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MOHAMMEDþVI LE GRAND MALENTENDU 138668BBO_MOHAMMED_ MEP.fm Page 1 Mardi, 31. mars 2009 12:12 12

Mohammed Vi 2des

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  • MOHAMMEDVILE GRAND MALENTENDU

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  • ALI AMAR

    MOHAMMEDVILE GRAND MALENTENDU

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  • Calmann-Lvy, 2009

    ISBN 978-2-7021-4010-9

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  • Fadoua et Ghalia.

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    Qui connat vraiment MohammedVI? Lhritier deHassanII mont sur le trne du royaume chrifien il y adj dix ans projette en Occident limage dun jeunemonarque moderne, modr et ouvert, qui souhaite plusque tout sortir son pays de la misre et lamarrer cetteEurope si proche. Son rgime est peru comme un modlede transition dans un monde arabe en dliquescence, olcrasante majorit des tats, monarchies et rpubliquesconfondues, sont soit cadenasss sous la frule de poten-tats, soit en proie une instabilit chronique. Pourtant,lillusion de ce royaume en mouvement est ne dunelgende bien tenace, entretenue par une communicationefficace mais trompeuse: le Printemps marocain na passubitement bourgeonn, comme on le croit trop souvent,au lendemain du 23juillet 1999, date de la disparition deHassanII.

    Au dbut des annes90, contraint par la pression delopinion publique internationale et par un nouvel ordremondial moins propice limpunit des dictateurs, Has-sanII tente dadoucir aux yeux de ses contempteurs la faceimplacable de son rgime en vidant ses cachots de tous ses

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    opposants. Il desserre prudemment son tau despotiquepour garantir, sans heurts, le passage de tmoin son fils.Le monarque, vieillissant mais fin stratge, appelle enbonne place au gouvernement ceux qui ont fourbi leursarmes contre lui durant quatre dcennies dinterminablescomplots. Longtemps attendue, larrive aux affaires dessocialistes, hritiers de Ben Barka, est synonyme dunegrande esprance. Lheure est loptimisme. Les voix selibrent, comme en tmoigne cette priode la floraison detitres avant-gardistes dans les kiosques du royaume.

    N au soir du rgne de HassanII, Le Journal a t lepremier dentre eux. Cet hebdomadaire au ton iconoclaste,dont jai t le cofondateur avec le journaliste AboubakrJama1 aujourdhui contraint lexil aux tats-Unis, a t lemarqueur incontestable de cette poque exaltante. Il estcoutume de dire que nous sommes les enfants de lalter-nance: le premier numro du Journal, paru en novembre1997, clbrait avec enthousiasme larrive au gouverne-ment des anciens opposants de HassanII. Persuads que lanouvelle re tait annonciatrice de dlivrance, de dmocra-tie et de renouveau, nous tions aussi considrs commelincarnation de cet enthousiasme, au point dtre assimils cette gnration prometteuse qui allait bientt prendre lepouvoir avec MohammedVI. Il faut plucher les archivesdu Journal pour percevoir le parfum de libert qui flottaitdans lair lorsque notre hebdomadaire rclamait tue-ttele dbarquement de Driss Basri, le tout-puissant vizir deHassanII, quil exigeait le retour dAbraham Serfaty, sonopposant emblmatique exil en France, quil exhumait de

    1. Lire son propos Jane Kramer, The Crusader. A Moroccan Jour-nalist Takes on The King, The New Yorker, 16octobre 2006.

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    son jardin secret les vieux dmons du pass en ouvrant sescolonnes aux enfants dOufkir le gnral flon, ouencore lorsquil enqutait sur la disparition toujours tabouede Mehdi Ben Barka, licne de la gauche. Cette libert deplume navait jamais souffert sous HassanII des foudresdu Palais. Au contraire, le roi dfunt avait confi, contretoute attente, ses conseillers quelque peu inquiets quectait justement de cette presse dont il rvait pour sonhritier.

    Avec MohammedVI, malgr des changes assidus avecson entourage, les relations allaient vite se dgrader. Le jeunemonarque, optant pour le changement dans la conti-nuit, allait sceller le divorce avec ce Journal impertinentet impatient. Non dispos courber lchine devant unpouvoir arc-bout sur ses lignes rouges ces fameuxinterdits qui ont trait sa gouvernance , lislam dont il tiresa lgitimit, son appareil scuritaire et la sacro-sainteaffaire du Sahara occidental, Le Journal verra sa lune demiel avec le rgime se transformer en opposition ouverte.crire le roi plutt que Sa Majest, dnoncer sadiplomatie au lieu de chanter les louanges de la maroca-nit des provinces du Sud, sopposer la prdation co-nomique du Palais, devait convaincre que Le Journal tait lvidence irrcuprable. chauds par tant dirrvrences,les imprimeurs du royaume se dfilrent. Quimporte, LeJournal trouva un diteur en France grce au soutien deSerge July, le patron de Libration, et de Philippe Thureau-Dangin, celui du Courrier international. Un entretien avecle chef du Polisario, le mouvement qui rclame lindpen-dance du Sahara occidental, lui vaudra dtre saisi. La rac-tion du Journal sera cinglante: sinspirant de la pressenationaliste qui luttait contre le joug du Protectorat

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    franais, il sort avec des pages blanches, ridiculisant ainsidavantage ses censeurs. Son dossier explosif sur lesaccointances de la gauche avec les putschistes desannes70 lui valut une interdiction dfinitive. Il faudraune grve de la faim dAboubakr Jama pour que le titrerapparaisse sous un autre nom. Le Journal cde sa placeau Journal hebdomadaire. Dun titre lautre, le tondemeure. Le retour la torture est dnonc, les dpensessomptuaires du roi rvles, le reniement des socialistesrcuprs point du doigt.

    Nous avons ainsi t le miroir critique de cette Gn-rationM6 qui dirige aujourdhui le pays, car, si ces dixdernires annes ont t marques par lesprance dunchangement de rgime, elles lont t surtout par autant dedceptions. Ni lalternance politique, ni larrive deMohammedVI sur le trne nont en ralit ouvert la voie la dmocratie. Dix ans, cest long. Ltat de grce na pluslieu dtre. Lide dune nouvelle re, dont se prvautencore le rgime, est de ce fait largement dpasse et doncinjustifie. Sous le vernis dun Maroc si proche de lEuropeet de la France en particulier, paradis pour expatris etvacanciers en mal dexotisme moins de trois heures de volde Paris, se cache en fait un rgime archaque, engoncdans les pesanteurs de son apparat et de son faste. Unrgime qui, depuis lintronisation de MohammedVI en1999, a peaufin sa devanture, mais prserv sa nature pro-fonde avec cette capacit extraordinaire de sassurerlindulgence du monde.

    De la transition dmocratique attendue, il ny eut quepeu de choses. Les intentions de MohammedVI sem-blaient pourtant se confirmer avec lavance des rformesque son pre avait inities. Les derniers prisonniers poli-

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    tiques de HassanII ont t librs, des victimes des annesde rpression ddommages financirement et une loiamliorant quelque peu les droits de la femme a t pro-mulgue. Bien sr, des ralisations en termes dinfrastruc-tures sont en cours, des autoroutes ont t bties, le Marocrural lgrement dsenclav, des ples urbains moderniss.Assez pour que lon croie quun bon prince a remplac undespote. Assez aussi pour quun grand malentendu sins-talle. Pour tous, MohammedVI entendait tre ce roi desdmunis, plus proche des aspirations de son peuple etplus tolrant envers sa soif de libert. Les mdias occiden-taux, avides de jeunesse, de dynamisme et douverture,captent et relayent son image de roi moderne siconforme lair du temps libral, relguant celle, rpul-sive, dun HassanII us et malade aprs trente-huit ans dergne sans partage. MohammedVI jouit encore dunepopularit certaine, lui qui semblait vouloir en finir avecles pratiques fodales de la monarchie, faites de rpres-sion, de rancunes durables et de terribles vengeancesenvers ses opposants, toujours justifies par limprieuseconsolidation du Trne et de lunit du royaume. Maislengouement mdiatique pour MohammedVI a faitoublier que le pouvoir traditionnel du sultan dans ce quila de plus arbitraire est maintenu. Le formidable avantagede sa virginit politique ainsi, dailleurs, quun paysagepolitique apais par lintgration au moins relative de laplupart des forces dopposition lui ont facilit la tchepour sengager dans la voie de la dmocratie, mais il achoisi a contrario une monarchie excutive o ses pou-voirs, trs tendus, sont paradoxalement plus importantsque ceux de son pre. L o HassanII avait une opposi-tion historique, parfois violente et rvolutionnaire,

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    MohammedVI a un champ politique lamin et en dsh-rence, servant dinstrument dintgration des lites domes-tiques. Rsultat, le Maroc est pass dune monarchieabsolue, rpressive et brutale, une monarchie institution-nalise qui dirige le pays partir dun Palais au pouvoirpolitique et conomique hypertrophi reposant sur cetternel makhzen, un pouvoir fond sur les fodalitslocales et les clientlismes.

    Seul le roi est mme de fixer les limites de son pou-voir. Le Parlement est transform en caisse de rsonancedes volonts royales et le gouvernement, dot de comp-tences techniques mais dont les prrogatives sont effeuilles,est rduit excuter les orientations politiques dcrtespar le monarque et son entourage. Abbas ElFassi, lactuelPremier ministre, donnera le ton sur sa manire de voir etde faire la politique: Sa Majest ma prodigu desconseils et des orientations que je respecterai la lettre,dira-t-il au lendemain de sa nomination en 2007, se plaantde facto comme un simple excutant des consignes dumonarque, aux antipodes du rle quil est cens tenir. Uneillustration parfaite dune politique qui ne sexprime quedans lombre du roi. Dailleurs, MohammedVI na de cessede rappeler dans ses discours quil existe un particularismemarocain sur lequel les valeurs universelles de la dmocra-tie ne peuvent tre totalement transposes. Il perptue ainsiune tradition autoritaire marque par des liens de courtisa-nerie personnaliss, claniques ou tribaux au sein dunepopulation majoritairement trs pauvre et analphabte. Dece fait, les Marocains demeurent infantiliss en droit par unpouvoir de nature traditionnelle, charismatique et reli-gieuse, confort par un apparat extravagant et un culte dela personnalit pouss lextrme. Lintrt suprme de la

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    nation est brandi chaque secousse provoque par desmouvements sociaux, radicaux ou dmocrates, qui menace-raient selon lui son existence, rduisant ainsi le champdexpression et des liberts publiques.

    Le tour de vis scuritaire qua connu le Maroc aprs lesattentats islamistes de mai2003 Casablanca a dbouchsur un rtrcissement du dbat public. La presse indpen-dante en a dailleurs pay le prix fort, le Journal en a t sisouvent la victime. Si la socit civile ose toujours remettreen question les pouvoirs du roi et les drives du makhzen,MohammedVI se garde le privilge duser dinterditsquand il le veut, au gr des alas de la conjoncture, faisantrfrence son statut sacr de Commandeur des croyantsou aux ennemis extrieurs, qui, affirme-t-il, guettent lamoindre faiblesse de son trne et du modle de socitquil veut dfendre sans pour autant le dfinir.

    Ce ne sont pas les lois liberticides qui manquent poursanctionner les dtracteurs de la Couronne. Au Maroc, nesont tolres que les oppositions cooptes par le rgimelui-mme, celles qui acceptent les rgles du jeu et quirenoncent contester les choix du Palais. Les oppositionsdissidentes, celles qui appellent un rquilibrage du pou-voir en rfrence par exemple une monarchie lespa-gnole, sont le plus souvent confines dans lillgalit ou lamarginalit. Si le Trne peut se satisfaire dtre vraimentseul aux commandes du pays, il est ce faisant bien solitairedans larne. Sans autre force crdible et organise, il netrouve face lui quune majorit silencieuse, mi-rsigne,mi-rvolte. chaque scrutin, la dsertion des urnes est lpour le confirmer. MohammedVI pourra-t-il encore long-temps se targuer davances dmocratiques tout en conser-vant ses pouvoirs absolus?

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    Dix ans aprs son intronisation, le changement se faittoujours attendre, moins quil ne soit apport dans lechaos, car les esprances dues saccumulent. La monar-chie, pour sa survie, et malgr sa popularit, devra se rfor-mer en clarifiant sa relation constitutionnelle et juridiqueavec ltat, le gouvernement et la socit. Sa seule promesseest maintenant linconnu. En attendant, la transition dmo-cratique se meurt dans les arcanes dun Palais rtif toutemutation. Ce livre raconte comment, malgr lespoir, on enest arriv l, et pourquoi le risque dune crise majeure nestdsormais pas exclu. Lillusion de la nouvelle re estaujourdhui dissipe.

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    Dans son petit bureau vitr du Monde, alors que le quo-tidien parisien est encore situ en bas de la rue Claude-Ber-nard, Edwy Plenel, le directeur de la rdaction de lpoque,nous reoit, Aboubakr Jama, alors directeur du Journal,Fadel Iraki, son actionnaire principal, et moi-mme en cejour humide doctobre2000. Cest la premire fois quil nousaccueille tous les trois ensemble. Dautres rencontres pourvoquer ce nouveau Maroc auront lieu au cours desannes suivantes. Depuis que nous lavons fond en automne1997, Le Journal, un hebdomadaire iconoclaste lpoque,tait rput pour donner chaque semaine des sueurs froidesau rgime alaouite. Mais le Printemps marocain qui la vunatre sest termin trs rapidement sous les giboules de lacensure et des interdictions rptition. En effet, Le Journal,qui avait dj t saisi en avril20001, devait bientt tre dfi-nitivement interdit par dcret du Premier ministre socialisteAbderrahmane Youssoufi2 pour avoir rvl limplication de

    1. Lire ce sujet le chapitre10, Les gardiens du temple.2. Le 25novembre 2000, Le Journal publie une lettre confidentielle

    adresse en 1974 par Mohamed Fqih Basri, un leader de lopposition en

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    la gauche dans la tentative de rgicide contre HassanIImene par le gnral Oufkir en 1972 celui-l mme qui estsouponn davoir fait disparatre en 1965, en plein cur deParis, Mehdi Ben Barka, le leader marocain de lInternatio-nale socialiste. Ce nest quaprs une bataille pique et unemobilisation extraordinaire ltranger que Le Journal a pureparatre sous un nouveau titre: Le Journal hebdomadaire.

    La discussion avec Plenel se focalise rapidement surMohammedVI. Plenel est du. Il estime navoir pas suprdire lorage, lui qui comme dautres journalistes fran-ais avait salu larrive sur le trne chrifien dun jeuneroi, courtois et si moderne. Vous avez t plus pertinentsque moi pour comprendre que HassanII avait initi lechangement et que ce nest pas forcment un acquis avecMohammedVI, reconnatra Plenel. Il raconte quil avaitmme press Andr Azoulay, le conseiller conomique deHassanII demeur en poste par la grce de son immensecarnet dadresses, dtre le premier publier une interviewdu roi.

    Ny pensez pas, Edwy, ce jeune homme est ingnu1,lui avait rpondu le conseiller. Il faut dire que contraire-ment HassanII, pour qui justement cet exercice tait unvritable pch mignon, MohammedVI parle peu auxmdias. Il avait accord en juin2000 son premier entretien

    1. Entretien avec lauteur, octobre 2000. Plenel rptera une autrefois cette anecdote lors dune seconde rencontre en 2003 en des termesplus crus.

    exil, Abderrahmane Youssoufi, rvlant limplication de la gauche dansla tentative de coup dtat militaire contre HassanII en 1972. Youssoufi,Premier ministre depuis 1998, interdit dfinitivement Le Journal, recou-rant un article de loi qui avait servi dans les annes70 censurer lespublications de son propre parti.

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    au magazine amricain Time1 en marge de sa premirevisite officielle aux tats-Unis. Il avait alors t dpeint sousles traits dun roi cool, passionn de grosses cylindres,de sport et surtout trs soucieux de ne pas bousculer lestraditions sculaires de sa dynastie. Mon pre avait lhabi-tude de dire: Tu auras prendre des dcisions qui neferont plaisir ni toi ni aux gens. Mais ce sera pour le biendu pays2, affirma-t-il.

    Deuxime et fils an dune fratrie de cinq enfants, SidiMohammed est n le 21aot 1963. Toute son ducationna eu quun seul but: le prparer rgner. Un apprentis-sage souvent douloureux avec un HassanII qui nadmettaitni cart ni contestation. Il na que trois ans lorsque lemonarque lemmne pour la premire fois en voyage offi-ciel aux tats-Unis, six ans lorsquon lui fait lire, locca-sion dune crmonie officielle, son premier discours. Ilnest quun enfant lorsquil reprsente son pre aux obsquesde Georges Pompidou en 1974, aux cts de Michel Jobert,sous la nef de la cathdrale Notre-Dame de Paris. HassanIIsurveille personnellement linstruction de lhritier duTrne. Son ducation politique et religieuse est rglecomme du papier musique par une nue de prcepteurs.Une tche conue comme un sacerdoce pour lavenir de lamonarchie.

    Alors quil na que 22ans, le 19septembre 1985, lejeune Sidi Mohammed roule tombeau ouvert en directiondun complexe touristique quil doit inaugurer. Il est seulau volant de sa Mercedes 190, et il est trs en retard. Dans

    1. Scott McLeod, The King of Cool, Time, 20juin 2000.2. Interview au Time, 20juin 2000.

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    un virage, sa voiture drape, heurte un pylne lectrique etverse dans une ravine. Le prince sen sort avec une paulecasse. Certaines sources affirmeront quil venait dapprendredes secrets dalcve du Palais et quil en tait boulevers.Chez nous, dans la socit marocaine, Freud, nous neconnaissons pas. On manipule ses enfants directement,mme si a fait mal une jointure. [] Je voyais vingtannes dducation, de formation compltement anan-ties, dira quelques annes plus tard HassanII au Figaro1

    pour commenter laccident qui avait failli changer le coursde la monarchie. Expliquez-lui quil est le futur roi, quilne sappartient pas et na pas le droit de mettre sa vie endanger, dira HassanII Michel Jobert2. Le roi fera alorsretirer son permis de conduire son fils et annoncer parbulletin de presse officiel sa mise en quarantaine. lpoque, ce traitement svre interdisait MohammedVIde sexprimer publiquement sur les affaires de ltat, ou surquoi que ce soit, dailleurs. Ses rares discours, assez abs-cons, taient rdigs par les collaborateurs du roi, souventpar Andr Azoulay. Il apprenait son mtier en silence, rece-vait le fouet chaque incartade, et vivait reclus au Palais3

    avec ses quelques condisciples tris sur le volet, ceux-lmmes qui allaient ds son intronisation constituer larma-ture de son cabinet. Il suffit dans ce domaine que je luiinculque deux choses importantes. tre patriote jusquau

    1. Cit par Dominique Lagarde, MohammedVI lev pourrgner, LExpress, 29juillet 1999.

    2. Mireille Duteil, Maroc, la voie royale du prince hriter, LePoint, 4 mai 1996.

    3. Dans son livre Le Dernier Roi, crpuscule dune dynastie, Grasset,2001, Jean-Pierre Tuquoi dcrit dans le dtail la rudesse de lducationde MohammedVI, alors prince hritier. Lire aussi Ignace Dalle, LesTrois Rois, Paris, Fayard, 2004.

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    sacrifice suprme et tenir le coup, quoi quil arrive1. Daprsson cousin Moulay Hicham, HassanII avait oblig le jeuneprince hritier alors g de 8ans assister lexcution desofficiers putschistes de 1971. Cest ainsi que HassanII justi-fiera son rigorisme lgard de son fils.

    Aujourdhui encore, MohammedVI aime chapper ses gardes du corps, seul au volant de ses bolides. Les Casa-blancais le croisent souvent sur la corniche et retiennentquil sarrte aux feux rouges. Cest sans doute lune de sesrares parcelles de libert dans une vie par ailleurs ordonnepar un protocole pesant.

    Cest donc dans lombre de son pre que Moham-medVI fera ses premiers pas de roi. Dix ans plus tard, ilne sen dpartit que par le style. Sil sest un peu assagidepuis son accession au trne en 1999, fonction oblige,MohammedVI a gard le mode de vie du temps o il taitprince hritier. Il ne rside pas au palais royal de Rabat,mais dans sa rsidence prive, avec sa femme, Lalla Salma,quil est le premier souverain alaouite prsenter publi-quement ses sujets, et ses deux enfants, Moulay Hassan,6ans, et Lalla Khadija, 2ans et demi. Ds quil peutchapper ses obligations royales, MohammedVIretrouve ses loisirs dadolescent. Il nhsite pas safficheravec ses idoles, comme Johnny Hallyday Paris ou le rap-peur Jay-Z New York, continue frquenter quand il lepeut les botes de nuit la mode dans les principales capi-tales europennes ou fraye avec les stars du show-biz enmarge du Festival du cinma de Marrakech. Au dbut deson rgne, Le Canard enchan avait rapport que, inco-

    1. Dominique Lagarde, MohammedVI, lev pour rgner,LExpress, 29juillet 1999.

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    gnito, il navait pas pu entrer au Queen, sa discothqueftiche des Champs-lyses1.

    MohammedVI reste toutefois une nigme pour la plu-part de ses sujets il na donn aucune interview la pressemarocaine en dix ans, sauf lorsquil a consenti une sancephotos deux magazines fminins en mars2007 loccasionde la naissance de son deuxime enfant, la princesse LallaKhadija. Il sest pourtant quelque peu dfait de cette imagede garon vulnrable, frle et meurtri par une ducationautoritaire dont il nchappait qu loccasion de rares esca-pades ltranger en compagnie de son frre cadet MoulayRachid et de sa sur ane, Lalla Meryem, avec laquelle ilgarde des liens troits. Au Maroc, on me connat parfaite-ment. Les Marocains connaissent mon caractre et mesides, ils savent absolument tout de moi. Cette notion demystre est entretenue par une certaine presse: pour vendre,il faut mettre une tiquette. On ma donc coll une ti-quette, celle du mystre, simplement parce que jai dcidque, avant de parler, jattendrais de mieux savoir. Alorscette attitude a peut-tre surpris, du ceux qui attendaientou souhaitaient une dmarche plus mdiatique. De toutefaon, je ne suis pas candidat au hit-parade, dira-t-il2.

    Roi nomade, sans attaches vritables, qui fait de seslieux de villgiature sa capitale dun jour, pour les uns;funambule qui jongle entre traditions austres et image demodernit en faade, pour les autres, MohammedVI par-court son royaume longueur danne, de palais en palais.Le trne des Alaouites est sur les selles de leurs chevaux3,

    1. Le Canard enchan, 6avril 2000. Ce numro qui comportait unecaricature de MohammedVI a t censur au Maroc.

    2. Interview au Figaro, Charles Lambroschini, 4septembre 2001.3. Interview Paris Match, 13mai 2004.

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    commente-t-il lorsquil est interrog sur ses dplacements,en reprenant des propos de HassanII. Je nai ni horaires,ni jour de repos fixe, encore moins de vacances planifieslongtemps lavance, cest l dailleurs le propre du mtierde roi1. La presse internationale ne voit en lui que ce roiinquiet de la situation des orphelins, des handicaps mis-reux, qui plante sa tente richement dcore comme unBdouin au milieu des sinistrs du terrible sisme qui afrapp la rgion dAl-Hoceima en fvrier2004, qui multi-plie les associations caritatives pour aider les dmunis, quipousse son gouvernement mettre en branle une politiqueaxe sur le social, pour dsenclaver des villages de lAtlaso de pauvres bergers meurent de froid chaque hiver, quilibre la femme du joug des traditions et qui embrasse lamre dun opposant disparu durant les annes de plomb2.Cest un roi de gauche, aprs tout, Paris nous avonsbien un prsident de droite3, avait dit de lui un ancienministre du gouvernement Jospin.

    Mais cest ce mythe du bon roi vagabond, affair sortirson pays de la misre qui disparat peu peu lorsquongratte le vernis de ses techniques de marketing bien huiles.On ne compte plus ses accs de colre envers ses collabora-teurs les plus proches, rapports par la presse sans quilssoient dmentis, et qui contribuent lui faonner une imagede sultan caractriel et lunatique. Dabord, lencontre deFouad Ali El Himma, rput pour tre son confident le plusloyal et dont la proximit avec le roi a fait de lui lhomme leplus courtis du pays. Lorsque MohammedVI apprend en

    1. Idem.2. Voir le chapitre2, Trs riche roi des pauvres.3. Didier Hassoux, Le petit roi qui monte, La Croix, 7dcembre

    1999.

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    juin2005 que des poursuites judiciaires ont t engagescontre Nadia Yassine, lgrie des islamistes radicaux dumouvement Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance), pouratteinte aux institutions sacres, aprs quelle a dclarpubliquement son penchant pour un rgime rpublicain, ilconvoque El Himma et le prend violemment partie.Alors, tu veux la jeter en prison? Est-ce que tu mesures lesrisques que tu me fais prendre1? lui lance-t-il avant de lebousculer. En novembre de la mme anne, cest au tour deson secrtaire particulier de subir ses foudres bord dunavion qui les ramenait dun voyage ltranger. Moham-medVI lui reprochait sa gestion approximative de ses affairesfinancires prives. Abdelhak Mrini, le chef du protocoleroyal, en a lui aussi fait les frais: Tunis en dcembre2003,au sommet euromaghrbin, parce quil a fait manquer auroi le dner douverture, ou encore lanne suivante lorsquilla tenu pour responsable des liberts prises par la pressequi se gaussait des gots de son pouse, la princesse LallaSalma, en matire de gastronomie. En juin2006, MohamedMotassim, un de ses conseillers en charge notamment dudlicat dossier du Sahara occidental, a t si svrementrprimand quil aurait, selon certains, t repch in extre-mis de sa piscine aprs avoir ingurgit une bonne dose debarbituriques. Il a t suivi de prs pour dgradation svrede son tat psychologique aprs un sjour de convalescence lhtel Crillon Paris2. La liste des brimades et des mises

    1. Taieb Chadi, Hicham Houdafa, Les colres du roi, Le Journalhebdomadaire, 22novembre 2008.

    2. Idem. De nombreux titres de presse marocains et trangers ontrelat par ailleurs cet incident ainsi que le suivi psychologique duconseiller auprs dun mdecin traitant de Rabat. Lire notammentlarticle dAli Lmrabet dans El Mundo du 18juillet 2006.

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    au placard de ceux qui ont eu le malheur de dplaire au roicontinue de sallonger, alimentant les potins des gazettes.Des hauts fonctionnaires muts manu militari dans desrgions recules du royaume pour des manquements dri-soires, des limogeages avec fracas dans les rangs de la scu-rit personnelle du roi pour un tlphone portable quisonne dans lenceinte du palais ou encore des destitutionsexpress de dignitaires aprs des visites impromptues dansleurs administrations. En 2005, MohammedVI avait notam-ment piqu une colre noire en dcouvrant linsalubritdun orphelinat de Casablanca ou lorsquil avait constatque la construction dimmeubles avait t autorise proxi-mit de lun de ses palais de Marrakech. On est bien loin dela gouvernance institutionnelle dont MohammedVI voulaitfaire sa marque de fabrique pour couper avec larbitraire deson pre. Pourtant, sitt intronis, il avait beaucoup insistsur un nouveau concept dautorit1 en rupture aveccelui, brutal, de HassanII. Au-del de ces sautes dhumeur,ranon payer pour ses courtisans, MohammedVI perp-tue un aspect fondamental de lautorit lgue par son pre.Sa colre est consubstantielle la notion trs marocaine dela Hiba, cette aura perceptible qui entoure les souve-rains alaouites, inspirant leur entourage direct et au peuple la fois crainte rvrencieuse et idoltrie. Jusque dans lesplus petits dtails du protocole, le culte de la personnalitest pouss son paroxysme pour imposer, prserver etentretenir la sacralit du pouvoir divin du descendant duProphte. Le roi, Dieu sur terre, doit tre redout etadmir. Lhistorien Mohammed Ennaji, dans son ouvrage

    1. Cette expression a t galvaude par les ministres de lIntrieur quise sont succd aprs Driss Basri, puissant vizir de HassanII, pour mar-quer leur rupture avec les pratiques scuritaires du pass.

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    Le Sujet et le Mamelouk1, dtricote ce lien de servitude travers les ges, dcrypte la persistance jusqu nos jours deces formes moyengeuses dexercice du pouvoir. Si ce lienest rompu, plus aucun contrle nest possible sur le peuple,pensent les dfenseurs de cette constante monarchique. Purfantasme. Il sagit en ralit dune invention assez rcentedans une histoire du Maroc maille de rbellions tribalescontre le pouvoir central personnifi par un sultan quinexerait de contrle rel que sur ses quelques citsimpriales. La fable clbre selon laquelle le visage deMohammedV, figure tutlaire de la nation et grand-prede MohammedVI qui celui-ci sidentifierait davantagequ HassanII, tait apparu sur la face de la lune desmillions de Marocains alors quil tait exil par les Fran-ais, a en fait t faonne par simple calcul politiquepar les nationalistes du parti de lIstiqlal. Elle a t incul-que avec ferveur, une population majoritairementanalphabte, par une propagande habile et massive2.

    Un demi-sicle de matraquage ininterrompu, relaysous HassanII par un faste oriental ingal chaquecommmoration de la fte du Trne, pour ne citer quecette crmonie annuelle, a laiss des traces dans lammoire de tout un peuple, mais aussi et surtout dans lecomportement totalitaire du rgime. Un sondage ralis parun hebdomadaire marocain pour lire lhomme de

    1. Mohammed Ennaji, Le Sujet et le Mamelouk, esclavage, pouvoir etreligion dans le monde arabe, prface de Rgis Debray, Paris, Mille etUne Nuits, 2007.

    2. La figure du saint Ben Youssef, surnom du sultan lpoque,pour reprendre lexpression de lanthropologue amricain CliffordGeertz, a pris un essor considrable. Voir ce sujet larticle dAhmedR.Benchemsi, Grande enqute, le culte de la personnalit, www.tel-quel-online.com.

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    lanne 20051, plaant le roi MohammedVI en deuximeposition, a fait lobjet des critiques les plus acerbes dequelques personnalits proches du pouvoir elles-mmessondes. Ce sondage avait donn en tte Driss Benzekri,prsident de lInstance quit et Rconciliation (IER) encharge dindemniser les victimes de lre HassanII. Le roidu Maroc est le garant des institutions et des liberts dansle pays, et par consquent il ne peut tre en concurrenceavec quiconque, avait dclar le conseiller du roi AndrAzoulay au journal panarabe Asharq Al-Awsat. Oubliercette donne [] constitue une ngation du moindre bonsens politique2, avait-il mme ajout. Il y a au Maroc unbesoin urgent dune loi qui organise les sondages, avait ren-chri de son ct Sad El Alami, ministre des Relationsavec le Parlement. Le roi du Maroc ne devait nullementtre impliqu dans la concurrence pour le titre dhomme delanne. Le porte-parole du gouvernement et ministre dela Communication Nabil Benabdallah estimait quant luique ce prsum sondage [tait] une vritable mprise etavait visiblement comme objectif la mauvaise foi et lavolont de nuire3.

    Cest cependant la msaventure rocambolesque deFouad Mourtada, un jeune informaticien de 26ans, quiillustre le mieux la folie ubuesque et ractionnaire durgime de MohammedVI. Mourtada a t jet en prison enfvrier2008 pour avoir usurp sur le site communautaireFacebook lidentit du frre cadet du roi. Une farcestupide. La raction a t immdiate et sans appel: le jeune

    1. Sondage ralis auprs de 100 personnalits marocaines par lheb-domadaire Al-Jarida Al-Oukhra en janvier2006.

    2. Maghreb Arabe Presse, 2janvier 2006.3. Maghreb Arabe Presse, 2janvier 2006.

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    homme est kidnapp en pleine rue par des policiers encivil. Les yeux bands, il est mis au secret pendant trente-six heures, violent, terroris et pour finir condamn pouratteinte la sacralit dun membre de la famille royale. Untraitement aussi barbare quest virtuel le dlit, qui ne por-tait pas consquence, sauf alerter la plante Internet ausujet de la cybercensure au Maroc. Mourtada na t gracipar le roi qu la faveur dune campagne de protestationinternationale. Mais, au Maroc, on ne badine pas avec laCouronne, lhumour sarrtant souvent aux marches duPalais, mme sil en cote son image de sanctuaire de latolrance en terre dislam. Le site de partage de vidosYoutube, trs en vogue chez les jeunes, a ainsi t myst-rieusement bloqu en mai2007 par Maroc Telecom, filialede Vivendi, lorsque des pastiches dlirants mettant enscne la Cour y avaient t posts en masse. Des affairescomme celles-ci sont lgion et aboutissent parfois dessituations dramatiques: Mohamed Bougrine, septuag-naire, ancien de la Main noire, une organisation de rsis-tance contre le Protectorat franais, fondateur lIndpendance du parti socialiste et de son syndicat, icnehistorique pour la nouvelle gnration des militants desdroits de lhomme, sera jet en prison aprs avoir soutenudes manifestants du 1ermai 2007 qui avaient scand, selonla police, des slogans antimonarchistes. Dj, en 2003,Boujema Ouardi, commerant ambulant de la petite villede Tata, avait t condamn un an de prison pouroutrage au roi. La cause? Il a dchir, dans un momentde colre, un calendrier dit par une princesse royale quedeux fonctionnaires lavaient contraint acheter pourlquivalent de deux euros. Au cours des seuls six derniersmois de 2008, un blogueur a t condamn deux ans de

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    prison pour avoir crit sur Internet que le roi encouragela paresse, la fainantise, et quil entretient lconomie derente; un lycen a cop de dix-huit mois de prison pouravoir crit sur le tableau de sa classe la devise du royaumechrifien, Dieu, Patrie, Roi, en remplaant le mot roipar Bara, en rfrence au FC Barcelone, son club defootball favori; un vieillard de 90ans qui pestait contre unagent de police a t incrimin pour avoir tenu des proposinsultants envers MohammedVI: il a t incarcr dansune cellule exigu et est mort peu aprs.

    Des cas de rpression aveugle au nom de Sa Majestont abouti bien dautres drames ces dernires annes. Devritables expditions punitives ont t rgulirement menescontre des tudiants de luniversit Cadi Ayad de Marrakechaccuss de fomenter des meutes scessionnistes contre leTrne. Bilan en mai2008: un lve paralys vie aprsavoir t dfenestr de son dortoir et une jeune fille tombedans le coma aprs avoir t dshabille et laisse nue danssa cellule pendant plusieurs jours. Lhistoire des tortursdu nouveau rgne1, du nom dun groupe de fonctionnairesdes palais royaux qui ont subi les pires svices de la part dela scurit spciale du roi, a choqu lopinion publique. Ilsont t accuss en octobre2005 davoir chapard de lavaisselle en argent et en cristal appartenant au monarque.Un des employs du palais a pri durant sa dtention dansdes circonstances jamais lucides. Fadel Iraki, propritairede la socit ditrice du Journal hebdomadaire et collection-neur dart reconnu au Maroc, avait t inquit dans cetteaffaire, parce quil dtenait des objets de valeur provenant

    1. Expression donne cette affaire par Le Journal hebdomadaire enoctobre2006 et souvent reprise lpoque par la presse indpendantelors du procs des employs du palais.

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    de ces vols, linstar dautres amateurs. Seul son nom avaitt communiqu la presse, alors que lenqute de policeavait statu sur son innocence dans ce trafic. Il sagissait lvidence dune manuvre pour dcrdibiliser Iraki cause de ses liens avec Le Journal hebdomadaire. Pour lapetite histoire, quelque temps avant le dclenchement decette affaire, le prince Moulay Hicham, invit dner chezlui, lui avait dit avec malice quun jour le pouvoir lui feraitpayer son engagement politique parce quil servait boire ses convives dans des verres de cristal de Bohme estam-pills du sigle royal de HassanII1. Des techniciens delaroport de Casablanca ont t squestrs et torturs pen-dant des jours dans un hangar aprs le sabotage dun desavions de la Royal Air Maroc en fvrier2006, suite unlong mouvement de grve Dans certaines de ces affaires,les tmoignages voquent des techniques similaires cellesqui furent utilises par la police secrte de HassanII pourfaire plier ses opposants, comme ltouffement laide dunchiffon imbib de produits nettoyants ou du tristementclbre supplice de la bouteille, dont le goulot est introduitdans lanus des torturs. Des affaires trop peu rapportespar la presse internationale qui prfre ne voir que la facela plus amne de ce rgime, en comparaison des autres dic-tatures arabes, encore plus brutales et plus sanguinaires.Un incident inquitant illustre la fodalit sans nom durgime. Au soir du 9septembre 2008, Hassan Yacoubi,poux de la princesse Lalla Acha et oncle de Moham-medVI, a tir bout portant et balle relle sur un agentde la circulation, en plein centre de Casablanca. Lagentavait voulu verbaliser le membre de la famille royale pour

    1. Lauteur tait prsent ce dner au printemps 2005.

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    avoir grill un feu rouge. lvidence, le gardien de la paixne savait pas qui il avait affaire. Tu nes quun insecte ettu oses me demander mes papiers, avait attaqu dembleYacoubi avant de plonger sa main dans la bote gants deson 44 rutilant et den sortir son revolver pour faire feu.Lagent a t rapidement vacu par ambulance tandis queYacoubi, retranch dans son vhicule, a t extrait de lafoule indigne par le prfet de la ville venu la rescousse1.Trois heures aprs lincident, la trs officielle agenceMaghreb Arabe Presse (MAP) a racont les faits samanire sans prciser lidentit de lillustre agresseur, quiselon elle souffre depuis des annes de la maladie de Kor-sakoff qui provoque une grave dgnrescence mentale.Lhomme avait, toujours selon la MAP, suivi des traite-ments psychiatriques depuis cinq ans []. Depuis 1995, ilavait un permis de port darme qui lui a t immdiatementretir. La presse, intrigue par les effets de cette maladiequi ne provoque gnralement pas dagressivit, a menlenqute. En ralit, ce subterfuge a permis au roi dviterquun membre de sa famille ne soit tran en justice. Lavictime elle-mme a dit de son lit dhpital que ctait ladministration de la police nationale de statuer2.Aucune poursuite ne sera dcide.

    Les mdias indpendants qui enqutent sur ces affaireset sur les autres travers du rgime sont mis rude preuve.Jai de la sympathie pour cette profession laquelle Je nesuis pas indiffrent, loin de l, et dont Je me sens pluttproche et ami3, avait pourtant dit MohammedVI. Lebilan de cette dernire dcennie dment pourtant ses pro-

    1. Le Journal hebdomadaire, 13septembre 2008.2. Ibid.3. Interview au quotidien panarabe Asharq Al-Awsat, 23juillet 2001.

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    pos. La longue litanie des condamnations, saisies, interdic-tions et amendes est l pour le confirmer. Le Maroc avaitdonn limpression de vouloir rformer un code de lapresse archaque avec ses lignes rouges ne pas fran-chir, tout en nhsitant pas emprisonner des journalisteset faire saisir leurs publications. Ce nouveau code de lapresse, adopt en mai2002, a t une dception pour lesdfenseurs des liberts. Les peines de prison sont mainte-nues pour dlits de presse, mme si les peines sont rduites(cinq ans de prison pour atteinte la dignit du roi,contre vingt ans prcdemment). La notion de diffama-tion a t largie la religion musulmane et lintgrit ter-ritoriale. Nouveaut, le pouvoir dinterdire (ou desuspendre) les journaux nest plus une prrogative adminis-trative, mais judiciaire. Cependant, en labsence dune jus-tice indpendante, cela ne change pas grand-chose dans lapratique. Le pouvoir de MohammedVI continue de jonglermaladroitement avec lenvie de prserver son image ltranger et la tentation de contrler les mdias, montrantles limites de sa capacit douverture dmocratique, pour-tant mille fois promise. Quelques cas emblmatiques suf-fisent illustrer les difficults qui se sont dresses sur lechemin des journalistes marocains tout au long des dixdernires annes: Ali Lmrabet, frapp en mai 2005 duneinterdiction dexercice de dix ans pour avoir mis endoute dans un reportage pour El Mundo que les rfugissahraouis dans les camps de Tindouf sont tous squestrspar le Polisario comme laffirment les autorits marocaines,et Aboubakr Jama, forc lexil en t 2007 aprs unamoncellement de poursuites iniques, de condamnations des peines de prison et damendes exorbitantes lissue desimulacres de procs et de coups bas de lappareil scuri-

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    taire, comme lorganisation dune fausse manifestationdevant les locaux du Journal en fvrier2006 afin de fairecroire lopinion publique quil avait publi les fameusescaricatures danoises du prophte Mahomet qui avaientembras le monde musulman. Autre exemple, en jan-vier2007, Nichane, la version arabophone du magazine TelQuel, a t interdite pour avoir publi des blagues populairesparmi les plus courantes, mais pas les plus corses, sur leroi et la religion, un tabou pour une monarchie qui serclame de lislam. Les signes de progrs dmocratiquesdu Maroc entre les dernires annes de HassanII et lavne-ment de MohammedVI, salus par certains gouvernementset mdias europens, se sont cet gard trs vite dissi-ps.En janvier2006, pourtant, lhebdomadaire allemandDer Spiegel1 qualifiait toujours le processus marocain dervolution tranquille et le royaume chrifien dengagdans un processus irrversible vers la consolidation duntat de droit. Un exemple darticles trop souvent lus etqui escamotent la ralit des faits. Les organisations dedfense de la libert de la presse se montrent, elles, bienplus sceptiques, affirmant que la situation de la presse auMaroc reste bien difficile. Reporters sans frontires(RSF) rappelle que la tendance scuritaire sest renfor-ce2, entranant de nombreuses inculpations de journa-listes. Daprs une enqute ralise en 2006 par lechercheur en communication Sad Mohamed, en colla-boration avec la Fondation allemande Friedrich-Ebert etle Syndicat national de la presse marocaine, huit jour-nalistes sur dix ne se sentent pas libres dcrire sur tous

    1. Carola Frentzen, Der Duft Von Mandarinen, Der Spiegel,mars2006.

    2. Reporters sans frontires, rapport annuel, 2006.

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    les sujets1. Les thmatiques dsignes par la professioncomme tant les plus difficiles traiter sont les affaires poli-tiques, notamment celles qui concernent le Palais, larme,lislam et le conflit du Sahara occidental. Dans ces condi-tions, sinterroge Sad Mohamed dans ce rapport, commentun dbat sur les affaires publiques peut-il avoir lieu si lesjournalistes ne peuvent pas critiquer les actions de certainespersonnalits publiques2? Le Maroc est une dmocratiede faade, comme la rcemment affirm le Comit pourla protection des journalistes amricain (CPJ)3, mme si lalibert de la presse y reprsente encore une exception parrapport la plupart des autres pays du monde arabe.

    1. Sad Mohamed, tude sur lautocensure au Maroc, Friedrich-Ebert SNPM, 2006.

    2. Ibid.3. Joel Campagna, Kamal Labidi, Ivan Karakashian, The Moroccan

    faade, Committee to Protect Journalists, 3juillet 2007.

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    Samedi 2novembre 2002 Marrakech. Cest le pic de lasaison pour laMecque du tourisme marocain aprs les longsmois daccalmie qui ont suivi le 11-Septembre, mais les hte-liers et les restaurateurs font grise mine. Sur ordre des auto-rits, comme laccoutume, tous les dbits de boissonsbaissent leur rideau aux musulmans: dans quelques jourscest ramadan. Un tunnel dun mois qui grve leur chiffredaffaires, surtout lorsque le calendrier de lHgire le fixe enautomne. Vers 21h30, pourtant, un jet de pierre du clbrepalace La Mamounia, dans la rue qui abrite Le Comptoir, unlounge-bar la mode, lambiance nest pas la pit. Derutilantes limousines escortes de motards, tous gyropharestournoyants, dversent dans un ballet incessant prs de 300convives aux portes de ce haut lieu de la vie nocturne mar-rakchie. Ce soir, la jet-set internationale est invite parP.Diddy, la star du rap amricain, qui a choisi le Marocpour souffler ses 33 bougies. Sont arrivs bord de deuxavions spcialement affrts de New York et de Paris par laRoyal Air Maroc: Naomi Campbell, Ivana Trump, TommyLee Jones, Joey Starr ou encore Grard Depardieu. De nom-breux artistes de la scne musicale new-yorkaise, dont les

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    chanteurs Usher ou Billy Crawford, ont galement fait ledplacement pour trois jours et trois nuits de libations lorientale. Cot de lanniversaire: un million de dollars,selon la trs people Page Six du New York Post et letablod anglais The Sun, qui affirmeront que la somme pourrgler la note sale provenait de la cassette personnelle deMohammedVI1. Linformation est relaye par toutes lesgazettes mondaines de la plante et devient vite incommo-dante pour le jeune roi, que lon voit la veille du mois sacrdistribuer lui-mme, grand renfort de propagande, lasoupe populaire aux ncessiteux du royaume. Lhumoristefranco-marocain Jamel Debbouze, ordonnateur de ces soi-res dignes des Mille et Une Nuits, est appel la rescousse.Il dira benotement quil a organis lui-mme ces festivits travers Kissman Events, la socit dvnementiel quil acre au Maroc cette occasion. Plus cocasse encore, sonagent Jean-Pierre Domboy affirmera quen ralit loprationna t possible que grce une conjonction de partenairescomme lOffice marocain du tourisme, la compagnie RoyalAir Maroc, de grands palaces de Marrakech, ainsi que lachane de supermarchs Marjane2. Une bien fortuiteconjonction de grandes entreprises publiques et de lenseignede grande distribution qui appartient un holding royal.

    Toujours est-il quofficiellement le roi MohammedVIna en aucun cas offert quoi que ce soit sinon, toujoursselon lagent de Jamel Debbouze, lutilisation dune quin-zaine de voitures avec chauffeurs, attachs au Palais.Lintention de Jamel, qui simplique de plus en plus dansla promotion de limage de son pays dorigine, tait de faire

    1. Cit par Stephanie Irvine, Partying with P.Diddy, BBC News,4novembre 2002.

    2. TlPoche, 6dcembre 2002.

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    dcouvrir P.Diddy et ses amis amricains la beaut duMaroc, le sens de lhospitalit et de la fte de ses habitantset surtout de leur montrer quun pays musulman pouvaittre tout fait frquentable1.

    En ralit, le rtropdalage de Debbouze cache mal lagne du Palais qui sefforce, depuis laccession de Moham-medVI au trne en 1999, de faonner au souverain uneimage de roi des pauvres en rupture avec la magnifi-cence mdivale de HassanII. Des photos de paparazziparues dans la presse, qui le montraient, alors prince hri-tier, en jean et baskets, un paquet de Marlboro la main,faisant ses emplettes dans les beaux quartiers de Paris,avaient dj valu sa garde rapproche de svres remon-trances. Les dbuts de son rgne semblaient pourtantconfirmer cette volont du jeune roi de vivre au diapasonde son peuple: plus modestement. Il avait demand unaudit des dpenses de sa cour, rform la gestion de soncabinet, fait la chasse aux emplois fictifs dans ses palais etchoisi de vivre dans sa rsidence de prince hritier et nondans limmense palais de son pre. Termins, les voyagessomptueux du roi du Maroc ltranger, les centaines decourtisans qui laccompagnaient dans ses moindres dpla-cements; abandonnes, les razzias dans les boutiques deluxe qui marquaient les haltes de HassanII dans les plusgrandes capitales. Lors de son premier discours officiel en1999, MohammedVI navait pour projet politique quesollicitude et affection pour les couches socialesdfavorises. Pour bien montrer sa volont den dcoudreavec le gouffre social qui spare la majorit de son peuplede la minorit des nantis, il avait, ds juillet1999, la

    1. Ibid.

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    manire des Restos du cur, lanc une campagne de com-munication sans prcdent qui accompagnait la cration dela Fondation MohammedV pour la solidarit. La fonda-tion, gre directement par le Palais, avait mis en ventedans les bureaux de poste, les banques et les pharmacies,pour lquivalent de 50cents deuro, un petit badge jaunequon pingle au revers de sa veste afin dtre unis pouraider les dmunis. Cette initiative fut sans vritables rsul-tats probants. Elle a surtout aid le roi se faonner uneimage de roi social, tout en cassant le monopole des mou-vements islamistes qui ont fait du caritatif un moyen effi-cace de recrutement face un tat rgulirement dfaillant subvenir aux besoins lmentaires des ncessiteux.

    Mais depuis lpisode P.Diddy, et bien dautres, lempa-thie souvent sincre du monarque pour ses sujets les pluspauvres sest accommode au grand jour de ses gots deluxe. Il a vite repris les vieilles habitudes de son pre. Uneseule de ses vires au long cours dans des contres paradi-siaques lui cote plusieurs millions deuros. La dlgationofficielle compte plusieurs centaines de personnes mobili-sant plusieurs avions gros porteurs pour les transporter decapitale en capitale. Le seul Boeing 747 de la Royal AirMaroc (RAM) est souvent rquisitionn avec dautres appa-reils de la compagnie nationale en plus dun Hercule C-130des Forces armes royales qui sert lacheminement dumatriel sportif du roi. Lavion royal dnomm Air Makh-zen One par les techniciens de la RAM reoit loccasionun kit spcial avec bureau, chambre coucher, douche, sallede runion et installations de communication et de musiquehautement sophistiques. Lalla Salma, lpouse du roi, nestpas en reste. chacun de ses dplacements, cest un aro-page de courtisanes qui la suit dans les plus beaux palaces

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    du monde. Abdeslam Jadi, le prpos discret en charge desvoyages intercontinentaux de la Cour depuis plus de trenteans, veille la quitude de ses matres, et, de New York oil officie en tant quambassadeur charg du consulat duroyaume, veille encore scrupuleusement, en surintendantdvou, aux domaines que Sa Majest possde Sommerset,Westchester, Bronxville, et bien entendu Manhattan, sanscompter des proprits dissmines aux tats-Unis1. lintronisation de MohammedVI, ce courtisan zl pensaitque son heure tait arrive. Celui qui tait charg dache-ter les boutons de manchettes de HassanII2, avaitdcamp du Maroc avec une cassette de diamants avantdtre rattrap son escale laroport de Heathrow deLondres3. Il tait depuis revenu en grce, mais sous lecontrle de Mohamed Mounir Majidi, le secrtaire particu-lier du roi. Lefficacit lgendaire de Jadi a t mise malen avril2005 lorsque, aprs une dispute avec les douanesamricaines, limportation dun Jet-Ski pour le roi a tretarde de plusieurs jours.

    MohammedVI est en fait un roi picurien qui, aprsavoir t, dans sa jeunesse, cras par un pre autocrate,apprcie les escapades Paris et Rome, o il aimectoyer et mimer les stars du show-biz jusque dans leursaccoutrements dartistes. On le voit dvaler les pistes deski de Courchevel avec sa bande de copains, visiter lesanctuaire de Ferrari Maranello ou faire du Jet-Ski, sonhobby favori, sous les tropiques. En son royaume, le sou-verain ne se dplace pas sans sa cohorte: des dizaines de

    1. Lire ce sujet Nicolas Beau, Catherine Graciet, Quand le Marocsera islamiste, Paris, La Dcouverte, 2006.

    2. Entretien avec le prince Moulay Hicham en 2006.3. Ibid.

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    voitures de luxe dont la plupart, blindes, valent cha-cune une fortune forment son cortge. Le garage royalcompte plus de 3000 vhicules, dont quelques centainesde collection, hrites de HassanII sont parques dans uncrin de verre et dacier. sa construction la fin desannes90 dans la fort du Hilton Rabat, les habitants dela capitale ont cru un temps que MohammedVI allait enfaire un muse ouvert au public. Le magazine amricainForbes, qui publie chaque anne son palmars annuel desfortunes mondiales, le classe en 2008 au 7erang des ttescouronnes avec un patrimoine estim 1,5milliard dedollars1. Une estimation bien en de des ralits: elle neprend en compte que la partie quantifiable de son patri-moine (socits cotes en Bourse, biens immobiliers ltranger, etc.). Il se place certes loin derrire les mirs duGolfe, mais il faut rappeler que le PIB par habitant auMaroc nexcde pas les 1500dollars. Officiellement, lechmage ne dpasse gure les 10% de la populationactive. Il est toutefois nettement plus lev si lon consi-dre le poids exorbitant de lconomie informelle alimen-te par la contrebande, le trafic de haschich toujoursflorissant et les petits boulots au noir qui font vivre des cen-taines de milliers de familles dans les banlieues pauprisesdes grandes villes ou encore dans les campagnes o lesemplois sont tout aussi prcaires. Si seuls les travailleursdclars et bnficiant de la Scurit sociale taient pris encompte, ce taux pourrait doubler. Dailleurs, seuls 10%des 500000 jeunes diplms qui arrivent chaque anne surle march du travail marocain trouvent un emploi stable, et

    1. The worlds richest royals, Forbes, 20aot 2008. En 2007, lafortune de MohammedVI tait estime par Forbes 2milliards dedollars.

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    jouissent dune couverture sociale ou dun accs dcent auxsoins.

    Le fer de lance de la richesse royale reste sans contestele groupe Omnium Nord-Africain (ONA), conglomratcontrl et rebti par la famille royale sur les beaux restesdes meilleures compagnies coloniales. Une sorte deMaroc SA, ainsi quon le surnomme dans le microcosmedes affaires, nimb de mystre, qui monopolise par un jeucomplexe de participations un large pan de lconomie. Etpour cause, ses socits partenaires, la plupart de grandsgroupes industriels franais comme Danone ou PSA, inter-viennent dans tous les secteurs essentiels: agroalimentaire,finance, mines, distribution, automobile, tlcoms Ainsile roi est-il la fois premier entrepreneur, premier ban-quier, premier exploitant agricole du pays. En tant quemonarque excutif, comme il aime le rappeler danscertains de ses discours, il bnficie, grce ses pouvoirsconstitutionnels, du statut hgmonique de juge et partie.Une situation qui suscite de plus en plus de commentairesacerbes de certains hommes daffaires, surtout sur lamanire dont le roi a pris le contrle de lONA, o il taitminoritaire, en rachetant aux entreprises semi-publiques(caisses de retraite en loccurrence) leurs portefeuillesdactions1. Un des patrons dune des plus grandes caissesde retraite du royaume avait mme affirm sous le sceau

    1. Les dessous de cette opration financire avaient t rapports enseptembre2003 par Le Journal hebdomadaire qui avait rvl que lesfonds de pension avaient d cder leurs actions ONA avec une fortedcote, alors quelles constituaient un placement de long terme pour lesretraites de leurs souscripteurs.

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    de la confidentialit quune personnalit influente du Palaislui avait dit que ctait une manire de fliciter le souverainpour la naissance de son fils an, Moulay Hassan1. De grosinvestisseurs trangers ne sont pas en reste. Certains int-rts franais associs au groupe vont ptir de cette glouton-nerie. Ils y avaient pourtant t invits dans une logique departenariat linternational lorsque Mourad Chrif, franco-phile convaincu, en avait fait sa stratgie durant son mandat la tte de lONA de 1999 2002. La famille Mulliez dugroupe Auchan na par exemple pas digr dtre excluesans mnagement en 2007 du march marocain de lagrande distribution en raison dun diffrend sur le partagedes pouvoirs dans lentreprise, alors quelle tait partenaire 49% de lONA dans les hypermarchs Marjane et lessupermarchs Acima depuis novembre2000. Aprs un longbras de fer, laffaire fut porte devant un tribunal darbi-trage de Casablanca qui donna raison la partie marocaine.Christophe Dubrulle, prsident du directoire du groupeAuchan, qualifiera sans indulgence cette dcision jugecomplaisante pour les intrts royaux: Cette conclusionnous stupfie littralement; elle est totalement contraire lesprit de nos accords, toutes les pratiques du droit inter-national et tous les avis dexperts juridiques marocains etinternationaux que nous avons consults sur cette question.Je suis forc den conclure que les protocoles daccordinternationaux signs par lONA semblent ne pas avoir devaleur au Maroc2. Dpit, Auchan pliera bagage du Maroccontre un chque de 291millions deuros3. La mme anne,

    1. Confidence faite lauteur en 2003.2. Dans un communiqu de presse dat du 23janvier 2007, Auchan

    na pas hsit parler dun coup de force.3. Voir le chapitre8, Les deux ttes de Janus.

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    le divorce douloureux de lONA et dAXA, le gant de labancassurance, avait failli dboucher sur une crise diploma-tique avec llyse, vite de justesse grce lentregent deClaude Bbar, trs actif dans le Groupe franco-marocaindimpulsion conomique, une instance de promotion desaffaires entre Paris et Rabat. Linfluence de la monarchiedans le monde des affaires na jamais t aussi forte. Elle sestaccentue depuis la mort de HassanII coups dabsorptionsdentreprises prives comme la Wafabank, le joyau de lafamille Kettani. Cette banque familiale la sant financireclatante tait la concurrente directe de la Banque commer-ciale du Maroc, bras financier de lONA1. La nouvelle castedes managers du roi, ceux-l mmes qui ont orchestrsa toute-puissance conomique, se dfend de toute prten-tion hgmonique de la monarchie. Il nest l que pourinsuffler du dynamisme lconomie nationale2, rtor-quent-ils leurs dtracteurs. Largument qui veut que lechef de ltat soit aussi aux commandes de lconomie pourjouer la locomotive dun royaume la croissance poussiveest bien faible. La manire peu orthodoxe avec laquellesont menes ses affaires et la prdation de ses holdingsembots en poupes russes contredisent cet argument. Enralit, le business du monarque ne favorise en rien le dve-loppement du pays, car il freine toute concurrence. Au nomde la cration de champions nationaux, seuls capables derivaliser linternational avec des entreprises mondialises,

    1. De cette union force est ne lAttijariwafa Bank, le premiergroupe financier du Maghreb, dont les liens financiers avec lONA fontcraindre aux analystes un risque systmique la corenne.

    2. Dclaration en avril 2005 de Hassan Bouhemou, administrateur deSiger, le holding royal qui gre lessentiel des participations du roi dansdiverses entreprises au Maroc.

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    MohammedVI sest bti un empire industriel et financierprotg sur le march interne par son caractre intou-chable. Othman Benjelloun, magnat de la finance au Maroc,pourtant proche du pouvoir, la appris ses dpens en 1999lorsquil a tent de mener en Bourse une OPA hostile sur laSocit nationale dinvestissement (SNI), un holding indus-triel convoit aussi par lONA. Sa tentative a t interprtecomme un crime de lse-majest, ce qui a bris son lan. Sesprincipaux soutiens dans cette opration, des patrons defonds de pensions pour la plupart nomms leurs postespar dcret royal, ont rapidement fait pencher le march enfaveur de lONA. Non seulement Benjelloun a d renoncer son OPA, mais il a galement t contraint de se dlesterdes participations quil avait dans lONA au risque deperdre, dans la bataille, la BMCE Bank, le navire amiral deson groupe financier1.

    En raison de son apptit insatiable trs coteux, lONAest un conglomrat qui va mal, trs mal. Surendett, ilcontinue pourtant de jongler avec ses comptes pour cracherdes dividendes ses actionnaires, le roi en tte. Cest unTitanic dans le brouillard, selon un diplomate en poste Rabat qui nhsite pas parler de magma protiforme etbalourd2 pour dcrire la vtust de ses industries et de sastratgie quand les porte-voix du roi parlent de recentrageet de relais de croissance. Sa filiale dans le sucre, ce produit

    1. Ce revirement avait t justifi au sein de lONA par la mauvaisegestion des affaires de Benjelloun. Le Journal hebdomadaire avait eneffet mis en lumire en avril2002 les accommodements avec la lgisla-tion bancaire que sautorisait le banquier son propre profit et auxdpens de la BMCE Bank.

    2. Ali Amar, Lalaouisation de lconomie, Le Journal hebdoma-daire, 7octobre 2006.

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    de premire ncessit, ne doit sa survie quaux aides com-pensatoires de ltat. Lesieur, sa filiale dans le secteur deshuiles, ne serait pas viable si elle ne sadjugeait un quasi-monopole, faisant fi de la rglementation antitrust qui pros-crit aux entreprises de sarroger plus de 40% de leur marchafin dviter tout abus de position dominante. Savola, unemarque saoudienne qui a rcemment tent de la concurren-cer, a t force de jeter lponge, la justice ayant encore unefois opportunment conclu une action dloyale. Arriv bientard dans les tlcoms, un secteur en pleine expansion auMaroc, lONA a tout fait pour se tailler une place au soleilaux cts de Maroc Telecom, cd en partie par ltat lafranaise Vivendi1, et Mditel, lenseigne locale dtenue parPortugal Telecom et lespagnole Telefonica2. Au point depousser lAgence nationale de rgulation des tlcommunica-tions (ANRT) doctroyer sa filiale Wana (ex-France Tele-com) une licence dans la tlphonie mobile qui ntait pasprvue dans le plan initial de libralisation du secteur , augrand dam des Espagnols qui avaient pourtant dbours plusdun milliard deuros pour entrer sur le march marocaindans la transparence.

    1. Les modalits dentre, en fvrier2001, de Vivendi Universal (alorsdirige par Jean-Marie Messier) dans le capital de Maroc Telecomavaient suscit la polmique, le gouvernement ayant prcipit lopra-tion pour des raisons essentiellement budgtaires et conclu un pactedactionnaire secret qui se rvlera dfavorable ltat marocain. Lire ce sujet louvrage de Martine Orange et Jo Johnson, Une faillite fran-aise, Paris, Albin Michel, 2003.

    2. Telefonica avait obtenu en aot1999 une licence de tlphoniemobile lissue dun appel doffres exemplaire men par lagence dergulation des tlcoms du Maroc, alors que le gouvernement tait prt la cder au coren Daewoo pour moins de 40millions de dollars. Lirele chapitre15, Laxe Neuilly-Marrakech.

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    MohammedVI accorde encore moins de confiance queson pre la classe des affaires, quil accuse de vouloir per-ptuer une conomie de rente et de privilges. Pourtant ilcontinue sur la lance de HassanII en mettant au pas unpatronat quil juge trop indpendant. Hassan Chami, lepatron des patrons qui avait point du doigt en 2004 lacollusion des affaires et du politique1, a t pouss vers lasortie de la trs influente Confdration gnrale des entre-prises du Maroc (CGEM), le MEDEF marocain, cdant laplace Moulay Hafid Elalamy, seul en lice pour lui succ-der. Cet ancien dirigeant de lONA, dont la nomination at encourage par le Palais, stait pourtant illustr en1999 dans lun des plus grands dlits dinitis qua connusla Bourse de Casablanca2. Depuis, la plupart des grandspatrons qui tiennent le haut du pav la CGEM sont minu-tieusement choisis pour leur obdience sans faille aurgime. Aussi nest-il pas tonnant de constater que les indi-cateurs de la gouvernance publis rgulirement par la Banquemondiale3 soulignent cet tat de fait. Leur constat, aussiparadoxal quil puisse paratre, est sans appel: le Maroc,sur ce plan, avait mieux volu durant les dernires annesdu rgne de HassanII que durant la premire dcennie de

    1. Dans un entretien qui a fait date lhebdomadaire La Vrit, en2005, Hassan Chami avait qualifi de floue la gouvernance cono-mique de ltat.

    2. Affaire Diwan, les petits actionnaires aveugls, Le Journal,6novembre 1999.

    3. Le Maroc plonge dans le classement mondial de la corruption ta-bli par Transparency International, passant en dix ans de la 45e la80eplace (sur 180pays). En 2007, un vidaste amateur avait fait sensa-tion en postant sur Internet des images de gendarmes rackettant desautomobilistes dans le nord du Maroc, obligeant le Palais mener uneenqute dans les rangs de la gendarmerie.

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    son fils au pouvoir. Un comble. Environnement des affaires,justice sociale, corruption tous les voyants ont vir aurouge depuis dix ans et cela ne cesse dempirer. Ces rsul-tats viennent contredire les arguments du marketing officielqui dfend cor et cri une moralisation des affaires.Dailleurs, la grande opration mains propres, auxrelents maccarthystes, mene par le gouvernement socialistede lentre-deux rgnes avait sorti bien des cadavres des pla-cards de la monarchie, mais les procs rptition contrede simples lampistes ont encourag le pouvoir vite refer-mer cette bote de Pandore. Une de ces affaires les plusemblmatiques est celle de la banque CIH (Crdit immobi-lier et htelier). Dans une interview publie en octobre2002 par Le Journal hebdomadaire, son ancien P-DG, Mou-lay Zine Zahidi, alors en cavale en Espagne, avait rvl,documents lappui, que les difficults de la banque taientessentiellement dues aux largesses accordes des person-nalits proches du srail avec laccord tacite du Palais. LaDST marocaine avait vainement tent de rcuprer cesdocuments en interceptant les journalistes leur passage auposte frontire de Ceuta1. Parmi ces documents sensiblesfigurait une recommandation manuscrite de Moham-medVI, alors prince hritier, en faveur de Farouk Bennis,un important client de la banque qui refusait dhonorer lescrdits quil avait contracts pour un imposant projet tou-ristique non loin de la rsidence dt du roi sur la ctemditerranenne. Cette recommandation avait t trans-mise en mains propres Zahidi par Rochdi Chrabi, lactueldirecteur de cabinet de MohammedVI, qui navait pas

    1. Lauteur, qui avait men lenqute, a t interrog par la police cesujet en octobre2002.

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    manqu de souligner cette occasion les liens de Bennisavec le Palais: Jacques Chirac tait lhte rgulier de lasur de Bennis La Gazelle dor, un palace de Tarou-dant, dans le Sud marocain, quaffectionne particulire-ment lancien prsident franais lors de ses escapadesmarocaines1.

    Il rsulte du constat terrible de la Banque mondialeque les ingalits continuent de se creuser. Cette donneconfirme que la dynamique des annes90 que lonoublie trop souvent sest vapore. Une situation bienembarrassante aujourdhui pour MohammedVI. Face lagrave crise qua connue le Maroc dans les annes80, Has-sanII avait compris que la survie de la dynastie alaouitepassait par une libralisation politique et conomique. Unelibralisation quil fera videmment tout pour matriser:multiplication des rformes, loi bancaire, loi sur les mar-chs financiers en sont des exemples. Les drapages nemanqueront pas, mais le processus tait enclench. Si lergne de MohammedVI a dbut sous de bons auspices,les mauvais rsultats nont pas tard. Les proches collabo-rateurs du roi, qui contrlent un nombre impressionnantde commissions royales touche--tout rognant les prroga-tives du gouvernement, sont ceux-l mmes qui favorisentle cannibalisme conomique de la monarchie. Forts de leurimpunit, ils dcident de tout, de la place du businessroyal dans lconomie comme de la politique conomiqueelle-mme, relguant les ministres au rle dexcutants.

    1. Lauteur avait sign deux enqutes sur laffaire CIH dans Le Jour-nal hebdomadaire en2002 et2005. Sur les dtails de la recommandationde MohammedVI en faveur de Farouk Bennis, lauteur avait men unesrie dentretiens en Espagne avec Moulay Zine Zahidi en 2005, alorsque ce dernier tait condamn par contumace dix ans de prison.

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    Cest dans un joyeux mlange des genres que sopredsormais la restructuration de lconomie marocaine. Plu-viomtrie satisfaisante et ptrodollars venus dinvestisseursarabes donnent faussement limpression dun boom cono-mique finalement limit une petite minorit de privil-gis. Le pacte faustien qui consiste laisser se dvelopperlconomie informelle perdure. Cest ce qui explique que,jusqu maintenant, la crise sociale ne sest pas transformeen crise politique, voire scuritaire. Mais il ne faut passtonner dans ces conditions que la corruption sintensifieet que le Maroc obtienne les rsultats mdiocres que luiassignent les institutions internationales. Des craqueluresapparaissent dsormais au cur de la socit. Les laisss-pour-compte sorganisent pour contester la hausse des prixdes produits de premire ncessit produits qui sortentessentiellement, faut-il le rappeler, des usines du roi , enatteste la multiplication des frondes sociales aux quatrecoins du royaume. Les manifestations contre la vie chre setransforment en lutte politise, mene aussi bien par lesporteurs dun socialisme ouvert qui se comptent parmiles dus de lexprience des socialistes au gouvernement,que par les islamistes radicaux qui font de la misre le ter-reau de leur projet de socit antioccidentale. Un rapportdu cabinet amricain McKinsey, commandit par le gou-vernement Jettou en 2004, avait mis en lumire les carencesdes choix stratgiques du royaume. De ses douze volumesremis MohammedVI en 2005, peu de choses seront ren-dues publiques sur le mirage libral marocain, si ce nestson incapacit chronique sadapter la mondialisation,rejoignant ainsi le diagnostic svre du snateur socialistefranais Michel Charasse, qui, ds 2001, dans un rapportpass sous silence sur ltat des conomies du Maghreb,

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    estimait que, sur le plan conomique, le bilan pour leMaroc tait plus que ngatif: Compare la Tunisie,lconomie du Maroc pitine, nota-t-il. En 1995, un rap-port de la Banque mondiale avait dj abouti aux mmesconclusions, provoquant lire de HassanII qui ordonnaune chasse aux sorcires contre le secteur priv, accus dese satisfaire de ses rentes1.

    Class 154e sur 170 dans lindice mondial de dveloppe-ment humain en 2008, le royaume chrifien ne profite plusdu capital de sympathie de son monarque, lorsquon saitque le pays se trouve au mme niveau que le Malawi enmatire dalphabtisation (plus de 50% des jeunes scolari-ss ne dpassent pas le seuil de lenseignement primaire).En mai2007, dans la grande salle de son palais de Fs, leroi avait convi quelques proches conseillers pour une ru-nion de travail. Des responsables du Conseil national delducation avaient t invits se joindre eux. La nou-velle priorit du royaume doit tre lducation, avait lancle souverain. Un an auparavant, il avait tent de ractiver larforme dun enseignement sinistr qui peine toujours voir le jour.

    MohammedVI est certes conscient du dsastre socialde son royaume, mais ne se djuge pas. Interrog parAnne Sinclair en octobre2001 sur le sobriquet de roides pauvres dont laffuble la presse internationale enraison de sa fibre sociale, il avait rtorqu: Je suis aussibien le roi des pauvres que des riches, mais le social a

    1. Michel Charasse, Bilan de la coopration avec les tats duMaghreb: une rnovation justifie, rapport du Snat, commissiondes Finances, n83, 2000-2001. Lire ce propos louvrage de NicolasBeau, Catherine Graciet, Quand le Maroc sera islamiste, Paris, LaDcouverte, 2006.

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    toujours t un de mes principaux soucis1. Sa modestieet sa spontanit lendroit des humbles, de lavis detous, ne sont pas feintes, sauf que sa politique instinctiveet exclusivement caritative est loin de porter ses fruits.Elle ne sert mme plus son image de bon roi qui, chaque bain de foule, embrasse sur les deux joues lesmisreux qui se ruent ses pieds et les handicaps margi-naliss que lon aligne en rangs doignons sur le passagede son cortge.

    Aprs six ans de rgne et de politique sociale de sau-poudrage qui engloutit pourtant plus de la moiti dubudget de ltat dans des projets de dveloppement dis-parates directement financs par les recettes des privatisa-tions , le roi se rend lvidence: la question socialepourrait faire tanguer son rgime au risque de faire bascu-ler le pays dans le chaos de lislamisme radical. Lagricul-ture, qui contribue plus de 50% au PIB, ne se relve quedifficilement de longues annes de scheresse et entraneune augmentation de lexode rural vers dimprobables eldo-rados urbains alors que le taux de chmage dans les villesdpasse les 20%. Les ingalits ne cessent de saccrotre:prs de 50% de la consommation nationale sont le fait demoins de 20% de la population. Dans un discours tlvisle 18mai 2005, alors que le royaume fte cette anne-l sescinquante ans dindpendance, MohammedVI annonceune vaste initiative nationale pour le dveloppementhumain (INDH). Il dclare la guerre la misre en pro-mettant le dblocage dun milliard deuros sur cinq ans, auprofit des communes rurales les plus pauvres et des

    1. Interview de MohammedVI par Anne Sinclair, Paris Match,31octobre 2001.

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    sordides bidonvilles des grandes villes o sentassent plusde 2millions dhabitants. Il sillonne alors le pays du nordau sud, prenant la mesure de lextrme pauvret qui frappeplus du tiers de la population: 1Marocain sur 6 vit avecmoins de 1euro par jour. Je ne veux pas savoir sil y acroissance ou non, dbloquez des fonds pour sortir les pluspauvres de leur extrme dnuement1, martle-t-il ladresse de ses ministres qui ont trois mois pour concocterun plan durgence. Une sorte de plan Borloo la chri-fienne qui prend de court le gouvernement. Malgr lesmoyens engags, lambition royale senlise. Lorsque le Pre-mier ministre Driss Jettou remet sa copie en aot, lINDHnest quun ensemble de principes gnraux. La coursecontre la montre se transforme en cacophonie: de vieuxprojets sont sortis des cartons et labelliss INDH poursatisfaire le roi. Ce chantier de rgne cadre mal, parailleurs, avec son affairisme et celui de son entourage, cequi lui avait valu les soupons du Guardian. Dj, en2001, le quotidien lavait qualifi de roi goste2, auxantipodes de limage altruiste patiemment peaufine parses responsables de la communication. Le plan, trs co-teux, senlise dans les mandres de ladministration et nedbouche quatre ans plus tard que sur de maigres rsul-tats de rapiage.

    Alors que lINDH signe lchec de ltat en matiresociale, le train de vie de sultan des temps modernes menpar MohammedVI ne peut plus tre tenu secret. Chaqueanne, le budget de ltat allou la monarchie slve

    1. Mireille Duteil, Comment MohammedVI veut changer leMaroc, Le Point, 17janvier 2007.

    2. Giles Tremlett, Moroccos king of the poor reveals selfish face,The Guardian, 4novembre 2001.

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    prs de 300millions deuros1. On y dcompte les listesciviles qui comprennent notamment le salaire du chef deltat (environ 36000euros par mois) ainsi que les indem-nits que peroit sa famille proche, dont le dtail resteconfidentiel, atteignant 2,5millions deuros par an. Cepen-dant, lessentiel des dpenses du monarque provient d-cts budgtaires pharaoniques destins entretenir sacour et ses proches collaborateurs (un millier de salaris quinengloutissent pas moins de 160millions deuros chaqueanne). Des rallonges qui sont prestement votes parconsentement tacite des lus de la Nation au pouvoir bienlimit. Le budget de fonctionnement de la maison royale rparti en frais de personnel, frais de bouche, frais dedplacement, de tlphone, dentretien des palais et sub-ventions diverses reprsente plus de 2% des dpensestotales de ltat. Il a augment de plus de 40% depuis2000. Il dpasse lenveloppe alloue la Justice, parexemple, et reprsente plus de vingt-cinq fois celle duPremier ministre et de son cabinet, rduits la portioncongrue et de facto la figuration. Les dpenses somptuairesdu Palais, dcuples par le grand apparat de son protocole,atteignent des sommets pour chacune des coquetteries vou-lues par le roi. MohammedVI dilapide par exemple 40mil-lions deuros par an en frais de voyages, 1million pour lanourriture des animaux du Palais, 6millions pour le renou-vellement de son parc automobile, prs de 2millions endpenses vestimentaires chez les grands couturiers commeGianfranco Ferre ou des stylistes en vogue comme Hol-land and Sherry, qui a annonc en 2008 sur le site stv.tv

    1. Driss Ksikes, Khalid Tritki, Le salaire du roi, Tel Quel,28dcembre 2004.

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    que le roi faisait partie des dix-huit personnalits lui avoircommand lhabit le plus cher au monde: un costume enlaine de lama des Andes, pour la coquette somme de35000livres sterling. La marque qui habille les grandesstars comme George Clooney et Tom Cruise prcisait quele vtement de MohammedVI ncessiterait un travail dedix-huit mois pour sa confection.

    Des chiffres qui donnent videmment le vertige dans unpays o le salaire minimum ne dpasse pas les 200euros.Dj en 1992, dans un cinglant pamphlet toujours interditau Maroc, Moumen Diouri, un ancien opposant gauchistede la monarchie, avait tent de faire linventaire delimmense patrimoine de HassanII1. Il expliquait commentune famille dsargente tait devenue lune des plus richesau monde grce linstauration dun pouvoir sans partagedans un royaume misreux et la confiscation, lIndpen-dance, des biens des colons quasiment son seul profit.Telle est lorigine de la fortune des Alaouites, qui la ferontfructifier dans des conditions particulirement opaques.Prs de dix ans aprs le brlot de Diouri, au lendemain delintronisation de MohammedVI, le cheikh AbdessalamYassine, leader octognaire de Justice et Bienfaisance, leplus imposant mouvement islamiste marocain, alors en rsi-dence surveille dresse un bilan au vitriol des annes Has-sanII2. Il somme son hritier, dans un mmorandum de

    1. Moumen Diouri, qui appartient le Maroc?, Paris, LHarmattan,1992.

    2. Le cheikh Yassine, chef de Justice et Bienfaisance, le plus impor-tant mouvement islamiste marocain (non reconnu par ltat), avait tplac en rsidence surveille durant dix ans aprs un sjour en hpitalpsychiatrique pour avoir crit en 1974 LIslam ou le dluge, une lettreenflamme Hassan II. Il sera libr par MohammedVI en 2000.

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    dix-huit pages rdig en franais, de restituer au peuple lafortune fabuleuse quil estime avec exagration desdizaines de milliards de dollars. Je souhaite beaucoup decran et de courage au jeune roi en lui rptant en guisedadieu: rachetez votre pauvre pre de la tourmente en res-tituant au peuple les biens qui reviennent de droit au peuple.Rachetez-vous! Repentez-vous! Craignez le Roi des rois,conclut-il. Pour le vieil opposant illumin, ce gigantesquebutin amass par HassanII devrait servir effacer la detteextrieure du Maroc (prs de 17milliards de dollars en 2000)et permettre ainsi son fils, ce prince aux frles paules, desoffrir une destine aussi glorieuse que celle des califes despremiers temps de lislam. La missive du cheikh a quelquepeu inquit les bourgeois de Casablanca et de Rabat. Cettelite francophone, qui vit au rythme de lOccident, fut effraye lide de voir se reproduire sous ses fentres la sanglanteguerre civile qua connue lAlgrie voisine.

    Depuis, les nantis de cette classe sociale fort docile,dans laquelle on compte bien des fortunes amasses lombre de lancien rgne, veulent croire aux promesses desgrands chantiers dinfrastructures inaugurs aux quatrecoins du pays pour dsenclaver le pays. Les centaines dekilomtres dautoroutes construites en dix ans, la bonnemarche du programme national dlectrification ou encore,symbole de ce nouveau visage du Maroc, le gigantesqueport de Tanger Med, un des plus imposants en Mditerra-ne, les rendent oublieux du volcan social sur lequel ilsvivent. Car, malgr le fait que le PIB a doubl en dix ans, lafracture sociale est flagrante. Le problme de la redistribu-tion quitable des richesses na pas t rsolu. Dans leMaroc moderne, le moral est au znith. Le taux de crois-sance du royaume atteint les 6% lorsque le climat est favo-

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    rable, comme cest le cas pour 2009, les investisseurseuropens et arabes affluent (2,5milliards deuros enmoyenne par an), notamment pour de vastes projets immo-biliers et touristiques ou des dlocalisations dindustriescratrices demplois, et les touristes accourent sans se las-ser. Preuve de ce dynamisme, les entreprises marocaines lesplus comptitives dament souvent le pion leurs concur-rentes franaises sur les marchs africains qui taientjusquici leur chasse garde. Mais cette image dpinal,dpeinte dans les mdias occidentaux sous les traits dunMaroc en mouvement, est battue en brche au moindreretournement conjoncturel.

    Les contrecoups de la crise mondiale se ressententdavantage dans cette conomie deux vitesses. Outre ledvissage de la Bourse de Casablanca, qui brasse 60% duPNB du pays elle est pourtant faiblement expose auxmarchs financiers internationaux , lclatement de labulle spculative de limmobilier, le devenir incertain de lamanne financire que reprsentent les immigrs en Europe,les investissements hasardeux dans le tourisme, le repli desptrodollars du Golfe, la possibilit dun arrt des dlocali-sations de multinationales trangres peuvent rapidementanantir cette belle vitrine du royaume1. Au Maroc, gou-verner cest pleuvoir, disait Lyautey. Aujourdhui encore,et plus que la pluie, la mondialisation dmontre les grandesfaiblesses du modle de dveloppement marocain.

    1. Dbut 2009, le groupe Renault Nissan a rvis la baisse linstalla-tion de son usine Tanger Med, son plus grand projet rgional, en rai-son de la crise mondiale qui touche le secteur automobile. Nissan adores et dj annonc son retrait.

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    La pose est sultanesque: il est seul, debout, les brascroiss, veiller le catafalque de HassanII recouvert dunelourde toffe de velours de Gnes brode dor. Son regardest grave et lointain. Moulay Hicham, cousin germain deMohammedVI et deuxime dans lordre de succession autrne alaouite aprs Moulay Rachid, le frre cadet du roi,est rentr prcipitamment des tats-Unis pour assister avecla famille royale en deuil aux obsques de son oncle. Alorsquil signe au soir du 23juillet 2003 lacte dallgeance MohammedVI1, il sabstient de lui baiser la main et luiglisse loreille: Lpreuve est dure, il faut tenir2.Durant la journe du 25juillet, aux funrailles grandiosesque les puissants du monde font HassanII, le prince estomniprsent, il joue l le rle dont il rvait depuis desannes: tre la colonne vertbrale de ce nouveau Marocqui se profile. Il simmisce dans tout, donne ses instructions

    1. Pour la petite histoire, cest avec le stylo personnel de MoulayHicham que lacte dallgeance MohammedVI a t paraph par lesdignitaires du rgime, le Protocole royal ayant omis den prvoir.

    2. Sauf mention contraire, tous les propos rapports de MoulayHicham proviennent de conversations avec lauteur.

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    au Protocole submerg, se charge de la dlgation amri-caine mene par le prsident Bill Clinton en personne,tente mme de tordre le cou aux traditions ancestrales enproposant avec insistance de supprimer le baisemain royal.Le soir venu, il critique ouvertement MohammedVI,devant la Cour, davoir laiss pntrer dans la salle duTrne les hauts grads de larme, pourtant venus faire actede soumission leur nouveau Chef suprme. Ils nyavaient pas mis leurs brodequins depuis le coup dtat deSkhirat! plaide-t-il. Plus encore, alors que le jeune roiveut se retirer pour passer la nuit aux Sablons, sa rsidenceprive de la priphrie de Rabat, Moulay Hicham lui dira,en prsence de sa garde noire: Tu es maintenant leCommandeur des croyants, ta place est au cur du Palais,tu dois y passer ta premire nuit de roi. cet instant,MohammedVI a dj tranch: il nacceptera plus que cecousin impulsif et empress le contredise en public, etencore moins quil constitue avec lui le tandem que certainsrformateurs envisageaient pour conduire le Maroc vers lamodernit. Lorsquil apprend que Moulay Hicham sestfait remettre la liste et les CV des membres du cabinetroyal, il entre dans une colre noire. Le 28juillet, il chargeMoulay Abdallah, galement un cousin proche, Fouad AliEl Himma, son ami de classe qui deviendra rapidementnumro2 du rgime, et Abdelhak El-Mrini, le directeurdu Protocole, de rendre visite Moulay Hicham sondomicile. Prvenu de larrive des trois missi dominici, cedernier les attend, un Coran pos sur la table. La rencontreest orageuse. Il dment avec vhmence les reproches quilui sont transmis, menace de quitter sur-le-champ le pays.Les trois missaires lcoutent, contrits, avant de lui signi-fier la sentence: sil conserve son titre et son rang daltesse,

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    il est toutefois banni de la maison royale et ne doit en aucunecirconstance sapprocher de la personne du roi. Il sera pour-tant prsent une crmonie religieuse, le 30juillet, enretrait de MohammedVI qui naura pas mme un regardpour lui. Il est dsormais lindex du Palais, dans la pluspure tradition des sultans du Maroc, ce qui en dautrestemps lui aurait valu une mort certaine ou au bas mot ladportation dans un bagne du Grand Sud saharien. Finseptembre, une visite intimiste mais clair de Moham-medVI chez son cousin loccasion du baptme de sadeuxime fille sera loccasion dun ultime change: Tu nepensais pas minviter pour fter la naissance de manice? lui lance le roi. Le prince aura cette rplique:Tu es chez toi ici, nes-tu pas dsormais le chef defamille?

    Entre les deux hommes, ns quelques mois dinter-valle, la distance sest instaure trs tt. En tout, leurs par-cours divergents feront deux des tres opposs,antagonistes. Le prince Hicham est lantithse de Moham-medVI. Si le roi est de nature distante, cultive son carac-tre introverti et secret, son cousin est expansif, volubile,impatient. Le roi est mal laise en public, fuit la presse. Ilnexpose que rarement ses ides, tandis que MoulayHicham fait tat des siennes avec enthousiasme. Il inter-vient dans des colloques aux thmes ardus, partage son ru-dition, publie des tribunes enflammes dans la presseinternationale et accorde des interviews satit. Au dbutde son rgne, le jeune souverain, accabl par la tche tita-nesque de succder son pre, paraissait porter peu dint-rt au mtier de roi, tandis que Moulay Hicham sinvitaitdepuis des annes aux dbats et caressait le rve dtreassoci aux affaires dtat. Lorsque je lui en parlais avant

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    la mort de HassanII, il se taisait, dira le prince