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alors que la ville nouvelle s’étage de 0 à 160 m, au flanc du Mont Agel. Le réseau routier présente de nombreux lacets, tandis que le chemin de fer, qui passe à 25 m d’altitude environ, a long- temps coupé la ville en deux ; ses deux gares occupaient beaucoup d’espace, celle de Monte- Carlo, juste en-dessous du Casino, et la princi- pale au pied du Rocher. (panoramique depuis la mer). Quelles ont été les solutions adoptées pour permettre le développement de l'espace ? Il n’y avait que deux façons de gagner de l’espace : sur la mer - on a commencé dès le XIX siècle pour arriver aujourd’hui à près de 45 hectares (limite Monaco)- et sous la terre. La première réflexion a porté sur la mise en souterrain de la voie ferrée, qui a été réalisée en deux phases : autour de 1960, un tunnel de près de 3 km a supprimé la partie orientale de la voie et la gare de Monte-Carlo. Pierre Duffaut, Olivier Vion Tunnels et Ouvrages Souterrains La Principauté de Monaco est considérée par tous comme un exemple d’urbanisme souterrain . Pouvez vous nous expliquer comment en est-on arrivé là ? Patrice CELLARIO, Directeur de la prospective de la Principauté de Monaco La Principauté est un très petit territoire : 160 hectares au milieu du XIX siècle, 202 aujour- d’hui, enclavé dans le territoire français, coincé entre mer et montagne. S’il compte 32 000 habitants la nuit, il y en a deux fois plus le jour, grâce aux emplois offerts aux communes voisines du département des Alpes-Maritimes. Cette activité suscite une forte demande d’espace, pour construire, circuler, transporter, et assurer tous les services urbains. Le relief y est une contrainte forte : le Rocher abrupt porte le palais princier et la vieille ville à l’altitude 60 m, INTERVIEW TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 208 - JUILLET/AOUT 2008 235 Patrice CELLARIO Directeur de la Prospective, de l'Urbanisme et de la Mobilité, en charge des fonctions de Commissaire du Gouvernement près la Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF). Il participe depuis près de 20 ans aux réflexions en matière de tra- vaux et d'urbanisme de la Principauté de Monaco dont le territoire complexe impose la prise en compte de la gestion des déplacements et d'un urbanisme souterrain dans la prospective d'aménagement du territoire et de son optimisation. Docteur-Ingénieur en Energétique Physique (CEA de Grenoble), ancien Directeur des Travaux Publics, il possède une grande expérience dans le domaine des infrastructures routières et sou- terraines. Il a notamment dirigé les opéra- tions de mise en souterrain de la voie ferrée et de la construction de la gare souterraine, du Grimaldi Forum, du Centre Commercial de Fontvieille avec la plate-forme de fret en sous-sol et initié l'opération de protection et d'extension du port de la Condamine. Depuis sa prise de fonction en 2001 à la tête de la Direction de la Prospective et des Etudes d'Urbanisme, puis en janvier 2008 à celle de la Direction de la Prospective, de l'Urbanisme et de la Mobilité, il travaille à l'élabora- tion et à la mise en œuvre de la politique de développement urbanistique de la Principauté dans l'intérêt de son expansion économique durable et de sa qualité de vie. Monaco, exemple remarquable d’urbanisme souterrain Cette interview a été réalisée par Pierre Duffaut et Olivier Vion. Elle fait le lien entre l'exposé présenté par M. Patrice Cellario, lors du colloque organisé par le Comité Espace Souterrain de l'AFTES en octobre 2006, et le congrès de l'AFTES d'octobre prochain. Grâce aux explications données par P. Cellario, les participants au congrès se rendront mieux compte de la spécificité de Monaco et pourront lors de leur présence sur place apprécier l'ensemble des infrastructures qui font de Monaco un exemple remarquable d'urbanisme souterrain. Cette interview sera également publiée dans la revue «Mines».

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Page 1: Monaco, exemple remarquable d’urbanisme · PDF fileMonaco)- et sous la terre. La première réflexion a porté sur la mise en souterrain de la voie ferrée, qui a été réalisée

alors que la ville nouvelle s’étage de 0 à 160 m,au flanc du Mont Agel. Le réseau routier présentede nombreux lacets, tandis que le chemin de fer,qui passe à 25 m d’altitude environ, a long-temps coupé la ville en deux ; ses deux garesoccupaient beaucoup d’espace, celle de Monte-Carlo, juste en-dessous du Casino, et la princi-pale au pied du Rocher. (panoramique depuisla mer).

Quelles ont été les solutions adoptéespour permettre le développement del'espace ?

Il n’y avait que deux façons de gagner de l’espace :sur la mer - on a commencé dès le XIX siècle pourarriver aujourd’hui à près de 45 hectares (limiteMonaco)- et sous la terre. La première réflexiona porté sur la mise en souterrain de la voie ferrée,

qui a été réalisée en deux phases : autour de1960, un tunnel de près de 3 km a supprimé lapartie orientale de la voie et la gare de Monte-Carlo.

Pierre Duffaut, Olivier Vion Tunnels et Ouvrages Souterrains

La Principauté de Monaco est considéréepar tous comme un exemple d’urbanismesouterrain . Pouvez vous nous expliquercomment en est-on arrivé là ?

Patrice CELLARIO, Directeur de laprospective de la Principauté de Monaco

La Principauté est un très petit territoire : 160hectares au milieu du XIX siècle, 202 aujour-d’hui, enclavé dans le territoire français, coincéentre mer et montagne. S’il compte 32 000habitants la nuit, il y en a deux fois plus le jour,grâce aux emplois offerts aux communes voisinesdu département des Alpes-Maritimes. Cetteactivité suscite une forte demande d’espace,pour construire, circuler, transporter, et assurertous les services urbains. Le relief y est unecontrainte forte : le Rocher abrupt porte lepalais princier et la vieille ville à l’altitude 60 m,

INTERVIEW

TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 208 - JUILLET/AOUT 2008 235

Patrice CELLARIO

Directeur de la Prospective, del'Urbanisme et de la Mobilité, encharge des fonctions deCommissaire du Gouvernementprès la Société Nationale desChemins de Fer Français (SNCF).

Il participe depuis près de 20 ansaux réflexions en matière de tra-vaux et d'urbanisme de laPrincipauté de Monaco dont leterritoire complexe impose laprise en compte de la gestion desdéplacements et d'un urbanismesouterrain dans la prospectived'aménagement du territoire etde son optimisation.

Docteur-Ingénieur en EnergétiquePhysique (CEA de Grenoble),ancien Directeur des TravauxPublics, il possède une grandeexpérience dans le domaine desinfrastructures routières et sou-terraines.

Il a notamment dirigé les opéra-tions de mise en souterrain de lavoie ferrée et de la constructionde la gare souterraine, duGrimaldi Forum, du CentreCommercial de Fontvieille avec laplate-forme de fret en sous-solet initié l'opération de protectionet d'extension du port de laCondamine.

Depuis sa prise de fonction en2001 à la tête de la Direction dela Prospective et des Etudesd'Urbanisme, puis en janvier2008 à celle de la Direction de laProspective, de l'Urbanisme et dela Mobilité, il travaille à l'élabora-tion et à la mise en œuvre de lapolitique de développementurbanistique de la Principautédans l'intérêt de son expansionéconomique durable et de saqualité de vie.

Monaco,exemple remarquable d’urbanisme souterrain

Cette interview a été réalisée par Pierre Duffaut et Olivier Vion. Elle fait le lien entre l'exposé présentépar M. Patrice Cellario, lors du colloque organisé par le Comité Espace Souterrain de l'AFTES enoctobre 2006, et le congrès de l'AFTES d'octobre prochain. Grâce aux explications données parP. Cellario, les participants au congrès se rendront mieux compte de la spécificité de Monaco etpourront lors de leur présence sur place apprécier l'ensemble des infrastructures qui font de Monacoun exemple remarquable d'urbanisme souterrain. Cette interview sera également publiée dans larevue «Mines».

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étages, dont l’accès supérieur dessert aussila commune mitoyenne de Beausoleil ; deux

galeries le relient auxquartiers de Fontvieilleet du port. Comme ledébit de la crue bi-centennale dans cevallon peut atteindre45 mètres cubes par uneseconde, le contourne-ment du parking et dela gare est assuré par unpuits de chute et unegalerie sous l’ensemblebâti, complétés par unechambre d’expansionmunie d’une grille detrop-plein horizontalequi permet à l’excèsd’eau de s’échappervers le port. Les terrainsde l’ancienne gare sont

maintenant en cours d’urbanisation (garetravaux, quai gare, gare depuis le port).

Quelles sont les principales problématiques auxquelles le sous-sol a pu répondre ?

Après le gain d’espace à bâtir, en lieu et placede la voie ferrée et sur la mer, la deuxièmeproblématique à laquelle répond l’espacesouterrain est celle des déplacements, dansl’optique d’améliorer le cadre de vie desquartiers. Dans un premier temps, l’exigencede desserte du quartier de Fontvieille anécessité la réalisation de deux tunnelspassant sous le Rocher. Actuellement, unnouveau schéma de circulation est en coursde mise en œuvre. Il vise à réduire ousupprimer la circulation de transit dans lesquartiers, grâce à une dorsale à 80 %souterraine, placée sous l’emprise de l’an-cienne voie ferrée (la réalisation en coursdoit se poursuivre jusqu’en 2010), dont la

surface a été rendue aux piétons et à l’urba-nisation. Quant à l’accès à la Principauté àpartir des liaisons routières de France et d’Italie,il a été amélioré par le tunnel Rainier III,tunnel unidirectionnel montant, qui reliedirectement le cœur de la Principauté à laroute nationale 7 (ce tunnel est contempo-rain du chantier de la gare, et lui a servid’accès pour les travaux) ; lorsqu’il seradoublé par un tunnel descendant, laPrincipauté sera parfaitement désenclavée.En outre, pour limiter les voitures des « actifspendulaires », un projet de parking implantéà proximité de l’échangeur autoroutier de laTurbie qui domine la Principauté et reliéà cette dernière par une liaison express estégalement à l’étude (tunnels et voiesferrées).

Par ailleurs, une politique très importante deparkings publics a été engagée pour éviter lesstationnements en surface et libérer l’espacepublic : plus de 15 000 places sont répartiessur le territoire, en sus des parkings privésimposés pour les logements et les zonesd’activités. La plupart sont en sous-sol, parexemple celui des Boulingrins devant leCasino. Certains acceptent les autocars detourisme, notamment au pied du Rocher.L’espace ainsi libéré est restitué aux piétonset à l’agrément : ainsi, Monaco compte plusde 34 hectares d’espaces verts ouverts aupublic, soit plus de 15 % de son territoire(parkings).

Enfin et toujours dans le domaine des dépla-cements, une vigoureuse politique de liai-sons piétonnes mécanisées, ascenseurs ouescaliers mécaniques, est mise en œuvrepour effacer les contraintes des fortes déni-velées et encourager ainsi la marche à pied,premier mode de déplacement à Monaco.

Quels autres services publics sont misen souterrain ?

Les besoins logistiques sont très importants :au premier rang, la gestion des eauxpluviales et usées car un bassin versant trèsimportant et habité domine la Principauté.Deux usines souterraines traitent ces eaux,l’une en caverne sous le Rocher pour leprétraitement physico-chimique, l’autre ensous-sol d’un immeuble industriel du quar-tier de Fontvieille, par moins douze mètressous le niveau de la mer qui assure l’épura-tion finale. Cette usine souterraine est entiè-rement en dépression et son air est traitéavant rejet à l’extérieur. Cette station, parrapport à l’usine d’incinération des orduresménagères et des résidus industriels, permet

INTERVIEWPatrice CELLARIO

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Interview

La voie a été remplacée par une avenuenouvelle, et les déblais du tunnel ont permisde restructurer en bord demer le nouveau quartier duLarvotto, avec descomplexes balnéaires etdes immeubles de loge-ments. À la fin de ladécennie 1990, la deuxièmephase a été beaucoup plusambitieuse, puisqu’elle aéliminé la partie occiden-tale par un tunnel de 3 kmet a créé une gare souter-raine. La gare a été trans-férée dans une cavernedisposant de deux quais ettrois voies. Elle assure letrafic local et internationaldes voyageurs et desmarchandises. Le bâtimentde la gare prend jour dansle profond vallon de Sainte-Dévote ; il estassocié à un parking de 750 places sur 13

Gare depuis le port

Quais de la gare

Gare - Travaux

Limites Monaco

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INTERVIEW Patrice CELLARIO

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des réseaux sans perturber les usagers de lasurface ; elles ont été généralisées à l’en-semble du territoire, à l’occasion de travauxd’envergure.

Qu’en est-il du transport desmarchandises ?

Le transport des marchandises pénalisebeaucoup le fonctionnement des villes. Dèsla fin des années 1980, nous avons mis enplace au sous-sol d’un immeuble du quar-tier Fontvieille un « Centre de distributionurbaine » qui reçoit les gros porteurs,alors que les livraisons en ville sont assuréespar de petits camions, en optimisant lestransferts, tant entre l’extérieur et laPrincipauté qu’à l’intérieur de la Principauté.Ce Centre a été doublé depuis par uncentre logistique situé à Nice, au voisinageimmédiat de l’échangeur autoroutier deSaint-Isidore. Ce service, fonctionnantévidemment dans les deux sens, est gratuit

une injection directe des boues produitespar le process d’épuration dans les fours del’usine ce qui évite le transport des boues àtravers la ville. L’incinération participe auchauffage urbain.

En effet, ce quartier de Fontvieille, entière-ment gagné sur la mer, comporte desimmeubles d’habitations et d’autres dédiésà des activités industrielles, dont les sous-sols étaient faciles à construire puisqu’ilsuffisait d’en réserver le volume au sein duremblai. Ils entourent le stade Louis II. Lequartier est desservi par un réseau de gale-ries techniques regroupant les conduites etles câbles de tous les concessionnaires, ainsiqu’un réseau de collecte pneumatique desordures ménagères, directement amenéesdans la fosse de l’usine d’incinération àpartir de bouches d’aspiration en pied d’im-meuble. Ces galeries constituent un usageintéressant du sous-sol, puisqu’ellespermettent la maintenance et l’évolution

Interview

car pris en charge par le gouvernement. Legarage atelier de la Compagnie des Autobusde Monaco est aussi en sous-sol, à la placede l’ancien stade ; le même bâtimentrenferme également un poste de transfor-mation haute tension et un central télépho-nique, alors que la toiture a été traitée enespaces verts et d’agrément.

Quelles sont les dernières réalisationsprestigieuses ?

Parmi les besoins importants de la ville, il yavait celui de salles de spectacles, decongrès et d’expositions : le GrimaldiForum est un bon exemple de cet urbanismesouterrain où on est allé chercher en infras-tructure ce qu’on ne pouvait pas avoir ensuperstructure. La partie qui émerge de14 m est peu de chose par rapport à l’en-semble. Une fouille de 17 000 m2, dont leradier est situé 18 m sous le niveau de lamer, est séparée de la Méditerranée par unvéritable barrage. Elle permet de loger unvéritable opéra de 1900 places, des sallesde réunions pour congrès, assembléesgénérales et commissions, le tout en-dessous du niveau de la mer, surmonté pardes espaces de réunions et d’expositions. Letraitement architectural permet l’amenée dela lumière du jour dans les sous-sols pouréviter le sentiment d’être totalemententerré. Le dernier niveau accessible aupublic étant à 10 m sous le niveau de la meret à environ 15 m sous le niveau de l’accès

Tunnels et voies ferrées

Parkings

Grimaldi Forum 1 et 3

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Merci, Patrice Cellario de nous avoir présentéces réalisations et ces projets de manièreaussi brillante. Né sous des contraintesfortes, ce condensé de savoir-faire est unexemple remarquable, riche d’applications àvenir dans le reste du monde.

INTERVIEWPatrice CELLARIO

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Interview

en surface, des analyses de risque ont étémenées pour assurer la sécurité despersonnes, qu’il n’était pas question denégliger. (Grimaldi Forum 1 et 3)

L’autre exemple est la nouvelle digue flot-tante pour protéger le port Hercule de lahoule du large. Sa conception novatricedégage un volume intérieur très important(25 000 m3), destiné au stationnement devéhicules, au stockage de bateaux et à diversbesoins logistiques. Est-ce un espacesouterrain ? Certainement, au même titreque les sous-sols du quartier Fontvieille.

Et dans un avenir proche ?

Les terrains libérés par la mise en souterrainde la gare de chemin de fer à l’arrière duquartier de Fontvieille dégagent un trèsgrand volume de sous-sol utilisable entre lescotes 0 et 22 NGM. On prévoit d’y agrandirle centre de distribution urbaine de quelque10 000 m2 supplémentaires, d’y transférerle centre de tri postal et d’y loger un centrede tri et gestion des déchets avant leurélimination définitive, sans compter lesinfrastructures classiques de stationne-ment. On étudie aussi la création d’un véri-table parc d’entrée de ville, intégrant le

Jardin exotique et le parc PrincesseAntoinette, au sein duquel une architecturede type troglodyte pourrait se développer.Les plans d’urbanisme de la Principautédonnent désormais toute leur place auxouvrages souterrains. (Figure ci-dessus).