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La notion de « marché » : un piège pour la pensée critique S. Morel Département des relations industrielles, Université Laval [email protected] Notes de la communication présentée au Colloque international L’accès des femmes à l’économie à l’heure de l’intégration des Amériques : quelle économie ? , Montréal, 23-26 avril 1 . Résumé de la communication La notion de «marché », telle que communément véhiculée dans le discours économique ambiant, toutes orientations politiques confondues, piège les féministes par le brouillage qu’elle opère dans l’analyse des réalités économiques. En effet, la vision en termes de marché donne le plus souvent à croire et à penser qu’il existerait réellement un ordre de faits économiques régulé de façon automatique, dont la logique transcenderait la volonté humaine et s’imposerait en dehors de toute régulation sociale. La vision orthodoxe de l’économie repose sur une telle croyance. Or, de façon paradoxale, cette représentation coutumière de l’économie est souvent reprise par les féministes dans leurs propres analyses, notamment lorsqu’elles élaborent celles-ci à partir de la triade « marché, État, économie sociale ». Ce problème doit donc être sérieusement reconnu et corrigé car la perspective essentialiste de cette vision de l’économie compromet la capacité des actrices et acteurs sociaux de fournir des diagnostics pertinents des problèmes actuels ainsi que de proposer des solutions valables pour y remédier. Cela parce que la catégorie « marché », et toute la construction théorique dans laquelle elle s’insère, empêche de penser l’économie comme une science sociale, c’est-à-dire de construire théoriquement les faits économiques comme des faits sociaux. 1. Un retour nécessaire sur la catégorie de « marché » : la réflexion qui est proposée ici porte sur un terme si prégnant autour de nous qu’on ne l’interroge plus ou, à tout le moins, on l’interroge mal : celui de marché. Ce terme a, non seulement envahi le débat public, mais colonise tous les types de discours, y compris ceux qui se qualifient d’« alternatifs ». Ainsi, les analyses de contestation de l’ordre « néo-libéral » se veulent une dénonciation des soi-disant conséquences du « marché », mais omettent de soumettre la signification de ce dernier terme (et la manière dont elle pervertit nos schémas de pensée) à un examen critique préalable. Autrement dit, en général, la critique sociale remonte insuffisamment en amont dans la réflexion et, également, insuffisamment au niveau théorique. 1 Ces notes seront reprises ultérieurement aux fins de la rédaction d’un article.

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La notion de « marché » : un piège pour la pensée critique

S. Morel

Département des relations industrielles, Université Laval

[email protected]

Notes de la communication présentée au Colloque international L’accès des femmes à

l’économie à l’heure de l’intégration des Amériques : quelle économie ?, Montréal, 23-26 avril1.

Résumé de la communication

La notion de « marché », telle que communément véhiculée dans le discours économique ambiant, toutes orientations politiques confondues, piège les féministes par le brouillage qu’elle opère dans l’analyse des réalités économiques. En effet, la vision en termes de marché donne le plus souvent à croire et à penser qu’il existerait réellement un ordre de faits économiques régulé de façon automatique, dont la logique transcenderait la volonté humaine et s’imposerait en dehors de toute régulation sociale. La vision orthodoxe de l’économie repose sur une telle croyance. Or, de façon paradoxale, cette représentation coutumière de l’économie est souvent reprise par les féministes dans leurs propres analyses, notamment lorsqu’elles élaborent celles-ci à partir de la triade « marché, État, économie sociale ». Ce problème doit donc être sérieusement reconnu et corrigé car la perspective essentialiste de cette vision de l’économie compromet la capacité des actrices et acteurs sociaux de fournir des diagnostics pertinents des problèmes actuels ainsi que de proposer des solutions valables pour y remédier. Cela parce que la catégorie « marché », et toute la construction théorique dans laquelle elle s’insère, empêche de penser l’économie comme une science sociale, c’est-à-dire de construire théoriquement les faits économiques comme des faits sociaux.

1. Un retour nécessaire sur la catégorie de « marché » : la réflexion qui est proposée ici

porte sur un terme si prégnant autour de nous qu’on ne l’interroge plus ou, à tout le moins, on

l’interroge mal : celui de marché. Ce terme a, non seulement envahi le débat public, mais

colonise tous les types de discours, y compris ceux qui se qualifient d’« alternatifs ». Ainsi, les

analyses de contestation de l’ordre « néo- libéral » se veulent une dénonciation des soi-disant

conséquences du « marché », mais omettent de soumettre la signification de ce dernier terme (et

la manière dont elle pervertit nos schémas de pensée) à un examen critique préalable. Autrement

dit, en général, la critique sociale remonte insuffisamment en amont dans la réflexion et,

également, insuffisamment au niveau théorique.

1 Ces notes seront reprises ultérieurement aux fins de la rédaction d’un article.

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2. La notion de marché opère un brouillage dans l’analyse économique : l’idée

principale que nous allons défendre dans ce texte est à l’effet que la notion de marché, telle

qu’elle est le plus souvent utilisée aujourd’hui, risque de piéger les féministes parce qu’elle

fausse l’analyse des réalités économiques. Cela vient principalement de ce que la représentation

théorique qui est implicitement véhiculée par cette notion de « marché » est celle de l’économie

comme espace auto-régulé (un mécanisme automatique), dont la logique transcenderait la volonté

humaine et s’imposerait en dehors de toute régulation sociale. La notion de marché conduit donc

à endosser l’essentialisme, c’est- à-dire le recours à « des vérités éternelles, des principes premiers

ou des essences » (Bush 1993 :62). Dans cette perspective, les phénomènes économiques sont

intelligibles à partir d’une « essence », d’une « nature » dont il s’agirait simplement d’identifier

les attributs (les « lois économiques »). Ce naturalisme est en complète opposition avec la

conception de l’enquête scientifique sociale, beaucoup plus pertinente pour la recherche en

sciences sociales, selon laquelle il n’existe pas de vérités absolues, c’est- à-dire de « de vérités qui

ont une importance et une crédibilité en dehors du processus dont elles émergent et dont elles

sont déterminées être une partie » (Tool 1994 :205)2.

L’adoption de la perspective essentialiste interdit de penser la complexité des réalités

économiques. En outre, dans la mesure où elle conduit à séparer les espaces de la vie sociale en

autant d’entités isolées les unes des autres, avec des oppositions comme celle, par exemple, du

« marché » et de l’État, échappent à l’analyse :

- les créations hybrides entre le « public » et le « privé » ;

- les articulations entre les interventions d’entreprises et les interventions publiques ;

- la diversité des formes d’organisation sociale ;

- la diversité et l’imbrication des logiques d’action.

3. L’importance des catégories de pensée : les faits ne sont jamais donnés directement à

l’observateur mais sont des constructions élaborées par celui-ci. Les faits sont donc rendus

intelligibles par des schèmes cognitifs qui intègrent des représentations, des valeurs, des théories,

des coutumes ou encore des intérêts. Il faut donc accorder de l’importance à nos catégories de

pensée, car la manière dont nous pensons le monde économique est déterminante pour

2 Cette conception de l’enquête sociale renvoie à John Dewey, l’un des fondateurs du pragmatisme américain, courant philosophique dont l’influence a été déterminante sur la première génération des économistes

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l’orientation de nos actions politiques ; il faut viser à utiliser des catégories d’analyse

« politiquement utiles ». Cela signifie également que la « théorie », souvent méprisée dans les

cercles militants, revêt une importance fondamentale, dans la mesure où nous agissons à partir de

« visions du monde » qui sont, pour l’essentiel, des produits culturels, parmi lesquelles figurent

les constructions théoriques.

4. Le terme de marché est polysémique : la première raison pour laquelle la notion de

marché pose des difficultés pour l’analyse, c’est qu’elle revêt une pluralité de sens, ce qui génère

souvent de la confusion dans la mesure où le terme est souvent utilisé sans même être défini. R.

Frydman (1994) distingue trois niveaux d’acception du terme de marché. Ainsi, selon lui, le

terme de marché peut renvoyer à : 1) une réalité empirique (un mode concret d’organisation de

nos régimes économiques, c’est- à-dire « la place où les individus échangistes se rencontrent, là

où les produits changent de mains » ; 2) « un paradigme scientifique : la théorisation de

l’économie à partir des relations d’échange » ; 3) « le fondement même de toute économie ou son

objet générique, qui veut qu’aucune société ne peut échapper à la nécessité de mettre en place des

transactions marchandes ou quasi marchandes » (Frydman 1994 : 35). Comme l’indique l’auteur,

cet « emboîtement de signification comme le champ couvert par chacune d’entre elles font vite

problème » (Frydman 1994 : 35), ne serait-ce aussi qu’en raison du caractère éminemment

contestable de certains de ces présupposés. La première définition du marché, qui a trait au lieu

où se rencontrent les acheteurs et les vendeurs (le supermarché, la boutique spécialisé, l’étal, etc.)

est une définition de sens commun. La dernière définition renvoie à une lecture historique du

« lien de marché », c’est-à-dire au fait que, dans l’histoire, les échanges marchands ont précédé

le capitalisme, point sur lequel nous reviendrons plus bas. Ce ne sont pas ces deux définitions qui

posent problème, mais plutôt la deuxième, celle ayant trait au « paradigme scientifique » sous-

tendant la notion de marché.

5. Le « paradigme scientifique » auquel renvoie la notion de marché : le cadre

théorique néo-classique : on ne peut parler aujourd’hui de la notion de « marché » sans faire

référence au cadre théorique des économistes qui lui fournit sa crédibilité. Comme la discipline

de l’économie est dominée actuellement par une école de pensée, celle des économistes dits

institutionnalistes américains (dont John R. Commons).

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« néo-classiques », c’est donc du côté de ce discours économique orthodoxe qu’il faut aller

chercher les éléments théoriques nécessaires pour comprendre de quel type de contenu est chargé

le terme de marché ainsi que les enjeux qui en entourent l’utilisation. D’autre part, il est évident

qu’à partir du moment où l’on se réfère, par exemple, aux « forces de marché » ou encore aux

« lois du marché » pour rendre compte d’un phénomène économique, expressions colportées

naïvement dans le langage de tous les jours, le discours s’élabore, non plus en termes purement

descriptifs (ou de sens commun), mais en termes explicatifs. Aussi, puisque ces « forces » ou ces

« lois » deviennent des éléments d’une explication de la réalité économique, un schéma théorique

est donc implicitement présent. C’est précisément ce dernier qu’il importe de clarifier.

Pour la majorité des économistes, la « science économique » se résume à une seule école de

pensée : la théorie économique développée depuis la fin du XIXe siècle sous l’étiquette

« néoclassique » (ou, plus généralement, l’« économique ») . Selon l’économie néoclassique,

l’économie est la « science des choix » : « la science qui étudie le comportement humain en tant

que relation entre des fins et des moyens rares qui ont des usages alternatifs »3. Dans ce cadre

théorique, le marché est une forme abstraite qui représente le principal lieu de coordination des

activités économiques, où s’opèrent des « échanges » égaux (cette symétrie est postulée). Il est

posé comme un espace s’articulant autour de la confrontation de l’offre et de la demande, laquelle

génère des équilibres de prix et de quantités. Le marché est également présenté, de façon

progressiste, comme étant « autodynamique » : la croissance s’opère automatiquement par les

vertus de l’épargne. Le modèle de concurrence pure et parfaite est posé comme le modèle de

référence. La « société » est pensée, quant à elle, comme la collection des individus autonomes

(sur le type de l’homo oeconomicus), d’où l’adhésion des économistes néo-classiques à la

démarche de l’individualisme méthodologique (l’explication des phénomènes économiques à

partir de l’analyse des comportements individuels ). Les sujets économiques, ou agents

économiques, sont postulés comme étant libres, égaux et rationnels. Selon le postulat de

rationalité, l’action économique est comprise comme étant un comportement utilitaire et

calculateur de « maximisation de l’utilité » (ou du profit) sous contrainte de budget (ou de coût).

La centralité du postulat de rationalité et le recours systématique à la formalisation mathématique

selon le paradigme des sciences dites « dures », permettent de considérer que l’économie néo-

classique se définit plus par sa méthodologie que par son domaine d’études. C’est à l’ensemble

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de cette construction théorique, une physique sociale des échanges symétriques, que renvoie, au

niveau paradigmatique, l’utilisation du terme de marché.

Pour reprendre ces éléments de façon schématique, parler de « marché », dans ce cadre

théorique, signifie, parler en termes d’« offre », de « demande » et d’« équilibre », trois concepts

possédant eux-mêmes un sens théorique précis :

LOI OFFRE ET DEMANDE4

La loi de l’offre et de la demande est l’un des éléments essentiels expliquant le fonctionnement d’une économie de marché. Elle indique comment se concilient, par l’arbitrage pacifique du marché, les intérêts apparemment contradictoires des offreurs et des demandeurs. En particulier la loi de l’offre et de la demande nous montre que, sur n’importe quel marché, il existe toujours un niveau de prix qui supprime la pénurie (ou l’excédent) et qui équilibre la quantité offerte et la quantité demandée. Un tel niveau de prix est qualifié d’optimal, parce qu’il maximise les avantages et minimise les inconvénients, pour les vendeurs comme pour les acheteurs. Ce niveau de prix, qui résulte de l’offre et de la demande, détermine un équilibre qui est qualifié de stable, ce qui signifie que si l’on s’éloigne de cet équilibre, des mécanismes automatiques (ceux du marché) ramènent vers l’équilibre; c’est ainsi, par exemple, que pour un niveau de prix inférieur à l’équilibre, il existera un excès de la demande sur l’offre et cela va provoquer une hausse des prix qui se poursuivra jusqu’au retour à l’équilibre; cette hausse des prix, en particulier, va pousser les producteurs à augmenter l’offre, résorbant ainsi la pénurie potentielle. Ce mécanisme de rééquilibrage repose naturellement sur la libre variation des prix. En ce sens, le blocage des prix, leur fixation autoritaire par les pouvoirs publics, constituent toujours une aberration économique. Si le prix est fixé à un niveau trop élevé, c’est la surproduction inévitable; c’est par exemple le cas de nombreux produits agricoles, à l’intérieur du marché commun, pour lesquels il existe des prix garantis, qui favorisent une surproduction et créent les excédents que l’on connaît; un raisonnement identique peut être appliqué au marché du travail, où un salaire minimum trop élevé est créateur de chômage. En sens inverse, si le prix est fixé par les pouvoirs publics à un niveau trop bas (soi-disant pour empêcher l’inflation), c’est l’excès de la demande sur l’offre, c’est-à-dire la pénurie, qui apparaît: l’exemple des loyers bloqués à un niveau artificiellement bas est très significatif de ce phénomène et explique largement les pénuries de logement que l’on a pu observer. Ce type de déséquilibre était encore plus évident dans les économies planifiées, où tous les prix étaient bloqués, et où se développent les pénuries, les files d’attente ou le marché noir.

Déjà à ce niveau, la représentation de l’économie par la « loi de l’offre et la demande »

comprend implicitement une idée de justice : puisque le « marché » est présenté comme étant un

mécanisme impersonnel, il est « censé profiter également à tous, donc juste » (Pontvianne 2000 :

187). De ce point de vue, il est infondé de critiquer l’approche « néo-libérale » parce qu’elle ne

3 Cette définition canonique est de : Robbins 1935. 4 Cet extrait est tiré d’un site Web qui fait la promotion « d’une lecture libérale des problèmes de la société française et du monde contemporain » ; http://www.libres.org (voir sous « Encyclopédie »).

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prendrait pas en compte la question de la justice, ne raisonnant soi-disant qu’à partir de la

dimension « économique ». C’est plutôt sur la fiction de la représentation de la justice en termes

de marché et sur les critères de justice spécifiques que cette dernière comprend que

l’argumentation doit porter : les opposants au néo-libéralisme ne protestent jamais « au nom des

lois de l’économie, mais au nom de la justice, de la démocratie, de l’environnement. Mais c’est

précisément là leur grande erreur ! Car c’est bel et bien au nom de trois cents ans de science

économique que l’on peut contester le discours néo-libéral » (Généreux 2001 :22).

L’idée selon laquelle le fonctionnement de l’économie s’explique par les « forces du marché »

équivaut à affirmer que « l’économie ne se gouverne pas, elle est mue par des forces internes, des

lois propres, qui échappent à l’emprise des gouvernements nationaux » (Généreux 2001 :11).

L’idée de « lois économiques » nécessaires, immuables, universelles et harmonieuses,

remontent aux économistes « classiques », école ayant précédé les néo-classiques (d’où dérive

leur appellation), dont les représentants les plus connus sont Adam Smith, David Ricardo et

Thomas Malthus. Les lois de l’économie marchande sont des « lois universelles et indépendantes

de la volonté de tel ou tel gouvernement » (Généreux 2001 :12). Ces « lois du marché » sont

présentées comme étant des prescriptions incontournables des mécanismes économiques que l’on

pourrait opposer aux « lois des hommes » (choix politiques). Cette idée a envahi le discours

public : le discours « politique moderne, amplifié et standardisé par les médias, a diffusé une

culture « économiquement correcte » faite de maximes simples qui, à force de répétition,

pourraient bientôt accéder au statut de dictons populaires, c’est- à-dire d’expressions bien ancrées

du bon vieux sens commun » (Généreux 2001 :1).

Le discours habituel élaboré en termes de « marché » tend également à présenter ce dernier

comme un sujet agissant (par des affirmations telles que « le marché a décidé de (…) », « le

marché pense que (…) ». Le mécanisme du « marché » se voit dès lors assimilé à une entité doté

d’une capacité de réflexion, d’une faculté de jugement, d’une capacité d’action, d’une identité,

d’une conscience, d’un projet. Bref, la représentation du marché est anthropomorphique et

téléologique (le marché tend vers le juste, l’intérêt collectif, l’équilibre « harmonieux »).

Cette représentation du fonctionnement de l’économie ne correspond pas à une réalité

objective. Seuls certains cas de figure peuvent donner l’impression qu’on s’en rapproche. Par

exemple, compte tenu de l’importance des comportements mimétiques des sujets économiques,

faisant appel à la psychologie de la foule, certains « marchés » peuvent être appréhendés comme

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des « entités agissantes ». Cependant, cette vision est en parfaite opposition avec le principe de

rationalité des économistes néo-classiques. Il s’agit plutôt de la conception du marché héritée de

Keynes (Maris 1999) :

« La macroéconomie, ou la théorie sociale de Keynes, considère le marché comme une foule, au sens freudien du mot. La psychologie du marché et la psychologie de la foule. Le marché est une foule irrationnelle, une foule de spéculateurs. (…). Cette conception est en totale opposition avec la conception walrassienne5. La société chez Keynes n’est pas une somme d’individus, mais une entité autonome, soumise à des comportements collectifs mimétiques et parnurgiques, et capable de « dépression », de « manies » de « cycles », bref, de cyclothymie » (Maris 1999 : 34). « Soulignons le caractère grégaire et conformiste des agents contraints de former leurs anticipations sur un marché. Lorsqu’on ne sait rien, la tentation est grande d’imaginer que les autres savent un petit mieux que nous ; (…) Le marché est un processus mimétique collectif. (…) Le marché est une réalité extérieure à ceux qui font le marché, comme la foule est une réalité extérieure aux individus qui la composent, et qui se contentent de suivre leur instinct grégaire, c’est-à-dire de suivre les mouvements de foule » (Maris 1999 : 45).

De même, comme, dans plusieurs cas, le « marché » est composé, en fait, d’un petit nombre de

joueurs, la capacité de mise en œuvre d’un projet par ces acteurs est parfaitement possib le ; cette

structure oligopolistique est contraire au modèle canonique du marché axée sur la concurrence

pure et parfaite. Commentant le marché financier, F. Lordon (1997 : 136) affirme ainsi :

« En l’occurrence, le recours à un sujet collectif n’est pas infondé ; en effet le marché financier est loin de l’archétype walrasien qui imagine une poussière d’intervenants incapables isolément de « faire » le cours. Comme le note Boyer (1992)6, la réalité des marchés financiers actuels est bien plutôt dans la domination d’un petit nombre d’acteurs privilégiés, quelques dizaines tout au plus, gestionnaires des grands fonds anglo-saxons, entrenant de manière soutenue contacts et échanges de vues, et parfaitement capables d’une acion homogène, sinon coordonnée ».

6. La critique interne et la critique externe : deux types de critique peuvent être formulés

face au modèle néo-classique de marché : le premier type porte sur la cohérence des hypothèses

théoriques de base du modèle (la critique « interne ») tandis que le second a trait au réalisme de

ces hypothèses (la critique « externe »). Dans chacun des cas, les débats entre économistes ont été

légion dans l’histoire de la pensée économique. Souvent, de façon paradoxale, les critiques les

plus dévastatrices du modèle de concurrence pure et parfaite, qui est l’idéal- type de la

représentation néo-classique du marché, viennent davantage des économistes libéraux que de

5 Léon Walras (1834-1910) est le père de la théorie de « l’équilibre général » (construction par un système d’équations d’un modèle complet d’équilibre des prix et des échanges), pilier central de l’approche néo-classique en économie (Denis 1977 : 488-503) ; pour un bref résumé de l’apport de L. Walras à l’économie, voir : Dostaler 2003. 6 L’auteur renvoie à : Boyer, Robert. 1992. « La bulle et le bruit. Qu’est-ce que spéculer ? », Io, Revue internationale de psychanalyse, no 2 : Médium, médiatisation et fanatisme.

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ceux qui appartiennent au camp adverse7. Le meilleur exemple de cela est l’école autrichienne

d’économie, dont l’un des représentants les plus illustres est Friedrich Hayek, l’un des maîtres à

penser du « néo-libéralisme » et qui fut tant un adversaire de l’interventionnisme keynésien que

de l’orthodoxie néo-classique (Dostaler 2001).

À titre d’exemple de critique interne, mentionnons la démonstration faite dès 1950, dans le

cadre de la théorie des jeux, avec le « dilemme du prisonnier », du fait que la concurrence mène

nécessairement à une situation « sous-optimale » pour l’économie. Deuxième exemple de critique

interne du modèle néo-classique, le « théorème d’impossibilité d’Arrow »8 qui montre

l’impossibilité d’agréger les préférences ou les comportements, c’est- à-dire la capacité de déduire

des comportements individuels un comportement collectif qui en représenterait la synthèse. Cette

démonstration a considérablement affaibli la portée théorique du modèle de référence néo-

classique :

« Devant les problèmes insurmontables posés par l’agrégation des biens et des comportements, les macroéconomistes néo-classiques ont opté pour une position de repli, qui consiste à faire appel à des biens et des agents « représentatifs ». Mais il est évident qu’en procédant ainsi, ils laissent de côté l’essentiel des interactions des activités des individus, ce qui va à l’encontre des principes du programme de recherche néo-classique » (Guerrien 1996 : 105).

7. Le « marché » comme utopie (critique externe) : le modèle de concurrence pure et

parfaite, qui constitue la représentation idéale du système de marché, est une construction

théorique purement imaginaire : elle est coupée de la réalité des faits économiques et des

expériences de vie des individus qui s’y déroulent ; le marché ainsi décrit « ne peut donc

s’appliquer à la réalité, à quelque niveau d’abstraction que ce soit. Autrement dit, il n’a

politiquement aucun intérêt » ( :187)9. En effet, la structure de marché concurrentiel est une

fiction : il n’existe pas de lieux ou d’instances publiques où s’établissent des prix à partir de la

réunion spontanée, libre et égalitaire entre des acheteurs individualisés et des vendeurs

individualisés. On n’est jamais en présence d’une situation où une offre atomisée fait face à une

demande atomisée (hypothèse qui justifie aussi l’idée que le « marché » serait la condition de

fonctionnement d’une société démocratique).

7 Pour un bref résumé de la critique des économistes libéraux des résultats du modèle néo-classique, voir : Maris 2003. 8 Du nom de l’économiste Kenneth Arrow qui en a développé la démontration. 9 Le problème ne vient pas de ce que le terme s’intègre dans un cadre théorique global mais dans le fait que cette construction théorique soit fictive.

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« La « réalité économique n’est pas faite d’une infinité de marchés que se disputent quelques concurrents !. Ainsi, il n’y a, par exemple, par un marché de la chaussure, mais une myriade de marchés particuliers : celui des chaussures de ville, segmenté entre les chaussures pour hommes, pour femmes, pour enfants ; celui des chaussures de sport, subdivisé en marchés des baskets, des tennis, des chaussures de training, etc. ; avec, à chaque fois, une séparation assez nette entre le marché des chaussures de luxe, celui des prix modérés et celui des chaussures à très bas prix. Les producteurs sont souvent spécialisés sur un seul créneau. Et, sur chacun de ces marchés particuliers, les concurrents se comptent généralement sur les doigts des deux mains, voire d’une seule » (Amiech, Vaury 2003 : 25). -

L’une des hypothèses de base du modèle de concurrence pure et parfaite, celle de

« l’homogénéité des produits » (c’est- à-dire que les produits échangés sur le marché sont

identiques, d’où le fait qu’ils puissent être substitués les uns aux autres), avait déjà été mise à mal

par Joan Robinson en 1933 (Denis 1977 : 518)10. Celle-ci montrait au contraire que c’est la

différenciation des produits vendus qui s’observe dans l’économie, d’où le fait qu’il existe autant

de marchés que de produits et qu’il soit impossible, par conséquent, d’agréger en un marché

unique une offre et une demande globales. De plus, il n’y a « pas de concurrence sans

réglementation » :

« Les études consacrées aux tentatives concrètes de faire fonctionner un « marché parfait » (c’est-à-dire conforme à celui de la théorie économique) illustrent effectivement que cela passe par une normalisation des produits, des comportements, et par une centralisation du processus d’enchère permettant la détermination du fameux prix d’équilibre, censé être à la fois juste et efficace : aucune transaction ne peut alors se faire à un prix qui s’écarte de celui qu’impose le commissaire-priseur du marché. Ce système hypercentralisé et autoritaire n’a strictement rien à voir avec une économie décentralisée fondée sur la liberté de vendre et d’acheter quand on le souhaite, au prix que l’on souhaite (…) pour être effective, la concurrence exige des règles et des instances veillant à ce que certaines entreprises n’abusent pas de leur position dominante, qu’elles ne fixent pas des prix excessifs, qu’elles ne cherchent pas à empêcher des concurrents potentiels d’entrer sur le marché » (Amiech, Vaury 2003 :23-24).

10. Du « marché du travail » au « système d’emploi » : l’affirmation selon laquelle la

détermination du salaire (ou du prix du « facteur travail » dans le jargon de l’économie néo-

classique) et l’allocation du travail (ou la quantité du « facteur travail ») sont établis, par la

confrontation d’une « offre de travail » et d’une « demande de travail » sur le « marché du

travail » a été contestée par plusieurs générations d’économistes du travail. Depuis Keynes, pour

qui la « quantité demandée de travail » n’était pas déterminée sur le « marché du travail », mais

par la « demande effective » de biens et de services, à Commons, dont le dispositif conceptuel

exclut des concepts tels que ceux d’offre, de demande et d’équilibre, en passant par les autres

générations d’« institutionnalistes », qui ont développé notamment l’approche des « marchés

10 Joan Robinson. 1933. The economics of imperfect competition.

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internes » ou encore des « systèmes d’emploi », qui analyse en termes organisationnels les

processus de rémunération et de mobilité en emploi, l’analyse néo-classique du « marché du

travail » est dénuée de tout fondeme nt réel.

Au niveau de la rémunération, la discrimination salariale pratiquée envers les femmes est un

fait massif réfutant l’hypothèse voulant que le salaire soit simplement le reflet de la productivité

des individus. Les salaires distribués aux femmes sont un produit historique des rapports sociaux

de sexe (un paiement inférieur à celui des hommes accordé aux femmes simplement parce que ce

sont des femmes) qui n’a rien à voir avec le « marché ». Cela signifie que les hiérarchies

salariales obéissent à des logiques statutaires : un médecin québécois n’est pas rétribué plus cher

que son homologue français parce qu’il est plus productif, mais simplement parce que son statut

dans la société québécoise est supérieur à celui de ce dernier.

11. Le marché financier n’est pas l’espace de concurrence dépeint par la théorie néo-

classique : ainsi la Bourse, « qui est souvent présentée comme l’exemple concret le plus proche

d’un marché « déréglementé » et donc « véritablement concurrentiel » (…) (est) précisément un

marché truffé de règles et d’institutions : une Commission des opérations de Bourse surveille la

régularité des transactions, des dispositifs de chasse aux délits d’initiés, des réseaux

d’informateurs, des interventions d’institutions publiques comme les banques centrales, etc.

D’ailleurs, le processus de fixation des cours y obéit à des règles très précises, appliquées de

façon centralisée » (Amiech, Vaury 2003 : 23).

12. Sur la détermination des prix de façon générale : le prix d’un bien ou service n’est pas

le résultat de la « rencontre » abstraite d’une « fonction d’offre » et d’une « fonction de

demande ». Les relations sociales (de pouvoir, de domination, de coercition, etc.) existant entre

l’acheteur et le vendeur, ensemble complexe d’interactions établies dans le cadre de différentes

transactions, sont déterminantes pour expliquer le prix observé. Comme l’indique Florence

Weber, la transaction peut devoir « son sens à sa place dans une série de transactions engagées

entre les mêmes partenaires (relations personnelles de solidarité, de réciprocité ou de

domination). On aperçoit ici la distinction fondamentale entre une analyse portant sur des objets

(les individus partenaires de la transaction ne doivent leur existence analytique qu’à leur position

par rapport à l’objet, « offreur » ou « demandeur ») et une analyse portant sur des personnes, (la

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11

chose transférée garde toujours la trace des relations personnelles dont elle fut le support) »

(Weber 2002). En ce sens, les prix sont nécessairement « sociaux », étant l’expression des

« rapports de pouvoir » existant entre les transacteurs, donc des dissymétries marquant les

transactions :

« dans les économies modernes, les prix ne sont pas fixés selon la loi de l’offre et de la demande11. Les prix, comme dans l’économie aristotélicienne, restent des prix sociaux. Ce sont les statuts des différents groupes échangistes qui influent sur la négociation des prix, à un niveau politique au sein d’identités internationales. Enfin, toute une série de travaux récents qui se développent depuis une dizaines d’années, dans le domaine de la sociologie économique, déconstruisent totalement la notion de marché des économistes, pour montrer que les transactions ne s’effectuent en aucune manière selon le modèle analysé par Walras et d’autres. En amont et en aval de la rationalité économique apparente des échanges, jouent des relations sociales, des réseaux d’alliances, qui n’obéissent pas aux principes marchands, et cela au sein même des entreprises les plus capitalistes » (Caillé 1993).

Selon la théorie marxiste, il existe une différence entre le « prix de marché » et le « prix

fondamental (ou valeur réelle) » des marchandises. Dans ce cadre théorique, la valeur

(d’échange) des marchandises n’est pas déterminée par l’offre et la demande (qui ne règlent que

les fluctuations momentanées des prix du marché) mais par une conception spécifique de la

« valeur travail ».

En rupture avec une analyse en termes de valeur (la « valeur-travail » des économistes

classiques et des économistes marxistes ou la « valeur-utilité » des économistes marxiens),

certaines économistes nient que les prix correspondent à la valeur intrinsèque des produits ou des

marchandises, considérant plutôt qu’ils renvoient « au champ de forces » qui les produisent :

(…) les prix que l’économie affiche résultent chaque fois d’une histoire singulière qui est celle de leur formation, histoire constituée par des rapports de forces et de pouvoirs, par des habitudes et des sentiments, par des influences et des humeurs, histoire chaque fois particulière qui dément la fable de l’objectivité d’une valeur fondamentale de l’actif économique. Des géographies et des histoires qui produisent des prix parce que l’économie est constituée de flux qui se croisent et commutent : elle est carte. Telle est la vérité de l’économie, et c’est elle que le marché révèle et explicite. Renversement » (Henoschsberg 2001 : 275).

Précisons que même les économistes néo-classiques reconnaissent que les « prix de marché »

reflètent souvent mal les coûts et les bénéfices réels des producteurs, du fait de la présence

11 La « loi de l’offre et de la demande » est l’affirmation selon laquelle la quantité demandée d’un bien – par les consommateurs – varie inversement à son prix (plus le prix d’un bien augmente, moins les consommateurs en veulent et inversement) et que la quantité offerte d’un bien – par les producteurs – varie dans le même sens que son prix (plus le prix d’un bien augmente, plus les producteurs veulent en produire).

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d’« effets externes » ou d’« externalités », qui affectent la société au delà des seuls acheteurs et

vendeurs immédiats. Les entreprises reportent ainsi de nombreux coûts de leur activité productive

sur la collectivité. C’est le cas de la pollution causée à l’environnement. Les dégâts causés à la

main-d’œuvre, lorsque celle-ci est mal « gérée », devraient être vus de la même façon. La

précarité, (comme le chômage) entraîne des coûts substantiels pour la collectivité (pertes de

production, de productivité, de compétences, de motivation, d’initiative et de capacité

d’innovation, pathologies sociales) dont les entreprises devraient être tenues imputables. Les

entreprises qui, au nom de profits à court terme, dilapident les « ressources humaines » qui sont

mises à leur disposition, portent préjudice, non seulement à elles-mêmes, mais à l’ensemble de la

collectivité, dont l’avenir dépend du bon renouvellement de ses ressources productives, au

premier rang desquelles figurent le travail et la confiance en l’avenir. Un travail théorique portant

sur l’analyse fouillée de ces « effets externes » déboucherait sur une meilleure compréhension de

la « responsabilité économique » des entreprises ; cette ligne d’argumentation serait, selon nous,

plus féconde que le discours actuel basé sur la notion de « responsabilités sociales » des

entreprises (investissement éthique, etc.). D’autre part, il faut souligner que les entreprises

profitent des ressources collectives (main-d’œuvre formée, infrastructures, aides financières) ; ce

sont ces investissements sociaux12 qui leur permettent d’être en affaires13. L’activité des

entreprises devrait donc être évaluée de façon intégrée, par la prise en compte de l’ensemble des

coûts et des bénéfices qui en découle. La conception néo-classique de marché n’est pas l’outil

théorique approprié pour ce faire.

13. La nécessité d’une « auto-critique » : les discours dits alternatifs ne sont pas exempts

des dérives associées au mythe du « marché auto-régulateur » ; loin s’en faut. C’est en ce sens

que nos schémas de pensée doivent être passés au crible de l’« auto-critique », car nous sommes

davantage piégés par la vision néo-classique que nous nous plaisons à l’imaginer :

« (…) nombre de nos conceptions spontanées sont aujourd’hui polluées par cette idée de marché censé réaliser « l’allocation optimale des ressources ». C’est par ce discours que les chantres du marché dissimulent leurs arrière-pensées. Mais quand nous diabolisons le marché, c’est aussi trop souvent cette idée que nous renforçons, en opposant l’efficacité à l’équité, l’« économique et le « social ». Or, ce discours apologétique n’est autre chose que la description d’une utopie ; il ne peut donc s’appliquer à la

12 « Sociaux » parce que réalisés par la société et non pas comme s’opposant à « économiques ». 13 La théorie de la « croissance endogène », qui donne une place centrale à la production de biens publics parmi les facteurs concourant à la croissance économique, reconnait en partie ce fait.

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réalité, à quelque niveau d’abstraction que ce soit. Autrement dit, il n’a politiquement aucun intérêt. Pourtant, il existe « des » marchés concrets, et les sciences sociales doivent les observer, afin d’éclairer le débat. Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il est grand temps de reprendre, empiriquement, cette fois -ci, l’étude de la notion de marché » (Pontvianne 2000 : 187).

Pour notre part, nous pensons que le chantier de recherche concernant la notion de marché se

situe aussi au niveau théorique, et non pas seulement au niveau empirique, comme cette dernière

citation peut le laisser penser (voir, à ce sujet, le point 23). Cela dit, nous allons, dans les

paragraphes qui suivent, présenter quelques critiques concernant la manière dont le discours

alternatif est souvent élaboré. Cela permettra d’illustrer un peu certaines des confusions, des

dérapages ou des limites que l’on trouve trop fréquemment dans ce discours.

14. La méconnaissance de l’histoire de la pensée économique : dans les discours

alternatifs, on pèche souvent par ignorance des débats et des controverses qui, historiquement,

ont jalonné l’évolution de la pensée économique. Car ces débats sont riches d’enseignements, non

seulement pour relativiser la place qu’occupe l’économie néo-classique dans l’ensemble des

théories économiques, mais aussi en ce qu’ils fourmillent d’argumentations critiques de tous

types des limites et des manques de la théorie orthodoxe eu égard à l’étude de l’économie.

15. La confusion des niveaux empirique et théorique : on confond couramment, dans les

argumentations contre la « société de marché », les niveaux empirique et théorique. Ainsi, parce

que l’on critique les effets du capitalisme contemporain, ce qui relève de la dimension des faits

économiques, donc de l’empirie, on pense faire la critique du « marché », qui renvoie plutôt à la

dimension de la théorie. La même confusion peut se retrouver en sens inverse, entre un jugement

établi sur la théorie et le choix d’une option politique (qui relève du choix des moyens pratiques

qui sont privilégiés pour modifier un état de faits). Par exemple, opter pour une critique radicale

de la théorie économique orthodoxe ne signifie pas endosser une position politique radicale,

c’est- à-dire révolutionnaire, face au capitalisme. John R. Commons, par exemple, principal

économiste dont nous nous inspirons dans notre critique de la théorie néo-classique, était, d’un

point de vue théorique, en rupture radicale avec le système de pensée des économistes

orthodoxes, tout en étant, dans ses positions politiques, un réformiste convaincu. Inversement,

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Léon Walras, qui a développé le modèle de l’équilibre général14, représentation théorique du

fonctionnement du marché qui est au fondement de la théorie néo-classique, n’était pas en faveur

d’un capitalisme sauvage : il était « coopérativiste » et condamné, à son époque, par les libéraux

comme étant « quasi-socialiste »15. Cela était cohérent avec sa conception du « marché », qui

était conçu, selon le modèle idéal du libéralisme, comme étant composé de petits producteurs,

dans une société débarassée des ordres et des privilèges du système d’ancien régime et où

prévalait la liberté individuelle. L. Walras se définissait ainsi comme un « socialiste scientifique

libéral et humanitaire » et considérait que « l’économie politique pure », à laquelle on réduit le

plus souvent son œuvre, devait « être prolongée par l’économie sociale, dont l’objet est la

répartition de la richesse sociale » (Dostaler 2003 : 76)16.

16. La confusion entre « marché » et « capitalisme » : il est une autre confusion assez

courante à l’effet que « marché » et « capitalisme » sont synonymes. Or, cela est faux,

premièrement, du point de vue historique : l’étude des formations sociales à travers l’histoire

montre que les transactions marchandes précèdent l’avènement du capitalisme ; il existe

d’ailleurs un large débat, parmi surtout les historiens et les anthropologues, sur la question du

degré d’ancienneté ou de naturalité du marché 17. Deuxièmement, il est faux de considérer le

« marché » théorique et le « capitalisme » réel comme étant synonymes : par exemple, les

théoriciens du « socialisme de marché », dont le plus connu est le marxiste polonais Oscar Lange,

considéraient que l’on pouvait opérationnaliser le « marché théorique » pour le mettre au service

du socialisme : « Notre étude de la détermination des prix d’équilibre dans une économie

socialiste a montré que le processus de la détermination des prix est tout à fait analogue à celui

que l’on trouve sur un marché concurrentiel. Le Bureau central de Planification remplit les

fonctions du marché… La substitution de la planification aux fonctions remplies par le marché

14 Voir, à ce sujet, la note 5. 15 Nous remerçions Jean -Jacques Gislain d’avoir attiré notre attention sur ce point. 16 Walras « s’opposait au libéralisme orthodoxe des économistes français comme au socialisme de Marx et de Proudhon. Il aspirait à concilier socialisme et libéralisme, moralisme et utilitarisme, communisme et individualis me, sur la base d’un principe de justice hérité des idéaux de la Révolution française » (Dostaler 2003 : 76). 17 Pour une discussion des divergences de vues existant à ce sujet entre Fernand Braudel et Karl Polanyi, voir : Caillé 1982-1983.

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est tout à fait possible et réalisable »18. Pour Marx, au contraire, d’un point de vue théorique, le

« marché » impliquait nécessairement, dans sa logique d’évolution, le capitalisme 19. Le marché

généralisé et le capital ne formaient, d’un point de vue théorique, qu’un seul système, cela même

si sa lecture historique de l’évolution économique donnait une place distincte au marché et au

capitalisme : « Le marché généralisé est le présupposé du capital, qui le pose, le reconstitue et le

généralise. Entre la logique du marché et la logique du capital, il y a une relation systémique. La

logique du marché ne peut donc être que celle du profit, une logique « abstraite », comme dit

Marx, c’est-à-dire indifférente au sort des hommes et à la destruction de la nature » (Bidet 1993).

Nous avons vu déjà que le grand théoricien du « marché » pour les néo-classiques, Léon Walras,

était, du point de vue politique, contre le capitalisme monopoliste (puisque ce dernier allait à

l’encontre du modèle de concurrence pure et parfaite).

17. L’économie comme système d’organisations : dans les discours de contestation de

l’ordre établi, on parle souvent « d’économie de marché » comme s’il s’agissait d’autre chose que

d’un fait organisationnel, ce qui est pourtant son véritable substrat :

« la sphère de l’économie, comme on dit, n’est pas indépendante de la société. Le marché s’inscrit, comme les formes d’intégration économique par l’échange, dans un monde institutionnel. Différents phénomènes rappellent, dans les domaines de l’histoire économique et de I’économie comparée, le caractère institutionnel du marché : le commerce « administré », les places de commerce spécifiques (ports of trade ), le rôle de la monnaie dans l’unification progressive de l’économie et le développement du marché. Cette importance des conditions institutionnelles n’est nullement absente de l’économie contemporaine, qu’il s’agisse de nombre de commerces spéciaux (armement lourd, équipements spatiaux, nucléaire, etc.), des zones économiques spéciales (zones franches, etc.) ou tout simplement des hiérarchies monétaires qui reconstituent, au sein d’un espace planétaire capitaliste théoriquement ouvert au marché, des sphères distinctes de circulation économique, avec des accords de trocs transnationaux qui se substituent à la monnaie défaillante, pour cause de pénurie de devises (ex. les échanges voitures-café de la Régie Renault). (…) On ne rappellera jamais assez, non plus, que le fonctionnement de l’économie de marché suppose réunies un certain nombre de conditions d’ordre institutionnel : sécurité des transactions (dimension politique du marché), existence d’une demande solvable exigeant la rémunération substantielle et durable des agents économiques (dimension sociale), formation d’une épargne disponible pour l’investissement (reproduction élargie de l’offre). (…) Les aspects institutionnels sont, pour l’économie de marché, beaucoup plus que nécessaires : consubstantiels » (Robineau 1994).

18 O. Lange (1936-1937), « Sur la théorie économique du socialisme », tiré de l’édition dans le recueil Socialist Economics, Penguin Books, 1972 ; rapporté dans : Denis 1977 : 537. Voir aussi, sur le socialisme de marché : Coutrot 2002. 19 Cela n’empêche pas que Marx soit resté piégé, dans son système théorique, par le physicalisme des économistes classiques (Gislain 2003).

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18. L’économie capitaliste comme système différencié : l’« économie de marché » est

souvent considérée comme si elle était une réalité homogène dans tous les pays capitalistes.

Pourtant, il y a autant de « capitalismes » qu’il y a de pays concernés. Par exemple, les écrits sur

les « régimes d’État-providence », avec les nombreuses typologies qu’ils offrent, montrent

clairement à quel point les pays se distinguent fortement les uns les autres en ce qui a trait à leur

systèmes de politiques sociales et de politiques de l’emploi. Mais ce ne sont là que des dispositifs

particuliers intégrés dans des ensembles tout aussi différenciées : « (…) le style des politiques

économiques demeure imprégné de fortes spécificités nationales. La plus ou moins grande

indépendance de la Banque centrale, la nature et l’ampleur des interventions publiques, le degré

de coopération capital-travail permis par les relations industrielles, la qualité de la spécialisation

industrielle définissent autant de contraintes ou d’opportunités pour la politique économique et,

par extension, façonnent des trajectoires nationales fortement contrastées. Cet enracinement

institutionnel est tout aussi important que les grands basculements politqiues ou idéologiques qui

se sont succédé depuis le début des années quatre-vingt » (Boyer 2000 : 27). D’où d’ailleurs la

force de l’analyse comparative : chaque système national ne devient pleinement compréhensible

qu’une fois analysé en relation avec les autres systèmes nationaux.

19. L’importance des « marchés publics » : on parle souvent de « l’économie de marché »

comme s’il s’agissait d’une économie composée essentiellement d’entreprises privées. On oublie

ainsi que, dans les faits, une grande part de la richesse nationale est régie par les autorités

publiques, ne serait-ce qu’en raison de l’existence des marchés publics, c’est- à-dire « l’ensemble

des achats de biens et de services des collectivités publiques réalisés pour l’approvisionnement et

l’équipement du secteur public » ; ces « achats constituent, potentiellement ou de fait, un moyen

d’intervention publique considérable et utilisé à des degrés et selon des objectifs différents,

suivant les pays et les types d’acteurs publics » (Burmeister 1994 : 183)20.

20. « Dérégulation » signifie nouvelle régulation : des phrases ou des mots simples, en

apparence évidents ou anodins, sont repris tels quels dans les analyses, alors que ceux-ci qui

viennent renforcer l’idée de l’existence d’un « marché autorégulateur ». Par exemple, on entérine

20 En France, par exemple, environ la moitié du revenu national est « filtrée » par l’État, sous forme de prélèvements et de restitutions (Gazier 2003 : 105).

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l’analyse de la transformation de l’économie qui s’élabore en termes de « dérégulation », terme

qui signifie explicitement que le « marché » opèrerait avec « moins de règles » qu’auparavant.

Cela laisse aussi entendre que « si la tendance se maintient », le marché opérera sans règles : la

fiction de l’« auto-régulation » est atteinte. Pourtant, ce que l’on appelle la « dérégulation »

renvoie à un processus tout aussi intensif de production de règles que celui qui a préalablement

conduit aux règles que l’on veut supprimer : « les vagues de déréglementation s’accompagnent

ipso facto, de nouvelles réglementations restaurant le jeu complexe des relations État-marché »

(Bellon et al. 1994 :11). Ce qui doit être analysé donc, ce n’est pas le pseudo-retrait de l’État de

l’espace économique, que viendrait recouvrir automatiquement un « marché » à l’identité

toujours floue et indéterminée, c’est le processus de transformation des formes d’intervention des

acteurs publics et des acteurs privés dans les organisations économiques.

De la même manière, les revendications des groupes à l’effet qu’il faut mettre en place « une

régulation politique de l’économie » ou encore une « régulation sociale de l’économie » sont

représentatives de l’assimilation du modèle de marché dans les représentations. En effet, ce type

d’énoncés signifie implicitement que l’économie peut fonctionner sans régulations politique ou

sociale et donc, que l’ordre spontané du marché est une réalité.

21. L’ambiguïté de la notion de « désencastrement » : certains auteurs, qui sont considérés

comme étant emblématiques du courant de l’hétérodoxie en sciences sociales, n’en sont pas

moins demeurés très ambigus pour ce qui est de leur position face aux représentations

essentialistes du marché, cela en endossant l’hypothèse du « marché concurrentiel auto-

régulateur ». Nous pensons en particulier ici à Karl Polanyi21 et à sa notion d’« encastrement »

(embeddedness), dont celle de « désencastrement » est le corollaire. Ces deux notions sont

reprises aujourd’hui telles quelles par des auteurs appartenant à de nombreux courants opposés à

l’orthodoxie (sociologie économique, économie des réseaux22, économie solidaire/économie

sociale, etc.), sans aucun recul critique. Pourtant, il apparaît, que le sens prêté par K. Polanyi

(1983/1944) à ces notions est, pour le moins, ambigu. Comme l’indique, à juste titre, Ragip Ege :

« les thèses de Polanyi qui portent sur l’avènement et l’instauration du marché concurrentiel dans

21 K. Polanyi, économiste et historien d’origine hongroise, a développé une riche réflexion concernant la question du marché ; l’un de ses ouvrages les plus fréquemment cités est : Polanyi 1983 (1ère édition : 1944). 22 On ne peut s’empêcher de penser ici à un auteur comme Mark Granovetter, dont les travaux sont très marquants actuellement en économie et en sociologie, et dont la réflexion est fortement imprégnée par la notion d’encastrement.

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l’histoire (…) présentent, à nos yeux, une certaine contradiction avec la propre vision

institutionnaliste de l’auteur » (Ege 1994 : 56).

La notion d’encastrement fait référence au fait que l’économie, c’est- à-dire l’ensemble des

activités de production, d’échange et de consommation, est subordonné au système de besoins de

la société, donc est maîtrisé et régulé par la structure sociale. Inversement, l’économie est

« désencastrée » lorsqu’elle est dominée par le « marché », ou le « système de marché » :

« la maîtrise du système économique par le marché a des effets irrésistibles sur l’organisation tout entière de la société : elle signifie tout bonnement que la société est gérée en tant qu’auxiliaire du marché. Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique. L’importance vitale du facteur économique pour l’existence de la société exclut tout autre résultat. Car, une fois que le système économique s’organise en institutions séparées, fondées sur des mobiles déterminés et conférant un statut spécial, la société doit prendre une forme telle qu’elle permette à ce système de fonctionner suivant ses propres lois. C’est là le sens de l’assertion bien connue qui veut qu’une économie de marché ne puisse fonctionner que dans une société de marché » (Polanyi 1983/1944 : 88).

L’ambition de K. Polanyi est de resituer l’« économie de marché » dans l’histoire pour en montrer le

caractère relatif et les particularités23. L’auteur explique ainsi que, si les faits économiques sont

originellement « encastrés » dans la structure sociale, tel n’est plus le cas avec le « passage des

marchés isolés à une économie de marché, et celui des marchés régulés au marché

autorégulateur », moment historique que l’auteur situe au XIXe siècle, dans la foulée des

changements apportés aux lois sur les pauvres en Angleterre. Les institutions se conformeront

alors « sur beaucoup de points essentiels, au schéma de marché » (Polanyi 1983/1944 : 260) :

« (l)’économie de marché est une structure institutionnelle qui, comme nous l’oublions trop facilement, n’a pas existé à d’autres époques que la nôtre – et, même à notre époque, elle n’a pas existé partout. (…) Ce n’est que dans le cadre institutionnel de l’économie de marché que les lois du marché sont pertinentes (…) » (Polanyi 1983/1944 : 65). « Avant de pouvoir entreprendre la discussion des lois qui gouvernent une économie de marché, telle que le XIXe siècle cherchait à la créer, il nous faut d’abord bien saisir les hypothèses extraordinaires qui sont à la base d’un pareil système. L’économie de marché suppose un système autorégulateur de marchés ; pour employer des termes un peu plus techniques, il s’agit d’une économie gouvernée par les prix du marché et par eux seuls. On peut assurément dire d’un tel système, capable d’organiser la totalité de la vie économique sans aide ou intervention extérieure, qu’il est autorégulateur. Ces indications sommaires devraient suffire à montrer la nature absolument sans précédent de cette aventure dans l’histoire de la race humaine. (…) Aucune société ne saurait naturellement vivre, même pour peu de temps, sans posséder une

23 « Le système du marché formateur des prix n’est qu’un type parmi d’autres de systèmes économiques. L’ambition polanyienne (…) est de construire une économique générale qui (…) est susceptible d’intégrer dans un système général tous les éléments humains qui doivent contenir les données économiques. L’économie humaine, opposée à l’économie formelle, doit contenir les différents éléments qui permettent le repérage des systèmes économiques et leur comparaison » (Robineau 1994).

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économie d’une sorte ou d’une autre ; mais avant notre époque, aucune économie n’a jamais existé qui fût, même en principe, sous la dépendance des marchés » (Polanyi 1983/1944 : 71).

On voit bien ici ce que nous avons appelé l’ambiguïté de Polanyi, à savoir cette oscillation

permanente entre la description d’un modèle idéel, celui du libéralisme (le niveau de l’idéologie),

et celle d’une période historique réelle, cas de figure qui donnerait à croire que l’économie peut,

dans les faits, s’autonomiser des structures sociales et trouver en elle-même ses propres principes

de régulation24. Or, comme l’affirme Aymeric de Pontvianne (2000 : 194-195), en présentant les

vues de Fernand Braudel sur la nature du « marché », le « marché « autorégulateur » est une

notion « théologique », et la société n’a jamais été et ne sera jamais soumise à l’économique (sic),

qu’il refuse de penser comme une réalité séparée ». Aussi :

« S’il y a « désencastrement » de l’économique, c’est une nouvelle structure sociale qui le rend possible. Rigoureusement parlant, la société ne peut pas devenir un simple « auxiliaire » du marché, puisque ce sont des dispositions politico-juridiques particulières qui constituent les conditions de possibilité de cette institution qu’est le marché » (Ege 1994 : 59).

Cette ambiguïté du discours a été transmise aux générations suivantes, car Polanyi a fait de

nombreux émules en sciences sociales. Ainsi, elle ressurgit systématiquement dans les écrits de

ceux- là mêmes qui prétendent dénoncer le discours des économistes orthodoxes. Nous avons

choisi, parmi cent autres, un petit exemple de cette confusion dont nous parlons, dans un texte

consacré précisément à la dénonciation des économistes néo-classiques :

« Et pourtant, il y a de l’équilibre. Et pourtant, il existe de l’harmonie sociale. Pourquoi ? Parce qu’il y a du lien autre qu’économique, évidemment car le lien économique laissé à lui-même est purement destructeur. Il y a du lien social, de l’affection, de l’amitié, du lien féodal, de la soumission, de l’altruisme, de la coopération, du don, de la confiance, de la gratuité, de la convention, de la coutume, de la loi, de la prédation. Il y a surtout énormément de gratuité pure dans les actions humaines » (Maris 2003 :81).

L’idée selon laquelle il ait pu ou il puisse exister ce que l’auteur appelle un « lien économique

laissé à lui-même » est précisément ce contre quoi nous nous insurgeons. Les relations dites

« économiques » sont nécessairement traversées par les composantes que l’auteur oppose ici à la

dimension « économique » : la coutume, la confiance, la prédation, etc., bref, par tout ce qui

constitue l’épaisseur des relations sociales.

24 Une autre citation de Polanyi (1983/1944 : 69-70) illustre le même glissement de sens qui est perceptible dans ses propos : « Mais la particularité la plus frappante du système (le « système de marché », « par lequel nous désignons le modèle institutionnel que nous avons décrit ») réside dans ce qu’une fois qu’il est établi, il faut lui permettre de fonctionner sans intervention extérieure » ; c’est nous qui soulignons.

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22. Le problème de l’opposition « marché »/« État » : comme les féministes l’ont

amplement montré pour certaines oppositions binaires, comme celle de la famille et de l’État, il

peut être trompeur de renvoyer dos à dos des entités qui, dans les faits, se complètent souvent

plus qu’elles ne s’opposent. Tel est aussi le cas du « marché » et de l’« État » :

« Opposer l’État et le marché est à la mode. Pourtant une telle opposition est mal fondée. Elle renvoie, en effet, en général non pas à la réalité des fonctionnements sociaux, mais seulement aux mythes que les économistes ont forgés et progressivement sophistiqués selon des processus autoréférentiels destinés à affirmer la puissance sociale de la profession » (Thérêt 1994 : 68).

En réalité, il existe une articulation très étroite entre l’État et le marché : « (l’État et le marché

sont) deux structures qui, tout en s’excluant au plan logique, sont interdépendantes

historiquement. Il s’agit de systèmes de pratiques contradictoires qui pourtant coexistent,

éventuellement même au sein d’une organisation unique, comme dans le cas d’une entreprise

marchande assujettie à une mission non marchande de service public » (Thérêt 1994 : 69). Ainsi,

historiquement, on peut considérer que le « marché » est une création du pouvoir politique :

« le marché médiéval, la première véritable organisation qui mérite le terme de marché, est totalement créé, administré, réglé par le pouvoir local. Lieu de l’échange, le marché doit se conformer à la norme qui est édictée « politiquement », afin que le déroulement de la transaction corresponde au cadre limitatif qui lui est assigné. On voit d’emblée dans l’Histoire que le marché, dès son origine, s’entend comme une aire de relative liberté, encadrée, surveillée et balisée par les instances locales du pouvoir » (Henoschsberg 2001 : 42).

À bien des égards, le « marché » n’existe que par la force structurante de l’État : « l’économie

de marché est fondamentalement institutionnalisée et (…) en conséquence, elle requiert un

pouvoir fort pour faire respecter le fonctionnement de ces institutions » (Bellon et al. 1994 :14).

La monnaie, les réglementations prudentielles garantissant la stabilité du système financier, les

politiques publiques (politiques industrielles, politique scientifique, politiques de l’emploi,

politiques sociales, etc.), l’armature juridique nationale ou internationale – composante

fondamentale de la « vie économique »25 –, la coordination des politiques aux échelons supra-

nationaux (niveaux communautaire ou international), etc., toutes ces institutions « économiques »

25 « L’élément stratégique de la vie économique est le contrôle légal plutôt que le contrôle physique. De ce point de vue, la vie économique peut être comprise en termes « processuels » comme étant constituée de suites ininterrompues de transferts légaux de droits de propriété (…). Les règles définissant les droits de propriété

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sont des émanations, sous des formes et à des degrés divers, du pouvoir de l’État. D’où d’ailleurs

l’ambiguïté de la notion d’« intervention » de l’État :

« D’un côté, celle -ci évoque l’idée que les pouvoirs publics jouent un rôle dans le fonctionnement de l’économie, mais, d’un autre, elle suggère l’idée que l’État est un tiers, s’immisçant dans un monde, le marché, qui lui est étranger. Or, (…) il est difficile de considérer l’État comme exogène » (Bellon et al. 1994 :16).

Pour donner deux exemples très précis de la manière dont l’opposition « marché »/« État »

peut empêcher de comprendre la nature de certaines transformations, parlons, tout d’abord, du

domaine des retraites. Lorsque l’État contribue, par exemple, au financement du système public

de pensions, on reconnaît ouvertement son action structurante dans le champ de la sécurité

sociale. Inversement, cette intervention n’est pas reconnue comme telle lorsqu’il agit pourtant

tout aussi activement, via les dépenses fiscales (déductions, exemptions, etc.), pour favoriser la

constitution d’un capital individuel de protection privée pour la retraite (par exemple, par des

régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER), qui procurent à leurs titulaires des avantages

fiscaux). On a ici une illustration claire d’un processus de structuration d’une « logique privée »

de couverture contre les risques sociaux par l’État, au détriment de la consolidation de la

« protection sociale ». Ainsi, ce que l’on appelle le « moins d’État » signifie souvent simplement

de « l’État autrement », modalités d’intervention autres qu’il est par ailleurs essentiel de bien

cerner si l’on veut que la transformation des institutions reste intelligible. Deuxième exemple

d’un mode de structuration étatique du secteur « privé », cette fois-ci des pratiques d’entreprises,

celui des modalités de rémunération du travail sur le « marché du travail ». À l’heure actuelle, se

généralisent dans les pays de l’OCDE des mesures de « supplémentation du revenu », en vertu

desquelles l’État finance une partie de la rémunération des bas salariés, au moyen d’aides directes

ou fiscales. Ce faisant, l’État contribue au maintien de faibles salaires par des politiques

publiques permettant aux employeurs de se départir de leur responsabilité de bien rémunérer le

travail (to make work pay) ; on ne peut s’empêcher, au passage, de noter la contradiction que

représente ce type de pratiques par rapport à l’idéologie de la responsabilité individuelle qui fait

également florès et dont, curieusement, seraient exemptés certains employeurs26. Toujours est -il

structurent la production de même que les processus de distribution. Il n’y a rien de « naturel » dans le caractère concret de ces règles et dans les processus qu’elles effectuent » (Ramstad 1998 :311) ; c’est nous qui traduisons. 26 C’est également ce que fait ressortir Bernard Gazier (2003 : 108) lorsqu’il affirme que les subventions à l’emploi à plein temps, qui permettent aux employeurs « de disposer indéfiniment d’un volant de main -d’œuvre mal payée »,

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que nous sommes ici dans un cas de figure où la rémunération du travail, supposément

déterminée par les mécanismes du « marché du travail », devient une fonction de l’État qui, de ce

fait, pratique une forme d’« assistance sociale aux entreprises », beaucoup plus rarement

dénoncée sur la place publique que ne le sont les formes d’assistance sociale traditionnelles. Une

fois de plus donc, l’opposition stricte entre le « marché » et l’« État » ne permet pas de prendre en

compte l’existence de ces modalités d’interventions croisées des acteurs publics et privés.

23. L’alternative à l’analyse en termes de « marché » est une analyse en termes

d’« institutions » : ce que l’on appelle le « marché » renvoie en fait à un ensemble de

transactions conduites, négociées et conclues entre différents groupes d’acteurs, dont les identités

sont variées et multiformes, dont l’État (qu’il faut aussi appréhender à différents niveaux) n’est

pas le moindre. Le marché est une « forme institutionnelle qui s’actualise dans une série

d’organisations différentes » (Thérêt 1994 : 68), bref il est et ne peut être strictement question de

rien d’autre qu’une « construction sociale ». Pour saisir la nature des interventions qui structurent

l’économie, il faut s’intéresser à des questions comme celles-ci :

- quel groupe d’acteurs intervient dans l’économie (c’est- à-dire porter un intérêt à

examiner la provenance des interventions : l’État national, les instances régionales,

les municipalités ; les employeurs ou les groupes d’employeurs ; les types

d’entreprises : petite, moyenne, grosse ; liée uniquement au réseau local, agissant à

l’échelle internationale ou mondiale, etc.) ?

- quels types de relations sociales sont en jeu (rapport de coercition, de persuasion,

de concurrence, de collusion, de collaboration ou de confiance, de domination) et

selon quelle combinaison ?

- quelles sont les stratégies et les logiques d’action qui sont mises de l’avant par les

acteurs ?

- quelles formes juridiques et quels contenus substantifs viennent formaliser les

relations économiques (au niveau des rapports de propriété, ou plus généralement

en termes de « droits et de devoirs » de chacune des parties) ?

sont ainsi « en contradiction avec l’un des buts les plus constants de la société américaine, qui est de permettre à chacun de conquérir son autonomie complète sur le marché du travail ».

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- en somme, quels sont les « faits organisationnels » à l’étude ou, plus

théoriquement, comment sont « instituées » les réalités économiques ?

Comme le souligne Michel Capron, deux écueils doivent être évités :

« - se tromper de cible en se focalisant sur une notion abstraite, imaginaire et, somme toute, idéologique, du mythique « marché » des libéraux ; - ne percevoir la régulation qu’au travers du rôle de l’Etat, alors que les formes d’organisation sont multiples depuis la hiérarchie de l’entreprise jusqu’aux « rounds » commerciaux (type GATT), en passant par les réseaux, les ententes, les accords et contrats en tous genres, qui, eux, peuvent aussi faire l’objet de contrôle démocratique » (Capron 1993).

L’alternative à l’analyse en termes de « marché » consiste à éviter l’utilisation des concepts de

l’économie standard pour recourir à une analyse en termes d’« institutions » (basée notamment

sur les concepts d’acteurs, de stratégies, de transactions27, de futurité, de droits et de devoirs,

etc.). Car la coupure fondamentale entre les économistes et ce, depuis le dix-huitième siècle,

s’opère au niveau de la représentation de ce qu’est l’économie : un « fait de nature » ou un « fait

institué » (Gislain 2003). Donc, d’un côté, se trouvent les économistes orthodoxes, qui posent

l’économie comme un fait de nature, de l’autre ceux qui considèrent que, « comme tout fait de

société, l’économie est une construction sociale » :

Si le choix de l’économiste se porte, selon une préconception ou une vision différente de l’orthodoxie, sur le fondement premier suivant lequel l’économi e est un fait institué - une construction sociale historique et évolutive -, alors, les directions épistémologiques et analytiques quant aux rapports entre économie et institutions économiques seront elles aussi différentes. La relation entre l’économie et les institutions économiques est conçue maintenant comme un rapport de cofondation : l’économie est appréhendée comme une des variétés de l’activité humaine instituée » (Gislain 2003 : 2).

Ce passage de la notion de « marché » à celle d’institutions permet aussi d’analyser

ouvertement les formes concrètes des organisations capitalistes (et dès lors, les « marchés »

entendus cette fois-ci comme des « formes organisationnelles » réelles, correspondant à la

première définition que nous avons présentée au début de ce texte). Car l’analyse néo-classique

en termes de marché, outre qu’elle dirige l’analyse vers des questions fictives, est aussi une

manière euphémisée d’éviter de parler du « capitalisme » :

27 Les termes en italique sont les concepts développés par l’économiste John R. Commons (1934).

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- « Cet accent mis sur un « marché » illusoire et cet appauvrissement énorme de l’appareil heuristique empêchèrent les économistes qui voulaient faire un travail de recherche appliquée de comprendre quoi que ce soit à des choses aussi fondamentales que l’entreprise, la monnaie, l’État, les monopoles, les ententes et la concentration des firmes, les salaires et le chômage, les habitudes de consommation, les syndicats, les spécialisations industrielles… Plutôt que d’expliquer le capitalisme, l’économie préféra ne rien expliquer. - Un réexamen de la notion de marché doit donc tenir compte des erreurs du passé et aborder la question des relations entre les marchés et le capitalisme » (Pontvianne 2000 : 188).

L’analogie peut ici s’établir clairement entre les termes de « capitalisme » et de « patriarcat »,

expressions qui rendent compte de rapports de pouvoir dans la société que l’on préfère laisser

dans l’ombre28 : « La gauche s’est (…) laissé prendre au piège de l’idéologie néolibérale en

adoptant le vocable empoisonné d’« économie de marché ». Elle a tout simplement gommé le

capitalisme de son paysage idéologique, comme s’il avait disparu avec le Mur de Berlin.

Évidemment, les mesures prises s’en ressentent. » (Pontvianne 2000 : 205-206).

En somme, la notion de « marché » est, d’une part, abstraite. Il s’agit d’une fiction, tout

comme l’est le libéralisme, qui, en tant que modèle idéal, est, comme le communisme le fut face

au « socialisme réel », en faillite totale dans les faits (comme le montre surtout la concentration

des pouvoirs dans l’économie). D’autre part, la not ion de « marché » est, aspect qu’il ne faut

surtout pas négliger, chargée idéologiquement. Cette fiction, autrement dit, est mise au service

d’intérêts politiques bien particuliers :

« C’est ainsi que se met en place un nouveau consensus, fondé surtout sur la résignation et le sentiment d’impuissance. L’idée se répand d’une économie sans visage, dont les vrais agents ne sont plus des hommes, pas même des entreprises, mais le Marché lui-même, non plus des spéculations mais «la spéculation», la Bourse, tout un réseau d’abstractions reliées entre elles par des mécanismes extra -humains. Les chefs politiques et les hommes d’affaires, dont les portraits nous harcèlent à chaque instant, ont beau faire semblant de maîtriser la machine, ils sont comme les dieux de la Grèce antique, souvent redoutables, mais soumis eux-mêmes à des contraintes plus fortes, à des lois obscures et anonymes. Ce curieux mélange de fatalisme et de déterminisme économique, masque avantageusement la réalité des forces sociales et des conflits qui les opposent. Il dissimule, sous l’apparente rigueur de mécanismes idéaux, la complexité des affrontements réels, économiques, politiques, sociaux, culturels - nationaux et internationaux - inextricablement imbriqués. La vision simplifiée de l’économie qu’il impose devient ainsi, pour les catégories «perdantes», c’est-à-dire pour l’immense majorité des gens, un puissant facteur de désespérance » (Bridier 1993).

Et, en guise de conclusion, la citation suivante, de Claude Lévi-Strauss29 :

28 Ce point est ressorti fort clairement des échanges qui ont eu lieu lors du colloque où nous avons présenté cette communication. 29 C. Lévi-Strauss. 1962. Le totémisme aujourd’hui, PUF, Paris ; cité par : Alain Rallet. « La notion de « Réseau » en économie : un concept ou un fantôme analytique ? », http://www.jm.u -psud.fr/~pesor/debats/Rallet.htm.

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« Accepter comme thème de discussion une catégorie qu’on croit fausse expose toujours à un risque : celui d’entretenir, par l’attention qu’on lui prête, quelque illusion sur sa réalité. Pour mieux cerner un obstacle imprécis, on soulignera des contours dont on voulait seulement montrer l’inconsistance ; car en s’attaquant à une théorie mal fondée, la critique commence par lui rendre une sorte d’hommage. Le fantôme, imprudemment évoqué dans l’espoir de le conjurer définitivement, n’aura disparu que pour surgir de nouveau, et moins loin qu’on ne s’imagine du lieu où il était apparu en premier ».

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