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Tous droits réservés © Revue des sciences de l'eau, 1989 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 23 juin 2022 09:34 Revue des sciences de l'eau Journal of Water Science Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne dans la Meuse belge Modelling bacterial biomass and activity in the River Meuse (Belgium) P. Servais Volume 2, numéro 4, 1989 URI : https://id.erudit.org/iderudit/705042ar DOI : https://doi.org/10.7202/705042ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Université du Québec - INRS-Eau, Terre et Environnement (INRS-ETE) ISSN 0992-7158 (imprimé) 1718-8598 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Servais, P. (1989). Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne dans la Meuse belge. Revue des sciences de l'eau / Journal of Water Science, 2(4), 543–563. https://doi.org/10.7202/705042ar Résumé de l'article La biomasse et la production primaire phytoplanctonique, ainsi que la biomasse et l'activité bactérienne hétérotrophe, ont été suivies au cours de deux cycles annuels dans le tronçon de la Meuse situé entre la frontière franco-belge et Dinant. Tous ces paramètres présentent des évolutions saisonnières marquées avec des minima hivernaux et des maxima durant l'été. L'analyse des résultats expérimentaux met en évidence le couplage entre la production primaire et la production bactérienne. Un modèle microbiologique de la dégradation bactérienne de la matière organique en milieu aquatique a été développé; il est basé sur l'étude de la cinétique des étapes successives de l'interaction entre matière organique et micro-organismes qui la dégradent. Ce modèle de biodégradation a été appliqué au cas du tronçon de Meuse étudié en tenant compte d'une hydrodynamique simplifiée. L'ensemble des valeurs des paramètres pris en compte dans ce modèle, qui permet de calculer les variations saisonnières de la biomasse et de la production bactérienne, a été déterminé expérimentalement ou sur base de simutations d'expériences de biodégradation. Les résultats des calculs de ce modèle déterministe des activités microbiotogiques sont en assez bon accord avec tes résultats expérimentaux.

Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

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Tous droits réservés © Revue des sciences de l'eau, 1989 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 23 juin 2022 09:34

Revue des sciences de l'eauJournal of Water Science

Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne dans laMeuse belgeModelling bacterial biomass and activity in the River Meuse(Belgium)P. Servais

Volume 2, numéro 4, 1989

URI : https://id.erudit.org/iderudit/705042arDOI : https://doi.org/10.7202/705042ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Université du Québec - INRS-Eau, Terre et Environnement (INRS-ETE)

ISSN0992-7158 (imprimé)1718-8598 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleServais, P. (1989). Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne dansla Meuse belge. Revue des sciences de l'eau / Journal of Water Science, 2(4),543–563. https://doi.org/10.7202/705042ar

Résumé de l'articleLa biomasse et la production primaire phytoplanctonique, ainsi que labiomasse et l'activité bactérienne hétérotrophe, ont été suivies au cours dedeux cycles annuels dans le tronçon de la Meuse situé entre la frontièrefranco-belge et Dinant. Tous ces paramètres présentent des évolutionssaisonnières marquées avec des minima hivernaux et des maxima durant l'été.L'analyse des résultats expérimentaux met en évidence le couplage entre laproduction primaire et la production bactérienne.Un modèle microbiologique de la dégradation bactérienne de la matièreorganique en milieu aquatique a été développé; il est basé sur l'étude de lacinétique des étapes successives de l'interaction entre matière organique etmicro-organismes qui la dégradent. Ce modèle de biodégradation a étéappliqué au cas du tronçon de Meuse étudié en tenant compte d'unehydrodynamique simplifiée. L'ensemble des valeurs des paramètres pris encompte dans ce modèle, qui permet de calculer les variations saisonnières de labiomasse et de la production bactérienne, a été déterminé expérimentalementou sur base de simutations d'expériences de biodégradation. Les résultats descalculs de ce modèle déterministe des activités microbiotogiques sont en assezbon accord avec tes résultats expérimentaux.

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REVUE DES SCIENCES DE L'EAU, 2 (1989) 543-563

Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne dans la Meuse belge

Modeliing bacterial biomass and activity in the River Meuse (Belgium)

P. SERVAIS

RÉSUMÉ

La biomasse et La p roduc t ion p r ima i r e phy top lanc ton ique , a i n s i que La biomasse et l ' a c t i v i t é bac té r ienne h é t é r o t r o p h e , ont é té s u i v i e s au cours de deux cycles annuels dans Le t ronçon de la Meuse s i t u é en t re la f r o n t i è r e f r anco -be lge et D inant . Tous ces paramètres présentent des évo lu t i ons sa isonn iè res marquées avec des minima hivernaux et des maxima durant l ' é t é . L 'ana lyse des r é s u l t a t s expérimentaux met en évidence Le cou­plage en t re La p roduc t ion p r i m a i r e et La p roduc t i on bac té r i enne .

Un modèle microbioLogique de La dégradat ion bac té r ienne de la mat iè re organique en m i l i e u aquat ique a é té développé ; i l est basé sur l ' é t u d e de La c i n é t i q u e des étapes successives de L ' i n t e r a c t i o n en t re mat ière organique e t micro-organismes qui La dégradent . Ce modèle de b iodégrada t ion a é té app l iqué au cas du t ronçon de Meuse é tud ié en tenant compte d'une hydrody­namique s i m p l i f i é e . L'ensemble des va leurs des paramètres p r i s en compte dans ce modèle, qui permet de c a l c u l e r les v a r i a t i o n s sa isonn iè res de La biomasse et de la p roduc t i on b a c t é r i e n n e , a été déterminé expérimentalement ou sur base de s imu la t i ons d 'expér iences de b i o d é g r a d a t i o n . Les r é s u l t a t s des c a l c u l s de

Groupe de n i c r o b i o l a g i e des M i l i eux Aquat iques, U n i v e r s i t é L ib re de B r u x e l l e s , Campus de la P la i ne , CP 221 , Boulevard du Triomphe, B-105G B r u x e l l e s , Be lg ique .

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i

b44 ReVue des sciences de l'eau 2, n° 4

ce modèle dé te rm in i s t e des a c t i v i t é s mic rob io log iques sont en assez bon accord avec les r é s u l t a t s expér imentaux.

Mots clés : cUomaiAe <Lt production bactéfUznnz, lÀviliz Metwe, modèle, dz blodégradation.

SUMMARY

The phy top lank ton ic biomass CchlorophyLL-a) and pr imary p r o ­duc t ion ( i n c o r p o r a t i o n of 1 ' *C0 I )^ as w e l l as the b a c t e r i a l biomass (enumeration by ep i f l uo rescence microscopy a f t e r a c r i -d ine orange s t a i n i n g ) and b a c t e r i a l p roduc t ion ( 3 H-thymid ine i n c o r p o r a t i o n ) were f o l l owed f o r two years (1983 and 1984) i n the s e c t i o n of the River Meuse located between the Be lg i an -French border and Dînant ( f i g u r e 1 ) . A i l thèse parameters show seasonaL f l u c t u a t i o n s w i t h minimum values dur ing w in te r and maximum values dur ing summer ( f i g u r e 2 ) . The ana l ys i s of thèse data show the connect ion between pr imary p roduc t ion and b a c t e r i a l a c t i v i t y i n t h i s area.

Despi te récent progresses i n m i c r o b i a l ecotogy, most models desc r i b i ng organ ic matter dégradat ion i n aqua t i c ecosystems s t i U b a s i c a l l y dé r i ve from the STREETER and PHELPS's (1925) modeL of organic mat ter p o l l u t i o n , i n which the ra te of décom­p o s i t i o n i s assumed t o be f i r s t order w i t h respect t o the o r ­ganic l oad . Al though thèse geochemical approaches o f t e n y i e l d q u i t e good p r é d i c t i o n s , they consider organic mat ter dégrada­t i o n as a chemical p rope r t y of the organic mat ter i t s e l f , w i t hou t t a k i n g i n t o account the a c t i v i t y o f the micro-organ isms. Based on a study of the successive stages i nvo l ved i n the i n ­t e r a c t i o n between organic matter and h e t e r o t r o p h i c b a c t e r i a , a microbioLogicaL model of b a c t e r i a l dégradat ion o f organic mat ter i n aquat ic Systems has been developed (BILLEN and SERVAIS, 1988).

The main fea tu res of t h i s model , c a l l e d the H3SB model, can be summarized as f o l l o w s ( f i g u r e 3) : o rgan ic mat ter i s most ly supp l i ed by pr imary p roduc t ion and a l loch tonous inpu ts i n the form of macromolecular biopolymers (H) which cannot be taken up d i r e c t l y by b a c t e r i a . Only some smal l mo lécu les , recognizabLe by the b a c t e r i a l permeases, can be used by b a c t e r i a . Thèse com-pounds c a l l e d d i r e c t subs t ra tes (S) are produced by exoenzyma-t i c h y d r o l y s i s o f the h igh molecular weight compounds. Among thèse compounds, we d i s t i n g u i s h th ree c lasses : H . , compounds which are e a s i l y and r a p i d l y hydro lyzed i n t o d i r e c t subs t ra tes ; H- , compounds which are s low ly hyd ro l yzed , and H , , the r e f r a c -t o r y organ ic mat te r . Once taken up by b a c t e r i a , d i r e c t s u b s t r a ­tes can be e i t h e r ca tabo l i zed and resp i r ed or used f o r the p roduc t ion of b a c t e r i a l biomass ( B ) . Once formed the b a c t e r i a l biomass i s sub jec t t o a m o r t a l i t y process (g raz ing by h e t e r o ­t r o p h i c microzooplankton o r l y s i s ) .

This v ieu of the i n t e r a c t i o n s between b a c t e r i a and organic mat­t e r i s c e r t a i n l y i d e a l i z e d . I t s usefu lness however l i e s i n the f a c t tha t exce l l en t methods hâve been developed f o r d i r e c t l y

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Biomasse et activité bactérienne dans la Meuse 545

measurîng the rate of most of the basic processes Listed above (exoenzymatic hydrolysis, uptake of d i rect substrates, bacte-riaL production and bacteriaL mortaLity) and for studying the i r k inet ics and control mechanisms. HathematicaL re la t i on -ships hâve been proposed for the H3SB modet. Equations (1 ) , (2 ) , (3 ) , (4) and (5) describe respectively the time f luc tua­t ions of H., H_, H,, S and B. Exoenzymatic hydrolysis and bac­teriaL uptake of d i rect substrates are characterized by MICHAELIS-MENTEN k ine t i cs , bacter ia l production is propor t io-naL to substrate uptake and bacteriaL mortaLity is represented by a f i r s t order term.

This basic model of biodégradation has been used to buiLd a model of heterotrophic a c t i v i t y , in the section of the River Meuse studied, taking in to account a s impl i f ied form of the hydrodynamical processes. Three types of organic matter inputs to the r iver hâve been considered : phytoptankton Lysis, do-mestic Loads and soi l Leaching. The values of the parameters involved in th is model hâve been determined by d i f férent expe-riments performed on the natural population of bacteria from the River Meuse ( f igure 4 ) , or by f i t t i n g experimentaL data of biodégradation experiments performed on organic matter from various or ig ins : for example. River Meuse organic matter ( f igure 5) or phytoplanktonic materiaL ( f igure 6 ) . This model of heterotrophic bacter ia l ac t i v i t y in a r iver has allowed the seasonal f luctuat ions of a bacter ia l biomass and production in the r iver to be assessed, giving the known hydro-dynamical parameters (uet section and variat ions of discharge), tempéra­tu re , domestic load (calculated from the population density) and phytoplanktonic biomass. The data of the caLcuLations of th is determinist model of heterotrophic ac t i v i t y agrée welL with the expérimental date (f igures 7, 8, 9, 10).

This kind of bacterioplankton model could in the near future be used to construct a complète ecological model of r ivers leading to studies on the impact on water quaLity.

Key-words : BacieJtiaZ bioma&i and production, tilvçji M&uét, bi.odzQha.dati.on modzt.

INTRODUCTION

Les activités microbiologiques déterminent très largement la qualité de l'eau dans les écosystèmes aquatiques. Parmi ces activités, la dégra­dation de la matière organique par les micro-organismes hétérotrophes qui s'accompagne d'une consommation d'oxydant (l'oxygène en premier lieu) est un des processus majeurs. Ceci justifie pleinement les efforts ac­complis récemment par la microbiologie écologique dans l'étude de la dynamique des populations bactériennes hétérotrophes en milieux aqua­tiques. Néanmoins, jusqu'à présent, peu de ces études ont été entre­prises en rivières.

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S46 Revue des sciences de l'eau 2, n° 4

Le travail présenté ici s'attache à l'étude et la modélisation de la dynamique du bactérioplancton dans un tronçon de la Meuse- La Meuse est une rivière longue de 800 km qui prend sa source en France dans le département des Vosges et traverse successivement le nord de la France, la Belgique et les Pays-Bas. Le tronçon étudié se situe entre la fron­tière franco-belge et Dînant, secteur couramment dénommé Haute-Meuse belge (figure 1). Au cours des années 1983 et 1984, les biomasses et activités phyto- et bactérioplanctoniques ont été mesurées. Cet arti­cle fera en premier lieu une rapide synthèse des résultats expérimen­taux obtenus pendant cette période, mais son but essentiel est de pré­senter un modèle microbiologique de la dégradation de la matière orga­nique par les bactéries hétérotrophes, qui a été récemment développé dans notre laboratoire, et l'application de celui-ci à-la simulation de l'évolution saisonnière de la biomasse et l'activité bactérienne dans la Haute-Meuse belge.

PAYS-BAS

La plupart des modèles décrivant la dégradation de la matière orga­nique dans les milieux aquatiques naturels sont encore essentiellement basés sur le modèle de STREETER et PHELPS (1925). Bien que ces modèles soient souvent utiles pour fournir des ordres de grandeur des vitesses de dégradation de la matière organique, ils ont le désavantage de re­poser sur une vision un peu simpliste des phénomènes impliqués.

Figure 1. - Carte du bassin hydrographique de la Meuse. Les 2 flèches indiquent le début et la fin du tronçon de rivière étudié (la zone hachurée correspond à la par­tie belge du bassin).

Figure 1. - Map of the Meuse hydrographical network. The 2 arrows indicate the be-qinnina and the end of the studied area (the shaded area corresponds to the Belgian part of the basin).

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Biomasse et activité bactérienne dans la Meuse 547

En effet, dans ce type d'approche, la dégradation de la matière organi­que est traitée comme s'il s'agissait d'une propriété chimique de la matière organique elle-même. L'action des micro-organismes organotro-phes responsables du processus n'est pas prise en compte explicitement. Le modèle utilisé dans ce travail est, au contraire, basé sur une ana­lyse minutieuse des interactions entre la matière organique et les micro­organismes qui la dégradent. Appliqué au cas de la rivière Meuse, il permet de simuler les fluctuations de biomasse et d'activité bactérienne au cours de l'année. Ce type de modèle constitue une étape importante dans la réalisation de modèles écologiques complets prenant en compte phytoplancton, bactérioplancton et zooplancton et permettant de simuler l'évolution de paramètres importants de la qualité de l'eau (tel l'oxy­gène dissous) en réponse à différentes interventions (épuration, aména­gements du cours d'eau, rejets supplémentaires, . . . ) .

1 - BIOMASSE ET ACTIVITÉS PHYTOPLANCTONIQUES ET BACTÉRIO-PLANCTONIQUES

L'évolution saisonnière de la concentration en chlorophylle a, mesu­rée par la méthode de VOLLENWEIDER (1974) en 1983 et 1984 est présentée à la figure 2.1. Celle de la production primaire phytoplanctonique, mesurée par la méthode d'incorporation de '^COa est présentée à la figure 2.2 pour les mêmes années. L'ensemble de ces mesures expérimen­tales ont été effectuées à la station Waulsoft, considérée comme repré­sentative de ce secteur Haute-Meuse, dont l'homogénéité longitudinale a été démontrée (BILLEN et al., 1985). Les résultats, discutés en dé­tail par DESCY et al. (1987), montrent des biomasses et productions faibles en hiver, suivies par une croissance rapide au printemps. La période de démarrage de la croissance algale semble liée au débit : ainsi en 1983, les débits élevés observés durant tout le printemps ont retardé cette période de croissance à juin. En été, les biomasses (50 à 90 ugChl.a.L-1) et les productions (4 à 5 gCm-2j-i) sont impor­tantes, mais des fluctuations brusques imputables aux modifications d'intensité lumineuse et à la prédation par le zooplancton peuvent être observées. Le pic important de biomasse mesuré en novembre 1983 apparaît comme un phénomène exceptionnel résultant du chômage (abaissement des barrages) de la Haute-Meuse qui a modifié complètement les conditions hydrologiques pendant la période septembre-octobre de cette année.

Des mesures de biomasse et production bactérienne ont été effectuées parallèlement aux mesures sur le phytoplancton. La biomasse bactérienne a été estimée à partir des dénombrements au microscope à épifluorescence après coloration des bactéries à l'acridine orange selon la technique de HOBBIE et al, (1977) et la production bactérienne à partir de mesures du taux d'incorporation de thymidine tritiée dans 1'A.D.N. bactérien (FUHRMAN et AZAM, 1980, 1982) et d'un facteur de conversion expérimen­tal (0,5 1018 bactéries produites par mole de thymidine tritiée incor­porée dans les macromolêcules) permettant d'exprimer les résultats en biomasse carbonée produite. Les figures 2.3 et 2.4 présentent les résul­tats qui ont été discutés longuement par SERVAIS (1988). La biomasse bactérienne est faible en hiver et présente un pic estival (biomasse maximale 0,8 mgCL""1) dû à la fois à un nombre élevé de bactéries (± 4 106 bac.ML-1) et un biovolume important (± 1,2 um3 cellule-1)- La pro­duction bactérienne, pour sa part, est inférieure à 1 ygCL-1h-1en pério­de hivernale, et supérieure à 5 ngCL-1h-1en période estivale.

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TOOJ

=. 50

J'FM'A'H'J J'A'S'ONDJ F'M'AMJ J'A'S'Ô'N'D" 1983 1984

2.

1 F M A M J J'A'SO N 0 J F M'A M J JAS'O'N'D' 1983 1984

Figures 2.1 - 2.2 - Evolution saisonnière dans le tronçon étudié de : 1. Biomasse phytoplanctonique, 2. Production primaire phytoplanctonique (DESCY et al.,

1987.

Figures 2.1 - 2.2 - Seaaonal fluctuation in the studied area of : 1. Phytoplanktonic biomass, 2. Phytoplanktonio primry production (DESCY et al., 198?)

3.

Figures 2.3. - 2 étudié de : 3. Biomasse ba 4. Production

Figures 2.3 - 2. of : 5. Bacterial bi 4. Bacterial pr

Page 8: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

Biomanse et activité bactérienne dans ta Meuse 549

Dans ce secteur, où les apports anthropogènes (rejets domestiques et industriels) sont relativement faibles, on pouvait s'attendre â un couplage étroit entre production primaire et activité hétérotrophe. Les résultats expérimentaux montrent que, aussi bien en 1983 que 1984, ce couplage existe ; les débuts de périodes d'intense activité bactérienne succèdent aux périodes de démarrage de la production phytoplanctonique. Néanmoins en 1983, le laps de temps entre ces deux moments paraît court, tandis qu'en 1984, cet écart est beaucoup plus long- De ces différences de comportement entre les deux années étudiées, il apparaît que le phy-toplancton n'est pas le seul facteur de contrôle de l'activité bacté­rienne et que d'autres facteurs influençant l'activité bactérienne doi­vent être pris en compte {débit, température, rejets organiques, - - . ) . Le modèle que nous proposons dans la suite de l'article peut être, à cet effet, un outil intéressant pour comprendre les différents proces­sus régulant la dynamique du bactértioplancton en rivière.

2 - MODÉLISATION DE LA BIOMASSE ET DE L'ACTIVITÉ BACTÉ­

RIENNE EN RIVIERE

2.1 Principe et équation du modèle général de dégradation bactérienne de la matière organique

Sur base des connaissances microbiologiques actuelles et de diverses études menées sur le sujet dans notre laboratoire (BILLEN et al., 1980 ; SOMVILLE et BILLEN, 1983 ; SERVAIS et al., 1985, 1987), nous avons proposé un schéma conceptuel des interactions matière organique-bactéries (figure 3) (BILLEN et SERVAIS, 1988) appelé modèle H3SB et dont les grandes lignes peuvent être résumées de la manière suivante-

On peut distinguer deux sources principales d'apport de matières or­ganiques au réseau hydrographique : la production primaire endogène et les apports extérieurs (allochtones).

La matière organique (H) présente dans l'eau l'est essentiellement sous forme de composés qui ne peuvent être directement absorbés par les .bactéries hétérotrophes.

En effet, seules peuvent être directement utilisées pour la crois­sance bactérienne un certain nombre de petites molécules reconnues par les perméases, donc susceptibles de pénétrer dans les cellules (ROGERS, 1961).

Ces petites molécules, que nous appellerons substrats directs (S), forment donc le stock de matière organique directement utilisable qui contrôle effectivement la croissance bactérienne. Ils sont produits par hydrolyse exoenzymatique des composés organiques de haut poids moléculaire. Parmi ceux-ci, il est utile de distinguer au moins trois stocks : Hlt composés facilement et rapidement hydrolysables en molé­cules utilisables par les bactéries ; H2, composés lentement hydroly­sables ; et H3, composés non hydrolysables et donc inutilisables par les bactéries (SERVAIS, 1986 ; BILLEN et SERVAIS, 1988).

Page 9: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

550 Revue des sciences de l'eau 2y n° 4

Les substrats directs produits par l'hydrolyse exoenzymatique de Hy et H2 sont prélevés par les bactéries hétérotrophes (activité organotro-phe). Ils sont en partie oxydés en C0Z ou servent à la production de biomasse bactérienne (B). La part de la production de biomasse dans l'utilisation totale de matière organique est définie par le rendement de croissance (Y) des bactéries.

La biomasse bactérienne (B) est sujette à un processus de mortalité. consistant à la fois en un broutage par des prédateurs, tels que les nanoflagellés hétérotrophes ou les ciliés, et en un processus de lyse cellulaire.

Cette vision du processus de biodégradation est naturellement idéa­lisée ; son utilité réside néanmoins dans le fait que des méthodes per­formantes ont été développées pour la mesure directe des différentes étapes reprises ci-dessus : hydrolyse exoenzymatique (SOMVILLE et BILLEN, 1983 ; SOMVILLE, 1984), prélèvement des substrats directs (WRIGHT et HOBBIE, 1966 ; WILLIAMS, 1970 ; BILLEN et al., 1980), production bacté­rienne (FUHRMAN et AZAM, 1980, 1982), mortalité bactérienne (SERVAIS et al-, 1985). Ces méthodes permettent l'étude de la cinétique et des mécanismes de contrôle des diverses étapes.

Ceci nous a permis de proposer une formalisation mathématique de l'utilisation de la matière organique par les bactéries hétérotrophes. Dans celle-ci, les étapes d'hydrolyse exoenzymatique et d'utilisation des substrats directs par les bactéries sont caractérisées par des ciné­tiques de type MICHAELIS-MENTEN (SOMVILLE et BILLEN, 1983 ; WRIGHT et HOBBIE, 1966 ; WILLIAMS, 1973). La production bactérienne est considérée comme proportionnelle au prélèvement de l'ensemble des substrats directs et la mortalité bactérienne est représentée par une cinétique du premier ordre par rapport à sa biomasse (SERVAIS et al., 1985). Les équations d'évolution temporelle de Hi , H2, H3, S et B s'écrivent :

dH = - ]max r—r— B + P, + X H , (D

dt H! + K l -r A « i H

dH2 a ttx — - -- e»™„ B + p2 + %n2 (2) dt max

dH3

dt = P3 + XH a (3)

H H

dt * — Hi +-r + e2max ÏÏT^~K. 1Z = t l m a x + max — ) B

H2 (4)

- b „ " . B + Ps + X S max S + K û

g = ( Y b — ~ k j B + P + XB (5) dt max S + K d B û

Page 10: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

Figure S. - Représentation schématique des proces­sus élémentaires impliqués dans la dégradation de la matière organique par les bactéries en milieu aquatique. Hi représente le stock de ma­tière organique rapidement biodégradable, H2, celui de matière organique lentement biodégra­dable, H3, celui de matière organique non biodé­gradable ; S représente le pool des substrats directs, S la biomasse bactérienne et E les exo-enzymes bactériens. Les processus sont numérotés comme suit : 1 représente 1'hydrolyse exoenzyma-tique, 2 l'activité organotrophe, 3 la production bactérienne et 4 la mortalité bactérienne.

Figure 3. - D processes in tion of orga vapidly biod slowly biodé non-biodegva direct subst mass and E. see are numb exoenzymatic activity. 3 the bacteria

Page 11: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

552 Revue des sciences de l'eau 2y n° 4

Dans ce système, pour chaque classe i (1, 2 et 3) de matière orga­nique ,

H. (mgCL-1) représente la concentration de matière organique de classe i,

P. (mgCL-'h-1) représente le flux d'apport de matière organique de classe i au système,

e.(h~ } et sont respectivement la vitesse maximale par unité de max biomasse bactérienne et la constante de demi-saturation

i de l'hydrolyse exoenzymatique de la matière organique KTT (mgCL ) , , H. de classe i, i

et

Ps (mgCL-1h-1) représente le flux d'apport de substrats directs au système,

P,, (mgCL- h~ ) représente le flux d'apport de biomasse bactérienne au système,

v est un opérateur représentant les processus hydrodyna­miques affectant les espèces considérées dans le milieu étudié,

b (h-1) et sont la vitesse maximale par unité de biomasse bactérien­ne et la constante de demi-saturation du prélèvement de

K (mgCL-1) l'ensemble des substrats directs,

Y est le rendement de croissance,

kn(h-1) est la constante du premier ordre de mortalité bacté-

d rienne.

2.2 Application du modèle H3SB à une rivière

Le but de ce chapitre est de montrer comment le modèle H3SB de dégra­dation de la matière organique peut être appliqué au cas d'une rivière. Voyons donc comment les équations de ce modèle doivent être modifiées dans ce cas particulier. Pour ce qui est de la biomasse bactérienne (B), l'équation du bilan de conservation de la biomasse peut s'écrire en négligeant la dispersion longitudinale et en se plaçant dans un tronçon de rivière ne recevant que de petits apports dont le débit sera consi­déré comme réparti de manière continue tout au long du tronçon (NIHOUL et al-, 1979) :

f* = P + îi- \ P . B (6) <5t v A A 0 x

OÙ :

A est la section mouillée de la rivière (m2)

Q son débit (m3 h-1}

Page 12: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

Biomasse et activité bactérienne dans ta Meuse 553

x distance horizontale prise le long du cours de la rivière (m)

P la résultante des processus de production et de mortalité du bac-térioplancton par unité de volume {gCm-3h-1)

P le taux linéique des apports par les affluents latéraux (gCnP'h-1)-

En considérant la biomasse bactérienne dans les apports latéraux, Br, comme constante, et en utilisant l'équation (5) d'évolution tempo­relle de la biomasse bactérienne du modèle H3SB, l'équation (6) devient:

|§ = ^ _ _ _ fc B _ I 6fi _ o t roax S + K d A ôx r

O

où le terme — T ^ représente la dilution par les apports latéraux. A OX

Par apports latéraux, il faut entendre aussi bien les apports diffus provenant, par exemple, d'une nappe aquifère ou du ruissellement sur le bassin versant propre, que les apports ponctuels des affluents. Ces der­niers cependant sont traités comme s'ils étaient répartis de manière uniforme sur la longueur du tronçon.

De même l'équation (4) d'évolution de la concentration en substrats directs peut s'écrire :

«S e H- A e 2 H i

t „ b S „ = i max — - + 2max — — - — — ) B - max

<5t " ""a- H, + K ^ "™* H2 + K ' " """ S + K " ' H, H2 S

1 So , (8)

~ Â 6x" (S ' Sr)

où Sr représente la concentration en substrats directs dans les apports latéraux.

Pour ce qui est des différentes classes de matières organiques (Hi, Ha et H3), trois types d'apports au système rivière doivent être pris en compte pour chacune des classes :

(i) l'apport phytoplanctonique résultant de la lyse de la biomasse

algale,

(ii) les rejets ponctuels (rejets domestiques et industriels),

(iii) les apports provenant du lessivage du bassin versant.

Ces trois types d'apports s'expriment de la manière suivante :

(i) Les termes de lyse phytoplanctonique sont considérés comme propor­tionnels à la biomasse phytoplanctonique (C) et prennent donc la forme :

E. k C (9) 1 1

ou k est le taux de lyse phytoplanctonique

e. représente la fraction de chacune des 3 classes de matières orga­

niques (H , H2 et H3) dans ce terme d'apport.

Page 13: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

554 Revue des sciences de l'eau 2, n° 4

(ii) Les termes de rejets sont constitués d'un flux constant de ma­tière organique rejeté dans la rivière (10) qui s'exprime en quantité de carbone par mètre de rivière et par heure. Pour être exprimés en concentration dans les équations d'évolution de H., les termes de rejets prennent la forme :

où 6. représente la fraction de chacune des 3 classes de matières orga­

niques dans les rejets.

(iii) Les termes d'apports de matières organiques via le lessivage des sols du bassin versant dépendent du taux de dilution et ont la forme suivante :

A ox i

où L. est la concentration des 3 types de matières organiques dans les

apports latéraux résultant du lessivage des sols.

A part i r de la forme de ces termes d'apport et des équations (1), (2), (3) du modèle H3SB, on peut déduire les équations d'évolution de Hj , Ha e t H3 dans le modèle rivière :

5 H, „ „ H 1 _ . . . 10 e, 1 = E, k , C + fil ^ - 6lmax l— B - k P* (Hi - Li) (12)

fit " l ' * r ^ P 1 A " ' " H, + K ° A 5x

H a (13)

& J l l = £ 3 k C l B ^ - J ^ <H, - La) (14) $ t

3 1 A A U X

2.3 Détermination de la valeur des paramètres impliqués dans Te modèle

a) Paramètres relatifs au modèle H3SB

Les valeurs numériques des paramètres physiologiques (bmax, Ks, Y, kd) ont pu être déterminées expérimentalement pour les populations bac­tériennes de rivière en général, de la Meuse en particulier.

Ainsi le rendement de croissance aérobie (Y) sur la matière organi­que de rivière a été déterminé par SERVAIS et al. (1987) en suivant simultanément l'accroissement de biomasse et la consommation de carbone dans des cultures de bactéries d'eau de rivière et vaut 0,3.

La constante de mortalité bactérienne a été déterminée en Meuse et vaut en moyenne 0,02 h-1 à 20° C (SERVAIS, 1986).

Une idée de valeur de la vitesse maximale d'utilisation de l'ensem­ble des substrats directs (bmax) peut être tirée de la valeur de taux

Page 14: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

Biomasse et activité bactérienne dans la Meuse 555

maximum de croissance (umax), qui a été mesuré sur une communauté bac­térienne de la Meuse (figure 4 ) , par la relation :

* Yb

1000

100.

Figure 4. - Détermination du taux de croissance maximum d'une population bactérienne de la Meuse par suivi de l'accroisse­ment de biomasse bactérienne dans un milieu enrichi en glu­cose (concentration finale 0,1 mM) et acides aminés (concen­tration finale 2 mM) .

Figure 4. - Détermination of the maximum gvowth rate of a bac-terial population of the river Meuse by following the in-orease of baoterial biomass in a médium amended with glu­cose (final concentration 0-1 mM) and amino-acids (final concentration 2 mM).

La valeur trouvée expérimentalement pour umax est de 0,48 h - 1 ; en tenant compte d'un rendement de croissance de 0,3 on trouve une valeur de vitesse maximale de prélèvement de l'ensemble des substrats directs à 20° C de 1,6 h - 1 .

La constante de demi-saturation de l'utilisation des substrats directs (Ks) est un paramètre auquel le comportement d'ensemble de ce type de système est très peu sensible, il détermine seulement le niveau sta-tionnaire de concentration en substrats directs. Une valeur de 0,1 mg CL - 1 pour l'ensemble des substrats directs semble raisonnable (SERVAIS, 1986).

Page 15: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

556 Revue des sciences de l'eau 2, n° 4

Les paramètres e,max, KH1 , e2max, KH2 caractérisent véritablement la cinétique d'hydrolyse et donc d'utilisation de ces 2 classes de ma­tière organique. Une valeur de KH des exoprotêases pour l'ensemble des protéines naturelles présentes dans l'eau de Meuse a été déterminée, grâce à une mesure de l'inhibition des protéines naturelles sur l'hydro­lyse d'une protéine particulière fSERVAIS, 1986 ; BILLEN et SERVAIS, 1988). Une valeur KH = 0,25 mgCL-1 a été obtenue. En l'absence d'autres déterminations de constance de demi-saturation de l'hydrolyse d'autres macromolécules, cette valeur sera utilisée comme KH de la classe de matière organique la plus rapidement biodégradable (classe d'utilisabi-lité 1).

Les valeurs de e ^ x , e^max et KH2 ont pu être déduites des simula­tions mathématiques par le modèle H3SB d'expérience de biodégradation. Dans ces expériences, un échantillon d'eau est stérilisé par filtration sur 0,2 um, puis réensemencé-par des bactéries du milieu, la biomasse bactérienne est ensuite suivie durant 15 à 20 jours. Une série d'expé­riences menées sur des eaux de rivières de diverses origines a montré que les valeurs de :

e, max = 0,75 h" l

e, max = 0,2 5 h~1

KHf = 0,25 mgCL-1

KH, = 2,5 mgCL-1

permettent toujours de simuler correctement l'évolution de la biomasse bactérienne par le modèle H3SB. La figure 5 représente les résultats expérimentaux et la simulation d'une telle expérience réalisée sur de l'eau de Meuse.

1,

0 10 Jours

Figure 5. - Résultats expérimentaux (•) de l'évolution de la biomasse bactérienne dans une eau de Meuse filtrée sur 0,2 um et rêensemencée. Simulation (-) par le modèle H3SB en tenant compte des paramètres suivants relatifs à l'hydro­lyse exoenzymatique :

e,max = 0,75 h-* e,max = 0,25 h~1

=0,25 mgCL" = 2,5 mgCL"

Figure 5'. - Expérimental résulte (m) of the fluctuation of bacterial biomass in a river Meuse water sterilized by 0.2 (m filtration and reinoculated. Simulation (-) with the H3SB model tàking into aacount the next values for the para-meters related to the exoenzymatic hydrolysis :

e^max = 0. 75 h' e2max = 0. 25 h'

KH =0.25 mgCL-i KE

l =2.5 mgCL~l

Page 16: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

Biomasse et activité bactérienne dans la Meuse 557

b) Paramètres relatifs aux apports de matière organique

La biomasse bactérienne dans les apports latéraux, Br, a été fixée à 0,015 mgCL~* sur base de dénombrements effectués dans une série de petits affluents du bassin mosan ; la concentration en substrats directs dans les apports laté-aux, Sr, influence peu le comportement global du sys­tème et a été fixée à 0,01 mgCL-1.

Le taux de lyse phytoplanctonique est fixé à 0,018 h-1 à 20° C sur base des valeurs de taux de disparition du phytoplancton aux périodes où le broutage par le zooplancton et la sédimentation sont négligeables (SERVAIS, 1986).

Les fractions de Hj, H3 et H, dans la matière organique d'origine phytoplanctonique (e, , e2 et e3) provenant des rejets .( $x , 6 2 et B3) ont été fixées sur base des simulations mathématiques par le modèle H3SB d'expériences de biodégradation, effectuées respectivement sur un lysat de phytoplancton de Meuse et sur de l'eau prélevée à la sortie d'un collecteur d'égoût. La figure 6 présente la simulation d'une expé­rience de biodégradation sur lysat de phytoplancton (BILLEN et SERVAIS, 1988).

2. V c c

>« .-« !J « O .a o

« a E _o m

0 5 10 Jours

i Figure 6. - Evolution de la biomasse bactérienne dans une expé­

rience batch sur matériel phytoplanctonique dissous : (•) résultats expérimentaux (-) simulation par le modèle H3SB : concentration initiale

en Hi 3,08 mgCL_1,Ha = 3,08 mgCL"1 , H 3 - 2,64 ragCL"

1

( £i = 0,35, £ a = 0,35, Ê3 = 0,3).

Figure 6. - Fluctuation of bacterial biomass in a batch expe-riment performed with dissolved phytoplanktonic material ; (B) expérimental résulte (-) simulation with the H3SB model : initial concentration

of Hx 3.08-mgCL-^ HB « 3.08 mgCL~i, Hs = 2.64 mgCL~^ (c1 = 0.35, es = 0.35, £s = 0.3).

Les concentrations en Hi, H2 et H3 de l'eau de lessivage ont été fixées sur base des simulations d'expériences de biodégradation réali­sées sur des eaux de divers ruisseaux forestiers du bassin mosan dont le contenu en matière organique résulte des interactions eau-sol.

Page 17: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

555 Revue des sciences de l'eau 23 n°4

L'ensemble des valeurs des paramètres impliqués dans ce modèle de dégradation de la matière organique appliqué au cas d'une rivière et déterminé de manière expérimentale est repris au tableau 1. Pour cer­tains paramètres, il est nécessaire de moduler leurs valeurs, détermi­nées à 20 "C, en fonction de la température du milieu. Ceux-ci sont donc à multiplier par une fonction de température FT dont la forme est la suivante :

T - 20 (

FT = Qio 10 )

où T est la température du milieu.

Cette loi exponentielle avec une valeur de Q n égale à 2 a été uti­lisée dans ce travail 'sur base de résultats expérimentaux de l'effet de la température sur différents processus bactériens tels que la pro­duction et la mortalité (SERVAIS, 1986).

Tableau 1. - Valeurs numériques des paramètres impliqués dans le modèle de dégradation de la matière organique en rivière.

Table 1. - Values of the parameters related to the model of ovgania matter dégradation in river.

Paramètres relatifs au modèle B3SB

Paramètres relatifs aux apports de matière organique

ei max = 0,75 . FT (h-1)

&i max = 0,25 . FT (h-1)

% 1 = 0 , 2 5 (mgCL-1)

*a, = 2 , 5 (mgCL-1)

Y = 0,3

bmax - 1,6 . FT (h"1)

KS = .0,1 {mgCL-1)

kd = 0,02 . FT (h"1)

Br = 0,015 (mgCL-1)

Sr = 0,010 (mgCL-1)

k • 0,018 . FT (h"

£ i = 0,35

£a = 0,35

e3 = 0,30

Bi » 0,32

^ - 0,13

», - 0,55

Li - 0,23 (mgCTT1)

L2 - 0,045 (mgCL"1)

L 3 = 2,4 (mgCL"1)

3 - APPLICATION DU MODÈLE À LA MEUSE BELGE

Le modèle que nous venons de décrire dans ses principes a été u t i l i s é pour calculer numériquement l 'évolution saisonnière de la biomasse e t de l ' a c t i v i t é bactérienne dans le tronçon étudié de la Meuse Belge.

Page 18: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

Biomasse et activité bactérienne dans la Meuse 569

Pratiquement, le modèle calcule par pas de 0,1 heure les variations de B, S, H,, H2 et H3, grâce aux équations (7), (8), (12), (13), (14), à partir de valeurs initiales de ces variables fixées sur base des ob­servations -

Les valeurs numériques des paramètres intervenant dans les équations ont été, soit déterminées expérimentalement, soit déduites des simula­tions par le modèle H3SB des expériences de biodégradation. Aucun ajus­tement de paramètres n'est donc à effectuer sur les résultats expéri­mentaux que l'on cherche à modéliser.

Cinq données d'entrées sont nécessaires à la résolution du calcul-

. La valeur de la densité linéique de rejet (10). Sur base des densités de population, les rejets industriels pouvant être négligés dans cette région, elle a été fixée à 0,5 gC par mètre de rivière et par heure.

. La concentration en chlorophylle a (CHLORO) qui permet le calcul de la biomasse phytoplanctonique (C) par la relation :

C (mgCL-1) = 0,035 . CHLORO ((igChl.a L"1) (DESCY et al., 1987).

. La température qui permet le calcul de la valeur de la fonction FT.

. La section mouillée (A) produit de la largeur (considérée constante au cours de l'année) et de la hauteur (légèrement variable).

. Le taux de dilution — ~-̂ calculé à partir de l'évolution longitudi­

nale du débit de la rivière.

La valeur de la densité linéique de rejet (10) est considérée comme constante au cours de l'année. Les valeurs des quatre dernières données sont introduites, sur base des mesures (chlorophylle, température) ou de calculs simples (section mouillée, taux de dilution), dans le modèle décade par décade. Une valeur identique est donc conservée pour le cal­cul durant 10 jours.

Les évolutions saisonnières de la biomasse et la production bacté­rienne ont été calculées pour 1983 et 1984 ; les figures 7 à 10 repré­sentent les résultats de ces calculs ; sur ces figures sont également portés les résultats expérimentaux. Notons que ces résultats expéri­mentaux sont des résultats ponctuels, alors que les simulations résul­tent d'un calcul où les données d'entrée sont moyennées sur 10 jours-

En 1983, les simulations ont été interrompues à la mi-septembre, en raison de la mise en chômage (ouverture de l'ensemble des barrages) de la Meuse pendant un mois, ce qui modifie complètement les conditions hydrodynamiques durant cette période. La production bactérienne cal­culée simule correctement le niveau hivernal ainsi que le début et la fin de la période d'intense activité bactérienne. Le maximum atteint est légèrement sous-estimé par le calcul.

Pour la simulation de l'évolution de la production bactérienne en 1984, les niveaux hivernaux sont correctement simulés, ainsi que les valeurs estivales. Le modèle prévoit un démarrage un peu précoce. Pour la biomasse bactérienne, l'accord est nettement moins bon tout au moins durant la période estivale.

Page 19: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

560 Revue des sciences de l'eau 2, n° 4

1, O

£ o c c

o en

xi v « (A

£ o

0.5.

0 M M J O N D

Figure 7. - Simulation de l a biomasse bac té r i enne par l e modè­le en 1983.

Figure ?. - Simulation of baaterial biomass with the model in 1983.

O

C c

o c

30,

20

10

"• •

J F M A M J J A S O N D

Figure 8. - Simulation de la production bactérienne par le mo­dèle en 1983 (• représentent les résultats expérimentaux).

Figure 8. - Simulation of bacterial production with the model in 1983 ( m r&present the expérimental data).

Page 20: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

Biornasse et activité bactérienne dans la Meuse S61

O a E

» c c o

0.5

J M M J J S O N D

Figure 9. - Simulation de la biomasse bactér ienne par l e mo­dèle en 1984 ( • r ep résen ten t l e s r é s u l t a t s expérimentaux).

Figure 9. - Simulation of the bacterial biomass with the model in 1984 ( m represent the expérimental data).

O o 3 .

3 0

20

10

M M J S O N

Figure 10. - Simulation de la production bactérienne par le modèle en 1984 ( • représentent les résultats expérimentaux.

Figure 10. - Simulation of bacterial production with the model in 1984 ( m represent the expérimental data).

Suite à l'analyse de ces figures, il apparaît qu'un bon accord est obtenu entre les valeurs calculées et mesurées de production bacté­rienne, accord qui semble moins bon pour la biomasse bactérienne. Le modèle permet donc, à partir d'un minimum d'observations (chlorophylle a et température), ainsi qu'un minimum de connaissance sur le fonction­nement hydrodynamique de la rivière (taux de dilution) et sur les ap­ports de matières organiques, de simuler les grands traits de la dyna­mique du bactérioplancton dans la rivière.

Page 21: Modélisation de la biomasse et de l'activité bactérienne

B62 Revue des sciences de l'eau 2, n° 4

4 - CONCLUSION

Sur base de l'analyse des cinétiques des différentes étapes de la

dégradation bactérienne de la matière organique, un modèle de l'activité

des bactéries hétérotrophes planctoniques a pu être construit. Ce modèle

a servi de base à un modèle du bactérioplancton en rivière qui, bien

qu'extrêmement simplifié du point de vue hydrodynamique, permet de si­

muler les évolutions saisonnières de la biomasse et de l'activité bac­

térienne en Meuse. Il est important d'insister sur le fait que, si les

valeurs de certains paramètres ont été obtenues par simulation, elles

l'ont été sur des expériences de biodégradation tout à fait indépendantes

des évolutions saisonnières. Aucun ajustement de paramètres n'a donc été

effectué sur les données à simuler, afin d'améliorer la modélisation.

Ce type de modèle bactérioplancton pourra dans la suite être utilisé

dans l'élaboration de modèles complets de l'écosystème permettant de

prévoir l'effet de différentes perturbations sur la qualité des eaux,

et ainsi permettre une gestion rationnelle de l'écosystème.

REMERCIEMENTS

L ' a u t e u r r e m e r c i e l e D r . G. BILLEN p o u r s e s c o n s e i l s l o r s d e l a r é ­d a c t i o n d e c e t a r t i c l e .

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