Mort a credit - Louis-Ferdinand Céline.pdf

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  • Louis-Ferdinand Cline

    Mort crdit

  • MORT CRDIT Roman

    Lucien Descaves

  • Habillez-vous ! Un pantalon !

    Souvent trop court, parfois trop long.

    Puis veste ronde !

    Gilet, chemise et lourd bret

    Chaussures qui sur mer feraient

    Le tour du Monde !...

    Chanson de prison.

  • Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste... Bientt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne mont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misrables et lents chacun dans un coin du monde.

    Hier huit heures Mme Brenge, la concierge, est morte. Une grande tempte slve de la nuit. Tout en haut, o nous sommes, la maison tremble. Ctait une douce et gentille fidle amie. Demain on lenterre rue des Saules. Elle tait vraiment vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit ds le premier jour quand elle a touss : Ne vous allongez pas surtout !... Restez assise dans votre lit ! Je me mfiais. Et puis voil... Et puis tant pis.

    Je nai pas toujours pratiqu la mdecine, cette merde. Je vais leur crire quelle est morte Mme Brenge ceux qui mont connu, qui lont connue. O sont-ils ?

    Je voudrais que la tempte fasse encore bien plus de boucan, que les toits scroulent, que le printemps ne revienne plus, que notre maison disparaisse.

    Elle savait Mme Brenge que tous les chagrins viennent dans les lettres. Je ne sais plus qui crire... Tous ces gens sont loin... Ils ont chang dme pour mieux trahir, mieux oublier, parler toujours dautre chose...

    Vieille Mme Brenge, son chien qui louche on le prendra, on lemmnera...

    Tout le chagrin des lettres, depuis vingt ans bientt, sest arrt chez elle. Il est l dans lodeur de la mort rcente,

  • lincroyable aigre got... Il vient dclore... Il est l... Il rde... Il nous connat, nous le connaissons prsent. Il ne sen ira plus jamais. Il faut teindre le feu dans la loge. qui vais-je crire ? Je nai plus personne. Plus un tre pour recueillir doucement lesprit gentil des morts... pour parler aprs a plus doucement aux choses... Courage pour soi tout seul !

    Sur la fin ma vieille bignolle, elle ne pouvait plus rien dire. Elle touffait, elle me retenait par la main... Le facteur est entr. Il la vue mourir. Un petit hoquet. Cest tout. Bien des gens sont venus chez elle autrefois pour me demander. Ils sont repartis loin, trs loin dans loubli, se chercher une me. Le facteur a t son kpi. Je pourrais moi dire toute ma haine. Je sais. Je le ferai plus tard sils ne reviennent pas. Jaime mieux raconter des histoires. Jen raconterai de telles quils reviendront, exprs, pour me tuer, des quatre coins du monde. Alors ce sera fini et je serai bien content.

    la clinique o je fonctionne, la Fondation Linuty on ma dj fait mille rflexions dsagrables pour les histoires que je raconte... Mon cousin Gustin Sabayot, cet gard il est formel : je devrais bien changer mon genre. Il est mdecin lui aussi, mais de lautre ct de la Seine, la Chapelle-Jonction. Hier jai pas eu le temps daller le voir. Je voulais lui parler justement de Mme Brenge. Je my suis pris trop tard. Cest un mtier pnible le ntre, la consultation. Lui aussi le soir il est vann. Presque tous les gens ils posent des questions lassantes. a sert rien quon se dpche, il faut leur rpter vingt fois tous les dtails de lordonnance. Ils ont plaisir faire causer, ce quon spuise... Ils en feront rien des beaux conseils, rien du tout.

  • Mais ils ont peur quon se donne pas de mal, pour tre plus srs ils insistent ; cest des ventouses, des radios, des prises... quon les tripote de haut en bas... Quon mesure tout... Lartrielle et puis la connerie... Gustin lui la Jonction a fait trente ans quil pratique. Les miens, mes pilons, jy pense, je vais les envoyer un beau matin la Villette, boire du sang chaud. a les fatiguera ds laurore... Je ne sais pas bien ce que je pourrais faire pour les dgoter...

    Enfin avant-hier jtais dcid daller le voir, le Gustin, chez lui. Son bled cest vingt minutes de chez moi une fois quon a pass la Seine. Il faisait pas joli comme temps. Tout de mme je mlance. Je me dis je vais prendre lautobus. Je cours finir ma sance. Je me dfile par le couloir des pansements. Une gonzesse me repre et maccroche. Elle a un accent qui tranaille, comme le mien. Cest la fatigue. En plus a racle, a cest lalcool. Maintenant elle pleurniche, elle veut mentraner. Venez Docteur, je vous supplie !... ma petite fille, mon Alice !... Cest rue Rancienne !... cest deux pas !... Je ne suis pas forc dy aller. En principe moi je lai finie, ma consultation !... Elle sobstine... Nous sommes dehors... Jen ai bien marre des grotants... En voici trente emmerdeurs que je rafistole depuis tantt... Jen peux plus... Quils toussent ! Quils crachent ! Quils se dsossent ! Quils sempdrent ! Quils senvolent avec trente mille gaz dans le croupion !... Je men tartine !... Mais la pleureuse elle magrafe, elle se pend vachement mon cou, elle me souffle son dsespoir. Il est plein de rouquin ... Je suis pas de force lutter. Elle me quittera plus. Quand on sera dans la rue des Casses qui est longue et sans lampe aucune, peut-tre que je vais lui refiler un grand coup de pompe dans les miches... Je suis lche encore... Je me dgonfle... Et a recommence, la chansonnette. Ma petite fille !... Je vous en supplie, Docteur !... Ma petite Alice !... Vous la connaissez ?... La rue Rancienne cest pas si prs... a me dtourne... Je la connais. Cest aprs les Usines aux cbles... Je lcoute travers ma berlue... On na que 82 francs par semaine... avec deux enfants !... Et puis mon mari qui est terrible avec moi !... Cest une honte, mon cher Docteur !...

  • Tout a cest du mou, je le sais bien. a pue le grain pourri, lhaleine des pituites...

    On est arriv devant la tle...

    Je monte. Je masseye enfin... La petite mme porte des lunettes.

    Je me pose ct de son lit. Elle joue quand mme un peu encore avec la poupe. Je vais lamuser mon tour. Je suis marrant, moi, quand je my donne... Elle est pas perdue la gniarde... Elle respire pas trs librement... Cest congestif cest entendu... Je la fais rigoler. Elle stouffe. Je rassure la mre. Elle en profite, la vache, alors que je suis paum dans sa crche pour me consulter son tour. Cest cause des marques des torgnioles, quelle a plein les cuisses. Elle retrousse ses jupes, des normes marbrures et mme des brlures profondes. a cest le tisonnier. Voil comme il est son chmeur. Je donne un conseil... Jorganise avec une ficelle un petit va-et-vient trs drle pour la moche poupe... a monte, a descend jusqu la poigne de la porte... cest mieux que de causer.

    Jausculte, y a des rles en abondance. Mais enfin cest pas si fatal... Je rassure encore. Je rpte deux fois les mmes mots. Cest a qui vous pompe... La mme elle se marre prsent. Elle se remet suffoquer. Je suis forc dinterrompre. Elle se cyanose... Y a peut-tre un peu de diphtrie ? Faudrait voir... Prlever ?... Demain !...

    Le papa rentre. Avec ses 82 francs, on se tape rien que du cidre chez lui, plus de vin du tout. Je bois au bol. a fait pisser ! quil mannonce tout de suite. Il boit au goulot. Il me montre... on se congratule quelle est pas si mal la mignonne. Moi, cest la poupe qui me passionne... Je suis trop fatigu pour moccuper des adultes et des pronostics. Cest la vraie caille les adultes ! Jen ferai plus un seul avant demain.

    Je men fous quon me trouve pas srieux. Je bois la sant encore. Mon intervention est gratuite, absolument supplmentaire. La mre me ramne ses cuisses. Je donne un suprme avis. Et puis, je descends lescalier. Sur le trottoir voil un petit chien qui boite. Il me suit dautorit. Tout maccroche ce soir. Cest un petit fox ce chien-l, un noir et blanc. Il est perdu a me parat. Cest ingrat les chmeurs den haut. Ils ne

  • me raccompagnent mme pas. Je suis sr quils recommencent se battre. Je les entends qui gueulent. Quil lui fonce donc son tison tout entier dans le trou du cul ! a la redressera la salope ! a lapprendra me dranger !

    prsent je men vais sur la gauche... Sur Colombes, en somme. Le petit chien, il me suit toujours... Aprs Asnires cest la Jonction et puis mon cousin. Mais le petit chien boite beaucoup, Il me dvisage. a me dgote de le voir tranasser. Faut mieux que je rentre aprs tout. On est revenu par le Pont Bineux et puis le rebord des usines. Il tait pas tout fait ferm le dispensaire en arrivant... Jai dit Mme Hortense : On va nourrir le petit clebs. Il faut que quelquun cherche de la viande... Demain la premire heure on tlphonera... Ils viendront de la Protectrice le chercher avec une auto. Ce soir il faudrait lenfermer. Alors je suis reparti tranquille. Mais ctait un chien trop craintif. Il avait reu des coups trop durs. La rue cest mchant. Le lendemain en ouvrant la fentre, il a mme pas voulu attendre, il a bondi lextrieur, il avait peur de nous aussi. Il a cru quon lavait puni. Il comprenait rien aux choses. Il avait plus confiance du tout. Cest terrible dans ces cas-l.

    Il me connat bien Gustin. Quand il est jeun il est dun excellent conseil. Il est expert en joli style. On peut se fier ses avis. Il est pas jaloux pour un sou. Il demande plus grand-chose au monde. Il a un vieux chagrin damour. Il a pas envie de le quitter. Il en parle tout fait rarement. Ctait une femme pas srieuse. Gustin cest un cur dlite. Il changera pas avant de mourir.

  • Entre-temps, il boit un petit peu...

    Mon tourment moi cest le sommeil. Si javais bien dormi toujours jaurais jamais crit une ligne.

    Tu pourrais, ctait lopinion Gustin, raconter des choses agrables... de temps en temps... Cest pas toujours sale dans la vie... Dans un sens cest assez exact. Y a de la manie dans mon cas, de la partialit. La preuve cest qu lpoque o je bourdonnais des deux oreilles et encore bien plus qu prsent, que javais des fivres toutes les heures, jtais bien moins mlancolique... Je trafiquais de trs beaux rves... Mme Vitruve, ma secrtaire, elle men faisait aussi la remarque. Elle connaissait bien mes tourments. Quand on est si gnreux on parpille ses trsors, on les perd de vue... Je me suis dit alors : La garce de Vitruve, cest elle qui les a planqus quelque part... Des vritables merveilles... des bouts de lgende... de la pure extase... Cest dans ce rayon-l que je vais me lancer dsormais... Pour tre plus sr je trifouille le fond de mes papiers... Je ne retrouve rien... je tlphone Delumelle mon placeur ; je veux men faire un mortel ennemi... Je veux quil rle sous les injures... Il en faut pour le cailler !... Il sen fout ! Il a des millions. Il me rpond de prendre des vacances... Elle arrive enfin, ma Vitruve. Je me mfie delle. Jai des raisons fort srieuses. O que tu las mise ma belle uvre ? que je lattaque comme a de but en blanc. Jen avais au moins des centaines des raisons pour la suspecter...

    La Fondation Linuty ctait devant le ballon en bronze la Porte Pereire. Elle venait l me rendre mes copies, presque tous les jours quand javais fini mes malades. Un petit btiment temporaire et ras depuis. Je my plaisais pas. Les heures taient trop rgulires. Linuty qui lavait cre ctait un trs grand millionnaire, il voulait que tout le monde se soigne et se trouve mieux sans argent. Cest emmerdant les philanthropes. Jaurais prfr pour ma part un petit business municipal... Des vaccinations en douce... Un petit cond de certificats... Un bain-douche mme... Une espce de retraite en somme. Ainsi soit-il. Mais je suis pas Zizi, mtque, ni Franc-Maon, ni Normalien, je sais pas me faire valoir, je baise trop, jai pas la bonne rputation... Depuis quinze ans, dans la Zone, quils me

  • regardent et quils me voient me dfendre, les plus rsidus tartignolles, ils ont pris toutes les liberts, ils ont pour moi tous les mpris. Encore heureux de ne pas tre vir. La littrature a compense. Jai pas me plaindre. La mre Vitruve tape mes romans. Elle mest attache. coute ! que je lui fais, chre Daronne, cest la dernire fois que je tengueule !... Si tu ne retrouves pas ma Lgende, tu peux dire que cest la fin, que cest le bout de notre amiti. Plus de collaboration confiante !... Plus de rassis !... Fini le tutu !... Plus dharicots !...

    Elle fond alors en jrmiades. Elle est affreuse en tout Vitruve, et comme visage et comme boulot. Cest une vraie obligation. Je la trane depuis lAngleterre. Cest la consquence dun serment. Cest pas dhier quon se connat. Cest sa fille Angle Londres qui me la fait autrefois jurer de toujours laider dans la vie. Je men suis occup je peux le dire. Jai tenu ma promesse. Cest le serment dAngle. a remonte pendant la guerre. Et puis en somme elle sait plein de choses. Bon. Elle est pas bavarde en principe, mais elle se souvient... Angle, sa fille : ctait une nature. Cest pas croyable ce quune mre peut devenir vilaine. Angle a fini tragiquement. Je raconterai tout a si on me force. Angle avait une autre sur, Sophie la grande nouille, Londres, tablie l-bas. Et Mireille ici, la petite nice, elle a le vice de toutes les autres, une vraie peau de vache, une synthse.

    Quand jai dmnag de Rancy, que je suis venu la Porte Pereire, elles mont escort toutes les deux. Cest chang Rancy, il reste presque rien de la muraille et du Bastion. Des gros dbris noirs crevasss, on les arrache du remblai mou, comme des chicots. Tout y passera, la ville bouffe ses vieilles gencives. Cest le P. Q. bis prsent qui passe dans les ruines, en trombe. Bientt a ne sera plus partout que des demi-gratte-ciel terre cuite. On verra bien. Avec la Vitruve on tait toujours en chicane sur la question des misres. Cest elle qui prtendait toujours quelle avait souffert davantage. Ctait pas possible. Pour les rides, a cest bien sr, elle en a bien plus que moi ! Cest inpuisable les rides, le fronton infect des belles annes dans la viande. a doit tre Mireille qui les a ranges vos pages !

  • Je pars avec elle, je laccompagne, quai des Minimes. Elles demeurent ensemble, prs des chocolats Bitronnelle, a sappelle lHtel Mridien.

    Leur chambre cest un fatras incroyable, une carambouille en articles de colifichets, surtout des lingeries, rien que du fragile, de lextrmement bon march.

    Mme Vitruve et sa nice elles sont de la fesse toutes les deux. Trois injecteurs quelles possdent, en plus dune cuisine complte et dun bidet en caoutchouc. Tout a tient entre les deux lits et un grand vaporisateur quelles nont jamais su faire gicler. Je veux pas dire trop de mal de Vitruve. Elle a peut-tre connu plus de dboires que moi dans la vie. Cest toujours a qui me tempre. Autrement si jtais certain je lui filerais des trempes affreuses. Ctait au fond de la chemine quelle garait la Remington quelle lavait pas fini de payer... Soi-disant. Je donne pas cher pour mes copies, cest exact encore... soixante-cinq centimes la page, mais a cube quand mme la fin... Surtout avec des gros volumes.

    Question de loucher, la Vitruve, jai jamais vu pire. Elle faisait mal regarder.

    Aux cartes, aux tarots cest--dire, a lui donnait du prestige cette loucherie farouche. Elle leur faisait aux petites clientes des bas de soie... lavenir aussi crdit. Quand elle tait prise alors par lincertitude et la rflexion, derrire ses carreaux, elle en voyageait du regard comme une vraie langouste.

    Depuis les tirages surtout elle gagnait en influence dans les environs. Elle connaissait tous les cocus. Elle me les montrait par la fentre, et mme les trois assassins jai les preuves ! En plus je lui ai fait don pour la pression artrielle dun vieil appareil Laubry et je lui ai enseign un petit massage pour les varices. a ajoutait son casuel. Son ambition ctait les avortements ou bien encore de tremper dans une rvolution sanglante, que partout on parle delle, que a se propage dans les journaux.

    Quand je la voyais farfouiller dans les recoins de son bazar je pourrais jamais tout crire combien quelle me dgotait. travers le monde entier y a des camions chaque minute qui crasent des gens sympathiques... La mre Vitruve elle manait

  • une odeur poivre. Cest souvent le cas des rouquines. Elles ont je crois, les rousses, le destin des animaux, cest brute, cest tragique, cest dans le poil. Je laurais bien tendue moi quand je lentendais causer trop fort, parler des souvenirs... Le feu au cul comme elle avait, a lui tait difficile de trouver assez damour. moins dun homme saol. Et en plus quil fasse trs nuit, elle avait pas de chance ! De ce ct-l je la plaignais. Moi jtais plus avanc sur la route des belles harmonies. Elle trouvait pas a juste non plus. Le jour o il le faudrait, javais presque de quoi en moi me payer la mort... Jtais un rentier dEsthtique. Jen avais mang de la fesse et de la merveilleuse... je dois le confesser de la vraie lumire. Javais bouff de linfini.

    Elle avait pas dconomies, tout a se pressent trs bien, y a pas besoin den causer. Pour croter et jouir en plus il fallait quelle coince le client par la fatigue ou la surprise. Ctait un enfer.

    Aprs sept heures, en principe, les petits boulots sont rentrs. Leurs femmes sont dans la vaisselle, le mle sentortille dans les ondes radios. Alors Vitruve abandonne mon beau roman pour chasser sa subsistance. Dun palier lautre quelle tapine avec ses bas un peu grills, ses jerseys sans rputation. Avant la crise elle pouvait encore se dfendre cause du crdit et de la manire quelle ahurissait les chalands, mais on la donne prsent sa fourgue identique en prime, aux perdants rleux du bonneteau. Cest plus des conditions loyales. Jai essay de lui expliquer que ctait la faute tout a aux petits Japonais... Elle me croyait pas. Je lai accuse de me dissoudre exprs ma jolie Lgende dans ses ordures mme...

    Cest un chef-duvre ! que jajoutai. Alors srement on le retrouvera !

    Elle sest bidonne... On a fourgonn ensemble dans le tas de la camelote.

    La nice est arrive la fin, trs en retard. Fallait voir ses hanches ! Un vrai scandale sur ptard... Toute plisse sa jupe... Pour que a tienne bien la note. Laccordon du fendu. Rien ne se perd. Le chmeur cest dsespr, cest sensuel, a na pas le rond pour inviter... a ramne. Ton pot ! quils lui jetaient... En pleine face. Au bout des couloirs, force de bander pour des

  • prunes. Les jeunots qui ont les traits fins plus que les autres, ils sont bien dous pour en croquer, se faire bercer dans la vie. a cest venu plus tard seulement quelle est descendue se dfendre !... aprs bien des catastrophes... Pour le moment elle samusait...

    Elle la pas trouve non plus ma jolie Lgende. Elle sen foutait du Roi Krogold ... Cest moi seulement que a tracassait. Son cole pour saffranchir, ctait le Petit Panier un peu avant le Chemin de Fer, le musette de la Porte Brancion.

    Elles me quittaient pas des yeux comme je me mettais en colre. Comme paum leur ide, je tenais le maximum ! Branleur, timide, intellectuel et tout. Mais prsent la surprise, elles avaient les foies que je me tire. Si javais pris de lair, je me demande ce quelles auraient boutiqu ? Je suis tranquille que la tante elle y pensait assez souvent. Comme sourire ctait du frisson ce quelles me refilaient ds que je parlais un peu de voyages...

    La Mireille en plus du cul tonnant, elle avait des yeux de romance, le regard preneur, mais un nez solide, un tarin, sa vraie pnitence. Quand je voulais un peu lhumilier : Sans char ! que je lui faisais, Mireille ! tas un vrai nez dhomme !... Elle savait raconter aussi de trs belles histoires, comme un marin elle aimait a. Elle a invent mille choses pour me faire plaisir dabord et puis pour me nuire ensuite. Ma faiblesse moi cest dcouter les bonnes histoires. Elle abusait voil tout. Y a eu de la violence entre nous pour terminer nos rapports, mais cest quelle avait mille fois mrit la danse et mme que je ltende. Elle en a convenu finalement. Jtais vraiment bien gnreux... Je lai punie pour le bon motif... Tout le monde la dit... Des gens qui savent...

  • Gustin Sabayot, sans lui faire de tort, je peux bien rpter quand mme quil sarrachait pas les cheveux propos des diagnostics. Cest sur les nuages quil sorientait.

    En quittant de chez lui il regardait dabord tout en haut : Ferdinand, quil me faisait, aujourdhui a sera srement des rhumatismes ! Cent sous ! ... Il lisait tout a dans le ciel. Il se trompait jamais de beaucoup puisquil connaissait fond la temprature et les tempraments divers.

    Ah ! voil un coup de canicule aprs les fracheurs ! Retiens ! Cest du calomel tu peux le dire dj ! La jaunisse est au fond de lair ! Le vent a tourn... Nord sur lOuest ! Froid sur Averse !... Cest de la bronchite pendant quinze jours ! Cest mme pas la peine quils se dpiautent !... Si cest moi qui commandais, je ferais les ordonnances dans mon lit !... Au fond Ferdinand ds quils viennent cest des bavardages !... Pour ceux qui en font commerce encore a sexplique... mais nous autres ?... au Mois ?... quoi a rime ?... je les soignerais moi sans les voir tiens les pilons ! Dici mme ! Ils en toufferont ni plus ni moins ! Ils vomiront pas davantage, ils seront pas moins jaunes, ni moins rouges, ni moins ples, ni moins cons... Cest la vie !... Pour avoir raison Gustin, il avait vraiment raison.

    Tu les crois malades ?... a gmit... a rote... a titube... a pustule... Tu veux vider ta salle dattente ? Instantanment ? mme de ceux qui sen tranglent se ramoner les glaviots ?... Propose un coup de cinma !... un apro gratuit en face !... tu vas voir combien quil ten reste... Sils viennent te relancer cest dabord parce quils semmerdent. Ten vois pas un la veille des ftes... Aux malheureux, retiens mon avis, cest loccupation qui manque, cest pas la sant... Ce quils veulent cest que tu les distrayes, les moustilles, les intrigues avec leurs renvois... leurs gaz... leurs craquements... que tu leur dcouvres des rapports... des fivres... des gargouillages... des indits !... Que tu

  • ttendes... que tu te passionnes... Cest pour a que tas des diplmes... Ah ! samuser avec sa mort tout pendant quil la fabrique, a cest tout lHomme, Ferdinand ! Ils la garderont leur chaude-pisse, leur vrole, tous leurs tubercules. Ils en ont besoin ! Et leur vessie bien baveuse, le rectum en feu, tout a na pas dimportance ! Mais si tu te donnes assez de mal, si tu sais les passionner, ils tattendront pour mourir, cest ta rcompense ! Ils te relanceront jusquau bout. Quand la pluie revenait un coup entre les chemines de lusine lectrique : Ferdinand ! quil mannonait, voil les sciatiques !... Sil en vient pas dix aujourdhui, je peux rendre mon papelard au Doyen ! Mais quand la suie rabattait vers nous de lEst, quest le versant le plus sec, par-dessus les fours Bitronnelle, il scrasait une suie sur le nez : Je veux tre encul ! tu mentends ! si cette nuit mme les pleurtiques crachent pas leurs caillots ! Merde Dieu !... Je serai encore rveill vingt fois !...

    Des soirs il simplifiait tout. Il montait sur lescabeau devant la colossale armoire aux chantillons. Ctait la distribution directe, gratuite et pas solennelle de la pharmacie...

    Vous avez des palpitations ? vous lHaricot vert ? quil demandait la miteuse. Jen ai pas !... Vous avez pas des aigreurs ?... Et des pertes ?... Si ! un petit peu... Alors prenez de a o je pense... dans deux litres deau... a vous fera un bien norme !... Et les jointures ? Elles vous font mal !... Vous avez pas dhmorrodes ? Et la selle on y va ?... Voil des suppositoires Pepet !... Des vers aussi ? Avez remarqu ?... Tenez vingt-cinq gouttes miroboles... Au coucher !...

    Il proposait tous ses rayons... Y en avait pour tous les drglements, toutes les diathses et les manies... Un malade cest horriblement cupide. Du moment quil peut se jeter une saloperie dans le cornet il en demande pas davantage il est content de se trisser, il a grand-peur quon le rappelle.

    Au coup du cadeau je lai vu moi, Gustin, rtrcir dix minutes des consultations quauraient dur au moins deux heures conduites avec des prcautions. Mais javais plus rien apprendre sur la manire dabrger. Javais mon petit systme moi.

  • Cest propos de ma Lgende que je voulais lui causer. On avait retrouv le dbut sous le lit de Mireille. Jtais bien du de la relire. Elle avait pas gagn au temps ma romance. Aprs des annes doubli cest plus quune fte dmode louvrage dimagination... Enfin avec Gustin jaurais toujours une opinion libre et sincre. Je lai mis tout de suite dans lambiance.

    Gustin que je lui ai fait comme a, tu nas pas toujours t aussi connard quaujourdhui, abruti par les circonstances, le mtier, la soif, les soumissions les plus funestes... Peux-tu encore, un petit moment, te rtablir en posie ?... faire un petit bond de cur et de bite au rcit dune pope, tragique certes, mais noble... tincelante !... Te crois-tu capable ?...

    Il restait l Gustin assoupi sur son escabeau, devant les chantillons, le placard bant... Il ne pipait plus... il ne voulait pas minterrompre...

    Il sagit, que je lai prvenu, de Gwendor le Magnifique, Prince de Christianie... Nous arrivons... Il expire... au moment mme o je te cause... Son sang schappe par vingt blessures... Larme de Gwendor vient de subir une abominable dfaite... Le Roi Krogold lui-mme au cours de la mle a repr Gwendor... Il la pourfendu... Il nest pas fainant Krogold... Il fait sa justice lui-mme... Gwendor a trahi... La mort arrive sur Gwendor et va terminer son boulot... coute un peu !

    Le tumulte du combat saffaiblit avec les dernires lueurs du jour... Au loin disparaissent les derniers Gardes du Roi Krogold... Dans lombre montent les rles de limmense agonie dune arme... Victorieux et vaincus rendent leurs mes comme ils peuvent... Le silence touffe tour tour cris et rles, de plus en plus faibles, de plus en plus rares...

    cras sous un monceau de partisans, Gwendor le Magnifique perd encore du sang... laube la mort est devant lui.

    As-tu compris Gwendor ? Jai compris Mort ! Jai compris ds le dbut de cette

    journe... Jai senti dans mon cur, dans mon bras aussi, dans les yeux de mes amis, dans le pas mme de mon cheval, un charme triste et lent qui tenait du sommeil... Mon toile steignait entre tes mains glaces. . Tout se mit fuir ! Mort !

  • Grands remords ! Ma honte est immense !... Regarde ces pauvres corps !... Une ternit de silence ne peut l'adoucir !...

    Il nest point de douceur en ce monde Gwendor ! rien que de lgende ! Tous les royaumes finissent dans un rve !...

    Mort ! Rends-moi un peu de temps... un jour ou deux ! Je veux savoir qui ma trahi...

    Tout trahit Gwendor... Les passions nappartiennent personne, lamour, surtout, nest que fleur de vie dans le jardin de la jeunesse.

    Et la mort tout doucement saisit le prince... Il ne se dfend plus... Son poids sest chapp... Et puis un beau rve reprend son me... Le rve quil faisait souvent quand il tait petit, dans son berceau de fourrure, dans la chambre des Hritiers, prs de sa nourrice la morave, dans le chteau du Roi Ren...

    Gustin il avait les mains qui lui pendaient entre les genoux...

    Cest pas beau ? que je linterroge. Il se mfiait. Il voulait pas trop rajeunir. Il se dfendait. Il a

    voulu que je lui explique encore tout... le pourquoi ?... Et le comment ?... Cest pas si facile... Cest fragile comme papillon. Pour un rien a sparpille, a vous salit. Quest-ce quon y gagne ? Jai pas insist.

    Pour bien enchaner ma Lgende jaurais pu me documenter auprs de personnes dlicates... accoutumes aux sentiments... aux mille variantes des tons damour...

    Jaime mieux me dbrouiller tout seul. Souvent les personnes dlicates cest des personnes qui

    peuvent pas jouir. Cest une question de martinet. Ces choses-l

  • ne se pardonnent pas. Je vais toujours vous dcrire le chteau du Roi Krogold :

    ... Un formidable monstre au cur de la fort, masse tapie, crasante, taille dans la roche... ptrie de sentines, crdences bourreles de frises et de redans... dautres donjons... Du lointain, de la mer l-bas... les cimes de la fort ondulent et viennent battre jusquaux premires murailles...

    Le guetteur auquel la peur dtre pendu fait carquiller les yeux... Plus haut... Tout en haut... Au sommet de Morehande, la Tour du Trsor, ltendard claque dans la bourrasque... Il porte les armes royales. Un serpent tranch, saignant au ras du cou ! Malheur aux tratres ! Gwendor expie !...

    Gustin, il nen pouvait plus. Il somnolait... Il roupillait mme. Je retourne fermer sa boutique. Je lui dis : On sen va ! Viens faire une promenade par la Seine !... a te fera du bien... Il prfrait ne pas bouger... Enfin comme jinsiste, il se dcide. Je lui propose un petit caf de lautre ct de lle aux Chiens... L, malgr le jus, il se rendort. On y est bien, cest exact, sur les quatre heures, cest le moment songeur des bistrots... Y a trois fleurs fausses dans le vase dtain. Tout est oubli sur le quai. Mme le vieil ivrogne au comptoir il se fait une raison que la patronne lcoutera plus. Je le laisse tranquille, moi, Gustin. Le prochain remorqueur le rveillera certainement. Le chat il a quitt sa rombire pour venir se faire les griffes.

    la manire quil a, Gustin, de retourner les mains quand il pionce cest facile de lui voir lavenir. Y a le poil et tout lhomme dans les poignes. Chez Gustin cest sa ligne de vie quest plutt en force. Chez moi, a serait plutt la chance et la destine. Je suis pas fad question longueur dexistence... Je me demande pour quand a sera ? Jai un sillon au bas du pouce... a sera-t-il une artriole qui ptera dans lencphale ? Au dtour de la Rolandique ?... Dans le petit repli de la troisime ?... On la souvent regard avec Metitpois la Morgue cet endroit-l... a fait minuscule un ictus... Un petit cratre comme une pingle dans le gris des sillons... Lme y a pass, le phnol et tout. a sera peut-tre hlas un no fongueux du rectum... Je donnerais beaucoup pour lartriole... la bonne vtre !... Avec Metitpois, un vrai matre, on y a pass bien des dimanches fouiller

  • comme a les sillons... pour les manires quon a de mourir... a le passionnait ce vieux daron... Il voulait se faire une ide. Il faisait tous les vux personnels pour une inondation ppre des deux ventricules la fois quand sa cloche sonnerait... Il tait charg dhonneurs !...

    Les morts les plus exquises, retenez bien ceci Ferdinand, ce sont celles qui nous saisissent dans les tissus les plus sensibles... Il parlait prcieux, fignol, subtil, Metitpois, comme les hommes des annes Charcot. a lui a pas beaucoup servi de prospecter la Rolandique, la troisime et le noyau gris... Il est mort du cur finalement dans des conditions pas ppres... dun grand coup dangine de poitrine, dune crise qua dur vingt minutes. Il a bien tenu cent vingt secondes avec tous ses souvenirs classiques, ses rsolutions, lexemple Csar... mais pendant dix-huit minutes il a gueul comme un putois... Quon lui arrachait le diaphragme, toutes les tripes vivantes... Quon lui passait dix mille lames ouvertes dans laorte... Il essayait de nous les vomir... Ctait pas du charre. Il rampait pour a dans le salon... Il se dfonait la poitrine... Il rugissait dans son tapis... Malgr la morphine. a rsonnait dans les tages jusque devant sa maison... Il a fini sous le piano. Les artrioles du myocarde quand elles clatent une par une, cest une harpe pas ordinaire... Cest malheureux quon revienne jamais de langine de poitrine aurait de la sagesse et du gnie pour tout le monde.

    Fallait quon cesse de mditer, ctait bientt lheure pour les vnriens. a se passait La Pourneuve de lautre ct de la Garenne. On sy mettait tous les deux. Juste comme je lavais prvu un remorqueur a sirn. Ctait le moment quon se sauve. Comme systme les vnriens ctait, ingnieux. Les gonos et les vroles en attendant les piqres ils se craient des connaissances. Au dbut y avait de la gne, aprs y avait du plaisir. Prs de labattoir au bout de la rue ils allaient sunir en vitesse ds quil faisait nuit lhiver. Ils sont toujours trs presss ces genres de malades, ils ont peur que a revienne plus la bandaison des familles. La mre Vitruve en venant me voir elle avait repr ces choses-l... Les petits jeunes hommes la chaude-lance leur premire, a les rend tout mlancoliques,

  • a les affecte normment. Elle venait attendre la sortie... Elle leur faisait au sentiment... la touchante sollicitude... a te cuit fort hein, mon petit gars ?... Je sais ce que cest... Jen ai soign... Je connais une tisane tonnante... Viens la maison je ten ferai une... Encore deux ou trois cafs-crme et le mme lui donnait sa sve. Un soir au mur y a eu scandale, un Sidi mont comme un ne englandait un petit ptissier, pour le plaisir, tout prs de la gurite du gardien. Lui le bourrin quavait lhabitude du jeton, il a dabord tout cout, les murmures, les plaintes, et puis alors les hurlements... Le mme il se convulsait, ils taient quatre le maintenir... Nempche quil sest jet quand mme dans la turne du dabe, pour quon le protge des dgotants. Lautre alors a referm la lourde. Il sest fait finir ! Mais oui ! qutait certaine la Vitruve. En commentant a.

    Je lai vu moi le cogne par la persienne ! Ils prenaient leur pied tous les deux ! Le gros et le petit cest le mme os !...

    Elle croyait pas aux sentiments. Elle jugeait bas, elle jugeait juste. Pour aller La Pourneuve nous devions prendre lautobus. Tas bien encore cinq minutes ! que me faisait Gustin. Il tait pas du tout press. On sest assis juste au refuge, celui quest devant la rampe du Pont.

    Cest sur ce quai-l, au 18, que mes bons parents firent de bien tristes affaires pendant lhiver 92, a nous remet loin.

    Ctait un magasin de Modes, fleurs et plumes . Y avait en tout comme modles que trois chapeaux, dans une seule vitrine, on me la souvent racont. La Seine a gel cette anne-l. Je suis n en mai. Cest moi le printemps. Destine ou pas, on en prend marre de vieillir, de voir changer les maisons, les numros, les tramways et les gens de coiffure, autour de son existence. Robe courte ou bonnet fendu, pain rassis, navire roulettes, tout laviation, cest du mme ! On vous gaspille la sympathie. Je veux plus changer. Jaurais bien des choses me plaindre mais je suis mari avec elles, je suis navrant et je madore autant que la Seine est pourrie. Celui qui changera le rverbre crochu au coin du numro 12 il me fera bien du chagrin. On est temporaire, cest un fait, mais on a dj tempor assez pour son grade.

  • Voil les pniches... Elles ont un cur chacune prsent. Il bat tout gros et bourru plein dans lcho noir des arches. a suffit. Je me dsagrge. Je me plains plus. Mais faut pas men faire davantage. Si les choses nous emportaient en mme temps quelles, si mal foutues quon les trouve, on mourrait de posie. a serait commode dans un sens. Gustin, question des sductions et des charmes infimes il se rangeait mon avis, seulement pour loubli il se fiait plutt aux boissons. Bon... Dans ses moustaches la Gauloise il en restait toujours un peu de la bibine et des regrets...

    Aux vnriens, notre pratique a consistait en btons, quon traait sur un grand papier au fur et mesure... a suffisait. Un bton rouge : Novars... Vert : Mercure !... Et allez donc ! La routine emportait le reste... bien contente... avait plus qu piquer la sauce dans les fesses, dans les plis du bras... a lardait le pilon comme du beurre... Vert !... Bras !... Jaune !... Fesses !... Rouge... double-fesses !... Taille foiron ! Refesses encore. Bismuth ! Salope ! Bleu ! Veine qui pisse ! Pourri !... Reculotte !... Tampon !... Une cadence sans dfaillance. Des bordes et puis encore dautres... Des filaments qui nen finissent... Mandrins moulus ! Polanars ! Bites en gouttes ! Suintent ! Purulent ! Gros linge empes, dur carton ! Gono ! marche en travers ! Reine du monde ! Le cul son trne ! Chauff lt comme lhiver !...

    Froids les paums qui se mfient ! Et puis se confient mille recettes denculs pour trancher encore bien mieux ! Davantage !... Que Julienne ny voye que du bleu... Ne pas revenir... Mentir nous ! Hurlant de joie... Urtre plein, aiguilles ! Guizot tout fendu ! Bite en bouche ! En avant la fente !

    Voici le dossier 34 , lemploy aux lorgnons noirs, le timide, le petit fut, il va lattraper sa chtouille tout exprs, chaque six mois, cour dAmsterdam, pour mieux expier par la verge... il pisse ses lames de rasoir dans les connasses des petites annonces... Cest sa prire ! comme il dit... Cest un microbe norme, 34 ! il la crit dans nos gogs ! : Je suis la terreur des vagins... Jai encul ma grande sur... Je me suis

  • fianc douze fois ! Cest un client bien ponctuel, silencieux et pas difficile et toujours heureux de nous revenir.

    Cest le bifteck pour nous autres, moins pnibles que de remblayer le chemin de fer.

    En arrivant La Pourneuve, il ma fait comme a Gustin : Dis donc Ferdinand, tout lheure... pendant que je somnolais, essaye pas de me contredire... tu mas fait les lignes de la main... Quest-ce que tu as donc vu ?

    Je savais bien ce qui linquitait, ctait son foie, depuis longtemps, le rebord sensible et puis des cauchemars infects... Il se constituait sa cirrhose...

    Le matin souvent je lentendais vomir dans lvier... Je lai rassur, a servait rien de linquiter. Le mal tait fait. Le principal ctait quil conserve ses boulots.

    la Jonction, il lavait eue presque tout de suite, sa place au bureau de Bienfaisance. la sortie de ses tudes, grce un petit avortement, on peut pas dire le contraire, sur la bonne amie dun Conseiller Municipal trs conservateur lpoque... Il venait juste de stablir Gustin, ct, pel comme un rat. a stait effectu ppre, sa main tremblait pas encore. la fois suivante, ctait sur la femme du maire. Encore un succs !... Pour la gratitude il fut nomm mdecin des pauvres.

    Tout dabord, il avait bien plu, et tout le monde, dans ses fonctions. Et puis un moment donn il a cess de plaire... Ils en ont eu marre de sa gueule et de ses faons... Ils pouvaient plus le renifler. Alors ils ont mis tout en uvre. Cest qui lui ferait des misres. On sest bien rgal de sa fiole ; on laccusait peu prs de tout, depuis davoir les mains sales, de se gourer dans les doses, de pas savoir les poisons... De puer de la gueule en excs... Davoir des chaussures boutons... Quand on la eu bien tracass, quil avait honte mme de sortir et quon lui a bien rpt quon pouvait le vider comme un pet, alors on sest ravis, on sest remis le tolrer, sans aucune raison nouvelle, seulement quon tait fatigu de le trouver si moche et si veule...

    Toute la crasse, lenvie, la rogne dun canton stait exerce sur sa pomme. La hargne fielleuse des plumitifs de sa propre turne il lavait sentie passer. Laigreur au rveil des 14 000 alcooliques de larrondissement, les pituites, les rtentions

  • extnuantes des 6 422 blennorrhes quil narrivait pas tarir, les sursauts dovaire des 4 376 mnopauses, langoisse questionneuse de 2 266 hypertendus, le mpris inconciliable de 722 biliaires migraine, lobsession souponneuse des 47 porteurs de tnias, plus les 352 mres des enfants aux ascarides, la horde trouble, la grande tourbe des masochistes de toutes lubies. Eczmateux, albumineux, sucrs, ftides, trembloteurs, vagineuses, inutiles, les trop , les pas assez , les constips, les enfoirs du repentir, tout le bourbier, le monde en transferts dassassins, tait venu refluer sur sa bouille, cascader devant ses binocles depuis trente ans, soir et matin.

    la Jonction, il logeait mme la mouscaille, juste au-dessus des Rayons X. Il avait l ses trois pices, un btiment en pierre de taille, pas de la cloison comme aujourdhui. Pour se dfendre contre la vie faudrait des digues dix fois plus hautes quau Panama et de petites cluses invisibles. Il logeait l depuis lexposition, la grande, depuis les beaux jours dArgenteuil.

    Maintenant y avait des grands buildings tout autour de ltablissement.

    De temps en temps il cherchait encore, Gustin, son petit drivatif... Il faisait monter une mignonne, mais a recommenait pas souvent. Son grand chagrin lui revenait, ds que a devenait du sentiment. Aprs la troisime rencontre... Il prfrait picoler... De lautre ct de sa rue, ctait un bistrot : la verte faade, banjo le dimanche, ctait commode pour les frites, la bonne les faisait incomparables. La gniole le brlait Gustin, moi je peux mme pas tenter de boire depuis que je bourdonne jour et nuit. a me bousille, a me donne des mines de pesteux. Quelquefois alors, il mausculte Gustin. Il me dit pas non plus ce quil pense. Cest le seul endroit quon est discret. Jai de la peine moi aussi, faut le dire. Il connat mon cas, il essaye de mencourager : Vas-y Ferdinand, lis-le-moi, je lcoute tiens ton machin ! lis pas trop vite par exemple ! Fais pas des gestes. a te fatigue et moi a me donne la berlue...

    Le Roi Krogold, ses preux, ses pages, son frre lArchevque, le clerg du camp, toute la cour, allrent aprs la bataille saffaler sous la tente au milieu du bivouac. Le lourd croissant dor, le don du Khalife, ne fut point retrouv au

  • moment du repos... Il couronnait le dais royal. Le capitaine du convoi, responsable, fut battu comme pltre. Le roi sallonge, veut sendormir... Il souffre encore de ses blessures. Il ne dort pas. Le sommeil se refuse... Il insulte les ronfleurs. Il se lve. Il enjambe, il crase des mains, il sort... Dehors, il fait si froid quil est saisi. Il boite, il marche quand mme. La longue file des chariots cerne le camp. Les hommes de garde se sont endormis. Krogold longe les grands fosss de la dfense... Il se parle lui-mme, il trbuche, reprend juste temps son aplomb. Au fond du foss quelque chose a brill, une lame norme qui tremblote... Un homme est l qui tient lobjet luisant dans ses bras. Krogold se jette sur le tout, renverse lhomme, le ligote, cest un soldat, il lgorge de sa propre courte lame comme un porc... Hoc ! Hoc ! glousse le voleur par son trou. Il lche tout. Cest fini. Le roi se baisse, ramasse le croissant au Khalife. Il remonte au bord du foss. Il sendort l dans la brume... Le voleur est bien chti.

    Vers cette poque y a eu la crise, jai bien failli tre dgomm du dispensaire. cause des ragots encore.

    Cest par Lucie Keriben qutait tablie modiste, boulevard Moncontour, que jai t averti. Elle voyait des quantits de gens. On ragotait beaucoup chez elle. Elle ma rapport des cancans bien moches. Poissonneux ce degr-l, ce pouvait tre que la Mireille... Je me suis pas tromp... Pures calomnies bien entendu. a parlait seulement que javais arrang des partouzes avec des clientes du quartier. Des horreurs en somme... Lucie Keriben en douce, elle tait assez satisfaite que je me mouille un peu... Elle tait jalouse.

  • Jattends donc la Mireille quelle rentre, je me planque dans limpasse Viviane, elle devait passer l fatalement. Je touchais pas encore assez de flouze pour aller faire lcrivain... Je pouvais en reprendre dans la mistoufle. Je me sentais pas bon. Je la vois venir... elle passe devant. Je lui carre un tel envoi dans le pot quelle en a saut du trottoir. Elle ma compris sance tenante mais a la pas fait causer. Elle attendait de revoir sa tante. Elle voulait pas avouer la came. Rien du tout.

    Cette faon de rpandre des bobards, ctait dans le but que je minquite... Je me dpchais le lendemain alors de leur donner satisfaction. La brutalit servait pas. Surtout avec la Mireille, a la rendait plus vache encore. Elle voulait se marier. Avec moi ou nimporte qui. Elle en avait marre des usines. seize ans elle en avait dj fait sept dans la banlieue Ouest.

    Cest fini ! quelle annonait. Aux Happy Suce , aux bonbons anglais, elle avait surpris le Directeur bien en train de se faire pomper par un apprenti. Ah ! la bonne usine ! Pendant six mois elle a balanc tous les rats crevs dans la grande cuve aux pralines. Saint-Ouen une contrematresse lavait dj prise en mnage, elle lui foutait des voles dans les cabinets. Elles staient barres ensemble.

    Le Capital et ses lois, elle les avait compris, Mireille... Quelle avait pas encore ses rgles. Au camp des Pupilles Marty-sur-Oise on y trouvait de la branlette, du bon air et des beaux discours. Elle stait bien dveloppe. Le jour annuel des Fdrs, elle faisait honneur au patronage, cest elle qui brandissait Lnine, tout en haut dune gaule, de la Courtine au Pre-Lachaise. Les bourriques en revenaient pas tellement quelle tait crneuse ! Mais alors des molletons splendides, elle levait le boulevard derrire elle bander linternationale !

    Les petits maries, du Musette quelle frquentait ils se rendaient pas compte de ce quils avaient dans la main. Mineure, elle se mfiait des murs . Elle passait pour linstant derrire Robert, Ggne et Gaston. Mais ils se prparaient ces petits des vritables malheurs. Elle les ferait tomber.

  • De la Vitruve et de sa nice je pouvais mattendre bien des choses, la vieille surtout en savait trop pour ne pas sen servir un jour.

    Je lattnuais par du pognon, mais la mme voulait davantage, elle voulait tout. Si je labordais la tendresse, a lui paraissait bien douteux. Je vais lemmener au Bois que je me dis. Elle me garde des rancunes. Ce quil faut cest que je lintresse. Au Bois javais mes intentions, je lui raconterais une belle histoire, je flatterais sa vanit.

    Demande ta tante que je lui fais... Tu seras rentre avant minuit... Attends-moi au caf Byzance !

    Nous voil partis tous les deux.

    partir de la Porte Dauphine elle se sentait dj plus contente. Elle aimait bien les beaux quartiers. lHtel Mridien, son horreur ctait les punaises. Quand elle se trouvait un petit giron, et quil fallait quelle te sa chemise, les marques alors lui faisaient honte. Ils savaient tous que cen taient des cloques de punaises... Ils connaissaient tous les liquides et les dsinfectants quon brle... Son rve Mireille ctait une crche sans totos... Si elle stait barre maintenant sa tante laurait fait repoisser. Elle comptait sur elle pour la crote mais je lui connaissais un petit marle qui prtendait bien aussi, le Bbert du Val-de-Grce. Il a fini dans la coco . Il lisait le Voyage celui-l...

    Comme on approchait de la Cascade, jai commenc les confidences...

    Je sais que tas un employ des Postes qui prend le martinet comme pas un...

    Elle tait trop heureuse alors de me faire des chichis, des confesses. Elle me raconta tout. Mais en arrivant au Catelan elle osait plus savancer, le noir lui faisait peur. Elle croyait que je lentranais pour la corriger dans les bois. Elle me ttait dans le fond de la poche pour se rendre compte si javais pas pris un ptard. Javais rien. Elle me ttait la queue. cause des autos qui passent je lui propose daller dans lIle quon serait mieux pour se causer. Elle tait garce, elle jouissait trs difficilement et le danger a la fascinait. Les rameurs du bord cafouillent,

  • sembobinent toujours dans les branches, sacrent, culbutent, saccagent leurs petits lampions.

    Entends les canards qui stouffent dans lurine leau ! Mireille ! que je lui fais, une fois comme a installs. Je

    sais que tes forte en mensonges... la vrit a ne te gne pas... Moi, quelle rpond, si je rptais seulement le quart de ce

    que jentends !... a va ! que je larrte... Je suis plein dindulgence pour toi

    et de faiblesse mme... Cest pas cause de ton corps... ni de ton visage avec ton nez... Cest ton imagination qui me retient toi... Je suis voyeur ! Tu me raconteras des saloperies... Moi je te ferai part dune belle lgende... Si tu veux on signera ensemble ?... fifty-fifty ? tu y gagneras !...

    Elle aimait a parler des sous... Je lui ai racont tout le boulot... Je lui ai garanti quil y aurait partout des princesses, et des vrais velours la trane... des broderies pleines doublures... des fourrures et des bijoux... Comme on en a pas ide... On sest parfaitement entendu pour toutes les choses du dcor et mme des costumes. Et puis voil finalement comme notre histoire semmanchait :

    Nous sommes Bredonnes en Vende... Cest le moment des Tournois...

    La ville sapprte recevoir... Voici les galants pars... Voici les lutteurs poil... les baladins... Leur chariot passe... fend la foule... voici les crpes en train de frire... Un brelan de chevaliers tout bards darmures damasquines... ils arrivent tous de fort loin... du Midi... du Nord... se lancent de vaillants dfis...

    Voici Thibaud le Mchant, trouvre, il parvient au petit jour juste la porte de la ville, par le sentier du halage. Il est fourbu... Il vient chercher Bredonnes asile et couvert... Il vient relancer Joad le fils sournois du Procureur. Il vient lui rappeler la vilaine histoire, lassassinat dun archer Paris prs du Pont au Change quand ils taient tudiants...

    Thibaud se rapproche... Au bac Sainte-Genevive il refuse net son dcime... Il se peigne avec le passeur... Les archers accourent... le terrassent, lentranent... Le voici, pieds et poings

  • lis, cumant, en loques, tran devant le Procureur. Il se dbat, forcen, lui hurle la vilaine histoire...

    Mireille le ton lui plaisait, elle voulait quon en rajoute. a faisait longtemps quon ne stait pas si bien compris. Enfin il a fallu rentrer.

    Dans les alles de Bagatelle il ne tranait plus que quelques couples. Mireille tait console. Elle a voulu quon les surprenne... On a quitt ma belle Lgende pour discuter avec rage si le grand dsir des dames, cest pas de semmancher entre elles... Mireille par exemple si elle aimerait pas bourrer un peu les copines ?... les enculer au besoin ?... surtout les petites dlicates, les vritables gazelles ?... Mireille quest balance en athlte des hanches... du bassin...

    Y a les godes quelle ma fait remarquer ! Mais cest bien pour a quon nous regarde ! De si prs quand elles se rgalent ! Pour voir si a leur pousserait pas !... Quelles se dchirent ! Quelles sarrachent tout les salopes ! Que a saigne autour et partout ! Que a leur sorte toute leur vacherie !...

    Elle comprenait toute la ferie Mireille, ma mignonne ! Elle en profitait tant quelle pouvait de mon cinma... Dun coup je la prviens : Si tu rptes Rancy... je te ferai manger tes chaussures !... Et je la saisis sous le bec de gaz... Elle prend dj lair victorieux. Je sens quelle va dbloquer partout que je me conduis comme un vampire !... Au Bois de Boulogne ! Alors la colre me suffoque... Penser quencore une fois je suis fleur ! Je lui refile une mornifle tasse... Elle ricane. Elle me dfie.

    Des taillis, des petits bosquets, de partout les gens surgissent pour nous admirer, par deux, par quatre, en vraies cohortes. Ils tiennent tous leurs panais en mains, les dames retrousses derrire et devant. Des oses, des pas srieuses, des plus prudentes...

    Vas-y Ferdinand ! quils mencouragent tous. Cest une norme rumeur. a monte des bois. Drouille-la bien ta gamine ! Il va lui en sortir une ! Forcment a me rendait brutal de les entendre me stimuler.

    Mireille sest mise cavaler en poussant des glapissements. Alors moi je la course et je me dcarcasse. Je lui balance des vaches coups de tatane travers les fesses. a sonne mat et

  • lourd. Des dbauchs du Ranelagh y en avait encore des centaines qui affluaient, devant ils se groupaient par biroutes, ils poulopaient loin par-derrire...

    Ctait envahi les pelouses, des milliers travers lavenue. Il en arrivait tout le temps dautres du fond de la nuit... Toutes les robes taient en lambeaux... nichons branlants, arrachs... petits garons sans culottes... Ils se renversaient, pitinaient, se faisaient rejaillir la vole... Il en restait pendus aux arbres... aprs les chaises des morceaux... Une vioque, une Anglaise dune petite automobile sortait la tte se dmancher, elle me gnait mme pour que je travaille... Jamais javais vu des yeux si heureux que les siens... Hurray ! Hurray ! Garon magnifique ! quelle me criait en plein lan... Hurray ! Tu vas lui crever loignon ! y aura du monde dans les toiles ! Lternit va lui sortir ! Vive la Science chrtienne !

    Je me dpchais encore plus. Jallais plus vite que son auto. Je me donnais entier ma tche, je dgoulinais la sueur ! En chargeant je pensais ma place... Que jallais srement la perdre. Jen refroidissais : Mireille ! Piti ! Je tadore ! Vas-tu mattendre, immondice ? Me croiras-tu ?

    Arrive lArc de Triomphe, toute la foule sest mise en mange. Toute la horde poursuivait Mireille. Y avait dj plein de morts partout. Les autres sarrachaient les organes. LAnglaise coltinait son auto, au-dessus de sa tte, bout de bras ! Hurray ! Hurray ! Elle en culbute lautobus. Le trafic est intercept par trois rangs de mobiles au port darmes. Les honneurs cest alors pour nous. La robe Mireille senvole. La vieille Anglaise bondit sur la mme, lui croche dans les seins, a gicle, a fuse, tout est rouge. On scroule, on grouille tous ensemble, on strangle. Cest une grande furie.

    La flamme sous lArc monte, monte encore, se coupe, traverse les toiles, sparpille au ciel... a sent partout le jambon fum... Voici Mireille loreille qui vient me parler enfin. Ferdinand, mon chri, je taime !... Cest entendu, tes plein dides ! Cest une pluie de flammes qui retombe sur nous, on en prend des gros bouts chacun... On se les enfonce dans la braguette grsillantes, tourbillonnantes. Les dames sen

  • mettent un bouquet de feu... On sest endormi les uns dans les autres.

    25 000 agents ont dblay la Concorde. On y tenait plus les uns dans les autres. Ctait trop brlant. a fumait. Ctait lenfer.

    Ma mre et Mme Vitruve, ct, elles sinquitaient, elles allaient et venaient dans la pice en attendant que ma fivre tombe. Une ambulance mavait rapport. Je mtais tal sur une grille avenue Mac-Mahon. Les flics en roulettes mavaient aperu.

    Fivre ou pas, je bourdonne toujours et tellement des deux oreilles que a peut plus mapprendre grand-chose. Depuis la guerre a ma sonn. Elle a couru derrire moi, la folie... tant et plus pendant vingt-deux ans. Cest coquet. Elle a essay quinze cents bruits, un vacarme immense, mais jai dlir plus vite quelle, je lai baise, je lai possde au finish . Voil ! Je dconne, je la charme, je la force moublier. Ma grande rivale cest la musique, elle est coince, elle se dtriore dans le fond de mon esgourde... Elle en finit pas dagonir... Elle mahurit coups de trombone, elle se dfend jour et nuit. Jai tous les bruits de la nature, de la flte au Niagara... Je promne le tambour et une avalanche de trombones... Je joue du triangle des semaines entires... Je ne crains personne au clairon. Je possde encore moi tout seul une volire complte de trois mille cinq cent vingt-sept petits oiseaux qui ne se calmeront jamais... Cest moi les orgues de lUnivers... Jai tout fourni, la bidoche, lesprit et le souffle... Souvent jai lair puis. Les ides trbuchent et se vautrent. Je suis pas commode avec elles. Je

  • fabrique lOpra du dluge. Au moment o le rideau tombe cest le train de minuit qui entre en gare... La verrire den haut fracasse et scroule... La vapeur schappe par vingt-quatre soupapes... les chanes bondissent jusquau troisime... Dans les wagons grands ouverts trois cents musiciens bien vinasseux dchirent latmosphre quarante-cinq portes dun coup...

    Depuis vingt-deux ans, chaque soir il veut memporter... minuit exactement... Mais moi aussi je sais me dfendre... avec douze pures symphonies de cymbales, deux cataractes de rossignols... un troupeau complet de phoques quon brle feux doux... Voil du travail pour clibataire... Rien redire. Cest ma vie seconde. Elle me regarde.

    Ce que jen dis cest pour expliquer quau Bois de Boulogne il mest venu un petit accs. Je fais souvent beaucoup de bruit quand je cause. Je parle fort. On me fait signe de parler moins haut. Je bavouche un peu cest forc... Il me faut faire des drles defforts pour mintresser aux copains. Facilement je les perdrais de vue. Je suis proccup. Je vomis quelquefois dans la rue. Alors tout sarrte. Cest presque le calme. Mais les murs se remettent en branle et les voitures reculons. Je tremble avec toute la terre. Je ne dis rien... La vie recommence. Quand je trouverai le Bon Dieu chez lui je lui crverai, moi, le fond de loreille, linterne, jai appris. Je voudrais voir comment a lamuse ? Je suis chef de la gare diabolique. Le jour o moi je ny serai plus, on verra si le train draille. M. Bizonde, le bandagiste, pour qui je fais des petits articles , il me trouvera encore plus ple. Il se fera une raison.

    Je pensais tout a dans ma crche, pendant que ma mre et Vitruve dambulaient ct.

    La porte de lenfer dans loreille cest un petit atome de rien. Si on le dplace dun quart de poil... quon le bouge seulement dun micron, quon regarde travers, alors cest fini ! cest marre ! on reste damn pour toujours ! Tes prt ? Tu les pas ? tes-vous en mesure ? Cest pas gratuit de crever ! Cest un beau suaire brod dhistoires quil faut prsenter la Dame. Cest exigeant le dernier soupir. Le Der des Der Cinma ! Cest pas tout le monde quest averti ! Faut se dpenser cote que cote ! Moi je serai bientt en tat... Jentendrai la dernire fois mon

  • toquant faire son pfoutt ! baveux... puis flac ! encore... Il branlera aprs son aorte... comme dans un vieux manche... a sera termin. Ils louvriront pour se rendre compte. Sur la table en pente... Ils la verront pas ma jolie lgende, mon sifflet non plus... La Blme aura dj tout pris... Voil Madame, je lui dirai, vous tes la premire connaisseuse !...

    Javais beau tre au fond des pommes, la Mireille me revenait quand mme...

    Jtais tranquille quelle avait d aller baver tout son content. Ah ! quils diraient la Jonction... Le Ferdinand il est

    devenu insupportable ! Il va au Bois se faire miser !... (vu quon exagre toujours). Il amne en plus la Mireille !... Il dbauche toutes les jeunes filles !... On va se plaindre la Mairie !... Il a sali son emploi ! Cest un violeur et un factieux !...

    Tel quel ! a me faisait bouillir dans mon plume de me reprsenter ces salades, je suintais de partout comme un crapaud... Jen touffais... je me tortille... Je me dmne encore... Je balance toutes les couvertures... Je me retrouve une garce vigueur. Et cest pourtant bien exact quils nous ont suivis les satyres !... Je sens le brl de partout ! Une ombre norme me cache la vue... Cest le chapeau Lonce... Un chapeau de militant... Des bords si vastes quun vlodrome... Il a d teindre le feu... Cest Poitrat Lonce ! Jen suis sr ! Il me filature depuis toujours... Il me cherche ce gars-l ! Il passe la Prfecture bien plus souvent qu son tour... Aprs 18 heures... Il est par l, il se dpense, il milite chez les apprentis, il sadonne aux avortements... Je lui plais pas... Je lindispose... Il veut ma peau. Il lavoue...

  • la clinique cest lui le comptable... Il porte aussi une lavallire. Il me bouche un ct du sommeil avec son chapeau... La fivre monte encore je crois... Je vais clater... Il est mariole Lonce Poitrat, cest un fortiche aux runions... Dans les chantages confdrs il peut hurler pendant deux heures. Personne le fait taire... Si on a chang sa motion, il devient enrag sur un mot. Il gueule plus fort quun colonel. Il est bti en armoire. Pour la jactance il craint personne, pour la queue non plus, il bande dur comme trente-six biceps. Il a un bonheur en acier. Voil. Il est secrtaire du Syndic des Briques, Couvertures de Vanves La Rvolte. Secrtaire lu. Les poteaux sont fiers de Lonce, quest si fainant, si violent. Cest le plus beau maquereau du travail.

    Quand mme il tait pas content, il me jalousait moi, mes ides, mes trsors spirituels, ma prestance, la faon quon mappelle Docteur . Il restait l avec les dames, il attendait ct... Que je me dcide ? Que je fasse enfin mon paquet ?... Jtais pas bon !... Et rien que pour lemmerder... Je resterais par terre !... je tournerais au Miracle !... Je lembrasserais mme pour quil en crve !... Par contagion !...

    ltage au-dessus, a rsonne... Des bruits diffrents... cest lartiste qui donne ses leons... Il sentrane... Il est inquiet... il doit tre seul... Do !... do !... do !... Les choses ne vont gure !... Si !... si !... Encore un petit peu... Mi ! mi !... R ! Tout peut sarranger !... Et puis un arpge gauche !... Et puis la droite qui se requinque... Si dise !... Nom de Dieu !

    Par ma fentre on voit Paris... En bas a stale... Et puis a se met grimper... vers nous... vers Montmartre... Un toit pousse un autre, cest pointu, a blesse, a saigne le long des lumires, des rues en bleu, en rouge, en jaune... Plus bas aprs, cest la Seine, les brumes ples, une remorque qui fait son chemin... dans un cri de fatigue... Encore plus loin cest les collines... Les choses se rassemblent... La nuit va nous prendre. Cest ma bignolle qui cogne au mur ?

    Pour quelle monte il faut que je sois fond dcoll... Elle est trop vieille la mre Brenge pour se taper mes tages... Do quelle peut sortir ?... Elle traverse ma piaule tout doucement... Elle touche pas par terre. Elle regarde mme plus droite

  • gauche... Elle sort par la fentre dans le vide... La voil partie dans le noir tout au-dessus des maisons... Elle sen va l-bas...

    R !... fa !... sol dise !... mi !... Merde ! Il en finira jamais ! a doit tre llve qui recommence... Quand la fivre stale, la vie devient molle comme un bide de bistrot... On senfonce dans un remous de tripes. Ma mre je lentends qui insiste... Elle raconte son existence Mme Vitruve... Elle recommence pour quelle comprenne combien jai t difficile !... Dpensier !... Insoucieux !... Paresseux !... Que je tenais pas du tout de mon pre... Lui si scrupuleux alors... si laborieux... si mritant... si dveinard... quest dcd lautre hiver... Oui... Elle lui raconte pas les assiettes quil lui brisait sur le cocon... Non ! R, do, mi ! r bmol !... Cest llve qui se remet en difficult... Il escalade des doubles croches... Il passe dans les doigts du matre... Il drape... Il en sort plus... Il a des dises plein les ongles... Au temps ! que je gueule un fort coup.

    Ma mre raconte pas non plus comment quil la trimbalait, Auguste, par les tifs, travers larrire-boutique. Une toute petite pice vraiment pour des discussions...

    Sur tout a elle louvre pas... Nous sommes dans la posie... Seulement quon vivait ltroit mais quon saimait normment. Voil ce quelle raconte. Il me chrissait si fort papa, il tait si sensible en tout que ma conduite... les inquitudes... mes prilleuses dispositions, mes avatars abominables ont prcipit sa mort... Par le chagrin videmment... Que a sest port sur son cur !... Vlan ! Ainsi que se racontent les histoires... Tout a cest un peu raisonnable, mais cest rempli bien plus encore dun tas dimmondes

  • crasseux mensonges... Les garces elles saniment tellement fort se bourrer la caisse toutes les deux quelles couvrent les bruits du piano... Je peux dgueuler mon aise.

    Vitruve est pas en retard de bobards... elle numre ses sacrifices... la Mireille cest sa vie entire !... Je comprends pas tout... Faut que jaille vomir aux cabinets... En plus srement cest le paludisme... Jen ai rapport du Congo... Je suis avanc par tous les bouts...

    Quand je me recouche, ma mre est en plein dans ses fianailles... Colombes... Quand Auguste faisait du vlo... Lautre pas en reste... se fait reluire ignoblement... sur la faon quelle se dvoue pour sauver ma rputation... chez Linuty... Ah ! Ah ! Ah ! Je me soulve alors... Je nen peux plus... Je ne bouge plus... Je me penche seulement pour vomir de lautre ct du pageot... Tant qu battre la vache campagne jaime mieux rouler dans des histoires qui sont moi... Je vois Thibaud le Trouvre... Il a toujours besoin dargent... Il va tuer le pre Joad... a fera toujours un pre de moins... Je vois des splendides tournois qui se droulent au plafond... Je vois des lanciers qui semmanchent... Je vois le Roi Krogold lui-mme... Il arrive du Nord... Il est invit Bredonnes avec toute sa Cour... Je vois sa fille Wanda la blonde, lblouissante... Je me branlerais bien mais je suis trop moite... Joad est amoureux tendu... Cest la vie !... Il faut que jy retourne... Je dgueule soudain toute une bile... Je rugis dans les efforts. Mes vieilles quand mme ont entendu... Elles rappliquent, elles me rafistolent. Je les expulse nouveau... Dans le couloir elles recommencent divaguer. Aprs mavoir trait si moche y a reflux dans les expressions... On me remet un peu la sauce... On dpend de moi pour bien des choses... On reprend soudain les notions... On stait laiss emporter... Cest moi qui fais rentrer loseille... Ma mre chez M. Bizonde, le bandagiste en renom, elle gagne pas beaucoup... a ne suffirait pas... Cest dur son ge de se dfendre la commission. Mme Vitruve et sa nice cest moi qui douille le mnage avec des conds ingnieux... Soudain elles se mfient elles serpentent...

    Il est brutal... hurluberlu !... Mais il a le cur sur la main... a il faut ladmettre. Cest bien entendu. Devant y a le

  • terme et la pitance... Il faut pas trop dconner. On se dpche de se rassurer. Ma mre, cest pas une ouvrire... Elle se rpte, cest sa prire... Cest une petite commerante... On a crev dans notre famille pour lhonneur du petit commerce... On est pas nous des ouvriers ivrognes et pleins de dettes... Ah ! non. Pas du tout !... Il faut pas confondre !... Trois vies, la mienne, la sienne et puis surtout celle mon pre ont fondu dans les sacrifices... On ne sait mme pas ce quelles sont devenues... Elles ont pay toutes les dettes...

    prsent ma mre, elle se redonne un mal horrible pour retrouver nos existences... Elle est force dimaginer... Elles sont disparues nos vies... nos passs aussi... Elle svertue ds quelle a un petit moment... elle remet un peu debout les choses... et puis a retombe fatalement !...

    Elle pique des colres terribles si seulement je me mets tousser, parce que mon pre ctait un costaud de la caisse, il avait les poumons solides... Je veux plus la voir, elle me crve ! Elle veut que je dlire avec elle... Je suis pas bon ! Je ferai un malheur ! Je veux dconner de mon ct... Do ! mi ! la ! llve est parti... Lartiste se dlasse... Il est en berceuse ... Je voudrais qumilie monte... Elle vient le soir faire mon mnage... Elle parle presque pas... Je la voyais plus ! Tiens, elle est l !... Elle voudrait que je prenne du rhum... ct les ivrognes vocifrent...

    Il a une grosse fivre vous savez !.,. Je suis bien inquite ! rpte encore maman.

    Il est gentil pour les malades !... quelle gueule son tour la Vitruve...

    Moi alors javais si chaud que je me suis tran la fentre. Par le travers de ltoile mon beau navire il taille dans

    lombre... charg de toile jusquau trmat... Il pique droit sur lHtel-Dieu... La ville entire tient sur le Pont, tranquille... Tous les morts je les reconnais... Je sais mme celui qui tient la barre... Le pilote je le tutoy... Il a compris le professeur... il joue en bas lair quil nous faut... Black Joe... Pour les croisires... Pour bien prendre le Temps... le Vent... les menteries... Si jouvre la fentre, il fera froid dun coup... Demain jirai le tuer M. Bizonde qui nous fait vivre... le bandagiste, dans sa

  • boutique... Je veux quil voyage... Il ne sort jamais... Mon navire souffre et il malmne au-dessus du Parc Monceau... Il est plus lent que lautre nuit... Il va buter dans les Statues... Voici deux fantmes qui descendent la Comdie-Franaise... Trois vagues normes emportent les arcades Rivoli. La sirne hurle dans mes carreaux... Je pousse ma lourde... Le vent sengouffre... Ma mre radine exorbite... Elle me semonce... Que je me tiens mal comme toujours !... La Vitruve se prcipite !... Assaut des recommandations... Je me rvolte... Je les agonise... Mon beau navire est la trane. Ces femelles gchent tout infini... il bourre en cap, cest une honte !... Il incline sur bbord quand mme... Y a pas plus gracieux que lui sous voiles... Mon cur le suit... Elles devraient courir, les garces, aprs les rats qui vont saloper la manuvre !... Jamais il ne pourra border tellement ses drisses sont souques fort !... Il faudrait dtendre... Prendre trois rouleaux avant la Samaritaine ! Je hurle tout a sur tous les toits... Et puis ma piaule va couler !... Je lai paye la fin ! Tout pay ! sou par sou ! De la garcerie de ma putaine existence !... Je chie dans mon pyjama ! La combinaison trempe... a va terriblement mal ! Je vais dbloquer sur la Bastille. Ah ! si ton pre tait l ! ... Jentends ces mots... Je membrase ! Cest encore elle ! Je me retourne. Je traite mon pre comme du pourri !... Je mpoumone !... Y avait pas un pire dgueulasse dans tout lUnivers ! de Dufayel au Capricorne !... Dabord cest une vraie stupeur ! Elle se fige ! Transie quelle demeure... Puis elle se ressaisit. Elle me traite plus bas quun trou. Je sais plus o je vais me poser. Elle pleure chaudes larmes. Elle se roule dans le tapis de dtresse. Elle se remet genoux. Elle se redresse. Elle mattaque au parapluie.

    Elle me branle des grands coups de riflard en plein dans la tronche. Le manche lui en pte dans la main. Elle fond en sanglots. La Vitruve se jette entre nous. Elle prfre me revoir jamais !... Voil comment quelle me juge ! Elle fait trembler toute la crche... Sa mmoire cest tout ce quil a laiss mon pre et des tombereaux demmerdements. a la possde le Souvenir ! Plus quil est mort et plus quelle laime ! Cest comme une chienne quen finit pas... Mais moi je suis pas daccord ! Mme crever, je me rebiffe ! Je lui rpte quil tait sournois,

  • hypocrite, brutal et dgonfl de partout ! Elle retourne la bataille. Elle se ferait tuer pour son Auguste. Je vais la drouiller. Merde !... Je suis pas malarien pour de rire. Elle minjurie, elle semporte, elle respecte pas mon tat. Je me baisse alors, je lui retrousse sa jupe, dans la furie. Jy vois son mollet dcharn comme un bton, pas de viande autour, le bas qui godaille, cest infect !... Jy ai vu depuis toujours... Je dgueule dessus un grand coup...

    Tes fou Ferdinand ! quelle recule... Elle sursaute !... Elle se barre ! Tes fou quelle regueule dans lescalier.

    Je trbuche moi. Je mtale. Je lentends qui boite jusquen bas. La fentre est reste bante... Je pense Auguste, il aimait aussi les bateaux... Ctait un artiste au fond... Il a pas eu de chance. Il dessinait des temptes de temps en temps sur mon ardoise...

    La bonne elle est reste au bord du lit... Je lui ai dit : Couche-toi l tout habille... On est en voyage... Mon bateau, il a perdu toutes les lumires sur la gare de Lyon... Je donnerai le reu au Capitaine pour quil revienne quai Arago, quand on montera les guillotines... Le quai du Matin...

    milie, elle en rigole... Elle comprend pas les astuces... Demain quelle a dit... Demain !... Elle est repartie trouver son mme.

    Alors l jtais vraiment seul !... Alors jai bien vu revenir les mille et mille petits canots au-

    dessus de la rive gauche... Ils avaient chacun dedans un petit mort ratatin dessous sa voile... et son histoire... ses petits mensonges pour prendre le vent...

  • Le sicle dernier je peux en parler, je lai vu finir... Il est parti sur la route aprs Orly... Choisy-le-Roi... Ctait du ct dArmide o elle demeurait aux Rungis, la tante, laeule de la famille...

    Elle parlait de quantit de choses dont personne se souvenait plus. On choisissait lautomne un dimanche pour aller la voir, avant les mois les plus durs. On reviendrait plus quau printemps stonner quelle vive encore...

    Les souvenirs anciens cest tenace... mais cest cassant, cest fragile... Je suis sr toujours quon prenait le tram devant le Chtelet, la voiture chevaux... On grimpait avec nos cousins sur les bancs de limpriale. Mon pre restait la maison. Les cousins ils plaisantaient, ils disaient quon la retrouverait plus la tante Armide, aux Rungis. Quen ayant pas de bonne, et seule dans un pavillon elle se ferait srement assassiner qu cause des inondations on serait peut-tre avertis trop tard...

    Comme a on cahotait tout le long jusqu Choisy travers des berges. a durait des heures. a me faisait prendre lair. On devait revenir par le train.

    Arrivs au terminus fallait faire alors vinaigre ! Enjamber les gros pavs, ma mre me tirait par le bras pour que je la suive la cadence... On rencontrait dautres parents qui allaient voir aussi la vieille. Elle avait du mal ma mre avec son chignon, sa voilette, son canotier, ses pingles... Quand sa voilette tait mouille elle la mchait dnervement. Les avenues avant chez la tante ctait plein de marrons. Je pouvais pas men ramasser, on navait pas une minute... Plus loin que la route, cest les arbres, les champs, le remblai, des mottes et puis la campagne... plus loin encore cest les pays inconnus... la Chine... Et puis rien du tout.

    On avait si hte darriver que je faisais dans ma culotte... dailleurs jai eu de la merde au cul jusquau rgiment, tellement

  • jai t press tout le long de ma jeunesse. On parvenait tout tremps aux premires maisons. Ctait un village amusant, je men rends bien compte aujourdhui ; avec des petits coins tranquilles, des ruelles, de la mousse, des dtours, tout le fromage du pittoresque. Ctait fini la rigolade en arrivant devant sa grille. a grinait. La tante elle avait sold la toilette au Carreau du Temple pendant prs de cinquante ans... Son pavillon aux Rungis ctait toutes ses conomies.

    Elle demeurait au fond dune pice, devant la chemine, elle restait dans son fauteuil. Elle attendait quon vienne la voir. Elle fermait aussi ses persiennes cause de sa vue.

    Son pavillon tenait du genre suisse, ctait le rve lpoque. Devant, des poissons mijotaient dans un bassin puant. On marchait encore un petit bout, on arrivait son perron. On senfonait dans les ombres. On touchait quelque chose de mou. Approche, naie pas peur mon petit Ferdinand !... Elle minvitait aux caresses. Jy coupais donc pas. Ctait froid et rche et puis tide, au coin de la bouche, avec un got effroyable. On allumait une bougie. Les parents formaient leur cercle de papoteurs. De me voir embrasser laeule a les excitait. Jtais pourtant bien cur par ce seul baiser... Et puis davoir march trop vite. Mais quand elle se mettait causer ils taient tous forcs de se taire. Ils ne savaient pas quoi lui rpondre. Elle ne conversait la tante qu limparfait du subjonctif. Ctaient des modes primes. a coupait la chique tout le monde. Il tait temps quelle dcampe.

    Dans la chemine derrire elle, jamais on avait fait de feu ! Il aurait fallu que jeusse un peu plus de tirage... En ralit ctait raison dconomie.

    Avant quon se quitte Armide offrait des gteaux. Des biscuits bien secs, dun rceptacle bien couvert, quon ouvrait que deux fois par an. Tout le monde les refusait bien sr... Ils taient plus des enfants... Ctait pour moi les petits-beurre !... Dans lmoi de me les taper, de plaisir, fallait que je sautille... Ma mre me pinait pour a... Jchappais vite au jardin, espigle toujours, recracher tout dans les poissons...

    Dans le noir, derrire la tante, derrire son fauteuil, y avait tout ce qui est fini, y avait mon grand-pre Lopold qui nest

  • jamais revenu des Indes, y avait la Vierge Marie, y avait M. le Bergerac, Flix Faure et Lustucru et limparfait du subjonctif. Voil.

    Je me faisais baiser par laeule encore une fois sur le dpart... Et puis ctait la sortie brusque ; on repassait par le jardin en vitesse. Devant lglise on abandonnait des cousins, ceux qui remontaient sur Juvisy. Ils repoussaient tous des odeurs en membrassant, a fait souffle rance entre les poils et les plastrons. Ma mre boitait davantage davoir t une heure assise, tout engourdie.

    En repassant devant le cimetire de Thiais on faisait un bond lintrieur. On avait l deux morts encore nous, au bout dune alle. On regardait leurs tombes peine. On refoutait le camp comme des voleurs. La nuit vient vite vers la Toussaint. On rattrapait Clotilde, Gustave et Gaston aprs la fourche Belle-Epine. Ma mre avec sa jambe en laine la trane, elle butait partout. Elle sest fait mme une vraie entorse en essayant de me porter juste devant le passage niveau.

    Dans la nuit on nesprait plus quarriver au gros bocal du pharmacien. Ctait la Grand-Rue, le signe quon tait sauvs... Sur le fond cru du gaz, y avait les musiques des bistrots, leurs portes qui chavirent. On se sentait menacs. On repassait vite sur lautre trottoir, ma mre avait peur des ivrognes.

    La gare ctait dedans comme une bote, la salle dattente pleine de fume avec une lampe dhuile en haut, branleuse au plafond. a tousse, a graillonne autour du petit pole, les voyageurs, tout empils, ils grsillent dans leur chaleur. Voici le train qui vrombit, cest un tonnerre, on dirait quil arrache tout. Les voyageurs se trmoussent, se dcarcassent, chargent en ouragan les portires. On est les derniers nous deux. Je prends une gifle pour que je laisse la poigne tranquille.

    Ivry, il faut quon descende ; on profite quon est sortis pour passer chez louvrire, Mme Hronde, la raccommodeuse de dentelles. Elle rpare toutes les broderies du magasin, surtout les anciennes, si fragiles, si difficiles teinter.

    Elle demeurait au bout dIvry peu prs, rue des Palisses, une bauche, au milieu des champs. Ctait une cabane. On profitait de notre sortie pour aller la stimuler. Jamais elle tait

  • prte lheure. Les clientes taient froces et rleuses comme on oserait plus. Je lai vue chialer chaque soir ou presque, ma mre, cause de son ouvrire et des dentelles qui revenaient pas. Si elle boudait notre cliente aprs son accroc de Valenciennes, elle revenait plus pendant un an.

    La plaine au-del dIvry, ctait encore plus dangereux que la route la tante Armide. Y avait pas de comparaison. On croisait parfois des voyous. Ils apostrophaient ma mre. Si je me retournais je prenais une tarte. Quand la boue devenait si molle, si visqueuse quon perdait ses godasses dedans, alors cest que nous tions plus loin. La bicoque de Mme Hronde dominait un terrain vague. Le clebs nous avait reprs. Il gueulait tout ce quil pouvait. On apercevait la fentre.

    Chaque fois ctait la surprise pour notre ouvrire, elle restait saisie de nous voir. Ma mre la couvrait de reproches. Y avait dballage de griefs. Finalement, elles fondaient en larmes toutes les deux. Javais moi plus qu attendre regarder dehors... le plus loin possible... la plaine lourde dombre quallait jusquau bout finir dans les quais de la Seine, dans la ribambelle des lotis.

    Cest la lumire au ptrole quelle rparait, notre ouvrire. Elle senfumait, elle se crevait les yeux avec a. Ma mre la relanait toujours, pour quelle se fasse enfin poser le gaz. Vraiment cest indispensable ! quelle insistait en partant.

    Pour rafistoler des entre-deux minuscules, des toiles daraignes, srement cest un fait quelle se dtriorait les rtines. Ma mre ctait pas tant par intrt quelle lui faisait des remarques, ctait aussi par amiti. Je lai jamais visite que la nuit la cabane de Mme Hronde.

    On nous le posera en septembre ! quelle affirmait chaque coup. Ctait des mensonges, ctait pour pas quon insiste... Ma mre malgr ses dfauts lestimait beaucoup.

    Sa terreur, maman, ctaient les voleuses. Mme Hronde tait honnte, elle, comme pas une. Jamais elle faisait tort dun centime. Et pourtant dans sa mouscaille ce quon lui a confi comme trsors ! Des Venises entiers en chasubles, comme y en a plus dans les muses ! Quand elle en parlait ma mre plus tard dans lintimit, elle senthousiasmait encore. Il lui venait des larmes. Ctait une vraie fe, cette femme-l ! quelle

  • reconnaissait, cest triste quelle aye pas de parole ! Jamais elle ma livr lheure !... Elle est morte la fe avant quon y ait pos le gaz, de fatigue, enleve par la grippe, et aussi srement du chagrin davoir un mari trop coureur... Elle est morte en couches... Je me souviens bien, de son enterrement. Ctait au Petit Ivry. On tait que nous trois, mes parents, le mari sest mme pas drang ! Ctait un bel homme, il avait bu tous ses sous. Il restait des annes entires au bar, au coin de la rue Gaillon. Pendant encore au moins dix ans on la vu l quand on passait. Et puis il a disparu.

    Quand nous sortions de chez louvrire, on avait pas fini nos courses. Austerlitz, on repiquait encore un galop et puis un coup domnibus jusqu la Bastille. Ctait du ct du Cirque dHiver qutait latelier des Wurzem, bnistes, des Alsaciens, toute une famille. Tous nos petits meubles, les haricots, les consoles, cest lui qui les maquillait genre ancien . Depuis vingt ans, il ne faisait que a pour Grand-mre et puis pour dautres. La marqueterie a ne tient jamais, cest une discussion perptuelle. Un artiste aussi Wurzem, un ouvrier sans pareil. Ils gtaient tous dans les copeaux, sa femme, sa tante, un beau-frre, deux cousines et quatre enfants. Il tait jamais prt non plus. Son vice lui ctait la pche. Il passait souvent une semaine canal Saint-Martin, au lieu de pousser les commandes. Ma mre se fchait tout rouge. Il rpondait insolemment. Aprs il faisait des excuses. La famille clatait en larmes, a en faisait neuf pour pleurer, nous, deux seulement. Ils taient des paniers percs . force de pas payer leur terme, il a fallu quils dcampent, quils se rfugient dans un maquis, rue Caulaincourt.

    Leur cahute ctait pic tout en bas dune fondrire, on y arrivait par des planches. De loin, on poussait des gueulements, on se dirigeait vers leur lanterne. Ce qui me taquinait chez eux, ctait de foutre en lair le pot de colle, toujours en branle sur le rchaud. Un jour je me suis dcid. Mon pre en apprenant a, il a prvenu tout de suite Maman, que je ltranglerais un jour, que ctait bien dans mes tendances. Il voyait tout a.

    Chez les Wurzem, lagrable cest quils avaient pas de rancune. Aprs les pires engueulades, ds quon les douillait un

  • peu, ils se remettaient chanter. Pour eux rien tait tragique, des imprvoyants ces ouvriers ! Pas des consciencieux comme nous autres ! Ma mre profitait de ces incidents comme exemples pour me faire horreur. Moi je les trouvais bien gentils. Je roupillais dans leurs copeaux. Fallait encore quon me secoue pour pouloper jusquau Boulevard, bondir dans lomnibus Halle aux Vins . Lintrieur, je trouvais a splendide cause du gros il en cristal qui donne des figures de lumire toute la range des banquettes. Cest magique.

    Les bourrins galopent la rue des Martyrs, tout le monde scarte pour quon passe. Quand on arrive la boutique on est trs en retard quand mme.

    Grand-mre ramne dans son coin, mon pre Auguste rabat sa casquette fond. Il dambule comme un lion sur la passerelle dun navire. Ma mre saffale sur lescabeau. Elle a tort, cest pas la peine quelle sexplique. Tout ce quon avait fait en route a ne plat personne, ni Grand-mre ni papa. On ferme enfin le magasin... On dit au revoir bien poliment. On part tous les trois se coucher. Cest encore une sacre trotte jusque chez nous. Cest de lautre ct du Bon March .

    Mon pre il tait pas commode. Une fois sorti de son bureau, il mettait plus que des casquettes, des maritimes. avait t toujours son rve dtre capitaine au long cours. a le rendait bien aigri comme rve.

    Notre logement, rue de Babylone, il donnait sur les Missions . Ils chantaient souvent les curs, mme la nuit ils se relevaient pour recommencer leurs cantiques. Nous on pouvait pas les voir cause du mur qui bouchait juste notre fentre. a faisait un peu dobscurit.

    la Coccinelle-Incendie, mon pre ne gagnait pas beaucoup.

    Pour traverser les Tuileries il fallait souvent quil me porte. Les flics en ce temps-l, ils avaient tous des gros bides. Ils restaient planqus sous les lampes.

    La Seine a surprend les mmes, le vent qui fait trembler les reflets, le grand gouffre au fond, qui bouge et ronchonne. On tournait la rue Vanneau et puis on arrivait chez nous. Pour allumer la suspension y avait encore une comdie. Ma mre

  • savait pas. Mon pre Auguste, il tripotait, sacrait, jurait, dglinguait chaque fois la douille et le manchon.

    Ctait un gros blond, mon pre, furieux pour des riens, avec un nez comme un bb tout rond, au-dessus de moustaches normes. Il roulait des yeux froces quand la colre lui montait. Il se souvenait que des contrarits. Il en avait eu des centaines. Au bureau des Assurances, il gagnait cent dix francs par mois.

    En fait daller dans la marine, il avait tir au sort sept annes dans lartillerie. Il aurait voulu tre fort, confortable et respect. Au bureau de la Coccinelle ils le traitaient comme de la pane. Lamour-propre le torturait et puis la monotonie. Il navait pour lui quun bachot, ses moustaches et ses scrupules. Avec ma naissance en plus, on senfonait dans la mistoufle.

    On avait toujours pas bouff. Ma mre trifouillait les casseroles. Elle tait dj en jupon cause des taches de la tambouille. Elle pleurait quil apprciait pas son Auguste, ses bonnes intentions, les difficults du commerce... Il ruminait lui son malheur sur un coin de la toile cire... De temps en temps, il faisait mine quil se contenait plus... Elle essayait de le rassurer toujours et quand mme. Mais cest au moment prcis quelle tirait sur la suspension, le beau globe jaune crmaillre, quil entrait franchement en furie. Clmence ! Voyons ! Nom de Dieu ! Tu vas nous foutre un incendie ! Je tai bien dit de la prendre deux mains ! Il poussait des affreuses clameurs, il sen serait fait pter la langue tellement quil tait indign. Dans la grande transe, il se poussait au carmin, il se gonflait de partout, ses yeux roulaient comme dun dragon. Ctait atroce regarder. On avait peur ma mre et moi. Et puis il cassait une assiette et puis on allait se coucher...

    Tourne-toi du ct du mur ! petit saligaud ! Te retourne pas ! Javais pas envie... Je savais... Javais honte... Ctait les jambes maman, la petite et la grosse... Elle allait encore boiter dune chambre une autre... Il lui cherchait des raisons... Elle insistait pour terminer la vaisselle... Elle essayait un petit air pour drider la sance...

    Et le soleil par les trous

    Du toit descendait chez nous...

  • Auguste, mon pre, lisait La Patrie. Il sasseyait prs de mon lit-cage. Elle venait lembrasser. La tempte labandonnait... Il se relevait jusqu la fentre. Il faisait semblant de chercher quelque chose dans le fond de la cour. Il ptait un solide coup. Ctait la dtente.

    Elle ptait aussi un petit coup la sympathie, et puis elle senfuyait mutine, au fond de la cuisine.

    Aprs ils refermaient leur porte... celle de leur chambre... Je couchais dans la salle manger. Le cantique des missionnaires passait par-dessus les murs... Et dans toute la rue de Babylone y avait plus quun cheval au pas... Bum ! Bum ! ce fiacre la trane...

    Mon pre pour mlever, il sest tap bien des boulots supplmentaires. Lempreinte son chef lhumiliait de toutes les faons. Je lai connu moi ce Lempreinte, ctait un rouquin quavait tourn ple, avec des longs poils en or, quelques-uns seulement la place de barbe. Mon pre, il avait du style, llgance lui venait toute seule, ctait naturel chez lui. Lempreinte, ce don lagaait. Il sest veng pendant trente ans. Il lui a fait recommencer presque toutes ses lettres.

    Quand jtais plus petit encore, Puteaux, chez la nourrice, mes parents montaient l-haut me voir le dimanche. Y avait beaucoup dair. Ils ont toujours rgl davance. Jamais un sou de dette. Mme au milieu des pires dboires. Courbevoie seulement force de soucis et de se priver sur bien des choses, ma mre sest mise tousser. Elle arrtait plus. Ce qui la sauve cest le sirop de limaces et puis la mthode Raspail.

  • M. Lempreinte, il se mfiait que mon pre il aye des drles dambitions avec un style comme le sien.

    De chez ma nourrice Puteaux, du jardin, on dominait tout Paris. Quand il montait me voir papa, le vent lui bouriffait les moustaches. Cest a mon premier souvenir.

    Aprs la faillite dans les Modes Courbevoie, il a fallu quils travaillent double mes parents, quils en mettent un fameux coup. Elle comme vendeuse chez Grand-mre, lui toutes les heures quil pouvait, en plus, la Coccinelle. Seulement plus il montrait son beau style, plus Lempreinte le trouvait odieux. Pour viter la rancune il sest lanc dans laquarelle. Il en faisait le soir aprs la soupe. On ma ramen Paris. Je le voyais tard dessiner, des bateaux surtout, des navires sur locan, des trois-mts par forte brise, en noir, en couleurs. Ctait dans ses cordes... Plus tard des souvenirs dartillerie, des mises en batterie au galop, et puis des vques... la demande des clients... cause de la robe clatante... Et puis des danseuses enfin, avec des cuisses volumineuses... Ma mre allait prsenter le choix, pendant lheure du djeuner, des revendeurs en galeries... Elle a tout fait pour que je vive, cest natre quil aurait pas fallu.

    Chez Grand-mre, rue Montorgueil, aprs la faillite, elle crachait parfois du sang le matin en faisant ltalage. Elle dissimulait ses mouchoirs. Grand-mre survenait... Clmence essuie-toi les yeux !... Pleurer narrange pas les choses !... Pour arriver de trs bonne heure, on se levait au jour, on traversait les Tuileries, mnage dj t