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Mobilit d population et pauvrete dam me vicomte normande de la fin du Moyen-Age Denise Angers Important in numbsr and spread very evenly throughout thejfteenth centu y, the Norman rolls of the monnCage are a very important source for statistical study of the population of Normandy. The information about names tlhriy provide allows one to grasp the importance of mobility of population in urban and rural areas. +!nfownation about the di$erent categories of exemkted persons permits a study of the problem of poverty. The region under scrutiny in this article is the vicomtd or vice-county of L3ayeux and the city of Caen. Documents con- cerning this region reveal a highly mobile population, a fact which war by itself cannot explain. The highest rates of mobility are to be found among the populations of the darerent parishes of Bayeux and Caen. As one might expect, the poor are amongst the most mobile of all. Moreover, the psistence of poverty throughout thej@enth century, as seen in the rolls of the monnt!age, raises the problem of the continued stagnation of this part of Normandy. Par leur nombre et leur e’talement dans le temps, les &es au monne’agenormand constituent une source de tout+ em&e importance pour IWudestatistique de la pop& .‘ation de la Normandie b lajn du Moyen-Age. Le matkm’el anthroponymique trt?s riche qu’ils contiennent permet de saisir le @t!nomt?ne trks important de la mobilite’ de In population dans les milieux urbains et ruraux. Les renseignements qu’ils fournissent sur les d$&entes catt!,gories d ‘exempts rendent possible une approche limitt!e certes mais sign&ative du problt?me de la pauvretk. Cette ktude Porte sur la vicomte’de Bayeux au XVe sikle. Pour l’&ude de la mobilite’ de la population, les donn&es disponibles sur la ville de Caen ont aussi t?te’ utilist!es. L’e’tude de ces documents fait appara ftre une mobilite’ extrt?mement klevke de la population, les taux les plus hauts &ant ceux des di$krentes paroisses de Bayeux et de Caen. Ces taux ne sont gukre faciles ci expliquer car la guerre ne semble pas ici seule en cause. Comme on peut s’y attendre, par ailleurs, les pauvres font preuve d’une mobilitt! beaucoup plus grande que celle de l’ensemble de la population. Les taux soutenus de pauvrete’ que laissent appara ftre les riles de monnt!age tout au long du XVe siecle, malgrt! le caract&e minime de la taxe, amtnent ci poser ie probleme de la stagnation e’conomique de cette portie de la Normandie. Les rhultats dont nous faisons &at dans cet article sont tires des r&es de monneage de la vicolt”i& cIe Bayeux entre 1389 et 1500. Le monkage 6tait un imp& direct qui fut cr& vers la fin du XIe si&cle, en guise de compen- sation h l’abandon par le due de Normandie de son droit de muer les monnaies (Musset 1960 : 429-35). Ce type d’imposition n’&ait pas particulier & la Normandie mais il semble Journal of Medieval History 5 (1979) 233-248. @ NoA-Holland Publishing Company 233

Mobilité de la population et pauvreté dans une vicomté normande de la fin du Moyen-Age

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Mobilit d

population et

pauvrete dam

me vicomte

normande de la

fin du Moyen-Age Denise Angers

Important in numbsr and spread very evenly throughout thejfteenth centu y, the Norman rolls of the monnCage are a very important source for statistical study of the population of Normandy. The information about names tlhriy provide allows one to grasp the importance of mobility of population in urban and rural areas. +!nfownation about the di$erent categories of exemkted persons permits a study of the problem of poverty. The region under scrutiny in this article is the vicomtd or vice-county of L3ayeux and the city of Caen. Documents con- cerning this region reveal a highly mobile population, a fact which war by itself cannot explain. The highest rates of mobility are to be found among the populations of the darerent parishes of Bayeux and Caen. As one might expect, the poor are amongst the most mobile of all. Moreover, the psistence of

poverty throughout thej@enth century, as seen in the rolls of the monnt!age, raises the problem of the continued stagnation of this part of Normandy.

Par leur nombre et leur e’talement dans le temps, les &es au monne’age normand constituent une source de tout+ em&e importance pour IWudestatistique de la pop& .‘ation de la Normandie b lajn du Moyen-Age. Le matkm’el anthroponymique trt?s riche qu’ils contiennent permet de saisir le @t!nomt?ne trks important de la mobilite’ de In population dans les milieux urbains et ruraux. Les renseignements qu’ils

fournissent sur les d$&entes catt!,gories d ‘exempts rendent possible une approche limitt!e certes mais sign&ative du problt?me de la pauvretk. Cette ktude Porte sur la vicomte’ de Bayeux au XVe sikle. Pour l’&ude de la mobilite’ de la population, les donn&es disponibles sur la ville de Caen ont aussi t?te’ utilist!es. L’e’tude de ces documents fait appara ftre une mobilite’ extrt?mement klevke de la population, les taux les plus hauts &ant ceux des di$krentes paroisses de Bayeux et de Caen. Ces taux ne sont gukre faciles ci expliquer car la guerre ne semble pas ici seule en cause. Comme on peut s’y attendre, par ailleurs, les pauvres font preuve d’une mobilitt! beaucoup plus grande que celle de l’ensemble de la population. Les taux soutenus de pauvrete’ que laissent appara ftre les riles de monnt!age tout au long du XVe siecle, malgrt! le caract&e minime de la taxe, amtnent ci poser ie probleme de la stagnation e’conomique de cette portie de la Normandie.

Les rhultats dont nous faisons &at dans cet article sont tires des r&es de monneage de la vicolt”i& cIe Bayeux entre 1389 et 1500. Le monkage 6tait un imp& direct qui fut cr& vers la fin du XIe si&cle, en guise de compen- sation h l’abandon par le due de Normandie de son droit de muer les monnaies (Musset 1960 : 429-35). Ce type d’imposition n’&ait pas particulier & la Normandie mais il semble

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que celle-ci ait eu une avance d'une cinquan- taine rFann&s sur les autres regions ot~ des impbts semblables furent exig&. (Bridrey 1941:132). Le monneage normand etait un impSt personnel, triennal, d'une valeur de 12d. Bien qu'il ait ete leve tout au long du Moyen-Age comme en temoignent la Summa de l~£ibus N0rma~ae, la Charte aux Normands et les diverses mentions qu'on en trouve dans les rbks de l'Echiquier, ce n'est pas avant le XIVe si~cle que sa levee a donne lieu l'etablissement de listes paroissiales. Dans la vicomte de Bayeux, les premieres listes qui nous soient parvenues datent de la fin du XIVe si~cle. ~

Ces listes sont nominatives. On y trouve non seulement les noms et prenoms des con- tribuables, mais aussi de tous ceux qui, pour une raison ou une autre, etaient exempt& du paiement de l'impbt, les pauvres etant tou- jours group& dans une categorie ~ part. Ces indications sont evidemment precieuses. Elles nous permettent, en particuiier, d'etu- dier les patronymes, leurs fluctuations, et rendent ainsi possible une premiere appre- ciation de la mobilite et de la pauvrete de la population dans cette region. Ces patronymes, nous les voyons augmenter en nombre, ou au contraire, s'amenuiser jusqu',~t disparaitre compl/:tement. Nous en voyons d'autres, ~t l'inverse, apparaltre, et dans beaucoup de paroisses, constituer un apport de premiere importance dans l'evolution positive du nombre de contribuables. Toutefois, avant d'aborder l'analyse des r~sultats, trois points de m~hode doivent etre consider~s.

Premier point: peut-on se tier aux paT~ro- nymes tels qu'ils nous sont livr& par les r61es de monn~age ? Au XVe si~cle, en Normandie, ces patronymes etaient-ils sufflsamment sta- bills& pour serv:J~r de base ~ une etude

quantitative .7 La question se pose non seule- ment pour la Normandie, mais aussi pour toutes le~ regions o6 l'anthroponymie sert de point d'appui ~t l'investigation de la realite sociale. D'aprts Dauzat (1945:30ss.), la plus grande pattie des anciens noms de famille se sont form& ~t peu prts vers le XVe sitcle. D'abord seul utilise, le nora de bapteme (ou prenom) fur trts vite accompagne d'un surnom qui devint hereditaire peu ~t peu entre le XIe et le XVe si~cle, suivant une pro- gression geographique qui, en gros, va du sud vers le nord. Ce n'est qu'au XVIe si~cle, avec l'ordon~tance de Villers-Cotterets, que les noms de famille seront definitivement fixes. Mais cette ordonnance ne faisait que con- sacrer un etat de fair acquis depuis un certain temps. D~puis quand ? La reponse varie trts certainen~ent avec les regions et aussi selon les couckles de population considerees. La ville, ici, ~l precede la campagne et les nobles, les roturiers. Sous Louis XI, les families nobles qi:i desiraient modifiec leur nom de famille devaient en demander l'autorisation au roi. La stabilisation des noms de famille devait etre chose faite au moins quelques generations avant l'ediction de cette rtgle. Dans ce processus, les grandes families ur- baines ne durent pas accuser beaucoup de retard. Le developpement des affaires, l'in- tensification des echanges et de la vie commerciale en meme temps que la simplifi- cation des techniques bancaires, l 'importance des successions, des contrats, tous ces pheno- mtnes conjugu& exigeaient une identification sSre des personnes en cause, des patronymes bien etablis, gages de securite dans les operations commerciales et contractuelles de tous ordres (Heers 1970" 219ss.). Or, c'est vers le XIVe sitcle qu'en Normandie une 6volu- tion marquee se fit sentir en ce sens (Barabe

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1863:60ss.). Qu'en fut-H en milieu rural ? En 14436, un synode avait prescrit aux cures de tenir les registres de bapteme (Dauzat 1945: 40). Bien peude documents noussont parvenus qui temoigneraient de la faveur dont a joui cette prescription pas plus que nous ne savons si les cur~s relevaient vraiment les patronymes de leurs paroissiens. Cette regle indiquait cependant, plus de cent ans avant rorganisa- tion de l'etat civil, un souci d'exactitude, meme en milieu rural, qui, en tout etat de cause, venait influencer l'evolution dans le sens d'une fixation et d'une stabilisation des patronymes. Est-il possible de preciser davan- tage? Ce serait deborder le cadre de cet article. Notons seulement qu'en certaines r~gions, b. Aries par ~xemp!e, !es patronymes etaient fixes depuis le XI I Ie si~cle (Baratier 1972:13). I1 ne nous semble done pas trop audacieux de penser qu'en Normandie, au XVe siecle, les noms de famille devaient aussi ~tre fixes de fa~on suffisante. Dans une etude statistique, la marge d'erreur causee par ~es sobriquets, des noms de metier ou de prove- nance non hereditaire est certainement minime. Les quelques exemples que nous avons rencontres qui plaideraient en sens contraire sont si rares qu'on peat les cc,n- siderer sans plus comme des temoignages attardes d'une epoque anterieure.

La seconde difficulte est de taille: elle est liee /~ l'identification des patronymes. En effet, m~me au-del~ du XVIe siecle, les patronymes furent sujets ~ des variation~ de forme dont la cause est ~ la lois d'ordre phonetique et d'ordre orthograph~que (Henry 1972:245-50). A partir de l'exemple de Rouen au XVIIe siecle, Bardet (1972:251- 6zf .) a calcu16 que les variations de nom provenant d'un changement de la lettre initiale pouvaient provoquer des erreurs de

l'ordre de 3,5%. Varient aussi considerable- ment les deux consonnes suivant la lettre initiale (11,2%), ou la voyelle suivant cette meme lettre (4,8%). Ces prob16mes, nous les avons rencontres constamment au cours du depouillement des quelque 600 r61es de monneage qui sont ~ la base de cette ~tude. Ils s'ajoutaient aux diflicult~s nees de la lecture meme des documents. Dans ces listes, sont souvent difficiles ~ distinguer: en debut de mot, le S e t le F, le B et le V, et, moins frequemment, le Bet le L, le L e t le H. Dans le corps d'un mot, il est tres souvent diflicile de lire correctement les lettres m, n, u, v, i, r, et les multiples combinaisons auxquelles elles donnent lieu. Devions-nousdes lors, considerer la plus petite variante orthographique comme l'indice d'un patronyme nouveau, ou au contraire, tenter d'assimiler le plus possible les patro~ymes semblant avoir des affmites les uns avec les autres ? Dam l'un ou l'autre cas, des erreurs etaient!,hevitables. Dans " p:emiere hypothese, le ~!3mbre de patronymes differents devenait co~!.derable et le taux de mobilite augmentait e~, consequence de fagon importante. Dans la ~!econde, la variete des noms se trouvait r e ~ ' t e au minimum de meme que la mobilite de la population. Cette seconde methode nous a paru preferable/L la premiere et nos chiffres restent done con- stamment bien inferieurs ~ ce que rut certainement la r~alite.

Derni~.re remarque enfin: le calcul de la mobilite de la population ne peut pas s'effec- tuer ~ partir des individus portes au r61e, et c'est ~ partir de groupes qu'il nous a fallu travailler. Bien que nominatives, les listes de monneage ne livrent guere de details sus- ceptibles de permettre ridcntification d'une meme personne d'un r61e ~ ~'autre. A part les causes d'exemption, aucune precision ne nous

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est donn6e de fa~2on r~guli6re. Occasionnelle- ment, pour distinguer deux homonymes, les c~Mlecteurs ont ajout6 des annotations du ~¢pe suivant" T esn6', 'le jeune', ou encore le lieu de r~sidence. Parfois aussi sont pr6cis6s certains liens familiaux. Mais ces facsons de faire sont loin d'etre systdmatiques et, par consequent, gu6re utiles. S'ensuivent donc des faiblesses de documentation qui limi- tent singuli6rement le champ d'activit6 du chercheur 5- l'aff6t de donn6es d6mogra- phiques ou familiales sftres. II ne faut pas perdre de vue que ces r61es de monn6age sont des reconnaissances de paiement. Leur but ~tait d'identifier le plus clairement possible les contribuables 5- rimp6t et non pas de recenser la population de chaque paroisse. En toute rigueur de terme, il est donc impossible d'identifier un meme individu sur deux r61es cons6cutit~. Certains d~tails, la mention d'un m6tier, ou, dans le cas des femmes, celui de l'6tat civil (la femme ou la d~guerpie de...) autorisent paffois cette identi- fication. Mais ce ne sont 15- qne des excep- tions. Pour les m~mes raisons, on ne peut pas parler de 'families' pour d6signer les personnes portant le m~me patronyme. Nous 6viterons donc ce terme pour utiliser plut6t celui de 'groupes patronymiques'. C'est de ces groupes et de leur 6volution qu'il sera question id.

L'~tude des patronymes ouvre des perspectives int6ressantes sur la mobilit6 de la population dans la vicomt6 de Bayeux. Distinguons tout de suite deux types de groupes patronymi- ques. II y a d'une part, ceux qu'on retrouve dans au moins deux r61es cons6cutifs de la m~me paroisse: ce sont les groupes que nous appellerons 'stables'. D'autTe part, il y ales autres qui, entre deux dates donn6es, dis-

paraissent corps et biens: ce sont les groupes 'mobiles'. I1 serait possible de calculer, 5- chaque p~riode, les variations du nombre de contribuables portant un des patronymes 'stables'. Th~oriquement, on pourrait ainsi cerner de plus pros le dynamisme interne des paroisses et leur plus ou moins grande apti- tude 5- se multiplier. Mais il y aurait de nombreux inconv~nients 5- proc~der ainsi. Les chiffres ainsi obtenus laissent dans l 'ombre deux facteurs: d'abord le nombre de ceux qui ont quitt~ la paroisse sans que toute leur famille ait fait de m~me, et aussi le nombre de personnes nouvelles arrivant de l'ext~rieur, porteuses d'un patronyme ddjs- existant dans la communaut~. La premiere lacune conduit 5- sors-estimer le dynamisme r~el de la paroisse ou sa mobilitY, la seconde 5- les surestimer.

L'~tude des patronymes 'mobiles' apporte plus de lumi~re. Pr~cisons tout de suite que les taux de mobilitd atteints par l'~tude de ces groupes sont, de toute fa~on, des minima. N'entrent dans nos calculs, en effet, aucun des d~placements affectant les membres des families 'stables'. Nos taux sont donc inf~rieurs 5- la r~alit6, mais il est impossible, 5- l'aide des seuls r61es de monndage de corriger cette lacune, et m~me de pouvoir appr6cier la marge d'erreur qu'elle entraine.

Dans un grand nombre de paroisses de la vicomt~ de Bayeux, tout au long du XVe si~cle, les variations brutes du nombre de contribuables au monn~age n'eurent, malgr~ la guerre, que peu d'amplitude, l?ar exemple, de 1431 5- 1461, le nombre moyea de contri- buables varia, b. la baisse, de 7,9% seulement. A partir de 1467, sur 49 paroisses pour lesquelles nous avons des renseignements, 21 manifestent encore des signes de rdgression;

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dans l'ensemble cependant, les variations sont tt la hausse de 13,5%. Ceci s'explique en particulier par le fait que la disparition de groupes entiers de contribuables rut con- stamment masquEe par l'arrivEe de nouveaux venus. ~ Quelques exer ples suffirout ~t illustrer ce phEnomtme tellement gEnEral qu'il offre presque un caract~re structurel.

Entre 1389 et 1464, le recul du nombre de contribuables fut en r,;oyenne de 23% seule- merit. Mais pendant ce temps, 58% des groupes patronymiques regroupant 54% des co~tribuables, avaient quittE leur paroisse 'd'origine'. Au terme de la pEriode, 46,9% des groupes patronymiques Etaient d'insertion rEcente, le caract~re recent de cet afflux ~tant d'ailleurs tout relatif Etant donne les Ecarts de date entre les r61es. Ces groupes nouveaux ont, en partie seulement mais de fa- ~on importante, comblE les vides qui sYtaient creusEs dans les rangs des paroissiens.

Mais il ne s'agit l~t que de rEsultats moyens. Q.uelques cas particuliers sont assez spec- taculaires. De 1389 ~t 1464, le nombre de cor~tribuables de la paroisse Saint-C1Ement- sur-le-Vey s'est contractE de 42%. Mais c'est plus des deux tiers des groupes patronymiques qui avaient en rEalitE quittCq la place. Mieux encore: pendant b. peu pros la m~me pEriode (1392-1464), le recul ~t Saint-Vigor de Bayeux ne fut que de 10,2%. En rEalitE, au moins 85,5% des individus appartenant b. 90% des groupes patronymiques d'origine avaient disparu. Les groupes patronymiques nouveaux comptaient, en 1464~ pour 87,7% du nouvel ensemble. De 1401 b. 1434, b. Ellon, le nombre de contribuables ne bougea pas. Pourtant, 36% des anciens patronymes ne sont plus recensEs en 1434. A La Vacquerie, entre 1389 et 1404, une pEriode donc tr~s br~ve, le nombre de contribuables diminua

de 1,5% pendant que 60% des groupes patronymiques disparurent. A Saint-Laurent de Thorigny, de 1392 ~. 1407, l'augmentation du nombre de contribuables fut de 139%. L'analyse des patronymes montre que la population de la paroisse fut alors presqu'en- ti~rement renouvelEe. En effet, 95% des groupes constituant la population de 1392 n'Etaient plus nommEs quinze ans plus tard.

Plus tarE, entre 1431 et 1464, les taux de mobilitE s'av~rent aussi tr~s ElevEs, si l'on tient compte de la bri~vetE des pEriodes considErEes. A l'ouest de la vicomtE, Bricque- ville et Cartigny perdirent en six ans (1446- 52), 39,3% et 30,2% de leurs groupes. Airel qui, entre 1446 et 1461, crfit de 160,5%, Etait, en 1461, composEe b. 58,6% de groupes nouveaux. Ces patronymes nouveaux re- prEsentaient 5. Hottot-les-Bagues, 45% de l'ensemble des patronymes et 42% 5. Saint- Martin-des-Besaces, deux paroisses qui, pen- dant cette pEriode, se sont aussi accrues de fat;on importante.

La mobilitE resta grande jusqu'b, la fin du si6cle. De 1431 5. 1500, le nombre de contribu- ables n'augmenta dans l'ensemble que de 6,7%. Cette progression Etait due en bonne partie aux groupes patronymiques nouveaux qui vinrent s'installer dans les paroisses: les groupes disparus, qui reprEsentaient 47% de l'ensemble, furent remplacEs par des arri- vants qui compt~rent pour 51,6% dans les nouveaux Equilibres paroissiaux. Le mouve- ment fut gEnEral, se manifesta tant dans le Bessin que dans le Bocage, et affecta les petites paroisses cemme les grandes. De 1434 5. 1500, le taux de groupes nouveaux dans les agglomerations que nous avons pu dtudier, ne fut jamais infEri~:ur 5. 30%. Nous devons cependant porter une attention plus parti- culi~re ~. un certain nombre de paroisses.

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Bayeux, entre autres, b. quelque p6rk, de qu 'on l'analyse, accuse des taux vraiment extra- ordinaires. [1 en est de m~me des paroisses de la ville de Caen avec laquelle nous avons pu fake des pacall~les bien qu'elle soit en dehors des limites de la vicomt& Les tableaux 1 et 2 r ~ u m e n t les r~sultats concernant ces deux villes.

Tableau 1. Paroisses de la ville de Bayeux.

Nora de la Dates paroisse

~o groupes ~o groupes patron, patron partis nouv.

1389-1461 Saint-Georges 83,3 1392-1461 3Mnt-Vigor 90 1392-1497 Saint-Martin-

de-la-Porte 93,5 1497--61 La Poterie 92,8 1407-61 Notre-Dame-

des-Fos~ 92,3 1446-97 La Madeleine 77,4

87,5 87,7

88,7 89,6

92 74,6

Tableau 2. Paroisses de la ville de Caen.

Nom de la Dates paroisse

Yo groupes Yo groupes patron, patron. partis nouv.

1434-55 Saint-Ouen 78,8 1434-55 Notre-Dame-de

Froiderue 66,4 1434-70 Saint-Etienne 74,8 1434-76 Saint-Ouen 86,4 1434-91 Saint-Etienne 79,2 1434-94 Saint-Sauveur 92,6 1434-97 Notre-Dame-de

Froiderue 88,8 1455-61 Sak~t-Ouen 28,6 1455-97 Notre-Dame-de

Froiderue 78,1 1461-76 Saint-Ouen 58,8 1470-91 Saint-Etienne 61,5

6o

72,2 70,9 73~5 73,1 07~,5

8t:;,9 3~,9

71,7 44,1 56,7

D'autres paroisses atteignaient des taux identiques. Elles sont situ6~s Frincipalement sur le littoral (Saint-Ci,~ment-sur-le-Vey, Marigny, Saint-Lament-sur- la-mer, Neu- ville-sur-Port, Formigny), mais aussi ~ l ' in- t~rieur (Mestry, Magny, Vienne-en-Bessin). C'est aussi d a m ces r~gions que la timide reprise des ann~es 1470 a eu le plus de difiicult¢[ ~ prendre forme, du moins si l 'on en juge par la longue stagnation qui carac- t~risa l'~volution du nombre de contri- buables de ces paroisses. II n'est pas sans inter& de remarquer que Bayeux et Caen sont aussi, parmi les villes de cette r~gion, celles qui ~ la fin du si~cle semblent manifester une tendance chronique ~ la baisse. En ne prenant que ces deux derni6res agglom& rations comme base de calcul, il appert que 51,5 % des patronymes disparaissaient chaque 25 ans. La paroisse Saint-Ouen de Caen accuse m~me une h~morragie beaucoup plus forte puisque en six ans, de 1455 ~ 1461, elle perdit plus du quar t de ses contribuables. £es taux sont tr~s ~lev~s. A P~rigueux par exemple oh la mobilit~ ~tait grande, la population de la ville s'&ait renouvel~e de 80% en deux si~cles, ce qui constitue un taux de mobilit~ inf&ieur ~ celui que nous croyons d~celer ~ Caen (Higounet-Nadal 1970: 2-6).

Les raisons d 'une telle instabilit~ ne sont gu~re faciles ~ discerner, la guerre ne sem- blant pas seule en cause. D'autre part , mis part les pauvres dont nous aurons l 'occasion de reparler, il n'est pas facile non plus de savoir quels groupes sociaux sont surtout touches par ces perp&uels changements. Les r61es de monn~age ne nous sont l~-dessus d 'aucune aide car nous ignorons tout ~ fait d a m quel ordre les personnes &aient nomm&s sur les listes. G. Bois a sugg~r~ une ordre d ' impor- tance sociale, les notables &ant nomm~s

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d'abord, puis les autres par ordre dEcroissant de notoriEtE (Bois 1976:167 n.29, 169). Si cela Etait, il faudrait conclure que la classe aisEe rut autant touchEe que les autres par ce mouvement d'instabilitE. Mais ~ vrai dire le procEdE, tout sEduisant qu'il soit, semble in- certain; d 'un r61e ~ l'autre, ce ne sont pas les m~mes patronymes qui apparaissent en premier et si parfois, on peut avoir l 'im- pression que le tabellion a suivi une liste prE-Etablie, il n'en va pas de m~me dans la grande majoritE des cas.

Cependant, si nous ne pouvons pas apprE- hender la mobilitE des couches moyennes et supErieures de la population, il en va autre- ment des pauvres, puisqu'ils sont toujours nommEs et groupEs dans une catEgorie ~ part. Toutefois, nous ne visons ici que ces pat~vres dont les patronymes ne sont portEs par aucun des contribuables au monnEage. Le cas est heureusement tr~s frequent, et constitue peut- ~tre un indice de la mauvaise integration des pauvres en milieu paroissial. En effet, une des caractEristiques des r61es de monnEage est la multi~licitE des noms de bapt~me sous un m~rne patronyme. Vers la fin du XVe si~cle, cette multiplicitE s'affirme encore davantage. Ceci toutefois ne vaut pas pour les~ familles pauvres. Dans 61% des cas, les patronymes portEs par les pauvres ne sont partagEs par aucune autre personne nominee sur le r61e. Le nombre moyen d'individus pauvres por- tant le m~me 'surnom' est presque toujours tr~s proche ou Egal ~ 1.

II appert de plus que les patronymes pauvres ont un taux de mobilitE beaucoup plus ElevE que celui des autres groupes de la paroisse. Ainsi, dans l'ensemble de la vicomtE, le taux moyen de mobilitE de tous les groupes patronymiques rut de 31%, taux qui ne tient

compte que des patronymes qui disparaissent et non des nouveaux patronymes. En ne prenant en consideration que les pauvres, ce taux grimpe ~ 64,7%. A Rouxeville, par exemple, entre 1434 et 1446, 75% des patronymes pauvres disparurent; cependant, la moyenne de mobilitE de l'ensemble de la paroisse n',~tait que de 20%. L'Ecart est le m~me ~ Dampierre o6 80% des famines pauvres quitt~rent les lieux contre seulemcnt 34% dans rensemble. Dans les m~mes temps,

Saint-Evremond-de-SEmilly et ~ Vidouville, c'est la totalitE des pauvres qui chang~rent de lieu de residence.

Si l 'on consid~re maintenant non pas les pauvres qui quittent une paroisse mais ceux qui viennent s'y installer, les taux sont tout aussi importants. A Saint-Laurent de Tho- rigny, en 1434, 93% des patronymes pauvres sont nouveaux; ce taux est de 87% ~ La Ferri~re-Hareng. A Saint-Martin-des-Besaces oh l'on peut suivre la situation en 1446, 1452 et 1467, on voit qu'en 1452, 67% des pauvres mentionnEs sont nouveaux dans la paroisse. Quinze ans plus tard, les deux tiers de ces nouveaux venus avaient ~ nouveau quittE pour d'autres cieux. Malheureusement l'Ecart entre chacun des documents que nous possEdons concernant la m~me paroisse est en gEnEral trop long pour que nous puissions savoir combien de temps en moyenne ces gens demeuraient dans la m~me paroisse. Cepen- dant, la difference est tr~s nette entre le com- portement des pauvres et ce!ui de la population en gEnEr~l, et, qui plus est, cette difference est constante A travers tout le XVe si~cle.

L'effet de cette haute mobilitE de la populatior~ apparatt diff~remment selon qu'on se place du point de vue du seul nombre des contribuables ~ l'imp6t, ou de celui de la vie Economique en gEnEral.

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Dam le premier cas, sans nul doute pour la plupart des paroisses, cette mobilit6 fut b6n6fique. Grace ~ die furent colmat6es en partieles br6ches ouvertes par les assauts des guerres, des intemp6ries, des disettes dont l'histoire du XVe si6cle est pleine. Les apports constants de l'ext~rieur permirent ~ un grand nombre de paroisses de se maintenir. Lorsque cessait cet afflux, tout de suite, le nombre des contribuables s'affaissait. C'est peut-6tre /~ cette mobilit6 constante que la vicomt6 de Bayeux doit de n'avoir point connu le pMnom/~ne des abandons temporaires ou d~finitifs de villages si sensible dans d'autres re~giom. Les nouveaux venus d~passaient meme parfois en nombre ceux qui ~taient partis et les paroisses voyaient alcrs croitre le nombre des contribuables. Ainsi, ~t Saint- Pierre-du-Fresne, le tiers des groupes patrony- miques disparut entre 1434 et 1497, mais, grace aux tr6s nombreuses families venues de l'ext6rieur, le taux de progression y fut quand meme de 178,6%. Le m~me pMnom6ne se remarque ~ Montaigu qui, de 1407/t 1434, cr~t de 171,4% malgr6 la perte entre temps de 71% des contribuables.

Mzlgr6 tout, il arrivait aussi que les nouveaux arrivants ne fussent pas en assez grana nombre pour relancer, ou simplement continuer l'activit6 de la paroisse: c'6tait alors le d~!in. Ceci se produisit souvent, particuli6rement entre 1450 et 1500. La pro- gression d6mographique d'une paroisse ne semble pas avoir pu se faire ~ partir des seules souch~ locales. Dans les dix derni6res ann6es du XVe si6cle, ce mouvement sembla s'apaiser. Mais des sursauts importants se produisirent encore, comme ~ Vidouville d'of~ s'exil6rent en tro';s ans, de 1497 h 1500, 45% des groupes patronymiques qui y vivaient.

B6n6fique pour les paroisses au plan de la

continuit6 de leur existence, la mobilit6 de la population ne pouvait ~tre que n6faste pour le d6veloppement 6conomique en g6n~ral. Elle a dfi constituer un frein constant, 6rant donn6s les changements ti'6quents dans la propri~t6 du sol qu'elle a provoqu6s avec tout ce que cela pouvait entrainer d'irr6gularit6 dans l'exploitation et les rendements. Dam les villes, l'instabilit6 du monde des mar- chands et des artisans ne pouvait gu6re favoriser le commerce ni la production et plongeait certainement le monde des affaires dans le marasme.

A quoi faut-il l 'attribuer ? La guerre, nous l'avons soulign~ n'est pas seule en cause mais ies 61~ments complets d'interpr6tation nous font d6faut. La lourdeur des imp6ts a probablement aussi jou6 un r61e. Les bail- liages de Caen et du Cotentin auraient 6t6 victimes d'une surimposition, d'un surcroit de taxes, clui faisait fuir leurs habitant~ vers les r6gions de la Seine et de la Loire. Aux Etats G~n~raux de 1484, le d~l~gu~ de Rouen et l'6v~que de Coutances se prirent violemment /t partie ~ ce sujet. Ce dernier pr6tendait que les deux bailliages payaient injustement la moiti~ des imp6ts de toute la Normandie. Le repr6sentant de Rouen, tout en d6fendant chaudement sa position, semblait bien ad- mettre que lasituationg~n~rale de son bailliage Etait meilleure que celle de la basse Nor- mandie. Quoi qu'il en soit, dans l'attente de donn~es plus pr~cises que nous esp~rons exploiter, il nous semble assur~ que la mobilit6 excessive des viUes et celle tr6s 61ev6e de la population rurale 6tait le signe d 'un profond malaise. La situation m6diocre de l'~conomie de la vicomt6 de Bayeux devait 8tre ressentie aussi ~t l'ext6rieur des limites de la vicomt6 puisque, m~me apr6s 1470, la rdgion semble n'avoir attir6 que tr6s peu les 6trangers, ~t en

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juger par le faible taux de patronymes vrai- ment nouveaux qui fort leur apparition sur les r61es de monndage.

Ce malaise, nous 1,: voyons se confirmer l'analyse de la population pauvre recens~e dam les r61es de monn~age. Dam la vicomt~ de Bayeux, le nombre et le nom des pauvres exempt~s de l'imp6t nous sont syst~matique- ment donn~s. Mais la notion de pauvret~ pose par ailleurs des probl~mes de m~thode que l 'on ne peut dluder. Q.u'est-ce qu'un pauvre et qui fitait pauvre au regard du paiement du monn~age ?

La notion m~me de pauvret~ n'est pas claire. Elle implique toujours une idle de faiblesse, d'insuffisance. Mais les lacunes ainsi ddnon- c~es peuvent ~tre d'ordres fort divers. Leur seule commune mesure est d'affecter d'un signe nfigatif de 'difference' celui ~ qui elles s'appliquent (Graus 1961"1053ss.; Mollat 1966:6-25; Duby 1966:25-32). L'id~e de pauvret6 est done polyvalente et peut servir ~t d~signer des situations juridiques, ~conomi- ques, physiques autant que sociales. Cette notion est aussi fort relative. L'fivaleation de la gravitfi de la privation subie est fonction du temps, du lieu et aussi, ~ partir surtout du moment off se diversifi~rent les activitfis ~conomiques de la soci~t~ occidentale, d'une foule de facteurs qui rendent l'apprficiation encore plus d~licate: prix des denr~es, niveau des salaires, valeur de la monnaie, etc ....

Cette extrfime h~t~rog~n~it~ de la notion de pauvretfi, et par voie de consequence, des personnes ~ qui elle s'applique, en a rendu l'analyse malais~e (Graus 1961 : 1058). Sources importantes de renseignements, les documents fiscaux ne laissent pas de poser des F:obl~mes d'interprfitation. Car le pauvre fi:~cal n'est pas toujours un indigent. Le seuil

d'imposition peut varier d'une annie l'autre et est parfois placfi assez haut. En deqa de la limite qu'il dfifinit, beaucoup de pseudo-pauvres peuvent se glisser (MoUat 1974:22-3). D'un type de documents ~t un autre, les differences peuvent ~tre saisissantes. Ainsi, ~t Jonqui~res, le cadastre de 1418 montre l'importance des biens meubles chez ceux dont on dit par ailleurs qu'ils ne poss~- dent 'rien'. En l'occurrence, ce rien ~tait constitu~ de biens dont la valeur oscillait entre 10 et 15 florim. 3

Enfin, l'~tude des variations du nombre de pauvres doit tenir compte d'un facteur psychologique important: l'attitude de la socidt~ ~ leur dgard et la plus ou moins grande pr~occupation dont firent preuve les pouvoirs publics ~t leur endroit. Ainsi l'augmentation du nombre d'organisations charitables reli- gieuses, puis laiques, ~ la fin du Moyen-Age n'est pas un signe absolu de l'augmentation de la pauvretd. Jordan (1959:57) a montrd qu'en Angleterre, ~t partir de 1480, la prise de conscience de la pauvret~ comme pro- blame social s'est singuliSrement accrue, alors que, contrairement ~t ce qu'on a pu croire, la r~alit~ ra~me de la mis~re ~tait en lente r~- gression. D'o~ le danger d'une erreur de perspective. I1 est probable qu'en France, le mouvernent de prise de conscience fut le m~me.

Pour la fin du XIVe si~cle fran~ais, les enqu~tes faites par le C~ntre de Recherche d'Histoire du Moyen Age de l'universitd de Paris-Sorbonne, sous la direction de M. Michel Mollat (1974:22-3), ont permis d'avancer quelques taux. En 1364, il y aurait eu 33% de feux exempts en raison de leur pauvret~ ~t Puget-Th~niers, de 45% ~ 50% ~t Villelongue. En 1371, lors de la perception de l'albergue dam la baillie de Sisteron, 28% des

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feux fluent exempt~s. A la fin du XIVe si6cle toujours, le taux des pauvres semble avoir ete de 205/o ~ 30% en Hainaut et de 4 0 o en Provence. Enfin, en temps normal, 20% de la population lyonnaise aurait vecu ~ la limite de l'extreme pauvret~ (MoUat 1966:15). On admet g~nCralement que le XVe si~cle ~ t s'aggraver cette situation. Aux guerres et aux 6pid~mies, s'ajouta le poids de la fiscaiite royale qui s'alourdit alors considerablement. D'autre part, l'effondrement bien connu de la rente seigneuriale, signe de la pauvrete pay- sanne, favorisa aussi le renouvellement de certaines fortunes. S'il y eut aggravation, il y eut aussi, peut-etre surtout, un clivage, une "diversification remarquable des fortunes", les pauvres reels s'acheminant de plus en plus vers la mis~e (Duby 1962:605; Heers 1970: 151).

Qui 6taient les pauvres du monneage et combien 6taient-ils ? Sans donner de defini- tion formelle de la pauvret6, la Summa de legibus gofmanniae, au chapitre quatorzi6me consacr6 au monn~age, pr6cise que doivent payer le monn~age tons ceux dont les biens meubles valent au moins 20 s.t. - s/xx solidorum kabeant valorem de mobili. Etaient exclus du calcul de la valeur des biens meubles, les vetements personnels, la literie, les ustensiles de la maison au sens large y compris lees outils. 4 Le concept de pauvret6 est donc id tr6s clair. 11 s'agit d 'ane indigence ~conomique et les collecteurs du monneage semblent bien s'etre co aform~s /t cette definition. Nulle trace par ail!eurs d ~ vagabonds 'passant pays', men- tionn~s dans d'autres regions de la Norman- die, mais dont l'existence et le nombre nous ~chappent compl6tement dam la vicomt6 de Bayeux. Pas de nobles pauvres, pas de men- diaats 'querans leur pain', saul b. la route fin du XVe sib:le. Les pauvres 'denomm& dam

nos documents semblent plut6t des gens installes dans une paroisse, souvent pour tr6s peu de temps- nous avons vu leur extreme rnobilite - et y exerqant une activite quelcon- que.

Etaient-ils nombreux ? Theoriquement, on s'attendrait d 'autant moins "~ les trouver en grand nombre sur les r61es que la limite de 20 sous en-deq~ de laquelle on etait exempte, ~tait tr6s faible et representait fort peu de choses, "pas meme le prix d'un cochon maigre au XVe si6cle" (Bois 1976:34). Jugee en fonction du salaire annuel d'un ma~on en haute Normandie, travaillan~ en milieu rural, non nourri (45 lb.t.), la somme de 20 sous ne representait mr:me pas 1% du salaire perqu pendant trois ans (Bois 1976:99 n. 20). Meme si les salaires en basse Normandie etaient en general inferieurs de 15% h 20% (Bois 1976: 93), le taux du prel6vement demeurait tout de meme minime, du moins pour ceux qdi touchaient un s~laire. Pour les plm riches la somme devint derisoire au fil des devalua- tions de la monnaie de compte et de la multiplication des esp6ces. Pour les plus pauvres, il n'est pas certain que la somme infime de 12 d. n'ait pas ete difficile a payer. Pour ceux dont les biens meubles atteignaient tout juste ou depassaient ~ peme la valeur de 20 sous, la proportion n'avait pas chang6 et le monneage repr~sentait toujours le 1/20e d'un avoir dont la valeur en terme de pouvoir d'achat, ne cessait de fondre. L'imp6t pouvait donc constituer une charge r~elle. La r~.gle inchangee de la Coutume etait particuli~re- ment sev6re. Par comparaison, rappelons qu'h Jonqui6res on pouvait detenir des biens meu- bles d'une valeur de 10 florins (7½ lb.t.) et ~tre toujours tenu pour pauvre. En Normandie, sit6t qu'on avait d6passe 1 lb.t., on cessa~t d'etre un indigent. Cette difference de

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traitement pouvait tenir ~t plusieurs facteurs. En premier lieu, au caract~re infime de la taxe elle-mC~me. Par sa modicit~, le monn~age ap- portait peu au tr~sor royal, en proportion des autres recettes. Compte-tenu des besoins grandissants de la fiscalit~ royale, les officiers de finance ne tenaient pas ~ en r~duire encore les revenus en autorisant un hombre trop im- portant d'exemptions. De plus, il ne faut pas perdre de vue que les objets de premiere n~- cessit~, probablement eux-m~mes de valeur modeste, ~taient exclus de la valeur des biens meubles, s Et rien n'interdit de penser que ces pauvres aient pu poss~der une masure et un lo- pin de terre, ou un courfii qu'ils exploitaient eux-m~mes bien qu avec de faibles moyens puisque la possessicn d 'une charrue ou la jouissance d 'une seuh b~te de trait les auraient ranges automatiquement au aombre des con- tribuables. Mame fears r~serves alimentaires devaient ~tre bien cb~tives. En 1498, le bois- seau de froment, mesure de Bayeux, valait 3 sous, le boisseau d'orge 1½ s. et celui d'avoine 1 s. Une g~line fitait estim~c ~ 10 deniers; un cent d'oeufs ~tait comptfi pour 2 sous et une livre de cire pour 6 s. 6 Pour peu que quelqu'un ajoutait ~ des biens de ce genre un maigre salaire, il avait rite fait de franchh la barre fatidique des 20 sous. I1 fallait donc, pour ne pas payer le monn~age, ne gagner qu 'un salaire d~risoire, comme cette fille d'Ecarden- ville-sur-Eure qui d~clare ne toucher que 10 sous (pa:r an ?), ou, si l 'on ne touchait pas de salaire, vivre chichement des produits de son jardin.

Ce qui est ~tonnant dam ces conditions, c'est le hombre de pauvres recens~s tout de m~me r~guliSrement dam les r61es de mon- nC~age. De 1434 ~ la fin du si~cle, ils sont, il est vrai, beaucoup moins nombreux dam la vicomt~ de Bayeux que dam d'autres r~gions

de France. La moyenne g6n~rale pour toutes les ann6es consid6r6es est de 14,8%. Elle se r6partit ainsi:

1434-61:15,9% 1434: 16,5% 1446: 18,7% 1452: 16,2% 1455: 18,1% 1461 : 10,4%

1464-78:15,4% 1464-7:15,3% 1470: 20,2% 1473-6:10,6%

1480-1500:13,3 % 1485-8:21,6% 1491:10,8% 1494: 9,2% 1497:11,7% 1500:13,3%

On aura remarqu6 que les taux les plus bas se situent en 1461, 1473 et dans les dix der- ni6res ann6es du si6cle. Cela coincide ~ chaque fois avec une p6riodc d'accalmie au milieu des sursauts dus aux guerres successives. Si ces taux paraissent faibles, rappelons-nous qu'ils ne tiennent compte que de ceux qui vivent dans une indigence totale. Les taux r6els de pauvret~, au sens large, dtaient certainement plus 61ev6s que ceux dont nous faisons 6tat ici. En effet, certains contribuables poss~dant toutjuste les 20 sous requis ou ~ peine davan- tage, ne devaient pas connaltre l'aisance, d 'autant plus qu'avec la dC~valuation cons- tante de la monnaie de compte, 20 sous devinrent, au cours du XVe si6cle, une somme de plus en plus minime. En effet, bien que moins nombreuses et moire spectaculaires qu'au XIVe si6cle, les mutations n'en ponc- tu6rent pas moins la vie mon6taire du XVe si~cle. R6elles ou nominales, leur r~sultat fut

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d'entraiaer un irr6versible affaiblissement de la monnaie. D6j/t de 1385 /t 1413, le sou toumo',m-a~'gent avait subi, en teneur de fin, un all6gement progressif de 17,2% (Fournial 1970:1~5) L'invasion de la Normandie par les arm6es anglaises et la reprise des hostilitEs ouvrirent une pEriode d'anarchie monEtaire qui dura cinq ans, de 1417 /L 1422. Les monnaies d'argent pass6rent successivement du pied 40e en 1417 au pied 60e (1419), puis, en 1420, au pied 96e et 160e pour revenir enfin au pied 30e en 1421. Le sou tournois-argent avait gliss6 en teneur de fin, de 1,172 gr. / t 0,293 gr. II se r6tablit/t 1,533 gr. en mai 1421. A partir de ce moment, la monnaie d'argent 6raise par Henri V se maintint au pied 30e de fac~n stable jusqu'/t la fin de l'occupation anglaise (Fournial 1970:126-7). 7 Seuls les deniers tournois furent abaiss6s au pied 36e. Aussi n'est-ce pas/t cette pEfiode qu'il faut le plus tenir compte de cette variable fort im- portante dans l'analyse de l'Evolu~ion du hombre d ~ pauvres.

Plus instable, la monnaie de Charles VII se redressa pourtant/t partir du trait6 d'Arras en 1435. Lorsque la Normandie redevint fianCaise, ce rut sans/t-coup monEtaire grave malgr6 le d~r i des monnaies anglaises. En 1450, la monnaie royale 6tait au pied 32e.

J asqu'/t la fin du XVe si6cle, la teneur de fin da sous tournois-argent passa lentement de 1,302 gr. en 1461 h 1,021 gr. en 1498 (Four- nial 1970:136). La monnaie avait donc perdu progressivement 30% de sa valeur.

C,e ~ul glissement a pu avoir pour effet d'abaisser le hombre des pau~Tes du monnEage en augmentant la valeur des biens meubles dont disposaient les gens, sans que leur niveau de vie se soit am61iorE pour autant. Ceci vaut surtout pour ~ous ceux qui possEdaient des biens dont la valeur n'6tait pas trop 61oignEe

de la limite de 20 sous fixEe par la Coutume. Eux aussi Etaient des p~uvres. Mais il nous est impossible de connaitre leur nombre. De plus, nous n'avons pas la moindre idEe de l'im- portance du nombre de vagabonds et de mendiants.

Nos chiffres prennent alors une autre dimension. Q.ue, selon les pEriodes, malgrE le caract~re fixe de l'imposition, malgrE sa modicit6, malgr~ les devaluations de la monnaie qui la rendaient encore plus infime, 10/t 20% des personnes recensEes aient 6t~ pauvres, nous semble un indice supph~- mentaire de marasme Economique. D'autant plus que les moyennes avancEes plus hau~ masquent des cas graves.

De 1434/t 1464, le nombre de paroisses of 1 le taux d'indigents est supErieur /t 20% du total des recensEs est assez Elev6. Ainsi, 1 personne sur 4 se dEclarait pauvre/~ Nonant, Loges, La Ferri6re-Hareng; 1 sur 3 Saint-Amand de Thorigny, Vaubadon, Hot- tot-les-Bagues; 2 sur 5 /t Sermentot et /t Feuquerolles-s~tr-Seulles; 1 sur 2/t Montaigu et /t Bures. Dans ces paroisses, situEes en majoritE/t l'est de la vicomtE, le nombre de pauvres s'est accru en m~me temps et parfois plus rapidement que le nombre global de personnes recensEes. Ainsi entre 1446 et 1452, le nombre de contribuables Hottot-les-Bagues a double pendant que le nombre des pauvres triplait. En 1452, au moins 38% des p~uvres nommds sont des nouveaux venus. La paroisse de Montaigu doit son extraordinaire expansion (171% entre 1407 et 1434) /t l'arrivde massive de pauvres en nombre supdrieur aux contribu- ables.

Ce r appo r t - augmentation de la popula- tion/augmentation du nombre de pauvres -

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est le plus frequent mais le rapport inverse est aussi possible. A Vaubadon, de 1434 ~t 1452, le nombre de pauvres est tombE de 40% ~t 0. l~a plupart des noms de ceux qui Etaient i,auvres en 1434 se trouvent en 1452 parmi les contribuables. Un est devenu prEv6t, un autre archer. De 16 qu'ils Etaient, un seul semble avoir quittE la paroisse. Ainsi, cer- t fines regions de la vicomte semblent avoir ~tE EpargnEes. Au nord-est, dans la rE- gion de Graye, les taux de pauvretE sont, ea gEnEral, toujours beaucoup plus bas qu'ailleurs.

Dam les villes, par contre, les taux de oauvretE sont tr~s au-dessus de la moyenne, rarement infErieurs ~ 25%. En 1434, on en comptait 22% b "~ormo!ain; 27% ~ Castillon en 1446, 32% ~ Saint.,Amand de Thorigny, 425/0 ~ Sept-Vents. Saint-Martin-des-Besaces, qui, en 1446, comptait 25% de pauvres, en avait 39% en 1452. Enfin, ~ Couvains en 1455, pas moins de 49,7% des personnes recensEes se dEclaraient pauvres et refusaient de payer le sou du monnEage. AprEs 1467, ce phEnomEne est encore reel, le nombre des mis~reux Etant encore supErieur ~t 33% dans des paroisses qui sembleraient, par ailleurs, en pleine croissance: La Bazoque, Lison, Castilly, Cahagnes, Saint- Martin-des-Besaces. De toutes petites localitEs comme Saint- Laurent-du-Rieu et La Lande-sur-Drome accusaient 40% de pauvr.es.

Dam les dix derni~res annEes du XVe si~cle, le taux de pauw'etE est ~ peu pros partout en regression. II n'est pas sfr toute- fois, que ce recul soit un reflet exact de la rEalitE. La chute de va'~eur de la monnaie tournois le fait probablement paraitre plus accentuE qu'il ne fut en fait. De m~me cette chute nous laisse-t-elle deviner que les pauvres qui demeurent Etaient dam un ~tat d'indi-

gence encore plus profond que ceux des dEcennies prEcEden~:es. Ce qui ne laisse pas d'etre inquiEtant quand on pense qu'a Hottot en 1491, il y avait 29 contribuables et 28 pauvres et qu'en 1497, les collecteurs ont trouvE dam la paroisse 24 contribuables et 46 pauvres. C'est Evidemment un cas extreme. Comment cependant ne pas y voir un indite supplEmentaire de la stagnation de cette partie de la Normandie alors que nombre d'autres paroisses ont aussi des taux importants de pauvres ~ d~clarer ?

Pouvons-nous nous tier ~ ces taux? Tou- jours nomm~s sur les rbles de monnEage, les pauvres des paroisses furent-ils vraiment les seuls ~ etre places dans cette catEgorie? Et furent-ils toujours tous nommEs ? N'y aurait-il- pas eu de fraude fiscale dam un sens ou dam l'autre et comment la mesurer ?

L'hypoth~se d'une sous-estimation de la pauvretE peut etre Ecartde assez facilement. Cette operation aurait jouE en faveur du TrEsor royal puisqu'elle aurait inclus des pauvres parmi les contr~buables. OpEration possible peut-~tre si des officiers royaux avaient EtE responsables de la levee du monnEage: leur z~le pour les intEr~ts de la royautE est bien connu. Mais ce n'Etait pas le cas. Les rapporteurs Etaient choisis, Elm, par les habitants de la paroisse et ils allaient eux- m~mes, "~ leurs perilz", porter ~e produit du monnEage au si~ge de la vicomtE. Ces rap- porteurs changeaient ~t chaque levee et n'Etaient rEmunEr~s que d'un sou. Ils a.vaient donc peu d'intEret personnel ~t chicaner sur quelques cas de pauvretE.

L'hypoth~se inverse est plus vraisemblable. Des manoeuvres pour inscrire parmi les pauvres des personnes qui ne l'Etaient pas pouvaient etre tolErEes d'autant plus facile- ment par la communautE paroissiale que, le

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monn~ge n'dtant pas levd "le fort portant le faible", le retrait de quelques personnes n'avait ~ucun effet sur la somme que les autres devaient ddbourser. De ![hit, les r61es ne portent que rarement des treLces de doute sur la pauvret~ rdelle de tel ou tel contribuable. Gela se produisait plus frdquemment pour les nobles. Des manoeuvres de ce genre sont cependant fort probables. Deux raisons nous emp6chent de croire qu'elles aient pu avoir une ampleur telle que les r6sultats statistiques en seraient irrdmddiablement fauss~s.

Tout d'abord, le caract6re vraiment minime de ce pr61hrement joint au seuil tr6s bas, en- deqh duquel une personne dtait considdrde comme pauvre. Ceci nous incline /L penser d'une part, qu'il ne devait pas y avoir de protestations violentes cc, ntre cet imp6t qui ~tait sans commune mesure avec les aides de routes sortes rddamdes aux populations de Normandie pendant la guerre de Cent Ans et sous le r6gne de Louis XI ; d'autre part, qu'il devait ~tre tr~s diflicile de faire croire ~. une fausse pauvret~, invent6e pour la circon- stance. A ce niveau, la pauvretd dtait de notoridtd publique ou n'dtait pas.

De plus, l'arri6re-fouage constituait un excellent moyen de vdrifier l'authenticitd des renseignements fournis sur les r61es et un frein aux tentatives de fraude. En effet, la levde du monn~age dtait assortie d 'un procddd de v6rificat/on. Entre deux levdes, les listes du monn6age devaient ~:tre 'jur6es' une seconde lois par des tdmoins diffdrents des collecteurs qui avaient dtd responsables de la levde elle- meme. Cette vdrification dtait attestde soit snr une pi6ce s6parde soit a l'endos m¢me du r61e en question. Tout contribuable qui s'~tait exemptd sans raison, dtait frappd d'une amende de 13 sous, c'est-~.-dire, 13 lois le montant de la taxe elle-meme. G'dtait doric

une amende extremement dlevde dont la perspective devait dissuader beaucoup de contribuables. D'ailleurs, dans la vicomtd de Bayeux, l'arri~re-fouage donna rarement lieu au paiement de l 'amende.

Nous avons vu que, parmi ces pauvres, certains manifestent une mobilitd extreme- ment grande, supdrieure g celle de l'ensemble de la paroisse, mobilitd lide peut-etre ~ leur isolement, ~ leur diflicultd/~ s'insdrer dans les comn::unautds prd-existantes. Ils reprdsentent 61% de l'ensemble des pauvres. Les 39% restant semblent moins isolds. Du moins ne sont-ils pas seuls ~ porter leur patronyme et l 'on peut supposer que dans certains cas dont le nornbre est toute~is invdrifiable, d'autres membres de la farnille, des contribuables meme, habitent la meme paroisse qu'eux. Trouverons-nous parmi eux ce pauvre "md- prisd, mais familier, connu et assistd des siens" auquel les si6cles antdrieurs du Moyen-Age nous avaient habituds ? (Mollat 1966:13).

Nous sommes dvidemment dans l'incapa- citd de vdrifier l'identitd, au sein d 'un groupe patronymique, d 'un individu nommd dans deux r61es consdcutifs. Cependant, dans les paroisses pour lesquelles nous possddions des r61es tr6s rapprochds, de trois ans en trois ans, nous nous sommes permis un sondage. Cela nous dtait possible entre les anndes 1464- 7, 1467-70, 1491-4, 1494-7, 1497-1500. Nous avons relevd le nom des pauvres qui, d'apr6s leur patronyme, ne semblaient pas etre des nouveaux venus dans la paroisse. Nous avons ensuite cherchd/t les retracer dans le r6!e prdcddent soit parmi les pauvres soit parmi les contribuables. Saufdans trois cas ot~ la continuit~ est dvidente, les rdsultats d~no- tent, h l'intdrieur meme de la paroisse, une mobilitd dans l'dcheUe dconomique que la

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seule mention des nombres ne faisait pas apparaitre. A Bures, par exemple, trois personnes portant le m~me patronyme,

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toutes trois contribuables en 1467, sont toutes trois mentionnEes parr~ai les pauvres en 1470. A Isigny, vingt et un eontribuables au monnEage de 1467 se dEelarErent pauvres trois ans plus tard sans qu'il y ait eu aucune eontestation ~ !eur sujet. Dam plusieurs paroisses, d'anciens prEv6ts ou d'anciens meuniers, une lois leurs fonctions termindes, se rangent au nombre des pauvres. Dam la majoritE des cas, eette mobilitE dam l'Echelle Economique est une mobilitE vers le bas. Dam un seul eas,/~ Cartigny, des pauvres se sort hisses au rang des contribuables, tEmoignant ainsi d 'une amelioration de leur condition. Le groupe des pauvres n'est donc ni mono- lithique ni immuable. II faut toutefois prendre garde que le seui[ de pauvretE est place bien bas et que, parmi les eontribuables, se trou- vaient des gens qui, suivant d'autres critEres, seraient eonsidErEs comme pauvres. C'est peut-Stre surtout parmi eux qae se pro- duisaient ees glissements que nous constatons.

Pour avoir une idEe d'ensemble du phEnom~ne de la pauvretE dans la vicomte de Bayeux entre 1434 et 1500, il faut done tenir compte de plusieurs variables. Des pauvres, il y e n avait partout, ~t la ville comme ~ la campagne, et ~ toutes les Epoques. IsolEs, mal insErEs dans la communautE paroissiale, nombre d'entre eux semblent perpdtuellement en quete d'un nouveau gite. Les r61es de monnEage ne les saisissent qu'au vol. D'autres, apparemment plus stables, connaissent cependant des revers de fortune ou voient leur situation se degrader lentement.

Jointe h la mobilitE de la population, la presence constante de ces misEreux jusqu'/~ la

fin du XVe siEcle peut servir de baromEtre pour juger de la stagnation Economique de la region. Leur mobilitE dconomique /~ l'intE- rieur de la paroisse tEmoigne aussi, discr~te- ment, de la dEtErioration d'une Economic incapable de se reprendre. En effet, le hombre des hommes n'est pas la seule richesse d'une contrEe. Encore faut-il qu'ils vaquent rEgu- liErement /~ leurs affaires, que, sous l'effet d'entrainement d'une Economie qui dEcolle, les poches de misEre se rEsorl:ent et que la region attire, par son rayc, nnement les Etrangers d 'un peu partout. Dans la vicomte de Bayeux, au XVe siEcle, ces ElEments firent dEfaut. Pendant la guerre, plus qu'une hEca- tombe des hommes, c'est leur instabilitE qui frappe. Les guerres terminEes, la situation ne changea gu~re et, n'Etait l'arrivEe constante de nouveaux 'groupes patronymiques', le bilan final de beaucoup de paroisses serait ndgatif. Tout ce tableau laisse un goOt de cendres. Peut-~tre n'est-il pas besoin d'atten- dre les siEcles ultErieurs pour parler de "l'Echec de la Normandie".

Notes 1 L' inventaire de ces listes paroissiales a 6t6 publi6 pour toute la Normandie jusqu 'en 1497. Voir Nortier 1970, 1971, 1973, 1976. 2 Ce renouvellement des patronymes est d'ail- leurs commun/~ plusieurs regions. Voir entre autres: Dubois 1972:105; Neveux 1971:285-6; Fossier 1964: 185-6. a Juglas 1958:9. Cette somme est l '~quivalent, au minimum de 7½ lb. t., le florin 6tant compt6 pour 180 d.t. 4 Tard i f 1896:14.7 . . . . proprii corporis indumenta et lecti ornamenta, et domus supellectilia non debent pro mobili numerare. 5 Les exploits de mainmorte des inventaires du duc de Bourgogne nous 6clairent sur la valeur de ce que les plus pauvres laissaient derriErc eux ~ leur mort. En 1378, Jehannote , femme de Michm~lt de Grignon laisse "3 draps povres et despeciez, 2 moitons

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Page 16: Mobilité de la population et pauvreté dans une vicomté normande de la fin du Moyen-Age

trenm, 3 chemises, I cote, I viez chiton, une viez pelle ronde, 1 soillot, 1 gardon". Le tout valait 1 franc. (Print 1902:9-12, 68.) e BN Fonds fran~ais: 26074.5401 et 26106.22. 7 Nous avom suivi ici la valeur du sou tournois d'Henri V puisque c'est cette monnaie qui avait tours en Normandie. Les fluctuations de la monnaie de Charles VI sont assez identiques.

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