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Le Praticien en anesthésie réanimation (2013) 17, 277—284 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com MISE AU POINT Monitorage de la saturation cérébrale en oxygène par spectrométrie proche infrarouge au cours de la chirurgie de l’épaule en position assise Cerebral tissue oxygen saturation monitoring by near infrared spectrometry during shoulder surgery in beach chair position Laurent Delaunay a,,1 , Thierry Villevieille b , Florence Plantet a a Clinique Générale, 4, chemin de la Tour-La-Reine, 74000 Annecy, France b Hôpital d’instruction des armées Bégin, 69, avenue de Paris, 94163 Saint-Mandé cedex, France MOTS CLÉS Spectrométrie de proche infrarouge ; Saturation en oxygène du tissu cérébral ; Chirurgie de l’épaule Résumé La chirurgie de l’épaule en position assise peut être responsable d’accidents neuro- logiques ischémiques. La mesure de la pression artérielle au niveau de bras surestime la valeur de la pression de perfusion cérébrale qui peut être inférieure au seuil d’autorégulation du débit sanguin cérébral. La mesure de la saturation tissulaire cérébrale en oxygène par la spectromé- trie de proche infrarouge permet de détecter les épisodes de désaturation et de corriger les valeurs de pression artérielle qui en sont responsables. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. KEYWORDS Near infrared spectrometry; Cerebral tissue oxygen saturation; Shoulder surgery Summary Shoulder surgery in beach chair position is associated with cerebral ischemia. Arte- rial blood pressure measurement at the arm overestimates the cerebral perfusion pressure value that could be below the cerebral blood flow autoregulation threshold. Cerebral tissue oxygen saturation monitoring by near infrared spectrometry allows preventing and diagnosing oxygen desaturation related to hypotension during surgery. © 2013 Published by Elsevier Masson SAS. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Delaunay). 1 Photo. 1279-7960/$ see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2013.07.013

Monitorage de la saturation cérébrale en oxygène par spectrométrie proche infrarouge au cours de la chirurgie de l’épaule en position assise

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2013) 17, 277—284

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

MISE AU POINT

Monitorage de la saturation cérébrale enoxygène par spectrométrie procheinfrarouge au cours de la chirurgie del’épaule en position assise

Cerebral tissue oxygen saturation monitoring by near infraredspectrometry during shoulder surgery in beach chair position

Laurent Delaunaya,∗,1, Thierry Villevieilleb,Florence Planteta

a Clinique Générale, 4, chemin de la Tour-La-Reine, 74000 Annecy, Franceb Hôpital d’instruction des armées Bégin, 69, avenue de Paris, 94163 Saint-Mandé cedex,France

MOTS CLÉSSpectrométrie deproche infrarouge ;Saturation enoxygène du tissucérébral ;Chirurgie de l’épaule

Résumé La chirurgie de l’épaule en position assise peut être responsable d’accidents neuro-logiques ischémiques. La mesure de la pression artérielle au niveau de bras surestime la valeurde la pression de perfusion cérébrale qui peut être inférieure au seuil d’autorégulation du débitsanguin cérébral. La mesure de la saturation tissulaire cérébrale en oxygène par la spectromé-trie de proche infrarouge permet de détecter les épisodes de désaturation et de corriger lesvaleurs de pression artérielle qui en sont responsables.© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Summary Shoulder surgery in beach chair position is associated with cerebral ischemia. Arte-

Near infraredspectrometry;Cerebral tissueoxygen saturation;Shoulder surgery

rial blood pressure measurement at the arm overestimates the cerebral perfusion pressure valuethat could be below the cerebral blood flow autoregulation threshold. Cerebral tissue oxygensaturation monitoring by near indesaturation related to hypoten© 2013 Published by Elsevier Ma

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (L. Delaunay).

1 Photo.

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278 L. Delaunay et al.

La version audio de cet article est disponible en podcast(Matériel complémentaire, Annexe 1 en fin d’article).

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Figure 1. Autorégulation du débit sanguin cérébral chez despd

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iud5hddmeadueddTcloeiLdeux groupes. La pression artérielle moyenne était mesuréede facon invasive avec le zéro effectué au niveau du conduit

ntroduction

’attention a été attirée récemment sur la survenue deomplications neurologiques graves chez des patients opé-és d’une chirurgie de l’épaule en position assise. Pohl et al.nt rapporté quatre cas de lésions ischémiques cérébralest médullaires graves dans ce contexte chez des patients’âge intermédiaire et sans facteur de risque cardiovas-ulaire [1]. L’analyse de ces cas montre que la positionssise associée à une anesthésie générale crée une situationarticulière susceptible de favoriser une ischémie céré-rale. Ce problème est parfaitement illustré par un caslinique rapporté par Cullen et Kirby en 2007 [2]. Il s’agissait’une femme de 54 ans, ASA I, opérée d’une arthroplas-ie de l’épaule gauche. Ayant été précédemment opérée’une tumeur néoplasique du sein droit avec curage axil-aire, la patiente était perfusée au pied et la pressionrtérielle non invasive était prise au niveau du mollet.’intervention a été effectuée sous anesthésie généralessociée à un bloc interscalénique. Une hypotension contrô-ée a été réalisée à l’aide d’une perfusion de trinitrine et deabétolol. La pression artérielle moyenne était à 70 mmHg90/60) 2 heures après l’induction après un passage à 5070/40) mmHg. Une baisse de pression à 35 (50/25) mmHg

été traitée par une injection intraveineuse de phénylé-hrine. Le rythme cardiaque est resté sinusal, l’oxymétrietait toujours supérieure à 97 % et la valeur de la frac-ion téléexpiratoire en CO2 (ETCO2) autour de 28 à 29 mmHgout au long de la procédure. En postopératoire, aucunéveil anesthésique n’a été observé, mais au contraire, leiagnostic de mort cérébrale a été posé puis confirmé à’autopsie. Nous avons pu recenser trois cas cliniques simi-aires [3].

La Société américaine de chirurgie de l’épaule a colligéuit accidents neurologiques, ce qui, ramené au nombre’interventions effectuées dans ce pays (environ 200 000),orrespond à une incidence de 0,004 % [4]. Ce chiffre, pourussi faible qu’il soit, ne doit pas faire oublier deux choses.a chirurgie de l’épaule est une chirurgie fonctionnelle quioncerne des patients d’âge intermédiaire et fréquemmentans facteur de risque cardiovasculaire. Il est indispensableue tout risque grave, même exceptionnel, soit envisagé etrévenu. Par ailleurs, il serait surprenant que ne puissentas se produire au cours de cette chirurgie, des événe-ents de gravité intermédiaire pouvant passer inapercus,

oit parce que nous n’avons pas les moyens de les mettren évidence, soit tout simplement parce qu’ils ne sont pasecherchés.

Le but de cet article est dans un premier temps deappeler les mécanismes favorisant l’hypoperfusion céré-rale au cours de la chirurgie en position assise, puise discuter des moyens de prévention et notamment’intérêt du monitorage de la saturation cérébrale en oxy-

ène. a

atients normo- et hypertendus : débit sanguin cérébral en fonctione la pression artérielle moyenne.

écanisme de l’hypoperfusion cérébraleu cours de la chirurgie en position assise

eaucoup d’éléments concourent à diminuer la pression deerfusion cérébrale dans cette situation. Chez des sujetséveillés, il existe déjà une diminution de 14 % à 21 % dea pression de perfusion cérébrale en position assise [5].ous anesthésie générale, l’inhibition de l’activité sympa-hique est responsable d’une baisse de la pression artérielleoyenne, du retour veineux et du débit cardiaque [2]. Par

illeurs, d’autres facteurs favorisants peuvent interveniromme l’hypovolémie, la position de fixation de la tête,a ventilation mécanique et l’existence de sténoses caro-idiennes.

L’autorégulation du débit sanguin cérébral le rendndépendant de la pression de perfusion cérébrale dansn intervalle de pressions données. Classiquement chezes patients normotendus, cet intervalle se situe entre0 et 150 mmHg de pression artérielle [6]. Chez les patientsypertendus, la courbe d’autorégulation cérébrale estéplacée vers la droite (valeurs de pression plus élevées)’autant plus que la pression artérielle n’est pas oual équilibrée (Fig. 1). Le débit sanguin cérébral chute

n dessous d’un seuil de pression plus élevée que cellettendue. Même chez les sujets normotendus, la valeure 50 mmHg fixant la borne basse d’autorégulation semblen peu « optimiste ». La valeur seuil serait plutôt situéentre 70 et 90 mmHg et surtout cette valeur connaîtrait’importantes variations interindividuelles [7]. Les résultatse cette courte revue de la littérature sont donnés dans leableau 1. Une valeur de 70 mmHg de pression de perfusionérébrale doit toujours être présente à l’esprit commea limite à ne pas franchir. Récemment, chez 40 patientspérés de chirurgie de l’épaule en position assise, Soedingt al. ont comparé les vélocités sanguines dans la carotidenterne pendant une anesthésie générale ou une sédation.es patients ont bénéficié d’un bloc interscalénique dans les

uditif externe. Dans cette situation, il n’a pas été observé

Oxymétrie cérébrale et chirurgie de l’épaule en position assise 279

Tableau 1 Données de la littérature concernant la limite inférieure de l’autorégulation cérébrale chez des sujetsnormotendus et non anesthésiés.

Auteurs Technique d’hypotension Mesure du débitsanguin cérébral

Limite inférieured’autorégulation

Mc Call Hydralazine K-S/N2O < 64 (33—80)Veratrum viride K-S/N2O < 57 (40—72)

Moyer et al. Hexaméthonium K-S/N2O > 62 (53—80)Triméthaphan K-S/N2O > 57 (44—75)Pendiomide K-S/N2O < 61 (54—72)

Stangaard et al. Triméthaphan/tilt 1/DAV 73 ± 9

Waldemar et al. Triméthaphan/pression négative membre inférieur 1/DAV 79 (57—101)

Larsen et al. Bêtabloquant/pression négative du membre inférieur 1/DAV 79 (53—113)DTC 91 (41—108)

Olsen et al. Bêtabloquant/pression négative du membre inférieur 1/DAV 88 (76—101)

Olsen et al. Bêtabloquant/pression négative du membre inférieur 1/DAV 73 (60—100)A-NIRS 79 (73—101)

D’après Drummond [7].Pression artérielle moyenne exprimée en mmHg. K-S/N2O : mesure du débit sanguin cérébrale utilisant le protoxyde d’azote commetraceur par la technique de Kety-Schmidt ; 1/DAV : à métabolisme cérébral constant, le débit sanguin cérébral est calculé à partirde la différence artérioveineuse en oxygène ; A-NIRS : à métabolisme cérébral constant le débit cérébral est calculé à partir de ladifférence artérioveineuse en oxygène. La saturation veineuse étant calculée par spectrométrie proche infrarouge (NIRS) ; DTC : Dopplertranscrânien au niveau de l’artère cérébrale moyenne. Les signes < ou > signifient que le seuil n’a pas pu être déterminé précisément.

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de diminution des flux sanguins dans l’artère carotideinterne dans le groupe opéré sous anesthésie générale,malgré une pression artérielle moyenne plus basse maistoujours supérieure à 70 mmHg. Ces résultats vont dans lesens d’une autorégulation intacte dans ces conditions [8].

Chez les patients placés en position assise, la pressionartérielle est habituellement mesurée de facon non inva-sive au niveau du bras. En décubitus dorsal, la pressionartérielle mesurée au bras peut être assimilée à la pres-sion au niveau cérébral. Ce n’est plus le cas en positionassise car il existe un gradient de pression entre le bras et lepolygone de Willis. Ce gradient de pression, qui dépend del’inclinaison de la table, est de 0,77 mmHg/cm [2]. En pra-tique, en position assise, une pression artérielle moyenne à80 mmHg mesurée au niveau du bras correspond à une pres-sion artérielle moyenne de 55 mmHg au niveau du polygonede Willis (conduit auditif externe) et à 44 mHg au niveau ducortex (Fig. 2A). Ce gradient est bien évidemment encoreplus important si la pression artérielle est mesurée au niveaudu mollet. Si l’on reprend le cas clinique présenté par Cullenet Kirby, il est assez facile d’imaginer ce que pouvait être lapression artérielle au niveau cérébral quand la pression auniveau du mollet était à 50 et même à 70 mmHg [2] (Fig. 2B).

Sous arthroscopie, le saignement peropératoire peutrapidement devenir gênant. La détermination d’un niveaude pression artérielle adapté est un sujet de discussionrémanent entre chirurgien et anesthésiste. Si la responsa-bilité de la pression artérielle dans la genèse du saignement

est indéniable pour des niveaux de pression élevés, elle estmoins évidente en dessous de 100—110 mmHg de pressionartérielle systolique [9]. Dans ce cas, ce sont les variationsbrutales de pression qui pourraient jouer un rôle. L’intérêt

ddee

e l’anesthésie locorégionale est évident dans cette éven-ualité, en atténuant les variations de pression artérielleiées aux stimulations chirurgicales, mais non documentéans la littérature [9]. Si le chiffre de 70 mmHg de pres-ion artérielle moyenne (à la base du crâne) est une valeureuil recommandée, cette valeur peut varier d’un individu

l’autre. Dans une étude récente concernant la chirurgiee l’épaule, Murphy et al. recommandaient de maintenira valeur pression artérielle moyenne au moins à 80 % dea valeur de base. Malgré le respect de cet objectif, cesuteurs constataient des variations significatives de la satu-ation cérébrale en oxygène mesurée par spectroscopie deroche infrarouge, en position demi-assise, chez plus de 80 %es patients surveillés. Néanmoins, en respectant cet objec-if de pression artérielle moyenne, ils n’eurent à déplorerucun accident neurologique grave [10].

En résumé, les complications neurologiques de typeschémie cérébrale après chirurgie de l’épaule sont trèsares mais dramatiques, notamment car elles concernentes sujets jeunes et sans antécédent.

En position assise, il est indispensabled’apprécier la pression de perfusion cérébrale ce

que ne permet pas la mesure de la pressionartérielle au niveau du bras.

Dans aucun cas, il ne faut utiliser la mesure de pressionrtérielle au niveau du mollet car le risque de surestimation

e la pression cérébrale est trop important. Des mesurese prévention de l’ischémie cérébrale sont indispensables :n effectuant progressivement le passage en position assise,n contrôlant l’installation de la tête du patient pour éviter

280 L. Delaunay et al.

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igure 2. Estimation de la pression artérielle au niveau du conduitpression artérielle moyenne : 80 mmHg) mesurée au bras (A) ou au

a compression des vaisseaux du cou et en évitant et trai-ant toute hypotension peropératoire. Envisager la mise enlace d’une mesure invasive de la pression artérielle, avecn zéro au niveau du conduit auditif externe, est pertinentt ce d’autant plus que l’intervention risque d’être longuet compliquée.

oit-on effectuer la chirurgie de l’épauleous anesthésie générale en positionssise ?

’alternative serait de ne plus opérer en position assise maisn décubitus latéral. Dans la mesure où toute l’innervationensitive de l’épaule dépend de C5-C6, le bloc interscalé-ique seul est suffisant pour l’analgésie peropératoire [11].n revanche, il est insuffisant pour l’obtention d’un relâche-ent musculaire complet. L’innervation motrice de l’épaule

st assurée par le nerf spinal d’origine bulbaire qui innervee muscle trapèze et des racines médullaires allant jusqu’en1 pour le muscle grand dorsal. Les interventions chirurgi-ales sont de plus en plus compliquées et souvent réaliséesous arthroscopie, les chirurgiens ont besoin d’un relâche-ent total de l’épaule et d’un patient immobile tout au

ong de la procédure. Dans notre établissement, après plus’une décennie d’intervention sous bloc interscalénique, laédation associée a été remplacée par l’anesthésie géné-ale. En ce qui concerne la position peropératoire, de plusn plus d’équipes préfèrent la position assise (en fait en

transat »). En effet, il semble qu’elle exposerait moins auisque d’étirement du plexus brachial, elle permettrait uneeilleure « visibilité » intra-articulaire et une facilité plus

rande en cas de conversion à ciel ouvert [12,13]. Il paraîtaintenant difficile de refuser la position assise aux chirur-

iens et ce d’autant que de plus en plus d’équipes travaillentans cette position. Nous devons donc réfléchir à sécuriserette situation.

eut-on mieux surveiller les patients ?

ans une étude récente, Lee et al. ont évalué la mesure de laaturation tissulaire cérébrale en oxygène chez 28 patients

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tif externe et du cortex cérébral pour une même pression artérielleet (B).

pérés d’une chirurgie de l’épaule en position assise. Laaturation cérébrale était mesurée à l’aide d’un appa-eil de spectroscopie de proche infrarouge. Chez tous lesatients, une hypotension contrôlée, avec une pressionrtérielle moyenne cible à 60—65 mmHg, était réalisée. Laression artérielle était mesurée de facon invasive avec unéro effectué au niveau du conduit auditif externe. Uneiminution de la saturation tissulaire cérébrale en oxy-ène superposable aux variations de la pression artérielleoyenne a été observée. De plus, deux patients ont pré-

enté un épisode de désaturation tissulaire cérébrale delus de 20 % de la valeur de base, ce qui correspondrait aueuil d’ischémie cérébrale à partir duquel peuvent appa-aître des troubles neurologiques. Certes, aucun symptômeeurologique n’a été observé entre le pré- et le postopé-atoire en effectuant notamment un mini mental statusest chez les patients. Néanmoins, le monitorage a per-is de corriger immédiatement la pression artérielle chez

es deux patients à l’occasion d’une désaturation [14]. Uneutre étude précédemment citée, a comparé l’évolutione la saturation tissulaire cérébrale en oxygène chez deuxroupes de patients opérés d’une chirurgie de l’épaule soitn position assise soit en décubitus latéral. Les patients’étaient pas randomisés, mais les auteurs ont pu mettren évidence une saturation tissulaire cérébrale en oxygènelobalement plus basse dans le groupe opéré en positionssise. La pression artérielle mesurée au bras était compara-le entre les deux groupes, ce qui implique qu’elle était plusasse au niveau cérébral chez les patients en position assise.oixante-quinze pour cent des patients assis ont présenté unpisode de désaturation cérébral peropératoire contre 0 %ans le groupe décubitus latéral [10].

La mesure de l’oxymétrie cérébrale pourrait être laechnique de monitorage non-invasif qui nous permet-rait, d’une part, de sécuriser la perfusion cérébrale enosition assise et, d’autre part, d’adapter au mieux laression artérielle moyenne au cours des différents tempspératoires. Nous avons évalué la pertinence de ce monito-age chez 40 patients. Tous bénéficiaient d’une anesthésie

énérale associée à un bloc interscalénique. L’anesthésieénérale était conventionnelle, associant propofol, sufen-anil et atracrium et entretenue par du desflurane. La

Oxymétrie cérébrale et chirurgie de l’épaule en position assise 281

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Figure 3. Comparaison des courbes de mesure de la saturation cet des vélocités sanguines mesurées par doppler transcrânien (B) ch

ventilation était adaptée pour maintenir une ETCO2 autourde 35—39 mmHg. La pression artérielle était mesurée auniveau des bras. La saturation tissulaire cérébrale en oxy-gène était mesurée par spectrométrie de proche infrarouge(Invos 3100TM). Nous avons relevé les variations de satura-tion tissulaire cérébrale en oxygène lors des événementshypotensifs spontanés peropératoire. Un enregistrement desvélocités sanguines cérébrales à l’aide d’un Doppler trans-crânien a été effectué chez 14 patients (Waki 1-TC digital,Atys médical France) ; 17 épisodes hypotensifs avec dimi-nution simultanée de la saturation tissulaire cérébrale enoxygène et des vélocités cérébrales, ont été enregistréschez les 14 patients monitorés avec le Doppler transcrânien.

Aucun patient n’a présenté de diminution desvélocités sanguines, ni de la saturation tissulaire

cérébrale en oxygène quand la pressionartérielle moyenne était au-dessus de 70 mmHg.

Dans 11 cas, la saturation tissulaire cérébrale en oxygèneest descendue en dessous du seuil des 20 %. Dans les six casrestant, la chute de saturation tissulaire cérébrale en oxy-gène se situait entre 10 et 20 % de la valeur de base. Aucunpatient n’a présenté de diminution des vélocités sanguinessans diminution concomitante de la saturation tissulairecérébrale en oxygène. La Fig. 3 montre un enregistrementtypique avec trois épisodes hypotensif.

Dans le second groupe, nous avons observé 33 épisodeshypotensifs en dessous de 70 mmHg de pression artériellemoyenne. Dans 28 cas, nous avons observé une diminutionde la saturation tissulaire cérébrale en oxygène, mais dans

cinq cas la saturation tissulaire cérébrale en oxygène n’a pasou peu varié (moins de 10 %). Par ailleurs, deux patients ontvu leur saturation tissulaire cérébrale en oxygène diminuerde 20 % pour une pression artérielle moyenne supérieure

rale en oxygène mesurée par spectrométrie proche infrarouge (A)n patient ayant présenté trois épisodes hypotensifs.

70 mmHg respectivement à 75 et 82 mmHg. Il s’agissaite deux patients hypertendus. Enfin, nous n’avons observéucune variation significative de l’indice bispectral avant,endant et après chaque événement hypotensif [15].

pectrométrie de proche infrarouge

rincipe

a mesure de la saturation tissulaire en oxygène utilisea spectrophotométrie de proche infrarouge (near infraredpectroscopy [NIRS]). Pour comprendre le principe de cetteesure, trois notions sont importantes :tous les tissus, y compris le crâne, sont relative-ment transparents dans les longueurs d’onde prochede l’infrarouge. Néanmoins, compte tenu de la faibleintensité de la lumière, les dispositifs actuels analysentla lumière réfléchie plutôt que transmise comme pourl’oxymétrie pulsée. Le récepteur est donc placé à côtéde l’émetteur et utilise la propriété des photons réfléchisde se déplacer sur une trajectoire elliptique tout autourde l’émetteur. La profondeur dépend de la distance entrel’émetteur et le récepteur d’un facteur 1/3. Par exemple,si l’émetteur et le récepteur sont éloignés de 5 cm, lesphotons analysés seront ceux qui ont pénétré d’environ1,7 cm dans les tissus ;dans le spectre proche de l’infrarouge, les princi-pales molécules qui absorbent la lumière sont lescomplexes métalliques chromophores, particulière-ment l’hémoglobine mais également la bilirubine etles cytochromes. Pour chacune de ces molécules,

l’absorption maximale dépend de la longueur d’onde.Pour l’hémoglobine réduite, l’absorption est maximalepour des longueurs d’onde entre 650 et 1000 nm, alorsque pour l’oxyhémoglobine, les longueurs d’onde se

282

Figure 4. Principe de mesure de la saturation cérébral en oxygènepar spectrométrie proche infrarouge. Invos 3100®, d’après Covidiena

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situent entre 750 et 1150 nm. Par conséquent, en utili-sant au moins deux longueurs d’ondes, il est possible dedéterminer la fraction d’oxyhémoglobine ;pour obtenir une spectrophotométrie du tissu cérébral,il faut que les photons traversent plusieurs couches detissus : scalp, table osseuse et enveloppe méningée pos-sédant leur propre vascularisation. L’absorption mesuréeau niveau du récepteur n’est donc pas celle du seultissu cérébral. Nous avons vu que la profondeur d’analysedépendait de la distance entre l’émetteur et le récep-teur. Si l’on rajoute un deuxième récepteur plus prochede l’émetteur, la mesure à ce niveau sera le reflet deces structures superficielles. Il devient simple, en utilisantun algorithme de soustraction, de déterminer principale-ment la saturation tissulaire cérébrale en oxygène.

L’appareil Invos 3100TM que nous utilisons émet sur deuxongueurs d’ondes rouge (730 nm) et infrarouge (810 nm) ettilise deux diodes réceptrices situées à 3 et 4 cm de la diodemettrice (Fig. 4).

imites techniques

épartition artérioveineuse cérébraleette technique mesure une saturation tissulaire moyenneoncernant les artères, veines et capillaires compris danse volume d’échantillonnage. Dans le cortex cérébral, il até montré que la répartition entre le sang veineux et arté-iel était de l’ordre de 70 %/30 % [16]. Néanmoins, cetteépartition est extrêmement variable et le risque d’uneauvaise interprétation des résultats, si l’on considère ce

atio comme stable, n’est pas négligeable. Par exemple, uneariation de l’hémoglobinémie (hémodilution, saignement)u l’hypoxémie peuvent modifier ce ratio et il est probableue d’autres facteurs interviennent, comme la position duatient. Une altération de la saturation tissulaire cérébralen oxygène affichée est possible sans qu’il y ait de réellesonséquences sur l’oxygénation tissulaire. Mais il est difficilee savoir quel est le retentissement réel de ces modifica-

ions, d’autant que nous ne savons pas exactement ce queontient l’algorithme de calcul utilisé par l’appareil.

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L. Delaunay et al.

ffet des tissus extracérébrauxême si l’appareil soustrait la composante d’oxygénation

issulaire liée aux territoires extracérébraux, on ne peutas complètement éliminer un risque d’interférence. Unetude a montré qu’il existait une relation entre les mesuresffectuées à l’aide de la spectroscopie proche infrarouget la concentration en hémoglobine réduite, l’épaisseure la table osseuse et de la couche de liquide cépha-orachidien. Ces notions ont été confirmées récemmentans une étude sur volontaires sains. Une hypoxie tis-ulaire du scalp, provoquée par un garrot, modifie lesaleurs de saturation tissulaire cérébrale en oxygène danses proportions qui vont de 6 % à 20 % selon les appareils17]. L’implication de cette notion est le risque potentiel’artefact ou d’atténuation du signal si les tissus extracé-ébraux deviennent moins épais ou au contraire œdématiésu bien en cas d’hémorragie extracrânienne ou sous-durale.éanmoins, sur la période courte que représente une inter-ention chirurgicale, il est peu probable que ces variationsuissent influencer les mesures de saturation tissulaire céré-rale en oxygène. En revanche, c’est un argument pourtiliser les variations de saturation tissulaire cérébrale enxygène par rapport à une valeur de référence plutôt que laaleur absolue. Cela peut également expliquer les difficultés’utilisation de ce monitorage en neurochirurgie.

ffet des autres chromophores tissulairesa mélanine, qui est une molécule chromophore, pourraitnterférer avec la spectrophotométrie de proche infrarouge.ans la mesure où celle-ci reste confinée dans la couchepidermique, le risque est négligeable [18]. En revanche, lailirubine conjuguée a un pic d’absorption à 730 nm et seépose dans l’ensemble des couches tissulaires. Une étudeffectuée sur des patients insuffisants hépatiques a mon-ré qu’elle était responsable d’une sous-estimation de laaturation tissulaire cérébrale en oxygène qui se corrigeaitartiellement après reperfusion du greffon [19]. C’est làncore un argument pour comparer les valeurs mesurées àa valeur de référence.

aturation tissulaire cérébrale en oxygène et tissuans activité métaboliquene étude effectuée sur 18 cadavres a montré dans un tierses cas une valeur de saturation tissulaire cérébrale en oxy-ène supérieure à celles de sujets sains [20]. Ces résultats,ui ont jeté un doute sur la pertinence de ce monito-ing, ne sont pas forcément surprenants. Dans une autretude, également sur cadavres, les auteurs ont retrouvé desaux d’oxyhémoglobine sur des prélèvements de sang vei-eux cérébral, allant de 0,3 % à 95,1 % [21]. Ces résultatsxtrêmes dépendaient de la cause du décès, des conditionse stockage, ainsi que du contenu total en hémoglobine.lus récemment, Nemeto et al. ont montré sur deux patientsictimes d’un accident vasculaire cérébral, dont l’un a faitn arrêt cardiaque, que dans la zone infarcie la satura-ion tissulaire cérébrale en oxygène pouvait être proche

iaque, le moniteur de saturation tissulaire cérébrale enxygène a rapidement détecté une désaturation cérébrale22]. L’explication la plus vraisemblable de ces résultats est

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Oxymétrie cérébrale et chirurgie de l’épaule en position ass

probablement liée à l’absence de métabolisme des zonesinfarcies ou non perfusées, plutôt qu’à un problème tech-nique. Là aussi, il faut comprendre qu’au-delà d’une « valeurabsolue », ce sont bien des variations dans un contexte cli-nique qu’il faudra interpréter avec ce type d’appareil.

La saturation tissulaire cérébrale en oxygènemesurée dans la région frontale est-ellereprésentative de l’ensemble du cerveau ?

Le reproche parfois fait à la spectrophotométrie de procheinfrarouge de n’explorer qu’une toute (trop) petite par-tie du cerveau est à tempérer [23]. Le même reprochepourrait être fait au Doppler transcrânien qui ne mesurele débit sanguin cérébral que dans l’artère communicanteantérieure ou à la prise de la pression artérielle au bras quiest censée refléter celle du reste du corps. Il ne faut pasconfondre le mécanisme et les conséquences du mécanisme.Si une diminution du débit sanguin cérébral se produit auniveau frontal en position assise, on peut supposer qu’elleconcerne l’ensemble du réseau vasculaire cérébral. Ainsiva apparaître une désaturation cérébrale qui peut abou-tir à un accident cérébral postopératoire. Mais il ne s’agiteffectivement pas d’un examen d’imagerie destiné à détec-ter l’infarctus constitué. L’hypothèse d’une hypoperfusioncérébrale entraîne de fait dans la pratique quotidienne uneaction thérapeutique précoce. La difficulté d’interprétationde la spectrophotométrie de proche infrarouge repose sur-tout sur la définition de la diminution tolérable de la valeurde base.

Conclusion

Il est important de connaître le principe et les limites detout nouvelle technique de monitorage afin d’interprétercorrectement le résultat des mesures. En ce qui concernela mesure de la saturation tissulaire cérébrale en oxygènepar la spectrophotométrie de proche infrarouge, de plus enplus d’études montrent sa capacité à détecter des épisodesd’ischémie cérébrale dans différentes situations cliniqueset notamment dans la chirurgie de l’épaule en positionassise. Rappelons que le maintien d’une oxygénation céré-brale normale reste un, sinon l’objectif prioritaire, de touteprocédure d’anesthésie.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare des intérêts avec le laboratoire Covidien®

pour un cours rémunéré aux commerciaux Covidien et unsymposium à la SFAR.

Annexe 1. Matériel complémentaire

La version audio de cet article (format mp3) est dis-ponible en ligne sur http://www.sciencedirect.com ethttp://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2013.07.013.

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