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TEXTES À L’APPUI série sociologie

monjardet-notes inédites sur les choses policières, 1999-2006

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TEXTES À L’APPUIsérie sociologie

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dominique monjardet

notes inédites surles choses policières,

1999-2006suivi de

le sociologue, la politique et la police

sous la direction d’antoinette chauvenetet frédéric ocqueteau

préface de pierre joxe

ouvrage publié avec le soutiendu centre d’études et de recherches de science

administrative (CERSA) et du CNRS

ÉDITIONS LA DÉCOUVERTE9 bis, rue abel-hovelacque

PARIS XIIIe

2008

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ISBN 978-2-7071-5455-2

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© Éditions La Découverte, Paris, 2008.

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Préface

Alma mater

par Pierre Joxe,ancien ministre de l’Intérieur

« Alma mater », pour désigner l’Université, est une expres-sion ambiguë car l’adjectif almus signifie aussi bien nourri-cier, ou nourrissant – en latin classique – que vénérable chezJustinien où « Alma Urbs » désigne l’Auguste Ville, celle deConstantin… « Alma mater », l’université auguste et nourri-cière, c’est bien celle qui peut éduquer la jeunesse mais aussialimenter l’action politique en réflexions et en analyses aptes àguider les décisions ou du moins à éclairer les décideurs.

Disciple de Confucius ? Le 14 mai 2002, Dominique Mon-jardet, intellectuel proche de l’action, écrit dans son journal :« Il n’y a pas de police facile. Si la police était facile, il n’yaurait pas besoin de police… » Plutôt qu’un lettré chinois cise-lant des aphorismes, Monjardet me rappelle mes maîtres à l’uni-versité. Ceux qui m’ont enseigné un peu d’histoire.

Bien qu’il ait commencé à étudier la sociologie industrielledans le sillage d’Alain Touraine aux Hautes Études, ce sontquelques expressions latines qui me viennent à l’esprit en reli-sant ou découvrant les écrits de Dominique Monjardet.

Sans doute parce qu’à l’époque où j’étais étudiant, on nousnourrissait – voire gavait – de droit romain et de ces adagesqui ont traversé les siècles. Souvent tirés de Cicéron, comme« cedant arma togae » – affirmant que la force des armes doitêtre soumise à la loi – ou encore « summum jus, summainjuria » – ainsi traduit par Montesquieu : « L’extrême justiceest injustice », et ainsi commentée : « La justice consiste àmesurer la peine à la faute eu égard aux considérations raison-nables (qui doivent) tempérer la rigueur de la loi »…

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« Dura lex, sed lex », affirme pourtant l’adage antagoniquedans ce débat sans fin sur le droit et la force, sur le juste etl’injuste… C’est une longue tradition philosophique qui irrigueet nourrit notre droit depuis ses sources antiques jusqu’aux pen-seurs contemporains. Alors me vient à l’esprit, songeant tou-jours à Monjardet, et à son rôle d’intellectuel engagé au servicede l’action, la curieuse expression « Alma mater ». Car l’actionpolitique ne peut se passer de sciences sociales.

Ce sont longtemps les sciences juridiques qui ont servi debagage unique et suffisant aux clercs affectés au pouvoir. Puisles sciences économiques – tard venues dans le panorama despolitiques – ont progressé, de Adam Smith à Keynes en pas-sant par Marx, et prétendu éclairer l’action. On en connaît leslimites… La sociologie, quant à elle, est la dernière arrivée dansle champ politique : logement, santé, formation, urbanisme,transport, presque toutes les politiques publiques ont commencéà s’inspirer de la recherche en sciences sociales dès le débutdu XXe siècle. Mais, parmi toutes les politiques publiques, c’estcelle du « policing » qui est demeurée le plus longtemps (enFrance) à l’écart de la recherche, de la réflexion et de lathéorisation.

On se souvient qu’en février 2003, le ministre Sarkozy depassage à Toulouse s’en était pris à la « police de proximité »en mettant publiquement en cause le commissaire Jean-PierreHavrin par une démarche insolite et même sans précédent. Leministre de l’Intérieur avait brutalement attaqué ce remarquableserviteur de l’État de droit en déclarant sous le regard stupéfaitdes autres fonctionnaires de police et en présence des camérasde télévision spécialement convoquées à cette fin : « La policeest là pour arrêter les délinquants, pas pour faire du social. »Quatre ans plus tard, on sait comment a évolué la politique desécurité, bien qu’on ne sache pas encore comment elle va à nou-veau évoluer dans les années qui viennent. On sait pourtantdéjà que le travail irremplaçable des sociologues – tous plus oumoins élèves ou héritiers de Dominique Monjardet – sera la clédu progrès dans ce domaine.

Lorsque j’avais créé l’Institut des hautes études de la sécu-rité intérieure (IHESI) il y a vingt ans, je m’étais évidemmentinspiré des exemples étrangers, en particulier canadien et scan-dinaves. J’avais aussi bénéficié de l’expérience et du discerne-ment de Jean-Marc Erbès qui a tant fait dès l’arrivée de GastonDefferre au ministère de l’Intérieur, puis avec moi-même pour

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repenser et refonder la formation des fonctionnaires de la policenationale.

Mais c’est avec la pensée et le travail originaux de Domi-nique Monjardet et de ceux qui signent les pages suivantes quela réflexion sur la politique de sécurité a acquis une profon-deur et même une épaisseur qu’un travail scientifique peut seulassurer. Je sais ce qu’il a apporté à la Police nationale, au minis-tère de l’Intérieur et à l’IHESI auprès de J.-M. Erbès qui s’enexplique dans les pages suivantes.

Certes, bien d’autres contributions de la sociologie et de lascience politique seront nécessaires pour progresser dans ladéfinition des politiques sociales, des politiques publiquesrépondant aux dimensions nouvelles de la vie urbaine.

Récemment, plusieurs ouvrages ont exploré les liens entrela ségrégation urbaine et les conduites déviantes qui peuventtourner vers la délinquance et la criminalité.

D’autres études prolongent la réflexion sur ces nouvellesclasses dangereuses comme faisant écho au célèbre ouvrage deLouis Chevalier Classes laborieuses, classes dangereusesquand il enseignait au Collège de France.

Ces études nous conduisent aux frontières de la science éco-nomique qui s’efforce d’étudier l’économie parallèle, l’éco-nomie souterraine, le « bizness » évoqué par le sociologueGérard Mauger.

Nous ne savons pas encore ni ce que les intellectuels vontproduire ni ce que les politiques vont en faire, mais nous savonsdéjà – et nous lui rendons hommage – qu’un homme commeDominique Monjardet aura représenté ce qu’il y a de plusfécond, de plus fertile, de plus nourrissant dans notre « Almamater ».

Paris, le 18 avril 2007

préface

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Avant-propos

Autour de l’œuvre de Dominique Monjardet

par Antoinette Chauvenetet Frédéric Ocqueteau

Dominique Monjardet est décédé le 24 mars 2006 à l’âge de63 ans. Il était entré au CNRS comme attaché de recherche le1er octobre 1968, à l’âge de 26 ans. Il a été nommé directeur derecherche le 1er octobre 1986. Tous ses rapporteurs au Comiténational ont souligné ses qualités et compétences. Ils ont mis enlumière la position exceptionnelle qu’il avait acquise au sein dela sociologie française. Il fut l’un des premiers à explorer, entant que sociologue, l’univers complexe de l’institution poli-cière en France. Ses capacités d’analyse et de théorisation l’ontamené à fournir un apport remarquable à la sociologie des pro-fessions, mais aussi à l’analyse des politiques publiques.

La maladie ne l’avait pas épargné ces dix dernières années.Gravement touché en 1996-1997, en 2001-2002, puis2003-2004, il avait repris ses recherches dès qu’il avait été enmesure de le faire. Il n’a jamais diminué ses activités jusqu’audernier soir de janvier 2006 où il a brusquement quitté son labo-ratoire, le CERSA (Centre d’études et de recherches de scienceadministrative), pour n’y plus jamais revenir.

Dans son dernier « rapport à deux ans » au CNRS (2004), onpeut lire ceci : « Au jour où ce rapport sera examiné – c’est-à-dire au printemps 2006 –, il me restera deux ans d’activitéau CNRS. Je compte consacrer ce temps à la rédaction d’unouvrage de synthèse : Socialisation professionnelle des poli-ciers, et je souhaite rassembler, en une publication unique, lesdiverses contributions produites depuis une dizaine d’années surl’élaboration, l’évolution, la mise en œuvre des politiques

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publiques, peut-être sous le titre : Peut-on moderniser lapolice ? »

Un article posthume, consacré précisément à l’évaluationd’une politique publique, celle de Nicolas Sarkozy au ministèrede l’Intérieur entre 2002 et 2004, est paru dans la revue Socio-logie du travail en juillet 2006. Dominique Monjardet avait ras-semblé des matériaux pour le compléter par un deuxième, àla lumière du second passage de Nicolas Sarkozy au ministèrede l’Intérieur. Il avait également envisagé de se consacrer à lasynthèse des travaux qu’il avait capitalisés depuis une dizained’années au Québec sur la « Police communautaire ».

Dominique Monjardet a, durant ses trente-huit ans de car-rière au CNRS, beaucoup écrit. On trouvera dans la troisièmepartie de cet ouvrage la teneur de sa bibliographie exhaustive.Son œuvre est le fruit d’une carrière qui s’est développée alter-nativement dans quatre laboratoires du CNRS, mais égale-ment à l’IHESI (Institut des hautes études de la sécuritéintérieure), département de recherche du ministère de l’Inté-rieur, et au Québec. Nous voudrions rappeler brièvement lesétapes de ce parcours.

À son entrée au CNRS, Dominique Monjardet fut affecté aulaboratoire de Sociologie industrielle, dirigé par Alain Tou-raine, à l’École pratique des hautes études. Voici les termesd’Alain Touraine dans sa lettre de recommandation au directeurdu CNRS, le 1er mars 1968 : « Son projet, élaboré au cours desderniers mois, témoigne d’une maturité certaine, d’une capacitéd’aborder et d’analyser des problèmes de grande portée et d’uneidée claire des moyens à employer pour les étudier. […] Sa can-didature me paraît de celles qui peuvent être considérées avecle plus grand intérêt et j’ai la plus grande confiance dans l’intel-ligence et dans l’efficacité de ce chercheur […] 1. »

De 1974 à 1990, il rejoint le Groupe de sociologie du tra-vail, ER 127, dirigé par Claude Durand, localisé à l’universitéde Paris-VII. Au cours de cette période, soit en 1979-1980, ilest mis à la disposition de l’Université de Montréal au Québec.Il retournera pratiquement chaque année par la suite à l’UDM(au Centre international de criminologie comparée). Il y a nouédes liens et des collaborations importantes.

De 1989 à 1991, il est mis à disposition du ministère del’Intérieur au titre de conseiller technique pour la recherche de

1. Dossier administratif de Dominique Monjardet, archives CNRS.

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Jean-Marc Erbès, directeur de l’IHESI. C’est également à cettepériode (1er juin 1990) qu’il est affecté à l’URA « Travail etmobilité », dirigée par Pierre Dubois, à l’Université de Paris-X-Nanterre, où il restera jusqu’en 2001.

Le 1er septembre 2001, il rejoint le CERSA (Centre d’étudeset de recherches de science administrative – UMR 7106 CNRS-Paris-II), dirigé par Jacques Chevallier. Cette affectation,comme il l’a expliqué lui-même dans sa demande de rattache-ment, correspondait à une opportunité exceptionnelle à sesyeux, car le CERSA a su créer en son sein un pôle spécialisédans le champ de la « police et sécurité » qui était le sien.

La carrière et l’œuvre de Dominique Monjardet se découpenten deux périodes distinctes.

De son entrée au CNRS jusqu’au début des années 1980, ila mené des recherches sur les ingénieurs-techniciens et lescadres, l’entreprise industrielle, les relations entre la techno-logie et l’organisation, et les classes moyennes. En résumé, ils’est concentré sur des sujets classiques de la sociologie du tra-vail qu’il a contribué à moderniser comme l’attestent deuxouvrages écrits en collaboration avec Georges Benguigui, et detrès nombreux articles publiés notamment dans Sociologie dutravail. Trente ans plus tard, ses articles concernant les rapportsentre technologie et organisation et ses analyses portant sur lescouches moyennes demeurent des références fondatrices.

C’est sur ce socle et sur les démarches d’analyse de la socio-logie du travail et des organisations que Dominique Monjardetva s’appuyer pour mettre au point ce qu’il appelait lui-même« sa seconde période », entamée en 1983, celle qui a fait de luile grand spécialiste de l’administration policière que l’on sait.

Dans ce champ, la démarche de Dominique Monjardet appa-raît particulièrement originale car il a été l’un des premiers enFrance à prendre la police comme objet d’étude et à la sou-mettre aux méthodes d’analyse des sciences sociales. Simulta-nément, il a légitimé une démarche de recherche auprès d’uneinstitution et d’une profession rétives à l’investigation externe.

Dominique Monjardet laisse un triple héritage dans lesdomaines de connaissance de la police, de la délinquance et dela sécurité :

— Il a effectué un travail avec l’administration concernée,c’est-à-dire le ministère de l’Intérieur, pour stimuler la demandede recherche, en valider et en valoriser les produits. L’institu-tionnalisation de la recherche à l’IHESI, quand bien même

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aurait-elle connu de nombreux aléas politiques, est liée à sesinitiatives, conjuguées avec celles d’autres acteurs dont on trou-vera les plus significatifs au sein de la « table ronde » publiéedans la deuxième partie de cet ouvrage. Dans le même temps, laplace prise par les sciences sociales dans les formations poli-cières n’a cessé de croître. Il a joué un rôle de pionnier enFrance en enseignant régulièrement dans différentes écoles oucentres de formation de police. Il est également intervenu plusponctuellement en Catalogne, au Brésil et au Québec.

— Comme on le verra dans les témoignages de la deuxièmepartie, il a favorisé la constitution d’un milieu de chercheurs ensciences sociales sur la police. On peut ainsi rappeler le rôledes séminaires et cours successifs sur l’institution policièrequ’il a animés avec divers chercheurs, dont René Lévy, Antoi-nette Chauvenet, Pierre Favre et Frédéric Ocqueteau. Une visi-bilité particulière a été conférée à ces travaux par despublications dans des numéros spéciaux de revues, telles notam-ment Déviance et Société, Sociologie du travail, Les Cahiers dela sécurité intérieure et, tout dernièrement, en 2003, Cultures &Conflits.

— Dominique Monjardet était un chercheur dans l’âme,animé par la passion d’analyser, de comprendre, d’expliquer.Il a continuellement su et voulu nourrir ses activités d’ensei-gnement par des recherches personnelles. Il laisse un ouvragefondateur marquant une étape solide dans la connaissance del’institution policière : Ce que fait la police. Sociologie de laforce publique, aux Éditions La Découverte, en 1996, unouvrage qui sera traduit en portugais en 2003. Il a par ailleursréalisé une grande enquête, exceptionnelle sur le plan de laméthodologie empirique, concernant le devenir d’une promo-tion de gardiens de la paix entrés dans les écoles de police en1992. À cette date, les élèves ont répondu à un questionnairefermé de 110 questions concernant leurs parcours, motivationset attentes. Ce questionnement a été renouvelé à six reprises(deux fois en 1992, puis en 1993, 1994, 1997 et 2002), commeen témoigne ici Catherine Gorgeon. Les sciences sociales dis-posent ainsi d’une cohorte de policiers de dix ans d’ancien-neté dont a pu être analysée l’évolution, sous le triple ressortde la formation, de l’influence des collègues et des affecta-tions successives. Le rapport de la sixième phase a été remis aucommanditaire, l’IHESI, en 2004.

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On regrette amèrement que la publication synthétique envi-sagée par Dominique Monjardet n’ait pas pu être réalisée. Ilaurait pu y faire une fois encore la preuve de son savoir-faireméthodologique et de la rigueur de son raisonnement théorique.

Dans son dernier laboratoire, le CERSA, Dominique Mon-jardet s’était acquis une place fondamentale. Il y avait retrouvédes chercheurs travaillant sur les mêmes objets que lui et aveclesquels il avait formé une équipe (Frédéric Ocqueteau et AnneWyvekens). Mais il participait également avec fidélité auxautres séminaires et entreprises du CERSA, dont notammentl’élaboration d’un ouvrage collectif publié en 2005 à La Décou-verte : L’État à l’épreuve des sciences sociales. Ses interven-tions caustiques, son aptitude à déceler les failles dans lesraisonnements présentés, son immense culture sociologique enfaisaient un merveilleux interlocuteur, partenaire et collègue.

Le 20 octobre 2006, le CNRS et le CERSA ont organisé unejournée de témoignages et de réflexions autour de ses apportsà la sociologie, à la science politique et à l’histoire, de ses enga-gements et de sa pratique scientifique. Une table ronde animéepar Jean-Marc Erbès a révélé l’influence de Dominique Mon-jardet auprès des acteurs du champ policier, tant dans les direc-tions centrales que sur le terrain. Les actes de ce colloqueconstituent la deuxième partie du présent ouvrage. Pour desraisons éditoriales, nous n’avons pu retranscrire les discus-sions et débats pourtant riches auxquels ont donné lieu lesinterventions 2.

La première partie rassemble des notes inédites qui formentle journal du chercheur durant les sept dernières années de sa

2. Au cours de ces débats sont intervenus : Georges Benguigui (directeur derecherche au CNRS, « Travail et mobilités »), Lucie Tanguy (directrice de recherche auCNRS, « Travail et mobilités »), Pierre Favre (professeur de science politique), PierreJoxe (ancien ministre), Benoît Reverdin (psychologue), Sylvain Monjardet (étudiant),Philippe Madelin (journaliste), Jean-Marc Erbès (inspecteur général de l’Administra-tion), Patrice Aubertel (chargé de projet au Plan Urbanisme Construction Architecture),Amadeu Recassens (ex-directeur de la recherche à l’École de police de Barcelone), Phi-lippe Lamy (conseiller à la mairie de Paris sur les questions de sécurité, ancien auditeurde l’IHESI, promotion 1995), Gilles Sanson (inspecteur général de l’Administration),Christian Mouhanna (sociologue, chargé de recherche au CNRS), François-Yves Bos-cher (IGPN [Inspection générale de la police nationale]), Jean-Paul Brodeur (directeurdu CICC [Centre international de criminologie comparée]), Fabien Jobard (sociologue,chargé de recherche au CNRS).

De nombreux témoignages de gratitude de policiers ont été lus par A. Chauvenet,dont celui du commandant de police Philippe Pichon. La journée a été intégralementfilmée par le cinéaste Bernard Kleindienst. Le film sur DVD est consultable au centrede documentation du CERSA, 10, rue Thénard, 75005 Paris.

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vie (1999-2006). Quand nous avons procédé à l’inventaire deses archives, un dossier papier intitulé « Notes éparses » révélaune cinquantaine de feuillets datés de 1998 à 2003. Intrigués parcette découverte d’un journal inconnu, nous avons alors cherchéet retrouvé dans son ordinateur un fichier du même nom qui yfaisait suite (2003-2006).

Il nous a rapidement semblé que ces notes travailléesdevaient accéder au grand jour, car elles expliquent mieux quetout les ressorts profonds de sa personnalité scientifique et deson inspiration. S’il n’en a jamais parlé à quiconque, non seu-lement elles constituèrent pour lui un ressourcement constant,mais, le temps de la retraite venu, elles avaient peut-être aussiune destination plus précise : celle d’un matériau pour l’écriturede futurs mémoires. La lecture assidue des mémoires du ducde Saint-Simon et d’innombrables mémoires de policiers fut,chez lui, un réel plaisir et une source d’enrichissement et deréflexion constante. Qui sait si Dominique Monjardet, profon-dément attaché à cette forme ou à ce genre littéraire, n’était pasen train d’écrire les siens au jour le jour ?

Nous avons décidé de respecter la chronologie de ses notes,et de ne rien ajouter qui puisse en altérer le contenu (en dehorsde quelques noms anonymisés qui auraient pu paraître diffama-toires) : l’appareil des notes infrapaginales que l’on a cru devoirrajouter au texte, ainsi que les balises de son itinéraire insti-tutionnel restent volontairement minimalistes. Ils s’efforcentsimplement d’éclairer des enjeux obscurs, dans la mesure oùune fréquentation et des discussions quotidiennes de col-lègues, de 2002 à 2006, nous ont permis de les identifier. Maisces notes contribuaient surtout à la préparation des articles, rap-ports et ouvrages que Dominique Monjardet peaufinait etpubliait régulièrement. La chronique des choses vues, vécues,entendues et lues atteste un besoin évident d’ordonner sespropres idées, de les confronter sans cesse à d’autres et d’enri-chir la réflexion sur ses objets de prédilection.

On lira d’abord un journal vivant qui éclaire une œuvre tou-jours en progression. Le ton de ces notes est souvent ironique,parfois révolté. Et si la colère, non pas vertueuse mais simple-ment citoyenne, était le véritable moteur ou le mobile intimede l’investissement professionnel de ce sociologue pacifisteencore trop mal connu du grand public ? Et si l’indignation faceaux errements du monde policier était la condition sine quanon pour essayer de le raisonner pour qu’il fonctionne mieux,

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c’est-à-dire plus démocratiquement ? Et si le travail d’objecti-vation scientifique autour d’un « objet sale » pour le rendre unpeu plus propre était la clé du combat engagé sur tous les frontspar ce sociologue atypique ?

Ce combat fut titanesque, mais surtout sisyphien. C’est préci-sément du courage et de l’obstination qu’il exigeait dont le pré-sent journal, qui n’en avait pas le nom, témoigne, avec parfoisles excès et les emportements de son auteur. Une certaine vio-lence, oui, à commencer par celle qu’il exerça à l’égard de lui-même pour continuer à penser ce qu’il croyait être juste, ens’efforçant de n’être paralysé ni par le doute ni par ladémission.

Tout connaisseur des travaux de Dominique Monjardet a puapprécier une œuvre superbement maîtrisée, sans peut-être sedouter qu’elle n’était jamais que temporairement apaisée. Lesnotes de ce journal, qui éclairent la genèse des travaux de samaturité intellectuelle, montrent la lourdeur du tribut payé parune sensibilité à fleur de peau. Une sensibilité qu’il sut tem-pérer par la posture ironique du sage, impatient de se nourrirquotidiennement du travail de ses pairs et des informations desautres. Ce journal sociologique montre la diversité de sessources d’inspiration et la nature des dettes innombrables quienrichissaient Dominique Monjardet, lui permettant de nejamais renoncer.

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Notes inéditessur les choses policières,

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par Dominique Monjardet

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Notes de l’année 1999

[Sans date] – Les théorèmes de Monjardet 1 :Théorème de Demonque 2 : sur une courte période, les statis-

tiques de la délinquance varient en proportion inverse de lapopularité du ministre de l’Intérieur auprès des agents chargésdu collationnement des données qui les fondent.

L’ennemi public nº 1 fait le premier flic de France (Mes-rine k Broussard) et le sous-prolétaire fait le sous-policier.

La police n’est pas faite contre les délinquants mais pour leshonnêtes gens 3.

La discrimination policière ne procède pas par violation de laloi mais par application stricte du règlement (ce qui invalidel’idée que « c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège »).

Le rôle essentiel des commissions d’enquête sur les dérivespolicières est d’en proposer la légalisation.

Dans un partenariat, c’est l’absent qui a toujours tort. La jus-tice se jugeant au-dessus de ces combinaisons locales en devientle bouc émissaire.

La police est d’autant plus méfiante et brutale qu’elle connaîtmoins les lieux où elle intervient.

1. Ici, une tentative non datée de D. M. de récapituler ses notes dans des sous-rubriques thématiques. Il semble que cette entreprise ait été abandonnée en 2003. Lesitaliques ont été conservés dans les passages explicitement soulignés par D. M. (il lesaccompagnait de la mention « sdm » [souligné par Dominique Monjardet]).

2. Pierre Demonque fut le pseudonyme qu’il se donna lors de la publication de sonpremier livre écrit sur la police : Les Policiers, La Découverte, « Repères », 1983.

3. Voir infra, note du 4 octobre 2000, la source d’inspiration : Sophie Tiévant.

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La mobilité (géographique) des policiers engendre l’immobi-lisme de la police (à partir de Damien Cassan) 4.

[Sans date] – Ordre public – article L. 2212-2 du codegénéral des collectivités territoriales : « […] La police munici-pale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité etla salubrité publiques… », et L. 2215-1 : « toutes mesures rela-tives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillitépubliques », ou article L. 131-2 du code des communes.

28 novembre 1999. – Objet sale : Je savais que la policen’était pas, pour les sciences sociales, un objet noble, c’estmême, avec la prison et quelques autres, l’objet sale par excel-lence. (Pour la prison, il y a certes Foucault, mais, précisé-ment, ce ne sera jamais à la prison que s’intéresseront les petitsmarquis, mais au discours de Foucault sur la prison. S’ils évo-quent la prison, dont ils ignorent tout, c’est uniquement commeprétexte à se jucher sur la pensée de F.) Mais c’est plus graveencore, et j’en trouve confirmation dans l’épais dictionnaire desocio que viennent d’éditer Seuil et Petit Robert : qu’il s’agissede profession, d’organisation, d’administration, de fonctionsociale, d’institution, de pratiques ou de concept, de sécuritépublique ou de contrôle social de la déviance, l’entrée POLICE

n’existe tout simplement pas (et conséquemment les cher-cheurs qui s’en occupent). Fermez le ban. Autrement dit :mars 2000 : j’ai longtemps pensé que si la police était demeuréel’objet sale dont nul ne parle, c’était parce que – à la diffé-rence de la prison – il ne s’était pas trouvé l’auteur prestigieux(Gleizal et Marcus 5 me pardonnent), le Foucault (ou le Arendt,Rawls, Derrida…) qui lui aurait donné lettres de noblesse etpromotion « théorique ». À toute chose malheur est bon, celanous a du même coup évité la horde de petits marquis et« vraicons » s’abattant sur le champ pour nous expliquer doc-tement et cuistrement non pas certes ce qu’est la police, dontils se soucient comme d’une guigne, mais « ce-qu’il-faut-penser-de-ce-que-Foucault-ou-autre-pense-de… ». Par là, il aété possible de penser tranquilles, fût-ce un peu seuls. Dans lemême ordre d’idée, si vingt ans après (articles RFAP et LDDH[Revue française d’administration publique et Ligue de défense

4. Voir infra note du 6 décembre 2005.5. Allusion à Jean-Jacques Gleizal, professeur de droit à Grenoble, auteur d’une thèse

de droit publiée en 1974 sur La Police nationale, puis de nombreux écrits juridiques surla police, et à Michel Marcus, magistrat, directeur du Forum français de la sécuritéurbaine.

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des droits de l’homme]), Jean-Michel Belorgey 6 ressasseencore son amertume de l’accueil réservé à son rapport, et yrefait le numéro du pionnier précurseur pillé mais méconnu,alors même que depuis vingt ans le champ a nourri quelquesrecherches significatives et s’est ouvert à des travaux étrangersessentiels, c’est bien parce que du rapport qu’il s’approprie (etdont il faudrait quand même au passage rappeler qu’il fut celuid’une commission qui ne saurait se résumer entièrement dansson président, il y avait notamment un rapporteur – G. Sanson –qui tenait la plume…), il est moins soucieux de voir les idées serépandre (et cela fut largement fait) que le promoteur êtrepinaclé… tentation qui nous éprouve tous… Il faut trouverl’antidote au syndrome du pionnier : supporter que d’autress’installent sur le champ sans nous payer un droit d’entrée.

Jeudi 30 décembre 1999. – Théorème : au ministère del’Intérieur, la compétence des hauts fonctionnaires (préfets etpoliciers) est inversement proportionnelle à l’arrogance dont ilstémoignent. Plus un fonctionnaire se montre arrogant, moins onpeut espérer qu’il soit compétent, ce qui d’ailleurs se comprendaisément : quand on est compétent, il n’est pas besoin d’êtrearrogant.

NB : la formulation est restreinte au ministère de l’Intérieur,faute de connaître ce qu’il en est ailleurs, mais rien n’indiqueque ce ministère soit sur ce point original.

6. Auteur officiel du « prérapport de la commission d’étude des réformes de la policenationale » (1982) commandité par la nouvelle équipe dirigeante en 1981 ; l’auteur viséen raconte les avatard dix ans plus tard dans La Police au rapport, PUN, Nancy, 1991.Allusion de D. M. au nouvel article « Le destin d’un rapport », Revue française d’admi-nistration publique, nº 1, 1999, p. 495-504.

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Notes de l’année 2000

21 février 2000. – On reproche aux chercheurs d’être irres-ponsables, il faut entendre incontrôlables. Un chercheur estquelqu’un qui est toujours susceptible de dire que le roi est nu,et c’est un risque insupportable ; on s’en prémunit en le quali-fiant d’irresponsable. Le reproche est d’ailleurs d’autant moinsfondé que la qualification et la position même du chercheur sontantinomiques avec une position de responsable dans le champ.Dans ce sens, on entend rarement les fonctionnaires dénoncerleurs collègues des corps d’inspection comme des « irrespon-sables » ; c’est pourtant la même posture. Trois modes d’accès àla DGPN [Direction générale de la Police nationale] :

— « Avoir été préfet du département d’élection du ministrede l’Intérieur ou du président ». En ce cas, c’est l’urbanitétémoignée en son temps – parfois fort éloigné – à un élu localinfluent qui tient lieu de compétence pour diriger la police…

— « Verrouillage politique ». Dans ce cas, la police estconsidérée comme une administration « sensible », peu fiable,et par laquelle peuvent surgir, de façon inopinée, des inci-dents politiquement coûteux. La priorité est donc accordée aucontrôle politique de l’administration et de ses personnels, etcette fonction, assurée par la promotion d’un fidèle à sa tête, estredoublée par une politique systématique de nominations parti-sanes. En ce cas également, les compétences administratives etpolicières sont jugées secondaires.

— « Compétence dans l’emploi, acquise et attestée par lesemplois antérieurs » : c’est le moins fréquent, et on peine àtrouver des exemples récents.

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18 avril 2000. – Il est curieux de constater que les poli-ciers, farouchement convaincus des vertus de l’exemplaritéquand il s’agit des délinquants, ne le sont plus du tout quand ils’agit d’eux-mêmes. L’idée que la sanction de la bavure doitêtre exemplaire leur est tout à fait étrangère, et les scandalisefort (bavure de Lille : un jeune supposé voleur de voiture abattupar un policier d’une balle dans la nuque).

3 mai 2000. – Ce n’est pas la bavure qui pose problème etdéshonore la police : aucune corporation n’est à l’abri de lafaute ou de la défaillance de l’un de ses membres, et le policierripoux ou brutal n’est pas plus évitable en effet que le prêtrepédophile, le chirurgien malhabile ou le banquier escroc. Ce quidéshonore la police n’est assurément pas la faute d’un poli-cier, mais le traitement qu’elle en fait. Dénégation, dissimula-tion, destruction ou manipulation des preuves, mise en causede la victime, pression sur la famille, intimidation des témoins,sélection du juge, voire secret-défense, rien ne manque à lapanoplie des mesures destinées à dissimuler la faute, la mini-miser quand ce n’est pas possible, l’excuser quand elle estavérée. Au lieu de faire le ménage dans ses rangs, la police seresserre autour de ses brebis galeuses, et tout le troupeau en est,en effet, infecté. Là est la faute inexcusable, et le plus sou-vent endossée et renforcée par le ministre, terrorisé à l’idée devoir ses troupes lui échapper si d’aventure il faisait acte decontrition.

27 mai 2000. – « Les médias ne s’intéressent qu’aux bavures,ne parlent jamais de ce qu’on fait de bien… » Il est vrai queles journalistes me questionnent le plus souvent à propos debavures, mais ce n’est pas la seule occasion (formation, femmesdans la police, police de proximité…), et puis c’est compréhen-sible. S’ils ne questionnaient pas la bavure, il faudrait enconclure que celle-ci n’est pas un événement, une anomalie,un accident, mais une routine à ce point banale qu’elle nemérite même plus attention… Questionner la police sur lesbavures, c’est témoigner qu’on les juge anormales, et qu’on nes’y habitue pas, c’est ainsi témoigner des attentes qu’on adresseà la police, et de la confiance qu’on souhaiterait, a contrario,pouvoir lui faire.

(Ajout le 22 janvier 2001.) – Bavure. Il y a deux façonsopposées et symétriques de réagir à la faute professionnelle poli-cière. Le corps, la profession, l’administration réagissent d’abord,systématiquement, par la dénégation. C’est le plaignant qui ment,

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la victime qui est coupable. Lorsque la dénégation n’est pas pos-sible, parce que les faits sont incontestables, on s’efforcera de lesminimiser, de les réduire à l’exception malheureuse, au concoursde circonstances inouï. Enfin, lorsqu’il n’y a pas d’autre échap-patoire, et que les faits sont particulièrement odieux, on sacrifieral’auteur, stigmatisé comme aberration isolée, mouton noir ayantinexplicablement échappé à la vigilance hiérarchique, et par làdoublement condamnable. Mais ce cas n’est plausible que s’ilest rarissime, et tout sera donc fait pour éviter d’en arriver là.À l’inverse, le redresseur des torts policiers, tout aussi systéma-tiquement, va y voir la énième confirmation de ses certitudes, etajoutera celle du jour à l’immense catalogue qu’il compile avecpassion, et qu’il édite périodiquement. Répertoire infini de cou-pures de journaux détaillant toutes les variantes de la patho-logie policière, où s’additionnent sans autre forme de procès faitsavérés, faits contestés, rumeurs, accusations non recoupées, on-dit, légendes, etc., et dont la compilation même a pour premieret plus sûr effet de confirmer les policiers dans leurs préjugésà l’égard de la presse, véhicule malintentionné du supposéracisme anti-flic. Ces adversaires irréductibles sont cependant enplein accord sur le seul point qui compte : dénoncer de concert letiers, celui qui tente de peser les choses, de mesurer les faits et lejugement, sans croire sur parole et par principe l’un ou l’autrecamp, bref, le traître. Traître aux yeux des flics, puisqu’iln’exclut pas qu’ils soient faillibles. Traître aux yeux du chevalierblanc, puisqu’il sait et dit le travail policier souvent difficile, etparfois en butte à la provocation.

(Ajout 6 mai 2001.) – Bavure, suite. La multiplication, ouconcentration, des bavures dans certains services (par exemplela PAF [Police aux frontières], ex. Le Monde 24 janvier 2001 1)signale un problème local d’encadrement, mais s’explique éga-lement au regard des missions particulières des services enquestion. La PAF-aéroport, (comme le Dépôt à Paris) traite unepopulation que l’administration dans son ensemble, et le poli-tique de la même façon, désigne comme sous-humanité, à quielle dénie des droits élémentaires, et au traitement de laquelleelle ne consacre que des moyens indignes. Comment s’étonnerdès lors que les exécutants d’une telle « politique » se laissentaller ?… Leurs « bavures », que l’on s’empresse de sanctionner

1. Allusion à une enquête de l’IGS (Inspection générale des services) sur les bruta-lités commises envers des étrangers gardés à vue par la PAF de Roissy en 2001.

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lorsqu’on n’a pas réussi à les dissimuler, expriment la vérité dela politique qu’on leur confie.

(Ajout 29 mai 2001.) – Bavure, suite. Définition : le termebavure est condamnable, non pas parce qu’il serait politique-ment incorrect, ou qu’il choque les âmes sensibles, mais parcequ’il étiquette de façon particulière, spécifique, la faute poli-cière, en fait une catégorie « à part ». Or ce dont il s’agit, c’estbien de délinquance commune et qui doit relever de la répres-sion commune. Les policiers s’insurgent contre l’emploi d’unterme dans lequel ils perçoivent une pointe de mépris : le poli-cier baverait… Il faut les prendre au mot, et rappeler sans cessequ’il s’agit de délinquance, de crime et de délit, et qu’ils ne sontlégitimes à réclamer la tolérance zéro pour les autres que s’ilscommencent par se l’appliquer à eux-mêmes.

4 octobre 2000. – Lu le rapport de Sophie Tiévant : Caracté-risation des savoir-faire spécifiques en police de proximité etexamen des moyens de leur acquisition, Toulouse, septembre2000, 76 p. Excellent, et qui montre bien toute une série decompétences qui sont éprouvées, raisonnées, et ne s’improvi-sent pas mais sont parfaitement transférables :

— quant au mode de patrouille,— sur le rapport avec les jeunes,— pour nouer et soutenir des vrais partenariats,— sur le caractère essentiel de la déontologie,— la nécessité d’une démarche proactive, la prise

d’initiative, etc.Et plus généralement sur la triple exigence du travail en pro-

fondeur sur le local :— cohérence = non-contradiction entre les divers interve-

nants policiers, implication des différents niveaux hiérar-chiques, mise à disposition de moyens adaptés (cf. VTT,tenue…) ;

— continuité entre services policiers, dans la chaîne pénale(signalement, police, justice), et entre celle-ci et les autres insti-tutions, école, mairie, éducateurs, parents…

— réciprocité entre policiers de proximité et autres servicesspécialisés du commissariat.

Elle formalise les compétences à acquérir sous les rubriques :— compréhension de la police de proximité et de ses trois

logiques de travail fondamentales• résolution de problème,• prise d’initiative,

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• intégration dans des enjeux collectifs (coproductiond’équipe) ;

— acquisition d’une posture professionnelle (entre le chas-seur de prime, l’obsédé de la règle et l’assistant social) ;

— comprendre et évaluer les situations (capacité dediagnostic)

• les systèmes sociaux locaux,• populations et acteurs,• conditions d’efficacité,• évaluation de l’impact de l’action (fonctionnement de

l’interface police/population) ;— savoir-faire opérationnels• de l’encadrement : motiver, animer, coordonner, adapter,

former (maître d’apprentissage),• déontologie du respect des personnes (condition de

l’efficacité),• outils de base : expression orale, publique, rédaction,

négociation,• savoir-faire complexes : analyse de problème, gestion d’un

partenariat, désamorcer une tension, opérer les rappels à la loi,parler aux parents ;

— techniques professionnelles : adaptation des GTPI (gesteset techniques professionnelles d’intervention), renseignement,accueil, mobilité-regroupement, exposition… (p. 66) ;

— qualités personnelles.Elle insiste à juste titre sur le fait que ces différentes res-

sources sont intercorrélées et que la qualité essentielle est biencette capacité d’appréhender complexité, interdépendances,causalités multiples, etc.

Note (p. 70) que sur site, on estime qu’il faut un an pour bienconnaître le terrain…

Problème de l’usure : travail jugé certes passionnant, maisexigeant, usant et sans compensations internes = fuite dans lesservices plus tranquilles (p. 71) k nécessité de compensationsprofessionnelles.

« Les critères du bon îlotier ?… quelqu’un qui sait pourquoiil travaille » (p. 73).

(Au passage : pourquoi ne pas faire intervenir les bons poli-ciers de terrain dans les écoles [p. 75].)

Un savoir-faire se construit par intégration de trois éléments(p. 13) : un « référentiel » : identification du mécanisme social àl’œuvre dans l’environnement visé ; le « principe d’efficacité »

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qui en découle (règles d’action déduites de ce mécanisme) ; et lesmodalités de mise en œuvre pratiques de ce principe.

Exemple : il est plus difficile de jeter un caillou sur un flicconnu, et dont on est connu, que sur un flic anonyme k prin-cipe d’efficacité = connaître le maximum de gens par leur nom,et le leur témoigner k mise en œuvre : circuler, se montrer,aborder, se présenter, s’identifier, s’immerger…

Au passage, p. 15 : « On a déjà regagné du terrain, les éluss’en aperçoivent, les gens sont contents, le journal local enparle, on a beaucoup plus de plaintes… » (capitaine, respon-sable d’unité VP) : indicateur que la situation s’améliore !

Principe de base qui sous-tend la compréhension de la policede proximité dans son projet même : il s’agit de réintroduire lepolicier comme rouage élémentaire de toute société, le réin-sérer dans la société locale comme rôle nécessaire et reconnu,et donc de rompre avec la pratique et la vision de l’« interven-tion » policière : œuvre d’une instance extérieure qui, ponctuel-lement, fait irruption dans la cité, le quartier, le groupe social. Ils’agit de réoccuper la place vide, abandonnée, au sein de laCité, et non de soumettre celle-ci à on ne sait quel ordreexterne, arbitraire, dominateur (p. 23) : « Dans cette conception,arrêter les malfrats […] est un moyen au service de l’enjeude pacification ; ce n’est en soi ni un objectif ni un critère deréussite, […] la paix sera rétablie lorsqu’il n’y aura plus besoind’interpeller » (p. 23).

On ne fait pas de pol-prox [police de proximité] contre lapopulation, mais avec elle (Tiévant, p. 29).

5 octobre 2000. – Dans le livre de Yazid Kherfi/VéroniqueLe Goaziou, (Repris de justesse, Syros, 2000), une remarquede celle-ci, p. 174, qui s’applique fort bien aux gardiens de lapaix, et aux exigences déontologiques qu’on leur assigne :« […] trop souvent, le regard porté sur les cités ou sur les quar-tiers l’est depuis ce qu’on pourrait appeler la “bonne société” oula “société normale”. Et lorsque nous considérons ces lieux et lavie de leurs habitants, c’est aussi dans l’espoir qu’ils retrou-vent promptement les voies qui conduiront au rétablissementd’un certain ordre et de certaines normes. Parce que nous avonsérigé les normes de la “société intégrée” en normes univer-selles. D’où les très nombreuses injonctions ou exhortations àla morale et à la citoyenneté que l’on adresse aux habitants desquartiers. Injonctions auxquelles ils peuvent difficilement sous-crire dans la mesure où, symétriquement, on a beaucoup fait

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pour les empêcher d’accéder à ce que nous pensons être la nor-malité et les empêcher d’être les citoyens ou les êtres moraux,que certains aspirent encore à être, mais que d’autres n’ont plusles moyens ou l’énergie pour seulement pouvoir y songer. »(S’y ajoute, p. 182, la notation très juste que ses frasques ontaussi apporté à Yazid un immense plaisir, et qu’il faudrait pou-voir lui/leur proposer autre chose, en substitution, que le renon-cement et l’ennui…)

Que fait l’administration policière pour mettre ses recrues enposition d’être moraux, honnêtes, travailleurs ? Pour lesdétourner d’être violents, racistes, trouillards et fainéants ?

Se transpose également ce qui suit, où elle s’interroge sur sonrôle face à Yazid : « […] Yazid le dit, nous sommes aussi desvoleurs d’histoire. […] [mais] nous sommes aussi des passeursd’histoire. Nous faisons la navette entre des mondes qui s’igno-rent et tentons par nos récits et nos analyses de faire au moinsen sorte que cette ignorance ne devienne pas indifférence ou,comme ça peut être le cas, rejet et réprobation… » (p. 180-181et sq.) Avec ce complément que le passeur est souvent le traîtrede l’un, de l’autre, ou des deux…

Dans le récit de Yazid sur les flics, p. 125 : « Ça fait un boutde temps que l’on dit qu’ils sont en décalage avec les jeunes.[…] Ils ne savent pas ce que c’est de vivre dans un quartier etavoir le parcours d’un jeune de quartier, ils ne connaissent rienà l’immigration, aux cultures différentes de la leur, à la vio-lence, à la délinquance et aux phénomènes de bande. En outrela plupart viennent de la campagne, […] tu imagines un jeuneflic qui a passé son enfance et son adolescence dans un vil-lage de Dordogne ou une bourgade vendéenne, et qui seretrouve, quasiment du jour au lendemain, dans un quartiercomme celui de La Noé ? En plus ils sont trop jeunes. C’est unemanie aujourd’hui de croire que pour s’occuper de jeunes il fautmettre des jeunes. De mon temps on avait affaire à des vieuxflics, […] ils avaient l’âge de nos pères et à ce titre on lesrespectait. Mais quel crédit veux-tu accorder à un jeune flic,parfois plus jeune que toi, qui te fait un reproche ? On manquede vieux. Une autre aberration, c’est que les flics et les jeunesne se rencontrent que quand il y a conflit. Or ce n’est pas entemps de guerre que tu fais la paix, en temps de guerre, tu peuxéventuellement conclure des trêves qui ne durent pas. Cela veutdire qu’on devrait voir des flics dans les quartiers lorsque rienne s’y passe et que tout va bien. Mais pour cela il faudrait que

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les flics en aient l’autorisation et aussi un peu de courage. Endix ans, je n’ai pas vu un seul flic entrer dans le local, commeça, par curiosité, pour passer un peu de temps avec nous. Jen’ai non plus jamais vu un flic assis sur une marche d’escalier,comme ça, pour être avec nous. Pour qu’un flic puisse faire res-pecter la loi, puisque c’est sa fonction, il faut d’abord qu’ilsoit respecté, […] mais pour cela il faut du temps et il faut seconduire bien. On peut tout à fait être proche des gens et leurrappeler la loi. […] Mais on est loin de tout cela aujourd’hui,les flics ont peur des jeunes et les jeunes les prennent pourdes cons. […] Les flics, mais de façon générale tous ceux quine vivent pas dans les quartiers, entretiennent la terreur dezones de non-droit qui vont exploser, tout en n’y foutant jamaisles pieds. […] » (Tout le passage pages 125-126 est bon àreprendre.)

17 octobre 2000. – La mission policière est infinie, indéter-minée, indéfinissable, non mesurable, floue, toujours recom-mencée, les critères de l’accomplissement, de la réussite, dutravail bien fait sont impalpables, évanescents. Il est donc iné-vitable, normal, que les policiers se découpent dans cet universimmense et désespérant un segment saillant, délimité, net, bienvisible et aisément mesurable et qu’ils en fassent le noyau, cœuret objet exclusifs de leur tâche. La répression de la délinquance,résumée si possible encore au flagrant délit, se prête parfaite-ment à cette réduction. Pour une minorité, la vocation de chas-seur renforce et explicite ce choix, mais ce n’est pas le casdu plus grand nombre, dont le ressort est avant tout celui dedélimiter leur tâche. Y voir un « trait culturel » assigné à l’idéo-logique, au « culturel », ce qui relève de la rationalité la plussimple. Mon explication est plus économique, ce qui suffit à lajuger meilleure.

Pour la hiérarchie et pour le Prince, la déontologie – l’appelà la vertu – est aisément invoquée comme substitut au travaild’organisation, management, encadrement, mise en cohérencede moyens et des missions, formation, etc. dont ils se débarras-sent si aisément. Mais cela ne trompe personne parmi les exé-cutants, qui l’entendent très bien sur le mode « faites ce que jedis, et non ce que je fais… ».

17 octobre 2000. – On ne peut exciper d’un droit ou d’uneliberté pour lutter contre les droits et libertés de tous : c’est lanotion d’« abus de droit » telle que définie par la Charte desdroits fondamentaux de l’Union :

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Article 54 : interdiction de l’abus de droit : Aucune des dis-positions de la présente Charte ne doit être interprétée commeimpliquant un droit quelconque de se livrer à une activité visantà la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présenteCharte. Le Monde, 17 octobre 2000 (version policée du : « Pasde liberté pour les ennemis de la liberté… »).

Au regard de l’exercice de la police (qui n’est pas évoquéedirectement), sont mentionnés :

— a 4 : interdiction de la torture et des peines ou traitementinhumains ou dégradants,

— a 6 : toute personne a droit à la liberté et à la sûreté,— a 8 : protection des données à caractère personnel et

contrôle de ce respect par une autorité indépendante,— a 41 : droit à une « bonne administration » (= affaires

traitées « impartialement, équitablement et dans un délai raison-nable » + droit d’être entendu, droit d’accès, obligation demotiver),

— a 48 : présomption d’innocence et droits de la défense.19 octobre 2000. – La vitre cassée (BW [Broken Window 2])

annonce le défaut de surveillance, d’entretien, de contrôlesocial, et l’aggrave symétriquement ; la porte blindée annoncela peur, l’individualisme, la défiance envers le voisin, le pas-sant, le défaut de crédibilité de la police = la peur, et unerichesse qui ne demande qu’à être pillée.

Quand la ville devient puzzle de vitres cassées et de portesblindées…

Un taux d’élucidation pour la police est l’inverse d’un tauxd’impunité pour le délinquant : si le taux d’élucidation des cam-briolages est de 10 %, cela signifie que la probabilité d’impu-nité quand je cambriole est de 90 % : c’est pas bien loin de lacertitude…

(Ajout 29 janvier 2001.) – Comment augmenter mon tauxd’élucidation si la DC [direction centrale] s’énerve ? C’est biensimple, il faut d’une part presser l’activité sur les crimesconstatés d’initiative, en flagrance, qui sont élucidés à 100 %, etle plus simple à trouver en masse est la consommation de dro-gues k « Sus aux shiteux !… ». D’autre part, minimiser l’enre-gistrement des crimes « inélucidables », et notamment toutes les

2. Allusion à James Q. Wilson et George L. Kelling, texte paru dans AtlanticMonthly, 1982 ; traduit en français dans Les Cahiers de la sécurité intérieure, nº 15,1994, p. 163-180. Souvent cité infra.

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agressions par inconnu. Une bonne pression dans les deux sens,et on doit pouvoir gagner quelques pour-cent en quelques mois.

12 novembre 2000. – Au fond, tout se passe comme si :Il y a initialement des sources très diverses de la fonction

policière générale telle que nous la concevons aujourd’hui :— d’une part, le guet qui patrouille la rue pour assurer la

sécurité des espaces publics, de la circulation, et dissuader lesmalfrats ;

— d’autre part, les commissaires des cours de justice, quisont des exécutants subordonnés aux magistrats ;

— enfin des agents du pouvoir, mouches, archers, espions,qui protègent celui-ci d’éventuelles menées subversives.

L’Administration rassemble peu à peu ces différentes fonc-tions sous la seule autorité du ministère de l’Intérieur (et de laDéfense), qui finit par les fusionner dans le même corps.

Dans la fusion, les fonctions judiciaires et politiques sesubordonnent le guet, et celui-ci finit peu à peu par disparaîtresous la concurrence des précédents, qui en arrivent à lui déniermême tout intérêt, et refuser de l’assurer.

Dans la formation progressive d’une police d’État en France,c’est la sécurité publique – assurée par des gardiens de la paix –qui est passée à la trappe !…

8 décembre 2000. – L’intellectuel n’a aucune qualité pourprêcher, prescrire ou prévoir (à la mode Touraine, Julliard etautres Finkielkraut 3) ; il dispose éventuellement de quelquesconnaissances qui lui permettent d’éclairer certains choix. C’esttout, et c’est déjà beaucoup. Le cas échéant, il est invité àattester (fournir les preuves) du savoir qui lui permet de fondercet éclairage.

10 décembre 2000. – Il y a deux formes distinctes d’instru-mentalisation de la police par le pouvoir politique en place :

1. Le modèle le plus grossier aussi. Sur l’exemple de l’affaireSchuller-Maréchal 4, les ressources policières sont mobiliséespour tendre un piège à tel adversaire du pouvoir : il s’agit depiéger, menacer, compromettre, détruire, ou parfois au contraire

3. Allusion à un collectif d’intellectuels ayant, dans un manifeste publié dans LeNouvel Observateur, emboîté le pas à la rhétorique chevènementiste des « sauva-geons ».

4. Allusion à la mise sur écoutes administratives de Jean-Pierre Maréchal, beau-pèredu juge d’instruction Éric Halphen, dans le cadre de l’enquête sur le financementocculte des activités politiques de Didier Schuller, conseiller général RPR des Hauts-de-Seine, et de la campagne présidentielle de 1995.

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ignorer, refuser, protéger (le vrai-faux passeport de Chalier 5). Ily a détournement direct de l’outil policier, illégalisme patent, etc.La méthode est sans doute efficace, mais elle est dangereuse : elleexige des exécutants entièrement dévoués, et des cloisonnementsà toute épreuve, si l’un ou l’autre manque et que la manœuvredevient publique, le scandale est énorme.

2. D’où l’intérêt du second modèle dans lequel la police n’estpas instrumentée directement dans des manœuvres ina-vouables ; il ne s’agit seulement que de veiller avec une attentionscrupuleuse à ce que rien [de ce] qui transite par la police [ne]puisse de quelque façon desservir le pouvoir en place. Le moyend’action privilégié n’est pas – comme dans le cas précédent – lecoup fourré, la basse besogne, mais le verrouillage, le béton-nage, l’éradication de toute innovation, la prohibition de touteinitiative, l’élimination de tout regard extérieur, la « partisa-nerie » comme seul principe de sélection et de promotion,l’imposition universelle de la langue de bois, le contrôle tatillonde toutes les interfaces. Bref, il s’agit de constituer la policecomme rempart du pouvoir et tour d’ivoire impénétrable à qui-conque. Naturellement, ceci suppose qu’un seul message soitadressé à l’extérieur : au sein de la tour d’ivoire tout va pour lemieux dans le meilleur des mondes, et tous ceux qui sont soup-çonnés de n’être pas intimement convaincus de cet état de chosesont impitoyablement écartés, placardisés, neutralisés.

Dans le premier modèle, sont promus les militants et leshommes de main, dans le second ce sont les dévots et les fayotsqui tiennent le haut du pavé.

D’ordinaire en effet, la droite met en œuvre le premiermodèle, et Debré a pris sans état d’âme le relais de Pasqua. Lagauche, plus pudibonde, s’en tient plus souvent au second.

Il va de soi que ces deux procédés sont cumulables, etd’autant plus qu’ils ont ce point commun d’être égalementfondés sur un mépris sans borne de la police et des policiers.Il faut cependant ajouter que la profession policière, en fournis-sant toujours en abondance la main-d’œuvre requise danschaque cas, ne leur oppose guère de résistance.

5. Allusion aux suites de l’affaire du Carrefour du développement et à la fuite àl’étranger d’Yves Chalier, ex-chef de cabinet de l’ancien ministre socialiste de la Coo-pération Christian Nucci, organisée par un proche de Charles Pasqua à la DST (Direc-tion de la surveillance du territoire) afin de constituer des dossiers contre despersonnalités de gauche au moment de la première cohabitation en 1986.

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Les BREC : Ce que montre très bien le rapport d’Anne Wuil-leumier (« Histoire, fonctionnement et logiques d’action desBrigades régionales d’enquêtes et de coordination », rapportIHESI, novembre 2000, 105 p.), c’est la façon dont les formeset contraintes de « procédure » sont comprises par le corpspolicier, comme autant d’obstacles opposés à l’efficacité poli-cière, à l’obtention de la performance : la loi, la procédure, leformalisme sont l’ennemi du policier et l’ami du voyou… ettrois autres dimensions de ce rapport :

— une jolie étude de cas du changement policier, qui doittout à des stratégies locales, particulières, personnelles, et rienau Centre (k question de la pérennisation) ;

— mais qui a des effets très étendus et complexes : interdé-pendance généralisée et image des ronds dans l’eau : le petitcaillou n’en finit pas de développer des ondes de choc ;

— mise en évidence de l’échelle de perroquet des tâchespolicières : tout service tend à se concentrer sur les plus« nobles » de ses tâches, délaissant les autres ; on crée doncun service ad hoc – moins prestigieux/qualifié – pour reprendrecelles-ci. Le nouveau service se concentre sur la partie la plusnoble de ce résidu 1 en créant ainsi un résidu 2. Pour traiter cerésidu 2, on va créer un nouveau service qui va se concentrersur la partie la plus noble de résidu 2, laissant ainsi tomberune part qui devient résidu 3, et ainsi de suite : Office, SRPJ[Service régional de police judiciaire], SU/SIR [Sûretésurbaines/Sécurité Investigation Recherche], BAC [Brigade anti-criminalité] départementale, BAC locale…

17 décembre 2000. – Une bonne idée (entre autres) dansA. Wyvekens/J. Donzelot 6 : des ADS [adjoints de sécurité 7]comme intermédiaires/intercesseurs entre la police et la popu-lation, et plus généralement des emplois jeunes comme sas,introduction aux institutions, qui avouent du même coupqu’elles ont perdu le contact avec leur supposée clientèle.

Trois idées fortes dans C. Mouhanna, « Une police de proxi-mité judiciarisée : de l’îlotage au renseignement judiciaire »,CAFI/IHESI, mars 1999, 83 p. :

1. La population des cités revendique une « police nor-male », contre les grands déploiements de CRS qui inquiètent,

6. Allusion au rapport de recherche : « Souci du territoire et production collective dela sécurité urbaine », IHESI, Paris, octobre 2000.

7. Les « emplois jeunes » dans la police, institués par Martine Aubry en 1998.

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stigmatisent et insécurisent, et contre les opérations commando/cow-boys/chasseurs des BAC ; les îlotiers en font partie (p. 67).

2. Une des raisons de la défiance vis-à-vis des ADS est queceux-ci, qui risquent de sortir de la police, en auront vu la facecachée, et notamment sa faiblesse : pour une bonne part, lapuissance de la police est fondée sur une illusion de puissance,les flics s’imposent à l’esbroufe ; en fait les effectifs sont sque-lettiques, les renforts peu assurés, les cognes ont peur, et sontloin d’être sûrs de leur droit, ou savent qu’ils sont dans l’illé-galité, et que ni la hiérarchie ni la justice ne les suivront, celamarche parce que le public l’ignore. Les ADS peuvent ouvrirdes brèches mortelles dans ce très fragile édifice en trompe-l’œil : ils peuvent vendre la mèche, faire savoir que le roi est nu(p. 63, 64, 72).

3. L’opposition îlotage/BAC est certes celle de la routine etla patience contre l’action et la discontinuité, de la préventioncontre la répression, de l’impalpable contre le chiffre, etc., maisaussi celle du confort de l’action nocturne, discrète, en civil,anonyme, et à l’heure où les honnêtes gens sont couchés, et oùdonc les seuls témoins sont par définition racaille non cré-dible, versus l’action en uniforme, au grand jour, sous le regardde tous, et dont peuvent témoigner tous les « honnêtes » gens.C’est l’îlotage qui demande du courage…

Autre opposition forte : celle de la carrière : le bon BAC vaessayer de passer le concours d’officier, au moins d’OPJ [offi-cier de police judiciaire], il n’y a pas de carrière ouverte à l’îlo-tier, il va stagner sur place…

Thèse centrale de Mouhanna : en judiciarisant l’îlotage, en lecentrant sur la recherche du renseignement, on le coupe de sesbases naturelles : la réponse au besoin d’écoute et de sécuri-sation de la population ; on conduit l’îlotage dans une aporie, ilne peut fonctionner que sur le soutien et la confiance popu-laires, et on l’entraîne sur une voie où il n’a plus rien à échangerdans cette voie…

18 décembre 2000. – Dans le manuscrit « anonyme » (enfait, C. Adam et F. Bartholeyns) évalué pour Sociologie etSociétés, cette très jolie métaphore des « chaussettes jaunes » in« L’instrumentalisation dans les pratiques pénales », p. 19-20 :« On peut dépénaliser l’usage de drogues, nous dit ce gen-darme, cela ne pose aucun problème si, en même temps, l’onpénalise le port des chaussettes jaunes. Peu importe ce qui estinterdit pourvu qu’il y ait un interdit. Ce ne sont […] pas les

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usagers de drogue en tant que tels qui sont instrumentalisés parles gendarmes, mais la loi qui pénalise leurs comportementset qui constitue une ressource indifférente. L’interdit est en soiarbitraire mais son instrumentalisation lui donne un sens. […]La mission principielle de la répression des usages de drogue[…] est échangée pour la gestion pragmatique de populations,la loi devenant non seulement une ressource de régulation d’unconflit (ce qui serait de l’instrumentation, sans plus), mais laressource d’un projet managérial. »

19 décembre 2000. – On ne dit jamais sur la police de NewYork les choses les plus élémentaires, par exemple qu’on compteà N[ew] Y[ork], 5 policiers pour 1 000 habitants, contre 1,9pour Los Angeles (Trojanowicz 8, p. 30), et 2,5 pour 1 000 àMontréal. (On se livre à ce type de calculs par État, Perez/Bauer 9, p. 105 : État de New York : 4,7 policiers/1000, c’estle plus élevé – hormis le district fédéral de Columbia : 9,65 –versus Maine : 2,1 – le plus faible – et une moyenne auxÉ[tats-]U[nis] de 2,4, ou [référence inconnue « tb. »] p. 233-234 :N[ew] Y[ork] : 472/100 000, Maine : 216, Calif[ornie] : 338.)

(Mais combien à Paris qui compte +/– 20 000 policiers pour2,2 millions d’habitants = 9 pour 1 000 ! qu’on pondérera sansdoute par les servitudes propres à une capitale d’État, mais aussipar la durée hebdomadaire, mensuelle et annuelle du travail 10…)

25 décembre 2000. – Roberto Kant de Lima note (in Apolicia da cidade de Rio de J., p. 17 11) que les attitudes etconduites des policiers changent du tout au tout selon les codesculturels de leurs interlocuteurs (et plus prosaïquement, selonle statut social et économique de ceux-ci). Ils font ainsi preuved’une remarquable maîtrise de ces codes et de leur diversité :un élément supplémentaire de qualification (informelle) nonreconnu.

8. Robert C. TROJANOWICZ, Community Policing : A Contemporary Perspective,Anderson Publishing, Cincinnati, 1998.

9. Alain BAUER et Émile PÉREZ, L’Amérique, la violence, le crime, PUF, Paris, 2000.10. Ici, une note ironique de D. M. qui anticipe des objections classiques parmi les

chefs de la Préfecture, selon lesquelles les particularismes de la capitale seraient tels quecette densité policière y serait une nécessité. La note entend relativiser cette idée reçueen établissant des comparatifs pour d’autres villes tout aussi urbanisées, où les duréesdu travail policier sont apparemment plus longues qu’en France.

11. Roberto Kant DE LIMA, A Policia da Cidade do Rio de Janeiro : seus Dilemas eParadoxos, Zahar, Rio de Janeiro, 1995

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3 janvier 2001. – Le risque constant, et mortel, que court touteffort d’analyse sociologique de la police est de retourner surcelle-ci les attitudes, préjugés et instruments qu’on lui prête,et de mettre ainsi en œuvre une sociologie proprement policière,avec son cortège d’amalgames, suspicions, procès d’intention,extrapolations hasardeuses et autres dénonciations. Dansl’article publié par Déviance et Société, Laurent Mucchielli(LM) 1 saute à pieds joints dans ce piège, qui – injuste retourdes choses – disqualifie l’ensemble de ses propos, dont certainsméritaient un autre emballage.

Alain Bauer 2 est un personnage assurément bardé de pseudo-titres universitaires, multipliant les cosignatures avec desauteurs marqués à la droite extrême, sans pour autant renoncerà faire valoir des titres socialistes, il s’est autoproclamé experten choses sécuritaires avec un aplomb peu commun. Déployantla carte de ces cosignatures, LM les positionne en « réseau »,qui réunit ainsi, autour de Bauer, des personnages importantsdu SCHFPN [Syndicat des commissaires et des hauts fonction-naires de la police nationale] 3 (son secrétaire général actuel,ainsi que son prédécesseur, ainsi que Richard Bousquet) et des

1. Laurent Mucchielli, « L’expertise policière de la “violence urbaine”, sa construc-tion intellectuelle et ses usages dans le débat public français », Déviance et Société,2000, 24, 4, p. 351-375.

2. Expert consultant en sécurité, directeur de l’entreprise AB Associates, stigmatisédans le texte de L. Mucchielli. X. Raufer et L. Bui-Trong sont également épinglés parL. Mucchielli.

3. Également surnommé le « Schtroumpf ».

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individualités aux références singulières (Xavier Raufer).Puisque collaboration matérielle et affinités intellectuelles sontainsi patentes, la notion de réseau peut être légitimementadoptée. Il y a amalgame et confusion quand il y adjoint parexemple Lucienne Bui-Trong, au seul motif que les travaux dela cellule RG [Renseignements généraux] qu’elle a créée sontfréquemment utilisés par les précédents. Sur ce critère, le« réseau » ainsi décrit devient immense, et on s’étonne parexemple de ne pas voir épinglées au même titre S. Body-Gen-drot et N. Le Guennec, qui – dans un rapport très public en1997 – ont fait de l’échelle des violences urbaines des RG unusage intensif. Viennent ensuite tout naturellement sous laplume des qualificatifs qui, dans tout autre contexte, seraientvraisemblablement apparus à l’auteur lui-même comme propre-ment injurieux. La « sincérité » de L. Bui-Trong est « tar-dive » (p. 370, au passage, on se demande de quels titresl’auteur peut se targuer pour en juger ?), lorsqu’elle expliqueson travail, ce ne saurait être que sous forme d’« aveu »(p. 367), et s’il lui arrive d’être invitée à un colloque univer-sitaire (comme ce fut le cas récemment, par mes soins, et sousl’égide du GERN [Groupe européen de recherches sur les nor-mativités]), c’est pour « s’afficher » (p. 353) !… Quel vocabu-laire est-ce là ? De l’amalgame, on saute à la généralisationstigmatisante, et les écrits des uns et des autres deviennent, sansautre forme de procès (c’est le cas de le dire), « Le » discoursde « La » police, de « La » hiérarchie policière, etc. On refa-brique ainsi, d’un coup de force parfaitement arbitraire, uneunité substantielle, y compris sur le plan idéologique, d’UnePolice uniforme, homogène, tout entière ramassée derrière leservice du pouvoir répressif, etc. Et ce n’est même pas l’évo-cation rapide, in fine, des positions en effet très différentes duSNOP [Syndicat national des officiers de police] qui inciteral’auteur à revenir sur toutes ses formulations antérieures quine connaissent que « Le » singulier : Raufer = Bauer = Bui-Trong = L’expertise policière, Le nouveau discours policier, LaHiérarchie policière, etc.

Le discours de la dénonciation fait ordinairement flèche detout bois et ne craint pas la contradiction. LM n’y manque pas,qui se retrouve avec les auteurs qu’il vilipende pour dénoncerle dispositif et les arrière-pensées supposées des CLS [contratslocaux de sécurité] (p. 355 et 359).

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Il y aurait également beaucoup à dire sur ce qui est dit del’IHESI. Je réserve l’argumentation de fond pour un autre tra-vail, mais je ne peux m’empêcher de signaler, sur troisexemples, que, là encore, confusion et à-peu-près-même-pas-faux dominent. L’auteur souligne que « cet institut fait globa-lement la part belle à des thèmes sécuritaires commel’insécurité et les violences urbaines » (p. 353). C’est sous saplume, semble-t-il, une critique. Elle est plaisante s’il s’agit dereprocher à l’Institut de se consacrer à son objet social ! À ceciprès que de qualifier insécurité et violences urbaines de« thèmes sécuritaires » nous renvoie à la triste période de lafin des années 1970 où – face à l’instrumentation politicienne,en effet, à laquelle donnait lieu, par Peyrefitte et consorts, lamontée des délinquances – la gauche en général, les socio-logues en particulier (et moi comme les autres, s’il faut le pré-ciser) ne savaient opposer que dénégation, mise en cause desstatistiques et aveuglement devant les faits les plus patents.

Ensuite, plutôt que de parler de l’« Institut » comme d’uneentité monolithique et permanente, il n’est pas hors de proposde rappeler que la courte histoire de l’Institut n’est pas tout àfait linéaire : la prise en main par la droite en 1993 s’est accom-pagnée de départs et licenciements qui n’ont trompé personne– à l’intérieur – sur le changement de cap imposé.

Enfin, broutille, mais répétée, la catégorie de « formateur àl’IHESI » n’existe tout simplement pas. Les sessions de l’IHESIne voient intervenir que des « conférenciers », dont la liste aisé-ment consultable, témoigne à l’envi que – hors les institu-tionnels obligés – ils proviennent de tous les horizonsintellectuels et politiques (avec la nuance, importante, précé-dente : l’équipe de Pasqua ne faisait pas appel aux mêmesconcours que l’équipe de Joxe).

Il y a questions et débats, tous deux importants et graves,sur ce qui se passe dans la société française aujourd’hui sousl’angle de la sécurité, la délinquance, la violence – j’emploieà dessein ces termes dans le sens le plus vague, avant toute« construction d’objet ». Certains en effet ont peine à ne pasinterpréter ces questions sous le prisme de leur intérêt corporatifou politicien le plus étroitement conçu. Ils n’ont comme seuleexcuse que de n’être pas sociologues, et de n’avoir pas pourmétier de chercher. Raison de plus pour que les « universi-taires et chercheurs » ne « brouillent » pas eux-mêmes les

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« identités » (p. 353) en menant leur combat avec les armesmêmes qu’ils imputent à l’adversaire.

13 janvier 2001. – Théorème de Jean-Paul Brodeur 4 : « Lescirconstances qui incitent la victime d’un crime à le dénoncerà la police sont celles-là mêmes qui en rendent l’élucidationimprobable. » (La plainte est d’autant plus fréquente quel’auteur est inconnu.)

16 janvier 2001. – Reprendre la note cahier sur la « résolu-tion de problèmes », comme outil managérial discutable,gadget, mais surtout moyen détourné de remettre en cause lademande sociale comme principe de détermination du travailpolicier.

Reprendre aussi les trois apports de la recherche BREC (dif-ficultés du changement, partition procédure/terrain, échelle deperroquet de classement des tâches/cibles) ; « en PJ [policejudiciaire], c’est la qualité de la cible qui détermine la noblessede la tâche » (forme policière de la logique de l’honneur).

23 janvier 2001. – Complément sur le rang/prestige relatif dela PU (police urbaine) dans la PN.

Le théorème « ennemi public nº 1 k 1er flic de France » ou :« c’est Mesrine qui fait Broussard » est confirmé par ce der-nier. Broussard a commis des « Mémoires » qui occupent deuxtomes, et près de 700 pages dans l’édition de poche (Pocket,Paris, 1999). Il y raconte par le menu « trente-six années de“grande maison” » (II, 345). Pendant celles-ci, raconte-t-il,« j’ai passé une demi-douzaine d’années à la tête des policesurbaines, de mai 1986 à mars 1992, battant ainsi le record delongévité à ce poste » (II, 289). Pour autant, à ces six années,un gros sixième de sa carrière totale, il va consacrer dans sessouvenirs exactement… 13 pages (280-293), moins de 2 % deson récit, moins qu’à l’« assassinat du coiffeur Schoch 5 » (II,90-103)… Et s’il ne manque pas, au passage, de souligner que« les “PU”, comme l’on disait alors dans notre jargon, consti-tuaient la plus grosse direction en termes d’effectifs :65 000 personnes dont une forte majorité de policiers en tenue »(p. 280), la clé, ici, est dans l’incise « en termes d’effectifs »,

4. Directeur du CICC de Montréal, vieil ami, complice et collègue de D. M.5. André Schoch est assassiné en 1983 par des membres du FLNC (Front de libéra-

tion nationale corse) pour avoir refusé de payer l’« impôt révolutionnaire ». Le commis-saire Robert Broussard est nommé en Corse la même année.

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qui signifie bien que cette suprématie en « volume » n’impliquerien d’autre : c’est le plus gros de la classe…

28 janvier 2001. – Partenariat. Le partenariat n’est pas uneidéologie, ou la manifestation de bons sentiments, ou uneexpression actuelle du politiquement correct, c’est unecontrainte et, ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les policiers,constamment, et de la façon la plus vigoureuse. Simplement, ilsle disent sous une forme négative, de telle sorte qu’on ne saisitpas, ou qu’ils ne saisissent pas toujours eux-mêmes immédia-tement la portée de leur revendication. Mais que font d’autre lespoliciers quand ils désignent telle ou telle tâche comme tâcheindue, servitude imposée, si ce n’est de réclamer que les respon-sabilités respectives de tel ou tel partenaire soient mieux déli-mitées ? Que font-ils d’autre lorsqu’ils incriminent l’abstentionparentale, les carences de l’école, le laxisme judiciaire, que dedéfinir les aires de partenariat nécessaires ? Que font-ils d’autreencore lorsqu’ils dénoncent l’absence de contrôleurs dans lesréseaux de transport, le déficit de gardiens dans l’habitat col-lectif et l’absence d’entretien des espaces publics, si ce n’estde désigner transporteurs, logeurs et élus municipaux commepartenaires nécessaires de l’action policière, et réciproque-ment ? Mettre en œuvre le partenariat, ce n’est rien d’autre qued’inverser le signe ou le sens de cette complainte, de cesrenvois, de ces dénonciations, pour en faire les objets mêmesd’une coopération permanente.

3 février 2001. – Vu ce jour la nouvelle et prestigieuse bibledu service public (passée à « Bouillon de culture » il y a huitjours, le 27 janvier) : R. Fauroux et B. Spitz (dir.), Notre État,le livre vérité de la fonction publique, Laffont, 2001. Sur plusde 800 pages, la police y est traitée en exactement trois pages,dont deux consacrées à la GN [Gendarmerie nationale], le toutpar un avocat pénaliste (Soulez-Larivière) dont la notoriétémédiatique est certes grande, mais les connaissances en cedomaine strictement bornées à la procédure pénale, petit bout– s’il en est – de la lorgnette policière…

(Ajout 6 mai 2001.) – Depuis que je reçois le programmedes débats de Services Publics – c’est-à-dire depuis 1990 et avecenviron huit ou neuf débats par an, soit un total d’une centaine –,aucun n’a jamais été consacré à la police et à sa réforme…

Sur le régalien :a) À partir de Michel Antoine, son Louis XV, Paris, Fayard,

1989, p. 176 sq. : « D’autres règles venaient encore tempérer

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l’exercice du pouvoir souverain : les maximes du royaume. […]Dans ce royaume hérissé de communautés sociales, profession-nelles et territoriales, le Roi devait être d’abord justicier : rendrela justice était une prérogative essentielle de la souveraineté,constituant pour le monarque un devoir autant qu’un droit. […]L’obligation d’être un justicier comportait corollairement celled’être un législateur… » Il y a là quatre pages essentielles, dontil faut retenir que le régalien n’est assurément pas la police,mais la justice : c’est celle-ci qui est prérogative et devoir duSouverain, la police ne tient au régalien que parce qu’elle est, ettant qu’elle est auxiliaire de justice. En outre, le Souverain doità ses sujets la sécurité extérieure, celle du territoire et de sesfrontières. Il leur doit la protection contre les ennemis exté-rieurs, l’étranger. Par contre, au sein de ces frontières, à l’Inté-rieur, il ne leur doit pas sécurité et sûreté, mais justice. Lasécurité, l’ordre public local sont affaire des autorités locales,c’est le seigneur du lieu, le bourgmestre, le maire, et leursgardes, guets, sergents, milice, etc., qui sont tout autre chose etne procèdent pas de la justice, donc de la souveraineté, maisd’un mandat local, ou d’une délégation. L’idée de la sécuritéintérieure comme obligation/prérogative régalienne est un coupde génie des lobbies de l’Intérieur, et un argument ad hoc del’étatisation, mais c’est pure invention historique.

b) « Droits régaliens » : note 8, p. 225 de Saint-Simon/Bois-lisle, tome XIV : « Droits attachés à la souveraineté » (Aca-démie, 1718) 6. Justel, dans son Histoire de la maison deTurenne 7, p. 15-17, et de même le Dictionnaire de Moréri 8

énumèrent les droits de battre monnaie, de concéder des fiefs etdes lettres de noblesse, de délivrer des sauvegardes, d’érigerdes communes et des consulats, de faire des lois et statuts, dejuger les délits commis sur la voie publique et toutes les affairesciviles en première appellation et premier ressort, etc.

c) In M. Marion, Dictionnaire des Institutions de la Franceaux XVIIe et XVIIIe siècles, 1923, p. 476 : « Régaliens (droits).– Les droits régaliens étaient les attributs essentiels de la sou-veraineté : droit de paix et de guerre, droit de faire la loi, debattre monnaie, de lever des impositions, de rendre la justice,

6. D. M. cite Saint-Simon dans l’édition de Boislisle, Hachette, Paris, 1879-1928.7. Paris, 1645.8. D. M. se réfère au Grand Dictionnaire historique de Louis Moréri (1759), fac-

similé Slatkine, Genève, 1995.

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d’assembler des États généraux ou provinciaux ; et aussid’accorder des grâces ou abolitions pour crimes, de naturaliserdes étrangers, de faire des nobles, etc. »

d) Sur un article du Monde du 16 février 2001 : « Quandl’État fait défaut, le peuple s’organise » : il n’est pas douteuxque la première tâche des États, qui les fonde et les légitime,est de garantir la sécurité physique des citoyens. À défaut(Colombie, Haïti, Somalie, Zaïre, etc.), l’État sombre et cèdela place à la loi de la jungle, loi du plus fort, etc. Mais il nes’ensuit nullement que l’État doive être le responsable direct dela force publique. La confusion du régalien dans la pensée poli-tique française consiste à confondre l’instrument et la fonc-tion, à identifier celle-ci à celui-là, alors bien évidemment quela relation est inverse : la fonction se peut assurer par uneinfinie variété d’instruments, dont il n’est même pas assuréqu’ils doivent être de statut public. L’article montre que danstous ces pays où l’État a sombré, se développent des formeslocales, spontanées, l’organisation communautaire régulant lesrapports sociaux, mais avec deux limites qui définissent encreux les fonctions élémentaires de l’État : seul un réseau publicd’infrastructures permettrait de relier l’aménagement d’un quar-tier ou d’une région au reste du pays ; seul l’État pourrait arbi-trer légitimement les conflits entre les acteurs locaux = doublefonction de lien et d’arbitrage.

e) [Ajout du 17 février 2004.] Voir la « Chronique adminis-trative » de Jean-Marie Pontier in Revue de Droit public, nº 1,2003, p. 193-237 : « La notion de compétences régaliennes dansla problématique de la répartition des compétences entre les col-lectivités publiques ».

3 février 2001. – Du gauchisme antisécuritaire. À propos del’ensemble publié ce mois par le Monde diplo, où l’IHESI est ànouveau pris à partie : d’abord c’est un signe de reconnais-sance, si l’IHESI est ainsi pointé du doigt, c’est qu’il existe… Ilest tout à fait manifeste, dans ces textes, qui se présententcomme mégadénonciation des Bauer, Bousquet, Raufer, que legauchisme est leur meilleur allié. La posture de dénégations’énonce de façon archétypique – « les responsables gouverne-mentaux et leurs relais médiatiques occultent les ressorts éco-nomiques et sociaux de ces évolutions » –, et par l’omission detoute allusion aux victimes. D’où il ressort que ce jeune con quia cassé la gueule à une petite vieille qui venait de toucher troissous à la poste, il faut comprendre que, petit-fils de harki et fils

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de chômeur, il ne fait là que rendre à la société ce que celle-cilui a donné. Quant à la petite vieille, on ne sait si elle estcomplice ou coupable de sa mésaventure… Ce discours imbé-cile ouvre un boulevard à tous les démagogues, aux Le Pencomme aux Raufer…

7 février 2001. – Wesley Skogan 9 dit : « Résultats ambigus :meilleure perception de la police par la population, mais pasde baisse significative de la délinquance. » Et l’exemple deN[ew] Y[ork] est présenté comme succès sans mélange parceque la délinquance baisse, alors même que les rapports police-population se dégradent.

Faisons le tableau des éventualités (Politique P k à t + 1 :neuf cas de figure) :

La relation police-population est :

dégradée stable améliorée

La délinquance augmente Échec complet France 2000

La délinquance est stable Pas d’effet Cas Skogan

La délinquance diminue Cas New York Réussite totale(Chicago ?)

Il faut d’abord supposer que la mesure de chacune des dimen-sions est fiable, ce qui n’est facile pour aucune des deux : lepublic n’est pas homogène et monovalent à l’égard de la police,les fluctuations de la délinquance peuvent être beaucoup pluscomplexes que la simple variation de leur somme. Ce n’estdonc que par une convention très simplificatrice, et peut-êtreerronée, que l’on résume chacune de ces dimensions à une seulevariable continue, dont on ne retient ensuite que troiséventualités.

Ensuite, le tableau repose sur l’hypothèse que ses deuxdimensions sont indépendantes ; elles ne le sont pas.

Dans un pays démocratique, on suppose que l’améliorationdes relations police/population doit avoir des effets successifsopposés. Dans un premier temps, la police recueille plus deplaintes et donc la délinquance enregistrée augmente. À terme,de l’information accrue de la police doit résulter une

9. W. G. SKOGAN et S. M. HARTNETT, Community policing Chicago style, OxfordUniverstiy press, New York, 1997.

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amélioration de ses performances tandis que la plus grandeattention à la demande doit améliorer la prévention.

Dans un pays totalitaire, on doit poser que la relation estinverse : c’est en terrorisant la population que la police assureson efficacité.

Il y a ainsi cinq cas de figure : case centrale : aucun effetrepérable ; trois configurations désignant un échec manifeste(grisé foncé) ; trois configurations désignant un succès assuré ;et deux cas contrastés : la délinquance baisse sensiblement maisla relation avec la population se dégrade, cas New York ; ladélinquance augmente, mais la relation entre la police et lapopulation s’améliore, cas pol-prox France 2000.

Le bilan des « cas contrastés » n’appartient ni au policier niau sociologue, mais au politique : lui seul est légitimé à trancherce qui doit l’emporter entre les deux critères, et à inscrire l’éva-luation dans le temps.

15 février 2001. – Un ministre de l’Intérieur est-il nécessai-rement voué à devenir le porte-voix des groupes professionnels(préfets, policiers…) qu’il est chargé de commander ?

Cf. Le Monde du même jour, p. 8, sur « la banalisation del’usage du cannabis… ». L’article évoque Kouchner qui en1997 exposait qu’une réforme de la loi (de prohibition) de 1970était envisageable, et suit : « En réponse, J.-P. Chevènement,alors ministre de l’Intérieur, avait immédiatement pris posi-tion en affirmant que la loi de 1970 “a une signification socialeet permet aussi de remonter les réseaux”. » (Ce qui, de sur-croît, est très discutable : ce n’est pas le consommateur finalqui informe réellement sur le réseau, c’est un conte à usage desenfants répandu par les policiers qui craignent de perdre un deleurs plus juteux terrains d’aventures…)

17 février 2001. – […] [suite de la note précédente] destextes qui sont essentiels, fondateurs pour qui veut réfléchir surla police. Pour autant bien sûr que l’on juge que la police mériteréflexion. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Deuxgroupes sont d’ordinaire opposés à cette idée. D’une part, ceuxqui ont jugé, une fois pour toutes, que toute police est expres-sion d’une insupportable oppression, nécessairement confiée àdes nervis, manipulateurs, provocateurs et autres canailles, etne saurait donc qu’être combattue et dénoncée. Ils iront certesau commissariat porter plainte si leur voiture est volée, leurrésidence secondaire cambriolée, ou leur vieille mamanagressée, mais pour se plier aux contraintes des assureurs, et en

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se bouchant le nez. Laissons-les à leurs certitudes. Les autressont plus préoccupants, car ce sont d’ordinaire ceux-là mêmesqui ont charge de police : magistrats qui la requièrent, hautsfonctionnaires qui la commandent, hommes politiques à la têtedu pouvoir exécutif. Ils ne partagent certes pas le jugement pré-cédent, et ne mettent pas en doute l’utilité policière, mais il nefaut pas gratter beaucoup pour entrevoir une autre forme de dis-tance, tout aussi méprisante. Pour eux, on en sait bien assez surla police quand on sait à qui il faut transmettre ses ordres ; pourle reste, on supposera qu’elle exécute. Ce qu’elle ne fait pas,bien sûr, mais avec assez de discrétion pour que cette efficace« récusation des ordres illégitimes » soit portée au débit de laforce d’inertie propre à toute bureaucratie.

24 février 2001. – La différenciation des trois polices n’estque le dépliage de leur empilage historique. La PN n’a faitqu’additionner progressivement, jusqu’à les réunir :

— le guet bourgeois, qui devient DCSP [Direction centralede la sécurité publique], sécurité publique : l’organisation de lasécurité locale ;

— les commissaires du Châtelet, auxiliaires de justice, brasarmé, mais ancillaire, des magistrats, qui devient PJ ;

— les mouches, polices secrètes et autres « troupes » duSouverain, qui deviennent RG, DST, CRS, etc.

Par ailleurs, « la police, au sens que l’on donnait alors [sousLouvois] à ce terme, c’est-à-dire l’administration » (A. Corvi-sier, Louvois, 412 10), c’est le sens fonctionnel…

2 mars 2001. – Le prérequis de toute réforme est de contre-dire, dans l’esprit des policiers, l’idée bien ancrée que « de toutefaçon, le travail policier est toujours le même… », alors que,justement, ce qu’il s’agit bien de changer, c’est le contenumême de la tâche policière sous deux aspects : prendre en maindes tâches jusqu’alors refusées ou délaissées (prévention, aideaux victimes…) ; changer l’ordre des priorités – et doncl’ampleur des investissements – entre les tâches traditionnelles.

Il ne faut pas s’illusionner (ou paniquer) ; en police générale,la lutte contre la délinquance, la chasse au délinquant, la policecriminelle, restera toujours l’activité privilégiée, l’axe de réfé-rence, la motivation première de la majorité des agents. Mais laquestion n’est pas de la dévaloriser ou de lui en substituer uneautre. La question est de savoir si on peut, et comment, d’une

10. André CORVISIER, Louvois, Fayard, Paris, 1983, p. 412.

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part, lui adjoindre d’autres tâches à égalité d’importance, et nonpas simplement comme substitut, contrainte ou pis-aller, c’est-à-dire faire accepter par les policiers qu’il n’y a pas que celaqui compte, et que tout le reste peut aussi avoir sens, intérêt etimportance. Donc qu’il ne faut pas tout lâcher pour courir susà tout voleur de poule. D’autre part, imposer des priorités ausein des activités délinquantes, et ne pas se laisser mener parcelles que telle ou telle sous-culture policière met au premierplan (cf. l’exemple du « trafic de drogue » à Soissons, où tout lecommissariat s’était mobilisé pour une « filière » de hasch,définie comme la belle affaire par excellence, alors qu’elle étaitdérisoire au regard des nuisances subies et éprouvées par lapopulation). Autrement dit, au sein de l’activité délinquante,comment imposer que le double critère de victimation 11 etd’insécurité de la population soit pris en compte avant le cri-tère de l’échelle de prestige policier, dont la population n’a rienà foutre ?… Si on arrivait déjà à imposer ces deux modes derelativisation de la hiérarchie spontanée des priorités policières,l’essentiel serait fait.

(Ajout du 7 mars 2001 [Montréal].) – Un très bel exemplede rapport entre vrai travail policier et « travail social ».D’après le document « Tableau de bord de gestion » (SPCUM[Service de police de la Communauté urbaine de Montréal],mai 1999), cible 2 : diminuer les appels répétitifs reliés à laviolence conjugale, il apparaît que « le tiers des homicides sur-venus en 1998 sont des drames familiaux. Depuis plusieursannées […] cette répartition est constante, tant sur le territoirede la CUM qu’ailleurs dans la province » (p. 23). Et le docu-ment précise ce qu’on peut pressentir : « L’escalade des pro-blèmes familiaux qui peut mener jusqu’à la mort de la victimedure généralement un bon moment », et se traduit par les iné-vitables « tapages », « cris » et autres « différends familiaux »qui sont comme l’on sait le quotidien des appels à la police etla plaie du métier policier.

Il ne se trouve probablement pas un seul policier pourcontester qu’un bon homicide, bien incontestable, et si possiblebien sanglant, soit gibier de police par excellence, qui sollicite

11. D. M. fait allusion à un canon de la sociologie des enquêtes de victimes qui dis-tingue deux dimensions (« victimation » est une terminologie consacrée) : l’expositionpersonnelle au risque de subir ou au fait d’avoir subi une atteinte d’une part, et unepréoccupation à l’égard des phénomènes de délinquance de l’autre.

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et mérite – sans discussion ni délai – le déploiement de toutesles ressources policières, humaines et techniques : scène ducrime, prise d’empreintes, examens balistiques, biologiques,chimiques, autopsie et autres joyeusetés de la PST [policescientifique et technique] peuvent et doivent s’y déployer engrand arroi, signes et outils du meilleur professionnalismepolicier.

À ceci près que la remarque précédente rétablit les chaînonsmanquants : c’est dans le tapage dédaigné, le différend fami-lial méprisé, le pseudo-« travail social » indu, que ce bel et bonhomicide, providence de la corporation et fleuron de son exper-tise, a pris naissance, a poussé ses racines. Il faudrait le rappelerpériodiquement aux policiers.

4 mars 2001 (Montréal). – En lisant Silverman 12 : la tolé-rance zéro, ce n’est pas trente ans de prison pour un voleur depoules ou sa version californienne « 3 sticks and you’re out » ;c’est beaucoup plus prosaïque que cela : c’est le fait, quand onentend passer sous les fenêtres du commissariat une mob àéchappement libre, ou une voiture dont la sono hurle, de ne passe boucher les oreilles l’air excédé, mais de la stopper et de laverbaliser : pas la dixième fois, la première. Tolérance zéro, c’estarrêter de contourner la voiture en double file en regardant ail-leurs, parce qu’on a mieux à faire, mais de s’arrêter, de la faireranger, et de verbaliser, même si c’est la voiture d’un notableou la camionnette d’un commerçant. Bref, c’est de revenir à destâches de longue date délaissées de maintien de l’ordre local. Ilest intolérable justement de voir les supposés grands flicsabreuver les médias de plaintes contre le laxisme judiciaire, lafaiblesse des politiques ou la complicité des socialistes avec ladélinquance, et se faire à grands fracas thuriféraires des soi-disant mérites de la police de NY, quand on a soi-même désertéde longue date ses responsabilités du ministère public auprès dutribunal de police, ou qu’on y « indulge » à tour de bras… Unedes grandes et efficaces ressources mises en œuvre par le NYPD[Département de police de la ville de New York] a précisé-ment été de se servir au maximum de toutes les réglementationsd’ordre public communal, hygiène, salubrité, bruit, etc.

9 mars 2001. – 1. La police ne sait pas rétribuer le travailpréventif de ses membres, le service à la communauté, le

12. Eli B. SILVERMAN, NYPD Battles Crime, Innovative Strategies in Policing, Nor-theastern University press, Boston, 1999.

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service du public, la prévention ou dissuasion intelligente, lacontribution discrète au sentiment de sécurité, bref, tout le rôledu « gardien de la paix ». Mais peut-être peut-on chercher cetterétribution ailleurs, par les partenaires justement ? Pourquoi lestravailleurs sociaux qui ont « bénéficié » d’un bon signalement,le proviseur qui constate que le flic a bien sensibilisé à tel outel danger, le logeur à qui remontent les appréciations des gar-diens d’immeubles, l’association à laquelle l’îlotier a donné uncoup de pouce, etc., ne le feraient-ils pas savoir, vigoureuse-ment, et assez fort pour que le policier en tire à la fois notoriétéet prestige dans son entourage, mais aussi points supplémen-taires pour sa notation ? La rémunération pourrait venir d’ail-leurs que de la seule administration policière…

2. Ce qui est important dans le tableau de bord, ce n’est pasle nombre de cadrans, leur graduation, la sensibilité des cap-teurs et la lisibilité de l’affichage, la fiabilité ou l’exhaustivitédes données, ou tout autre critère interne ; ce qui est crucial,c’est le mode d’élaboration. Le tableau de bord que monte leSPCUM n’est pas génial, et on peut à bon droit s’étonner qu’ilne reprenne que les indicateurs les plus traditionnels de l’actionpolicière, mais il est bien foutu, et utile, et donc pertinent, parcequ’il a été élaboré sous le contrôle constant de ses usagers desti-nataires : les quatre commandants qui dans le comité de projetont dit que cela ils prenaient, et cela ils n’en voulaient pas – etont eu le dernier mot, de telle sorte que le tableau de bord finalleur est directement et immédiatement utile. C’est le seul cri-tère. Tout tableau de bord élaboré en catimini par une cellule adhoc de l’administration centrale sera peut-être génial intellec-tuellement, et une vraie merveille d’électronique et d’analyse entemps réel, ce sera néanmoins un bouillon total, parce qu’ins-piré par ce qui intéresse cette administration centrale et non parce qui est utile au responsable de terrain. C’est le seul critèrequi vaille.

13 mars 2001. – J.-P. Brodeur le dit très justement : la policerésiste victorieusement, non seulement au projet de connaître,mais aussi, et pour commencer, au projet de définir. On ne lasaisit que par énumération. Dans cette voie, il reprend mes troiscatégories 13, et ajoute au même rang, comme quatrième, cellede police privée. En quoi il a raison.

13. Allusion à la trilogie désormais consacrée des fonctions de police : police de sou-veraineté, police criminelle, police de la tranquillité publique. Voir par exemple

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La déploration du manque de moyens dans les métiers de ser-vice est constante (elle ne cesse pas quand les moyens sont sen-siblement augmentés), universelle (les policiers réclament deseffectifs aussi bien à Paris, où ils sont notoirement en sur-nombre, qu’en province), fondée (on pourrait indubitablementoccuper plus de personnes dans les mêmes emplois), et impos-sible à satisfaire (il y aura toujours un déficit par rapport à desbesoins infinis, et qui de surcroît se déplacent sans cesse : dèsque certains sont satisfaits, il en naît d’autres, cf. la garde desenfants…).

À ce quadruple titre, que tous les professionnels en place res-sentent (cf. en ce moment les juges et les infirmières, hier lesprofs et les flics, demain les éducateurs de rue et les médecins),il se pourrait bien que cette déploration fonctionne – en outre –comme plus petit commun dénominateur au sein de chacun deces groupes, comme leur ciment élémentaire, le noyau dur dela culture professionnelle (et donc s’entretienne aussi de cettefonction interne essentielle). C’est aussi pourquoi, quels quesoient la plainte ou le contentieux de tel ou tel sous-groupe àl’intérieur de ces professions vis-à-vis de son employeur, il vas’exprimer sous la forme d’une revendication de moyens, qui ale double avantage d’être toujours justifiable et surtout d’êtreunifiante. On aurait tort de ce fait de prendre ces revendica-tions dites « quantitatives » à la légère, à la façon dont on tenteparfois de disqualifier les mouvements de professeurs en lesréduisant à une sempiternelle revendication de gommes etcrayons (d’horaires allégés et de salaires alourdis…). Gommeset crayons, salaires et horaires expriment d’abord ce découra-gement devant l’ampleur infinie d’une tâche qui ne sera jamaisparfaitement accomplie, si ce n’est même décemment accom-plie. Ce pourquoi, la pire bêtise qu’on puisse commettre devantces revendications est de disqualifier leurs porteurs, d’enrajouter sur leur angoisse professionnelle, de renchérir sur lesinsuffisances qu’ils sont les premiers à ressentir et dont ils sontles premiers à souffrir. Ne pas avoir compris cela, et ne lecomprendre toujours pas aujourd’hui, suffit à disqualifierC. Allègre : un ministre à ce point ignorant des propriétés élé-mentaires du domaine d’action qui lui est attribué témoigned’une erreur de distribution à corriger au plus tôt.

D. MONJARDET, « 1, 2, 3… polices ? L’illusion d’une unité », Panoramiques, 33, 2e tri-mestre 1998, p. 21-26.

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Mais l’erreur peut être inverse : le ministre qui prend au piedde la lettre cette déploration, et s’en fait le porteur, méconnaîttout autant ses responsabilités (c’est d’ordinaire le cas desministres de l’Intérieur). Le rôle du politique, vis-à-vis des pro-fessionnels, est de comprendre leur plainte, certes, mais enmême temps de rappeler son caractère inévitablement uto-pique, et l’incontournable nécessité d’arbitrer les allocations demoyens finis entre l’ensemble des groupes professionnels… (Cequ’a bien fait Kouchner à la TV hier, en réponse aux infir-mières : « Il y a 2,5 milliards de dégagés, c’est beaucoup, et onne peut pas faire plus… ») Non, on ne mettra pas une infirmièreen permanence auprès de chaque malade ; non, les enseignantsne pourront pas assurer du soutien individuel à tous les élèves ;non, il n’y aura jamais assez de policiers pour sécuriser toutesles personnes âgées et empêcher tout cambriolage ; et non, iln’y aura jamais assez de places de crèche pour tous les nou-veau-nés de l’année…

13 mars 2001. – La rupture de la relation gendarmerie/enquêtes est placée au premier rang des difficultés accompa-gnant la réforme de la PDQ [Police du Québec] au SPCUM. Demême, les relations tenue/civils, gardiens/inspecteurs, roule-ment/sûreté sont toujours un objet d’attention, et un point defriction dans le fonctionnement des commissariats en France.La généralité de cette « difficulté » conduit à se demander sielle est réellement aussi dysfonctionnelle qu’on le suppose, ets’il n’y a pas là, au contraire, une vérité des rapports réels entreces segments policiers, tout à la fois qu’un effort, universel etvain, pour la masquer.

En bref, la question est la suivante : si ces rapports sont sidifficiles, s’il faut une attention constante pour maintenir un trèsmince flux d’échanges, le plus souvent à sens unique, n’est-cepas – au-delà de toutes les raisons circonstancielles et subjec-tives – parce qu’il n’y a en réalité aucune raison nécessaire àce que ces rapports soient autres que distants ? N’est-ce pasparce qu’on a affaire en l’occurrence à deux polices tout à faitdisjointes, et qui peuvent parfaitement prospérer, l’une etl’autre, en maintenant leurs relations au minimum ? N’est-cepas, plus simplement encore, parce qu’elles n’ont pas grand-chose de commun, et pas nécessairement besoin l’une del’autre ? Poser la question induit la réponse : en effet…

29 mars 2001. – Au séminaire « Travail dans la fonctionpublique » du ministère de la Recherche, séance du 28 mars

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2001, intervention de I[sabelle] Sayn (Cercrid [Centre derecherches critiques sur le droit], Saint-Étienne), texte distribué,sans référence : « L’activité des agents des CAF [caisses d’allo-cations familiales] est une activité de prise de décision en droit,en ce sens qu’ils doivent appliquer une règle de droit généraleet abstraite à une situation individuelle. Cette activité propre-ment juridique suppose d’une part un travail d’interprétationde la loi (ce que veut dire le texte), d’autre part un travail dequalification des situations de fait (faire entrer la situation indi-viduelle dans la catégorie juridique ; qui permettra de lui appli-quer les règles de droit correspondantes) » ; elle précise quel’activité d’interprétation est largement élaborée en amont, dansdes documents ad hoc (« suivi législatif »), mais que l’activitéde qualification est très largement ignorée, ce qui a deux consé-quences : l’institution mésestime l’activité décisionnelle desagents et ne reconnaît pas leur responsabilité réelle ; rien nepermet à l’usager d’avoir recours contre une décision de quali-fication qui le lèse.

Dans l’activité du gardien de la paix : interprétation et quali-fication sont constantes, se développent sous forme de procèsde sélection des tâches et du mode opératoire, etc. Le point cen-tral est qu’elles sont prescrites hiérarchiquement, sous l’injonc-tion de discernement, mais que ce terme signifie bien ce quiest en question : une qualité subjective dont l’agent doit fairepreuve, et non une compétence (ou qualification au sens propredu terme) qui serait susceptible d’une objectivation et d’unetransmission : apprentissage contrôlé. Le discernement est pres-crit, la compétence d’interprétation + qualification n’est pasreconnue. Il n’est pas sûr que cette appréhension purementempirique, largement implicite et informelle ne soit que le faitde l’impéritie hiérarchique et de l’incompétence des systèmesde formation. Il est plus vraisemblable qu’elle est très déli-bérée : la fiction du « corps d’application », de l’exécutantdocile et discipliné, arrange sans doute tout le monde au sein dela police, autant les gardiens de la paix eux-mêmes que l’enca-drement. Qui n’a pas de pouvoir d’interprétation ne saurait êtreresponsable…

Généralisation : les contenus de la formation initiale des dif-férents corps policiers ne sont pas définis à partir d’une analyseempirique des tâches qu’ils auront quotidiennement à effectuerpour accomplir leur métier (savoir faire une queue d’aronde,

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souder les métaux ou analyser un bilan), mais selon une accep-tion hiérarchique normative de ce qu’ils sont supposés faire.

Dans l’ensemble du secteur public, on développe avec beau-coup plus d’ardeur la recherche sur les exécutants, gardiens dela paix, instituteurs, agents du guichet, préposés, que sur l’enca-drement et a fortiori la haute fonction publique : commissaires,préfets, inspecteurs d’académie, receveurs sont jusqu’alorsrestés dans une prudente opacité ; il faudrait songer à la lever…On découvrirait ce faisant que les compétences proprement ges-tionnaires de ces « cadres » et supposés « dirigeants » sont fortminces…

27 avril 2001. – Réformer la police ou toute autre adminis-tration suppose que l’on veut/peut améliorer l’existant, et doncque celui-ci est améliorable. On ne peut justifier, légitimer, unprojet de réforme que par un début, une esquisse, d’autocri-tique. S’il y a, comme dans le cas policier, recouvrement del’organisation et d’une profession, il ne peut y avoir réformeque si cette profession fait elle-même un début d’autocritique.Quand elle s’est au contraire, par défaut de toute instanced’imputabilité (de compte rendu), intimement persuadée de sonexcellence, il y a peu de chances qu’elle adhère à un vrai projetde changement…

9 mai 2001. – Prévention de la corruption et résolution deproblème. À un policier belge qui pose la question : « Commentempêcher qu’un policier installé sur le même terrain pendantvingt ans ne vire à une forme même bénigne de corruption ? »Réponse double : en faire un « problème » au sens de la réso-lution de problème – retourner cette méthode sur soi. Et le fairepar la démarche « réunion de synthèse » empruntée aux psy :une fois par mois, on réunit toute l’unité et on débriefe collec-tivement les deux ou trois problèmes difficiles rencontrés parl’un ou l’autre – outil de professionnalisation, mais aussi decontrôle.

Les huit traits fondamentaux de toute police, d’après PeterVilliers, professeur à Bramshill (congrès IACP [InternationalAssociation of Chiefs Police]) : wide avenue of responsabilities(grande étendue de responsabilités) ; large degree of discretion(degré élevé d’autonomie) ; ambiguity about core role (ambi-guïté autour de la fonction première) ; need for instant decision(nécessité de décision instantanée) ; reliance upon individualskills, judgment and initiative (dépendance à l’égard des compé-tences, jugement et initiative individuels) ; monopoly of legitime

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force (monopole de la contrainte légitime) ; retrospective styleof management (style de management rétrospectif) ; mental andphysical demands of policing (exigences physiques et mentalesdu métier). C’est assez bien vu, et peut définir en effet le cadreauquel la formation doit préparer.

16 mai 2001. – Le ministère de l’Intérieur fait partie de cettesorte d’organisation tout à fait incapable de tout apprentis-sage : cela fait plus de vingt ans maintenant que ce ministèreannonce à grand fracas des réformes qui avortent systématique-ment, et nul en son sein ne semble soupçonner qu’il pourraits’en dégager un enseignement ; le ministère ne dispose pas descompétences nécessaires à la gestion du changement, et il fau-drait qu’il s’en dote. C’est ce qui permet à des préfets ou deshauts fonctionnaires de se retrouver propulsés aux commandesde réformes lourdes, sans avoir le moindre soupçon de l’idéede la façon de s’y prendre. Pour l’essentiel, ils pensent qu’ils’agit de produire une série de circulaires plus fournies que decoutume…

Cela produit accessoirement ce paradoxe savoureux de genscrispés sur leur supposé monopole de compétences mais quin’hésitent pas à sous-traiter des pans majeurs de leurs propresresponsabilités à des organismes conseils extérieurs (IDRH[Institut pour le développement des ressources humaines] 14).

16 mai 2001. – Au principe des stéréotypes de la culturepolicière, il y a sans doute des « lieux communs » qui se trans-mettent directement de génération à génération par les ancienset par les formateurs en école, mais il y surtout l’expérience par-tagée. Un des noyaux durs de celle-ci est sans doute la décou-verte de l’hostilité du « public ». Nombre de recrues motiventleur choix professionnel par le désir de « servir », d’être utile,de protéger et secourir, et même si cette orientation s’accom-pagne aussi de considérations plus prosaïques (comme la sécu-rité de l’emploi ou le niveau de la solde), elle ne saurait êtreméconnue. Or le premier apprentissage du nouveau policier estbien que cette population qu’il se propose de servir non

14. IDRH, « Réussir la mise en œuvre de la police de proximité » (200 séminaires deformation en septembre et octobre 2000), document interne. Voir plus loin : « Retourd’expérience de l’intervention d’IDRH », 20 juin 2002, document interne. D. M.déjeune avec le directeur de l’IDRH, Frédéric Petitbon, le 28 septembre 2000. Ce der-nier lui avoue que la DCSP aurait refusé d’introduire dans le dossier des stagiaires, lanote de D. M., « La police de proximité, ce qu’elle n’est pas » (archives D. M.). Voirbibliographie générale [71].

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seulement ne souhaite pas son aide, mais le plus souvent – dansses interventions concrètes – lui manifeste une hostilité ouverte.Ces jeunes revêtent l’uniforme pour « servir » et se retrouventbombardés d’injures et de cailloux. Le choc est d’autant plusrude qu’il est, pour beaucoup, tout à fait inattendu. Et la moti-vation avortée se retourne en perception du public, de toutpublic, et donc de la population, comme un bloc hostile et soup-çonneux vis-à-vis duquel il faut se protéger, par le secret et lasolidarité.

23 mai 2001. – À propos d’Yves Bonnet 15, De qui semoquent-ils ? Paris, Flammarion, 2001, 468 p. Plaisante galeriede portraits vachards, où l’on sent souvent que l’auteur pourraitforcer le trait, se retient, et manque de vraie méchanceté, saufà l’égard de ceux qui lui font trop ostensiblement le coup dumépris, comme Balladur. Mais de sa plaisante autoflagellationde « cocu » pas trop content, on retient surtout l’inaptitude fon-cière d’un vrai préfet à entrer dans le champ politique et à sefaire à l’idée que le pouvoir est d’abord un marché ultraconcur-rentiel et sur lequel tous les coups sont bons. Au passage, onnotera sans trop de surprise que pour ce spécialiste supposé del’ordre public, le droit de manifestation s’apparente à la subver-sion et se règle par une bonne charge un peu virile…

17 juin 2001. – Pour la police, le droit est une référence,le fondement même de son action (cf. DUDHC [Déclarationuniverselle des droits de l’homme et du citoyen], art. 12), maisil est en même temps un outil, qui dit ce qu’on peut faire etcomment on ne peut pas faire… Peut-on être les deux à la fois,sans que l’aspect le plus normatif (droit = valeurs) ne soit minépar l’aspect instrumental (droit = outils) ? Si l’outil fonctionnemal, le droit-valeurs en sort-il intact ?

Maintien de l’ordre en prison : expliquer aux flics que lesmatons ne règnent pas par la terreur, même sur une populationpar définition bien pire que celle qu’ils « affrontent » dans lescités. Le maton incompétent est celui qui a la trouille et/oujoue les gros bras, et avec qui la tension monte jusqu’àl’émeute… La prison n’est qu’un concentré (temps/espace) dela cité, dont les jeunes ne peuvent/savent pas/plus sortir, et quis’y sentent incarcérés, relégués, assignés à résidence, avec lesflics pour matons.

15. Préfet, ancien directeur de la DST.

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22 juin 2001. – Ainsi donc, quand IDRH, société de consul-tants bien sous tous rapports et copieusement rémunérée par laDCSP pour faire son boulot à sa place, s’aventure en conclusionde son rapport d’activité, à signaler quelques questions que sou-lève, sur le terrain, la mise en place de la police de proximité,le jugement d’un préfet ne traîne pas : « Chiasse sociologique. »Aucun doute donc sur l’inspiration que les « managers » de laDGPN et de la préfectorale réunis vont chercher dans la sociodes organisations la plus orthodoxe… Ce dont « chiasse socio-logique » est le symptôme, c’est d’un véritable autisme socio-logique, dont beaucoup de hauts fonctionnaires sont atteints…

Hier, Pascal Ceaux 16 me confirme que mon papier sur la« révol. cul. 17 » est tout à fait juste et correspond entièrement àce qu’il entend sur place : les gardiens de la paix ont mainte-nant intériorisé l’idée qu’il s’agit de la énième réforme duministre du jour, et qu’il suffit de faire le gros dos en attendantla prochaine.

Me confirme également que mon test est juste : « Y a-t-ilune, une seule circonscription que l’on puisse montrer auministre et livrer trois jours aux journalistes en leur disant :allez-y, regardez, ce n’est peut-être qu’un prototype, mais voilàla police de proximité grandeur nature, c’est cela que nousvoulons mettre en œuvre partout ? » (Comme Bratton l’a faitpendant des années à New York). En effet, de l’avis, de l’aveudu chef de l’IGPN (et de participants aux évaluations :F. Molin), du sous-directeur des missions de la DCSP, des chefsde service de l’IHESI (Chalumeau, Ocqueteau), des consultantsextérieurs (IDRH), des journalistes bien informés (Ceaux), cettecirconscription test, témoin, modèle, n’existe tout simplementpas. Ils n’ont même pas été foutus d’en faire fonctionner une,une seule !…

11 juillet 2001. – Lors des Assises nationales de la police deproximité, à la Villette du 30 février 2000, il ne manquait pasun bouton de guêtre à la doctrine de pol-prox, sauf la réponseà une question adjacente : « Et comment y va-t-on… ? »

12 juillet 2001. – On ne saurait surestimer l’importance desmotivations individuelles dans le travail policier. Comme pourtout travail finalement fort peu contrôlé (chercheurs ou

16. Journaliste au Monde.17. Publié sous le pseudonyme de P. DEMONQUE, « La police de proximité, une révo-

lution culturelle », Les Annales de la recherche urbaine, nº 90, 2001, p. 156-164 [85].

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enseignants) du fait d’une impossible mesure de l’investisse-ment aussi bien que de la production, quantité et qualité de laprestation sont directement fonction de la motivation. Celle-cipeut être interne (sens du devoir, peur de l’enfer ou confor-misme), mais elle est aussi externe, produite par le dispositifde sanctions (punitives et positives) mis en œuvre par les troisinstances de référence : l’organisation hiérarchique (sous sestrois formes, service policier, préfet, magistrats) ; les pairs, lescollègues directs, les syndicats, la profession dans sonensemble ; le public (les usagers directs, le public en général,l’opinion publique, la presse). La performance répressive indi-viduelle (le crâne, le saute-dessus, le flag 18, etc.) présente àcet égard deux caractéristiques majeures : elle est saluée unani-mement par ces trois instances, d’une part (c’est même proba-blement la seule circonstance dans laquelle ils s’accordentspontanément), et d’autre part elle produit sa propre échelle,quasi objective, de rémunération (théorème de Demonque) :c’est la grandeur du crime qui fixe la valeur de la performance,et donc le quantum de récompense. On comprend ainsi, sansavoir besoin d’évoquer on ne sait quel penchant répressif innéou construit de la gent policière, qu’un tel mécanisme ait deseffets extrêmement puissants et garantisse en tous lieux à l’acti-vité répressive le premier rang.

Elle s’impose comme priorité spontanée parce qu’elle est laseule activité qui bénéficie conjointement de ces deux prin-cipes de valorisation. Si cette analyse a quelque validité, uneconséquence est évidente : pour prétendre contrebalancer cettepriorité par d’autres dimensions, aspects, objectifs de l’actionpolicière, il faut armer ceux-ci d’un dispositif de reconnais-sance et de valorisation comparable, aussi puissant. On en esttrès loin… et d’abord parce que cette analyse même est trèsloin d’être partagée par les actuels conducteurs de la réforme.Bureaucrates bornés et arrogants, ou manœuvriers supposéshabiles, ils survolent ces considérations jugées triviales de troploin pour leur prêter quelque pertinence. Le chantier reste doncentièrement ouvert : quels substituts apporter au prestige de la

18. Autant d’expressions imagées en usage dans la police pour « faire du chiffre » parle biais dit des affaires d’initiative (en termes managériaux, IRAS – infractions révéléespar l’action des services) : par exemple, « faire un crâne » signifie interpeller unmaximum de gens dans la rue sous prétexte de contrôles d’identité pour dépister desétrangers en situation irrégulière ; le « saute-dessus » désigne l’interpellation muscléed’une personne suspecte ; et le « flag », un flagrant délit.

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tâche répressive pour valoriser identiquement la sécuritépublique ?

L’ordre public local est redéfini par l’art. 9 de la LOPS [loid’orientation et de programmation pour la sécurité] (loinº 95-73 du 21 janvier 1995) qui porte art. L. 131.15 du codedes communes : « […] les tâches relevant de la compétencedu maire […] en matière de prévention et de surveillance dubon ordre, de la tranquillité, de la sécurité, et de la salubritépubliques ».

D’une discussion ce même jour avec P. Ceaux : la centrali-sation étatique de la sécurité, à force de concentrer la respon-sabilité au sommet, finit par son contraire : la diluer à l’infini.Quand on en arrive à accuser Jospin (et/ou Chirac) d’être res-ponsable des incendies de voitures à Strasbourg et des vols à laportière à Nice, on en vient en pratique à souligner que pluspersonne n’en est responsable, n’en est en charge… Si X, Y outel autre maire « intelligent » ne pouvait plus mettre en causel’État à tout propos, il faudrait bien qu’ils en arrivent à montrerce qu’ils savent réellement faire…

13 juillet 2001. – Ce qui est efficace, et fait outil dansCompstat [Computerized statistics] 19, c’est certes la statistiquespatialisée de la délinquance, mais celle-ci n’a évidemmentaucun effet direct sur le crime ; son efficacité résulte entière-ment dans le fait qu’elle sert à mobiliser les policiers de terrain :l’outil n’est pas la statistique, mais la menace de mise à la portesi la stat n’évolue pas dans le bon sens. L’outil, c’est la mobili-sation policière… La tolérance zéro porte d’abord sur les flics :le diagnostic de Bratton, c’est bien que, si New York est à cepoint violente, ce n’est pas que la délinquance y est pire qu’ail-leurs, c’est parce que les flics ne foutent plus rien et, pour ceuxqui travaillent, le font mal…

26 juillet 2001. – Le trait constitutif, et distinctif, de la policede proximité, ce n’est pas tel ou tel dispositif, mode d’organi-sation, organigramme, moyen d’action, définition et priorité demission, ce n’est pas plus tel ou tel contenu des tâches, moded’implantation spatiale ou division du travail, c’est la proximitéelle-même, c’est-à-dire la nature et la qualité de la relation éta-blie entre la police et… Mettre en œuvre la police de proximité

19. Outil de mesure de la délinquance utilisant notamment l’analyse cartographiqueréputé être à l’origine de la réduction de la criminalité à New York et importé en Francepar La Préfecture de police de Paris en 2001.

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en généralisant dans les services des organigrammes estampilléspolice de proximité, c’est croire que l’habit fait le moine. C’estsurtout attester à l’ensemble des troupes que cette aussi obscureque fameuse police de proximité n’est qu’une nouvelle pres-cription du centre, imposée uniformément comme le régime deshoraires ou la réforme d’un article du code de la route, et quin’a donc rien à voir avec les problèmes concrets et spéci-fiques de chaque circonscription. On ne saurait mieux entretenircontresens et confusion. Mais ce n’est pas seulement faussemanœuvre, routine imbécile ou défaut de cohérence, c’est bienla marque de la confusion intellectuelle qui règne au sommetd’une administration, dont les responsables mettent en œuvreavec énergie et autorité – comme ils savent si bien faire – unepolitique à laquelle ils ne comprennent rien.

5 août 2001. – On peut dire des policiers, des préfets et detout groupe professionnel ce que Saint-Simon dit des Jésuites :« La Compagnie est trop nombreuse pour ne pas renfermerbeaucoup de saints, et, de ceux-là, j’en ai connu, mais aussipour n’en contenir pas bien d’autres » ([Saint-Simon, édition]B[oislisle] XXII, 7). (Version D. M. : la seule loi sociolo-gique irréfutable est que, dans tout groupe professionnel, lepourcentage de cons, d’incapables ou d’escrocs est sensible-ment le même…)

18 août 2001. – De Saint-Simon également : « La gendar-merie est féconde en chimères et en prétentions » ([Saint-Simon, édition] B[oislisle], XXIII, 4). (À propos de lacompagnie des gendarmes-Dauphins, créée en 1665 pour leDauphin, et dont les commandants s’étaient entichés de l’idéeque « ces charges donnaient l’Ordre », ibid., p. 5.)

20 août 2001. – L’incident entre le préfet D. (DCSP) etl’IHESI à propos d’une recherche sur « l’évaluation par lepublic de la police de proximité » (Mouhanna) 20, qui s’est pro-duit en juin-juillet 2001, est tout à fait symptomatique. Ce

20. Rappel de l’« anecdote » : une recherche commanditée par l’IHESI à ce chercheuravait été censurée au nom du fait qu’elle avait mis en évidence un effet contre-intuitifau sein de la population dans un quartier difficile. Celle-ci s’était montrée plus apeuréehuit mois après le déploiement de la police de proximité qu’avant le déclenchement desopérations, ce qui fut ressenti comme du plus mauvais effet politique quand il s’est agid’afficher les bons résultats de la politique du ministre en reconquête du quartier dansla ville pilote étudiée par ce sociologue. Les résultats en furent néanmoins publiés plustard, après que l’orage fut passé. C. MOUHANNA, « Quel service pour quel public ? Unetentative d’évaluation chiffrée de l’image de la police dans la population face à la terri-torialisation », CSO-IHESI, juillet 2000.

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préfet entendait mettre en œuvre la police de proximité sansrien changer du mode de commandement de la DCSP sur lesservices locaux et sur le contrôle exclusif de ce qui s’y passe.Autrement dit, il pensait la police de proximité compatible avecla centralisation de la sécurité publique telle qu’elle fonctionnedepuis 1941. Il ne faut pas s’étonner de voir la réforme allerdans le mur…

18 septembre 2001. – Les (supposés) dangers de la munici-palisation. Le SCHFPN répète à l’envi que seul l’État estcapable d’assurer l’égalité de tous les citoyens devant la sécu-rité et que, au contraire, la municipalisation des polices urbainesentraînerait immanquablement une inégalité profonde entrecommunes riches et pauvres. L’argument serait irréfutable sila réalité ne témoignait pas, depuis un demi-siècle, exacte-ment de l’inverse : l’État protège infiniment mieux le citadin deNeuilly ou de Vincennes que celui de Mantes ou du Val-Fourré. C’est au contraire l’État, en s’abstenant par exempled’ouvrir les commissariats requis dans les nouvelles cités, ou ense cramponnant à une égalité formelle absurde dans le calculdes effectifs de police (n policier par habitants, quelle que soitla gravité des problèmes de sécurité), qui organise et sanctionnel’inégalité devant l’insécurité.

(Au passage : quand A.-M. Ventre 21 énonce dans son « Quesais-je ? » que « le CLS n’a fait qu’officialiser, dans beaucoupde cas, ce qui existait déjà en matière de partenariat local, animépar la bonne volonté des élus locaux et des responsables de lapolice 22… », il n’apporte pas – c’est le moins qu’on puissedire – de l’eau au moulin de l’étatisation, puisque l’État est prisen flagrant délit de suivisme vis-à-vis des pratiques locales…)

Inversement, l’exemple de Montréal plaide pour l’idée quec’est bien l’étatisation qui provoque la politisation (polémiqueet démagogie) des questions de sécurité, qui sont abordées defaçon beaucoup moins démago quand tout le monde sait quela responsabilité est locale, et que donc la sécurité va d’aborddépendre de ce que chacun est prêt à y consacrer directementpar l’impôt…

(Ajout du 8 octobre 2001.) – Il faut dire avec vigueur que lespromoteurs les plus efficaces de la municipalisation des polices

21. Secrétaire général du SCHFPN.22. Alain BAUER, André-Michel VENTRE, Les Polices en France, PUF, Paris, 2001,

p 80.

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urbaines en France sont par ailleurs ces fonctionnaires acharnésà défendre le statu quo, à multiplier les faux-semblants et àpriver la réforme de police de proximité de toutes chances deréussite. Dans ces conditions, la Police nationale ne résisterapas à la pression des maires pour que l’outil policier s’occupe– enfin – de leurs problèmes locaux.

(Ajout du 16 octobre 2001.) – L’argument majeur en faveurde l’étatisation, pour les chefs de service locaux, ce n’est pasl’égalité, l’impartialité, la neutralité et autres sornettes, dont ilsne sont pas par ailleurs les parangons, mais c’est bien la raisonpratique que, dans cette police étatisée, entre le maire dépourvude tout droit de regard sur la police de sa ville, le préfet quine s’intéresse qu’à l’ordre public, et la DC [Direction centrale]lointaine qui ne demande que du papier, ils n’ont de comptes àrendre à personne.

Idem : il faut cesser de finasser et appeler un chat un chat :une police d’État, c’est la police de l’État et qui sert les prioritésde l’État. Une police municipale, c’est une police de la villeet qui sert les priorités de la ville. En effet, ce ne sont pas lesmêmes…

19 septembre 2001. – Les causes de la délinquance ?Lorsqu’on voit le débat américain sur les causes de la baisseconstatée de la délinquance à New York, entre l’action auto-nome de la police et la démographie des jeunes Noirs améri-cains, entre l’évolution des pratiques addictives et lerenforcement de l’arsenal répressif… on se dit qu’il est quandmême surprenant de consacrer tant d’efforts et tant de moyensde tous ordres à lutter contre des comportements dont onconnaît si mal les causes, dont on se donne si peu de moyenspour élucider les raisons. Développer une criminologie (ousociologie de la déviance) un tant soit peu solide ne devraitpourtant être une tâche insurmontable…

19 septembre 2001. – Déni de savoir, suite. D’un débat àLCI ce jour vers 11 heures, avec Thierry Jean-Pierre et Jean deMaillard, magistrat à Orléans : les deux s’accordent pour dire(en substance) que les réseaux de financement des Ben Ladenet autres réseaux terroristes sont parfaitement connus, repérés etsignalés de longue date, et que les pouvoirs publics (É[tats-]U[nis] aussi bien qu’européens) ne font rien, ne « veulent pasle savoir », parce que ces réseaux sont aussi ceux de l’argentsale, du blanchiment, de la drogue, de la corruption politique,des trafics d’armes, paradis fiscaux et autres opérations

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financières d’envergure qui relient économie ouverte et éco-nomie souterraine, et que nul ne veut attaquer un si gros mor-ceau où chacun est pour une part mouillé : les commissionsd’Elf, ou de Boeing, suivent les mêmes circuits que l’argent deBen Laden…

26 septembre 2001. – Entendu hier à l’IHESI cette idée qu’ily aurait contradiction entre : le développement rapide de formescollectives de la délinquance des jeunes, qui interviendraient deplus en plus souvent en bandes de dix, vingt, quarante… et unepolice de proximité qui serait marquée par le déploiement depatrouilles individuelles ou à deux, par définition désarmées etinopérantes devant ces phénomènes collectifs.

C’est d’abord une des premières expressions du travail d’éla-boration de la critique « experte » et interne de la doctrinepolice de proximité. Jusqu’à présent, le corps policier a mani-festé plus de scepticisme et d’attentisme à l’égard du projetpolice de proximité que de franche hostilité. C’est peut-être entrain de changer, avec la formulation d’objections techniques.

C’est ensuite, encore une fois, une incompréhensioncomplète de la police de proximité. La police de proximité nedit nullement qu’il faut faire de l’îlotage individuel toujours etpartout, elle dit qu’il faut faire ici et là ce qui est pertinent iciet là : de l’îlotage ici et du quadrillage lourd là, si et tant quebesoin est.

La doctrine de la police de proximité est une tentative pourfourrer dans la tête des corps préfectoraux et policiers quel’appartenance à une administration d’État, à l’appareil d’État,ne signifie pas ipso facto que l’on fait nécessairement la mêmechose partout de la même façon et au même moment. C’est unapprentissage difficile pour un monde qui vit et pense encore àl’heure de Jules Ferry, dont on rapporte que, tirant sa montre deson gousset, il s’exclamait avec fierté : « En ce moment, tousles écoliers de France sont en train de réviser la table des 7, ouapprennent la liste des affluents de la Garonne. » La police deproximité ne vise pas à permettre au ministère de l’Intérieur des’exclamer avec fierté : en ce moment tous les flics de Francefont l’îlotage du centre-ville, les sorties d’école ou un contrôlede vitesse, mais bien l’inverse : en ce moment, je ne sais pasce qu’ils font à Perpignan ou à Vienne, mais je sais qu’ils yfont ce qui est nécessaire à Perpignan d’une part, à Vienne del’autre… Est-ce si difficile à comprendre ?

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Densité policière comparée : lorsqu’on rappelle que la Francea des effectifs policiers totaux très conséquents, et qui la pla-cent au premier rang en Europe, il se trouve toujours des poli-ciers pour discuter la signification des chiffres en invoquant uneinfinité de spécificités nationales : diversité des corps policierset de leurs fonctions, durée du travail quotidien, hebdoma-daire, mensuel, annuel, âge de la retraite, etc., qui rendraient lescomparaisons impertinentes et le calcul de taux d’encadrementpolicier inextricable. Sans doute, sans doute (et J.-C. Monet afait une bonne mise au point sur ces problèmes de comparaisondans son livre Polices et sociétés en Europe 23), mais il est fortdouteux que si les résultats de la comparaison des chiffres brutsplaçaient la France au dernier rang européen, les mêmes pro-duiraient les mêmes arguments pour contester le classement. Ilest beaucoup plus vraisemblable qu’ils en tireraient argument,haut et fort, pour réclamer les indispensables recrutements quidès lors s’imposeraient… Inversement, les responsables budgé-taires mobiliseraient à leur tour tous les arguments précédentsqui disqualifient la comparaison. On est ici dans un champ oùl’usage du chiffre est constamment polémique.

Neutralité : il est de bons chercheurs pour réclamer, etimposer, la « neutralité axiologique » dans les travaux scienti-fiques (cf. mes déboires avec la RFSP [Revue française descience politique] 24). Soit, et la sociologie ne dit pas que mespositions politiques personnelles sont scientifiquementfondées… Mais il ne faut pas en tirer parti pour se désarmerintellectuellement par rapport à ceux qui, sous le couvert dela neutralité du savoir, en ont au savoir lui-même. La chiassesociologique de D. est l’équivalent énarchique du « Quandj’entends parler de culture, je sors mon revolver ». Quand c’estle désir de connaissance qui est disqualifié, la question n’estplus de savoir si elle est ou non « orientée », mais de liquiderle Taliban qui sommeille chez tout homme de pouvoir. On nousa seriné que le pouvoir dorénavant serait de plus en plus fondésur le savoir. C’est l’inverse qui est vrai : le pouvoir préexisteau savoir et s’en méfie comme de la peste. Tout pouvoir rêvede brûler les livres…

23. Jean-Claude MONET, Polices et sociétés en Europe, IHESI-La Documentationfrançaise, Paris, 1993.

24. Allusion à la proposition de l’article paru sous le titre « Le chercheur et le poli-cier : l’expérience des recherches commanditées par le ministère de l’Intérieur », Revuefrançaise de science politique, 47, 2, 1997, p. 29-42.

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29 septembre 2001. – Laxisme judiciaire ? Tolérance zéro ?Sous ces termes, chacun voit midi à sa porte. On n’entend pasbeaucoup de policiers, ces jours-ci, se plaindre du verdict dela cour d’assises des Yvelines, qui vient d’acquitter (le 28 sep-tembre) le policier qui a tué d’une balle dans la nuque, enjuin 1991, un jeune de Mantes-la-Jolie. Ce qui me scandalisedans cette issue, c’est moins le verdict lui-même : on sait lesavocats habiles à faire craindre à un jury populaire que lacondamnation d’un policier ne les prive à leur tour de toute pro-tection policière. Ce qui me scandalise, c’est en amont : la len-teur de l’instruction, dix ans pour arriver au procès alors que lesfaits ne souffraient aucun doute ; et plus encore, la position duparquet, requérant, du bout des lèvres, « une peine de prin-cipe ». Ici, ce n’est plus l’émotion populaire qui est en ques-tion, mais bien la solidarité corporative, la pusillanimitéprofessionnelle, la solidarité de classe… là où devait – devrait –s’exprimer l’égalité de tous devant la Loi, et les servitudes par-ticulières du métier policier (seules justifications de sesprivilèges).

PS : le même jour (28 septembre 2001, p. 18), Libérationpublie une dépêche AFP sous le titre : « Un policier acquittéaux États-Unis après avoir tué un jeune Noir » : un policieraméricain blanc qui avait tué en avril dernier un adolescent noirnon armé de 19 ans a été acquitté mercredi par un tribunal localde l’Ohio. Le juge a estimé que le policier, Stephen Roach,accusé d’homicide par négligence et d’obstruction à l’enquête,avait eu « une réaction raisonnable… face à une situation trèsdangereuse ». La victime, « Timothy Thomas a mis l’officier depolice Roach dans une situation telle qu’il a cru qu’il devaittirer », a-t-il ajouté. Cette affaire avait provoqué quatre joursd’émeutes raciales à Cincinnati. Thomas est le quinzième Noirtué par la police depuis 1995. Au cours de la même période,aucun Blanc n’a été abattu (AFP). Ce n’est quand même pas enFrance, patrie des droits de l’homme, qu’on verrait des chosespareilles.

2 octobre 2001. – Lu dans La Tribune du commissaire depolice nº 83, septembre 2001 (nº de CR du 31e congrès duSCHFPN, Reims, juin 2001)… cette intervention intéressantesur le « taux d’élucidation ». Monsieur F. Pechenard : « J’ai uneremarque à faire sur le taux d’élucidation qui me paraît être unindicateur particulièrement inintéressant. J’ai travaillé longue-ment à Paris sur les pickpockets ou sur les cambrioleurs, et on

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s’aperçoit qu’il est pratiquement impossible d’arrêter un typemajeur qui ne soit pas déjà connu des services de police. Incon-testablement, dans certains domaines où la “réitérance” estimportante, comme le vol à la tire ou comme le cambriolage, onpeut considérer que la police arrête tous les malfaiteurs. On aune connaissance excellente, non pas en termes de statistiques– il est clair qu’un pickpocket que vous allez arrêter quinze ouvingt fois dans une année aura commis quinze ou vingt faits parjour – où notre réponse sera médiocre, mais en termes d’effi-cacité et de connaissance de la délinquance elle sera parfaite. Leproblème, c’est le traitement de ce type-là de délinquant. C’estpour cela que l’on parle souvent du taux d’élucidation généra-lement mauvais, voire médiocre, ce qui donne une impressiond’inefficacité de la police, et je pense que ce n’est pas le cas »(p. 38).

La remarque est tout à fait judicieuse : le taux d’élucida-tion n’est pas un indicateur direct de la maîtrise de la délin-quance par la police. Elle est aussi à opposer au jugement deA. Bauer et A.-M. Ventre qui énoncent dans leur « Que sais-je ? » que : « L’indicateur le plus “fiabilisé” est cependant celuidu taux d’élucidation qui permet, par type de délit et par terri-toire, de connaître le niveau de productivité policier par rapportà la criminalité connue 25 » (p. 86). Mais le même A. Bauerva répondre à F. Pechenard (Tribune, p. 38, col. 2) : « Le tauxd’élucidation n’a aucun intérêt en tant que tel, […] en tendancepar contre, il donne une indication forte des difficultés que ren-contrent les services de police… » Bref, ce même taux est àla fois l’indicateur le plus « fiabilisé », il n’a aucun intérêt, etdonne une indication forte… Une chatte sans doute y retrouverases petits… Dans le même numéro, même page, une remarquejuste de Bauer sur le mode de calcul des taux de criminalité,avec l’exemple de Paris où on va calculer un taux de viols, ouagressions, etc. par habitant sur la base des 2,1 millions de rési-dents INSEE, alors qu’en semaine, il y a en moyenne 5 mil-lions de personnes présentes chaque jour à Paris. Il faut ajouterque l’inverse n’est pas vrai, c’est-à-dire qu’on ne peut pas, pourfaire le calcul du même taux à Pantin ou à Meaux, en soustrairele nombre de résidents qui vont travailler hors de la ville. Enconséquence, on est toujours dans des doubles comptes…

25. Alain BAUER, André-Michel VENTRE, Les Polices en France, op. cit.

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3 octobre 2001. – Sur les diagnostics dans les CLS :lorsqu’ils sont commandés à un prestataire extérieur, la diffé-rence n’est pas entre les affreux marchands de soupe du privé(ERM ; AB associates et alii) et les bureaux honnêtes-et-com-pétents, type IHESI ou CNRS (Roché, Lagrange, CESDIP[Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institu-tions pénales]…) ; la différence est, pour les partenaires locaux,de faire le diagnostic eux-mêmes, c’est-à-dire de débattre et deconfronter leurs analyses particulières jusqu’à atteindre unconsensus minimal (et à expliciter, identifier leurs dissen-sions), ou de le commander à l’extérieur, et donc de le recevoirde l’extérieur, comme une lecture des autres sur eux-mêmes.Celle-ci peut avoir un intérêt, mais cet intérêt est tout à fait déri-soire, ou contre-productif, s’il est payé par l’économie faite duprocessus essentiel de confrontation/élaboration interne. Souscet angle, les diagnostics de l’IHESI ou autres ne sont en rienmeilleurs que ceux de Bauer…

4 octobre 2001. – Révolution culturelle. En termes moinspolémiques, la question de la réforme nécessaire pour mettreen œuvre une authentique police de proximité peut se poserainsi : si l’objectif est d’instaurer la police de proximité comme(nouveau) mode d’action des services de la DCSP, il faut certesmodifier les organigrammes, les définitions de fonctions, uncertain nombre de règlements, circulaires, prescriptions, direc-tives, etc., et cela, les directions centrales de la PN savent faire.Mais ces « réformes », de nature essentiellement administra-tive, ne sont que des mesures d’accompagnement du change-ment réel auquel il faut procéder, et qui, lui, porte sur ladétermination des priorités de l’action locale, la mobilisationdes unités sur de nouveaux objectifs, le travail en partenariat,la construction d’un rapport plus étroit avec les populations,une information étendue sur les activités policières, une autrecoordination de l’action des différentes unités, etc. Et dans toutce champ, qui est essentiellement opérationnel, le Centre estdémuni de tous moyens et de toute expertise.

Concrètement, pour impulser ce basculement des stratégieset tactiques locales, il dispose de la toute petite poignée dechargés de mission de la DCSP, qui n’ont pas de compétenceparticulière au regard de la nouvelle police de proximité, etdes prestations qui peuvent être occasionnellement effectuéespar un fournisseur extérieur (modèle IDRH, dans le meilleurdes cas). Pour illustrer cette pénurie absolue de moyens

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d’action, il suffit de noter que les « évaluations » menées paral-lèlement par l’IGA [Inspection générale de l’Administration]et l’IGPN [Inspection générale de la Police nationale] mobili-sent plus de ressources humaines que le pilotage de la réformeelle-même.

La double incompétence réside dans le fait que non seule-ment les directions centrales ne disposent pas des ressourcesnécessaires, mais encore, que nul ne semble y soupçonner queces ressources sont effectivement requises. De fait, les direc-tions centrales s’en passent d’autant plus aisément qu’elles enméconnaissent, ou dénient la nécessité…

6 octobre 2001. – Extraits d’un courriel du jour à MauriceChalom 26 : sur le racisme policier, j’ai coutume de commenterla très belle maxime dont la Ligue des droits de l’homme avaitfait une affiche : « Un raciste, c’est quelqu’un qui se trompe decolère », et qui me sert à dire :

1. qu’il se trompe, et il ne faut pas céder d’un pouce sur lefait que le racisme actif est un délit, qui doit être vigoureuse-ment sanctionné ;

2. mais qu’il est imbécile et contre-productif de lui dénier sacolère, et son droit à la colère.

Et, pour les flics, il n’y a pas de doute que les jeunes, engénéral, les font plus chier que la moyenne, et les jeunes beursplutôt plus que la moyenne des jeunes. Ce qui me permet decommencer par un « racisme » plus avouable que d’autres, le(supposé) « racisme antijeunes » dont feraient preuve les flics.Une fois qu’on a accordé aux flics qu’en effet, les jeunes étaientplus chiants dans l’espace public que les vieilles dames, reste àleur faire admettre :

1. que ce n’est pas complètement inattendu : la jeunesseétant précisément le moment de l’existence où onéprouve/construit son identité par opposition. Ce n’est pas uneexcuse, certes, mais c’est une propriété structurelle, et qui necédera pas aux anathèmes ;

2. que le professionnalisme policier consiste précisément àne pas se faire piéger par les jeunes, à ne pas rentrer dans leurjeu, mais à construire et reconstruire sans cesse avec ces jeunesune relation d’autorité, respectée PARCE QUE respectable…

26. Sociologue, analyste québécois reconnu de la réforme de la police communautaireà Montréal.

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Le raisonnement vaut, au-delà des jeunes, pour tout groupe,catégorie sociale, en voie de socialisation dans un nouveaucontexte culturel, avec ses propres valeurs, etc. J’en rajouteordinairement sur le fait que ce n’est pas facile, c’est un défiauquel on prépare mal le flic de base, etc., mais que c’est biensous cet angle qu’il faut traiter la question. Que dans son forintérieur le flic pense ce qu’il veut des Blancs, Jaunes, Rouges,Noirs, etc., on s’en fout, mais quand il témoigne de conduitesracistes, non seulement il salope le boulot et atteste son incom-pétence, mais, bien plus, il met en péril ses collègues, fragi-lise l’ensemble du corps, durcit les oppositions qu’il faudravaincre, etc. Bref, le flic raciste se trompe de colère et, de sur-croît, il est nuisible pour l’ensemble de la force. Reste à ne paslaisser le flic du coin tout seul pour « socialiser » la bande dejeunes voyous qui pourrissent le quartier, qu’ils soient bleus,verts ou roses…

8 octobre 2001. – Mouvement d’humeur à l’égard des pim-bêches de cabinet et des préfets arrogants : depuis que je tra-vaille sur la police, j’ai vu passer dix ministres de l’Intérieur (encomptant les sous-ministres et intérimaires : Pandraud, Quey-ranne, etc.), probablement le double de DGPN, plus d’une cen-taine de membres de cabinets et un nombre infini de directeurscentraux. La différence majeure entre tous ces puissants et lechercheur, mouche du coche hautainement méprisée et qu’onchasse d’un revers de main, c’est qu’ils ont tous passé, et que jesuis toujours là… ce qui permet de regarder à son tour avecamusement les haussements de col des importants du jour.Accessoirement, il est de plus en plus patent que j’ai fini parconnaître bien mieux la police qu’eux.

10 octobre 2001. – Il y a un paradoxe un peu savoureux (ouune inconséquence radicale) à entendre les partisans fréné-tiques de l’étatisation, les contempteurs de la municipalisa-tion, gage de tous les maux, d’inefficacité, inégalité, corruption,patronage, etc., se faire sans frémir les chantres éperdus desméthodes new-yorkaises et de la « tolérance zéro », comme sicelles-ci, et leur réussite apparente, ne devaient rien au maireGiuliani, à son autorité sur la police municipale de New York etsur tous les services municipaux de New York mobilisés enrenfort de la police. New York s’explique par cinq facteurs :une tendance générale à la baisse de la délinquance dans tousles É[tats-]U[nis] ; un renforcement considérable des effectifs(+ 1/3) et un accroissement massif des moyens ; la mise en

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synergie de tous les moyens d’action de la municipalité (= lepartenariat en France) ; la mise sous pression de la hiérarchiepolicière (2/3 des chefs de precincts 27 changés la premièreannée, une minorité promue, la majorité rétrogradée ou virée) ;une explicitation, ciblage, etc. des stratégies policières ponc-tuelles, ou la remise au travail des policiers sur des bases effi-caces (et non plus sur le tandem rapidité de la réponse auxappels, patrouille voie publique sans objectif). (Voir plus bas[notes des 18-19 octobre 2001] sur Silverman dans le colloquede Roché.)

16 octobre 2001. – David Katane 28 note surabondammentque le gardien de la paix qui n’est pas mobilisé par un appelou (plus rarement) par une consigne précise ne sait à quois’occuper, il rentre au poste prendre un café et peste contrel’ennui. À la longue, s’institue une paresse bougonne – « Pource qu’on nous paie et pour ce qu’on nous aime, on va pas sedéfoncer ! » – qui scandalise les nouveaux venus, ADS [adjointde sécurité] notamment. Le défi de la police de proximité peutse définir comme cela : que la tenue comprenne que ce n’est pasparce qu’il n’y a pas d’appel-PS [Police-Secours] qu’il n’y arien à faire. Mais, pour comprendre cela, il faut s’intéresser à laville. Comment s’intéresser à Garges quand on est de Saint-Malo et qu’on veut y retourner ?

19 octobre 2001. – Bus, tags et cohérence des figures d’auto-rité. J’interviens devant un parterre HLM + flics (printemps2001 ?), insiste sur le fait que l’autorité – reconnue aux acteurspublics par les populations – est fonction de leur cohérence,dans le temps, l’espace, et entre eux. Et je prends commecontre-exemple celui de la RATP. Celle-ci a beaucoup souf-fert du tagage généralisé des rames de métro, et à un moindredegré des bus. Elle a mené un long et coûteux combat contreles tagueurs, et l’a finalement gagné. Qu’invente-t-elle quelquesmois plus tard ? Elle transforme les bus dans leur entier en sup-ports publicitaires, en les enfilant dans une espèce de survête-ment (ou chaussette…) publicitaire, qui dissimule quasientièrement les signes de reconnaissance du service public :couleurs, sérigraphie, itinéraires, etc. au profit de n’importequelle réclame… Autrement dit, la RATP adresse

27. Équivalent des commissariats de quartier français.28. « La police et la ville, questions sur la proximité », rapport CADIS-IHESI,

juin 2002, 144 p.

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tapageusement aux tagueurs le message : « Maintenant que jesuis débarrassée de vos tags gratuits, je me fais du fric avec destags payants », ou : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais »,ou : « Ce que je vous interdis, je me le permets… » L’incohé-rence est manifeste, tapageuse, et par là quelque peu scanda-leuse. Sur quoi un participant dans la salle m’interpelle pour merappeler, sur un ton solennel, qu’il y a une différence essen-tielle entre mes tagueurs et la RATP, c’est que cette dernièreest propriétaire de ses bus, et pas eux ! L’argument m’a laissécoi, je l’ai assurément soupçonné d’être spécieux, mais sanstrouver immédiatement le défaut. Il est double. D’abord en cequi concerne la propriété. Les dirigeants de la RATP ne sontpas propriétaires des bus au sens où je suis propriétaire de monjardin : ils sont gérants d’un service public, et les outils decelui-ci leur sont momentanément confiés pour qu’ils réalisentun intérêt public. Cela ne les autorise pas à en faire ce qui leurpasse par la tête, de la même façon que je suis en mesure deplanter ce que je veux dans mon jardin (à l’exception du can-nabis, d’ailleurs…), et la discussion peut s’ouvrir de savoir sicet intérêt public est évidemment servi par l’utilisation des busen supports de publicité. Je ne suis pas assuré que la réponserevienne évidemment, de plein droit et en toutes circonstances,aux gérants temporaires de la RATP. En tout cas la questionpeut se débattre. L’autre versant de l’argument est plus brutal :il consiste à dire aux jeunes : le droit est fonction de la pro-priété, comme vous n’avez aucune propriété (et pas plus surla chose publique – les bus – que sur des biens privés), vousn’avez aucun droit. Circulez. Ici, l’on touche au cœur de l’argu-ment et à la légitimité de l’autorité. Je ne suis plus jeune, et j’aiquelques biens qui me confèrent peut-être quelques droits, maissi c’est cela que la société, les autorités de et dans la sociététrouvent à répondre à mes enfants et aux jeunes en général, jevais de ce pas, malgré mes 59 ans, acheter une bombe à pein-ture, et me mettre à taguer les bus…

18-19 octobre 2001. – Grappillé au organisé par S. Roché àParis une astucieuse remarque d’Éric Macé : que la DCSP fonc-tionne comme une circonscription, c’est la forme organisation-nelle de l’inversion hiérarchique !

Du même : s’il y a coproduction possible, nécessaire de lasécurité, il faut supposer qu’il peut y avoir coproduction del’insécurité : quand la RATP retire de ses espaces tous lesagents qui en assuraient le contrôle, quand la Préfecture de

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police permet aux policiers de faire leurs trajets sansuniforme, etc.

Résumé du rapport Carraz-Hyest par François Dieu : plus ily a de problèmes, moins il y a de policiers… Sur les exemplesde Chicago (Wyvekens) et de New York (Silverman) : là où lesFrançais s’épuisent à monter des partenariats interinstitu-tionnels entre police, justice, école, travail social, servicesmunicipaux, logeurs, transporteurs, etc., la municipalité nord-américaine mobilise ses différents services : ils font tout cela,du coup elle peut se consacrer au partnership, c’est-à-dire à larelation entre ces institutions et la population, absente du parte-nariat à la française k le partenariat est la dimension cachée dela politique policière new-yorkaise.

L’exposé Roché met en évidence l’échec de la gestion éta-tique de l’insécurité par le « ciseau » : + de montée de la délin-quance, du sentiment d’insécurité, de la sécurité privée, despolices municipales, des assurances, etc. + baisse continue dutaux d’élucidation, de hausse des classements parquet, de baissedu taux d’exécution des peines, etc.

19 octobre 2001. – Terrorisme international et libertéspubliques ; il faudrait quand même que quelqu’un, parmi lespoliciers qui le réclament, les ministres qui le proposent, lesdéputés qui le votent, nous explique en quoi le droit donné auxpremiers de fouiller le coffre de nos voitures va les aider àmener la lutte contre Ben Laden et le terrorisme international !À défaut, il sera acquis que les uns et les autres nous prennentpour des imbéciles, ou : Ben Laden va trembler ! Nos poli-ciers vont enfin pouvoir fouiller à leur guise le coffre de nosvéhicules. Cette « liberté » qu’ils revendiquaient en vain depuisdes décennies avait résisté à la guerre d’Algérie, à Mai 68 età R. Marcellin 29, à A. Peyrefitte et à sa loi « Sécurité etLiberté » 30, et à bien d’autres… elle leur est enfin accordée eton va voir ce qu’on va voir… Au vrai, de qui se moque-t-on ?

La même question s’adresse à Messieurs de Béchillon etTroper, qui dans Le Monde daté du 11 janvier 2001 notent que« la Ligue (des droits de l’homme) avance que l’efficacité desmesures envisagées n’est pas démontrée, mais elle n’indiquepas quelle compétence particulière elle détient pour l’affirmer ».

29. Raymond Marcellin, nommé ministre de l’Intérieur le 31 mai 1968.30. Présentée par Alain Peyrefitte, alors ministre de la Justice, la loi « Sécurité et

Liberté » est adoptée le 20 décembre 1980.

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C’est impudemment inverser la charge de la preuve : c’estquand même bien le moins d’attendre de ceux qui proposentun retranchement (quel qu’il soit) à des libertés anciennes de lejustifier et d’en démontrer l’efficacité. Or on attend toujoursle début d’un commencement d’argumentation, à défaut d’unedémonstration vraisemblablement impossible à produire. Sup-pose-t-on que Ben Laden voyage ordinairement dans le coffred’automobiles, ou que ceux-ci sont l’emballage usuel desmanuels de pilotage des kamikazes musulmans ? Encore unefois, de qui se moque-t-on, et à quelles fins ?

21 octobre 2001. – Retrouvé cette juste proposition de monarticle [« Une police de proximité »] dans la revue Justice,nº 156, avril 1998, p. 21 : police urbaine au double sens duterme : police de la ville veillant au respect des règles de l’urba-nité (et donc veillant scrupuleusement à les respecter elle-même, au rebours de ce que me décrit C. Mouhanna sur lesrapports entre policiers et jeunes dans le 12e arrondissement :contrôles d’identité incessants, jusqu’à trois par jour par lesmêmes flics sur les mêmes jeunes, harcèlement imbécile deflics qui, littéralement, ne savent rien faire d’autre…).

22 octobre 2001. – Reformuler les quatre conséquences del’étatisation, comme déterritorialisation :

1. des priorités, et donc des comptes rendus et desresponsabilités,

2. des hommes, et donc de l’information et des savoir-faire,3. de la carte policière, et donc de l’égalité devant le service

public et4. des implantations immobilières.27 octobre 2001. – Maurice Chalom, in « Sentiment de sécurité

et pol-prox : un rendez-vous manqué ? », Revue internationalede criminologie et de police technique, 1/2001, 103-116 : « Onpeut même avancer l’idée que le sentiment d’insécurité exprimeune crise dans les relations entre la police et le public » (106).Non seulement on peut, mais on le doit. C’est encore un œuf deColomb : s’il y a sentiment d’insécurité ce n’est pas seulementparce qu’il y a menace, c’est aussi – et surtout – parce qu’on nese sent pas protégé devant cette menace. C’est parce qu’on craintou constate que « la police ne fait pas son boulot, est absente,invisible, s’en fout (cf. la gendarmerie de Neuilly-Saint-Front 31),

31. Allusion aux propos du voisinage de D. M. sur la gendarmerie de la commune desa maison de campagne.

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ne prête aucun intérêt, aucune attention à ce qui m’inquiète, memenace, m’insécurise ». Bref, le sentiment d’insécurité est moinsnourri par l’existence plus ou moins attestée d’une menace réelleque par le sentiment d’absence de recours disponible ; c’est unsentiment d’abandon… et quand la police de proximité s’adressedirectement à ce sentiment d’abandon, et le corrige, elle est effi-cace, quels que soient les résultats latéraux obtenus ou non enmatière d’élucidation ou de prévention.

Police de proximité et lucidité ministérielle… Endécembre 2000, le ministère de la Sécurité publique du Québeca produit, sous forme d’un document de 33 pages, un énoncé de« politique ministérielle » qui concluait un plan d’action lancéen mai 1999, en formulant vigoureusement ceci : « L’urgenced’une modernisation et d’une réorganisation des services poli-ciers du Québec sur une base communautaire » (p. 7). Suit unénoncé assez classique des raisons et mérites de cette approche,identifiée sous quatre principes de base : le rapprochement avecles citoyens ; le partenariat avec d’autres institutions ;l’approche de résolution de problèmes ; le renforcement desmesures préventives (dont il est donné, p. 27-28, une bonnedéclinaison en termes de dispositions concrètes pour les corpspoliciers). Jusque-là, le document est de forme classique etpourrait aussi bien émaner du ministère de l’Intérieur français.Ce qui par contre est inimaginable de la part de celui-ci, et fonc-tionne de fait comme critère de l’authenticité et de la crédibilitéde l’approche, c’est le § 5.3, p. 25-26, qui énonce « les obs-tacles à l’implantation de l’approche communautaire » : « Desprincipes à la pratique, il y a souvent un pas difficile à fran-chir, comme le démontre l’expérience de certains corps poli-ciers municipaux du Québec qui ont rencontré des difficultésà intégrer l’approche communautaire dans leur pratique et leurgestion courante. De plus, les inévitables résistances aux chan-gements organisationnels qu’implique l’implantation de cetteapproche ont constitué un obstacle important dans plusieurscorps policiers. Par ailleurs, que ce soit au Québec ou dansd’autres pays, l’approche communautaire n’est pas sans susciterdes résistances plus profondes encore, qui trouvent leur originedans des désaccords sur la mission même des services policiers.Bien sûr, un large consensus existe sur le fait que la policedoit assurer la paix, la sécurité publique et le respect de la loi.Persistent cependant des points de vue très éloignés quant auxpratiques à mettre en œuvre pour y parvenir. La mission des

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services policiers est-elle d’abord et avant tout réactive ? Lapoursuite des criminels doit-elle être la principale motivation ?Les succès et l’utilité de la police s’évaluent-ils uniquement surla base de mesures comme les taux de criminalité ou de réso-lution des affaires criminelles ? Beaucoup de policiers et beau-coup d’officiers de police, tous formés dans cette perspectiveunique, le pensent toujours et ont de la difficulté à imaginerleur rôle en dehors de ces pratiques. D’où leur résistance, faceà l’inconnu que représentent pour eux les pratiques communau-taires, souvent peu ou mal présentées et expliquées lorsqu’ils’agit de les implanter. […] L’intégration effective au sein desorganisations policières des principes inhérents à l’approchecommunautaire se heurte aussi à diverses autres difficultés[…] ; les plus souvent évoquées sont : une compréhension sou-vent partielle des principes à la base de l’approche communau-taire, qui conduit à les appliquer de façon tout aussi partielle ;l’inexistence de modèles formels de police communautaire aux-quels les services policiers pourraient se référer pour faciliterl’implantation de cette approche chez eux ; la quasi-inexistenced’études comparatives sur les projets de police communau-taire qui ont réussi ou qui sont prometteurs, et sur ceux quiont échoué ou rencontré des difficultés importantes ; une ten-dance des organisations policières à simplement ajouter unvolet communautaire à leurs activités habituelles, sans en favo-riser l’intégration, de telle sorte que les services communau-taires s’exercent en parallèle des autres services, ce qui conduità leur marginalisation et à celle des policiers qui y sontaffectés ; une tendance à appliquer l’approche communautaire àcertains quartiers ou secteurs, ce qui en limite la portée ; les dif-ficultés d’évaluer l’efficacité des services rendus par une policede type communautaire ; les réticences des états-majors àapporter des modifications à leurs structures dans un contexteoù la demande actuelle de services (appels d’urgence, 9-1-1,sécurité routière, taux de criminalité, etc.) exerce déjà sur euxune énorme pression ; la rareté des ressources humaines etfinancières pouvant être affectées à l’implantation pleine etentière de l’approche communautaire. »

30 octobre 2001. – De Yves Bonnet, préfet, ancien directeurde la DST (novembre 1982 à juillet 1985), ancien député UDFet mis en garde à vue en novembre 1997 (sous l’imputation decomplicité d’escroquerie) : « […] dans la police, il y a autantde salopards qu’ailleurs, et des excès, reconnaissons-le… »,

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entretien publié in Libération 8-9 avril 2000, p. 18. C’est unejolie inversion du : « Il n’y a pas plus d’… alcooliques, escrocs,violents, incapables “salopards”… dans la police qu’ailleurs. »Certes, mais c’est supposer qu’en effet, il y en a autant, et c’estbien le problème…

Suite : la loi Vaillant sur la sécurité quotidienne 32, augmentéeau passage des amendements antiterroristes suscités dans laprécipitation par l’attentat du World Trade Center (11 sep-tembre 2001) est un excellent exemple d’inversion hiérar-chique 33 : au ministre censé les commander, et déstabilisé parla conjonction d’une « poussée de 4001 34 », en interne, et deterrorisme, à l’étranger, les policiers refilent tous leurs fondsde tiroir, en profitent pour accentuer l’amalgame entre petitedélinquance et violences urbaines, grande criminalité clas-sique, trafics de drogue, terrorisme international, brouiller ladistinction entre sécurité intérieure et défense nationale, jeunesen galère, immigration et ennemi de l’intérieur, faire passerleurs revendications éternelles et jusqu’alors toujours rebutées,et transformer un brave homme de ministre politicien d’arron-dissement et de couloirs de congrès en factotum de leurs fan-tasmes professionnels.

31 octobre 2001. – Quand le DGPN nous explique benoîte-ment qu’une part de la croissance de la délinquance enregistréeest positive parce que provoquée par la mise en œuvre de lapolice de proximité (meilleur accueil des plaignants, confianceaccrue dans la police, plus grande disponibilité de celle-ci, etc.), on peut sans doute souhaiter qu’il ait raison : ce seraiten effet l’explication socialement la plus positive (même si c’estpeu compatible avec la nature des infractions qui augmentent leplus : vol à l’arraché des portables et escroqueries bancaires).Mais cela ne fait que déplacer la question : comment se fait-ilque le DGPN responsable de la mise en œuvre de la policede proximité et dûment averti, par hypothèse, que cette miseen œuvre allait provoquer cet effet n’en ait pas averti sonministre, et n’ait pas proposé à celui-ci, longtemps à l’avance,

32. La LSQ, présentée par Daniel Vaillant, ministre de l’Intérieur, est votée le15 novembre 2001.

33. Voir Dominique MONJARDET, Ce que fait la police, La Découverte, Paris, 1996,p. 89 : « dans le travail policier, les initiative cruciales émanent des exécutants ».

34. Métaphore rapide pour « fièvre soudaine enregistrée par le thermomètre des sta-tistiques de l’outil 4001 » (l’« état 4001 » est un outil statistique recensant les lieux, lesheures et les modes opératoires des infractions commises sur le territoire).

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les contre-mesures susceptibles de pallier les conséquencespolitiquement redoutables de cet effet statistique induit ? On enrevient à l’alternative : ou bien c’est un effet direct de la miseen œuvre positive de la police de proximité, et le DGPN est gra-vement coupable d’imprévision, gestion à courte vue, défautd’anticipation, etc., bref il est inapte à des fonctions qui pardéfinition exigent les qualités inverses ; ou bien il y a une vraiecroissance de la délinquance, et de la victimation, et c’estl’ensemble de la politique mise en œuvre après le colloque deVillepinte de 1997 35 qui est en échec, soit parce qu’elle est ina-daptée, soit parce qu’elle n’est pas réellement mise en œuvre…

Suite : Il est paradoxal que les policiers se plaignent d’êtreabandonnés, seuls, en première (et dernière) ligne en face dequartiers pourris, de jeunes désocialisés, d’une délinquancecroissante, d’une violence extensive, au moment même où ledéploiement et la généralisation des CLS a précisément pourobjet de multiplier les partenariats, c’est-à-dire le partage desresponsabilités entre la police et un nombre croissant d’acteursdans tous les services collectifs (correspondants de nuit, ALMS[agents locaux de médiation sociale], délégués du procureur,vigiles, sécurité privée, gardiens d’immeubles, contrôleurs etagents de sécurité des transports, etc.). Si le sentiment policierest fondé, il faut en déduire que les CLS ne remplissent pas leuroffice…

Suite : La conjoncture de cette fin octobre 2001 illustre trèsbien la confusion française des trois polices. Dans l’ordrechronologique :

— Montée de la petite et moyenne délinquance et du senti-ment d’insécurité, retournement de la pente du 4001, c’est lapol-prox qui est en question, la sécurité publique, les policesurbaines ? Loi Vaillant justement dite sur « la sécurité auquotidien ».

— 11 Septembre à New York, attentats du World TradeCenter : acte de guerre, sur un autre continent, qui concerneavant tout l’État, les relations internationales, la sécurité exté-rieure : plan Vigipirate et dispositions législatives « tempo-raires ». C’est la police de souveraineté qui est concernée.

35. Le colloque « Des villes sûres pour des citoyens libres » qui s’est tenu à Ville-pinte les 24 et 25 octobre 1997 est à l’origine de l’instauration des contrats locaux desécurité et de la police de sécurité.

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— Meurtres d’Athis-Mons le 6 octobre et Le Plessis-Trévisele 16 36, six morts, dont deux policiers le 16, et ce sont des caspurs de grande criminalité, où intervient un gangster dangereux,multirécidiviste, surveillé par la brigade antigang de la PP [Pré-fecture de police].

La manifestation policière du mardi 23 additionne ces troisdimensions, c’est de bonne guerre syndicale, mais cela accroîtencore la confusion du débat public (voir notes de RFI mercredi31 octobre 2001, 14 h 15-14 h 30).

1er novembre 2001. – Après Jospin, la sécurité comme préro-gative régalienne (répétée ad nauseam, cf. son intervention aucongrès de l’AMF – Association des maires de France – le22 janvier 2001 : « La sécurité doit rester dans notre pays laresponsabilité de l’État. C’est une règle et un fondement répu-blicains, et c’est l’assurance de l’efficacité, […] vous trans-férer la responsabilité de la sécurité publique serait pour vousune lourde tâche supplémentaire et, en définitive, un piège… »Le Monde, 24 janvier 2001, p. 9, avec cet ajout osé sur l’effi-cacité… et la shérifisation des maires. Voilà Vaillant quis’emploie à son tour à inventorier les lieux communs du dis-cours sécuritaire : « [la police doit] à tout moment, et pas seu-lement quand survient un drame, bénéficier du soutien du corpssocial tout entier et ne pas faire l’objet de suspicions ou de déni-grements permanents » (Le Monde, jeudi 1er novembre 2001,p. 8). Certes, certes, mais c’est escamoter la question de la vigi-lance nécessaire à l’égard d’une profession à laquelle la société« confie » les pouvoirs et les ressources de la « forcepublique ». L’émotion légitime suscitée par « la fusillade duVal-de-Marne, où deux policiers ont été tués » (id.), commele renouvellement public du soutien assuré du gouvernement àl’égard de la police, requis en ces circonstances tragiques, nedispensent pas de la leçon inscrite dans l’article 12 de la Décla-ration des droits de l’homme, qui pointe le risque permanent dedétournement de la force publique « pour l’utilité particulière deceux à qui elle est confiée ». Le « soutien du corps social toutentier » n’est pas un blanc-seing ou une confiance aveugle, donton émerge hagard les petits matins qui suivent les coups d’État

36. Allusion à l’affaire Jean-Claude Bonnal dit « Le Chinois », auteur du quadruplemeurtre d’Athis-Mons (Essonne) et de la prise d’otages du Plessis-Trévise (Val-de-Marne) qui s’est soldée par la mort de deux policiers.

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(2 décembre 1851 37), les rafles (Vel’ d’Hiv’) ou les massacres(17 octobre 1961 38 ou 8 février 1962 39), il suppose une vigi-lance informée. Il est fâcheux que celui qui devrait en être lepremier porteur en soit si mal instruit.

Un des problèmes de la gestion politique de la police, et nondes moindres, est qu’elle est d’ordinaire confiée à de parfaitsnéophytes et vrais ignorants dans un domaine qui, à la diffé-rence des champs plus communs du politique (école, routes,santé, agriculture…), est entièrement monopolisé par une cor-poration unique, tout employée à entourer ses compétences etressorts internes d’un profond secret. Ainsi, la police est, aumême titre que l’armée, ce domaine d’action du politique qui seprête le mieux à l’inversion hiérarchique, c’est-à-dire à l’instru-mentation du politique par la profession, à la transformationdu ministre en porte-parole de la corporation. Vaillant en offreune parfaite illustration, mais avant lui Chevènement, Debré etMarchand, par exemple, avaient subi le même sort, ou choisi lamême posture.

20 novembre 2001. – Série d’agressions contre des poli-ciers : lors de l’une d’elles, deux d’entre eux sont tués. Grandeémotion, déclarations, défilés, manifestations syndicales. Aucours de celles-ci, pancartes, banderoles et déclarations sur lethème : « Est-il normal de se faire tuer pour 8 000 francs parmois ? Nous exigeons une augmentation immédiate de2 000 francs pour tous ! » Question : faut-il en conclure qu’ilserait normal de se faire tuer pour 10 000 francs par mois ?Auquel cas la police, toujours fertile en ressources insoup-çonnées, aurait résolu le vieux problème du coût de la vie d’unhomme…

Idem. À propos de la panique qui règne en ce moment auxsommets du ministère, se diffuse à tous les niveaux et met ànouveau toute recherche et toute publication sous le bois-seau : l’activité policière est-elle compatible avec ce minimumde questionnement, de doute, d’incertitude, qui est au principemême de toute recherche, de la posture de recherche elle-même ? Autrement dit, est-ce que le policing ne requiert pas unespace de certitudes absolues, et ne suscite pas nécessairement

37. Ici, celui de Louis-Napoléon Bonaparte pour restaurer l’empire.38. Référence à la répression sanglante par le préfet Maurice Papon d’une manifes-

tation de travailleurs algériens contre l’instauration du couvre-feu.39. Référence à la répression policière d’une manifestation anti-OAS ayant notam-

ment entraîné huit morts au métro Charonne.

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la haine de tout ce qui pourrait menacer cet indispensableunivers d’évidences inquestionnables. Le questionnement,moment premier de la recherche, serait en ce cas pour la police,dans son principe même, ressenti comme un péril mortel. Sicela est vrai, il n’y a pas de sens à tenter de maintenir dans untel milieu une cellule de recherche crédible. C’est s’épuiser envain.

25 novembre 2001. – Notes sur l’article de Ch. Mouhanna,« Une police de proximité judiciarisée », à paraître in Dévianceet Société 40. Je conteste son opposition principielle entre l’îlo-tage classique, qui serait « social » et un îlotage « judiciarisé »qui mettrait ses acteurs sous la coupe des juges…

26 novembre 2001. – Avec l’îlotage, quand il est effectif,et plus encore avec la police de proximité, si elle se mettaiten œuvre, s’instaure(rait) dans les quartiers un ordre publicnégocié, qui peut n’être que plus ou moins ancré sur la lettrede la Loi et la conception préfectorale de l’ordre public. Etalors, n’en est-il pas toujours ainsi ? C’est bien ce qu’en sontemps décrivait Ken Muir en désignant le policier comme« street corner politician 41 », politicien du coin de la rue, ouselon une autre formule « juge de paix », soit deux formes del’instance qui, localement, traite les conflits et énonce et faitrespecter les modalités (critères, contraintes, sanctions) localesde la paix publique. Cette conception ne serait critiquable quesi elle désignait un isolat social, où le seul policier dicterait uneloi arbitraire, mais l’îlot, le bloc, le quartier sont par définitionenchâssés dans des ensembles concentriques de plus en plusétendus, dotés de systèmes normatifs de plus en plus formaliséset universels, de telle sorte que les assujettis à cet ordre publicmicrolocal disposent en permanence de multiples voies et ins-tances de recours à l’égard de l’arbitraire, doublées en outre, sila hiérarchie policière fait son travail (ce qui est assurémentune condition lourde…), du contrôle que celle-ci exerce sur sesdétachements locaux. Sans doute, c’est ce dispositif qui basculeparfois dans la corruption, mal endémique des polices, maiss’y prête-t-il plus que les autres modalités, plus lointaines, pluscentralisées, de policing ? Le cas brésilien, par exemple, neconfirme pas ce soupçon, qui conjoint la plus extrême distance

40. Déviance et société, 26, 2, 2002, p. 163-182.41. W. K. MUIR, Police : Street Corner Politicians, University of Chicago, Chicago,

1977.

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entre population et police militarisée et corruption généraliséede celle-ci.

1er décembre 2001. – Dans le nº 8 (octobre 2001) de LaLettre du Printemps que Terrenoire consacre à l’éthique profes-sionnelle chez Durkheim 42 : « Les organes de la morale profes-sionnelle sont multiples, et leur autorité est d’autant plus grandeque les groupes professionnels dont ils émanent et dont ilsdépendent sont cohérents. En effet, plus les membres d’une pro-fession sont étroitement et fréquemment en contact, plus leurscontacts sont intimes, plus ils partagent leurs idées et leurs sen-timents et plus ils se forgent une opinion commune en matièrede morale. Par conséquent, […] la morale professionnelle serad’autant plus développée et d’un fonctionnement d’autant plusavancé que les groupes professionnels eux-mêmes auront plusde consistance et une meilleure organisation (É. D., Leçons desociologie [LdS]. Physique des mœurs et du droit, Paris, PUF,1969, p. 13) » (cité par Terrenoire p. 4), et Terrenoire de noterque dans sa préface G. Davy résumait la thèse durkheimiennede façon lapidaire : « Organisez, organisez et, en organisant,vous moraliserez » (LdS, XXXVIII).

La même idée s’exprime dans une autre citation proposée parF. Leimdorfer (Lettre…, p. 6) 43 : « La morale professionnelleest l’œuvre d’un groupe… qui la protège de son autorité (LdS,p. 46). La morale professionnelle sera ce qu’est ce groupe, etplus ce groupe est fortement constitué, plus les règles moralesqui lui sont propres sont nombreuses, et plus elles ont d’auto-rité sur les consciences (LdS, p. 47). »

Ce qui s’applique en effet parfaitement aux policiers, en toutcas à chacun des corps policiers, sous condition de remplacerle terme « morale » par celui de normes collectives, qui le caséchéant peuvent être, pour le profane, très éloignées de lamorale commune…

28 décembre 2001. – Dans Le Monde du 22 décembre 2001,ces titres de deux articles qui se suivent : « José Bovécondamné en appel à six mois de prison ferme pour la destruc-tion de plants de riz transgénique » ; « Le policier responsablede la mort d’Abdelkader Bouziane n’est pas renvoyé devant une

42. Jean-Paul TERRENOIRE, « La place et la situation de l’éthique professionnelleselon Émile Durkheim », La Lettre du Printemps, nº 8, 2001.

43. François LEIMDORFER, « À la bonne morale du père Émile », La Lettre du Prin-temps, nº 8, 2001.

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cour d’assises ». Pour seul commentaire, on rappellera que lejeune A. Bouziane, âgé de 16 ans est mort d’une balle dans lanuque en tentant de forcer un barrage de police avec sa voi-ture, et que le policier tireur a fait valoir avec succès – avecl’appui du parquet – la thèse de la légitime défense. Idem, dumême jour, p. 24, cette remarque d’un technicien des tech-niques de biométrie développées pour assurer le contrôle despassagers des aéroports : depuis le 11 Septembre, la probléma-tique de la sécurité a changé : la sécurité d’un État commencenon plus à ses frontières, mais à l’endroit où vous embarquez.On rapprochera cette remarque de l’incident survenu le surlen-demain, avec la neutralisation in extremis d’un apprenti terro-riste embarqué sur le vol Paris-Atlanta avec des explosifs pleinles talons de chaussure…

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6 janvier 2002. – Deux remarques d’actualité :— lorsqu’on ne tient pas étroitement la main aux policiers

sur le maniement des armes, ils défouraillent à tout va : toutpolicier victime d’un tir se solde par une demi-douzaine de tirspoliciers sur des véhicules en fuite, toujours couverts par lajustice ;

— à force de se vouloir indépendants, les magistrats sontsurtout devenus incohérents, et les décisions de libération decriminels endurcis se multiplient aux quatre coins de la France.Tout se passe comme si le corps judiciaire avait hâte de témoi-gner de son immaturité, lorsqu’il n’est pas tenu en main par lepouvoir et la hiérarchie…

12 janvier 2002. – Reprise de notes éparses sur un sujetd’« Envoyé Spécial » diffusé le 3 mars 2000 : « Dans tous lesservices, on buvait ; beaucoup de délinquance, donc le travailest intéressant ; des zones de non-droit, où on nous empêched’aller ; victime de harcèlement sexuel, j’ai écrit à l’IGS, pas eude réponse ; le mutisme de l’administration ; l’administration :c’est quoi ? c’est qui ? ; on n’a aucune préparation psycholo-gique, peur de la bavure ; pendant quatre ans, j’ai partagé unechambre à l’hôtel pour prendre mon grade à Goussainville ; leministre de tutelle (sic). »

Idem sur une émission d’Arte en février 2002 (vue à la Croix-Rouge), à Toulouse (Le Mirail) : BC [Brigadier-chef] accueil-lant les ADS : « Je vous conseille de venir au service en civil.Déjà, en civil, ils vous reconnaissent, alors… »

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Spectacle de l’« îlotage avec Jean-Pierre » : un îlotier affubléde trois ADS : « Quand on est trois, quatre, vis-à-vis de dix ouquinze jeunes qui nous insultent et nous crachent dessus […],on recule, on s’attendait pas à cela… » Ch. Rozjman 1 : « laviolence comme moyen d’agir quand on se sent impuissant. Leproblème n’est pas la violence, mais l’impuissance… »

1er mars 2002. – À propos de Luc Rudolph, qui reprend dansles CSI [Cahiers de la sécurité intérieure] (numéro spécialrecherche) 2 l’antienne « pas plus de voyous chez les flicsqu’ailleurs, et sans doute moins… ». De ce que mon fils n’a pasplus de « chances » (ou de risques) de se faire casser la gueuledans un commissariat que de se faire sodomiser par un curé aucatéchisme, ou inoculer le sida lors d’une transfusion san-guine, s’ensuit-il qu’il faut s’indigner de toute mise en questiondu comportement de tout membre de la police, du clergé oudu corps médical ? Et en quoi les curés violeurs ou les médecinsescrocs amenuisent-ils la responsabilité du flic violent ? (Onplaiderait d’ailleurs plutôt que, à la différence du clergé et de lamédecine, l’activité policière étant plus collective et plus hié-rarchisée, la déviance y devrait être plus rare, mieux prévenueet mieux sanctionnée…)

7 mars 2002. – Le « respect ». Les policiers qui revendiquentle « respect » auprès du gouvernement, et en chiffrent le mon-tant en primes individuelles sur le salaire, sont comme ces éle-veurs qui somment leur ministre de relancer le marché de laviande bovine, comme si celui-ci ne dépendait pas, d’abord etsurtout, de la confiance des consommateurs dans la qualité desviandes proposées en boucherie…

Ce sont les bavures policières, comme les bavures agricoles(farines animales, nitrates dans l’eau potable), qui cassent larelation de confiance, et donc le marché. Il n’y a pas de sens àen demander réparation à l’État, sauf à penser police et agricul-ture comme pupilles de l’État, dépourvues de toute autonomie :c’est alors revendiquer la société bureaucratique…

10 mars 2002. – Sans doute il fallait formaliser la chose, etl’expression « institution totale » est bien venue. Mais ce n’estpas diminuer le mérite de Goffman que de comprendre très vite– il suffit d’être hospitalisé quelques jours – que votre bien-être,

1. Psychologue, enseignant à l’université de Nancy-II, vu à cette émission.2. Luc RUDOLPH (contrôleur à l’IGPN), « Le policier et le chercheur », Cahiers de la

sécurité intérieure, 46, 2001, p. 19-30.

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sécurité, confiance dépendent autant de la lingère que du chi-rurgien, beaucoup plus de l’infirmière de nuit que du directeur.Ensuite peuvent se déployer toutes les analyses proprementorganisationnelles qui vont montrer que les comportements dela lingère, de l’infirmière, du chirurgien et du directeur ne sontpas totalement indépendants, ni entre eux ni entre chacun d’euxet le malade. C’est une piste de recherche encore féconde, cen’est plus, de très longue date, la découverte de l’Amérique (lapolice tricotée serrée est ma version de la police comme insti-tution totale…).

14 mars 2002. – Du déjeuner, raté, avec P. Lamy etC. Caresche 3, un principe de base de la pol-prox : au reboursdes flics qu’on envoie traînailler dans les rues pour « montrer dubleu… », nul patrouilleur ne devrait sortir du commissariat sanssavoir précisément ce qu’il a à faire : fiche de travail et à quiil doit en rendre compte. De même, contre la multiplicationd’agences et agents spécialisés dans des secteurs distincts de lasécurité et de l’ordre public (ou polices administratives) : elles ontpour effet de multiplier en contact avec le public des agents enuniforme, censés représenter la loi, mais qui – spécialisés sur telleou telle catégorie de dispositifs (circulation, stationnement, sortiesd’école, marchés, parcs et jardins, commerces, délinquance, pro-preté, etc.) – se désintéressent des autres, sur lesquelles ils ne sontpas compétents, et donc laissent se perpétuer sous leur nez sansintervenir une décrédibilisation de la loi commune.

19 mars 2002. – Du texte de T. Gordadzé sur « Police etÉtat en Géorgie » (colloque du Ceri [Centre d’études et derecherches internationales] du 22 mars 2002 4) : une bonne nota-tion sur le fait que, dans des systèmes où la corruption est larègle, ce n’est pas de fait la corruption qui est répréhensible,et réprimée, mais « le refus de redistribuer, d’assumer le rôleredistributif qu’un homme politique, un notable est censéavoir » (et ceci vaut a fortiori pour le membre de la famille quecelle-ci a réussi, à grands frais, à caser dans un appareil sourcede richesses : police ou autre, et qui y est considéré commeinvestissement – délégué de la famille pour assurer à celle-ci unaccès aux revenus générés par cet emploi).

3. Philippe Lamy, conseiller à la mairie de Paris pour les questions de sécurité ;Christophe Caresche, député PS de Paris depuis 1997.

4. Étant donné la date de cette note, les textes des communications du colloque ontvraisemblablement été envoyés aux participants avant son déroulement.

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Dans sa « chronique policiologique » de la Revue adminis-trative (nº 320, mars-avril 2001, p. 215), Luc Rudolph se scan-dalise de la « redoutable méconnaissance de la réalité desservices de sécurité » dont témoigneraient les « divagationssécuritaires » propres aux périodes préélectorales, et il enrajoute une couche : « La réalité hexagonale est victime de lapart de nos élus d’une profonde ignorance quant aux moyens detraiter l’insécurité »… Au même moment dans les CSI, il rédigevingt pages pour témoigner de la très profonde défiance que luiinspire toute tentative de recherche dans/sur la police, c’est-à-dire toute tentative de percer cette ignorance, de contre-battre cette méconnaissance. On en conclura sans peine quecette ignorance, dont il feint de s’indigner, au fond, lui convientfort bien.

Définition policière de la loi, du même auteur, même page :« [les services de police et de gendarmerie] ne se laissent pasdécourager par les embûches juridiques dressées sur leur routeprocédurale par la représentation nationale… » (les points desuspension sont de LR). Allez après ça prêcher aux gardiens dela paix le respect de la Loi…

Et, du même auteur enfin (p. 216), ces deux affirmationspéremptoires qui ne s’étayent d’aucun commencement depreuve : « les services français [de police et gendarmerie] res-tent parmi les plus mal lotis dans le monde civilisé quant à leursmoyens », et : « policiers et gendarmes français sont parmi lesmoins biens traités parmi leurs pairs ».

La vision administrative des diagnostics des CLS (source :revue Maires de France, janvier 2002, p. 42, article : « LesCLS s’entrouvrent aux habitants », citation de Pierre Duffé[IGA], président de la mission interministérielle d’évaluationdes CLS) : « Pour élaborer un CLS, il y a d’abord une phasetechnique, celle du diagnostic qui est réalisé par la police, lagendarmerie, l’Éducation nationale et d’autres institutions. Ils’agit d’un document basé essentiellement sur des statistiquesqui n’est pas grand public. Il y a donc un premier obstacle tech-nique à une participation plus importante de la population »,explique Pierre Duffé…

20 mars 2002. – Travailler toujours moins : il est vrai que letravail policier est (parfois) pénible, il est donc normal que ladurée du travail soit plus faible que dans d’autres métiers pluspaisibles (même si on en fait profiter tous les flics, quel quesoit leur emploi réel, petit bénéfice annexe pour les ronds de

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cuir…). Mais comme la durée du travail diminue, à effectifstotaux identiques, les policiers sont moins nombreux en ser-vice à l’instant t. Souvent en situation de sous-effectif, ils sontdu même coup en situation plus difficile, plus stressante, etparfois plus dangereuse. Il est donc légitime qu’ils bénéficientd’horaires adaptés, plus courts – ce qui a pour effet de réduireencore les effectifs déployés à un instant donné, donc de ren-forcer la pénibilité du travail, et donc de légitimer la revendi-cation d’une durée du travail « aménagée », et ainsi de suite àl’infini, cela finira par 500 000 policiers travaillant douzeheures par semaine et vingt-cinq semaines par an, quand ils neseront pas en grève pour protester contre le manque d’effectifs.

23 mars 2002. – La police comme industrie : de la communi-cation sur la Géorgie (colloque Ceri du 22 mars). Selon cequ’on inclut dans le calcul, la Géorgie, pays de 5 millionsd’habitants compte entre 80 000 et 120 000 policiers. Pourapprécier ce chiffre, on observera que la France, avec 60 mil-lions d’habitants, se contente d’environ 250 000 policiers etgendarmes, tandis qu’avec la densité policière observée enGéorgie leur effectif total serait compris entre 960 000 et1 440 000, entre quatre et six fois plus. On conçoit qu’avec deseffectifs pareils, la visibilité de la police, dans les rues ou sur lesplaces des villes géorgiennes, est très élevée. Mais on conçoittout aussi bien que la charge salariale que représente une tellemasse soit insupportable pour un État par ailleurs fort démuni.Ces policiers ne sont donc que très chichement payés. Pourautant leur sort est considéré comme suffisamment enviablepour que, dans chaque famille, soient régulièrement mobi-lisées ressources financières et relationnelles afin de faire entrerun nouveau membre dans une des forces de police. L’appa-rent paradoxe renvoie à une évidence immédiate : le traitementassuré par l’État ne représente qu’une très faible part des res-sources policières. Celles-ci sont constituées pour l’essentiel parl’éventail infini de tributs levés par les agents auprès de toutesles catégories d’usagers de la « sécurité ». On ne saurait en effetcirculer sur une route sans être arrêté tous les dix kilomètrespar un barrage de la police routière, qui prélève un écot enforme de péage. Tout commerçant est de la même façon incitéà contribuer à la « protection » qui lui est fournie. Les transac-tions douanières incluent le coût de la garde des frontières, etainsi de suite : toute activité requérant l’usage d’un bien publicet/ou supposant une protection quelconque est taxée par une des

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innombrables administrations policières. Ce mécanisme, quiassure ainsi des revenus conséquents aux forces de l’ordre, estaisément qualifié de corruption. C’est moraliser et manquer lepoint. En fait on a affaire, comme le dit l’auteur, à une « éco-nomie politique de la police », ou plus simplement à une indus-trie qui ne diffère de ce que nous appelons dans nos pays la« sécurité privée » que par le fait qu’elle est entre les mainsd’agents publics, ou plus exactement d’agents économiques,petits, moyens et grands entrepreneurs de sécurité fonction-nant selon une organisation cartellisée et auxquels l’Étatconfère un statut administratif de force publique. Mais ce statutne trompe personne : hormis quelques unités étroitement spé-cialisées dans la protection des institutions (et plus simple-ment, dans la protection du pouvoir exécutif), la quasi-totalitédes forces de police agissent selon une logique d’entrepreneursprivés sur un marché captif, et mettent en œuvre la bonne vieillelogique du capitalisme : socialisation des coûts d’infrastruc-ture, voire des coûts de fonctionnement, et privatisation desprofits. C’est là une formule hybride entre les deux modalitésque nous nous plaisons à opposer dans nos pays : policepublique et sécurité privée, cette forme explicitement et ouver-tement hybride témoigne que l’opposition entre ces deuxunivers est moins tranchée qu’il n’y paraît.

24 mars 2002. – Votre fils se déclare victime d’un prêtrepédophile. Votre plainte est instruite par un collège d’évêquesintitulé : Inspection générale de l’Église catholique (IGEC) donttous les membres sont nommés par le pape.

25 mars 2002. – La critique d’Egon Bittner 5 ne requiert ni leluxe d’arguments de Jean-Paul Brodeur ni la conceptualisationéchevelée de Fabien Jobard (in Déviance et Société, 25, nº 3,2001, p. 307-23 et 325-45). Elle est très suffisamment contenuedans la remarque de Bittner (p. 314) : ce n’est pas une théoriede la police ou des polices, c’est une théorie convaincante, maispartielle, de la seule police urbaine en uniforme, le cop ou lebobby. Figure emblématique certes, et peut-être dominante enAmérique du Nord et en Grande-Bretagne, mais qui est loinde l’être pour l’Européen continental. Pour tout Français, mais

5. Allusion à l’ouvrage The Function of the Police in Modern Society (Oelgeschlager,Gunn and Hain, Cambridge Mass, 1980) d’où fut traduit en français un fragment : « Dela faculté d’user de la force comme fondement du rôle de la police », Les Cahiers dela sécurité intérieure, nº 3, 1991, p. 221-235.

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aussi tout Belge, Allemand, Espagnol ou Italien, sans parler duHongrois, Polonais ou Russe, « la » police est tout aussi bien,de façon aussi présente, et indémêlable, les CRS ou GM [Gen-darmerie mobile] – des unités militarisées et violentes – la PJmodèle Maigret, et une police politique (RG, DST, etc.)prompte à exécuter les mauvais coups du pouvoir en place(cabinets noirs, cellules élyséennes, écoutes illégales et autresprovocations). De ces trois autres fractions policières, et desrapports croisés qu’elles entretiennent avec la première, Bittnerne dit rien, et cela seul suffit pour ne pas lui attribuer unethéorie compréhensive de la police. Il n’est pas sûr d’ailleursqu’il en ait jamais eu l’ambition.

Confirme au passage cette perception différente de l’objetempirique police entre l’Europe et l’Amérique, la schizo-phrénie sociologique de J.-P. Brodeur : alors qu’il travaille avecautant d’intensité sur les « services secrets » que sur la police, ilmène ces deux chantiers de façon totalement disjointe sur tousles plans : réseaux professionnels, publications, etc., comme sices champs étaient totalement étanches (par exemple, pas decitations croisées d’un domaine à un autre). L’interroger sur cepoint, dont l’équivalent est impensable en France.

25 avril 2002. – Sur New York, l’article de François Dieu 6

(résumé fidèle de Silverman) rappelle fortement que la condi-tion du changement a été, par le « reengineering », de procéderà un examen extrêmement critique de l’existant : « faiblesse dudispositif et inadaptation des réponses » (p. 31). Mais ce pre-mier temps obligé du changement, qui en constitue égalementle ressort, est impensable en France, où les corporations poli-cières ne s’entendent que sur leur excellence, et le refus de toutexamen critique…

14 mai 2002. – Théorème du jour : « Il n’y a pas de policefacile : si la police était facile, il n’y aurait pas besoin depolice. »

15 mai 2002. – De même qu’il n’y a pas de relation directeentre conditions de travail et satisfaction au travail, il n’y apas de relation univoque entre victimation objective et senti-ment d’insécurité. Dans les deux cas, il y a une variable

6. « La police et le miracle new-yorkais, éléments sur les réformes du NYPD(1993-2001) », republié dans le collectif dirigé par F. OCQUETEAU, Community policinget zero tolerance à New York et Chicago, en finir avec les mythes, La Documentationfrançaise, Paris, 2003, p. 39-79.

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intermédiaire, attentes dans le premier, sentiment d’impuissanceet d’abandon (ou non) dans le second. C’est ce qui expliqueque les plus victimes de vols et cambriolages, classes moyennesurbaines, ne sont pas les plus insécures : leurs membres maîtri-sent les procédures d’assurance, voire les rentabilisent, alorsque les plus démunis sont beaucoup moins souvent victimesmais beaucoup plus profondément insécures…

3 juin 2002. – La relation entre moyens de police (effectifs,densités, patrouilles pédestres, temps de réponse, stratégiesdiverses, moyens matériels, moyens juridiques, etc.) et résultatsen matière de baisse de la délinquance s’avère systématique-ment « spurious », ou « nothing works » 7… (Sherman, etc.). Cen’est jamais dire que la police ne sert à rien, ou qu’il n’y apas de solution policière. Cela signifie qu’il y a toujours untroisième terme, par exemple : police plus visible dans l’espacepublic k population plus confiante k police mieux informée.C’est le troisième terme qui produit le résultat escompté, et dansl’exemple cela signifie : ce n’est pas la densité policière enelle-même qui agit directement sur la délinquance. Elle peutmême avoir des effets contreproductifs (apeurer). Mais une plusgrande densité d’une police soucieuse de rassurer… permet degagner la confiance de la population et donc de recueillir uneinfo fiable sur les infracteurs. Alors qu’une saturation policièreagressive, en poussant chacun à déserter l’espace public et à seconfiner chez soi va au contraire tarir les sources d’informationde la police. Et donc avoir l’effet inverse de celui recherché.Si donc en mesurant la relation densité policière/niveau de ladélinquance, je ne mesure pas la variable intermédiaire signifi-cative (qualité de cette présence policière), je vais avoir desrésultats statistiquement incohérents.

4 juin 2002. – Soit le modèle de la sécurité privée, où laquestion n’est pas de saisir et de faire condamner l’infracteur,mais bien de le dissuader pour assurer la paix des transactions.Ce devrait être aussi le modèle de la sécurité publique : « Jene demande pas que mon cambrioleur soit envoyé en prison, jedemande à la police de l’empêcher de cambrioler. » Qu’est-cequi empêche de l’étendre à la taille du quartier, de la ville, del’agglo[mération], alors que c’est bien la définition de l’ordrepublic local : sécurité, tranquillité, salubrité ? Mais on voit bien

7. Autrement dit, sans corrélation et, quels que soient les moyens engagés, ils seraientinefficaces…

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que, dans la comparaison, l’équivalent du patron (d’entrepôt oude supermarché) n’est pas le commissaire (ou l’officier) depolice, c’est le maire. C’est lui qui est gérant responsable del’espace public (la cité) et de la tranquillité publique. Pour leflic, il sera toujours plus valorisant (sanctionné +) d’arrêter ledélinquant que de patrouiller la ZUP [zone d’urbanisation prio-ritaire] ou de civiliser les jeunes « sauvageons ». Il faut allerjusqu’au bout de la comparaison sécurité publique-sécuritéprivée : si la première doit assurer des prestations comparables àla seconde, alors elle doit être remise aux mains du patron local :le maire. Et c’est aussi une façon de « dépolitiser », au sens d’endébarrasser la scène politique nationale : c’est bien assez que lesélections locales se fassent sur ce thème, il n’y a rien à gagnerpour personne à le laisser monter plus haut vers l’État.

6 juin 2002. – De G. Kelling (« Crime control, the policeand culture wars : broken windows (BW) and cultural plura-lism », Perspective on Crime and Justice : 1997-1998, LectureSeries, National Institute of Justice, novembre 1998). Exposé dela théorie : « The policy corollary is that minor problems war-rant serious attention, a premise that challenges reigning cri-minal justice practice ». Anecdote de la femme violée par deuxjeunes dans un quartier particulièrement dur et délaissé (débutdes années 1980) : « The police response to gangs had been to“send a car” to do “something”. What they were to do wasunclear […] [to kick them ass ?]. »

Dans son énumération des idées explorées in BW, Kellingarrive à : « Most important, the source of police authority torestore and maintain order. This final issue […] was a per-plexing one […] what constitute an undesirable person […]How do we ensure, in short, that the police do not become theagents of neighborhood bigotry ? claiming […] that BK is the“seed” of brutal policing, as one retired chief of police has[…] is tantamount to saying that anyone who supports cri-minal investigation supports torture, because we know that tor-ture was “business as usual” among detectives for decades… »GK cite le mot « sardonique » que lui aurait glissé Skogan 8 àune réunion de l’American Society of Criminology : « When thecriminological war crimes trials begin, you and I are going tobe the first two at the docker » (sur le rôle, la liste), il ajoute

8. W. G. Skogan, alors professeur de science politique à l’Institute for PolicyResearch de l’Université Northwerstern de Chicago.

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que Skogan en oublie : Wilson 9, Bratton 10 et sa femme Coles 11

seront aussi parmi les premiers…Insiste sur : ce n’est pas parce que crime et pauvreté sont liés

(de complexe façon) qu’il faut en conclure qu’on ne peut luttercontre le crime qu’en luttant contre la pauvreté… Sur la fausseperception de la police communautaire comme « soft poli-cing », alors que « real policing was arresting the bad guys »,BW remplirait l’intervalle béant entre les thèses gauchistes (ilfaut agir sur les causes sociales du crime), et les thèses droi-tières (la seule prévention qui compte est de fourrer toute laracaille en prison) : c’est précisément entre les deux, entrel’incarcération frénétique automatique, et l’utopie qui laisse lesvictimes dans leur mouise que s’intercale BW. Cf. : « For threedecades two models of crime control have been driven largelyby ideology : broad social change and more certain and longerprison sentences. A middle ground of crime prevention is cur-rently breaking through the culture war. » GK rappelle que larequalification de New York avait commencé bien avantBratton/Giuliani.

Sur la police dans les années 1950-1970 : « In the name ofefficiency and improved emergency response, police were with-drawn from public spaces into cars and became remote lawenforcers. As “root causes” depoliced the crime problem, theuse of police as an emergency response system depoliced publicspaces » (p. 10). Et infra : « That is a social disaster, how wehave turned police into an emergency response system. It was atthe cost of depolicing our cities » ; « I doubt that what hap-pened in New York City or San Diego is replicable. Eachcommunity reasserted control in its own way » (p. 11) ; « Theold role of police as discussed in BW – roughing up “undesi-rables” – is now unacceptable to police as well as citizens. Thenew role of police and other criminal justice agencies is to backup the activities of citizens and social institutions […]. »

La question centrale est celle de la communication. Quandpolice et autorités décident des « seuils » de comportements quine seront plus admis : il s’agit de les définir, de les faireconnaître, de faire savoir qu’ils seront appliqués, que la police

9. J. Q. Wilson, professeur émérite de Public Policy à Pepperdine, Californie.10. W. J. Bratton, chef de la police du New York Department of Police, a mis en

œuvre la réforme de la police sous le mandat de R. Giuliani (1994-1997).11. Catherine M. Coles, coauteur, avec G. Kelling, de Fixing Broken Windows, Res-

toring Order and Reducing Crime in our Communities, Free Press, New York, 1996.

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se donne les moyens de le faire, qu’elle le fera, qu’elle le fait,et qu’elle l’a fait. Dans les « Questions et Réponses », réponsede GK : « Je ne sais pas, littéralement pas, ce qu’il faut fairepour le problème que vous soulevez. Mais je sais comment jem’y prendrais, j’irais chercher six flics de base, un sergent etquelques habitants, et je leur ferais débrouiller la question. C’esttoujours comme cela que les solutions apparaissent… »

Très joli exemple : jeunes qui sédimentent dans le métro,chahutent et font du bruit, et dont tout le monde se plaint, qu’oncherche comment expulser. Et puis un proc s’avise d’allerparler avec eux, et ils lui disent que s’ils sont là, c’est parcequ’il y a beaucoup de flics visibles : « It is a safe place to be »(p. 17).

(Le sociologisme gauchiste sur les jeunes délinquants estd’autant plus mal venu, que ce sont d’abord les plus pauvres etles plus déshérités dans les quartiers les plus pourris qui récla-ment le plus fort de l’ordre et de la police…)

Interrogé sur le rôle du gouvernement fédéral, réponse : « Cequ’il a réussi, c’est de laisser faire les gens, et de ne pas cher-cher à imposer un modèle… (tout en finançant) » (p. 19) : « Letgood things happen, help support them, lend your authority,and help spread the good ideas », et le fédéral aura rempli sonrôle : cela vaudrait aussi pour la DCSP…

7 juin 2002. – Lecture J. Donzelot-A. Wyvekens, « Lamagistrature sociale, enquêtes sur les politiques locales de sécu-rité », partie 3 12.

3/1. Le community policing :Dans l’interprétation de « BW », reprise par D et W, la satis-

faction du public augmente du fait de la présence policièrevisible alors même que celle-ci n’a pas entraîné de baisse de ladélinquance, parce que la police aurait réimposé un ordre publiclocal (tri entre habitués et étrangers, notamment). Je pense qu’ily a une seconde raison : le sentiment d’insécurité est lié, certesà la délinquance ressentie, mais aussi et surtout au sentimentd’être abandonné (par les autorités) dans son espace de vie. Ceque restaure ainsi la présence policière, c’est l’existence d’unrecours, une prise en compte symbolique, capables de vaincrece sentiment d’abandon. En termes policiers, « BW » impliqueune double inflexion : rapprocher la police de la population ; se

12. Rapport pour l’IHESI, paru à La Documentation française sous le même titre en2004.

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mettre à l’écoute de celle-ci, prendre au sérieux les plaintes,donner suite, informer et rendre compte. Et, en conséquence,basculer de stratégies policières oscillant entre le purementréactif et l’autodéterminé vers le primat accordé à la demandesociale, i.e. à la « résolution des problèmes » rencontrés/signalés par les habitants (ou leurs représentants).

k CAPS [Chicago Alternative Policing Strategy] à Chicago :« prendre en compte » (la demande de la population) et (lui)« rendre compte ».

Ce qui explique toute la différence entre CAPS à Chicago etzero tolerance à New York, c’est la composition de l’électoratà Chicago : 38 % de Blancs, 38 % de Noirs et 20 % d’Hispa-niques… pas les prendre de front…

Beat integrity interdit que les policiers d’un quartier soientappelés ailleurs, même pour un renfort ponctuel.

Création, à l’usage, de la fonction de facilitator pour animerles beat meetings, et s’interposer dans le face-à-face police/habitants, ce qui n’est pas toujours facile.

Et présence d’un alderman, élu local représentant la ville etcapable d’en engager les services (voirie, santé…).

À chaque beat meeting mensuel, sont commentés les chiffresdes dix infractions les plus fréquentes du quartier, et leurévolution…

Le problem solving ne nécessite pas toujours un outillageextraordinaire (agents + statistiques + méthode SARA 13, etc.) :à Chicago, cela consiste d’abord dans les beat meetings men-suels à recenser les « problèmes » posés par les participantspendant la séance, et à rendre compte de ce qui a été fait sur les« problèmes » signalés le mois précédent. L’essentiel est dansle couplage : recueillir et rendre compte = prendre au sérieuxet rendre compte… La police de proximité, c’est d’abord cela,mais cela implique un renversement complet des priorités spon-tanées des professionnels policiers, beaucoup plus disposés àcroire que ce qui est important pour la sécurité locale, c’est cequi, à eux, leur apparaît intéressant, et non ce que les gens res-sentent et expriment. La règle à imposer est ainsi de « fournirune réponse à chaque question », qui suppose intériorisée parles policiers l’idée que toute question mérite réponse…

Mise en place, en sus du 911, du 311, qui élargit la saisinepolicière très au-delà de la délinquance : « Every citizen’s

13. Ou Sare, acronyme pour : sondage, analyse, réponse, évaluation (assessment).

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hotline to city services », et dont les appelants sont invités auprochain beat meeting… (p. 211).

+ dispositif « problem solving » stricto sensu : il y a « pro-blème » à résoudre quand on a identifié les trois sommets dutriangle : auteur, victime et lieu, et qu’il y a répétition d’aumoins deux de ces dimensions (p. 212) ; puis : identification,analyse, stratégies, exécution, évaluation. Deux exemples : lesautobus qui grillent un stop = agrandir le panneau, et fairesignaler par usagers à la compagnie des bus pour qu’elle agissesur les chauffeurs ; le parking mal fréquenté = le rendre moinsaccueillant : supprimer les téléphones publics, améliorer l’éclai-rage, saisir le propriétaire et multiplier les rondes = de mêmequ’il y a trois conditions définissant le problème, sa solutionrequiert généralement la combinaison de trois acteurs : public,police et services de la ville…

Le lien police/services de la ville est essentiel (cf. la créationd’une Strategic inspection task force pour venir à bout des badbuildings), rôle des attorneys municipaux, et parfois les beatmeetings servent à la police pour inciter les habitants à fairepression sur les autres services publics dont elle juge la coopé-ration avec elle (la police) insuffisante ou réticente : celamarche souvent… (Bref : le modèle américain consiste, pourla police, à mobiliser la communauté, et réciproquement, enallant en outre chacun tirer toutes les sonnettes possibles à lamunicipalité.)

3/2. La restauration du lien social (le modèle français,Seine-Saint-Denis, versus modèle américain) : non plus la pertede vigilance des habitants dans le contrôle de leur quartier (ladéfaillance de la communauté), mais la défaillance des institu-tions dans leur mission d’encadrement de la population ; nonplus la résolution des problèmes de la sécurité locale, mais leproblème de la perte d’emprise des institutions sur la population(« lien 14 social ») ; non pas la relation entre police et habitants,mais le partenariat entre institutions 15.

14. Lien doit s’entendre au double sens : ce qui relie (lien routier), ce qui attache (lesliens…) [note D. M.].

15. Mais dans la conclusion, l’analyse se durcit brusquement : « Le partenariat entreles institutions ne rapproche celles-ci qu’en creusant le fossé qui les sépare de la popu-lation », sans autre justification p. 286 [note D. M.].

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Le texte de référence, rapport Bonnemaison 16, illustre nette-ment ce retournement dans le cas de la causalité de la délin-quance (rap. p. 31) : « Dans le schéma américain, ladélinquance s’installe dans un quartier à raison des désordres[…], il faut inviter les habitants à lutter contre ces désordres,[…] i.e., la question est : pourquoi la délinquance se déploieici ? Dans le rapport Bonnemaison, les causes de la délin-quance sont celles de toutes les situations de désocialisation.Elles n’incriminent pas l’abandon du quartier par les habitantsmais le sentiment d’abandon où ceux-ci se trouvent, […] consé-quence, il faut faire intervenir l’État » (p. 218), et repris plussystématiquement (p. 230).

« C’est le hiatus apparu entre les institutions et la popula-tion qui fait problème » (et que le FN s’offre à combler, commeautrefois le PC ?) et qu’il s’agit de corriger dans chacune : entreélus et électeurs, école et parents/enfants, police et population,justice et justiciables/victimes, etc. (Toujours relation duelle,entre l’Administration et ses administrés…)

« Dans le processus de constitution d’un partenariat local enmatière de sécurité, les CCPD [conseils communaux de préven-tion de la délinquance] ont ainsi joué le rôle d’une scène origi-nelle où les acteurs se trouvaient réunis dans l’attente que ledéroulement de l’histoire les fasse sortir de leur réserve et lesamène à dire leur texte. Mais celui-ci était déjà écrit pourl’essentiel dans le rapport de la commission des maires »(p. 222).

Sur l’exemple du Blanc-Mesnil, où le diagnostic local a étél’objet d’une ample et vraie consultation/participation de lapopulation et des groupes d’intérêt, et par comparaison à dixautres municipalités qui n’ont pas su mettre en œuvre cettedynamique, les auteurs pointent : « Il semble bien que la causeprincipale tienne à un manque de savoir-faire […] » p. 223(+ réticence des préfets + procs). « C’est vrai que le rapportavec les habitants, on ne sait pas faire » (sous-préfet p. 224)et par défaut de ce savoir-faire, on s’oriente vers le « fairesavoir ». Cf. le compte rendu de la réunion caricaturale où lecommissaire de Noisy-le-Grand a convoqué « sa » populationpour lui faire la leçon sur « l’utilité de réunions comme celle-ci,propre à dissiper des peurs infondées » (p. 228) (et on ajouterait

16. Gilbert BONNEMAISON, Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité.Rapport au Premier ministre, La Documentation française, Paris, 1983.

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que le commissaire a d’autant plus tout faux que, dans sonlouable effort pour réunir « sa » population, il s’est exposé àse faire épingler par D-W…) – « reconstruire un collectif »,mais le collectif aux États-Unis se refait dans l’action, alors queles institutions en France cherchent à le reconstruire par leurcommunication, devant laquelle il restera passif.

Notation (p. 229) de la différence majeure entre les CCPDdes années 1980, où chacun venait dire qu’il était le meilleur, etle « diagnostic » des CLS, fin des années 1990, où chacun vientdire que « cela va de plus en plus mal »… C’est un progrès…Puisque l’abandon est le diagnostic universel, le rapprochementsera le remède généralisé, et « cela tombe bien, le programmeemploi-jeunes […] vient juste d’être mis en place, […] ils nepouvaient occuper des fonctions déjà assurées par les fonction-naires ni concurrencer les emplois privés. De cette double néga-tion sortira l’affirmation de leur mission, […] ils feront le lienentre les deux, ils occuperont le vide intercalaire » (p. 232).

Et le leitmotiv du « lien social » à « restaurer », renouer, etc.que les auteurs interprètent comme « rapprocher chacun de sesdroits, les lui faire mieux connaître et apprécier afin de disposerde ce ressort pour qu’il mesure l’étendue des devoirs qui ensont la contrepartie » (p. 235). Qui se traduit par la multipli-cation des « maisons ». Dont le dernier exemple est celui des« maisons de parents » (Bobigny) qui « montre une lente maisirrésistible orientation vers un encadrement des parents plusqu’une prise de confiance en eux, vers un accueil plus indivi-duel et psychologique que constructeur d’un mode de résolutiondes problèmes par un travail commun » (p. 236). Ce qui faitbien écho à Kelling expliquant qu’il n’a pas la solution du pro-blème qu’on lui soumet, mais une méthode pour la trouver :réunir six flics de terrain, et discuter 17.

Le modèle américain serait immunologique : augmenter lesdéfenses de la population contre le crime (c’est le credo del’école de Chicago), versus le modèle français (durkhei-mien) s’employant à l’empêcher d’advenir : prophylactique(?, l’opposition est trop jolie pour être exacte). « Dans le pre-mier cas, la solidarité est un combat, dans le second, une affaired’État » (idem).

17. G. L. KELLING, « Fighting crime. Restore order and you reduce crime », Was-hington Post, 9 février 1997.

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« La force de la police doit servir à restaurer les conditionsde fonctionnement des autres institutions », p. 238.

La conclusion générale oppose les modèles Communautécivique-Magistrature sociale. Remettre les gens en mouvement,leur permettre de partir, le busing. Refaire la ville sur place,« dynamiter l’ensemble irrécupérable », la ZEP [zone d’éduca-tion prioritaire], « en France la participation ressemble tant àl’exercice d’un devoir et si peu à la construction d’un pouvoir,[…] l’influence qu’elle procure aux “habitants” importe moinsque la posture de “communiants de la République” qu’elleinduit chez les “participants” » (p. 274).

« Le souci de la proximité ne va pas jusqu’à rendre les ser-vices comptables de leur activité devant la population »(p. 275).

Mixité, citoyenneté, proximité : sommation des trois termes :le lien social ? ? ?, qui serait notre équivalent au capital socialaméricain ?

Mais le sens de la confiance à rétablir ainsi est fort différent :des gens entre eux aux États-Unis, des gens envers les insti-tutions en F[rance]. En découle l’enjeu lié à « la différence denature entre le contrat fictif avec le souverain [modèle européenHobbes-Rousseau] et le contrat effectif entre les membres d’unpacte [modèle américain Mayflower-Arendt] » (p. 282).

9 juin 2002. – La condition que doit remplir un haut fonc-tionnaire pour plaire au ministre dans la mise en œuvre de laGrande Réforme de celui-ci, c’est de ne pas y croire. S’il ycroit en effet, et veut qu’elle réussisse, il va se rendre compteque c’est plus long, compliqué, difficile que le ministre ne lepense et ne se l’est imaginé au départ. S’il le lui dit (modèleSanson 18), il va le mécontenter, et donc gicler. Pour plaire, ilfaut certifier au ministre que sa géniale réforme se déploie sansle moindre accroc, retard, etc. (modèle Bart, Decharrière), laréforme est dans les choux, mais le ministre, qui est le seul à nepas le savoir, est ravi…

10 juin 2002. – Lecture de la lecture comparée par FrédéricOcqueteau 19 de Lagrange et Roché : la différence essentielle,

18. Allusion au DGPN (de qui D. Monjardet fut le conseiller techniqued’octobre 1998 à juin 1999), et à ses successeurs qui avaient une autre conception dela mise en œuvre de la réforme.

19. « La compréhension des conduites délictueuses des adolescents et des jeunesadultes. À propos de deux lectures opposées », Cahiers de la sécurité intérieure, 48,2002, p. 229-236.

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c’est que L. construit réellement l’objet « jeunes » alors quepour R., ce n’est qu’une catégorie statistique dans le continuumde la variable de l’âge.

10 juin 2002. – Tiré du National Institute of Justice, Policetechnology (Seaskate inc, 1998) : 570 000 policiers dans plusde 17 000 agences policières aux É[tats-]U[nis], dont 90 % ontX 24 policiers (ou : 1 700 ont 25 policiers et plus) ; on estimeque la charge de travail de la police générée par le crime a étémultipliée par 5 depuis 1960, les ressources n’auraient passuivi (?). Inversement, exemple de ce service en Floride(Pinellas County), où le temps moyen de rapport est tombé de35/40 minutes à moins de 10 grâce à l’informatisation (p. 15).

De Kelling et Souza, 2001 20, (n. 10 p. 21 : « nobody believesany longer that omnibus tactics could be used citywide ») :« Police tactics have to be developed locally and in response tospecific problems and research has followed this form. »

11 juin 2002. – Citation de Sir Robert Mark, Policing a per-plexed society, George Allen and Unwin, Londres, 1977, p. 24 :« The most essential weapon in our armoury are not firearms,motor cars, teargas or rubber bullets, but the confidence andsupport of the people on whose behalf we act. » Cité parDr Ajay K. Mehra, projet Inde/France, p. 2 21, qui, sur la policeindienne, cite ce mot savoureux d’un juge (A N Mulla of theAllahabad High Court, in the 1960s) : « There is not a singlelawless group in the whole of country whose record of crimecomes anywhere near the record of that organised unit whichis known as the Indian police. »

12 juin 2002. – La police comme concentré de tous les mauxdont souffrent nos institutions (extrait de Jeunesse, le devoird’avenir, rapport de la commission présidée par D. Charvet,CGP, La Documentation française, mars 2001) : « Doit-onaccepter que les règles de recrutement et d’affectation de laFonction publique aboutissent systématiquement à affecter lespersonnels nouvellement recrutés dans les sites les plus sensibles,dans les fonctions les plus exposées sans que cela corresponde àune stratégie concertée ? Doit-on accepter que les règles relativesà la mobilité empêchent toute possibilité d’inscrire des projets

20. George L. KELLING et William H. SOUZA, « Does police matter ? An analysis ofthe impact of NYC’s police reforms », Civic Report, nº 22, Manhattan Institute, NewYork, décembre 2001.

21. Source introuvable.

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dans la continuité et la durée ? Doit-on accepter qu’au nom deleur statut, des fonctionnaires puissent considérer que leur indé-pendance est incompatible avec la reconnaissance qu’ils partici-pent à un projet collectif ? Doit-on accepter que desprofessionnels dont la difficulté de la mission est reconnue conti-nuent à travailler dans des organisations qui ne prévoient aucunmode de gestion collective des difficultés ? » (p. 323).

Et tout ceci s’applique si bien à la police qu’on pourrait lesretourner comme conditions à réunir avant de mettre en œuvre unequelconque police de proximité… Question incidente : peut-onexciper de la croissance de l’incarcération une montée des vio-lences alors que cette croissance est largement due aux délinquantssexuels ; aux étrangers en situation irrégulière ; aux délits liés à ladrogue… qui ne sont pas directement porteurs de violences ?…

13 juin 2002. –1. D’une discussion avec Hugues Lagrange : de la même

façon que la départementalisation en 1991, et malgré la créa-tion du Conseil de sécurité intérieure qui devait servir à cela,la réforme de la police de proximité a été définie et menéesans participation réelle de la justice, comme si le couplageCLS/pol-prox ne demandait pas aussi un ajustement significatifdu fonctionnement local du couple police/justice. C’est le para-doxe policier : ils ont abandonné le rôle de peace keeper centrésur le rapport avec la population pour se vouer à la missionde crime fighter, sans pour autant se rapprocher des juges ;résultat : un (splendide) et en fait mortel isolement – une policequi s’isole de tout système d’alliance est pieds et poings liésdans les mains du pouvoir (ce qu’avaient compris les fondateursde la FASP [Fédération autonome des syndicats de police] dansles années 1980, et que n’a jamais compris le SCHFPN, obnu-bilé par la comparaison avec l’ENA/corps préfectoral).

2. De la thèse de F. Vindevogel (Sécurité publique et initia-tive privée : un partenariat pour le maintien de l’ordre à NewYork) : « Nobody ever got in trouble in this department fordoing nothing » ; d’un policier en poste à Harlem, cité par leN[ew] Y[ork] Times en 1990, p. 93 : Plus le quartier est défa-vorisé, plus le comportement des policiers est critiqué par lesrésidents (absents, passifs, brutaux, corrompus…) p. 95. Unespécialité US ? ? ? Cf. d’après Kelling et Coles, Fixing BW 22,

22. George L. KELLING et Catherine M. COLES, Fixing Broken Windows. RestoringOrder and Reducing Crime in our Communities, The Free Press, New York, 1996.

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p. 88 : « faute d’effectuer des missions d’îlotage régulières dansles secteurs défavorisés, la police méconnaît ces quartiers etleurs habitants ». De là, la tentation est grande de faire desamalgames aux conséquences souvent fâcheuses, car « les poli-ciers acquièrent progressivement le sentiment que ces zonessont “en guerre” et que parmi les résidents se cachent lesennemis à combattre » (p. 102).

Les années 1960 et la réforme des polices US se fait parl’abandon d’une mission de peace keeping au profit d’un rôlede crime fighting jugé plus valorisant, mais c’est bien son rôlesocial majeur que la police abandonne alors : ce n’est plus unservice public urbain, mais un élément du système de justicepénale. Et elle s’est de surcroît rapidement révélée inefficacedans ce rôle : taux d’élucidation…

k Théorème Monjardet : la police est d’autant plus méfianteet brutale, et son intervention d’autant moins pertinente et effi-cace qu’elle connaît moins le site où elle intervient et ses habi-tants = la mobilité généralisée des personnels et l’abandon de lapatrouille pédestre (îlotage) produisent l’inefficacité et la vio-lence policière.

Un autre théorème inspiré aussi de N[ew] Y[ork] (Vinde-vogel, p. 169) et du port constant du gilet pare-balles dans leslieux publics : les mesures destinées à sécuriser les policiersont l’effet inverse sur le public (elles signalent que le lieu estdangereux). Comme la police, la justice est efficace si elle estnon seulement rapide mais aussi locale : réinventer le juge depaix de quartier.

Curtis : « Le taux de délinquance de rue est affecté autant parl’attitude de la population que par les politiques mises en œuvrepar les agents du système de justice criminelle », p. 249.

Derrière tous les discours sur partenariat, coproduction, etc.,il y a le sentiment très vif aux États-Unis, et qui contraste entiè-rement avec la vision « régalienne » française, que la sécuritéest affaire de la société d’abord, et que la police n’a qu’un rôleancillaire en soutien de celle-ci. Cf. la citation (parmi d’autres,p. 252 sq.) de H. Goldstein : « A community must police itself.The police can, at best, only assist in that task » (problem-oriented policing, p. 21).

Les policiers ne peuvent se plaindre en permanence d’êtreincompris par le public et ne rien faire pour expliquer leurs pro-blèmes : où sont les bulletins d’info, les brochures, les réunionsouvertes, les comptes rendus d’activité, etc. ? ? ?

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Le policier engagé dans la police communautaire doit avanttout faire preuve d’initiative (« proactif »), qualité qui n’est nireconnue ni valorisée dans le travail ordinaire de réponse auxappels (Police-Secours). L’en sommer tout à coup, sansl’outiller précisément pour cela, c’est le déstabiliser en pureperte. W. Bratton s’est opposé au community policing deDinkins et Brown [ses prédécesseurs à New York] sur un argu-ment qui paraît solide : les problèmes des résidents des quartiersdifficiles sont trop lourds et trop complexes pour être résoluspar les seuls îlotiers, en concert avec les gens du cru, il y fautune mobilisation générale des services (p. 275). Et celle-ci seramenée en substituant aux traditionnelles statistiques d’activité,qui mesurent la « charge de travail » du département, une éva-luation du résultat de son action, en termes de décroissancede la délinquance. La révolution Bratton, c’est l’obligation derésultats revendiquée (et en conséquence une forte tension surl’obligation de moyens).

Pour autant, on note (p. 293) que beaucoup des commandantsvirés par Bratton ont été remplacés par d’anciens membres desunités CPO [Community Patrol Officiers], non pas ès qualité,mais parce que leur engagement dans CPO était aussi le signed’une volonté proactive d’efficacité et de résolution de pro-blèmes et, de ce point de vue, localement « les résidents, le tissuassociatif, le secteur privé et les représentants des différentescommunautés religieuses et ethniques figurent tout naturelle-ment parmi les ressources à exploiter » (p. 294).

Une étude auprès de la police de Los Angeles « montre qu’enmoyenne un équipage en patrouille motorisée n’est le témoind’un vol avec menace ou violence qu’une fois tous les quatorzeans » (p. 370).

(La rage de tout évaluer mène à croire que tout est éva-luable par un « produit », or la mobilisation citoyenne parexemple a sens et utilité en elle-même, avant d’avoir produitquelque résultat que ce soit…)

14 juin 2002. – Pantouflage policier et corruption anti-cipée. Cf. l’« Association professionnelle des banques », ouchose comme cela, qui prend l’habitude de recruter le directeurcentral de la PJ (PP ou national) quand il prend sa retraite, àun salaire somptueux, comme conseiller technique du président.Celui-ci va certes y apporter son réseau de relations internesdans la police, mais en lui-même ce réseau est de peu d’intérêt :ses anciens subordonnés n’ont nulle raison de lui rendre service,

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et même peut-être plutôt des comptes à régler. Mais ils saventanticiper : le poste juteux dont jouit leur ex-supérieur peut leuréchoir un jour, et d’autant plus sûrement qu’ils auront rendules services demandés. Dans ce mécanisme, la corruption estimprouvable, car son salaire ne sera versé que beaucoup plustard, lorsque sorti des cadres de la PN, l’intéressé sera devenuinvulnérable…

21 juin 2002. – Pour disputer la propriété d’un territoire àdes jeunes qui y sont assignés/consignés 24 heures par jour et365 jours par an, il ne faut pas y venir six heures par jour, cinqjours par semaine, en fermant la porte le vendredi à 16 heuresjusqu’au lundi 10 heures.

Quand on n’a rien, il ne reste à s’approprier que l’espace :« chez nous » = c’est à nous ici.

Les CRS, dit la brave femme du « quartier sensible »,« quand je les vois, j’ai la trouille… », idem.

La sécurité/insécurité cela peut se mesurer, c’est le fait d’unobservatoire. Cela peut aussi se discuter, débattre, c’est l’objetd’un forum, et le but initial des diagnostics. Pour une bonnepart, l’effort pour la mesurer est un moyen d’éviter d’endébattre, ou d’en faire dériver le débat sur celui de sa mesure…

24 juin 2002. – Mesurer l’efficacité de l’action policière : lecas New York est à double fond. En première analyse, on a unconflit entre deux catégories d’acteurs quant à l’analyse descauses de la diminution très sensible de la délinquance à NewYork au cours des années 1990. Pour les responsables de lapolice et de la municipalité de New York, il n’y a aucun doutepossible : c’est leur action qui a produit ce résultat. Ce sontBratton, Giuliani, Kelling, inventeurs de Compstat, Brokenwindows et Tolérance zéro qui ont vaincu le crime. Et les flicsde tous les pays se sont empressés de relayer le message, tropheureux de tenir un cas solide où il apparaissait que la professionpolicière, pour peu qu’elle soit soutenue (et lourdement subven-tionnée), était capable de gagner une croisade contre le mal.

Pour l’ensemble des criminologues, il n’y a pas moins dedoute : la baisse de la délinquance dont les responsables new-yorkais se font gloire s’est produite (un peu plus tôt/tard, unpeu plus forte/faible) dans quasiment toutes les grandes villesaméricaines, et si New York a assurément bien joué sa partie,la ville a tout autant/surtout profité d’un trend général derégression de la délinquance dans tout le pays. Ce qu’il s’agitd’expliquer, ce sont les raisons de ce recul, et elles sont

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vraisemblablement très diverses, depuis des variables démogra-phiques lourdes jusqu’à des contingences spécifiques (épuise-ment du marché du crack, retrait des délinquants professionnelspar emprisonnements massifs, etc.).

On peut détailler cette polémique, en suivre tous les tracés eten explorer tous les arguments, mais il y a un arrière-plan deplus en plus massif au fur et à mesure que l’on détaille la dis-pute : il est clair qu’il y a eu mobilisation du NYPD, que ce nefut pas le seul facteur, il est tout aussi clair qu’il y a des aspectsde l’évolution mal connus (les phénomènes de déplacement decertaines délinquances, ou de substitution entre elles, etc.), maisle plus évident, c’est que, au fond, on ne sait pas. Ce qui revientà dire que la délinquance, comme phénomène social, est tropcomplexe pour qu’une sociologie (criminologie) puisse enrendre compte de façon satisfaisante. Ce n’est pas une victoiredes policiers sur les criminologues, c’est une incitation aux unset aux autres à quelque modestie, et à bosser…

26 juin 2002. – De Patrick V. Murphy, ancien chef de lapolice de New York : « community policing is private policingfor the poor » (« private communication » citée in Bayley-Shea-ring, 2001, p. 31 23).

28 juin 2002. – À propos de Wilson et Kelling, « Makingneighborhoods safe », leur exemple d’un quartier de Houstonest particulièrement éloquent : les gens sont excédés par lescambriolages et le sentiment d’insécurité est général, la policeredouble d’efforts pour élucider ces délits, mais aussi « désignedes policiers pour aller parler aux résidents chez eux. Pendantneuf mois, ils ont visité plus du tiers des logements, discuté desproblèmes avec chacun et laissé leur carte. (k évaluation Pate-Wycoff pour la Police Foundation 24). Ils trouvent que les gensdans ce quartier, à la différence des autres vivant dans la mêmezone, où ce programme n’avait pas été mis en œuvre, trouvaientque les désordres avaient diminué et que le quartier était devenuun endroit plus agréable à vivre. En outre, et de façon tout àfait inattendue, le chiffre des atteintes aux biens avait notable-ment baissé ; ce n’est pas tout à fait inattendu : s’il y avaitdes policiers en permanence dans les étages des immeubles, les

23. New Structure of Policing, Description, Conceptualization and Research Agenda,National Institute of Justice, Washington DC, 2001.

24. Allusion au rapport « Reducing fear of crime in Houston and Newark : a sum-mary report », 1986.

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cambrioleurs s’en sont peut-être aperçus, mais l’important estbien dans cette nouvelle illustration que ce que les gens deman-dent à la police en particulier, mais aussi à l’ensemble des auto-rités, maire, office HLM, etc., ce n’est pas de faire disparaître ladélinquance d’un coup de baguette magique, ou par un déploie-ment permanent de CRS effrayants, mais simplement, d’abord,de prendre au sérieux leur victimisation, de s’occuper d’eux,de faire quelque chose en donnant l’impression d’y croire : ilsrevendiquent de l’attention, ce n’est pas si compliqué àfournir… Mais pour tout potage ils ont le plus souvent l’expres-sion du scepticisme désabusé du gardien de la paix qui prendla plainte l’air accablé, et leur confirme, mezzo voce, que c’estbien pour leur être agréable, ou pour le formulaire à l’attentionde l’assurance, parce que pour lui (i.e. pour la police) cela neservira rigoureusement à rien…

La pol-prox, c’est passer du management sous contrainte(réactif), au management par objectifs (proactif) (Wilson et Kel-ling, 2 25).

Le trou noir (black hole, dit un capitaine du LAPD [LosAngeles Police Department] cité par Wilson et Kelling, 2) desrenforts d’effectifs : si l’affectation de ceux-ci n’est pas préci-sément définie avant leur arrivée, ils disparaissent dans le puitssans fond du travail de routine, et aucune amélioration n’estperceptible.

Théorème : l’élasticité de la ressource humaine policière,mesurée par le rapport effectifs/tâches, est infinie : on peutaccroître indéfiniment les effectifs sans percevoir un accroisse-ment quelconque du volume total de tâches réalisées (ou plusles effectifs augmentent, plus la productivité marginalebaisse…).

1er juillet 2002. – Sarkozy 26 et la finalité de l’action poli-cière, à l’occasion de la cérémonie de sortie de la 6e promo-tion d’élèves officiers à l’ENSOP [École nationale supérieuredes officiers de police], 27 juin 2002 : « […] la finalité del’action policière dans un État de droit, à savoir : identifier etinterpeller les auteurs des infractions, dresser à leur encontre lesprocédures nécessaires et les déférer devant la Justice… » Il est

25. « Making neighbourhoods safe », The Atlantic Monthly, vol. 263, 2, 1989,p. 46-52.

26. Nicolas Sarkozy vient alors d’être nommé ministre de l’Intérieur dans le gouver-nement Raffarin.

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quand même surprenant qu’un ministre de la République sejuge ainsi en position de redéfinir lui-même, de son propre chef,les finalités des institutions…

Du même, à Toulouse, d’après Le Monde du 4 février2003 27 : « La première mission de la police est d’interpeller lesdélinquants pour les mettre à disposition de la justice » et « lescitoyens attendent de vous que vous arrêtiez les délinquants ».Les victimes, elles, les citoyens (dont Sarko prétend exprimerles « attentes », au nom de quoi ?) ont tendance à penser que lapremière mission de la police est de prévenir, ou dissuader ladélinquance… Le malentendu persiste…, et on assiste à nou-veau à la conversion du ministre à l’idéologie policière, formesupérieure de l’inversion hiérarchique, il aura fallu neuf mois(mai-février) pour que l’inversion hiérarchique se produise avecSarko, plus longtemps sans doute que pour ses prédécesseurs.

Idem. la pédagogie n’est pas un substitut à l’action collective,cf. Donzelot/Mével, sur la comparaison entre les CDC (corpode développement communautaire à Boston) et le DSU [déve-loppement social et urbain] (à Marseille). Faute de mobilisa-tion indigène, incluant épreuve de force avec les autorités, etde travail sur les relations interethniques, déniées, le moded’action privilégié du DSU est la pédagogie = prurit paterna-liste… À défaut de constituer le groupe, avec des ressourcescollectives (et des capacités d’affrontement), il s’agit de renouerles liens entre les institutions et leurs ressortissants. D’où d’ail-leurs l’insistance sur le droit : maisons de justice et chosescomme cela, droit comme droit d’usage, droit de tirage, et toutautant interdictions et prescriptions. Le droit comme négationdes rapports de forces…

5 juillet 2002. – D’une notation de D. Katane 28, 2002, p. 36 :si la patrouille pédestre n’est que déambulation sans raison niobjectifs, il est assez naturel que les intéressés y mettent fin aus-sitôt que diminue la pression hiérarchique.

Idem p. 48 : le partenariat n’est pas un remède aux mauxdes institutions partenaires, au contraire : pour que le partenariatfonctionne, il faut que chaque partenaire soit relativement sûrde lui, et ne se présente pas à l’échange en situation de fai-blesse… quand cette condition est réunie, il fonctionne commemultiplicateur d’investissement.

27. Rajout postérieur, le 4 février 2003.28. Voir note du 16 octobre 2001.

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Idem p. 55 : de ce que « l’articulation entre question socialeet question sécuritaire est difficile », il n’est pas plus admis-sible de résorber l’une dans l’autre (sécuritariens) que l’autredans l’une (néogauchistes) : l’opposition est entre ceux pourqui le problème c’est la sécurité, alors que, pour les autres, ellen’est que symptôme de problèmes sociaux plus graves ; or elleest indissolublement l’un et l’autre à la fois, et doit être traitéesimultanément sous ces deux aspects.

8 juillet 2002. – Dans Libération du jour : « Trois mortsmalgré deux mains courantes – la police n’écoute pas la mère,le père tue ses enfant et se suicide » : la mère alerte la police àdeux reprises, en se rendant au commissariat de Gennevilliers le31 mai, puis à celui de Saint-Ouen, le 26 juin. Chaque fois, ellefait état de violences, de menaces de mort, et de la possessiond’un 347-Magnum. Ce seul fait devait entraîner une interven-tion policière, il n’y en eut aucune, et dans la nuit du 1er au2 juillet, le père tue ses deux enfants (8 et 10 ans) et se sui-cide ; « enquête administrative confiée à la DDSP [Directiondépartementale de la sécurité publique] des Hauts-de-Seine » etplainte déposée contre l’État pour faute. Bel exemple de policede proximité ! ! ! Les « différends familiaux » sont toujours laplaie de la police…

9 juillet 2002. – S. Tievant, « Travailler avec la police deproximité : pratique du partenariat par les acteurs de la sociétélocale », Étude pour l’IHESI, Toulouse, avril 2002, 74 p. Dixétudes de cas : 4 Éducation nationale, 2 HLM, 1 transports,1 hypermarché, 1 Hôtel, 1 club prévention. Trois propositionsfortes :

— le partenariat ne fonctionne que gagnant/gagnant, i.e.quand tout le monde y trouve son compte ;

— il doit se décliner verticalement : ce qui est initié à unniveau (base ou sommet) doit se répercuter aux échelons hié-rarchiques correspondants des organisations partenaires ;

— il doit être symétrique : suivi et retour systématiques desinformations (pas de sens unique).

Et deux corollaires : nécessité de mettre en place des procé-dures et des instances pour pallier la personnalisation des rap-ports, qui les soumet à la mobilité des acteurs (= risque debureaucratisation) ; transfert des problèmes, difficultés etcarences sur les absents (= disqualification fréquente de la jus-tice, la plus souvent absente des partenariats). + passim : ladimension de la peur : des jeunes policiers (p. 20, 22), des profs

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(p. 29), des jeunes (p. 43), des parents (p. 51), et sans doute desconducteurs de bus, des gardiens d’immeubles ; + l’intermédia-tion : on ne peut pas demander aux gardiens d’immeubles des’afficher constamment avec la police : utiliser le relais d’unresponsable HLM local.

10 juillet 2002. – On apprend ce jour que « les chosescommencent à changer », d’après Le Figaro : « En juin dernier,la délinquance, en zone police, a baissé de 7,38 %… » Nouvelleillustration du théorème de Demonque, certes, mais aussi et sur-tout belle démonstration que la hausse de la délinquance n’estpas uniquement imputable au « manque de moyens » dont souf-friraient endémiquement les polices : les milliards d’euros etles milliers d’emplois annoncés par le ministre de l’Intérieur nesont pas encore arrivés dans les services.

8 septembre 2002. – Noter pour mémoire, et pour la gloire,que j’ai été deux fois explicitement censuré sous la « gauche » :

— mon texte « La police de proximité, ce qu’elle n’estpas 29 », inséré par IDRH dans leur dossier « stagiaires » etretiré sur ordre de la DCSP…

— mon introduction à la vidéo « police de proximité » del’ENPP [École nationale de police de Paris], effectuée à leurinitiative et sur leur demande, interdite par la DFPN [Directionde la formation de la police nationale]… Les deux cas en 2000.

À la façon dont je suis traité par la gauche, j’ai fort peu àcraindre de la droite.

9 septembre 2002. – J’aurais résumé, au séminaire IHESI/CERSA 30, les deux versions opposées du diagnostic par la for-mule : « L’insécurité, cela se mesure ou cela se discute ? »,bonne formule…

17 septembre 2002. – En prenant ses fonctions [de direc-teur général de la Police nationale] en 1999, Patrice Bergou-gnoux affirmait hautement qu’il était là « pour mettre en placela police de proximité » (interview dans Le Monde). En quittantses fonctions, le 1er juillet 2002, il diffuse à tous les servicesle télégramme d’usage : « Au moment de quitter mes fonc-tions… »… Dans ses 21 lignes et 344 mots, il n’y a pas lamoindre mention de celle-ci. Sic transit…

29. Dominique MONJARDET, « La police de proximité : ce qu’elle n’est pas », Revuefrançaise d’administration publique, nº 91, 1999, p. 519-525.

30. Séminaire organisé à Paris par Jérôme Ferret, Christian Mouhanna et FrédéricOcqueteau sur les « politiques locales de sécurité », en 2002-2004.

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17 septembre 2002. – Dans Le Monde de ce jour, dans unarticle de Anne-Françoise Hivert titré : « Le gouvernementlance l’offensive contre l’insécurité routière », on apprend que« le nombre d’heures consacrées au contrôle de la vitesse parles forces de l’ordre a beaucoup diminué depuis 1991. Unebaisse de 12 % qui équivaut à près de 300 000 heures, selon laDLPAJ [Direction des libertés publiques et des affaires juri-diques]… » ; et de même : « le nombre des dépistages (alcoo-lémie) a diminué de 15 % entre 1999 et 2000 et de 16 % pourles seuls dépistages préventifs ». Suit la perle : « Une évolutionque le ministère de l’Intérieur juge tout à fait inexplicable “lesforces de l’ordre restant tout particulièrement vigilantes dansle domaine” » et de même encore, le nombre d’infractionsconstatées a baissé : 17,5 millions en 2001 contre 20,4 millionsen 2000. Et sans vergogne, le ministre de l’Intérieur « y voit lesigne d’un changement de comportement chez les conduc-teurs : « sensibilisés à la sécurité routière et avertis qu’il n’yaurait aucune tolérance, les usagers pourraient être devenusmoins infractionnistes » (sic). Sauf que, comme ajoute perfide-ment la journaliste : « pendant cette période, le nombre d’acci-dents corporels n’a pas diminué »… Où s’affichent enlumineuse interaction langue de bois et déni de savoir…(« Inexplicable » !)

Renseignement et théorème de Brodeur : « Le présupposéselon lequel un renseignement validé et relativement complet estsuivi de l’action appropriée est dénué de fondement » (in « Lesservices de renseignements et les attentats de septembre 2001 »,manuscrit, septembre 2002, p. 4), et bonne illustration par l’effon-drement des marchés boursiers, prévu sans que les victimes sesoient retirées à temps (et d’autant plus que si elles s’étaientretirées, l’effondrement eût été encore plus rapide…).

18 septembre 2002. – Dans le nº 102, septembre 2002 de larevue Pouvoirs, consacré à la police, on trouve un article deA. Bauer (qui « a pris une part déterminante dans l’élaborationde ce numéro », p. 4), qui se conclut par ces mâles paroles :« La police est trop importante pour que l’on assiste impuis-sant à une agonie inéluctable sous l’œil de doctes médecinsfaussement apitoyés. […] Le moment est venu de transformer lapolice d’État en une véritable police nationale » (p. 28). Puisun article de M.-A. Ventre, qui se conclut, p. 42, par ces mâlesparoles : « La police est trop importante pour que l’on assisteimpuissant à une agonie inéluctable sous l’œil de doctes

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médecins faussement apitoyés […] il est plus que temps detransformer la police d’État en une véritable et authentiquepolice nationale. »

Une question s’impose : qui est le nègre, ou le pseudo, del’autre ? (Et qui révise les articles à Pouvoirs ? Cf. mon courrielau Seuil, du même jour.)

Noter dans le même numéro un article intéressant de GuyFougier (qui fut préfet de police de Paris en 1983-1986) titré« L’impossible réforme de la police » (p. 97-116) ; il metl’accent sur l’évolution de la durée du travail : « En 1948, unpolicier travaillait 48 heures par semaine. Pendant 48 semaines,il produisait 2 304 heures travaillées… ; en 1982…,1 833 heures… à la PPP [Préfecture de police de Paris], ungardien de la paix en cycle de roulement accomplissait, en1985, 1 490 heures de travail par an » (p. 113), et c’est pasfini… Résultat : entre 1950 et 2000, les effectifs ont aug-menté de 71,91 % et la durée des heures produites n’a crû quede 19,6 % et « ce calcul ne représente pas la réalité ». Si onpondère par la croissance de la population urbaine, il est bienpossible que le ratio heures de policiers/population de référenceait baissé entre 1950 et 2000…

1er octobre 2002. – Hypothèse : la police est d’autant pluspolitisée que sa technicité est faible, l’adhésion politique ser-vant de contrepoids à l’incompétence professionnelle.k PU > PJ…

11 octobre 2002. – La police de proximité augmente la délin-quance, cf. Kees Van der Vijver, « La police de proximité auxPays-Bas : le cas de la ville de Haarlem », CSI, 39, 1, 2000,p. 45 : « Dans le cas de H., de 1983 à 1984, la criminalité enre-gistrée par la police augmenta, alors que si l’on se réfère ànotre enquête, les taux de victimation des secteurs expérimen-taux décrurent, ce qui signifie qu’entre-temps les comporte-ments de report se sont modifiés dans le sens d’uneaugmentation : dans ces secteurs expérimentaux, les victimesont porté plainte plus fréquemment. Dans les secteurs decontrôle, la situation est différente : tandis que le niveau devictimisation augmente – plus de personnes sont victimes – leurcomportement de plainte reste identique. Ainsi l’augmentationde la criminalité enregistrée par la police est due, dans les sec-teurs expérimentaux à une augmentation du taux de plainte,dans les secteurs de contrôle à une augmentation du niveau devictimation. » (Reste entière la question de savoir si ces deux

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mouvements opposés ne traduisent pas un déplacement de ladélinquance des secteurs expérimentaux aux autres…) Et,p. 47 : « La police de proximité n’est pas seulement une autrefaçon de s’acquitter du travail de police ordinaire. Elle requiertde nouvelles compétences de la part des îlotiers, de nouvellesfaçons d’organiser le travail policier, de nouveaux systèmesd’information, et de nouvelles techniques de management »,bref, autre chose qu’une révolution culturelle. Il serait intéres-sant de montrer que, dans ce numéro des Cahiers, comme dansune série d’autres publications, ont été énoncées – à partird’expériences étrangères documentées – toutes les conditionsélémentaires de mise en œuvre de la réforme en France. On endéduirait que, si le ministère de l’Intérieur les a systématique-ment ignorées, c’est en pleine connaissance de cause.

14 novembre 2002. – Une idée juste chez le commis-saire M. (entretien de F[rédéric] O[cqueteau] 31 du 12 novembre2002) : « Toutes les sous-cultures se rattachent à une culturenon pas endogène mais une culture qui se construit symboli-quement dans le regard du reste de la population. Elle nousvoit tous comme ayant une carte bleu, blanc, rouge et une arme.Donc, quel que soit le policier, il aura des camarades de promodans toutes les directions… »

15 novembre 2002. – La double paranoïa, identique chez lespoliciers et les gardiens de prison :

— Ils ont affaire à toute la misère et la violence du mondek le monde est misérable et violent, et nous sommes les che-valiers blancs en lutte contre le crime et la canaille.

— Et, contrairement à ce que nous serions en droitd’attendre, ceux-là mêmes que nous protégeons et servons, bienloin de nous en témoigner reconnaissance, nous méprisent etnous craignent.

15 novembre 2002. – Broken Windows se résume en unephrase : l’essence même du rôle de la police dans le maintien del’ordre réside dans le renforcement des mécanismes d’auto-contrôle de la collectivité. À moins d’engager des moyensénormes, la police ne peut fournir de substitut à ce mode decontrôle informel. D’un autre côté, pour renforcer ces défenses

31. Allusion à l’enquête de Frédéric Ocqueteau sur les commissaires de police. Cedernier retranscrivait ses entretiens et les faisait lire au fur et à mesure à D. M.

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naturelles, la police doit s’adapter à elles (Reader, p. 239 32).Tout est dit : si on n’est pas dans un système totalitaire, lapolice ne peut fonctionner qu’en soutien des instances d’auto-rité sociales, auxquelles elle apporte, quand besoin est, le ren-fort de la force.

15 novembre 2002. – De Goldstein 33 (Reader, p. 262) :« Nombre de problèmes que la police a à connaître sont ceux quel’on n’a pas pu résoudre par d’autres moyens. Ils sont les pro-blèmes résiduels d’une société. Il s’ensuit que s’attendre à ce quela police les résolve et les élimine est illusoire. Il est plus réalistede chercher à en réduire le volume, à prévenir leur répétition… »

19 novembre 2002. – Entendu dans un documentaire deTV5, le dimanche 11 dernier à 16 h 30 : « En déclarant laguerre à la drogue, l’Amérique s’est déclaré la guerre à elle-même » (et ne cesse de se tirer une balle dans le pied…).

20 novembre 2002. – De Peyrefitte (1977) au colloque deVillepinte (1997), il y a une grande continuité dans le diagnosticet la préconisation (ce qui ne veut pas dire que les propositionsde gauche et de droite sont identiques). Mais l’administrationdu ministère de l’Intérieur a réussi à transcrire cette continuitéen une course chaotique de réformes ponctuelles et disjointes,de telle sorte que la perception qui en est justement faite par lespoliciers est celle d’une incohérente et vaine agitation.

24 novembre 2002. – Paroles de commissaires, glanées dansles entretiens de F[rédéric] O[cqueteau] :

— De L. T., commissaire principal sud-ouest de la banlieueparisienne : « Je veux être clair là-dessus. J’ai mis les chosesau point et je leur rappelle en permanence : un passage à tabac,cela je ne le couvrirai jamais ! Ils en assumeront seuls lesconséquences, […] quand on sait comment un chef de serviceva réagir, alors les gens se méfient […]. » – donne en outre desexemples de mise en œuvre « dogmatique » de la pol-prox.

— De M. F., commissaire PUP [police urbaine de proxi-mité], Paris : « Toute ma politique est basée sur le fait que jeveux que les gens sachent qu’on s’occupe d’eux de manière tan-gible » (et c’est tout le secret, et le seul secret, de la pol-prox).

32. Allusion à l’ouvrage de synthèse en préparation à l’époque, en collaboration avecJean-Paul Brodeur : « Connaître la police, grands textes de la recherche anglo-saxonne », Les Cahiers de la sécurité intérieure, hors série, 2003, 439 p.

33. Professeur de droit pénal, University of Wisconsin Law School, Madison. Cf.« Améliorer les politiques de sécurité, une approche par les problèmes », Les Cahiersde la sécurité intérieure, nº 31, 1998, p. 259-285.

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26 novembre 2002. – À la énième lecture de « BW », lefond de l’affaire est résumé dans : « L’essence même de lapolice dans le maintien de l’ordre réside dans le renforcementdes mécanismes d’autocontrôle de la collectivité. À moinsd’engager des moyens énormes, la police ne peut fournir desubstitut à ce mode de contrôle informel. D’un autre côté, pourrenforcer ces défenses naturelles, la police doit s’adapter àelles. » C’est l’argument de mon papier « médiation » 34, et lefondement de la police de proximité ; plus loin, cette incise :« L’ordre, terme intrinsèquement ambigu, mais état éminem-ment reconnaissable pour les membres d’une collectivité » etdénonciation d’une formation policière « axée sur les règleslégales et la manière d’appréhender les criminels, et non sur lagestion de la rue » (développer l’opposition des compétences :appréhender les criminels vs gestion de la rue), Les Cahiers dela sécurité intérieure, nº 15, 1994, p. 163-80.

27 novembre 2002. – Dans les entretiens de F. O., franc-maçonnerie dans la police. Un jeune et brillant commissaire,sorti dans un très bon rang de l’École, et passant par la PP, endix ans s’est fait proposer à trois reprises et de façon de plus enplus insistante (« agressive ») d’entrer dans la franc-maçon-nerie… Du même : « […] le fil commun. On est un peu tordus.On ne prend jamais rien au premier degré. On est payés pourpenser que le mec en face de nous veut nous manipuler, nouscacher des choses, nous raconter des bobards… »

La haine de la socio peut trouver son origine ici : dans sa pré-tention à connaître, appliquée à ceux-là mêmes dont la fonctionest de percer les secrets. Un policier trouve sa raison d’être dansle caché : une société entièrement transparente est entièrementdispensée de police. La prétention sociologique à comprendre/interpréter/expliquer est immédiatement concurrentielle : ce quela socio gagne est perdu pour la police. Plus spécifiquement,l’expertise sociologique, du seul fait qu’elle manque au policier,tend à disqualifier l’expertise propre de celui-ci, qui s’effilochedès qu’elle tente de monter en généralité, à partir des « cas »que le policier a traités. Le principe même de la socio est de nepas accepter l’extrapolation à partir des cas individuels, il dis-qualifie ex principio le savoir policier. Le policier hait le socio-logue, parce que le sociologue ne cesse de lui signifier qu’il ne

34. « La police de proximité, une révolution culturelle », Les Annales de la rechercheurbaine, 90, 2001, p. 156-164. (Sous le pseudonyme de P. Demonque.)

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sait rien, alors même qu’il a quelques raisons de penser qu’aucontraire, il a accès à un savoir particulièrement rare et pré-cieux (puisque caché). Bref, entre le policier et le sociologue, ily a conflit essentiel pour savoir celui qui détient et produit lesavoir légitime sur le social. C’est d’ailleurs le même conflit quioppose le sociologue et le politique, et il est probable que lejeu se joue à trois : entre le politique, le policier et le socio-logue, qui détient le vrai savoir sur le social ? Sachant en outreque, pour deux d’entre eux, le politique et le policier, il y a uneépreuve par le réel : l’élection/réélection, le taux d’élucidation,alors que le sociologue s’en dispense, et recourt à l’argumentd’autorité : double raison de le haïr.

27 novembre 2002. – Police et délinquance : poser que lemérite de la baisse de la délinquance revient à la police, c’estsupposer que le quantum de la délinquance est fonction del’intensité de sa répression, ce que démentent toutes les étudesde cas, à commencer par celle des prohibitions…

28 novembre 2002. – Commissaire de F. O. (hors Paris),juste remarque à exploiter : « Depuis toujours dans la police, ily a eu des gens au parcours atypique et avec des connaissancesdiverses » (moyennant quoi l’idée même du parcours atypiquepose question). Idem : « La police change sous l’effet des crisesdans les commissariats… et le reste du temps ça s’auto-valide » ; « tant qu’on ne fera pas éclater le modèle centralisécolbertien, on fera de la police politiquement et on fera de laviolence une affaire politique ».

9 décembre 2002. – Du texte de F.-Y. Boscher 35 sur la pré-vention : « Près de la moitié des faits constatés (4001)… sedéroule dans la sphère des lieux privés (domiciles, commerces,entreprises). Cette situation rend inopérant le mode d’actionprincipal des forces de police et de gendarmerie que constituel’occupation du territoire par une présence visible et dissua-sive. Dès lors, la volonté d’engager une baisse régulière de ladélinquance passe immanquablement, sur ce segment, par unedémarche globale à caractère préventif. »

35. Allusion au rapport de l’IGPN-IGN, « Pour une politique de prévention de ladélinquance », commandité par le Premier ministre, J.-P. Raffarin au ministre de l’Inté-rieur, N. Sarkozy, remis le 20 décembre 2002. Rapport rédigé par J.-L. Ottavi (IGA),F.-Y. Boscher (CG) et le colonel de gendarmerie M. Rouquier. La citation exacte est« un peu moins de la moitié […] sur ce segment d’infractions ».

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De Philippe Robert 36 (entretien, Esprit, décembre 2002) : « Ilest à peu près impossible de faire respecter la règle par ceux quipensent être exclus du jeu » (p. 37).

Et cette définition de la police moderne créée par le préfetCh. Piétri sous le Second Empire, à l’image de la police de Peel(Londres, 1829) : « Une administration dont le rôle, très simpleet tout d’exécution, est, non pas de courir après les délinquants,mais d’arpenter l’espace public pour s’assurer que personne nese l’approprie » (p. 38) ; « [aujourd’hui] personne n’assure plus– ou si peu – la surveillance de l’espace public » (p. 45) ; « Lasurveillance des individus s’est effondrée en même temps queles capacités de surveillance publique, sous l’effet conjugué dela professionnalisation de la police et de la disparition desmétiers qui quadrillaient l’espace » (p. 46), et voilà pourquoivotre rue est déserte, et ouverte à la délinquance…

12 décembre 2002. – De l’article de Lagrange/Pech (« Délin-quance : les rendez-vous de l’État social », Esprit, décembre2002, p. 71-85), les trois objectifs d’une politique de sécurité :« Elle rassure les citoyens ; elle satisfait peut-être les victimes ;mais ne donne aucune raison sérieuse de penser que les ressortsde l’entrée dans la délinquance seront demain moins puis-sants pour les auteurs » (p. 72) ; et par ailleurs : « une poli-tique globale de sécurité appelle plus qu’un réarmement del’État pénal et policier : l’insertion des mesures judiciaires etpolicières dans le cadre plus vaste d’un nouveau compromissocial », « alchimie entre responsabilisation individuelle eteffort collectif » (p. 74) k « L’action gouvernementale sembleoublier le troisième terme de l’équation : elle travaille sur lessouffrances [victimes] et sur les peurs [citoyens], mais que fait-elle pour les auteurs ? » (p. 75). À la fin du XXe siècle, change-ment de sens : à la délinquance d’appropriation s’ajoute (plusque ne se substitue) une délinquance violente.

Dans le même numéro, illustration de deux modes de critiquede la police de proximité : celui des néogauchistes qui y poin-tent le renforcement foucaldien des contrôles sociaux et de ladiscipline, et celui des sceptiques, qui n’y voient qu’un retour àl’îlotage (en grand) réitérant toutes les critiques – fondées –de celui-ci (cf. le papier Mouhanna, « Police : la proximité entrompe-l’œil », p. 86-97). Dans le papier de C. Mouhanna, cette

36. Sociologue, directeur de recherche au CNRS, ex-directeur du CESDIP et duGERN.

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très juste notation : « Se sentant rejetés par un public qui d’ail-leurs les apprécie sûrement plus qu’ils ne le croient, lesmembres des forces de l’ordre peinent également à s’appuyersur une légitimité venue d’en haut, de l’État, auquel ils necroient plus. De cette double rupture, avec le public mais aussiavec le pouvoir politique, il résulte un réflexe corporatiste… »(p. 97).

La police peut jouer l’État contre la population, ou la popu-lation locale contre les injonctions étatiques, elle a en Franceréussi à s’écarter également des deux, elle reste ainsi seule, etcette solitude ne peut qu’hypertrophier une tendance corpora-tiste déjà démesurée… À ce point, il ne reste plus qu’uneexpression possible, la complainte des moyens…

Pour Éric Macé : Villepinte, CLS et pol-prox répondent à laseule question : comment une administration d’État centraliséepeut-elle répondre à un sentiment d’insécurité local, à la petiteet moyenne délinquance qui le nourrit, alors qu’elle est accou-tumée de s’en désintéresser ? C’est en ce sens qu’on a pu penserqu’il s’agissait de la dernière chance de la PN. Sarkozy lui enoffre une nouvelle, mais c’est encore une dernière chance…

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7 janvier 2003. – Le dimanche 22 décembre, un des respon-sables les plus recherchés de l’ETA est arrêté en France, et misen garde à vue au commissariat de Bayonne. L’information estportée au crédit du gouvernement, et de N. Sarkozy en particu-lier : nouvelle victoire de la police contre le terrorisme. Patatras,dans la nuit du 22 au 23, l’interpellé se fait la belle, on n’entrouvera plus d’autre trace que l’image du système de vidéosur-veillance du commissariat, qui le montre franchissant le murd’enceinte… Le ministère, manifestement furieux, annonce aus-sitôt la suspension de cinq fonctionnaires locaux. Toute la journée,des responsables syndicaux vont se succéder aux différentesradios pour dénoncer cette mesure de suspension, jugée « cho-quante », voire « inadmissible ». Le coup de pied de l’âne seradonné par ce responsable départemental du SGP [Syndicat généralde la police] qui, mettant en cause – entre autres – les locaux,révélera qu’une évasion s’était déjà produite quelques mois aupa-ravant de la même cellule « et que rien n’a été fait pour clore cettebouche d’aération, qui devait être fermée depuis des mois… ». Cequi n’a pas cependant dissuadé ses collègues d’y placer ce détenu« particulièrement signalé », et de l’y laisser, comme l’IGPN lerévélera, plusieurs heures sans aucune surveillance.

Le cas est exemplaire : en mettant en avant, une fois de plus,une fois de trop, les « problèmes de moyens, de locaux,d’effectifs » pour soutenir qu’il ne saurait y avoir matière àsanction, l’ensemble des organisations syndicales policièresaffirment spontanément, et avec quelle énergie, le principe del’irresponsabilité absolue de leurs affiliés. Tant qu’il y a, dans

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un commissariat quelconque, un local inadapté, un collèguemalade et non remplacé, une voiture défaillante ou un équipe-ment obsolète, il ne saurait être question de mettre en cause, parailleurs, la façon de servir de quiconque.

L’argument est à ce point systématique, réflexe syndical uni-versel et immédiat, qu’on est incité à le retourner : tout se passecomme si ces défaillances d’équipement ou d’effectif, incontes-tables dans certains cas, moins sensibles dans d’autres, étaientpain bénit : la preuve par neuf de l’irresponsabilité de tous et dechacun, la raison absolutoire qui garantit une impunité géné-rale et permanente à tout policier. On en conclura que la grandeplainte policière sur l’insuffisance des moyens est non seule-ment structurelle, comme dans toute activité de service, où lesmoyens sont toujours finis au regard de besoins extensibles àl’infini, mais aussi fonctionnelle : elle fonde une revendicationd’irresponsabilité et d’impunité générales et permanentes. À cedouble titre, elle a toutes chances de perdurer, quels que soientles moyens fournis. Sur le mode : « On ne peut rien repro-cher à quiconque parmi nous, puisque nous ne disposons pas detous les moyens requis », on peut être assuré que nul policier nereconnaîtra jamais que, somme toute, il a à peu près les moyensde travail qui lui permettraient de rendre des comptes sur letravail fait… Et quand on parle de culture professionnelle despoliciers, on oublie toujours cet élément structurel par excel-lence : une culture (revendication) de l’irresponsabilité. Ou :une profession qui déploie une agilité particulière pour invoquercomme circonstance atténuante, voire absolutoire, ce qui danstoute autre, serait considéré comme circonstance aggravante.

10 janvier 2003. – La promotion du terrorisme, et le caséchéant de la grande criminalité permet à l’État, et à la profes-sion policière, de tout ramener au régalien, pour le premier, etde se débarrasser de la police de proximité, pour le second.C’est ce qu’on voit Sarkozy faire avec application, en fonctionde quoi les incendiaires de voitures de Strasbourg ont encore debeaux jours devant eux.

13 janvier 2003. – Conseil d’État, commissaire du gouver-nement cité par Bruno Latour (in La Fabrique du droit, [LaDécouverte, Paris,] 2003, p. 26) : « La police est un art d’exé-cution. Et il est donc équitable de dire, lorsque c’est possible,que l’administration ne s’expose pas aux mêmes rigueurs dansla phase de définition et dans la phase de mise en œuvre »(k faute légère ou lourde…).

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14 janvier 2003. – Quand le DGPN présente à la presse lesstatistiques de la délinquance (13 janvier) et conclut : « L’occa-sion m’est offerte de souligner à nouveau devant vous l’enga-gement des gendarmes et des policiers, leur professionnalismeet leur totale abnégation pour relever avec succès les défismajeurs que constituent la lutte contre la délinquance et la pro-tection des personnes et des biens », de qui se moque-t-il ? Etle DGGN [directeur général de la gendarmerie nationale] ren-chérit : « Notre personnel qui déploie une énergie remarquablede jour comme de nuit au service de nos concitoyens. » Tousdeux soulignent que la « rupture » dont témoignent les chiffresest due, puisque « les résultats obtenus l’ont été sans crédit nipersonnels supplémentaires […] à la motivation des forces del’ordre » (p. 2 et 12). Il faut donc en conclure que, réciproque-ment, les (mauvais) résultats enregistrés précédemment étaientconséquence de la démotivation, démobilisation, des forces del’ordre. Les « maudits » sociologues n’ont jamais rien ditd’autre…

14 janvier 2003. – Comme toute activité de service, la policeest enserrée dans une double aporie, celle des moyens (il n’yaura jamais tous les moyens requis pour mettre en œuvre toutesles mesures prescrites, atteindre tous les résultats souhaités :pénurie structurelle), celle des normes (quelles que soient laprécision et la densité des règles, il se présentera toujours uncas, une situation, une interaction que la règle n’a pas prévu etpour lequel elle ne dicte pas la conduite à suivre k déontologieobligée, ce qui est contradictoire dans les termes).

14 janvier 2003. – Un indicateur de l’efficacité des services ?Le taux d’élucidation des recels par rapport à celui des vols…Pour une profession sursaturée de réformes incessantes depuisvingt ans, la pire façon de s’y prendre était d’en annoncer àgrand fracas encore une, une nouvelle, une de plus. C’est ce queChevènement s’est empressé de faire, multipliant les colloques,assises et autres grand-messes. La méthode efficace, en l’occur-rence, était très exactement l’inverse : réformer sans le dire etdans la plus grande discrétion… Autant demander à un épilep-tique de se tenir tranquille.

15 janvier 2003. – De l’article de Vigouroux (« Contrôle dela police », 1996) 1, cette juste suggestion : « […] commencer

1. Christian VIGOUROUX (conseiller d’État), « Le contrôle de la police », in État dedroit, mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Dalloz, Paris, 1996.

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par regrouper, pour les mettre à la disposition du public, les“chapitres police” de toute une série de rapports annuels exis-tants (débats parlementaires, Médiateur [de la République],CNIL [Commission nationale de l’informatique et des libertés],CADA [Commission d’accès aux documents administratifs],CNCIS [Commission nationale de contrôle des interceptions desécurité], Conseil d’État, Cour de cassation, Cour des comptes,notamment) pour voir se dessiner, année après année, l’imagede synthèse de la police contrôlée… » (p. 757).

22 janvier 2003. – La comparaison Paris, Montréal, NewYork doit pouvoir montrer qu’il y a deux acceptions de la proxi-mité dans les doctrines de police de proximité :

— Modèle New York : la proximité est une ressource opéra-tionnelle ; il s’agit d’utiliser la cartographie la plus fine possiblepour analyser les phénomènes qui intéressent la police et décelerles réponses les plus efficaces : à quel coin de rue les agres-sions sont-elles les plus fréquentes et en conséquence, commentaménager cet espace (prévention situationnelle) et cadencer lespatrouilles (dispositif opérationnel) pour éliminer ce hot spot. Icila proximité s’entend comme caractérisation des espaces. Et cequi compte est le « résultat », la performance policière en termesde GAV [gardes à vue], saisies, déferrements, comme l’illustrele bilan des GIR [groupes d’intervention régionaux] que vient depublier le ministère de l’Intérieur français.

— Modèle Montréal (ou Chicago) : la proximité est une rela-tion à instituer et à développer sans cesse entre l’agence poli-cière et la collectivité locale de base (îlot, quartier). Elle s’entendsur le mode : la police est proche de vous, dans tous les sensdu terme, proximité physique, spatiale, temporelle, sociale, et elles’exprime par la prise en compte par la police de la demandesociale locale. La performance policière n’est pas sous-estimée,mais l’essentiel est dans l’interaction, la socialisation.

Le diagnostic local de sécurité se découple de la mêmefaçon :

— Modèle Compstat, c’est la spatialisation de la délin-quance établie par la police et qui lui dicte ses prioritésd’action, en toute indépendance vis-à-vis de la population.

— Modèle CLS, c’est la détermination des priorités localespar la collectivité elle-même, dont la police fait partie.

Le cas de la PP est exemplaire, car il représente la confusiondes deux : un affichage « modèle Montréal » (l’épais volumedoctrinal qui insiste sur les rapports avec la population) et une

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pratique « modèle Compstat » où disparaît tout souci de nouerune relation quelconque avec le public ; d’où, en effet, l’ambi-guïté de la police de proximité, comprise comme dégénéres-cence de la police dans le social et le local par les policiers,dans le même temps où elle est dénoncée par les nouveauxgauchistes comme compulsion sécuritaire visant à quadriller lesocial sur le modèle implicite de la Stasi. La confusion estd’autant plus compréhensible qu’en effet l’ambiguïté n’a jamaisété levée. Ce n’est que quand F.-Y. Boscher 2 est viré pour« dogmatisme » qu’il apparaît clairement que toute la droitepolicière s’était prudemment dissimulée dans cette ambiguïté.Nul d’ailleurs ne saurait soupçonner Chevènement d’en avoirsaisi les termes et l’enjeu.

24 janvier 2003. – D’une déclaration manifeste de J. Bordet,L. Mucchielli, J. Roman et A. Vogelweith, dans Le Monde du21 mai 2002 (entre les deux tours des présidentielles), « Mieuxvivre ensemble » : « […] Une école attachée à mettre réelle-ment en œuvre l’égalité des chances et moins excluante, unejustice plus équitable, un urbanisme mieux partagé, un dévelop-pement économique et social maîtrisé, qui offre à chacun uneplace dans la société, une vie démocratique qui implique leshabitants dans la construction de leur espace de vie commundoivent non seulement accompagner les préoccupations d’ordrepublic, mais même les précéder. » Sans doute, et tout cela estfort bien dit, mais en attendant la réalisation du paradis surterre, on fait quoi de ceux qui volent à l’arraché les sacs à maindes vieilles dames ?

25 janvier 2003. – Songer à dédier « Cohorte 3 » aux poli-ciers répondants, mais aussi aux directeurs successifs de la for-mation de la Police nationale qui, à l’exception de Jean-MarcErbès (mais il n’était plus en fonction), n’ont su tirer aucunenseignement de cette recherche.

29 janvier 2003. – Qui voudra relancer la police de proximitédevra : s’interdire de prononcer le mot, éliminer toute référenceà une quelconque doctrine, produire des modes opératoires,

2. François-Yves Boscher, conseiller technique à la DGPN en 1998-2000 puis ins-pecteur général de la Police nationale, l’un des pères, ou le père de la doctrine dite dela « police de proximité ».

3. Première allusion à l’idée d’un ouvrage de synthèse sur l’étude de la cohorte « gar-diens de la paix ». Voir Dominique MONJARDET et Catherine GORGEON, « La cultureprofessionnelle des policiers, une analyse longitudinale », Les Cahiers de la sécuritéintérieure, 56, 2005, p. 291-304, et, dans le présent ouvrage, l’article de Catherine Gor-geon.

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savoir-faire, modes d’emploi, avec indicateurs (comptes rendus)de mise en œuvre et de résultats, et les imposer/contrôler manumilitari. Sur le mode : on ne « réforme pas », on ne demandepas de « révolution culturelle » et autre « conversion » desesprits, on vous prescrit de travailler comme ceci et commecela, et on sanctionne à la hache ceux qui traînent des pieds.Exécution !…

De la Revue administrative nº 329 (novembre 2002), unebonne illustration de la pente droitière policière : elle ne pro-cède pas nécessairement d’une allégeance explicite à la droite,mais du fait que celle-ci bénéficie, chez les policiers, et sur lesquestions d’ordre/sécurité d’un préjugé favorable ; le ministrede droite fait spontanément l’objet d’un procès de bonnes inten-tions. La limite de celui-ci est quand il manifeste une volontétrop affirmée de rentrer dans la chair de l’activité policière, etlà est immédiatement dressé le panneau « La police aux poli-ciers » : « Il faut dire nettement que la gestion de la coopérationau quotidien des forces de police doit être le fait de profes-sionnels (policiers ou gendarmes) au niveau régional ou inter-régional, […] une coopération efficace doit se faire en tempsréel, en continu, et doit être le fait de vrais professionnels initiésà toutes les subtilités du métier » (p. 554). On touche là le cœurde la chose : la police aux policiers ! ! ! (Et Luc Rudolph se voitcontredit vite fait par le ministère de l’Intérieur : cf. le bilanGIR publié le 29 janvier qui met l’accent sur le rôle de coordi-nation du préfet et du procureur 4.)

30 janvier 2003. – En matière de syndicalisme policier, laFrance est anglaise : les syndicats interviennent en permanence,et en profondeur, sur l’organisation du travail.

Dans la police, et peut-être partout ailleurs, la focalisation surla durée du travail est proportionnelle à l’imprécision, indéter-mination des missions : les gardiens de la paix du roulement,dont la tâche est totalement indéterminée, n’ont de cesse d’enraccourcir la durée, les inspecteurs de PJ, qui savent ce qu’ilsfont et ce qu’ils ont à faire, qui sont sur une affaire, ne comptent

4. D. M. entreprend à cette époque une nouvelle réflexion d’évaluation de la politiquepolicière de N. Sarkozy, dont le premier jet sera divulgué à Nicolet, Québec, enjuin 2005 (disponible en ligne, voir bibliographie [100]). Pour un article révisé de cettecommunication, paru à titre posthume, voir « Comment apprécier une politique poli-cière ? Le premier ministère Sarkozy, 7 mai 2002-30 mars 2004 », Sociologie du tra-vail, 2, 2006, p. 188-208.

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pas leurs heures. On remettra les gardiens de la paix au boulotquand on saura leur définir leurs tâches…

La revendication « la police aux policiers » se justifierait par-tiellement si on pouvait étendre à l’ensemble des missions poli-cières le modèle du maintien de l’ordre : l’objectif est fixé parl’autorité publique, et – sous le contrôle du parquet – le respon-sable du dispositif policier est seul juge de la manœuvre. Mais,outre que ceci impliquerait un contrôle externe beaucoup plusétroit des moyens mis en œuvre, cela supposerait que, enmatière de tranquillité publique, d’ordre public local, de luttecontre les délinquances, les policiers disposeraient de res-sources d’efficacité comparables à celles dont ils font preuve enmaintien de l’ordre ; or on a tous les jours la démonstration ducontraire : quand ne pèse pas sur la police une volonté politiqueforte, elle se tourne les pouces ou s’agite au hasard. Que lespoliciers commencent par faire preuve de leur professionna-lisme, avant d’exiger qu’on leur lâche la bride…

Exemple théorique : la PJ-PP argumente que le taux d’éluci-dation, très faible, cache en fait un taux de connaissance dumilieu cambrioleurs-professionnels-parisiens de quasiment100 %. On n’a une « élucidation » comptable que de 3 % parceque quand on en chope un, c’est pour un fait, alors qu’il vientd’en commettre cinquante. Mais on sait qu’il a commis ces cin-quante. Soit, accordons-leur ce savoir, mais il aggrave leur cas :comment se fait-il, alors, que si bien informés de la gente cam-brioleuse à Paris, nul n’ait décidé à la PP d’y consacrer le tempset les moyens requis pour en assécher (au moins temporaire-ment) le bassin ? Avant de procéder de la même façon pour lesvols de voitures, et autres… Un professionnalisme virtuel estdifficile à revendiquer…

Hot spots : la notion est élaborée dans une étude de Shermanet al. (L. W. Sherman, P. R. Gartin et M. E. Buerger, « Hotspots of predatory crime : routine activities and the crimino-logy of places », Criminology, vol. 27 (1), février 1989,p. 27-56, abstract), sur les appels reçus par la police à Minnea-polis durant un an : 323 979 appels relatifs à 115 000 adresseset intersections, d’où il ressort que 50 % des appels concernent3 % des adresses et que la concentration est encore beaucoupplus forte pour les crimes : « all robberies [vols] at 2,2 % ofplaces, all rapes [viols] at 1,2 % of places and all auto-thefts[vols de voiture] at 2,7 % of places ».

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31 janvier 2003. – De Howard Becker, cité parJ.-M. Saussois 5 : « The explanation of police corruption is notthat we can expect a few bad apples in every barrel, but ratherthat something about the barrel is making the apples rotten. »Je fais une sociologie du travail policier, ce qui m’amène àessayer d’analyser l’institution, l’organisation et la professionpolicières. Chemin faisant, je rencontre nécessairement lesquestions de la norme, des règles, de la loi, de la déontologie,de leurs mise en œuvre, contrôle et sanction. C’est une dimen-sion importante du travail policier, cruciale si on veut, mais cen’est pas la seule, et de loin. En outre, on ne traite pertinemmentde cette dimension que si on l’insère dans toutes les autres…

Façon de dire que travailler sur la police, ce n’est pas néces-sairement et compulsivement pister toutes apparences de tracesde 1984, de Big Brother et de la surveillance généralisée, del’État policier et de l’arbitraire policier, de l’impunité et de lacorruption, du racisme et de la violence, etc. Ces choses là exis-tent, dans des proportions difficiles à déterminer exactement, etd’ailleurs très variables dans l’espace et le temps. Il est aussiabsurde de le nier que d’y voir la seule et entière réalité deschoses policières. Dans les deux cas, ce qui prédomine est lerefus de savoir ; il est aussi condamnable chez les chercheursque chez les policiers, et leurs juges…

Quand Sarkozy rejoint S. Roché (ou vice versa) : « La pre-mière cause de la violence, c’est le sentiment d’impunité qu’ontles voyous, jeunes ou moins jeunes. » Sarkozy, en déplacementà Évry le 14 janvier 2003, cité par Le Figaro, du 31 janvier2003.

4 février 2003. – De l’entretien de l’inspecteur général O. (inenquête F[rédéric] O[cqueteau] sur les commissaires), trois cita-tions qui m’auraient été furieusement utiles il y a dix ans : àsa prise de premier poste, en janvier 1971, son supérieurl’accueille par : « Oublie tout ce qu’on t’a appris jusqu’à pré-sent » ; Vigipirate, qu’il dit avoir inventé, est défini comme une« opération de marketing politique » ; sur son projet actuel(avec F.-Y. Boscher) de prévention : « la police jusqu’à présentrefuse cette notion, la prévention pour elle a toujours été assi-milée à l’“action sociale” ».

5. In Itinéraire d’un sociologue au travail, L’Harmattan, Paris, 2000 ; H. BECKER,Tricks of the Trade, University of Chicago Press, Chicago, 1998 (trad. fr. Les Ficellesdu métier, La Découverte, Paris, 2002).

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5 février 2003. – Dans J.-G. Padioleau (Le Réformismepervers, PUF, 2002) et pour les pompiers : « L’associationréflexe du développement des moyens à la qualité des perfor-mances » (p. 154), lieu commun des revendications syndicalesdes policiers (enseignants, soignants, etc.) et dont la perti-nence n’est jamais démontrée, bien au contraire (tonneau desdanaïdes…).

Si je peux recenser au moins deux cas patents de censuresous une majorité de gauche et un ministre (ex-)socialiste(l’article « Ce que la pol-prox n’est pas », interdit dans le dos-sier IDRH, et la cassette ENPP bloquée par la DFPN 6), àl’inverse, je peux noter deux cas de très larges emprunts quasilittéraux à la prose Monjardet par un rédacteur de la Tribune descommissaires : sur les trois polices et leur diagnostic, et sur lepartenariat. Comme quoi, la relation entre police et recherchepeut être opportuniste, à fronts mélangés quant aux supposéesaffinités idéologiques, et finalement plus productive qu’on n’atendance, de part et d’autre, à le penser. Ou pour le dire autre-ment, à côté des relations formelles, toujours un peu acrimo-nieuses, il y a des relations d’influence croisées, plusinformelles, parfois peut-être inconscientes, et qui font qued’une part, un peu de réflexivité pénètre la police, et que d’autrepart, le point de vue policier est mieux pris en compte par lesoutsiders. Même si ce processus est long, sinueux, marquéparfois de reculs brutaux, il me semble que, sur le long terme,le bilan est plutôt positif.

7 février 2003. – À l’IHESI hier, on fêtait le nº 50 desCahiers, et J.-P. Brodeur et moi dissertions sur la recherchesur la police et son efficacité. J’ai oublié de mentionner quela recherche « Cohorte » avait soulevé à trois reprises une vivehostilité 7 : quand le DFPN mis devant les résultats parJ.-M. Erbès et moi nous rétorqua : « Vous savez bien qu’à cegenre de question, on répond n’importe quoi ! » ; quand le cour-tisan de service à la DFPN pondit une note se prononçant contrela poursuite de cette recherche (inutile, infondée, malveil-lante, etc.) ; quand le DCSP balança à J.-M. Erbès une lettre detrois pages s’indignant de ce que « je fais(ais) dire » à des poli-ciers, et qu’il « réfut(ait) » cette entreprise de subversion… Ne

6. Voir note du 8 septembre 2002.7. D. M. se réfère à l’année 1994 où les premiers résultats de l’étude « Cohorte »

avaient été divulgués publiquement à l’IHESI.

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pas oublier de préciser ceci en annexe d’une publication« Cohorte ».

Étatisme et sécurité privée : la compulsion étatique des idéo-logues policiers, qui se manifeste entre autres par le postulatsacré de l’identité Sécurité = État et la construction de lalégende noire des polices municipales, la municipalisationcomme repoussoir absolu, connaît un tempérament : les mêmes(à tout le moins nombre d’entre eux) consacrent une partie deleurs dernières années de « serviteurs de l’État » à nouer lesrelations avantageuses (pour parler comme Achille Talon) quipermettront de cumuler, sitôt les 55 ans révolus, leur retraite etde juteuses prébendes dans cette même sécurité privée. (Il y aainsi sans doute des mécanismes de socialisation anticipée quifrôlent la corruption, voir à l’inverse le refus opposé par L. Bui-Trong aux offres de recrutement d’ERM 8, grand recruteur depoliciers en préretraite…)

10 février 2003. – Dans « policing disorder », B. E. Harcourtprésente « Broken Windows » comme « a nine-page anecdotalessay that revolutionized policing 9 » (sic) et cette présentationest typique de la littérature négationniste sur l’insécurité, en cequ’elle énonce sans sourciller une proposition insoutenable :si l’essai est réellement « anecdotal », se peut-il qu’il ait révo-lutionné la police (comme la prise anecdotique de la Bastilleaurait révolutionné l’Ancien Régime) ? Et si la police a été réel-lement révolutionnée (comme l’Ancien Régime…), le levierpeut-il être qualifié d’anecdote ? Du même, p. 6, l’assimila-tion de « the broken windows theory » et de « aggressive policearrest practices », tout l’effort de Harcourt est de montrer :

1 : que les démonstrations empiriques/statistiques de BW netiennent pas la route, ce qu’on lui accorde volontiers : aucunplan d’analyse ne pouvant contrôler l’ensemble des« variables » susceptibles de jouer sur le(s) taux de victimation,mais il ne s’ensuit pas que la théorie est fausse ;

2 : que d’autres cités ont eu des résultats comparables avecd’autres modèles de policing, mais là encore, rien ne lie dansBW l’analyse proposée de la « spirale du déclin » et un modèle

8. Allusion au directeur d’une célèbre société privée de conseil en sécurité. Voir notedu 3 octobre 2001.

9. Bernard E. HARCOURT, Illusion of Order, the False Promise of Broken WindowsPolicing, Harvard University Press, 2001. Une version expurgée est parue en français :L’Illusion de l’ordre, incivilités et violences urbaines : tolérance zéro ?, Descartes etCie, Paris, 2006.

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de policing particulier ; BW dit qu’il faut s’occuper sans tarderde changer les fenêtres cassées…

C’est Kelling qui a prétendu que les stratégies du NYPDétaient la traduction littérale de BW ; c’est tout à fait discutable.Dans la même veine, on note que les plus acharnés à nier touteffet des stratégies policières sur le niveau de la délinquance àNew York énumèrent sans sourciller, parmi les facteurs alter-natifs censés avoir produit plus d’effet, l’augmentation massivedes effectifs de cette même police. Où on peut soutenir à la foisque la police ne fait rien à l’affaire, mais que 12 000 policiersde plus sont une raison substantielle de la baisse de la délin-quance. Comprenne qui pourra !

12 février 2003. – La notion de sécurité se déploie, et se spé-cifie sur (au moins) deux dimensions :

— celle qui se définit sous le label « sécurité intérieure » (etrecoupe en France les attributions du ministère de l’Inté-rieur) : elle intègre comme sources d’insécurité en premier lieules délinquances (violences urbaines, etc.), mais aussi ce qu’onappelle la « sécurité civile », c’est-à-dire les catastrophes dites« naturelles » (inondations, volcanisme, tremblements de terre,tempêtes…) et les risques (dits technologiques) liés aux acti-vités humaines : incendies, pollutions, diffusion de produitstoxiques, explosions, etc. ;

— celle qui ressort de l’internationalisation des activitéshumaines : sécurité militaire, au sens traditionnel, mais aussi,voire surtout multinationalisation des réseaux délinquants, maf-fieux et trafics en tous genres, et enfin les conflits internatio-naux, interculturels, voire interreligieux, qui recourent auterrorisme comme forme d’expression.

Les médias, dans leur fonctionnement quotidien, sérialisentinévitablement ces différentes sources d’insécurité. Le journal,télévisé ou non, va dérouler sans solution de continuité lehold-up réussi dans une agence bancaire du centre de Paris,l’attentat attribué à l’ETA à Madrid, l’explosion d’une usinede produits chimiques en Hongrie et le réveil menaçant d’unvolcan dans les Caraïbes. Il arrive aussi que ces occurrencessoient plus concentrées spatialement : les bombes explosent enCorse, la terre tremble à Nice et une marée noire souille lesCôtes-d’Armor.

Cette totalisation est de quelque façon inévitable, c’est uneffet pervers de notre accès de plus en plus exhaustif à tout évé-nement survenant sur la planète, et elle est parfois concrètement

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subie : on peut être à la fois inondé, évacué et voir par suitesa maison pillée. Elle est redoutable car elle engendre, avecun « sentiment d’insécurité » sans rivages, une confusion crois-sante des repères environnementaux et sociaux dont la perma-nence et la stabilité sont conditions du vivre ensemble.S’ensuivent des comportements de précaution, protection,retranchement, dont l’effet le plus certain, en vidant l’espacepublic et en le segmentant en une poussière d’espaces privésfortifiés, est de renforcer la vulnérabilité de chacun.

À l’inverse, la première tâche et le premier devoir de ceuxqui prétendent à une approche scientifique des insécurités sontde rétablir et de maintenir la spécificité (irréductibilité, incom-parabilité) des différentes sources d’insécurité, de contenirchaque forme et source d’insécurité dans sa problématiquepropre. Ce point est essentiel ; il fournit le critère décisif quipermet de différencier l’approche scientifique des insécuritésde leur exploitation intéressée. Chaque fois qu’un supposé« expert » procède à l’amalgame entre ces différentes sourcesd’insécurité, le diagnostic est assuré : on a affaire à un para-site, au sens précis du terme : celui qui tire sa substance, sonprofit, de l’exploitation d’autrui, et en l’occurrence du malheurd’autrui (et comme par hasard, le parasite prospère en symbioseavec le négationniste : celui qui dénie le malheur d’autrui).

12 février 2003. – À partir des mésaventures de la commis-saire en poste à M., chez C., où des jeunes étaient payés pourincendier des voitures, il serait intéressant de mettre en parallèleincendies de voitures et périodes préélectorales. De l’incendiecomme marquage insécuritaire particulièrement spectaculaire, àpartir duquel il est possible de se présenter aux électeurs commele chevalier blanc qui va restaurer la loi et l’ordre.

14 février 2003. – D’un coup de fil de Smolar 10 : évolutiondu nombre de dossiers ouverts par l’IGPN et l’IGS de 2000 à2002 : IGPN : 548 k 592 (+ 8 %) ; IGS : 360 k 432 (+ 20 %),ce second chiffre étant plus préoccupant, car l’âge moyen desflics parisiens est nettement plus faible que la moyenne horsParis.

Dans les techniques de manipulation du « 4001 », faireglisser les agressions en « tentatives » : elles ne sont pas enre-gistrées (voir François-Yves Boscher).

10. Piotr Smolar, journaliste au Monde.

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26 février 2003. – De source certaine, vérifiée, recoupée,attestée sur PV policiers : la municipalité de M. payait de lamain à la main (1 500 francs) des jeunes pour incendier desvoitures à la veille des élections municipales (+ forts soupçonsqu’elle n’était pas la seule, cf. Orléans). Le procureur local,informé par PV, fait tout pour étouffer l’affaire… Dans ce cas,on n’est plus dans la manipulation politicienne de l’insécurité,on est dans la fabrication crapuleuse d’une insécurité à des finspoliticiennes. Et ce sont évidemment les politiciens comme X.,leader local, qui réclament avec le plus d’ardeur « tolérancezéro ». Au passage : X. est énarque, ce qui une fois de plus,en dit long sur la qualité de la formation civique dans cettemaison…

26 février 2003. – Le ridicule ne tue plus : dans l’effroyablelogomachie de J. Sheptycki (« Accountability across the poli-cing field… »), cette perle : « Sociolegalists and others whoconcern themselves with accountability issues are, broadlyspeaking, concerned with the governance of governance. Bystaking out the various sectors of the policing field we can atleast judge the immensity of the task » (J. Sheptycki, 2002 11).Bof !…

28 février 2003. – De Didier Peyrat 12 (in Nouvel Observa-teur du 27 février 2003), cette juste observation : non seulementles plus pauvres sont les plus victimes (« moins on en a, pluson a à perdre »), mais les vols, petites agressions… « au-delàdes préjudices qu’ils entraînent, fabriquent des atteintes à ladignité : des humiliations. On n’est pas seulement dépouillé, ilfaut baisser les yeux ». « En tournant le moulin à prières d’unesociété future où les causes de l’insécurité auraient disparu »…

5 mars 2003. – La pol-prox n’est pas remise en question,dixit le ministère après la « sortie » de Sarko à Toulouse. Dansle même temps, une étudiante de Nancy sollicite la DCSP pourquelques observations et entretiens pour un mémoire de maî-trise centré sur la police de proximité. Réponse de la DCSP :refus motivé par « redéfinition des priorités d’action, remise encause de la police de proximité ». On ne saurait mieux dire…

11. James W. E. SHEPTYCKI, « Accountability across the policing field ; towards ageneral cartography of accountability for postmodern policing », in Monica DEN BOER

(éd.), Policing and Society. Issues on police accountability in Europe, 12, 4, 2002,p. 323-338.

12. Magistrat, vice-procureur de Pontoise.

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5 mars 2003. – Ce qui fait bavure, ce n’est pas la faute pro-fessionnelle ; comme son nom l’indique, celle-ci se trouve àl’identique, ou à peu près, dans toutes les professions. Ce quifait la bavure, c’est l’impunité dont cette faute bénéficie, depuisla dénégation de l’acte lui-même par l’intéressé et ses supé-rieurs, sa minoration quand il n’est pas niable, sa justificationensuite – en chargeant la victime – jusqu’à son absolution enfin,par la justice qui refuse de poursuivre (parquet), classe (juged’instruction) ou acquitte (juge du siège) systématiquement. Dela sorte, la bavure n’est pas tant policière que judiciaire…

6 mars 2003. – Il en est du sentiment d’insécurité comme dusalaire. Ce n’est pas en comparant avec le salaire du même tra-vailleur en Tunisie, ou le salaire du P-DG, qu’on peut raisonnerune revendication salariale. Ce n’est pas parce que Sao Pauloest infiniment plus dangereux que Marseille-Nord, ou que Mar-seille était plus dangereux il y a un siècle, que l’insécure deMarseille aujourd’hui sera rassuré… On ne peut pas objectiverle sentiment d’insécurité, contradiction dans les termes…

De l’exposé de Jean-Jacques Anglade 13 (ex-maire deVitrolles) : ce qui fait le grand militaire, c’est la capacitéd’imposer à l’adversaire le lieu et le temps de la bataille, enquoi Napoléon excellait. Il en est de même du grand politique,c’est lui qui fixe les termes du débat public : quand Jospin selaisse enfermer par Chirac dans le débat sur la sécurité, il estperdu, de même tous les maires qui se laissent imposer ce ter-rain par le FN. Ceux qui s’en sortent sont ceux qui ont la capa-cité de marginaliser ce champ, de déplacer l’affrontement sur unautre terrain.

Du même, un aperçu nouveau sur le rôle des TV dans l’arèneélectorale : TF1 échange à Mégret trois émissions « favo-rables », entre les deux tours, contre l’exclusivité de ses décla-rations le soir des résultats. En « échange », Anglade fait pareilavec France 2…

6 mars 2003. – (Rien à voir avec la police, mais avec lasocio) de Tzvetan Todorov, Devoirs et délices, une vie de pas-seur, Entretiens avec Catherine Portevin, Seuil, Paris, 2002 :« Je ne prétends pas détenir la vérité, je revendique seulement ledroit de la chercher, j’affirme que cette quête est légitime […]

13. Sur le rappel du contexte de cet exposé, voir l’introduction de J. Ferret et C. Mou-hanna dans Peurs sur les villes, vers un populisme punitif à la française ?, PUF, Paris,2005, p. 9.

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[plusieurs sens] le premier sens est celui de la vérité d’adéqua-tion, de la relation d’exactitude entre le discours et ce qu’ildésigne. C’est la vérité factuelle : la bataille de Stalingrad a étégagnée par les Russes, non par les Allemands ; à Auschwitz, ona tué des Juifs dans les chambres à gaz. […]. Une autre notionde vérité […] vérité de dévoilement : tel discours, telle interpré-tation, ne se contente pas de l’exactitude des faits, mais va enprofondeur, dévoile le sens caché, produit un tableau qui nouspermet de mieux comprendre ce qu’ont été certains événements.Il est clair que, de ce point de vue, aucune interprétation nepeut être déclarée définitivement vraie, seule vraie – une autreencore meilleure peut toujours surgir, […] la mesure de cettevérité-là est la profondeur, non l’exactitude… » (p. 120-2). Demême, à propos de Bakhtine 14, « son insistance sur notre dimen-sion sociale irréductible. L’homme comme un être en dialogue,[…] le dialogue apparaît ainsi comme le lieu par excellence oùs’épanouit le sens, et il est lui-même réglé par l’idéal de vérité,sans que cette vérité puisse jamais s’y installer… » (p. 170).

(Accueil des étrangers et violence bureaucratique) « Cespetites humiliations vous sont infligées par des gens qui, en réa-lité, ont très peu de pouvoir, mais qui, justement, veulent enjouir le plus possible : souligner la distance entre eux et vous,précisément parce qu’elle est faible ; vous faire sentir que vousêtes à leur merci leur donne le sentiment d’exister – une expé-rience nécessaire à tous, dont les plus faibles font les frais. Lesétrangers, qui n’ont aucun droit, se retrouvent souvent réduitsà ce rôle de faire-valoir » (p. 160), et tout aussi valable pourles flics, petites gens trop heureux d’en trouver parfois de pluspetits… « Cortés a écrasé les Aztèques, mais nous avons perdu[…] l’aptitude à vivre en harmonie avec le monde, avec notresociété, avec nous-mêmes. Nous avons introduit au sein mêmede la communication avec les hommes le modèle instrumental,qui réduit tout au schéma acteur-action-effet. À commencer parl’école, où c’est la seule capacité instrumentale, la performance,qui est valorisée […] comme si l’essentiel de nos actions devaitproduire un effet ! Les trois quarts d’entre elles échappent pour-tant à ce modèle. Si je vais voir un ami […] c’est parce que j’aidu plaisir à être avec lui… » (p. 187).

10 mars 2003. – Après bien d’autres, Sarkozy le répète àl’occasion de l’Assemblée générale du Conseil national de la

14. Mikhaïl Bakhtine, philosophe et théoricien de la littérature.

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protection civile (discours du 25 février 2003) : « La sécuritéest l’affaire de tous… », mais pas tous de la même façon, desmaires plus que des SDF, des notables plus que des jeunesbeurs, des commerçants plus que des gitans, etc.

13 mars 2003. – Du papier de Brodeur-Leman-Langlois,« La nouvelle surveillance, induction et déduction », manuscrit,mars 2003 :

— Le « clivage de la surveillance […] d’une part, leseffectifs déployés sur le terrain qui fonctionnent à l’induction etau coup par coup, dans le meilleur des cas, et qui marchentau stéréotype et à la rafle, dans le pire. D’autre part, […] uncorps de surveillants à distance scrutant le terrain au travers demodèles du risque intégrés au programme de leurs machineset qui instrumentalisent au besoin les effectifs de terrain poureffectuer des frappes d’ampleur variable » (p. 16).

— « L’acquisition d’instruments technologiques n’est pasdans la majorité des cas gouvernée par un principe d’adéquationmais par un principe de disponibilité ; […] celui qui investitdans la technologie ne se procure pas tant l’instrument adéquatque l’instrument disponible, la distance entre les deux variantde manière considérable. C’est du fond de ce creux entre l’adé-quat et le disponible que proviennent les effets non anticipés del’adoption d’une technologie par une profession » (p. 16).

— « Les vérifications de la validité des infos contenues dansles banques de données de la police et (plus rarement) des ser-vices de renseignements révèlent un pourcentage très élevéd’erreurs (… dans 40 % des inscriptions) » (p. 17).

20 mars 2003. – Gilles Sanson n’a pas tort de pointer la« vanité » des commissaires, mais si elle en a toutes les appa-rences, ce n’est pas exactement de vanité qu’il s’agit. Lescommissaires ont un fantasme : celui d’échapper à la détermi-nation de « flic », où ils côtoient le plus minable gardien dela paix, ou le plus ripou des inspecteurs, et d’accéder à cellede « cadre supérieur, manager, haut fonctionnaire de l’État ».Or tous leurs efforts dans ce sens, leur compétition avec l’ENM[École nationale de la magistrature], leur aspiration aussi tou-chante que pitoyable de se mesurer à l’ENA, qui exprimentcette idée fixe, sont régulièrement balayés par le retour du« flic ». Cette profession si fière d’elle-même, si prompte à sepousser du col, a pour singulière propriété de nier en perma-nence son être même, d’essayer de se faire passer pour autrequ’elle n’est…

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21 mars 2003. – « On savait déjà tout cela… cela ne nousapprend rien… », ne cessent de répéter des commissaires quandon leur présente des résultats de recherche : l’autonomie du gar-dien de la paix, le rôle décisif du commandant de CRS, la mani-pulation de l’événement, le filtrage de l’information, etc. : « Onsait cela de toute éternité, et les chercheurs ne font que nousréinventer à grands frais et grand tapage nos fils à couper lebeurre. » Sans doute, sans doute, concède avec humilité le cher-cheur pris en flagrant délit de trivialité. Sans doute, maiscomme je n’avais trouvé aucune trace de tout cela dans vosmanuels, instructions, formations, et autres exposés doctrinaux(et ni même dans vos mémoires), je me risque à suggérer quepeut-être était-il utile de formaliser, expliciter, diffuser ceschoses que néanmoins tout le monde est donc supposé savoir,mais qui restaient non dites. On pourrait ainsi les travailler etles enseigner. À quoi on lui rétorque qu’elles n’étaient pas« non dites », mais tellement évidentes, tellement partagées, sibanales, que cela justement allait sans dire… Quel intérêt à pro-férer des évidences ? Sans doute, sans doute, opine le chercheurdécidément contrit.

Quoique. Prenons un exemple en effet fort trivial. Commetout le monde le sait, donc, à la différence de la Sécuritépublique – où qualifications, savoir-faire et compétences sontappropriés par chacun individuellement, et mises en œuvre indi-viduellement ou en toutes petites équipes –, la compétence dansune CRS est tout entière concentrée dans le commandement : lecommandant au premier chef et sa poignée de cadres (le capi-taine et trois ou quatre lieutenants). Il en ressort cette observa-tion tout à fait triviale, à nouveau, que tant vaut le commandanttant vaut la compagnie, et la même unité qui était une bandeindisciplinée peut devenir en quelques mois une formation par-faitement efficace et disciplinée sous un commandement qua-lifié, et inversement… Puisque tout le monde le sait, il va de soique cette aptitude au commandement (opérationnel) est le pre-mier, voire l’unique critère de promotion et d’affectation deschefs d’unité… et que la prévalence de ce critère est tout àfait explicite aux yeux de tous. À ce moment se font entendrequelques toussotements. On entend à nouveau énoncer qu’il estinutile de claironner ce qui va sans dire… Quoique, bien sûr,grosse bureaucratie, organisation complexe, etc., il peut y avoirici ou là une exception, mais ce ne sont qu’épiphénomènes toutà fait marginaux… Où le chercheur commence à soupçonner

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qu’il a peut-être fait contrition un peu vite. Et si, par hasard,sur les 61 commandants de compagnie, au regard de la capacitéopérationnelle et donc de la fiabilité absolue en MO [maintiende l’ordre], si, par hasard et par extraordinaire, il s’en trouvaitune poignée – voire une grosse poignée – dont ce n’était peut-être pas la qualité la plus manifeste, et qui – éventuellement –auraient pu devoir leur promotion à quelque autre critère ? Etsi, pour parler clair, à cette seule aune de l’efficacité opération-nelle, un quart ou un cinquième des compagnies, et donc descommandants posait question (au service central, tout aumoins), quand il s’agit d’opération délicate ? Ne serait-ce pasque, précisément, faute d’avoir explicité clairement ce qu’étaitla qualification essentielle du commandement de compagnie, del’avoir laissée dans une indétermination floue, dans un sup-posé consensus implicite, on avait laissé place pour tous leserrements ?

En d’autres termes, il est sans doute facile, et fort rassurant,de venir nous dire avec arrogance teintée de mépris, que biensûr tout cela était connu de toute éternité, et que les chercheursne nous apprennent rien, il est beaucoup plus difficile de nousexpliquer pourquoi, si tout cela allait sans dire, il en est fait sipeu d’usage, si peu mention, si peu recours dans les pro-cessus concrets de formation, d’opération, de commandementde la police : quand la statistique de la délinquance se remetà augmenter, il est tout à fait convaincant de nous expliquerque c’est parce que précisément la police de proximité se meten place, et – contrairement à ce qu’un vain peuple pense (etvote…) – c’est le signe de ce que la police fonctionne mieux.Mais il manque dans la démonstration un détail infime : si eneffet tout cela va de soi, si la montée statistique de la délin-quance apparente est tous comptes faits une bonne nouvelle,pourquoi diable s’est-on obstiné à garder cet indicateur para-doxal, et tout aussi obstinément refusé à mettre en place lesindicateurs alternatifs, l’observatoire indépendant de la délin-quance qui auraient attesté infiniment mieux, et de façon infi-niment plus crédible, la pertinence de l’argument ? Impéritie,sabotage délibéré de la politique gouvernementale, pulsion sui-cidaire ? Le chercheur conserve sa question. Si tout cela étaitaussi évident, aussi limpide aux yeux de tous, pourquoi lesconséquences les plus simples en termes de gestion, forma-tion, commandement sont-elles si peu visibles ? Pourquoi, tout

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au contraire, l’institution affiche-t-elle des normes qui reposent,elles, tout à fait explicitement, sur des postulats contraires ?

Bref, à nous répéter hautainement que la recherche n’apprendrien à personne, nos interlocuteurs s’enferment dans un délicatdilemme : si c’est vrai, pourquoi toutes ces connaissances sont-elles ainsi totalement laissées en friche ? Pourquoi faut-il desmois, des années, et quelques expériences douloureuses pourque le jeune commissaire en vienne à dire (très discrètement) :« Finalement, ce que le sociologue Monjar-quelque chose nousavait une fois raconté à Saint-Cyr sur l’autonomie du gardien dela paix et l’inversion hiérarchique et qu’on n’avait écouté qued’une oreille fort distraite (un pékin, vous pensez !), finalement,on aurait gagné pas mal de temps, et on se serait évité quelquesgros pépins, si on y avait prêté plus d’attention, et si nos ensei-gnants nous l’avaient un peu plus décortiqué… » Mais si onne savait pas tout cela de toute éternité, si les chercheurs parmégarde nous apprenaient quelque chose, qu’en adviendrait-ilde notre superbe, et de notre excellence ? On ne saurait ouvrirpareille brèche impunément ; les énarques, voire les magistrats,sans parler des journalistes, bref tous ceux qui nous veulent dumal risqueraient de s’y infiltrer. Verrouillons donc à triple tour.Ce n’est pas demain la veille que quiconque nous apprendraquoi que ce soit !

Et c’est ainsi que, nonobstant vingt ans de recherches, enFrance, un demi-siècle d’accumulation de connaissances si onintègre la recherche anglo-saxonne, l’enseignement dans lesécoles de police est encore et toujours aussi abstrait, aussiformel, aussi déconnecté des réalités que gardiens de la paix,inspecteurs et commissaires vont concrètement affronter. Pour-quoi les groupes professionnels policiers sont-ils, à la différenced’autres professions, incapables de se doter d’associations pro-fessionnelles ? Pourquoi, pour tout dire, la professionnalisa-tion policière, est-elle encore dans l’ensemble aussi médiocre ?Quand on sait tout avant d’avoir rien appris, il n’y a en effet pasd’espace pour la compétence et le professionnalisme.

22 mars 2003. – Hélène L’Heuillet, le texte et la chose 15.La raison pour laquelle je ne comprends pas ce que raconteH. L’Heuillet est simple finalement. Sous le même mot, nous neparlons pas de la même chose. Quand elle parle de police, elle

15. Hélène L’HEUILLET, Basse politique, haute police. Une approche historique etphilosophique de la police, Fayard, Paris, 2001, 434 p.

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cite des textes, travaille des définitions, descriptions, prescrip-tions, des écrits, des mots. Quand je travaille sur la police, jeraisonne sur des pratiques, des conduites, des actions, une orga-nisation et une division du travail, des interactions, des compé-tences et savoir-faire, une idéologie professionnelle, etc. Bref,elle identifie les mots et la chose, quand toute ma qualifica-tion de sociologue me conduit à pister la chose sous les mots, endeçà des mots, et le plus souvent contre les mots. Il y a d’autantmoins de raison qu’on se comprenne que la police est proba-blement un des domaines dans lesquels la distance entre lesmots et la chose est la plus grande, au sein de l’institution elle-même d’abord, et dans ce qu’elle donne à voir à l’extérieurensuite. Il s’agira donc de s’abstenir soigneusement de critiquerL’Heuillet, et de lui signifier ceci si d’aventure elle juge bon deme viser…

Seconde raison, je pratique une discipline dont tous les cri-tères de validité tournent autour de la preuve empirique :données d’observation vérifiables, reproductibles. L’H. fonc-tionne à l’argument d’autorité, citation ou affirmation, qui sesuffit à lui-même. La sociologie se construit contre l’argu-ment d’autorité. Ergo, je n’accepte pour vrai rien de ce qu’elledécide tel, et elle juge possible de dénier une observation empi-rique parce qu’elle contredit un discours plus titré. Sur cesbases, il n’y a pas de compromis possible. Si j’ai raison, elleraconte n’importe quoi. Si elle a raison, ce que j’avance estinsignifiant.

25 mars 2003. – Un document instructif : le compte rendu,parmi d’autres, de l’audition de P. Bergougnoux/C. Dechar-rière 16 au Sénat, le 24 avril 2002 (in Délinquance des mineurs :la République en quête de respect, rapport de la commissiond’enquête nº 340 (2001-2002) du 27 juin 2002, Sénat, tome II,annexes, 438-454). On trouve un concentré des réflexes routi-niers du ministère de l’Intérieur et de la DGPN :

— « Les intervenants ont demandé à être entendus à huisclos. » En vain, heureusement…

— Affirmer tout et son contraire : « La délinquance desjeunes ne concerne qu’une part infime de notre jeunesse, maiscette part infime a aujourd’hui un impact considérable. »

16. Directeurs successifs de la Police nationale au temps de la réforme dite de lapolice de proximité.

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— Et dans le même temps, toute la compétence qu’on metpour maîtriser un phénomène qui, cependant, devient de plus enplus grave…

— La routine de la désignation, pour tout problème, d’unresponsable ; après quoi, on feint de croire que la question priseen charge est sous contrôle : « Ce triptyque référent départe-mental-brigade des mineurs-correspondant local… », « Desofficiers de prévention de la violence dans le sport ont étédésignés… »

— « Je conclurai… en évoquant quelques actions préven-tives… », ou la politique gadget (CLJ [correspondant localjeunes], opérations [anti-]Été [chaud]…).

— Des contradictions dans la même page : « Les efforts…ont commencé à porter leurs fruits même s’il faut être très pru-dent en la matière. En 2001, le nombre de mineurs délinquantsa ainsi diminué de près de 2 % par rapport à 2000. » Mêmepage : « Une légère diminution de 1,80 % en 2001, mais ellen’est pas significative. »

— « Nos effectifs… nous sommes très en deçà de ceux del’Espagne, de l’Italie, de l’Allemagne et nous nous situons aumilieu du tableau des quinze pays de l’Union… une étuderéalisée à mon initiative par le service de coopération de lapolice nationale qui a fait le tour des pays européens et qui cor-robore mes propos » (le sénateur Hyest, plus loin, s’inscrit enfaux…).

Dans le même texte (p. 6), le sénateur Humbert expliquepourquoi, découragé, il ne porte plus plainte…

Même rapport, audition de Philippe Lutz, commissaire prin-cipal à Noisy-le-Grand : « La police de proximité, et surtoutl’un des éléments clés de cette dernière, à savoir la gestion parobjectifs de la sécurité » (et c’est la première fois que j’entendscela…) ; une fiche à l’intention des parents des primo-délin-quants : devoir d’éducation, rappel du code civil, numéro detéléphone de la brigade des mineurs ; intervention dans écolespréparées par questionnaire élèves, et suivie par questionnaired’évaluation et débriefing avec classe et profs ; travail avec lesassociations de parents d’élèves, jusqu’alors pas associées (eneffet !). Et avec les associations de quartier : réunions de quar-tier tous les trois mois, casser la routine de la réunion défouloir(plainte contre la police jamais là…), les utiliser pour expliquerles choses aux parents des auteurs, qui n’ont que la version dugamin quand ils viennent le récupérer au commissariat à l’heure

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où l’officier traitant est parti, et où ils tombent sur le gardiende la paix de perm. qui ne connaît rien à l’affaire. « L’aspectpréventif […] ne peut pas se passer d’un dispositif répressiftrès fort. » Bons exemples, sur sa seule circo[nscription], del’impossibilité d’avoir le même dispositif partout : ce quimarche dans un quartier est inadapté pour l’autre. « La police aune figure d’autorité, mais dont nous constatons qu’elle n’estpas toujours respectée, contrairement à celle de quelqu’un quivit en permanence dans le quartier… » Bonne démonstrationde ce que, si on prend les réunions avec les habitants au sérieux,elles imposent à la police une continuité, un suivi de sonaction : « Il nous faut avoir cette sorte de transparence devantles gens » ; « la mise en place de la police de proximité n’apas affaibli la police judiciaire parce que les renseignementsexploitables parviennent de façon beaucoup plus massive » ;« fonctionnaires extrêmement jeunes. Certes c’est un inconvé-nient car ils ont une faible expérience, mais c’est aussi unénorme avantage car ils sont très motivés » ; « les CLS ont peuprévu la phase d’évaluation. Or si cette phase était véritable-ment menée à bien, un travail en lien beaucoup plus étroit pour-rait être effectué ».

Il faudrait comparer systématiquement la langue de bois d’uncôté et l’expérience passionnante de Lutz de l’autre. Ce qui fai-sait défaut à la DCSP était précisément cette capacité de repérerles bons, et d’exploiter, populariser leur expérience.

26 mars 2003. – De Laurent Bonelli au colloque « surveil-lance » de Cultures & Conflits, le 25 mars 2003 : « Une rela-tion de fascination répulsion entre les RG et les groupespolitiques qu’ils surveillent… une rivalité mimétique », dit-il, etcela s’applique à merveille à la relation entre Bonelli et les RG(en particulier, les flics en général).

Au passage : si je n’ai absolument rien appris dans un exposéde quelqu’un qui a longuement travaillé sur le champ, qui s’estastreint à une analyse des carrières des 241 commissaires RGrecensés dans l’annuaire SCHFPN, etc., quelle est la valeurajoutée de Bonelli, entre un matériel empirique de secondemain et une grille d’interprétation théorique universelle ?

Une remarque de J.-P. Brodeur, à la suite des jugements(féroces) prononcés par le sénateur Church 17 sur les capacités

17. Dirige la commission d’enquête sur les services de renseignements américainsaprès les attentats du 11 septembre 2001.

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d’analyse (du renseignement) des policiers : l’idée que les poli-ciers seraient des « travailleurs du savoir » (R. Ericson) 18 ensort sérieusement dévaluée (commission sénatoriale d’enquêtesur le FBI et la CIA).

31 mars 2003. – Toujours d’une discussion avec J.-P. Bro-deur : en matière de statistiques de la délinquance, il y a unnoyau dur à peu près infalsifiable, c’est celui des homicides (etquelques autres sans doute : vol à main armée par exemple). Secaler sur celles-là : quand elles baissent, c’est en effet qu’il sepasse quelque chose de sérieux dans le champ.

3 avril 2003. – Du discours de J.-P. Proust, préfet de police(devant le conseil régional d’Île-de-France le 27 mars 2003 :p. 4 et 5), un bon exemple de l’habituelle confusion qui entoureles statistiques d’activité policière :

P. 4 : renforts de 400 hommes k 1 300 au lieu de 900 = « cedispositif permettra non seulement de tripler les patrouilles entenue sur les lignes… », d’où il ressort que si 400 + X = 3X, X(effectifs affectés aux patrouilles en tenue sur les lignes) était= 200. Que faisaient les 700 autres ?

Plus loin, on apprend : « Seconde priorité, le renforcementdes patrouilles sur l’ensemble des lignes du réseau. Pour cefaire, c’est un total de 900 policiers en tenue, contre564 aujourd’hui, qui seront affectés au service de sécurisationgénérale… » Donc on triple les patrouilles, mais grâce à uneffectif qui n’est augmenté que de 336/564 = 60 %.

P. 5 : « Tant et si bien que globalement le nombre despatrouilles aura triplé sur les lignes. Alors que par le passél’action combinée du service du métro et de la Brigade deschemins de fer aboutissait à un total de 45 patrouilles en tenueet 5 patrouilles en civil, soit 50 patrouilles, le nouveau servicepermettra de déployer 135 patrouilles en tenue et 26 patrouillesen civil, soit un total de 161 patrouilles sur 24 heures. » (Répétéplus loin : « notre nouveau dispositif composé de trois fois plusde patrouilles… »)

On laisse tomber les civils, pour la tenue, on passe de 45 à135 patrouilles, soit en effet × 3 k retour à la case départ : il yavait 564 policiers qui faisaient 45 patrouilles = 1 patrouillepour 12,5 policiers. On en a 900 qui en font 135 = 1 patrouillepour 6,6. Faut-il comprendre qu’il y a deux fois moins de

18. Allusion à l’ouvrage de R. ERICSON et K. HAGGERTY, Policing the Risk Society,Clarendon Press, Oxford, 1997.

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policiers par patrouille ? Que les patrouilles sont deux foismoins longues ? Que les policiers travaillent deux fois plus ?Mystère…

3 avril 2003. – Dans son rapport 2002 sur le système édu-catif, la Cour des comptes critique « le renoncement progressifdu ministère [et des académies] à faire prévaloir avec constancel’intérêt du service sur les revendications des différentes caté-gories d’agents » (cité par Le Monde du 3 avril 2003). On endirait autant de bien d’autres ministères, mais cela s’adapte par-ticulièrement bien aux policiers…

7 avril 2003. – Du séminaire Brésil : il faut trois condi-tions pour qu’une réforme policière soit effective : 1. on neréforme pas la police seule, mais l’ensemble de la chaînepénale : police + justice + prisons (pas de police propre avec unsystème pénitentiaire indigne et/ou corrompu) ; 2. sans doute laréforme procède du haut (politiques = institution), mais elle nepénètre l’organisation policière que si elle trouve suffisammentd’alliés relais dans la profession ; 3. enfin, pas de réforme poli-cière significative qui ne soit que pour la police, c’est tou-jours in fine le rapport avec la population qui est le critère dela réforme : elle met en pratique une accountability (un compterendu) à l’égard de la population, ou non, et dans ce dernier casce n’est que réaménagement corporatif. Noter que les condi-tions 2 et 3 sont pour une part contradictoires.

7 avril 2003. – Du rapport Carol Tange (voir biblio pol-prox) 19, ces notations :

— p. 81 : en notant que dans l’aide sociale, ou supposéetelle, des policiers, « la logique du “donnant-donnant” prédo-mine », on implique (sans nécessairement s’en rendre compte)que de ce fait, on n’est pas dans du travail social, qui exclutcette réciprocité…

— p. 82 : il n’est pas nécessaire que les chercheurs repren-nent à leur compte sans autre examen le stéréotype policier quivoudrait que « lutte contre le crime » et « gestion de l’ordrepublic en vue de préserver la paix publique » soient non seule-ment disjointes, mais alternatives, et pour tout dire exclusives…

— p. 83 : où il apparaît que la question n’est pas celle desavoir qui (quel policier) fait quoi sur quel terrain, mais bien qui

19. Rapport belge du séminaire européen OISIN II (Barcelone) qui avait pour objetde comparer la mise en œuvre des réformes de polices de proximité en Belgique, Franceet Catalogne.

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détermine l’échelle des priorités dans le service de police. La pol-prox n’est pas un problème de généralisation de l’îlotage, mais departage des pouvoirs dans la définition des tâches policières. Lapolice de proximité n’est pas une question de distance, c’est unequestion de pouvoirs : qui définit les priorités de l’action poli-cière ? Les flics ou les gens du quartier, la demande sociale ? Etc’est bien à ce renversement de pouvoirs que les policiers s’oppo-sent, sans qu’il soit besoin d’aller chercher là on ne sait quellerésistance à on ne sait quelle « révol-cul »…

7 avril 2003. – Du projet T. Colombié et M. Schiray (AO,IHESI, 2003) 20 : « constitution de passerelles (relations,amitiés, intérêts, échanges de services) jetées par les criminelsvers la société civile […] relèvent aussi d’acteurs de la sociéténon criminelle qui cherchent à utiliser le savoir-faire des mal-faiteurs pour diverses opérations (mercenariat, espionnage, inti-midation, homicide) » (modèle de La Lettre pour le Kremlin).

11 avril 2003. – Notes de synthèse de la réunion OISIN II àBarcelone :

Le projet d’évaluer la police de proximité a deux faces : éva-luer un processus de réforme (son effectivité…) et ce qu’il meten œuvre (en principe) : une police de proximité. Est-ce qu’onpeut distinguer la démarche de réforme (en France, d’une admi-nistration centralisée) et la nature et le sens de cette réforme :vers une police de proximité ? Est-ce que réformer la police estéquivalent à réformer n’importe quelle administration ? Cf. leparadoxe : je vous ordonne de vous adapter, décentraliser, auto-nomiser, prendre vos distances…

Peut-on réformer la police seule, indépendamment de la chaînepénale (justice, pénitentiaire…). Et si non, comme il est probable,quel accompagnement est nécessaire dans ces autres champs ?

Dans toute réforme il y a à la fois 1. élaboration doctrinale,2. traduction organisationnelle et 3. outils pratiques, opéra-tionnels, correspondants. Les distinguer pour évaluer la mise enœuvre de chacun de ces niveaux, de toute évidence décrois-sante : 1 k 2 k 3.

La notion de police de proximité est polysémique, cela vade la police répressive sur le mode NYPD/tolérance zéro à lapolice « bonbon » repoussoir des Québécois (et de quelques

20. Notes sur la réponse à un appel d’offre de l’IHESI. D. M. a toujours été de pleindroit dans son comité de lecture, en tant que directeur scientifique du conseil d’orien-tation de l’Institut.

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autres). Préciser le sens tout en notant que les différencess’estompent peut-être au fur et à mesure qu’il y a généralisa-tion de la pénalisation des conduites : les lois Sarkozy/Perben :cage d’escalier et racolage passif. Avant même celles-ci, onpeut questionner le recours au délit d’outrage comme vecteur decette criminalisation croissante des incivilités.

Quid de la résistance au changement ? Idée courte ici commeailleurs. Noter par exemple que, dans la police de proximité, lepolicier dit « de base », celui qui serait supposé allergique auchangement, est d’abord le policier qui est « au front » : là oùon prend les (mauvais) coups. (Exemple de l’armée américaineen Irak, dont on nous dit qu’il y a un combattant de premièreligne pour dix hommes à l’effectif : les 300 000 signifient enréalité moins de 30 000 sur le terrain.)

L’expérience et sa généralisation. Toute réforme peut exhiberson secteur « expérimental » réussi, et qu’on fait inlassable-ment visiter aux officiels. Le plus certain, dans l’administration,est qu’elle regorge sans doute d’expériences passionnantes,mais qu’on n’a jamais su comment les généraliser, autrementque par des circulaires générales et interminables, par définitioninopérantes.

Le coût de la réforme et le problème des « moyens ». On saitque pour ceux-ci, du point de vue des intéressés, le compte n’yest jamais. Ce qui justifie le plus aisément l’échec : « On n’apas donné les moyens requis. » Sauf que, dans la police (commedans la plupart des métiers de service, éducation, justice, tra-vail social, etc.), les moyens n’y sont jamais, le déficit demoyens est consubstantiel à une activité qui ne saturera jamaisdes besoins extensibles à l’infini… k Comment évaluer lesmoyens « réellement » requis (et leur déficit) ?

14 avril 2003. – Pour le bouquin de J.-P. B. 21, le situer entre« descriptif » et « discursif » (comme H. L’Heuillet qui prendau pied de la lettre tout discours pourvu qu’il émane d’un vieuxgrimoire).

Mai 2003. – Montréal : le rapprochement police-populationest désigné ici comme « bal des porcs-épics », belle métaphore,source inconnue…

27 mai 2003. – De Christine Lazerges dans Libération du27 mai 2003 : le nombre des détentions provisoires est reparti

21. Jean-Paul BRODEUR, Les Visages de la police, Presses universitaires de Montréal,2003.

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à la hausse k « Est-ce l’impact de la dramatique affaireBonnal ? Le choc des faits-divers serait-il plus fort que le poidsdes textes ? Si oui, cela devrait donner à réfléchir au législa-teur ». Bel inconscient de la juriste-parlementaire-socialiste :deux policiers abattus, c’est un « fait-divers », et on s’étonne dela popularité de la gauche dans la police !…

28 mai 2003. – « 4001 » mode d’emploi, suite : d’un articledu Canard, 23 avril 2003, p. 4 : copie de la note de service14 mars du commissaire central d’Antibes qui enjoint à« l’ensemble des procéduriers […] d’accentuer et rapidement letraitement de leurs dossiers dans les domaines où les taux d’élu-cidation sont faciles à réaliser (CBV [coups et blessures volon-taires]… ILE [infractions à la législation sur les étrangers]…ILS [infractions à la législation sur les produits stupé-fiants]…) » (quel français, en outre ! ! !).

2 juin 2003. – Maurice Cusson note justement que si l’effi-cacité policière est difficile à mesurer, les conséquences de sadisparition, elles, sont mesurables (Copenhague 1944 : lesforces d’occupation allemande arrêtent tous les policiers danoiset il s’ensuit une multiplication par dix des vols à main arméedans la ville). Il en va de même de l’abstention policière (grèves– lesquelles sont parfaitement mesurées 22).

Du même, p. 395, une judicieuse présentation du rôle del’information dans l’action policière : « L’action sera d’autantplus adéquate, opportune et efficace qu’elle prendra appui surune information concrète, riche et précise. On comprend alorspourquoi les organisations policières investissent dans lerenseignement. »

Et encore p. 395 : « La loi encadre la police et fixe deslimites à son pouvoir, elle lui interdit certaines actions, maiselle ne lui dit pas ce qu’il faut faire », ce qui n’est pas tout àfait exact : Cusson prend le parti de la masse policière, mais uneminorité argumente très bien que la loi au contraire dit préci-sément ce qui doit être fait… De même quand il identifie policecommunautaire et partenariat, comme « accessoire de la sécu-rité » (p. 396).

Par contre, une belle démonstration sur la prévention : lapolice n’intervient pas quand la prévention a échoué, c’est laprévention qui est la fin du cycle de l’intervention policière :

22. In Revue internationale de criminologie et de police scientifique et technique,vol. LIII, nº 4, 2000 : « Qu’est-ce que la sécurité intérieure ? », p. 390.

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quand celle-ci est (heureusement) finie, quelles mesures prendrepour qu’elle n’ait pas lieu de se reproduire ? Une idée forte : laprévention comme conséquence de l’action policière.

16 juin 2003. – « Intervention » de J.-P. Proust, PPP, àl’occasion de la signature du contrat de sécurité du 6e arrondis-sement, le jeudi 12 juin 2003 : « La lutte contre les vols à latire. […] L’intensification des patrouilles et les surveillancesexercées par des policiers spécialisés dans ce type de vols ontpermis de faire reculer ces infractions de 30 % » (site Internet,PPP). Qui dira encore que la patrouille pédestre ne sert àrien… ?

25 juin 2003. – Dans Le Figaro du jour : limogeage du préfetde Haute-Corse à la suite d’incidents survenus lors de la visitede Sarko et Raffarin, le samedi 21, et commentaire de l’« entou-rage du ministre » : « l’objectif numéro 1 d’un préfet estd’assurer l’ordre public, surtout dans ce genre de circonstances.Or force est de constater que cela n’a pas été le cas… » (Nou-velle vérification d’un des théorèmes de Monjardet…)

5 septembre 2003. – De Olivier Foll (L’Insécurité en France.Un grand flic accuse, Flammarion, 2002) : « Signalons que lapolice de proximité n’est que la copie conforme de celle miseen place en 1987 par le directeur de la police de New York.Quelques années plus tard, le nouveau maire de la ville,Rudolph Giuliani, devant les résultats médiocres de sa policede proximité made in USA, s’empressait de la supprimer pourimposer avec fermeté la “tolérance zéro”. La délinquance baissafortement et durablement. Cet exemple mérite réflexion… »(p. 168-169). Mais le même (p. 18) avait cité A.-M. Ventredisant : « Il faut placer les commissariats centraux dans leszones de non-droit et mettre en place un maillage de quartier. »So what ? Et ceci, encore : « Le jour où la réclusion à perpé-tuité deviendra une vraie réclusion à perpétuité, ou que (sic) lespeines incompressibles seront rigoureusement respectées, il y afort à parier que le nombre de candidats au crime diminueraincontestablement » !

1er décembre 2003. – La mobilité géographique des policiersn’est pas seulement une contrainte imposée, c’est aussi, notam-ment pour les chefs de service, une disposition précieuse : nejamais rester (longtemps) en place permet de n’être jamais res-ponsable de l’état des lieux (et quand Sarkozy annonce en arri-vant au ministère de l’Intérieur qu’il n’est là que pour deux ans,

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il se garantit de la même façon contre une évaluation sérieusede son action…).

16 décembre 2003. – On peut prolonger la métaphore deD. Peyrat (in Le Débat, novembre-décembre 2003, p. 108) :L. Mucchielli et les siens sont à la délinquance des jeunes ceque l’Auto Journal est à la délinquance routière : ce n’est jamaisle conducteur qui est en cause ; s’il y a 10 000 morts sur lesroutes en France, c’est parce que le réseau routier est mal entre-tenu, il n’est donc pas question de limiter la vitesse, etc.

notes de l’année 2003

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Notes de l’année 2004

3 février 2004. – Les éditeurs ne se souviennent de nos droitsque lorsqu’ils ont besoin qu’on les leur cède.

16 février 2004. – Dans un article « La tribu des motards »,Arnaud Lacaze cite le capitaine Bartolo, adjoint du directeur duCentre national de formation des motards de la gendarmerie àFontainebleau. Ce dernier « souligne la nécessité de donner auxmotards “les moyens pédagogiques de comprendre et d’expli-quer la règle” » (manuscrit p. 3). On ne saurait mieux dire quecette nécessité s’étend bien au-delà des motards et du code de laroute, mais à toute intervention de la force publique… et c’estpourtant ce qui fait le plus défaut dans les formations poli-cières… Au passage, A. L. note que « le métier de motards’exerce… en groupe », cette dimension du travail ne doitjamais être sous-estimée. Par exemple, c’est sans doute elle quidifférencie radicalement les commissaires des autres policiers…La formation des gendarmes (et des policiers) développe nor-malement « les valeurs collectives de fraternité, de solida-rité… » (ibid., p. 5) ; la question est de savoir quand est-ce quecelles-ci dérivent en corporatisme et complicité.

22 mars 2004. – Sur la loi et le discernement, cette cita-tion d’un commissaire à F[rédéric] O[cqueteau], extrait de sesconsignes à ses troupes : « Le plus important n’est pas le res-pect du code : le P-V doit être fondé non sur l’infraction, maissur la gêne […]. Dans la rue X., je règle avec les patrons despeep-shows ce qui est “acceptable” ou “pas acceptable” auniveau des filles. On essaie que la rue soit “acceptable”, de fairecohabiter les gens. Je passe beaucoup de temps à expliquer aux

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uns et aux autres d’essayer de se tolérer… » (CP, 53 ans, chefPUP commissariat Paris, promu au choix).

22 avril 2004. – Statistiques police N[ew] Y[ork], source :US Department of Justice, Bureau of Justice Statistics, SpecialReport, May 2002, NCJ 175703 (Internet) :

NYPD 1990 2000Évolutionen %

Police Department, effectif total 39 398 53 029 + 34,6 %

Dont policiers 31 236 40 435 + 29,4

Policiers par 100 000 habitants 427 505 + 18,4

Budget total (M $) 2,73 3,21 + 17,7

Crimes violents 174 689 75 745 – 56,6 %

Crimes contre la propriété 536 867 212 623 – 60,4 %

Les effectifs 1990 du NYDP incluent les polices des trans-ports et du logement, qui ont été fusionnées avec le NYPD enavril 1995. Le NYPD est, sur les dix villes américaines de plusde un million d’habitants, celui où les effectifs policiers rap-portés à la population ont le plus augmenté (+ 18,4 %, contre+ 12,7 % pour la suivante, Las Vegas) mais c’est à NY que labaisse de la délinquance est la plus forte, d’assez loin : les sui-vants sont – 40,8 % de crimes violents à Chicago, et – 56,2 %de crimes contre la propriété à San Diego.

22 avril 2004. – Pour l’article projeté pour Jean-Paul Bro-deur, pour novembre 2004 à Montréal, la résistance de la policeau projet de connaître 1 : pas seulement la résistance délibéréeopposée par les policiers à l’investigation externe, mais aussiet surtout une indétermination irréductible de l’objet police, quine se laisse pas appréhender dans une définition, qui en débordeconstamment. En parallèle, et peut-être en conséquence, lapolice est très souvent l’objet de surinterprétations (thème ducomplot et choses comme cela, voir aussi l’Espion).

29 avril 2004. – Les policiers ne demandent pas à être« compris », modèle Vaillant, mais à être « commandés »,

1. Dominique MONJARDET, « Gibier de recherche, la police et le projet de connaître »,Criminologie, XXXVIII, 2, 2005.

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modèle Sarkozy ou Joxe. Non pas qu’ils auraient le goût de lasoumission, mais parce que le commandement les couvre, leurprescrit une conduite, et leur économise de ce fait le coût et lesrisques du choix et de la décision. Topique : « Nous, on fait cequ’on nous dit de faire. » L’ordre protège, d’où d’ailleurs le peude goût pour ce code de déontologie qui introduit la très inquié-tante notion d’ordre « illégitime ». Si l’obéissance à l’ordre hié-rarchique ne vaut pas excuse absolutoire, où va-t-on ?

14 mai 2004. – Définition du crime par Philippe Robert :« Tout comportement dont l’auteur est menacé d’une peine parle droit 2. »

17 mai 2004. – Trois conditions de la torture (M. Wie-viorka, « Irak, hygiène du bourreau », Libération, 13 mai2004) : « […] trois conditions favorisent la barbarie […] la pre-mière est la conviction de l’impunité : les responsables sont là,sinon pour encourager, du moins pour fermer les yeux, il n’y apas, en principe, de témoin. La deuxième est le conditionnementpréalable, qui prépare les soldats à déshumaniser l’ennemi 3. Leracisme, les images qui le présentent comme un sous-homme,un animal, et en même temps un surhomme, doté de pouvoirsdiaboliques, par exemple sexuels, sont façonnés en amont eten temps réel, par la propagande et les médias […]. Enfin, unetroisième condition favorable au passage à la barbarie est lapeur, ici celle de soldats qui se retrouvent mal préparés dans unenvironnement hostile, meurtrier, imprévisible, […] les sévicesinfligés aux détenus résolvent en partie une angoisse devenueobsessionnelle. [Il y a plus :] […] la violence pour la vio-lence, jouissive cruelle, relève d’un mécanisme dans lequel, ici,l’accomplissement d’une tâche inhumaine encourage celui à quielle est confiée, pour pouvoir se supporter, pour pouvoirconserver de soi une image d’humanité, à traiter sa victimecomme un non-humain, une chose, un animal, un objet. Il fautavilir le détenu, dans cette perspective, l’extraire de l’humanitépour pouvoir continuer à se penser soi-même comme un êtrehumain, un sujet. » Retourner l’ordre des conditions : la peurest première, elle s’explique (et s’excuse) parce que l’autre estinhumain, elle se solde en l’absence de tout contrôle…

17 mai 2004. – Trois modalités d’influence des administra-tions dans l’effectuation des politiques (publiques) : des

2. P. Robert, intervention au séminaire du CERSA, mai 2004.3. Ce qui donne la séquence = adversaire, ennemi, sous-homme, animal [Note D. M.].

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pouvoirs de mise en forme, mise en œuvre, intermédiation(interface entre instances politiques et groupes d’intérêts etd’assujettis). Voir à ce sujet, Jobert et Muller, L’État en actionet les corporatismes 4… cité par Ph. Bezes, « Administration 5 »(lecture manuscrit du jour).

24 mai 2004. – « Le nombre de condamnés à perpétuité dansles prisons US a augmenté de 83 % ces dix dernières années…près de 128 000 personnes, soit un sur onze de tous lescondamnés (“offenders”) détenus dans les prisons d’État oufédérales, accomplissent une peine de perpétuité (selon l’étudepubliée le 11 mai 2004 par The sentencing project…). Lechiffre correspondant de 1992 était de 70 000 (cf. O. Foll,5 septembre 2003). Entre 1991 et 1997, la peine effectuée parles condamnés à perpette a augmenté de 21 à 29 années (enmoyenne). Le rapport dit que ces accroissements ne sont pas lerésultat de l’augmentation des crimes, puisque le crime violenta significativement baissé pendant cette période, mais celui dessentences incompressibles plus longues et de politiques de libé-ration conditionnelle et de commutation de peine beaucoup plusrestrictives (cf. le Tennessee par exemple, qui ne permet la libé-ration conditionnelle qu’après 51 années de détention…). Laloi “three-strikes” a été le levier de cette multiplication descondamnations à vie : pour beaucoup d’entre eux, il s’agit dedélits non violents liés à la drogue… » (Source : TWILE, vol. 5,nº 20, 17 mai 2004, p. 4-5).

27 mai 2004. – À diverses reprises dans ses discours (notam-ment lors de l’ouverture de la session 2002-2003 de l’IHESI),Sarkozy s’est attaqué frontalement aux sciences sociales, et à lasociologie en particulier, au motif que celle-ci s’efforcerait de« comprendre » et donc d’« excuser » une délinquance qu’il nes’agit que de « combattre ». On y verra certes l’effet de manchede l’avocat que Sarkozy n’oublie jamais d’être, mais aussi uneillustration de la culture commune des sommets du ministère,où règne en maître le déni de savoir : il n’est nul besoin deconnaître l’objet de ses attentions pour s’en occuper efficace-ment. Les policiers, dont l’anti-intellectualisme est vif, applau-dissent des deux mains ces mâles déclarations. On surprendrait

4. Bruno JOBERT, Pierre MULLER, L’État en action. Politiques publiques et corpo-ratismes, PUF, Paris, 1987.

5. Philippe BEZES, « Gouverner l’administration : une sociologie des politiques de laréforme administrative en France (1962-1997) », thèse de l’IEP de Paris, 2002.

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pourtant beaucoup l’élite policière, en l’espèce les grands chas-seurs du Quai des Orfèvres et des offices centraux de PJ, enles félicitant de s’épargner la tâche de connaître et decomprendre l’adversaire 6. Quand il s’agit du grand crime, onaccorde qu’il est utile de tenter d’en pénétrer les arcanes pouravoir une chance de le prévenir, et de le réprimer. Pour la petiteet moyenne délinquance en revanche, il suffirait de cogner ? Sitelle est la doctrine d’action qui prévaut dans la police, on nes’étonne guère de la minceur de ses succès, mais, à la ques-tion ainsi posée, on trouvera peu de policiers pour répondreaffirmativement. Connaître l’adversaire est le prérequis de touteaction pertinente. Dès lors, s’il est examiné avec un tout petitpeu de recul professionnel, le propos ministériel apparaît danssa vérité : une sottise démagogique. De s’y être laissé prendreun instant dissuadera sans doute les policiers de l’avouer expli-citement ; gageons – pour éviter de les sous-estimer – qu’ilsn’en pensent pas moins.

17 juillet 2004. – De Casamayor 7, cette intuition prophétiquecitée par F[rédéric] O[cqueteau] (dans chapitre lecture commis-saires) 8 : « Tout homme qui voudrait réformer la police devraits’y prendre de l’intérieur, car il ne peut trouver aucune prise audehors », p. 61 (Le Bras séculier, justice et police, Seuil, 1960).Même source, citation de M. Aydalot 9, en exergue de Ber-trand des Saussaies 10 : « L’analyse sans complaisance est plushonnête pour l’esprit et plus efficace pour l’institution que lesaffirmations d’autosatisfaction les plus éloquentes ou du moinsles plus véhémentes. Plus honnête. Plus efficace. Plus ingrateaussi. »

7 septembre 2004. – Montesquieu, Lettres persanes, p. 124 :« On remarque en France que dès qu’un homme entre dans unecompagnie, il prend d’abord ce qu’on appelle l’esprit ducorps. »

13 septembre 2004. – Contrôle de la police, encore une fois.On donne à la police des missions indécises, des ordres incer-tains, des consignes contradictoires, et ensuite on se lamente sur

6. Allusion à un papier de commande paru dans le journal de Barcelone, « El adver-sario y el enemigo », La Vanguardia, 14 avril 2002, p. 28-29.

7. Louis Casamayor, magistrat (1913-1988).8. Rapport alors en préparation : Frédéric OCQUETEAU, « L’identité professionnelle

d’un corps en mutation : les commissaires de police », CERSA/INHES, Paris, 2005.9. Maurice Aydalot, premier président de la Cour de cassation en 1972.10. Bertrand DES SAUSSAIES (pseudonyme du préfet Didier Cultiaux), La Machine

policière, Seuil, Paris, 1972, p. 3.

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le fait qu’elle soit incontrôlable… Il faut réviser l’ordre deschoses : donner à la police des missions contrôlables, et le pro-blème est réglé (incorporer dans le dessin de la mission ses cri-tères d’appréciation).

21 septembre 2004. – Déni de savoir (projet d’article pourJ.-P. Brodeur). La « résistance délibérée au projet deconnaître », dont témoigne l’action policière (J.-P. B., LesVisages de la police, p. 19) a trois conséquences distinctes :

— une résistance tenace à l’investigation profane, à larecherche externe, et donc le caractère toujours parcellaire dusavoir disponible (ce qui justifie qu’il soit dénié par les poli-ciers, cf. point suivant) ;

— le caractère inévitablement polémique des savoirs pro-duits sur la police (aussi bien internes – cf. les mémoires –qu’externes, d’ailleurs). Doublement polémiques : 1. en cequ’ils mettent en question les stéréotypes professionnels (parexemple sur la dangerosité et/ou la pénibilité du métier, maisbeaucoup plus profondément sur tout ce qui établit l’auto-nomie policière versus sa supposée dépendance…), 2. en cequ’ils sont l’objet d’appréciations conflictuelles de la part desagents : depuis le « on sait cela de toute éternité, le chercheurne nous apprend rien » jusqu’au « mensonges éhontés etcontre-information » ;

— l’occultation des vrais savoirs et compétences profession-nelles. Comme le corps refuse tout ce qui pourrait objectiver letravail policier, il se garde comme la peste d’en recueillir, tester,valider les savoirs empiriques, qui restent de ce fait impli-cites, méconnus, non transmissibles. Le paradoxe est ici à soncomble, qui réclame tous les attributs d’une profession (auto-nome) en refusant d’en constituer le socle : un corpus de savoirs(outils, savoir-faire, modes opératoires, etc.). Là est la clé ducontrôle que le corps tient à conserver sur la formation, initialeet permanente : il s’agit de s’assurer, au cœur du dispositif, quele savoir policier restera matière à transmission informelle, outilde pouvoir et de contrôle des anciens sur les nouveaux, garantiecontre toute intrusion, qu’il s’agisse de celle des préfets ou desprocureurs aussi bien que celle de la presse et du public…

3 octobre 2004. – Appliquée à la lutte contre les feux deforêt, la logique policière de lutte contre les délinquances selimiterait à multiplier le nombre, le poids et la vitesse des Cana-dairs, alors que la lutte contre l’incendie va de la surveillance

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(éducation des promeneurs) à la veille météo (vent, hygromé-trie…), en passant par toutes les mesures de gestion de la forêt.

6 octobre 2004. – Compte rendu de la recherche Bailleau,Faget et alii sur « les experts municipaux de la sécurité » 11.Un tableau intéressant des représentations croisées entre cesexperts, les policiers, les travailleurs sociaux.

— Des policiers vis-à-vis de ces « experts », quatre cri-tères : ils ne connaissent pas la délinquance (i.e. ne maîtrisentpas la procédure pénale) ; à la différence des élus, ils ont lacapacité de « dépolitiser » les problèmes ; et de mise en lien(contacts) ; mais il faut qu’ils « connaissent leurs limites »(phobie de l’empiétement).

— Par rapport aux travailleurs sociaux : des chargés de mis-sion sur les travailleurs sociaux : refus de traiter les situationsd’urgence ; repliés sur eux-mêmes (bunkérisés).

— Des travailleurs sociaux vis-à-vis des experts : inféodésaux politiques ; manque de compétences.

Il est typique que la relation policiers/experts soit posée parles policiers en termes de compétences, et celle avec les travail-leurs sociaux en termes de représentations… C’est l’autre, poli-cier ou travailleur social, qui définit l’arène…

7 octobre 2004. – Grande pub ce jour sur un article du Figaro :« Quand les forces de l’ordre ouvrent le feu » qui fait état de« statistiques discrètes » et autres « données confidentielles » surl’usage des armes à feu par policiers et gendarmes. Cette publi-cité ne fait que mettre en évidence le contraste entre les paysanglo-saxons, où des données infiniment plus précises etdétaillées sont disponibles pour tous, et le « secret » qui entourece sujet, comme bien d’autres en France. Le cas est exemplaire ence qu’il témoigne d’un rapport au savoir très particulier. Hormisune étude de l’IGS (?), ce sujet, pourtant hypersensible, ne faitapparemment l’objet d’aucune étude systématique et suivie dansles services. C’est un bon indicateur du niveau de « profession-nalisme » de la police française… (On s’étonne moins ensuite descris de paon que soulève dans ce métier la prétention des cher-cheurs à y aller voir : opaque à elle-même, incapable d’objec-tiver ses pratiques, inapte à formaliser les qualifications et

11. Francis BAILLEAU, Jacques FAGET et alii, « Les experts municipaux de la sécurité.Origine, place et rôle dans la production locale de sécurité », rapport INHES, mai 2004.D. M. était présent à la séance de restitution publique de cette recherche, organisée enoctobre.

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compétences requises par ses missions, la « profession » ne sup-porte pas l’idée qu’on aille y voir à sa place…)

Dans le même ordre d’idée, pointer dans F. Nouvel 12 lesextraits d’entretiens de J.-M. Roulet 13, notamment, faisant étatde l’exaspération de(s) policiers devant les « critiques » dont ilsétaient l’objet par l’IHESI et ses chercheurs… Pour la droitepolicière, l’Institut était bien le lieu où les policiers étaient misen question…

7 octobre 2004. – Au ministère de l’Intérieur, tout va tou-jours très bien, sauf quand il faut justifier qu’on change tout.Ainsi lors de la création du secrétariat général : qu’apprend-onau détour du rapport 2003 (La Documentation française, 2004,p. 60), quand il s’agit de justifier cette innovation ? « Les direc-tions de soutien […] souffrent de plusieurs handicaps : struc-tures redondantes d’une direction à l’autre, adéquationinsuffisante entre les demandes prioritaires de chaque direc-tion et les moyens humains et financiers disponibles, absencede stratégie unique dans le débat interministériel, manque devision prospective capable d’orienter l’adaptation du ministèreaux évolutions de la société, […] cette analyse a conduit leministre à décider la création d’un secrétariat général. » Bref,gaspillage, inefficacité, contradictions, et courte vue… maistout allait pour le mieux…

21 octobre 2004. – Figaro du jour, article J.-M. Leclerc :« Aggravation des violences urbaines en 2003 » (d’après une« note confidentielle RG de février 2004 ») ; suivent quelqueschiffres alarmants, dont celui de « 35 morts imputables aux vio-lences urbaines en 2003 ». C’est toute la limite des triomphesstatistiques de Sarkozy : dans les quartiers, les plaintes enregis-trées ont peut-être baissé, mais la situation a continué à sedétériorer…

25 octobre 2004. – D’un manuscrit de F[rédéric] O[cque-teau] : « Rendre des comptes par les trois E (économie, effi-cience, efficacité) est devenu le vecteur et le maître mot de lamarche du monde 14. »

12. Allusion à l’auteur d’un mémoire de sociologie politique, sous la direction deJ. Commaille, Florent Nouvel, venu l’interroger au CERSA, et à qui D. M. donna accèsà ses archives : « Les organismes intermédiaires de recherche : l’IHESI », 2004. Réfé-rence citée dans un article de D. M. écrit avec F. Ocqueteau, « Insupportable et indis-pensable, la recherche au ministère de l’Intérieur » [101].

13. Éphémère deuxième directeur de l’IHESI (1994-1995).14. Frédéric OCQUETEAU, Polices entre État et marché, Presses de Science Po, Paris,

2004.

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29 novembre 2004. – Article du Monde en date du2 novembre 2004 : Mesrine a été tué le 2 novembre 1979, samère et sa fille portent plainte contre X. pour « assassinat ».Le 14 octobre 2004, soit un quart de siècle après les faits, ledixième juge d’instruction chargé du dossier prononce un non-lieu, « estimant que les policiers avaient agi en état de légi-time défense ». À sa façon, il est quand même plus courageux(ou plus cynique) que ses neuf prédécesseurs, qui se sont biengardés de toucher à la patate chaude…

6 décembre 2004. – On a trouvé la pierre philosophale ! Surle site Claris, où ses ouvrages font l’objet d’élogieuses recen-sions, un dénommé Manuel Boucher s’exprime « à propos dulivre de J. Donzelot […], Faire société 15 ». Au regard de« l’enthousiasme de l’équipe de J. D. pour le “modèle civique”américain », il ne manque pas de noter que « ce modèle qui[…] valorise la constitution de groupes de “vigilants” et ladénonciation de personnes présumées déviantes, anormales oudélinquantes […] laisse un goût amer : celui de la période nonglorieuse de la “collaboration” sous le régime de Vichy ».

Alternative ? « La logique de participation que nous préco-nisons ne peut donc être définie que par la coopération de forcesinstitutionnelles et politiques (venues d’en haut) avec celles desorganisations sociales (venues d’en bas) engagées dans unespace public dialogique conflictuel et néanmoins respectueuxdes particularités de chacun. » On a ici les deux traits fonda-teurs du discours gauchiste négationniste sur la sécurité : ladénonciation (de la dénonciation) avec le rappel absurde àVichy, et l’utopie imbécile, car, comme le suggère la phraseprécédente, la question non seulement serait réglée, mais ellene se poserait pas ! : « L’ensemble de ces forces étant motivépar un objectif commun : “mieux vivre ensemble, égaux et dif-férents” (renvoi à A. Touraine) au sein d’une communautéd’interconnaissance mais ouverte sur le monde »…

8 décembre 2004. – Non seulement les anglophones ne lisentjamais le français et ignorent donc superbement toute publica-tion en sciences sociales qui n’est pas traduite, mais mêmelorsqu’un concours exceptionnel de circonstances leur met sousle nez des données francophones qu’il leur est impossible deprétendre méconnaître, ils les ignorent superbement. C’est le

15. Jacques DONZELOT, Catherine MÉVEL, Anne WYVEKENS, Faire société, Seuil,Paris, 2003.

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cas par exemple de Waddington, qui ayant participé à un débatsur la supposée « militarisation » de la police dans Dévianceet Société (nº 4, 1992), s’est attiré dans le même numéro desrépliques précises 16, et se garde bien, dix ans plus tard, dans unpapier où il ne manque pas de référencer sept textes de sa partsur le même sujet, d’évoquer celui-là, qui mettrait sur la pisted’une discussion où il n’a pas eu le dernier mot… « Ignorancesélective »…

8 décembre 2004. – Villepin à J.-P. Proust, le 6 décembre2004, à l’occasion de l’installation de son successeur à la têtede la PP : « Vous avez remis les policiers sur le terrain » (siteInternet du ministère de l’Intérieur : Le ministre ? Interven-tions). Où l’on apprend qu’ils l’avaient quitté… Dans la foulée :« Vous avez modernisé la PP. Vous en avez fait une institutiondynamique et à la pointe de toutes les technologies… » Elle nel’était donc pas ?

9 décembre 2004. – Pour neutraliser le discours non policiersur la police, le plus simple est de plaider que l’auteur, qui n’afait que passer, n’a qu’une vue très superficielle des choses, et,pour dire bref, n’y connaît rien. Quand on a affaire à un vieuxcrabe qui s’y intéresse depuis plus de vingt ans, c’est plus dif-ficile, mais on peut renverser l’argument qui devient : « Ce sontdes vieilles histoires, qui datent des années 1980, depuis touta changé, et il n’y a que Monjardet pour nous ressortir ces vieil-leries, c’est plus du tout comme cela aujourd’hui… » Ergo, quevotre information soit récente ou de longue date, elle n’estjamais pertinente (par contre, celle du commissaire qui n’a pasmis les pieds sur le terrain ni accompagné une patrouille depuisvingt-cinq ans reste valide quoi qu’il arrive, et même s’il est àla retraite depuis quinze ans et fricote dans la sécurité privée oula politique).

21 décembre 2004. – D’un article de Dominique Barella(président de l’Union syndicale des magistrats) : « Inceste,insultes sexistes, insultes racistes, caravanes sur les terrainsprivés, réunions agressives dans les halls d’immeuble, racolagepassif, récidive : chaque fois qu’un problème, toujours réel, sepose à la société française, la loi tombe, comme si l’eau froidepouvait soigner la maladie. Seule la fièvre baisse. L’État signeainsi son impuissance budgétaire, son impuissance à organiser,

16. Allusion à la réplique de D. M., « Quelques conditions d’un professionnalismediscipliné », Déviance et Société, XVI, 4, 1992, p. 399-405.

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son impuissance tout court […] Annoncer toutes les semainesune loi miracle qui au mieux est inutile ou au pire n’est pasfinancée constitue une fuite en avant d’élus affolés par leurpropre impuissance. » Cf. « Diafoirus au Parlement », LeMonde, 18 décembre 2004.

21 décembre 2004. – Qu’est-ce qui fait sauter un flic, unpréfet, suite… : « Les budgets n’ont pas été tenus depuis vingtou trente ans et les patrons de la SNCF n’ont pas sauté pourautant. En revanche, ils ont pu être virés après des accidentsde train ou des grèves générales. Ce sont là les priorités nonécrites de la SNCF. » Citation de G. Pépy (DG en 2004) extraitedu livre : N. Beau, N. Dequay et M. Fressoz : SNCF, Lamachine infernale, Éd. du Cherche-Midi, 2004, recension dansLe Monde du 27 mars 2004, p. 18 (livre également documentésur la corruption à la SNCF).

22 décembre 2004. – Il en est de la haine du flic comme del’homophobie : si vous n’êtes pas pour (la police, l’homosexua-lité, les épinards…), c’est que vous êtes contre.

27 décembre 2004. – Dans la page « Rebonds » de Libéra-tion du 24 décembre 2004, M. Gilles Dal, docteur en histoire,nous offre une nouvelle version du « c’était bien pire avant ».Sous le titre « La paranoïa d’une société obsédée par la vio-lence », il nous assure, à nouveau, et vingt ans aprèsJ.-C. Chesnais 17 qu’« une mise en perspective historiquedément le diagnostic d’une aggravation de l’insécurité ».L’argument est imparable, mais on en conclut quoi ? C’estexactement le même raisonnement que les flics qui relativisentles bavures policières en excipant de la pédophilie chez les ins-tituteurs ; ou de ma mère m’obligeant à manger des épinards aumotif que les petits Chinois meurent de faim… Cela n’a jamaisni convaincu ni consolé personne…

17. Allusion à Jean-Claude CHESNAIS, Histoire de la violence en Occident de 1800 ànos jours, Robert Laffont, Paris, 1981.

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19 janvier 2005. – Comme le notent dans un « Rebond » deLibération du jour D. Taddei et G. Wasserman : toute démarche« descendante » est inévitablement condescendante… et le plussouvent con-descendante.

19 janvier 2005. – Sur efficacité et efficience, encadré d’unarticle de J. Mulkers (biblionet) : deux journalistes se promè-nent dans la rue et assistent à l’arrestation d’un voleur à l’éta-lage. Maîtrisé par un policier, il restitue les objets volés aucommerçant, puis est embarqué vers le commissariat. Le lende-main les deux journalistes font paraître dans leurs journaux res-pectifs un article sur ce « fait-divers ». Le premier écrit unpapier très louangeur sur ce policier très attentif et la rapidité del’intervention. Le second écrit dans son papier qu’il y a un poi-gnant contraste entre l’activité de la police sur le vol à l’étalagede biens de faible valeur et le travail d’enquête que (ne) fait(pas) la police sur les millions d’euros qui sont chaque annéevolés à la société par la fraude fiscale, qui aggrave l’inégalitésociale…

25 janvier 2005. – D’après Wadman (thèse, 1998, citée parMaguire-Uchida n. 4 p. 542 1), tous les grands corps de policemunicipaux ont trois points identiques : hierarchical rank struc-tures ; divisions for patrol, investigation and administration ; a

1. R. C. WADMAN, « Organizing for the prevention of crime », Ph D. diss., IdahoState University, 1998. Cité par E. R. Maguire et C. D. Uchida, « Measurement andexplanation in the comparative study of American police organizations », Criminal Jus-tice, 4, 2000, p. 491-557.

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disproportionate share of their resources devoted to motorizedpatrol.

Le premier est trivial, mais les deux autres sont notables,distinction gendarmerie/enquête, et dominance de la patrouillemotorisée.

4 février 2005. – Dans Le Figaro du 27 janvier, Leclerc metles pieds dans le plat, en titrant que, si on en croit les mainscourantes informatisées, les policiers travaillent 27 heures parsemaine. Grand tapage dans la corporation, qui dénonce cesmanipulations, le meilleur dans le genre est J. Masanet (secré-taire général de l’UNSA [Union nationale des syndicats auto-nomes]) qui « oppose à cette enquête les résultats enprogression de la lutte contre la criminalité et les cinq policierstués et quelque 10 000 blessés en service en 2004 » – AFP surInternet.

24 février 2005. – De Libération du jour, un article quipointe directement la complicité des magistrats dans des caspatents de bavures policières. Un gendarme avoue avoir mentiau juge dans une affaire : leur tir (dix-sept balles) a tué unjeune, mais le juge impavide conclut que « ce mensonge avéréet reconnu n’a été d’aucune influence sur le déroulement desfaits… », où le magistrat ajoute à son tour un gros mensonge,dans le but évident de ne pas se mettre les gendarmes à dos…

28 février 2005. – L’IACP [International Association ofPolice Chiefs] a réuni en 2003 une table ronde entre cher-cheurs et policiers qui a conduit à finaliser en août 2004 unensemble de recommandations pour « improving partnershipsbetween law enforcement leaders and university based resear-chers » (stocké dans biblionet). On notera pour mémoire quele SCHFPN est membre de l’IAPC et s’en vante…. Le contrasteavec la vigoureuse résistance qu’opposent à la recherche lesflics français s’explique, en résumant plus nettement monpapier « gibier de recherche » par :

— l’étatisation, sous deux aspects : pas d’interlocuteur localqui puisse questionner la police, et par le fait que l’État français« régalien » à la puissance p n’accepte pas de se mettre enquestion ;

— le système des entrées directes qui met des jeunes sansaucune expérience policière en position de commandement surdes professionnels compétents, ce qui les conduit 1. à seconstruire leur compétence sur un supposé leadership indépendantde la qualification opérationnelle, 2. à dénier les compétences

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proprement policières de leurs subordonnés, 3. à redouter quede niais chercheurs viennent mettre le doigt sur ce déficit deprofessionnalisme…

À l’appui de cette interprétation, on notera que les commis-saires que j’ai vu commander réellement sur le terrain avaientun passé spécifique, cf. M., ancien inspecteur (et fort soucieuxde le cacher…).

4 mars 2005. – Réactivité politicienne : dans un article de LaPresse (Montréal) du même jour, récit d’un événement survenula veille : « Quatre membres de la GRC [Gendarmerie royale duCanada] ont été tués en Alberta, jeudi [3 mars 2005], au coursd’une enquête menée sur des activités de culture de marijuana.Il s’agit de la pire affaire impliquant la mort de policiers à êtresurvenue au Canada depuis 120 ans. ([…] les quatre policiersse sont rendus dans une ferme dont le propriétaire cultivait de lamarijuana, on a retrouvé leurs cadavres et celui du suspect[…].) Cette affaire a provoqué des ondes de choc à travers lepays. La ministre fédérale de la Sécurité publique, AnnMcLellan, a sans tarder donné une conférence de presse afinde faire savoir qu’elle allait envisager l’adoption de peines plussévères pour les criminels faisant pousser de la marijuana… »

9 mars 2005. – De l’édito de Michel Sarrazin 2, L’Heurejuste, vol. 11, nº 1, 28 janvier 2004 : « Dans l’esprit de la popu-lation, comme dans le mien, chaque policier, chaque employédu SPVM [Service de police de la Ville de Montréal] doitdémontrer honnêteté, loyauté, intégrité et transparence. C’estle prix à payer pour préserver la crédibilité et la légitimité denotre organisation. » On imagine des propos semblables tenusen France devant les troupes…

10 mars 2005. – Sur l’incapacité d’un service policier decomprendre la distinction entre information et propagande, voirle communiqué du jour de la PP, qui établit que la délin-quance à Paris a augmenté en février 2005 de 0,1 % par rapportà février 2004, puis dresse la liste de tous les postes qui ontbaissé, et n’en mentionne aucun de ceux qui ont (nécessaire-ment) augmenté…

14 mars 2005. – Une bonne image de Sarrazin (Intersection,24, août 2003, p. 5) sur la réticence des policiers vis-à-vis dela police communautaire : « Comme un chasseur à qui on

2. Directeur du SPVM à cette époque.

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demanderait de devenir garde-chasse, sans l’avoir sensibilisé àla préservation de la faune. »

15 mars 2005. – D’un entretien avec GAP [un policier nonidentifié] à Montréal : « Les policiers utilisent leur autonomiepour ne pas prendre d’initiative » (« On ne t’a pas sonné, mêletoi de tes affaires, gare tes fesses… On n’est pas là pourchanger la société… »).

21 mars 2005. – De D. Peyrat, En manque de civilité, Tex-tuel, coll. « La Dispute », Paris, 2005 :

— P. 115 : « Face à la délinquance, toutes sortes de guer-riers… insistent sur la puissance. Les angéliques, eux, insis-tent sur le sens. […] Faire reculer l’insécurité, nécessite de luiopposer une puissance et du sens. Pour qu’il y ait une puis-sance, il faut qu’il y ait des agencements de sécurité, et parmiceux-ci des dispositifs de répression : en face de la force, unecontre-force qui empêche. » Noter cette idée de la police-forcecomme contre-force (qui empêche).

— P. 166, les cinq critères de qualité d’un « bon » systèmepénal (efficace, respectueux, éducatif, accueillant aux victimes,lisible).

25 mars 2005. – Les Intouchables. Grandeur et décadenced’une caste : l’inspection des finances, de Ghislaine Otten-heimer, Albin Michel, 2004.

— P. 41 (ENA… petit concours, etc.) : « Ce type de pra-tique entretient la mentalité de premier de classe. C’est totale-ment immature, […] le classement finit, chez certains, partourner à l’obsession. Un jour, j’ai vu Renaud de La Genière,qui était alors gouverneur de la Banque de France, rappeler sonrang de sortie ! C’était pathétique. »

— P. 43 : « À l’arrivée, l’inspection forme un corps trèssoudé, voire clanique. Une fraternité d’hommes… qui, trèsjeunes, sur le terrain, ont été initiés à l’exercice du pouvoir etde l’autorité, sans subir la tutelle d’une hiérarchie. D’où cetteincapacité à rendre compte, à partager. »

— P. 69 : « L’inspection est un corps de conseil, pas demanagement. »

— P. 70 : « À l’ENA, on n’emmagasine pas des connais-sances, on apprend à ordonner des idées, à bâtir des théories surpapier. À modeler la réalité, pas à la maîtriser. On travaille uni-quement sur l’intelligence théorique. »

La défausse, à propos du pantouflage et de cas très dou-teux, l’auteur note : « À chaque fois que j’évoquais un dossier

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douteux, ils me répondaient : “Vous feriez mieux d’enquêterdans les collectivités locales.” » (p. 176).

25 mars 2005. – Villepin découvre le partenariat !…. Intro-duction du séminaire « 25 quartiers 3 » (site du ministère del’Intérieur, 24 mars 2005) : « Engagement pour une méthodenouvelle : le partenariat entre tous les acteurs locaux : les repré-sentants de l’État, les élus, les professionnels de terrain, lescitoyens. » Conclusion du même : « L’expérience que noustirons du plan pilote, dont le succès nous montre que la clé c’estle partenariat sur le terrain » !

11 avril 2005. – Rapport Marc Le Fur (Assemblée natio-nale, loi de finances 2005) : « Des progrès de productivité sontpossibles : selon les informations recueillies par votre rappor-teur spécial, deux cents fonctionnaires actifs sont affectés enpermanence aux foyers bars des CRS » (p. 21). Même source,p. 46 : en 2003, 1 265 gardiens de la paix ont pris leur retraiteà l’échéance normale, et 3 074 ont pris une retraite anticipée,l’âge moyen de ces derniers était de 51 ans et 4 mois… pourune espérance de vie de 80 ans, ils auront été en retraite sensi-blement aussi longtemps qu’en activité.

12 mai 2005. – À propos de l’article de J.-M. Leclerc dans leFigaro du jour : « La police sanctionnée par la justice pourson inefficacité » (des parfumeurs dont le magasin, situé à150 mètres du commissariat de Vitry-le-François, et relié paralarme à ce commissariat, a été cambriolé treize fois en douzeans, sans que les policiers ne se déplacent…).

Les policiers excipent pour justifier de ne pas faire (ceci oucela) : du poids de l’urgence ; des charges indues ; du manquede moyens juridiques (pas d’incrimination). En conséquence, ona vu dans tous les services de police, et notamment français,depuis trente ans : de constants transferts de charges de la policevers… (objets trouvés, accidents de la route, papiers d’iden-tité, transfert des détenus, gardes hospitalières, etc.) ; la « réin-génierie des appels », qui a notablement diminué la charge desappels d’urgence ; une extension continue des pouvoirs depolice et des incriminations (halls d’immeubles, graffitis, inci-vilités en tous genres…) sans que jamais les décharges en

3. En avril 2004 le gouvernement engage un plan national d’action pour la sécuritéet la prévention de la délinquance en faveur de 25 quartiers « sensibles », dit « Plan25 quartiers », que le ministre explique à l’INHES au cours d’un séminaire auquelassiste D. M.

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question se soient traduites par un investissement réel de lapolice sur le champ que ces charges leur empêchaient delabourer. Une part notable du temps ainsi gagné a été tout sim-plement consacrée à la réduction du temps de travail des poli-ciers (voir l’article du préfet G. Fougier), l’autre part, encoretrès conséquente, est dévolue aux activités sociales tradition-nelles dans le commissariat (café, tarot, pots divers…) et àl’accentuation des tâches que les policiers considèrent commeleur cœur de métier. On ne peut citer aucun cas significatifoù le mécanisme managérial supposé ait fonctionné : « Puisquevous n’avez pas le temps d’accomplir la tâche T, et pour quevous puissiez désormais la prendre en charge, je vous délivre dela tâche T’. » Le manque de temps (de moyens, de pouvoirs)n’est jamais la raison de l’abstention policière, ce n’en est quele prétexte. La raison est ailleurs : la tâche en question n’est pasaccomplie parce que (pour mille et une raisons), elle n’est pasconsidérée par les policiers comme faisant partie de leur emploilégitime, comme appartenant au périmètre des responsabilitésqu’ils autodéfinissent.

26 mai 2005. – Bonne définition de l’éthique dans le Rap-port 2004 du SPVM, p. 8 : « Pour le SPVM, l’éthique est uninstrument utile d’analyse et de prise de décisions sur lequell’ensemble de son personnel peut appuyer son jugement afin deposer le bon geste, au bon moment, de la bonne manière et pourla bonne raison. »

27 mai 2005. – Bon inventaire des modalités de trucage sta-tistique dans des services de police soumis à une obligationde résultats chez Gilles Favarel-Garrigues, « La bureaucratiepolicière et la chute du régime soviétique », Sociétés contem-poraines, nº 57, 2005, p. 63-81. Par exemple, inventer des cou-pables fictifs, déclarés en fuite = augmenter le chiffre de lacase élucidation, avec pour conséquence : démoraliser lescadres, ce qui engendrait une atmosphère de mensonge, empê-chait de connaître la réalité criminelle. De surcroît, G. F.-G.montre aussi très bien comment le développement d’« une acti-vité policière éminemment formelle augment[ait] du coup lamarge d’autonomie des subordonnés » (p. 78).

14 juin 2005. – Yves Pourcher, dans « Votez tous pourmoi ! » Les campagnes électorales de Jacques Blanc en Lan-guedoc-Roussillon (1986-2004), Presses de Sciences Po, 2004,cite Paul Veyne (Le Quotidien et l’Intéressant, entretiens avecC. Darbo-Peschanski, Les Belles Lettres, Paris, 1995, p. 108)

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reprenant John Keegan 4 : « Il est plus fructueux d’étudier lesguerriers que la nature de la guerre. » Ce que Pourcher appliqueaux hommes politiques/la politique, il est évident que celas’applique parfaitement aux policiers/nature de la police… Dumême : l’élection est un 1 000 mètres, ce n’est pas les cinq ansde la durée du mandat : discontinuité absolue entre la très brèveséquence électorale et le long mandat, et de la même façon, dis-continuité complète entre les promesses au bistrot de Saint-Chely et la pratique à l’hôtel du département, de la région, auPalais-Bourbon…

11 juillet 2005. – On note que N. Sarkozy, qui n’a pas réussien trois ans à élaborer son « grand projet de loi sur la préven-tion de la délinquance », n’a que le mot de prévention à labouche quand il s’agit de terrorisme… (Cf. son intervention surFrance 2 le 7 juillet.)

11 juillet 2005. – Municipalisation ? La municipalisation dela police urbaine serait impensable puisqu’elle permettrait à unmaire ripoux ou fasciste d’être infiniment plus nocif – dans unepoignée de villes (sur 500). Par contre, il ne gêne personneque toutes les polices de ces 500 villes, et de surcroît toutesles autres branches des polices françaises (RG, DST, PJ, CRS,PAF, etc.), soient confiées à deux reprises à un ministre qui, lesdeux fois, va utiliser des services de police pour soustraire uncriminel en fuite à la justice, puis pour monter, contre un magis-trat trop curieux, une provocation. De même qu’il paraît dansl’ordre normal des choses que toutes les polices de la ville capi-tale aient été confiées sans partage pendant dix ans à un Papon.On se demande bien de quelles plus grandes turpitudes despolices municipalisées pourraient se targuer…

21 septembre 2005. – Dans Antoinette C., sur la violencecarcérale (p. 259) 5, très bon passage sur la difficulté de sanc-tionner les surveillants par les directions locales (désavouéesensuite par les échelons régionaux et centraux), à reprendrepour la police : il ne suffit pas de constater que la hiérarchiecouvre, ferme les yeux ou cède, il faut expliquer pourquoi, et cen’est ni solidarité instinctive ni faiblesse congénitale, mais unsystème d’action très largement grippé. + la continuité, comme

4. Célèbre historien militaire britannique contemporain.5. Antoinette CHAUVENET et alii, « La violence carcérale », rapport pour le GIP Jus-

tice, 2005.

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dans la police, entre la relation hiérarchie/exécutants etexécutants/population.

21 septembre 2005. – Un des obstacles majeurs à la profes-sionnalisation des policiers est dans l’absence radicale de lieu,instance, temps de réflexivité collective sur l’action (versus lesréunions de synthèse des travailleurs sociaux ou celles des inter-venants en prison…). Et ce qui aurait pu les générer, soit laconstruction des contenus de formation, n’a pas joué ce rôle.

22 septembre 2005. – Dans sa recherche sur « policiers ettravailleurs sociaux », Antoine Véretout 6 apporte cette notationessentielle : le conflit passe maintenant au sein de chacun descorps, entre ceux qui privilégient une logique de territoire (paci-fier le quartier) et ceux qui s’en tiennent à une logique d’acteurindividuel : appréhender le délinquant ou accompagner le jeuneUntel. À noter que l’accent exclusif sur les statistiques d’acti-vité policière met hors jeu les premiers, et contribue donc à exa-cerber les déviances locales…

23 septembre 2005. – Retour aux sources : bien loin d’êtreune « révolution » (et surtout pas « culturelle »), la police deproximité était essentiellement un retour aux sources. Ceux quidevaient la mettre en place étaient trop incultes pour rappelerque les fondamentaux du métier policier ne consistent pas à« sauter le grand criminel » ou à raffiner l’expertise de la policescientifique, mais bien à assurer la tranquillité publique dansles rues et sur les places… Ce que les cadres policiersd’aujourd’hui s’efforcent avec énergie, constance et quelquesuccès, de faire oublier à leurs subordonnés et au public.

28 septembre 2005. – Dans son discours du 27 septembre2005 aux policiers et gendarmes, N. Sarkozy les appelle à troisreprises à « faire preuve dans leurs relations avec l’usager d’unjuste discernement sans lequel il ne peut y avoir adhésiondurable ». On ne dira plus que l’autonomie dans le travail estune invention malveillante de sociologue, j’espère…

29 septembre 2005. – L’illusion policière : conviction large-ment répandue au sein de la profession policière selon laquellel’action répressive, et l’action répressive seule – comprisecomme prérogative régalienne exclusive –, est efficace à l’égardde la criminalité, et peut même conduire, si on la dote desmoyens suffisants, à éradiquer celle-ci. (On définirait de la

6. Voir par exemple « Le travail social au prisme du regard des forces de l’ordre »,Cahiers de la sécurité, 59, 2005, p. 207-233.

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même façon une illusion sociologique : croyance en la nécessitéet à l’efficacité du savoir sur le social pour agir sur celui-ci…et bien d’autres : illusion médicale, illusion pédagogique, etc.)

10 octobre 2005. – Outrage = incompétence (in Th. Oblet,J.-M. Renouard, L. Aubert, J. Kuhr, A. Villechaise-Dupont,« Offre publique de sécurité et polarisation sociale de l’urbain,l’exemple de l’agglomération bordelaise », LAPSAC-CESDIP,septembre 2005, p. 110) : « Ainsi les outrages à agent, au-delàd’une certaine fréquence, informeraient plus sur l’agent que surle territoire où celui-ci exerce : “Il y en a, il faut que cela parteen ‘live’, que ça parte en bagarre. Je ne sais pas si c’est de lahaine ou quoi, je ne sais pas. Si vous avez une étude à faire,vous prenez les collègues un par un et vous regardez ceux quiont des outrages. Ça peut arriver, mais le mec qui en a trois ouquatre par an, là, c’est le collègue qui va pas. Il y a un pro-blème, un problème du collègue.” »

19 octobre 2005. – « Révol-cult. suite ». Dans un compterendu de N. Ashkanasy, C. Wilderom et al. (éds), The Hand-book of Organizational Culture and Climate, Sage, 2000, il estfait allusion au chapitre de Keith Markus qui « explores apowerful idea : that the real role of culture is not to createchange amidst stability but to create stability amidst change »(ASQ [Administration Science Quarterly], mars 2003, p. 122).Juste…

28 octobre 2005. – Crime (selon Cusson) et police. Cusson(in La Délinquance, une vie choisie, Hurtubise, Montréal, 2005)définit : « L’action criminelle se caractérise par le recours à laviolence ou à la tromperie pour passer outre au consentementd’autrui et lui causer un préjudice injuste » (p. 36). Si on lesuit, la compulsion policière à se centrer sur (contre) le crimeserait lutte pour sanctionner violence ou tromperie ; abus (deconsentement) ; préjudice (injuste) – ce qui serait louable, sicette action ne recourait à aucun de ces trois ressorts… Voir dumême une description de la vie festive chez les délinquants, trèssimilaire à celle des déviants dans la police (DST et PJ) ; dansl’acte délinquant, le profit est immédiat, le coût incertain et dif-féré ; dans le travail, la peine est immédiate, le profit différé etincertain (p. 64 sq.).

8 novembre 2005. – Le paradoxe de Tocqueville. V. Le Goa-ziou (La Violence, Le Cavalier Bleu, Paris, 2004, p. 5) fait réfé-rence au « syndrome ou paradoxe de Tocqueville » : plus unphénomène désagréable est réduit, plus ses manifestations

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résiduelles sont perçues ou vécues comme insupportables. Deretour d’Amérique, T. avait prédit que les inégalités s’atté-nuant de façon massive, celles qui malgré tout demeureraient(comme les inégalités naturelles) apparaîtraient de plus en plusintolérables. Les sociétés selon lui allaient prétendre à une éga-lité maximale, voire absolue.

24 novembre 2005. – De Edward Conlon (Blue Blood, River-head, 2004, revue in New York Times, 18 avril 2004) : bienqu’ils soient investis du pouvoir de recourir à la force mor-telle, les policiers sont traités (par leur administration) commedes écoliers, et ceci explique aussi le « blue wall of silence » :« It’s not so much that cops don’t want to talk, it’s that they canbarely begin to explain. »

27 novembre 2005. – Sur la patrouille pédestre : la hiérar-chie policière, comme les exécutants, lorsqu’ils sont sommés defaçon un peu énergique de « remettre du bleu dans la rue »,ne font pas la différence entre patrouille policière (qui a desobjectifs servis par des outils et mesurés par des comptesrendus) et la déambulation oisive. Elle prescrit donc la premièreet obtient la seconde.

28 novembre 2005. – À partir de Christian Mouhanna, thèse,p. 71 7 : la mobilité individuelle des policiers, et notamment deschefs de service, produit l’immobilisme de l’institution puisquenul n’est incité à déployer un effort (changement, réforme) quine produit d’effets significatifs qu’à long terme : dans le longterme, les policiers sont tous ailleurs…

30 novembre 2005. – Mouhanna, ibid., p. 196, îlotier :« L’État a de la chance d’avoir des fonctionnaires motivéscomme nous. On fait des contrôles d’identité sans avoir le droit.Si on appliquait les textes, on ne ferait rien. » Parfait retourne-ment : on viole le droit pour servir l’État…

6 décembre 2005. – À partir de la thèse de Damien Cassan 8,une hypothèse : le savoir professionnel policier est laissé enjachère en France parce que la police y fonctionne sur la fic-tion d’une autorité hiérarchique – qui permet de laisser croireque toute la compétence est concentrée dans la hiérarchie. Or cen’est – et très partiellement – vrai que dans des cas très précis,

7. « Police et justice face au citoyen : le repli bureaucratique », thèse de doctorat del’IEP, mention sociologie, Paris, 2005.

8. « Une comparaison internationale de l’apprentissage et de la socialisation des poli-ciers en France et en Angleterre : le gardien de la paix et le police constable », thèsede doctorat de sociologie, université de Lille-I, 2005.

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comme celui des CRS. En PJ ou en service général, où l’inver-sion hiérarchique bat son plein, c’est à la base que les savoir-faire sont critiques, mais la hiérarchie est incapable de lereconnaître et donc de les identifier et enseigner, puisque ceserait reconnaître que son autorité est purement formelle, et nonbasée sur une supériorité de savoirs. Il ne peut y avoir supério-rité du savoir du commissaire sur celui des gardiens de la paixpuisque ces deux espaces de savoir sont entièrement disjoints.Comme les commissaires prospèrent sur l’hypothèse contraire,on est constamment dans la fiction. Le recrutement unique dansles polices anglo-saxonnes interdit que s’y développe un méca-nisme comparable.

6 décembre 2005. – Loi versus code interne (« cops’ code »de Elizabeth R. Ianni et Francis A. J. Ianni 9), résumé parCassan : « Le quotidien du poste de police procède de compré-hensions partagées du code plutôt que de règles spécifiques »(ou droit exogène), p. 417.

7 décembre 2005. – La police est parfois investie de fonc-tions, rôles et représentations dont elle se passerait bien maisdont elle ne peut pas se défaire, c’est le cas dans son rapportavec les « cités ». Dans la mesure où elle est le seul « servicepublic » à s’y manifester, quand tous les autres ont déserté, elleincarne du même coup tous les autres et plus généralement lepouvoir, l’État, le politique, les autres : Français de souche,détenteurs d’un emploi, fonctionnaires, urbains, etc. Par là, elleconcentre contre elle non seulement le ressentiment déjà consi-dérable suscité par ses conduites, mais aussi toute la rancœurenvers tous les autres, absents, qu’elle « représente », volensnolens…

8 décembre 2005. – Dans la note « La sécurité du quotidien– les propositions du SCHFPN » (non datée, mais probable-ment fin 2004-début 2005) est faite, p. 14, une distinction utile« entre la mission de sécurité que doit assurer l’État et les ser-vices qui concourent à cette mission » (souligné dans le texte).Le Schtroumpf 10 ajoute que « la police et la gendarmerie neconstituent qu’une partie des services et des administrations quilui apportent leur concours ».

9. « Street cop’s and management cop’s : the two cultures of policing », inM. MUNCH (éd.), Control in the Police Organization, MIT Press, Cambridge, Mass.,1983, p. 251-274.

10. Voir note du 3 janvier 2001.

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8 décembre 2005. – Dans L’Express du 10 novembre 2005,article « Le nº 1 de la violence » : « Les 4 300 fonctionnaires du93 sont principalement constitués de novices, tout juste sortis del’école de police » ; « les deux tiers des effectifs de police ducommissariat de Saint-Denis ont moins de cinq ans d’ancien-neté », tempête un officier… « Et l’encadrement fait cruelle-ment défaut : les gradés sont mutés en province ».

15 décembre 2005. – Du séminaire Mouhanna 11, interventiond’Audrey Freyermuth (Strasbourg) : « La construction partisanede l’insécurité », ou comment celle-ci devient enjeu électoral.Le contraste Rennes et Strasbourg n’est pas dans le quantum dedélinquance ou dans la médiatisation des incendies de voitures àS. à Noël. La différence est dans la politique des élus :

— À Rennes, la municipalité parle d’une seule voix, etentretient de bonnes relations avec le préfet – tant qu’il s’agitde Claude Guéant 12 ; de plus, l’insécurité n’est jamais traitée entant que telle, elle est toujours abordée par un autre biais, dansun cadre (école, emploi, urbanisme, logement, etc.) : l’adjoint àla sécurité est le 12e et chargé de la « solidarité-santé ».

— À Strasbourg, la majorité se déchire, et la dissidencePetitdemange 13 met en avant l’insécurité.

On peut rapprocher cela du niveau national : polémique Che-vènement-Guigou, silence de Jospin, mouvement des flics, etc.versus omniprésence et monopole de Sarkozy.

Dans les deux cas, on a une opposition entre cohérence etprésence de fortes figures tutélaires : la question est « encharge », et polémiques, émiettement, indécisions, incerti-tudes. Conclusion : il y a certes une relation entre quantum dedélinquance et sentiment d’insécurité, mais il y a une variableintermédiaire qui va accentuer ou contenir l’effet de l’insécu-rité objective : c’est la présence/absence d’une « autorité », oufigure d’autorité cohérente qui prend en charge la question.C’est toujours le même constat : la différence n’est pas dansle quantum de délinquance mais dans l’existence ou non d’unefigure tutélaire qui assure que la question est sérieusementappréhendée. Quand cette figure manque, se déploient à la foisle sentiment d’insécurité et le ralliement à celui qui prône la

11. « Politiques locales de sécurité, 2005-2006 », tenu au Centre de sociologie desorganisations (CSO).

12. Préfet d’Ille-et-Vilaine de 2000 à 2002.13. Allusion à Jean-Claude Petitdemange, dissident du PS, qui ralliera plus tard le

MoDem.

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manière forte. On passe de la délinquance au sentiment d’insé-curité quand on a le sentiment que devant celle-ci on est aban-donné par ceux qui devraient vous protéger. Quand au contraireils réussissent à témoigner de leur vigilance, la peur ne sedéploie pas.

La variable intermédiaire, et en l’occurrence le nœud – poli-tique – de la question, est la capacité du pouvoir de répondre defaçon crédible à la demande qui lui est adressée. La crédibi-lité de la réponse ne loge pas dans le caractère plus ou moinsrépressif du message, mais dans sa cohérence et sa continuité.C’est la dissonance, l’hésitation ou le silence qui permettent àla peur de se déployer.

Dans ce cadre, le rôle de la police est très secondaire, et leprincipal repère de son action est également sa cohérence auregard d’une prise en charge tutélaire beaucoup plus ample dela tranquillité publique (d’où l’idée de la police de proximitécomme outil des CLS).

[À propos des émeutes de novembre 2005] « […] Ce mou-vement de révolte n’a pas trouvé une forme politique, telle queje l’entends, de constitution d’une scène d’interlocution recon-naissant l’ennemi comme faisant partie de la même commu-nauté que vous », J. Rancière in Libération du jour.

Sarkozy sociologue. Intervention du jour à la « Cérémonieen hommage aux policiers, gendarmes et pompiers », Hôtel deBeauvau : « On a beaucoup parlé de cette crise. Certains, maisnous les connaissons – ce sont toujours les mêmes –, ontcommencé à chercher des excuses, des justifications [une pageplus loin… :] Je vous ai donné la possibilité de faire votre tra-vail, et vous l’avez bien fait. La preuve en est puisque la désta-bilisation des systèmes mafieux a provoqué une réaction de lapart de ceux qui les alimentent et qui imposent leurs règles dansles quartiers » (site ministère). Où N. S. oppose aux « excuses »et autres « justifications » de « certains », l’interprétation (auto-risée) du ministre : « Cette crise […] est la réaction [de ceuxqui alimentent les systèmes mafieux] devant la déstabilisationde ceux-ci par le travail policier. » Sauf qu’en la présentantainsi, il tombe dans le panneau qu’il dénonce : donner un sensà la « crise ». Dès lors, il s’expose à la même critique que cellequ’il prodigue à « toujours les mêmes » : où sont ses preuves ?Qu’est-ce qui fonde cette interprétation ? Que deviennent là-dedans les deux adolescents électrocutés, et les insultes duministre ? N’ont pas existé peut-être ?…

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Notes de l’année 2006

4 janvier 2006. – Proximité et polices municipales, de Vir-ginie Malochet (manuscrit article CSI, 2006 1) : « [L’agent] vavers les autres d’autant plus volontiers qu’il évolue dans unmilieu familier, d’autant moins qu’il se sent confronté à unmilieu étranger, voire menaçant » – voir par la suite l’argumen-taire opposé (corruption par la proximité…).

4 janvier 2006. – Discernement : de l’intervention de N. Sar-kozy « lors de la cérémonie du 61e anniversaire de la créationdes CRS, le 4 janvier 2006 à Vélizy » : « Être exemplaire, c’estrespecter la déontologie policière […] je serai toujours votrepremier défenseur à chaque fois que vous êtes injustement misen cause. Je serai intransigeant avec tous ceux qui s’affranchis-sent de ces règles. Mais être exemplaire, c’est aussi agir avecdiscernement, c’est-à-dire proportionner ses méthodes et sesmoyens à la situation »… (Au passage : « accroissement dunombre des gradés d’ici à 2012 pour aboutir à un taux d’enca-drement de 46 % » ! ! !)

5 janvier 2006. – Perle préfectorale. Où l’absence radicale depensée et de culture de la prévention, et même de la dissuasion,conduit l’autorité préfectorale à passer les bornes de l’insanité.Il s’agit de l’incident du « train Nice-Lyon » du 1er janvier 2, quia fait subitement, le 4, les grands titres des médias. Le Figaro

1. Proposition d’article dans la foulée de sa thèse : « Les policiers municipaux, ou lesambivalences d’une profession », Bordeaux-II, doctorat sociologie.

2. Allusion à l’attaque du train Corail Nice-Lyon dans la nuit du 31 décembre 2005au 1er janvier 2006.

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du 5 janvier, article de Christophe Cornevin et Cyrille Louis,« Violence du train Nice-Lyon : la grande défausse » : « […]explique Françoise Souliman, directrice du cabinet du préfetdes Alpes-Maritimes. En outre, il n’aurait servi à rien de mettrenos policiers à bord de ce train en partance pour le Var, dansla mesure où ils ne sont pas autorisés à interpeller en dehors dudépartement. » En conséquence, ils n’auraient pu que regarderpassivement les voyageurs se faire détrousser ! ! ! Voir la revuede presse sur cet événement : il condense tous les traits du trai-tement populiste de la sécurité : tentative de dissimulation (troisjours pour que la presse s’en saisisse) ; politisation immédiate(Lang et Chirac tirant sur Sarkozy) ; emballement médiatiqueet politique ; défausse généralisée des responsables locaux(préfet, région, SNCF) ; bottée en touche et instrumentalisa-tion du ministre (ordonnance de 1945 sur les mineurs, alorsmême que les interpellés sont majeurs)… ; annonce de réformesde structures policières (création d’une « nouvelle » – sic –police des chemins de fer) au prétexte d’un incident… (= lapolice pâte à modeler)… ; montée au créneau de la justice (procet juges du siège), etc., alors même que les faits exacts sont(encore) fort mal connus.

9 janvier 2006. – « Au cœur des flics. » Il s’agit d’un repor-tage, signé Ph. Levasseur, séquence du magazine « Envoyé spé-cial » de France 2, diffusé le jeudi 5 janvier 2006 à 20 h 50, etrediffusé le samedi 7 janvier à 15 heures sur TV5 Monde. Suivipendant quelques jours et nuits de la police de Noisiel, aprèsles émeutes. Le mot de la fin (dans tous les sens du terme)est donné par ce policier de la BAC, à la fin de la nuit du31 décembre (qu’on annonçait chaude) et qui dit : « Cette nuit,on n’a pas fait grand-chose. On n’a fait que circuler en cher-chant le flagrant délit, sans succès, malheureusement. » C’est,dans sa naïve spontanéité, une illustration parfaite de tout cedont le documentaire témoigne : l’incompétence absolue despoliciers de base dans le rapport au terrain, à la population etaux jeunes…

12 janvier 2006. – Statistiques de la délinquance. Le Figarodu jour, article sur la délinquance : « Hausse des violences. Unesource policière donne trois causes à cette hausse constatée :la société est de plus en plus violente ; le développement desmoyens de protection des biens fait que le vol passe davan-tage par la violence ; et dans le cadre familial la tendance àdéposer plainte augmente. » Comme quoi, dès que les chiffres

notes de l’année 2006

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augmentent, les « responsables » de droite retrouvent spontané-ment les mêmes réflexes que la gauche en 2001 : plaider quele phénomène est complexe et que le même chiffre mélangedes processus sociaux très différents : évolution sociale glo-bale ; transfert (ou effet pervers) suscité par les mesures dedéfense ; changement dans le comportement de report. Il estbon de voir la droite s’essayer à la sociologie, même si on avaitcru comprendre que « la délinquance, il ne s’agit pas de lacomprendre, mais de la combattre ».

18 janvier 2006. – Contrairement à ce que pense la trèsgrande majorité des policiers, le rôle de la police ne consistepas à appréhender les délinquants, mais à les dissuader en pré-venant la délinquance (et par là éviter qu’il y ait des victimes).Lorsqu’elle doit se mettre en chasse pour arrêter les cri-minels, c’est qu’elle a failli à sa mission première. Le tribunaldes Conflits ne dit rien d’autre : 12 décembre 2005, préfet de larégion Champagne-Ardenne c/cour d’appel de Reims, nº 3494 :« La mission des services de police, au titre de leur activité depolice administrative, consiste à assurer la sécurité des per-sonnes et des biens et la préservation de l’ordre public » (AJDA[Actualité juridique droit administratif], 16 janvier 2006, p. 60).

notes inédites sur les choses policières, 1999-2006

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II

Le sociologue, la politiqueet la police

Textes rassemblés par Antoinette Chauvenetet Frédéric Ocqueteau

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1

D’un engagement l’autre…

par Antoinette Chauvenet 1

J’ai hésité un temps à intervenir et m’y suis finalementdécidée pour deux raisons. D’abord parce qu’ayant suivi de prèsle parcours professionnel de Dominique pendant trente-neuf anset ne serait-ce que parce qu’il nous est arrivé à plusieursreprises de travailler ensemble, il m’a semblé important d’évo-quer un aspect particulier de son parcours. Je voudrais préciserdes éléments qui permettent, selon moi, d’éclairer sa positionprofessionnelle, une position qui est inséparable de son œuvre.En outre, s’il s’agit aujourd’hui d’une journée consacrée à sonapport à la sociologie, c’est aussi une occasion de lui rendrehommage, et il est pour moi important de rendre hommage àson engagement professionnel à partir de la place que j’aioccupée à ses côtés. Peut-être estimerez-vous que je ne réussispas à faire abstraction de ma subjectivité, mais je ne suis pasalors dans une situation très différente de celle de tout unchacun, qu’il soit ou non sociologue.

Dominique avait 24 ans lorsque je l’ai rencontré. Il avaitquitté quelque temps auparavant la Mutuelle nationale des étu-diants de France (Mnef) dont il avait été le vice-président et ilallait être quelques mois plus tard recruté comme sociologue auCNRS. Il travaillait à ce moment-là au laboratoire de sociologieindustrielle que dirigeait Alain Touraine.

Il avait, comme plusieurs de ses camarades d’alors, la nos-talgie d’une époque où, disposant à la Mnef d’une grandeliberté d’action, il avait pu concilier un besoin d’agir, un besoin

1. Sociologue, directrice de recherche, EHESS.

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de responsabilité, en même temps qu’un idéal d’engagement àla fois politique et professionnel. Depuis, il a toujours cherchéà réunir ces conditions et à satisfaire ces différentes exigences.

Une des qualités qui m’avaient le plus frappée chez lui,c’était le fait qu’il pensait par lui-même. Il savait à quellesdéterminations il voulait résister et dans lesquelles il voulaits’engager. C’est cette liberté de pensée qui a assuré depuis lacohérence de son engagement politique et professionnel. Elle semanifestait aux niveaux politique et intellectuel.

Au niveau politique, alors que dominaient dans le milieu étu-diant des idéologies souvent dogmatiques, attachées à des orga-nisations exclusives, il était proche, sans pour autant seréclamer d’une appartenance, d’une mouvance qui s’intitulait lagauche syndicale. Celle-ci puisait dans ce qui se faisait dans lesdiverses gauches européennes et d’ailleurs, et en particulier à lagauche du PC italien, des analyses et une nébuleuse d’idées pra-tiques destinées à l’action locale. Les Temps modernes, parmid’autres revues, diffusait en France ces différents courants.

La gauche syndicale se distinguait de ces groupes ou partissur plusieurs points. Elle refusait de se reconnaître comme uneorganisation et par conséquent comme l’embryon d’un parti.Elle ne considérait pas non plus que le socialisme est quelquechose d’extérieur au capitalisme qui surgit du dehors pour ledétruire, ni qu’il consiste en la conquête du pouvoir, y comprispar la bataille électorale. Si la victoire électorale donne le droitde gouverner, elle n’est pas un moyen suffisant pour accéder ausocialisme, dans la mesure où elle n’en donne pas le pouvoir.L’accès au socialisme ne peut être que le produit d’un processusinterne. Lélio Basso 2 écrit dans Les Temps modernes en 1967 :« La révolution socialiste, ce n’est pas la conquête du pouvoirmais le long processus qui la précède et qui la prépare en trans-formant progressivement les structures de la société capitalistedans le sens du socialisme. » En outre, pour cette mouvance,l’expansion de la démocratie et la bataille pour le socialismevont de pair et sont indissociables. Le développement de ladémocratie sur tous les plans et en tout lieu est une conditionpour combattre les nouveaux modes de pénétration et de domi-nation du capitalisme.

2. Lélio BASSO, « Les perspectives de la gauche européenne », Les Temps modernes,février 1967, p. 1456-1499.

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Dans ces conditions, l’engagement pour la démocratisationde la société et pour le socialisme se situe, dans la lutte au quo-tidien, au niveau de la pratique professionnelle hic et nunc dechacun, où qu’il se situe.

Par ailleurs l’engagement de chacun se déploie dans leschamps du possible. « L’engagement et le choix politique sontl’aboutissement d’une prise de conscience qui part de l’expé-rience fragmentaire et directe d’un changement nécessaire parceque possible », écrit, parmi d’autres, André Gorz 3. C’est à larévélation de cette possibilité, actuelle ou non, traductible ounon en actions pratiques, dans tous les domaines de la viesociale que chacun doit atteler sa réflexion. Dans cette tâche,dans ces domaines et à tous les niveaux, les intellectuels ontun rôle important à jouer, aux côtés de ceux qui s’emploient àtransformer les choses.

En bref, l’activité de militant ne se dissocie pas de l’activitéprofessionnelle.

Cet ensemble de considérations laisse toute sa liberté depensée au chercheur ; par ailleurs, il implique la reconnaissancede ce que d’aucuns nommeront la liberté politique, d’autres,comme Alain Touraine, l’historicité des rapports sociaux.

À ce propos, je dois dire que Dominique a toujours consi-déré qu’il avait une dette importante à l’égard d’Alain Touraine,dont il disait qu’il lui avait appris ce qu’étaient la sociologie etles rapports sociaux.

Je pense que c’est lorsqu’il a choisi de se lancer dans larecherche sur la police, seul et isolé, quasiment en cachette audébut, puisque son premier livre sur la police était signé d’unpseudonyme, qu’il a pu pleinement conjuguer engagement poli-tique et engagement professionnel, action et responsabilité, neserait-ce que parce que la question policière se situe d’embléesur le terrain du politique et de l’État, et ce, depuis et à la placeoù il était et sans jamais la quitter, une place de sociologue.

Quant à son autonomie de pensée au niveau intellectuel, elles’est manifestée, selon moi, dans le type de sociologie critiquequ’il a toujours activement et constamment cherché à définiret pratiquer, une sociologie critique qui se situe précisémentà l’articulation de la production de connaissance et de

3. André GORZ, « Réforme et révolution », Les Temps modernes, février 1967,p. 1345-1388.

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l’engagement politique œuvrant à une transformation de lapolice dans une perspective démocratique.

Dans un article intitulé « Maintenant », Claude Lefort écrit en1977 : « L’objet de connaissance se voit attribuer aujourd’huila vertu de se suffire à soi-même. Sont abolies les complicitéslouches qui se nouaient à la recherche du sens 4. » Pour Domi-nique Monjardet, il s’agissait toujours au contraire de nouer laconnaissance au sens, le sens politique, et de diffuser l’intelli-gibilité de son objet, la police, dans cet horizon démocratique.

Nouer la connaissance au sens, c’est plus précisément conju-guer la connaissance, issue de la pratique de la sociologie entant que discipline, et le jugement. Ce qu’il s’agit de conjuguer,c’est :

— d’un côté, les contraintes que sont les connaissancessociologiques, c’est-à-dire la part de vérité qu’elles contien-nent. Et il s’agit bien de vérités contraignantes puisque la mêmeméthode de recherche appliquée au même objet aboutit auxmêmes résultats – ceci constituant la condition de la cumula-tivité des connaissances sociologiques ;

— de l’autre, ce sont les maximes du sens commun néces-saires au jugement et à l’opinion. Ces maximes sont, tradition-nellement, en termes socratiques ou kantiens : en premier lieu lanécessité de penser par soi-même ; deuxièmement, de penser ense mettant à la place de tout autre, c’est-à-dire penser du pointde vue de la communauté, du bien public ; et, troisièmement, lapensée conséquente, ou le principe de non-contradiction, c’est-à-dire le fait d’être en accord avec soi-même. Ce principe denon-contradiction est entendu à la fois au niveau de la penséeet au niveau de l’action, au niveau logique et au niveau éthique.

Ces différentes maximes, Dominique semblait les mettre enpratique naturellement.

La pensée critique dans cette optique ne signifie donc pas lesfacilités d’une sociologie de la dénonciation, mais, au sens kan-tien, un effort pour s’affranchir des préjugés et des autorités,des doctrines et des prêts-à-penser de tous ordres…

La distinction de ces niveaux est d’autant plus importanteque nous ne pouvons, en sociologie, étant nous-mêmes situésdans le monde, échapper ni au jugement ni à l’opinion. Qu’onen juge quand, faisant l’amalgame de ces niveaux et d’autresencore, ou bien les renversant, certains collègues sociologues

4. Claude LEFORT, « Maintenant », Libre, 1, 1977, p. 3-28.

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considèrent que la sociologie de la police notamment est unobjet sale qu’il vaut mieux ne pas étudier de trop près et qu’onest nécessairement de droite quand on travaille sur celui-ci.

Cette posture critique qui lie la connaissance au sens est unmoyen de quitter l’alternative du dogmatisme sociologique etdu dogmatisme politique d’un côté, du scepticisme de l’autre,lequel se résout habituellement dans l’entier relativisme ouindifférentisme, sinon dans le nihilisme.

C’est aussi une position modeste dans la mesure où, d’unepart, elle ne prétend pas détenir la vérité mais précise constam-ment ce qu’elle peut connaître et ce qu’elle ne peut pasconnaître, et, d’autre part, rend raison de ce qu’elle avance, rendcompte des arguments et des faits à partir desquels elle a forgételle opinion.

La critique, c’est également la faculté qui combine le parti-culier et le général sans les subsumer sous des règles géné-rales qu’on peut enseigner ou apprendre. Au contraire, portantau jour les implications des opinions non soumises à l’examen,elle libère le jugement, « la plus politique des aptitudes men-tales de l’homme », comme l’écrit H. Arendt 5. Elle libère lejugement politique qui débouche sur l’action. Ainsi Dominiquese saisit-il souvent d’événements des plus particuliers dans lapolice, de détails des plus concrets ou triviaux pour en démonterles implications ou les contradictions afin de créer un espace dedébat, ouvrir une perspective d’action possible.

Cette aptitude à se saisir de ce qui est à portée de main, etdonc accessible à tous, s’inscrivait chez Dominique dans unrapport très pensé à la théorie. Il revendiquait parfois ce qu’ilnommait un positionnement théorique à moyenne portée, seréférant ici à Alvin Gouldner. Et ce, non seulement parce qu’ilse méfiait des extrapolations, mais aussi parce qu’il ne voyaitpas l’intérêt des spéculations qui ne dérangent personne, quiconcernent plus des cénacles que la communauté et n’ontaucune influence sur la conviction du public. Enfin, il considé-rait, de façon logique avec tout ce qui précède, qu’il n’y a dethéorie valide qu’étayée sur des enquêtes empiriques auxrésultats fiables, et enracinées dans l’expérience personnelle.C’est pourquoi il a été un homme de terrain, des terrains denature diverse et à de multiples niveaux, et c’est aussi pourquoi

5. Hannah ARENDT, Juger, sur la philosophie politique de Kant, Seuil, « Libreexamen », Paris, 1991.

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il connaissait à fond les recherches sociologiques existantes,qu’il était à l’affût de toutes les connaissances et faits produits,par exemple par les commissions d’enquête, de tout ce qui pou-vait confirmer, remettre en cause et étendre la connaissance deson objet.

Cette position qui articule le sens politique à la productionde connaissance avait pour implication un engagement dans ledéveloppement de la réflexion et de l’action dans une perspec-tive démocratique, partout où elles étaient possibles. Ceci àpartir de sa position de sociologue et en maintenant toujourscette articulation, sans en abandonner l’un ou l’autre versanten cours de route. À ce niveau également, cette position estmodeste dans la mesure où, partant de la connaissance, elle n’entransgresse pas les limites.

C’est ainsi qu’il a participé à la création de l’IHESI pour ydévelopper et encourager les recherches sur la police et tenterde sensibiliser le monde policier à l’intérêt que peut revêtir pourlui la recherche. Il a créé avec René Lévy le premier sémi-naire européen qui a vu le jour sur les choses policières, suivid’autres séminaires, à l’EHESS avec moi-même, à l’IEP avecPierre Favre, puis avec Frédéric Ocqueteau. Il a acceptéd’ouvrir un espace de distanciation et de réflexion en tant queconseiller à la Direction centrale de la sécurité publique auministère de l’Intérieur. Il a aussi été présent auprès de journa-listes ; il en a formé ou initié un bon nombre aux choses poli-cières. Il est intervenu régulièrement dans les différentes écolesde police ainsi que dans les formations dispensées par l’IHESI.Il a été présent dans de multiples instances associatives et poli-tiques, municipales, parlementaires et gouvernementales degauche lorsqu’elles voulaient bien s’intéresser à la police. Iln’a pas hésité à battre le fer avec les différents syndicats dela police. Il a alors, et dans d’autres circonstances également,comme au ministère de l’Intérieur, et je reprends ici ses proprestermes, « mouillé sa chemise » plus d’une fois. Il a créé aussi,récemment, avec d’autres, des politiques et des professionnels,une association, l’Association pour la sécurité dans la démo-cratie qui a pour objectif de réfléchir et d’œuvrer à ce que pour-rait être, peut être, doit être une police et, au-delà, la sécurité,dans un pays démocratique.

C’est d’une fidélité à un idéal exigeant de jeune homme que,selon moi, son parcours professionnel témoigne.

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Dominique Monjardet, les cadres,les professions et l’utopie gestionnaire

par Pierre Tripier 1

Pendant quinze ans les travaux de Dominique Monjardet por-tèrent sur les cadres et les couches moyennes et intermé-diaires. Cette période va du premier ouvrage qu’il signe avecGeorges Benguigui, Être un cadre en France ?, publié chezDunod en 1969, à une série d’articles sur les couches et lesclasses moyennes qu’ils publient ensemble entre 1982 et 1984.Le but de ce témoignage est d’en rappeler les traits les plus sail-lants. En effet, cette période d’une quinzaine d’années présentetrois caractéristiques :

— La plupart des travaux sont signés Benguigui et Mon-jardet ou Monjardet et Benguigui, et seul son ami, partenaire etcomplice pourrait dire comment interpréter le respect de l’ordrealphabétique ou son inversion.

— Le sujet de ces travaux, ce sont, d’une façon ou d’uneautre, les cadres et les ingénieurs.

— Ils sont abordés sous de multiples angles, mais – est-ceune illusion rétrospective ? – avec beaucoup de cohérence, nonsans que ces travaux soient influencés, au moins dans le voca-bulaire, par les énoncés courants de l’époque. En somme, pourcomprendre ces travaux, il faut articuler monologisme et dialo-gisme. Une œuvre ouverte mais avec une épine dorsale propre,ce qui lui donne sa cohérence.

1. Professeur émérite, laboratoire Printemps et université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

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Sociologie des cadres

Être un cadre en France ? est ce que l’on appelait jadis untravail de morphologie sociale. Il répond à quelques questionsqui permettent de cerner ce groupe professionnel : combiensont-ils ? S’agit-il, sous le même mot, d’une population homo-gène ? Comment entre-t-on dans la carrière de cadre ? Ont-ilsle même parcours professionnel ? Que signifie ce statut qui lesdistingue du reste de la population salariée ?

Sans entrer dans le détail de ces questions dont les réponsesont beaucoup évolué, notons que Être un cadre en France ?est le premier ouvrage qui met en évidence le destin des élitessorties des grandes écoles, distinct de celui des autodidactes(alors la moitié des cadres dans la mécanique-métallurgie).L’ouvrage s’opposait ainsi à la mythologie de la IVe Républiqueet du début de la Ve qui laissait croire une certaine unité dedestin pour tous ceux qui atteignaient le statut envié de cadre, etqui, par le moyen de ce contrat social fondé sur des règlesuniques, présentait la mobilité sociale de tous comme une possi-bilité ouverte. À l’époque, certains grands groupes prospèresavaient toujours deux directeurs « sortis du rang », autrementdit, autodidactes.

Déjà à l’époque, la « fin de l’âge d’or des cadres » estannoncée. Un climat de crise corrélé avec l’apparition, pour lapremière fois de l’après-guerre, du chômage de ces « employésde confiance ».

Pendant sept ans (1970-1977), on rencontre peu de travauxde Dominique Monjardet. C’est que ce temps est consacré, avecGeorges Benguigui bien sûr, mais aussi avec Annie Jacob et leregretté Antoine Griset, à une recherche empirique sur le tra-vail des cadres, innovante à la fois dans son ambition, sesméthodes et ses résultats. Comme le dira plus tard Jean Dubois :« L’originalité de cette recherche est d’avoir choisi de poserla question, apparemment naïve : Que font les cadres ? Les dis-sertations foisonnent sur ce qu’ils sont, sur ce qu’ils pensent,comme s’il était entendu que ce qu’ils mettent dans leur emploidu temps allait de soi. […] Le simple fait d’envisager que letravail des cadres soit le produit d’une véritable division du tra-vail et non d’une simple diversité est déjà sacrilège […]. Ilfallait enfreindre un autre tabou pour mener à bien cette étude[…], elle a dû très vite faire fi des définitions statutaires offi-cielles pour s’étendre à l’ensemble du personnel d’encadrement.

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Cela revenait à faire une autre hypothèse sacrilège : que les bar-rières qui séparent les cadres des non-cadres n’aient pas un fon-dement dans la réalité du travail 2. »

En effet, ce travail sur « ce que font les cadres » (on notera laproximité avec Ce que fait la police) va se transformer en « Lafonction d’encadrement ». Dans cette fonction, selon le moded’organisation des secteurs de l’entreprise, il faut inclure cer-tains agents de maîtrise et certains techniciens. Deux centquatre-vingts personnes furent interrogées. Toutes déclinentleurs emplois du temps, journalier, hebdomadaire et mensuel.Elles y ajoutent les communications horizontales (même niveaude responsabilité) et verticales qu’elles entretiennent. Commedans les bonnes taxinomies naturalistes, le traitement de cesdonnées fut établi par classification arborescente montante 3, etdonna naissance à neuf groupes de taille sensiblement égale.Chaque groupe est composé de tous ceux dont plus du quartdu temps est employé à une fonction majeure de conceptionou d’encadrement. Il serait trop long, dans le cadre de ce texte,d’entrer dans les détails techniques. Il faudrait en retenir untableau, reproduit dans La Sociologie des cadres de Bouffar-tigue et Gadéa 4, sur la répartition en fonctions.

Cette ambitieuse recherche aboutit à des constats sur l’unitéfonctionnelle de l’encadrement – ses rôles techniques et sociauxdans les établissements –, mais aussi sur une division du tra-vail dans laquelle, pour les uns, prédomine la technique, alorsque, pour les autres, c’est bien la politique. « La fonctiond’encadrement » incite également à une vision de la vie de tra-vail du cadre en termes de carrière et d’attente de carrière. Elleparvient aussi à montrer la relation entre la position structu-relle que chacun occupe et la vision qu’a le cadre du reste de

2. Jean DUBOIS, « Note de lecture sur la recherche sur les fonctions de l’encadre-ment », in Recherches économiques et sociales, 14, La Documentation française, Paris,1977.

3. La classification arborescente montante est celle que préfère Buffon contre Linné.Établir une taxinomie ascendante suppose de « commencer tout en bas, en assortissanten groupes les espèces qui se ressemblent, puis en combinant ces groupes en une hié-rarchie de taxa d’ordre supérieur. Cette classification […] est employée aujourd’hui partous les taxinomistes » (Ernst MAYR, Histoire de la biologie, Fayard, Paris, 1989). Taxaest le pluriel de taxon. Ce mot désigne un groupe d’organismes reconnu en tant qu’unitéformelle à chacun des niveaux de classification. Par exemple Canis lupus, le loup, estun taxon du rang de l’espèce, alors que les Canidae, qui regroupent les chiens, lesrenards, les loups, etc., sont un taxon du rang de la famille.

4. Paul BOUFFARTIGUE et Charles GADÉA, La Sociologie des cadres, La Découverte,« Repères », Paris, 2000.

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l’entreprise, notamment son acceptation ou son refus, perçucomme illégitime, du syndicalisme.

Approfondissements et ruptures

À partir de ces résultats, très riches, on assiste chez les deuxauteurs, Dominique Monjardet et Georges Benguigui, ensembleou séparément, à une efflorescence d’articles et de contributionsà des ouvrages collectifs, dont certains approfondissent les tra-vaux précédents et d’autres conduisent à des réflexions sur lessciences sociales et leurs savants qui préfigurent peut-être lesrecherches futures sur les gardiens de prison ou sur les policiers.

Dans les approfondissements, il faudrait placer l’article deDominique Monjardet sur « Organisation, technologie etmarché dans l’entreprise industrielle » dans lequel il se séparede la perspective de certains, notamment celle de l’AnglaiseJoan Woodward, qui faisait de l’« impératif technologique » undéterminant majeur de l’organisation. Dans ces schémas réduc-teurs, il propose d’introduire la situation sur le marché (domi-nant ou dominé) comme variable majeure, associée à l’indiceindétermination/technicité.

Il faut aussi signaler ses deux articles dans le recueil collectifLe Travail et sa sociologie 5. Le premier portait comme titre :« À la recherche des fondateurs : les traités de sociologie du tra-vail ». Il comparait le chapitre « Sociologie industrielle » duTraité de sociologie générale dirigé par Georges Gurvitch aucontenu du Traité de sociologie du travail de Friedmann etNaville.

Dominique tirait de la comparaison qu’il s’agissait « beau-coup moins d’un traité spécialisé (Friedmann-Naville) versus untraité général (Gurvitch), mais bien d’une sociologie de cher-cheurs, moderne, empirique, concrète, de terrain, utilisable etvendable contre une sociologie de professeur : archaïque, théo-rique, abstraite, de cabinet, gratuite et invendable 6 » et, dans unfinal plein de panache, il concluait à l’impossible unification dela sociologie du travail comme discipline mais à sa constitutionréussie comme profession.

5. Claude DURAND et alii, Le Travail et sa sociologie. Essais critiques, L’Harmattan,Paris, 1983.

6. Ibid., p. 123.

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Dans une conclusion que Claude Durand lui avait demandéepour le même ouvrage, il va encore plus loin et définit ce qu’ilcroit être la vocation du sociologue : « L’objet du discourssociologique est de mettre en question, problématiser, déséqui-librer les discours des acteurs (de son objet ou de son sujet)[…]. Cette problématisation de tout discours (dont le discourssociologique) constitue en elle-même le travail par lequel unesociété […] se pense elle-même, ou du moins s’y essaie […].Le critère d’évaluation, de pertinence, du discours savant estainsi sa capacité à questionner, déséquilibrer le discours spon-tané. Ce qui implique certaines techniques. La plus répandueest la technique scientifique (quantitative) dans la mesure oùc’est en empruntant sa forme que le sociologue se revêt de lalégitimité dominante. Ce faisant, il se prend à son propre piègeet bascule dans un positivisme aujourd’hui rejeté par les“vraies” sciences, en confondant l’instrument par lequel sondiscours revendique une audience et l’objet qu’il poursuit. »Plus loin, Dominique Monjardet donne son avis sur la socio-logie réflexive, dont la sociologie de la dénonciation « quicertes déséquilibre le discours des dénoncés, mais du point devue d’une vérité extérieure aux rapports sociaux qui engendrentle discours dénoncé et le discours dénonçant […]. Cette dimen-sion critique immanente disqualifie le sociologue de toute pré-tention au savoir et de tout droit au pouvoir 7 ». Je m’arrête là,mais j’invite tous ceux qui sont intéressés par l’œuvre de Domi-nique Monjardet à lire, méditer et enseigner ce superbe articlede six pages, dans lequel il nous expose ce qu’il pense être unesociologie intelligente.

Après cet aparté historique et méthodologique, il convientde revenir sur les suites de la grande enquête sur les fonc-tions d’encadrement. Elle débouche sur une interrogation liéeaux limites de la sociologie du travail, chez Monjardet et Ben-guigui, ou plutôt sur la nécessité de l’utiliser dans d’autresdomaines que ceux de l’activité économique.

Il s’agit de trois articles : « L’utopie gestionnaire : lescouches moyennes entre l’État et les rapports de classe 8 »,« Travail et culture dans l’analyse des classes moyennes 9 »,tous deux signés Monjardet-Benguigui, et « La pensée utopique

7. Ibid, p. 196-198.8. Revue française de sociologie, XXII, 1982, p. 605-638.9. In Classes et catégories sociales, Edires, Paris, 1985, p. 141-151.

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et les couches moyennes : quelques hypothèses 10 » sous laplume du seul Monjardet.

Pour être plus précis, j’aborderai ces textes à rebours, d’abord« La pensée utopique », puis « Travail et culture ». Ils éclaire-ront, j’espère, « L’utopie gestionnaire », plus ambitieux maisaussi plus complexe.

« La pensée utopique et les couches moyennes : quelqueshypothèses » se situe à un niveau élevé de généralité, doncd’abstraction. Il pose la relation des classes moyennes à la poli-tique, à partir d’enquêtes sur ce thème, menées en particulierpar Nonna Mayer et Gérard Grunberg. Ces auteurs souli-gnaient que les couches intermédiaires, entre les dirigeants etles ouvriers, se partagent en deux groupes : ceux qui raisonnentà partir de l’unité du corps social et ceux qui partent de sadivision. Dominique Monjardet pense que ces deux termes sonten relations dialectiques, à la fois complémentaires et opposés,mais, dit-il, l’utopie des couches intermédiaires est « de définirles termes de la contradiction comme une alternative ». Leurutopie est de « définir un projet pur, réalisé au-delà descontraintes et des contingences […] avec des temps et desmoyens infiniment malléables, […] cette utopie est morale : elleest sécularisation de valeurs, tentative pour ordonner le mondeautour de celles-ci. […] À ce titre, elle est l’horizon de tousles groupes spécialisés dans la gestion de valeurs et tout spécia-lement les travailleurs sociaux de tous ordres (du prêtre au poli-cier) qui forment le bataillon des couches moyennes salariées ».Cette utopie, et il définit l’utopie comme une idéologie sansstratégie, amène ces couches moyennes à rapporter tous les dys-fonctionnements du système social à l’incompétence de ceuxqui nous gouvernent et à leur démagogie électorale. La compé-tence étant le fait de ceux qui, à l’aide de la méthode expéri-mentale à la Claude Bernard, peuvent dire comment résoudreles problèmes qui se présentent. L’utopie du milieu de la pyra-mide, à la fois altercation et alternative, permet ainsi de semettre à distance du stratégique, tout en jugeant de ses erreurs,une position moralement confortable.

Dans ce texte, contrairement à son habitude, DominiqueMonjardet fait passer une vision un peu dichotomique : il nesouligne pas, par exemple, le rôle des classes moyennes dans laconstitution et le renforcement de l’État de droit et des régimes

10. Sociologie du Travail, nº 1, 1984, p. 50-63.

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démocratiques. Mais une autre façon de lire ce texte est d’yvoir apparaître des thèmes développés dans les derniers papiersavant l’abandon de ces couches intermédiaires pour la police.Thèmes que nous allons, maintenant, examiner.

En effet, l’article « Travail et culture dans l’analyse desclasses moyennes » part de la suggestion de Maurice Halb-wachs de noter une différence substantielle entre les agents quiservent et transforment la nature et ceux qui servent et trans-forment les hommes. Gouldner 11, à l’époque, pensait une répar-tition proche de celle-ci lorsqu’il établissait une différence entreles intellectuels de la raison pratique et ceux de l’État de bien-être, mais, probablement plus subtile. Mais c’est à Gold-thorpe 12, et par lui à Renner 13, que Monjardet et Benguiguiempruntent l’idée d’une troisième classe : celle des services auxpersonnes.

Halbwachs avait noté l’implication dans leur travail de ceuxqui ont comme fonction d’aider le monde social à se repro-duire, comme les petits fonctionnaires ou les employés, maisaussi leur sensibilité à la permanence et à la matérialité. MaxRenner revu par Goldthorpe ajoute que, pour appartenir à cequ’il appelle la « classe de service », il faut à la fois bénéficierde la confiance de ses supérieurs et d’une certaine autonomie.Implication, confiance et autonomie, le duo Monjardet-Ben-guigui décrivait, il y a plus de vingt ans, les traits de ce que le« nouvel esprit du capitalisme » réclame à ses agents.

C’est à l’aide de ces deux notions : utopie et classe de ser-vice, que nous pouvons maintenant aborder cet article ambi-tieux et crucial dans la bifurcation de Dominique Monjardetvers la sociologie de la police et du maintien de l’ordre. Le titrede l’article résume un propos qui met l’accent sur le fait que :

— Les couches moyennes appartiennent à des appareils. Lavocation de ces appareils est de servir d’intermédiaire entre laclasse des propriétaires des moyens de production et celle deleurs employés ou de veiller à la reproduction de ces popula-tions. Elles se situent au centre des rapports de classes mais

11. Alvin W. GOULDNER, The Future of Intellectuals and the Rise of the « NewClass », Macmillan, Londres, 1979.

12. John H. GOLDTHORPE, « On the service class, its formation and future », inA. GIDDENS et G. MACKENZIE (éds.), Social Class and the Division of Labor, CambridgeUniversity Press, Cambridge, 1982.

13. Karl RENNER, « The service class », in T. BOTTOMORE et P. GOODE, Austro-Marxism, Oxford University Press,1972.

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aussi au centre des relations entre État et société civile (ne pasoublier : l’État vient alors de nationaliser une partie de l’éco-nomie, quelques grands groupes, et la totalité des banques. Onest alors très loin de l’État que nous connaissons aujourd’hui).

— Se situant au centre de ces relations, les couches intermé-diaires font les élections, puisque c’est de leur vote fluctuantque dépendent les succès électoraux, mais de ce fait ellescondamnent le centre électoral à ne pas avoir d’existencecomme force politique effective.

— Comme centre de la société et agents d’appareils, cescouches moyennes font de la défense de ces structures leurcombat politique et syndical. Et leur argument est celui del’idéologie gestionnaire, cette illusion qui leur fait croirequ’elles sont dépositaires du vrai savoir et du bon vouloir.Puisque l’utopie est un désir sans stratégie, c’est l’autoconsidé-ration, la définition de soi comme en avance sur les autres, plussavant, plus pertinent, plus intègre, mieux attentif au bienpublic, qui leur permet de penser qu’elles vont trouver commentrésoudre les quadratures du cercle. Apories inventées par unMarx, voyant dans l’affrontement entre deux classes la néces-sité de « faire nation », ou conçues par Machiavel et Fichte àpropos d’un État arbitre et régulateur des relations entre lesGrands et le peuple, surtout quand c’est du peuple que vient lalégitimité de cet État.

On peut se demander aujourd’hui, où tout indique un état debasculement entre Machiavel et Marx, quelle est la valeur dela construction sophistiquée de « L’utopie gestionnaire. Lescouches moyennes entre l’État et les rapports de classes ». Est-elle prémonitoire du néocapitalisme, de ses réformes structu-relles et de l’affaiblissement des moyens d’action de l’Étatnational, au profit d’un jeu de Monopoly entre grands groupesindustriels et financiers mondiaux ? Est-elle, au contraire,témoin d’une conjoncture singulière, le dernier effort plus oumoins réussi, en Europe occidentale, de donner à l’ordre démo-cratique ses moyens d’action ? Je ne trancherai pas entre lesdeux hypothèses, mais reste admiratif de cette construction quiannonce, comme je l’ai dit, le départ de Dominique Monjardetvers d’autres aventures scientifiques et intellectuelles.

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L’émergence des recherches en sciences socialessur la police en France : les séminaires organisésau sein du GERN, 1986-1991

par René Lévy 1

Avant toute chose, je voudrais féliciter ses responsablesd’avoir pris l’initiative d’organiser cette journée et remercier leCNRS de la soutenir. Et je voudrais dire que prendre la paroledevant tous les amis de Dominique est pour moi un honneurdont je remercie les organisateurs, mais dont j’aurais commenous tous préféré qu’il n’eût pas lieu d’être. Les organisateursde cette rencontre ont souhaité que j’évoque avec vous les sémi-naires que Dominique Monjardet et moi avons organisés à partirde 1986. Je n’ai pas l’intention de présenter une analyse argu-mentée de la place qu’ont tenue ces séminaires dans le dévelop-pement des recherches sur la police, car il n’appartient pas auxacteurs d’écrire leur propre histoire. Mon propos relève doncplutôt du témoignage, et c’est à cette aune qu’il faudra l’éva-luer, en précisant néanmoins que je me suis fondé sur desarchives bien conservées.

Avant d’entreprendre l’histoire du séminaire lui-même, ilconvient de s’arrêter sur le contexte scientifique et politiquede la période. Dans un article consacré à la mise en place etaux vicissitudes de la politique de la recherche au ministère del’Intérieur – article qui constitue en quelque sorte l’arrière-plande mon propos –, Frédéric Ocqueteau et Dominique Mon-jardet ont rappelé quel était l’état de la recherche sur la police

1. Directeur de recherche au CNRS, directeur du GERN (Groupe européen derecherche sur les normativités). Je remercie Bessie Leconte pour son aide dans la miseau point de ce texte.

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en France au début des années 1980 2. Comme en témoignel’esquisse bibliographique proposée dans le numéro spécial deSociologie du travail en 1985, la recherche sociologique sur lapolice était quasi inexistante en France, avec un seul centre derecherche spécialisé, le Centre d’études et de recherches sur lapolice (CERP) de l’IEP de Toulouse, fondé en 1976 par Jean-Louis Loubet del Bayle 3. Les premiers contrats initiés par lanouvelle Direction de la formation de la police nationale, sousl’égide du premier comité de recherche, ne furent signés qu’en1983, de sorte qu’avant qu’apparussent, à peu près simultané-ment en 1984, le premier rapport de recherche sur « La policequotidienne, éléments de sociologie du travail policier 4 »(Dominique Monjardet, Antoinette Chauvenet, Daniel Chave etFrançoise Orlic) et ma recherche de thèse sur le flagrant délit,dont le terrain remontait aux années 1979-1981, je crois pou-voir affirmer qu’à part nous cinq, aucun chercheur n’avaitjusqu’alors séjourné durablement dans des services de policepour en observer le fonctionnement 5.

Du point de vue de la recherche empirique, la police fran-çaise était donc un territoire tout à fait inconnu, et, faut-il ledire, largement fantasmé. Peu de chercheurs s’y intéressaient,pour des raisons sur lesquelles Dominique s’est longuementpenché 6, et il n’existait pas de demande de la part des policeselles-mêmes (Police nationale ou Gendarmerie nationale) ou de

2. Frédéric OCQUETEAU, Dominique MONJARDET, « Insupportable et indispensable, larecherche au ministère de l’Intérieur », in P. BEZES, M. CHAUVIÈRE, J. CHEVALLIER,N. MONTRICHER, F. OCQUETEAU (dir.), L’État à l’épreuve des sciences sociales, LaDécouverte, Paris, 2005, p. 229-247 ; voir également la postface de J.-M. Erbès àD. MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, La Décou-verte, 1996, p. 290-296.

3. D. MONJARDET, « Esquisse bibliographique », Sociologie du travail, 27, 4, 1985,p. 468-470 ; voir aussi J.-L. LOUBET DEL BAYLE (dir.), Police et société, Presses de l’Ins-titut d’études politiques de Toulouse, Toulouse, 1988, en particulier l’introductionp. 9-17, et J.-L. LOUBET DEL BAYLE, La Police, approche socio-politique, Montchres-tien, Paris, 1992, p. 155.

4. D. MONJARDET, A. CHAUVENET et alii, « La police quotidienne. Éléments de socio-logie du travail policier », Groupe de sociologie du travail, Paris, 1984.

5. André Davidovitch avait bien eu accès au commissariat d’Orléans, mais sonenquête, menée de 1965 à 1967, était uniquement documentaire (A. DAVIDOVITCH,L. DUPARC et alii, « La déviance et la délinquance en milieu urbain », Centre d’étudessociologiques, Paris, 1974).

6. D. MONJARDET, « Police et sociologie : questions croisées », Déviance et Société,8, 4, 1985, p. 297-311 ; à ce sujet, voir aussi R. LÉVY, F. OCQUETEAU, « Police perfor-mance and fear of crime : the experience of the left in France between 1981 and 1986 »,International Journal of the Sociology of Law, 15, 1987, p. 259-280.

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leurs tutelles directes avant 1981 7. En outre, l’accès au terrainétait malaisé, en raison du caractère centralisé et hiérarchisédes institutions policières qui leur permettait – et leur permettoujours – de contrôler la présence d’observateurs extérieurs enleur sein. Même si l’expérience de recherche du CESDIP (lamienne pour la police judiciaire et celle de Renée Zaubermanpour la gendarmerie un peu plus tard) montrent qu’il existaitune voie d’accès judiciaire, il n’en reste pas moins vrai qu’ilexiste une forte corrélation entre l’ouverture de l’institution et laconjoncture politique – la suite des événements l’a amplementdémontré. L’histoire du séminaire de recherche sur la policeest elle-même fortement marquée par cette situation comme onle verra, et c’est pourquoi j’essaierai dans mon propos de mettreen relation le développement du séminaire et l’évolution ducontexte politique.

Une rencontre et un projet

Lorsque nous avons envisagé de lancer un séminaire sur lapolice, Dominique et moi nous connaissions depuis un anenviron. Nous nous étions rencontrés (ainsi qu’avec Antoinette)les 6-7 mars 1985 à Vaucresson, lors d’un séminaire organisépar le ministère de la Justice et consacré à « L’approvisionne-ment de la justice pénale », où j’avais présenté mon travail dethèse sur les relations police-justice. Dominique préparait alorsle numéro spécial police de Sociologie du travail (1985, 4) etil me proposa d’y participer. C’est ainsi qu’a commencé notrecollaboration.

C’est cette même année que Philippe Robert, alors directeurdu CESDIP, avait lancé le GERN, sous la forme d’une RCP(Recherche coordonnée sur programme) ; ayant moi-même par-ticipé à la préparation de cette initiative (tout comme FrédéricOcqueteau, qui en rédigea le rapport préliminaire 8) et soucieuxd’en nourrir les activités, c’est tout naturellement que nous nous

7. D. MONJARDET, « Le chercheur et le policier. L’expérience des recherchescommanditées par le ministère de l’Intérieur », Revue française de science politique, 47,2, 1997, p. 211-225.

8. F. Ocqueteau en reprend les principales conclusions dans « Nouvelles approchesdiachroniques et synchroniques dans le champ d’étude de la déviance et de la crimi-nalité », Déviance et Société, 10, 1, 1986, p. 1-19.

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sommes tournés vers ce dispositif qui était, de surcroît, enmesure d’apporter un début de financement.

Dans la « Note en vue de la création d’un séminaire sur lapolice au sein du GERN 9 » que nous avions rédigée à l’inten-tion de la direction du GERN, nous insistions sur le fait qu’unfrémissement se produisait depuis peu dans le domaine del’étude de la police et que le moment paraissait « donc propiceà la création d’un “lieu” de confrontation intellectuelle, d’unséminaire dont l’ambition serait de favoriser une élaborationthéorique de cet objet qui tienne compte de l’apport des diffé-rentes disciplines intéressées (histoire, sociologie, sciences dupolitique, sciences du droit) ». Et nous précisions que « le pro-gramme de ce séminaire s’organiserait autour de trois axes : lestravaux français récents ou en cours ; les apports de la littératureétrangère ; les “questions de démarche et de méthode” ». Nousy posions les principes directeurs de l’entreprise : ancrage dansles recherches empiriques en cours, ouverture sur l’étranger etcollaboration interdisciplinaire.

L’intérêt de notre association tenait à une double complé-mentarité : d’une part, notre expérience de recherche était dif-férente, car nous avions abordé les questions policières sous desangles différents – Dominique à travers la police en tenue etmoi à travers la police judiciaire ; d’autre part – et cela expli-quait en partie le point précédent –, nous venions de traditionsde recherche très différentes : lui de la sociologie du travail,moi de la sociologie de la déviance et du système pénal. Desorte que nous pouvions non seulement mobiliser ces diffé-rentes approches, mais aussi faire appel à des réseaux de cher-cheurs qui ne se recoupaient pas, du moins à l’origine. Nousobtînmes le feu vert du GERN en avril 1986, assorti d’un créditde 10 000 francs (1 500 euros) pour les deux premières années.Nous escomptions que la Direction de la formation de la Policenationale, que dirigeait encore Jean-Marc Erbès, serait enmesure de fournir un complément de financement.

Une première réunion, consacrée à l’organisation du sémi-naire se tint le 6 octobre 1986 ; elle fut suivie, jusqu’enjuin 1987 de sept réunions mensuelles, consacrées chacune àune présentation suivie d’un débat. Cette première réunion setint en très petit comité ; étaient présents, outre les deux initia-teurs, Philippe Breton, Frédéric Ocqueteau, Patricia Paperman,

9. CESDIP, réf. SEC/96-1, non daté.

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Fritz Sack, Lode Van Outrive et Alvaro Pires (simplement depassage). Les réunions suivantes de cette première année comp-tèrent de six à dix participants, plus ou moins réguliers autourdu noyau initial, en particulier Jean-Claude Monet, PhilippeRobert, Dominique Duprez, Antoinette Chauvenet.

La deuxième séance, en novembre 1986, fut consacrée à ladiscussion d’un long texte de Dominique, sobrement intitulé« Notes pour une construction sociologique de l’objet police »,dans lequel il esquissait un certain nombre de thèmes qui n’ontcessé de l’inspirer par la suite et qu’on retrouvera dans uneversion naturellement beaucoup plus élaborée dans son livre de1996, et en particulier la nécessité pour toute théorie de lapolice de prendre en compte la triple détermination qui résultede « la prescription hiérarchique, [de] la demande du citoyenet de l’intérêt professionnel » (p. 3). Il montrait ensuite en quoil’analyse empirique du travail policier invalidait un certainnombre de théories existantes, pour finalement esquisser unethéorisation combinant l’idée de la triple détermination avec ladéfinition bittnerienne de la police 10.

Comme en témoignent les comptes rendus, la tonalité théo-rique était très présente au cours de ces premières réunions, àpartir de thèmes aussi divers que la lecture juridique de lanotion de police administrative, les difficultés à définir leconcept de police, ou encore la sécurité privée en France, lecontrôle de la police en Allemagne, la légitimité de la policeanglaise ou la place du droit dans la formation des policiersbelges, qui donnèrent lieu à des débats dépassant largement lescas particuliers présentés.

Comme je l’ai indiqué, notre séminaire visait à accompa-gner l’émergence d’une recherche sur la police encouragée parle ministère de l’Intérieur et à permettre à l’embryon de

10. Ce texte amorce en quelque sorte un débat prolongé avec Jean-Paul Brodeurautour du sens et de la portée de la définition de la police proposée par Bittner ; voirE. BITTNER, Aspects of Police Work, Northeastern Universty Press, Boston, 1990, et latraduction en français de l’un de ses textes dans J.-P. BRODEUR, D. MONJARDET,« Connaître la police. Grands textes de la recherche anglo-saxonne », Les Cahiers de lasécurité intérieure, hors série, La Documentation française, Paris, 2003, p. 47-64 ; voiraussi J.-P. BRODEUR, Les Visages de la police, pratiques et perceptions, Presses del’Université de Montréal, Montréal, 2003, et le débat « Autour de Bittner » dansDéviance et Société, 25, 3, 2001, notamment les articles de R. LÉVY, « E. Bittner et lecaractère distinctif de la police : quelques remarques introductives à un débat »,p. 279-284 ; J.-P. BRODEUR, « Le travail d’Egon Bittner : une introduction à la socio-logie de la force institutionnalisée », p. 307-324 ; F. JOBARD, « Comprendre l’habili-tation à l’usage de la force policière », p. 325-345.

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communauté scientifique qu’il contribuait à faire naître – etdont la plupart des membres n’avaient pas d’expérience préa-lable de ce domaine – de se rencontrer et de débattre de leurnouvelle expérience de recherche, au contact de chercheursétrangers plus expérimentés. Le GERN était bien placé pourcela, puisqu’il s’appuyait sur une communauté scientifiqueeuropéenne spécialisée dans les questions pénales où les spé-cialistes de la police étaient assez nombreux.

Or l’évolution de la conjoncture politique modifia complète-ment la perspective du séminaire. Le retour de la droite au pou-voir au printemps 1986 et l’arrivée de Charles Pasqua auministère de l’Intérieur interrompirent brutalement ce mouve-ment. De sorte que le séminaire, qui ne démarra réellementqu’après ces bouleversements politiques, se transforma, enquelque sorte, en lieu de résistance où, à l’encontre du climatpolitique du moment, on voulait affirmer la légitimité d’uneapproche sociologique et scientifique des questions policières.Cette dimension est très présente dans le bilan que nous avionsdressé de la première année de fonctionnement. Voici en effetce que nous écrivions en juillet 1987 : « La poursuite de ceteffort nous paraît d’autant plus nécessaire que l’on est revenuen France à une politique de fermeture de l’institution policièreà toute recherche sans finalité directement opérationnelle, ce quirisque de conduire à la stérilisation d’un domaine de recherchequi commençait seulement à sortir du sous-développement quiétait le sien 11. »

Nous étions en particulier préoccupés par le fait que beau-coup des chercheurs qui avaient été attirés vers ce domaine parl’ouverture du ministère de l’Intérieur s’en éloignaient de nou-veau et, ayant été échaudés, risquaient de n’y jamais revenir.

Reformulation et déroulement du séminaire

C’est dans ce contexte que nous avons été amenés à repenser,non pas les grands principes, mais en tout cas la démarche duséminaire. Nous y étions également conduits par le succès trèsrelatif de la formule précédente dont, comme on l’a vu, ledémarrage avait été assez laborieux, puisque près de la moitiédes participants appartenaient au CESDIP.

11. GERN, Séminaire sur la police, circulaire nº 9, 16 juillet 1987.

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Par conséquent, nous avons cherché à rendre le séminaireplus attractif, en organisant des sessions moins nombreuses,mais au contenu plus fourni et davantage thématisé, et en ren-forçant sa dimension internationale, pour compenser, enquelque sorte, le tarissement prévisible des travaux français.

À partir du second semestre 1987, et jusqu’en 1991 donc,nous avons tenu onze réunions, à raison de trois journéescomplètes par année universitaire, selon une formule qui s’estensuite généralisée dans les séminaires du GERN. Chaque ses-sion a donné lieu à une demi-douzaine de communications, dontune forte proportion présentées par des étrangers (s’exprimantgénéralement en français, cela mérite d’être souligné).

L’année 1987-1988 fut consacrée à la question de la profes-sionnalisation, sous trois angles : la professionnalisation commerevendication des policiers et/ou objectif des pouvoirs ; la ques-tion des « savoirs » policiers ; le contrôle de la police.

En 1988-1989, nous nous sommes intéressés aux « tech-niques et pratiques policières », passant en revue les trois grandescomposantes de la police : police urbaine et maintien de l’ordre ;police judiciaire ; police politique et de renseignement.

En 1989-1990, dans le contexte de la création de l’IHESI (queJ.-M. Erbès nous avait annoncée en décembre 1988) et la pers-pective d’un renouveau des recherches, il nous a paru urgentde revenir vers le troisième axe que nous avions initialementdéfini, celui des démarches et des méthodes, en cherchant àconfronter la démarche des chercheurs à celle d’autres « produc-teurs de connaissances » sur la police, tels que les journalistes,les parlementaires, les inspections, voire les groupes militants,dont la production cumulée était (et reste) quantitativement biensupérieure à celle de la recherche et de laquelle cette dernièrese nourrit d’ailleurs abondamment. Nous avons donc successi-vement abordé : l’enquête journalistique et les différentes sourcesdocumentaires et archivistiques ; le travail des commissionsd’enquête parlementaires (présenté par des parlementaires) ; lesapproches des différentes sciences sociales (sociologie, ethno-logie, histoire) et les avantages ou inconvénients respectifs desrecherches internes et externes sur la police.

Par rapport aux débuts du séminaire, cette formule s’estavérée plus intéressante et elle a attiré un auditoire de vingt àvingt-cinq personnes à chaque séance, venues d’une quinzained’institutions et d’une demi-douzaine de pays différents – lenoyau dur étant composé de Français, Belges, Britanniques et

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Allemands, avec la participation plus occasionnelle d’Espa-gnols (en général Catalans), de Néerlandais, d’Italiens, deSuédois et d’Américains… Au total, un tiers des participants etmême deux tiers des communicants étaient étrangers, ce qui tra-duisait bien notre souci que le séminaire soit un instrument detransfert des connaissances entre les pays où la recherche sur lapolice était davantage développée et ceux où elle était encorebalbutiante.

S’agissant d’un séminaire de recherches, nous n’avons pascherché à attirer un auditoire de praticiens, mais nous avonsvoulu permettre aux chercheurs de dialoguer avec des profes-sionnels concernés par ces questions et un certain nombred’entre eux y ont présenté des communications touchant à leursexpériences professionnelles, comme Jean-Marc Erbès, Jean-Claude Monet, Jacques Genthial, André Sibille, LaurentDavenas ou, dans un autre registre, les journalistes Edwy Plenelet Walter De Bock, ainsi que les parlementaires Serge Mou-reaux et Luciano Violante. Dans ce domaine, l’expériencemontre que lorsqu’on veut faire intervenir publiquement desprofessionnels de la police, il vaut mieux faire appel à des hautsresponsables connus pour leur liberté de ton qu’à des prati-ciens de base qui tiennent en général des propos très officiels oudéfensifs lorsqu’ils interviennent devant un public non policier.

Entre-temps, la conjoncture politique s’était de nouveaumodifiée, avec le retour de la gauche aux affaires après les élec-tions de 1988, suivi, en 1989, de la création de l’IHESI et de lanomination de son premier directeur qui, par un heureux hasard,se trouva être Jean-Marc Erbès. Dès juillet 1989, nous avonspréparé un projet visant à obtenir un complément de finance-ment de l’IHESI pour la poursuite du séminaire, qui jusqu’alorsavait fonctionné avec des moyens dérisoires : une subventionannuelle de 5 000 francs du GERN et l’appui logistique desservices communs du CESDIP. C’est finalement en mai 1990qu’une convention d’un an fut signée avec cet organisme en vuede l’organisation de trois séances consacrées respectivement :au développement de la sécurité privée en Europe (complétantles deux séances que nous avions consacrées aux premiers tra-vaux de Frédéric Ocqueteau sur la sécurité privée en France, endécembre 1986 et janvier 1987) ; au syndicalisme policier ; auxcultures et valeurs policières.

Au cours des années précédentes, notre priorité avait étéd’entretenir un réseau de chercheurs susceptibles, le moment

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venu, de réinvestir ce champ. À cette fin, chaque séance faisaitl’objet d’un compte rendu qui était adressé à une soixantaine depersonnes avec les textes des communications.

Après la création de l’IHESI, nous avions en quelque sortele sentiment d’avoir achevé notre mission et la dernière phasedu séminaire visait essentiellement à opérer une transition avecle programme de l’Institut. C’est pourquoi – et peut-être aussien raison d’une certaine lassitude après cinq ans de sémi-naire – nous avions décidé de changer de nouveau complète-ment de formule et de nous engager dans une entreprise derecherche comparative collective dont le séminaire aurait étéle lieu d’échange entre les participants. Il s’agissait d’étudierla coopération policière internationale sous un angle particu-lier, non pas pour elle-même, mais dans ses effets en retoursur les systèmes nationaux, sous l’angle des contagions et desrésistances qu’elle suscitait au sein de ces derniers. Nous avionsrédigé un projet très argumenté, et sensiblement plus coûteuxque le séminaire précédent, que nous avions soumis à l’IHESIen mars 1992 12.

Malheureusement, ce dernier n’était pas en mesure de lefinancer sur le moment et le dossier était resté en pannejusqu’au début de 1994, où Jean-Marc Erbès nous avait signaléla levée des obstacles financiers. Nous nous trouvions alorsdans la « deuxième cohabitation » (gouvernement Balladur), etCharles Pasqua était redevenu ministre de l’Intérieur. L’opéra-tion avait été inscrite au programme de l’Institut endécembre 1994 et aurait dû être formalisée dans les semainessuivantes. Le remplacement, au même moment, de Jean-MarcErbès par Jean-Michel Roulet devait faire capoter le projet.Cette « mise à mort du dispositif » est bien analysée dansl’article précité de F. Ocqueteau et D. Monjardet 13. Il faut tou-tefois souligner que, durant les années 1992-1995, un autreséminaire de recherches sur la police avait en quelque sorte prisle relais à l’IHESI, animé par Jean-Marc Berlière, en s’appuyanten partie sur le même réseau, mais avec une orientation plusfranchement historienne.

12. R. LÉVY, D. MONJARDET, « Contagions et résistances : les effets de la coopérationeuropéenne sur les systèmes nationaux de police. », Projet pour le séminaire derecherches sur la police du GERN 1993-1995, Paris, 1992.

13. F. OCQUETEAU, D. MONJARDET, « Insupportable et indispensable, la recherche auministère de l’Intérieur », loc. cit.

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Quel bilan tirer de cette expérience ?

J’ai le sentiment que ce séminaire a constitué une expé-rience forte pour ses participants, chez lesquels, pour autant queje puisse en juger, il a laissé des souvenirs vivaces. Cela tientsans doute à ce que, pendant toute cette période, il a été l’un desrares lieux en France – avec le CERP de Toulouse – où deschercheurs venus d’horizons divers ont pu réfléchir aux ques-tions de police et confronter leurs idées dans la durée.

En ce qui concerne le domaine des recherches sur la police,il me semble qu’avec soixante-dix communications présentéesde 1986 à 1991, le séminaire a efficacement joué le rôle que lescirconstances lui ont assigné et a effectivement couvert non seu-lement tout ce qui existait en France à l’époque, mais égalementune bonne partie des recherches dans les pays voisins. Il a aussijoué un rôle important dans la circulation de l’information rela-tive aux nouvelles publications ou aux rencontres scientifiquestouchant à la police.

J’ai dit au début que Dominique et moi étions en mesurede mobiliser des réseaux différents ; je crois précisément quel’un des résultats importants du séminaire est qu’il a permis deles fusionner. Dominique indique d’ailleurs, dans une annexe deson livre Ce que fait la police, que le réseau bâti par le sémi-naire a servi ensuite de vivier aux activités internationales del’IHESI.

Au plan personnel, cela a été également pour moi, et sansdoute pour Dominique, une période importante, d’abord parceque cette coopération a scellé notre amitié. Ensuite, parce qu’ellea été le germe de relations de travail (et souvent d’amitié)durables avec d’autres collègues impliqués dans ce champ (etje pense en particulier à Clive Emsley et à Jean-Marc Ber-lière). À la réflexion, au cours de la vingtaine d’années où nousavons, par intermittence, travaillé ensemble, ces séminaires– celui dont je viens de parler, puis le séminaire « Questions depolice » que, précisément, nous avons coanimé avec Jean-MarcBerlière et Clive Emsley de 1999 à 2002 – ont constitué l’essen-tiel de notre collaboration, car nous avons peu publié ensemble.

Au cours de celle-ci, une troisième complémentarité estapparue que nous ne pouvions prévoir entre nos aptitudes res-pectives : Dominique était en quelque sorte la tête et moi lesjambes ; comme il avait horreur des tâches administratives, etque je disposais de mon côté au CESDIP d’une logistique

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adéquate, c’est à moi qu’incombait, pour l’essentiel, l’organi-sation intellectuelle (les contacts avec les participants) etmatérielle. De son côté, il était entendu qu’il se chargeait princi-palement d’animer les discussions, domaine dans lequel il avaitl’esprit plus vif que moi.

Le point faible de cette entreprise, rétrospectivement, ce futpeut-être de ne pas avoir capitalisé suffisamment ce séminairesous la forme d’une publication collective. À l’origine, nousavions prévu une publication, mais, par la suite, le format duséminaire et le fait qu’il s’était étiré sur une longue période ren-dirent la chose difficile. J’ai bien retrouvé dans mes archives unplan d’ouvrage collectif assez détaillé datant de 1990 mais il n’apas eu de suite. Par ailleurs, Dominique n’était pas un fanatiquede la publication à tout prix et je pense que l’énergie nous a unpeu manqué – en outre, il n’y avait guère de débouché éditorialà l’époque –, d’autant qu’un inventaire précis nous avait montréqu’au moins un tiers des textes – les plus achevés – avaient déjàété publiés dans des revues ou des ouvrages. Il en résulte queles traces écrites de cette opération sont assez ténues 14.

Pour terminer, je voudrais m’arrêter un instant sur la situa-tion actuelle, qui est à beaucoup d’égards très éloignée de cellequi prévalait en 1986, et à certains autres très proche. Il va desoi que le champ des recherches en sciences sociales sur lapolice s’est infiniment développé depuis 1986 ; aujourd’hui lesrecherches se comptent par dizaines, et les publications égale-ment. Nous approchons du moment où il sera possible de tenterune première synthèse des connaissances, un peu à la manièrede l’ouvrage de Robert Reiner, Politics of the police 15. Maisd’un autre côté, nous assistons – incrédules et sidérés – auretour de « l’ère Pasqua 16 » et à la troisième tentative de mise àmort du dispositif de recherche du ministère de l’Intérieur, véri-fiant le propos de Frédéric Ocqueteau et Dominique Mon-jardet dans leur article de 2005, lorsqu’ils écrivent : « Dès quela droite revient aux affaires et que les visions du monde

14. R. LÉVY, « Séminaire de recherches sur la police, compte rendu final (cycle1991) », GERN, Paris, 1991. Voir également la liste des publications connues enannexe.

15. R. REINER, Politics of the Police, Oxford University Press, Oxford, 2000 (3e éd.).16. Charles Pasqua a été nommé en septembre 2006 au conseil d’administration de

l’INHES sur désignation par le président du Sénat (Journal officiel, nº 226, du 29 sep-tembre 2006, p. 14454), tandis que son proche collaborateur, et l’un des chefs de filedu courant « national-libéral » de l’UMP, Pierre Monzani, avait été nommé le 29 juinprécédent directeur de cet institut.

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conservatrices reprennent le pas […] [l]es élites dirigeantes dela police de sécurité se referment à tout apport de connaissancesextérieures critiques sur leur propre monde, conjurant ainsi ledanger de l’ouverture et de la transparence institutionnelle à desregards extérieurs à nouveau disqualifiés comme incompétents(plutôt qu’hostiles) 17. »

Certes, puisqu’il est déjà presque mort deux fois, rien ne ditque ce dispositif ne ressuscitera pas une troisième, mais, enattendant, à l’heure où triomphe « la résistance délibérée auprojet de connaître 18 », le regard lucide, la plume acérée etl’esprit caustique de Dominique Monjardet vont douloureuse-ment nous manquer.

Liste des communications présentées au séminaire(1986-1991) 19

Séance du 6 octobre 1986 : Réunion d’organisation.Séance du 10 novembre 1986 : D. MONJARDET (GST-CNRS),

« Note pour une construction sociologique de l’objet“police” ».

Séance du 8 décembre 1986 : J.-C. MONET (CESDIP-CNRS),« Les recherches financées par le ministère de l’Intérieur ».

Séance du 12 janvier 1987 : F. OCQUETEAU (CESDIP-CNRS),« Enjeux des lois et règlements concernant la sécuritéprivée 20 ».

Séance du 9 février 1987 : F. SACK (Universität Hamburg),« Expériences allemandes du contrôle de la police ».

Séance du 9 mars 1987 : R. LÉVY (CESDIP-CNRS), « Lapolice, une notion piégée ».

Séance du 6 avril 1987 : A. CHAUVENET (CEMS-CNRS), « Unelecture de l’ouvrage de E. Picard, La Notion de police admi-nistrative (LGDJ, Paris, 1984) ».

Séance du 11 mai 1987 : L. VAN OUTRIVE (KUL), « La place dudroit dans la formation des policiers belges ».

17. F. OCQUETEAU, D. MONJARDET, « Insupportable et indispensable, la recherche auministère de l’Intérieur », loc. cit., p. 245.

18. Selon la formule fameuse de Jean-Paul Brodeur.19. Sans garantie d’exhaustivité, lorsqu’une communication a donné lieu à une publi-

cation, la référence de celle-ci est indiquée en note.20. F. OCQUETEAU, « La consécration juridique et politique du secteur de la sécurité

privé : autour de la loi du 12 juillet 1983 », Actes. Les Cahiers d’action juridique, nº 60,1987 (été), p. 3-19.

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Séance du 15 juin 1987 : C. EMSLEY (Open University), « Thelegitimacy of the English police 21 ».

Séance du 11 décembre 1987 : « La professionnalisation :revendication des policiers ou objectif des pouvoirs ? »

J.-M. BERLIÈRE (Université de Bourgogne), « Les débuts de laprofessionnalisation de la police en France sous laIIIe République 22 ».

J.-M. ERBÈS (ancien directeur de la formation et de l’équipe-ment de la Police nationale), « La réforme de la formationdans la police française (1982-1985) : un projet deprofessionnalisation ? »

J.-C. MONET (CESDIP-CNRS), « Le thème de la professionna-lisation chez les commissaires de police ».

D. MONJARDET (GST-CNRS), « Les policiers au regard de lasociologie des professions ».

H. REINKE (Gesellschaft für Historische Sozialforschung), « Latradition “militaire” de la police comme obstacle à la profes-sionnalisation policière (Allemagne et Prusse 1871-1933) ».

B. WEINBERGER (University of Warwick), « Factors impedingand factors encouraging the professionalisation of the policein Britain : an historical account 23 ».

Séance du 11 mars 1988 : « Y a-t-il un savoir policier ? »J.-M. BERLIÈRE (Université de Bourgogne), « Les “savoirs poli-

ciers” en France au tournant du XXe siècle ».PH. BRETON (GERSULP-CNRS), « Formation des personnels

et techniques de communication dans le cadre de Police-Secours 24 ».

D. DUPREZ (CLERSE-CNRS), « Représentations du métier etstratégies professionnelles (police urbaine et prévention desdélinquances) ».

21. C. EMSLEY, « La légitimité de la police anglaise : une perspective historiquecomparée », Déviance et Société, XIII, 1, 1989, p. 23-34.

22. J. M. BERLIÈRE, « La professionnalisation : revendication des policiers et objectifdes pouvoirs au début de la IIIe République », Revue d’histoire moderne et contempo-raine, 3, 1990, p. 398-428.

23. B. WEINBERGER, « Are the police professional ? An historical account of the Bri-tish police institution », in C. EMSLEY, B. WEINBERGER (éds), Policing Western Europe :Politics, professionalization and public order (1850-1940), Greenwood Press, NewYork, 1991, p. 74-89.

24. Ph. BRETON, « Police et communication. Le cas des interventions de Police-Secours, Déviance et Société, 13, 4, 1989, p. 301-326.

l’émergence des recherches en sciences sociales sur la police en france…

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C. FIJNAUT (Erasmus Universiteit Rotterdam), « Le rôle de la“science policière” dans la professionnalisation de la police(fin XIXe-1939) ».

E. HEILMAN (GERSULP), « L’introduction de l’informatique etson impact sur le travail policier 25 ».

M. KALUSZYNSKI (université Paris-VII), « Bertillon et la policescientifique 26 ».

M. TACHON, « Police-Secours entre police et secours : institu-tion et pratiques sociales ».

Séance du 20 mai 1988 : « Le contrôle de la police »M. BRUSTEN (Universität Wuppertal), « Police complaints

authority in Australia 27 ».L. DAVENAS (substitut général, cour d’appel de Paris), « Du

code de procédure pénale à la réalité : les difficultés ducontrôle de la police par le parquet ».

C. JOURNÈS (université Lyon-II), « Introduction aux probléma-tiques du contrôle de la police en Grande-Bretagne ».

D. MONJARDET (GST-CNRS), « Contrôle interne/contrôleexterne de la police en France ».

L. VAN OUTRIVE (K.U. Leuven), « Le contrôle de la police enBelgique : contrainte et contre-pouvoir syndical ».

F. WERKENTIN et A. FUNK (F. U. Berlin), « Les changementsstructurels de la police en RFA et le problème du contrôle ».

Séance du 2 décembre 1988 : « Pratiques et techniquespolicières »

C. BANSEPT (chargée de mission au cabinet du ministre de laJustice), « Le traitement des plaintes et des doléances à carac-tère non pénal dans les villes : l’expérience du Conseilnational de prévention de la délinquance ».

25. E. HEILMAN, « Des herbiers aux fichiers informatiques : l’évolution du traitementde l’information dans la police », thèse de doctorat, université de Strasbourg-II, 1991.

26. M. KALUSZYNSKI, « Bertillon et l’anthropométrie », in Maintien de l’ordre etpolices en France et en Europe au XIXe siècle, Créaphis, Paris, 1990, p. 269-285.

27. M. BRUSTEN, « Australien-Ombudsmänner und “Police complaints authorities”als Beschwerdeinstanzen », Bürgerrechte und Polizei, 35, 1, 1990, 32-47. ;M. BRUSTEN, « Neue Wege zur demokratischen Kontrolle der Polizei ? », in G. KAISER,H. KURY, H.-J. ALBRECHT (hsg.), Kriminologische Forschung in den 80er Jahren, MaxPlanck Institut Verlag, Freiburg, 1988.

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J. CAPELLE (KUL), « Le maintien de l’ordre au Royaume-Uni :un laboratoire pour l’Europe 28 ? »

C. LLOYD (Commission for Racial Equity, Londres), « Le pro-blème du racisme dans la police britannique et les mesuresdestinées à le combattre ».

J.-C. MONET (CESDIP), « Maintien de l’ordre ou création dudésordre : le cas de la manifestation du 23 mars 1979 29 ».

A. SIBILLE (commissaire principal, chef de la Sécurité généraleà Grenoble), « L’innovation dans la gestion d’un service desécurité générale : l’exemple de Grenoble ».

B. WEINBERGER (University of Warwick), « Police control ofstrikes in Great Britain (1906-1926) 30 ».

Séance du 17 mars 1989 : « La police judiciaire »B. AUBUSSON DE CAVARLAY ET R. LÉVY (CESDIP-CNRS),

« Essai de comparaison des pratiques de police judiciairedans la police et dans la gendarmerie ».

J. CAPELLE (KUL), « Mécanismes de blocage de l’enquête depolice judiciaire en Belgique ».

J.-C. EXPERT (inspecteur divisionnaire dans la Police natio-nale), « La place de l’inspecteur dans le travail de policejudiciaire ».

É. HEILMANN (GERSULP), « Une typologie des modes de trai-tement de l’information policière 31 ».

J. GENTHIAL (sous-directeur de la police scientifique et tech-nique de la Police nationale), « Renouveau de la police scien-tifique et qualification des policiers ».

M. ROBERT (magistrat à la Direction des affaires criminelles etdes grâces au ministère de la Justice), « La nouvelle qualifi-cation d’agent de police judiciaire des gardiens de la paix :difficultés et enjeux d’une réforme ».

28. J. CAPELLE, « La police et la contestation publique en Grande-Bretagne(1980-1987) », Déviance et Société, XIII, 1, 1989, p. 35-80.

29. J.-C. MONET, « Maintien de l’ordre ou création du désordre ? Les conclusions del’enquête administrative sur la manifestation du 13 mars 1979 », in J.-P. FAVRE, LaManifestation, Presses de la FNSP, Paris, 1990, p. 229-244.

30. Repris dans B. WEINBERGER, Keeping the Peace ? Policing Strikes in Britain1906-1926, Berg, New York/Oxford, 1991.

31. É. HEILMANN, « Le policier, l’ordinateur et le citoyen », Culture technique, 21,1990, p. 174-184.

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Séance du 1er juin 1989 : « Collecte et traitement de l’informa-tion politique »

C. EMSLEY (Open University), « Political policing in England :an introductory survey 32 ».

C. FIJNAUT (Erasmus Universiteit), « L’infiltration policière auxPays-Bas ».

A. FUNK (F. U. Berlin), « Le contrôle des services spéciaux enAllemagne : leçons d’une récente commission d’enquête ».

J.-C. MONET (CESDIP) et D. MONJARDET (GST), « Les rensei-gnements généraux : problématique pour une recherche ».

C. DE VALKENEER (Université catholique de Louvain), « Lapolice politique : le point sur la situation en Belgique 33 ».

Séance du 8 décembre 1989 : « Quelques sources d’informa-tions en matière de recherches sur la police »

W. DE BOCK (De Morgen, Bruxelles), E. PLENEL (Le Monde,Paris) : « L’expérience des journalistes ».

J.-M. BERLIÈRE (Université de Bourgogne), « Les archivespolicières 34 ».

C. LLOYD (Commission for racial Equality, Londres), « Pro-blèmes d’accès à l’information sur la police : le cas de laGrande-Bretagne ».

J.-C. SALOMON (IHESI), « La documentation sur la police :situation, difficultés et moyens d’accès ».

Séance du 30 mars 1990 (Bruxelles) : « Les commissionsd’enquête parlementaires sur la police »

S. MOUREAUX (avocat, sénateur, Sénat de Belgique).L. VIOLANTE (ancien juge d’instruction, député, président-

adjoint du groupe parlementaire du PCI, Chambre desdéputés d’Italie).

Séance du 15 juin 1990 : « La recherche sur la police : le pointde vue des chercheurs »

A. CHAUVENET (CEMS-CNRS), « Les ambiguïtés de l’enquête :police et prisons ».

32. C. EMSLEY, The English police. A Political and Social History, Harvester-Wheats-heaf, Hemel Hempstead, 1991.

33. C. DE VALKENEER, Le Droit, la police et la société, De Boeck, Bruxelles, 1991.34. J.-M. BERLIÈRE, « Richesses et misère des archives policières », Les Cahiers de

la sécurité intérieure, nº 3, novembre 1990-janvier 1991, p. 165-175.

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M. JEANJEAN (université Paris-VII), « Pratique ethnologique : del’implication du sujet-chercheur à la construction de l’objet ».

A. LUDTKE (Max-Planck Institut), « Studying modern police :what can historians contribute ? »

D. MONJARDET (IHESI), « Méthodes de recherche dans unmilieu discret ».

E. REBSCHER (BKA), « L’expérience de la recherche interne surla police en RFA 35 ».

Séance du 25 janvier 1991 : « Aspects actuels de la sécuritéprivée en Europe »

R. DEDECKER (UCL), « Analyse du secteur de la sécurité privéeau niveau européen ».

B. HOOGENBOOM (Université de Leyde), « Private policing :towards a differentiated and a contextual approach ».

R. LE DOUSSAL (Direction générale de l’Assistance publique,Paris), « Secteur public et sécurité privée : le cas de l’Assis-tance publique de Paris ».

D. MAGNUSSON (National Council for Crime Prevention, Stock-holm), « Contract Security Services in Sweden. The Exampleof Private Guards ».

F. OCQUETEAU (CESDIP-CNRS), « Premier bilan du contrôlepréfectoral sur les entreprises et services de sécurité privéesen France ».

N. SOUTH (U. of Essex), « Trends in the development of theprivate security sector and new theoretical directions inresearch : observations from the U.K. and North America ».

Séance du 24 mai 1991 : « Le syndicalisme policier »J.-M. BERLIÈRE (CNRS, Paris), « Quand un métayer veut être

bien gardé, il nourrit ses chiens. La difficile naissance dusyndicalisme policier : problèmes et ambiguïtés 36 ».

F. CARRER (Fondation Labo, Gênes), « Le syndicat policier enItalie 37 ».

35. Ce texte serait paru dans la Revue internationale de police criminelle en 1991.36. J.-M. BERLIÈRE, « Quand un métayer veut être bien gardé, il nourrit ses chiens.

La difficile naissance du syndicalisme policier : problèmes et ambiguïtés (1900-1914) »,Le Mouvement social, 164, juillet-septembre 1993, p. 25-51.

37. F. CARRIER, « Le syndicalisme policier en Italie », Les Cahiers de la sécurité inté-rieure, 8, 1992, p. 199-209.

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N. CHAMBRON (Centre européen de recherche et de formation,Fontainebleau), « Le syndicalisme et les pratiques de concer-tation : la Police nationale ».

C. EMSLEY (Open University, Milton Keynes), « Trade Unio-nism and the English Police ».

D. MONJARDET (CNRS-IHESI, Paris), « Les syndicats de policeen France en 1991 ».

A. RECASENS (Barcelone), « Aperçu sur la situation enEspagne ».

Séance du 14 juin 1991 : « Valeurs et cultures policières »T. JEFFERSON (University of Sheffield), « Controlling cop

culture : the case of paramilitary policing ».R. LENOIR (Université Paris-I), « Enquête sur les élèves

commissaires de police ».H. REINKE (Université de Düsseldorf), « Police culture and

values in the Weimar Republic ».B. WEINBERGER (University of Warwick), « The culture and

norms of the English Police in the Second World Warperiod ».

le sociologue, la politique et la police

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Les années 1980 et les premières annéesde l’Institut des hautes étudesde la sécurité intérieure

par Jean-Marc Erbès 1

Je ne suis pas sociologue mais ce qu’on pourrait appeler un« passeur ». Pour moi, le sociologue rendait visible ce qui n’étaitpas visible dans une profession et une organisation. D’où monappel à Dominique Monjardet dont je connaissais les recherches.Replaçons-nous en 1981. Depuis les événements de 1968, lesforces de sécurité sont essentiellement orientées vers le maintiende l’ordre et pourtant l’insécurité augmente (cf. la commissionPeyrefitte en 1977). Le syndicalisme policier demande que l’onpasse d’une police d’ordre à une police de sécurité.

L’institution policière, une boîte noire

Mai 1981, Gaston Defferre est ministre de l’Intérieur… Lahiérarchie policière est inquiète des projets de la gauche, carla base la remet en question. En février 1982, Defferre me dit :« Je veux moderniser la police, faites-moi une nouvelle poli-tique de formation. » Nous nous posions la question desobjectifs : former, mais former pour quoi faire ? Or, à cetteépoque, l’institution policière était une « boîte noire ». Il y avaitcertes la criminologie enfermée dans les facultés de droit et lascience politique dont les quelques travaux à colorationmarxiste traitaient la police comme outil au service de la classedominante. Mais nous ne connaissions rien du fonctionnement

1. Jean-Marc Erbès a été le premier directeur de l’IHESI (de 1989 à 1994).

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interne de l’institution policière, de ce que fait la police dansles rapports sociaux, pour identifier son rôle propre. Un premieréclairage nous avait certes été donné par l’étude « Interface »que nous avions commandée. Elle avait permis de définir desobjectifs de formation essentiellement centrés sur la néces-saire professionnalisation et une meilleure insertion de la policedans la société. Ce n’était qu’un coup de projecteur utile ; ilconvenait de mettre plus de lumière pour sortir de l’opacité etaller plus avant dans la connaissance de l’institution. C’est pourrépondre à ce besoin que D. Monjardet a entrepris en 1982son étude sur le travail quotidien des gardiens de la paix.L’immersion dans la base policière d’un sociologue du travailarmé d’une méthodologie confirmée fut un véritable événe-ment. Ce furent plus de deux cents entretiens individuels d’unemoyenne de 2 h 30 qu’effectua Dominique et que mena égale-ment sa femme Antoinette. Il y eut plus de huit cents heuresd’observation de terrain dans les quatre commissariats choisis.Il en est résulté en 1984 un premier rapport intitulé « La policequotidienne, éléments de sociologie du travail policier ». C’étaittout à fait inédit en France alors que ce type de recherches avaitpris de l’avance dans les pays anglo-saxons. Nous disposionsenfin d’une étude à caractère scientifique analysant le travailpolicier dans sa spécificité. L’ensemble de ces analyses, Domi-nique les a reprises dans son livre Ce que fait la police dansle chapitre « L’organisation ou l’opacité ». Il nous montre queplus que dans toute autre profession, au-delà des règles contrai-gnantes qui l’encadrent, l’organisation du travail informel jouedans la police un rôle déterminant. Ses membres sont loin departager une vision identique de leurs activités.

Connaître pour une action pertinente

Cette recherche nous a donné une moisson d’informations eta constitué pour la construction des processus de formation uneressource importante. Le caractère discrétionnaire de l’acti-vité, l’importance donnée à l’expérience par rapport aux quali-fications, la contradiction forte entre l’obligation de moyens etde résultats, la pression de la solidarité du groupe, tous cesconstats nous invitaient à développer des formations conduisantà un encadrement plus serré des métiers, par plus de qualifi-cation et une forte appropriation de la déontologie.

le sociologue, la politique et la police

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Le message renvoyé à l’institution appelait ses responsablesà mieux définir les missions et à affiner les méthodes decommandement. Malgré le sérieux de la démarche, le dis-cours du sociologue n’a d’abord pas été bien accueilli. Domi-nique rappelle dans son livre notre rencontre à l’École descommissaires à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, où nous présentionsles propositions de la recherche. Certes, le mot « discrétion-naire » pour définir le principe de sélection des activités pou-vait choquer. Nos interlocuteurs nous répondaient que l’activitépolicière est strictement encadrée par une abondante réglemen-tation, le code de procédure pénale, etc. Une voix pourtant s’estélevée, émanant d’un sous-directeur de la police judiciaire, poli-cier expérimenté et considéré, interpellant ses collègues :« Écoutez ce sociologue, vous dites ce qui devrait être, lui ilvous dit ce qui est, et l’on ferait bien de prendre en compte cemessage pour piloter l’activité policière ! »

En mars 1985, Pierre Joxe affiche une nouvelle priorité :moderniser l’équipement de la police et lancer le plan demodernisation. La formation passe au second plan, du moinspour ce qui est de l’affichage. De « direction », elle redevient« sous-direction ». Le recrutement revient à la direction du per-sonnel et prend un tour plus bureaucratique. Le ministre avaitannoncé que je serais nommé directeur du personnel et de laformation. Mais les syndicats montent au créneau, craignantque la « cogestion » soit entamée par mon mode de direction,et le ministre y renonce. Mon sort personnel n’a pas d’intérêt,mais le mécanisme montre simplement la force de la pressionsyndicale. Dominique en fait une illustration du rejet systéma-tique de toute réforme dès qu’elle menace l’équilibre précaireentre l’organisation et la profession et qu’elle déstabilise le sys-tème de décision interne.

L’organisation de la recherche sur le champ de la sécurité

Après l’intermède Pasqua (mars 1986-mai 1988), Pierre Joxerevient à l’Intérieur. Ayant été un auditeur intéressé del’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), ilveut la création d’une structure semblable. Celle-ci est crééeen janvier 1989. Dans l’esprit du ministre, la sécurité doit fairel’objet d’un débat serein en vue de se fonder sur un consensus,et être coproduite par de nombreux partenaires. À côté de la

les années 1980 et les premières années de l’institut des hautes études…

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formation qui est appelée à s’appuyer sur les acquis de larecherche, Dominique Monjardet, en qualité de conseiller tech-nique, va pouvoir engager une action vigoureuse pour étendreles recherches sur l’ensemble du champ de la sécurité. Danscette charge, il peut développer tous ses talents. Il avait ouvertune fenêtre avec ses premiers travaux ; maintenant, toute lamaison lui est ouverte. Sans lui, j’aurais été bien démuni pourintéresser la communauté des chercheurs à travailler sur cedomaine. Sa crédibilité de chercheur confirmé, la connais-sance qu’il avait du milieu, et pourquoi pas son label CNRS,ont convaincu les chercheurs qu’il était possible de nouer descontacts avec cette nouvelle institution dont la position étaitprécaire en raison de son adossement au ministère le plus réga-lien de la République. L’avenir a montré que son indépendanceétait fragile quel que soit son statut, fût-il établissement public.

Toujours est-il que grâce à son autorité, sa crédibilité et sonhonnêteté intellectuelle, Dominique a pu lancer et coordonnerune centaine de recherches. Ces travaux ont porté aussi bien surles acteurs de la sécurité, les relations tissées entre eux, notam-ment la justice, les diverses menaces, délinquances et désordrespublics, l’histoire de l’institution…

Dominique nous a mis en relation avec les chercheursétrangers qui nous avaient précédés dans ces travaux. À traversles Cahiers de la sécurité intérieure ont été diffusés les grandstextes de la recherche et plus particulièrement anglo-saxonne.

La comparaison avec les modèles étrangers toujours richesd’enseignements a pu être approfondie, notamment lors d’unimportant colloque copiloté par Dominique Monjardet et notreami Jean-Paul Brodeur en 1994 à la Cité universitaire interna-tionale. Réfléchir en ces lieux, accueillir de nombreuses délé-gations étrangères, c’était, pour nous, donner des lettres denoblesse à un champ qui n’était pas encore très bien consi-déré. C’est au cours de cette période que Dominique a égale-ment lancé son importante étude de cohorte, à travers unquestionnaire adressé à plus de 1 100 gardiens de la paix, afinde saisir la manière dont s’opère leur socialisationprofessionnelle.

le sociologue, la politique et la police

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L’émergence de la notion de police de proximité

À partir de l’ensemble de ces recherches et réflexions, desvoyages d’étude également, notamment au Québec, et de la lec-ture des travaux faits par les chercheurs étrangers s’est dégagél’intérêt qu’il y avait à engager les forces de sécurité vers ce quis’est appelé la « police de proximité ». Ce style de police, cettestratégie tournée en dérision lors d’un déplacement du ministrede l’Intérieur à Toulouse en 2003 ne visent nullement, vous lesavez, à faire du policier un travailleur social, mais à ancrer lapolice sur un territoire, à construire une relation de confianceavec la population pour asseoir sa légitimité et être plus effi-cace, tant dans les actions de prévention que de répression.

En janvier 1995, M. Pasqua me chasse de l’Institut et nommeun de ses proches collaborateurs.

En juin 1997, Jean-Pierre Chevènement est nommé ministrede l’Intérieur. La police de proximité, terme que la droiten’avait pas totalement écarté de son vocabulaire, est réactua-lisée. Gilles Sanson est nommé directeur de la sécurité publiqueavec pour mission de la mettre en place. Il appelle auprès delui Dominique Monjardet comme conseiller technique. Actecourageux que de nommer un sociologue à proximité des hautsdécideurs du ministère 2. J’ai dit « acte courageux », mais jetempère ce propos car introduire Dominique à l’Intérieur, cen’était pas faire entrer le loup dans la bergerie. Il avait su eneffet, au cours des douze dernières années, gagner le respect etl’écoute de beaucoup de policiers, ce qui n’est pas chose facileétant donné la clôture et la méfiance de l’institution. Dominiquea d’ailleurs expliqué cette distance qu’a souvent le policier vis-à-vis du non-policier. Dans les pages qu’il consacre à la condi-tion policière, il affirme qu’à défaut de contenu substantiel dessavoirs et des tâches, l’identité policière s’éprouve dans la dif-férence avec l’autre. On est policier ou on ne l’est pas. Le rap-port à l’autre s’établit non en termes de compréhension,d’échanges, mais en termes d’alliances. L’autre est pour oucontre la police ou les policiers. Il ne faut pas en effet sous-estimer la difficulté qu’il y a pour un non-policier de s’exprimerdevant un auditoire policier qui guette les indices permettant dedire dans quel camp se range l’intervenant. Dominique, par la

2. Voir infra, la contribution de Gilles Sanson sur le rôle de D. Monjardet commeconseiller technique à la DCSP, p. 248 et s.

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pénétration de ses analyses, l’honnêteté de sa démarche,l’empathie que l’on ressentait dans les échanges, avait réussi àsurmonter cette barrière et créé avec les hommes ouverts unerelation de confiance.

Ce que fait la police, un livre fondateur

Pour conclure, je voudrais dire ceci. Pour préparer cette ren-contre, j’ai feuilleté à nouveau le livre intitulé Ce que fait lapolice, qui, publié il y a dix ans déjà, faisait la synthèse destravaux de Dominique. Je puis dire que c’est un livre fonda-teur, que tous les chercheurs ne peuvent ignorer, et que leshommes politiques devraient lire avant de prétendre diriger lapolice. Comme tous les grands livres, il demeure infinimentd’actualité, quand on constate les désordres résultant de l’actionpolicière fondée sur une politique sommaire de « résultat ».Dans son dernier chapitre « Police et démocratie », Dominiquedéveloppait sa conception de ce que devrait être selon lui unepolice démocratique, que je résume ainsi : tant que l’organisa-tion policière et l’État resteront face à face, aucune dynamiqued’évolution ne pourra réellement s’engager. L’État républicaincentralisé ne semble pas en mesure de mettre en mouvementcette institution par les seules injonctions législatives et régle-mentaires ou par des aménagements organisationnels. La pro-fession, pourtant mieux rétribuée que d’autres services publicségalement inertes, sait absorber à son profit les avantages etneutraliser l’impulsion qui lui est donnée, car sa culture profes-sionnelle ne la prédispose pas à fonder sa légitimité sur laconfiance que peut lui donner le citoyen.

C’est pour cela que Dominique Monjardet introduit dans ceface-à-face un tiers, actuellement absent, à savoir la « demandesociale » qui, seule, peut amener l’institution à se remettre enquestion et répondre à l’attente du citoyen. Cette demandesociale s’exprime dans les pays anglo-saxons à travers notam-ment des structures décentralisées. Voilà pourquoi il faut nousdemander si le ressort d’un nouveau service de sécurité deproximité ne doit pas d’abord être assis sur une demandesociale véritable. Aussi, une remunicipalisation de la policeurbaine bien encadrée ne doit pas être écartée a priori. Carque voyons-nous aujourd’hui ? La police du quotidien continueà surplomber la société ; elle est au sommet du triangle décrit

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en conclusion du livre de Dominique. On la voit agir dans lesbanlieues avec les résultats que l’on sait. Flatter les membresde l’institution et instaurer la culture du résultat ne sont pasdes ingrédients suffisants pour chasser l’insécurité. Placer lapolice urbaine au cœur de la société est sans doute la voie àsuivre, comme le disait Dominique, mais on en mesure la dif-ficulté, compte tenu de ce qu’est notre organisation publiqueet les enjeux autour de la sécurité. Nous en avons aujourd’huiencore une illustration avec la mise sous le boisseau de larecherche à l’INHES.

Pour finir, afin que Dominique soit encore plus présent parminous aujourd’hui, je voudrais citer cette phrase par laquelle ilmontrait la limite de son ouvrage tout orienté par la volontéde briser l’opacité de l’institution : « Plus généralement encore,toute police est opaque parce que nos sociétés sont divisées etqu’une société ne vit selon ses principes et ne peut institueren principe ce qu’elle vit. La société est par définition contra-dictoire. Pour autant, si l’idée d’une police transparente est uneutopie de quelque façon absurde, il est légitime d’attendre dela police la plus grande transparence possible, parce que lemouvement vers celle-ci est le mouvement même de la sociétés’efforçant de vivre au plus près de ses principes. »

Dominique Monjardet, par ses travaux, a eu le grand méritede contribuer à atténuer cette opacité.

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Dominique Monjardet et la (re)découvertedes questions policières par la science politique

par Pierre Favre 1

Je souhaite, en cette journée de souvenir et de témoignage,évoquer en premier lieu la manière dont j’ai moi-même« découvert les questions policières » afin de dire quel rôle ya joué Dominique Monjardet. J’ai, comme quelques autres,tenté de convaincre les politistes qu’il était indispensable defaire de la police un des objets centraux de notre discipline,avec jusqu’à présent un succès limité. Dans un deuxième tempsde cette intervention, il me faudra donc faire un bilan endemi-teinte de l’apport de Dominique Monjardet à la sciencepolitique.

Comme la plupart des politistes de ma génération (je suisné en 1941), je suis juriste de formation. Il n’est peut-être pasinutile de souligner qu’un étudiant en droit formé dans lesannées 1960 n’était pas ignorant des questions de police qu’ilrencontrait sous des angles divers dans plusieurs cours (droitadministratif, libertés publiques, procédure pénale, crimino-logie). Mais j’étais un juriste très attiré par la science poli-tique et je m’éloignais progressivement du droit au cours dela seconde moitié des années 1960. Cette formation juridiqueet l’attraction des grandes pensées du temps rendaient le jeuneenseignant que j’étais très attentif au marxisme dans sa versionalthusserienne et poulantzasienne. L’idée que je pouvais avoiralors du caractère central en politique de la violence (d’uneclasse sur l’autre) et de la domination par l’appareil d’État étaitdonc naturelle. Les appareils idéologiques d’État définis par

1. Professeur de science politique, IEP de Grenoble.

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Althusser étaient si connus qu’on les désignait par un sigleaujourd’hui bien oublié, les AIE. Althusser ne négligeait paspour autant les « appareils répressifs d’État » et donc la police.On comprend que, dès cette époque, l’étude de la police ait puapparaître comme une nécessité aux yeux de juristes en rup-ture avec les doctrines juridiques dominantes, ceux qui allaientse faire connaître au titre de l’école de la « Critique du droit »et qui commencent à publier la revue Procès à laquelle je fuslongtemps abonné. Les premiers travaux sur la police avec les-quels je suis en contact émanent de ce segment très particu-lier des études juridiques. Jean-Jacques Gleizal, que j’ai connualors que nous faisions l’un et l’autre un DEA de droit public àLyon, publie en 1974 sa thèse sur la Police nationale. ClaudeJournès commence à publier sur la police en Grande-Bre-tagne. Il est important pour la suite de ce récit de garder pré-sent à l’esprit que ces juristes, qui allaient eux aussi bientôtrejoindre la science politique, travaillent sur la police bien avantque Dominique Monjardet commence ses premières recherchessur ce terrain. Quant à moi, si j’ai ces quelques références entête, je n’aborde en rien dans cette période les questions depolice.

Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard, alors que je suisdevenu enseignant titulaire, que j’en viens à traiter de la policedans un enseignement (je suis alors professeur de science poli-tique à la faculté de droit de l’université de Clermont-Fer-rand). En 1983 ou 1984, las de consacrer un cours de « Grandsproblèmes politiques contemporains » (cours à l’intitulé vaguelongtemps classique en quatrième année de droit) à des ana-lyses sur les partis et la vie politique, je décide de le réorientervers des questions plus sociétales autour de l’État, du rapport àl’autorité, de la socialisation par la famille et par l’école, dela citoyenneté… J’introduis tout naturellement dans ce coursun chapitre sur la police. Mais sur quels travaux puis-je alorsm’appuyer ? Les études néomarxistes des années 1970, dont j’aiparlé, se révèlent peu utilisables, car elles s’inscrivent dans uneproblématique très particulière inaccessible aux étudiants et àlaquelle je n’adhère guère. Je n’avais pas envie d’expliquer parexemple, selon la formule de J.-J. Gleizal, que « la police estune institution critique du droit ». L’école de la « Critique dudroit » n’a d’ailleurs eu que peu de postérité. Je pourrais éga-lement utiliser les premiers travaux de mon collègue Jean-LouisLoubet del Bayle sur la police, et par exemple son article de

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1981 dans la Revue française de science politique, « La policedans le système politique ». Mais le fait que l’auteur fassesienne la problématique systémique, fortement mise en causedans les années 1975 et qui n’est alors plus guère défendue(peut-être à tort) en science politique, me pose problème. Cesprécurseurs des études de police en science politique (j’yreviendrai) me paraissent en marge des courants dominants, dumoins en France, de la discipline. Heureusement, il y a le livrede Pierre Demonque, Les Policiers (La Découverte, 1983) quiest très exactement la source dont j’avais besoin pour pré-senter la police aux étudiants. Ma rencontre avec celui que je nesavais pas encore être Dominique Monjardet est donc liée àmes activités pédagogiques et non à mes activités de cher-cheur (mon temps est à cette époque complètement investi dansune recherche sur l’histoire de la science politique en France).Pour l’enseignant que j’étais, le petit livre de La Découverte estune source idéale : il est une mine de renseignements, d’unegrande précision empirique et d’une clarté sans défaut. On ytrouve déjà la « signature » de Dominique Monjardet, l’interro-gation constante sur le mode de fonctionnement des institu-tions et la mise au jour de ce que l’on peut observer etcomprendre au-delà des apparences et des règles formelles.Pour un enseignant qui souhaite montrer à ses étudiants« comment ça fonctionne » à partir d’exemples concrets, le livres’impose immédiatement.

Ma première rencontre personnelle avec Dominique restesous le signe de son pseudonyme Pierre Demonque. ClaudeJournès organise à Lyon en mai 1986 une journée d’études surla police où il me demande – déjà ! – de parler des « Apportset attentes de la science politique face à la police ». Dominiqueest là, mais je ne le connais pas. À un certain moment, au coursd’une première discussion, je fais référence très favorable-ment au petit livre Les Policiers et dix doigts se tendent pourme montrer l’auteur dans la salle ! Nous avons le même âge,des intérêts communs, des affinités, et nous sympathisons vite.À partir de cette date, nous allons souvent faire appel l’un àl’autre, et d’ailleurs plus souvent moi que lui car il va rapide-ment devenir central dans le champ des recherches policières.

En 1988, j’organise une table ronde sur la manifestation derue pour le deuxième congrès de l’Association française descience politique qui se tient à Bordeaux en octobre. Connais-sant son enquête sur les CRS, je demande à Dominique de

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traiter du maintien de l’ordre et il contribuera au volume quisuivra par un chapitre sur « La manifestation du côté du main-tien de l’ordre ». Il me met en contact avec Jean-Claude Monetqui exposera au congrès puis dans le livre les conclusions del’enquête administrative sur la manifestation des sidérurgistesdu 23 mars 1979 marquée par de violents incidents. Cet éclai-rage sur le maintien de l’ordre, qui n’allait pas de soi dans lecontexte de la sociologie politique de l’époque, aura unenotable influence dans la discipline, je le dirai.

En 1989, avant même la création officielle de l’IHESI, Domi-nique demande à Jean-Marc Erbès de m’introduire à la Préfec-ture de police de Paris pour accéder aux sources policières surla manifestation. J’y découvre un véritable océan documen-taire que je ne soupçonnais pas et je vais y travailler quelquesannées, en y associant rapidement un jeune doctorant, OlivierFillieule, qui allait devenir un des spécialistes internationale-ment reconnus des mouvements sociaux. Cette intervention deDominique Monjardet nous permet, à un moment où pratique-ment tous les travaux étrangers sur la manifestation se fondentsur des sources de presse extrêmement lacunaires, de donnerune ampleur et un ancrage empirique incomparables à ce ter-rain de recherche. Vingt ans après, les effets en sont encore trèsprésents.

Dès le premier numéro des Cahiers de la sécurité intérieured’avril-juin 1990, Dominique veut donner de la visibilité à cestravaux et publie mon rapport sur la violence dans les manifes-tations. S’ouvre pour moi une longue période de collaborationsuivie avec l’IHESI. Je suis par exemple membre du comité derédaction des Cahiers de la sécurité intérieure, j’organise unséminaire mensuel de chercheurs sur les violences qui se pour-suivra pendant trois ans, je participe aux sessions de forma-tion, etc. Je rencontre donc souvent Dominique, à Neuilly puisrue Péclet, et il me demandera d’être membre de l’éphémèreConseil scientifique qu’il présidera.

Durant l’année universitaire 2000-2001, la dernière où jeserai en poste à Sciences Po-Paris, nous montons un séminairede troisième cycle sur la police – que Dominique poursuivra unan avec Frédéric Ocqueteau – où nous étions, face à la quin-zaine d’étudiants qui y participaient, très complémentaires : luitrès chercheur et moi très professeur… Ce séminaire reste dansmon souvenir l’un des plus intéressants que j’ai pu conduire.Lorsque je quitte Paris pour aller enseigner à l’IEP de Grenoble,

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je propose un cours à option « Police, ordre public, insécurité ».On mesure le chemin entre l’année 1983 ou 1984 où je consacreun seul chapitre d’un cours à la police et les années 2000 où uncours entier ne me suffit pas à faire le tour des questions poli-cières. Ce cours à option a un réel succès auprès des étudiantspuisque jusqu’à une cinquantaine le suivent, soit le quart de lapromotion. Et ces étudiants connaissent tous le nom de Mon-jardet puisque j’y cite constamment ses travaux. Il reste que lesuccès ne suffit pas à instaurer une tradition. À mon départ pourla retraite, le cours n’est repris par aucun enseignant.

On mesure à ce bref récit combien le rôle de DominiqueMonjardet dans ma propre appropriation des recherches sur lapolice a été central. J’ai d’ailleurs tenu à dire, il y a quelquesannées, dans un long compte rendu de Ce que fait la police àla Revue française de sociologie, toute la richesse et toute lafécondité de son œuvre majeure. Mais je suis resté jusque-là surun plan personnel (je le devais à Dominique). Il me faut main-tenant m’interroger sur ce qu’il en est à l’échelle de la disciplineà laquelle j’appartiens, la science politique.

Les recherches sur la police en science politique restent peunombreuses ; on en fera d’abord brièvement le bilan. Ce constaten demi-teinte révèle un paradoxe qu’il faut détailler. Commentexpliquer alors la réception somme toute limitée des travaux deDominique Monjardet en science politique ?

Certes, s’agissant de la place des références à la police dansla science politique française, la situation actuelle est sanscommune mesure avec celle des années 1980. Mais les étudessur la police demeurent assez étroitement circonscrites.François Dieu en a fait récemment un bilan équilibré auquel onpourra se reporter 2.

Il y a en premier lieu peu de thèses de science politique quiprennent pour objet la police : on en compte une quinzainedepuis les années 1990, dont un seul directeur de thèse (Jean-Louis Loubet del Bayle, dont l’approche doit peu à Mon-jardet) a dirigé plus de la moitié. Et pourquoi les étudiants descience politique voudraient-ils s’engager dans la préparationd’une thèse sur la police alors qu’ils n’ont pas de cours sur lapolice ? En science politique, en dehors de celui de Grenoble

2. François DIEU, « Un objet (longtemps) négligé de la science politique : les insti-tutions de coercition », in Éric DARRAS, Olivier PHILIPPE, La Science politique une etmultiple, L’Harmattan, Paris, 2004.

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que j’ai assuré cinq ans, seule l’université de Toulouse dispensedes cours sur la police. Par contre, il semble qu’il y ait de plusen plus de mémoires consacrés aux questions de police et desécurité, ce qui est de bon augure.

Quant aux recherches, elles sont, dans deux directions, for-tement redevables à l’influence de Dominique Monjardet. Onpense bien sûr à tous les travaux sur le maintien de l’ordre :il suffira de citer l’important livre, dirigé par Olivier Fillieuleet Donatella della Porta, que les Presses de Sciences Po ontpublié en 2006 et qui a sa source lointaine dans un colloque del’IHESI : Police et manifestants. Maintien de l’ordre et ges-tion des conflits. Les travaux précurseurs de Dominique dansles années 1985 ont ici amplement porté leurs fruits. L’étudedes « bavures » policières, ou plus justement des violences poli-cières illégitimes, effectuée par Fabien Jobard 3 et, sous un autreangle, par Cédric Moreau de Bellaing 4 dans sa thèse, portentaussi l’empreinte de Dominique.

Son intérêt pour la police s’est toujours accompagné d’unevigilance pointilleuse à l’égard de tous les « dérapages » éven-tuels. Je garde ainsi la trace d’une intervention qu’il m’avaitdemandé de faire en 1998 au sujet de la composition prévuepour le conseil de déontologie policière qui le préoccupait beau-coup. Dans ces deux domaines, l’influence de Dominique n’estpas directe au sens où il n’y a pas emprunt de problématique :Dominique reste largement, me semble-t-il, le sociologue desprofessions qu’il a été durant les quinze premières années desa carrière de chercheur, et cette approche est peu pratiquée enscience politique. Mais le rôle de Dominique a été décisif en cequ’il a montré le chemin (sur le maintien de l’ordre, sur lespratiques policières), en ce qu’il a constamment fait savoircombien ces recherches lui importaient et qu’il les a donc légi-timées, et en ce qu’il a aidé à leur réalisation par tous lesmoyens dont il pouvait disposer. Le rôle de Dominique dansune suite d’autres travaux de politistes est sans doute moindre,même s’il y a été toujours attentif : ceux, considérables, deSebastian Roché sur l’insécurité (Sebastian Roché qui a publiéd’importants articles dans la Revue française de science

3. Fabien JOBARD, Bavures policières ? La force publique et ses usages, La Décou-verte, Paris, 2002.

4. Cédric MOREAU DE BELLAING, « La police dans l’État de droit : les dispositifs deformation initiale et de contrôle interne de la Police nationale dans la France contem-poraine », thèse de doctorat, IEP de Paris, 2006.

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politique et donc explicitement situé ses recherches dans lascience politique), ceux de François Dieu sur les politiquespubliques de sécurité et sur la gendarmerie, ceux de BenoîtDupont sur la police australienne, ceux de Didier Bigo sur lacoopération policière européenne, pour ne citer que ceux-là. Autotal, on le voit, les recherches de science politique sur la policesont notables, mais elles se cristallisent sur quelques aspectsprivilégiés et restent difficiles à fédérer sinon à unifier.

Dans ce rapport un peu distendu avec l’objet police, lascience politique est dans une situation paradoxale. La priseen considération de la police devrait en effet être au cœur desinterrogations de science politique. Il est ainsi d’usage constantdans la discipline de faire référence à la définition wébériennede l’État caractérisé par le monopole de l’usage légitime de laforce. Cette définition devrait immédiatement conduire ceux quil’utilisent à caractériser ce « monopole de l’usage légitime dela force », d’une part en étudiant ceux qui sont en charge decet usage (en France, les policiers et les gendarmes) et d’autrepart en examinant plus au fond ce qu’est cet usage de la force.On s’attendrait par exemple que la fameuse « dispute » entreBittner et Brodeur, revisitée par Fabien Jobard, sur la définitionde la police soit commentée par les politistes. La police est-elle bien « un mécanisme de distribution dans la société d’uneforce justifiée par une situation », ce qui n’est après tout qu’undéplacement de la définition wébérienne ? Même si l’on neremonte pas à la définition de Weber, une simple énumérationdes missions de la police montre suffisamment que la police estau cœur du politique. On sait que Dominique Monjardet distin-guait la police d’ordre, qui précisément « maintient l’ordre »,la police de sécurité, en charge de la sécurité publique, et lapolice criminelle qui assure la répression du crime. Tout celaest éminemment de l’ordre du collectif et du travail public, etdonc éminemment politique. Si l’on ajoute, pour dire vite, ceque Dominique appelait la police de souveraineté (avec notam-ment les Renseignements généraux) et si l’on songe à l’impor-tance du ministère de l’Intérieur dans la hiérarchiegouvernementale, tout cela devrait faire de la police un enjeumajeur de la réflexion politologique. N’est-il pas significatifque l’un des tout derniers articles écrits par Dominique Mon-jardet soit de part en part un texte de science politique quel’on aurait pu souhaiter voir paraître dans la Revue française descience politique où il aurait été parfaitement à sa place (je fais

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référence à « Comment apprécier une politique policière ? Lepremier ministère Sarkozy, 7 mai 2002-30 mars 2004 »). Il nes’agit d’ailleurs pas de dire ici que la science politique devraitmultiplier les recherches sur la police : les politistes françaisne sont pas très nombreux (400 chercheurs et enseignantsenviron) et les terrains qu’ils devraient étudier dépassent de loinleur capacité collective de travail. Mais il est plus étrange que laréférence même à la police soit encore si rare, alors que lessources disponibles sont maintenant nombreuses et de qualité(qu’on songe par exemple aux « grands textes de la rechercheanglo-saxonne » réunis par Jean-Paul Brodeur et DominiqueMonjardet sous le titre Connaître la police).

On évoquera brièvement pour terminer quelques-unes desraisons pour lesquelles la police n’est pas couramment prise encompte dans les analyses de science politique, contrairement àce qui semblerait de la nature de son objet.

La science politique est en premier lieu une discipline struc-turée peut-être plus qu’une autre autour de problématiques sou-vent exclusives et qui balisent les terrains d’enquête de manièreparfois rigide. Une part notable des politistes demeure prochedes positions sociologiques de Pierre Bourdieu, dont on sait ques’il attache une importance décisive aux mécanismes de domi-nation dans la société, il les considère essentiellement dans leurdimension symbolique. Le paradoxe est qu’à dire ainsi la domi-nation et la violence omniprésentes dans notre société, il n’estplus utile de distinguer entre violence légitime et violence illé-gitime, entre répression physique et répression symbolique,entre régime démocratique et régime autoritaire. Il n’est doncpas nécessaire d’étudier au concret le travail policier ni d’ail-leurs d’accorder de l’intérêt aux mécanismes institutionnels quidifférencient les régimes. Il n’est que de dépouiller la revuede Pierre Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales,pour constater que depuis 1975 et dans ses 160 numéros aucunarticle ne concerne la police (en dehors des articles engagésde Loïc Wacquant sur la « tolérance zéro » aux États-Unis). Lespolitistes se réclamant de Bourdieu n’ont donc guère d’inclina-tion à se pencher sur les travaux de Dominique Monjardet. Ungrand nombre d’autres politistes sont absorbés par des terrainsd’enquête spécifiques, travaux historiques des tenants de lasociohistoire du politique, travaux sur les décisions publiquesdes spécialistes de politiques publiques, travaux sur les relationsinternationales… Il ne reste plus guère de place pour l’objet

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police ! On comprend que ce n’est que dans la seule mouvancede l’étude des mouvements sociaux ou dans la suite de tra-vaux sur la violence (comme ceux conduits par Philippe Braud)qu’une attention aux missions de police puisse se faire jour.

Une explication plus spécifique du caractère limité del’influence de Dominique Monjardet réside dans l’histoiremême de la discipline. Il faut garder présente à l’esprit la chro-nologie des études de police en science politique. Dominiquen’est pas ici le « père fondateur » sur le terrain policier qu’ilest certainement dans la sociologie française. Les « pères fon-dateurs » des études de police en science politique françaisefont paraître leurs premiers travaux ou créent des centres derecherche dans les années 1970 : on peut rappeler que Jean-Jacques Gleizal publie son livre sur la police en 1974 5 et queJean-Louis Loubet del Bayle crée dès 1976 le Centre d’étudessur la police de Toulouse. Dominique, lui, ne commence àpublier sur la police qu’en 1983 et ne le fait systématique-ment et massivement qu’à partir de 1985. Cet ordre d’entréeen scène a des conséquences importantes. Les « précurseurs »,qui ont tout naturellement un fort sentiment de leur antérioritédans le champ, vont peu relayer les travaux de Dominique Mon-jardet. Leur problématique est déjà constituée et ne va pas êtreremise en cause. De surcroît, pour des raisons diverses qu’iln’est pas possible de rapporter ici, ces précurseurs restent enmarge de la science politique française. Il faudra attendre fina-lement une autre génération pour que Dominique donne unnouvel élan aux études de science politique sur la police et qu’ily ait donc re-découverte de la police par la science politiquefrançaise.

La science politique française, du moins jusqu’à une daterécente, me semble enfin souffrir d’une survalorisation de lathéorie et corollairement d’une minoration du travail empirique.Ce n’est cependant pas le lieu de s’en expliquer. Il suffit desouligner en regard combien la sociologie de Dominique Mon-jardet est chevillée aux enquêtes empiriques. Il ne concevait pasd’étude sans terrain. Lorsque nous avons conçu ensemble notreséminaire de troisième cycle de l’IEP sur la police, sa premièrepréoccupation a été celle de l’enquête que mèneraient les étu-diants. Il obtint que nos étudiants puissent suivre certains des

5. Jean-Jacques GLEIZAL, La Police nationale : droit et pratique policière en France,Presses universitaires de Grenoble, 1974.

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cours de l’École des gardiens de la paix de Vincennes et soientdonc à même de connaître de l’intérieur le mode de formationdes policiers. Ce n’est évidemment pas la pratique dominantedes séminaires de recherches en science politique, plus portés àmettre en valeur le brio théorique que la solidité des donnéesrecueillies sur le terrain. Un de nos derniers échanges profes-sionnels porte précisément sur cet aspect de la pratique scien-tifique des politistes qui l’irritait profondément. Je souhaitais saprésence au jury d’un doctorant qui avait rédigé antérieurementun rapport pour l’IHESI. Dominique refuse en faisant état de sa« fureur » face à ce rapport où le matériel empirique disparaîtau profit d’une « parade théorique » où l’auteur parle davantagede ses lectures des auteurs qu’il faut connaître que du rare ter-rain d’enquête auquel il a eu accès. Comme j’insistais – c’étaiten novembre 2005 –, il me dit ne plus se sentir le courage demonter une fois de plus au créneau. Il conclut : « J’arrive aumoment où la conscience du temps disponible commence à sefaire aiguë. » Hélas, ce temps disponible lui était effroyable-ment compté.

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La contribution de Dominique Monjardetà la recherche historique sur les polices

par Jean-Marc Berlière 1

Historien de la police, je voudrais simplement porter témoi-gnage et m’acquitter d’une dette que j’ai contractée à l’égardde Dominique Monjardet. J’ai été d’autant plus touché et émude sa disparition que je lui dois beaucoup, mais l’histoire dela police aussi. Je ne voudrais pas que dans cette enceinte, oùla science politique et la sociologie sont bien représentées– parce que l’une était sa discipline et l’autre était proche de sespréoccupations –, l’histoire soit totalement absente. Il y auraitquelque injustice à cela.

Sans vous imposer une « ego histoire » déplacée, je vou-drais rappeler que lorsque « j’entre en police » (!), au début desannées 1980, je connais cette solitude, évoquée par ceux quiviennent de s’exprimer, notamment dans ma propre paroisse oùla police est essentiellement considérée comme un instrumentoppressif et répressif, donc pour le dire vite un objet très incor-rect politiquement qui, de ce fait, n’a même pas de légitimitéscientifique. Les historiens qui utilisent les rapports et archivesde police ne s’intéressent qu’à la « répression » et à ses vic-times ; pour eux les policiers sont au mieux transparents au piredes « fascistes » ou des SS. Ma chance fut de rencontrer Domi-nique Monjardet et René Lévy qui, pour être de « la paroissed’à côté » ne m’en ont pas moins accueilli et encouragé dansmes recherches. Ce soutien, cette solidarité se sont doublésd’une réelle curiosité.

1. Historien, professeur à l’Université de Bourgogne. Membre du CESDIP.

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Dominique Monjardet s’est toujours montré très friand etdemandeur d’une histoire dont il déplorait l’absence qui pri-vait le sociologue d’une perception claire du poids des héri-tages. J’en veux pour preuve ce qu’écrivait Pierre Demonque– je ne savais pas non plus que c’était Dominique Monjardetet j’ai mis très longtemps à le comprendre – dans ce livre « fon-dateur » pour moi – Les Policiers – qui déplorait que l’onignore tout des débuts et des étapes de la « professionnalisa-tion » policière. Faute d’études historiques sur la police, on per-cevait très mal un certain nombre de questions qu’il souhaitaitvoir poser à la police : professionnalisation, mais aussi syndi-calisme, pratiques du maintien de l’ordre, poids des annéesnoires de Vichy, etc.

Pour faire très bref, je voudrais rappeler que grâce à Jean-Marc Erbès, et avec l’aide de Catherine Gorgeon, mais avecl’impulsion et les encouragements de Dominique Monjardet, ily a eu un vrai travail historique accompli au sein de l’IHESIdont il était le conseiller avisé, n’hésitant pas à jouer le rôled’un catalyseur. Un séminaire historique, ouvert à tous et sansenjeu universitaire a réuni une quarantaine de chercheurs detous niveaux et de tous horizons pendant deux à trois ans. Des« prix » attribués à des travaux à dominante historique (thèses,DEA et mémoires de maîtrise) ont stimulé la recherche histo-rique sur les acteurs et les services œuvrant dans le champembrassé par l’IHESI.

Certes, l’IHESI a connu dans les années qui ont suivi cespolitiques de « stop and go », correspondant aux avatarsrésultant des alternances démocratiques, mais curieusement– peut-être parce qu’on a le temps pour nous, comme le disaitJ.-M. Erbès – un certain nombre de choses que DominiqueMonjardet avait initiées ont trouvé leur terme. En bonsociologue, il m’avait fait part en 1993 de l’intérêt qu’il y auraità recueillir à une assez grande échelle des récits de vie depoliciers. Treize ans plus tard, après bien des péripéties et desaléas dont il vaut mieux rire, ce travail, relancé et encouragé parJean-Claude Karsenty a pu enfin être mené à bout grâce à uncontrat signé entre l’IHESI et le CESDIP et remis à l’INHESen 2006. Ces récits de vie, finalisés, ont été également déposésà la BNF à la disposition des chercheurs. Ce projet, considérécomme un modèle du genre et des actions et partenariats que laBNF souhaitait développer dans le domaine de l’histoire, s’est

la contribution de dominique monjardet à la recherche historique…

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achevé par deux journées d’études organisées à la BNF finmai 2007 2.

Je pense que Dominique Monjardet serait content de voir sonidée matérialisée, et son esprit toujours critique nous manquedans ce colloque. D’autant qu’il n’aurait pas été dépaysé ! Eneffet, le paradoxe tient au fait que, résultat du « stop and go »évoqué plus haut, l’Institut qui a conçu le projet et l’a financén’est pas du bal final, parce que le nouveau directeur del’INHES s’est désintéressé de ce projet de dialogue entre socio-logues et historiens autour des problèmes soulevés par le témoi-gnage… Un épisode qui nous rajeunit et nous prouve que lepessimisme de Dominique Monjardet sur l’inconstance del’effort de l’institution dans sa « volonté de connaître » étaithélas lucide et réaliste…

Mais d’autres graines semées avec son aide portent égale-ment leurs fruits. En dépit du retard accumulé par l’histoiresur les autres sciences sociales, la police et la gendarmerie sontdevenues des objets légitimes de recherche : les jeunes histo-riens ont investi sans complexe le champ policier. Les thèses,maîtrises et masters se multiplient. Plusieurs thèses vont êtresoutenues cette année, d’autres vont suivre et, finalement, leretard accumulé, s’il a permis de faire l’économie de l’hypo-thèque foucaldienne, n’aura pas été tout à fait du temps perdu.Et si la police n’est plus une inconnue de la science histo-rique française, c’est en partie grâce à Dominique Monjardet.Je tenais à le dire publiquement dans cette journée qui lui estconsacrée.

2. J.-M. BERLIÈRE et R. LÉVY (dir.), L’Historien, le sociologue et le témoin. Archivesorales et récits de vie : usages et problèmes, L’Harmattan, Paris, à paraître.

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Comment rendre respectable un sujet sale ?

par Michel Wieviorka 1

La recherche en sciences sociales a ses sujets nobles et sessujets sales, et la définition des uns et des autres est suscep-tible de varier, dans l’espace et dans le temps. Ainsi, dans lesannées 1970, en France, la police n’intéressait guère les socio-logues, et l’idée même de l’étudier paraissait incongrue – si ellene l’avait pas été, elle aurait été suspecte. Il en allait différem-ment dans d’autres sociétés, aux États-Unis, au Royaume-Uni,au Canada et dans de nombreux pays du monde dit « anglo-saxon », où l’étude rigoureuse de la police et des policiers rele-vait depuis longtemps déjà d’un champ relativement développé,avec ses têtes de file, ses courants, ses paradigmes, ses col-loques, ses revues – Police Studies, Policing and Society, theAmerican Journal of Police, the Australian Police Journal, etc.

À quoi tenait, en France, la disqualification de la policecomme enjeu de recherches sociologiques ? L’explication estpeut-être au carrefour de logiques politiques, d’une conceptiontrès française du rôle de la recherche en sciences sociales etde l’engagement du chercheur. La sociologie française s’estrelancée, après la Seconde Guerre mondiale, en valorisant lafigure de l’intellectuel, participant au débat public, contribuantà la vie de la Cité bien au-delà de son seul milieu profes-sionnel et de ses activités d’enseignement. Or, sans relever tousou nécessairement de la pensée critique, du marxisme, alorsparticulièrement vigoureux, ou d’engagements proprement poli-tiques, communistes ou gauchistes, les sociologues parmi les

1. Sociologue, directeur du CADIS, EHESS.

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plus novateurs, les plus susceptibles de défricher des champsnouveaux se situaient nettement à gauche, et participaient à unbouillonnement intellectuel qui témoignait constamment d’unecritique de l’ordre, de la domination, du pouvoir de l’État etde ses appareils répressifs ou idéologiques, ou bien encore devives sympathies à l’égard des mouvements contestataires.L’impact du structuralisme ne commençait qu’à s’affaiblir, etLouis Althusser ou Michel Foucault constituaient des référencespour beaucoup encore incontournables. Dans ce climat, il fal-lait au chercheur une singulière force morale pour échapper auximages réduisant la police à n’être qu’un instrument plus oumoins brutal au service des dominants, et certainement hostileaux mouvements sociaux.

Symétriquement, la recherche en sciences sociales n’avaitpas vraiment bonne presse, c’est le moins qu’on puisse dire, auxyeux des responsables policiers, qui l’associaient vite au gau-chisme le plus débridé. L’intelligence de Dominique Monjardetfut d’avoir été le premier, et longtemps le seul, à rompre avecles pesanteurs de son temps, sans rien perdre de ses convic-tions politiques, et à avoir perçu l’importance et la complexitédu domaine pratiquement inexploré par les sciences socialesfrançaises que constituait alors la police. Je faisais partie ducomité de rédaction de la revue Sociologie du travail lorsqu’ilnous proposa de préparer le numéro « Spécial police » (1985)qui, avec la publication de son petit livre Les Policiers (sous lepseudonyme de Pierre Demonque, La Découverte, 1983), allaitvéritablement rendre légitime la sociologie du travail policierau sein de notre corporation, et j’avais trouvé son idée profon-dément neuve, et courageuse. Il avait su non seulement semobiliser, mais également trouver, côté police, des interlocu-teurs ouverts et eux aussi courageux et novateurs, à commencerpar Jean-Marc Erbès. Pour moi, la préparation de ce numéro futle signe, aussi, qu’il se jouait quelque chose de nouveau dans lavie intellectuelle de notre pays, la sortie d’une époque dominéedans mon univers idéologique et politique par un gauchisme quine pouvait que se désintéresser d’un sujet aussi répugnant quela police et ses flics.

Personne ne doute, aujourd’hui, qu’il a ainsi défriché unchamp important, et qu’il lui a apporté ses lettres de noblesse– même si cela ne fut pas toujours facile, en particulier du faitdes résistances des appareils policiers à s’ouvrir autant qu’ill’aurait voulu. La création de l’Institut des hautes études de la

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sécurité intérieure fut une étape décisive de ce processus dereconnaissance, de développement et d’institutionnalisation dela recherche sur la police, et les policiers, dans lequel, avecdes hauts et des bas, il joua le rôle décisif. Et, tout au longdes années qui s’ensuivirent, Dominique Monjardet fut pour denombreux chercheurs et aussi d’acteurs, responsables de poli-tiques en tous genres, un interlocuteur incontournable. Je lerevois encore, par exemple, intervenant dans un séminaire oùdes responsables du logement social et des politiques de la villene perdaient pas une bribe de son propos, ou bien encorem’aidant pratiquement et intellectuellement à monter une inter-vention sociologique dans laquelle un groupe d’une dizaine depoliciers allaient réfléchir au thème « police et racisme ». Et jefus particulièrement heureux quand je parvins à le convaincrede rédiger et de publier, dans une collection que je dirigeais auxÉditions La Découverte, son grand livre, Ce que fait la police,qui demeure la référence obligée sur le travail policier.

En défrichant ainsi un nouveau domaine, Dominique Mon-jardet courait de grands risques : n’allait-il pas en quelque sortebasculer du côté de son objet, et s’identifier à ceux qu’il étu-diait ? La connaissance que j’ai pu avoir, notamment grâce àlui, de policiers, et pas seulement de l’institution policière,m’incite à dire que les choses, ici, n’ont pas dû être toujours trèsfaciles pour lui. Les policiers, dès qu’on fait l’effort d’aller verseux pour connaître leur travail, leurs représentations du monde,ou toute autre dimension de la police, constituent un universà bien des égards fascinant, et qui a tôt fait de séduire celuiou celle qui les accompagne ou les visite. Leur discours a dela force et, sur le terrain, leur pratique a souvent de quoi impres-sionner le sociologue autorisé à les suivre. Par ailleurs, pourpouvoir accéder à l’information, et, mieux encore, être acceptéau sein d’une institution si sensible, et si centrale du point devue du pouvoir politique, le chercheur doit gagner la confiancede ses interlocuteurs policiers à différents niveaux de la hiérar-chie. Pour conserver sa liberté de pensée, sa distance réflexive,sa capacité à demeurer un esprit critique, tout en préservantde bonnes relations avec ses contacts policiers et en devenantmême une pièce du dispositif institutionnel de la police, il fautqu’il ait une personnalité particulièrement solide, un sens aigudes personnes et des situations, une obstination, aussi, à nejamais être plus, ou moins, qu’en position de recherche, oud’accompagnement à la recherche. Faute de quoi il devient un

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intellectuel organique de l’institution, un idéologue. Domi-nique Monjardet m’avait fait l’amitié de m’inviter à participerau conseil scientifique de l’IHESI, où il a longtemps exercé unrôle majeur, et j’ai pu alors souvent constater comment il savaitêtre ferme, et en même temps diplomate, se mettre au servicede la production de connaissances, et résister aux innombrablespressions qui explicitement ou non auraient pu le détourner decette mission, en l’avalant ou en le rejetant.

Les sociologues en France n’ont pas toujours suffisammentle souci de conjuguer l’ancrage légitime, et nécessaire, pourleurs travaux, au sein de leur propre société, avec la participa-tion sinon à la recherche, du moins aux débats et à la réflexioninternationale – il vaudrait mieux dire : globale. Ce fut là encorela force et l’originalité de Dominique Monjardet que d’être, toutà la fois, le meilleur chercheur français sur la police en mêmetemps qu’un participant actif et reconnu à une vie intellectuellevéritablement planétaire. Son amitié complice avec Jean-PaulBrodeur, grande figure canadienne de la criminologie, et aveclui un des meilleurs connaisseurs de la police, a débouché surd’importantes publications. Il a ainsi fait connaître en France,outre leurs idées communes, des travaux et toute une vie intel-lectuelle étrangère que nous ignorions, en même temps qu’il acontribué, par son apport personnel, à installer la sociologiefrançaise sur la police dans le concert international. C’est à unecommunauté de chercheurs à la fois française et internationalequ’il manque.

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La « cohorte de gardiens de la paix » :quels apports pour la connaissancede la culture professionnelle des policiers ?

par Catherine Gorgeon 1

Pourquoi et comment devient-on un gardien de la paix ?Naissance d’un projet scientifique

L’intention initiale de cette recherche était de nous concen-trer sur les modalités, étapes et contenu de la socialisation pro-fessionnelle 2 de certains policiers, les gardiens de la paix.C’est-à-dire étudier le processus par lequel les membres d’unepopulation initiale très hétérogène, composée d’un ensemble dejeunes gens et de jeunes filles ayant opté pour ce choix profes-sionnel (ils ont passé le concours, l’ont réussi et sont entrés àl’école de police) à partir de motivations très diverses et avecun niveau d’information très inégal (voire pour les mieux ren-seignés pas forcément exact) sur la réalité des tâches et des acti-vités qui constituent le métier de gardien de la paix, en viennent

1. Catherine Gorgeon a été, avec Barbara Jankowski, responsable de l’animation dela recherche à l’IHESI de 1990 à 1995. Elle y a été embauchée par Dominique Mon-jardet qui y assurait alors les fonctions de conseiller scientifique. À ce titre, elle a menépendant toute cette période des travaux de recherche sur la police et les questions desécurité. Elle a été avec Dominique Monjardet une des chevilles ouvrières de la miseen œuvre et des premières interrogations de l’étude sur la 121e promotion. Elle a étéétroitement associée à chacune des interrogations et des analyses suivantes jusqu’à ladernière en 2004. C’est pour cette raison que nous lui avons demandé de resituer lesobjectifs et résultats des différentes enquêtes « cohorte ». Elle est aujourd’hui respon-sable de la Mission Recherche de La Poste.

2. Entendue comme l’ensemble des processus formels et informels par lequel un indi-vidu acquiert les traits culturels et sociaux propres à un corps de métier, une profession,voire une entreprise donnée. Cf. C. DUBAR, P. TRIPIER, Sociologie des professions,Armand Colin, Paris, 2003.

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progressivement à adopter, endosser une identité profession-nelle de « policiers », à se définir et à se reconnaître commetels.

Pour Dominique Monjardet, cette recherche visait, plus lar-gement, à cerner (déconstruire puis reconstruire) une questionobsédante parce qu’il l’avait beaucoup rencontrée dans la litté-rature anglo-saxonne : existe-t-il, et si oui quels en sont lescontours, une culture professionnelle policière ? Pour y par-venir, il lui fallait se donner réellement les moyens de répondreà une question en apparence simple mais très compliquée àmettre en œuvre en réalité : comment « devient-on » policier aufil du temps ? Cette question comporte deux dimensions.

La première relève du choix de cette profession (ou de cetemploi) : comment une jeune fille ou un jeune homme décide-t-elle/il de s’inscrire et de passer les épreuves d’un concoursde la police nationale ? À partir de quelles motivations, dequelles informations, quels conseils, quelles attentes ? Pourquoiintègre-t-on l’école de formation, comment vit-on sa scolarité ?Quelles sont les parts respectives de la vocation, du hasard, dela raison, de la résignation ? C’est ici l’orientation profession-nelle initiale qui est questionnée, entre hasard, calcul rationnel,idéal juvénile, routine familiale.

La deuxième dimension de la question est celle de la ren-contre, parfois la confrontation, entre ces mobiles initiaux etla réalité du métier et des conditions de son exercice. Devenirpolicier est un processus au cours duquel s’acquièrent à la foisdes connaissances, savoirs, habiletés et savoir-faire, ce queDominique Monjardet nommait les « outils du métier », maisaussi les représentations du rôle de policier dans la vie sociale,dans l’institution, des missions de l’institution policière, desvaleurs qu’elle sert, des priorités qu’elle définit.

La notion de socialisation professionnelle désigne ce par-cours au long duquel s’intériorisent les normes informelles ducollectif de travail, s’acquièrent les éléments d’une culture pro-fessionnelle commune et se constitue une image de soi et desautres (eux et nous), construite par la manière dont les uns et lesautres s’approprient cette condition professionnelle et sociale :être policier.

Par définition, l’étude de ce processus nécessite le recueil dedonnées longitudinales permettant d’observer cette structura-tion. En effet, seule l’étude sur la durée permet d’intégrer unedimension essentielle, celle de l’ancienneté professionnelle. On

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n’est pas le même policier selon que l’on a trois, dix ou quinzeannées d’expérience, selon que l’on a connu une ou plusieursaffectations.

Dès le départ donc, l’ambition de ce projet scientifique futde suivre une cohorte de gardiens de la paix afin de vérifierdeux hypothèses fortes auxquelles tenait Monjardet : il est pos-sible, d’une part, de dégager des axes structurants, c’est-à-diredes objets thématiques ou des questions fondamentales capablesd’organiser parmi les policiers des prises de position et de lesdépartager ; ces axes structurants ont, d’autre part, de forteschances d’évoluer au fil du temps, du fait des acquis de l’expé-rience, des épreuves des affectations successives ou des défisrencontrés.

L’état du savoir sociologique de l’époque sur l’objet

Au moment où nous initions, au début des années 1990, cetambitieux suivi d’une cohorte de gardiens de la paix, l’état desconnaissances est loin d’être nul sur la question. Mais, commeMonjardet le déplorait lui-même, la littérature sur les« valeurs » des policiers, la socialisation professionnelle dans lapolice et la satisfaction au travail était quantitativement abon-dante 3 mais demeurait sociologiquement assez pauvre.

L’essentiel des références est anglo-saxon et pose donc laquestion de leur transposition. Toutefois, il existe quelques tra-vaux français, déjà anciens, avec des méthodes plus quantita-tives que celles des Nord-Américains, qui avaient eu le mérited’insister sur la diversité des attitudes, attentes et motivationsdes nouvelles recrues policières 4.

D’une incursion scrupuleuse dans les travaux anglo-saxonssur la socialisation professionnelle 5, Dominique Monjardetretient que :

3. Un choix relativement sélectif l’avait conduit à recenser quelque 250 références.4. Pour un panorama plus complet, voir C. GORGEON, « Socialisation professionnelle

des policiers : le rôle de l’école », Criminologie, XXXIX, 2, 1996.5. Cf. la présentation de la littérature anglo-saxonne sur ce sujet in D. MONJARDET,

« La culture professionnelle des policiers », Revue française de sociologie, 3, 1994,p. 393-411. Les travaux plus récents insistent au contraire, comme nous, sur la diversitédu milieu professionnel policier et le pluralisme des orientations qui s’y expriment. Voirnotamment la synthèse tentée par J. P. CRANK, Understanding Police Culture, AndersonPublishing, Cincinnati, 1998.

la « cohorte de gardiens de la paix »…

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— Les exigences de l’emploi modèleraient une « personna-lité de travail (working personnality) policière » constituée d’untype unique d’attentes comportementales et de normes profes-sionnelles différenciant les policiers du reste du public.

— Ce sont ces attentes et ces normes qui constitueraient lafameuse « culture (professionnelle) policière », qui, commel’affirme Peter Manning 6, influerait directement et profondé-ment sur les comportements policiers.

— Les processus de socialisation se décomposeraient en plu-sieurs étapes parmi lesquelles celle de la scolarité jouerait unrôle tout à fait essentiel, de même que le premier contact avecla réalité du travail. Au fur et à mesure de leur acquisition d’uneconnaissance du travail, sous l’influence des caractéristiques dela profession, les recrues vont donc modifier la façon dont ellesconsidèrent leur organisation et leur métier.

Sur le plan de la méthode, les démarches adoptées sont plutôtinductives ou ethnographiques, faisant la part belle à l’observa-tion, voire à l’observation participante. Leur principal défaut,selon Monjardet, est de tendre à reproduire les discours domi-nants d’une promotion, d’une école, d’une brigade de policiers.Or, si le discours dominant est celui qui s’exprime avec plus deforce, il n’est pas forcément statistiquement majoritaire.

Si certains auteurs évoquent à quelques reprises la notion de« sous-cultures » professionnelles, de négociation entrel’influence de la culture professionnelle et les propres percep-tions individuelles, aucune hypothèse n’est avancée sur les élé-ments ou les dimensions structurant ces différences. Orl’expérience courante l’a maintes fois illustré, devant des situa-tions comparables, les policiers n’interviennent pas tous de lamême façon. Autrement dit, on peut attester l’existence d’uneculture professionnelle au sens où tout policier a modifié savision du monde initiale sous l’effet de son expérience profes-sionnelle, mais cette perception est orientée par ses « lunettescognitives » antérieures et ne conduit pas à une uniformité depensée, de vision, de compréhension, de réaction. En outre, elleévolue dans le temps.

Les travaux français de l’époque, quant à eux, mettent en évi-dence des tendances globales similaires à celles relevées par lesauteurs anglo-saxons et font le constat d’un certain désenchan-tement, d’un remodelage des attentes par rapport au métier et

6. Auteur que Monjardet a contribué à faire connaître en France.

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d’un accroissement de la méfiance à l’égard de l’environnementsociétal.

Plus intéressante est la grande enquête Interface réalisée en1982 auprès de 70 000 policiers qui dégage trois grands axesautours desquels se positionnent et se répartissent les policiers :le rapport à la loi, le rapport à l’extérieur, la satisfaction parrapport au métier. Autrement dit, l’enseignement le plus pré-cieux de cette enquête n’est pas que des traits communs ou sté-réotypes sont partagés par l’ensemble des policiers, mais plutôtque ceux-ci se différencient autour de dimensions communes àleur métier.

D’où le pari de Dominique d’opérationnaliser « en tempsréel » cette piste, en suivant une cohorte interrogée pendant sascolarité, à sa première affectation, au moment de sa titulari-sation, de son apprentissage du métier sur le terrain et, au-delà,dans des phases ultérieures (cinq ans, dix ans, etc.). L’idée étantbien de tester l’hypothèse selon laquelle ces différents temps dela socialisation professionnelle n’agissent pas uniformément surl’ensemble des jeunes filles et jeunes gens qui ont embrassé laprofession de policier, mais que, bien au contraire, le pluralismedes opinions, attentes et attitudes à l’égard du métier et la distri-bution des uns et des autres sur les axes structurants que sont lerapport à la loi et l’ordre et le degré d’ouverture sur l’extérieurvont servir de « filtre », de tamis à travers lequel vont être reçuset vécus l’ensemble des événements composant les différentesétapes de leur socialisation professionnelle.

Le temps réel est une dimension importante, et ce pari n’avaitjamais été vraiment tenu en sociologie : au mieux, on avait desinterrogations rétrospectives, avec toutes les limites d’usage dansle fait de demander à des individus de réinterpréter leurs choixantérieurs, leur parcours, leur cheminement professionnel 7.

Comme on le voit à travers ce bref rappel généalogique du dis-positif de l’enquête, Dominique Monjardet était engagé dans unedémarche classique de problématisation et d’opérationnalisation

7. Ou bien on interroge des individus à différents moments de leur carrière profes-sionnelle, en contrôlant la subjectivité des rétroprojections dans leur passé ou des inves-tissements dans les possibles de leur futur par les tendances générales se dégageant deleur trajectoire biographique. Pour une « analyse des biographies par les durées » effec-tuée sur l’ensemble d’une population de commissaires en activité », voir F. OCQUETEAU,« L’identité professionnelle d’un corps en mutation : les commissaires de police »,CERSA-INHES, 2005.

la « cohorte de gardiens de la paix »…

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qui s’inscrivait dans une double perspective stratégique.L’objectif était d’une part de désenchanter le monde policier enfaisant en sorte de mieux comprendre et de faire comprendre lesressorts de son fonctionnement, et en rendant ses agents sen-sibles à la nature de leurs propres investissements identitairesdans l’institution. Il s’agissait d’autre part d’utiliser une boîte àoutils et une discipline – la sociologie des professions – quin’avait encore jamais pu faire ses preuves « dans ce monde-là »,en rappelant que le travail policier est d’abord un travail pourceux qui l’accomplissent et que l’analyse des relations de tra-vail est peut-être beaucoup plus féconde pour expliquer certainscomportements que le seul registre de l’« idéologie policière ».

Contexte et description de l’enquête

L’étude longitudinale de la 121e promotion de gardiens dela paix, devenue mythique, démarre en janvier 1992. À cettedate, les recrues composant cette promotion, répartie dans lessept écoles qu’elles venaient d’intégrer, ont renseigné un ques-tionnaire écrit (Q1), composé de 109 questions fermées. Nousavons recueilli et exploité 1 167 questionnaires. Ensuite, nousleur avons adressé à cinq reprises un questionnaire similaire(adapté à chaque interrogation pour tenir compte de l’expé-rience vécue par les élèves puis les gardiens) : en sep-tembre 1992, avant leur départ en stage dans les services actifs(Q2) ; en décembre 1992 et janvier 1993, lors de la dernièresemaine de scolarité (Q3) 8 ; au printemps 1994, après uneannée de service actif et leur titularisation (Q4) ; au printemps1998, après six ans d’ancienneté et cinq ans de service actif(Q5) ; et enfin à l’été 2002, soit un peu plus de dix ans aprèsleur entrée dans l’institution policière (Q6). Lors de cette der-nière étape, la promotion avait largement entamé la mobilitégéographique et fonctionnelle qui assure une diversité plusgrande des expériences. Par suite du récent rajeunissementdémographique du corps d’application, ses membres commen-cent à faire figure d’« anciens ».

8. Depuis janvier 1994, la formation initiale des gardiens de la paix a été réforméeet ceux-ci suivent maintenant une formation en alternance pendant laquelle ils effec-tuent plusieurs allers-retours entre l’école et le terrain.

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Nous avons administré les trois premiers questionnaires enamphithéâtre dans les écoles ; ils ont donc été remplis par laquasi-totalité de la promotion (hormis un nombre négligeabled’absents, malades ou démissionnaires). Nous avons adresséaux intéressés les trois questionnaires suivants par voie postale,sur leur lieu d’affectation 9, sous couvert du chef de service,et nous leur avons demandé de nous le renvoyer dans une enve-loppe prétimbrée fournie. De ce fait, le taux de réponses chuteconsidérablement. Il reste toutefois très honorable puisqu’il secompare favorablement aux taux de réponses qu’obtient leministère lorsqu’il procède lui-même à des enquêtes par ques-tionnaire. Le tableau suivant résume les différentes phases decette enquête et les effectifs concernés 10.

Questionnaire Q1 Q2 Q3 Q4 Q5 Q6

Date Janv.1992

Sept.1992

Janv.1993

Mars1994

Mai1998

Juil.2002

Effectifs* 1 167 1 157 1 109 680 610 531

* Il s’agit du nombre de questionnaires exploités, défalcation faite des quelquesquestionnaires incomplets, illisibles ou parvenus trop tard pour être intégrés dans letraitement informatique.

Les six questionnaires produisent ainsi autant de « photogra-phies » instantanées de la promotion à ces différentes étapes ;leur succession, quant à elle, déroule le « film » de la sociali-sation professionnelle des gardiens de la paix.

9. L’administration de la PN étant à chaque fois mobilisée pour nous communiquerla liste des affectations des gardiens de la paix de la 121e promotion.

10. À partir de Q4, le taux de réponse est impossible à calculer : on ne sait pas eneffet le nombre exact des destinataires auxquels le questionnaire est effectivement par-venu. Par exemple, pour Q6, la population de référence est de 1120 (nombre de nomsfigurant sur le listing produit par la DAPN) ; c’est donc le nombre de questionnairesenvoyés. Dix questionnaires ont été retournés par le service d’affectation avec des men-tions telles que « fonctionnaire inconnu » ou « congé parental ». La population mères’établirait ainsi à 1 110. Il est toutefois vraisemblable que, compte tenu de la dispersiondes affectations, de l’éloignement de certaines (ambassades, détachements…), des chan-gements de corps, des radiations survenus en cours d’année et d’inévitables erreurs etomissions, le questionnaire ne soit pas parvenu à tous. De ce fait, le taux de réponseseffectif, quoique impossible à déterminer exactement, dépasse vraisemblablement les50 %.

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Les limites de la démarche

J’en citerai deux essentielles.La première est celle du revers de la médaille de toute

démarche strictement quantitative : il manque des entretiensqualitatifs qui nous auraient permis d’approfondir certainsrésultats, de les expliciter, de les étayer 11, de prendre en compted’autres dimensions apparues plus tard comme déterminantes etqui ne sont pas du tout (ou très peu) analysées dans les ques-tionnaires de « cohorte » : on pense notamment à la différenceentre hommes et femmes assez peu creusée, aux liens entre vieprivée et vie professionnelle, etc. Dominique Monjardet l’a tou-jours regretté.

La seconde limite est qu’au fur et à mesure de l’avancée dansle temps, une partie des effectifs de la population initiale dis-paraît en raison de la progression normale dans la carrière poli-cière de certains d’entre eux : ils montent en grade après avoirpassé des concours internes et changent de statut. Même si cettefraction de la cohorte est peu nombreuse, la limite est que nousne pouvons plus la départager de la plupart de ceux qui sontrestés gardiens de la paix. Il est alors impossible d’évaluerl’effet éventuel du rehaussement statutaire dans la socialisationdes promus par rapport à ceux qui sont restés « en plan ».

Comment le métier de gardien de la paix est-il habitéau fil du temps ? 12

À partir du quatrième questionnement, nous avons vérifié quela composition de la « cohorte » des répondants était compa-rable à l’ensemble de la promotion (âge, sexe, proportiond’anciens policiers auxiliaires, école de formation initiale,

11. Marc Alain, qui a répliqué ce dispositif au Québec a, lui, cumulé les deux typesd’interrogations (questionnaires et entretiens qualitatifs). Voir M. ALAIN et C. BARIL,« Attitudes et prédispositions d’un échantillon de recrues policières québécoises àl’égard de leur rôle, de la fonction policière et des modalités de contrôle de la crimi-nalité », Les Cahiers de la sécurité, 58, 2005, p. 185-212. Voir aussi M. ALAIN etM. GRÉGOIRE, « L’éthique policière est-elle soluble dans l’eau des contingences del’intervention ? Les recrues québécoises, trois ans après la fin de la formation initiale,Déviance et société, 31, 3, 2007, p. 257-282.

12. Les principaux résultats des différentes interrogations sont présentés ici en en for-çant volontairement le trait, l’idée étant de faire ressortir les apports principaux de cetterecherche et non d’entrer finement dans l’ensemble des données et résultats tout à faitconsidérables que nous avons recueillis.

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affectation en sortie d’école). Sous tous ces rapports, l’« échan-tillon » est représentatif de la promotion. La différence essen-tielle entre la population des répondants et la population sourceréside dans la décision même de répondre ou non au question-naire proposé. Il est possible que cette décision elle-même ren-voie à des propriétés plus générales, mais, par construction,celles-ci ne sont pas identifiables.

À l’entrée à l’école : un monde peuplé d’idéalistes

La photographie de la promotion au moment de son entrée àl’école en janvier 1992 confirme l’hypothèse d’une très grandevariété des motivations, des connaissances et des attentes.

Le niveau d’information sur le métier est inégal. Deuxgroupes s’opposent. Le premier, composé d’une forte propor-tion de policiers auxiliaires ayant effectué leur service nationaldans la police et de ceux – également nombreux – qui ont un ouplusieurs policiers dans leur proche parenté, a déjà une infor-mation détaillée sur le métier et arrive à l’école avec une repré-sentation relativement précise (si ce n’est très exacte) de sonfutur métier. Le deuxième ne dispose que d’informations lacu-naires, voire inexactes et témoigne des attentes les plusdiverses. L’expérience policière acquise par filiation ou par leservice national est capitale. Chez les policiers auxiliaires, leprincipe de réalité prend le pas sur l’opinion personnelle, unedifférence d’attitude dont on présume qu’elle se diluera au furet à mesure des contacts des autres recrues avec les servicesactifs, les formateurs et les collègues.

On note ensuite un investissement inégal dans le métier degardien de la paix. Les indicateurs de vocation construits diffé-rencient plusieurs groupes qui ont des attentes et des motiva-tions variées aussi bien quant à leur future occupation, à l’égardde la loi en général, ou en ce qui concerne la formation qu’ilss’apprêtent à suivre.

Outre qu’elle a mis en évidence ces dissemblances, cette pre-mière interrogation a révélé quatre traits saillants de la promo-tion dans son ensemble :

— une grande proximité avec le monde policier qui semesure par la fréquence des relations personnelles des jeunesrecrues avec des policiers ou des gendarmes ;

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— une unanimité dans l’optimisme affirmé à l’égard despossibilités de carrière et de mobilité que leur ouvriral’administration ;

— l’importance et l’intérêt accordés à la dimension relation-nelle du métier, à la variété des contacts qu’il autorise et auxqualités et compétences professionnelles qui y correspondentdans les attentes ou devraient y correspondre dans leurscritiques ;

— la prédominance chez ces jeunes gardiens de la paix del’image d’une police aux responsabilités et aux tâches étendueset pas seulement limitées à la lutte contre la délinquance.

À la fin de la scolarité : formatage scolaire et épreuvede réalisme

Après une année en école de police, nous avons observé troisévolutions générales majeures : un réaménagement des attenteset des projets initiaux marqué par un plus grand réalisme ; undésenchantement certain qui porte moins sur le métier lui-mêmeque sur l’institution policière ; la manifestation d’une moindreouverture concernant la dimension relationnelle du métier et lerapport entre police et public (les recrues se rapprochant en celade leurs aînés de l’enquête Interface de 1982).

Au bout d’un an de formation, des identités moins démarquées

L’année de scolarité resserre la diversité initiale observée àl’entrée à l’école. Ce resserrement est à mettre directement aucompte de l’homogénéisation de l’information de base dont dis-posent progressivement l’ensemble des recrues quant à la réalitédes tâches et des missions policières.

En même temps se mettent en place ou se consolident leséléments constitutifs d’un petit noyau de stéréotypes partagéspar tous : défiance à l’égard des médias, sentiment d’une per-ception négative par la population, postulat d’une contradictionentre le respect de la règle et la recherche de l’efficacité. Ence sens, une culture professionnelle policière apparaît bien,mais son trait le plus net, au rebours de ce qu’en dit la litté-rature anglo-saxonne, est sa faible extension. Il n’y a pas uneculture professionnelle qui engloberait l’ensemble des dimen-sions en question dans la définition d’une police, de ses mis-sions, des métiers qui y correspondent, des rapports qu’elle doitentretenir avec l’autre – citoyens, non-policiers – et avec la loi.

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À l’inverse, on continue de relever une très grande diversitédes attitudes et des points de vue sur le rôle de la police, sesmissions prioritaires, ses tâches essentielles, les rapports qu’elledoit entretenir avec le public, les coopérations qu’elle doit déve-lopper, etc. Et cette diversité se structure autour de deux dimen-sions essentielles : d’une part, le rapport à la loi (degré delégalisme et de compréhension de la norme juridique dans lavie sociale) ; d’autre part, le rapport aux autres (public,non-policiers).

En croisant les positions des recrues sur ces deux dimensions,D. Monjardet a fait ressortir une typologie dont le clivage estavant tout idéologique, choisissant d’emprunter à l’histoire età la science politique des métaphores très évocatrices : lesJacobins sont hostiles aux polices municipales et à la sécuritéprivée et tenants d’un monopole policier détenu par l’État ; cesont des professionnels rigoureux (ils montrent un fort investis-sement dans le métier et sont favorables à la sanction de lafaute du collègue), plutôt ouverts mais critiques envers leuradministration. Les Girondins sont partisans d’une police assi-gnée au seul service public mais pas nécessairement étatique ;d’une ouverture sans réserve, ce sont des professionnels satis-faits. Les Bonapartistes se montrent hostiles aux polices muni-cipales mais favorables à la sécurité privée ; à l’inverse, ilsconjuguent un faible investissement professionnel, des critiquestous azimuts, une fermeture et une distance à l’égard de la loi.Ce sont sans doute des déçus. Les Libéraux sont favorables auxdeux ; moins bien typés que les précédents, ils développent uneidée de la police alternative à celle du service public qui n’estni étatisée ni décentralisée.

La première expérience de travail : le choc du grand saut

Après une année d’expérience, le tableau de la 121e promo-tion qui se dégage est marqué par trois évolutions.

En premier lieu, le désenchantement s’accentue (au regarddes attentes initiales comme des contenus proposés par l’école).Il est provoqué par de multiples apprentissages : trivialité destâches quotidiennes, limitation des moyens disponibles, pesan-teurs bureaucratiques, scepticisme des anciens, indifférencevoire hostilité des publics, etc. L’épreuve de réalisme se pour-suit et s’accélère. Néanmoins, la diversité observée durant lascolarité reste manifeste et continue à s’analyser selon les deux

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dimensions mises en relief par les interrogations précédentes (lerapport à la loi et le rapport aux autres).

Le deuxième trait du tableau est l’importance croissante queprend une autre dimension : l’intensité des témoignages d’adhé-sion ou de rejet, de satisfaction ou d’insatisfaction à l’égard desdiverses réalités du métier et de l’organisation d’une part, de sapropre situation de travail, d’autre part.

Enfin, on trouve au sein de la promotion une polarisationforte entre deux conceptions très opposées de la police portéesrespectivement par deux sous-groupes que Dominique Mon-jardet baptise les « légalistes ouverts » et les « illégalistesfermés ». Les premiers ont dans l’ensemble les représentationsles plus positives du métier, de l’organisation et de la profes-sion, et la réalité trouvée sur le terrain leur a plutôt convenu.Inversement, pour les mêmes raisons, les attentes des seconds,qui affectent de nourrir une critique radicale du métier et del’institution, n’ont pas été satisfaites. Entre les deux, les groupesintermédiaires (légalistes fermés et illégalistes ouverts)s’accommodent.

Ainsi se confirme bien que la socialisation professionnelleest une expérience singulière, que chacun interprète en fonctiond’attentes et de projets propres, sous-tendus par des concep-tions également cohérentes mais profondément opposées, de lapolice, d’une part, du poids de la situation professionnelle dansla vie de chacun, d’autre part.

Après cinq ans d’activité : trouver ses propres marques

Après cinq ans d’activité, les résultats tranchent considéra-blement. La dimension de satisfaction/insatisfaction émergentelors de l’interrogation précédente apparaît maintenant tout à faitdominante dans l’organisation des attitudes et des opinions. Elledevient essentielle et ses différentes composantes (satisfactionà l’égard des moyens disponibles, de l’organisation du travail,de la définition des missions, du groupe professionnel) ont deseffets significatifs dans la distribution des réponses. Cettedimension se substitue entièrement aux clivages de départ liésaux attitudes et positions plus idéologiques à l’égard du rapportà la loi et de l’ouverture à l’autre.

Une nouvelle partition, complexe, se fait jour au sein de lacohorte, organisée cette fois selon le cadre de référence danslequel chacun situe sa position professionnelle : les uns

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témoignent d’une définition professionnelle de leur rôle au sensoù celui-ci est compris en rapport avec les missions assignées àl’institution dans son ensemble ; ils peuvent être définis comme« policiers ». D’autres ne se prononcent pas sur les missions oule rôle de la police mais se réfèrent au métier de gardien dela paix, conçu comme spécification particulière au sein de lapolice, indépendamment d’une appréhension plus globale durôle et des missions de celle-ci. Les troisièmes enfin se définis-sent avant tout comme titulaires d’un emploi stable dans lafonction publique.

Cette partition entre trois niveaux d’attentes ou horizons deréférence est devenue centrale dans la distribution interne dela 121e promotion et se substitue à la différenciation anté-rieure fondée sur des valeurs, de l’idéologie. Toutefois, ellereste opératoire au sein du groupe dont les membres sedéfinissent comme policiers, raisonnant sur les missionsd’ensemble de la fonction policière. Il résulte du tableau unedouble différenciation : d’une part, entre ces trois définitionsemploi/métier/profession ; d’autre part, selon les catégories ini-tiales (rapport à la loi, rapport à l’autre) pour le troisièmeensemble.

À l’issue de dix années d’expérience policière :plus rien ne bouge ?

On observe entre les deux questionnaires de 1998 et 2002une très forte stabilisation des attitudes et des opinions. Aprèsdix années d’activité professionnelle et d’expérience du terrain,la population de la 121e promotion se différencie en fonction dela signification donnée par chacun à son identité profession-nelle : pour les uns, être policier renvoie à une mission, définieau croisement de la loi et du rapport à la société ; pour d’autres,le port de l’uniforme désigne un métier spécifique dans lequelils s’investissent et se reconnaissent ; pour les troisièmes, enfin,être policier se résume à l’occupation d’un emploi dans la fonc-tion publique, qui se révèle, à l’usage, accompagné de trèslourdes contraintes.

La dimension de satisfaction ou d’insatisfaction (quant auxmoyens, à l’organisation, à la profession) transcende ces caté-gories. La motivation et la mobilisation, de même que le désin-vestissement et le retrait peuvent être tout autant moteursd’insatisfaction que de satisfaction. Et l’importance donnée à

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cette dimension du travail est pondérée par les attentes dontl’individu est le dépositaire. Si l’insatisfaction à l’égard desmoyens est quasi unanime, elle n’a pas le même sens selon quel’on investit son rôle identitaire dans une mission policière, quel’on dit exercer un métier de gardien de la paix ou que l’onoccupe un emploi de fonctionnaire. C’est au demeurant cettepluralité des significations (carence pour les uns, handicap pourles autres, inconfort pour les troisièmes) qui donne à la grandeplainte sur les moyens son caractère universel : elle supporte etexprime également les motivations et les orientations les plusdiverses.

Le pluralisme policier est ainsi à nouveau attesté. L’épreuvedu temps a apporté plus de réalisme dans les choix effectués,mais n’a pas laminé les différences initiales. Des positions sesont même affermies. Entre Q5 et Q6, l’étape a été résuméepar celle de la cristallisation du pluralisme policier, titre autourduquel D. Monjardet et moi-même avons conclu notre dernierrapport.

Seule une interrogation ultérieure pourrait éventuellementdire s’il s’agit-là du dernier temps d’une socialisation profes-sionnelle qui ne bougerait plus, parce qu’elle serait définitive-ment figée, ou s’il ne s’agit que d’un palier préfigurant d’autresremaniements insoupçonnés encore à venir…

Conclusion

Le résultat majeur de cette recherche est d’avoir pu vérifierempiriquement – c’était l’une des grandes satisfactions deDominique – tout à la fois l’existence du pluralisme policieret son évolution au cours du temps. Ce pari méthodologique adonc fait ses preuves ; l’enquête a indéniablement démontrécette double réalité.

Il existe bien un processus de socialisation professionnelle,au sens où les attitudes et opinions, de même que les attentesinitiales ont été amplement remaniées par l’expérience du ter-rain, les contacts avec le public, l’influence des anciens. Outreun sentiment de grande incompréhension (de la part du public,des médias, de l’institution qui les emploie et de leurs parte-naires) qui domine chez eux, les traits constitutifs de leur socia-lisation résident dans l’affirmation d’une spécificité irréductibledu métier (ce que Dominique Monjardet a décrit par ailleurs

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comme la « condition » policière 13), en même temps que ladéploration du manque de moyens. On notera cependant quece dernier point est loin d’être original : cette déploration seretrouverait à l’identique dans nombre de métiers de services.Mais, contrairement à ce qui a été souvent affirmé sans autreforme de procès, cette socialisation n’est en aucun cas unehomogénéisation : elle n’a jamais réussi à « formater »l’ensemble de la population des gardiens de la paix dans unmoule commun. S’il y a bien une administration policière, il ya des polices et, au sein de chacune d’entre elles, des policierstrès différents les uns des autres dans un même statut.

Et maintenant, que faire de la cohorte ?…Dominique Monjardet n’avait pas prévu de s’engager dans

une septième phase, mais il espérait que le flambeau soit reprispar un ou plusieurs jeunes chercheurs qu’il resterait àconvaincre. Compte tenu des résultats du dernier questionnaire,il serait vraiment intéressant de poursuivre les investigations, aumoins pour confirmer ou infirmer l’hypothèse d’une socialisa-tion « achevée ».

Dominique s’était surtout attelé à la rédaction d’une synthèsegénérale pour laquelle il avait rassemblé, compilé et organiséun ensemble de 250 références bibliographiques réactualisées.Avec cette bibliographie et l’ensemble des rapports, il laisseune somme qui mériterait d’être rassemblée et synthétisée. Sesarchives constituées aussi par l’ensemble des réponses aux dif-férents questionnaires fournissent une base de données considé-rable à partir de laquelle de nombreuses et nouvellesexploitations pourraient être menées.

13. Ce que fait la police, op. cit., p. 186-194.

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Table ronde : les engagementsde Dominique Monjardet dans l’institution policièreau temps de la réformede la « police de proximité »

François-Yves Boscher 1. L’influence de D. Monjardet toutd’abord. Lorsque le projet de la modernisation de la police est né,ce fut d’essayer de rendre la police intelligible pour en rendre sonexercice intelligent, et notre premier contact s’est vraiment faitlà-dessus. Ce n’était pas bien sûr que les policiers étaient inintel-ligents, mais leur intelligence de l’institution était inexacte, etc’est son analyse qui a montré que c’est le gardien de la paixqui est l’agent essentiel dans l’action policière ; il appelait çal’« inversion hiérarchique ». Ce fut un choc de découverte et dansla formation cela a créé une complète transformation. On s’estalors davantage attaché à la formation des gardiens de la paix etcela au point que J.-M. Erbès a confié à un polytechnicien lacharge de faire des analyses de tâches, d’étudier les savoirs mobi-lisés par les gardiens de la paix dans leur travail. Il s’est alorsenclenché un changement des perspectives : il faut s’adresser auxgardiens de la paix plutôt qu’aux commissaires et essayer dedonner aux gardiens de la paix de plus en plus de connaissances,de savoirs pour qu’ils puissent intervenir dans la procédure judi-ciaire, ce qui a fait de la police française un modèle unique oùl’on ne distingue pas, comme ailleurs, l’agent du détective. Ceciexplique qu’il y ait maintenant des gardiens de la paix dans toutes

1. François-Yves Boscher, contrôleur général à l’IGPN, fut mobilisé à la DFPN en1982 pour recruter une équipe de formateurs. À l’époque commissaire de police « surle terrain », il accepta de rejoindre la formation puis, auprès de Gilles Sanson, il futmobilisé à la Direction centrale de la police nationale pour théoriser la « police deproximité », en tant que sous-directeur des missions.

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les directions de police, le contre-espionnage comme la policejudiciaire, et cela explique aussi que tous les policiers se soientmis en uniforme sans qu’il y ait eu pour autant militarisation de lapolice. Car tout le monde est en uniforme. Et cela, c’est uneinfluence directe de Dominique Monjardet d’avoir mis tout lemonde en uniforme, j’en suis persuadé.

André Sibille 2. Ma carrière s’est terminée il y a dix mois. Surtrente-deux ans d’activité, j’ai passé quinze ans sur le terrain etquinze ans à la direction de la formation et à l’IHESI. J’ai peut-être un cursus professionnel un peu atypique, car j’ai alterné ledomaine de la réflexion et celui de l’opérationnalité. Quand, en1982, je suis arrivé à la direction de la formation dirigée par Jean-Marc Erbès, mon objectif était de repartir trois ou quatre ans plustard sur le terrain, car l’exercice du métier de policier au contactdes réalités quotidiennes de la vie et de la société me plaisait.Assez rapidement, la politique et les orientations de la direction dela formation et mon contact avec le monde de la recherche ontdonné un sens plus fort à mon désir de retourner sur le terrain enme permettant de réaliser que la « police au quotidien » pouvaits’exercer autrement. C’est à cette période que j’ai connu Domi-nique Monjardet, en 1982-1983, alors que venait d’être engagéel’étude sur les personnels de police, prémices au développementd’un pôle recherche au sein de la direction de la formation.

J’ignorais le monde de la recherche, mais je n’avais pour autantaucun a priori positif ou négatif sur les chercheurs. DominiqueMonjardet, pour lequel j’ai éprouvé dès notre première rencontreune grande sympathie, m’a aidé à comprendre et à décrypter ceque disaient les chercheurs. Le monde de la police a son langage,celui des chercheurs a le sien. Quand on n’est pas initié, qu’onn’est pas habitué, le domaine de la recherche n’est pas toujoursfacile à comprendre.

Rapidement, Dominique Monjardet fut chargé d’une recherchesur « le travail policier au quotidien » que j’ai lue avec passion.« Voilà quelqu’un qui vient de me rendre intelligent », fut la pre-mière remarque que je me fis à l’issue de la lecture. Il ne m’avaitrien appris de nouveau sur le travail policier au quotidien, parceque j’avais déjà exercé dans plusieurs services opérationnels, mais

2. André Sibille, commissaire divisionnaire, a rejoint la formation à l’époque où ellese construisait à l’IHESI. Il a été chef de la sécurité publique à Grenoble et a terminésa carrière comme directeur d’une école de gardiens de la paix à Marseille.

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il venait de mettre en ordre mes réflexions et ma pensée sur letravail policier, et plus globalement sur l’institution policière. Jepense que c’est aussi un objectif des chercheurs que de mettrede l’ordre dans la réflexion. À partir d’un fil conducteur, il m’apermis de rassembler mes connaissances et mes appréciations, deles compléter et de formaliser plus clairement le mécanisme defonctionnement de l’institution. Cette capacité de donner del’intelligibilité était un de ses points forts – je ne dis pas qu’il soitle seul. À mon sens, cela peut expliquer l’impact de DominiqueMonjardet auprès de policiers comme le révèlent les témoignagesreçus par Antoinette, son épouse.

En 1985, je suis retourné sur le terrain, à Grenoble, comme chefde sécurité générale – un service de 460 policiers, chargé desproblèmes d’ordre public et de prévention. M’appuyant sur lesconnaissances acquises pendant mon affectation à la direction dela formation et sur les travaux de Dominique Monjardet, je mesuis lancé, au niveau qui était le mien et certainement avec beau-coup d’utopie (mais il en faut toujours pour avancer), dans unchantier visant à faire évoluer le fonctionnement d’un service depolice, en valorisant la place et le rôle du gardien de la paix.L’« inversion hiérarchique » que soulignait Dominique Mon-jardet dans sa recherche sur le travail policier au quotidien enconstitua la pierre angulaire. Les objectifs de la Charte de la for-mation et les outils qu’elle proposait servirent à la mise en œuvredu chantier.

À l’issue de sept années, j’ai observé qu’on pouvait faire évo-luer les situations, les comportements et les modes de fonction-nement au bénéfice du service public et de l’intérêt général. Siles travaux de recherche doivent constituer une aide à la déci-sion pour les décideurs de l’administration centrale, ils doiventêtre entendus par le terrain dans toutes ses composantes et en pre-mier lieu par les décideurs locaux. Or constatons et admettons quele terrain a peu de temps pour prendre en compte un travail derecherche dans toutes ses dimensions. Certainement aussi qu’il nele veut pas toujours. Et pourtant, il y a une très grande richessemal ou peu utilisée au niveau des gardiens de la paix.

La direction de la formation et les recherches de DominiqueMonjardet m’ont donné des moyens (démarche, méthodes,outils…) pour changer les choses, pour initier des pratiques surun domaine de l’activité policière qui allait devenir plus tard la« police de proximité ». Il est difficile de bouger une institution,mais si le niveau central est clair sur ce qu’il veut, et si le local

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est prêt à l’entendre, alors il peut y avoir de vrais changements.Nous savons très bien que si une instruction centrale ne plaît pasau niveau local, parce qu’on n’en comprend pas le sens au regarddes activités quotidiennes, elle ne sera pas appliquée. On ne peutvéritablement réformer les choses que si les deux extrémités de lachaîne sont d’accord pour fonctionner dans la même direction.

Il n’y a pas eu de suite après mon départ, le service ayantrepris un mode de fonctionnement classique. Cela fait partie de lavie. Pour autant, Dominique Monjardet m’a permis de me faireplaisir et de faire plaisir à d’autres policiers. Cette expérience eutun impact très limité, mais je pense pouvoir dire qu’il fut assezimportant pour montrer que l’évolution d’un système, même poli-cier, est possible.

Le dernier poste que j’ai occupé pendant six ans fut celui dedirecteur de l’École nationale de police de Marseille. Depuis1993, Dominique Monjardet et Catherine Gorgeon conduisaientune étude sur la socialisation professionnelle des policiers en sui-vant une cohorte de gardiens de la paix dès leur entrée à l’école.L’étude – qui s’est déroulée sur dix ans – met bien en relief lespoints d’achoppement du processus de socialisation.

Dans la part qui revenait à la formation, à l’évidence, des pers-pectives de changement pouvaient être envisagées, l’essentielconcernant la démarche pédagogique. Néanmoins, aucune évolu-tion ne fut possible au niveau local, la somme des intérêts – mul-tiples et variés – à vouloir maintenir le système en l’état, etl’absence d’intérêt manifeste de l’échelon central pour cette étudeet ses enseignements conduisirent à un immobilisme regrettable.Et pourtant ! Il y avait du grain à moudre au bénéfice de l’insti-tution policière et des citoyens.

François-Yves Boscher. On manquerait à la mémoire si l’onne rapportait pas une autre preuve de l’influence de DominiqueMonjardet sur le changement policier. On a dit qu’il avait fait unepetite révolution copernicienne dans la police : il avait pointé queles gardiens de la paix travaillant en équipe avaient des pro-cessus de sélection des tâches, des méthodes opaques et puis unetrès grande autonomie dans leurs activités. Si l’administration aintégré nolens, volens quelque chose de son apport, c’est d’avoirexpliqué que le contrôle du policier ne pouvait pas seulement êtreextérieur, mais devait aussi venir de l’intérieur, de l’autodisciplinemême des agents. Il a ainsi été promoteur lors de l’édition du codede déontologie de beaucoup de choses, mais essentiellement de

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l’une de ses dispositions qui, voulant précisément combattrel’opacité, s’est traduite dans l’article 18 de ce code de déontologie,par cette formule : « Tout fonctionnaire de police a le devoir derendre compte à l’autorité de commandement de l’exécution desmissions qu’il a reçues, ou le cas échéant, des raisons qui en ontrendu l’exécution impossible. » On ne trouvera sans doute dansaucune autre profession une disposition où l’agent doit pouvoirjustifier de ce qu’il n’a pas pu ou pas voulu faire !… Ce fut unautre de ses apports à ce moment-là.

Gilles Sanson 3. Raconter l’histoire de Dominique Monjardetcomme conseiller technique à la DCSP, de septembre 1998 àjuin 1999, c’est raconter comment, pour un sociologue, du rôled’observateur on passe à celui d’acteur, ou comment, à unmoment, on peut ne plus se contenter seulement d’observer lesmouches à travers le bocal, mais tenter de se mouvoir bel et bienparmi elles en plongeant au cœur d’un service actif de police.

Comment cela a-t-il pu se faire ? J.-M. Erbès et F.-Y. Boscherm’avaient recommandé Dominique. Nous n’avions jamais tra-vaillé ensemble, mais je percevais bien qu’il était susceptible denous apporter beaucoup de choses. J’avais donc demandé, pour laforme, l’aval de ma hiérarchie (c’est-à-dire le cabinet du ministreet la direction générale de la police), où l’on avait regardé avecdes yeux tout à fait réprobateurs cette requête. Elle était perçue, àtout le moins, comme incongrue… Ce n’était évidemment pas sapersonne qui était en cause, mais son statut (le « syndrome durenard dans le poulailler »)… J’ai attendu… Je suis revenu à lacharge. Je vois encore la moue qu’on m’opposait. On imaginaitau cabinet que c’était une affaire susceptible de nous amener descatastrophes et puis, de guerre lasse, on a fini par me dire :« Puisque vous y tenez, vous en assumez la responsabilité, et vousprendrez tout sur vous si ça se passe mal. » C’est vous dire queDominique Monjardet a été ensuite « encadré » ! [rires.] Sa mis-sion ? Nous aider. Les conditions ? Faire ce qui lui plaisait, cir-culer partout, par exemple. Je voudrais donc un peu parler de savie quotidienne, comment se passaient ses journées. Tout lui étaitouvert ; il était absolument libre, il pouvait assister à toutes lesréunions, aller partout dans les services, lire tous les documents

3. Gilles Sanson, IGA, fut nommé par Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Inté-rieur, au poste de directeur central de la sécurité publique en 1997, avec pour missionde mettre en place la réforme de « police de proximité ».

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qu’il demandait, ouvrir toutes les armoires. On voulait lui assurerune transparence totale, mais, en même temps, qu’il nous aide,c’est-à-dire nous permette d’avoir un regard un peu « défocalisé »sur ce qui se passait dans l’institution, sur la façon dont noustravaillions et qu’il nous dise à tout moment ce qu’il en pensait.Il participait aux réunions et il se saisissait des sujets. Quand onavait une question qui remontait, sur une série de viols de femmespar exemple, on avait des réflexions internes et lui nous aidait, lecas échéant, à voir le problème sous un angle différent ; il fai-sait d’ailleurs régulièrement des « notes blanches » tous les troisou quatre jours (c’est aussi un corpus qui pourrait être recons-titué, susceptible d’apporter une couleur inédite à ses écrits) surdes sujets très divers : les violences urbaines, des bavures au seinde la police. Il était absolument libre, et son regard fut très enri-chissant pour nous. Je ne sais pas si ce qu’il écrivait était alors« pour » la police ou « sur » la police ; en fait je crois qu’il étaitpour « la société civile ». Il a été sans doute initialement regardécomme le loup blanc par ma hiérarchie en amont, mais il faut direque ses qualités ont fait ensuite qu’il a été remarquablement bienreçu par l’institution qui a joué, me semble-t-il, le jeu. Et quandil est parti, ce fut une source certaine de regret.

Voilà le quotidien. Dominique travaillait à l’état-major parisien,mais il profitait de l’opportunité pour aller sur le terrain où il lesouhaitait. Il réalisait des missions d’appui et de conseil pour quele changement se passe bien. Il faut vous dire que le travail quinous occupait était difficile. La mission qui m’avait été donnée,celle de concevoir et de mettre en œuvre une politique publiqueprioritaire (mais définie de façon très vague par les commandi-taires politiques), devait composer avec de multiples facteurs derésistance et des effets de masse complexes à gérer. Il fallaitd’abord poser les fondements conceptuels de ce qui s’apparen-tait à une révolution de culture et mettre en œuvre ensuite le chan-gement, ce qui demandait des efforts considérables dans demultiples directions, tant en matière de formation, par exemple,qu’en termes de définition de doctrines d’emploi, de déploiementde moyens, de pédagogie administrative et de négociation syndi-cale, cela tout en maintenant nos activités opérationnelles. Certes,nous pouvions nous appuyer sur les réflexions engagées dans despays comme le Canada, mais en même temps, ce n’étaient enaucun cas des modèles, car dans un pays centralisateur comme lenôtre et à la police non décentralisée, quand il faut faire bougerun bloc monolithique, les chaînes de décision sont plus longues,

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les forces d’inertie sont plus grandes, et on ne peut revenir aussifacilement sur des expériences et tirer des leçons de leur échec parexemple. Par conséquent, le cadre des contraintes était beaucoupplus sévère et cela explique en partie le destin de cette tentativede réforme qui n’a pas donné tous les résultats escomptés et a étéexplicitement remise en cause par les pouvoirs publics.

Pour relater ce que fut malgré tout cette aventure, il faut expli-quer ce que nous entendions collectivement par pol-prox, et plusprécisément par le terme de proximité qui se déclinait sur cinqplans. Pour aller du plus simple au plus compliqué, pour illustrerce qu’a apporté Dominique Monjardet, je dirais que, sur les troispremiers de ces plans, ses apports ont été peu décisifs :

1. Le fait d’avoir une police plus proche physiquement, plusvisible au coin de la rue, qui rassure, cela renvoie à une politiqued’occupation de l’espace et à des redéploiements d’effectifs, brefà ces choses pas toujours simples à réaliser mais techniquementconnues.

2. Une police aussi plus proche des individus, qui fait doncattention au sort des uns et des autres, aux besoins particuliers desjeunes, des femmes, des victimes, des personnes vulnérables età la façon dont on les traite… Cela renvoie cette fois à des poli-tiques sectorielles : prises en charge spécifiques d’une catégorieparticulière de population, actions menées pour éviter des discri-minations à l’encontre des minorités visibles par exemple.Conceptuellement, nous savions là aussi un peu comment il fallaitfaire.

3. Une pol-prox également plus proche du terrain, des quar-tiers, des communes ; il fallait territorialiser au plus près les res-ponsabilités et déconcentrer massivement pour permettrel’élaboration de solutions locales pour la délinquance là où lesréponses apportées étaient trop standardisées, avec l’octroi auxservices de marges de manœuvre beaucoup plus grandes auniveau local. Une idée simple mais dont la mise en application estdifficile…

Mais c’est plus sur les deux points suivants que l’apport deDominique a été décisif :

4. Une pol-prox plus proche des préoccupations quotidiennesdes uns et des autres, plus soucieuse d’y répondre effectivementen prenant en compte l’ensemble du spectre de la demande. Orc’est précisément ce que nous ne savions pas faire, car au fondnous sommes dans une institution qui fonctionne sur le principesuivant : « Je suis un professionnel, je comprends bien les besoins

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des autres et ce qu’est l’intérêt général, et mon métier, c’estd’arrêter les voleurs. Je décide moi-même quelle est la priorité demon action. » Et l’impulsion est lancée du sommet à la base. Lapol-prox oppose à ce propos un projet différent, car la définitionde la hiérarchie des priorités de la police résulte cette fois direc-tement de la demande sociale et de son analyse ; c’est la base quidécide de ce qu’il faut faire et non pas forcément le directeurou le ministre. Cela impliquait un changement de paradigme, unbouleversement conceptuel considérable (d’où l’importance desdiagnostics locaux de sécurité dans le cadre des CLS qui parti-cipent précisément à la formulation et à la prise en compte decette demande…). J’ai été préfet dans une vie antérieure ; onm’avait interpellé : « Vous ne traitez pas le racket autour de cetteécole », et moi je voyais qu’il n’y en avait plus au travers desstatistiques produites par les services. Or les gens disaient que ceracket persistait et nous, nous pensions que le problème était réglé.Je m’aperçus qu’on n’écoutait pas les gens, que nos statistiques neles intéressaient pas et que ce n’étaient pas les faits qu’il fallaittraiter mais d’abord un sentiment tangible d’insécurité. Il fallaitsavoir être à l’écoute et, là-dessus, Dominique Monjardet a insistépour faire passer cette idée en permanence. C’était pour lui uneidée fondamentale, une question qui n’avait jamais été bien priseen charge.

5. Une police, en définitive, parce que sa légitimité a été surplace mieux ancrée, plus proche même de certaines des couchesles plus réfractaires jusqu’ici à ses interventions, celles qui sereplient le plus sur elles-mêmes, à l’intérieur des cités parexemple. Une police avec qui les gens seraient plus susceptiblesd’être en affinité… Dominique Monjardet insistait sur un point :il disait que la police agit avec comme ressort la force si c’estune police d’ordre. Conception classique, on déploie les bouclierset les matraques pour s’imposer sur le terrain. Ou bien qu’ellese repose sur la maîtrise de l’information pour ce qui est de lapolice criminelle. Mais, pour la police de sécurité publique, lapolice quotidienne, ce n’est pas ça le ressort… Pour lui, son res-sort, c’était l’autorité. Or celle-ci n’est pas quelque chose qui sedécrète, mais quelque chose qui, d’une certaine façon, doit êtreconsenti, y compris par ceux à l’encontre de laquelle elle s’exerce,au demeurant même dans ses manifestations les moins câlines. Ilfaut qu’il y ait une compréhension de l’action de la police pourqu’elle intervienne dans un environnement qui ne dégénère pas àchaque intervention. Il faut qu’il y ait une adhésion sous-jacente

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à ce que fait cette police. Or cela demande un nombre considé-rable de mesures : que la police soit à l’image de la population,qu’elle ait des stratégies transparentes, qu’elle soit à l’écoute enpermanence, qu’elle rende des comptes sur son action, qu’ellesoit insoupçonnable déontologiquement ; bref, des conditions pasfaciles à mettre en œuvre (par exemple au niveau du recrutement).Or, à chaque fois qu’on évoquait un de ces aspects, il y avaitune série d’actions complexes à décliner en matière de gestionadministrative.

L’apport de Dominique était, au quotidien, de maintenir lacohérence de tout ceci.

En conclusion, pour plusieurs raisons, lui et moi sommes à unmoment finalement partis de cette expérience, en conflit avec lestenants d’une conception plus réductrice, voire étriquée de la pol-prox. La nôtre exigeait du temps et des ressources plus importantsque ceux qui nous ont été accordés. On a réalisé des expérimen-tations. Il aurait fallu dix ans et des moyens accrus ; or, nous,on nous laissait deux ans avec des moyens constants. Il nous asemblé que ceci n’était pas raisonnable ; l’expérience s’est tou-tefois un peu poursuivie après notre départ et étiolée au fil dutemps. Mais je ne désespère pas qu’on reprenne à un moment ouà un autre ce chantier !

Christian Mouhanna 4. Dominique Monjardet était un hommed’action qui cherchait à agir sur la police, sur le terrain ; quand jel’ai rencontré, c’était sur une problématique déjà liée à la réformedes pratiques de la police – à propos de l’îlotage. On a comparéMontréal et Paris encore récemment… Son expérience au minis-tère de l’Intérieur le rendait heureux, mais en même temps il étaittiraillé par le fait qu’il était un chercheur critique qui devait sefaire accepter, ce qui impliquait de faire des compromis,d’accepter de se limiter – j’ai bien perçu cela chez lui. J’étais dansune position plus facile en tant que chercheur extérieur à l’insti-tution qui se posait des questions sur ce que cette réforme don-nerait sur le terrain.

J’ai l’impression que Dominique Monjardet a été rattrapé par levieux phénomène de l’effet pervers : il a participé à des réformes,mais, sur le terrain, la base a interprété à sa façon les réformes

4. Christian Mouhanna, sociologue au CNRS (CESDIP), a observé et évalué, durantles années 1990 et 2000, de nombreuses expériences de police de proximité. Il fut éga-lement l’un des derniers animateurs de la recherche à l’INHES (ex-IHESI).

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proposées, et il y a eu des effets pervers par rapport à ce qui avaitété proposé. (Je l’ai constaté à de nombreuses reprises chez lesadjoints de sécurité, sur le port des uniformes, sur le fait queles gardiens de la paix soient devenus des OPJ, une fonction quia pris le pas sur ce qui aurait dû rester leur fonction première,des médiateurs sur le terrain.) J’ai eu des discussions assez vivesmais cordiales avec lui, et le problème est resté entier, dans nosdernières discussions, lorsque l’on comparait Montréal et Paris, lafaçon de faire changer les choses. Pour moi, la France a un han-dicap beaucoup plus lourd : la technocratie policière est pesante,qui s’exerce dans deux directions différentes :

1. Elle est en général très opposée à la recherche sur la police,parce qu’elle en éprouve un insupportable sentiment de démythi-fication. Elle a l’impression que la croyance qui tient à l’équation« police = pouvoir », qu’elle transforme en « si je tiens la police,je tiens le pouvoir sur la population », pourrait s’effondrer, parceque les chercheurs montrent l’inverse.

2. À Montréal, on met en place une réforme de longue haleineen écoutant les citoyens (réunions) ; à Paris, elle est aux mains decinq personnes qui se renferment, pondent un livre blanc, fontune vague consultation avec des syndicats après, après… Or uneréforme pourrait se faire, mais, si elle se fait, elle se fera contrela technocratie.

L’un des héritages de Dominique Monjardet est aussi militant.Il concerne une opposition entre ceux qui cherchent à produire lesavoir et à essayer qu’il soit utile et utilisable par ceux qui l’exer-cent et par ceux qui en bénéficient. Et puis, il y a ceux qui sontcontre, et préfèrent l’exercer en jouant sur la « com’ », les appa-rences et se débrouiller ainsi.

Il y a donc un combat ouvert par Dominique à continuer, vuque les choses actuellement sont sur le déclin. Il faut espérer biensûr qu’elles puissent toujours repartir comme le disait Pierre Joxe.Mais il faudrait que les chercheurs s’y mettent avec l’aide despraticiens…

François-Yves Boscher. Je voudrais tordre le cou à un certainnombre d’histoires en réponse à ce que vient de dire M. Mou-hanna sur la « technocratie » et son influence sur la mise en œuvrede la police de proximité. Il se trouve que Dominique Monjardeten fit partie. La pol-prox, j’y suis un peu sensible et je veux doncfaire quelques mises au point. On en parlait déjà, en 1992, quandPaul Quilès était ministre et il en a fait l’annonce au conseil des

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ministres. Mais comment fait-on ? On a dit alors : « On n’a qu’ày former les gens », et c’est ainsi qu’une fois encore, la direc-tion de la formation de la police a été pionnière en partant del’exemple canadien… Mais, en 1992, cet « exemple » n’était pastrès avancé à cette époque, c’est le moins qu’on puisse dire ; lapol-prox, ce n’est donc pas un concept importé !

En 1993, avec Charles Pasqua, on maintient toujours cette prio-rité. Et jusqu’en 1995, un haut responsable du syndicat descommissaires est nommé sous-directeur pour la faire. Certes, iln’y croyait pas, mais surtout il ne savait pas comment la faireet personne ne le savait. J’en parle d’autant plus à l’aise que, de1993 à 1997, j’étais reparti en province comme directeur dépar-temental, et j’ai monté un service de pol-prox, mais je n’y arrivaispas non plus, notamment sur la question de devoir trancher le pro-blème de l’activité judiciaire de nos gardiens de la paix. S’il estenquêteur, le gardien de la paix s’occupe de la psychologie d’unindividu à arrêter ; et s’il fait de la sécurité publique, il s’occuped’un collectif, donc de la sociologie d’un quartier, sans parler destechniques de travail qui sont différentes. On était bloqué par cela,car, à l’époque, on croyait que c’était l’un ou l’autre…

Or c’est grâce à des travaux de recherche que l’on a pu relancerla pol-prox en 1998, quand Gilles Sanson a pris l’affaire en main,avec Dominique Monjardet comme conseiller. C’était quelquechose d’agréable pour lui d’être « conseiller du prince », mais enmême temps, il était obligé de « produire » administrativementsur ces problèmes complexes. Et ça, évidemment, ce temps oùle chercheur devient acteur du processus de changement, c’estdouloureux. Ce fut de sa part un effort extraordinaire de neufmois, car l’ambiance était hostile… On vient vous dire après quec’est un processus plaqué aux mains d’une poignée de« technocrates » !

Cette alliance du directeur avec le chercheur devenu acteur dela réforme, et cette administration qui écoute ce que dit un cher-cheur en son sein, ce fut une très grande nouveauté, et un bonapport. Et je peux attester que d’avoir connu cela, ce n’est pas maldans une vie !

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Que dire maintenant de la police ?

par Jean-Paul Brodeur 1

La meilleure façon de célébrer la mémoire de Dominique Mon-jardet est de la faire résonner en prolongeant son travail. Ce textene constitue ni un faisceau de souvenirs de Dominique, bien qu’ilssoient nombreux et pour moi chers, ni une démonstration théo-rique structurée selon les règles de la méthode. Il tient en unesuite de thèmes reliés aux échanges entre Monjardet et moi aucours des années pendant lesquelles nous nous fréquentâmes ; jeferai suivre la présentation de ces thèmes de thèses explicitementformulées.

Dominique Monjardet et moi nous entendions avant tout sur lesprésupposés de la recherche sur la police : 1. la police est unobjet légitime et porteur de la recherche ; 2. cet objet est particu-lièrement difficile à connaître ; 3. il doit être abordé avec le mêmedétachement que les autres. Le reste fut l’objet d’une disputatioaussi amicale qu’elle était attentive. L’ethnologue John VanMaanen (1978) a établi une typologie des chercheurs sur la police,fondée sur le croisement de deux paires de traits, soit le caractèreouvert ou clandestin de la recherche et le caractère policière-ment actif ou passif du chercheur. Les quatre catégories ainsigénérées sont les suivantes : l’« espion » (travail clandestin et actif– l’activité étant déployée au profit d’une organisation rivale) ;le « voyeur » (travail clandestin et passif) ; le « membre » (travailouvert et actif) ; le « fan » (travail ouvert et passif). La plupart deschercheurs sur la police sont des « fans », cette caractérisation ne

1. Criminologue canadien. Directeur du Centre international de criminologiecomparée, Montréal.

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devant pas s’entendre en son sens hagiographique mais dans lesens de ce que Habermas désigne comme un intérêt de connais-sance. La position de Dominique Monjardet par rapport à cetteclassification fut atypique. Bien qu’il ait la plupart du tempsoccupé la position traditionnelle du « fan », il lui est arrivé depactiser avec la clandestinité lorsqu’il a publié des textes sous lepseudonyme de Pierre Demonque 2. De façon moins anecdotique,il a accepté des fonctions de conseiller au sein de la Police natio-nale, qui l’ont situé entre le « membre » et le « fan ». Ces passagesau sein de l’institution prise en objet d’étude sont monnaie cou-rante dans le monde anglo-saxon et, sauf dans le cas d’un dépor-tement du chercheur, personne n’y trouve à redire. La positionde conseiller du prince dans son incarnation policière est plussujette à caution et à critique quand on persiste comme en Franceà définir la police exclusivement par son usage de la violence,avec son potentiel de bavures 3. Sebastian Roché fait relativementexception à cette tendance 4.

Je développerai brièvement quatre thèmes, soit dans l’ordre :la difficulté de connaître la police, les objets « sales » de larecherche, la domination précaire de la police et l’insécurité poli-cière. Je présenterai en conclusion quelques remarques sur lestypes de recherches que l’on peut effectuer sur la police.

La difficulté de connaître la police

Un premier sujet sur lequel Dominique Monjardet et moiéchangeâmes beaucoup est celui de la difficulté de connaître lapolice. Le point de départ de ces échanges fut une affirmationque je fis dans un texte de 1984 : « L’action policière, dis-je,est un objet qui oppose une résistance délibérée au projet deconnaître 5. » Cette affirmation correspondait de près à l’expé-rience de Dominique Monjardet dans ses tentatives de poursuivre

2. Lire Dominique Monjardet citant Pierre Demonque et vice versa fit les délices desamis qui connaissaient son penchant pour les jeux auxquels excella le grand FernandoPessoa. Voir par exemple P. DEMONQUE, Les Policiers, op. cit.

3. F. JOBARD, Les Violences policières. État des recherches dans les pays anglo-saxons, L’Harmattan, Paris, 1999 ; Bavures policières ? La force publique et ses usages,La Découverte, Paris, 2002. J.-L. LOUBET DEL BAYLE, Police et politique. Une approchesociologique, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 24-25.

4. S. ROCHÉ (dir.), Réformer la police et la sécurité. Les nouvelles tendances enEurope et aux Etats-Unis, Odile Jacob, Paris, 2004.

5. J.-P. BRODEUR, « La police : mythes et réalités », Criminologie, XVII, 1, p. 10.

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des recherches sur la police. Que la police fût un objet difficile àconnaître n’était que l’expression d’une lapalissade. Ce qui dis-tingue la police est, comme je tentai de le montrer, qu’elle opposeune résistance intentionnelle au projet de connaître. Qu’est-ce àdire ? À la différence du mystère que présentent initialement lesobjets des sciences naturelles, pour prendre un exemple, la résis-tance que rencontre le chercheur lorsqu’il tente de connaître sonobjet policier est active et délibérée. Elle est le fruit d’une positionde l’institution policière qui est de maintenir le secret sur ses opé-rations. Cette difficulté s’est amoindrie avec le passage du tempset elle varie de façon considérable selon les pays.

Son importance obéit à deux règles. Première règle : lescomposantes de l’appareil policier qui ont le plus de pouvoir sontégalement les plus revêches à l’étude. Par exemple, la sociologiede la police en tenue est incomparablement plus développée quecelle des enquêteurs et des inspecteurs en civil. D’après un rap-port publié en 2003 sous les auspices du Conseil national de larecherche (National Research Council) des États-Unis, les sixobjets d’étude en rapport avec l’activité policière qui ont retenule moins d’attention de 1967 à 2002 sont par ordre décroissantd’intérêt : les droits humains, le contrôle des foules, l’imputabilitéde la police, la discrétion policière, l’usage des armes à feu et laforce létale et enfin l’enquête policière 6. L’introduction du dernierlivre de Frédéric Ocqueteau sur le corps des commissaires de laPolice nationale française 7 témoigne de la difficulté d’effectuerdes recherches au sommet de la pyramide policière, une partiedu corps des commissaires assumant des fonctions de policejudiciaire 8.

Seconde règle : les corps les plus centralisés sont les plus réti-cents à accueillir des chercheurs en leur sein, alors que les corpslocaux de police s’ouvrent davantage à la recherche. Commel’une des principales différences entre les pays anglo-saxons etceux d’Europe continentale tient au caractère décentralisé despolices dans ces premiers pays, il s’ensuit que les travaux sur lapolice anglo-saxonne sont beaucoup plus développés que les

6. W. SKOGAN et K. FRYDL, Fairness and Effectiveness in Policing : The Evidence,The National Academic Press, Washington, 2004.

7. F. OCQUETEAU, Mais qui donc dirige la police ? Sociologie des commissaires,Armand Colin, Paris, 2006.

8. Cette partie du corps constitue une « petite minorité » dans les effectifs du corpsdes commissaires (ibid., p. 11), mais occupe une place de premier plan dans la genèseet l’entretien de son mythe.

que dire maintenant de la police ?

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travaux sur les polices du continent européen. Je remarquerai aupassage que la résistance des grands corps centralisés provient dece qu’ils ont beaucoup plus à montrer que les corps locaux. EnFrance, la Police nationale coïncide en quelque sorte avec l’idéemême de police sur le territoire français, alors que la police deMontréal ou celle de tout autre corps municipal du continent nord-américain n’est qu’une incarnation partielle du concept de police.Si ce qu’un chercheur découvre dans un corps local de policese révèle embarrassant pour la police 9, les autorités policières dis-posent de la possibilité de contenir la critique en faisant valoirqu’elle ne s’applique qu’à un seul corps qui n’est en rien typiquede l’appareil en lui-même.

Pour importantes que soient ces observations, la résistance dela police me semble relever d’une explication plus fondamentale,que j’énoncerai sous la forme d’une première thèse : la résistancede la police au projet de connaître n’est que la contrepartie de larésistance de la délinquance à se dévoiler.

Cette « thèse » n’affirme certes pas que le monde policier estun monde criminalisé et que c’est pour cette raison qu’il se dis-simule. Elle affirme plutôt qu’il y a entre le monde policier etle monde délinquant des homologies structurales, des traitscommuns et des réflexes d’adaptation réciproque qui obéissent àune économie générale du mimétisme. Pour le dire en bref, cesdeux mondes présentent une image spéculaire l’un de l’autre.Peter Manning fournit une illustration littérale de cette relationspéculaire en montrant que les gangs de trafiquants de drogueet les escouades des « Stups » sont structurés de façon ana-logue, sinon identique 10. La police et le crime se dissimulent l’uneà l’autre et, par une cascade d’occultations, ils se cachent égale-ment à nous. On peut, à cet égard, faire état d’une tendance :elle tient en première part dans le durcissement du secret d’Étatet dans l’impénétrabilité croissante des milieux délinquants ; elleréside d’autre part dans l’érosion sensible du secret citoyen et dela vie privée des civils, qui font figure trop souvent de « dom-mages collatéraux » des opérations que se livrent les uns contreles autres policiers et délinquants. Ce dernier effet pervers est par-ticulièrement sensible dans le champ de la lutte antiterroriste.

9. R. V. ERICSON, Making Crime : A Study of Detective Work, Butterworths, Toronto,1981.

10. P. K. MANNING, « Le jeu des “Stups”. L’organisation policière comme miroirsocial », in J.-P. Brodeur et D. Monjardet (dir.), Connaître la police, Les Cahiers de lasécurité intérieure, Paris, 2003, p. 356.

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Les objets sales de la recherche

Ce second thème fait dans une certaine mesure pendant au pre-mier : si la dérobade de la police est analogue à celle de la délin-quance, il n’y a qu’un pas à considérer celle-ci comme un objetpeu porteur de la recherche. Dominique Monjardet utilisait à cetégard l’expression d’objet « sale » de la recherche, un thème quia continûment retenu son attention au cours de la partie de sacarrière qu’il a consacrée à effectuer des recherches sur la police.Pour Monjardet, la police n’était pas le seul objet sale de larecherche – les prisons et le personnel pénitentiaire représententaussi des objets peu valorisés – et nous avons longtemps projetéde faire un ouvrage commun sur ce sujet.

Qu’entendre par un objet sale de la recherche ? On dira en pre-mière approximation que ce type d’objet est non seulement peuporteur mais que de s’y frotter peut ternir la réputation d’un cher-cheur, surtout s’il aborde cette recherche en renonçant à la rhéto-rique complaisante de la dénonciation qui caractérise plusieursdes travaux qui se publient en langue française sur la police.Dominique Monjardet qui a créé la belle expression de « condi-tion policière » dans son ouvrage phare 11 s’était forgé une solideréputation d’impartialité, qui n’excluait ni l’empathie ni la cri-tique, auprès de nombreux policiers français, et il en a payé le prixauprès des publicitaires de l’antipolice. Cette notion d’objet salede la recherche varie d’une tradition historique à une autre et, pource qui est de la police, elle est particulièrement aiguë dans lespays qui ont fait l’objet de l’occupation nazie pendant le secondconflit mondial. Il n’y a pas véritablement d’équivalent des objetssales dans la tradition académique anglo-saxonne, où la police estconsidérée comme un champ de recherche qui a sa propre légiti-mité. C’est plutôt la notion de « tabou » de la recherche qui cor-respondrait dans cette tradition aux objets sales qui suscitaientla réflexion de Dominique Monjardet. Pour un exemple d’objetsale d’une tout autre nature aux États-Unis, pensons à la tentatived’établissement, pour nous très problématique, d’un lien étiolo-gique entre délinquance et ethnicité qui fait l’objet d’un tabou enAmérique du Nord (et ailleurs). Richard J. Herrnstein et CharlesMurray ont enfreint à grands frais ce tabou en affirmant l’exis-tence d’un lien entre la faiblesse du QI et l’activité délinquante eten aggravant cette première dérogation en prétendant démontrer

11. D. MONJARDET, Ce que fait la police, op. cit.

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que la collectivité afro-américaine avait collectivement un QI infé-rieur à celui des autres collectivités composant la société améri-caine 12. Cet ouvrage a donné lieu à un débat passionné auxÉtats-Unis. Deux intellectuels reconnus pour leur engagementsocial – Russell Jacoby et Naomi Glauberman – ont publié unouvrage réunissant 81 articles critiques à l’égard des positions deHerrnstein et Murray 13.

Comme dans la section précédente, je souhaiterais accrocherma réflexion sur ce thème des objets sales de la recherche à une(hypo)thèse. Thèse nº 2 : les objets sales de la recherche sont desobjets dramaturgiques.

Je dois reconnaître avoir beaucoup hésité dans l’élection duqualificatif de dramaturgique pour le substituer à celui d’objetsale. J’ai également envisagé d’utiliser les épithètes « pas-sionnel », « dramatisé » ou « affectif ». J’ai finalement opté pourle terme de dramaturgique qui renvoie à la tradition goffma-nienne, dont se réclame Peter Manning dans ses recherches sur lapolice 14.

Le fil d’Ariane que j’ai suivi en choisissant ce terme m’a étédonné par l’expérience. J’ai en effet été frappé que des objetstels que la police, le renseignement de sécurité et le terrorismesuscitaient un intérêt passionné du public, mais qu’il était presqueimpossible de le relayer par un intérêt de savoir, pour ne rien dired’un intérêt « scientifique ». Par exemple, le terrorisme a mobilisépour un temps (1960-1980) l’opinion publique canadienne. Tou-tefois, les colloques scientifiques que j’ai tenté d’organiser avecd’autres sur ce sujet se sont révélés très décevants pour ce quifut de la participation du public. Le même constat s’applique àl’effort pour promouvoir des échanges dépassionnés sur la police.Il semble donc que l’objet dramaturgique soit indissociable dela doxa 15. Le caractère infrangible du lien entre l’objet dramatur-gique et la doxa s’explique de façon plus profonde que la préten-tion de tout le monde à être expert en cette matière. L’objetdramaturgique se déploie en effet sur un plan symbolique qui estinvesti par l’affect. Le travail de l’affect se répercute sur ce plan

12. R. J. HERRNSTEIN et C. MURRAY, The Bell Curve. Intelligence and Class Structurein American Life, The Free Press, New York, 1994.

13. Russell JACOBY et Naomi GLAUBERMAN, The Bell Curve Debate, Random House,Times Books Inc., New York, 1995.

14. P. K. MANNING, Policing Contingencies, The University of Chicago Press, Chi-cago, 2003.

15. En grec, le terme doxa désigne les croyances communes ou, encore, l’opinionpopulaire. C’est en ce dernier sens qu’il est utilisé par Platon.

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symbolique, qu’il transforme en une scène où se déploie uneaction dont le dénouement provoque une catharsis. Entre l’intérêtde connaissance et le désir de catharsis, c’est ce dernier quil’emporte la plupart du temps. Le terme de catharsis est iciemployé tant dans son sens étymologique de purification que pourdésigner les dérives plus communes effectuées à partir de ce pro-cessus de libération, comme la rupture avec le quotidien, l’expres-sion d’une frustration ou d’une jubilation 16 ou même la recherchedévoyée d’un divertissement. Le pouvoir d’attraction exercé parun objet dramaturgique fait obstacle à une mise à distance impar-tiale de celui-ci sans laquelle il ne peut être authentiquementconnu. Il est un dernier caractère de l’objet dramaturgique quiconsomme sa supplantation de la volonté de savoir. La dramati-sation qui le transforme en une représentation théâtrale est un pro-cessus médiatique qui peut être indéfiniment réitéré. Le projet desubstituer une représentation scientifique à la représentation affec-tive d’un objet dramaturgique se heurte à la puissance des médiasqui diffusent massivement la seconde, plus propre à augmenterles tirages. L’objet dramaturgique est une catégorie qui subsumeautant le négatif que le positif. Il est des objets – par exemple, latolérance – qui sont aussi irrémédiablement propres que d’autressont maculés.

Il faut en dernier lieu insister sur le fait que la dramatisation desobjets est une problématique qui porte plutôt sur les répercussionsdu savoir que sur sa possibilité même. Il y a bien un au-delà dubien et du mal pour un chercheur intègre et persistant, et la car-rière de Dominique Monjardet le prouve. Toutefois, l’accueil quiest fait aux travaux portant sur des objets dramaturgiques tend àles ramener presque inexorablement sur la ligne de démarcationentre le bon et le mauvais, entre le prestige et la honte.

La domination précaire de la police

Je ne souhaite pas ranimer le débat nourri entre DominiqueMonjardet et moi sur la définition de la police par son monopole

16. Voici un commentaire que les attentats du 11 septembre 2001 ont suscité : « Tousles discours et commentaires trahissent une gigantesque abréaction à l’événement mêmeet à la fascination qu’il exerce. La condamnation morale, l’union sacrée contre le ter-rorisme sont à la mesure de la jubilation prodigieuse de voir détruire cette superpuis-sance mondiale, mieux, de la voir en quelque sorte se détruire elle-même, se suicideren beauté. » J. BAUDRILLARD, L’Esprit du terrorisme, Galilée, Paris, 2002, p. 10-11.

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de la force légitime. Trop a été dit là-dessus, qui a impliqué plu-sieurs interlocuteurs. Tant Monjardet que moi avons évolué surnos positions. Monjardet a finalement reconnu que la police fonc-tionnait davantage à l’autorité qu’à la force. Pour ma part, je penseque l’usage de la force est un élément incontournable de toutethéorie de la police et que vouloir en faire l’économie revient àtravestir son objet. Ceci étant dit, j’aimerais citer un passage oùDominique Monjardet introduit pour la première fois dans sonouvrage fondateur, Ce que fait la police, sa définition de la policepar l’usage de la force : « La force [est] la ressource policière parexcellence. Un officier de CRS résumait fort bien ceci : “Ce quinous rassure, c’est la certitude qu’on peut prendre des coups, onpeut être rossés, mais on ne sera jamais battus, parce que noussommes adossés à l’État.” On définira donc ici la police commel’institution en charge de détenir et de mettre en œuvre les res-sources de force décisives dans le but d’assurer au pouvoir lamaîtrise (ou régulation) de l’usage de la force dans les rapportssociaux internes 17. »

Ce qui m’intéresse précisément dans ce texte capital est moinsla définition proposée de la police que le contexte dans lequelcelle-ci est formulée, en particulier cette affirmation que la policeétant adossée à l’État, elle ne sera jamais battue. Je remarqueraid’abord que ce texte se rapporte à la force dont on présupposequ’elle est un concept homogène qui n’est pas modulé par lesdegrés de force utilisée. Ce présupposé s’explique en partie parle fait que Monjardet est préoccupé par les « rapports sociauxinternes » et qu’il reprend donc implicitement la dichotomie tradi-tionnelle : la police utilise la force pour réguler les rapportssociaux internes et l’armée recourt à la violence contre l’ennemiexterne. Or nous possédons de plus en plus d’exemples où lapolice est en réalité « battue » et où il faut recourir à la forcemilitaire pour régler les rapports sociaux internes. Je citerai à cetégard un texte produit par le porte-parole de la Sûreté du Québec,qui fait référence à un conflit qui opposa les forces conjuguéesdes principales organisations policières opérant au Québec– polices municipales, Sûreté du Québec et Gendarmerie royaledu Canada – et des bandes autochtones (mohawks ou iroquoises)puissamment armées avec des armes automatiques. Ces bandesarmées s’étaient retranchées derrière des barricades et défendaient

17. D. MONJARDET, Ce que fait la police, op. cit., p. 20. Le mot « battus » est soulignédans le texte.

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une parcelle de terrain que ses membres considéraient commeune terre sacrée (un ancien cimetière où étaient ensevelis desancêtres). Plusieurs centaines de policiers chargèrent ces barri-cades et furent accueillis par un feu nourri qui tua l’un d’entre euxet qui les mit en fuite (cette déroute a été enregistrée sur bandevidéo). La crise se prolongea et on dut faire appel à l’armée cana-dienne pour la résoudre. Les leçons furent tirées par le porte-parole des policiers : « Tant et aussi longtemps que l’action despoliciers consistait à démanteler des barricades pour répondre àune demande légitime d’un conseil municipal, ils demeuraient àl’intérieur des responsabilités qui leur revenaient. Faire respecterune ordonnance de cour faisait partie de leur mandat, du servicede base qu’ils doivent habituellement assurer. La décision de seretirer après qu’un des leurs eut été abattu était très sage. Celle dene pas lancer un deuxième assaut l’était davantage. Un bain desang aurait été inévitable. La situation ne commandait plus uneintervention policière. Dans la mesure où des Mohawks avaientdécidé d’opposer une résistance armée, mais surtout de faire feuen direction des policiers, le dossier basculait dans le camp poli-tique et il revenait désormais à l’armée d’intervenir dans les plusbrefs délais, ce qui ne fut pas fait 18. »

Pour un public européocentrique peu familier, sauf en Scandi-navie, des problèmes aigus liés aux revendications des commu-nautés autochtones (« indiennes », comme on a regrettablementtendance à le dire en France), dont deux sont particulièrement pro-blématiques – soit la revendication de souveraineté à l’intérieur duCanada et celle de plus de 80 % du territoire canadien –, lesévénements que je viens de citer ne paraissent pas dépasser lepalier de l’anecdote folklorique. On peut toutefois multiplier lesexemples où la police est battue, en ce sens qu’elle se retire endésordre et abandonne le champ à ses adversaires. À la find’août 2005, l’ouragan Katrina dévasta quelques États du sud desÉtats-Unis et en particulier la Louisiane. La ville de La Nouvelle-Orléans fut particulièrement touchée. Dans les jours qui suivi-rent l’ouragan, des bandes armées de prédateurs se formèrent, quilivrèrent la ville au pillage. Les policiers de La Nouvelle-Orléans renoncèrent alors à protéger la population. Plusieursd’entre eux firent défection et un nombre considérable rendirentleur plaque de policier à leurs supérieurs au motif qu’affronter desgangs prêts à faire feu sur la police n’entrait pas dans le mandat

18. C. GAGNON, Médiapolis, Les Éditions Québec Amérique, Montréal, 1999, p. 78.

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de cette dernière (cet argument est semblable à celui énoncé dansle texte cité plus haut) 19. En novembre 2006, la ville de Naplesfut le théâtre de batailles rangées entre diverses factions de laCamorra. Là encore, la police battit en retraite et l’on envisagea defaire intervenir l’armée (il semble que cette seule menace eutl’effet de calmer le jeu). Plusieurs pays de l’Afrique sub-saha-rienne et du Moyen-Orient se sont transformés en de violentsthéâtres d’opérations où les forces policières ont renoncé à réglerles rapports sociaux internes. On pourra toujours tenter de réduirela signification de ces événements en arguant que la police a faitretour sur le terrain après une période d’interruption de ses ser-vices (à la colère des victimes de sa défection). Cette objectionfait l’impasse sur deux faits. D’abord, la police réoccupe le ter-rain seulement après qu’il a été pacifié par l’armée (par la Gardenationale, à La Nouvelle-Orléans). Ensuite, la déroute policière estdans certains pays définitive (en Haïti, en Afghanistan, au Liban,et en Irak, pour prendre les cas les plus extrêmes).

D’où la thèse nº 3 : la police ne peut opérer que dans lecontexte d’une pacification antécédente. Quand le contrat de non-violence est collectivement rompu, la police est battue ; il faut luisubstituer un autre corps violent : l’armée, des milices ou desmercenaires appartenant au secteur privé. Cette thèse se vérifiedans l’histoire, où l’institution policière s’est substituée à l’armée.Elle est toutefois tombée dans l’oubli par suite de l’instaurationdurable de la domination policière dans le règlement des rapportssociaux internes. Cette domination policière est maintenant remiseen cause dans plusieurs pays (ou portions de leur territoire), oùl’on régresse dans le chaos anomique qui a précédé la pacificationmilitaire. Lorsque cette régression est effective, elle emporte lapolice. En d’autres termes, la police ne peut opérer que sur labase d’un consentement de la population dans sa totalité et sesparties distinctes à se soumettre à son autorité. Cette base d’opé-ration autorise certes l’existence de formes diverses de dissensus.Toutefois, lorsque l’équilibre général entre le consentement àsubir l’autorité de la police et le défi de cette autorité se rompt auprofit de ce dernier, l’exercice de la police devient de plus en plusproblématique.

19. De nombreux articles de journaux attestent l’effondrement policier ; voirR. D. MCFADDEN, « Bush promises more troops as New Orleans quiets », etJ. B. TREASTER, « Police quitting : hundreds of officers, feeling outmatched, have leftforce », The New York Times, 4 septembre 2005, p. 1 et 24 ; S. BARNES et K. HUM-PHREYS, « Life among the ruins », Time Magazine, septembre 2005, p. 30.

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Le titre commun de l’armée et de la police à constituer desincarnations exemplaires du pouvoir de l’État n’est pas suffisantpour conforter l’allégation d’une prépondérance de la police parinterposition militaire, tant sont grandes les différences entrel’armée et la police 20. Au regard de l’usage de la force, la policeest liée par un principe de parcimonie alors que l’armée pour-suit une logique de prodigalité dont la fin est de subjuguerl’ennemi. Les polices militarisées (Compagnie républicaines desécurité, Gendarmerie nationale, Gendarmerie royale du Canada)obéissent quant à elles essentiellement à la logique policière de laparcimonie dans le recours à la violence dans le règlement internedes rapports sociaux. On ne saurait méconnaître, sans errer gra-vement, le gouffre qui sépare « taper dans le tas » et tirer dans lafoule.

L’insécurité policière

Ce thème constitue un prolongement manifeste du précédent.L’une des objections que l’on peut faire à la définition de la policepar son monopole de la force armée (que celle-ci soit légitime ounon) est qu’elle constitue une taie qui empêche l’œil de voir toutun ensemble de problèmes reliés à une théorie de la police etqui font obstacle à son développement. L’un de ces problèmes estcelui de l’insécurité policière. Si l’on s’appuie sur l’affirmationque la police détient et met en œuvre les ressources de force déci-sives pour assurer au pouvoir la maîtrise du recours à la violencedans les rapports sociaux, il devrait s’ensuivre que le problème del’insécurité policière ne se pose pas ou constitue un problèmede peu d’insistance. En effet, si la police détient effectivementdes ressources de force décisives, on ne voit pas pourquoi elletremblerait dans ses interventions. Pourtant, elle tremble. Lors dedivers séjours en France, il m’est arrivé fréquemment d’accom-pagner des policiers de terrain (entre autres, ce qu’on appelait desBAC) dans leurs interventions. Même les plus aguerris des poli-ciers ne se risquaient dans les quartiers difficiles – par exemple,Le Mirail à Toulouse – qu’avec une grande nervosité. Il m’estarrivé d’assister au déploiement de plusieurs dizaines de poli-ciers armés de grenades lacrymogènes pour délivrer aux parents

20. J.-P. BRODEUR, « Force policière et force militaire », Éthique publique. Revueinternationale d’éthique sociétale et gouvernementale, 2 (1), 2000, p. 157-166.

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de jeunes délinquants une simple assignation à comparaître devantun tribunal.

L’insécurité policière se manifeste également dans les abusexplosifs de l’usage des armes à feu. Le 4 février 1999, un ressor-tissant de la Guinée travaillant à New York a été abattu de nuitalors qu’il se préparait à entrer dans son appartement. Lorsqu’ila fait un mouvement pour sortir la clé de son appartement, lespoliciers, croyant qu’il dégainait un pistolet, ont fait feu sur lui à41 reprises. La victime, Amadou Diallo, n’avait pas de casier judi-ciaire et n’était recherché pour aucun fait criminel. Plus récem-ment, le 25 novembre 2006, un groupe tactique de policiers encivil a abattu un jeune Afro-Américain de 50 balles alors qu’il sepréparait à célébrer son mariage. Des amis qui l’accompagnaientfurent également grièvement blessés. Une enquête est en courset l’on ignore encore la raison de cette fusillade. Les victimesn’avaient pas de casier judiciaire 21. Ces comportements, quis’apparentent à ceux des militaires en panique qui tirent sur toutce qui bouge, sont l’indice d’une insécurité policière extrêmementprofonde. Cette insécurité est d’autant plus significative qu’elleaffecte des policiers entraînés pour faire des interventions de choc.

Une troisième manifestation de cette insécurité policière est lamontée vertigineuse des coûts de la production de sécurité parla police. Par exemple, la protection des résidents des petites villes(1 000/1 500 habitants) du Québec revient à environ 200 dollarspar habitant et par an. Celle des 1 300 habitants de la réserveautochtone de Kanesatake s’élève 13 000 dollars par habitant etpar an, soit 65 fois plus que pour les autres habitants du Québec.

Nous n’avons pas la place pour explorer les causes de l’insé-curité policière. Dominique Monjardet et moi avions le projet decomparer le double discours qui sévit dans les écoles de police enFrance et au Québec. De prime abord, les instructeurs tiennentle discours de la sérénité, de la dédramatisation et de l’usageminimal de la force. Toutefois, un grand nombre des anecdotesqu’ils utilisent pour illustrer leur enseignement et pour capterl’attention des recrues se rapportent à des incidents où un policiera été agressé, blessé et même tué. Nous n’avons pu réaliser ceprojet.

De façon plus fondamentale toutefois, les raisons de cette situa-tion se trouvent dans les implications de notre troisième thèse : la

21. W. K. RASHBAUM et A. BAKER, « 50 bullets, one dead, and many unansweredquestions », The New York Times, 11 décembre 2006, p. A25.

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police n’est pas l’instrument d’une pacification, mais la présup-pose. Sa mission est pour l’essentiel de reconduire le statu quoà partir d’une position de domination. Lorsque cette position dedomination est ouvertement défiée par une population ou unesous-population, il s’installe une situation de haute insécurité ausein des forces policières. La police n’est dès lors plus la solutionau problème de l’insécurité, mais elle fait partie de sa donne etson action produit trop fréquemment une augmentation généralede l’insécurité. Les opérations « coup de poing » qui sont effec-tuées dans les zones difficiles à grand renfort de publicité ne don-nent plus le change. Les habitants de ces quartiers savent qu’aprèsces interventions médiatisées, la police se retirera au quotidien etqu’ils seront laissés sans protection.

En guise de conclusion

La recherche sur la police a connu un développement absolu-ment spectaculaire dans le monde anglo-saxon depuis 1980.Même si l’illustration de cette explosion fournie par Reiner 22 datede plusieurs années, elle conserve toute sa signification. Reinernous apprend qu’en 1979, le chercheur Simon Holdaway publiaune collection de dix essais où se retrouvaient presque tous leschercheurs britanniques de réputation qui poursuivaient desrecherches sur la police 23. L’ouvrage de Holdaway est long de188 pages. Dix ans plus tard, Cathy Bird publia pour le compte dela Police Foundation un inventaire des recherches sur la police 24.L’inventaire de Bird qui n’est qu’une liste sèche de projets derecherche de 207 pages énumère 184 projets de recherche diffé-rents qui se poursuivaient dans 69 instituts différents. Reiner noteque la plus grande partie des nouvelles recherches sont orientéesvers la formulation de politiques et de stratégies policières et sonten conséquence de nature plus pragmatique que théorique.

Cette remarque recoupe une distinction fondatrice de larecherche sur la police qui a été initialement formulée par MichaelBanton 25 et qui a été reprise récemment par Peter Manning dans

22. R. REINER, « Police research », in N. MORRIS et M. TONRY (éds.), Modern Poli-cing, University of Chicago Press, Chicago, 1992, p. 438.

23. S. HOLDAWAY (éd.), The British Police, Edward Arnold, Londres, 1979.24. C. BIRD, The New Register of Policing Research, Police Foundation, Londres,

1989.25. M. BANTON, The Policeman in the Community, Basic Books, New York, 1964.

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sa recherche sur les études policières 26. Banton a distingué entreles recherches qui sont effectuées pour la police et les recherchesqui sont effectuées sur la police. Les premières, d’orientationpragmatique, portent sur des questions étroitement définies (parexemple, l’entraînement de la police) et visent avant tout à l’amé-lioration des prestations policières et à l’exercice d’un contrôleplus efficace sur la délinquance. Ces recherches sont en générallargement subventionnées par les pouvoirs publics. C’est ce typede recherches qui est estimé moins honorable parce qu’il est ins-trumentalisé par la police ; les objets apparemment « sales » de larecherche se retrouvent souvent au sein de ces travaux. Ce der-nier reproche est au vrai assez injuste car beaucoup de cesrecherches visent à promouvoir des stratégies et des tactiques poli-cières qui impliquent un usage minimal de la force. Lesrecherches sur la police sont de nature théorique, articulent desperspectives compréhensives et poursuivent un intérêt de connais-sance recherché pour lui-même et non pour des fins instrumen-tales. Ce type de recherche possède incontestablement plus deprestige dans le monde académique, bien qu’il soit difficile d’enassurer le financement.

J’aimerais, à cet égard, préconiser le développement d’une troi-sième catégorie de travaux : des recherches effectuées pour lasociété civile. Elles comporteraient une dimension critique maiselles ne répugneraient pas à leur instrumentalisation par la société.Les travaux sur les mécanismes qui accroissent la transparencede la police et qui renforcent son obligation de rendre des comptesconstituent un exemple de recherche sur la police et pour lasociété civile. Un nombre significatif des travaux de DominiqueMonjardet, en particulier des notes de recherche publiées demanière dispersée et qu’il faudrait se hâter de réunir en unvolume, s’inscrivent dans cette troisième perspective 27. L’énoncédes conditions d’une police démocratique constitue un chantierqu’il nous reste à ouvrir.

26. P. K. MANNING, « The study of policing », Police Quarterly, 8 (1), 2005,p. 23-43.

27. Par exemple, D. MONJARDET, « Le terrorisme international et la cage d’escalier(la sécurité publique dans le débat politique en France, 2000-2003) », communicationprésentée au colloque international francophone « La police et les citoyens », Écolenationale de police du Québec, Nicolet, 31 mai-2 juin 2005 (publiée sur le site Web duCentre international de criminologie comparée) ; et « Gibier de recherche, la police etle projet de connaître », Criminologie, 38 (2), 2005, p. 13-37.

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L’influence des travaux de Dominique Monjardetsur une nouvelle génération de chercheurs

par Frédéric Ocqueteau 1

Nul ne doute plus aujourd’hui que Dominique Monjardet aitété un pionnier de la connaissance du monde policier, avec lesarmes de la sociologie des organisations et des professions. Nique ses travaux aient pu influencer de nouveaux chercheurs surdes domaines connexes. Jusqu’à quel point cette influence est-elle avérée dans le milieu français, et que nous dit-elle del’avenir ? Nous avons cherché à repérer des traces en nousdemandant en quoi les travaux de Monjardet étaient suscep-tibles de servir de guide ou de balise à ceux qui se sont engagéset s’engageront sans complexes dans les divers sillons qu’il atracés.

On ne peut raisonnablement évaluer cette influence qu’enmontrant comment de jeunes chercheurs préoccupés par lesobjets policiers, institutions régaliennes et politiques de sécuritése sont positionnés à l’égard de ses travaux, à quoi ceux-ci leuront servi, quelles limites ils y ont trouvées et comment ils ontété amenés à les dépasser.

Une dizaine d’entre eux, appartenant à la génération des tren-tenaires (la plupart sont des thésards « postgradués » ou « ayantsoutenu »), ont bien voulu répondre à un petit questionnairepour les besoins de cet acte mémoriel. En espérant ne pas troptrahir leur pensée, nous avons classé leurs témoignages en fonc-tion de leur épistémologie de prédilection.

1. Directeur de recherche au CNRS (CERSA, Paris).

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Fidèles de Max Weber se réclamant d’une science politiquede l’État

Pour deux témoins qui disent avoir voulu approfondir laquestion des rapports entre force publique et violences, autre-ment dit qui ont réfléchi à une force publique vue à la foiscomme régulatrice et productrice de violences, les influencesde Monjardet ont été différentes, de même que les conclusionsauxquelles ces chercheurs aboutissent.

Jérôme Ferret 2 fait état de deux acquis très importants à sesyeux. L’un concerne la sociologie de l’État, l’autre l’entre-prise de désidéologisation de la sociologie générale à l’égard dudomaine de l’action régalienne. Ce qu’il voit dans Ce que faitla police, dit-il, c’est beaucoup plus une sociologie de l’Étatet de l’administration qu’un livre sur la « police ». PourJ. Ferret, la trilogie « organisation, institution, profession »,désormais classique, qui met à bas l’idée d’une police unique,est un acquis majeur d’une sociologie des organisations réac-tualisée par Dominique Monjardet. Le deuxième acquis impor-tant à ses yeux est qu’après son œuvre, il n’est plus possibled’analyser les violences, quelles qu’elles soient, de manièredéréalisée, sans étudier en même temps les acteurs policiers.Les polices sont toujours partie prenante de la « configurationviolente » et contribuent à dessiner ses contours. Dès lors quel’on a compris cela, on a fait un grand pas en sociologie, dansla mesure où l’on a désidéologisé une discipline qui n’avaitjamais été habituée à intégrer le jeu des acteurs policiers dansl’interprétation des phénomènes. J. Ferret reconnaît volontiersque cette vue est encore difficile à admettre pour les acteurschargés de combattre des violences qui, à leurs yeux, ne peu-vent s’expliquer que par des causes extérieures.

Fabien Jobard 3 témoigne de la fécondité théorique et empi-rique de la sentence inaugurale de Monjardet, qui reste pour luiun mystère, à savoir la réponse donnée au sous-titre de son opus

2. Aujourd’hui maître de conférences en sociologie à l’université de Toulouse. Sestravaux portent sur les polices municipales, les politiques des drogues, la réforme de lapolice de proximité, la lutte antiterroriste et les politiques de sécurité routière. Cf. Peurssur la ville, vers un populisme punitif à la française ?, PUF, Paris, 2005.

3. Chargé de recherche au CNRS (CESDIP), auteur d’une thèse sur « L’usage de laforce par la police en France » (1998), et de plusieurs ouvrages désormais classiquessur les violences illégitimes. Cf. Les Violences policières. État des recherches dans lespays anglo-saxons, L’Harmattan, Paris, 1999 ; Bavures policières ? La force publiqueet ses usages, La Découverte, Paris, 2002.

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majeur de 1996 : « Sociologie de la force publique » : « Il n’ya pas de sociologie de la police, il n’y a qu’une sociologie desusages sociaux de la force. » F. Jobard estime que le défi deson propre travail a été de devoir se contenter du maigre via-tique donné par D. Monjardet qui conseillait en substance ceci :« Tentez de vous débrouiller avec cela. » Pour ce chercheur, la« force publique » est partout et nulle part dans Ce que fait lapolice. Il lui a donc fallu la retrouver au travers des lignes. Celegs fut pour lui un fardeau, mais eut un mérite immense àses yeux : l’avoir immunisé contre les tentations des « posturesdénonciatrices ». Il rend hommage à cette attitude intellec-tuelle encore très rare en France et au souci (très impression-nant) de dépeindre l’édifice policier entier par la seule mise à nud’un détail. Un exemple l’a marqué, une « anecdote sournoiseet juste », dit-il, sur les syndicats notamment. Ainsi, quand ils’est agi de déshabiller les fonctionnaires sur le chemin domi-cile-commissariat (revendication acceptée), au moment mêmeoù des syndicats défendaient l’idée de la nécessaire proximitédu policier et du citoyen. Monjardet savait en montrer toutes lescontradictions ironiques : en œuvrant à regrouper les roule-ments pour que le fonctionnaire regagne son domicile le plusvite possible sans passer plus d’une demi-heure dans le quartierdans lequel il travaillait, ce « progrès social » allait se payerpar une « diminution de légitimité populaire ». C’est que, pourle confort de l’agent – rentrer le plus rapidement possible à lamaison –, il lui fallait quand même prendre le temps de sedévêtir de son uniforme… F. Jobard admire la rigueur dans ladescription de l’échelon microscopique, la capacité monjar-dienne de tisser le lien du particulier au général, cette facultérare à décrire les rouages d’une machine que le détail enraye,sans jamais pour autant tomber dans le piège de la « rhétoriqueréactionnaire de l’effet pervers ». Il se dit de surcroît sensibleà une capacité d’objectivation toujours mise au service d’une« éthique de la responsabilité ». Il rend enfin hommage à une« écriture serrée, dense, close […], lissant fortement l’aspéritédes événements vécus, le désordre des scènes observées, lebouillonnement des entretiens réalisés […], une écriture, dit-il,qui s’élève au-dessus du grondement du terrain ».

l’influence des travaux de dominique monjardet…

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Serviteurs de la sociologie politique et de la sociologiedes organisations

L’influence de Monjardet fut capitale pour Christian Mou-hanna 4 qui rapporte cette anecdote liée à leur première ren-contre : Dominique Monjardet avait passé un coup de fil auCSO en 1990, y cherchant une personne susceptible de s’impli-quer dans l’étude d’une expérience innovante d’îlotage. Mou-hanna fut désigné. Leur première rencontre eut lieu dansl’« embryon d’IHESI » de l’époque, ce qui lui permit de gagnerun séjour tous frais payés de six mois à Roubaix, et, ajoute-t-il,« quinze ans de carrière dans la police et la gendarmerie » 5. Enmême temps qu’il effectuait cette première enquête, il lisait lespremiers articles sur le travail policier et les travaux améri-cains conseillés par D. Monjardet (Ericson en particulier). Ilaffirme avoir été fondamentalement influencé par le travail deMonjardet et par sa bonne connaissance des fondamentauxen « sociologie des organisations » : compréhension des poli-ciers, importance du travail de terrain, empathie avec la base,autant d’attitudes qui ne furent jamais incompatibles, bienau contraire, avec l’attitude critique, surtout envers lesgestionnaires.

Ce qu’a retenu Anne Wuilleumier 6, c’est une lente impré-gnation du travail collectif qu’il réalisa en 1984 avec Antoi-nette Chauvenet, Daniel Chave et Françoise Orlic (« La policequotidienne »). Ce travail l’a aidée à se défaire de l’emprise dudroit public et/ou de la science administrative, encore domi-nante sur le sujet durant les années 1980. Cette grille de lecturelui fut très utile car, en voyant à ce point banalisé l’objet poli-cier, elle s’est elle-même inspirée de cette attitude pour traiterde la BREC comme d’un service administratif parmi d’autres.

4. Chercheur au CSO (Centre de sociologie des organisations) et au CESDIP. Aprèsavoir publié de nombreux travaux sur la police, la gendarmerie et le parquet depuis unequinzaine d’années, il a synthétisé ses travaux dans une thèse soutenue en 2005 :« Police et Justice face au citoyen : le repli bureaucratique ».

5. À noter le parallélisme de la trajectoire de C. Mouhanna et de celle de MauriceChalom à Montréal, racontée par ce dernier dans « Descente chez les bleus : une expé-rience professionnelle au sein de la police montréalaise », Revue française d’adminis-tration publique, 118, 2006, p. 281-290. (M. Chalom a été le coauteur, avecC. Mouhanna, de la dernière enquête de D. Monjardet sur la comparaison de la réformede la police de proximité en France et à Montréal).

6. Docteure en science politique (2005). Auteure d’une enquête sur les changementsorganisationnels introduits par la création des Brigades de recherche, d’enquête et decoordination (BREC), en 2000. Puis chargée d’études à l’IHESI et l’INHES.

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Elle dit avoir été marquée par les innombrables « outils heuris-tiques » que D. Monjardet fit émerger de ses recherches : nonseulement l’« inversion hiérarchique », la « coexistence quoti-dienne de deux obligations contradictoires, de moyens et derésultat », le « pluralisme policier », mais aussi, la notion de« double incompétence du ministère de l’Intérieur », oul’approche de la réforme de police de proximité sous l’angle del’« injonction paradoxale ». Pour Anne Wuilleumier, tous cesoutils constituent des « guides de navigation au service d’unedémarche comprise dans l’observation empirique et pragma-tique ». C’est, selon elle, la véritable marque de fabrique deMonjardet qui ne fut pas véritablement un théoricien de l’appa-reil policier.

Gilles Favarel-Garrigues 7, spécialiste du crime et des policesdans le monde soviétique en transition vers la nouvelle Russie,a trouvé dans les textes de Monjardet des armes intellectuellespour combattre la notion écran de « police totalitaire ». Il estimeque ses propres recherches sur la police soviétique, dont l’enjeuprincipal fut également d’en banaliser l’analyse, doivent beau-coup à la nécessité de les traiter comme des organisations parmid’autres. Il ignore s’il a réussi, mais reste convaincu de ce quela spécificité du régime soviétique ne lui interdisait pas d’ana-lyser l’une de ses institutions clés (souvent associée à son carac-tère « totalitaire ») à l’aide d’outils forgés dans le contexteoccidental. Grâce aux instruments proposés par Monjardet, ils’est efforcé de montrer qu’entre les modes d’organisationbureaucratique de la police soviétique des années 1960-1970 etde la police française contemporaine, il n’existait pas de diffé-rence fondamentale. À ceci près que, dans le contexte sovié-tique, il s’est efforcé de montrer l’« amplification des effets del’obligation de résultats » sur l’activité des agents.

Benoît Dupont 8 affirme également avoir été sensible au tra-vail de démystification de la première recherche empiriquede D. Monjardet, « La police au quotidien ». Il estime avoir

7. Politiste, chargé de recherche au CNRS (CERI), auteur d’une thèse sur « La luttecontre la criminalité économique en Russie de 1965 à 1995 », soutenue en 2001. Ancienchargé de recherche à l’IHESI, il a réalisé de nombreux travaux sur les polices dansl’ex-bloc soviétique. Cf. La Police des mœurs économiques de l’URSS à la Russie, Édi-tions du CNRS, Paris, 2007.

8. Professeur de criminologie et vice-président du Centre international de crimino-logie comparée de Montréal, il a soutenu une thèse de doctorat distinguée par le prixdu jury G. Tarde. Cf. Construction et réformes d’une police : le cas australien,1788-2000, L’Harmattan, Paris, 2002.

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compris ce message que le travail policier ne devait pas êtreappréhendé uniquement sous l’angle théorique de l’usage dela force. Admiratif de la connaissance intime qu’avait Mon-jardet de la réforme de la « police de quartier » de Montréal,Dupont dit avoir été influencé par l’idée que le travail poli-cier était d’abord un travail pour ceux qui l’accomplissaient, desorte qu’on ne pouvait faire l’économie d’une imprégnation lorsd’une phase d’observation préalable. En adoptant une approchepragmatique et empirique auprès des travailleurs de la sécu-rité privée, il a acquis la certitude que les relations entre « sec-teur privé » et « secteur public » ne pouvaient pas être résuméesà des théories de la privatisation ou de la perte du monopoleétatique, ce qui l’a conduit à tester empiriquement d’autreshypothèses sur leurs possibles liens. Il estime d’autre part queD. Monjardet, lors de ses nombreux séjours à Montréal, lui afacilité l’accès aux terrains québécois et l’a encouragé às’investir dans la compréhension des polices locales. Il a finipar accepter de rédiger un premier opus sur les polices auQuébec pour mieux les faire connaître en France.

Sociologues du travail policier

Les sociologues du travail policier sont beaucoup plus nom-breux, mais, pour eux, l’influence de l’œuvre de Monjardet seserait plutôt fait sentir en creux. Par conséquent, ce sont lesmanques repérés dans l’œuvre qu’ils ont entrepris de combler,avec sa bénédiction plus ou moins explicite.

Lors de sa prise de poste à l’École de police de Nicolet auQuébec, Marc Alain 9, par exemple, a cherché à s’inspirer del’étude sur la cohorte de gardiens de la paix sans pouvoir larépliquer terme à terme. C’est néanmoins de l’analyse des dif-férentes trajectoires d’insertion professionnelle des policiersque sont venues ses plus grandes inspirations méthodologiques.Il estime que l’étude de sa propre cohorte de policiers qué-bécois ne lui a permis que de compléter les premiers résultatsde Dominique Monjardet et Catherine Gorgeon. Il aurait aiméeffectuer une réelle comparaison de ses résultats avec les leurs,

9. Docteur en criminologie (Montréal, 1997), directeur scientifique du CIDRAP(Centre d’intégration et de diffusion de la recherche en activité policière) de l’Écolenationale de police du Québec (en poste de 2000 à 2005).

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un projet dont ils avaient discuté plusieurs fois, tant à Paris qu’àNicolet ou Montréal. Mais les présupposés de son propre ques-tionnaire n’étant pas les mêmes, cet objectif n’a pu être atteint,ce qui ne signifie pas qu’une entreprise de comparaison systé-matique avec un protocole commun soit à jamais impossible.

Damien Cassan 10 a comparé les mécanismes de socialisa-tion professionnelle des policiers français et britanniques. Cechercheur estime avoir dû prendre ses distances avec les posi-tions théoriques à ses yeux « trop radicales » de DominiqueMonjardet. Celui-ci aurait congédié trop rapidement la notionde « cop culture » partout présente dans les écrits britan-niques, décrétée par lui non pertinente en France. D. Cassanestime avoir eu des divergences de vues sur la notion de« culture professionnelle », utile à son objet d’étude. Il estimeque son travail de comparaison lui a permis de discuter, dansles deux contextes, la valeur et la pertinence de cette notiondans les mécanismes de socialisation professionnelle. D. Cassanpense que les positions de Dominique Monjardet s’expliquentvraisemblablement par le fait qu’il n’a jamais eu l’occasiond’étudier empiriquement les ressorts de la « culture policièrebritannique ». En essayant de transposer cette notion en Franceavec les outils intellectuels forgés par les Anglo-Saxons, ilaurait fini par la juger inopérante alors qu’elle garderait savaleur explicative dans d’autres contextes.

Geneviève Pruvost 11 pense avoir comblé certains manquesdes travaux de Monjardet en s’inscrivant dans ses traces. Elleestime avoir tiré tout le suc de notions telles que celle d’« inver-sion hiérarchique », de l’analyse du poids de l’expérience et del’ancienneté dans l’organisation des tâches, du rôle de la for-mation, de la diversité des policiers. Elle se sent surtout rede-vable d’un conseil de méthode décisif donné par D. Monjardet– les « ficelles du métier », aurait dit Becker : ne surtout pasenregistrer les entretiens, afin de ne pas entretenir la « para-noïa policière ». Bien évidemment, elle n’a pas trouvé dans lestravaux de Monjardet ce qu’elle cherchait elle-même, et regretterétrospectivement de n’avoir pu échanger davantage avec

10. Postdoc en sociologie. Thèse : « Une comparaison internationale de l’apprentis-sage et de la socialisation des policiers en France et en Angleterre. Le gardien de la paixet le police constable », université de Lille et CLERSE-IFRESI, 2005.

11. Chargée de recherche au CNRS (CESDIP), sociologue, auteure d’une thèse sur laféminisation de la police, publiée sous le titre : Profession : policier. Sexe : féminin,Éditions de la MSH, Paris, 2007.

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D. Monjardet sur trois phénomènes devenus selon elle fonda-mentaux : l’incidence de l’imaginaire policier dans le métier(les mécanismes d’identification ou de mise à distance desséries télévisées) ; l’importance de la virilité et/ou de la hiérar-chie entre féminité et masculinité, et plus largement le traite-ment de l’émotion dans les professions policières ; enfin, le« monde privé » des policiers. Geneviève Pruvost estime queD. Monjardet a eu tendance à n’appréhender les policiers quecomme des professionnels au travail 12, uniquement préoc-cupés par leur travail, alors qu’à ses yeux leur condition res-sortit aussi à une situation familiale (la famille d’origine et lafamille créée) et amicale dont les incidences sont considérablessur leur rapport au métier et au choix de leur carrière. Elleexprime enfin le regret qu’il n’ait pu réaliser un bilan méthodo-logique sur l’entretien et l’observation en milieu policier, alorsqu’il était intarissable à ce sujet.

Cédric Moreau de Bellaing 13 a creusé de son côté le sillon dela notion de « socialisation professionnelle » des policiers. Enn’oubliant pas l’extraordinaire capacité qu’avait Monjardet dene jamais disjoindre les niveaux micro et macro, il a essayé,dit-il, de complexifier l’analyse en enrichissant les présupposésde la célèbre « cohorte » par deux nouvelles dimensions struc-turantes : 1. un axe opposant les élèves autour d’un répertoired’usages différenciés des lois, repérable à l’école de police ;2. un autre axe les opposant à propos de la perception desenjeux liés à l’existence du contrôle hiérarchique interne. Ilestime avoir ainsi apporté une pierre supplémentaire à son édi-fice, et enrichi son travail.

Marc Loriol 14, qui a pris connaissance des travaux de Mon-jardet sur la « cohorte », n’a pas toujours réussi à appliquer sonschéma général sur la socialisation professionnelle aux bri-gades qu’il a étudiées, notamment les BAC. La « socialisationprofessionnelle » des différents policiers lui semble en effet trèsliée au contexte dans lequel ils opèrent. Or les rapports des« policiers de roulement » avec les chefs de brigade au sein des

12. On aura aisément compris comment il est resté dépendant de sa propre sociali-sation professionnelle de départ (la sociologie du travail fut sa discipline de formationet il y est resté attaché durant toute sa carrière).

13. Postdoc en science politique, auteur d’une thèse soutenue en 2005, IEP, Paris :« La police dans l’État de droit. Les dispositifs de formation initiale et de contrôleinterne de la Police nationale dans la France contemporaine ».

14. Chargé de recherche au CNRS, auteur d’une étude sur le stress au travail de dif-férentes professions, parmi lesquelles des agents des BAC (2005).

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différents commissariats (et cela, quelle que soit leur taille) nesont pas toujours ceux qu’aurait décrits Dominique Monjardet,notamment quand il évoquait la propension générale des agentsde la base à « l’autonomisation et à la sélection par eux-mêmes de leurs tâches et de leurs priorités d’action ». Aux yeuxde Marc Loriol, les liens avec les gradés et les officiers sont loind’être aussi distendus qu’il a pu le soutenir. Cela dit, ses tra-vaux furent pour lui une source importante de stimulation et deréflexion.

Virginie Malochet 15 s’est abondamment inspirée des travauxde Monjardet sur la réforme nationale de la police de proximité.Ils l’ont aidée à mieux penser, d’une part, l’enjeu institu-tionnel et, d’autre part, le métier local ou de proximité de lapolice municipale. S’interrogeant à son tour sur les finalités del’action policière, elle explique avoir voulu cerner la capacitédes policiers municipaux de relever le défi d’un véritable ser-vice de proximité, en prise directe avec la collectivité locale.« Monjardet, dans ses nombreux écrits évaluatifs de la réforme,mettait surtout au jour les enjeux que représentait la proximitépour les policiers d’État. » S’il insistait sur ce que la policeavait à gagner à éviter le jeu des partenariats, sa sociologie per-mettait surtout de comprendre pourquoi la police nationale neparvenait pas à faire entrer la « pol-prox » dans les pratiques, ens’attachant d’abord à diagnostiquer les blocages institutionnels,organisationnels et culturels sur la route des objectifs ultimes dela réforme. Sa dette à l’égard de Monjardet est liée au fait qu’illui a précisément permis d’identifier et d’analyser les obs-tacles policiers sur la voie du changement à l’échelon local.Pour elle, scruter les obstacles est a priori la meilleure desdémarches possibles pour espérer à terme les dépasser, etobserver du même coup en quoi les policiers d’État sont diffé-rents des policiers municipaux.

Pour conclure sur une touche inconsolable et gaie

Pour finir, un petit grain de sel personnel pour attester l’insa-tiable curiosité de Dominique Monjardet, depuis le jour où il

15. Postdoc, auteure d’une thèse de sociologie : « Les policiers municipaux. Lesambivalences d’une profession », université de Bordeaux-II, 2005, publiée sous lemême titre aux PUF en 2007.

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s’est retrouvé conseiller technique à la DCSP jusqu’à sa fin…En mettant au propre les notes éparses de son journal de bordinauguré à la suite de son passage à la DCSP, alors que jedirigeais moi-même à cette époque le pôle de la recherche àl’IHESI, il récapitulait ses théorèmes et les enrichissait au furet à mesure de ce qu’il observait, entendait, lisait. Lors de sesvisites rituelles de la rue Cambacérès (8e arrondissement) à larue Péclet (15e) 16, il prenait connaissance très régulièrement dela sortie des rapports de recherche de l’IHESI. Son insatiableappétit lui permettait aussi de prendre quelque distance àl’égard de son poste de conseiller et de résister aux posturesmanichéennes. À l’égard de fautes professionnelles que lapresse qualifiait de « bavures », j’observe ainsi que son souciparaît moins d’exonérer leurs auteurs de leurs responsabilitésque de souligner le manque d’encadrement, et de toujours appli-quer à ces fonctionnaires au travail une grille d’interprétationcommune et non spécifique.

Il se montre impressionné par la « recherche action » deSophie Tiévant (commanditée par l’IHESI) qui tente de dégagerce que seraient les « bonnes pratiques » en police de proximité.Il semble avoir eu, à la lecture de ce rapport, comme une révé-lation, un déclic, une pièce qui manquait à divers assemblageset qu’il cherchait aussi à Montréal.

De ses notes se dégage comme une sorte d’humilité del’intellectuel qui apprend au contact du pouvoir. Il veut seforger une autre sorte de conviction sur les usages de la policeau sein d’un ministère de l’Intérieur tenu par des gens dits degauche ayant succédé à des gens dits de droite.

En 2001, on le voit se laisser aller crescendo à un allègrejeu de massacre, tant sa désillusion est intense à l’égard des« Jacobins » au pouvoir. Je me suis souvent demandé, à cetteépoque, jusqu’où nous nous serions laissé intoxiquer par notreadhésion aux présupposés de la réforme de la police de proxi-mité appuyée sur les CLS, et jusqu’où il a cru lui-même en sonpouvoir de conseil. Je crois qu’il n’a jamais véritablement ima-giné avoir eu une influence directe sur son pilotage, parce qu’ilne s’est jamais totalement vécu en conseiller « réaliste ». J’aiacquis la conviction que sa fascination pour le duc de Saint-Simon lui servait de refuge et de méditation pour se prouverqu’il n’aurait jamais lui-même la volonté de rassembler

16. Sièges respectifs en 1998-1999 de la DCSP et de l’IHESI.

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l’énergie que le duc sut déployer infatigablement dans ladéfense de ses intérêts au sein de la noblesse de cour durant lapériode de transition de la Régence…

Le voyant s’emporter contre l’amalgame d’un intellectuelgauchiste se prononçant sur le « prétendu » sentiment d’insécu-rité mobilisé par des policiers et des aventuriers pour justifierleur propre défense de la loi et de l’ordre, je retiens surtoutson aptitude à l’autocritique ; il évoque en la matière un péchéde jeunesse analogue à celui des années 1970. Il a beaus’emporter à l’idée que d’aucuns puissent établir une histoirelinéaire et homogène de l’IHESI en des termes « fonctionna-listes », il semble aussi comprendre la posture critique des gensjugeant l’Institut de l’extérieur, sans jamais vouloir essayer d’ypénétrer.

Il y a surtout cette aptitude à toujours vouloir trouver dessolutions à l’impuissance généralisée liée aux routines poli-cières instituées et à la persistance des politiques dans l’erreur.En dépit de sa courte mais intense expérience de conseiller duprince à la DCSP, il continue à chercher des arguments pourceux qui auront à y revenir un jour. Il évoque une « révolu-tion culturelle » en marche dont personne ne saurait prédirequand ni comment elle resurgira. L’observation permanente dela réforme de la police de quartier à Montréal sur plus de dixans lui a permis de rapporter des explications et donné des argu-ments pour contourner la prétendue impossibilité de mettre enplace la « pol-prox » en France. Sa défense de la thèse deWilson et Kelling sur les « carreaux cassés » montre assez lesamalgames idéologiques qu’en ont faits les uns et les autres aulieu d’en méditer suffisamment toutes les implications.

D. Monjardet ne se remettra pas vraiment d’avoir entendurapporter l’expression de « chiasse sociologique », prononcéepar un préfet nommé par une équipe de gauche. Il y opposaun besoin inlassable d’enseigner aux fonctionnaires. Il croitdepuis longtemps à la pédagogie par les « fondamentaux de lasécurité » (les grands textes sur la police publiés avec Jean-Paul Brodeur), sans se faire beaucoup d’illusions sur la capacitéqu’auraient les politiques et les hauts fonctionnaires de savoirs’en servir, pour mieux comprendre par eux-mêmes les dys-fonctionnements de l’appareil et y porter remède. Il pense detoute évidence que cette pédagogie ne peut pas être perdue pourtout le monde.

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Ayant été « à l’épreuve du pouvoir », réintégrant le CNRSdans un nouveau laboratoire, il entreprend d’y scruter à la loupece que va faire le nouveau ministre de l’Intérieur issu de l’élec-tion présidentielle de 2002. Après un moment de silence, il fitétat de ses premières indignations à propos des lois Sarkozy(une préfiguration de son article sur le continuum « cage d’esca-lier-terrorisme international »). Et pourtant, aux tout débuts, saperplexité est manifeste face au volontarisme réformiste d’unministre qui a promis l’affichage des statistiques mensuelles du4001, ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé. Il garde lesecret espoir de prendre à son propre piège un politicien quilui paraît faire rapidement semblant d’engager sa responsabi-lité sur les résultats de sa politique policière… D’où un autrearticle, nuancé, bien balancé sur la période Sarkozy I et lasuprême envie d’en commettre un second ; l’article prévu surSarkozy II ne verra hélas pas le jour.

Au quotidien, tout était bon à prendre. Et rien des chosespolicières et sécuritaires ne fut laissé « impuni », comme enatteste admirablement son journal de bord. Dominique Mon-jardet, tel que je l’ai côtoyé journellement durant quatre ans,en dehors de ses moments d’hospitalisation, était parvenu ausummum de sa maturité intellectuelle et de la maîtrise de sesengagements

J’aimerais surtout achever cet hommage par le rappel de cetteplaisante anecdote, rapportée par F. Jobard, lors du dernierséjour de Monjardet au Québec. Un jour que Dominique etFabien étaient conviés à parler, chacun sur son sujet propre, àMontréal, le dernier introduisit son propos en soulignant quela sociologie de la police en France ne saurait guère consisterqu’en un ajout complémentaire de notes en bas de page à lasociologie de Monjardet. Ce qui valut au disciple un coup decoude mémorable du maître pour l’avoir ainsi « chambré » enpublic. Morale de l’histoire, ajoute Fabien Jobard avec unplaisir non dissimulé : « On peut toujours se dire sociologue desusages sociaux de la violence, mais ne pas toujours reculer à enfaire usage soi-même ! »

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Dominique Monjardet,d’un mémorialiste l’autre…

par Daniel Vidal 1

Je voudrais évoquer quelques souvenirs de causeries quenous avions eues avec Dominique, conversations à bâtonsrompus, qui sont souvent les plus enrichissantes. Dans lesannées 1995, je travaillais quotidiennement à la bibliothèquedominicaine du Saulchoir et, en revenant chez moi, je grimpaisles sept étages pour bavarder avec lui autour d’une tasse de thé :nous appelions cela « les causeries de la Glacière » ! Dominiquem’entretenait de deux points particuliers.

Il venait de traverser une épreuve redoutable à l’hôpital, et ilm’expliquait son refus de savoir son corps manipulé, exposé, enabjection, car il avait une conception très exigeante de la souve-raineté que chacun doit exercer sur soi-même. Il n’acceptait pasce qu’il avait considéré, au-delà de la douleur physique, commeune déchéance. Je lui répondais que chacun d’entre nous a pu,ou aura peut-être, l’occasion de subir une telle humiliation, maisil me disait que, pour lui, c’était une offense intolérable, et ceque j’ai appelé son exigence de souveraineté indique qu’il yavait là un enjeu majeur touchant à sa dignité.

En contrepoint immédiat, il me parlait d’une extraordinairepassion qui l’animait, la passion de Saint-Simon, le mémoria-liste. Il la nourrissait peut-être depuis longtemps, mais elle pre-nait un sens particulier après cette première épreuve, cetteexpérience des limites et des faillites du corps – comme unpied de nez à cette souffrance. J’assistais alors à la rencontreassez exceptionnelle d’une œuvre parfaitement maîtrisée, les

1. Sociologue, directeur de recherche honoraire au CNRS (CEMS).

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Mémoires de Saint-Simon, et d’un lecteur lui-même exemplaire,et privilégié. Comment comprendre cette passion ? J’ai réactivémes souvenirs de lecture, et je crois d’abord qu’entre Saint-Simon et Dominique, ce qui a circulé, ce qui a constitué cettecomplicité, c’est ce qu’on pourrait appeler une « raison pessi-miste ». Et moi qui suis toujours mal à l’aise devant tout opti-misme raisonnable, j’étais à mon tour fasciné par ce commercede « noirceurs » ! Cette exigence de lucidité contre tout ce quicomporte préciosité ou approximation, cette volonté de ne pasoutrepasser le champ de l’observable – de ne pas outre-penser, sauf à dériver vers des régions occultes. C’est le ver-sant « rationnel » de cette complicité. Et Saint-Simon se gardaitbien aussi de « surenchérir », lui qui « méditait à mesure qu’ilregardait », sans faire précéder son regard d’une d’interprétationtoute faite. Je crois que, l’un et l’autre, Saint-Simon en amont,Dominique en aval, font partie de ces hommes des Lumières.

Cette exigence de lucidité se conjuguait à une éthique de laconnaissance, qui consistait à pousser l’objet d’analyse jusqu’àses derniers retranchements, jusqu’à ce qu’on puisse dire que« le roi est nu ». Pour Saint-Simon, le « roi » était bel et bien leRoi, Louis XIV, mais aussi la cour et la société aristocratique– et c’est aussi cette critique d’un immense paysage social quia séduit Dominique. Mais il me donnait aussi l’impression, dansson travail, de déshabiller presque sans pitié le réel de ses simu-lacres et de ses faux-semblants. On disait de Saint-Simon qu’ils’était livré à un « massacre énorme et fatal ». Chez Dominique,il n’y a pas de « massacre », mais son équivalent contemporain,un travail de désenchantement, qui m’a toujours profondémentimpressionné. Parce qu’il y a chez lui l’expression d’une véritédéconcertante, une sorte de constat qu’au bout du compte, iln’y a même plus la possibilité d’un pari pascalien, et que c’estcette impossibilité-là qui est le point « nodal » de la « vérité ».En tous ses portraits et ses récits, Saint-Simon participait decette vision entièrement désenchantée des hommes. Il y a là uneraison majeure de complicité.

C’est sans doute dans le contexte de cette « vision désen-chantée » que Dominique a accompagné ce vaste mouvement dedécouverte/redécouverte de l’univers baroque et désillusionné dela littérature d’Amérique latine, dont je sais qu’il fut un lecteurpassionné. Comme si cet espace littéraire où se mêlent illumi-nations magiques et leur dérision entrait en consonance avec saperception propre des conduites humaines et son jugement à leur

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égard. Je me souviens, au début des années 1970, de cette find’été où nous nous sommes aperçus que nous avions connu lamême ferveur à la lecture de ces fameux Cent Ans de solitudede Gabriel Garcia Marquez. Chacun de son côté, nous l’avionslu, dévoré pendant les vacances qui s’étaient alors écoulées aurythme de cette magie et de cette somptueuse et mortelle béanced’une microsociété ouverte à quelque « modernité ». « Voilà,m’avait-il dit, une vraie œuvre de sociologie » : à travers le vil-lage de Macondo se révélait un tissu culturel et social fait demerveilleux et de folie du réel, comme le comté de Yoknapa-tawpha chez Faulkner. Car le « local », fouillé et fouailléjusqu’en ses plus intimes profondeurs, ses figures mythiques etses comportements singuliers, a valeur, à part entière, d’uni-versel. Et toute une littérature venue du continent latino-améri-cain s’offrait alors à Dominique – Antoinette Chauvenet m’a ditqu’il en fut un lecteur vigilant. C’était l’époque où Anne-MarieMétailié fondait sa maison d’édition, consacrée, en ses commen-cements, à la littérature d’expression portugaise et, plus préci-sément alors, brésilienne, qu’il privilégiait. Comment en effetéchapper aux pièges et saveurs de l’écriture, par exemple deMachado De Assis, écriture dénudée, dévastatrice, où comique ettragique se tissent et métissent en une vision à la fois cynique etbouffonne d’une société ? Une société dont la mise en récit appa-raissait sans doute à Dominique comme le miroir d’une réalitéoutragée, naufragée : « Dom Casmurro », « L’aliéniste », et tantd’autres portraits et tant d’autres auteurs, raffinés, implacables,que n’aurait pas désavoués Saint-Simon, expert en rois et cours,mis à nu par leur majesté même.

Ce qui, chez Saint-Simon, passionnait en effet Dominique,c’est un mode de pensée et d’écriture à la fois très ironique etdéconstructeur. Saint-Simon pratique un décorticage dévastateur,impitoyable, des personnages. D’autant plus impitoyable qu’il estdistancié. Dominique était très attentif à cette entreprise, et pra-tiquait ce type d’analyse qui mettait hors jeu, jetait dehors toutesles « bontés transcendantales » pour venir au plus profond et auplus près de la singularité des acteurs, des actions, des situationsqu’il étudiait. Et, en même temps qu’ironique, une écriture etun mode de pensée gouvernés par un souci de « mesure juste »,comme on a pu le dire de Saint-Simon, une patience dans l’écri-ture, un équilibre dans l’appréciation des événements et deshommes qui rendaient son ironie et son humour si jubilatoires, etlibératoires. C’est ce métissage d’ironie et de mesure juste, qui

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l’éloignait de toute démarche compassionnelle, qui permet decomprendre l’élégance de sa pensée, de son attitude dans lemonde, et qui explique pourquoi il avait cette répulsion à perdrel’autonomie du gouvernement de son corps.

Mais Dominique a vu chez Saint-Simon autre chose, qui lui asemblé prolonger, ou faire écho à sa pente personnelle : l’un etl’autre se situent au plus près d’un certain désespoir, ou plutôtd’une certaine désespérance. J’ai évoqué cette raison pessimiste,cette ironie qui faisaient fi de tout optimisme « salvateur » chezDominique, et qu’il retrouvait dans les Mémoires de Saint-Simon. Parce qu’il était plus attentif, pour reprendre la formuled’un commentateur à propos de Saint-Simon, « au nerf de lajustice » qu’à l’« arc-en-ciel de la grâce ». Il y avait donc chezDominique, comme chez Saint-Simon, quelque chose qui a àvoir avec une élévation vers la désespérance. Pas du tout unaccablement, ni un dolorisme, ni une satisfaction perverse dansl’affliction, mais la certitude que rien n’est jamais définitivementjoué, c’est-à-dire assuré. L’espérance, c’est précisément ce quiautorise à croire qu’un jour finira bien par se clore par un grandsoir, et que tout sera accompli. La désespérance, c’est bien sûrl’inverse : tout est toujours ouvert. C’est ce noyau, ce principe dedésespérance, qui faisait de sa pensée, exactement comme on l’adit de Saint-Simon, un acte de « rébellion ». Je crois que c’estceci aussi que Dominique a saisi chez Saint-Simon, parce quetout simplement cela correspondait à sa propre qualité d’esprit.

J’ai relevé chez Saint-Simon cette phrase : « Attentif àdévorer l’air de tous, présent à tout et à moi-même, pénétré detout ce que la joie peut imprimer de plus sensible et de plus vif[…], je suais d’angoisse… » Dominique liait très précisémentcette présence à tout et à soi-même et cette angoisse, qui étaitchez lui la garantie de l’exacte mesure des choses.

Pour terminer ces quelques réminiscences, j’ai évoqué lerefus de toute démarche compassionnelle chez Dominique – etchez Saint-Simon, il n’est pas non plus de compassion. Mais ily a beaucoup de « tendresse ». Dominique aimait à rappeler queSaint-Simon, dans son testament, avait enjoint que l’on « cram-ponne » son cercueil à celui de la personne aimée. Au-delà del’image et du symbole, par cette « prière » impérative, le mémo-rialiste jetait un pont au plein du monde dont il s’absentait, etdans lequel il entendait ainsi demeurer encore. Et l’on sait,Dominique Monjardet, des absents qui sont, ici et maintenant,toujours de très haute présence.

le sociologue, la politique et la police

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III

Bibliographie généralede Dominique Monjardet

par Dominique Monjardet

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Ouvrages 1

1. Être un cadre en France… ? (avec G. BENGUIGUI et A. GRISET), La Docu-mentation française, coll. « Bibliothèque du CEREQ », Paris, 1977,224 p.

2. La Fonction d’encadrement (avec G. BENGUIGUI), Dunod, Paris, 1980,132 p.

3. Les Policiers (sous le pseudonyme de P. DEMONQUE), Éditions La Décou-verte, coll. « Repères », Paris, 1983, 128 p.

4. Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Éditions La Décou-verte, Paris, 1996, 316 p.

4 bis. O que faz a policia. Sociologia da força pùblica (revu par l’auteur en2002 ; trad. portugaise de Mary Amazonas Leite de Barros), Editora daUniversidade de Sao Paulo, Sao Paulo, 2003, 325 p.

5. La Police, une réalité plurielle (avec F. OCQUETEAU), La Documenta-tion française, « Problèmes politiques et sociaux » nº 905, Paris, 2004,119 p.

Direction d’ouvrages ou de numéros de revues

1. « La qualification du travail », numéro spécial de Sociologie du travail, 2,1973, introduction.

2. « Spécial police », numéro spécial de Sociologie du travail, XXVII-4,1985, introduction et orientation bibliographique.

3. « L’insécurité, la peur de la peur », numéro spécial de la Revue interna-tionale d’action communautaire (Montréal), 30/70, 1993, sous la direc-tion de J.-P. BRODEUR et D. MONJARDET.

4. « Police, ordre et sécurité », nº spécial de la Revue française de sociologie,XXXV, 3, 1994, sous la direction de D. MONJARDET et J.-C. THOENIG,introduction.

5. « Police et citoyens », numéro spécial de Hommes et Libertés. Revue dela Ligue des droits de l’homme, 109, mai 2000, conception, coordina-tion et introduction.

6. « Approches comparées des polices en Europe », numéro spécial deCultures et conflits, 48, hiver 2002, sous la direction de R. LÉVY etD. MONJARDET, introduction.

7. Connaître la police. Grands textes de la recherche anglo-saxonne (avecJ.-P. BRODEUR), IHESI-La Documentation française, Paris, 2003, 461 p.

1. Bibliographie établie par Dominique Monjardet lui-même pour son dernier rapportd’activité au CNRS en 2004.

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Articles et contributions à des ouvrages collectifs (1968-2006)

1. « Profession ou corporation, le cas d’une organisation d’ingénieurs » (avecG. BENGUIGUI), Sociologie du travail, nº 2, 1968, p. 275-290.

2. « Quelques analyses du mouvement ouvrier en Mai », L’Année sociolo-gique, vol. 22, 1971, p. 579-585.

3. « Pouvoir, politique et stratégie dans l’entreprise », Épistémologie socio-logique, XI, 1, 1971, p. 91-117.

4. « Carrière des dirigeants et contrôle de l’entreprise », Sociologie du tra-vail, 1, 1972.

5. « La mesure de la qualification du travail des cadres » (avec G. BEN-GUIGUI), Sociologie du travail, 2, 1973, p. 176-188.

6. « Recherches sur le patronat français, l’ancien et le nouveau », Sociologiedu travail, 3, 1975, p. 285-291.

7. « La variable technologie dans les études d’organisation, bilan critique »,in L’Organisation du travail et ses formes nouvelles, La Documentationfrançaise, coll. « Bibliothèque du CEREQ », Paris, p. 93-122.

8. « Career patterns of the company presidents and control of the firm »,in J. BODDEWYN (ed.), European Industrial Managers, West and East,IASP, New York, 1976, p. 101-120.

9. « Recherches sur la fonction d’encadrement » (avec G. BENGUIGUI,A. GRISET et A. JACOB, et une note de lecture de J. DUBOIS), Rechercheséconomiques et sociales, 7-8, 1977, p. 7-27.

10. « Pourquoi des sociologues ? », Le Magazine littéraire, 1977, 127-128,p. 37-41.

11. « Une analyse typologique des fonctions d’encadrement » (avec G. BEN-GUIGUI et A. GRISET), in La Division du travail, Galilée, Paris, 1978,p. 309-322.

12. « I quadri nell’ industria, le classi sociali e la sociologia », Sociologia delLavoro, 8, 1979, p. 31-48.

13. « Organisation, technologie et marché de l’entreprise industrielle »,Sociologie du travail, 1, 1980, p. 76-96.

14. « Les nouvelles formes d’organisation du travail », in La Qualité de lavie au travail, Travail Canada-UQAM, Montréal, 1980, p. 105-111.

15. « L’Emploi du temps de travail des cadres » (avec G. BENGUIGUI), LeTravail humain, 43, 2, 1980, p. 295-307.

16. « Terrain et théorie : faut-il se garder de mettre les pieds dans l’entre-prise ? », Sociologie du Sud-Est, 33-34, 1982, p. 21-31.

17. « L’utopie gestionnaire, les couches moyennes entre l’État et les rap-ports de classe » (avec G. BENGUIGUI), Revue française de sociologie,XXIII, 4, 1982, p. 605-638 (suivi d’un débat avec M. BAUER, E. COHEN,G. GROUX, L. THÉVENOT, G. GRUNBERG et E. SCHWEISGUTH, Revuefrançaise de sociologie, XXIV, 2, 1983).

18. « Recherche et demande sociale : une entreprise de distribution au

notes inédites sur les choses policières, 1999-2006

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Québec », in Groupe de sociologie du travail (GST), Études en socio-logie du travail, CNRS-Université Paris-VII, Paris, 1983, p. 29-52.

19. « Utopie gestionnaire, utopie sociologique ? » (avec G. BENGUIGUI),Revue française de sociologie, XXV, 1984, p. 91-99.

20. « La pensée utopique et les couches moyennes : quelques hypothèses »,Sociologie du travail, 1, 1984, p. 50-63.

21. « Le travail des ingénieurs » (avec G. BENGUIGUI), Culture technique, 12,1984, p. 103-113.

22. « La Confédération générale des cadres (CGC) » (avec G. BENGUIGUI),in G. GROUX et M. KESSELMAN (dir.), 1968-1982, le Mouvement ouvrierfrançais, Les Éditions ouvrières, Paris, 1984, p. 127-140.

22 bis. « The CGC and the ambiguous position of the middle strata » (avecG. BENGUIGUI), in M. KESSELMAN and G. GROUX (éd.), The FrenchWorkers’ Movement, Georges Allen and Unwin, Londres, 1984,p. 104-116.

23. « Travail et culture dans l’analyse des classes moyennes » (avec G. BEN-GUIGUI), in Classes et catégories sociales, Edires, Paris, 1985,p. 141-151.

24. « Police et sociologie : questions croisées », Déviance et société, 8, 4,1985, p. 297-311.

25. « À la recherche du travail policier », Sociologie du travail, 4, 1985,p. 391-407. (Avant-propos du même numéro, p. 367-369.)

26. The Sociological Utopia, [référence incomplète], p. 172-177.27. « À la recherche des fondateurs : les traités de sociologie du travail »,

in C. DURAND et alii, Le Travail et sa sociologie, L’Harmattan, Paris,1983, p. 115-124.

27 bis. « In search of the founders : the Traités of the sociology of work »,in M. ROSE (éd.), Industrial Sociology : Work in the French Tradition,Sage, Londres, 1987, p. 112-119.

28. « Compétence et qualification comme principes d’analyse de l’actionpolicière », Sociologie du travail, 1, 1987, p. 47-58.

28 bis. « Les policiers et la “profession policière” », in J.-L. LOUBET DEL

BAYLE (dir.), Police et Société, Presses de l’IEP de Toulouse, Toulouse,1988, p. 115-130.

29. « Moderniser, pour quoi faire ? », Esprit, 2, 1988, p. 5-18.30. « Le maintien de l’ordre. Technique et idéologie professionnelles des

CRS », Déviance et Société, 12, 2, 1988, p. 101-126.31. « Questionner les similitudes : à propos d’une étude sur la police »,

Sociologie du travail, 2, 1989, p. 193-204.32. « Looking at policing, a commentary », in R. Hood (éd.), Crime and Cri-

minal Policy in Europe, University of Oxford, Centre for Criminolo-gical Research, Oxford, 1989, p. 42-46.

33. « La manifestation, du côté du maintien de l’ordre », in P. FAVRE (dir.),La Manifestation, Presses de la Fondation nationale des sciences poli-tiques, Paris, 1990, p. 207-228.

bibliographie générale de dominique monjardet

289

Page 284: monjardet-notes inédites sur les choses policières, 1999-2006

34. « Le maintien de l’ordre : l’expérience des Compagnies républicaines desécurité », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 1, 1990, p. 171-192.(Version révisée et complétée de [30].)

35. « Une mission sur un territoire. De la difficulté des policiers à entrer dansles politiques de prévention de la délinquance », Bulletin, la revue del’action sociale et de la justice, 26, 1991, p. 77-81.

36. « Le contrôle de l’activité policière », [référence incomplète], p. 235-238.37. « Le travail du policier et la magistrature du quotidien », in La Relation

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38. « La police et la ville (Le travail du policier et l’impossible retour auxorigines) », in L’Espace du Public, Plan urbain, Éditions Recherches,Paris, 1991, p. 76-81.

39. « Profession policier », Informations sociales, 21, 1992, p. 99-107.40. « Quelques conditions d’un professionnalisme discipliné », Déviance et

Société, XVI, 4, 1992, p. 399-405.41. « Les approches sociologiques de la qualification » (avec V. CHANUT),

Les Cahiers du management, 10, juin 1992, p. 9-14.42. « Une réalité silencieuse : risque et peur, composantes du métier poli-

cier », Informations sociales, 24, 1992, p. 36-43.43. « 1 167 recrues, description de la 121e promotion des élèves gardiens de

la paix de la Police nationale » (avec C. GORGEON), Les Cahiers de lasécurité intérieure, 12, 1993, p. 115-122.

44. « Le modèle français de police », Les Cahiers de la sécurité intérieure,13, 1993, p. 61-82.

45. « Entre ordre et délinquance, brève note sur l’insécurité policière »,Revue internationale d’action communautaire, 30/70, automne 1993,p. 163-167.

46. « Le travail au microscope », Sciences humaines, 36, février 1994,p. 30-33.

47. « Une ou trois crises », in P. ROBERT et F. SACK (dir.), Normes etdéviances en Europe. Un débat Est-Ouest, L’Harmattan, Paris, 1994,p. 351-355.

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49. « Les enjeux de la territorialisation de la Police nationale », Revue del’Institut des Droits de l’Homme, 13, 1994, p. 73-85.

50. « Opacité et décision dans l’administration policière », Après-demain,373, avril 1995, p. 17-19.

51. « The French Model of Policing », in J.-P. BRODEUR (dir.), Comparisonsin Policing : An International Perspective, Avebury, Aldershot, 1995,p. 49-68. (Version anglaise de [44].)

52. « L’îlotage a-t-il une place dans les tâches policières ? », in I. JOSEPH

et G. JEANNOT (dir.), Métiers du public, CNRS Éditions, Paris, 1995,p. 221-234. (Version révisée de [38]).

notes inédites sur les choses policières, 1999-2006

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53. « Undercover policing in France : elements for description and ana-lysis » (avec R. Lévy), in C. FIJNAUT et G. T. MARX (éd.), Undercover.Police Surveillance in Comparative Perspective, Kluwer Law Interna-tional, La Haye, 1995, p. 29-53.

54. « Évaluer certes, mais quelle police ? (Evaluate, if you wish, but whatpolice ?) », in J.-P. BRODEUR et B. LEIGHTON (dir.), L’Évaluation dela performance policière, Solliciteur général du Canada, Ottawa, 1995,p. 400-417.

55. « Wprowadzenie standardow miedzynarodowych w krajowych kodek-sach honorowych (Le développement des normes déontologiques dansles polices) », in Policja w spoleczenstwie okresu przejsciowego,Szczytno (Pologne), 1995, p. 82-86.

56. « Profession, culture professionnelle et corporatisme, le cas des poli-ciers », Recherche et Formation, 20, 1995, p. 93-98.

57. « Règles, procédures et transgressions dans le travail policier », inJ. GIRIN et M. GROSJEAN (dir.), La Transgression des règles au travail,L’Harmattan, coll. « Langage et Travail », Paris, 1996, p. 83-93.

57 bis. « L’administration face à l’urgence : la sécurité urbaine », in MIRE,L’Administration sanitaire et sociale, séminaire de travail, 1996,p. 92-93.

58. « Dans quelle mesure les opérations policières ont-elles pour butd’assurer la sécurité des citoyens ? », in S. BROCHU (dir.), Perspec-tives actuelles en criminologie, CICC, Université de Montréal, 1996,p. 239-270.

59. « Le maire, le commissaire et la sécurité urbaine », Pouvoirs locaux, 28,mars 1996, p. 81-87.

60. « Le chercheur et le policier : l’expérience des recherches commanditéespar le ministère de l’Intérieur », Revue française de science politique,47, 2, 1997, p. 29-42.

61. « Les polices de la rue », Informations sociales, 60 (numéro spécial « Larue »), 1997, p. 84-93.

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63. « La formació inicial i la cultura professional dels policies », RevistaCatalana de Seguretat Pública, 1, octobre 1997, p. 13-28.

64. « Contrôler la police », Panoramiques, 33, 2e trimestre 1998, p. 74-82.65. « 1, 2, 3… polices ? L’illusion d’une unité », Panoramiques, 33, 2e tri-

mestre 1998, p. 21-26.66. « Elementos de anàlisis de los sistemas policiales », Revista Catalana de

Seguretat Publica, 2, avril 1998, p. 179-192.67. « Une police de proximité ? », Justice, 156, avril 1998, p. 20-23.68. « Professionnalisme et médiation de l’action policière », Les Cahiers de

la sécurité intérieure, 33, 1998, p. 21-49. (Version révisée de [62].)

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69. « Le syndrome du réverbère », Après-demain, 413-414, avril- mai 1999,p. 35-36.

70. « Pour une police urbaine, une police de proximité », La Revue de laCFDT, 19, avril 1999, p. 14-23.

71. « La police de proximité : ce qu’elle n’est pas », Revue française d’admi-nistration publique, 91 (numéro spécial « L’administration de la sécu-rité »), juillet-septembre 1999, p. 519-525.

72. « Réinventer la police urbaine », Les Annales de la recherche urbaine,83, 1999, p. 15-22.

72 bis. « Réinventer la police urbaine », Les Cahiers de la sécurité intérieure,37, 1999, p. 117-134.

72 ter. « Réinventer la police urbaine », Les Annales de l’École de Paris, VI,2000, p. 253-259. (Version conférence, suivie d’un débat.)

73. « La police et le public », in « Les pouvoirs et responsabilités de la policedans une société démocratique », rapports présentés au 12e colloque cri-minologique, Recherche criminologique, XXXIII, Conseil de l’Europe,Strasbourg, 2000, p. 121-141.

74. « La police de New York et la comparaison internationale des polices »,in La Gendarmerie nationale, une institution républicaine au service ducitoyen, Odile Jacob, Paris, 2000, p. 145-149.

75. « Le contrôle de la police, une équation à cinq inconnues », Éthiquepublique, Genève-Montréal, 3, printemps 2000, p. 7-18.

76. « La police de proximité et son avenir », Hommes et Libertés, 109,mai 2000, p. 40-41(sous le pseudonyme de P. DEMONQUE).

77. « Diriger pour contrôler », Hommes et Libertés, 109, mai 2000, p. 34-35.78. « Police and the public », European Journal on Criminal Policy and

Research, 8, 3, 2000, p. 353-378. (Version anglaise de [73].)79. « La police de quartier à Montréal : un exemple de gestion du change-

ment policier », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 39, 2000,p. 149-172.

80. « Secret et sécurité intérieure », in La Liberté d’expression des fonction-naires en uniforme, Economica, Paris, 2000, p. 147-152.

81. « Du bon usage de la comparaison internationale », préface àM. CHALOM et L. LÉONARD, Insécurités, police de proximité et gouver-nance locale, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 5-12.

82. « Le Partenariat », Habitat et Société, 21, mars 2001, p. 32-33.83. « Force publique, compétence professionnelle et mission institution-

nelle », Alternatives non violentes, 118, mai 2001, p. 9-14.84. « Vivre le métier de policier », Informations sociales, 92, 2001, p. 24-31.85. « La police de proximité, une révolution culturelle », Les Annales de

la recherche urbaine, 90, 2001, p. 156-164. (Sous le pseudonyme deP. DEMONQUE.)

notes inédites sur les choses policières, 1999-2006

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86. « Die Rolle der Polizei im Rechtsstaat. Das Beispiel Frankreichs (Le rôlede la police dans l’État de droit) », in J. Schild (dir.), Frankreich-Jahr-buch 2001, Leske + Budrich, Opladen, 2001, p. 121-136.

87. « La police nationale doit renouer avec les spécificités locales », LaGazette des communes, 43/1621, 19 novembre 2001, p. 28-29(entretien).

88. « El adversario y el enemigo », La Vanguardia, Barcelone, nº 43262,14 avril 2002, p. 28-29.

89. « Les policiers », in L. MUCCHIELLI et Ph. ROBERT (dir.), Crime et sécu-rité, l’état des savoirs, La Découverte, Paris, 2002, p. 255-264.

90. « Le malaise policier » (avec C. GORGEON), Regards sur l’actualité, 279,mars 2002, p. 13-25.

91. « La réforme de la police nationale », Cahiers français, 308, juin 2002,p. 79-85.

92. « L’insécurité politique : police et sécurité dans l’arène électorale »,Sociologie du travail, 44, 4, 2002, p. 543-555.

93. « Les polices nationales et l’unification européenne, enjeux et interac-tions. Remarques introductives » (avec R. LÉVY), Cultures & Conflits,48, 2002, p. 5-14.

94. « Sécurité intérieure et sécurité extérieure, recompositions et métamor-phoses », (avec J.-P. BRODEUR), Les Cahiers de la sécurité intérieure,53, 2003, p. 157-169.

95. « L’information, l’urgence et la réforme. Réflexions sur le fonctionne-ment de la Direction centrale de la sécurité publique », inS. ROCHÉ (dir.), Réformer la police et la sécurité, Odile Jacob, Paris,2004, p. 128-142.

96. « Le terrorisme et la cage d’escalier. La sécurité publique dans le débatpolitique en France, 2000-2003 », Revue canadienne Droit et Société/Canadian Journal of Law and Society, 19, 1, 2004, p. 135-151.

97. « Gibier de recherche : la police et le projet de connaître », Criminologie,XXXVIII, 2, 2005, p. 13-33.

98. « La culture professionnelle des policiers, une analyse longitudinale »(avec C. GORGEON), Les Cahiers de la sécurité intérieure, 56, 2005,p. 291-304.

99. « Les sanctions professionnelles des policiers. Ce que disent les chiffreset au-delà », Informations sociales, 127, octobre 2005, p. 76-85.

100. « Comment apprécier une politique policière ? Le ministère Sarkozy »,communication au colloque « La police et les citoyens », Nicolet,Québec, 31 mai 2005, <www.cicc.umontreal.ca/activites_publiques/colloques/police_citoyens/texte_conferenciers/MonjardetDominique.pdf>.

101. « Insupportable et indispensable, la recherche au ministère de l’Inté-rieur » (avec F. OCQUETEAU), in P. BEZES, M. CHAUVIÈRE, J. CHEVAL-LIER, N. DE MONTRICHER et F. OCQUETEAU (dir.), L’État à l’épreuve des

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sciences sociales, la fonction recherche dans les administrations sous laVe République, La Découverte, Paris, 2005, p. 229-247.

102. « La crise de l’institution policière ou comment y faire face ? », Mou-vements, 44, 2006, p. 67-77.

103. « Comment apprécier une politique policière ? Le premier ministèreSarkozy, 7 mai 2002-30 mars 2004 », Sociologie du travail, 2, 2006,p. 188-208.

104. « L’organisation du travail des CRS et le maintien de l’ordre », inP. FAVRE, O. FILLIEULE, F. JOBARD (dir.), L’Atelier du politiste.Théories, action, représentation, La Découverte/Pacte, coll. « Recher-ches », Paris, 2007, p. 157-172. (Réédition du rapport de recherche [8].)

Rapports de recherche

1. « Annuaire statistique des pratiques de loisir » (avec J. DUMAZEDIER etC. GUINCHAT), CRU, Paris, 1967.

2. (dir.), « Les cadres de l’industrie » (avec G. BENGUIGUI), Laboratoire desociologie industrielle, Paris, 1967, 2 vol., 122 et 80 p.

3. « Pour une sociologie des travailleurs intellectuels » (avec C. RAGUIN etJ. SALIBA), Laboratoire de sociologie industrielle, Paris, 1968, 59 p.

4. « Fonctions et carrières des ingénieurs et cadres », Laboratoire de socio-logie industrielle, Paris, 1968, 51 p.

5. « Recherches sur la fonction d’encadrement, les relations entre tech-nique, organisation et division du travail chez les techniciens, ingénieurset cadres de l’industrie » (avec G. BENGUIGUI, A. GRISET et A. JACOB),Groupe de sociologie du travail (GST), Paris, 1975, 2 vol., XV + 470 p.

6. « La division du travail dans l’industrie, études de cas français et anglais »(avec P. DUBOIS), vol. 1 (P. DUBOIS), GST, Paris, 1979, 608 p., vol. 2(D. MONJARDET), GST, Paris, 1980, 108 p.

7. « La police quotidienne, éléments de sociologie du travail policier (1) »(avec A. CHAUVENET, D. CHAVE et F. ORLIC), CNRS, GST et CEMS,Paris, 1984, 250 p.

8. « Sociologie du travail policier (2), les CRS » (avec A. CHAUVENET etF. ORLIC), GST et CEMS, Paris, 1985, 36 + 50 p.

9. « Formation et recherche dans les polices nord-américaines », rapport pourla Direction de la formation de la Police nationale, GST, Paris, 1986,83 p.

10. « Sociologie de la police. Textes », GST, Paris, 1987, 149 p.11. « 1 167 recrues, description de la 121e promotion des élèves gardiens de

la paix de la Police nationale » (avec C. GORGEON), Travail et Mobilités,CNRS, université Paris-X et IHESI, Paris, 1992, 79 + 15 p.

12. « La socialisation professionnelle des policiers, étude longitudinale dela 121e promotion des élèves gardiens de la paix », tome 1 : « La for-mation initiale » (avec C. GORGEON), Travail et Mobilités, CNRS,

notes inédites sur les choses policières, 1999-2006

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Page 289: monjardet-notes inédites sur les choses policières, 1999-2006

université Paris-X et IHESI, Paris, 1993, 132 p. (+ volume d’annexeset synthèse).

13. « La socialisation professionnelle des policiers », tome 2 : « La titulari-sation », CNRS, université Paris-X et IHESI, Paris, 1996, 103 p.(+ volume d’annexes).

14. « L’entrée latérale dans les corps policiers » (avec J.-P. BRODEUR),Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal,Montréal, 1997, XII + 71 p.

15. « La socialisation professionnelle des policiers », tome 3 : « La banali-sation » (avec C. GORGEON), Travail et Mobilités, CNRS, universitéParis-X et IHESI, 1999 108 p. (+ volume d’annexes et synthèse).

16. « La socialisation professionnelle des policiers, dix ans plus tard »,tome 4 : « La cristallisation » (avec C. GORGEON, Acadie), CERSA/CNRS, Paris-2 et IHESI, 128 p , 2004.

17. « Réinventer la police urbaine. Paris-Montréal » (avec Ch. MOUHANNA etM. CHALOM), INHES, Paris, 2005.

Divers

1. Managing Work : France ; Managing Work : England (avec G. Ben-guigui, K. Patton et G. Salaman), BBC et Open University, Londres,1981 (film).

2. « Quitte ou double pour le nouveau code » (avec D. Robillard), Chroniqued’Amnesty International, janvier 1986, p. 13-14.

3. « Diagnostics locaux de sécurité » (avec J. Donzelot, Ph. Estèbe,H. Lagrange et R. Zauberman), Délégation interministérielle à la ville,Paris, 1990, 32 p.

4. « Déontologie et culture professionnelle des policiers », in Actes du Sémi-naire sur l’enseignement de la déontologie policière, IHESI, 1992, s. p.

5. Les grands textes de la sociologie anglo-saxonne de la police (sélection,présentation et notes) :Egon BITTNER, « De la faculté d’user de la force comme fondement durôle de la police », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 3, 1990-1991,p. 221-236.George L. KELLING, « Police Foundation : l’expérience de Kansas Citysur la patrouille préventive », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 5,1991, p. 277-315.Donald BLACK, « L’organisation sociale de l’arrestation », Les Cahiersde la sécurité intérieure, 9, 1992, p. 203-233.John VAN MANNEN, « Comment devient-on policier ? », Les Cahiers dela sécurité intérieure, 11, 1993, p. 291-313.J. Q. WILSON et G. L. KELLING, « Broken Windows », Les Cahiers dela sécurité intérieure, 15, 1994, p. 163-180.M. PUNCH, « La corruption de la police et sa prévention », Les Cahiersde la sécurité intérieure, 40, 2000, p. 217-249.

bibliographie générale de dominique monjardet

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M. LIPSKY, « Le rôle clé des bureaucrates de proximité », Les Cahiersde la sécurité intérieure, 44, 2001, p. 227-256.Eli B. SILVERMANN, « La police de New York combattant le crime, épi-logue », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 48, 2002, p. 171-188.L. W. SHERMAN et al., « Prévention de la criminalité : ce qui marche,ce qui ne marche pas, ce qui pourrait marcher », Les Cahiers de la sécu-rité intérieure, 54, 2003, p. 117-153.

6. « La police ne peut pas contrôler la police », L’Événement, 5-11 août1999, p. 12.

Pour mémoire

Ne figurent pas dans les rubriques précédentes une série de communi-cations écrites à des congrès, colloques et séminaires, ni des contributions àdes projets éditoriaux qui n’ont pas (encore) abouti. Sont néanmoins commu-nicables :— « Entre État et société civile : instrumentalité des appareils et politisation

de leurs agents », Sherbrooke, Canada, 1986.— « Notes pour une construction sociologique de l’objet “police” », Sémi-

naire GERN, 1986.— «Mobilité, rupture et socialisation, le cas des policiers », manuscrit pour

un ouvrage collectif sous la direction de P. Tripier, 1987.— « La crise du modèle français de police », Moncton (Nouveau-Bruns-

wick), 1988.— « L’existence de lois de police ? », Direction de la formation de la Police,

Lille, 1988.— « Note sur le projet de création d’une “Haute Autorité” ou “Conseil Supé-

rieur” de la fonction policière », IHESI, 1990.— « Police, jeunesse et minorités en France », Montréal, 1991.— « Les éléments du système d’action policier », SCTIP (Service de coopé-

ration technique internationale policière), Lyon, 1993 (publié en catalan).— « Le contrôle de la police », École de police de Catalogne, Barcelone,

1994.— « Les violences policières », Colloque de Cerisy, 1994.— « Professionnalisation et métiers de la sécurité », article manuscrit pour

La Revue parlementaire, non publié.— « Le contrôle de la police en France », Belgrade, 1997.

notes inédites sur les choses policières, 1999-2006

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Table

Alma mater. Préface, par Pierre Joxe,ancien ministre de l’Intérieur ..................................... 5

Autour de l’œuvre de Dominique Monjardet.Avant-propos, par Antoinette Chauvenetet Frédéric Ocqueteau ................................................ 9

I. NOTES INÉDITESSUR LES CHOSES POLICIÈRES,

1999-2006par Dominique Monjardet

1. Notes de l’année 1999 ............................................... 19

2. Notes de l’année 2000 ............................................... 22

3. Notes de l’année 2001 ............................................... 36

4. Notes de l’année 2002 ............................................... 81

5. Notes de l’année 2003 ............................................... 115

6. Notes de l’année 2004 ............................................... 144

7. Notes de l’année 2005 ............................................... 155

8. Notes de l’année 2006 ............................................... 168

297

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II. LE SOCIOLOGUE, LA POLITIQUEET LA POLICE

1. D’un engagement l’autre…,par Antoinette Chauvenet ........................................... 173

2. Dominique Monjardet, les cadres, les professionset l’utopie gestionnaire, par Pierre Tripier ............... 179

3. L’émergence des recherches en sciences socialessur la police en France : les séminaires organisésau sein du GERN, 1986-1991, par René Lévy .......... 187

4. Les années 1980 et les premières annéesde l’Institut des hautes étudesde la sécurité intérieure, par Jean-Marc Erbès ......... 205

5. Dominique Monjardet et la (re)découvertedes questions policières par la science politique,par Pierre Favre ......................................................... 212

6. La contribution de Dominique Monjardetà la recherche historique sur les polices,par Jean-Marc Berlière .............................................. 222

7. Comment rendre respectable un sujet sale ?,par Michel Wieviorka ................................................. 225

8. La « cohorte de gardiens de la paix » :quels apports pour la connaissancede la culture professionnelle des policiers ?,par Catherine Gorgeon ............................................... 229

9. Table ronde : les engagementsde Dominique Monjardet dans l’institutionpolicière au temps de la réformede la « police de proximité » ...................................... 244

10. Que dire maintenant de la police ?,par Jean-Paul Brodeur ............................................... 255

11. L’influence des travaux de Dominique Monjardetsur une nouvelle génération de chercheurs,par Frédéric Ocqueteau .............................................. 269

12. Dominique Monjardet, d’un mémorialiste l’autre…,par Daniel Vidal ......................................................... 281

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298

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III. BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALEDE DOMINIQUE MONJARDET

Ouvrages .......................................................................... 287Direction d’ouvrages ou de numéros de revues ............ 287Articles et contributions à des ouvrages collectifs

(1968-2006) ................................................................. 287Rapports de recherche .................................................... 294Divers ............................................................................... 295Pour mémoire .................................................................. 296

table

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PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-18/4/2008 10H32--L:/TRAVAUX2/DECOUVER/TEXTES/NOTES/AAGROUP.697-PAGE300 (P01 ,NOIR)

Composition et mise en pages : FACOMPO, LISIEUX

Impression réaliséepar l’imprimerie Bussière

à Saint-Amand-Montrond (Cher)en mai 2008

Dépôt légal : mai 2008Numéro d’impression : 000000/1

Imprimé en France