince de Hollunde,

Je n'ai peur de personne. »

r: Oh! la fière chanson! belle Venise! »

va murmurant le prince dans le rêve

de son demi-sommeil, 0: ô barcarolles

qui montent des Pioz,zettc'a la vcsprée,

du Grand-Car!al silencieux et du Lido,

oh! bercez-moi dans ma béatitude!

Et plus de lourds pensers, car la sagesse,

c'st se laisser emporter sur l'eau folle

à la grâce de Dieu, comme le cygne,

cn repliant la tête sous son aile. :D

Les dames vénitiennes, point naïves,savent déjà qu'un prince vogue en leur compagnie,

et elles tendent leurs rets dans l'onde bleue

avec la chanson du roi de Hollande.

~Iais, fin poisson qu'il est, nous verrons bien

si, fasciné par elles, il va, tête première,sombrer dans le filet ou passcr par les mailles.

c~ a~r c r a~Q,uEa~

L'4?~LG L 07Z0

XLIII

Dôu tèms qa'ansin d~rvalo lou Caburle,

De liuen en liuen crousant d'rrno autro tiero

Lis equipage amaiant que d6u Rose

Remounton lou courrènt, en visto fuson

E coumbo e piue hu Roubioun qu'enJre terro

Bagno Mountelimvr; pièi lis ancoulo

De la grand glèito amount apountelado

Sus lou ro de Vivia`~; verr l'autro ribo

Lou toumple dtiu Gourg Nièr que, pèr CaliaJo,

Un cop pèr an se i'ouson li campano,

A miejo-niue, de l'abadié de mounjo

Qpe fuguè dins lou tèmr aprefoundido.

EmE lou castelas qu'1ro à dre d'lli,

Pèr un ouide cava souto lou flùvi,

~t~

CHANT CINQUIÈME

L'ANGLORE

XLIII

Pendant que le Caburle ainsi dévale,croisant de loin en loin quelque autre file

dont l'équipage en marche remonte le courant

du Rhône, à la vue passentvallées et puys le Roubion, dans les terres,

baignant 111ontélimar; après, les contreforts

de la grande église arc-boutée là-haut

sur le roc de Viviers; vers l'autre rivele gouffre de Gournier où, quand vient la Noël,

une fois par an, s'entendent les cloches,

au coup de minuit, du couvent de nonnes

qui au temps passé y fut englouti.

Avec l'ancien château qui était vis-à-vis,

par un souterrain creusé sous le fleuve,

C.~NT V,L'ANGLORO.116

Se dis qu'avien trevanFo. Avisc! aviso!

Gon timounié subran doun.rnt l'estorso,

An r.tscla l'agacin de hlalo-hlousco.

Rapido, la cal.rumo intro à la cluso,Estrccho e redoutablo, de Dounzero,

Ounte, en passant, ferouno lis espinchon

Li Tres Donnullo tremudado en roco.

Esperavon aqui, t6uti tres drrcho,

Si chiv.rlif parti pèr Terro S.tnto

Ert rrgardant veni de-long de l'oundo,

Talamen es m~rrrit la lvnguitudo,

A la longo dôrt tèms s'arrouqtriguèron.

P.tsron lou Bourg qne sant Andi~u lou diacre

l' escounjurè lou diéu Mitra; descuerbon

Apereila lou mount Ventour que gibo,

Aperalin lou Meunc di Ceveno,

Aprravau lis arco espetaclouso

Dôu Pont Sant-Esprrit, fa pèr miroclr; i

E, perdu dins lis aubre, enfin abordon

Au Malatra, vers lou jougnènt d'Arrlrcho,

Q~e, pèr raport i gravo dongeirouso,

Aqui vin prrne l'ome de la mudo.

XLIV

Vér-ta!vér-tat ~l~ron dins li burco.Lou poung sus l'anco, en ribo dôu grand Rose,

CHAST V, L'ANGLORE. 117

elles communiquaient, dit-on. cr Alerte alerte! s

Le timonier soudain virant au gouvernail,

ils ont raclé sur l'écueil de Malmouche.

Rapide, la remorque vient d'entrer dans la cluse 1

étroite et redoutable de Donzère.

Au passage, farouches, de côté les épient

les Trois Donzelles transformées en rochers'.

Elles attendaient là, toutes les trois debout,leurs chevaliers partis pour Terre Sainte

en regardant venir le long de l'eau,

la langueur de l'attente est si mauvaise!

elles finirent par s'y pétrifier.

Ils dépassent le Bourg où le diacre Andéol

exorcisa le dieu Mithra j ils découvrentle mont Ventour qui protubère au loin,

plus loin encore le Mézenc des Cévennes,

là-bas enfin les arches magnifiquesdu Pont Saint-Esprit, bâti par miracle;

et, perdus dans les arbres, les voilà qui abordent

au Malatra, confluent de l'Ardèche,

où ils vont, pour parer aux grèves dangereuses,embarquer l'homme de la mue'.

XLIV

La voilà la voilà! Il cria-t-on dans les barques.Le poing sur la hanche, au bord du grand Rhône,

7.

CANT V, L'ANGLORO.118

Dins si raubiho brllo dtiu dimenche,

A la man soun cabas de sagno primo,

Elo, CAngloro, esperavo rirènto.

Car em' aquéli gènt dis equipage

S'èro à cha pau rendudo famihiero,

Fantaumejant e fadejant em' fli.

Derempièi qu'èroau mounde, sus la dougo

Venif vèire veni li sisselando,

Lôugiero fendènt l'aigo à la desciro,

Cargado de castagno o d'àutri viérrre,

Er,~f soun tibanèu de telo blanco

Acatont li mouloun de marchvndiro.

Li marinif di barco ventran~do,

En la verènt bada long de la lono,

De-fes Jins soun faudau qu'elo aparavo

lé jitavon de liuen de poumo roujo

o de pero garroto à la rapiho.

Tôuti la couneisrien, aquelo Angloro,

Coumc l'avien noumado pèr ercafr,

En estènt que toujour sus li graviero

Grapaudejavo nuso, à la rajolo

Dôu rouleias, coume uno reguindoulo.

Pièi s'èro facho grando, orrouganteto,

Emai poulido proun. Èro que bruno; i

Mai uno bruno claro o, pèr miés dire,

Lou rebat dôu roulèu l'avié daurado; i

Emf d'iue de perdris, qu'èrode peno

De saupre se risien d'enfantoulige

o d'alegresso folo o bèu pèr trufo.

CHANT V, L'ANGLORE, 119

et dans ses belles hardes du dimanche,et à la main son cabas de jonc fin,

elle, l'Anglore, attendait souriante.

Car avec ces nochers'des équipages

elle s'était rendue peu à pen familière,

folichonnant, badinant avec eux.

Et sur la berge, depuis qu'elle était née,elle venait voir arriver les sisselandes4,

légères, fendant l'eau à la descises,

chargées de châtaignes ou d'autre provende,et sous la toile blanche de leur bâche

recouvrant les monceaux de marchandises.

Et les mariniers des barques ventrues,

en la voyant bayer le long du fleuve,

de loin, dans son tablier qu'elle tendait,

lui jetaient quelquefois des pommes rouges

ou des poires vertes à la gribouillette.

ils la connaissaient tous, eux, cette Anglore,

comme ils l'avaient nommée par moquerie,attendu que toujours sur les graviers

elle se trainait nue sous les rayons

du grand soleil, comme un petit lézard6.

Puis elle avait grandi, s'était faite arrogante

et même assez jolie. Elle n'était que brune,

mais une brune claire, ou, pour mieux dire,

le reflet du soleil l'avait dorée;

et des yeux de perdrix, où difficilement

on pouvait deviner s'ils riaient enfantins

ou d'allégresse folle ou bien par gausserie.

120 CANT V, L'ANGLORO.

XLV

D'vgeinouiot~n o drecho dins li semo,

Aqui-de-long, tout lou jour, vbvrouro,

Emé ror~n crevelet d'vrvn passavo,

Entre-mesclo au rvvèu em' i graviho,

Li pampaieto d'or que, raro e tèuno,

L'Ardecho carrejavo après li plueio.

Lvv~do e relavJdo, li paiolo

Se retenien, lusènto, rus la bourro

D'uno pèu de môutoun; e bètt countwto,

Pecaire, quand gagnavo sa peceto

De douge o quinge sûu, un jour dins l'vt~tre.

De si sourreto e frvire la ninèio,

86ulant à pèd descaur l'areno morto,

Un eici, un eilv, dinr la ribiero

l' anavon rabriv li crevelvdo.

La maire au bastidoun fasié la soupo

O pedassavo en ié bramrnt de-lonso

« Qftau vous tendrié de besougnn, destrûssi! Je

Soun ome, lou gros Tdni, èro mudaire.

Au Pont S,rnt-Esperit, ~ue fvu counèirse

Li gourg e li courrènt pèr noun se roumpre

Is esperoun Je sis ancoulo traito,

Passavo li batèu à la dercito.

Prouvenien d'Aramoun e, dintre Rose,

CHANT V, L'ANGLORE. 121

XLV

A genoux ou debout dans les délaissées de l'eau,

sur le rivage, tout le jour, assidue,

avec son petit crible de fer elle sassait,

entrcmêlées au sable et aux graviers,

les paillettes d'or que, ténues et rares,l'Ardèche charriait après les pluies.

lavées et relavées, les paillettes légères

de là s'attachaient, luisantes, à la laine

d'une peau de mouton; et bien contente,

la pauvre, de gagner à cela sa piécettede douze ou quinze sous, un jour dans l'autre.

De ses petites soeurs et de ses frères la nichée,foulant nu-pieds l'arène morte,

un ici, l'autre là, dans la rivièreallaient ramasser du sable à son crible.

La mère à la maison faisait la soupe

ou ravaudait en leur braillant sans cesse

Qui leur tiendrait des hardes, à ces fripeurs 1 a

Le gros Toni, son homme, était pilote.Au Pont Saint-Esprit, où il faut connaitre

les gouffres et courants pour ne point se briser

aux éperons des contreforts perfides,il passait les bateaux la descente.Ils provenaient d'Aramon. Da'1s le Rhône

122 CANT V, L'ANGLORO.

Remounta pèr la pesco dis alartso,

Avien planta caviho e penja l'oulo,

Aqui perdu, dins rrno capitello

Bastido à pèiro reco sus l'~rutrrro,

Pèr precaucioun di crèis e cop d'.9rdeclro; i

Car fau pas badina 'rn' aquelo a~arFo

De ribiero r~rbènto, quand s'abrivo,

Gounflado pèr li plneio e que f~ri crèisse

Gort Rose de vint pan!

XLVI

E dounc l'Angloro,

En péu o sus la tdito un plechorrn rouge,

Li marin de Coundriéu e d'Andanceto

Sèmpre la retrouvavon au pasrage; i

Talarnen que, fasènt la descendudo,

Un cop avé franqrri li Tres Dounzello

E travessa lis isclo blargarido

E devista lou ro de Pèiro-Gato

Anen, disien galoi, lèu anan vèire

Au Malatra roundouleja l'Angloro!

Aca soulet lis escarrabihavo

Mai qu'un cig~ru de vin à la corrcourdo.

E tant-lèu la verien, atravolido,

Boulrgant soun crevèu dins la lurniero,

La gounello estroupado à miejo-cueisso

CHANT V, L'ANGLOIU. I2J

remontés pour la pêche des aloses,

en ce coin perdu ils s'étaient fixés,

pendant la marmite en une cahute

bâtie à pierre sèche au haut d'une éMinence,

par précaution des crues et coups d'Ardèche;car il ne faut pas rire avec cette coquine

de rivière rageuse, quand elle prend l'élan,

gonflée par les pluies, ct qu'elle fait croitre

Ic Rhône de vingt palmes!

XLVI

Donc l'Anglore,

soit en cheveux, soit sur la tête un fichu rouge,les marins de Condrieu et d'Andancettela retrouvaient chaque fois au passage;si bien que, lors de la descise,dès qu'ils avaient franchi les Trois Donzelles

et traversé les iles lliargeries

ct aperçu le roc de Pierrelate

« Allons, disaient-ils joyeux, nous allons bientôt voir

au Malatra papillonner l'Anglore!D

Cela seul les émoustillait

plus qu'un bon coup de vin bu à la gourde.

Et dès l'apercevoir, active à son travail,

agitant son crible en pleine lumière,

la jupe retroussée à moitié cuisse

CANT V, L'ANGLORO.124

E lou jottane badiéu coume uno roso

D'agoulencié que béu la souleiado

Qlte, hdu! cridavon en ié fasènt signe,

Aguelo An~loro ir panca fa fourtuno t

Ai! pauro! d'or, rerpoundié la pichoto,

Aguéli gus de RaiErr, dins l'Ardecho

N'en jiton 8?~rire. Sabés lort prortvèrbi t

Arpaiaire, pescaire, emai c~rsr~rire.

Pecaire! Juste. blai passas bèn vite?

Lou Rose es fièr e n'a ges d'arrestado,

Bello jouvènto! Mai, à la remounto,

Quand li chivart tirar~tn la maieto,

Que revendren de la terro d'ArgènFo,

Arrrarraren i t~ti de la ribo

E t'adurren de dàti. Ounte es tortn paire?

Es au Cr~tnd hhrlatra que vous espèro.

Bon vivge à la marir.o! Adiéu, mignoto!

XLVII

N' i' avié proun un, sabès, que sus lou tèrrme,

Toujour lou bèu darrié dintre la chourmo,

Soludavo enca 'n cop la picbouneto

Emi qu~iuqrri poutoun à la voulado.

Èio un gaiard cadèu de Sant-Maurite

Que, sus lou c~u e sènto ges d'ajudo,

Soulet aurif carga 'no bouto pleno

CHANT V, L',ANGLORE.12f

et le corsage ouvert comme une rose

d'églantier qui boit le soleil

({ ohé! lui criaient-ils en faisant signe,

n'a-t-elle pas encore fait fortune, l'Anglore? D

a Aïe! pauvrette, répondait la petite,ils n'en jettent pas tant, d'or, dans l'Ardèche,

ces gueux de Cévennols 7. Vous savez le proverbe?Un orpailleur, un pêcheur, un chasseur. )1

Tous geigneurs )1- C'est cela. Mais vous passez bien vite?D

` Le Rhône est fiers et il n'a point d'arrêt,belle jeunesse! Mais, à la remonte,

quand les chevaux tireront la cordelle,

à notre retour du pays d'Argence,nous amarrerons aux troncs de la riveet nous t'apporterons des dattes. Où est ton père? D

({ Au Grand-Malatra, où il vous attend.

Bon voyage aux marins! D cr Adieu, mignonne!:)

XLVII

en était bien un qui, sur la tille,

toujours le beau dernier de l'équipage,

saluait la fillette encore un coup

avec quelques baisers à la volée.

C'était un vigoureux garçon de Saint-Maurice

qui, sur le cou, sans aide aucune,

aurait chargé tout seul un tonneau plein

CANT V, L'ANGLORO.126

Dr sièis barrau. Soun norrrn èro Jan Rocho

Un brun masclas d'aqrrelo forto rJ`o

De ribeirif rlis vigo dôufinenco

Que, sus li riso e lis auve dôu Jlume,Entre-mitan lora Reiaume e l'Empèri,

Couvernon li radèn e svvouiardo.

Ar~ desparti, sa maire, chasco vduto,

If venif bloun rnfant, lou cor me rrébo

De te vèire abasa 'm' aqufli barco

Qf~e, la mita d6u tèms, revénon routo

o que, desemparado, avvu demoron.

De rèt gorFoun, que tu n'en sifs lou mendre,

Car èron tôuti, ve, d'esclvpas d'ome,

Me soubro plus que trr. Li fiho palo

Dôu plan pvïs, avau dins la ProuvènFo,Me lis an t6uti pres, un après l'autre.

Em' rrno bello oustesso qu'èro vfuso

G'einat s'es establi pèr vnbergisto;

Lou cadet, pervlln vu grau dtir~ Rose,S'es fa, m'an vougn dire, escandaiaire; i

N' i' a dous gue, mvrirJv 'mé d'Arlvtenco,

En pvtr~tmandejvnt bèn proun que viscon; i

E dous qu'en Avignoxn an tengu tdti

Pér èstre porto-fvis. Em' uno bando

De drole coume avifu, à morrn vieiounge,

Se tu vas courre mai la brllo eistervo,

Afe vrse ifrr à mvnd d'ista sorrleto!

blvire, fvsié Jan Rocho, li chatouno

Que porton sus lou pfu lou velout d'Arle,

11'imai li boujvrrouno de l'Orwezo,

CHANT V, L~AnGLORE.127

dc six b~rr~ux9. Son nom était Jean Roche

beau mâle brun, de cette forte race

de riverains des eaux du Dauphiné

qui, sur les rirés et graviers du fleuve,

entre le Roy·aume et l'Empire,

gouvcrncntles radeaux et savoyardes

Au moment du départ, sa mère, chaque fois,

lui disait 1[ Mon enfant, le cœur me crève

de te voir dévaler avec ces barqucs

qui, la moitié du temps, reviennent effondrées

ou qui, désemparées, là-bas demeurent.

De sept garçons, desquels tu es le moindre,

car tous étaient, vois-tu, des blocs d'homme superbes,

il nc me reste plus que toi. Les filles pâlesdu plat pays, là-bas dans la Provence,

me les ont tous gardés, l'un après l'autre.

Pour une belle hôtesse qu'il prit veuve,

l'aîné s'est établi comme aubergiste;

le cadet, au bout du Rhône, à l'embouchure,

s'est fait sondeur, à ce que l'on m'a dit;

deux, mariés avec des Arlésiennes,

vivent en brocantant, je ne sais comme;

et deux en Avignon ont pris attache

pour être portefaix. Et avec une troupede garçons comme j'eus, à mes vieux jours,si tu cours, toi aussi, à la dérive,

me voilà exposée à rester seulc! III

cr Mère, disait Jean Roche, les fillettes

qui sur la chevelure portent le velours d'Arles,ni les jolies luronnes de l'Ouvèze,

CANT V, L'ANGLORO.128

Nimai li risouliero de laSorgo

Emé si catalanoblan~uirtello

Qra'ou vènt-terreu si donsvetortn floutejon,

Noun me f~rran j~rmai, frtgreét tranquilo,Oublida ndsti drolo crouchounado

Emé si bèlli rouito sanitor~so.

Ha! lu vièio nponndié, que sottn rejunch~E bravo en tout tachènt garda li dindo,Tout enfielant sa blesto de canebe,

Môure li cabro e batre lou bon burre

o tricouta li Jlour de la dentello.

Tè, tènso ana ptt liuen, eoume la frhoDtiu Charmetan, qu'es uno

debor~iado:A la fin de si gènt, rnoun chat, pèr doto

Aura de prat, de vigno emai de terro

Que drtron rèn en res, l'arsses 0, maire.

XLVIII

Patin, coufin. En chasco despartidoÈro la memo aubado. Mai Jan Rocho,Un cop mounta fus lou paiuu di barco,Un cop bandi sus lou corrrrènt d6u JlameVers lou relarg de la ProuvènFo lindo,Adessias li touiaudo de Serriero,

D'Ampuis, dtiu Piage o de Glrrn 0 de Sirvi IEn respirant l'aire libre dôrr Rose,

CHANT V, L'ANGLORE.129

non plus que les rieuses de la Sorgue

avec leurs blanches coiffes de piqué

dont les deux brides flottent au mistral,

ne mc feront jamais, soyez tranquille,

oublier nos filles aux chairs rebondies

avec leurs belles joues vermeilles de santé. JI

« Et qui sont réservées, ha! ajoutait la vieille,

et parfaites en tout sachant garder les dindes,tout en filant leur quenouillée de chanvre,

traire les chèvres et battre le bon beurre

ou tricoter les fleurs de la dentelle.

liens, sans aller plus loin, comme la fille

du Charmetan, qui est une gaillarde

à la fin de ses gens, mon gars, pour dotelle aura de la vigne, et des prés et des champs,

tout ça clair et liquide, m'entends-tu? Il cr Oui, mère. p

XLVIII

Et ceci et le reste. A chaque départiec'était la même aubade. Mais Jean Roche,

sitôt monté sur le plancher des barques,sitôt lancé sur le courant du fleuve,

lancé au large vers la Provence claire,

adieu Ics grosses filles du Péage,

dc Serrièrcs, d'Ampuis, ou dc Glun ou dc Servcs!

En respirant l'air libre du Rhône,

CANT V, L'ANGLORO.I}O

Qirand se vesien, éu e li car.ibvrado,

Li mèstre en pl:n d'u~jrrértreiaume eiguèstre.

D'aquel empèri dôu Muïrtrau rude

Q,ire s'espondis art long entre li colo,

De soulèu en soulèu e d'utrro en auro,

D'rrno ourgrreiunFo estrèmo venien ébri

E se cresien lis invincible dU mounde.

A-n-éli lou fin morrrt rle l'Ermitage

E lou vin c~rtrd de la Costo-Roustido

Qrte, pèr camin, vivo lit canto-bruno! 1

N'udousihavon sèmpre quauco pèyo.

A-n-éli lis orrtudo que treviron

E li tvioun d'aquérr bidu à l'udobo

Q~~e lou lausié perfumo dins la glorrto!

E li feisun de l'irclo Pibouleto

E li poulardo uveu de Roco-hf~ruro,

Nourrido à jebo emé lou mi rt'escoubo; iE li couniiu de Cust~·u-Ndu de Pupo

Asrubouru 'mé lou vin de la Nerto!

A-n-éti li brassado di chumborrrdo,

Dins la sournnro, au pèd dis aubarrdo,

Qjrouro i gr~indis auberbo de la ribo

Pèr la corrchodo au vèspre s'arrambovon!

N'avien pas tort li crid de la gouverno

Qu'entre li dos lev,rdo, de-corrntùnio,

S'entendien rebuumbi Reiaumel Empèri!

Li Ccundriéulen, patroun de Lr ribirro,

Cron de rèi vervi, de counqrristaire.

Vers la Prouvinfo, aquelo Pulestino,Ounte lou Rose dins soun amplitudo

CHANT V, L'ANGLORE. lÿl

lorsque les camarades et lui se voyaient

les maitres absolus du royaume liquide,

de cet empire du Maëstral rude

quien longueur s'épand au milieu des collines,

de vent en vent, de soleil en soleil,

d'un orgueil ~xtr~me ils devenaient ivres

et se croyaient invincibles au monde.

A cus le moût exquis de l'Ermitage

et le vin chaud de la Côte-Rôtie

dont, en chemin, vive le chalumeau!

ils pcrçaient toujours 'quelque pièce.

eux les potées chavirant de viande,

avec Ics tranches de bœuf à l'étuvée

que le laurier parfume dans la cloche de fonte l

Et les faisans de l'ile Piboulette

et les poulardes là-bas de Roqucmaure,

nourries à profusion par le mil à balais;

et les lapins de Châteauneuf du Pape

dont le vin de la Nerthe rehausse la saveur l

A eux les embrassées des maritornes,dans la sombreur, au pied des peupliers blancs,

lorsque aux grandes auberges de la rive

ils accostaient le soir pour la couchée! t

Et ils n'avaient point tort, les cris de gouvernance

qui, entre les deux digues, continuellement

s'entendaient retentir Royaume! Empire!

Les Condrillots, patrons de la rivière,élaient vraiment des rois, des conquérants.

Vers la Provence, terre de promissionoù le Rhône en son amplitude

CANT V, L'NGLORO.1J1 2

Embr~tsro l'isclo inmènso de C~rmvrgo,

Vers la ProtwènFo ounte l'ônlivo afloco

Sus li peudènt de tôuti li cortstiero,

Vers lott païs ounte cour la Tarvsco,

Orrnte au rortlét~, lort jour, dvnro la Viéio,

Ounte la nirre i'o l'estelan qrr'esGrilro,

Éli, li veiturin de l'aGoundJuci,

lé dav.tlovon Een-vengu de tdnti.

XLIX

Entre parèirre aperarnorrnt la rigo

Di sisselando e sapino e pinello,

Enculurrmado en co l'rrn~ rfe l'autro,

Ema li Corrndriéulen dre sus lu poupo,

Li bras leva, d'acord butant l'empento

E dins l'azur pièi la lachant errrèmble,

Li terrassan d'en terro ié cridavon

a Manjo-cabrit! Q~tiéu-de-pèu! N'as de brrrre? 1

E li coulosse bouniar II hfonjo-aachoioCamino As pEu que te man Jue, la terro ? JI

lé reuporrndien en uno bramadisro.E tout-rfe-lonb~ l'untico galejado

Reschtntistié dins lou parla di pople;E torrt-rfe-long, sus li tulr~s de rèiro

Di hourtifioun que bordon la brando aigo,

Pèr vèire, ivér-estiéu, venieu li fiho,

~33CHANT V, L'ANGLORE.

embrasse le delta immense de Camargue,

vers la Provence où l'olive foisonne

sur les penchantsde toutes les côtières,

vers le pays où s'ébat la Tarasque,

où au soleil, le jour, danse la Vieille

où, la nuit, est le ciel resplendissant d'étoiles,

eux, les porteurs de l'abondance,

descendaient, bienvenus de tous.

XLIX

Sitôt qu'apparaissait en amont le convoi

des sisselandes, sapines et penelles,

cncàblécs à la queue l'une de l'autre,

avec les Condrillots droits sur la poupe

qui, bras levés, d'accord, poussant le gouvernail,

dans l'azur ensuite le làchaient ensemble,

les gens de terre leur criaient du rivage

~lange-cabris 1 Culs-de-peau 1 Nez de beurre! JID

Et les colosses bonasses 1[ Mange-anchois1D

répondaient-ils en clameur prolongée,

marche donc! As-tu peurque la terre te manque, Dn

Et tout le long l'antique gouaillerie

retentissait dans le parler des peuples;ct tout le long, sur les talus de pierre

des petits ports qui bordent la grande eau,

pour voir, hiver, été, venaient les filles,

s

CANT V, L'ANGLORO.1}4

De rottn debas gaubejant lis aguïo

o sa sieto à la man, la tèrto alerto.

Tout rerquilrant perfrr sus l'oundc liso,

Li Coundriéulen aqui r'erwrquihaz ~n

E, di batèrt, en if forènt bouqueto

Anen, voulès veni, cridavon, drolo,

Emé nous-autre à-n-Arle? Sian pas lèsto;

Un autre cop E filavon li barco

Dins li risènt, entre-rnitan lis isclo.

Just lou pilot, aplanta sus lou tèume,

Alin-davans lis itte dubert e fisre

Pèr fourvïa lis agacin de roco,

De liuen en liuen viravo un pau la barro.

CHANTV, L'ANGLOIU. '1f

leur assiette à la main ou de leur bas

maniant le tricot, la tête alerte.

Tout en gliss-int aussi sur l'onde lisse,

les Condrillots alors se rengorgeaientet des bateaux leur criaient souriants

Allons, les filles, voulez-vous bien venir

arec nous autres à Arles? D a Nous ne sommes pas prêtes;

une autre fois! D Et les barques filaient,

au clapotis des flots, entre les iles.

Et le pilote à peine, debout sur le tillac,

les yeux ouverts et fixes en avant,

pour éviter les durillons de roche,

de loin en loin tournait un peu la barre.

Ccr1 ~T SIEISEJ~

LOU D71,9

L

Oh! lis atiramen de l'aigo hlotrro,

Q!tand lorr sang ndn erpilo dins li veno!

L'aigo que ris e cascaio ajarrbuido

Entre li coudelet, emé li rdfi

Qu'arrapon en sautant li damisello

E li mouiss~rrt di vèrdi bourdigaio 1

L'aigo poulido e crrtdèlo e felorrno

Q!r'embelino e pivello l'innourènci

En ié f~rrènt lasi li tremorrlino

De soun mirau! Ninèio, à la vi!r~rdo

La maire ié venié de vduto en v~uto,

A sis enfant, à l'Asgloro, ninèio!

Vers li blavorrr de l'aigo pausadirro

o lis afour que remoulinon encre,

CHANT SIXIÈME

LE DRAC

L

Oh! l'attraction du liquide élément,

quand jaillit dans les veines le sang neuf!de l'eau qui rit et gazouille enjouée

parmiles galets, avec les ablettes

qui en sautant prennent les demoiselles

et les moustiques des touffes d'herbe vertel

de l'eau jolie et cruelle et perfide,qui charme et qui fascine l'innocence

en lui faisant reluire les frissons

de son miroir a Petits, D à la veillée,

parlait ainsi, de fois à autre, la mère

à ses enfants, à l'Anglore, cr petits 1

vers les bleus de l'eau calme

ou les abîmes qui tourbillonnent nuirs,

s.

CANT VI, LOU DRA.1}8

D'ana jamai éafa noun vous Gvèngue!

L'ai toujour arrsi dire souto Rose

(Ai! bèrr mignot, se lorr pèd vous mancavo!),

En de founsour que soun de.rcorrnei~udo,

lé trèvo, despièi que lou mounde es motrnde,

Un f~rntasti noum~r lorr Dra. Superbe,

Anguiela coumc un lampre, se bidorJo

Dins l'embut di revdu mounte blanquejoEmf si dous iue glas que vous trafuron.

A lou péu long, verdau, flus coume d'vrrgo,

Que floto sus sa tèsto au brand de l'oundn.

A li det, lis artèu, pér ausi dire,

Tela coume un flamen de lu Camargo

E dos alo de pèis darrif l'errluino

Clareto coume dos dentello blnio.

Lis iue à mita claus, nus coume un verme,

N' i' a que l'an agu vist, au founs d'un toumplr,

Estalouita âu soulèû sitbre l'areno,

Pipant coume un lesert la souleiado,

La tèsto revessado sus lou cauide.

Barrulant orrto l'aigo emé la luno,

N' i' a que l'an entre-vist, dintre li lono,

Avera d'escoundoun li flour de glaujo

o de l'erbo-d'infer. hlai pièi lou pire,

Clratl escout~rs aquesto.

CHANT VI, LE DRAC.1]9

de vous guéer jamais gardez-vous bien! "p

Je l'ai toujours entendu dire sous le Rhône

(aïe!beaux mignons, si vous y perdiez pied 1),

en des profondeurs qui sont inconnues,

fréquente, depuis que le monde est monde,un farfadet nommé le Drac. Superbe

et svelte ainsi qu'une lamproie, il se tortille

dans l'entonnoir des tourbillons où, blanc,

il vous transperce de ses deux yeux glauques.

Ses cheveux longs, verdàtres, floches comme de l'algue,

lui ~lottent sur la tête au mouvement de l'onde.

Il a les doigts, dit-on, et les orteils

palmés, comme un flamant de la Camargue,

et deux nageoires derrière le dos,

transparentes comme deux dentelles bleues.

Les yeux à moitié clos, nu comme un ver,

il en est qui l'ont vu, au fond d'un gouffre,

nonchalamment couché au soleil sur le sable,

humant comme un lézard la réverbération,

avec la tête renversée sur le coude.

Errant sous l'eau avec la lune,

d'autres l'ont entrevu, dans les flaques tranquilles,

qui à la dérobée tirait les fleurs d'irisou de nénuphar. Mais, puis le plus fort,

enfants, écoutez.

CANT VI, LOU DRA.14°

LI1

Un jour, se conto,

En ribo de Bèrt-Caire ttno femeto

Gavvvo si bugado dins lort Rose

E, tora: en bacelant, à la srt6ito

Vc~guè, dins lou courrènt de la ribiero,

l.ort Dra, poulit e lèri coume un n%wi,

Qu'ù tr~rvès dôu clartin ié fasié signe.

« Vène! ié marmuravo rmo vortes dot~Fo,

Vène! te farai vèire, bello clrato,

Lou p~rlair cristalin ounte demore

Erné lou lié d'argènt ounte m'ajasse

E li ridèu d'azur que l'encottrtinon.

Vine! te farei vèire li Jonrtuno

Que se soun aclapado sortto l'erso,

Despièi que li march~rnJ ié fan naufrage,

E qrr'ai encarnelado dins mis ouide.

Vène! ai un pipartdoun que n'a que l'orvo

E que, pér s'abari dinr la sapiènci,

N'espèro que tortn la, bello mourtalo! D

I,a jouino bugadiero, atrevarido,

Leirrè toumb:r de sa man ercurnouro

Soun bacèn e 'rn'aca, pèr l'ana querre,

S'estrottpant vitdmrn à miejo-cambo,

Pièi au grinoui, pièi jrtsquo à miejo-cueisso,

CHANT VI, LE DRAC. 141

LI

On raconte qu'un jour,au quai de Beaucaire, une jeune femme

lavait au Rhône sa lessive.

Et, en battant son linge, tout à coup

elle aperçut dans le courant de la rivière

le D'ac, frais et gaillard comme un nouvel époux,

qui à travers le clair lui faisait signe.

Viens donc lui murmurait une voix douce,

vicns, je te montrerai, ô belle fille,

le palais cristallin où je demeure,avec le lit d'argent où je me gite,

et les rideaux d'azur qui le recouvrent.

Viens donc que je te montre les richesses

qui se sont entassées sous la vague,

depuis que les marchands y font naufrage,et que j'amoncelle en mes souterrains.

Viens j'ai un nouveau-né qui n'est encore qu'une larve,

et qui, pour se nourrir dans la sapience,

c n'attend que ton lait, ô belle mortelle! Jt

La jeune lavandière, somnolente,

laissa tomber de sa 'nain écumeuse

son battoir, et voilà pour aller le chercher

troussant sa jupe vitement à mi-jambe,

puis au genou, puis jusques à mi-cuisse,

CANT VI, LOU DRA.1~2

An! perdegrrè l'apès. Gou briéu dôrr Jlume

G'envestiguè de soun oundado vivo,

L'entortrtouiè, barbelanto, avrrghtdo,

E l'entirè dins li aven ferouge

Que remoulin~n av.ru sorrto terro.

L'aguèron béu cerc~t 'mé la partego

La retrouvèron plus, èro perdudo.

Pasrè de jour, passé d'an. A Bèu-Cuire

Degun pensavo plus à la paureto,

Qr~and un matin, au bout de sèt annado,

La vebnèron rintra, touto tranquilo,

Dins sorrn ourtvu, sa fardo snr la tèsto,

Coume se retournavo, à la courtumo,

D6u lavadou soulamen un pau palo.

Tdrtti si ~ènt lèu la recouneigrrèron,

E tout aca cridé a blai d'ounte sorter m

En se passant lit man sus lou Jrortt, elo

a Vès, if digrrè, me rèmblo qu'es un sounge..

Qlre vJrrtri lou vorrgufr crèire o pas crèire,

Sorte dôu Rose. En lavant ma bugado,Ai toumha moun bacèu e, pèr l'avedre,

Ai rerquiha dins r~nfounsan terrible.

E me sentifu embrassado souto aigo

Pèr uno oumbrinn, un glàri, que m'a praro

Coume un jouvènt que fai un raubatdri.

Lou cor m'avié fa man e, revengudo,

En r~n vaste soobau plen de fresquiero,

Enlumina d'uno lus tigolouro,

Emf lou Dra, rouleto, rne sifu virto.

Avif, d'urto frhato entre-negado,

CHANT VI, LE DR.J~C.14}

bref, elle perdit pied. Le cours du fleuve

l'enveloppa de son flot violent,

l'entortilla, pantelante, aveuglée,

et l'entraîna aux abîmes farouches

qui tourbillonnent par là-bas sous terre.

On eut beau la chercher avec la gaffe,

introuvable elle fut et bien perdue.

Des jours, des ans passèrent. A Beaucaire,

personne, hélas rie pensait plus à elle,

lorsqu'un matin, au bout de sept années,

on la vit qui rentrait, toute tranquille,

dans sa maison, son paquet sur la tête,

comme si du lavoir, à l'habitude,

elle s'en retournait seulement un peu pàle.Tous ses gens aussitôt la reconnurent

et chacun s'écria 1( Mais d'où sors-tu ?

Elle, se passant la main sur le front,

répondit cr Voyez, cela me semble un songe.

Mais qu'il vous plaise de le croire ou non,je sors du Rhône. En lavant ma lessive

mon battoir est tombé et, pour l'avoir,

dans un bas-fond terrible j'ai glissé.

«Et je me sentais embrassée sous l'eau

par un fantôme, un spectre, qui m'a priseainsi qu'un jeune homme qui ferait un rapt.Le cœur m'avait failli et, revenue à moi,

dans uiie grotte vaste et pleine de fraîcheur

et éclairée d'une lueur aqueuse,

avec le Drac je me suis vue, seulette.

D'une jeune fille à demi noyée

CANT \'1, LOU DRA.144

Agu 'n pichot e iéu, pèr nourri~uiero

De roun Dragrtet, rét an m'a dete~t'rtdo. D

UI

L'Angloro, l'enaeman d'vqrréli conte

Qrt'cmé li rai ddu soulètt s'esvalisson,

Noun ié penrvvo plus e, dins li semo

Dôu Mvlatrv, x.~u! esperdib?aivdo

Courrié 'mé soun crevèu se metre à l'obro.

Èro au gros de l'estiérr sus li piboulo,

Lis 6ume e lis arrbero blvnqr~inelloQlte f~rn sduvert, cvntvvon lr crb~alo.

Hdn! rio cregnié rén, car, au regircle

Dôu grvn! soulèr~ que pico sus l'areno,

Disié qa'anrin vesié mi~s li paiolo

Beluguejv. Lou mvi que i'èron grèvo

Èro li niue, quand dins l'estrecho bdri

Fvlié corrclrv 'mé torrto la clrvr~miho,

Au s~rt, à ran, sus un rnoulortn de frreio.

Uno d'vquEli nine de calourado

Q~te vous estoufegvs souto li téule,

5'èro lev~rdo en camiso à la lrrno

Pèr ana prene un pvu lou Jres deforo.Gr luno dins sorrn plen la regardavo,

rllingoutorrnn, dercèndre vers tv ribo,

A pèd derc.rus, dins lou prejound rilènci

De la rrvturo iumènro e dorrrmihouso,

CHANT VI, LE DRAC. 14f

il avait eu un fils et de son petit Drac,

moi, pour nourrice, il m'a gardée sept ans. 1D

LII

l'Anglore, le lendemain de ces contes

qui s'évanouissaient aux rayons du soleil,

n'y pensait plus et, dans les délaissées s

du ~Ialatra, vive comme un perdreau,courait, son crible en main, se mettre à l'œuvre.

C'é:ait au fort de l'été sur les ormes,

les peupliers et les trembles blanchâtresde ces bords solitaires, les cigales chantaient.

llais elle ne craignait rien, car, au refletdu grand soleil qui frappe sur l'arène,

elle voyait bien mieux, disait-elle, brillerles paillettes. Ce qui autrement lui pesait,c'était, les nuits, quand dans l'étroite hutte

il fallait coucher, toute la marmaille,à terre, épars, sur un amas de feuilles.

Or, une de ces nuits de chaleur lourde

où l'on étouffe sous les tuiles,

elle s'était levée en chemise à la lune

pour aller prendre un peu le frais dehors.La lune dans son plein la regardait,

toute mince, descendre vers la rive

ct les pieds nus, dans le profond silence

de la nature immense et endormie,

9

CANT VI, LOU DRA.146

Leissant attsi lort rouncadis dôu Rose.

Sus l'erbo clarejavon li luseto;

Li rotissignErr alin à la perdudo

Se sespottndien, amartrotts, dins lis an5o;

E lou cascai de t'or~nrlo cuttrrerelto

S'entendié rire. Art s~rt la manidortno

Leissè d'un cop tonmba sa catniseto

E dbrs lort Rose, ardènto e trefoulido,

Plan, de-clinoun, intrè, li man crot~rvdo

Sus la tremortr de si dous sen de vierge.

Au proumié frejoutr~n,de l"~pereso

S'arrestè'no passrrdo, souspirortto;

E rotrrlihè lis iue, proun esmottgrtdo,

Tout à l'entortr dins la negrrrro liuencho

Ounte cresié totrjortr qu'entre lis uubre

Qr~aucr~n desabihado t'espinchèsse.

Pièi z,~u, dins lou courrènt de l'aigo molo,

Descendié 'ncaro un part, alusentid~

Pèr li rai de la lune que beisavon

Sotin fin cotrtet, sa jorrino car ambreneo,

Si bras potrpin, sis esquino rabloto

E si pousreto armou»iouso e jermo

Qpe s'amagavon corrme dos tourtouro ·

Dins t'erparpai de sa cabelad«ro.

Lou mendre brut, un pèis que foro l'aigo

Pès mourqueja faguèsse uno ercoupeto,

Lou gourgoui rt'uu embrtt, quand emboutiho,

Une rato-penado que quilèste,

Pèr un tavan uno fireio batrtdo,

lé viravo soun cor coume uno toumo.

CIIANT VI, LE DRAC.t47

laissant ouïr le ronflement du Rhône.

Les vers luisants éclairaient parmi l'herbe;

les rossignols perdus au lointain

se répondaient, amoureux, dans les arrGere;

ct Ic clapotis de l'onde coureuse

s'entendait rire. A terre la petitelaissa d'un coup tomber sa chemisette

et dans le Rhône, ardente et tressaillie,

lentement elle entra, penchée, croisant les mains

sur le frémissement de ses deux seins de vierge.

Au premier frisson, avec un soupir

elle fit halte un moment, hésitante,et de côté et d'autre tourna, tout émue,

les yeux autour d'elle dans l'obscurité

où elle croyait toujours qu'entre les arbres

quelqu'un, dévêtue, l'épiât de loin.

Puis peu à peu, dans l'eau moelleuse du courant

elle allait encore, vivement éclairée

par les rayons de la lune baisantsa nuque fine, sa jeune chair d'ambre,ses bras potelés, ses reins bien ràblés,et ses petits seins harmonieux, fermes,

qui se blottissaient comme deux tourterelles

dans la diffusion de sa chevelure.

Le moindre bruit, soit un poisson qui fit

un ricochet sur l'eau pour saisir une mouche,le gargouillis d'un tourbillon qui ingurgite,le cri aigu d'une chauve-souris,

une feuille battue par l'aile d'une insecte,

lui tournait le cœur comme une jonchée 4.

CANT \'1, ~ou DRA.y8

Lili

E davJlvvo. blai, jrrsqrro à la cencho

E pièi plus aut, de se senti vestido

Pèr lora mantèu rrfvnotu de la riaio,

Penrè plus qu'au bonur de tout sotrn éstre

hlesclvdis, cotrnforrndu 'mé lou grand Rose.

Souto si pèd l'areno èro tant dorrFo! i

Uno michour, rrno frescour tebeso

D'un imorrrorrs chalun l'vb?ntrlot~pavo.

A Jlottr de pèrt, ~t jlortr de cvrnarlnro,

Vesivdvmen li vertoulet de l'ottnrlo

lé fvsien de porrtoun, de sousseleb~tre,

En murmurant de suàvi parvrrlo

Qire i'adusien l'espaime de plasènFo.

Qirand tottt-d'rur-cop, dins l'aigo boule~uiv~E trelttsènto i rai de la lugvno,

Eilvlin founs, espvndi sus la mousso

D'rrn jas estnervrrdin, que te vai vèiret

Un bèta jouvènt qt~e ié fasié cachiero.

Enroula coume un diéu, blanc coume ev~ri,

Oundejavo emé l'otrrtdo e sa man linjo

Tenié 'no jlour d'esparganèrt sduvage

Qfrc presentvvo à la jouvènto nuso.

E de si bouco atretnoulido e tnarfo

Sourtien de mot d'amour o de mistèri

Qf~e s'esperdien dins l'vigo incorrmprensible.

CHANTVI,

LE DRAC.149

LIII

Et de descendre. Mais jusqu'à la ceinture,

et puis plus haut, tout aise de se sentir vêtue

par le manteau fastueux du torrent,

elle nc pensa plus qu'au bonheur de son être

niété, confondu avec le grand Rhône.

Le sable sous ses pieds était si doux!

Une impression moite, une fraicheur tiède

l'enveloppait d'un charme halitueux.

A fleur de peau, à fleur de carnation,

mignardement les ondes tournoyantes

lui faisaient des baisers, des chatouillis,

en murmurant de suaves paroles

qui lui donnaient des spasmes de plaisir.

Quand tout à coup, dans l'eau mobile

et transparente au clair de lune,

là-bas au fond, étendu sur la mousse

d'un lit d'émeraude, que va-t-elle voir?

un beau jouvenceau qui lui souriait.

Roulé comme un dieu, blanc comme l'ivoire,

il ondulait dans l'onde et sa main effilée

tenait une fleur, fleur de cr jonc fleuri Il,

qu'il présentait à la fillette nue.Et de ses lèvres tremblantes et pâlessortaient des mots d'amour mystérieux,

dans l'eau se perdant incompréhensibles.

CANT 1'1~ LOU DRA.1 ro

Dc si rlous iue cut~rrèu, pivelnire,

Éu lu fasié veni, ~·ravoujo, nèco,

Drsulrn:rdn e barbelan'o, nu rode

Orrnte lou cors e l'arno rrirlon sebo.

Enclarrso dins lou riéu pèr l'cscanfestre

F.mai pèr un de%iurmen rstnrnbe,

Èro, la parrro, agrri cotrme un que sounjo,

Qs'es esglaria pèr gu~rrrco pdrt counfitro

E que, rfe courre, acri i'rs impousrible.

li qrranrl durbié lis irre vers lotr trevairr

Qu'envirouna rle sa lufonr lachenco

Semblavo l'eipem dins si bras rouple,

Un frerrirnrn d'amour invorrlount~iri

Souto lou cèrr la jitavo en languino

E ié fasié plarr plan mottri li veno.

LIV

De l'arnour qrt'espeliro bennrvn~o!

o paradis de l'amo creferelln!

A-n-un rnoumen que lou b~rlans ddu Jlumela rôrrlevavo e mvrantvvo touto,

De-revesreto, emc rorrn pe~u en Jloto,

Lis iue barra pèr crerrto de se vèire

Li rlorrs porrpèrr qn'en rnbre porrnchejvvon,

Se vai scnti, proumte courne un eslirci,

Autour dis anco un aflvt, un delice,

Q~re fresqueirorrs e len ié firsè contro.

CHANT VI, LE DRAC. if[

avec ses yeux félins, fascinateurs,

il la faisait venir, craintive, stupéfaite,

ct haletante de désir, à l'endroit

où crient merci le corps et l'âme.

Ensorcelée par l'émoi dans le fleuve

et par une plaisance étrange,

elle était là, pauvrette, comme celui qui songe

et auquel, effaré par quelque peur confuse,

s'il veut courir, cela est impossible.

Et sitôt qu'elle ouvrait les yeux vers le lutin

qui, entouré de sa lueur laiteuse,

scmblait l'attendre en ses bras souples,

un frissonnement d'amour spontané

la jetait en langueur sous la voûte dit ciel

et la faisait doucement défaillir.

LIV

De l'amour naissant ô bonheur suprémel 1

o paradis de l'àme à foi naïve 1A un moment où le branle du fleuve

la soulevait et palpait tout entière,

à la renverse, les cheveux flottants

et les yeux clos par la crainte de voir

saillir sur l'eau les pointes de sa gorge,

soudain, comme l'éclair, elle sc sent,

autour des hanches, une approche, un délice

qui l'a frôlée d'une fraiche caresse.

CANT VI, LOU DRA.if2

Ai! c destresrorrn.rdo eto r'adrèisso,

D'un viro-man rejito sotrn pért morrisse

E vèi fugènt, dins lou ~·lnv.rs de l'aian,

Uno orunbrinello 6larrco e serpentino

Qlre desparèis. Èro lou Dra. Sapiènto

Di mino que tenié, l'Angloro, elo,

Lou corrneianè fort bèn, qu'a sa cenchado

S'anè trouv,r rnbran rrno florrr roso

D'esparganérr. Dins un tau treboulèri,

Elo pamens, t~rouso e pantaiortso,

Prenguè la flour nadanto e s'anè jaire.

hlai en degun, Fo que venié de vèire,

Bèn s'enb~ardè, mibnoto, de lou dire,

Jalouro qra'èro, autant coume uno c~rto,

De ra vesiorrn trop lèu despareigrtdo.

Ali! quant de cop, aquel estiéu, la jorrvo,Dins si langour de niue de toufourado,

I lunesoun clarino de setèmbre,

RevenJUè mai au delicious rescontre!

t1lai remrrquè 'no cateso qu'h la ruueio

Ttiuti li jes qu'en intrant se signavo,

Corune f~rsié toujour estènt pichoto,

De-bado au brifu de l'aigo segrenouso

Avanquissié sotrn cors de piéuceleto

A~uéli niue, lou biu ghrri ddu RoseAu bagnadotr, pauro pichouno, espèro

Qlr'esperaras, à t'espèro rnanc~rvo.

lieu-6-

CHANT VI, LE DRAC. if]

Aïc! elle se dresse d'un sursaut,

d'un tour de main rejette ses cheveux ruisselants

et voit, fuyant dans la masse liquide,

une ombre vague, serpentine et blanche,

qui disparaît. C'était le Drac. Instruite

de ses façons d'âgir,I'Anglore, elle,

le reconnut fort bien, ayant à son giron

trouvé à l'instant une ombelle rose

de jonc fleuri. Pourtant, malgré son trouble,

elle prit, tout heureuse et pleine de son rêve,

la fleur qui nageait et retourna au lit.

Mais à âme qui vive, ce qu'elle avait cru voir,

elle sc garda bien, mignonne, de le dire,

jalouse vraiment, autant qu'une chatte,

de sa vision trop tôt évanouie.

Ah! que de fois la jeune fille, cet été,

dans ses langueurs de nuitée chaude,

aux lunaisons si claires de septembre,

revint au délicieux appât de sa rencontre!

Mais elle remarqua une chose à la cr mouille »

chaque fois qu'en entrant elle s'était signée,

ainsi qu'étant petite elle faisait toujours,

au cours fougueux de l'eau mystérieuse

en vain livrait-elle son corps virginal

dans ces nuits-là, le beau génie du Rhône

11la baignade, pauvre petite, attends,

attends toujours! lui faussait compagnie.

9.

CcrlJ~? SE?EJ~

L..a ro;~I,T ']} 1: ~ou~R~Go

LV

Orrnte rlerian La rigo corrndriéulen~~o,

Art fir'rs de l'orrnrlo, intnrvo ~i l'archipèln

D~rr Alalrrtnr, pleu d'arrGre e de verdrrrn,

Quand, torrto riso«lrto, sus la ribo

Apareiguè, corune s'es di, l'Angloro.

Tdti! a fa lou grand patrotrn di barco

En estendént li bnrs en travessiero.

Se trais lou carr en terro; la chatotrno

G'env~uto ~i-n-rru sortcas; l'mni Jan Rocho

Dest~rco lé« lou néb·o-clrin Poulido,Arten, dis, ~« de~lins, que peses gaire.

E d'aise, l'ugunt~rnt pèr la cent«ro,

Éu l'isso dirrs la nau, hopo lanlèro!

Cud«n ié vèn touc~r li cinq rarrlino,

CHANT SEPTIÈME

LA FONTAINE DE TOURNE

LV

Où étions-nous? Le train de Condrieu,

au fil de l'onde, entrait dans l'archipel

du ~lalatra, plein de verdure et d'arbres,quand, toute souriante, sur la rive

leur apparut, comme il s'est dit, l'Anglore.

Arrêt! s'est écrié le grand patron des barquesétcndant les bras transversalement.

On jette l'amarre en terre; la fillette

la noue un vieux tronc; l'ami Jean Roche

détache la nacelle aussitôt, et cr La belle,

allons, dit-il, dedans Tu ne pèses pas lourd.» n

Et, doucement, la prenant par la taille,

il la hisse, houp là là dans le bateau.Chacun vient lui toucher les cinq saraines'.

CANT VII, LA FONT DE TOURNO.if6

C~rdun ié f~ri Eli! bèn, que dis l'Anglorol

Dise tout bèn de vous. E la pôurito,

N'i'a ? n i'a ? N'i'a pas ~ue n'i'agué, dins li remo,

Alrri toujour coume acû, basto que dure!

Lev~rdo v~uto au mu, van qucrre eu foro

Lou gros pilot dôu pont, e vogo à b.rirso!

Or tout revircorrla de rire em'elo,

Qu'en pro i èro assetado la pichouno,

Jan Rocho if ven~rrè Santo que canto!

S'aviés pas mai de rèn que iéu, Angloro,

Sabes pas que f~rrian? P~rncaro, digo.

Flr! bèn, deman nu vèspre, dins Bèu-Caire,

Anarian vèire ensèmble li ronmèrli;Farian paréu sus lorr Prat; en brasseto,

Vers li bôruniano que tiron l'ercorpe

Nous f~rrian dire la bono fortrtrrno;

Vtintejariun pér ttiuti li c~rbano;

Te croumpariért un bèl anèrr. De vèire!

Noun, pas de vèire d'or. E, rèire-frero,

Te menarüu pèr n ivio ~r S;rnt-blaurire.

Boudiéu! en ;alej.rnt faguè la chato,

Pèr demoura tout l'an amouat soxleto

Etné de gènt que soun jorgoun fai rire?

Ah! vai, que nosti rigeurloun soun brave

Pér danreja sus li b~rrb~iho ensèmble.

Jan Racho, noun; e tè, vos que te di~·ue,

léu, moun franc valentin? Siés un bon drole,

Siét gros, gaiard, riér (corrme dis moun paire)

Un ribeirc~u de la proumièro lèvo.

hlai n i'u'n mai avança que tu, moun omel

CIIANT Vil) LA FONTAINE DE TOURNE. If7

chacun lui fait cr Eh bien, que dit l'Anglore ? JIa

c Je dis tout bien de vous. JI cr Et la cueillette,

ren a-t-il ? JI « Pas trop, dans les sablons.

Mais toujours comme ça, on est content 1JI

Le câble démarré, ils vont prendre en dehors

le gros pilote du pont, et en aval 1

Or, tout ravigoté de railler avec elle,

car à la proue s'était assise la petite,

Jean Roche dit CI:Sainte qui chante't 1

si tu n'étais pas plus sensée que moi, Anglore,

cc qu'on ferait, sais-tu ? JI cr Pas encore, dis. IJ

c Eh bien, demain soir, dans Beaucaire,

nous irions voir les comédies ensemble;

en couple, sur le Pré, bras dessus bras dessous,

vers les bohémiennes qui font l'horoscope

nous nous ferions dire la bonne fortune;

nous trôlcrions par toutes les baraques;

et je t'achèterais un bel anneau. JI CIDe verre! JI

« Non, pas de verre d'or. Et, fin de foire,

jc tc ramènerais pour femme à Saint-Maurice. D

« Ho fit en plaisantant la jeune fille,

pour demeurer tout l'an là-haut seulette

avec des gens dont le jargon fait rire? JI

« Ah! que nos rigaudons, va, sont charmants

pour danser ensemble sur les chènevottes. JI

crJean Roche, non; et tiens, veux-tu que je te dise,

moi, mon franc v~lenti~ts? Tu es un bon garçon,

tu es gros et gaillard, oui (comme dit mon père),

tu es un riverain de première volée.

Mais il en est un qui t'a devancé, mon brave f

CANT V11~ LA FONT DE TOURNO.IfS

Un que dinr li revdrr, que dins li toumple,

Dins lis englor~tidorr, li cros, li mrreio,

7"embor~rrarié, te negarié, moun par~re,

Se te prenié de pesca dinr sa lono.

E r'esclatè la chato d'rrn bèu rire:Talo rrno perqrrciro%, quand cabrusn

Pèr aganta 'n peisrotrn e que rerporrrco.

LVI

D~u tèmr que l'~urtre, nè, Joua~no en silènci,

Ddu tibanètr mounte dourmié lou prince

Guilrèn d'Arrrenjo, lâvi eorsme r~n astre,

Veici que sort, tenènt ri la man drecho

Un brout d'erparganèn que vèn de rneie,

De l'nntre las rle la nart, sus la lono,

E rarrtejant, tout dourmi!rour encaro,

A miejo voues, la c~rnroun de Veniro

Sus moun batèu que lando

Nous raubaren au fres,

Car siéu prince d'Oulando

E noun ai pbu de resl

Tè! rarié pas aquérr Jaguè Jan RochoEn la ~uitant pèr courre vers l'empento,

De l'autre bnr~t, que blèrte Apian bramavo

CHANT Vil, LA FONTAINE DE TOURNE.If9

un qui dans les gouffres, qui dans les abimes,

dans les tourbillons, les bas-fonds, les mouilles,

t'cnfoncerait, te noierait, malheureux,

s'il te prenait pêcher dans sa lone. »

Et d'un beau rire éclata la fillette

pour happer le poisson, telle une mouette plonge

ct fait rejaillir l'eau.

LVI

Pendant que l'autre, penaud, boude en silence,

voici que, de la tente où il dormait, le princeGuilhem d'Orange, pimpant et radieux,sort, en tenant la main droite

un brin de jonc fleuri qu'il a cueilli

sur la lone, de l'autre côté de la barque,

et chantonnant, tout somnolent encore,

à demi-voix, la chanson de Venise:

Sur mon bateau qui file

Viens, je t'enlève arr frvis

Car, prince de Hollanrle,

Je n'ai peur de personne.

Tiens, ne serait-ce pas celui-là ? Dfit Jean Roche

cn la quittant pour courir au titnon,

vers l'autre bout où Maître Apian criait

CANT Vit, LA FONT DE TOURNO.160

!é fas lorr conte de la Barbo-Bluio,

Qrre! gal~pian, o de la hlelusino,

A-n~rqrtelo drouletn? Mai l'Angloro,

Entre véire lou prince como bloundo,Èro rubitamen vengurlo palo

Fagrtè, roren sang, un cubtrs dins si veno

Que, d'enton!-lèrr, toumbavo cor falido.

Es éu! es érr! qrrilè coume r~no folo

En s'agripant de-reculoun i corrrbo;

E tau qu'un diéu, èro aqrri, la paureto,

Que lorc belavo, amonroruo e crea~nènto,

Coume rrno bourc~rrirlo pivelado

Que, d'raio serp à la regarrhrduro,

Irresistiblamen f~ru que degole.

L'esperit e lou cor en meraviho,

En ié risènt d'nno faFoun courteso,

Grrihèn alor ié dis Te recorrnèisre,o flotrr de Rose erpelirfo sus l'aido!

Flour de bonur qu'ai entre-visto en rounge,

Pichoto flour, la bén trouvado-jugues!

Resporrndegrrè, tout-d'un-cop enardido

Te recot~nèisre, o Dra! Souto lu lano

rai vist en man l'esparganèu que tènes.

A ta barbeto d'or, à ta pèu blanco,

A tis itre glar ~u'embernon e trafrrron,

Vese quau siés. Cuihèn la Jlorrr ié dorrno,

E tdrrti dous, Ji~a pèr lorr mistéri,

An tresana. Car lis amour van vite,

Uno fer dins la nau que lis emporto,

Predestina, sus lor~ flot.

CHANT VII, LA FONTAINE DE TOURNE. t6t

Tu lui fais le conte de la Barbe-Bleue,

dis, garnement,ou de la Mélusine,

à cette bachelette? n Mais l'Anglore,

dès qu'elle a vu le prince aux blonds cheveux,

était soudain devenue pâle

le sang lui tourna si fort dans les veines

qu'clle faillit tomber en pâmoison.« C'est lui! c'est lui 1 cria-t-elle alfolée,

cn s'agrippant à reculons aux courbes;

et, tel qu'un dieu, la pauvrette était là

qui l'admirait, amoureuse et craintive,

ainsi qu'une fauvette fascinée

qui, au regard d'une couleuvre,

irrésistiblement est obligée de choir.

l'esprit et le coeur émerveillés,

en souriant d'une façon courtoise

Guilhem lui a dit cr Je te reconnais,ô fleur de Rhône épanouie sur l'eau 1

Flcur de bonheur que j'entrevis en songe,

petite fleur, sois-tu la bien trouvée! D

Et elle répliqua, tout d'un coup enhardie

fi Drac, je te reconnais car sous la lone

je t'ai vu dans la main le bouquet que tu tiens.

A ta barbette d'or, à ta peau blanche,

à tes yeux glauques, ensorceleurs, perçants,

je vois bien qui tu es. J) Guilhem lui donnela fleur, et tous les deux, liés par le mystère,

ont tressailli. Car les amours vont vite,

une fois dans la nef qui les emporte,

prédestinés, sur le flot.

CANT VII, LA FONT DE TOURNO.162

LVII

Lis arcado

Dôra Pont Sant-Esperit, espetaclorrso,

le passon en triorrnfle sus lit tèsto.

Li burcatiÉ, beisrant lou front, ralrrdou

Sunt t<licorrlau rlins sa c~rpello antico,

Demoulido arr jonr-d'rrei, mais qrr'nparavo

1 tèmr ancian l'arcado mariniero,

Pèr soun engorrlidon tant dan~eirorrro

Q~re li batèrt perdu nonn se ié comton.

La Prouvènfo oparèir es sorrn intrado,

Lou Pont Sant-Esperit emé si pielo

E si vint arc superbe que se courbon

En gr~iso de courouno sus lou Rose.Acô's la porto santo e courorrnello

De la terro d'amorrr. L'arrbre d'tirrlivo,

Lou mitiugranif tout fidr de si papairri

E li gràndi mihiero capelrrdo

Orrndron deja li cremen e li costo.

Lou plan se relargis, li bro verdejon,

Dins lou clartin lou cèu s'enrparadiso,

Lis Uba dtirr Ventour se laissort vèire

Lou princihoun d'Aurenjn e la piclroto

Rapugarello d'or, ié rèmblo qu'intronDins la benedicioun. Éu se delèto

CHANT VII, LA FONTAINE DE TOURNE. 161

LVII

Les arcades

du Pont Saint-Esprit, prodigieuses,

leur passent en triomphe sur la tête.

Les bateliers, baissant le front, saluent

saint Nicolas dans sa chapelle antique,

démolie aujourd'hui, mais qui sauvegardait

aux temps anciens cr l'arcade marinière JI,

dont l'ouverture était si dangereuse

qu'on n'y compte plus les bateaux perdus.

La Provence apparait, car son entrée,

c'est le Pont Saint-Esprit avec ses pileset ses vingt arcs superbes qui se courbent

en guise de couronne sur le Rhône.

C'est là la porte sainte, la porte triomphale

de la terre d'amour. L'arbre d'olives,

le grenadier, fier de sa floraison,

et les millets aux grandes chevelures

orncnt déjà les côtes et les alluvions.

La plaine s'élargit, les orées verdoient,

dans la clarté le ciel s'emparadise,

on aperçoit les Ubacs du Ventour4:

le princillon d'Orange et la petite

glaneuse d'or croient pénétrer d'emblée

dans la bénédiction. Lui se délecte

CANT Vil, LA FONT DE TOURNO.164

(Ai! !~r bevèudo Jrerco e deliciouso!)

A bérrre dins aquelo jorrvcrtttrroLa vido à soun rourgèut que gorrrgotrlino,

G'esmer~tvilrameu de l'amo novo

Qr'err ttirrti !i mirege fai bougrretoE qrr'ù sorrn ilrrsioun se liéttro touto.

LVIII

Dôu trassegrtu d'atnour elo embriago,

Dins aqrtéu bèrr se~nour que l'em¢elino

Retrovo en plen lou Dra que sonto l'erso,

Au tremoulun blartqrtinètr de la Ir~no,

G'rr t~rnt e tant de fes enf~rcl«rtado.

E que i'a d'estounant que, diétt dtirt Rose,

Se cortmplaigrte à tre-~a, dias soun caprice,

Erné li barco e li ~ènt de ribiero!

Vesèn-ti pas li vibre, à founs de culo,

Veni dins li batèu, de fer, s'escouttdre,

Qf~e fau, pèr li coucha, se batre em'flil 1

Patrortn Apian, lou gros Tüni em~ti d'autre,

Vers li roucas eilatnount de Dounuro,

L'an-ti pas virt, lou Dra, souto la formo

D'un cotrlot~brvtt gros coume uno boutiho,Sali dôtt Rote, intra dins li bladadoEn toursènt lis espign e farènt d'oundo

Que lou pilot, dôu segren, n'rtgrrè fibre

16fCIIANT VII, LA FONTAINE DE TOURNE.

(ah!la boisson délicieuse et fraiche!)

à boire dans cette jeunessela vie à sa source toute bouillonnante

et l'émerveillement de l'àme neuve

qui sourit à tous lesmirages

et sc livre toute à son illusion.

LVIII

Elle, enivrée par le philtre d'amour,

dans ce beau seigneur qui la charme

retrouve en plein le Drac, qui sous la vague,au blanc tremblement de la lune,

fa fascinée tant et tant de fois!

Et quoi d'étonnant que lui, dieu du Rhône,

se plaise à fréquenter, dans son caprice,avec les barques et les gens de rivière 1

Ne voit-on pas les bièvres s, à fond de cale,

venir dans les bateaux, quelquefois, se cacher,au point que, pour les mettre hors, il faut se battre

fatron Apian, le gros Toni et d'autres,vers les rochers de Donzère, là-haut,

n'ont-ils pas vu le Drac, sous la forme

d'un serpent ou dragon gros comme une bouteille,sortir du Rhône et entrer dans les blés

en tordant les épis avec des ondes telles

que le pilote, d'effroi, cn eut fièvre

CANT VII, LA FONT DE TOURNO.166

E ié vengrsé pertout de sourtidnro! i

L'an-ti p~rs vist tambén dins la Cortrrejo

D6u Pichot Rose, au téms que se rmirsorrno,

S'esqrrilr~t d'acatoun sorrto li fattdo

De grtvuco lig~rrello entre-dorrrmido

E, se i'entotrrtorriant à la centrero,

G'estresnc douFamen emé si ~drtto

E ié tet~t lori seu, d'aqrsi-qrre toumGe

De regaladn emui de tadortlib?e!

LIX

E disié tout acd, l'er~luriado,

I tnarinié que, de la vèire en dèrtrc,

De pau à pau s'èron afluta d'elo

o que de lirren aparavon l'unriho.

Eh! bènl qu~rnd te disiéu, fusié l'Anbloro

'A Jun Roclro esbuhi que la miravo,

Qir~rnd te Jisiéu, barGrrr, qrr'éro mai lèri

Que ges de ribeirdu d'aquésti costo! 1

Agacho-lou, tout bèu, que sénrbJo un prince!

Parai 1 tnounrèi, moun Dra, moun enmascaire,

Q,rre morrstrvras à la tiéu amigrreto

Li tertbrrdo que trèves sot~to Rose,Dins li roubarr dôu palais de la Trouio

E rl'uqnéu dôu Granc! Priéu en ribo d'Arle,

E li baumo d'Ardecho, revertido

CHANT VII, LA FONTAINE DE TOURNE.167

et que son corps se couvrit d'élevures!

Et ne l'a-t-on pas vu aussi, sur la lisière

du Pctit-Rhône, au temps de la moisson, i

en tapinoisse glisser sous les jupes

de quelque moissonneuse à demi endormie

ct, s'cntortillant autour de sa taille,

rélrcindre doucement de ses circonvolutions

et lui téter le sein jusques à ce qu'il tombe

assouvi de lait et de volupté!

LIX

Et tout cela, l'hallucinée

le disait aux nochers qui, devant son transport,

s'étaient rapprochés d'elle peu à peu

ou qui de loin prêtaient l'oreille.

cQuand je te le disais, eh bien? D faisait l'Anglore

à Jean Roche ébahi qui l'admirait,

c quand je te le disais, badaud, qu'il était crâne

plus que pas un riverain de ces côtes!

Rcrde-le, tout beau, qui ressemble à un prince!

N'est-ce pas, mon Drac, mon roi, mon enchanteur,

que tu lui montreras, à ta petite amie,

les endroits que tu hantes sous le Rhône,

dans les sous-sols du palais de la Trouille

et de celui du Grand-Prieur, en rive d'Arles,et de l'Ardèche les grottes, revêtues

CA\T Vil, LA FONT DE TOURNO.

Rèn qrr'emé de diamant e de dentello?

Pvrail qu'~r hlount-Dragorrn me vas coundrnre,

Tonn cvstelus ot~nte lu nirte elraqttejes

E que vesèn escalabra si tourre

Sus li rouras arèbre de la clttso?

Parrti ? que dinr Gardoun anaren vèire

Lou fornotts pont que bastigt~è lort diable

Erné la lèbre que i'empcguè contro?

Par~ti? qrr'anvren vèire dins lis erme

A miejo-niue la flumo dis Orrlr~rbue

Que van plottrant e âemissènti rode

Oatrte an aclupu d'or, qu'ar~ié arèvo

D'èstre mort descotrnfeJ,,¡ l'imprevisto,

Sènso avé decela rorrn escotrn~lrrdo?

168

LX

I3otrrrin-bourrant, dins lon trelu, l'An'loro

Coume un rsterveiet quese desviro,

S'èro enar~rado ansin, lis itre alabre

E de l'rsgl~i la roro sang-begnrlo.

blai érr, Cuürén, r~rvi rfe sotrn rescontre

Qr~'rn plen païr alegri lou sôulèvo

0, ié reipond emé Jotrn plan d'Oul~rn.lo.

Te meuarai pertout, bello amigueto! 1

De rna principauta mourgunatico

D'Aurenjo, tu, siegtres la fabulor~so

CHANT Vit, LA FONTAINE DE TOURNE. 169

ricn qu'avec des diamants et des dentelles?

N'est-ce pas que tu vas me conduire à Mont-Dragon,

ton grand château, où la nuit tu dragonnes,ct dont nous voyons se cabrer les tours

sur les rochers escarpés de la cr cluse JJ?

N'est-ce pas que nous irons voir sur le Gard

le fameux pont que le diable y bâtit

avec le lièvre qu'il y pétrifia 6?

N'est-ce pas que nous irons voir dans les terres vagues,

sur le minuit, la flamme des Oulurgues

qui vont pleurant et gémissant aux lieux

où ils ont enfoui de l'or, car il leur pèsed'ètre morts soudain et sans confession

et sans avoir décelé leur cachette? »

LX

Ainsi, dans le bleu l'Anglore en mots pressés,

vrai moulinet qui se déroule,s'était exaltée avec l'œil ardent

et d'effarement le visage exsangue.

llais lui, Guilhem, ravi de la rencontre

qui le soulève en plein pays magique 7

a: Oui, répond-il avec son flegme de Hollande,

je te mènerai partout, belle amie!

De ma principauté morganatique

d'Orange, tu seras la fabuleuse

10

CANTVII,

LA FONT DE TOURSO.170

Oundino, siegues la f~rdo Maurgano!

E'n se trttfant li marirtié dib·rrèron

G'avès arrsido ? a perdu la Goussolo.

Aunr begu, pauro! ir la font de Tonrnn

Que fri, cortme se dis, vira canttrrlo.

G'An~loro, fiéro adamount sus lou tèreme.

Piqrrè d6u pèd ern' reno ric~rnrrlo,

E de sorrn irre jarrrèrr frssunt la cliorrrmo

P~rrlas-n én plan, saGès t ~ènt de marlil0,

D'aqrrelo font, alin, cridè morrsqrrcto,

Qlre voste sort i'es escri sus la roco!

Noste sort l rleqrrérlis l'cstrelrrcado ?.

Parèis que vuei sara sorrn jour de lrrnn,

Brounainejè la barcado en felorrpo.

LXI

Tranquilamen, au fiéra de l'aigo Gelln,

Li Garco dercendien, riGejant d'isclo.Èron entre hfo:rrnas e Sant-Estève

Di Sort (aquest, rec~iti d'escurnaire

Ql~and un enfant, se rlis, ié vèn au morrndc,

Pèr lou prouva !ou Gartdisson à Rose;E se n'en tonrno, bon pèr la marinoo la rapino, basto). Dins la cltrso

Enmuraiado emé !i fotrrtaresso

Ount debaussè blount-Brrut li S~rrrto-G~irri

CHANT VII,LA FONTAINE DE TOURNE.

171

ondine, tu seras la fée lltorgane!D

Et, se moquant d'elle, les mariniers dirent

« L'avez-vous cntendue? Elle a perdu la carte.

Pau\'re! elle aura bu à la fontaine de Tourne

qui fait virer la tête, comme on dit. D

llais l'Anglore, campée fièrement sur la tille,

frappadu pied en ricanant,

et sur l'équipage fixant son œil fauve

N'en parlez que tout bas, savez-vous, mariniers

de cette fontaine, cria-t-elle brusque,

car sur la roche, là, votre sort est écrit! D

Notre sort? que dit-elle encore, la visionnaire?.

Cc sera, parait-il, aujourd'hui, son jour de lune, D

murmura-t-on en groupe sur la barque.

LXI

Tranquillement, au fil de l'onde belle,les bateaux descendaient, longeant des iles.

On était entre blornas et Saint-Estève

des Sorts (repaire d'écumeurs, ce coin-là

lorsqu'un enfant, dit-on, y vient au monde,

pour l'éprouver, dans le Rhône on le jette;

s'il en retourne, bon pour la marine

ou la rapine8, bref). Au défilé,

muré par les remparts des forteresses

d'où fltontbrun fit jadis sauter la garnison9

CANT VII, LA FONT DE TOURNO.172

E que soun uoum ié rado enca terrible

Emf li cvportn fèr, de rouino en rouino,

Intravon li sèt barco. hlvi sus l'orle,

Talo qrt'uno sibilo, adortnc la vierge

Enartrvnt soun bras nus, ensuperbido

Pèr lou pantai ferouge que l'enclrusclo,

Digrtè La font de Tourno es un ourvcle!

La fcn' de Tourno, arjuéli que l'an visto

M'engvrdvrvn de menti, s'vvès doute.

G'vigo ié sort d'un ranc, pleu de Ivmbrrtsco,

D'entrvvadir, de bouis e de frguiero,

Fourmant un nvi (lou Grvnrl Conrb~, que l'vpellon'.

Sus la paret dda ro, dins un encvstrr

Que regardo lora Rose, avès en sabre,

Escrincelu derpièi grr~rtt saup li siècle,

La Luno fèlo e lou Soulètt qn'erpinchon.

Vers lou mitan 'i 'n bi~u, que vai lott pou,~?ne,

Au vèntre un ercourpioun, un chin lort snorrlre,

Em' uno serp. qu'à si pèd fvi d'oundado.

Lou brvu, plus fort ~rte tout, a tengrt tèsto,

Quvnd un jouvènt, emnvntelv dôn ristre,

Un frèr jottvènt, cor~ifv de Jv borateto

De liberta, ié tvnco sa ligousso

E lorr coto. En rlessrts dôu mourtvlvge

Un courpatas esfrvious vortlvstrejo.

Devine-lor~ qrr.lu pdu, vqrtér~ mistèri!

CHANT VII, LA FONTAINE DE TOURNE. 171

et où son nom terrible plane encore

avec les vautours, de ruines en ruines,

entraient les sept barques. Mais sur le plat-bord,

telle qu'une sibylle, alors la vierge

clc\'a son bras nu et, dans l'orgueil

et dans l'enivrement de son rêve farouche,

elle dit cr La fontaine de Tourne est un oracle!

Ceux qui l'ont vue, la fontaine de Tourne,

me seront garants, si vous avez doute.

l'eau y sort d'un rocher plein de vignes sauvages,

de clématites, de buis et de figuiers,

formant un réservoir qu'on nomme le Grand-Gourg.

Sur la paroi du roc, en un encadrement

qui regarde le Rhône, vous avez dans le haut,

gravésdepuis. qui sait les siècles?

le Soleil et la Lunc mauvaise qui épient.

Vers le milieu, un boeuf, que sous le ventre

un scorpion va piquer, qu'un chien va mordre,

et un serpent qui à ses pieds ondoie.

Le taureau, lui, plus fort que tout, a tenu têtc,

lorsqu'un jeune homme avec manteau flottant,

un fier jeune homme, coiffé du bonnet

de liberté, lui plonge à la nuque sa daguect le tue. Au-dessus de la scène tragique

un corbeau effrayant étend ses ailes.

Devine-le qui pourra, ce mystère 1 p

o.

CANTVII, L.~ RONT DE TOURNO.

174

LXII

E rotrdihè, tulo qn'r~n esnrlustre,

Sus li barquié sis ine en furandoulo.

lérr, escoutus! en cereant rni paiolo,

Cotrrtttrrtiè pièi, un jour, de rntreio ert muein,

Dins lorr rugas driu rién m'ère ngrrnrlirlo.

E i'a 'no vièio tnusco borrrgrresunoQne me venguè « hliro la grav~rrlrtro

Que i'u sns u~rréu burrs! Li Fadarello

QIJ'~i tèrns passa trevavon ndsti borno,

Pirlroto, es éli que l'an engirnbr,rrlo.

Lotr bi~tt ~ue veses, lotr Rorran, que trimo

Art regard dôrt Sorrlèrr e de la Lrrno,

Au bèrr mitan, svbes qrrau represènto? J

l,'unti~ue l~urc.rrrs rlôu Jlrtrne Rose,

Que de pcrtotrt I'dsS~rIrtJlr, l'tJb?trrrJSS011

Lou rn.rrri~lrrn c lou trigos Je l'orrrrdo.

Lou rerpatas que souto d'érr burrrrlo,

Acd's lou Dru, lou diéu tle l"~ ribiero;

E lou jouvènt qu'uu br~rrr tanco l'espuso,

Lou jouvenas que porto sus Ja tèsto

Lou bonnet rouge, ensorrvèn-te, piclroto,

De Fo ~lrre te predire, es lort rlestrüssi

Que rfèrt un jour trta la tnarinaio,

Lou jour que pèr torrjour, rle lu ribiero,

N'en sorrrtira lott Dra que n'es lort gèni!

CII.\NT VII, LA FONTAINE DE TOURNE.17f

LXII

Et elle promena, comme une possédée,

sur les nautoniers ses yeux à la ronde.

Puis continuant CI Écoutez-moi, dit-elle;En cherchant mes paillettes, un jour, de mouille en mouille,

j'3\.ais pris et suivi le ravin de la source.

Et une vieille sorcière du Bourg'°

m'accosta et me dit cr Regarde la gravure

qu'il y a sur ce roc! Les fées charmeuses

qui fréquentaient au temps jadis nos grottes,

«elles-mêmes l'ont agencée, petite!q Le boeuf que tu vois là, le Rouan qui travaille

6 au regard du soleil et de la lune,

9au beau milieu, sais-tu qui cela représente?

L'antique batellerie du fleuve Rhône,

«qu'attaquent de partout, que de partout assaillent

c: la malignité, le cahot de l'onde.

«Le grand serpent qui se roule sous lui,

« c'est le Drac, dieu de la rivière;9et celui qui égorge le taureau,

Ic dur jeune homme qui sur la tête portecle bonnet rouge, petite, souviens-toi

« de ma prédiction, c'est le destructeur

«qui doit un jour tuer les mariniers,-le jour où pour jamais de la rivièrecsera sorti le Drac qui en est le génie!

J)

CANT VII, LA FONT DE TOURNO.1¡6

LXIII

Li barquié risien plus cvr sus li dnrtan

Courrié, de liuen en liuen, d'vqrréli rrovo

Que mvrcon rèn de bon. Dins la barcadoLi rnorrssu de Lioun parlavon meme

De gros b;rtèra à frb que pèr machino,

Sènso chivuu ni maio ni frdello,Remorrntvrien contro ai~o. Olr! fo! d'esti~rti

Porrdrien crèire aqrréli frlabourdo!

Br.rmavo Dlèste Apian, quand se charravo

D'v~uélis envenciorrn. hlvi s'avien d'èstre,

Dequé devendrien tant d'ome c d'orne

Que vivon dôrt tralrin de la ribiero,

Ri~aire, carretié, lis rrrtber~isto,Li porto fais, li courdié, tout un mounde

Que fvi lou grau, lou chvmatvn, lou fube,

L'ounour, lort trefoulige dôu grand Rose 1

hlai vesès pas que n'i' aurié, cvvalisco!

Pèr ensuca, bougre, à cop de partego

Tôutis aquéli gus de tiro-l'vufo,

De treboulo-coumrrno e filousofe!

Uno aprensioun pamens, èro vesible,

Venié de s'espandi sus li figuro;

E n'dro pas sèns crento que Jan Roclro,

CIIANT VII, LA FONTAINE DE TOURNE.t77

LXIII

Les bateliers ne riaient plus, car sur les berges,de loin en loin il courait des rumeurs

d'assez mauvais augure. Sur la barque

les messieurs de Lyon parlaient déjà

de gros bateaux à feu qui par machine,sans chevaux haleurs, sans câble ni traille,

remonteraient contre eau. cr Allons donc quelques sots

pourraient croire à ces balivernes! D

bramait Maître Apian, lorsque l'on causait

de ces inventions. cr Mais si ça pouvait être,

que deviendraient tant d'hommes et tant d'hommes

qui vivent du travail de la rivière,

bateliers, charretiers, les aubergistes,

les portefaix, les cordiers, tout un monde

qui fait le grouillement, le brouhaha, la foule,

l'animation et l'honneur du grand Rhône?Mais ne voyez-vous pas qu'il y aurait de quoiassommer, bougre! à coups de gaffe

tous ces gueux d'exploiteurs du peuple,

de perturbateurs et de philosophes 1 p

Une appréhension pourtant, c'était visible,

venait d'assombrir les visages;

et ce n'est pas sans crainte que Jean Roche,

C.1NT 1'll~ LA FONT DE TOURNO.178

Entravuc~r pér taut rlc c~rrrrn treGlo,

Arrebmrr~lr~o aqrrért jottvcut estr~uyc

Qfre, ton raatin d'~rvans, rrrs la pirrelln

Avié suntu, verrènt de sai /rs morrnte.

CHANT VII, LA FONTAINE DE TOURNE.179

embrouillé qu'il était par tant de choses troubles,

examinait ce jouvenceau étrange

qui, le matin d'avant, sur la penelle3va;t sauté, venant on ne sait d'où.

c~a~T vuECxEa~

~1. c~.avactvo

LXIV

Sorrto lou tibanèn lou blorrnd cvlartdre

Emé l'Anb·loro, pièi, tout plan planeto

S'èron rarnba pèr i'èstre un patr à l'orrrnbro.

La frapaciorrn suavo o la rnarcoto

Qu'arr mir~rrnen de l'aigo en~~rnarello

A la lon~o dôrr tèms l'aviè serido,

La tenié Gèn, la chato d6u mudaire;

E'mé sis irre viscard de perdigouno

Qre sèmpre i'eslrrciavo un reforrlèri,

Emé sorra nas cou~uin, si botrco roso,

A!r! n'en jrrtié pas tant, vous assegrere,

Pèr ié douna scrrn mart ara jouine prince!

Mais en que dounc, aquestié remenavo,

M'as cotrneigrr? L'esperitado jonvo

CHANT HUITIÈME

A HORIZON PERDU

LXIV

Le blond galant, sous la tente de toile,

et l'Anglore avec lui, tout doucement

s'étaient réfugiés pour avoir un peu d'ombre.

La suggestion suave ou l'ensorcellement

qui, au mirage de l'eau insidieuse,

à la longue du temps l'avait saisie,

la tenait bien, la fille du pilote;

ct avec ses yeux égrillards de perdreau

où semblait toujours briller un caprice,

avez son nez mutin, ses lèvres roses,ah! pour qu'elle donnâr son mal au jeune prince,

il n'en fallait pas tant, je vous assure!

a Mais à quoi donc, revenait-il encore,

m'as-tu connu? D La jeune hallucinée

CANT VIII,A L~A1'ALIDO.182

lé resportndié Te l'ai j~r di, rnotin mèstre!

La flour d'esparg~rnèr~ qne m'as pourgidn,

La porrrtaves-ti pas, at~ Jouns di mueio,

Qlrand te vcriéu blanquejarrt ~i la lruto,

h1e pivelant vers tu, me fasènt signe

E m'enclausènt emé ti menb·~rrtello,

Tularnen que despièi siéu toun esclavo

E que, se rne veniés à dirc « Vole

Que larnpes erné iért at~ bout d6u morrnde,

Sènr jamai t'arresta, brirlo abatudo,

Cnr~me aqrtéli famous Clrivatt Terrèstrc

Qp'à galop, à galop courrènt de-longo,

Fan lou tour de la Terro, sènso brido,Partiriért en vortlant! hlai se, ma bello,Te disiéu que t'ernbrrles e que parles

Au fiéu dôu rèi d'Oulando à à!asubito

Icr demandé Guihèn. hlonn Dra, l'Anbloro

lé rebriqrtè, diriéu 7ue te tremurles

En touto formo que t'es u~raJouso;

Dirién que te siés mes Prince d'Aurenjo

(Coume ié fas encrèire à la barcado)

Pèr qrtauqrre ramagndu o cigalige

Q1t'es au-dessus de ma coumpreneduro.

hlair te cor~nèisse, iéu, de longo toco

E, moun bèu Dra, vai, que sièr q.re t'escoundes!

T'ai devina rèn qu'à toun èr de prince,

A toun carnen jorrine e Jres corrme l'aia?o,

A tis iue blavinèu, à ta barbetohlai sanro e fino que la glaujo rousro!

CIIANT YI11~ A HORIZON PERDU.181

lui répondait u Je te l'ai dit, mon maitre!

L3 fleur de jonc fleuri que tu m'offris,

ne la tenais-tu pas en main, au fond des mouilles,

quand je te vis, tout blanc, au clair de lune,

me fascinant vers toi, me faisant signe

ct m'envoûtant de tes minauderies,tellement que je suis depuis lors ton esclave

et que, si tu venais à me dire cr Je veux

que tu fuies avec moi au bout du monde,

sans jamais t'arrêter, bride abattue,

ainsi que ces fameux Chevaux Terrestres

qui, courant au galop perpétuellement,font le tour de la Terre, débridés',

je partirais d'un vol » cr Mais si, ma belle,

je te disais que tu te méprends, que tu parlesau fils du roi de Hollande? D soudain

lui demanda Guilhem. cr Mon Drac, Dl'Anglore

riposta, a je dirais que tu te transfigures

en toute forme qui t'est agréable,

et que, si tu t'es mis Prince d'Orange

(ainsi que tu le fais accroire à la barquée),c'est pour quelque lubie ou fantaisie folâtre

qui passe ma compréhension.

lfais je te connais, moi, de longue date

et, mon beau Drac, à quoi bon te cacher?

Va, je t'ai deviné rien qu'à ton air de prince,à ta charnure jeune et fraîche comme l'eau,

au bleu clair de tes yeux et à ta barbe

plus dorée et plus fine que la fleur d'iris jaune! D

CANT VIII, A L'AVALIDO.t84

LXV

Agui, parai! i'auié rèn ~e respondre,

Senoun que d'embrassa la fotrlincllo.

Davans la fe qu'ansin lou diviniso

(Amour, se saup que pèr amour se pago),

Guilrèn d'un fio divin sènt dins si veno

S'atuba l'estrambord, la flamo courre.

E dins !i bras l'un de l'autre cabrrsron,

A plus sauprc di dotrs, éu o l'Angloro,

Qfrint es lou mai enclaus o lon mai ébri.

E vougavon li rwu, ttiuti sorrleto,

Au mitan di coustiero arrengueir~tdo,

Sus l'aigo proumto, emé de long silènci.

De litren en liuert passavo guatrque vibre,

Pér nvé ronn alen rourtènt lou mourre,

Rapidamen davalant à la nado;

E sus l'afrèst di grvndi tèndo flurso

Li barbaran venien, rasant lotr Rose,Faire paureto. D'acatoun, emémble,

Contro l'empielamen di balot morrfle,

A-n-elo éu ié dirié dins soun estrencho

AJlato un pau toun cor plen d'armounio

Contro lort miéu, pèr que l'enténde batre!

Regarder pas dins l'aigo qu'es trop founso,

ReJ.trdes pas la terro gu'es trop liaencho,

CHANT VIII, A HORIZON PERDU.¡8r

LXV

il n'y avait, n'est-ce pas? rien autre à répliquer

que d'embrasser sur le coup la follette.

Devant cette foi qui le divinise

(amour,c'est connu, par amour se paye),

Guilhem d'un feu divin sent dans ses veines

s'allumer le transport, courir la flamme.

Et les voilà qui tombent dans les bras l'un de l'autre,

à ne plus savoir, de lui ou de l'Anglore,

Icquel est le plus ivre, le plus ensorcelé.

Et les barques voguaient à vau-l'eau, toutes seules,

au milieu des coteaux parallèles aux rives,sur le courant, avec de longs silences.

De loin en loin passait quelque castor,

sortant le museau pour reprendre haleine,

rapidement descendant à la nage;et sur le faite des grandes bannes floches

les hirondelles venaient, rasant le Rhône,

se reposer. Dissimulés ensemble

contre l'empilement des ballots rebondis,

il lui disait dans son étreinte

aApproche un peu ton cœur plein d'harmonie

contre le mien, que je l'entende battre 1

Ne regarde pas dans l'eau qui est trop profonde,

ne regarde pas la terre qui est trop loin,

CANT VIII, A L'AVALIDO.186

Regarrles pas lou cèrr, qu'éu es trop vaste

Regardo dins rnorrn amo ounte souleies!

hlai elo, en escartant de sa centrtro

La man dôu princihorrn trop catihouso

Ve, ve, diguè, ve-n'en eila-deforo,

Vers lort dougan, d'aquelo Jlour que cerqtres!

E corrrregué 'n rirr~nt, enfantoulido,

A l'orle dôrt batèn.

LXVI

En paro-plueio

Qpihado att bout d'rrn jounc, la flour rorrsrnc~

S'espan-4issié souleto sus la limo

D'uno pichoto mr~eio noun prefot~ndo.

hfai, Dra, de mounte vèn, faguè l'Angloro,

Que l'ames tant, aquelo Jlotert M'agrarln,

Respoundeguè, pèr-yo-qrre te reverto.

Siés pas la ftortr d'amour, tu gue, nascrrdo

Coume elo au sen rle l'aigo, simboulises

La dileicioren unenco e proumierenco

D'un mounde n~u e bléuge de jortvènFo 1

Elo escoutavo, touto eJperlrrcado,

Aquéli mot galant, plen de magio.

Éli countuniè Te la vau dire, escorrto,

L'istdri de ma Jlour. Dins uno gorgo,

Ar~ pèd d'r~n baus, la bello Galatèio

CIIANT VIII, A IIORIZON PERDU. 187

ne regarde pas le ciel qui est trop vaste

regardedans mon âme où tu es le soleil! »

~lais elle, en écartant de sa ceinture

la main du petit prince un peu aventurée

« Vois, vois, dit-elle, en voici là dehors,vers le rivage, de la fleur que tu cherches! »

Et elle s'échappa, riant comme un enfant,

à l'orée du bateau.

LXVI

Or, en ombelle,

juchée au bout d'un jonc, la fleur rosée

s'épanouissait seule dans la vase

d'une petite mouille peu profonde.Il Mais, fit l'Anglore, Drac, d'où vient

que tu l'aimes tant, cette fleur? a Elle me plait,

ré!Jondit-il, parce qu'elle te ressemble.

N'CHU pas la fleur d'amour, toi qui, née

comme elle au sein de l'eau, symbolises

la dilection unique et primitive

d'un monde neuf et brillant de jeunesse 1 n

Elle écoutait, les yeux tout grands ouverts,

ces jolis mots, pleins de magie.

continua cr Je vais te la dire, écoute,

l'histoire de ma fleur. Dans une gorge,

au pied d'une falaise, la belle Galatée

CANT t'lll~ .1 I.~AVALIPO.188

E lort p.rstorrr Acis, uno vegarlo,

Arsetrr att tZrr, sr cortrrnrvon jortïrro.

Penrrrrrt rn r~u ~tt'ri r~r bono forrrtrrrro.

D6u tèrns que se bevien rrrlni l'rrn l'arttre,

Prreilarnortnt lott p~rstrus P.:rtlif"cme,Q~t'èro un Uiarrl e jalous de l~r ninfo

Courne se pdrt pas rnai, olr! lon Grid morrstrr!

Li vrri decebre av~rrt que frdejrrvon.

Abrama d'iro, arranco rl'r~no roco,

Éli, un clrrpas que torunbo à la b~rrrrrloE vèn, prcaire! escr~rcha sus lit tepo

Gou bèu parèrt. Mercla, sorrn sang regolo!

La terro rnaire e li diért, counrparsiGle

Bèn talurneu! u'ert morrstrèrou miracle.

Acis en rajrirdn faguè ra rnrt:lo;

En flnttr frrguè la siérrnn Calatèin,

La florer d'espargauèn queié sort rlintre,

Rorr~·inello rncrr 'rr pau e paliuortso.

Crrvrrlisco l'Uiarrl! crirlè l'Angloro;

E se virrrnt vers lou prorwié Pèr astre,

Sarié pas trt l'Uiard que nous respicho 1

Di~?rrè 'n risènt ri Jan Rocho. Borrèmio!

Ql~ar~ jogo emé la flamo, un jonr sr brr~sclo,

Prejitè lott rrr~as en grand piqniero.

lllai dirrs l'azur de l'èr, elo auturouso,

Bor~legarrt soun bouquet, la florrr 6uferto

Pèr sorru bèu Dra, di~uè lért sién flouriJo

Pèr lit vertu de l'uib·o rorrnflo, Rose,Dins torrn lié foruu, que srrbe fO que s.rbr!

CHANT V111~ A HORIZON PERDU.189

et le berger Acis, une fois,

assis par terre, se contaient fleurette.

Et ne songeant à rien qu'à leur bonne fortune,

pendant que là ils se buvaient l'un l'autre,

du haut du mont le pâtre Pol}'phème,

qui était un cyclope et jaloux de la nymphe

comme il ne se peut plus, le vilain monstre! l

les découvre là-bas qui se jouaient.Enflammé de dépit, il arrache d'un roc

un quartier qui, roulant, se précipiteet, las! vient écraser sur le gazon

le beau couple. Leur sang mêlé ruisselle!

La terre maternelle, les dieux eux-mêmes, pris

de grand'pitié, montrèrent,un prodige

Acis fut changé en ruisseau;

en fleur fut changée Galatée,

la fleur en ombelle qui sort dans ses eaux,

encore un peu rouge, encore un peu pâle.

L'Anglore s'écria ([ Maudit cyclope»

Et s'adressant au prouvier cr Par hasard,ce ne serait pas toi le cyclope espionneur?

dit-elle en riant Jean Roche. cr Bohémienne!

qui joue avec la flamme, un jour se brûle, J)

invectiva le gars piqué au vif.

Mais dans l'azur de l'air, elle, hautaine,

agitant son bouquet, la fleur offerte

par son beau Drac, dit cr Moi, je suis fleurie

par la vertu de l'eau et gronde, Rhône,

dans ton tréfonds! Je sais ce que je sais. J)

Il.

CANT VIII, A L'AVALIDO.19<>

LXVII

Arrasso eila-davans! Sus la ribiero

Un long cop de riblet giscJè tout-d'uno

E, descendènt à la rntrdo, ~r la corrcho,

l'ugrrè'no m.·barcvcioun que rvsclè contro

En gagnant ~l~·camin uno grand fusto,

Agtrènt d'un bout ~r l'autre rrno cadeno

Qjre i'èron enrerta, corrbJe pèr couble,

Un bourdigort d~· touto tr:rco d'ome.

Arri, li bdni-voio! .urè i~ dire

Un jouine ribeirié. Chrttl sarnibiértne!

Qfre vous demandon pvs se l'auro es brrrno,

F~rguè Putroun Apian. Li mircrable

An bèn proun de sorrn mau, sènso l'escorno.

E fvguér pas remblant de li corrnèisre,

Qlre, marca sus l'espalo, crrcon l'oumbro.

E que d'eisèmple en tôrrti ac~ vousfugue!

Van à Toulonn, ai! Jvr! manja de favo.

E i'a de tout a9ui de b·ènt de glèiso,

De racamand, de noble, de noutàri,

Enjusquo d'innoucènt! Emé d'iue torge

!'assèron li fourFat, tau gue li trèvo

De la Bvrcn à Caroun. Ausin lou motrnde,

Ansin Jou tressimàci de la vido,

Gort bèn, Jou mru, lou chatrrn, la magagno,

CHANT Viii, A IIORIZON PERDU. 19t

LXVII

cr Gare devant, là-bas JI Sur la rivière

un long coup de sifflet stridula tout à coup

ct, descendant taciturne, à la hâte,

rasa, bord à bord, une embarcation

qui prit le devant une grande toue,

ayant d'un bout à l'autre une chaîne de fer

où était attaché, couple par couple,

un ramassis de toute espèce d'hommes.« Ohé' bonnes-voglies! JI alla leur dire

un jeune marinier. « Silence, maugrebleu 1

Vous demande-t-on si la bise est brune?

fit le patron Apian. Les misérables

ont bien assez de leur mal, sans l'insulte.

Et n'ayez pas l'air de les reconnaître,

car, marqués sur l'épaule, ils cherchent l'ombre..

Et que d'exemple à vous tous cela serve!

Ils vont manger des fèves à Toulon, malheureux 1..

Il y a I~ de tout des gens d'église,

des chenapans, des nobles, des notaires,voire des innocents! JI L'œil de travers,

passèrent les forçats, tels que les spectres

de la Barque à Charon. Ainsi le monde,

ainsi l'agitation, le trantran de la vie,

le bien, le mal, le plaisir, la douleur,

CANT V111~ L'A\'ALIDO.~9i

Van en corrrrènt, v.rn elrvuchiero-e-Lorrtiern,

I:ntre lorr jour e la nirre, rr~s l~r lono

Dôn temporrr~rrt gue se debarto e fuso.

LXVIII

Li galiot s'esvarton ir la baisro

Vers lora Revestirlorr. La Pibouleto,C~rrsiért reiau di rtgne d'Ancezuno

Que dins sorur vièi blarntrn sc i'ercar~imio

Lou Dra dô:r Rose à la f ci oumenenco,

Enridello d'~rrrbrilro Cadarortsro.

Orrnte es Arrrenjo i i bvrcatié dem~rndo

Grrilrèrs, ounte es aqrrelo Clourieto,

Pulrrir e nis de nasti rèirc ilurtre 1

Eila-darrif, li barcatié rerpondon.

E m:unte sià:, Grdbonr, valènto elpor~so

De Grrilrén dôn Court Nas, e tu, princesro

Tib~rtr d'Aurenjo ? Eila-darrié, replicon

Li br~ivi marinié, darrif lis arr6re

Que l~r paret d8n Cièri nous ercoundon

E l'Arc de hlariru nonn se pdu vèire

D'eici que Crèbo-cor. Gldri perdudo

E bèn noumado, adifrt! cridè lou prince

En eisrugant rrno lagremo espouncbo

Qrre lou roulèrr faguè lusi counservo,

o vito d'or, o noste ounour d'Aurenjo,

CHANT \'111, A IIOklZON PERDU.19}

s'en vont courant, s'en vont confusément,

entre le jour et la nuit, sur le fleuve

du temps houleux qui se déroule et fuit.

LXVIII

Les galériens disparaissent au sud

vers le Revestidou. La Piboulette,

chasse royale des sires d'Ancezune,

au vieux blason desquels se grime

le Drac du Rhône à face humaine,

d'un rideau d'arbres entoure Caderousse.

Il Où est Orange? demande aux bateliersGuilhem. Où est sa Gloriette,

nid et palais de nos aïeux illustres ? J)

cr Là derrière, » répondent les hommes de la barque.crOù êtes-vous, Guibour, vaillante épouse

de Guilhem au Court-Nez, et toi, princesse

Tibour d'Orange? J) cr Là derrière, répliquentles braves mariniers, là, derrière les arbres

qui nous dérobent le mur du Ciéri, s

ct l'Arc de Marius on ne peut voir

d'ici que Crève-cœur. /1 Gloire perdue

et bien nommée, adieu cria le princeen essuyant une larme naissante

que le soleil fit scintiller; conserve,

ô ville d'or, ô notre honneur d'Orange,

CANT VIII, A L'AVALIDO.194

A tout lon menr counrervo la memdri

D'aqufli que n'~n pas terni torrn lustre!

hiai de que vau me phrgne o traire peno,

Ajrutè pièi, r'ai iérr pcrdu l'Empèri

Pèr deveni lou difu rle l'aigo marco!

La manideto, en ié vefént l'iue morrisre,

L'avié pres pèr la man e, famihiero,

Corrme dins li pantai aca se passo,

lé dib·rrè Dra, mai li rliéu tambèu plouron?

E siavamen, Jorrrtènt de r~rvadirro,

Éu ié rerpotrndegrrè Se nor~n plourrvon,

Si, rien, li diéu, g~tire mai que de pèiro.

E l'Amour que n'es un, de diérs, mignoto,

Ço gu'a de mai divitr, es li lagremo.

LXIX

En Aurelet lis aucelorrn de l'irclo

Fasien pifu pifn de-long di bro fuiouro.Lou ventor~let adusif di mountigno

La sentour di lavando emé di nerto

Qfre dins li Coumbo-bfasco èron Jlourido.La ~tn dôu jour, en alenvnt mai touseo,

Emplenavo li cor dôrr langrritbri

Qfr'envalris tout, quand lou roulèr~ trevalo.

Despartissènt en dotrs Rose lou,f.rume,

Vesien veni la Bartalasso verdo

CHANT VIII, A HOJl.tZON PERDU. 19f

à tout le moins conserve la mémoire

dc ceux qui n'ont jamais terni ton lustre 1.

Mais de quoi vais-je me plaindre ou m'attrister,

ajouta-t-il,si j'ai perdu l'Empirc

pour devenir le dieu de l'eau magique! »

La jeune fille, lui voyant l'œil humide,l'avait pris par la main et, familière,

comme cela sc passe dans les songes

Drac, lui dit--elle, mais les dieux pleurent donc? »

Et doucement, sortant de rèverie,

lui répondit CI:Mais s'ils ne pleuraient point,ils ne seraient, les dieux, guère plus que des pierres.Oui, mignonne, l'Amour est un dieu, en effet,

et ce qu'il a de plus divin, ce sont les larmes. D

LXIX

En l'ile d'Auselet les oisillons

pépiaient tout le long des bords feuillus.

Le vent léger apportait des montagnes

La senteur des lavandes et des myrtes

qui dans les Combes-Masques étaient fleuris.

La fin du jour, avec son haleine plus tiède,

emplissait les cœurs de la nostalgie

qui envahit tout, quand le soleil baisse.

Ils voyaient arriver la Barthelasse verte,

partageant le fleuve en deux Rhônes,

CANT VI11~ A L~A1'ALIDO.196

E pièi plus rcn, gue lort virant de l'ourrdo.

Mai tout-d'un-cop, tau qu'un riAèrc de tiatre

Qite r ércvvarto, avau à l'av~rlido,

Dôrc ribeirfr e lis aubre e li c~.lo,

Tout vai en r'actatant, pdr derparéisre

Davans un couloussau clapas de tourre

Qpe lou soulètt couchant enfroco e pinto

De resplendour reialo e purprrrenco.

Es Avignoun e lou Palais di Papo!

Avignoun! Avignortn sus sa grand Roco!

rlvignotin, la galoio campaniero

Qp'uno aprèt t'atttro en l'èr attsro li pounclro

De si clortchif clavela d'etnbortrigo;

Avignortn, la frholo de sant Pèire,

Que dinr soun port n'a vist la barco it l'ancro

E n'a pourta li clau ~i ra centuro

De rnerlet; Avignor~n, la gènto vilo

Qlre lou mistrart rrtroupo emai descauifo

E que, de tant qu'a vist lusi la gldri,

N'a counrerva ~ue l'inchaiènFo d'elo!

Tôuti li bras s'aabouron; l'equipage,

Li pasragif, remirott Babilouno

(Cotrme lis Italian jalous l'opellon).

De la regoundo barco pièi tout-d'r~no

Mounto aquest crid Venisn! acd '1 Veuiro,

Q;tand, dintre si dentello, vai se jaire,Souto li ba:r dôu Pounènt, dins sa lono!

E barbelant perfta de jita pourre

Soun estrambord, Guihèn, fu, s'escompibn,

D'un saut que fai, tucà di Veniciano.

CIJANT VIII, A IJOIlIZON rEIlDU.197

et puis plus rien, que le tourn3nt de l'onde

~l3is stiudain, tel qu'un rideau de théâtre

qui en aval se tire à l'horizon,

les arbres du rivage et les collines,

tout va diminuant pour disparaitredevant un colossal entassement de tours

que le soleil couchant enflamme et peintde splendeur royale, de pourpre splendide.

C'est Avignon et le Palais des Papes!

Avignon! Avignon sur sa Roque géante!

Avignon, la sonneuse de la joie

qui, l'une après "autre, élève les pointes

de ses clochers tout semés de fleurons;

Avignon, la filleule de saint Pierre,

qui en a vu la barque à l'ancre dans son portet en porta les clefs à sa ceinture

de créneaux; Avignon, la ville accorte

que le mistral trousse et décoiffeet qui, pour avoir vu la gloire tant reluire,

n'a gardé pour elle que l'insouciance l

Les bras se dressent tous; et l'équipage,

les passagers, admirent Babylone

(ainsi que la nommèrent les Italiens jaloux).Puis tout à coup de la seconde barquemonte ce cri (1 Venise c'est Venise,

lorsque entre ses dentelles elle va se coucher,

aux baisers du Ponant, dans sa lagune 1D

Et n'y tenant plus de jeter au vent

son enthousiasme, Guilhem, par-dessus bord,

décampe en un saut chez les Vénitiennes.

CANT V111~ A 1.~AVALIDO.~9g

LXX

E s'~rdreissvnt rli tres ~r la mai bruno

Drrqttesso de Berri, U vèn rr~tile,

hi'escurarfr, parai t redescadartle

G'escot~ndihoun de vosto empreso bello.

Car li barqtrif d'arJuesto gaio Jlotohi'an di qrt'en Arle, avarr, anas rejortgne

Li partisan que i'a de vorte règne.

Ai! covJlif, fasent un pau la tr~jo,

Resporrnde6~rré la dono entrepachado,

Coume anas vous truf~rnt d6rt parrre mounde

Gr princesso en qaeitiotm, qu'esà Venisn,

Nonn es pèr n~rutre, certo, ittcorrnei~rtda,

Or~e sian teria de palais vers lou Rialto.bf~ri t"a palais e palair; e lott nostre,

Despi~i long-tèms lis aragno if fielon.

E vuei c.rntan, coume li cacalatrso

Qac sorrn ortstorr se brulo. E z,drr de rire!

lfu, countreniè la hrrtno cant~rrello,

Perquf ié sian, fru que me descorrrdrrre.

Feleno sifrr de raFo patrici~no

E dins l'orutau Veniso l'auturouso

Afai que d'r~n cop venguè chat~si soun doge.

hf~ri i'a pertout si remudo-rernudo.

E d'rrn grand nor~rn, au jour d'uei, partro dono,

CIJANT PIII~ A liORIZON PERDU. 199

LXX

Et s'adressant des trois à la plus brune

a Duchesse de Berri, lui dit-il finement,

vous m'excuserez, n'est-ce pas? si j'entr'ouvre

l'incognito de votre emprise belle.

Car les nochers de cette flotte gaie

m'ont dit que vous allez rejoindre en Arles,

là-bas, les partisans de votre règne. JI

a: Ah cavalier 1 D faisant un peu la moue,

répondit la dame non sans embarras,

« comme vous plaisantez le pauvre mondel

La princesse en question, qui, oui, est à Venise,n'est pas pour nous une inconnue,

car nous sommes voisins de palais, au Rialto.

Mais il y a palais et palais; et le nôtre,

depuis longtemps les araignécs y filcnt.

Et nous allons chantant, comme les limaçons

dont la coquille est au feu. » lEt de rire.« htoi, contioua la brune chanteuse,

puisqu'il le faut, je vais faire mes confidences.

Je suis issue de race patricienne

et dans notre maison Venise la superbe

vint plus d'une fois élire son doge.Mais les vicissitudes sont partout.

Et d'un grand nom, aujourd'hui, pauvre femme,

200 CANT VIII, A L~.11'ALIDO.

lou noble orrrgr~ei es tout fo que me rèsto.

Dins arJuel Avignorrn qri emEsi totrrrc,

Si b~lrri, soun palais, mostro ù la visto

Ço qu'ef est,t dôu tèms grr'avié li papo,

Vous imaginurés qu'un de mi rèire,

Ernbassadour de Veniro, à l'epoco

Ounte la papauta i'èro en derrouto,

.4qui se devinè, quand lon destràvi

N'en bandigrrr~ lou bèra darrié porrntife.

lort fugidis aro escoutas agnesto

Faguè ne~a, parèir, dottge estatuo

En or masris, ~u'èron li dotrge aposto

Emé lou Crist en subre, dins un torrmple

Q~re iéu n'ai lou secrèt toute rordeto.

lort porte dins rnorin sert, corsme un relicle,

En rm vièi pergarnin ounte es rnarcado

La liogo, pan pèr pan, de l'ercoundr~do.

Mai en aquest païs estrange, mounte

Norrn couneissén degun, que sian pèr f rire,

Se res noun vèn qn'ajurle à !rr febtesro!

LXXI

Guihén digrrè Siéu à voste rervice,

Czr la cauro m'entroir douge ertatr~o

En or massis, proun valou, vous l'acorde,

La peno de tent~r sa descrrberto.

CHANT V111~ A HORIZON J'ERDU. ~ot

le noble orgueil, c'est tout ce qui me reste.

Dans cct Avignon qui, avec ses tours,

ses remparts, son palais, montre à la vue

ce qu'il a été dans le temps des papcs,

imaginez-vous qu'un de mes ancêtres,

ambassadeur de Venise, àl'époque

où la papauté y fut en déroute,se rencontra là, quand le désarroivint en bannir le beau dernier pontife.

Le fugitif écoutez ce détail

fit noyer, parait-il, douze statues

en or massif(c'étaient les douze apotres

avec le Christ en plus) dans un abime

dont j'ai, moi toute seule, le secret.

Dans mon sein je le porte, ainsi qu'une relique,en un vieux parchemin où est marqué,

de point en point, le lieu de la cachette.

\fais en ce pays étranger,

où nous ne connaissons personne, comment faire,

si nul ne vient en aide à la faiblesse!

LXXI

Je suis, dit Guilhem, à votre service:

la chose m'intéresse, car douze statues

en or massif, oui certes, valent bien

la peine de tenter leur découverte. »

CANT V111~ A L'AVALIDO.202

E digrrè 'no ar~tro (aqrtelo qrt'èro blor~ndo),Fariar.-ti pas, se fart, vira la broco,Lou crevelet ? Es un ntestié que sabe.

E se i'a quaucarèn, ma dott~aresso,

Tant forrns que frtgtre, vai, faudra que sorte.

hlai, pèr rarJt llfarc, ajrtstè 'n fasènt vèire

Tôuti si dèut de morastelo, te jrere,

Que dariéu pas douge peto de b~irri

De ti dortge apoustôli. E z.~rr de rire!

Franc que lis agon derclapa, ma bono,

lérr à l'oustau, repliquè la proumiero,

L'ai toujour ausi.dire, arlrréu bèu sounbe!

E i'a proun cinq cènts an que vivèn srrbre

La reJlarnour de sa verdo esperanFo.

E fasès bèn, mai que bèn, caspitello i

Dignè lou jortine rage; ~ri es la vido ?

Senoun un sourtge, rrno aparènFo liuencho,

Un miramen sus l'aigo resqr~ihouso

Qire, d~tv~tns nôstis iue firgènt de-longo.

Coume un gùrri-GaGôrt nous escalurtro,

Nous atrivo au simGèrt e fai ligueto! 1

Ah!que fai bon porrj~t scnso relùmbi

Vers sorrn desir, emai siegue qu'un rorrnge!

U~t tèms venrfra, que vèn bessai trop vite,

Ounte artran tout, li gènt, sortto la toco,

Ounte auran tout, saubran tout, à hr tasto

E, regretonr di farfmtello vièio,

Quau vous dis pas que vendran l~ts de viértre!

CItAN'f Vili, A HORIZON PERDU.20}

e Et, dit une autre (celle qui était blonde),ne ferions-nons pas tourner la baguette

ou le sas, s'il fallait? Je connais le métier;

et s'il y a, ma dogaresse, quelque chose,

si profond serait-il, va, il faudra qu'il sorte.

~lais, par saint Marc, ajouta-t-elle en faisant voir

toutes ses dents de belette, j'en jure! 1

Je ne donnerais pas douze crottes de rat

de tes douze apostoles. D Et de rire.a A moins qu'on ne les ait déterrés, mon amie,

chez moi, à la maison, répliqua la première,

je l'ai toujours ouï raconter, ce beau songe!

Et voilà cinq cents ans que nous vivons

sur le reflet de sa verte espérance. D

e: Et vous faites bien, parbleu et fort bien,

dit le jeune sage; car la vie, qu'est-elle?sinon un songe, une apparence au loin,

une illnsion sur l'eau glissante,

qui, devant nos yeux s'enfuyant toujours,

comme un jeu de miroir nous éblouit,

nous attire au leurre et nous sert d'appât!Ah! qu'il fait bon naviguer sans répitvers son désir, encore que ce ne soit qu'un songe!

Un temps viendra, qui s'approche peut-être,

où les gens auront tout à portée de la main,

où les gens auront tout, sauront tout à l'épreuve

et, regrettant les vieux mirages,

qui vous a dit que vivre ne les lassera point Il p

CANT Vllli A L'AVALIDO.

J

104

LXXII

En ié j~rsènt lis irre de cJrrounado

Pourgèr-me vosto man, vén la tresenco

Di Yeniciano au prince. E lou calandre

Porge la man rerior~s à la dono

Bello man, fino man, caresrarello,

Dis lv :nanifaciero crrriouso,

Bono man, nobto man. E dinr ta riéuno

Mistortsamen la dono la chaspavo,

0, man de réi, man jado, man de gldri,

Q~re fri tout fo que vdn! emé de ligno

Que van s'entre-corrpont à la perdudo

Ligno d'arnonr crorrs~rnt ligno de tèsto.

Coome se vèi sorrvént; tigno de vido.

Ai! lou marrit passage! en un recouide,P~rs liuen d'eici, belèrt aqrri sus Rose,Vons tén d'à ment, seb·nour, la hfort-P~leto.

F~ttr s'avisa! Qlre diable ié vos dire!

Ensemblamen cridèron li dos autro,

Sian t6xti, sur lorr Rose, à tnvnd de béure

A la grand tasso e, d~ru! e dau! gènt jouine,Beven, en atendènt la mau parado,

Loti vin courour de nosto jouventuro!

Pièi dins Bèu-Caire, ardit! aquesto vdnto

lé pourguen t6uti faire bono fiero!

CHANT V111~ A HORIZON PERDU. 20f

LXXII

En lui faisant les doux yeux, la troisième

des Vénitiennes dit alors au prince

« Donnez-moi votre main. » Et le galant

offre sa main, sérieux, à la dame

fi Belle main, fine main, et caressante,

dit la chiromancienne curieuse,

bonne main, noble main. » Et dans la sienne

la dame la palpait, la cajolait,

fi Oui, main de roi, main fée et main de gloire,

qui fait ce qu'elle veut avec des lignes

qui vont s'entrecoupant indéfinies

ligne d'amour croisant ligne de tête,

comme il se voit souvent; ligne de vie.

Aïe! le mauvais passage A un tournant,

pas loin d'ici, sur le Rhône peut-être,la Mort, seigneur, vous guette avec sa faux.

Prenez garde! JI (1Que diable vas-tu lui dire là t

en même temps crièrent les deux autres,

Nous sommes tous en passe, sur le Rhône, de boireà la grande ta$se, et, allons, jeunesse,buvons, en attendant l'inconnue malencontre,le vin brillant de nos jeunes années 1

Puis, dans Beaucaire, en avant ce coup-ci,

puissions-nous tous y faire bonne foire JI D

ia

CANT VIII, A L'AVALIDO.

LXXIII

Dôu tèms que gentamen ansin devison,

En ribo d'Avignorrn pvmens li barco

I~ènon, s'arrenaneirant, pèr prene t~ti.

Abraco Iv cvtarrmo! pico en terro! i

Coumundo blètte Apiun de sa voues broun.lo,Contro lou quèi à b~rndo lou Cvburle!

Avanfo la carato! A la svpino! 1

Buto la sisselundot vbordo! abordo!

La! Li bvtèu, si tèndo encamelado,

5'amor~lonnon au pèd dtiu baus menèbre,

Davans lou Pont Svnt-Benczet que mostro

L'orunbrun gigant de sis arcado routo.

L'arnfs rejorrn, la barcvdo seguro,

En proucessionn mvrchvnt un davans l'~JUtre,

Segound soun us, au long de la carriero,

D'à pas lou vièi pvtroun menant la rigo,Li pichot chvt courrènt après la troupo,

Bvlin-balant, à si gr~ndis anbergo

Di Fustarié, ddu Limas, li bèus ome

S'envon soupa galoi.Ernf soun paire

L'Angloro li seb~uis, un parr mougueto

De uorrn rrvèire à soun entour lorr prince,

Lou princihoun de la barbetd bloundo,

Qj~'v brlèu fa quauco nouvello mudo.

Eh! quau lou t~JUpt Lou Drd, belèu, vrt Rosr

CHANT VIII, A HORIZON PERDU.207

LXXIII

Dans l'entre-temps de ces g~ntils devis,en rive d'Avignon les barques cependant

viennent, suivant la file, amarrer tour à tour.

({ Embraque le cableau! range la terre!

commande Maître Apian de sa voix rude,Contre le quai accoste le Caburle!

Avance la caratc! A la sapine!

Pousse la sisselande! aborde, abordc!

là! JI Les bateaux aux bâches montueuses

s'agglomèrent au pied de la falaise abrupte,

devant le Pont Saint-Bénézct qui montre

l'ombre géante de ses arches rompues.Les apparaux en ordre, la flotte en sûreté,

processionnellement, marchant un devant l'autre,

selon leur usage, au long de la rue,à pas comptés le vieux patron menant la file,

les petits mousses courant après la troupe,

cn tanguant, bras ballants, à leurs grandes auberges

des Fusteries, du Limas les beaux hommess'en vont souper joyeux. Avec son père

l'Anglore les suit, quelque peu penaude

de ne pas revoir le prince autour d'elle,

Ic petit prince à la barbiche blonde,

qui pcut-être a fait quelque mue nouvelle.

Peut-on savoir? Le Drac, peut-être, au Rhône

CANT Viii, A L~AVALIDO.208

La niue dins rortn palais frra que descènde,

5'acd 's sa lèi. Ah! vai, ma pauro chatn

Crtihèn, emé li dono de Venirn

Q~te de si veri~rd« ro l'etr,rirortn.·n,

Au caGaret de la Pkhoto-Ottstesso,Eila, ruuto lis auGo e li lambruscn,

Es ana faire uno erqrtiheto. Basto,Cnihèn es un cadèrr e f~tu que jogrte.

LXXIV

Un cop à taulo dor~nc sorrto la triho

Lou princihoun emé li cantvrello

Qrre manjon e que beaon, groumandouno,

Se couchant li morrisrdrt 'mé la rervieto

M'a~és pancaro di, pamens, mi dona,

Se sias maridadouiro 'J maridado,

Cnihén ié jai, car, tegorrnd l'ercarènfo,

.4qui l'on pdu fauta, se l'on s'embulo

An jo d'amour. Qir'acd noun vous roucite

Reipoundeguèron mai que voulountouso.

Lou jo, segnour, noun demando que farrto.

E dins noste pâir la femo noblo,

Uno les maridado, pdu avedn,

Que res i'v rèn à vèire e rèn à dire,

Un, emai dous, emai tres calignaire.

Sabès que li marit, faguè lou jorr~e,Dèvor, gagna, dinr talo Palestino,

CHANT VIII, A HORIZON PERDU. 209

doit descendre la nuit dans son palais,

si tclle est sa loi. Ah! va, ma pauvrette!Guilhem, avec les dames de Venise

qui de leurs mignardises l'environnent,

au cabaret de la Petite-Hôtesse,

sous les peupliers blancs et les treilles, là-bas,

est allé faire une escampette. Bref,

Guilhem est jeunet, il prend ses ébats.

LXXIV

Or, sous la tonnelle, une fois à table,

le princillon avec les cantatrices

qui, tout en mangeant et buvant, friandes,

chassent les moustiques avec la serviette

Il Vous ne m'avez pas dit, pourtant, encore

si vous êtes, mes dames, à marier ou mariées,

leur dit Guilhem, car, suivant l'occurrence,

on pourrait là fauter, si on se leurre

au jeu d'amour. D « De cela n'ayez curel

répondirent-elles en grande accortise.

Le jeu, seigneur, ne demande que fautc.

Et dans notre pays la femme noble,une fois mariée, peut avoir,

sans que personne ait rien à y voir ou redire,un, même deux, et même trois amants. JI

1: Savez-vous bien que les maris, fit le jeune homme,

doivent gagner, en tel pays de promission,

12.

210 CANT V111~ A L',AV.ALIDO.

Lou p~rradis de la santo paciènci

Eh! s'escridè la bello capeludo

Qia'vvié de perlo d'or à sa grand pienche,

Soun li fvva, li plus urous dis omel1

Que li Jervènt d'amour li derencoumbron

De tôrtti li trigos de l'abitrtdo.

Noun an beroun, li marit de Veniso,

De s'ôucupa de rèn que lis enueie.

Li cavalié servènt se fan un clrale

D'vjrrdv la mntrié quand re poumpou~o

Un ié tèn lort mirau, aquest ié porge

G'espingoulié de sa cabelvduro; ¡

Aquéu ié pvsso au courret li cor~rdello; ¡

G'vntre ié porto ~i vèspro sa mantiho

E l'autre au ba~nadon ié fai coumpugno; ¡

Sènsn coumta li presènt, li riqtreto,

Li rerenu~fo e mudrigurt que plovon!

AnI s'anavian cerca li dortge oposto t

Derroumpeguè subran la dortgoresso.

En se gaugaiejant lou tèms s'enfuso;

hfui Jacoumar vèn de pica vounge ouro,

E futt de grand matin remotinta 'n barco.Anen Anen! Ortbliden pas la 6/eto

D'vvelanié, qu'es acd Iv bousrolo.

E parton en cantant li cantarello

Se la luno clarejo

Amount dins lou cèu grand,

Dins lous bos que soumbrejo

Mi bras t'amagaran.

CHANT VIII, A HORIZON PERDU. 211

lIeparadis de la sainte patience? D

0: Hé! s'écria la belle huppéedont le grand peigne avait des perles d'or,

rois de la fève, ils sont les plus heureux des hommes!

car les servants d'amour les débarrassentde tous les soins coutumiers de la vie.

lis n'ont besoin, les maris de Venise,de s'occuper de rien qui les ennuie.

Les cavaliers servants se font un vrai régal

d'aider madame à sa toilette:

l'un lui tient le miroir, celui-ci lui présenteles épingles pour ses cheveux;

celui-là au corsage lui passe les lacets;

l'autre lui porte à vêpres sa mantille

et l'autre en la baignoire lui tiendra compagnie;

sans compter les cadeaux, les rafraîchissements,les sérénades et madrigaux qui pleuvent! JI

Eh bien 1 irons-nous point chercher les douze <lpôtres? ü

interrompit soudain la dogaresse.A ces joyeusetés le temps s'écoule;

mais Jaquemart vient de frapper onze heures,et il faut remonter de grand matin en barque.

Allons? JI a: Allons D 1: N'oublions pas la vergede coudrier qui est notre boussole. D

Et les chanteuses partent en chantant

Si la lnne illumine

Là-haut dans le ciel gr~rnd

Dans le bocvge ombreux

Mes bras te cacberont.

CANT V111~ A L'AVALIDO.212

Laisso-m'esta, pescaire,

Qu'ai pou dtiu miéu marit.léu noun lou cregne gaire,

A bèu èstre marrit!

Sus moun batèu que lando

Nous raubaren au fres,

Car siéu prince d'Oulando

E noun ai pbu de res.

CHANT VIII, A HORIZON PERDU. 111

Loisre-m'aller, péchetir,

J'ai penr de mon mari.

Moi je ne le eraites gnère,

Si méchant serait-il!

Sur un dateau qui file,

Vienr, je t'enfève art frais,

Car, prince de Hollande,Je n'ai peur de personne.

c~a~~ a~ovvEa~

SOUTO .Rl'IG`I~L.OU:~1,

LXXV

De-long ddn Rose que lrrsis dins l'otrmbro,

En foro d'Avibnoru~ segrrènt lou 6Jrri,

Intron plan-plan pèr la porto Frrrrrsro

E d6rr Limas à la Jrrtarié~Vièio

Escaton d'escoundoun, pèr lis androunu,

Enjurr~uo amount vers lorr Castèrr di Papo.

Tout es desert à l'entour. Li bfuldli,Dins la negroro esfraiouso que ~iton

Li torrrre c~uloursalo, fan si gime.

Sns la ciluta que dor toumbon lagu6re

Li dorrge cop de miejo-niue. Que vivo t

Ami respond Jan Rocho clins lou sonrnr,

Q;re, pèr dersousterra lis opoustôli

E pèr n'avd lou cop de m~rn d'Ercrrle,

CHANT NEUVIËME

EN AVAL D'AVIGNON

LXXV

le long du Rhône qui dans l'ombre luit

et hors d'Avignon suivant le rempart,ils entrent doucement par la porte Ferrusse

et du Limas la Juiverie-Vieille

ils montent en cachette, par les étroites rues,

jusque là-haut vers le Château des Papes.

Tout est désert à l'entour. Les fresaies,

dans la noirceur effrayante que jettentles colossales tours, font leurs gémissements.

Sur la cité qui dort tombent lugubres

les douze coups de minuit. Au a: qui vive? JI

Il Ami 1 » répond Jean Roche dans le sombre,

car, pour déterrer les apôtres d'or

avec son coup de main d'Hcrculc,

CANT IX, SOUTO AVIGNOUN.216

Lon frn e sv~e princihorrn d'Ortlando

l'a douna rnand de se rèndre à l'espèro.

An pèd di muraiasso tenebrauso,

Gorr cor à flot, li bello de VenisoEntre-vesort deja dins su pensadu

Li barbo d'or de rant Jan, de s,rnt Judo

Lou perb?amin dins li det, rtno d'éli

Recercant li c~rtnfront, lis entre signe; ¡

Uno atrtro dins si man en petelego

Tenènt lott birnble devinaire; e l'autrc,

Lou front aclin corane uno courbo-dono,

Sus lou bras de Guihèn, amistadouso,

l.eissant ana sor~n sen que reboum5ello.

Sant Antdni de Pado, se n'en brulo!

A fa subranaquelo que pourtavo

Lou jorg d'avelanié. Se precepiton

A sottn entour pèr vèire, al~rbre, tôuti.

Ob! jamai de la vido! escoumortgrtdo,

G~t blanqttinello bleto se bidorso

E viro d'esperelo vers la terro,

hlarcattt lort rode escri, à quàuqui c~tno

De l'Escalié ddu Pater, que s'enmounto

Vers la glèiso de Dom. Tenèn la mino!

Cuihèn dis en risènt, cavo, Jau Rocho!

LXXVI

Lorr c~rdelas enfounso lortp~rrt ferre,

EiJrejo dôrr rl~~ssus la terro drtro,

CIJ.\NT IX, EN AVAL D'AVIGNON.217

le subtil et sage prince de Hollande

lui a donné charge d'attendre à l'affùt.

Au pied des hautes murailles ténébreuses,

le cœur en onde, les belles de Venise

cnt entrevu déjà dans leur penséeles barbes d'or de saint Jean, de saint Jude

le parchemin dans les doigts, l'une d'elles

étudiant les lieux, cherchant les repères iune autre dans ses mains qui lui frétillent

tenant la baguette divinatoire;et l'autre, penchée en fleur de narcisse,

complaisamment sur le bras de Guilhem

laissant aller son sein rebondissant.

Par saint Antoine de Padoue, on en brûle 1 ¡J

a fait soudainement celle qui portele brin de coudrier. Avidement chacun

se précipite autour d'elle pot:r voir.

Oh! jamais de la vie! Agitée d'elle-même,

la houssine blanche va se tortillant

ct d'elle-même tourne vers la terre,

marquant l'endroit précis, à quelques toises

dc l'Escalier du Pater où l'on montevers l'église de Dom. a On tient la mincI Il

Guilhem dit en riant, Ir Jean Roche, creuse! Il

LXXVI

Le gros garçon enfonce le levier;

il perce du sol la surface dure;

rt

CANT IX, SOUTO w~crroun.:118

Sôrrli-uo, pouderous, rrno omplo grdso

E, negre e forrns, descurbecello un toumple,

Un pous dins lou roocar, qrrr, tant es orrr,

Fai tôuti rrcula. Qrrvu re i'abrivo ?

DemJndo frejomen Crrihèn d'Aurenjo

En rebachsnt li tres femeto mudo.

Jan Rocho ir respond S'avian ~le cordo.

Vous ié davalarian, diguè lou prince

1 dono. V~itrtri dorrs, ~rre sivr de mascle,

Aasas nous dire rrcd? la dorrgarerso

En lou frssant abramado e feroano

lé replir)uè. lé soun, lis estvtrro!

Arregordas la bleto que sr trosso.

l'agreèrre-ti lorr I3rreli pèr ~àrdi,

Segnour, leissarés pas. Aprèr la fitro!

Jr. Raeho rorrmpeguè, l'ar~beto primo

Darrié cvstèr~ noun tordara rle pougne

E lou patroun, aure que crido A Rore!De soun bras fort, aca disènt, aclapo

Lou tonmple founs rorrto sa eurbecello,

A ras de sôrr ié carrco la trrriho

E Venèr lèrr, anen! Vers la ribiero,

Lou prince gei, li dono derpichouso,

Au barcarés de-corrcho redavalon.E Guil~èn dis hlai quento denierolo,

Bon Dién d'Aurenjo, quel se, pèr forrrtrrno,

Avian trouvu la mvirr mounte niso 1

Coume En Rambaud Bertrand, un de mi rèire

(Davans Diéu riegue!), ar/uel on qu'à Bèu-C.rirr

Pér dot~ge corrble de bidra fagrrè for~ire

CIIAKTIX, EN AVAL D'A1'IGNOK.

219

puissant, il soulève une large dalle

et découvre un abîme aux noires profondeurs,

un puits dans le rocher, qui, tant il est horrible,les fait reculer tous. (1

Qui s'y élance? JI

demande froidement Guilhem d'Orangeen regardant les trois femmes muettes.

Jean Roche lui répond a Si nous avions des cordes

c On pourrait vous descendre, D dit le princeà ces dames. (1Vous deux, vous qui êtes des mâles,oscr ainsi parler? JI la dogaresse,fixant sur lui des yeux enflammés, furieux,

lui répliqua. Les statues sont au fond 1

Regardez la baguette qui se tord.

y aurait-il, pour les garder, le Basilic,

vous ne laisserez pas, seigneur. JI (1Après la foire 1

interrompit Jean Roche. La prime aube

derrière le château ne peut tarder à poindre

et j'entends le patron qui déjà crie Au Rhône 1 JI

De son bras fort, cela dit, il recouvrele puits profond sous son couvercle;

il y arasé et piétine le sol,

et ,¡ Venez vite, allons 1 JI Vers la rivière,le prince gai, les dames dépiteuses,

redescendent au port en toute hâte.Et Guilhem dit (1 Mais quelle tirelire,

bon Dieu d'Orange, hein? si, par fortune,

nons avions rencontré la pie au nid 1Sire Rambaud Bertrand, un mien ancêtre

(que Dieu lui fasse paix 1), une année, à Beaucaire,

par douze paires de boeufs fit fouir

220 CANT IX, SOUTO AVIGNOUN.

Lnrr Pnrt rle Fiero c pièi, tout un pople

L~rrgant ddu siérr, lo s~rco semenciero

Pen.lorrlado ~rrr corrstat, rlins li verrano

Semenè rl'à chiv.tc~, J plen de porrgno,

Trerrto rnilo rlenié d'arb·ént eh bello,Sus lort frenru auri~rn belèu fr pire!

E 'm'vcb, rl'aqrrfu bi~ris, tenènt l'as~uïo

E n'en jouaant ern'éli ~?tèsto o porrncho,

Emé sa flèumo, Crrihèn, qrr'es de bono,

Vague de ~alej~r li segnourino.

hf~ri tout ace li rènd pas risordeto,

D'a~rré trouva, coume entre éli rem6umion,

Lou Tresor de Veniso, inapreciablel

D'~grré tronv.r la Vaco d'Or e, prrto!

De noun l'i gripado pèr li por~sso!

En par~rdis nouu pourtaras aqurlo,

bf~~rn princihotrn bouto, iro d'ItJli

I~'oun s csvano nrr soulèn corrrne eia.r'nolo!

LXXVII

P~rtrortn Apian, lort rnèstre d'rguipage,

Es daut sus lou Caburle, lorgant d'ordre

Qlte lort prouvif repetis. En felonpo

Li passagié s'embarcon pèr la fitro

E, d'rrrt latèrr ~i l'urrtrc, ~i la re5rrirlo,

De qrt'entendès p~rrla que de Bèu-CJire.

CHANT IX, EN AVAL D~IG~10N. 221

le Pré de Foire, et puis, à tout un peuple

faisant largesse, le sac au grain penduà son côté, dans les sillons,

du haut de son cheval, à plein poing, il sema

trcnte mille deniers d'argent. Hé! hé! les belles,

peut-être au champ de foire eussions-nous fait bien pis! D

Et de cette façon, tenant l'aiguille

et cn jouant, tête ou pointe, avec elles,

Guilhem, qui est en bonne humeur,

flegmatiquement pique les donzelles..%laistout cela ne les rend pas rieuses,

d'avoir trouvé, ainsi qu'elles ruminent,le Trésor de Venise inestimable!

d'avoir trouvé la Vache d'Or et, gueuse!

dc ne l'avoir pas agrippée au pis

Tu n'emporteras point icelle en paradis,mon petit prince! et va, ire italienne

nc s'évapore pas au soleil comme aiguail.

LXXVII

Patron Apian, le maître d'équipage,est en haut du Caburle, distribuant des ordres

que le prouvier répète. Groupe àgroupe,

les passagers s'embarquent pour la foire

et d'un bateau à l'autre, en conséquence,

vous n'entendez parler que de Beaucaire.

222 CANT IX, SOUTO AVIGNOUN.

De toute l'encorrr.trvdo qr~'envirdtsto.

De Cvrpentras, de Veiroun, pèr ié vèndre

Sis escachoun de svJivn, rfe graneto

E de tor~to erbo de sant Jan eissucha,

E d'Avignoun, ,nér ié chvbi si pè~o

De taf~ttv, de velorst e d'inu'ivno,

Dlounto t~n moulutrn de gfnt. Tenènt la ribo,Encentura, quau de verd, ~nart de rouge,

Segor~nd que sorrn pèr lorr rèi o lou contrn,

Li porto-fais, que jortmbrissié la terre

Davvns si porrng, toujour lèst pèr lv trrrco,

An acvba soun pres f~r. Di courourtdo

Èli-meme desmarron li rnvieto; ¡

E hlèste Apivn, vrrsrant roun jorrmbre, crido

Arr noum de Diérr e de la santo Vierge,A Rose, lis enfant E li rèt barco

A-de-rèng se rcviron e, coumoulo

De tôuti li rwhesso de l'Empèri

E dôu Reiaume, vrt pèd de la gr~rnd Roco

Vers lou hliejour reprenon la desciso.

Enterin que lou viéi pvtroun atuso

Dôr~ bras e de la voues li berquejaire:

a Cviamen! géntamen!D e coume engorgon

G'engoulidou ferous dtiu pont de piiro

Qfse 8enrut lou pvstre sus lis oundo,

l'a rét cèntr an, euarquihè rublime,

hléste Apian, fu, fidèu à la coustumo

Di Coundrifulen, tire uno capelvdo

Au grand sont Micoulvu que sa capello

Cavauco rus lou pont, linjo e poulido;

CitANT IX, EN AVAL D'AVIGNON.22}

De toute la contrée qui environne,

Jc Carpcntras, de Vaison, pour y vendre

leurs parties de safran, de grenettes1

et de toute herbe de Saint-Jean séchée,

et d'Avignon, pour y placer leurs pièccs

de t~R'<ids, de velours et d'indienne,

montent nombre de gens. Maîtres du quaiet ceinturés, qui de vert, qui de rouge,selon q.u'ils sont pour ou contre le roi,les portefaix aux poignes redoutables,et devant lesquels la terre tremblait,

·

ont achevé leur tâche. Des poteauxcux~mèmcs démarrent les divers cordages;

et ~Iaitre Apian s'écrie, chapeau levé

« Au nom de Dieu et de la sainte Vierge,au Rhône, les enfants! D Et les sept barquesrevirent de bord tour à tour et, combles

de toutes les richesses de l'Empire

ct du Royaume, au pied de la Roque hautaine,vers le Midi reprennent la desccnte.

Entrc temps que le vieux patron modère

du geste et de la voix les nautoniers:« Joliment! gentiment! D et pendant qu'ils s'engouffrent

dans la féroce baie du pont de pierreque Bénézct le pâtre sur les ondes,

il y a sept cents ans, éleva colossal,

Maître Apian, lui, fidèle à la coutume

des gens de Condrieu, tire un coup de chapeau

au grand saint Nicolas dont la chapelle

chevauche sur le pont, svelte et jolie;

CANT IX, SOUTO AVIGNOUN.224

E' m'arô, tout drihunt dins l'argo JoutcoOrrnte à clrv pars descènd !~r !ur rl'urrroro,

CorsrnenFn mai l~r prègo rl'abitrrdo

o noste paire! Anrinrlo, quand se lèvnn

1 f~roumié r~ri dôrr jour, jarn !i nisado.

LXXVIII

E d'Avi~norui l~r virto espetaclnrrro,

Sor~n castelas à paret gigantesco,

Si b~irri merleta, tourre e totrrriho,

Dins lou matin blanc e bléuge s'~rlinenchon,

Emé lor~ fort, alin, de Vilo-Novo

Qfre lor~ sonlèrr, tout-d'un-cop, de rorrn rnrcle

Acoulouris en or. Li barco trajon,

Corrchot~so mai que l'aigo, car sotrn grèvo,

E d'autant pénjo roun, d'autant r'abrivon.

0 r~icrimarr fJTdr!

rrno voues forto

Enfre l'isclo de Piot sabrun marrouno,

Lou vesès par, l'embvrradou t gu'em'éli

Se pourra pltrr perca torrt-aro un lampre! i

Acô se rr'avian plus la passo libro!

Cridè Patroun Apian d'aut dôu Cabrrrle

En brursejant au pacadou de Rose

Emé si coup, en tôuti li recorridr,

E si calèu, pas prorrn que r'entrevètson,

Pèr a~ant~t 'n marrit gourbin d'alarrso,

CIIANT IX, EN AVAL D'AVIGNON.22f

et, une fois courant dans l'eau obscure

où peu à peu descend la lueur de l'aurore,

il redit la prière habituelle

0 notre père! Ainsi, à leur réveil

aux premiers rais du jour, font les nichées,

LXXVIII

Et 13 vue mcrveilleuse d'Avignon,son grand château aux gigantesques murs,

ses remparts crénelés, tours et tourelles,

dans le matin blanc de clarté s'éloignent,

avec le fort lointain de Villeneuve

que le soleil colore tout à coup

de son averse d'or. Les barques sillent

rapides plus que l'eau, car elles sont chargées,

se hâtant d'autant plus qu'elles sont plus pesantes.CI0 sacrés bousilleurs ib une voix forte

devers l'ile de Piot a grommclé soudain.

Vous ne voyez donc pas le tramail ? Avec eux

on ne pourra plus prendre bientôt une lamproie! D

Quoi 1 nous n'aurons donc plus la passe libre! D

cria Patron Apian sur le haut du Caburle,

agitant ses grands bras vers le pêcheur du Rhône.

Non contents de fourrer à travers tous les coins

leurs filets en bourse et leurs carrelets,

pour attraper quelque méchant panier d'aloses,

1 J.

CANT IX, SOUTO AVIGNOUN.226

Nous vendran aro empegn si trahino,

Aquéli panto, nu bèn mitan dtiu Jlumel 1

I~ièi dr~rpiu, ié f~ri l'autre, tén tu rorttn!

E hfèste Apian en des~len ié resposto

Viéi pavaioun, orrnour rfe capit~ini,

Espèci tir pudènt, d'es-tarrl-qrranrl-dino!

Jllai li butèrr filant sus l'aigo trrrlo,

Lort mèstre, majestous, repren d'~i poupo

Lotr gorrvèr de hr barro.

LXXIX

Sus la tuerto

Jan Rocho, ~i Catrtre tout, éu, ié demando

A la pichoto Angloro Tu ~rre veres

A tr~tvir li mrrraio, que! devino

Un p~tu ae~u'es ei`a Coume uno buseo

porte cinq cènt quintau e iéu noun podePourta 'no clau. Lou Rose. Encaro arlnesto:

La founsour de la mar? Un jit de pèiro.

Bravo! Jan Rocho, à iéu, diguè la touso;

Dequ'es acd Soun mai de cinq cènt sorrc,

Mai de cinq cènt bèlli damiseleto

Qu'an dins l'oustau sa chambreto caduno

E que pamens lis acato endourmido

Uno memo cuberto ? Térto souto,

Lou marinié cercavo. Anen, Jan Rocho,

CHANT IX, EN AVAL D'AVIGNON.227

ils vicndront maintenant nous empêtrer leurs traines,

ces ru,tauds-1~, au beau milieu du fleuve! D

c Vieux drapcau, lui fait l'autre, ti-s ta route! D

Et ~:aitrc Apian dédaigneux lui riposte

a Vieux pavillon, honneur de capitaine,

C:¡.'èce de puant, de meurt-de-faim! ";)

.%laisles bateaux filant sur les eaux pleines,

majcstueux, le maitre avait en pouperepris le gouvernail.

LXXIX

Et sur la proueJean Roche, à.f'autre bout, lui, pose cette énigmc

à la petite Anglore(1 Toi qui vois

à travers les murailles, tiens, devine

un peu ce que ça est: Comme rrn fftu

cirs~ cents quintvnx je porte tt jt ne puis,

nroi. rgrter une clef. Le Rhône. D « Et celle-ci:

Ga projonder~r des merr Il (1 Un jet de pierre. JI

a:Brave 1 D orJean Roche, à moi, dit la fillette.

Qu'est ceci ? Elles sont plus de cinq cents so'urs,

/:Ius de cinq cents belles dvrnoisrlettes

gni ont dans la maison cbacune leur chvmGrette

tt cependant les reeouvre endormies

l~ mFme couverturet Il Tête basse,

le marinier cherchait. Ir Allons, Je..n Roche,

CANT IX, SOUTO AVIGNOUN.228

Fai coume lis aiet, obro de tèrto!

G'atttre èro mut. As proun manja de f,rvo

O. Se vèi bén que riés un chat d'Isero,

Gros torunbo-mourgo! Es la rni6ubr~tno. B~rro!

Mvi, tè, d'abord qu'ansin tant bèn devines,

Angloro, tu, li causo eJCabirsttdo,

Vrj~tn, devino un purt 'mé quau e rnottnte

Gou pichot prince a passa la niuchado 1

Eh! de que pou t'enchaurel Es pas soun mèrtre?

Rerpounde~uè la cliato. Au fortns ddrt Rose

Qltvu l'empacho d'ana faire dourmido,

S'a cattd, la nirte! E se, la niue ven~rtdo,

Te disien qu'a vôtrta jurquo à l'vrtbeto,

Fagrtè Jan Rocho, emé li Veniciano?.

L'as vistT L'ai vist. Quatecartt laplfllGY~9

S'envui escoundre eila souto la tèndo,

E ri en vortlès de plot~r! ai! potrro Angloro!

Me farié-ti, lou Dra, disié la simplo,

G'ertrassamen deja de si proumesso!

Tant comme nous sian vist dins l'aib?o bluio

De mi pantai e, dins si caranchouno,

Tant de paraulo amourortsido e flamo,

Tout ocd pièi sarié que de messorgo!

Tu que m'apareigttères tant en bello,

Oh! ~ue tant lèrt, moun Dra, t'acouloubrigrtes'

Jlte l'an proun di que, traite comme l'aigo,

Quand nous as pivelado, nous embrrles.

Mai ères pièi tant amistous, t~rlt lèri,

Qltand m'ôufrisriés de liuen la Jlour di lono,

Ql~e la tenifs dins la man sortto l'oundo,

CHANT IX, EN AVAL F)'ANIIG'40N.229

fais comme les aulx, travaille de tête 1 D

L'autre ne disait mot. ci Tu jettes ta langue aux chats? n

c Oui. JI (1 On voit bien que tu sors de l'Isère,

mon gros balourd 1 C'est la grenade. D II:Bonne 1

Niais, à propos, puisque tu devines si bien,

toi, Anglore, les choses difficiles à comprendre,

voyons, devine un peu avec qui et où donc

le petit prince a passé la nuitée? JI

« Eh que t'importe? N'est-il pas son maitre?

répondit-elle. Au fond du Rhône

qui fempêche d'aller se livrer au sommeil,

s'il a chaud, dans la nuit! JI a Et si, la nuit venue,

on te disait qu'il a roulé jusqu'à l'aurore,

Jean Roche fit, avec les Vénitiennes?. D

L'as-tu vu? D (1Je l'ai vu. JI Aussitôt la petiteva se cacher là sous la tente,

ct voulez-vous des pleurs? Ah pauvre Anglorel 1

« Déjà le Drac, disait-elle ingénue,

me fausserait-il ses promesses!

Tant comme nous nous vîmes dans l'eau bleuede mes rêves et, dans ses amitiés,

tant de paroles tendres et flambantes,

tout cela ne serait, en somme, que mensonges 1

o toi qui m'apparus si beau,

deviendrais-tu si vite le dragon que l'on dit?

Oui, on me l'a bien dit que, traitre comme l'eau,

quand tu nous as fascinées, tu nous trompes.

Mais tu étais si mignard, si joli,quand tu m'offrais de loin la fleur des lones,

que tu tenais sous l'onde dans la main,

CANT IX, SOUTO AVIGNOUN.2JO

En or~ndej~rnt emé l'vttndo enganivo

Que me bretsorrlej~rvo rrrt clar de lrrno!

Olr! Dr~r, se m'as trahidn, ve, m'ennébne!-

LXXX

Plotrro que plourarasl Gou trin di barcn

Sus lou regorrlié proumte que l'emporto

F:ri sèmpre soun camin e, d'trno douZo

A t'rurtro, vai t'espalargant lou JlnmeOtrnte l'engrarr badiért de la DrrrènFo

Carrejo e raco à bdudre la peirilro

Dis ant totrrrènt e deliérrrado rrr~penco.Hatr! bére prorrvié, t'endormes etcand~tio!

Crido Patrorrn Apian, que sian au rode

Dis auve monvedis e di graviero.

Dirias que sotrn calrt, bot~gre de bor~gre!

lé sian! ié sian! A~anto la pagello

Jan Roclro, la descènd long dôu Caburle

E, tre tortca tor~ for~nr, à-de-rèng crid~

Pan E pièi mai Pan justf Pico au rei~:rnrr:

En br~tant lorr gorrvèr fai ~r Iv chourmo

l,ou grand J~atrorrn. Pan cubert! -Zôu! coulè3c

-Pan larg!-Torrjotrr!- La soubeirano!-l'oso

Just lou sorrlèr~ sort de la A!ountagneto,

Rerplendènt sus lou Rose, e soun totrt-aro

Vers la Roco d'Arcié. Jouious, lou prince,

CHANT 1\~ EN AVAL D'AVIGNON.2]1

en ondoyant avec l'onde enjôleuse

qui me berçait tout doux au clair de lune!

Oh! vois-tu, si tu m'as trahie, Drac, je me noie! »

LXXX

Et pleure, pauvre enfant! Le train des barques

sur la glissoire prompte qui l'emporte

fait toujours son chemin et, d'une berge

à l'autre, va s'élargissant le fleuve

dans lequel la Durance, gueule bée,

charrie, vomit à verse la picrraillc

des hauts torrents et irruptions alpestres.

& Ohé! tu dors, beau prouvier? A la sonde!

s'écrie Patron Apian, car le voici, l'endroit

des grèves mouvantes, des lais de graviers.

Vous n'y voyez donc pas, bougre de bougre!a

On y est! on y est 1 D -Jean Roche prend la perche~,

il la descend sur le flanc du Caburle

et, dès le fond touché, à reprises il s'écrie

Pan! Et après: Pun juste! « Bute donc au royaume!

en poussant au timon commande à l'équipage

le grand patron. Pan couvert! (1 Sus, collègues »

P~n large! (1 Encore a -Ga souvervine r Vogue! D

Tout juste le soleil sort de la Montagnettc

Irradiant le Rhône, et ils sont tout à l'heure

vers la Roque d'Acier. Le petit prince

CANT IX, SOUTO APIGNOUN.212

Q~re tou~-escas se lèvo e qu'es en bor~sco,

Entre s'esparpaia, de soun Angtoro,

L'es venbudo trouva souto la tèndo.

Bon jorrr! i 'a di. Al~ri ve, dequ'ar! e plrurft!

Lou rabes bèn de que ptorrre, amalido

La clrato ié respond, qu'à la sournuro,

Touto la niur, enfre terro, pèr orto

Ar masqueja 'mf li rato-pen~rdo!

S'acô's pas mai, assolo-te, ma bello,

En ié prenènt la mon lu if replico

Ritènt, aca se saup, cavalin jonve,

Eh! Jart que trepe, e Dra, ftu que draqueje

E d'aise, tout ~arrchoar, ié fai lou conte

Di Veniciano emf soun ercorrndudo

E di douge sant d'or au founs dôr~ tor~mple

Qite dèvon ana querre aprer la fiero,

Coume se dis, se la carto es pas fausso.

E tout s'adoubo; car sarié bèn crime

D: l'aJligi, la mignoto, tant coume

Es portlideto e bravo e crererello

A sortn amour de fant~rumeto puro!

LXXXI 1

E vogo la barcado. Hôtr! piclroto! 1

Aramoun, noste endrf! vène lèu vèire! 1

A crida lou gros Tdni, ve la cauno

CFIANT IX, EN AVAL D'AVIGNON.lJ}

qui, à peine levé, s'est mis, dès son réveil,i la recherche de son Anglore,

joycux, l'est venu trouver sous la tente.

« Bonjour! lui a-t-il dit. Mais, tiens, qu'as-tu?des pleurs? a

Tu le sais bien de quoi je pleure, lui répond,irritée, la jeune fille, (1 car, dans l'ombre,

toute la nuit, à terre, tu rôdas,

courant le sabbat des chauves-souris! D

« Si c'est là tout, console-toi, ma belle, D

lui réplique+il en prenant sa main

et riant; c tu sais ? le jeune cheval

trépigne par besoin et le Drac, lui, lutine! D

Et tout doux, jovial, il lui conte l'histoire

des Vénitiennes avec leur cache

et des douze saints d'or enterrés dans le puitset qu'on ira chercher après la foire,

si, comme on dit, la carte n'est point fausse.

Et tout s'arrange, car ce serait vrai crime

d'affligcr la jolie mignonne,gentille comme elle est et pleinement croyantecn son amourette de chimèrc pure!

LXXXI

Et vogue la navée! a Ohé, petite!

notre pays, Aramon 1 viens donc voir! D

le gros Toni a crié. a Vois la hutte

CANT IX, SOUTO At'IGNOUN.2}4

Orrnte dernorrravion (oh! quunr! ié sotrnge!),

Pdr lotr bluvas ~i mita de; ouïdo,

L'an d6u gros Rose, e rxotrnte Jiés nascrrdo.

Qf~e rt'aobre rfe pertor~t! lort bèr~ terraire~

Disien li pusrab?ié, n'i'~r, r!e b·urbiero!

Se vèi qn'ucir 's tout rle crernen de Rore.L'uvèrt passa, Cardr,trn Vagrri sis in lo.

Eilu-de-loxg vesès pas VatuhreaoErxé sorrrt Rorrrl~rdotr que l'envirouxo!

Li verbaniero fan si rebatrrao.

o Alarbarido! o r1)alen! Ah! li garfn!

De si Jaucifrt ltrrént en furènt mortro,

Li vesès dins li vese, c~tune rison l

Es dins vqxélimuto de motttorrso

Que juttrlrié arlu si bntrirorrniero!

Un estrrriotrn que n~orrnto! Aqrrelo nrisso

Que gisclo av~rx-davans! Quand vous lotr diu~

Er r~n lueJren de rxar, e rli bèrr provo

Que sian pas liuen de Bèrr-Cuire. Que fèrtn.·

hlai verai! vès lou pont! vès Sunto-~itorto

Qrr'uporrncho sorrn clot~chié sus l'uutro ribn!

Lor~ pont turarcorrnen emé si pielo

Qlre, blun~uirtello, ercamburlon lorr flirvi!

l,ott grand custèu de Tarascotrrr, en f ci

D'urlrrin di Béu-Cairen otrnte à la cimo

l'a lorr drapèr~ di trer coatntrr que Jloto!

Sian erxé Dien! e vivo la ProrrvènFn!

CIIANT IX, EN AVAL D'AVIGNON. 21f

où nous restions (oh 1 quand j'y songe 1),

à moitié ruinée par l'inondation,

l'an du Rhône gros, et où tu cs née. D

Il Que d'arbres de partout! le beau terroir l

disaient les passagers. (1Quels tas de gerbes!

On voit bien que c'est tout alluvion du Rhône. D

L'avons-nousdépassé, le Gard? D -1( Voilà ses iles..

Et, de l'autre côté, sur le bord, Valabrègucavec son Roudadou 1 qui l'environne!

Les verganières y coupent les osiers.

0 ~larguerite! ô ~lalen! Ah 1 les gouges 1

De leurs serpes luisantes faisant montre,les voyez-vous,

dans les taillis, comme elles rient?

C'cst dans ces touffes d'herbes aquatiques

qu'il ferait bon tendre ses nasses ? D

Un esturgeon qui monte! p a Ce jet d'eau

qui jaillit là devant? D (1Oui, oui, je vous assure 1

C'est un laité de mer, et des beaux un indice

que Beaucaire s'approche.1) a

Quelle féte 1

.Niais vrai, voilà le pont! et voycz Sainte-Marthe

dont le clocher pointe sur l'autre rive ¡

Le pont tarasconais, avec ses piles

qui enjambent le fleuve, toutes blanches 1

Le grand château de Tarascon, en face

de celui de Beaucaire à la cime duquelil y a le drapeau tricolore qui flotte!

Nous sommes avec Dieu! et vive la Provcnce! 1)

CcAJ~? DESEJ~

L..9 FIE7l,0 DE B~U-C.l7tE

LXXXII

Cnrbènt lou Rose long, r~no frelab..no

De barco C'battimen de torrto meno,

Abvndeirv de tôrrti li jauuuroE rongeirolo di nacioun, à btiudre

Vers lou dougvn Joblous deja s'erquicho.

Cr:r, em' aquel embat que dinr li velo

J'a qu~tuqui jour que boufo, de la baissoAn mountv li lahur. De la mar nostrn,

Di eosto barbarerco e levvntino

F. dôu Pounènt e de la blar Mvjorrra,

An poujv verr Bèrr-Caire pèr Iv fiao.

E n'i'o! lis un porrrtvnt Iv veto agudo,

Lou mai latino, e d'autre à quvtre cvire

Li lluge d'Arle e trei-mvrt de bfarsiho,

CHANT DIXIÈME

LA FOIRE DE BEAUCAIRE

LXXXII

Couvrant le Rhône long, une enfilade

de barques et navires de tout genre,

pavoisés des ors, pavoisés des flammes

de toutes les nations, confusément

vers Ic bord sablonneux déjà se presse.

Car, avec cette brise qui depuis quelques joursa soufflé dans les voiles, du bas fleuve

sont montés les lahuts'. De notre mer,

des côtes barbaresques ou levantineset du Ponant et de la Mer Majeure',

ils ont gagné Beaucaire pour la foire.

Et il y en a! les uns portant la voile aiguë,

latine la plupart, d'autres quadrangulaire

d'Arles et trois-mâts de Marseille,

CANT X, LA FIERO DE BtU-CAIRE.2J8

Li tartano de Gèno o le Ligourno,Li bre~antin d'Alép, li balancello

De Malaga, rle Naple e de hlaiorco,

Li brigouleto ansleso o d6u Cr~rnrl Vubre,E li mourre-ae porc rl'Agte e de Ceto

E li trJbaco negro de I~eniso.

Es un balrrn sus Rose que gvnForrio

Dins lou sortlèn, lou tr~rnJ~o e lou barrrge

De ttitrti li jar~otrn di marin~rio.

lllai rldn mitan di bi~o e dis anteno,

Di velarié, di cortrd~rge e di rnoco

Onnte à pèd nus quau d~rvalo e quvrr morrnto,

Sorrto la bliejo-Lrrno enorrrguïdo,

Art plus aut crourihorrn de l'arrbre-mèrtre,

o Mahoumet! lou bastirnen de Tûnis

A la pèrr de m~utoun qrt'es pendoulado!

Es arriba lou bèu proumié li Conre

l'an rlouna 'n sa de pan em'r~no boutoDe vièi Canto-Perdris. F~rran tampino.

Pièi à la babala, se vuei s'empegon! 1

E danson li jusiolo qu'an aducho,

Tirarsejant si pantor~fleto jauno,

Au brut di castagrrolo, sus cuberto,

E canton e rrvrrejon si sansogrro.

Li Coundriéulen, zôu! emé màli peno,

Adaut dôu Prat, butant, tirant sa rigo,Oh! saio! oh isso! û la perfrn arrumbon

Si barco long dôu port e, prenènt terro,

Deja li beriquin en rnultitudo,

Bourrin-bourrant, env~rhisson, emporton

CIIANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 2}9

les tart30es de Gêncs ou de Livourne,

les brigantins d'Alep, les balancelles

de ~Ialaga, de Naples et de Majorque,

les godcttes anglaises ou du Hanc-de-Grace,

les groins-de-porc d'Agde et de Cette

et les trabacs noirs de l'Adriatiquc.

C'est un vacillement sur le Rhône, une danse

dans le soleil, la houle et la rumeur

de tous les jargons des gens de marine.

Nais du milieu des bigues et des antennes,

des voitures, des cordages, des moufles,

où, les pieds nus, qui descend et qui monte,

sous le Croissant enorgueilli,

et au plus haut croisillon du grand-mat,

ô ~lahomet! le bâtiment des Tunisiens

a la peau de mouton qui est pendue 1

Il arriva beau premier les Consuls J

lui ont donné un sac de pain et un tonneau

de vieux Cante-Perdris 4. Les Turcs feront ribote.

Puis à la garde d'Allah, s'ils se grisent l

Et les juives qu'ils ont amenées de Tunis,

trainant mollement leurs jaunes babouches,

dansent au bruit des castagnettes, sur le pont,et chantent, nasillant leurs cantilènes.

Les Condrillots, allons avec efforts,

au haut du Pré, poussant, touant leur flotte,

oh! hale oh 1 hisse parviennent à rangerau long du port leurs barques et, sitôt atterris,

déjà les débardeurs en multitude

tumultueusement envahissent, emportent

24° CANT X, LA FIERO DE BEU-CAIIU.

Li cvrguesoun, en jasént J la courso

TrantaiejJ li passarello primo.

Caro davvns! li Cotrndriéulen! Se rk~rp~,Se tuerto de pertout que treboulèri!

A rerpèt de Bèu-Caire en tèms de frero,

Èro rèn lott Crvnd-Caire, Diétt m'ajude!

LXXXIII

Li gros branc~rn, c~rrga de bouto d'dli,

Li carretoun dis eigadié qu'esporrrcon,

Li bancvdo d'arange vo de limo,

Li moutorrn de coufin, de canertello,

Lis escoubo de mi, li fourco d'iao,

Li pèiro de moulin que vous entravon,

Li bringo-balo tirassant li fusto,

Q~re sabe ifrr! dins lorr rablas dtiu Rose

Enjurquo li evmpano que se fourrdon.

Mai èro piéi lou Prat! De si cabano,

Di cab~rno innoumbrablo li rengt«ero,

Emé si fierejaire qu'en farniho

Gourton em'un gre d'vpi aqui-dejoro,

Fvu l'agr~f vist en touto plenitudo,

Aed, lou bdu dimenche de Bèu-Cvire!Tduti li n&vi dôu p6ir d'ArgènFo

E de la terro d'Arle e d'ar Jarnegrrc,E tduti li fring~rire dis Aupiho,

CHANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 241

les cargaisons, en faisant à la course

bruire et chanceler les passerelles minces.« Gare devant! les Condrillots D On gueule,

on cogne de partout quel grouillement!

A l'égard de Beaucaire en temps de foire

le grand Caire d'Égypte, Dieu m'aide, n'était rien!

LXXXIII

Les gros fardiers, chargés- de tonnes d'huile,les camions des arroseurs qui éclaboussent,

les banquises d'oranges ou de citrons,

les monceaux de cabas ou de corbeilles,

les balais de millet, les fourches de bois dur,

les meules de moulin où l'on s'achoppe

et les bringuebales qui trainent les poutres,que sais-je, moi? dans le sablon du Rhône

on voyait tout, jusque fondre les cloches!

lfais puis c'était le Pré Et ses baraques,

les rangées de baraques innombrables,

et les marchands forains qui en famille

y mangeaient en plein air un coeur de céleri

il faudrait l'avoir vu en toute plénitude,

cela, le « beau dimanche D de Beaucaire 1

Tous les mariés du pays d'Argence,de celui de Jarnèguc et de la terre d'Arles,tous les amoureux des Alpilles,

14

242 CANT x, LA FIERO DE JI~U-CAIRE.

E tôuti li parèu rle la Vau-Nage,

De la Virtrenco e de l~t Gardounenco,

Au grand soulèu, à l~r f~ici d'rrn pople.

A~tri venien pusrej~r ,rorrn triounJle.

Souto li tèndo frerco dis andano,

Cadrrn ,rarrarrt lort bras de sa caduno,

Qlre regal~rdo èro pas de li vèire

Carl~rndeja, morcandeja si fiero

E se crotrmpa de a b~rgo d'ai D pèr rire!

A~ni, t~rrt jour, i'avié qu'un crid ~le gl~ri

Qu'esb~radissié ttitrti li lèio ortmbrotrso

Ql~e Juguèsse artir~no o païsano,

Que fnguèsse bour~eso vo marquero,

!'avif qn'un crid pèr la plus bello tèsto

o pèr lou gJrrbi de l~r mai coussrtdo

Que tout l'an fasié lèi, ditant la modo.

LXXXIV

o Lonur dôu jouvènt! dis un is autre

Rivalirant de joio e de jouïno,Entre fli se fasien gau e ligrreto.

E tout lou jour ensèmGle, dins la foulo

De vint nacioun divrrJO, incorrneiârrdo,Cui.Sen routo lou bras emé l'Augloro

S'enanavon perdu. La moulounado,

Coume uno orrndado folo, u touto zuerto

CHANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 24}

dc la Vau-Nage tous les couples.

de la Vistrenque et de la Gardonenque,

au grand soleil, à la face d'un peuple,\"enaient y promener, ce jour-là, leur triomphe.

Sous les tentures fraiches des allées,

chacun serrant le bras de sa chacune,

n'était-ce pas délicieux de les voir

vagabonder, marchander leurs emplettes

et s'offrir en cadeau des (1 bagues d'aïe 1 D pour rire!

Il n'y avait, à pareil jour, qu'un cri de gloire

ébaudissant l'ombre des promenades

qu'elle fùt artisane ou paysanne,

fùt-elle bourgeoise ou marquise,il n'y avait qu'un cri pour la plus belle têtc

ou pour l'élégance de la plus cossue

qui tout l'an faisait loi, dictant la mode.

LXXXIV

Bonheur de la jeunesse! A qui mieux mieux

rivalisant de joie et de liesse,

ils se faisaient entre eux plaisir rien qu'à se voir.

Et tout le jour ensemble, dans la foule

devingt nations diverses.et inconnues,

Guilhem et l'Anglore, au bras l'un de l'autre,

s'en allaient perdus. La tourbe humaine,

comme une houle folle, à tout hasard

CANT X, La FIERO DE BtU-CAIRE.244

Lis empourt~rvo urorrr. Elo, esb~rlrido

De tout ~n que t~esié di clrico-estnrsso,

Dis engrremié rlrr'arnorrnt dins si carrossn,

E gin! e borrrn! vendien rle contro-verme;

D'arluEli bra,~·rretin que vous dvlr,~lon

Emè si pusso-man e passo-passo;

Di balarino anripela:ln e sat~plo

Que rlansavon i lrrme sus la cordn;

o ddrt Poulichinello emf Rorrseto

Rouscto 1 Dequé vos ? Lou pichot plouro!Ah! frlié s'avis~r di filoun. Rare,

Q~tand i'avié rorrdelet vers li coumèdi,

Que noun crrrèsson en quvrrcr~n li priclri.

Pér tira finamen l'or di centtrro

N'i'en z~enié de Paris emai de Lounrlre!

A~ai ddu ple·si qn'rrvié l'enfantoulirlo

Cnihèn prenènt sa part, arrtant badavo;E corrme, dins lott clar rl'uno font prrrn,

Qrrvnrl avès carrJ, l'estiéo, fai bon descrndre,

Pèr tempouri sa fëbre lnnsuirsorrso,

Ért descendié dins arlrrelo amo novo.

E n'i'avié tant à vèire, agui, de cvuso!

Li rode orrnte vendien li bimbeleto

Enliasrado em'rrn frfrt, que vénon d'Albi;

Li T~rrc gu'entrrrbans vendien de pipo;

Li bnriassié, li Gré cor~ifv de roub~e,

Que tènon li tapis bror~rla d'Esmerno

E Jorr gengibre e t'essènci de roso,

Bèn cachetado i rnorrleto de vèire

E qu'rrn degortt tout rr.n oustart perfirrno!

CIIANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 24f

les cmportait heureux. Elle, ébahic de tout

ce que ses yeux voyaient des avaleurs d'étoupes,

des charlatans juchés sur leurs carrosses

et qui dans le bastringue vendaient des vermifuges;

et dc ces bateleurs qui vous aveuglent

avec leurs tours de mains et passe-passe;et de ces baladines couvertes d'oripeaux

qui dansaient aux flambeaux, légèrcs, sur la corde;

ou du Polichinelle avec Rosette:

e,.Rosette! J) «Que veux-tu ? J) « Le petit pleure! »

Ha! il fallait prendre garde aux filous.

Dès qu'il y avait groupe autour des comédies,

ils vidaient à quelqu'un, presque à tout coup, les poches.Pour tirer finement l'or des ceintUres,

il en venait de Paris et de Londres!

.%laisdu plaisir qu'avait l'enfant naïve,

Guilhem, prenant sa part, bayait comme elle;

et comme dans le clair d'une fontaine pure,aux chaleurs d'été, il fait bon descendre,

pour tempérer sa fièvre et sa langueur,

il descendait, lui, dans cette âme neuve.

Et il yavait tant à voir, dans cette foire 1

les endroits où étaient les marchands de gimblettes

enlacées par un fil et qui viennent d'Albi;

les Turcs en turban, qui vendaient des pipes;

les larges braies6, les Grecs coiffés de rouge,qui tiennent les tapis brodés de Smyrne,

et le gingembre, et l'essence de rosebien cachetée dans les fioles de verre,

dont une seule goutte parfume une maison!

~.t.

246CANT x, LA FIERO DE BtU-CAIRE.

Pièi lou courau, li rèst de perlo fino;

Pièi !i jorrguet, li tambour de Bèrt-Caire,

Q~te tant n'avèn crebo, quand erian jorrine!E li venturt garni de pampaieto

E li titèi, vestidn o tôrtti nruo.

LXXXV

Ele! bèn, mai venèi pas encd d6u pir,tre?

Lis orne rf6rr C.rbrtrle ié cridèron,

Un jour, att bèn p~rrèu. Ourrte s'atroz~o?

Crrilrén fagttè. Venès, tegrrèr la bandol

E tout ac· balin-balvrr, s'enfourno,

Lott caclrimbvu i dènt, en lino turno

Q~avié pèr ercritèrt Qu p~nto vèndc!

Un bl~rrteg~rrr, frounsi coirme uno figo,

Vièi peujaire de mar at~ tour dtiu rnotrnde,

A flour de pèu, em'rrn pincèra d'aguïo,

Pèr uno pè`o a~td vous mascoravo

Touto sorto de signe vo d'istLri.

A.lounc sus lou crestiar.. ~rrou rrno remo,

Qfr~ru l'ancro d'etprranFo, qttau un Criste,

Q,rtau un cor aJlama s'èro fa faire.

E vous, rnoun prince ? -lén t loti diétt de l'onnlo

Vole que sorte de mi veno bltrio.

E lèu, g,rloi, estroupant sa camiso,

Sus lou ponprr d6u bras se fagui pegne

CHANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 247

Puis le corail, les fils de perles fines;

puisles jouets, les tambours de Beaucaire

dont nous avons crevé si beau nombre, étant jeunes!et les éventails ornés de paillettes,clIcs poupées, vêtues ou toutes nues.

LXXXV

a Eh 1 mais, l'hcz le peintre vous ne venez pas? »

les hommes du Caburle un jour crièrcnt

à notre beau couple. « Où se trouve-t-il ? n

demanda Guilhcm. « Venez, suivez-nous! »

Et, se dandinant, la bande s'enfourne,

le calumet aux dents, en un taudis

qui avait pour enseigne Qrri peirrt c·enrl.

Un Martégal, ridé comme une figue,

vieux routicr de la mer au tour du monde,

pour une pièce, là, de son pinceau d'aiguilles,à fleur de peau vous tatouait

toutes sortes d'emblèmes ou d'histoires.Et sur la chair nue, qui un aviron,

qui l'ancre d'espérance, qui un Christ,

qui un cœur enflammé s'était fait faire.

cr Et vous, mon prince? » « Moi? je veux faire sourdre

de mes veines bleues le génie de l'onde. J)

Et aussitôt, gaiement, retroussant sa chemise,

sur le muscle du bras il se fit peindre

CANT X, LA FIERO DE BtU-CAIRE.248

Un hèrr Dra blavinèrr, alrr, tout motrJlr

E que l'arrrias di vürr sus ta car 6/anco.

Ac%~'s aca! crirfè l'Angloro, justeCortrne t'ai vist, morrn Dra, rorrto lor~ Rosr

hlai qrr'èret hèrr! oh I ve, iéit quand ié pènre.

Ajuttè plan, me fai morrnta li rorrito.

E ié torrrnaras mai, au Rose, digo!

Au Rose, enfant? rle~ué i'anariéu faire,

Retportndegrrè lou prince, nro que vese,

Aro que tène aqrrelo quai vort~rrrfo!

Afai que faras de iérr ? De tu, rnis~noto.Ifu que farai? ma corrmtetro irleiorrso

De Dlot~nt-Dragnrtn o, t'arnrt mai, rl'Arrrrnjo.

LXXXVI

E, tôrrti disavert, ansin anvvon,

Éli, pèr li carriero grorradisro,

hfai norrn vesien plus rèn ni li camello

De draparif, de Jiassado, !i mouto

De re:fo roussinello, cruto o Jlusso,

Que vau soun pesant d'or, ni !i b,mdiero

De tduti li cotrlour, entravessado

Sus !i androuno blanco de catassino

Emf li noum di trafrcant de Cèno,

De Mount-Pelif, de Cridis o de Brotisso,Ni li basar que dounon la borltrgo,

CII.\NT X, L_\ FOIRE DE BEAUC.\IIIE. 249

un beau Drac blcuâtrc, ailé, potelé,et qu'on citt dit vivant sur la chair blanche.

Oh 1 c'est tout à fait ça cria Anglore,

tel que je t'ai vu, mon Drac, sous le Rhône 1

t(ais que tu étais beau! Cela, lorsque j'y pense,

ajouta-t-eUcà demi-voix, me fait rougir.

Ft tu retourneras au Rhône, dis »p

« Au Rhône, enfant! et qu'irais-je donc faire?

le prince répondit, maintenant que je vois,

maintenant que je tiens celle que j'ai voulue! »

u Que feras-tu de moi » II: De toi, mignonne,cc que moi je ferai ma comtesse fantasque

de ~Iont-Dragon ou, si tu aimes mieux, d'Orange.»

LXXXVI

Et, la tête à l'évent, c'est ainsi qu'ils allaient,

eux, par les rues grouillantes,

mais ne voyaient plus rien ni les monceaux

de draperies, de Jr~ssader les tas

de soie dorée, soie grège ou flochc,

qui vaut son pesant d'or, ni les enseignes

de toutes les couleurs, étendues en travers

sur les ruelles toutes blanches de chaux,

3\'ee les noms des trafiquants de Gênes,

de Montpellier, de Cadix ou de Brousse,

ni les bazars qui donnent la berlue,

CANT X, LA FIERO DE BtU-CAI.n.2fO

De tant que i'u de jotridrr, de beldri,

Ni lort nrrcarelrrn di Bèu-Cairenco

Charrant sorrto lis Arc dins si boutigoO vers si porrrtalet pesant li d~iti.

p, pamenr que la vèn.·le, ma tagueto

De pampaieto d'or! f~rsié l'Angloro.

E rfins li maâasirt ensèrnble iutravon,

Dins lis onstarr fres~treirotrs, à celèstre

Festorrnej~r corrrne au pnïs di hlorrro,

Qfre rémblou de rarrai plen d'orrdalisco.

E souto lis arcèu, rle croto en croto,

Risént entre éli dous ~r l~r chrrt-chrrto,

Vôrrtavon, sènso vèire, la derplego

Di Franchirnand, rfi Lorrmbarrl, dis Arrnéni,

Dis Esterlin, di hlarnru e di Chincho.

Fau p~rrnenr que !i vènde, mi paiolo,

La ch~rto re:lisié. Venèr, fil~eto!

Èro un orfébre, just, que la sounavo.

Es d'or de Ceze o dtiu Gardorrn d'Andtrzn?

D'Arrlecho. Alor, vejan! La bourti'oua~

Vujè sa p~rrsso d'or dins la coupello

N'i'avié pèr vint ererrt. Aurivelaire,

Digrrè lorr segnouret, dos bago liso

Nous farfs em' acd metrés sus l'uno

Lnn Dra, sus l'urrtro rrno piclroto angloro.

E sara nosto fiero de Bért-Caire.

2ftCII.NT X, LA FOIRE DE 8EAUCAIRE.

tant ils sont pleins de joyaux, de bijoux,ni le joli caquet des Beaucairoises

¡mnt dans leurs boutiques sous les Ares 3

ou bien pesant les dattes sous leurs portes cintrées.

« faut que je le vende, cependant, mon sachet

de paillettes d'or! » disait l'orpaillcuse.

Et aux magasins ils entraient ensemble,

dans les fraiches maisons, à ciels-ouverts

tout festonnés à la mauresque,

et semblables à des sérails pleins d'odalisques.Et sous les arceaux des salles voistées,

riant entre eux deux entre eux chuchotant,

ils visitaient, sans voir, les étalages

des Franchimands, Lombards et Arméniens,

des Estrelins, Marrans et Gitanos

11 faut que je les vende, cependant, mes paillettes, D

l'Anglore redisait. cr Venez, fillette 1 J)

Justemcnt un orfèvre l'appelait

Est-ce de l'or de Cèze ou du Gardon d'Anduze? »n

D'Ard~che. D 0:Voyons donc J) La dégourdievida sa poudre d'or dans la coupelle

cela montait à vingt écus. Le damoiseaudit cr Batteur d'or, avec cela vous nous ferez

deux bagues lisses de fiançailles:

mettez le Drac sur l'une, un lézardcau sur l'autre.

Ce sera notrc foire de Beaucaire. »

CANTX, LA FIERO DE BEU~CAIRE.2f2

LXXXVII

Oh! Diérr cresès que la fuguè, corrntènto

Arr cl,rr i'uurié surrtu. Afui, busto, à l'otrro

Qpe li c~rJé cuntunt, la niue, se vuejon,

Cuihén, un cop, se deviu~rnt pèr orto,

A rescountru p~rnrens li Veniciano,

E zôu! vers lotr porrntin rli eantvietlo

S'es entvrrla, rorrleJ, pèr gulantiso.

A passa la jorrrr.~rdo erné sa brrrno

E, de retour d6rr countentié, gulejo

Eh bèn, ié fai, a~rrérr tresor de papoQr'er urn~rg~l 'n Avignor~n dins lou torrrnple,

A~jrrelo rustega'rro d'aporutvli,

Agrréli doub·e burb~rn d'or que g~rrdo

Lotr B~rseli, quorrro lis urtun qrrerre?Sel,rnoirr, rrno digrre~, frr~·rr~s traurJrrile!

Avèn qrt~ru fuu pèr tentu l'uventrrro

Ernai pèr enctre à mort, s'es necess~iri,

Lorr Buseli! Pbrt! re corrmpren de sorrf~ro,

Ajuttè 'no uutro, que pariero trovo

Norrn siegrre pas ~rund c,ruso pèr lotr prirrce

N'i'en munco d'or, erlènt lou corrrtejaire

D'rrno que n'en rabaio dins li Jlurne!

Dono, resporrndegrrè lou prince, agrrelo

11'orrn uvi~° de brforrn, pèr èrtre utnJrlo,

CHANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 20

LXXXVII

Oh Dieu 1 pensez-vous qu'elle fut contente t

Elle lui aurait sauté au cou. Mais, bref,d l'heure où les cafés chantants, la nuit, se vident,

Guilhem, une fois, errant par les rues,a rencontré pourtant les Vénitienneset \'itc, vers l'estrade des chanteuses,

s'cst attablé tout seul, par gentillesse.

Il a passé le jour avec sa brune,

ct, au retour du bonheur, il plaisante

« Eh bien, leur fait-il, ce trésor des papes,

qui, en Avignon, git dans le grand puits,cette brochée d'apôtres,ces douze revenants à barbe d'or que garde

le Basilic, quand est-ce qu'on ira les chercher? ])

II:Seigneur dit une d'elles, nevous inquiétez pas!

Nous avons qui nous faut pour tenter l'aventure

ct pour mettre à mort, s'il est nécessaire,le Basilic 1 « Peuh! on comprend de reste,

une autre ajouta, que telle trouvaille

ne soit que peu de chose pour le prince

aurait-il manque d'or, étant le courtisan

d'une qui en ramasse dans les fleuves 1J)

Le prince répondit « Mesdames,celle-là n'eut besoin, pour être aimée,

1f4 CAST X, LA FIERO DE OtU-CAIRE.

Que d'erpeli (res u'en r~trié jJlonro !),

Cotrme frti hr viôrrleto tunblo e regrrirto,

A l'otunbro rl'rrtt Gorrissotrn, zorrn-zonn l~rnlèro!

LXXXVIII

E fre~lonnunt, Guihèn, sa canrorrneto,

An brut rle qrr~uco m~rndorrlinn liuenclro,

Dins la jresco:rr ~le la nit~clrudo, i lume

Di fanau rar que pan d parr s'umotson,

Arr Gurcarés tourno pèr r'urra juire.E t~u lou pèir, que l'uiao ié treGoulon,

Lèu-lért que nurlo amount vers l'uigo linrfo,

Antuu Cuilrèn tr bagno i sonvenènFo

D'aquelo lindo e tant donceto ist~ri

Dôn durnisèu Arrcassin de Bèu-Cuire

E de ht bello etcluvo Nicorrleta

Que volon pas ié dounv pèr espouso

Qfrund ttiuti dons J despurt lis enjermon,

Qlre tôuti dous fan soun escupuduro

E, libre e gai, dins lorr Gos se retro~on

E qra'au clur de lu lrrno s'entre-boison:

E quand pièi d'urretoun la rnesso en sello,

Qr'éu l'emporto à chivau vers lu rnurinnE que s'emburcon pièi en Aigo-,llorto

Pèr g~rgnu lort puïr rfe Touro-Louro!

E quand li Sarrasin agrri li prenorr

CHANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 2H

que d'éclore (quelqu'un en serait-il jaloux?)

comme fait la violette, humble et pourtant cherchée,

i l'ombre d'un buisson, zon, zon, turelurel .p p

I.XXXVIII

Guilhem, sur ce fredon de chansonnette,

au bruit de quelque mandoline éloignée,

dans la fraicheur de la nuit, aux lueurs

des falots clairsemés qui peu peu s'éteignent,

s'en rctourne au port, allant se coucher.

Et, tel que le poisson dont on a troublé l'eau

nage vite en amont vers l'eau limpide,

ainsi Guilhem se baigne aux souvenances

de cette limpide et si douce histoire

du damoisel Aucassin de Beaucaire

et de la belle esclave Nicolette

qu'on ne veut pas lui donner pour épouse

lorsqu'on les enferme, chacun d'eux à part,et que tous les deux s'échappant,

librcs et gais, au bois ils se retrouvent

et au clair de la lune s'entre-baisent;

et lorsqu'il l'a mise en selle avec lui,

et qu'il l'emporte à cheval vers la mer,et qu'ils s'embarquent puis en Aigues-Mortes

pour gagner le pays de Ture-Lure 1

Et quand les Sarrasins les faisant prisonniers

2r6CANT X, L.\ FIERO DE BtU-CAIRE.

E que li vin revèndre, elo h Cartage

Orrnte es recouneigudo pèr la fiho

Ddrt rèi, érr ~i I3èrt-C:rire otrnte Inu pople

G'o salu~a pèr sorrn se~nour e mèstre;

E qrrana, un jour, Nicortleto, en corrrtrrtne

De piclrot f~tnfo~tniaire, vén, rlerrortto

Lott peiroun rl'ucarsin, dire lort conte

Dis atnottr d'ért em'elo Nicottleto

E qn'enfin J Gèu-Cuire se rnarirfon,Dins lort eartèrr, vers III tourre à tres eaire!

Q!t'JCh 's poulit! disif Guihèn, revertn

Nosto aventrtro un pau emé l'Angloro.

blai coutne a rli, contro éu se drèirso uno ournf~ro.

E, rnatrasra d'rtn cop dins lis esqtrino,

Ctdh~n rrrbit~men cabrrrso fil terro.

Ai! puure d'e~rr! em'tut saquet de sablo

L'an raqueta pèr ~larrié. Di mandorro

Alin rnoron li son, la rriue vèn mudo.

E~u.ru

a fr lou eop en téms de frero

Degrrn i~rmui taup rèn rnart pèr quvn toutnl~

LXXXIX

Srrbre lotr port Joungaru v~tn e vènon

Li Coundriéulen, que drm.rn fau que partar..

L~rfrero er att declin. A l'auro drccho

Li b~rrtimrn de mir dej.r defilon

CIIANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 2f7

1.s vont revendre, elle à Carthage

où elle est reconnue pour la fille du roi,lui à Beaucaire où tout le peuplel'a salué pour son seigneur et maître;

et lorsqu'un jour Nicolette, en costume

de petit vielleur, est venue au bas

du perron d'Aucassin dire le conte

des amours d'icelui et d'elle Nicolctte

et qu'enfin à Beaucaire ils se marient

dans le château, vers la tour aux trois anglcs'

aQue c'est joli! disait Gllilhcm, cela rappelle

notre aventure, un peu, avec l'Anglore.»

vlais à ces mots, une ombre contre lui s'est dressée

frappé d'un grand coup dans le dos,Guilhem soudain mord la poussière.

Nie! malheur! avec Hn sachet plein de sable

on l'a traÎtrcuscmer,t urqnettE. Des mandores

au loin meurent les sans, la nuit devient muette.

Et qui a fait le coup? En temps de foire

nul jamais ne sait rien pour qui tombe, tant pis 1

LXXXIX

Sur le long quai du port ils vont et viennent,

les Condrillots qui repartent demain.La foire est au déclin. Au vent d'amontles bâtiments de mer déjà défilent

CANT X, LA FIERO DE BÈU-CAIRE.25"8

E, long dôu Pnrt, jrrs~rro alin vers la porrnrhs

Di blatvbot, vesès li oelo blanco

Desforrrrehtdo arr vènt. hl~ti contro Rose

5'alestissèrtt pèr la rernounto rrrdo,

Tduti lis eqrripaâe d'uibo rlorrFo,P~rtrorrn rle barco emvi patroun de terro;

B:rile, proravié, ciurdié, de si ruaio

Estacon li morrchoun. A~rri s'arrimon

L'dli de bres, Jott bon vin de Smt Jdrgi,Lotr ris lorr»rbarr! e lou mèt~ de Narbor~rr~,

E la sat~ de Pecai e li b.rrrielo

D'~tnchoio de Frejrrs, li pin de sucre

E li b.rrd de s~rborrn que fai hlarsilro.

Auto! qrr'aniue larr prince, lr la Vignusso,

P~rbo la rorr:rnado e la riboto!

Car es pas rnort, lota prince en pleno sorrrrn

L'an r~rbui~r ~rre noun b;rtié plus veno;

hlai, gnunaci l'cnJlrrr de sorrn astrado

O lor~ ressort belèu de sa nJturo,

S'es reviérrrla. lllourira pas d'rrgtrelo.

E Jan Roclro d despart vèn ~r l'Angloro

l'rrrt rèu vist sur soun cors, e vr,tt rèn dire.

Sarié toumb.r, que! dtirt mau de la terro

L'on pdu pas satrpre. Oh! F ~rnen, Jan-toutonro!

l,~nores ~rre lou Dra, qrran_l vûrr, se mrrdo,

Rerpoundeguè la drolo, e s'entremarcho

De cènt milo faFoun l Vueisus la ribo

l'a plaregu de leiss~t rorrn cors d'ome

E de re traire av.rrt dins l'aibo jorrnso

l'èr an~r vèire, sai! lis erpelrrco

CHANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 2f9

et sur le bord du Pré, jusqu'en bas vers la pointe

des Nlatacrots, on voit les voiles blanches

déferler sous la bise. Mais, contre le Rhône

se préparant pour la remonte rude,

tous les équipages d'eau douce,

patrons bateliers et patrons haleurs,

bailcs, prouviers, civadiers, de leurs câbles

vont rattacher les bouts. Et l'on arrime

les huiles de coteau, le bon vin de Saint-George,

le riz lombard et le miel de Narbonne,

et le sel de Peccais et les anchois

de Fréjus en barils, les pains de sucre

et dalles de savon que fait Marseille.

Or sus! à la Vignasse" le prince doit, ce soir,

payerla rortan~rde" et la ribote!

Car il n'est pas mort, le prince: en plein sable

on l'a ramassé ne battant plus veine;

mais, grâce à l'influx de sa bonne étoile

ou peut-être au ressort de sa nature, il est

sur pied. Il ne doit pas mourir de celle-là.

Et Jean Roche à part cause avec l'Anglore

«On ne lui a rien vu sur le corps; il se tait.

Serait-il tombé du haut mal ?

On ne peut pas savoir. 1) CIAllons donc, Jean-la-flûte

Ignores-tu qu'à son vouloir le Drac se mue,

répondit la nicette, et se dérobe

de cent mille façons? Aujourd'hui sur la riveil lui a plu de laisser son corps d'hommeet de se plonger dans les eaux profondes

pour aller voir, que sais-je ? les cavernes

260 C.\NT X, LA FIERO DE BÈU-CAIRE.

Ounte~ardè

sèt an labub~adiero,

Aquelo bugadiero de Biu-Caire

Qr~'avif tortmb,r soun bacèn dins lort Rose,

Aqrri de-long, l'as bèn entendu direT

0, repli~rtè lou prouvif, 'mf li Trè-,ro

De rèn fTU s'estorrna. Mai, qu'acd firgrre

Verai o noun, sifs trno bello folo

D'escouta si paraulo safranouso

E de pas vèire, parrro, que t'enjueio

E qu'fu, un jour, agrrwt poumpa ta vido,

Sus lou ribas de qrsoueo graveliero,

Un jour, perfu te leistara cadabre! i

Hdu! l'Angloro diguè, la lagramrtso

N'es-ti pas la sorrrreto dtiu Cor~lobre?

Ve, t'enlabren:rra! Se m'enlabreno,

Eh! bèn, siegue moun ur! ifu voulountouso,

Afe leissvrai toumba dins l'engôulido,

C~ume tonmbo la frreio au gourg que bado!

xc

E Mèite Apivn cridè Sarnipabiéune!

D'vbord que vEu paga la bello sorrido,

Er un bon prince aeb! Noum d'un gimerre!

Lis ome an rerpoundu, fau que i embugue

Ddu viéi sant hlicorrlau vniue la tino! i

Anen, enfant! E xôul touto la colo

CHANT X~ LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 261

où il garda sept ans la lavandière,

b lavandière beaucairoise

qui avait laissé choir son battoir dans le Rhône,

sur ce rivage même, tu l'as bien ouï dire? 1)

a Oui, répliqua le prouvier, des Esprits

rien ne doit étonner. Pourtant, que cela soit

vrai ou non, tu es une belle folle

d'écouter ses paroles ambiguës,

sans voir, pauvrette, qu'il t'enivre

ct qu'ayant un jour aspiré ta vie,

sur la rive nue de quelque gravier

il te laissera, toi aussi, cadavre! D

a Ho dit-elle, l'Anglore, ce petit lézardeau,n'est-elle pas un peu soeur du Dragon? »

a 11 te fascinera! J) ([ Eh bien 1 qu'il me fascine,

si mon destin est tel! Moi de bon cœur

je me laisserai choir à la pipée,

comme au gouffre béant tombe la feuille! »

xc

Et blaitre Apian cria a Jarni-pas-Dieu 1

puisqu'il veut nous payer le régal de la fin,

vraiment c'est un bon prince 1 8:Nom de quelque jumartl 1

les hommes répondirent, faudra qu'on la combuge,

ce soir, la cuve au vieux saint Nicolas 1 J)

a Allons, enfants 1 Et tous gravissant la montée,

1

262 CANT x, LA FIERO DE BtU-CAIRE.

5'enmor~nto au cabvret de la Vignvrso.

D'a~rri se vèi lou plan prrïs d'ArgènFo

E lv Sfrrvo-Cortderco ountr la bicho

bfenè tout dre lou rèi J l'ermi!riri

D6u grand sont Gile. Aqrti pèr rôu barrulon

Li vièi boulet de pèiro glouriouso

Qrt'erpôrttiguèron, tra pèr li cvlabre,

Li Crousa de hlount-Fort clapas de pèiro

Sèt fes svcro, suprème testirnani

D'un pople debar~ssa, norrn rènro lucho,

Lou rire i lobro e cantvnt soun martire!

Dotrnc, un cop entaulado la grand chourmo

A l'entonr d'En Gtrihèn Svbès, cardvcho,

En quvrt, if dis Cuihén, me pren envejo

De counsacra l'artimo repeisrudo

Que fasèn dins Bèrr-Caire 1 patrioto

Dôrt ribeirfs rourar~, is intrepide

Qfte dins li four ancian se montenguèron

Art cvstelvr qu'~i ndrtis iue s'vubouro! 1

1 ribeirarr vvlènt que si cotortumo

E soun port franc e roun grand Rose libre

Svclrèron apvra! D'aqufli rèire,

Gaiardamrn toumbv dins la b~rgvrro,S'an vuei li frfu desôrrblida la gldri,

Tant pltts-mvu pèr li fifu! blai vvutri; chorrro,

QJr'avès toujortr svtrva lott crid Empèri! 1

E que, brvvrs, à vosto dessaupudo,

Anvs bèn lèu, anar bessai tout-aro,

Pèr apara lort Rore dins sa virlo,

Anas lifurv la bvtvio rvdiero,

CHANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 261

s'en vont au cabaret de la Vignasse.De là se voient le plain-pays d'Argence

et la Sylve-Godesque, en laquelle la biche

mena le roi des Goths tout droit à l'ermitage

du grand saint Gille. A terre c'est là que sont roulants

les vieux boulets de pierre glorieuse

qui ont broyé, lancés par les cal~bres'

les Croisés de Montfort: amas de pierres

sept fois sacré, suprême témoignage

d'un peuple déroché, mais non sans lutte,

le rire aux lèvres et chantant son martyre!Donc, la grand'chiourme une fois attablée

autour de Guilhem CISavez-vous, amis,

leur dit Guilhem, à qui l'envie me prendde consacrer notre dernier repasfait à Beaucaire? Aux patriotesdes rives rhodaniennes, aux intrépides

qui, dans les jours d'autrefois, se maintinrent

au chàteau fort qui à nos yeux s'élève 1

aux riverains qui surent défendre valeureux

et leurs coutumes et leur port franc

et leur grand Rhône libre! De ces ancêtres-là

gaillardement tombés dans la bagarre,

si aujourd'hui les fils ont oublié la gloire,

eh! tant pis pour les fils! Mais vous autres, les gars,

qui avez conservé le cri Empire!

et qui, en braves gens, à votre insu,

allez bientôt, pcut-être tout à l'heure,

pour défendre le Rhône dans sa vie,

allez livrer la bataille dernière,

CANT X, LA FIERO DE BtU-CAIRE.264

Emf ifrt fourestié, mai qu'enraiouno

E qrr'embriago vo.sto lus dôu Rose,Anssus li got à la cvuso vincudo!

Tôrrti li got dins li man clantiguèron.

Li mvrinié, MèsteApfa )l,

charrrihavon

Estabousi, rènro trop bèn coumprene,

hlui respetorts e mut. Lort galant prince

Cor~ntrrniè coume eiFE PJuri de vvtrtre!

Em.si de vdrti n~u lou bèu trigdssi,

Emvi !i ldngui tiero blvnqtrinello

Remoucado en amorrnt pèr li qrradrigo

Di chivalas que tirvsson la maio,

A hr malemparado belètt courron!

lllvi en que ~ièr, o rrrbre-estant d'rin pople

Qlte despièi trer milo an tenié l'empento,

De pregemi sus la cvuso perdtrdo! 1

Cotrme au castèu ilurtre de Bfu-Cvire,Coume li ProuvenFau, bello finido,

En f ci dôrt Soulèrr e ddu grand Rose,Fasen la Rouanvdo e la Soulenco!

E chimen, à la barbo di vincèire,

Lou vin dôu GeneWet que revircoulo.

E brame lou Rou~rn, en Rortunesro!

XCI

Or Inu rouJèu sus Nimes trecoulavo,

Erpargirsènt au long dôrt vaste Jlûvi

CüANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 26r

avec moi étranger, mais radieux

et ivre de votre lumièrc du Rhône,

haussez les verres à la cause vaincue! J)

Dans les mains tous les verres retentirent.

Les mariniers, Maître Apian écoutaient

ébJubis, sans trop bien comprendre,

mais avec respect et silencieux.

a Mcs pauvres gens! reprit le galant prince,et le beau train aussi de vos bateaux,et les files aussi, les longues files blanches,

remorquées en amont par les quadrigesde vos grands chevaux qui trainent la maille,au désastre imprévu courent peut.être!Mais à quoi bon, ô survivants d'un peuple

qui depuis trois mille ans tenait le gouvernail,

gémir en vain sur la cause perdue 1

Comme au château illustre de Beaucaire,

comme les Provençaux, pour bien finir,

en face du Soleil et du grand Rhône,

faisons la Rouanade et la Soutenque 141

Et humons, à la barbe des vainqueurs,

le vin du Génestet 15 qui ressuscite.

Et mugisse le Rhône, en Rouanesse .6 JI

XCI

Or le soleil disparaissait sur Nîmes,

en épanchant le long du vaste fleuve

CANT X, LA FIERO DE BEU-C.SIRE.266

Li ple de sa flasrado enrarrnorrrido

E de si rai la reflvmotrr rlvrriero

Sus lou cvstèu de la Tarasco, tnounte

Lore rèi Reinié temblavo, à si Jènèstro,Beneri la suprèmo rouanadc.

A la santa dôu pvtroun! E d6u prince

Vivo sa cvro! E vivo r~autre! En joio

livrqrrejrn longo-mvi! En nurt segnro

Reve~rten Andvnceto! E Svnt-nlatrrire.'

E lis ercalinado coundriéulenco

Ounte, se Diért lort v;u, tout noste snounde

Retrorwessivn dins mens d'uno mervdo!

E m~rnjon la broufvdo espesso e forto

Que i'er lou bi~irt empielv sus li cebo;

E di pllvborrrdoun fan bello brifo

E picon art pechié. hlai ~i la Ir~no,

En davalant vprès vers la barcvdo

Qne! lort prouvié Jvi ~i Jôusè Ribdri,Atroves pas que fO qu'v di lou prince

Retrais un pau agrréli sorrrcilège

Que l'Angloro disié, ddr~ rvnc de Tourno ?

Ah! bonto, svbe pas, repliquè l'autre,

111vi i'v quvuqrre malvn dtin tron de milo

Que nous menaFo tôtrti, e meme, meme

Aqr~ért bon baclrelar que nous f~i soruto.

L'an pas leirrv pér mort, aièr ? Motrn orne,

Sirn h-n-rrn siècle que lou Diau trajrrro!

CHANT X, LA FOIRE DE BEAUCAIRE. 267

les plis de son manteau ensanglanté

et le dernier reflet de ses rayonssur le château de la Tarasquc, d'où

le roi René semblait, de sa fenare,

bénir le Rhône en sa supr~me t~rgescence.

A la santé du patron! D a Et du prince! n

Vive sa face! D CIEt vive noub En joie

vogue la barque! » CIEt puissions-nous revoir,

!Jins et saufs, Andancette! » a Et Saint-Maurice! n

« Et les escaliers du port de Condrieu

où, si Dieu veut, dans moins d'un mois,

nous puissions retrouver tout notre monde! })

Et, mangeant la GroufuJe épaisse et forte

où sur les oignons s'empile le bœuf,

ils font honneur aux plantureux morceaux

et cognent au pichet. Mais à la lune,

en dévalant ensuite vers les barques

CfHein! le prouvier faisait à Ribory,

ne te semble-t-il pas que ce qu'a dit le prince

rappelle un peu ces sortilègcs

dont l'Anglore parlait, touchant le roc de Tourne; »n

a Ah! va, je ne sais pas, répliqua l'autre,

mais il y a dans l'air quelque désastre

qui nous menace tous, et même, mêmece bon jouvenceau qui nous préte appui.

Ne l'a-t-on pas laissé pour mort, hier? Mon homme,

nous sommes à un siècle encorné par le Diable! })

c a~,r v o va~,c E a~

L,l ~E~IOU`~L?O

XCII

E van se jaire. A l'aubo, entre que piérato

Dins li brouas d6rr Rose l'auceliko,

Dau! dvu! lou veiturin, lis equipage,

Tout ac~'s dej~r dre. Pèr la remounto

An tira li sapino, li pinello,

Tafort! adrou! de l'autro man dôu flr~me.

Desplegon li dos maio tànti longo

Qu'â l'aubourié de la grand nau se ligon.

Agrottpon i dos maio li maieto

Pèr i' atJla li grand chivau de viage.

Au cau-d'avanr de la barco majouro

Vint-e-vue gvragnoun se i' apountellon,

Dessepara, qrradrigo pèr quadrigo,

Emé soun menadou de quatre en quatre.

CHANT ONZIÈME

LA REriO~TTE

XCII

Et ils vont se giter. A l'aube, dès que chantent

dans les taillis des bords du Rhône les oiseaux,

alerte! alerte! le patron, les équipages,

tout le monde est debout. Pour la remonte,

ils ont tiré sapines et penelles,

et hale! et pousse! de l'autre main du fleuve.

Ils développent les deux longs maitr~s-câbles

qui se relient â l'unbourier~ de la grand'nef.

Ils nouent aux maîtres-câbles les c'Jrdelles

ou vont être attelés fes grands chevaux haleurs.

Au câble d'avant de la grande barque

vingt-huit étalons étayent leurs efforts,

séparément, quadrige par quadrige,avec leur conducteur de quatre en quatre.

CANT XI, LA RUIOUNTO.270

Li quatre prirnadié, tôuti blvnc, porton

Lou b~rile cvrretiè qn'v Iv counducho

Di vrretanto chivarr dis vtalvge.

Art curr-d'arrié vvn jorrs~·ne mai dès corrble;

Au cart de Iv carato rrno doogeno;

Art restant di batèrr o de hr rigo

Lora rèsto di sopèrbi rorrmpe-tèrto.

En endihvnt vers lis ego palrrrtro

E grvvachant la terro de si bato,Oh! que soun bèu, la creniero qne Jloto,Emé li rôuai Jlo de si cabertre,

Si rvvu blu de Ivno amechourlido,

Si coulvrsoun plen de clavéu de couire!

A Tarvscoun, i'an douna Iv civado.

Lou mvnercvu ferrant, qu'es de l'escorto,

Un darrié cop lis a passa 'n revisto.

Li rnvrinié de terro, à pleno cencho

Porrrtvnt li bvtvfrérs que s'envertorrion

Pèr adoubv, quarrd fvn, li roumpeduro

De la maio, soun lèst. D'vrrt de la barcn.

Lou vièi patroun Apian, en vesènt siérrno

Aquelo porrderoaso cavvlino

Q~t'en dougo dôrr grvnd Jlume r'esperlongn,

En countemplant touto aquelo sequèlo

De marinié, de carretif, que bor~rjonLi Se~ounvrr dtiu Rore à sv coumando,

En erpinchant la Jloto e Jv teruro

Dis ant tibanèrr blanc que r'encarnellon

Subre la cargueroun di marchandiso

Bèn ertivado e mvrcado à bon ndli

CHANT XI,LA :\EMONTE.

271

Les quatre chefs de file sont tout blancs; ils portent

le baile-charretier, qui a la direction

des quatre-vingts chevaux des attelages.

On joint dix couples sur le câble d'arrière;au e~ible de c~rrate une douzaine;au restant des bateaux ou de la rigue

le reste des superbes grands chevaux.

Et, hennissant vers les cavales des marais,

et de leurs sabots écroûtant la terre,

oh! qu'ils sont beaux, la crinière flottante,

avec les rouges houppes de leurs brides,

avec leurs housses aux bleus flocons de laine,

et leurs colliers ornés de clous de cuivre!

A Tarascon leur fut donnée l'avoine.

Le maréchal-ferrant, qui les escorte,

une dernière fois les passa en revue.

Les mariniers de terre, à leur cei~ture,

portant roulées en bloc les cordelettes

qu'il faut pour radouber au besoin les rupturesde la maille, sont prêts. Du sommet de la barque,le vieux patron Apian, en voyant sienne

cette puissante harde chevaline

qui sur la berge du grand fleuve se prolonge,en contemplant toute cette séquelle

de mariniers, de charretiers, qui fouillent

les Ségonaux du Rhône à son commandement,

en regardant la flotte et la tension

des hautes bannes blanches inclinées,

couvrant la cargaison des marchandises

bien arrimées, marquées à bon nolis

CANT XI, CA REMOUNTO.272

Pèr l'escrivvn, lon vièi patrorrn se gounfto

Dirrr soun ourgrrei de méstre d'equip~rge

E vuei, pèr treb6rrja, dis, que if vèngon

Li Cttminvrt tvnt f~rmour de Serriero,

Li Bortnardèr~ de Lioun, t~inti riche,

Li Martouret bnrgard, que n'an que piafo,

E li bor~tif d'Isero e de Grenoble

Emf si bidrt lour~lrs, cortncha de 66uro!

Que if vèrrgoa, se volon, en segrtido

If fara, lott Caburle, tira l'ènso!

XCIII

E coume a di, capdu en m.rn, salr~do

La crous de l'eqrripabe qu'es en poupo,

Emé sortn det morttu que trempo au Rose,

Devoutamen, norrblvrnen ért se signo

Au nortm dc Diért e de la santo Vierge,Adortnc cortmando, fa tira la maio!

Lou prouvié sus la pro, que fai erconto,

Repetis Fa tira la maio En terro

l.ou patroun de calaumo à soun tour crido

Eh! fa tira la maio! D'rtn à l'arrtre

Lou crid enjusqrro art baile amount ressnso.

Lou baile carretié dins l'ettenda a~

Mando un béu cop de fouit li vint qrradrig~

At~ repetun di chassn lvrdvrello

CitANT XI, LA REMONTE. 27}

par l'écrivain, le vieux patron se gonfle

en son orgueil de maitre d'équipage

Et pour passer devant, aujourd'hui, qu'ils y viennent,

les Cuminal tant fameux, de Scrrières,

les Bonnardel si riches, de Lyon,

les Marthourct arrogants et piaffeurs,

et les bouviers d'Isère et de Grenoble,

3\'CC leurs boeufs lourdauds, souillés de bouse!

Qu'ils y viennent, s'ils veulent, à la suite

il les fera trimer, le Caburle, d'ahan! »

XCIII

Et le chapeau en main, ayant dit, il salue

la croix de l'équipage sur la poupe,et de son doigt obtus, qu'il trempe au Rhône,

dévotement, noblement il se signe

cr Au nom de Dieu et de la sainte Vierge,lors commande-t-il, fais tirer la maille! »

Le prouvier sur la proue, qui se tient à l'écoute,

réF~te cr Fais tirer la maille! » A terre,

le patron du halage à son tour crie

1[ Eh! fais tirer la maille! D'un à l'autre

le cri résonne en amont jusqu'au baile.Le baile-charretier, dans l'étendue,

lance un beau coup de fouet les vingt quadriges,au claquement des mèches qui les percent,

CANT XI, LA RUIOU NTO.274

Desparron à la fes. Se desvoalorrpon

E s'estiron li gurno fin-que tiblon

E, derm~rrrado en pie,; tduti li barco,Lou grand patroun rtprrn Amaio sdli!

E f~r tira davanr! La longo tiero,

Sus la lev.rdo e la cal~rdo rufo,

En rebalant contro l'aigo que jouito

La tirasriero grévo de la rigo,

Tout siatr à so:rn trantran dounc s'encurrèiro.

E souto lorr Lrarrcnrr di gràndis aubo,

Dins lou silènci de la v.rrt de Rose,A l'esplendotrr ddrr sorrlèu que se lévo,

Au pas di bèrr chivru gue i ercourporriron

E de si narro emban~lissou la trrbo,

Lou prorrmif carretif rfis la preauiero.

De liuen en liuen, sus lort corrtet lis autre

Aguènt lou fotrit que pènjo ernè sa lonjo,

En caminant, avau darrié, se signon

0, pèr abra lort c~rclrimbarr à l'esco,

Picon de fi~ sus lou peirard. La troupo,

Tirant de long belèrs un quart de lègo,

Vai ribejant li sanseto ramudo

Ounte la maio freto e s'entrepacho.

Arma d'un p.ru que sus l'espalo portorr,

Li rn~rinié de terro la reauisson,

Tenènt rl'~i ment l'einormo tourtor:iern,

Pèr la faire s:rrrta rus lis entramble;

O 'mé G b~rtafiéu qrr'ri la centuro

Se sorru envirônta, de-lon~o adorrbon

Sus li reinard quaugrre trenoun que peto.

CHANT XI, LA REMONTE.27f

s'~branlcnt à la fois. Déployés en longueur,

les cordages s'étirent, se roidissent;

et, démarrées en plein toutes les barques,

Iagrand patron reprend Il :rche tranquillc!

el fais tirer devant 1 La longue file,

sur la chaussée aux pavés rudes,

en remorquant, malgré les eaux impétueuses,

la trainerie pcsante du convoi,

totit bellement à son trantran lors s'achemine.

Etsous les hautes branches des grands peupliers blancs,

dans le silence de la vallée du Rhône,

¡ la splendeur du soleil qui se lève,

aa pas des beaux chevaux qui s'évertuent

et de leurs naseaux chassent la buée,le premier charretier dit la prière.

Dc loin en loin, les autres, sur le cou

ayant Ic fouet qui pend avec sa longe,

en cheminant en arrière, se signent,

ou bien, pour allumer leur pipe à l'amadou,

frappent sur le briquet. La troupe,

tirant de long peut-être un quart de lieue,

va côtoyant par les saulaics touffues

où frotte et s'enchevêtre la maille du halage.Armés d'un pieu qu'ils portent sur l'épaule,

les mariniers de terre l'accompagnent,

suivant de l'œil le câble énorme

qu'ils font sauter sur les obstacles.

Et des cordelettes, qu'autour de leur corps

ils ont enroulées, sans cesse ils réparentsur les palonniers quelque brin qui rompt.

C.\NT XI, LA REMOUNTO.276

XCIV

hlvi enterin, vu bout de la gr~tnr! cordo,

Pereilvvvu sus lv barcado lènto,

De porrpo à pro lou vièi pvtroun que grrinrdo

A di Prouvié, rea~ardo r~n pvu dessouro.

Em'aquélir eigar (qrr'un tron li cure!)

S~rbès jvmai li founs. La sorrbeirano!

En newnt l'escvndva cridè Jan Roclio.

A la bono ouro! E veici que lou prince

Demando à hlèrte Apivn Ansindo moun!o

Forfo, lort Rose, quand vèn frèr En subre

De tout aqrrétr pl~trrvs que s'espalargo

De chasco rnan ddrt flume, tant que terra,

Ai vist, diguè lort vièi, ai vist lou Rose,

Enfle pèr lou ~lavas dis endoulible,

Bandi sis erso eujr~sqrro à la courorrno

Dis arnourié! Sus li meissoun perdudo,

Sus la desoulvcioun dôu plen terrvire,

Ai vist, iéu, li barquet vougvnt pér orto

Au se`~ortrr di mvsic` sus si téttlisso.'

Agrri, monsru, tenès, à Valabrego,Tres jour, tres niue, pèr èstre en terro r.ru~~o,

5'èron ramba li gènt vu cementèri!

Fvsié freni, la niue, d'arrsi lore rounJle

D'vqreelo rnar rôuvvjo, souloumbrudo,

CHANT XI, LA REMONTE. 277

XCIV

llais entre temps, au bout de l'cncâblure,

par là-bas sur la flotte qui monte lentement,

le vieux patron qui veille de la poupe à la proue

a dit cr Prouvier, regarde un peu dessous.

A\'cc ces crues subites(qu'un tonnerre les creuse!)

sait-on jamais les fonds? J) La scuveruine'! »»

en noyant la sonde a crié Jean Roche.

« A la bonne heure! J) Et voici que le princedemande à Maître Apian \1 Ainsi, s'élève-t-il

bien haut, le Rhône, lorsqu'il devient fier? J)

CIAu-dessus de la plaine qui s'élargit immense

de chaque bord du fleuve, autant que va la terre,

j'ai vu, dit le vieillard, j'ai vu le Rhône,entlé par les averses des déluges,lancer ses vagues jusqu'à la couronne

des mûriers! Sur les moissons perdues,sur la désolation de tout le territoire,

j'ai vu, moi, les bachots voguer à travers champs

au secours des fermiers sur leurs toitures!

Tenez, monsieur, là même, à Valabrègue,trois jours, trois nuits, pour être en terre sauve,

les gens au cimetière s'étaient réfugiés! 1

Quelle horreur, la nuit, d'entendre mugir

cette mer sauvage, menaçante et sombre,

16

CANT XI, LA REMOUNTO.278

Qft'esventrvnt li levado enrai li bbrri,

Empourtavo lis aubie, li recorrlo,

Li frrrassiéu tôrrtis entié! ble mèmbro,

Pecaire, un chin, pres pér la neb?udisso,

Qfre sus lort camelun d'uno paiero

Lou veguerian Jlouta que gingoulavo.

Mai se diguè-ti pas ~ue sus lis otrnrlo

Aivré passa peréu r~n brèr de vorge

Em' un enfmt que ié plouravo dintre 1

E li cop ae frrriéu qu'ri III sorrrnuro

Entendias dins lis isclo e que tiravon

Li priuris insot~Ja de la ribiero!

Ah! botrtar, d'aqrtétt tèms, quand sus li loro0

Avès un trin de barco emé vint coublo

De chivau courne acû, 's pus ~tte que fugrre!

Dia! fa tirv lou cara-d'avanr! Vous dise

Qite i'a gens d'eigassado tant rabènto

Ni que f~rbtre ernt pGU emai tant afre

Corune aquén Rose, quand se desgounfouno.

Se cournpren pas de rnortnte tron pdu sorge

Tant d'aisn, e fau que vèngtte dôrt detnbre!

Car se vesias quand boundo e que carrejo,

Nous adrts de v,rrab~e e de besti~rri

Ql~e jarnai de la vido se vegtrèron!

Dia! f~t tira lou cata-d'arrié! La bisoUrouramen b.riè soun cop d'escoubo;

Arttrnmen perdian tout, a~uel an, frrrto

E vin. N'en frrgurriau, dins lott tempèri,

Pér quatre subre fort chivar~ dc viagé

Que vvlié prorrrr, lntt mrndre, cènt pistolo!

CH\NT XI, LA REMONTE.279

qui,éventrant les chaussées, les remparts,

cmportaitarbres et récoltes,

les tas de foin entiers Il me souvient

d'un pauvre chien, pris par l'inondation,

que nous vimes flotter tout plaintif sur le comble

d'une meule de paille emportée par les eaux.

~tais ne conta-t-on pas que sur les ondes

avait passé même un berceau d'osier

avec un enfant qui pleurait dedans?

Et les coups de fusil qu'au milieu des ténèbres

on entendait aux iles, et que tiraient

les pauvres isolés de la rivière!

Ah! dans un temps pareil, quand sur les lones

vous avez un convoi de barques avec vingt couples

de chevaux comme ça, le souci n'est pas mince!

Dia! fais tirer le câble d'avant! Je vous dis

qu'il n'y a point de crue si violente

ni si épouvantable et si affreuse

comme ce Rhône, lorsqu'il sort de ses gonds.

Et l'on ne comprend pas d'où, tonnerre! peut sourdre

tant d'eau faut qu'elle vienne du réservoir des monts!

Car lorsqu'elle bondit et charrie, voyez-vous,

elle porte avec elle des épaves, des bêtes,

que jamais de la vie on ne voit nulle part l

Dia! fais tirer le câble d'arrière! Mais la bise

donna par bonheur son coup de balai;sans ça, nous perdions tout, cette année, fût et vin.

Dans la bourrasque, nous en fûmes

pour quatre puissants chevaux de halage

dont valait bien le moindre cent pistoles! D

CANT XI, LA RUIOUNTO.280

xcv

O patroun, hdrr! en rtchant de la ribo

Crirlè lorr civadié, que davans t6rrti

Es éu que d'J chivau tènto li gafo,

Alestis lis arrèst e Irs pasttrro.

Qlre i'a1 fai Afèfte Apian. Aqrtesto jorrnrlrn,Dinan à Dlalivènt --Jan de la Muelo,

Perqué notrn au Crand Alas! Lou vènt sumod~,

E farian bèn d'erperlorrnga la tiro.

A Malivèn! Darrié, sus la carato

Avien planta l'arpi, tnorrnte se pènjo

Li Jarlambias de car, prouvtndo cruto

Qire fan reca au sorrlèu. N'en desacrocon,

Ardit, qrrJttqui bon tros pèr metre à l'onlo;

E lott chat d6u batèu fai la bouiaco.

Entandtiumens l'Angloro que l'ajudo

Ansin ié vèn Chat! se'n-cop me maride,

Te li farai tasta, qr~e li dragèio.

111ai emé ~uau te marides, Angloro!

I~e, lou ~eses, a9r~érs sus la graad barco

Eila-davans, qu'a la barbeto blorrndo t

0, lou prince Gtrihèn! b~ignot, tout juste.Siés pas de plagne, Angloro! Es la planet~

Qrre l'a vougu quand sotrn li catrso ercrirho

Dins l'estelan, eh! bèn, fau quese jagon.

CHANTXI,

LA REMONTE. 281

xcv

cr Ohé patron! 1 en hélant de la rive

cria le civadier qui précèdc la troupe

ct à cheval sonde les gués

et prépare les haltes et apprête les vivres.

aQu'y a-t-il ? répondit Maître Apian. CICette traite,

est-ce pour blaliven, le dîner? n a Jean-la-mule,

pourquoi pas au Grand-Mas? » « Le vent s'ameute

il serait bon peut-être d'allonger la courroie. »

« A Alaliven! » Derrière, au bateau de carate,

on avait planté droite la gaffe où l'on suspend

les gros quartiers de viande, provision qu'au soleil

on fait boucaner crue. Ils en décrochent,

bravement, quelques bons lopins pour la marmite;

et du bateau le mousse, lui, est le maître-coq.

Or voilà que l'Anglore, qui l'aide à cuisiner,

lui a dit a Mousse, lors de mon mariage,

je te ferai goûter les dragées, mon petit!J)

1: Mais avec qui te maries-tu, Anglore 1»

« Tiens, sur la grande barque, le vois-tu, là devant,

celui-là qui a la barbette blonde? »

« Oui, le prince Guilhem 1 CIMignon, tout juste. J)

1:Mais tu n'es pas à plaindre, Anglore1 a La planète

l'a voulu quand les choses sont écrites

dans les astres, eh bien, il faut qu'elles se fassent! Ii

16.

CANT XI, LA REMOUNTO.282

Ernf lou prince! e quouro pièi li no`o?

N'vvén panca parla; mai es de crlire

Qir'aura Jlouri tnoun sort av.rnr que torrmbe

Lv florrr r!'esparganèu. Alor sifs richo?

Perqtrf?-D'abord qu'un prince te fri nwio!

G'arpaiarello d'or riguè P~rureto,En gagnant dottae sdtr pèr jour Oh! borrrtro!

Vai, n'en dè-arr avé, dernpièi que frrra~ues

Li s.rblvs rle l'Ardechu enré si bvurnn

Que re ié vèi, diron, de mer~rviho!

XCVI

Lort ~liron, o; mai piéi quau i: pendtro

Alin tant founs! Sabes, fagué la drolo,

Qrr'es pas tout plan de ressegui la corrrnbo?

Li r~tncaredo afrouso que l'enmuron?

Lou Ranc rlôu Corrrpat,tr, lou Rarrc dôu Nible,

E lou Castért amount de Dono l~ierno?

Piéi li rajûu de l'Ardecho la Favo,

L~u Séti, !a Cadiero, la Cavilro;

Après, lou barrs ddu Chin. Quand siés i borno,

Es aqui que fart pas èstre pôutrouno! 1

Rercontres rt.n pertttr que routo terro

Pdrt te mena, quou raup? beléu au diable!

Aro, de-rebaloun, emf de lume,

Dins aguel aven rourne se t'arrirqrrer,

CHANT XI,LA RUIONTE. 28J

Avec le prince 1 Et les noces, à quand donc ? »

Nous n'avons pas parlé de ça; mais c'est à croire,

mon sort aura fleuri avant que passe

la neur d'csparganru. J) a Tu es donc riche? »

cr PourquoiJ) a Puisqu'un pl ince t'épouse!

»

L'orpaillcuse sourit « Pauvre petite,

en gagnantdouze sous par jour 1 D CIOh 1 va, futée,

tu dois en avoir, depuis que tu fouilles

les sablons de l'Ardèche et ses grottes avec

où l'on voit, dit-on, des mcrvcillcs! »

XCVI

Q On le dit bien; mais puis, qui y pénètre

dans ces profondeurs-là! Sais-tu que ce n'est pas,

fit-elle, si aisé de remonter la combe?

les affreuses falaises qui l'emmurent ?

le Rocher du Corbeau, le Roc de l'Épervier,

et le Château, là-haut, de Dame Vierne?

puis les rapides de l'Ardèche la Fève,

le Siège, la Chaire, la Cheville;

après, le pic du Chien. Une fois aux cavernes,

c'est là qu'il ne faut pas être poltronne!

Tu rencontres un trou qui peut, sous terre,

te mener, qui sait où? peut-être au diable!

Maintenant, en rampant, avec de la lumière,

si tu te risques dans cet abime sombre,

CANT XI, LA REMOUNTO.284

Ah diron qr~'uca 's bèul 7roves de croto,

D'espeluco, de chambro, de copello

Que fan veni, t6utis endiamantado;

Li parpaiolo is iue. 'b1é si courorrndo

l'a, dison, uno glèiso rna~nifico,

Aguént si sànti-font, agtrènt sis orguc,

Aguènt si benechié'rné sa tribrrno!

As, touto cloto, rrno salo de rlanso

F.mé, garni de milo candeleto,

A soun plafoun li lustre que pendonlon;

As, tduti lèst, plen d'aigo cristalino,

Uno salo de b,rn; un cementèri

Emé si gràndi toumbo que blanguejon;

De Idnbui lèio d'atrbre que fan orunbro;

Un tiatre qu'ctpandis sa coulounado;

hleravihouso enfin, torrto uno vilo

Q~re de sis abitant es véuso e vuejo.

l'an vist pameus uno grosso Tartugo,

J'an vist lort Lert, e d'àrrtri bèsti orro.

bfai, ,re! diguè lou chat à la subito,

N'as uno à toun anèu, d'aquéli bèsti?

Aca? 's lou Dra, ma fiero de Bèu-Cai~e.

Te l'a dorrnado ~uau ? Aqui moun n~:a-i.

hfai sabes ~rr'es poulit! Dettapo Corrlo,

Cridè l'Angloro, que torrt-aro verso!

CHANT XI, LA REMONTE. 28r

ah! l'on dit que c'est beau 1 Tu trouves là des cryptes,

tu trouves là des grottes, des chambres, des chapelles

qui, toutes diamantées, te font venir

les papillons aux yeux. Arc-boutée de colonnes,

il ya une église magnifique, dit-on,

avec ses fonts de baptême, ses orgues,

avec ses bénitiers et sa tribune!

Tu as là, de plain-pied, une salle de danse

ayant, garnis de milliers de chandelles,

les lustres suspendus à son plafond;tu as, tout prêts, pleins d'une eau cristalline,

une salle de bains; un cimetière

avec ses grandes tombes blanchissantes;de longues allées d'arbres qui font ombre;

un théâtrc étalant sa colonnade;

merveilleuse, en un mot, une cité

qui de ses habitants est veuve et restée vide.

On y a vu pourtant une grosse tortue,

on}'y a vu le Lert;, d'autres bêtes horribles. n

a .lfais, vois dit le petit subitement,

tu en as une sur ta bague, de ces bêtes? n

aÇa? c'est le Drac, ma foire de Beaucaire. »

Etqui te l'a donné? n a Mon fiancé, qui est là. n

cr Sais-tu que c'est joli 1 cr Découvre la marmite,cria l'Anglore, car clle va verser! n

CANT XI,LA REMOUNTO.286

XCVII

E souu lr M:rlivèn. S'es aplantrrdo

Ga grau:l cuv.rlr~rié; s'es, lort Cabrrrle,

Antottrr~r pèr l~r pro dins lis aubriko

E li sèt barco em'étt. Se desencolo,

5'arrib.~ li cliiv:rrr long di broutiero.

En rottnd agrorrva are sdu, rnanjon la sotepo

Au mente plat, de tres en tres, li r~ifr.

Li marinié, ban_fo ir despart, s'asssèton

A l'entottr dôn patrcrrn sus la sapino

E blèste Apiau, ~reanrl a pres sa rnourdttdo,Viro la c~rro, sor~citous, vers l'orso

E fai Aquéu mistratt, ai pou que borrfc!La vesès, l'Abrimrreno aarotsmelido

Qrr'eilamorrnlartt en long ciprès s'apouncho ?

E lort timorrn, l'ausiar conme renavo ?

E li m~ru, li scntès coume soun rufo 1

Es de vènt, tout aca! Jôusè Ribôri

Apoundeguè labru La lrtno es pleno,

E tan' portrrié s'empegne à la tempèsto.

Vrrqui per~jué, diguè lott rnèstre, à diclio

Qrt'aurvn fr béure aguélis atalage,

Fau, x.~u! bouta coulas e sènso aldn~ui.

Ço que fan. Entre avé passa, li fèrri

Di vrretanto clrivarr, à la remndo

CIIANT XI, LA REMONTE, 287

XCVII

A Maliven cependant a fait halte

la grande cavalerie, et le Caburle

dans les taillis vient d'allonger sa proue,les sept barques ensemble. Et l'on découpleet l'on paît les chevaux le long des oseraies.

Les charretiers, accroupis à la ronde,

mangent, de trois en trois, au même plat la soupe.

Les mariniers, en bande à part, s'asseyent

à l'entour du patron sur la sapine;

et Maitre Apian, ayant pris sa bouchée,tourne la tête, soucieux, vers le nord

et dit ccCe mistral-là, j'ai peur qu'il souffle!

La voyez-vous,la nuée grumelée

qui dans le ciel en long cyprès s'aiguise?

Et le timon, l'entendiez-vous grincer?

Et les mains, sentez-vous comme elles sont rugueusesC'est du vent, tout cela 1 J) Et en faisant la lippe

ccLa lune est pleine, ajouta Ribory,

et le temps pourrait bien se mettre à la tempête.»

CIVoilà pourquoi, dit le maître, aussitôt

qu'on aura fait boire ces attelages,

qu'on mette les colliers aux bêtes et sans retard. »

Ce qu'ils font. Et les fers des quatrc-vingts chevaux

aussitôt soumis à la relevée

CANT XI, LA RENVUNTO.288

D6u rnanesc~rtt ferrant que fvi sa vduto,

Bouton coulvs e, f~t tira la maio!

Hdrt! gafarot, i'a de gourg en Durènyo?

Es à rode. Av.rnFvs li coursié. Tiro

Tor~n cavalin, baile, coublo pèr conblo

Embarcaren li proumié; dins li croso

Lis àutri segrriran. Tenès la gafo!

lé siarl lé sian. Dins l'aigo mau-segr~ru

Li chivalas en s'erbroufvnt apèson.

Entvn~tiumens qu'eila-darrié la rigo

A longo rnvio sus lou Rore poujo,

Au repetun di fonit, vrr brvm dis ome,

Tout lou rebaladis intro en ribiero,

Lott ~vtvrot, li cvrretié, li gtrarro,

D'ercvmbarloun o d'arretoun. Arribo!

Fa tira lou Ronbin! Toco lou Mouro!

Dlvn~ène lou Baiard, que noun s'ennègue!

Dia! dia ruou 1 ruou! E frenissènto e nirso,

En erpôursvnt pièi si ereniero Jlurro,La caravano sort vitouriouro

E repren sorrn trantran long di levado.

XCVIII

hfai lou prince oulandrs etné l'Angloro

Se sonn rejoun sus brrco e la jouvéntol'a di Qli'es aguéu conte, Dra, qu'en riGo

Dôu Rose, l'autre jour, à la rournnro

CHANT XI, LA REMONTE. 289

du maréchal-ferrant qui les passe en revue,les colliers sont remis et, fais tirer la maille!

0 passeur 1 y a-t-il des gouffres en Durance y

a par endroits. Avancez les bateaux. Baile,

tire couple par couple tes chevaux

nous allons embarquer les premiers; dans les creux

les autres les suivront. Tenez le gué!

Y est-on J) « Nous y sommes. J) Dans le péril de l'eau

les grands chevaux s'ébrouant prennent pied.

Et pendant qu'en arrière le convoi

monte long câble sur le Rhône,

au claquement des fouets, aux cris des hommes,

toute la ribambelle entre en rivière,

passeur, charretiers, valetaille,

assis ou enfourchés sur les chevaux. II:Arrive 1

Fais tirer le Robin Touche le More!

Maintiens le Bayard, qu'il ne se noie pasl

Dia dia 1 hue! hue! :D Et frémissante, en nage,puis secouant ses crinières trempées,

la caravane sort victorieuse

et reprend son chemin le long des digues.

XCVIII

Le prince hollandais avec l'Anglore

s'étant rejoints à bord, la jeune fillelui a dit /1 Quel est donc, ô Drac, ce conte

que sur la rive, l'autre jour, dans la nuit,

77

C.\NT NI,LA RLMOUNTO.

29<>

T'aurien tronva pèr rnort t Bello mignouno,

Guihèn a resPnrrndu, n'es pas un conte,

Qlte, treitamen, em'urr svqrretde svblo

hf'vn saqueta.hfvi quvu

T Un mvntrnéire

D'aquélitres dounullo venj~rtivo

Q~t'aurai, iérr, tirtblidv pèr aventuro

De ié crortmpv sa fiero. Li jvlor~so!Mai auriés pas debu, tu, lis enclvurel

S'enaucelant cridè l'Ararnounenco.

Sabes dorrnc pas, morrn bèu, que, tvrr qu'endorion

Em'rrno couissinado pèr l'erquino,

Sènso que rer ié vegue cop ni gouto,

N'en lèvo pvs, mor de I<r macadrrro!

E risoulet Grrilrèn faguè Meinado!

Alor creses que pdrr, lort Dra dôu Rose,

S'escoufi coume acû ) L'efcamanrJreto

Restè lou regachant uno passado

Es vervi, digrtè pièi; que siéu badino!

Lotr fvdet,lott forrlet, qu'es rèi de l'oundo,

Qh'es moun diéu e mortn tout, qrt'i tono bluio

Eternarnen remueio sa jorrvénFo,Cortme es porusible, anen, que jamai cale

Davans la Ièi ddu corrrnun, la mor~ruegno!

Noun, iéu te wu, Dra, corune déu èstre

L'Esperit Fantasti dôu maje fliwi,

Inrnortrtvu! E, quand toun regard me sono,

hfe sèmblo que m'envvu touto endourmido

Vers un roulas que rèn noun destrarsouno.

Svbe pas ounte vau; mai se m'erperde,

De rn'esperdre emé tu, quevos 1 rn'agrado!

CHANT XI, LA REMONTE.291

on t'aurait trouvé mort? » CIBelle mignonne,a répondu Guilhem, mais ce n'est pas un conte,

car, traîtreusement, d'un sachet de sable

on m'a sagrntté.Jt u Qui donc ? Un tenant

de ces trois donzelles vindicatives

auxquelles j'aurai oublié peut-êtred'acheter leur foire. a Les jalouses!biais n'aurais-tu pas dû, toi, les ensorceler? »

en s'emportant cria l'Aramonaise.

c Et tu ne sais pas, mon beau, que celui

qu'on frappe dans le dos avec un coussinet,

sans que personne y voie goutte ni trace,

n'en guérit point, meurt de la meurtrissure? :>

Mais Guilhem fit en souriant (1Enfant!

tu croirais donc qu'il peut, le Drac du Rhône,

ètre ainsi déconfit? La jeune espiègle

resta un moment le regarder

CIC'est vrai, dit-elle ensuite; comme je suis nigaude!Le génie, le follet qui est le roi de l'onde,

qui est mon dieu, mon tout, qui dans les lones bleues

perpétuellement retrempe sa jeunesse,comment est-ce possible qu'il baisse pavillondevant la loi du vulgaire, la mort!

Non, je te vois, mon Drac, tel que doit être

l'Esprit Fantastique du fleuve majeur,

immortel El quand ton regard m'appelle,

il me semble aller, m'en aller dormantevers un agrément que rien ne réveille.

Je ne sais où je vais si je me perds,de me perdre avec toi, eh bien cela me plaît. n

C.1NT XI,L.\ REMOUNTO.292

XCIX

Esten:fcgui lou bras, Guihèn d'Aurenjo,

Sus ton tnrvès de l'aigo entre-batttdo

E dianè Fisa-·e de iéu, Angloro!

Pèr-fo-qrre liGramen t'ai eleâido,

Pèr-Fo-qrte m'as adrs ta fe preforrudo

1 rneraviho Gello de la faGlo,

Pèr-Fo-qrre siér aqnelo qrs'inchalènto

Se fortnd dins sorrn amour cotune la ciro

Au lrtme, pèr-Fo-qrte viver en joro

De tôrtti nosti fvirso e firdaduro,

Pèr-Fo-que dins tonn sang e toun sen rnourrde

Cartp lou renonvelun di vièü sabo,

léu, sus ma fe de prince, t'apronmete

Que res autre que iftt, o Jlour de Rose,Noun aura l'rrr de fairc ta cnlido

E cortrne Jlorrr d'amour e cotrtne e.rpouso!

~i~ai qttouro! lèn? clo dibuè tout-d'uno.

Grtihèn rerpoundeguè Ma bello chato,

Arfuésti jour te lou dirai. G'entèndes,

Aquéu mistrart que bcujo? Es la musico

Majestouso qu'andtrncio nosti noFo!

Es lots Rourart, es lou cèu, es li Groundo

Q~r'ensernGlarnen nous cunton lort prelirdi!

E sèmprc rnai lou vènt, rfc si ronnfl~rdn,

CHANT XI, LA REMONTE. 291

XCIX

Guilhem d'Orange lors étendit le brassur le travers de l'eau mouvementée

et dit CIAie confiance en moi, Anglore!

Parce que librement je t'ai élue,

m'apportant ta foi, ta profonde foi

au merveilleux superbe de la fable,

parce que tu es celle qui, insoucieuse,

se fond dans son amour comme la cire

à la lumière, parce que tu vis

en dehors de nos liens et de nos fards,

parce que dans ton sang et ton sein pur

git la rénovation des vieilles sèves,

moi, sur ma foi de prince, je te jureque nul autre que moi, ô fleur de Rhône,

n'aura l'heur, le bonheur de te cueillir

et comme fleur d'amour et comme épouse 1 »

Mais quand? bientôt? J) demanda-t-elle.

Guilhem répondit CIMa belle petite,

je te dirai cela ces jours-ci. Entends-tu

souffler le mistral? C'est la musique

majestueuse qui annonce nos noces 1

C'est l'air du Rhône, le ciel, les frondaisons

qui de concert nous chantent le prélude! »

Le vent, de plus en plus, le vent de ses rafales

CANT XI,LA REMOUNTO.

294

Recoutavo en e~tla tirassiero;

La morrntesorrn, toujortr que mai peniblo,

Fasié tira li chivnu que li Jloto

De si creniero erpeloufido en jdri

S'ercarpissien coume de grand plumacho.

E s'amagant, lou soulèu, dins l'arguiero

De si long rai mourènt, à l'avalido

Trevnlavo deja, qr~and lou Cabr~rle

Emé tôuti si Harco e sa feloupo

Eu ribo nvignounenco prenguè tùti.

c

Art trepadoti! lou Caburle à l'empèri!

Li Cotrndriénlen! e f~r tira la maio!

A l'endavans ié crido l'mfantue~no.

En b.trcarés tout acb lando e quilo.

Li ribeirié si totrrtot~iero enrodon,

Li carretié si bèsti desatalon:

E, s'enfournant dins lou Pourtau de l'Oule,

Pèr la cottclrarfo e pèr la repeissudo,

Encô dôu b~att-Uni, qr~'acd's soun oste,

Ynn is est.rblorié. La marinaio

Pau ~i cha pau emplis la grand cousino.

Au torco-man qu'àla cadaulo pénjo,

S'estènt au pous lava li man, s'eissugon;

E sus li banc, l'esquino à la muraio,

Patin-pat~u s'asrèton en renguiero.

CIIANT XI, LA REMONTE. 29f

s'aheurtait en effet contre la flotte;

et la montée, de plus en plus pénible,

faisait tirer les chevaux. Leurs crini~res,

ébouriffées en furieuses touffes,

s'échevelaient comme de grands panaches.Et le soleil, se retirant dans l'embrasure

de ses rayons mourants, à l'horizon

disparaissait déjà, quand le Caburle

avec toutes ses barques et tout son monde

en rive d'Avignon jeta l'amarre.

C

a Au ponton! au ponton! le Caburle à l'empire 1

les Condrillots! et fais tirer la maille! n

au-devant d'eux vont criant les enfants

qui vers le port accourent et glapissent.

Les riverains enroulent leurs cordages;

les charretiers ont dételé leurs bêtes;

et, s'engouffrant dans le Portail de rOuIe 4,

pour la couchée et le repas du soir,

ils gagnent le logis et les étables

du Mal-Uni leur hôte$. La bande marinière

emplit peu à peu la grande cuisine.

S'étant lavé les mains au puits, à l'essuie-mains

suspendu au loquet tour à tour ils se torchent;

et sur les bancs, le dos au mur,

ils vont s'asseoir bruyamment en rangée.

CANTXI,

LA REMOUNTO.296

Emé li bras estroupa, li chamborodo,

Qtr'entre li parrtga crébon lou rire,

Caiardvmen sus li taulo cvrrejon.

Oh! de bon Diéu! li sartanado tinormo

De sang de bidu, li tian de tripo grasso,

Gtirr catigot, li carbounado e chouio

E li trnucho fvrcido emé de berlo,

S'engloutisson i buerbo pansarudo,

Enterin qu'~r-de-réng la darno jvnoFasènt lort tour, cadun, li couide libre,

Se vuejo à plen de got. Dcscr~rbecellon

A la perfrn un plataras de soupo

Art frournage qu'un astre, vous respondc,

En ié palaficvnt sor~n bastor~n dintre,

Norrn l'arrrié pas sarrtv. N'en cantan rrno

Dis pièi subrvn lon bvile d'eqrtipage

En picant sus l'espalo d6rt gros Tdni.

E lou mudrrire, agrtènt mouca soun vèire

E fa peta lou gargvssortn Chaumiho,

A la vorres! dis, anen, que fart d'ajudo!

CI

Eh Diéu çai sié, la bello oustesso!

Nous veici quàuqui gai cadèu

Que tirassan pas la tristesso

En rejanant nosti batèu.

CH.1NT XI, LA REMONTE. 297

Avec les bras retroussés, les servantes,

qui au moindre pinçon crèvent de rire,

gaillardement sur les tables charrient.

Oh 1 Dieu de Dieu! les fricassées énormes

de sang de bœuf, les platées de gras-double,

les matelotes, charbonnées et grillades,

et les ber/es farcies en omelettes,

s'engloutissent aux panses spacieuses,

pendant que, circulant la dame-jeannede main en main, chacun, les coudes libres,

se verse à verre plein. Pour finir, on découvre

une terrinée de soupe au fromage

qu'un berger, à coup sûr,

en y plantant son bâton au milieu,

n'aurait pu franchir. a: Nous en chantons une? n

pour lors dit tout à coup le baile du halage

en tapant sur l'épaule au gros Toni.

Et le pilote, ayant mouché son verre

et fait claquer sa gorge a: Allons, les gosses!

dit-il, et à la voix! qu'il faut de l'aide. »

CI

Dieu soit cfans, la belle l«tesre!

Nous voici quelques bons lurons

Qui ne traFnons pas la tristesse,

Tout en remorquant nos bateaux.

CANT XI, L. RENOUNTO.298

Un bon mudaire à la desciso

Tèn lou viage escarrabiha;

Mai pèr rcvèirc pèiro-Enciso

Fau teni lou fanau oulia.

Sourtès lis dulivo groussano

E bouiras-nous un bon saussoun

S'avèn li braio de basano,l'a ço que fau dins lou boursoun.

Dins la Prouvènço avèn fa pihoE rascla lou Revestidou

E sian carga coume d'abiho;

Mai l'aigo fièro porto tout.

Lou vin de la costo ddu Rose

Es proun uno bravo liquour,

A coundicioun que noun s'arrose

Emé l'eigasso dtiu grand gourg.

Pèr abéura li tros de poupo

E pèr nous faire un pau canta,

Dins la gaveto de la soupo

Faudra n'en traire un agouta.

S'arribo pièi quauque escaufèstre

o se toucan un arenié,

La perdo sara pèr lou mèstre,

La peno pèr li marinié.

CHANT XI,LA REMONTE. 299

Un bon pilote à la descise

Tient le voyage gai, dispos;

Mais pour revoir la Pierre-Encise~,Faut tenir le fanal huilé.

Sortez les olives charnurs

Et brcuillez un bon sanpiquet

Si nous avons les braie~ de cuir,

r a ce qu'il Jaut dans le gousset.

Nous avons raflé la Provence

Et raclé le Revestidou l

Et s~rames chargés comme abeilles;

Mais les eaax fières portent tout.

LI' vin de la côte du RhôneEst une assez brave li~:reur,

Pourvu qu'on ne l'arrose point

Avec l'eart sale du grand gou,~re.

Pour baigner les morceaux de viande

Et pour nous faire un peu chanter,

Dans la gamelle de la soupe

Il fait en jeter une écope.

Puis, s'il arrive quelque émoi

Ou si l'on touche un banc de sable,

La perte sera pour le mattre,

La peine pour les mariniers.

CANT XI, LA REMOUNTO.3 00

CIl

Mai enterin qu'à plen de man se pico,

Li porto-fais d'Avignoun, à la taulo

D'err fuci Es pas lou paire de l'Angloro,

Se vènon, a~trérr gros que canto ? Fonme!

Noun fau pas s'estouna s'a la canturlo

Vesès pas que sa fiho a trouva mèstre t

E vers la chrrto, insoulènt, an fa signe,

Q~s'emé lou prince blound cacalejavo.

Aquéli petachin, cridè Jan Rocho,

Dequé volon eila? Gros tuerto-mouto,

E tu mai, dequé vos? Coupa la tufo

Di pesor~lin que nous copon la paio.

Tri? noum de Diéu! bèn, vène eiFa-deforo!

Un porto-fais cridè bravejant. Éro

Queqriino lou luclraire dins si lucho

L'aguènt un Liounés vifuta d'esquino,

1 gènt d6rr coustat d'aut pourtavo isagno.

Vène dejoro, eiÇa! piaiavo. BougreDc gus de plaFo! espdci de peldfi! i

Replico !ou prouvié, poudès vous metre

QJratre en.~ai sièis enrèn!-E lou coulosse,

Escambarlant li toulo, en uno buto

Avié sauta au mitan. hlai Ji rigaire

S'entravèsson d'un bound. Dins lou broulisse

CHANT XI, LA REMONTE.loi

CIl

Pendant qu'on applaudit à pleines mains,les portefaix d'Avignon, à la table

de face a N'est-ce pas le père de l'Anglore,

se disent-ils, ce gros qui chante? D ([ Peste 1

rien d'étonnant qu'il ait la chanterelle

sa fille a trouvé maitre, voyez donc? »

Et ils se désignaient, narquois, la jeune fille

en train de dégoiser avec le prince blond.

([ Ce tas de pleutres, que veulent-ils là-bas? »

cria Jean Roche. « Gros balourd!

et toi, que veux-tu donc? D « Rompre la gueule

à tous pouilleux qui nous rompent la paille. D

II Toi? nom de Dieu 1 viens-t'en ici dehors! »

cria un portefaix bravache, le fameux

lutteur Quéquine dans ses tournées de luttes,

l'ayant un Lyonnais vautré à plat de dos,

aux gens du haut fleuve il gardait rancune.

Et il piaillaita: Viens çà dehors » II 0 bougre

de faquin 1 espèce de mazette 1

réplique le prouvier, vous pouvez bien vous mettre

et quatre et six ensemble! JI Et le colosse,

enjambant les tables, en une pousséesautait au milieu. Mais les bateliers

s'interposent d'un bond. Dans la cohue,

CANT XI,LA REMOUNTO.

}02

Li banc destrantaia fan la co-lèvo,De part e d'autro lis iue s'enferortnon,

Lis inji<ri mourtalo s'entre-croson

0 quiéu-de pèu! manjaire de cabriho!

Assassinaire dôu marescart Brrtno

Que dins lort Rose pièi lou trinassèron!

Ai! ai! ai! li forttrau à mort van plbrtre,

Quand Mèste Apian Estas siatt, crido, 6oJO!

Lou pronmié que boulego, l'escabasse

D'rtn cop de pnutarras. Taifo d'ibrortgno,

Gort vesès pas que sias sadort t Quel'ispre

De la vinasso vous sort pèr li brego t

Eh! se voulias vous batre, avès li justo.N'en manco, tout l'eitifu, aqui sus Rose t

Art Pont Sant-Esperit, à Roco-Mauro.Pièi ounte rnai t AGivors, à ValènFo.La lanfo au poung, la targo sus lou pitre,

En plen soulèu, is iue de tout un mounde,

l'a-ti rèn de plus digne e de moi noble

Qlr'un bèu jurtaire nus, sus la quintaino,

Qitand fai plega sortn ome e lou cabusro t

Te rapelles, Jan Rocho, a~ufu dimenche,

A Sant-Pèire de Bibu, pèr sant Maurise,

Q~and faguères (pamenr ères bèrt jouine)Faire au grand Miserin lou viro-pasro t

h1e rapelle, patroun, diguè Jan Rocho.Avifs pas soulamen quita la vèsto 1

Es verai. Lis enfant, à la jassino I

Se noun voulèn que la levado fugue,

Coume dis lou prouvèrbi, long ddu Rose.

CHANT XI, LA REMONTE.3~i

déséquilibrés, les bancs se soulèvent;

les yeux de part et d'autre deviennent furieux,

les injures mortelles s'entre-croisent

« Mangeurs de chèvres! culs de peau! »

ccAssassins du maréchal Brune,

qui le traînèrent dans le Rhône! »

Aïe! aïe! les horions terribles vont pleuvoir,

quand Maître Apian s'écrie « Goujats, restez tranquilles!

Le premier qui remue, je lui casse la tête

d'un coup de cette cruche. Tas d'ivrognes,

vous ne voyez donc pas que, soûls, la violence

du vin méchant vous jaillit par la bouche?

Eh! si l'on veut se battre, on a les joutes.En manque-t-il, tout l'été, sur le Rhône?

Au Pont Saint-Esprit et à Roquc-Maure.

Où donc encorc? A Givors, à Valence.La lance au poing et la targe au poitrail,en plein soleil, aux yeux de tout un peuple,

y a-t-il rien de plus digne ou plus noble

qu'un beau jouteur nu, debout sur l'arrière,

qui fait plier son homme et le déjuche ?

Te le rappelles-tu, Jean Roche, ce dimanche,

à Saint-Pierre de Boeuf, le jour de Saint-Maurice,

où tu fis (tu étais bien jeune cependant!)

au grand Misérin faire la culbute? D

Je me rappelle, patron,D dit Jean Roche.

Tu n'avais pas daigné, même, quitter la veste! D

C'est vrai. »-« Les enfants, allons, à la couche 1

si nous ne voulons pas que la levée, demain,

soit, comme on dit, le long du Rhône. J)

CANT XI,LA REMOUNTO.

J04

E guatecant,à la voues auturouso

Ddu majoursu prrrdènt que lis amaiso,

Li barcoti~, davau souto si tèndo,

Lis egatié, damount dins si Jeniero,Ttinti s'envan à S~rnto-Repausolo.

CHANT XI,LA REMONTE.

lof

Et à la voix autoritaire

du prudent maitre qui les calme,

les nautoniers, sous leurs tentes là-bas,

les charretiers, là-haut dans leurs fenils,

tous à l'instant vont prendre leur repos.

CcRJ~? DOUGEJ~

L-1 ~C.~t U- `P.A?t, D O

c.ttt

E fa tira la maio! Entre parèisse

Lou lustre dtiu soulèrt, à la remounto

S'es tourna metre en draio lou Cabrrrle,

Fendènt lort Rose emè sa pro taianto

E clafissènt lou ribeirés de vido

Emé lou brand, la pdusso e lorr taf ri

De sa cavalariè. La mistralado

Rounflo toajorer. Lis aubre, que saludon

En brorrnzisrènt, se giblon, s'estrigourson

A mand de s'estrounca. Lou vènt enfreno

Lou Rose vrngu lise corrme uno glafo.

Contre aigo e contro vènt li coublo forto,

Loa mourre de-clinoun, adar~t camincn

De sorrn pas atusa. La carlamuso

CHANT DOUZIÈME

LA CATASTROPHE

CIII

Et fais tirer la maille Aussitôt que parait

le lustre du soleil', à la remonte

s'est remis derechef en chemin le Caburle,

fendant le Rhone avec sa proue taülante

et remplissant de vie la vallée fluviale

avec le mouvement, la poussière et le bruit

de sa cavalerie. Le mistral en tempête

ronfle toujours. Les arbres, qui saluent

en mugissant, se courbent, se secouent

à arracher leurs troncs. Le vent refrène

le Rhône devenu poli comme une glace.

Contre eau et contre vent, les forts quadriges,le museau incliné, cheminent vers le nord

de leur pas régulier. Harmonieuse

CANT XII, LA MAU-PARADO.108

De l'anro fourmidablo, armounïouro,

F~ri chauriha d'estorrnamen li bèsti.

A si capèu, à si bounet de pano

hlandant la man, emf li brego tortn

Li carretif despacienta prejiton

Au Maïstrau un revoulun d'insulto

Boufo, bregand de Coucho-mousco! I3oufc,

Desbadarna de Difu, que te crebèsscs!

l'aura dortnc jvmai res, 0 Manjo fan~o,

Qlre tapara lou trarr de mounte sortes!

I, capounas! E d'rrno petarlisso

De cop de fouit embrvion si gimerre.

CIV

Ar~ carcagndu de la segorrndo barco

Asreta tButi dous, pichoto Angloro

A repris soun devis, bèn à la douFo,

EmE soun Guihfumiu Ai t1 te dire,

Guihèn fai à la bello, que nous-àutri,

Lis amourorts divin, rèi de la terro

E soubeiran verai de la naturo,Nous poudèn pas marida coume tôuti.

E nous maridaren, diguè la nino,

Coume Rapello-te dinr la memdri,

Respoundeguf l'imaginons d'Oulando,

Aguéu roucos taia, plen de misrèri,

CHANT XII, LA CATASTROPHE.109

cornemuse, la bise formidable

étonne et fait chauvir les oreilles des bêtes.

A leurs chapeaux, à leurs bonnets de panne

portant les mains et rechignant les lèvres,

les charretiers impatientés profèrent

contre le Maëstral un tourbillon d'insultes

a Souffle, brigand de Chasse-mouches 1 Souffle,

ô débraillé de Dieu, à te crever!

11 n'y a donc personne, ô Mange-fange,

qui viendra boucher le trou d'où tu sors?

Hue, grand coquin! » Et d'un cliquetis

de coups de fouet ils cinglent leurs chevaux gigantesques.

civ

Or sur l'arrière de la seconde barquc,

tous deux assis, petite Anglore

a repris son devis, bien à la douce,avec son Guilhemin CIJ'ai à te dire,fait Guilhem à la belle, que nous autres,

les amoureux divins, rois de la terre

et souverains réels de la nature,ne pouvons pas nous marier comme font tous. n

CIEt nous nous marierons, dit la fillette,

comment? » CIRappelle-toi dans la mémoirc 1

lui répondit le rêveur hollandais,

ce roc taillé, mystérieux,

CANT XII, LA MAU-PARADO.J 10

Que ié sourgènto au pèd la font de Tourno.

Sabe, sabe, diguè. l'a 'no larnbrusco

Em'rtn falabreguié que s'enracinon

Tout à l'entour dôtt ro 'mé 'no figuiero

E de mato de bouis. lé siétt estado.

Q~te i'as mai vist Gou Soulèu e l~t Luno

Q~e, grava pèr li F~rdo sus la roco,

Emé sis iue reguergrse vous espinchon.

Q,~e'i'as mai vist Uu bidu emé si b.rno

Q~'ttn escourpioun se IanFo pèr lou poubne,

Enterin qu'un chinas vèn pèr lou mordre

Equ'un joavènt pèr lorr mata se drèisso.

Que i'as mai vist Lou Dra que ié barrulo.

Guihèn d'Anrenjo uno bono pasrado

Se teisè. Dins sot~n amo penrativo

l'apareissié sus lou ribas dtiù Ro.re

L'autar dtiu diért Mitra, la font de Tourno

Qjtf n'en sourgir prefoundo e cl~trinello,

Em 'ugufli simbèu d6n viéi sacrige,

Espetaclous ensigne dôu Zoudiague,

Q~'emplirsicn d'eJmougudo segrenouso

Lis adorsraire dôu souleias blfuge

Mountant o dcscendènt autan lou JlumePèr faire en devoucioun soun roumavoge

Au difu hfitra, a: lou soulet invincible »

E se disif Soulèr~ de là ProuvènFo,o difrt que ié coungreies lis angloro,'

Q~e fas sourti d'en terro li cigalo,

Que dins mi veno marfo e palinouso

Reviéudes lou sang rouge de mi rèire,

CHANT XII, LA CATASTROPHE.111

au pied duquel bouillonne la fontaine de Tourne. »

« Je sais, je sais, dit-elle une vigne sauvage

et un micocoulier s'y enracinent

à l'entour du roc avec un figuier

et des touffes de buis. J'y suis allée.

« Qu'y as-tu vu encore ? Il Il Le Soleil et la Lune

qui, gravés par les Fées sur le rocher,avec leurs yeux hagards vous lorgnent.

Il

« Qu'y as-tu vu encore? CIUn boeuf cornu

que menace un scorpion de sa piqûre,

pendant que va le mordre un chien méchant

et qu'un jeune homme pour le tuer se dresse. Il

« Qu'y as-tu vu encore? Il « Le Drac qui y serpente.Il

Guilhem d'Orange un bon moment

se tut. Dans son âme pensive

lui apparaissaient, sur le bord du Rhône,

l'autel du dieu blithra, la fontaine de Tourne

qui en surgit profonde et claire,

avec le symbolisme des vieilles religions,

ce Zodiaque aux prodigieux signes

qui emplissaient d'horreur sacrée

les adoratel,rs du grand soleil blanc,

lorsqu'ils montaient jadis ou descendaient le fleuve

pour faire en pèlerins leurs dévotions

au dieu llithra, cr le seul invincible'

Et il disait en lui a-Soleil de la Provence,

ô dieu qui y fais naitre les anglores s,

qui fais sortir de terre les cigales,

qui dans mes veines morbides, apâlies,

de mes aïeux ravives le sang rouge,

CANTX(1~

LA MAU-PARADO.112

Diéu roudanen que lou Dra dins si vduto

Agouloupo, à Lioun, au Bourg, en Arle,

E que dôu negre tau dins lis Areno

Encaro vuei t'es fa lou sacrifice

Incounsciènt, difu qu'ercavartes l'oumbro

Galoi, qu'en uno ribo incouneigudo

Vuei es desert toun autar e toun rite

Abandourra dins l'dublid, iéu barbare,

Ifu lou darrif bessai de ti crerèire,Vole sus toun autar ôufri, premifo

De rna felicita, mà nirre de noFo!

cv

E s'adreissant siovet à la chatouno

Es aqui, ié diguè, mounte barrulo

Lou Dra dôu Rose, aqui mounte li Fado

Escriguèron li sort de la ribiero,

Qjtf nous anan liga, pichoto Angloro.

E, sonto lou regard pièi de la Luno

E de tout lou feran de la chauriho

Que nous van èstre pèr temouin e sousto,

Dins lou Grand Gourg de la~font, en brassetoNous aprefoundiren. Elo, enmarcado,

Respoundeguè Moun Dra, la flour de Ro~eNoua aguè jamai peu dis aigo bluioOunte lou cèu miraio sis Enrigne.

CHANTXII,

LA CATASTROPHE.11}

dieu rhodanien qu'étreignent les circonvolutions

du Drac, au Bourg, à Lyon et en Arles 4

ct à qui, aujourd'hui encore, dans les Arènes,

du noir taureau est fait le sacrifice

inconscient, dieu qui dissipes l'ombre

joyeux, et dont une rive inconnue

voit aujourd'hui l'autel déserté et le riteabandonné dans l'oubli, moi barbare,

moi le dernier de tes croyants peut-étre,

je veux sur ton autel- offrir, prémices

de ma félicité, ma nuit de noces 1»

cv

Et à la jeune fille s'adressant doucement,il lui dit a C'est là même où tu vis serpenter

Le Drac du Rhône, et là même où les Fées

écrivirent les sorts de la rivière,

que nous allons, petite Anglore, non~ lier.

Et sous le regard de la Lune

et de toutes les bêtes vagantes dans la nuit

que nous aurons pour témoins et tutelle,

dans le Grand-Gouffre de la source, embrassés,

nous nous engloutirons. Ensorcelée, l'Anglore

lui répondit « Mon Drac, la fleur du Rhône

n'eut jamais peur des ondes bleues

où le ciel mire ses Insignes 1.

18

CANT XII, LA MAU-PARADO.114

Nadarai emé tu, iérr, cle-corrnservo,

Comme lou pèis de primo, quand rernounto

Lou ribeirés, au tèms de l'eisragagc.

0, nadaren ensèn dins l'aigo roso,

Guihèn apoundeguè, dins l'aigo puro,

L'as di, corarne lott pèis de primavero

Ql~e dins lou Rore vai, de riso en riso,

Au grouadou di font superiouro.

Mai pèr nous benesi i'aura lou prèire~

Venguè sr~bitamen la bono chato.

Ali! i'a 'n bèu tèms qu'es mort, f~guè lorr pri~~ce,

Lou prèire de l'autar ounte t'aduse!

hfai pèr nous benesi, nous canta messo,

Auren-ti pas, de qr~'as pdu li tourtouro

Qire ri mrtrmur d'amour jarnai noun rnoron!

Elo d'acd, verai, fuguè 'n pau tristo;

E pièi, aguènt pensa, dignè Sifu bèsti!

Dôu signe de la crous gue l'escounjuro

Se pEu-ti qnelou Dra subigne dounde

L'Bntrajouso vertu l Dfaiiéu menimo,

D'abord que me veirai sonto lis arco

D6u Pont Sant-Esperit, ounte figuro

Lou grand sant Micoulau dins sa capello,

!fu ié dcmandarai que fagne plLure,

Éu, sa benedicioun pèr li que nadon,

Que rr~Jdon à la bèrr enfre lis oundn!

CHANT XII, LA CATASTROPHE.3~f

Je nagerai avec toi, de conserve,

comme fait le poisson printanier qui remonte,au temps du frai, la vallée du fleuve. n*

Oui, nous nagerons, Guilhem ajouta,

ensemble dans l'eau rose, ensemble dans l'eau pure,

tu l'as dit, comme fait le poisson du printemps

qui dans le Rhône va, de nappe en nappe,

jusqu'au frayoir des eaux supérieures! D

II(Mais pour nous y bénir y aura-t-il le prêtre ?D

dit subitement la jeune ingénue.

II(Ah il il y a beau temps qu'il est mort, fit le prince,

le prêtre de l'autel où je t'amène 1

Mais pour nous bénir et nous chanter messe,n'aurons-nous pas, que crains-tu ? les palombes

dont les roucoulements d'amour sont immortels! D

Elle n'en fut pas moins, de cela, un peu triste;

et puis, ayant pensé, elle dit II(Suis-je bête 1

Du signe de la croix qui le conjure

se peut-il que le Drac docilement subisse

l'outrageuse vertu? Mais moi, infime,

dès que je me verrai sous les arcades

du Pont Saint-Esprit où, dans sa chapelle,

le grand saint Nicolas figure,

je lui demanderai qu'il verse,

lui, sa bénédiction pour ceux qui nagent,qui nagent en péril parmi les ondes! D

CANT XII, LA MAU-PARADO.p6

CVI

E fa tira! trasènt sa cridadisso

De gau e d'enavans, de despaciènci

o d'abandorrn en Dieu, la b~rqrtejado

Se gandissié plan-plan e lou Cabrrrle,

Requinguihant soun auto pro sus Rose,Jitavo soun salut is àutri rigo

Q~t'art fiéu de l'aigo dercendien couchouso.

Adessias! Adessias! Es l'eqrtipage,

Aca, de Jan la Alicho, de Serriero.

Tambèn a de bèrr couble! Lou vènt coto?

Coume un guras!-Es dortnc tau qu'à la jrrrto?Ai! partre! 1enquinge jour quatorge lègo,

Coume se dis. Anen, à la coumpagno!

E li batèu 'mé li bras que s'aubouron

Desparèisson avatt à la detciso.

E de-countûni ansindo, li rescontre,

De liuen en liuen. Es pas Toumè d'Andanfn,

A~ufu que trajo amount 1 Carèu! rjue frtsc.

Adessias! Adessias! A dos pinello,

Aquéu tros de pagèu, e dos sapino

Qlre n'i'en dèvon gagna tout pèr sorrn comte

Diron que cargo. Oh, r F', anen, de coucourdo!

Emai di Crrminau disien mirando

Erné soun Cranrl Zidor pièi tant plegr~èron

CHANT XII, LA CATASTROPHE. 117

CVl

Et fais tirer! en jetant sa crierie

de joie et de valeur, et d'impatienceou d'abandon en Dieu, la batelée

s'avançait lentement; et le Caburle,

sa haute proue rengorgée sur le Rhône,

échangeait son salut avec les autres flottes

qui au fil de l'eau descendaient rapides.

a: A Dieu soyeza: Adieu a: C'est l'équipage,

n'est-ce pas? de Jean la Miche, de Serrières.

Il a de beaux chevaux 1 a: Le vent s'aheurte? Il

a: Comme un brigand 1 » C'estdonc comme à la joute? Il

crHélas en quinze jours quatorze lieues,

comme il se dit. a: Allons, et à la compagnie»

Et les bateaux, avec les bras levés,

disparaissent là-bas à la descise.

Et après l'une l'autre les rencontres se suivent

de loin en loin. -« N'est-ce pas Thomas d'Andance

qui fend l'eau en amont? Voyez donc comme il sille 1 :J

a: A Dieu soyez!:J Adieu 1 a: Oui, il a deux penelles,

ce rustaud vivarais, et deux sapines

qui doivent lui en rendre on dit qu'il charge

tout pour son compte. a: Allons donc! des citrouilles.

Et des Cuminal on disait merveille

avec leur Grand Zidore6; ils ont plié quand même 1 JI

.8.

CANT XII, LA AlAU-PARADO.J 18

CVII

Desempiéi quatre jour, souto la rodo

Ansin ddu grand soulèu e scuto l'urcle

De l'èr d6u Ro, de l'aaro que rabino,

A travès dis embroi de toruo meno,

Dis agacin, di graveiroun, di gafo,

Peniblamen b~arrbejant sa manobro

E pèr ouro abracant sa miejo-lègo,

Avien li Coun Iriérrlen pres la remounto,

Quand, art cinquèime jorrr, ert drecl~o visto,

Lort Pont Sant-Esperit sus l'estendudi

Espandiguè si vint-e-dos arcado.

E, proche di pourtau coume fit~trèron,

Ar~ prince lou patroun fasènt un signe

Vés! ié diJUè, srgnour, aquelo pielo

Q~re i'a 'no grosso mato d'espargoulo,

La vesèsl Es d'aqui que, de coustrrmo,

Benesissien t6uti lis an lou Rore.

Ah! cortme acô 'ro bèu! Emé !i barcoAnavian guerre en terro, tila, lorr préire

Que, pourtant lou Bon-Diéu, entre li ribo

D6u flumrnas, venié, dre sus la pot~po,

Artssv lou sant soulèu davanr lou pople

Crrrbént ddu pont amotrnt li parabando.

Tout acd se fai plus e noun coumprene,

CHANT XII, LA CATASTROPHE. 119

CVll

Depuis quatre jours, ainsi, sous la roue

du grand soleil et sous le hâle

de l'air du Rhône et du vent qui havit,

au travers des obstacles de tout genre,

des bancs de gravier, des récifs, des gués,

péniblement dirigeant leur manoeuvre

et abattant leur demi-lieue par heure,

les Condrillots avaient pris la remonte,

quand, au cinquième jour, en droite vue,

les vingt-deux arches du Pont Saint-Esprit

se déployèrent sur le ciel.

Et, arrivés près des arcades,

au prince le patron faisant un signe

lui dit a: Seigneur, vous voyez cette pile

qui porte une touffe de pariétaire?.C'est de là qu'à l'accoutumée

on bénissait le Rhône tous les ans.

Ah 1 comme c'était beau 1 Avec les barques

nous allions terre, là, quérir le prêtre

qui, portant le Bon Dieu, entre les rives

du fleuve immense, debout sur la poupe,

haussait le a: saint soleil D devant le peuple

couvrant là-haut les parapets du pont.

Tout ça ne se fait plus et je ne comprends pas,

CANT XII, LA MAU-PARADO.po

lfu, corrme vai qu'ansin vuei tout derrnno.

Ah n'en veirfs bén d'arrtro! aqui l'Angloro

Cridè au patroun, sabèst lou mounde viro.

Vous l'ai pas di que sus lorr ranc de Torrrno

De grdssi trcboulino èron tnarcadot

Trr! ragagnot~s la remor~què lort mèstre,

Art Malatra t'entourne qu'art t'a drtcho!

Que rèn que sorrn aflat, d'aqt~el escdrpi,

Farié passa pèr iue ttno barardo

De crttcifis. Amaino!

CVIIl

Sus la dortgo,

Au crid d'arreitamen que d'ome e,z ome

Fai restortnti l'arc.rdo mariniero,

An pres tbti subran pèr la dinado.

Li chivalas relènt, leva de tiro,

S'arrapon i bourrenco de pasturo.

Li marinié, d'avau sus la pinallo,

Li carretie, d'amount sus la levado,

Qitichont soun arencado o soun anchoio,

Mastegon plan e barjon i Banc RougeLou pas es prortn cvtifu; mai à Dounzero,

Em'aqufli roucus, aquelo cluso

Ountc lou Rose enferouna s'obrivo

Coume un brau de palun, vai i'avf d'obro!

CHANT XII, LA CATASTROPHE.pl

moi, d'où vient qu'aujourd'hui comme ça tout s'éboule. :0

« Vous en verrez bien d'autres! lors lui cria l'Anglorc.

Ah! vous savez? Le monde vire.

Ne vous l'ai-je pas dit que, sur le roc de Tourne,

de gros remue-ménage étaient marqués?D

a: Toi 1 d'une voix bourrue la rembarra le maitre,

T'emmène au lItalatra qui t'y a prise 1

Son approche elle seule, à cette masque-là,

ferait sombrer une barquéede crucifix. Arrête! »

CVlll

Sur la berge,

au cri de halte qui, transmis d'homme à homme,

fait retentir l'arcade marinière,

ils ont pour la dînée jeté l'amarre.

Les grands chevaux fumants, aussitôt dételés,

mangent aux trousses de fourrage.

Les mariniers, là-bas sur la penelle,les charretiers, là-haut sur la chaussée,

écrasant sur leur pain leur hareng, leur anchois,

remâchent lentement et causent des Bancs Rouges

le pas est difficile; et à Donzère,

avec ces rochers, avec cette clusr

où le Rhône en fureur se précipitecomme un taureau sauvage, il y aura du mail

CANT XII, ia aiau-r.~x.wo.J12

Un pau plus aut, firtdra pièi ~ue trevalon,

Emé tout soun trahin e màli peno,

De l'arttro man. Enfin, que sièr qne gouirson!

Lioun es liuen, mai quart a tèms a vido.

E'm' acJ, zôn! Li grâci estènt rcndudoE rl'rtn cop, rmé brut, aguènt lou buile

Rebarra soun coutèrt mancha de corno,

E li coulas remés e toui li ferre

Dôrt munescart ferrant passa 'n revisto

Fa tira davuns! dart! E s'escourpouiro

Contro auro tourna-mai emai contro aigo

La grand cavalarié. Revertigueto,L'Angloro sus lou tèume ddu Caburle

Béu lou vènt frescoulet que descagnoto

Soun pért e rènd bortdenJlo sa mantilro.

Au Malatra, dins pas belèa miechotiro,

Elo ié vèn au princihoun d'Artrenjo,

Saren ga~di. Q;te joio pèr ma maire,

Pèr mi fruire pichoun e pèr mi sorre!

Dins moun cabas pèr ch:rscun e chascuno

Iftt porte aqui sa frero pèr Aléssi

Un tambour de Bèu-Caire; pèr Gutouno

Un lot de terruieto; pèr BregidoUno titèi d'un sou; uno barquetoEmé tout soun armun pèr lort bèu JôrgiE. pèr ma maire un marrapan de d~iti!

E i'aura rèn pèr iéuTfaguè lou prince.

Pdr tu, moun Dra, i'a tottt fo qu'es au lustre

D6u sant soulèu e tout ro qu'es dins l'oumbro

N'as que de coumanda, rifu ta servènto.

CHANT XII, LA CATASTROPHE.]23

Un peu plus haut, il faudra qu'ils transbordent,

avec tout leur train et de grandes peines,

de l'autre côté. Mais à quoi bon geindre!

Lyon est loin et qui a temps a vie.

Et en avant! Les grâces étant dites,

et bruyamment le baile ayant d'un coup

refermé son couteau sur son manche de corne,

et les colliers remis et tous les fers

passés la revue du maréchal-ferrant

a: Fais tirer devant hue! JI Et se déhanche

derechef contre vent et contre-mont

la grand'cavalerie. Alerte et gaie,

l'Anglore sur la tille du Caburle

boit le vent frais qui ébouriffe

sa chevelure _et gonfle sa petite mante.

a Au Malatra, dans moins de demi-heure,

dit-elle au princillon d'Orange,

nous serons arrivés. Quelle joie pour ma mère,

pour mes frères petiots et pour mes soeurs!

Dans mon cabas, pour chacun et chacune,

j'apporte leur foire pour Alexis

un tambour de Beaucaire; pour Gathone

des poteries menues; pour Brigitte

une poupée d'un sou; une barquette

avec tous ses agrès pour le beau Georges;

et. pour ma mère une boîte de dattes!

Et, fit le prince, rien pour moi ? :>

Pour toi, mon Drac, tout ce qui est au lustre

du saint soleil, tout ce qui est à l'ombre,

demande-le-moi je suis ta servante. JI

CANT XII, LA DdAU-P:1RAD0.po¡

E i'estregnènt li det Adortnc, mignoto,

Guihèn di~uè, t'espère à !~r vespnrdo,

Vers miejo-nirte, sus lou bord de toun isclo

E, cortme dis la car,soun amourorrso

Sus moun batèu que lando

Nous raubaren au fres,

Car siéu prince d'Oulando

E noun ai pbu de res.

CIX

Ai! bèu jouvènt, eterno simbeliero!

Lou vènt avié cala. Dins l'amplitudo

E dins l'amrrdimen d6rt vaste Rose,Lis ome entre-dourmi, la caravano

Au souleias d'estifu mountavo lènto,

Emé, de liuen en lirren, quauco iserorrno

Voulastrejant sr~r lou travès dôu flùvi.

Tout-en-un-cop, dins la lirrnc!rour de l'orso,

Vai s'entèndre r~n vounvoun. A l'avalido

Pièi s'esperdif, pièi mai revounvounavo,

Coume lon batarèu d'un moulin brounde

Qrre sarif descendu pèr la ribiero.Pièi èro un toursihoun à l'escorrndudo

Qp'aumentovo toujour, rrno toussido

Coume aquelo d'un br~ru o d'rrn conlobre

CHANT XII, L.\ CATASTROPHE. 12f

Et, lui pressant les doigts, Guilhem lui dit

a: Je t'attends donc, mignonne, à la soirée,

vers le minuit, sur le bord de ton ile,

et, comme dit la chanson amoure:.sc

Sur mon bateuu qui file,

Viens, je t'enlève ntt frais,

Car, prince de Hollunde,

Je n'ui peur dr personne, »

ClX

Ah 1 belle jeunesse, éternel appeau

Le vent avait cessé. Dans l'amplitude

et le silence du vaste Rhône

les hommes somnolant, la caravane

sous le soleil d'été remontait lentement,

avec, de loin en loin, quelque mouette

qui voletait sur le travers du fleuve.

Soudain s'élève, dans le lointain du nord,un sourd bourdonnement. A l'horizonil se perdait, puis bourdonnait encore,

comme le claquet d'un moulin farouche

qui serait descendu par la rivière.

Puis c'était une toux absconse

qui augmentait toujours, toux saccadée,

comme on eût dit d'un taureau, d'un dragon

19

CANT X11~LA MAU-PARADO-

p6

Seguènt !i vironiourr de l'archipèlo.

Pièi un erbrar.d subit i'agrrè dins l'oundo

Que faarrè ressauta tôrrti li barco,

Enterin qrs'eilamountun flo de tubo

Ennegrissié lou cèu e trar li pibo

Apareiguè subran, feudèntlorr Rose,

Un long batèu à fid. Se rebrasrèron

Ttiuti li marinié, gueirant lou moustre.

En porrpo Mèste Apian, devingu pale,

Arregardavo mè la nau magico,

La nau qrr'vrpatejavo emé si rodo

E rernouvié d'oundado espetaclorrro

E fourmidablamenié venié srrbre.

cx

Arrasso! ié cridè lon capit~ni,

E t6uti ddu batèu ié frsien signe

De se gara davans. Mai tau qu'un roure,

Imbrandable à la barro, lou vièi méstre

Respoundegreè Mandrin! que lou Caburle

S'escarte davans tul Lou Rose es nostre.

E fa tira la rnaio, milo-diéune!

Mai lou patroun n'a-aif pas claus la bor~co,

lé lampant au coustat, lou Croucoudile

(Èro lou noum de la vapour) arrapo

Em'rrn de sis alibre la pinello,

CHANT XII, LA CATASTROPHE.327

suivant de l'archipel les sinuosités.

Puis un ébranlement subit remua l'onde,

faisant sursauter la batellerie,

pendant qu'en amont un flot de fumée

obscurcissait le ciel et dcrrière les arbres

apparut tout d'un coup, fendant le Rhône,

un long bateau à feu. Tout l'équipage

redressa les bras, à l'aspect du monstre.

En poupe, Maître Apian, devenu pàle,

regardait muet la barque magique,

la barque dont les roues battaient comme des griffes,

et qui soulevait des vagues énormes

et formidablement fondait sur lui.

cx

a:Range-toi 1 lui cria le capitaine,

ct tous ceux du bateau lui faisaient signe

de se garer devant. Mais tel qu'un rouvre,inébranlable au timon, le vieux maitre

lui répondit a: Mandrin 7! que le Caburle

s'écarte devant toi? Le Rhône est nôtre.Et fais tirer la maille, mille dieux 11»

Mais le patron n'avait pas clos la bouche,

filant comme l'éclair, le Crocodile

(c'était le nom du vapeur) a saisi,

par une de ses aubes, la penelle.

CANT XII, LA bf.lU-PAR~1D0.328

L'eutiro dins sorrrt ~arnc e, corune un rlogne

De Fo ~rtetèu se but li brego, à btinrlre

Gurr~asso lott trahirr, enré si gumo

5'entrepaclro rabiorrs rfintre li barco

Orrnte se fai drai.rr, en tirassiero

Rebalant après éu touto la rigo.

o malurons! li chivalas recrtelon,

Emporrrta pèr la rnaio, airts lorr Rose,

Emé li carretié que r'esbramasson,

Despoutenta pèr l'aigo furibounrln.

CXl

Alai ért, Patrottn Apian, quand vèi perdudo

Sa gnrnd cavalarié, si natt, sa vido,

Étt dre sot~r lott Cabttrle qnedavalo

Desempara, courrènt la bello eisserv;,

Ért, dessena de jouns, li veno morto,

En badant la vaponr que, pouderouso,

Escarpisrènt dottr revottlun d'escumo

E ütant dins lis èr sa tubassino,

Trajavo eila-davans Ah! manjo panre!

lé cridè coume eiFÔ, mourtre sus terro

Qlte lou diable a raca pèr nous dertruire,

Gingorrmbaude judiéu, enfant de brourno,

Fugues martdi! martdi! maudi! Qj'f morou,

Aqrtéli qne te servon, dins la braso

CHANT XII, LA CATASTROPHE.329

Dans son élan il l'entraîne et, pareilau dogue qui secoue sa proie, tout péle-méle

il secoue le convoi; avec les câbles

il s'empêtrc rageur parmi les barquesoù il s'ouvre une voie, dans son sillage

trainant après lui toute la flottille.

o malheureux! les grands chevaux reculent,

emportés par la maille, dans le Rhône,

avec les charretiers poussant des cris

et démontés devant l'eau furibonde.

CXIÎ

Mais Patron Apian, lorsqu'il voit perdus

tous ses grands chevaux, sa flotte, sa vie,

lui, droit sur le Caburle qui dévale

désemparé, courant à la dérive,

lui, hors de sens et les veines exsangues,

lorsqu'il voit, ébahi, le vapeur qui, puissant,en écharpant deux tourbillons d'écume

et jetant dans les airs sa nue fuligineuse,

sillait déjà devant: « Ah! mange-peuple!

lui cria-t-il ainsi, monstre que sur la terre

le démon a vomi pour notre destruction,lombard de juif, fils de crachat,

sois maudit sois maudit! sois maudit! Etqu'ils meurent,

ceux qui te servent, dans la braise

CANT XII, LA AtAU-PARADO.HO

E lou reboulimen e li suplice

De l'injernas negrvs ounte t'entpttres!

Crapo de jrtm! n~rtr-~iutri, la ribiero,

l'a de tnilo an que la tenivn dessouto.

Mai tu, d'abord que vuei tout se desbran.lo,

Rapello-te, souiras, que r:eja drogo

Lou chivart frr~s que dèu creba toun vèntre

Tau as jâu, tau t'espèro! E lou Caburle,

Tôuti si barco après à la trahino

E tout sortn cavalrtn dins la bourdoniro

Gafant o negadis, au brand dis oundo

Regortlvvo à la bètt. Coupas li cordo,

Malan de Difu, que li chivvu s'ennègon!

Bramè lou vriturin en fvsènt buto

Pèr aterro vo s'engrava sus ribo.

Car dejv vèi lou Pont qu'espaventablePereilavvtt s'ettisso pèr tout roumpre.

Mai lou cot~rrènt que subre-fort env~uto

E sisrelvndo e sapino e pinello,

Dav~rns-:larri! li rounso, li secuto

Coume r~n rai de tndntoun que s'rncamino

Att ttta~lor~. Dervariv, lis ome,

Pèr enbottli, se podott, ttno arcado,

Lou prortvié, lou mttdvire, sns l'empento

S'esperforFon. En van! L'Angloro mudo,

Lis irte cluca, tt'er plus d'aqueste mounde

Estrechamen rambado i bnrs ddu prince

Que tèn d'à ment sus pro la tnart parado,

E ftranFotrso en plen de soun rlorrs erèire,

Au paradis ié sèmblo gne r'envolo.

CHANT XII, LA CATASTROPHE. i3~

et le bouillonnement et les supplices

du noir enfer où s'attise ton feu!

Ah! crasse de fumée! nous, sous nous autres,

depuis des milliers d'ans nous tenions la rivière.

Mais toi, puisque aujourd'hui tout croule,

souviens-toi, sale bête, que déjà te talonne

le cheval-fée qui doit crever ton ventre

tel tu fis, tel t'attend! ]) Et le Caburle,

ayant toutes ses barques après en trainerie

et tous ses chevaux en cette mêlée

guéant ou sombrant, au choc de la houle

roulait au péril. ([Coupez les cordages,

malheur de Dieu! les chevaux qui se noient! »

brama le voiturin en faisant force

pour atterrir on pour s'engraver sur la rive;

car déjà devant lui, épouvantable,

le Pont là-bas se dresse pour tout rompre.Mais le courant insurmontable entoure

sisselandes, sapines et penelles,

et sens devant derrière il les rue, il les chasse

comme un troupeau de moutons qui chemine

à l'abattoir. Éperdus, les nochers,le prouvier, le pilote, pour embouquer, s'ils peuvent,

quelque arcade, font sur le gouvernail

des efforts surhumains. Mais vainement L'Anglore,

muette, l'œil clos, n'est plus de ce monde

étroitement serrée aux bras du prince

qui du haut de la proue guette la catastrophe,

ct confiante en plein dans sa croyance douce,il lui semble prendre l'essor dans le ciel.

CANT XII, LA MAU-PARADO.H2

CXII

hlounto un grand crid. Ai! paure! d6u Caburle

Un remoulin esfraious agoulnupo

Dins soun revbrt la b.rrco un ttrert terrible

Brounzis contro lou Pont e tout s'esclapo.

Ctrihèn, dôu contro-cop, dintrc lis ersoEs bandi, dins si bris aguènt l'Angloro.

E nado, bacela di tros de fusto,E nado, la tenènt ~r cimo d'aigo,

E nado tant que pdu. hlai lou srebrounJo

A la perfrn la suberno enmalido,

E desparèis. Sus l'autre bord dôu Rose

D'ageinonioun alin plouron li femo,

Cridant e pregvnt Diét~. De la peirado

Ounte éu s'èro gondi, la barco rortto,

Sauvant lou pichot chat de l'equipage,

Lou bon Jan Rocho tourna-rnai cabusso.

E vague de nada, cercant lorr prince,

E vague de souta, eercant l'Angloro.

Mai de-bado! Lou flume, quau saup moante

Lis avié tduti doru mena pèr sèmpre.

CHANT XII, LA CATASTROPHE.333

CXIl

Un grand cri monte. Aïe! malheur! du Caburle

un tourbillon effrayant enveloppe

la barque en son remous un heurt terrible

tonne contre le Pont et tout se brise.

Guilhem, du contre-coup, au sein des vagues

est projeté, ayant l'Anglore dans ses bras.

Et il nage, battu par les tronçons de poutre,et il nage, tenant à fleur d'eau son amie,

et tant qu'il peut il nage. Mais les flots irrités

le submergent enfin et sous la houle

il disparait. Sur l'autre bord du Rhône

agenouillées, là-bas, pleurent les femmes,

criant et priant Dieu. De la chaussée,

où il s'était rendu après le bris des barques,

sauvant le petit mousse de l'équipe,

le bon Jean Roche à l'eau se jette encore.

Et de nager, cherchant le prince;et de plonger, cherchant l'Anglore.

Mais vainement 1 Le fleuve, qui sait où?

les avait tous les deux emmenés pour toujours.

19'

CANT XII, LA M.\ U-P.\ lU DO.114

CXllI

Sus lnu lirnpun dtiu bord onnte s'eidracon

Li naufragif, la caro ensaunousido,

Jasié lou gros pilot, cubert de grumo;

Li barcatif, planta dins la papolo,

Li carretif, rouigant sis escoumena~e,

Èron aqr~i doulént, la tèsto souto,

A recata pèr rdu qu~irtqui rabasto.

Agamouti, picant ddu pèd la terro,

Lou vièi patroun genfavo Aca 's pas jnste!

hfoun bèu cabart! tant rtno bello rigo!

Tout ac~ derouï pèr lou mal-astre!

Pièi demandè Qrrau manco ? if sian tôuti,

Li gènt de l'equipage ? Se coumtèron

E Il ié sian t6uti » fuguè la responso.

Mèste Apian diguè mai He! las de nautre!

Qfiand li mrrlur an d'èstre, fart que frrgon!

Ernai portdian bèrr tôuti nous afor~ndre.

Nous a, sant Micoulau, sauva la vido

If faren à Coun~lriéu dire une rnesso.

lé mancara, fa~uè Jôusè RibEri

Plan au pr~uvié, qu'aquelo partro chato

Em'agufu brave prince. Ah bouto, prinn.

Jan Rocho repliqué,sus lou Caburle

Avifu proun remarca si menganello.

CHANT XII, LA CATASTROPHE.Hf

CX 1 Il

Sur le limon du bord où se ressuient

les naufragés, la face toute en sang,

couvert, souillé d'écume, gisait le gros pilote;les bateliers, enlizés dans la vase,

les charretiers, étouffant leurs jurons,étaient là, affligés, la tête basse,

à recueillir en tas quelques épaves.

Affaissé sur son corps, frappant du pied la terre,

le vieux patron geignait « Ça n'est pas juste!Mon beau cheptel! Une si belle flotte!

Tout cela démoli par le désastre! »

Ensuite il demanda « Qui manque? Y sommes-nous,

tous ceux de l'équipage?» Ils se comptèrent

et « nous y sommes tous fut la réponse.Maître Apian dit encore « Hélas de nous 1

Quand le sort est écrit, les malheurs s'accomplissent!

Et nous pouvions bien tous nous engloutir.

Saint Nicolas nous a sauvé la vie

nous lui ferons dire, à Condrieu, une messe. »

« Il n'y manquera donc, fit José Ribory

à mi-voix au prouvier, que cette pauvre fille

et ce bon petit prince. » « Ah 1 va, bon petit prince.Jean Roche répliqua, sur le Caburle

j'avais depuis longtemps observé ses menées.

CANT XII, LA MAU-PARADO.}J6

Quau noun t'a di qu'es pas lou Dra d6rt ~ose

E qu'éu, assabenta ddu grand naufrage,

Noun nous ague segui, de mudo en mrtdn,

Pèr empor~rta l'Angloro dins si tonmple

CXIV

E Mèstc Apian clauguè, brandant la tèsto

Es messagié l'erperit! Quand li barco

Davanr lou Malatra farien derciso,

lért Inu rentiéu, qu'aqrtelo malurouso

(Car dèu avé, jit:rdo à la ribiero,

Fa puto-fin) èro pèr nous adrtrre,

A tèms o tard, quauque marrit rescontre.

Ai! mi sét barco! Ai! mi chivau de viagc!

Dire que tout acd s'env~ri au ftiudre!

Es la fin dôu mestié. Pàuri coulègo,

Poudès bèn dire Adiért la bello vido!

A creba, vuei, pèr tôrtti, lou grand Rore.

E' m'ac~, de l'espalo à la centuro

S'estènt envertouia li tortrtouiero

E li restant d'arnés que ié soubravon,

D'à pèd sus lou dougan touto la chourmo

Remountè vers Cortndriéu, sènso mai dire.

CHANTXII, LA CATASTROPHE.

H7

Et qui t'a dit que ce n'est pas le Drac du Rhône

qui, par avance, instruit du grand naufrage,nous aura, lui, suivis de trajet en trajet,

pour emporter l'Anglore dans ses gouffres?»

CXlV

Et Maître Apian conclut, hochant la tète

a L'esprit est messager! Lorsque les barques

devant le blalatta faisaient descise,

ah! je le pressentais, que cette malheureuse

(car elle doit avoir, jetée à la rivière,fait triste fin) devait tôt ou tard

amener sur nous quelque malencontre.

Ah! mes sept barques! mes beaux chevaux haleur!>! 1Dire que tout cela est foudroyé, en ruine!C'est la fin du métier. Pauvres collègues,

oui, vous pouvez bien dire Adieu la belle vie 1

II a crevé pour tous, aujourd'hui, le grand Rhône.

Et alors, de l'épaule au tour de la ceinture

ayant enroulé sur leur corps les câbles

et les restants d'agrès qu'ils avaient recueillis,à pied toute la troupe, en suivant le rivage,

remonta vers Condrieu, sans

autre

'T- t 1

/)

NOTES

CH.A`ï`L? q"lZ,E:KIE?t

Note 1. Les mariniers du Rhône se servent du mot ew~iri (em-

pire) pour désigner la rive g¡uche, et du mot rtiaumt (royaume) pour

désigner la rive droite.

N. 2. La uroillt, nom du cible de halage, dans l'ancienne ba-

tellerie.

N. J. Le Vent Terral, le mistral.

N. 4. Rtinagt, royauté, dignité de roi ou chef d'une féte.

N. S. Caillitlt, espèce de mets.

N. 6. Pognt, espèce de brioche.

N. 7. Rigottt, petit fromage de lait de chèvre.

N. 8. Nom propre d'tfnebarque, qui dut étre célèbre dans le

temps à Condrieu, puisqu'il en est question dans une chanson po-

pulaire

Voilà le Caburle à la touche,

le conducteur bien étonné:

fallut porter la maille en terre

et an alllge aller chercher.

N. 9. Bailt, chef des charretiers.

N. 10. La dercirt, la descente du fleuve, en terme de marinier.

LE POÈME DU RHÔNEHO

N. rr. Prourirr, homme de proue, second d'une barque.

N. 12. afouilft, lieu où l'eau est tranquille, où les bateauxpeu-

vent mouiller.

N. IJ. blaigrr, haut-fond, gravier à fleur d'Cotu.

N. 14. Pan, empan, palme, mesure d'une main ouverte.

N. IS. Pierre-Bénite, rocher des bords du Rhône, au-dessous

de Lyon.N. 16. Lout, bras de rivière, flaque d'eau qui occupe un ancien

lit du Rhône.

N. 17. Brotttau, oseraie, àL)'on.

N. 18. afudo, traite de navigation, proprement mue c'est-

1-dire intervalle pendant lequel on prend un pilote de rechange

appelé urudaire. Le Rhône, pour les bateliers, est divisé en mnda.

CILA:? vEU:LIÉaCE

Note r. l.bëstral ou mistral, que úmilièrementon nomme

lfongt fangt.

N. 2. Zunntnblam en néerlandais, butome en ombelle.

N. J. Les princes d'Orange portaientdans leurs armes un

cornet, par allusion à Guillaume au Court Nez (Gnilban dt! Cert

1âr), fondateur de leur maison.

N. 4. Nom d'un coteau quidomine Vienne.

N. S. Nom du port de Condrieu.

N. 6. Trira, farfadets, lutins. Voir lfirti(fe, ch;tnt V.

N. 7. Oulnrgutr, étres fantastiques dont il sera question au

chant VII du poème.

N. 8. Argtnn,le territoire de Beaucaire et des 10000lités voi-

sines.

N. 9. La couple des attela.-es était de quatre chevaux, dans la

batellerie du Rhône.

CH.A`PL.? ?7t·OISI~aCE

Note 1. Aloillr, cible de traction.

N. 2. Bagalontt, nom d'une des pilesdu Pont Saint.Esprit.

N. J. Les Sain les-Maries de la Mer, l'embouchure du Rhône.

NOTES34~

N. 4. Les Cornes de Crussol, nom que portent les ruines du

chiteau de ce nom, vis-¡-vis de Valence.N. 5. On faisait bouillir des aiguilles dans l'huile, pour rompre

un charme.

N. 6. E~u fière, en provençal, signifie eau élevée, qui coule à

pleins bords.

N. 7. Rigra, le ttain ou convoi des barques remorquées à la

file par le même cible. Rtnro, en espagnol, signifie. suite de mules

attachées l'une à l'autre pir la queue

N. 8. Lon brunde dt !'Eirrto, nom d'une ronde qui se danse aux

bords du Rhdne.

CII.A`~L? QU,~fT9Z1É:1CE

Note 1. Le rre! lourbard, vent d'est, en Dauphiué.

N. 2. ~fagasins où les ~1~rseil1ais serraient leurs mar~handises

dans le Lcvant.

N. 3. Nom que porte l'ancienne voie Dontitieune dans l'Hérault.

N. 4. Ancienne route qui allait de Nimes à Gergovie.

N. S. Le coquitre (lon gaugn(in), le gouvernement de 183°.

N. 6. La Galéjonière(la bironnürt), marais des environs d'Arlesoit se réfugiaient les conscrits réfractaires.

N. 7. Sobriquets que les royalistes donnaient l'empereur

en 18q le tbûlaignitr, par allusion aux chitaigneraies de la Corse;

le tondu, parce que Bonaparte s'était fait tondre après la bataille de

Marengo.

N. 8. Lorrt, anden bras du Rhbne, parageoù l'eau est calme.

N. 9. Aube, peuplier blanc.N. 10. Ségonans, trgounan, terrains qui longent le Rhbne,

entre le fleuve et ses digues.

N. II. Rousserole, rnolatilla arnndirratta, espèce de fauvette.

CH.AT(.? CI:K.QUIÉ~ICE

Note 1. Cluse, passage resserré par des rocs escarpés, défilé.

N. 2. Rodrers forme humaine qu'on voyait autrefois près de

Clriteauneufdu-R65nc et que le chemin de fer a détruits depuis lors.

LE POèME DU RHÔNE342

N. Le pilotede rechange, qu'on appelle mudairt sur le

Rhône.

N. 4. Sissrlandts, grands bateaux plats, carrés d'un bout, tirant

probablemenlleur nom de Seyssel, port du haut Rhône.

N. S. Descente, en style de marinier.

N. 6. dugloro, un des noms du lézard gris (lattrla ngilis), sur

la rive droite du Rhône.

N. 7. Cévennols, montagnards des Cé\'ennes, dontRaymn cst

le sobriquet.

N. 8. Fier, dont les eaux sont hautes.

N. 9. Darran, ancienne mesure de JO, 40 ou SO litres, scion

les pays.

N. 10. Sac·opardt, grande barque du Rhône.

N. iii. Le mirage.

Cff..R2I,? SIÎIÉ:ICE

Note r. Gervais de Tilbury, qui écrivait à Arles vers tz;o, a

conté l'histoire du Drac et de la femme de Beaucaire, dans ses Ofia

imperialia. Les lavandières du Rhône, aux Saintes-Maries de la ~fer,

se servent encore de battoirs sculptés qui portent par tradition un

Drac en forme de lézard.

N. 2. Délaissée (serrro), sable qu'une rivière dépose sur ses

bords.

N. J. Peuplier blanc, f~opnlrrs nlba.

N. 4. Jonchée (louuro), fromage frais qu'on fait égoutter sur du

jonc: et qu'on retourne de temps en temps, d'où la locution tir,J

ronnu uno lounro.

C H.r4 :~L? S E `l' T 1 ~'aCE

Note 1. Les cinq doigts, la main.

N. 2. Jurement populaire.

N. J. Franc utlanfin, pensée intime. 1'altulin, autrefois, se di-

sait pour soupirant dans plusieurs provinces de France.

N. 4. Les revers du ment Ventour, le versant nord.

N. S. Les castors du Rhône.

NOTES Hl

N. 6. Voir, sur la légende du pont du Gard, le prologue du

poème de .\trlo (Hachette, 1884).

N. 7. I'aif al~gri, p.tys égayé; se disait, en Provence, d'un

lieu hanté parles sorciers.

N. 8. On dit en pro\'erbe gint dt mariuo, giut dt raf~ino.N. 9. Li Sanfu-h.irri (les Saute-remlurts), sobriquet des gens

de Marnas.N. 10. La fontaine de Tourne, au Bourg-Saint-Audéol, sourd

au pied d'un bas-relief consaenl au dieu Mithra.

N. 11. Ronau, bœuf ou taureau en pleine force; au figuré, vague

qui se précipite. Le provençal bibu signifie aussi bœuf. » et masse

d'eau qui se précipite ». Roaau, ce parallélisme l'indique, dérive donc

dit latin Rbodannr, Rhône.

CH.4'XT HiIITI~`aCE

Note r. Erpurgarriu, jonc fleuri, bufomut nmbellafur.

N. 2. Croyance populaire de la haute Provence.

N. 3. Lou Cüri, nom vulgaire du théatre antique d'Orange.N. 4. Cribo-tor, éminence qui domine la ville d'Orange.

N. S. Noms de rues d'A\'ignon.

CH.A~LT :~L,EÜYlÉfIIE

Note t. Grenettes ou graine d'Avignon,stil de grain.

NI 2. Pugtllo, perche de uule qui sert de sonde. Les mariniers

du haut Rhône disent ptl(c, par contraction.

N. Rorrdadou, ancien lit du Rhône.

N. 4. l'rrganürt, ounière qui coupe les brins d'osier (rtrgan).

CH,A~L,T DIXII:aCE

Note i. Iabul, tartatie, caboteur.

N. 2, L'Océan.

N. Li Conrt, les Consuls, officiers municipaux des villes du

Midi.

N. 4. Canlt-Ytrdrir, cru de Beaucaire.

LE POÈME DU RHÔNE144

N. S. B.ague de verre, qui fait crier aie/lorsqu'elle se casse.

N. 6. Il 6rainttif, les Levantins, les Orientaux, à Marseille.N. 7. Couvertures de laiue

pouvant servir de manteaux.

N. 8. Halles voûtées, arceaux des halles.

N. 9. Frunebiuraudt, Français du Nord; Lornlnrdt, Italiens;

Etlrtlint, Anglais ou Hanséatiques; llarrant, descelld:lllts des Maures,

Espagnols; Gilauor, Bohémiens d'Espagne.

N. IO. Ils r..t~"Dt trois ans auprh du roi de Tordor..

V. F À Ult 1 E L, Hitloirt dt lu /a~tit prortnfalt, Autattin tf .'1'itoftllr.

N. u. Haut quartier de Ikaucaire, où était autrefois l'hôtellerie

des bateliers.

N. u. Rouau~do, débordement du Rhône; (éte du Rh one, sur

le bord du Rhône, en l'honneur du Rhône.

N. t;. Catapultes des Provençaux.

N. 14. La Soulcngrrt, la féte du Soleil, repas qu'on paye aux

ouvriers de la moisson.

N. IS. Ginettet, cru du territoire de Beaucaire, dont le vin est

,-anté dans le poeme de la Croisade contre lesAlbigeois.

N. 16. Rouan, le taureau; nomemblématique

du Rhône. Raua-

nrrtt, quartier de Beaucaire, dans lequel on retrouve le nom de Rlv-

drnntia, ancienne colonie grecque.

CHvl:~l,? 091LZIÉ'aCE

Note 1. dubouritr, tronçon de mit auquel on attachait les dbles

de traction.

2. La roureraint, la plus hautenurque de la sonde.

N. J. Le Lert, grand reptile fantastique.

N. 4. Nom d'une porte d'.Ivignon, par laquelle les mariniers

allaient à la marmite l'oulo, cn provençal.

N. S. Hau-uui, grélé.

N. 6. Quartier de Lyon.

N. 7. Nom d'un port du Rhbne, près Orange.

Cff,il:~L,? DOUZIÉ:ICE

Note 1. Lnrlrt, éclat, lumiére, au sens primitif.

N. 2. DEO SOLI lNVICTO ~iI'I'RAE, inscription

NOTESHf

qu'on lisait autrefois sur le monument mithriaque du Bourg-Saint-

Andéol (\üllin).

N. J. Petit h!z.¡rd gris, lartrla agilir.

N. 4. A Arles et à Lyon, comme au Bourg-S.1Ïnt-Andéol,

subsistent les monuments du culte de Düthra. A Arles, le corps du

dieu est entouré d'un grand serpent et sur ses vétements sont figurés

aussi les signes duZodiaque.

N. 5. Entignt (Insignes), constellations, en provençal.

N. 6. Nom propre d'un bateau du Rhône.

N. 7. Chenapan, scélérat, par allusion à Mandrin, célèbre chet

de contrebandiers, roué à Valence, en 1755.

Table

TAULO

CANT PRÓumÉ. Patroun Apiln 2

CANT SEGOUND. Lou Prince d'Aurenjo. }O

CANT TRESEN. La Desciso d6u Rose. 64

CANT QUATREN. Li Veniciailo 82

CANT CINQUEN. L'Angloro. ILi

CANT SIEISEN. Lou Dra. 136

CANT SETEN. La Font de Tourno. 1)4

CANT VUECIIEN. A l'aialido 180

CANT NOUVEN. Souto Avignoun. 214

CANT DESEN. La Fiero de Dèu-Caire. 2}6

CANT VOUNGEN. La Remounto. 268

CANT DOUGEN. La Aiau-parado. }06

CHANT PRFIIIER. Patron Apian. 3

CHANT DEUXIÈME. Le Prince d'Orange. }I

CHANT TROISIËME. La Descente du Rlane.. 6S

CHANT QUATRIÈME. Les Vénitiennes. 83

CHANT CINQU1É11tE. L'Anglore 115

CHANT SIXIÈME. Le Drac. 1}7

CHANT SEPTIËME. La Fontaine de Tourne.. 155

CHANT HV1TIÉDIE. A horizon perdu181

CHANT NEUVIÈIIF. Cn aval d'Avignon. 215

CHANT DIXIÈME. La Foire de Beaucaire.. 237

CHANT ONZIÈME. La Remonte. 269

CIIANT DOUZIÈME. La Catastrophe. 3°7

Notes :339

.À7,,<i~-ce w~Te

TABLE

cAchevE d'imprimer

le vingt-sept 1-invier mil huit cent c¡uatre-vingt-dbt-sel't

PAR

ALPHONSE LEMERRE

6, RUE DES BEIGiRS, 6

.A P,il R,1S

1. ay~6.

Exlrait du Calalogtrtde ln Librnirit Al~honst Lcmerrt

P'OÈ:rŒS CONTEMPORAINSVolnmés '!n'I'8jésu~ Chaque v~iuD1e: 3 fr.

JEAN AICARD. ..It''Lirrt ~i'bruitt.dtl~lrnonr.

ivol.

R. DE L'A\GLE·BEÂVIIAhOIR SOIttIt~'fOtrC'b~alrif'd!t RttY. ivol.

~f~H~ODOR6 DE, I~OntllllS (Nls J'ùnamblrlrr9tlls. '1 vol.

-'Id~'lfti~~ruttitnn~s:"`:ivol.

Les'Pruïitirir. vol.

AUGUSTE BARBIER ~Poiriir, f!ërtbuurrt. vol.

I!Abi3É JEA?1'BARTtltrS. Arilour,dn`Clcclxr. 1 vol.

ANDRÉ BELLESSORT. Za'Cbaàrort dn Srt~l. ivol.

YVESBERTIIOU. Arntf Sirir~lrt. 1 vol.

ÈùILE' BLÉxoxr. La B~llt Arrntnr'r. ivol.

1>IARc'BoNNEFO£. Itt Inntlutirrrurs. 1Vol.

PIERRE DE BOUCUAUIJ RyJbruts tl Nnrnbrrr J ':01.Itt hfirager. 1vol.

JULES BRUN. Il Rorualrfrr0 rotllltaill. ivol.

);rsILE CH'PVJÉ Lrr Gorr~ra 1Vol.

FRkNçois Coppir. Prtirrifrrs Poftirs ivol.

Poirnts tnadtrntt ivol.

Ltr;H~iïhblts: 1 VO\.

Le Cabür rou~e. 1vol.

Zrs Rlcitf tl It;lt us I vol.

Conirrtà

~err tl.rësI vol.

°Lii:pâ>=oltt

1 les ivol.

FRANÇO~S ,J)EJ!YX.S.~Fiâ ois'~Aîritt..

1vol.

LÉONC,E DEPONT. ~Si~rfnil~`~1vol.

AMÉLIE DEWAILLY.' .11i,=t`Ets'fàNlr.. 1vol.

LtQII Dt~iex Les vAma`nls. ivol.

Éxltr,, DoDILLOx. Ikbérs. 1vol.

AUGVSTÉ I)OItCliAIN LavJtYnltrl Prlrtit'l. ivol.

i'trt la Lurnitrt. I vol.

GEORGIS DRUILHET. Au~Timpt drs Lilat. 1 VO\.

LOUISE Dacor. Rftrs d'Exil. ivol.

FRANÇOIS FUit La Bonne.Terre. I vol:

iéix Rurlignrs t vol.

MAURICE DE F>;Reonv,- Hrirrtt, irnuu. t vol.

A FOULONDi-VAúLX~q.;Y,¡<{J!i~lt.

J' vol.

PHILIPPE GILLE. ~L ·~·L'Fltrbrer: J vol.

LioNCEDE jo,c 1à1ïi f .,L'Alni~dN Spbrns. J vol.

EA~1~LAIiOR =Ltr Qàalrotns'd~ilLGbo;oli. 1vol.

ÈUGÈNE LE MOUEL. "FTtnr.dé BIf~I~'otr:' ivol.

ANDRt!L'EKOYNE. ~Flïnii dù~Sorr; 1 vol.

JE.\NÑE-LÓIsÊAÜ. :-Fl~eir fidt'ril: ivol.

°"Rit·ü ~I~,Yitiont:1 vol.

PAUL MARI~'COY. -Li-,Lirrë~àt`bfilairtolir. ivol.

ALBERT M1;RAT: `An`Jfl as l iuü l "01.

P6iurts üi i'aris. ivol.

LUCIEN PATÉ.. Le Sol Satrf. ivol.

JOSEPH DE P£SI¡UIDOUX. l'rrrlr(trt~lttrr. I 101.

6 PAUL REBoux Llf dIOIIJtait3. I '-01.

`yfAVRICE~RICIIARD.I'0ffitlCI~PPImtf. l "01.

Paris. Imp. A. Letttate, 6, rue des Bergers. ~17¡6