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Lycée Marcel-Gambier (académie de Caen) De Solow à la croissance endogène : l'explication néoclassique de la croissance économique Robert Solow (1924-...) est un économiste américain renommé, appartenant au courant néoclassique. Acte I Dans les années 1950, il veut montrer que l'"équilibre général" (théorisé par Léon Walras, fondateur du courant néoclassique au début du XXe siècle) engendre une croissance économique à long terme. Autrement dit : la concurrence pure et parfaite peut mener à la prospérité. Gros problème : après avoir rédigé des kilomètres d'équation et calculé beaucoup de chiffres, Solow et ses confrères n'arrivent pas à expliquer d'où vient la croissance économique d'un pays comme les Etats-Unis, par exemple. En effet, une fois qu'ils ont mesuré l'apport des facteurs de production (travail, capital) à la croissance, il leur reste encore près de 50 % de la croissance à expliquer ! D'où la conclusion de Solow (en 1956) : une grande partie de la croissance économique de long terme est due... au progrès technique . Intuitif, sauf que Solow, à l'époque, n'explique pas d'où vient le progrès technique, qui l'engendre, pourquoi, comment etc. Il se contente d'invoquer ce progrès technique pour "boucler" (justifier) son modèle macro-économique ; par la suite, certains économistes critiqueront cette justification en disant que, pour Solow, le progrès technique "tombe du ciel comme une manne" (référence biblique), d'où l'appellation de "croissance exogène " : la croissance aurait pour origine, à long terme, un phénomène non expliqué par la science économique ! Cette anecdote de l'histoire de la pensée économique peut paraître dérisoire, mais elle montre que jusqu'à très récemment, une phénomène aussi basique et central que la croissance économique à long terme était très mal expliqué par la "science" économique (à court terme, le courant keynésien l'expliquait très bien et ne se préoccupait pas du long terme, puisque, selon maître Keynes, "à long terme, nous serons tous morts"). Certes, "Schumpi" (Joseph Schumpeter) était le meilleur sur cet histoire, mais dans les années 50, il était déjà mort et ses théories mettraient beaucoup de temps à devenir populaires (aujourd'hui, elles le sont...). Acte II Dans les années 1980, de jeunes économistes américains néoclassiques tentent de venir au secours de leur maître Solow. Paul Romer, Robert Lucas et Robert Barro sortent de leur chapeau magique un vieux concept, emprunté à un illustre néoclassique du début du siècle (Alfred Marshall, rien à voir avec le Plan du même nom) : les "externalités positives ". Ils vont ainsi expliquer d'où vient le fameux "progrès technique" de Solow. Romer insiste sur le capital technologique qu'une nation accumule grâce aux investissements immatériels (R&D, brevets, formation etc) développés par ses entreprises et l'Etat : même si certaines sont protégées, au départ, par des brevets, les innovations finissent toujours pas tomber dans le domaine public, ou font l'objet de licences d'exploitation ou d'imitation. Conclusion : en investissant, chaque agent agit pour son propre intérêt, mais à terme, leurs innovations profitent à tous (là est l'externalité positive). Les villes, régions, pays ou zones les plus dynamiques historiquement au niveau de la croissance sont celles qui favorisent ce type d'investissement (ex : Silicon Valley, Japon, Bangalore...). Paul Romer Robert Solow

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Lycée Marcel-Gambier (académie de Caen)

De Solow à la croissance endogène : l'explication néoclassique de la croissance économique

Robert Solow (1924-...) est un économiste américain renommé, appartenant au courant néoclassique.

Acte I Dans les années 1950, il veut montrer que l'"équilibre général" (théorisé par Léon Walras,

fondateur du courant néoclassique au début du XXe siècle) engendre une croissance économique à long terme. Autrement dit : la concurrence pure et parfaite peut mener à la prospérité. Gros problème : après avoir rédigé des kilomètres d'équation et calculé beaucoup de chiffres, Solow et ses confrères n'arrivent pas à expliquer d'où vient la croissance économique d'un pays comme les Etats-Unis, par exemple.En effet, une fois qu'ils ont mesuré l'apport des facteurs de production (travail, capital) à la croissance, il leur reste encore près de 50 % de la croissance à expliquer !

D'où la conclusion de Solow (en 1956) : une grande partie de la croissance économique de long terme est due... au progrès technique. Intuitif, sauf que Solow, à l'époque, n'explique pas d'où vient le progrès technique, qui l'engendre, pourquoi, comment etc. Il se contente d'invoquer ce progrès technique pour "boucler" (justifier) son modèle macro-économique ; par la suite, certains économistes critiqueront cette justification en disant que, pour Solow, le progrès technique "tombe du ciel comme une manne" (référence biblique), d'où l'appellation de "croissance exogène" : la croissance aurait pour origine, à long terme, un phénomène non expliqué par la science économique !

Cette anecdote de l'histoire de la pensée économique peut paraître dérisoire, mais elle montre que jusqu'à très récemment, une phénomène aussi basique et central que la croissance économique à long terme était très mal expliqué par la "science" économique (à court terme, le courant keynésien l'expliquait très bien et ne se préoccupait pas du long terme, puisque, selon maître Keynes, "à long terme, nous serons tous morts"). Certes, "Schumpi" (Joseph Schumpeter) était le meilleur sur cet histoire, mais dans les années 50, il était déjà mort et ses théories mettraient beaucoup de temps à devenir populaires (aujourd'hui, elles le sont...).

Acte II

Dans les années 1980, de jeunes économistes américains néoclassiques tentent de venir au secours de leur maître Solow. Paul Romer, Robert Lucas et Robert Barro sortent de leur chapeau magique un vieux concept, emprunté à un illustre néoclassique du début du siècle (Alfred Marshall, rien à voir avec le Plan du même nom) : les "externalités positives". Ils vont ainsi expliquer d'où vient le fameux "progrès technique" de Solow.

Romer insiste sur le capital technologique qu'une nation accumule grâce aux investissements immatériels (R&D, brevets, formation etc) développés par ses entreprises et l'Etat : même si certaines sont protégées, au départ, par des brevets, les innovations finissent toujours pas tomber dans le domaine public, ou font l'objet de licences d'exploitation ou d'imitation. Conclusion : en investissant, chaque agent agit pour son propre intérêt, mais à terme, leurs innovations profitent à tous (là est l'externalité positive). Les villes, régions, pays ou zones les plus dynamiques historiquement au niveau de la croissance sont celles qui favorisent ce type d'investissement (ex : Silicon Valley, Japon, Bangalore...).

Paul Romer

Robert Solow

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Lucas insiste sur le capital humain (investissement des familles, des individus, de l'Etat et des entreprises dans l'éducation et formation professionnelle). Comme Romer, il pense que l'agent agit pour lui-même, mais au final, le niveau de qualification, d'adaptabilité et d'innovation de la population active s'accroît, ce qui explique la compétivité des pays qui suivent cette voie et leur croissance (ex : NPIA).

Barro suit le même raisonnement, en montrant que l'investissement public ou mixte (public/privé) dans les infrastructures (ports, aéroports, cables optiques, routes, écoles etc) ont un coût collectif, mais sont facteur d'externalités positives (gains de temps pour les transports, attractivité pour les IDE, etc), expliquant ainsi la croissance à long terme (notons que Keynes, lui, insiste sur les conséquences conjoncturelles, en termes de revenus et d'effet-multiplicateur, de l'investissement public).

Ces théories (très en vogue de nos jours) sont appelées théories de la croissance endogène, car elles expliquent d'où vient le progrès technique générateur de croissance, ce que n'avait pas fait leur prédécesseur Solow.

Acte III

A la fin des années 80, le vénérable Solow tente de reprendre la maîtrise du jeu, en posant son fameux paradoxe : "on voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques". En effet, à cette époque, les ordinateurs commencent à peupler les entreprises, les foyers et les administrations. Des pans entiers d'activités naissent sous l'impulsion de grands groupes (IBM...) ou d' « entrepreneurs schumpétériens »( Steve Jobs pour Apple, Bill Gates pour Microsoft) - constructeurs de matériel, éditeurs de logiciels, maintenance etc - , de nouveaux métiers apparaissent et des emplois se développent (dans la "Silicon Valley" en Californie, notamment). Pourtant, en tant qu'innovation de procédé, l'informatique peine à engendrer des gains de productivité dans les secteurs traditionnels (ex : automobile, banque, communication etc) : c'est le "paradoxe de Solow".

Dans ces années-là, la faiblesse de la productivité des pays industrialisés historiques est d'autant plus préoccupante qu'elle a commencé à fléchir dès la fin des années 60. Nombre d'économistes reconnaissent que la crise apparue en 1974 dans le monde développé (inflation, ralentissement de la croissance, développement du chômage) n'est pas seulement due à un choc conjoncturel (le double choc pétrolier) ; en réalité, c'est bien d'une crise de mutation qu'il s 'agit, due à l'essoufflement du système fordiste (voir chapitre sur le travail).

Tout le monde attend donc, dans les années 70-80, des solutions technologiques, économiques, politiques, sociales, qui puissent fonder une nouvelle ère de prospérité (une nouvelle phase A du cycle kondratieff, dirait les puristes). Comme de nos jours, l'informatique (en plein boom à ce moment-là) paraît, pour beaucoup, comme l'innovation majeure, initiatrice d'une grappe d'innovations et d'une nouvelle phase de croissance (Schumpi, viens-nous en aide !).

Sauf qu'il faut du temps pour que les innovations (surtout de procédé) se diffusent et générent tous leurs effets, dans un grand nombre de secteurs. Presque vingt ans après la remarque ironique de Solow, on a pu constater que les Technologies de l'Information et de la Communication (les TIC) avaient bien permis des gains de productivité, y compris dans les services traditionnels comme la banque ou l'assurance. Mais le paradoxe de Solow nous aura appris que rien n'est automatique, ni acquis : les innovations doivent être accompagnées par les pouvoirs publics et les entreprises d'une solide politique de formation et d'adaptation des méthodes de production aux nouveaux outils.

Robert Lucas

Robert Barro