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La psychologie et les femmes Author(s): Marie-Claude Hurtig and Marie-France Pichevin Source: Nouvelles Questions Féministes, No. 4, Mon Dieu! C'est la révolution et je suis encore en peignoir ! (AUTOMNE 1982), pp. 2-33 Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions Antipodes Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40619481 . Accessed: 14/06/2014 20:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions Antipodes are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelles Questions Féministes. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.79.160 on Sat, 14 Jun 2014 20:11:18 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Mon Dieu! C'est la révolution et je suis encore en peignoir ! || La psychologie et les femmes

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La psychologie et les femmesAuthor(s): Marie-Claude Hurtig and Marie-France PichevinSource: Nouvelles Questions Féministes, No. 4, Mon Dieu! C'est la révolution et je suis encoreen peignoir ! (AUTOMNE 1982), pp. 2-33Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions AntipodesStable URL: http://www.jstor.org/stable/40619481 .

Accessed: 14/06/2014 20:11

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Mane-Claude Hurtig et Marie-France Pichevin ì

La psychologie et les femmes Petite endoscopie d'une discipline*

II y a au commencement de cet article des mouvements d'humeur. Tout d'abord, une sorte de « malaise » provoqué par une question,

peut-être anodine, de la secrétaire générale du C.E. F. U.P. 3, il y a quel- ques années : « et vous, les psychologues, n'avez-vous rien à dire sur les femmes ? ». Malaise. Attendait-on des psychologues un catalogue « scientifiquement » établi, des différences - et peut-être des non- différences - entre garçons et filles, hommes et femmes, avec la tenta- tion d'en extraire ce qui pourrait conforter certaines thèses en laissant de côté le reste ? La psychologie, certes, ne devait pas être muette sur ce sujet, mais nous développions une énorme « réticence », non encore explicitée, à aborder le problème en ces termes. Nous nous sommes cependant senties « concernées » : désir de comprendre cette réticence devant les éventuels savoirs de la psychologie, et devant cette question posée par une femme, à nous, femmes psychologues.

Non sans provocation, on pourrait déceler dans la question de la spécificité de la femme comme objet ou comme sujet de recherche

1. Laboratoire de psychologie cognitive et de l'éducation, associé au C.N.R.S., Université de Provence (LA 182).

2. Version remaniée d'un article paru sous le titre « La psychologie et les femmes » dans le Bulletin d'Information des Études Féminines, nov. 1981, numéro 7-8 (Numéro spécial : Les femmes et la recherche), p. 65-89.

3. Centre d'Études Féminines de l'Université de Provence. Il s'agit d'un centre pluridiscipli- naire d'enseignement, de formation continue et de recherche.

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l'hypothèse implicite de l'existence d'une espèce présentant des caracté- ristiques propres, ses lois particulières, qu'on ne pourrait rattacher à autre chose : l'altérité totale. Un champ de recherches autonome se justifierait donc, qui atteindrait toutes les disciplines et qui, s'il était « livré » à des femmes, se constituerait en même temps dans une double spécificité, celle de l'objet à connaître, et celle de la démarche de con- naissance.

L'hypothèse est violente, mais cependant ni nouvelle, ni absente des savoirs disponibles : des théories naïves aux thèses considérées comme scientifiques, la femme est posée comme une entité unique, non ré- ductible à un fonctionnement autre ; l'étiquette « femme » contenant en elle-même tout un programme de fonctions, de comportements, de places sociales.

Bref, quand on a dit « c'est une femme », ou « je suis une femme », on aurait dit le tout.

La spécificité féminine : thème central aussi dans le mouvement féministe depuis quelques années, mais éminemment fuyant. Tantôt on la rejette, tantôt on s'y engouffre, sans toujours préciser de quoi on par- le. La question résiste : de quelle spécificité s'agit-il ? Spécificité de fait, spécificité de droit ? Spécificité imposée, constatée, revendiquée ? Quoi qu'il en soit, il s'agit toujours d'une spécificité définie par rapport aux hommes.

Bien sûr, il y a un accord relativement unanime pour dévoiler et dénoncer la condition iñégalitaire des femmes - telle qu'elle peut être mise en évidence par l'histoire, l'anthropologie, la sociologie, l'écono- mie -, et le contenu idéologique des alibis biologiques ou psychologi- ques mis en avant par les hommes pour justifier cette condition.

Là où les positions fluctuent, d'un groupe à l'autre, dans un même groupe, voire chez une même personne, c'est sur l'existence d'une alté- rite foncière des femmes. L'hypothèse de l'altérité se construit à travers la référence aux hommes (comment échapper vraiment à cette référen- ce ?), soit en revendiquant l'égalité dans la différence, soit en posant de façon plus ou moins explicite la supériorité féminine, soit en éludant le problème de l'égalité. Le flou et la mouvance des positions dans ce do- maine nous paraissent liés à l'imprécision, aux oscillations, et à l'absen- ce d'explicitation, quant à la définition de l'objet du débat, et notam- ment quant à la question de l'origine de la spécificité. On peut, dans une position militante, refuser l'objectif d'alignement sur les hommes - les hommes tels qu'on les voit dans le contexte iñégalitaire, c'est-à- dire agressifs, compétitifs, rationalisateurs etc.. Il y a dans cette posi- tion une volonté de changement social global concernant les hommes

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comme les femmes, mais dont les femmes assument la démarche pour leur propre compte, puisqu'elles sont seules aujourd'hui à en avoir l'ini- tiative et à en défendre la cause. L'affirmation d'une différence de na- ture relève d'une tout autre attitude, qu'elle soit militante ou non. Elle répond à une interrogation ontologique que seules les femmes pour- raient élucider en se posant indissociablement comme objets et sujets de recherche.

Quelles que soient les connotations du recours à la spécificité, il s'agit bien de différences - ou d'une différence - qui sont pensées comme psychologiques. Or dans le mouvement féministe, il est rare- ment fait appel, fût-ce de façon critique, aux apports éventuels de la psychologie pour éclairer ce débat1 , alors que sont interrogées les autres sciences humaines. Seul le discours psychanalytique est examiné. Est-ce parce que la théorie psychanalytique, fortement marquée à ses débuts par le biologisme, pose précisément de front les problèmes de nature des deux sexes et d'impact de cette « nature » sur les conditions socia- les ? Est-ce parce que les autres théories psychologiques n'ont rien dit sur les femmes et la différence des sexes, et qu'il n'y a donc pas lieu de se tourner vers elles ?2

Pourtant, la question de la différence des sexes se situe au cœur d'une problématique fondamentale en psychologie, celle de l'articula- tion du biologique et du social. La psychologie dite scientifique en ef- fet, telle qu'elle est pratiquée et transmise de façon dominante à l'Uni- versité, s'est proposée et se propose encore de dégager des lois générales concernant le niveau psychologique, conçu comme un niveau original, situé à la jonction des niveaux biologique et social, mais non réductible à lyun d'eux. L'étude de la différence des sexes pourrait assurément être exemplaire de cette démarche. Or en fait la question a constamment été déviée ou éludée. Pourquoi ? Et au profit de quelles autres questions ? Comment comprendre notamment le glissement systématique de l'étu- de de la différence des sexes à l'étude de la femme3 (ou, plus rarement et plus récemment, des femmes) ?

Dans l'étude de la différence des sexes, les pièges et les embûches, comme les éventuelles tentatives pour les détourner, ne sont certes pas l'exclusivité de la psychologie. Cela concerne toutes les sciences humai-

1. Exception notable : Kate Millet dans Sexual Politics, 1969. 2. Nous-mêmes nous limiterons dans cet article à examiner le discours et les pratiques de

cette autre psychologie, en laissant de côté les points de vue de la psychanalyse déjà largement discutés. Il n'est pas non plus de notre propos ici d'analyser pourquoi, d'une façon générale, les liens entre les deux approches sont si difficiles à établir et pourquoi les tentatives en ce sens restent encore aujourd'hui marginales.

3. Cf., par exemple, le sous-chapitre de La psychologie différentielle de Piéron, 1949, intitulé « La différenciation des types sexuels », ou le livre de Piret Psychologie différentielle des sexes, 1973.

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nés. On a bien souvent dénoncé l'infiltration des stéréotypes dans la démarche scientifique, les postulats idéologiques sous-jacents, la consti- tution du savoir par les hommes, la place restreinte des femmes dans la recherche, etc.. On a aussi depuis longtemps souligné l'intérêt, face à cet état de fait, de la prise en charge de l'étude des femmes par les fem- mes elles-mêmes (S. de Beauvoir, 1949). Mais les incidences de cette situation ne sont pas les mêmes pour toutes les disciplines. La spéci- ficité de la psychologie nous paraît tenir ici à son statut épistémolo- gique - ce rôle d'articulation du biologique et du social -, et à la nature psychologique de la démarche de connaissance elle-même, que les visées en soient scientifiques, éthiques ou politiques.

L'hypothèse d'une spécificité psychologique de la femme a-t-elle traversé la psychologie « scientifique » instituée ? Quelles formes y a-t-elle prises ? Quelles contributions la psychologie apporte-t-elle ou pourrait-elle apporter pour confirmer ou infirmer cette hypothèse ? Est-il légitime de l'interroger ? Quelle a été, quelle est et quelle devrait être la place des chercheurs-femmes dans cette recherche ?

QUELQUES REPERES DANS L'HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE

Une psychologie comparative des sexes, dont la question centrale est de fait celle de la femme, apparaît très tôt dans l'histoire de la dis- cipline ; elle s'est maintenue ou développée avec plus ou moins de force, dans la discontinuité, et avec des places et des significations théoriques polymorphes. Très présente au début du siècle, influencée par les théories évolutionnistes darwiniennes et le mouvement fonctionnaliste aux Etats-Unis, sa perspective centrale est bien celle de la spécificité de nature et de fonction de la femelle humaine , jugée différente et complé- mentaire de celle du mâle. L'accent est alors mis sur les bases anatomi- ques et physiologiques du tempérament. Le cerveau femelle, ses fibres, ses lobes, ses circonvolutions sont mesurés, pesés, disséqués. Et curieu- sement, lorsque le lobe frontal est considéré comme le siège des aptitu- des mentales supérieures, on trouve celui du mâle plus développé... Lorsque le lobe frontal est abandonné au profit du lobe pariétal, alors c'est ce dernier qui est plus petit chez la femelle. L'instinct maternel est à l'ordre du jour... Des études systématiques sur les différences de sexe sont entreprises : on compare les réponses sensorielles, motrices, intel- lectuelles des femmes et des hommes, afin toujours d'en dégager le « type féminin ».

Le développement d'une nouvelle psychologie « générale », sa pré- dominance sous la forme du behaviorisme, vont balayer ces interroga- tions pour privilégier l'étude du psychisme enfant et adulte, sans référence explicite au sexe de l'individu, mais sans qu'on sache très

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exactement si cet enfant ou cet adulte inclut les deux sexes ! La dimen- sion sexuée du sujet va tomber dans une forme d'oubli ; et une psycho- logie « générale » angélique, qui analyse des réponses à des stimuli, va désormais osciller entre le gommage pur et simple de cette dimension et sa prise en compte, mais comme une évidence - que par rituel métho- dologique du contrôle des variables on signale -, sans qu'elle soit problématique ou porteuse d'hypothèse. La variable « sexe » devient dès lors vide ou encombrante, à coup sûr périphérique, et une des moins explicitées en psychologie. Quel statut alors accorder à une « psychologie des différences de sexe », qui ne peut être qu'une recons- titution à partir des multiples résultats éparpillés dans la littérature, issus de recherches dont l'objet n'est pas cette différence ? L'inventaire de ces résultats hétérogènes, inorganisés, est possible grâce à un travail de fourmi, mais son contenu est fragile et contradictoire i .

Dans deux secteurs cependant, celui de la personnalité et celui de la socialisation, en partie sous l'influence du culturalisme, la variable sexe a progressivement acquis un statut plus central : la masculinité- féminité a été considérée comme une « dimension » de la personnalité ; la genèse de l'identité de sexe et l'apprentissage des rôles de sexe ont été envisagés comme des aspects importants de la socialisation de l'en- fant. Il y a eu une certaine interpénétration des résultats issus des re- cherches où la variable sexe est accessoire et de celles où elle est fonda- mentale, mais de façon diffuse, confuse, peu maîtrisée et contrôlée.

Dans ces transformations internes à la discipline, la psychologie de la femme, quand elle n'a pas été mise en sourdine, a été cantonnée dans des secteurs circonscrits, et seule la théorie psychanalytique a continué à s'y intéresser dans sa globalité.

Depuis une dizaine d'années cependant, et essentiellement aux Etats-Unis, le mouvement féministe a donné une nouvelle impulsion en psychologie à la recherche sur la différence des sexes (et non des dif- férences de sexe). Il s'est élaboré ce qu'il est plus fondé d'appeler une perspective qu'un domaine, marquée par ce que Martine Isnard (1981) nomme avec justesse « la non-allégeance aux savoirs institués ».

1. Le travail de Eleanor Maccoby et de Carol Jacklin, publié en 1974, The psychology of sex differences, est un bel exemple de cette démarche de « cueillette ». Il aboutit - après l'exa- men d'une énorme masse de résultats qui se contredisent, et si on ne retient que les différences entre sexes qui résistent le mieux et qui rencontrent un certain consensus -, à la peau de chagrin de quatre différences entre garçons et filles : - supériorité verbale des filles, dans l'ap- prentissage du langage plus précoce, et à partir de l'adolescence dans certaines épreuves de langage ; - supériorité des garçons dans l'aptitude visuo-spatiale à partir de l'adolescence ; - supé- riorité des garçons dans l'aptitude mathématique, mais avec de fortes variations d'une popula- tion à l'autre ; - agressivité physique et verbale plus forte chez les garçons, différence qui se manifeste très tôt et qui concerne seulement les relations sociales entre garçons.

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De ces courants théoriques diversifiés, liés à l'histoire de la discipli- ne, nous tenterons maintenant de repérer les invariants, c'est-à-dire la pérennité de certains postulats de base, et de dégager les caractéristiques des données ou résultats à partir de l'analyse des pratiques de recher- che : objectifs explicites ou implicites, méthodologies, dispositifs, ex- ploitation et interprétation des résultats. Bref, ce que nous pourrions appeler un « amont » des recherches, résistant aux mutations superfi- cielles des problématiques psychologiques, toujours marquées par les biais phallocentriques d'une recherche essentiellement faite par les hom- mes et pour les hommes. Dans le sillage des valeurs sociales dominantes d'une époque et sous la forme particulière qu'elles peuvent prendre dans une discipline scientifique, au gré des habillages théoriques que les problèmes revêtent, dans le milieu scientifique et dans le monde social en changement vivent et meurent des « mythes scientifiques » (Shields, 1975a).

Les temps changent, les théories et les modes passent. Restent les mythes collectifs dans leur plus simple appareil.

LES INVARIANTS*

Il y a à l'origine du modèle dominant organiciste, appelé aujour- d'hui biologique, l'idée très simple, relevant de l'évidence, que, puisqu'il y a des différences anatomiques, physiologiques, génétiques, entre les mâles et les femelles, il doit bien y avoir des différences psychologiques et comportementales du même ordre, c'est-à-dire, de Vordre naturel. Les difficultés et les questions apparaissent avec la nécessité de com- prendre la relation entre les deux niveaux de fonctionnement, celui du corps et celui du psychisme : de la simple métaphore (l'âme est le miroir ou le reflet du corps), à l'idée d'un parallélisme ou d'une correspondan- ce (au dimorphisme anatomique correspond un dimorphisme psycholo- gique), jusqu'à l'affirmation d'un déterminisme. La variété de nature et de force de ce lien supposé va orienter des démarches de recherche di- versifiées : de l'hypothèse explicite d'un déterminisme et de sa vérifica- tion par des recherches ad hoc d'inspiration plutôt psycho-physiologi- ques, à des études centrées sur le niveau psychologique, autonomisé, mais dans lesquelles, plus ou moins mollement, plus ou moins implicite- ment, le modèle biologique est présent.

Deux axes de recherches coexistent. Le premier se constitue dans une tentative de mise en évidence de la spécificité psychologique des

1 . Pour exposer ces invariants, nous nous appuierons souvent sur des citations d'auteurs soit anciens soit très engagés théoriquement. Il ne nous semble pas que ce soit là introduire un biais dans notre argumentation : on trouve explicité chez ces auteurs ce qui est le fonde- ment implicite des travaux de presque tous les autres.

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mâles et des femelles comme dépendante du substrat cérébral, hormo- nal, physiologique, génétique. Ce sont par exemple les recherches sur les localisations cérébrales du début du siècle, et aujourd'hui, la reprise de ces hypothèses autour de la question de la spécialisation hémisphérique. Ce sont également celles sur les facteurs hormonaux du comportement sexuel, et, plus généralement, sexué. Enfin, très récemment, des preuves de la détermination génétique de l'aptitude spatiale par un gène récessif ont été avancées1.

Il faut ici comprendre l'influence du darwinisme. Conjointement aux recherches neuro-anatomiques et comme elles, il est responsable de l'accent mis sur les fondements biologiques des différences psychologi- ques entre les sexes et sur la hiérarchie naturelle entre hommes et fem- mes. Mais il a fait plus : en apportant une méthode de comparaison inter-sexe intra-espèce - fondée sur l'étude des caractères sexuels secon- daires et de leur fonction - qui met en évidence la plus grande variabili- té des mâles, il a introduit un modèle hiérarchisé du mâle et de la femel- le, copié sur le modèle de l'évolution des espèces, qui désigne les varia- tions autour de la norme comme les éléments de progrès, d'adaptabilité et donc de survie des espèces. Dans ce modèle hiérachisé, le mâle assure le progrès de l'espèce par sa plus grande variabilité, indissociable de la stabilité des femelles, réduites à leurs fonctions instinctuelles de repro- duction. Ce modèle a tout pour séduire. Il a engendré une floraison d'études psychologiques, sur l'intelligence en particulier, destinées à montrer les grands écarts observés chez les hommes : beaucoup de gé- nies, des imbéciles aussi. Les femmes, par contre, égales dans la médio- crité. On notera combien allègrement on saute, sur le plan explicatif, des caractères sexuels secondaires aux caractéristiques psychologiques. Aujourd'hui, de nouveau, ces théories évolutionnistes reprennent vigueur dans les thèses psychologiques néo-darwiniennes comme celle de Norbert Bischof* et dans la socio-biologie de E.O. Wilson (1978).

Ce premier axe de recherche, traversé par les problématiques des disciplines connexes que sont la médecine et la biologie, est un lieu de polémiques violentes, où convergent des luttes idéologiques et les débats sur l'inné et l'acquis, le déterminisme biologique et socials.

1. Cf. Rhoda Unger (1979a) et divers articles du Fait féminin (Sullerot, 1978), notam- ment celui de Sandra Witelson sur la spécialisation hémisphérique.

2. « Chercher la <r signification » d'un phénomène biologique, c'est chercher a compren- dre comment il a pu survenir et comment une fois survenu, il a pu se maintenir. Cela revient à rechercher son destin phylogénétique » (Bischof, in E. Sullerot, Le fait féminin, op. cit., p.34). Le phénomène en question est celui du « bisexualisme », du dimorphisme sexuel. Plus loin (p. 36), le même auteur écrit : «... je ne vois pas pourquoi il serait inutile ou même illégitime, de prendre en considération l'existence possible de « structures » profondes des comportements typiques de chaque sexe, structures profondes qui seraient préformées dans le matériel généti- que ». (C'est nous qui soulignons).

3. Cf. R.R. Larsen, in Le fait féminin, op. cit., p. 337 : « Implicitement et explicitement, on refuse un rôle significatif aux facteurs endogènes ou biologiques, du fait qu'il implique un préjugé quasi racial et que l'égalité des femmes dans la pratique se trouve sapée par l'hypothèse de leur différence dans la théorie ». (C'est nous qui soulignons).

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L'impact social et culturel de ce type de recherches est fort1 : leur mo- de d'explication s'impose d'autant mieux que dans la « hiérarchie » des sciences, le savoir médical et la science biologique, et aujourd'hui les neuro-sciences, sont perçus comme plus « vrais » ; et leurs conclusions peuvent servir aussi bien des thèses phallocratiques de l'altérité et de l'infériorité des femmes2 que des arguments de défense féministe de la spécificité féminine.

Le deuxième axe de recherche se situe plus directement au niveau psychologique, mais s'appuie implicitement sur le postulat de concor- dance entre dimorphisme psychologique et comportemental et dimor- phisme anatomique et physiologique. Les traits psychologiques et com- portementaux, la féminité et la masculinité, prennent alors valeur par analogie de caractères sexuels psychologiques secondaires. Les notions de traits constitutifs, dispositionnels, d'aptitudes, révèlent cet attache- ment à l'idée d'une nature constitutionnelle différente, relativisant ou laissant peu de place aux déterminants situationnels, environnemen- taux, sociaux et culturels, qui sont toutefois reconnus et repérés.

En effet, il serait injuste de ne pas signaler ici l'attention qui a été accordée aux facteurs dits « sociaux », notamment sous l'impulsion du culturalisme. Mais les modèles explicatifs qui intègrent ces facteurs n'ont pas remis en cause le modèle biologique : ils n'ont fait que le moduler, et finalement renforcer sa « valeur » heuristique. Pour beau- coup d'auteurs, la société en posant des normes d'attitudes, de compor- tements, de rôles pour chaque sexe ne fait que jouer le jeu de la nature, prendre son relais ; l'ordre social et culturel est pensé comme la para- phrase de l'ordre naturel*, avec également l'idée que s'écarter des don- nées naturelles constituerait un grave danger pour la survie de l'espèce humaine4, d'autant plus que sont reconnus une certaine malléabilité de la nature et un effet rétroactif de la culture sur la nature.

Les études sur les processus de socialisation et le développement des rôles de sexe, constitués en champ d'investigation original, n'ont pas non plus amené à renouveler les problématiques. En effet, quelles

1. Cf. un numéro au titre accrocheur de Science et vie : « Notre cerveau a un sexe », novembre 1980, numéro 758.

2. Les thèses du Docteur Moebius, exprimées dans son ouvrage au titre révélateur, De la débilité mentale physiologique chez la femme, (première édition, 1898), en sont un bel exem- ple. Et de nos jours, celles de la socio-biologie.

5. « Mais ne peut-on pas supposer que ces normes (culturelles)' ne se surimposent pas aveuglément à la nature humaine, mais qu'elles sont plutôt là comme une paraphrase, une inter- prétation, une elucidation de cette nature ». (Bischof, in Le fait féminin, op.cit., p. 36).

4. Cf. Dr Moebius (1898) : « s'il pouvait se faire que les facultés féminines aient le même développement que les facultés masculines, les organes génitaux s'atrophieraient et nous serions en présence d'un androgyne aussi laid qu'inutile ».

Stanley Hall en 1906 (cité par Shields, 1975a) craignait que la comptétition des femmes avec les hommes les amène à négliger leurs forces instinctuelles maternelles et ainsi conduise à « un suicide de la race ».

Wilson (1978) ne parle pas de suicide mais de « prix à payer »...

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que soient les références théoriques des auteurs, la différenciation nor- mée dès rôles de sexe est posée comme inéluctable et nécessaire à l'adaptation de l'individu. C'est ainsi que l'idée d'une nature différente des deux sexes, légitimant les différences d'éducation et de statuts sociaux, est restée plus ou moins explicitement présente dans toutes les elaborations théoriques, y compris celles qui privilégient par ailleurs les déterminants sociaux du développement.

Nombreuses sont les conséquences du modèle biologique comme système d'explication des différences de sexe. Contenus en lui ou en dérivant plus ou moins directement, se retrouvent des schemes de pen- ser, d'autant plus solides qu'ils se légitiment dans une démarche « scien- tifique » tout en conservant leur dimension de préjugés sociaux pro- fondément enracinés et largement partagés.

- Les différences psychologiques entre les sexes sont posées comme universelles et irréversibles, c'est-à-dire non modifiables, et permanentes au cours de la vie individuelle, de l'histoire, et au travers des différentes cultures. Si des variations dans les manifestations de ces différences sont repérées et analysées, elles sont considérées comme superficielles, sortes d'épiphénomènes développementaux ou sociaux.

- Le sexe est traité comme une réalité biologique homogène à la- quelle doit correspondre une réalité psychologique également homogè- ne. Les caractéristiques psychologiques propres à chaque sexe, ce qui lui est « approprié », forment un tout cohérent, qui sous sa diversité apparente reflète plus ou moins directement la réalité biologique. Mais à chaque sexe, sa réalité : il y a antinomie complète entre chacun de ces touts, entre masculin et féminin, aucune place pour l'entre-deux, hormis dans le pathologique.

- Tout individu « normal » est présumé avoir en permanence des comportements, des attitudes et des rôles en adéquation avec les nor- mes appropriées à son sexe. Des finalités adaptatives justifient en effet cette conformité. Les garçons et les filles, les hommes et les femmes, ne sauraient donc se situer en dehors des caractéristiques fondamentales qui leur sont propres - enfreindre les normes - sans dérèglement pour la société (voire pour l'espèce), et en premier lieu pour eux-mêmes, dans leur adaptation sociale et leur accomplissement personnel (vu comme étroitement dépendant de cette adaptation, grâce à un glissement sub- reptice de la notion d'adaptation biologique à celle d'adaptation sociale)1.

1. Il est en général admis qu'une certaine modulation autour des caractéristiques de chaque sexe, dans des variantes individuelles ou sociales, est compatible avec l'adaptation. Sur retendue de cette marge de variation non-préjudiciable, les avis divergent selon les auteurs, dans le flou des positions personnelles. « La réconciliation de notre société avec les exigences intrinsèques de notre nature - mâle et femelle - pourrait bien se révéler tout aussi cruciale (que) l'égalité des chances pour tout le monde, (comme condition) d'accomplissement personnel, de vie douée d'un sens et de bonheur. » Bischof, in Le fait féminin, op. cit., p. 49.

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- Parce qu'elles sont soumises à des périodes critiques qui ont une forte base biologique (comme la menstruation, la grossesse, la ménopau- se) supposées ne pas avoir d'analogue chez les hommes, le fonctionne- ment psychologique des femmes est perçu comme plus lié au fonction- nement biologique que celui des hommes, et moins sensible aux influen- ces culturelles. Il y aurait un noyau biologique de la femme qui résiste. Ses comportements sont supposés directement dépendants de ces moments biologiques spécifiques, par régulation du système nerveux central. Le glissement est alors tout proche vers une conception de la femme plus près de la nature, plus cosmique, « sœur de la lune », mais aussi plus proche de ranimai.

- Réduite à ce rapport particulier biologique/psychologique, la fem- me peut être traitée soit comme une espèce, soit comme une exception à l'intérieur de l'espèce humaine.

En tant qu'espèce, il faut la saisir comme objet de connaissance spécifique et une psychologie de la femme est ainsi justifiée. Espèce- femme, espèce inférieure, moins susceptible de variations individuelles que le mâle caractérisé par la diversité et l'irréductibilité à un type* . Ne parle-t-on pas presque toujours des hommes, et de la femme ?

Quand la femme est perçue comme déviance de l'espèce humaine, aucune théorisation générale ne peut se fonder sur elle. Son originalité, son « mystère », qui ne sauraient être dépassés, l'interdisent. La femme ne peut pas être objet de connaissance pour une psychologie générale. Le mâle (si possible blanc, adulte, civilisé et en bonne santé) se consti- tue en norme. Paradoxalement, il est toujours saisi comme représentant de l'espèce humaine, tout en n'étant jamais réduit à un standard. De sorte que les caractéristiques de cet être à la fois « normal » et supé- rieur sont plus valorisées que celles de la femme.

Dans ce système marqué par la dualité et Y asymétrie, les théories utilisent les femmes pour poser les questions, et prennent les hommes comme référence pour trouver les réponses. LES PRATIQUES DE RECHERCHE

Dans les pratiques de recherche, on peut constater le fort impact de ces divers invariants, qui ont force de postulats2 . On en retrouve la mar-

1. Cf. Stanley Hall (1904), in Lee et Stewart, 1976, p. 377 : « Un mâle idéal ou typique est diffìcile à définir, mais il y a une femme-standard idéale ».

i. il s agit évidemment ici des recherches qui tiennent compte, d une quelconque taçon, de la différence des sexes ou des différences de sexe. Mais le flou théorique entourant ces questions se manifeste au niveau des pratiques dans l'ensemble des recherches en psychologie. Ainsi, le choix de mentionner ou non le sexe des sujets, de le considérer ou non dans la présentation et / ou l'interprétation des résultats, paraît souvent tout à fait arbitraire et sans adéquation avec la problématique abordée ; l'effet du sexe de l'expérimentateur n'est pratiquement jamais contrôlé, etc.. Maccoby et Jacklin, op. cit., Sherman et Denmark, 1978, entre autres auteurs, analysent les raisons de la mise à l'écart de la variable sexe : certains chercheurs la justifient par des considérations politiques - il serait réactionnaire de l'introduire dans un travail scientifi- que - ; d'autres la considèrent comme une nuisance qu'il est souhaitable d'éliminer au plus vite.

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que à toutes les étapes de la recherche : choix des problématiques et des méthodologies ; formulation des hypothèses ; mise en place des disposi- tifs ; exploitation, interprétation, présentation, publication des résul- tats ; reprise en compte et utilisation des résultats, par le chercheur lui-même ou par d'autres, pour ou dans de nouvelles recherches.

Rappelons que la plupart des résultats disponibles depuis une cin- quantaine d'années sont issus de recherches dont l'objet n'est pas la différence des sexes, où la variable sexe est périphérique, tangentielle (Maccoby et Jacklin, 1974, Unger, 1979a). Mais, paradoxe apparent, que la variable sexe soit centrale ou accessoire dans la problématique de recherche, les biais qui marquent les pratiques varient peu, et sont sous-tendus par les mêmes a priori, implicitement posés comme fonde- ment d'évidences.

En fait, à travers tout l'éventail des domaines investigues par la psychologie, s'infiltre dans des hypothèses et des théories psychologi- ques - construites, affinées, et plus ou moins sophistiquées - une théorie psychologique implicite de la différence des sexes. Théorie naïve, se référant à l'évidence du sens commun, lui-même porteur des quelques postulats implicites énumérés plus haut et de l'ensemble, souvent contradictoire, des stéréotypes de l'homme et de la femme qui sont liés à ces postulats1 . Porte ouverte à tous les biais individuels, in- contrôlés, et incontrôlables faute d'une théorie consistante à laquelle on pourrait se référer.

Les insuffisances méthodologiques et conceptuelles qui ont marqué et continuent à marquer tout ce qui concerne de près ou de loin la dif- férence des sexes ne sont aussi stagnantes, nous semble-t-il, dans aucun autre secteur de la psychologie. Les nombreuses erreurs et confusions qu'on peut relever constituent de véritables « abus de recherche » (Sherman et Denmark, 1978). Nous n'en donnerons que quelques exemples, laissant de côté notamment tous ceux qui portent sur les as- pects plus techniques du traitement ou de l'interprétation des données, eux aussi néanmoins lourds de significations et de conséquences (Hurtig etPichevin, 1982).

L'idée que l'homme représente à lui seul l'être humain - dont la femme ne serait qu'une déviance - est bien souvent sous-jacente aux choix des thèmes de recherche, à la façon de poser les problèmes et de formuler les hypothèses, à l'élaboration des théories. A ces divers ni- veaux, et sous couvert de psychologie « générale », les pratiques de recherche sont de fait congruentes avec des problématiques spécifi-

1. « ... une société produit des stéréotypes, c'est-à-dire des combles d'artifice qu'elle con- somme ensuite comme des sens innés, c'est-à-dire des combles de nature » (R. Barthes, Leçon inaugurale au Collège de France, 1977).

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quement masculines, ou du moins socialement considérées comme tel- les. Par exemple, on étudie de façon privilégiée l'agression, la réalisation de soi dans le domaine professionnel, la compétition, etc. ; les rela- tions entre les sexes ne sont pas étudiées ; les diverses théories relatives à la différenciation socialisée des sexes ne sont vraiment cohérentes que pour les garçons...

Il n'est pas étonnant dans ces conditions que les chercheurs pren- nent comme sujets préférentiellement des hommes - ou, en psycholo- gie de l'enfant, des garçons -, qu'ils considèrent comme de « meilleurs sujets », pour des raisons plus ou moins cocasses relevant toutes néan- moins du caractère déviant des femmes (Prescott, 1978). Ces résultats obtenus sur des hommes sont ensuite souvent présentés comme des résultats de portée générale, surtout lorsque le chercheur est lui-même un homme. Les généralisations à partir de résultats obtenus seulement sur des femmes sont beaucoup plus rares.

Simultanément, et dans un paradoxe qui n'est qu'apparent, les études de psychologie différentielle des sexes - lorsqu'elles ne sont pas strictement comparatives - portent, elles, beaucoup plus souvent sur les filles ou les femmes, ce qui mène à mettre en évidence des caractéris- tiques qui leur seraient propres et dont toutes relèveraient. Comme s'il était plus difficilement pensable de faire des généralisations sur les hom- mes en tant que mâles, de dégager un type masculin.

La valorisation sociale des caractéristiques psychologiques considé- rées comme masculines a biaisé la construction des instruments censés mesurer la masculinité et la féminité. C'est ainsi que les listes de traits psychologiques établies pour différencier les hommes et les femmes sont imprégnées de connotations de valeurs, à dominante négative pour les traits « féminins » (par exemple, esprit vindicatif, exhibitionnisme, jalousie...), à dominante positive pour les traits « masculins » (par exemple, ténacité, sens des responsabilités, confiance en soi...). En fili- grane, évidemment, le postulat de la supériorité des hommes.

Ce postulat se manifeste aussi dans d'autres pratiques. Dans Vinter- prétation et Vutilisation ultérieure des résultats, il y a une amplification et une généralisation des constats qui montrent une supériorité masculi- ne et une minimisation ou une dévalorisation de ceux qui montrent une supériorité féminine. Quelques exemples fournis par Unger (1979a) : la supériorité des hommes en aptitude visuo-spatiale a indûment été étendue aux secteurs psychologiques les plus divers sans aucune preuve directe, et a servi ainsi à une légitimation psychologique de certaines places sociales1 ; le seul fondement à ne pas considérer la lecture

1. Voir à ce propos dans Le fait féminin, op. cit., les prises de position polémiques et contradictoires de Eleanor Maccoby, Sandra Witelson, Evelyne Sullerot.

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comme un comportement cognitif complexe paraît être que l'appren- tissage est plus facile pour les filles que pour les garçons. Des pratiques sociales qui favorisent les garçons cherchent appui sur des données psy- chologiques dans des contradictions flagrantes : ainsi la prédominance de la représentation des garçons, et de leurs centres d'intérêts, dans tous les manuels scolaires (illustrations, exemples, textes, etc.) est justifiée, quand il s'agit d'arithmétique ou de mathématiques, par la supériorité des garçons dans ce domaine, et, quand il s'agit de lecture ou de fran- çais, par leur infériorité verbale qu'il faut à tout prix compenser.

Comme le dit Unger (1979b), « ... le processus de jugement social aboutit presque toujours aux équations, mâle -supérieur, femelle = in- férieur. Pour le sexe comme pour la race, les catégories sociales « sépa- rées - mais - égales » n'existent pas » (p. 1092).

Le modèle biologique - qui veut qu'au dimorphisme anatomique corresponde un dimorphisme psychologique -, et le modèle dualiste, bipolaire qui lui est lié, nous paraissent déterminer, au moins en partie, une attitude systématique dans les comparaisons intersexes qui consiste, à toutes les étapes de la recherche, à mettre l'accent sur les différences et à passer sous silence les similitudes*. En considérant implicitement, quelle que soit la problématique, le sexe comme une variable organique - sélectionnée parmi toutes les variables organiques possibles, et posée comme dichotomique -, on choisit de ne pas « tester l'hypothèse nul- le », c'est-à-dire de ne pas s'interroger sur la non-différence, ce qui dans certains cas revient presque à interpréter des différences constatées en- tre groupes constitués « au hasard » (Maccoby et Jacklin, op. cit.). Cet- te attitude est institutionnellement renforcée par la politique de publi- cation. Aussi, quand on cherche à faire le point de la question à partir de l'ensemble des résultats de recherche - comme l'ont fait E. Maccoby et C. Jacklin - ne dispose-t-on que d'un tableau parcellaire, « biaisé » par l'hypertrophie des différences. Cette situation est entretenue par l'absence d'une base théorique unifiante qui pourrait rendre compte des similitudes (Unger, 1979a).

La force du modèle biologique et dualiste s'affirme aussi, aux diver- ses phases du travail scientifique, dans la référence implicite à l'évidence de la dualité psychologique des sexes, de sa cohérence, de sa stabilité, de sa nécessité, de sa normalité enfin.

De la formulation des problématiques à l'interprétation des résul- tats - c'est-à-dire à l'analyse des constats auxquels on est arrivé en

1. Cette « obsession de la différence », poussée ici à l'extrême, est toutefois présente par- tout en psychologie, engendrée ou servie par les méthodes statistiques qu'on privilégie : « un psychologue bien socialisé n'envisagera même pas des études qui pourraient montrer des simili- tudes » (Hefner et al. 1975, p. 150).

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passant par certains choix méthodologiques - perce la croyance en Yantinomie entre masculinité et féminité comme dimension fondamen- tale de la personne, et en Yhomogénéité de Tune et de l'autre. Ainsi de nombreux chercheurs ont pris indifféremment comme indicateur psy- chologique du sexe la représentation de soi ou des autres, les compor- tements observés, les préférences énoncées, des opinions, des rôles sociaux, etc. Ces procédés impliquent l'hypothèse que ces divers indices sont interchangeables, qu'ils ne peuvent pas être discordants ; et a fortiori excluent celle d'une variabilité intra-individuelle pour chacun de ces indices. Dans un grand nombre de publications, il y a un hiatus étonnant entre le degré de généralité du problème posé et des conclu- sions, et la spécificité des moyens mis en œuvre, sans aucune argumen- tation à l'appui. Tout se passe comme si la force du lien entre psychi- que et biologique d'une part, la rigidité du cloisonnement entre mas- culin et féminin de l'autre, étaient telles qu'il serait illusoire de distin- guer divers niveaux psychologiques.

Le postulat que la normalité passe nécessairement par la conformité psychologique au sexe biologique - dans cette homogénéité supposée - est si puissant que les résultats publiés qui s'inscrivent en faux contre lui sont tenus à l'écart, souvent minimisés par le chercheur lui-même, et n'ont aucun impact sur les théories générales (Hefner et al., 1975, Rebecca et al., 1976). Dans l'interprétation des résultats, la référence aux valeurs sociales n'est pas intégrée. Ainsi, comme le remarque Lee (Lee et Stewart, 1976), alors même que la hiérarchie des statuts masculins et féminins est reconnue, on interprète comme signe d'anor- malité pour les filles l'appropriation au cours de leur développement d'éléments dits masculins, ce qui n'exprime en fait que leur aspiration à un meilleur statut, aspiration « normale » s'il en est. Ici, plus que dans d'autres domaines - celui des comparaisons entre classes sociales par exemple, ou même entre races1 -, le clivage est radical entre le plan de la réalité sociale et le plan de la réalité psychologique. La con- jonction de ce clivage et de l'amalgame entre réalités biologique et psychologique permet de légitimer la reconduction d'états de fait so- ciaux, en les couvrant du voile de la neutralité scientifique des « cons- tats ». Ce tour de passe-passe classique, qui s'appuie ici sur la toute- puissance de la nature, a créé de véritables cercles vicieux dans l'arti- culation entre problématique, méthodologie, et interprétation des résultats.

Enfin le postulat ̂ irréversibilité et d'universalité des différences entre les sexes amène à toutes sortes de généralisations abusives :

1. On peut à cet égard comparer, dans La psychologie différentielle de Pieron (1949), les connotations des deux paragraphes intitulés respectivement « La différenciation des types sexuels » et « La différenciation des types raciaux ».

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généralisation à partir d'un groupe d'âge souvent très étroit1, générali- sation à partir de résultats obtenus à une époque parfois fort ancienne, généralisation à partir d'une population particulière.

Par ces pratiques, on écarte de fait une approche interactionnelle et multidimensionnelle des facteurs en jeu et de la dynamique des pro- cessus, même lorsque cette approche est posée dans son principe com- me souhaitable (Birns, 1976, Lee et Stewart, op. cit., Sherman et Denmark, op. cit. ).

Outre ces divers postulats sous-jacents, les stéréotypes sociaux les plus triviaux de l'homme et de la femme infléchissent, presque toujours à l'insu des chercheurs, les pratiques de recherche. Il y a d'abord con- gruence entre ces stéréotypes et la façon de poser ou d'étudier certains problèmes psychologiques (Unger, 1979a). Ainsi on étudie l'agression, la compétition, surtout dans des populations masculines ; la séduction, la coopération, la soumission, dans des populations féminines. Et quand on étudie l'agression avec des sujets hommes, on utilise des techniques de chocs électriques, quand on l'étudié avec des sujets femmes, des techniques « papier-crayon »... Peu d'études utilisent sur un même thème les mêmes procédures avec des sujets des deux sexes, si bien que la comparaison des résultats est pour le moins hasardeuse, ... mais néan- moins établie.

Ensuite le chercheur, qui ne travaille en général pas à l'aveuglette, interprète ses résultats à travers la grille des stéréotypes, en particulier dans les recherches sur la personnalité. Par exemple, alors que des recherches expérimentales sur l'interprétation des tests projectifs sans connaissance du sexe du sujet ont montré l'impossibilité de distinguer les protocoles des hommes et des femmes, dans les conditions habituel- les - où précisément le sexe est connu - les psychologues croient repérer pour chaque sexe la prédominance d'indices révélant les traits qui sont traditionnellement attribués à ce sexe, et posent donc la dis- tinction des protocoles selon le sexe comme allant de soi (Unger, 1979a).

Dans la politique de publication, c'est-à-dire celle du pouvoir scien- tifique, il y a, outre la tendance à privilégier les différences aux dépens des similitudes, celle à rejeter les résultats - même s'il s'agit de diffé- rences - lorsqu'ils sont non conformes aux idées reçues (Maccoby et Jacklin, op. cit.). Ils sont d'emblée suspectés d'être « faux », quelles que soient les qualités intrinsèques de la recherche. Dans les manuels,

1. L'âge préscolaire est particulièrement surétudié : dans ce choix on peut voir en fili- grane l'idée que les comportements sont innés et/ou immodifiables au-delà de la première enfance.

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readings, revues de questions, présentations d'élaboration théorique, etc., on reprend systématiquement le même corpus de résultats, com- patibles avec la psychologie implicite des sexes. Il s'agit parfois de résul- tats fort anciens, et souvent contredits par de nombreuses recherches ultérieures. Même quand elles ont été publiées, celles-ci sont laissées de côté. Par ailleurs, les exemples abondent dans la littérature psychologi- que de déformation, voire de contresens total, opérés sur des résultats publiés qui ne correspondent pas aux clichés usuels (Birns, op. cit.).

Il y a dans toutes ces pratiques une énorme force de résistance à ouvrir des brèches dans un édifice monolithique, à arrêter une machine qui ronronne à l'unisson du pouvoir social. Ce n'est que depuis quel- ques années que tout ce système commence à être ébranlé et remis en question, dans des tentatives de moins en moins isolées, mais toujours marginalisées par l'institution, diffusées de façon circonscrite, et pres- que exclusivement menées par des femmes.

CONTRE-COURANTS

Pourtant, très tôt dans l'histoire de la psychologie des coups de pistolet tirés dans le décor, qui contestaient et dérangeaient toute cette belle cohérence, ont été donnés par des femmes. Et l'une d'elles, H.T. Wooley1, déjà en 1910 affirmait qu'il n'y avait « peut-être aucun champ de connaissance aspirant à un idéal de scientificité - autre que celui des recherches sur les différences de sexe - où aient proliféré autant de biais personnels flagrants, de logique martyrisée au service de préjugés, d'affirmations non fondées, et même de balivernes et de sot- tises sentimentales ».

Ces femmes se sont acharnées, épuisées, à apporter des contre- preuves, en s'engageant dans de vastes recherches - travaux de fourmi déjà -, sans parvenir à infléchir le flux des idées dominantes. Elles ont tenté un renversement de perspective : au lieu de partir du postulat que les conditions sociales reflétaient la nature foncièrement différente des deux sexes, elles ont cherché à vérifier l'hypothèse que les faits psycho- logiques considérés comme établis étaient biaises par ces conditions sociales - soit déterminés par elles et non « naturels », soit purement et simplement faux. C'est donc sur les différences de sexe qu'elles ont travaillé ; difficilement, besogneusement, dans le champ des problé- matiques de l'époque (taille et poids du cerveau, hypothèse de la varia- bilité, etc.).

1. Helen Thompson Wooley, « Psychological littérature : A review of the recent littérature on the psychology of sex », Psychological Bulletin, 1910, 7, pp. 335-342, citée par Stéphanie Shields (1975a, p. 739). On peut mentionner aussi, parmi ces pionnières, Leta S. Hollingworth (Shields, 1975b). Il y en eut bien d'autres.

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Le mouvement qui s'est amorcé aux Etats-Unis, au début des années 70, fortement impulsé par le mouvement féministe, est, lui, parvenu à se faire reconnaître institutionnellement (création d'une section spé- cialisée dans la plus importante association professionnelle, création de revues, nombreuses publications dans des revues scientifiquement co- tées, édition de nombreux ouvrages...). Ce mouvement s'est voulu radical. Il s'est donné pour objectif de constituer une psychologie des femmes, distincte de l'étude des différences de sexe, à partir de l'exa- men des biais qui marquent cette étude. L'accent a été mis sur la va- riabilité inter et intra-individuelle, dans le rejet d'une psychologie de la femme dégageant un type féminin unique ; la valeur explicative des différences de sexe, même correctement établies, a été contestée ; l'évidence de la dualité psychologique des sexes a été soumise à une critique rigoureuse1 ; les savoirs ont été décloisonnés et confrontés ; enfin d'autres conceptions de la différence des sexes ont été proposées. Ces conceptions nouvelles mettent l'accent sur l'épanouissement hu- main et non plus sur les différences entre hommes et femmes, récusent la valeur adaptative de la différenciation normée des sexes, et se reven- diquent comme porteuses de valeurs et de promesses de changement social. Il s'agit donc dans le même temps d'une remise en cause de la conception de la science.

En France, il n'y a pas, en psychologie, de mouvement de cette ampleur. Quelques tentatives isolées, comme l'organisation d'une table ronde interdisciplinaire lors d'un congrès international (Chiland, 1979b).

La « nouvelle » psychologie des femmes, élaborée essentiellement par des femmes, a su tirer profit d'une grande variété de données, sans se restreindre au domaine strictement « scientifique ». Elle a pris en considération les changements sociaux et le mouvement des idées, et a fait appel à l'expérience, la réflexion, ou la recherche militantes et politiques. Attentive aux enseignements de l'histoire, de la sociologie, de l'anthropologie, elle s'est en outre appuyée sur des résultats fournis par la biologie, ou issus de divers courants psychologiques. Notamment les recherches sur la différenciation sexuelle et le processus de sexualisa- tion dans leurs mécanismes biologiques et sur la différenciation de l'identité et des rôles de sexe et de genre (Stoller, 1968, Money et Ehrhardt, 1972) ; ou encore les recherches sur l'évolution de l'identité et des rôles de sexe tout au cours de la vie (Emmerich, 1973).

1. Cf. l'article fort bien documenté et argumenté d'Anne Constantinople, 1973.

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C'est aujourd'hui une masse de questions qui sont soulevées, parfois sans réponses, mais qui ont l'avantage d'ouvrir des perspectives. C'est ce chantier que nous tenterons de présenter maintenant.

Dans les études traditionnelles des différences liées au sexe, la va- riable sexe est identifiée à une variable génétique, chromosomique : on a affaire à des individus XX ou XY. Du moins croit-on faire référence à cette réalité, car en fait on ne dispose que du sexe civil des sujets dont on étudie les réponses.

On peut être tenté de penser que c'est la même chose. Or, on com- mence à savoir aujourd'hui que le sexe est une réalité hétérogène et complexe et qu'il n'y a pas d'indicateur unique qui puisse le définir. A différents niveaux descriptifs, on peut en distinguer les diverses compo- santes (voir le texte De Money dans Le fait féminin, Sullerot, 1978) :

- sexe génétique, chromosomique - sexe gonadique - sexe endocrinien - sexe anatomique (organes génitaux internes et externes, caractères sexuels secondaires)

- sexe assigné, identité civile (sexe décrété à la naissance au vu des organes génitaux externes)

-sexe psychologique (identité et rôles de sexe), lui-même non réductible à une seule composante.

Ce qui de fait a servi de critère explicatif aux comportements obser- vés, c'est, sous Vunique label sexe, l'un ou l'autre de ces indicateurs, et très préférentiellement ceux qui relèvent du niveau biologique fonction- nel (on sait quelle place a été accordée à la fonction reproductrice de la femme). On a ainsi associé les hormones et le comportement maternel, un gène récessif et l'aptitude visuo-spatiale, le programme génétique et la division des rôles et des statuts, les chromosomes, l'anatomie cérébra- le et le comportement, etc. On a donc, dans une conception simplifian- te si ce n'est simpliste de la dimension sexuée, fait comme si le sexe était une réalité homogène, comme si une de ses composantes pouvait représenter, ensemble, elle-même et toutes les autres.

Or, on sait aujourd'hui qu'il y a discordance possible entre ces composantes. Cela révèle une relative autonomie, prénatale comme postnatale, de certaines d'entre elles. Par exemple, avant la naissance, une défaillance des hormones testiculaires du mâle XY peut entraîner un développement de l'appareil génital selon le modèle féminin. Ce qui fait dire à Alfred Jost (Le fait féminin, op. cit., p. 87) : « ... au cours

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du développement, devenir un mâle est une lutte de tous les instants. La moindre défaillance testiculaire met le fœtus en danger d'être fémini- sé ».... Mais plus intéressantes pour les psychologues sont les discordan- ces possibles entre sexe assigné à la naissance au vu des organes génitaux externes et sexe génétique. En effet, on peut décréter un enfant garçon ou fille à la naissance en se « trompant » sur sa réalité génétique sans que cela apparaisse constituer un handicap pour la conformité à la for- me sexuée attendue du développement psychologique, à la condition que l'élevage et l'éducation soient consonnants avec cette désignation. Par ailleurs, des réassignations de sexe sont possibles sans désordre au niveau de l'identité de sexe et de l'adaptation psychologique, si elles ont lieu dans les deux premières années de la vie et si l'environnement social se conduit sans ambiguïté selon le nouveau sexe (Money et Ehrhardt, op. cit.).

Ces faits, corroborés par les études sur le transsexualisme (Stoller, op. cit.), révèlent la qualité de système ouvert et malléable du système génétique, dont la programmation sexuelle dimorphique n'est pas aussi absolue que pensée jusqu'alors1 . Ils contribuent à mettre en question le bien-fondé du modèle de déterminisme biologique, qui lie étroitement dimorphisme psychologique à dimorphisme génétique, et de l'idée d'ir- réversibilité des éventuelles différences psychologiques liées au program- me génétique. Ils obligent aussi à s'interroger sur la validité d'un modèle bicatégoriel dans lequel deux types d'individus, féminins ou masculins, correspondraient fidèlement à deux ensembles homogènes de compo- santes femelles ou mâles. Une hypothèse plus féconde peut dès lors être faite : le sexe se construit de façon multidimensionnelle, avec la place pour plus de deux catégories dans chaque dimension (Unger, 1979a). Reste à examiner dans quelle mesure et comment les divers aspects du sexe peuvent être à la fois indépendants et en interaction dans leurs expressions individuelles et sociales, et à comprendre à la fin, à travers l'articulation de ces divers aspects, la constitution de 17- dentité au masculin et au féminin. Ce sont bien là les objectifs de la « psychologie des femmes ».

Par contre l'assignation de sexe apparaît déterminante du genre, c'est-à-dire de l'étiquette qui, dès la naissance, inclut des compor- tements, des traits psychologiques et des rôles sociaux - présents ou futurs - définis socialement comme appropriés à un sexe ou à l'autre, et que l'individu s'applique à lui-même sur la base de l'information acquise durant les premières années de sa vie. Les caractéristiques

1. La biologie moderne propose une conception moins rigide non seulement de la program- mation ontogénétique, mais aussi de la programmation phylogénétique. L'évolution est compa- rée par F. Jacob (1981) à du bricolage, ce qui s'accorde mal avec les thèses néo-darwiniennes.

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psychologiques considérées comme normalement appropriées à chaque sexe et donc socialement désirables sont attribuées avec l'assignation de sexe à la naissance et sont les médiateurs ultérieurs de la différenciation des rôles de sexe et de l'identité de sexe ou de genre1 (Hurtig, 1982).

Contrairement aux hypothèses organicistes qui impliquent des en- vironnements sociaux égaux (Pieron, op. cit.), dès avant la naissance un grand nombre d'attitudes et de comportements des parents et de l'en- tourage sont différenciés selon le sexe de l'enfant et modèlent son déve- loppement. Le sexe assigné déclenche chez les autres des réactions dif- férentiellement normées qui constituent la matrice sociale des com- portements. Tout l'environnement social attend, encourage, perçoit chez l'enfant des comportements différenciés selon son sexe assigné, comportements qui sont ainsi facilités, et en partie agis par l'enfant lui-même. Cela est attesté par de très nombreuses recherches (Birns, op. cit., Zella Luria in Le fait féminin, op. aï., Jeanne Block in Sherman et Denmark, op. cit.). Comme le dit Z. Luria (p. 238), « les étiquettes ont toutes les chances d'agir comme des prophéties qui s'accomplissent d'el- les-mêmes avec les enfants. ... l'étiquetage ... influence les différences de sexe tout au moins dans la façon dont les parents les perçoivent, et par ricochet, dans l'image propre des enfants ». C'est dans ce jeu d'inter- actions que l'enfant construit son identité de sexe, les rôles de sexe marquant les limites du comportement permissible.

Cette nouvelle compréhension des processus de différenciation se- xuée permet des tentatives de clarification notionnelle et l'introduction de nouveaux concepts, pour l'instant « en rodage ». Ces tentatives sont en chantier, encore dispersées et insuffisamment coordonnées entre elles.

Le genre est un concept mieux défini que celui de sexe et qui réfère à une réalité plus restreinte. Il semble aujourd'hui pour beaucoup d'au- teurs une notion plus correcte que celle de sexe pour rendre compte du dimorphisme sexuel reconnu socialement, dégagé désormais des seuls impératifs dimorphiques de la fonction de reproduction. En effet, le genre est établi à la fois à partir d'un descripteur du sexe relevant du niveau anatomique externe, origine du sexe civil assigné, et à partir d'un descripteur relevant du niveau psychologique défini par les rôles de sexe et l'identité de sexe ou de genre. On peut s'attendre alors à ce que le genre soit un meilleur prédicteur de différences ou de non-différences entre les sexes que le sexe lui-même, ce qui s'est vérifié dans diverses recherches (Unger, 1979a). Sur ces bases peut s'établir une psychologie des différences de genre.

1 . La terminologie est ici fluctuante : certains auteurs parlent d'identité de sexe, d'autres d'identité de genre, sans qu'il soit possible d'établir une distinction bien claire entre les deux.

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Mais c'est encore rester dans la problématique des différences, qui ne peut permettre d'atteindre le niveau explicatif. Mieux vaut dès lors se centrer sur les effets de sexe plutôt que sur les sexes ou les genres.

De plus en plus d'auteurs étudient le sexe en tant que stimulus, c'est-à-dire les effets de cette étiquette assignée par les autres et inté- riorisée. Etre décrété garçon ou fille, se penser ou se dire homme ou femme, ne renvoie presque jamais au savoir que l'on est génétiquement l'un ou l'autre. En même temps, on semble inévitablement confondre le sexe avec les aspects biologiques des différences de sexe. Certes il faut prendre en compte le poids de l'expérience du corps. Mais s'il faut par- ler de programme, c'est pour en oublier la dénotation génétique, et en saisir tout le sens dans ce que plusieurs auteurs appellent la «fonction étiquetage » du sexe assigné à la naissance (Luria in Le fait féminin, op. cit., Unger, 1979a et b) ou le « schéma de genre » (Bem, 1981). Ces auteurs mettent l'accent sur les processus socio-cognitifs qui règlent les effets du sexe. Dans cette perspective, le psychologue ne se centre plus sur le féminin, le masculin, et leurs éventuelles différences, mais sur les représentations sociales qu'en ont les gens et le fonctionnement à la fois individuel et social de ces représentations.

On a pu montrer que le sexe est le premier critère de catégorisation ou d'identification d'un individu, même dans des situations expérimen- tales construites pour qu'il soit, dans des tâches cognitives, un critère non pertinent (Unger, 1979a). C'est aussi un des premiers critères de catégorisation utilisé par l'enfant au cours de son développement. Caté- gorisation sociale : avant toute autre chose c'est selon le sexe que très précocement se regroupent les jeunes enfants ; catégorisation cognitive, appliquée d'abord au monde humain puis tendant à se généraliser. Le langage porte et renforce cette dichotomie en divisant l'univers en plu- sieurs genres, réduits dans notre langue à deux, le masculin et le fémi- nin.

Nous avons déjà souligné le rôle de Y étiquetage, puis de l'auto-éti- quetage, dans la première enfance. Il influence les comportements et les perceptions de l'entourage, et en retour les comportements et les per- ceptions - y compris l'image de soi - de l'enfant. Ce rôle continue à se manifester tout au long de la vie dans des interactions de plus en plus complexes. On voit, dans ces conditions, à quel point serait dénué de sens le rêve parfois caressé de faire une psychologie « aveugle au sexe », c'est-à-dire où le chercheur ne connaîtrait pas le sexe des sujets (Mac- coby et Jacklin, op. cit. , Unger, 1 979a).

Beaucoup de comportements sont dans l'appréciation des gens clas- sés dans une bipartition par sexe, alors même que la dimension sociale

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de ce classement le plus souvent leur échappe. Et pourtant à l'observa- tion, ces comportements sont largement communs aux hommes et aux femmes - d'ailleurs aucun comportement n'appartient à un seul sexe -, et hommes et femmes peuvent avec des structures psychologi- ques identiques fonctionner de la même façon, malgré les effets de sexe. Les différences psychologiques entre les sexes, lorsqu'elles exis- tent, ne sont que des différences de moyenne, le plus souvent très fai- bles même si elles sont indubitables, avec de larges recouvrements. De fait, les gens sont moins typés selon le sexe qu'ils ne le croient des autres et d'eux-mêmes. Quand les psychologues hypertrophient les différences aux dépens des similitudes, ils ne font que suivre la tendance générale, comme c'est d'ailleurs le cas pour la plupart des distorsions que nous avons signalées dans les pratiques de recherche.

Ce sont donc les « biais d'évaluation » (Unger, 1979b) qui sont les biais les plus saillants, notamment dans l'auto-évaluation. Diverses re- cherches, où le seul stimulus utilisé était l'étiquette homme ou femme, ont montré que ce stimulus modifie chez les sujets les critères de santé mentale, l'appréciation d'une performance ou des causes d'un com- portement, les perceptions sur les valeurs des autres, etc. Et la même évaluation peut être donnée pour des comportements diamétralement opposés selon qu'elle concerne un homme ou une femme. Le titre d'un article cité par R. Unger (1979b) est révélateur de ces tendances : « Ex- plications de la performance positive dans des tâches liées au sexe : ce qui est réussite pour l'homme est hasard pour la femme »1 . De plus, les évaluations faites par les sujets varient en fonction du sexe de l'expé- rimentateur, et, le cas échéant, de la composition sexuée de l'environ- nement immédiat. Enfin, ces biais d'évaluation ne sont pas symétriques selon que l'évaluation porte sur des hommes ou des femmes : les fem- mes sont évaluées sur un continuum plus étroit que les hommes, on leur accorde moins de champ de variabilité inter- et intra-individuelle, on rapporte davantage leurs comportements à leurs conditions biologiques.

Une similitude entre hommes et femmes mérite d'être soulignée, c'est la communauté de leurs stéréotypes de sexe. L'analyse du contenu de ces stéréotypes permet de se demander s'il ne s'agit pas pour l'es- sentiel, de l'adhésion des femmes aux stéréotypes des hommes, qui sont évidemment plus favorables à leur sexe qu'aux femmes. C'est pourquoi une démarche de « non-allégeance » des femmes à ces stéréotypes peut leur ouvrir la voie à d'autres places dans le fonctionnement social et, dans la recherche sur les femmes, rendre irremplaçables leurs analyses. En démontrant les effets de sexe si longtemps masqués au nom de la

1. Kay Deaux et T. Emswiller, « Explanations of successful performance on sex-linked tasks : what is skill for the male is luck tor the female », Journal of Personality and Social Psychology, 1974, 29, pp. 80-85.

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science neutre, « libre de valeurs », et en proposant de nouvelles répon- ses aux étiquettes de sexe, elles peuvent provoquer un changement de perspective qu'elles assument comme socialement valorisé par elles.

Pour rendre compte de tous ces faits, et notamment de la prédomi- nance générale de la référence au biologique qui mène à mésestimer l'importance de la valorisation sociale, R. Unger (1979a et b) propose de considérer le sexe comme une variable biosociale. Elle en donne la définition suivante : « ce n'est pas une variable qui est le résultat de causes biologiques et sociales, mais une variable qui produit des effets à cause de conjectures socio-culturelles généralisées sur des processus biologiques universels » (1979b, p. 1092). Dans la mesure où l'environ- nement n'est jamais psychologiquement équivalent, l'idée même d'ef- fets purement biologiques est absurde. Il est injustifié de chercher à faire la part du social et du biologique ; et nécessaire au contraire de prendre d'emblée en compte leur étroite intrication.

Unger dit ailleurs : « les variables biologiques pertinentes peuvent opérer en dehors du corps - par voie d'effets socio-cognitifs - plutôt que comme effets directs sur le système nerveux central » (1979a, p. 472). Les facteurs biologiques n'agiraient donc pas directement, ils seraient inévitablement médiatisés par les jugements sociaux et les réponses sociales. Certains processus sociaux agiraient, eux, directe- ment : par exemple, il est bien connu, et prouvé par de nombreuses recherches, que les réussites des femmes sont l'objet de moins de ren- forcements positifs que celles des hommes.

Le maintien rigide d'une dichotomie dans les représentations socia- les du sexe et du genre est renforcé par les perceptions différentielles sur les propriétés biologiques des mâles et des femelles et sur l'impact de ces propriétés sur les états psychologiques. Des propriétés biologi- ques spécifiques aux femmes, on infère des états psychologiques qui sont considérés comme leur étant propres, et sont donc socialement at- tendus. Ces attentes peuvent induire non seulement des perceptions sociales chez les autres, mais les comportements attendus eux-mêmes. Par exemple, une recherche expérimentale citée par Unger montre que les comportements pendant la grossesse peuvent être autant déterminés par les attentes sociales - on attend d'une femme enceinte la passivi- té - que par des effets directs sur le cerveau du niveau élevé des hormo- nes femelles.

Cette conception des effets du sexe ne dénie pas l'existence de dif- férences biologiques entre les sexes, mais envisage que leur impact sur le fonctionnement psychologique puisse être ailleurs que dans des influen- ces physiologiques directes sur le système nerveux central. Elle permet

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de rendre compte des quelques différences psychologiques entre les sexes qui apparaissent comme universelles, puisque les processus biolo- giques auxquels on les attribue sont eux-mêmes universels.

La notion de variable biosociale permet de renouveler la formula- tion du vieux problème de Yinné et de l'acquis, cette « querelle stérile » comme le dit la biologiste Odette Thibault dans Le fait féminin (op. cit.). Elle est proposée par Unger pour traiter sur le plan psychologique, la différence des sexes. Or, si aujourd'hui nombreux sont les scientifi- ques de toutes disciplines à rejeter un modèle additif de l'inné et de l'acquis, ce n'est, comme par hasard, pas sur la différence des sexes qu'ils s'appuient pour proposer de nouveaux modèles.

Parmi les nouveaux concepts proposés, celui d'androgynie psycho- logique a impulsé un important courant de recherches et suscité de vives polémiques.

On peut voir à l'origine de ce concept un constat et deux hypothè- ses. Le constat : les gens sont dans leurs comportements moins confor- mes aux stéréotypes de leur sexe qu'on ne le croit et qu'ils ne le croient eux-mêmes. La première hypothèse : les comportements et les rôles de sexe évoluent áu cours de l'histoire plus aisément et plus vite que leurs représentations sociales. La seconde hypothèse se situe sur un plan plus théorique : il n'y a pas d'antinomie entre caractéristiques psychologi- ques masculines et féminines, les unes et les autres peuvent coexister chez une même personne qui peut manifester plutôt les unes ou plutôt les autres en fonction des situations.

Des recherches ont montré (par exemple, Bem 1976) qu'actuelle- ment une proportion notable des hommes et des femmes ont une per- sonnalité et des comportements androgynes, c'est-à-dire qu'ils présen- tent à la fois beaucoup de traits dits masculins et beaucoup de traits dits féminins. Elles ont en outre mis en évidence que l'androgynie psy- chologique favorise l'adaptation sociale beaucoup plus qu'une person- nalité fortement typée selon le sexe, contrairement à ce qu'on postulait et croyait avoir prouvé jusqu'alors. Un éventail plus large d'attitudes et de comportements disponibles permet en effet un choix, en fonction des contraintes situationnelles et sociales.

Ce concept se situe dans le champ de la psychologie différentielle. Il vise à établir une nouvelle typologie psychologique, statique comme toute typologie. En outre, il est validé par le critère d'adaptation so- ciale qui n'est lui-même pas questionné, dans une reconduction du glis- sement de sens adaptation biologique - adaptation sociale. Ce qui per- met de gommer, de masquer, les effets de la hiérarchie sociale entre

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femmes et hommes, l'asymétrie du féminin et du masculin, pourtant mis en évidence par des recherches portant sur l'androgynie psychologi- que elle-même1. Malgré ses dangers, ce concept n'est cependant à nos yeux pas dénué d'intérêt. Comme le dit R. Unger (1979a, p. 14), « la valeur du concept d'androgynie psychologique réside dans la séparation du rôle de sexe et du sexe - dans l'idée que des composantes importan- tes des catégories sexuelles peuvent être indépendantes les unes des autres ». (C'est nous qui soulignons). Mais Unger insiste plus loin sur le danger qu'il y aurait à « confondre changement de personnalité et chan- gement social » : l'androgynie psychologique est parfaitement compati- ble chez un individu avec des attitudes sexistes !

C'est dans une perspective plus dynamique et qui prend en compte la problématique du changement social plus que celle de l'adaptation, qu'est proposé le concept de transcendance des rôles de sexe, néan- moins lié à celui d'androgynie psychologique mais issu d'un autre champ de recherche, celui des processus de socialisation.

Les auteurs qui ont introduit ce concept (Hefner et al, op. cit., Rebbecca et al, op. cit.) - et celui qui en est proche, d'acquisition d'une identité androgyne (Block, 1973) - sont partis d'une critique des théories classiques du développement des rôles et de l'identité de sexe qui toutes, malgré leurs profondes divergences, fixent comme but ulti- me à ce développement la réalisation de la masculinité ou de la fémini- té. Certes l'enfant, au cours de stades successifs, apprend quels sont les rôles « appropriés » à chacun des sexes, apprend à utiliser ceux de son propre sexe, et se constitue progressivement une identité qui leur est conforme. Mais il peut ultérieurement, et pendant tout l'âge adulte, dépasser cette identité et ces rôles conventionnels en intégrant les as- pects féminins et masculins du moi et en tendant à une définition indi- viduelle des rôles de sexe. Cette éventualité est présentée, compte tenu du fonctionnement social actuel, comme plus prospective que descripti- ve, mais cependant partiellement réalisée ou réalisable. Hefner, Rebecca et Oleshansky, comme Block, insistent sur l'aspect dialectique de ce processus, en permanente restructuration dans la confrontation avec l'environnement social à travers les conflits, les crises, les contradic- tions, et leur résolution. Il y a évidemment dans cette conception de l'évolution des rôles de sexe une remise en cause radicale de l'idée d'ir- réversibilité, puisque l'accent est mis sur les restructurations jamais définitives tout au cours de la vie, les poids des avatars de la réalité sociale concrète sur l'évolution de l'identité de sexe, le rôle actif de

1. Pour ces critiques, voir par exemple : W.H. Jones, Mary E. O'C. Chernovetz, et R.O. Hansson, « The enigma of androgyny : differential implications for males and females ? », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 1978,46, pp. 298-313.

Anne Locksley et Mary E. Col ten, « Psychological androgyny : a case of mistaken identity ? », Journal of Personality and Social Psychology, 1979,57, pp. 1017-1031.

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l'individu dans cette réalité, et l'existence d'une pluralité de voies pour l'accomplissement personnel.

Les concepts d'androgynie psychologique et de transcendance des rôles de sexe sont explicitement normatifs. Les auteurs qui s'y réfèrent disent qu'il leur paraît nécessaire - tant sur le plan social qu'indivi- duel - que les êtres humains se dégagent de l'emprise de la « désirabili- té sociale » de l'étiquette de sexe, puissent manifester leurs caractéristi- ques humaines sans peur de violer les normes standard. Plusieurs d'entre eux soulignent le fait que cette voie est beaucoup plus difficile pour les femmes que pour les hommes.

Les caractéristiques psychologiques dites actuellement féminines ou masculines seraient donc en fait les unes et les autres simplement des caractéristiques humaines, que chacun, homme ou femme, devrait se sentir libre de pouvoir exprimer. Les divers auteurs toutefois rejettent l'idée d'un monde asexué, où il n'y ait plus de différences entre les sexes. Ils cherchent à s'en expliquer, sans parvenir, nous semble-t-il, à bien clarifier leurs positions : «... une société plus flexible et plura- liste dans laquelle les différenciations sont toujours présentes, mais pas rigidement liées au sexe biologique et pas différentiellement valorisées » (Hefner et al., op. cit, p. 153). Quelles différenciations ? Et quels liens avec le sexe biologique ? Un peu plus loin, les mêmes auteurs disent : « nous voudrions tous être des êtres humains en premier, et des hom- mes et des femmes [ males and females] en second ». Une idée du mê- me ordre est exprimée par Sandra Bem (in Sherman et Denmark, op. cit.) lorsqu'elle suggère que le sexe, « de figure, devienne fond ». Reste à nos yeux posée la question, tant au plan concret que théorique, de la réalité psychologique correspondant à de telles déclarations.

ET MAINTENANT ? R. Unger évoque, dans Female and male : Psychological perspecti-

ves, les différents autres titres qu'elle aurait pu choisir pour son livre : « la psychologie des femmes, la psychologie du genre, psychologie fé- ministe, psychologie pour les femmes, la psychologie des comparaisons femelle-mâle, etc. » (p. 24). A travers les nuances personnelles, un cadre commun se dégage cependant d'après elle pour une <r nouvelle psycho- logie du sexe et du genre ». Ce cadre est dessiné par les quatre points suivants :

« 1 . La recherche sur les effets du sexe est distincte de la recherche sur les différences de sexe.

2. Une nouvelle centration sur le sexe vient de la reconnaissance de la place des femmes dans les sciences sociales.

3. La conceptualisation du sexe comme variable sociale mène à

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une recherche fondamentalement différente de celle fondée sur la con- ceptualisation du sexe comme variable biologique.

4. Les prédictions supposées basées sur le sexe sont souvent des prédictions basées sur les rôles de sexe, en tant qu'ils sont prescrits et contrôlés par des processus sociaux ». (Unger, 1979a, p. 1).

Si nous citons ces deux passages, c'est qu'ils soulèvent deux ques- tions essentielles posées par la nouvelle perspective qu'ouvrent les divers courants de recherche que nous avons présentés : celle de la définition des objectifs, et celle, qui semble lui être indissociable, de la spécificité et de l'importance de la place des femmes dans cette recherche. Ques- tions essentielles à nos yeux parce qu'elles touchent à des problèmes de fond, énoncées comme telles par les auteurs eux-mêmes, mais aussi parce qu'elles marquent des points d'achoppement, d'après nous encore mal élucidés.

De fait, cette nouvelle psychologie est faite presque exclusivement par des femmes1 . De leur place sociale de femmes. Et chez toutes existe la volonté affirmée de construire une psychologie qui serait vraiment générale, c'est-à-dire dont la théorisation rendrait compte aussi bien des comportements des hommes que des femmes, mais concernerait enfin les femmes elles aussi. Ainsi, pour Reesa Vaughter (1976), citée par Unger, « le but de la psychologie des femmes est le développement d'une science non sexiste, d'une psychologie du comportement hu- main ».

Dans ces conditions faut-il chercher à constituer, et comment défi- nir, une psychologie des femmes ? Serait-ce une psychologie pour les femmes2, par les femmes, une psychologie féministe ? A travers les tex- tes que nous avons lus, un malaise perce autour de ces questions, et le besoin de se situer par rapport à elles et de tenter d'y apporter des réponses. Mais ces réponses ne sont pas claires, les divergences idéolo- giques manifestes. Du moins ces dernières sont-elles explicites.

Certaines adoptent préférentiellement une perspective descriptive, où la réalité sociale est intégrée à part entière (Hoffman, 1977), ou bien est plus ou moins masquée (Bem, 1976). D'autres (Block, op. cit., Rebecca étal., op. cit., Sherman et Denmark, op. cit., Unger, 1979a) adoptent plutôt une perspective prospective où l'accent est mis sur l'in- teraction entre les valeurs sociales et la science, les « vérités » scienti-

1. A noter un fait plus récent : depuis peu, paraissent des livres sur les hommes, écrits par des hommes, moins nombreux il est vrai que ceux sur les femmes écrits par des femmes. Mais il y a quelques années encore on ne disposait guère que de livres écrits par des hommes sur la femme...

2. Mary Parlée, 1975, citée par Unger, considère qu'il ne peut y avoir de psychologie des femmes, mais seulement une psychologie pour les femmes ou contre les femmes.

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fiques relativisées, et affirmée la différence entre ces « vérités » selon qu'elles sont produites par des hommes ou par des femmes de leurs pla- ces sociales respectives1 .

Quelles réponses apportent ces nouvelles perspectives à la question de la spécificité psychologique des femmes ? Là encore des réponses ouvertes, diverses, et la revendication de cette ouverture et de cette diversité. Mais en général, une certaine méfiance à l'égard de cette idée. Jusqu'où va l'irréductible et de quelle nature est-il ? On peut définir la « fémellité » comme l'ensemble des caractéristiques biologiques propres aux femmes (Faure-Oppenheimer, 1980). On peut définir aussi la « fé- melléité » (Chiland, 1979a), concept charnière entre le biologique et le psychologique, lié à l'expérience du corps. Mais n'est-il pas dangereux et abusif, sous prétexte que fémellité et fémelléité ont eu, et ont encore par des voies plus ou moins détournées, un impact psychologique et social, de chercher à cerner et fixer les contours psychologiques d'une (ou des) féminité(s), et pis encore d'une féminitude que par ailleurs on dénonce sur le plan politique (Chiland, op. cit.) ? Lorsqu'on sait que les seuls résultats psychologiques fiables se réduisent peut-être aux consé- quences de l'étiquetage, sont étroitement déterminés par les conditions qu'une société donnée offre à ce qui est étiqueté femme, comment ne pas ressentir la spécificité psychologique comme un piège, hors d'une démarche des femmes elles-mêmes - chercheurs ou non - pour précisé- ment en sortir ?

Mettre l'accent sur la spécificité c'est nécessairement escamoter la diversité inter- et intra-individuelle. Mais il s'agit bien là de spécificité psychologique, et non de spécificité sociale. Affirmer la diversité psy- chologique des femmes, refuser la bicatégorisation psychologique, ce n'est évidemment pas remettre en cause l'existence d'une categorìe sociale « femmes ». Il faudrait, nous semble-t-il, parvenir à refuser le terrain de l'alternative spécificité/non-spécificité. Mais on ne peut pour l'instant éluder le fait qu'il existe un débat sur ce thème, débat ouvert ou souterrain, dont dans un premier temps les termes ont à être éclair- cis.

R. Unger termine son livre en disant : « II est important d'étudier les domaines où les femmes ont été négligées, ou traitées de manière biaisée, mais sans fétichisme, à l'endroit de ce qui serait des propriétés uniques, quasi sacrées des femmes. Sur le plan social, la menstruation peut fonctionner de la même façon qu'un simple rhume. Ce sont les processus, et non les personnes, qui doivent focaliser l'attention ; le

1. Il est evident par exemple que, parmi les auteurs travaillant avec de nouvelles perspecti- ves dans le domaine de la socialisation ou de révolution au cours de la vie, la rupture avec les vieux postulats implicites sur les sexes est beaucoup plus nette chez les femmes que chez la plupart des hommes.

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sexe, et non les sexes. Peut-être, dans une certaine mesure, pourrais-je retitrer ce livre Ni l'un ni Vautre sexe » (p. 479).

Personnellement, nous adhérons à ce point de vue, tout en étant conscientes qu'il laisse dans l'ombre de nombreux problèmes. Mais s'il nous paraît important de d'ores et déjà le défendre, c'est qu'il y a, à nos yeux de femmes psychologues, le risque que se crée un double ghet- to : quelles que soient les précautions prises et les objectifs annoncés, la psychologie des femmes peut se trouver isolée de la psychologie généra- le - nouvelle incarnation du mythe du mystère de la femme, éternelle déviante - ; les femmes psychologues peuvent être cantonnées dans ce domaine de recherche, où elles sont fortement majoritaires certes, mais sans être pour autant beaucoup plus présentes qu'auparavant dans les autres domaines.

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* Pour des raisons évidentes, nous préciserons dans ces références quels auteurs sont des femmes en spécifiant leur prénom et non sa seule initiale, suivant ainsi la tradition de certains auteurs américains, qui ne nous en apparaît pas moins tout à fait choquante...

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Page 33: Mon Dieu! C'est la révolution et je suis encore en peignoir ! || La psychologie et les femmes

Résumé

Marie-Claude Hurtig et Marie-France Piche- vin : « La psychologie et les femmes - Petite endoscopie d'une discipline ».

La psychologie a-t-elle une ou des ré- ponses à la question de la spécificité fémini- ne ? Dans cet article, les positions prises par la psychologie au cours de son histoire sont examinées. Le plus souvent non explicitées - le problème étant même massivement éludé -, ces positions sont de fait fortement marquées par les postulats sous-jacents de l'infériorité des femmes et du déterminisme biologique. De nouveaux courants de recher- che impulsés aux Etats-Unis par le mouve- ment féministe sont présentés. Ils tendent à mettre en évidence les biais qui ont mar- qué les recherches quel que soit leur cadre théorique, la faible validité de la dichotomie psychologique masculin-féminin, et la pré- dominance des effets socio-cognitifs du sexe dont le fonctionnement est étudié.

Abstract

M.C. Hurtig et M. F. Pichevin, « Psychology and women ».

Does psychology have one or several answers to the question of female specifici- ty ? The different positions taken by psy- chology throughout its history are examined here. Afore often than not, these positions, which massively evade the question, are strongly marked by the underlying postula- tes of women 's inferiority and of biological determinism. New trends in research ini- tiated by U.S. feminists are presented. They tend to show the biases which have infor- med all research so far, regardless of its theoretical framework, the low validity of the masculine I feminine dichotomy as used in psychology, and the predominance of the socio-cognitive effects of gender in sexual differences.

Key words : psychology, female specificity, inferiority, biological determinism, sex differences, socio-cognitive, gender.

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