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© Nathalie Roberge, 2018
Mère Julienne du Rosaire et l'adoration Exploration d'un chemin de vie spirituelle
Thèse
Nathalie Roberge
Doctorat en théologie
Philosophiæ doctor (Ph. D.)
Québec, Canada
Mère Julienne du Rosaire et l’adoration Exploration d’un chemin de vie spirituelle
Thèse
Nathalie Roberge
Sous la direction de :
Thérèse Nadeau-Lacour
iii
Résumé
S’inscrivant au carrefour de la théologie de la vie spirituelle et de l’histoire de la spiritualité
chrétienne, la recherche explore l’œuvre doctrinale de Julienne Dallaire (1911-1995).
Mieux connue sous le nom de Mère Julienne du Rosaire, cette spirituelle québécoise –
fondatrice de la congrégation des Dominicaines Missionnaires Adoratrices – développe une
spiritualité ancrée dans une contemplation du Christ, où l’Écriture et la Tradition de
l’Église sont largement convoquées. Une lecture approfondie de son héritage manuscrit
permet de constater que l’adoration y occupe une place centrale et y assure une fonction
intégratrice. Dès lors, pour une première approche du corpus, l’intérêt de privilégier la piste
de l’adoration comme thème principal de la thèse s’est naturellement imposé.
Le choix d’étudier les écrits d’un auteur spirituel procède de la conviction que l’expérience
chrétienne est un réel lieu théologique, comme l’ont largement montré au vingtième siècle
des théologiens de la vie spirituelle tels que Charles-André Bernard ou François-Marie
Léthel. Au plan méthodologique, outre un procédé descriptif visant à établir les
présupposés nécessaires au niveau historique, la démarche d’investigation des documents
transmis par Julienne est essentiellement inductive. Elle fait appel à des outils d’analyse
littéraire – rhétoriques, narratifs et pragmatiques –, qui ont l’avantage de favoriser une
appropriation plus objective du contenu des textes, en tenant compte de leurs genres
respectifs. Dans ce domaine, la recherche bénéficie de l’expertise développée par Thérèse
Nadeau-Lacour.
Les résultats obtenus au terme de ce processus exploratoire laissent apparaître divers
éléments bibliques, christologiques et anthropologiques par lesquels Julienne opère un
déplacement majeur dans les conceptions « traditionnelles » de l’adoration. Tout en
rappelant la signification naturelle de cette réalité, Julienne invite à en découvrir la
nouveauté apportée par le Christ. La distinction qu’elle effectue entre le Christ adorable et
le Christ adorateur se révèle fondamentale. Mettant en lumière la spécificité de l’union
hypostatique, propre à l’Incarnation du Christ, elle amène son lecteur à envisager non
seulement le caractère adorable de la personne du Christ, mais le dynamisme adorateur qui
sous-tend toute son existence. La réflexion s’ouvre ainsi à la dimension trinitaire de
iv
l’adoration et à la relation d’alliance qu’elle suppose. Ce point de vue permet à Julienne
d’éclairer l’acte d’amour par lequel le Christ s’offre pour la gloire de Dieu et le salut du
monde, un acte qui se perpétue dans l’éternité et demeure toujours actuel dans le sacrement
de l’autel, grâce à l’événement du Jeudi saint.
De ces assises christocentriques se dégage une anthropologie théologique qui, fondée sur
les dons du baptême et de l’Eucharistie, convie le croyant à devenir conforme au Christ
dans le mystère de sa vie adoratrice. L’approche contribue à rendre explicite le chemin
spirituel manifesté dans le quatrième Évangile : dans le Christ, toute la vie participe de cette
attitude fondamentale qu’est l’adoration « en esprit et en vérité ». Julienne rassemble ses
compréhensions sous l’expression « dévotion au Cœur Eucharistique ». Elle fait de la
Vierge Marie le modèle par excellence de cette spiritualité.
Dans l’horizon théologique actuel, la proposition de Julienne se révèle complémentaire et, à
certains égards intégratrice, de la perspective sacramentaire qui, au cours des dernières
décennies, a largement – et presque exclusivement – occupé les discussions concernant
l’adoration. Son enseignement à ce sujet convoque à redécouvrir et/ou à initier d’autres
voies fécondes, anticipant dans un premier temps l’impulsion donnée par le concile Vatican
II puis, dans un second temps, la déployant.
À partir des ouvertures que la démarche théologique réalise, les conclusions suggèrent des
pistes d’explorations futures dans des domaines aussi variés que l’exégèse biblique, la
liturgie et même l’œcuménisme.
v
Abstract
Situated at the crossroads between the theology of spiritual life and the history of Christian
spirituality, the research explores the doctrinal work of Julienne Dallaire (1911-1995).
Better known as Mother Julienne of the Rosary, this spiritual person from Quebec –
foundress of the congregation of the Dominican Missionary Adorers – develops a
spirituality rooted in a contemplation of Christ where Scripture and Church Tradition are
widely called upon. An in-depth reading of her manuscript heritage shows that adoration
occupies a central place in it and serves an integrative function. Thus, for a first approach to
the corpus, focusing on the subject of adoration as the main theme of the thesis naturally
imposed itself.
The choice to study the writings of a spiritual author stems from the conviction that the
Christian experience is a real locus theologicus as was widely pointed out in the twentieth
century by theologians of spiritual life, such as Charles-André Bernard or François-Marie
Léthel. At the methodological level, in addition to a descriptive process aiming to establish
the necessary presuppositions at the historical level, the process of investigation of the
documents transmitted by Julienne is essentially inductive. It uses tools of literary analysis
– rhetorical, narrative and pragmatic – which have the advantage to favour a more objective
appropriation of the content of the texts, taking into account their respective genres. In this
field, the research benefits from the expertise developed by Thérèse Nadeau-Lacour.
The results at the end of this exploratory process reveal various biblical, christological and
anthropological elements through which Julienne operates a major shift in the
« traditional » ways of conceiving adoration. While recalling the natural meaning of this
reality, Julienne helps discover the newness brought by Christ. The distinction she makes
between the adorable Christ and the adoring Christ is fundamental. By bringing to light the
specificity of the hypostatic union proper to the Incarnation of Christ, she leads her reader
to consider not only the adorable character of the person of Christ, but the worshiping
dynamism that underlies his whole existence. Reflection thus opens up to the Trinitarian
dimension of adoration and to the covenantal relationship it implies. This point of view
allows Julienne to bring to light the act of love by which Christ offers himself for the glory
vi
of God and the salvation of the world, an act that is perpetuated in eternity and is always
present in the Sacrament of the altar, because of the event of Holy Thursday.
From these christocentric foundations emerges a theological anthropology which, based on
the gifts of baptism and Holy Eucharist, invites the believer to become Christ-like in the
mystery of his adoring life. The approach helps to make explicit the spiritual path shown in
the fourth Gospel: in Christ, all life participates in this fundamental attitude of adoration
« in spirit and in truth ». Julienne brings together her understandings under the expression
« devotion to the Eucharistic Heart (of Jesus) ». She considers the Virgin Mary as the
model par excellence of this spirituality.
In the current theological horizon, Julienne's proposal is complementary and, in some
respects, has an integrating capacity, with regards to the sacramental perspective of recent
decades, which has largely – and almost exclusively – occupied the discussions concerning
adoration. Her teaching on this subject invites to rediscover and/or to initiate other fertile
approaches, anticipating first of all the impetus given by the Second Vatican Council and
then secondly, deploying it.
From the openings that the theological research achieves, the conclusions suggest paths for
future exploration in areas as varied as biblical exegesis, liturgy and even ecumenism.
vii
Table des matières
Résumé .................................................................................................................................. iii
Abstract ................................................................................................................................. v
Table des matières .............................................................................................................. vii
Liste de sigles ....................................................................................................................... xv
Liste de Tableaux ............................................................................................................... xvi
Liste de figures .................................................................................................................. xvii
Remerciements ................................................................................................................... xix
Introduction .......................................................................................................................... 1
1. Un projet de recherche au carrefour de la science et de la vie .................................... 2
2. Repères biographiques .................................................................................................... 8
3. Le corpus de textes ......................................................................................................... 10
3.1 État et présentation des conférences ..................................................................................... 11 3.2 Publications .......................................................................................................................... 16
4. Problématique ................................................................................................................ 16
5. Perspectives méthodologiques ...................................................................................... 25
5.1 Diverses méthodes d’analyse littéraire ................................................................................. 25 5.2 Avantages et défis des méthodes d’analyse littéraire ........................................................... 29 5.3 Application concrète ............................................................................................................. 31
6. Quelques remarques préalables à la présentation des résultats ................................ 32
6.1 Un cas de figure particulier dans le domaine de l’étude des auteurs spirituels .................... 32 6.2 Structure de la thèse ............................................................................................................. 34
Chapitre 1
Aux sources d'une doctrine spirituelle – Un regard posé sur diverses influences ........ 36
Introduction ........................................................................................................................ 36
Première partie : Une croissance spirituelle marquée par diverses influences ............ 39
1. Des personnes ................................................................................................................. 40
1.1 Les parents de Julienne ......................................................................................................... 41 1.2 Des prêtres ............................................................................................................................ 44
viii
2. Des livres ......................................................................................................................... 49
2.1 L’imitation de Jésus-Christ .................................................................................................. 50 2.2 Traité de la vraie dévotion ................................................................................................... 51 2.3 Manuel des Congréganistes ................................................................................................. 55 2.4 Histoire d’une âme ............................................................................................................... 55 2.5 Le Catéchisme ...................................................................................................................... 58 2.6 Les Évangiles ....................................................................................................................... 60 2.7 Le Missel .............................................................................................................................. 61 2.8 Éléments de synthèse ............................................................................................................ 62
3. Des événements .............................................................................................................. 64
3.1 Les études chez les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame ............................................ 64 3.2 La première communion de Julienne ................................................................................... 66 3.3 Célébrations et fêtes ecclésiales ........................................................................................... 67 3.4 Des essais de vie religieuse .................................................................................................. 68
3.4.1 Les Franciscaines Missionnaires de Marie................................................................. 68 3.4.2 Les Sœurs Servantes du Saint-Cœur de Marie ........................................................... 69 3.4.3 Les Dominicaines de l’Enfant-Jésus .......................................................................... 71 3.4.4 Éléments de synthèse ................................................................................................. 73
3.5 Les années 1942-1943 .......................................................................................................... 73 3.5.1 Le Jeudi saint 2 avril 1942 ......................................................................................... 74 3.5.2 Le vendredi 2 octobre 1942........................................................................................ 75 3.5.3 Le 4 décembre 1942 ................................................................................................... 76 3.5.4 Le 24 février 1943 ...................................................................................................... 77 3.5.5 Le 4 août 1943 ............................................................................................................ 79
3.6 Février 1958 ......................................................................................................................... 80 3.7 Éléments de synthèse ............................................................................................................ 80
4. Des lieux .......................................................................................................................... 81
5. Conclusion intermédiaire .............................................................................................. 82
Deuxième partie : Une relecture en quatre étapes du cheminement spirituel de
Julienne ........................................................................................................................... 83
1. De cinq à douze ans ........................................................................................................ 84
2. De douze à dix-sept ans ................................................................................................. 85
3. De dix-sept à trente ans ................................................................................................. 87
4. De trente à trente-trois ans ........................................................................................... 88
5. Conclusion intermédiaire .............................................................................................. 92
ix
Troisième partie : Un regard approfondi sur quelques textes bibliques ....................... 96
1. La rencontre du Christ Jésus avec une femme de Samarie ....................................... 96
1.1 « Si tu connaissais le don de Dieu et celui qui te parle » (Jn 4, 10) ..................................... 96 1.2 « Mon Père cherche des adorateurs » (Jn 4, 23) ................................................................. 100
2. « L’Évangile du Jeudi saint »...................................................................................... 104
3. Éléments de synthèse biblique .................................................................................... 107
Conclusion du chapitre 1 ................................................................................................. 109
Chapitre 2
Mère Julienne du Rosaire et l'adoration – Exploration des perspectives
christologiques .............................................................................................................. 111
Introduction ...................................................................................................................... 111
Première partie : le Christ adorable ............................................................................... 113
1. Le Fils de Dieu est adorable au sein de la Trinité ..................................................... 115
2. Le Verbe est adorable dans le mystère de son Incarnation ..................................... 116
3. Le Christ est adorable dans le mystère de sa présence eucharistique .................... 120
4. Conclusion intermédiaire ............................................................................................ 126
Transition : Un héritage revisité et questionné .............................................................. 130
1. « Le sens de l’adoration disparaît » dans le monde moderne .................................. 130
2. Des changements d’accents dans la piété chrétienne ................................................ 131
3. Une « baisse de foi » en l’Eucharistie ......................................................................... 134
4. Une désaffection de l’adoration eucharistique .......................................................... 136
5. Une « exagération » dans l’histoire de l’Église.......................................................... 138
Deuxième partie : le Christ adorateur ............................................................................ 140
1. Quelques définitions additionnelles au sujet de l’adoration .................................... 140
2. Le Fils de Dieu n’est pas adorateur dans la Trinité .................................................. 144
3. L’adoration « part de l’Incarnation » ........................................................................ 145
3.1 Jésus-Christ, « en tant qu’homme […] adore » .................................................................. 145 3.2 Le Christ Jésus est « substantiellement adorateur » ........................................................... 148
x
3.3 Le Christ Jésus est le seul adorateur véritable .................................................................... 149 3.4 Jésus-Christ adore le Père ................................................................................................... 151
3.4.1 Une relation d’obéissance filiale .............................................................................. 151 3.4.2 Un don total de soi par amour .................................................................................. 154
a) Toute « La vie du Verbe nous crie : don de soi » ............................................... 154 b) Le Jeudi saint comme sommet du don ................................................................ 156 c) Lien entre le Jeudi saint et le Vendredi saint ...................................................... 160 d) La notion de sacrifice .......................................................................................... 163
3.4.3 Une mission de médiateur ........................................................................................ 173 a) Pour le salut du monde ........................................................................................ 176 b) En vue de la gloire de Dieu ................................................................................. 179
3.5 Jésus-Christ adore la Trinité ............................................................................................... 183 3.5.1 « Le Christ s’adore » lui-même ................................................................................ 185 3.5.2 Le Christ adore l’Esprit ............................................................................................ 188
3.6 Éléments de synthèse .......................................................................................................... 190
4. Le Christ est adorateur dans l’Eucharistie ............................................................... 191
4.1 L’acte d’amour du Jeudi saint se perpétue à l’autel à travers les siècles ............................ 191 4.2 Le Christ Jésus invente l’Eucharistie pour « prolonger sur la terre son adoration » .......... 193 4.3 « L’hostie, c’est le Christ dans tous ses mystères »............................................................ 194
4.3.1 « Le mystère de l’Incarnation » ............................................................................... 194 a) L’« anéantissement eucharistique » .................................................................... 195 b) Le « corps ressuscité et immortel » du Christ médiateur .................................... 196
4.3.2 « Le mystère de la Rédemption » ............................................................................. 197 a) « L’Eucharistie actualise [sacramentellement] le sacrifice du Calvaire » .......... 198 b) Il y a un seul sacrifice et une seule victime ......................................................... 199 c) Il y a un seul prêtre, un seul temple, un seul autel et un seul calice .................... 202 d) Dimension personnelle de la Rédemption dans l’Eucharistie ............................. 205
4.3.3 « Le mystère de la Trinité » ..................................................................................... 206 4.3.4 « Le mystère de l’Amour » ...................................................................................... 208
4.4 L’Eucharistie, « mode le plus parfait » de la présence du Christ ....................................... 211 4.5 Lien entre l’Eucharistie et la Parole de Dieu ...................................................................... 213 4.6 Éléments de synthèse .......................................................................................................... 216
5. Le Christ est adorateur dans l’éternité ...................................................................... 217
5.1 L’adoration commencée sur la terre se continue dans l’éternité ........................................ 217 5.2 L’humanité du Christ subsiste dans la gloire ..................................................................... 218 5.3 Le Christ est « à jamais dans la plénitude du don de soi par amour » ................................ 219
5.3.1 L’acte d’amour est éternel ........................................................................................ 220 5.3.2 Le sacrifice est éternel .............................................................................................. 221
6. Conclusion intermédiaire ............................................................................................ 222
Troisième partie : La dévotion au Cœur Eucharistique ............................................... 228
1. La dévotion au Cœur Eucharistique est « l’âme de l’Église » ................................. 228
2. Objet matériel et objet formel de la dévotion au Cœur Eucharistique ................... 231
3. Différence entre la dévotion au Cœur Eucharistique et le culte de l’Eucharistie .. 232
xi
4. Différence entre la dévotion au Cœur Eucharistique et la dévotion
au Sacré-Cœur .............................................................................................................. 233
5. La dévotion au Cœur Eucharistique unit la dévotion au Sacré-Cœur et à l’Eucharistie ................................................................................................................. 235
6. Conclusion intermédiaire ............................................................................................ 236
Conclusion du chapitre 2 ................................................................................................. 240
Chapitre 3
Mère Julienne du Rosaire et l'adoration – Exploration des perspectives
anthropologiques .......................................................................................................... 244
Introduction ...................................................................................................................... 244
Première partie : Une spiritualité pour tous ? ............................................................... 245
1. « Une voie spéciale », mais non « nouvelle », de « perfection » à indiquer au monde .................................................................................................... 246
2. Un appel particulier à être « missionnaire de l’Eucharistie » ................................. 250
3. La fondation d’une communauté religieuse .............................................................. 251
4. Former « une génération d’âmes » qui deviendront apôtres du Cœur Eucharistique ............................................................................................... 253
5. Conclusion intermédiaire ............................................................................................ 255
Deuxième partie : L’adoration « au sens naturel » ....................................................... 257
1. Tout être humain et seul l’être humain est adorateur .............................................. 258
2. « L’acte fondamental de l’adoration » ....................................................................... 259
3. Conclusion intermédiaire ............................................................................................ 260
Troisième partie : L’adoration au sens chrétien............................................................ 260
1. L’Église « initie » ses enfants à l’adoration ............................................................... 261
1.1 Adorer le Christ présent dans l’Eucharistie ........................................................................ 262 1.2 Adorer le Père et toute la Trinité par le Christ ou l’adoration « en esprit et en vérité » ..... 263
xii
2. Enracinement baptismal de l’adoration chrétienne ................................................. 264
2.1 Le baptême incorpore et configure au Christ ..................................................................... 265 2.2 Le baptême est une entrée dans la vie trinitaire ................................................................. 267 2.3 Le baptême permet d’« avoir part » à l’adoration du Christ .............................................. 268 2.4 Le baptême confère « un sacerdoce » ................................................................................. 269 2.5 Le baptême « uni[t] au sacrifice du Christ » ...................................................................... 271
3. « Baptisés pour l’Eucharistie » ................................................................................... 271
3.1 « Toutes les […] formes de piété doivent converger à l’autel » ......................................... 272 3.2 L’Eucharistie est la « synthèse de tout le mystère de la foi » ............................................. 273 3.3 L’Eucharistie est « le sacrement par excellence de l’union » ............................................. 276 3.4 L’Eucharistie « fait les saints » .......................................................................................... 279 3.5 L’Eucharistie « construit l’Église » .................................................................................... 281 3.6 L’Eucharistie « sauvera l’Église » et « l’humanité ».......................................................... 282 3.7 L’Eucharistie est le « lieu privilégié de la rencontre [et de l’identification] avec Jésus,
l’adorateur » ....................................................................................................................... 283
4. « Faire de notre aujourd’hui une messe » ou vivre le sacerdoce baptismal de
manière eucharistique ................................................................................................. 286
4.1 « Mettre notre vie dans la messe » ..................................................................................... 286 4.1.1 Entrer dans les « sentiments d’adoration » du Christ ou « pénétrer [sa] vie intérieure »
.................................................................................................................................. 287 4.1.2 Offrir le Christ, s’offrir avec lui et offrir en lui la vie du monde ............................. 290 4.1.3 S’unir au sacrifice du Christ ou s’unir à son acte d’amour ...................................... 294 4.1.4 S’ouvrir « au Christ et à tout son corps mystique » ................................................. 299
4.2 « Mettre […] la messe dans notre vie » .............................................................................. 301 4.2.1 Vivre uni « à l’acte d’amour qui se pose continuellement à l’autel » ...................... 302 4.2.2 Tout offrir « en esprit d’adoration » ou exercer son sacerdoce baptismal au moment
présent ...................................................................................................................... 303 4.2.3 Se donner « sans limites […] au rythme du quotidien » .......................................... 307 4.2.4 Faire la volonté de Dieu ........................................................................................... 310 4.2.5 Se laisser « initier par l’Esprit Saint » ...................................................................... 314
5. « Missionnaires dans l’adoration et adoratrices dans la mission » ......................... 316
5.1 « De notre union au Christ […] dépendra toujours la fécondité de notre apostolat » ........ 316 5.2 Témoins du Christ adorateur .............................................................................................. 318
6. L’adoration est « un état de vie » ............................................................................... 321
7. Notre-Dame du Cœur Eucharistique ......................................................................... 322
7.1 Marie, « première adoratrice » ........................................................................................... 323 7.1.1 Le « oui » adorateur de Marie .................................................................................. 323 7.1.2 Marie adore son fils .................................................................................................. 324 7.1.3 Marie adore le Père .................................................................................................. 324 7.1.4 Marie, femme sacerdotale ........................................................................................ 325
a) Marie offre son fils au Père pour le salut du monde ........................................... 325 b) Marie est « toujours [présente] à l’autel » ........................................................... 326
7.2 Marie, « collaboratrice du salut » ....................................................................................... 328 7.2.1 Marie, « matrice des enfants de Dieu » .................................................................... 329
xiii
7.2.2 Vivre la messe « en union avec Marie » .................................................................. 330 a) Marie nous aide à « bien manger la chair et le sang de Jésus » .......................... 331 b) Marie « nous initie à l’offrande »........................................................................ 331 c) Marie nous fait entrer dans « ses sentiments d’adoration » ................................ 332
7.2.3 « Vivre toute notre journée en union avec Marie » .................................................. 332 a) Marie nous aide à « discerner le souffle si discret de l’Esprit »
et à « reproduire » le Christ ................................................................................. 333 b) Marie nous apprend à tout offrir ......................................................................... 334 c) Conformité au Christ et méditation du rosaire .................................................... 334 d) Demander à Marie un « esprit apostolique » ...................................................... 335
8. Conclusion intermédiaire ............................................................................................ 335
Conclusion du chapitre 3 ................................................................................................. 338
Conclusion ......................................................................................................................... 347
1. Synthèse des acquis analytiques ................................................................................. 347
1.1 Julienne ou la fécondité de la Parole .................................................................................. 347 1.2 Le modèle de théologie tétramorphe de François-Marie Léthel ......................................... 349 1.3 L’adoration, une réalité à la fois une et plurielle ................................................................ 352 1.4 L’adoration, au cœur d’une spiritualité… .......................................................................... 353
1.4.1 christocentrée ........................................................................................................... 353 1.4.2 trinitaire .................................................................................................................... 354 1.4.3 baptismale et eucharistique ...................................................................................... 355 1.4.4 ecclésiale et missionnaire ......................................................................................... 357 1.4.5 mariale ...................................................................................................................... 358
1.5 La clé de voûte : l’acte d’amour adorateur du Christ ......................................................... 358 1.6 Un chemin particulier de vie spirituelle ............................................................................. 359 1.7 La typologie de Charles-André Bernard ............................................................................. 361
2. En guise d’ouverture : quelques questionnements et pistes de recherches ............ 363
2.1 Un enseignement pertinent et une démarche théologique toujours interpellante ? ............ 363 2.2 Une école de spiritualité ? .................................................................................................. 367 2.3 Une spiritualité qui infléchit la tradition dominicaine ? ..................................................... 368 2.4 Des pistes d’approfondissement ......................................................................................... 371
2.4.1 Analyse de l’ensemble de l’œuvre de Julienne ........................................................ 372 2.4.2 Études comparatives d’auteurs ................................................................................. 372 2.4.3 Incursion dans l’histoire de la spiritualité au Québec .............................................. 374
2.5 Des pistes de dialogue ........................................................................................................ 374 2.5.1 Ouvertures exégétiques ............................................................................................ 374 2.5.2 Ouvertures liturgiques .............................................................................................. 375 2.5.3 Ouvertures œcuméniques ......................................................................................... 376
3. Julienne, maîtresse de vie spirituelle .......................................................................... 379
Bibliographie ..................................................................................................................... 382
xiv
Annexe I Repères biographiques ............................................................................. 413
Annexe II Méthodes d’analyse littéraire ................................................................... 414
Annexe III Récurrences des livres et auteurs principaux ......................................... 425
Annexe IV Table sommaire des références bibliques ............................................... 427
Annexe V Prière « Ô mon Dieu, Trinité que j’adore » d’Élisabeth de la Trinité . 446
Annexe VI La dévotion au Cœur Eucharistique – parallèle entre
Mère Julienne et divers auteurs............................................................... 447
Annexe VII Tableau comparatif : sentiments, esprit, sacrifice, hostie ..................... 462
Annexe VIII Prière de Marie de l’Incarnation, dite « Prière apostolique » .............. 464
xv
Liste de sigles
Conférences de Mère Julienne :
CF Charité fraternelle (Conférences 1 à 71)
CE Commentaire de l’offrande au Cœur Eucharistique
(Conférences 1 à 15)
ADO L’adoration
EI L’esprit initial qui fait notre histoire (Entretiens 1 à 3)
EQM L’Eucharistie, quelle merveille !
EO Esprit Originel (Conférences 1 à 30)
HS Histoire et spiritualité des Dominicaines Missionnaires Adoratrices
JS Il les aima jusqu’à la fin (Conférences données le Jeudi saint)
PB Pensées baptismales
PRI La prière
MDV Mission du Verbe et vocation Dominicaine Missionnaire Adoratrice
RM Rencontre missionnaire
SM Souvenirs d’une mère
TCA Témoins du Christ adorateur
VIE Ma vie, je l’ai voulue une messe (Entretiens 1 à 3)
VX Vœux (Conférences données le 1er
janvier)
Autres :
Archives DMA Archives des Dominicaines Missionnaires Adoratrices
Archives DQ Archives du Diocèse de Québec
DCT Dictionnaire critique de théologie
DSAM Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique
DSM Dictionnaire de spiritualité Montfortaine
DTC Dictionnaire de théologie catholique
DVS Dictionnaire de la vie spirituelle
ST Somme théologique
1 Lorsqu’il s’agit d’une série de conférences, chaque sigle sera suivi d’un numéro correspondant à la
conférence évoquée.
xvi
Liste de Tableaux
Tableau 1 : Éléments doctrinaux d’un cheminement en quatre étapes................................. 94
Tableau 2 : Parallèle entre le Verbe adorable et le Christ adorateur .................................. 241
Tableau 3 : Aperçu doctrinal historique ............................................................................. 242
Tableau 4 : Adoration au sens naturel et au sens chrétien .................................................. 339
Tableau 5 : Synthèse récapitulative .................................................................................... 352
xvii
Liste de figures
Figure 1 : Parcours narratif 1 .............................................................................................. 103
Figure 2 : Parcours narratif 2 .............................................................................................. 104
Figure 3 : Interrelation des textes bibliques........................................................................ 108
Figure 4 : Le Verbe adorable .............................................................................................. 127
Figure 5 : Parcours narratif 3 .............................................................................................. 223
Figure 6 : Le Christ adorateur ............................................................................................ 224
Figure 7 : La dévotion au Cœur Eucharistique ................................................................... 239
Figure 8 : Parcours narratif 4 .............................................................................................. 256
Figure 9 : Un modèle d’anthropologie théologique............................................................ 336
Figure 10 : Le dynamisme de la conformation au Christ selon Julienne ........................... 337
Figure 11 : Le modèle de théologie tétramorphe de François-Marie Léthel ...................... 350
xviii
À mes parents
Claudette et André Roberge,
qui ont été les premiers
à m'ouvrir les trésors de la foi.
À toute la famille Dominicaine Missionnaire Adoratrice,
ces frères et sœurs avec qui il m'est donné
de cheminer dans la foi.
xix
Remerciements
Bien que réalisé essentiellement dans la solitude d’un bureau, un projet doctoral ne peut
être mené à son achèvement sans que soient impliquées plusieurs personnes.
Au terme de ce parcours, je voudrais remercier tous les professeurs qui m’ont accompagnée
au cours de mes études universitaires, spécialement madame Thérèse Nadeau-Lacour qui a
généreusement accepté de diriger cette recherche.
Mon merci s’adresse aussi aux archivistes consultés, au personnel administratif de la
Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval et au personnel de la
bibliothèque.
J'aimerais également exprimer ma plus vive reconnaissance à toutes mes consœurs
Dominicaines Missionnaires Adoratrices. Nous formons un corps où chacune, de façon
cachée ou visible, tient un rôle essentiel. Merci pour votre appui, vos prières, vos sacrifices
qui m’ont aidée à enfanter ce travail au sujet de l’adoration, à partir des écrits de notre
fondatrice.
Mon merci s’adresse enfin à ma famille et à mes ami(e)s. Au long de ces années d’études,
vous avez été un soutien indéfectible et avez fait preuve de patience envers moi. Recevez
toute ma gratitude.
« Amour et gloire à la Trinité, par le Cœur Eucharistique de Jésus »
1
Introduction
« Cherchez le Seigneur et sa puissance,
recherchez sans trêve sa face. »
Psaume 104, 4
« Je voudrais que nous nous posions tous cette question :
Toi, moi, adorons-nous le Seigneur ?
Allons-nous à Dieu seulement pour demander,
pour remercier, ou allons-nous à lui aussi pour l’adorer ?
Que veut dire alors adorer Dieu1 ? »
Pape François
La recherche, dont les résultats sont ici présentés, voudrait s’inscrire dans l’horizon d’une
quête d’intelligence de la foi chrétienne, quête jamais totalement achevée mais sans cesse
relancée par le dynamisme de la communion ecclésiale.
À l’origine du projet, il y a la découverte de l’œuvre de Julienne Dallaire (1911-1995) –
connue davantage sous le nom de Mère Julienne du Rosaire2. Fondatrice de la congrégation
des Dominicaines Missionnaires Adoratrices, Julienne développe une spiritualité ancrée
dans une contemplation du Christ, où l’Écriture et la Tradition de l’Église sont largement
convoquées. Le choix d’approfondir sa doctrine – principalement sous l’angle de
l’adoration – découle de la conviction que l’étude des auteurs3 spirituels chrétiens peut
contribuer à stimuler la réflexion théologique, voire, en certains cas, à la renouveler.
1 FRANÇOIS, « Homélie III
e dimanche de Pâques », 2013. [http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/
homilies/2013/documents/papa-francesco_20130414_omelia-basilica-san-paolo.html] (Consulté le 19 juin
2018). 2 Pour des raisons méthodologiques, il a semblé préférable d’évoquer la personne de Julienne en usant
généralement de son prénom dans l’écriture de la thèse. Cela contribuera à alléger le texte. En aucun cas
cependant, cette manière de faire ne voudrait manquer de respect à l’égard de celle que, de façon
habituelle, il est convenu d’appeler Mère Julienne du Rosaire. 3
Le genre masculin est utilisé dans la thèse à titre épicène.
2
Certes, un tel présupposé ne va pas nécessairement de soi. Quel statut accorder aux écrits
des spirituels4 dans l’univers théologique, qui plus est à ceux d’une femme appartenant
maintenant à une autre époque ? N’est-ce pas là confondre des perspectives différentes ?
1. Un projet de recherche au carrefour de la science et de la vie
D’entrée de jeu, le questionnement soulevé en préambule oblige à prendre acte d’une
rupture dans l’histoire de la tradition chrétienne pour bien situer la démarche entreprise ici.
Il importe en effet de rappeler que, dès le treizième siècle, une séparation s’installe
progressivement entre la théologie, désormais comprise comme « intelligence critique5 » ou
« science objective6 » de la foi, et
la spiritualité, envisagée comme connaissance subjective
et pratique7.
Ces deux réalités connaîtront, pour ainsi dire, des évolutions en parallèles. S’éloignant
d’une approche contemplative du texte biblique, la théologie cherchera à élaborer un
discours sur Dieu en fonction de catégories philosophiques. Elle se transformera en une
science spéculative réservée à une élite, dont la préoccupation première sera de « rendre
compte de la nature même des choses8 ». De son côté, la spiritualité s’attardera à
4 L’adjectif spirituel doit être compris, non selon la tradition philosophique qui, à la suite de Platon, oppose
ce qui vient de la chair à ce qui vient de l’esprit, mais dans la perspective de la foi chrétienne où chaque
baptisé est appelé à se laisser conduire par l’Esprit de Dieu, à être transformé par lui, dans tout ce qui
compose son existence quotidienne. Dans ses lettres, l’apôtre Paul évoque cette réalité à travers des
expressions aussi diverses que « l’homme spirituel » (1 Co 2, 15), « l’homme intérieur » (Ep 3, 16),
« l’homme nouveau » (Col 3, 10). En ce sens, tout chrétien qui cherche à vivre en fidélité au Christ et à
son Évangile, au souffle de l’Esprit, sera considéré comme spirituel. Il devient une créature nouvelle, dans
le dynamisme de la charité que l’Esprit infuse sans cesse en lui. Par extension, les écrits de ces personnes
au sujet de l’expérience chrétienne – c’est-à-dire concernant la vérité d’une relation libre et personnelle
avec le Verbe fait chair, chemin vers la Trinité – seront aussi qualifiés de spirituels. Pour approfondir cette
réflexion, voir notamment Charles-André Bernard, Traité de théologie spirituelle, Paris, Cerf
(Théologies), 1986, p. 19-28, 37-40, 445-477. 5 Giovanni Moioli, « Théologie spirituelle », dans Stefano de Fiores (dir.), Dictionnaire de la vie spirituelle
(désormais DVS), Paris, Cerf, 1983, p. 1120. 6 C.-A. Bernard, Traité de théologie spirituelle, p. 53. Concernant l’application du concept de science à la
théologie, voir les commentaires de Bernard, p. 65-66. 7 Parmi les auteurs qui abordent la question de la rupture entre la théologie et la spiritualité – ou entre la
théologie et la sainteté –, et réfléchissent aux enjeux qui en découlent, voir notamment Hans Urs von
Balthasar, « Théologie et sainteté », Le Dieu vivant 12 (1948), p. 17-31, C.-A. Bernard, Traité de
théologie spirituelle, p. 51-64 et G. Moioli, « Théologie spirituelle », dans S. de Fiores (dir.), DVS,
p. 1120-1128. 8 Yves Congar, « Langage des spirituels et langage des théologiens », Situation et tâches présentes de la
théologie, Paris, Cerf (Cogitatio Fidei 27), 1967, p. 139.
3
comprendre l’expérience spirituelle afin d’instruire sur les voies qui mènent à l’union à
Dieu. Elle développera une anthropologie spirituelle, proposant principalement la sagesse
des saints en guise de modèles.
Avec le temps, la théologie et la spiritualité deviendront pratiquement étrangères l’une à
l’autre. De cette conjoncture surgiront des écueils majeurs pour l’Église latine9. Dans ses
manifestations les plus extrêmes, il ne sera plus absolument requis de la part du théologien
que son travail soit ancré dans une relation personnelle à Dieu, en tant que sujet de la
Révélation. L’acte théologique pourra être dissocié de l’acte de foi, tout comme l’objet de
la connaissance de son terme, c’est-à-dire du dynamisme d’alliance avec le Dieu trois fois
saint. En sens contraire, la littérature spirituelle prendra parfois les accents d’une piété
sentimentale, « souvent ouvertement anti-intellectualiste10
», allant même occasionnellement
jusqu’à faire fi du dogme. Comme le mentionne Balthasar, cette situation « a immensément
appauvri les forces vives de l’Église actuelle et la crédibilité de son message éternel11
».
Cette entrée en matière ne voudrait pas caricaturer le réel nuancé et complexe de l’histoire,
mais seulement rappeler une de ses blessures importantes, dont le présent est, d’une
certaine manière, encore tributaire.
9 Les Églises d’Orient semblent avoir échappé à la dichotomie entre théologie et spiritualité. Voir
notamment Andrew Louth, « Théologie spirituelle », dans Jean-Yves Lacoste (dir.), Dictionnaire critique
de théologie (désormais DCT), Paris, PUF, 1998, p. 1117-1118. 10
A. Louth, « Théologie spirituelle », dans J.-Y. Lacoste (dir.), DCT, p. 1117. 11
H. U. von Balthasar, « Théologie et sainteté », p. 25. Dominique Salin tire une conclusion similaire à celle
de Balthasar dans son ouvrage L’expérience spirituelle et son langage. Leçons sur la tradition mystique
chrétienne, Paris, Éditions Faculté Jésuites de Paris, 2015, p. 22.
4
Au cours du dix-septième siècle, des efforts seront déployés pour tenter de remédier à la
situation. Se réclamant d’une approche thomiste, des théologiens tels Vincent Contenson
(1641-1674)12
, Louis Bail (1610-1669)13
et Louis Chardon (1595-1651)14
feront figure de
proue dans l’élaboration d’une théologie dite « affective »15
. Leurs travaux ne porteront
cependant pas tous les fruits escomptés.
Dans « les dernières années du XIXe siècle et dans la première moitié du XX
e siècle
16 », le
souci de travailler à la réconciliation entre théologie et spiritualité refera surface.
Préoccupés de redonner à l’Église sa vitalité initiale, quelques théologiens contribueront à
l’émergence de ce qu’on appelle aujourd’hui la « théologie spirituelle17
». Au cœur de ce
processus, il faut particulièrement mentionner les apports de Auguste Poulain (1836-
1919)18
, Auguste Saudreau (1859-1946)19
, Ambroise Gardeil (1859-1931)20
, Juan-Gonzales
12
Vincent Contenson est un dominicain français. Sa principale œuvre théologique s’intitule Theologia
Mentis et Cordis (1668). Voir Innocenzo Colosio et Marie-Hyacinthe Laurent, « Contenson (Vincent ;
Guillaume de) », dans Marcel Viller (dir.), Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique (désormais
DSAM), Tome 2, 2e partie, Paris, Beauchesne, 1953, col. 2193-2196.
13 Louis Bail est un théologien français. En 1672, il publie un ouvrage intitulé Theologia affectiva. Voir Jean
Carreyre, « Bail (Louis) », dans M. Viller (dir.), DSAM, Tome 1, Paris, Beauchesne, 1937, col. 1192-
1194. 14
Louis Chardon est un dominicain français. En 1647, il publie La croix de Jésus, « une œuvre spéculative
et pratique, où se conjuguent la science du théologien et l’expérience du mystique ». Voir François
Florand, « Chardon (Louis) », dans M. Viller (dir.), DSAM, Tome 2, 1ère
partie, Paris, Beauchesne, 1953,
col. 498-503. 15
Voir notamment Gregory Lanave, « Why Holiness is Necessary for Theology : Some Thomistic
Distinctions », The Thomist 74 (2010), p. 450-451 et Jean-Pierre Torrell, « Théologie et sainteté », Revue
Thomiste 71 (1971), p. 206. 16
G. Moioli, « Théologie spirituelle », dans S. de Fiores (dir.), DVS, p. 1121. 17
L’expression « théologie spirituelle » ne doit pas faire oublier que toute théologie est « spirituelle », quel
que soit le champ particulier qu’elle explore. Certains théologiens, tel Balthasar, vont jusqu’à affirmer que
la « théologie est essentiellement un acte de l’adoration et de la prière ». Voir H. U. von Balthasar,
« Théologie et sainteté », p. 30. On pourra également consulter Joseph Ratzinger, « La vocation ecclésiale
du théologien », La Documentation Catholique 2010/14 (1990), p. 693-694. À la fin du dix-neuvième et
au début du vingtième siècle, outre l’émergence de la « théologie spirituelle », le développement du
mouvement liturgique et l’intérêt accru pour les études bibliques et patristiques contribuent également au
renouveau ecclésial. 18
Auguste Poulain est un jésuite français. Son principal ouvrage s’intitule Des Grâces d’oraison. Traité de
théologie mystique (1901). Voir Henri de Gensac, « Poulain (Auguste-François) », dans M. Viller (dir.),
DSAM, Fascicules LXXX-LXXXI-LXXXII, Paris, Beauchesne, 1985, col. 2025-2027. 19
Auguste Saudreau est un prêtre français. On lui doit de nombreux titres dont Les degrés de la vie
spirituelle (1896), La piété à travers les âges. Simple esquisse historique (1927) et La spiritualité moderne
(1940). Voir Irénée Noye, « Saudreau (Auguste) », dans M. Viller (dir.), DSAM, Fascicules XCI, Paris,
Beauchesne, 1988, col. 359-360. 20
Ambroise Gardeil est un dominicain français. Il écrit, en outre, La structure de l’âme et l’expérience
mystique (1927). Voir Henri-Dominique Gardeil, « Gardeil (Ambroise) », dans M. Viller (dir.), DSAM,
Fascicules XXXIX-XL, Paris, Beauchesne, 1965, col. 122-123.
5
Arintero (1860-1928)21
, Réginald Garrigou-Lagrange (1877-1964)22
, Joseph de Guibert
(1877-1942)23
et Anselme Stolz (1900-1942)24
. La liste pourrait s’allonger25
. Tous ont joué
un rôle de précurseur dans la reconnaissance d’une « science » de la vie spirituelle par le
milieu universitaire.
Depuis, des théologiens et historiens de la spiritualité se sont inscrits dans le sillage de ces
auteurs. Qu’on pense, par exemple, à Louis Bouyer (1913-2004)26
et à Louis Cognet (1917-
1970)27
. Plus récemment, les travaux de Charles-André Bernard (1923-2001)28
et de
François-Marie Léthel29
ont laissé voir, une fois de plus, la pertinence de ce champ d’étude.
Leurs œuvres sont magistrales. Traversées par un même souci de rigueur intellectuelle,
elles présupposent toutefois des méthodologies différentes. Alors que Bernard s’inspire
d’une approche phénoménologique – qui conjugue la méthode descriptive et déductive –
21
Juan-Gonzales Arintero est un dominicain espagnol. Il a notamment écrit L’évolution mystique (1908).
Voir Matthieu-Maxime Gorce, « Arintero (Juan-Gonzales) », dans M. Viller (dir.), DSAM, Tome 1, Paris,
Beauchesne, 1937, col. 855-859. 22
Réginald Garrigou-Lagrange est un dominicain français. On lui doit notamment Les trois âges de la vie
intérieure (1938-1939), de même que Perfection chrétienne et contemplation selon saint Thomas d’Aquin
et saint Jean de la Croix (1922). Voir Benoît Lavaud, « Garrigou-Lagrange (Réginald) », dans M. Viller
(dir.), DSAM, Fascicules XXXIX-XL, Paris, Beauchesne, 1965, col. 128-134. 23
Joseph de Guibert est un jésuite français. Il est particulièrement connu pour son ouvrage Leçons de
théologie spirituelle (1943) et Études de théologie mystique (1930). Voir Michel Olphe-Galliard,
« Guibert (Joseph de) », dans M. Viller (dir.), DSAM, Fascicules XLII-XLIII, Paris, Beauchesne, 1967,
col. 1147-1154. 24
Anselme Stolz est un bénédictin allemand. Il a notamment écrit Théologie de la mystique (1936). Voir
Günther Switek, « Stolz (Anselme) », dans M. Viller (dir.), DSAM, Fascicules XCV, Paris, Beauchesne,
1990, col. 1252-1257. 25
À ce sujet, voir notamment Servais-Théodore Pinckaers, La vie selon l’Esprit. Essai de théologie
spirituelle selon saint Paul et saint Thomas d’Aquin, Luxembourg, Éditions Saint-Paul (AMATECA
Manuels de Théologie catholique XVII/2), 1996, p. 32-33 et Pierre Pourrat, La spiritualité chrétienne,
Tome 4 : Les temps modernes, Paris, J. Gabalda et Cie, 1947, p. 629-646. 26
Louis Bouyer est un pasteur luthérien qui se convertit au catholicisme et devient membre de la
congrégation des prêtres de l’Oratoire. Parmi ses différentes publications, voir notamment Histoire de la
spiritualité chrétienne (1960-1965) et Introduction à la vie spirituelle : précis de théologie ascétique et
mystique (1960). 27
Louis Cognet est un prêtre français. On lui doit de nombreux titres, dont Introduction à la vie chrétienne
(1967) et La spiritualité moderne (1966). 28
Charles-André Bernard est un jésuite français. Il a enseigné à l’institut de spiritualité de l’université
Grégorienne. Il publie, en outre, Théologie symbolique (1978), Théologie affective (1984), Traité de
théologie spirituelle (1986), Le Dieu des mystiques (1994-1998) et Théologie mystique (2005). 29
François-Marie Léthel est un carme français. Il est professeur à la Faculté théologique Teresianum à
Rome. Parmi ses ouvrages, voir notamment Connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance.
La théologie des saints (1989) et Théologie de l’amour de Jésus. Écrits sur la théologie des saints (1996).
6
pour élaborer une typologie des voies mystiques chrétiennes30
, Léthel privilégie une lecture
inductive des écrits spirituels qui l’amène à montrer que tous les saints sont théologiens,
selon un modèle qu’il nomme la théologie tétramorphe31
. Au sein d’un même domaine,
leurs démarches révèlent donc une diversité de perspectives envisageables.
Dès lors, on ne s’étonnera pas de constater que, d’un chercheur à l’autre, la définition de la
théologie spirituelle présente parfois des nuances32
. Essentiellement, elle vise à rendre
compte systématiquement de l’expérience spirituelle chrétienne, c’est-à-dire de
l’expérience « de la vérité salvifique33
» du Dieu révélé en Jésus-Christ, en vue du salut de
tous. Une telle théologie est à la fois contemplative, spéculative et pratique. Elle est mue et
informée par la vie théologale, au cœur de l’Église34
.
Comme en témoignent les remarques précédentes, la prise de conscience accrue de la
dimension spirituelle de la théologie, notamment grâce à l’émergence d’un domaine
spécifiquement consacré à la vie spirituelle, a permis d’ouvrir des horizons plus vastes pour
30
Par mystique, il faut entendre ici, non pas uniquement ce qui concerne les expériences spirituelles
extraordinaires – telles les visions et les extases – mais ce chemin de foi quotidien où, dans la lumière de
la Révélation évangélique et au souffle de l’Esprit, chaque baptisé est amené à communier au mystère de
Dieu, suivant sa physionomie spirituelle propre. Au sujet de cette distinction entre expérience mystique et
vie mystique, voir notamment Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Je veux voir Dieu, Tarascon, Éditions du
Carmel, 1956, p. 314 et Thérèse Nadeau-Lacour, L’expérience de Dieu avec Thérèse d’Avila, Montréal,
Fides, 1999, p. 22. Dans sa trilogie, Le Dieu des mystiques, Charles-André Bernard distingue trois types
dominants de vie mystique chez les spirituels chrétiens : ceux qui privilégient les voies de l’intériorité
(qu’on pourrait aussi appeler la mystique nuptiale), ceux qui s’attardent au dynamisme de la conformation
au Christ et ceux qui priorisent la dimension apostolique. 31
Pour Léthel, la théologie est à la fois mystique, pratique, spéculative et symbolique. Voir notamment F.-
M. Léthel, Connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance. La théologie des saints,
Venasque, Éditions du Carmel, 1989, p. 31-43. 32
Cette situation découle également de la signification donnée aux mots « théologie » et « spirituelle ».
L’intérêt de ce sujet dépasse toutefois la finalité de la présente recherche. 33
[Commission théologique internationale], « La théologie aujourd’hui : perspectives, principes et critères »,
La Documentation Catholique 2494/109 (2012), p. 686. La notion d’expérience est une réalité complexe.
Elle est envisagée ici en tant qu’elle « relève du sens et non d’un vécu brut inanalysé, inarticulé ». Elle
implique donc un sujet pensant, capable de distance critique et de « saisie interprétative ». Elle advient par
le moyen du langage. Voir Thérèse Nadeau-Lacour, « L’expérience comme matériau privilégié pour une
anthropologie théologique du sujet croyant », Laval Théologique et Philosophique 56/1 (2000), p. 67. Du
même auteur, voir également Le temps de l’expérience chrétienne. Perspectives spirituelles et éthiques,
Montréal/Paris, Médiaspaul, 2002, p. 25-26 et 35-39. 34
À ce propos, voir notamment J. Ratzinger, « La vocation ecclésiale du théologien », p. 693-694, Michel
Cagin, « Contempler la splendeur du mystère. Théologie et contemplation », Nova et vetera 2 (1996),
p. 37-38, G. Lanave, « Why Holiness is Necessary for Theology… », p. 447-449, J.-P. Torrell,
« Théologie et sainteté », p. 205-221, S.-T. Pinckaers, La vie selon l’Esprit…, p. 194 et Marie-David
Weill, « Théologie et sainteté dans l’œuvre de Louis Bouyer », Nouvelle Revue Théologique 139/2 (2017),
p. 230.
7
la recherche. Un des plus beaux fruits est probablement la reconnaissance de l’expérience
comme lieu théologique35
.
S’appuyant sur le chemin parcouru au cours des dernières décennies, il devient alors
intéressant de s’interroger sur la « fécondité théologique36
» des auteurs spirituels. Sans
doute faut-il établir préalablement une distinction, comme s’y applique Karl Rahner, entre
« une littérature pieuse [qui] ne fait que répéter, sur un mode simplifié, ce qu’on trouve déjà
dans les manuels de théologie » et « une littérature spirituelle […] qui précède la réflexion
théologique, plus qu’elle proche des sources, d’une sagesse et d’une expérience supérieures
à la science de l’école, une littérature dans laquelle la foi ecclésiale, la parole de Dieu et
l’action du Saint-Esprit qui ne cesse d’agir dans l’Église, se présentent comme une parole
plus proche des sources que celle des traités élaborés par les théologiens37
».
Le processus engagé ici veut donc jeter quelque lumière sur le postulat d’une « fécondité
théologique » possible de la pensée des auteurs spirituels, non de manière théorique, mais à
partir de la figure singulière de Julienne et de son enseignement. Dans ce but, la démarche
s’inscrit dans le domaine de la théologie spirituelle, plus précisément à la croisée de la
théologie de la vie spirituelle38
et de l’histoire de la spiritualité39
. Elle comporte un volet
historique, plus descriptif dans son approche, et un volet théologique, essentiellement
inductif dans sa méthode – bien que les conclusions fassent également appel à un procédé
déductif –, ce que la dynamique de la thèse rend clairement manifeste. Le cadre théorique
35
Pour approfondir le concept d’expérience, et sa lente acceptation comme « lieu théologique », outre les
écrits de Thérèse Nadeau-Lacour déjà cités, on consultera avec profit les réflexions de Joseph Ratzinger,
« Foi et expérience », Les principes de la théologie catholique, Paris, Téqui (Croire et savoir), 1982,
p. 384-398, Jean Mouroux, L’expérience chrétienne. Introduction à une théologie, Paris, Aubier
(Théologie), 1954, 377 p. et Rosino Gibellini, « Théologie et expérience », dans Panorama de la théologie
au XXe siècle, Paris, Cerf (Théologies), 1994, p. 371-398.
36 Sylvie Robert, « Vocation actuelle de la théologie spirituelle », Recherches de sciences religieuses 97/1
(2009), p. 73. 37
Karl Rahner, Éléments dynamiques dans l’Église, Paris, Desclée de Brouwer (Quaestiones disputatae 1),
1967, p. 76. D’après Michel Dupuy, « Quand on mesure le rôle […] joué par l’expérience en théologie, la
spiritualité apparaît non plus seulement opportune pour compléter et vivifier la théologie, mais même
nécessaire pour la fonder ». Voir Michel Dupuy, « Spiritualité, II. La notion de spiritualité », dans M.
Viller (dir.), DSAM, Fascicule XCV, Paris, Beauchesne, 1990, col. 1168. 38
L’expression « théologie de la vie spirituelle » a le mérite d’indiquer que l’objet de la recherche est
précisément « la vie spirituelle ». À la suite de quelques auteurs, notamment Thérèse Nadeau-Lacour,
Andrew Louth et François-Régis Wilhélem, nous faisons nôtre cette expression. 39
Bernard Peyrous définit l’histoire de la spiritualité comme « l’histoire de cette aventure de l’humanité
dans sa relation la plus intime avec Dieu ». Voir Bernard Peyrous, Histoire de la spiritualité chrétienne,
Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2010, p. 10.
8
qui sous-tend l’ensemble de la recherche est celui de la théologie et de la doctrine
catholiques, en ce qu’elles informent la vision de l’auteur étudié.
Certes, le choix de privilégier l’œuvre de Julienne pour ce travail peut sembler étonnant.
Celle-ci n’a pas écrit de traité systématique de spiritualité comme l’ont fait, par exemple,
Thérèse d’Avila (1515-1582) ou Jean de la Croix (1542-1591)40
. Pourtant, lorsqu’on
considère soigneusement l’héritage qu’elle a laissé, une constatation s’impose : celui-ci
laisse émerger une doctrine spirituelle ou, si l’on préfère, une spiritualité41
. En effet,
Julienne propose une diversité de réflexions qui concernent l’intelligence de la foi
chrétienne et l’agir qui en découle. Elle cherche ainsi à conduire ses auditeurs vers le plein
épanouissement de leur vie baptismale, c’est-à-dire vers la sainteté42
. À ce sujet, elle notait
en 1961 : « une spiritualité n’a sa raison d’être qu’en vue de l’union au Père, dans le Verbe,
par l’Amour43
». Comme cette citation permet de l’entrevoir, l’enseignement de Julienne
mérite attention du point de vue de la théologie spirituelle.
Avant d’entrer davantage dans l’élaboration de ce projet, il convient toutefois de présenter
plus amplement l’auteur retenu et son œuvre.
2. Repères biographiques
Le nom de Julienne Dallaire est pratiquement étranger au monde de la recherche
universitaire. À ce jour, aucune étude ne s’est intéressée à sa personne et à ses écrits, si ce
n’est un article de Thérèse Nadeau-Lacour dans un dictionnaire consacré aux femmes
40
Thérèse d’Avila écrit Le château intérieur et Jean de la Croix La montée du Carmel. 41
Le mot spiritualité est utilisé ici dans la perspective de la suite du Christ. Comme le précise Solignac, « Les spiritualités diverses qui apparaissent dans l’histoire ecclésiale ne sont que des applications
particulières de la spiritualité de l’Évangile. Le personnage ou le groupe qui les instaurent privilégient sans
doute un aspect de la spiritualité évangélique dont ils font le centre dynamique de la vie concrète, mais en
fait, ce centre privilégié – si la spiritualité est authentique – n’est qu’un point de référence à partir duquel
la totalité de l’Évangile est vécue ». Voir Aimé Solignac, « Spiritualité, I. Le mot et l’histoire », dans
M.Viller (dir.), DSAM, Fascicules XCIV-XCV, Paris, Beauchesne, 1989, col. 1152. 42
Au sujet du rapport entre le baptême et la sainteté, le concile Vatican II écrivait : « Les adeptes du Christ,
appelés par Dieu et justifiés en Jésus-Christ non à cause de leurs œuvres, mais selon le dessein et la grâce
de Dieu, sont vraiment devenus, dans le baptême de la foi, fils de Dieu et participants de la nature divine
et ont été, par conséquent, réellement sanctifiés. Ils doivent donc, avec l’aide de Dieu, maintenir et
perfectionner dans leur vie cette sainteté qu’ils ont reçue ». Voir la Constitution dogmatique Lumen
gentium, no 40. La plus récente exhortation apostolique du pape François porte précisément sur l’appel à la
sainteté qui découle de la grâce du baptême. Voir Exhortation apostolique Gaudete et Exsultate sur l’appel
à la sainteté dans le monde actuel, Montréal/Paris, Médiaspaul, 2018, 122 p. (spécialement les nos
14 à 24). 43
21 novembre 1961, p. 9. On remarquera, au passage, la perspective trinitaire de la réflexion de Julienne.
9
mystiques44
et une courte biographie spirituelle de Bernard Peyrous45
. C’est donc un vaste
champ inexploré qui s’offre à une investigation, tant au plan de la connaissance de cette
spirituelle que de la découverte de son œuvre.
En quelques mots, qui est cette femme dont la vie s’échelonne au long du vingtième
siècle ?
Julienne naît à Québec, dans l'actuel quartier Saint-Roch, le 23 mai 1911. Fille de Gaudiose
Dallaire (1888-1962) et de Alexina Faucher (1890-1968), elle est la deuxième d’une famille
de onze enfants. C’est dans ce milieu de condition modeste, mais fortement imprégné de foi
chrétienne, où se répercutent les défis et les espérances d’une société québécoise en pleine
mutation, que Julienne puise les fondements de sa vie humaine et spirituelle.
Habitée dès son plus jeune âge par un désir de consacrer sa vie à Dieu, Julienne voit son
rêve s’évanouir peu à peu en raison d’une santé fragile. Elle se résigne alors, par la force
des événements, à vivre sa foi au cœur du monde. Le souvenir de sa personne serait sans
doute tombé dans l’oubli – à l’exemple de nombreux croyants engagés dans leur temps –,
sans l’émergence d’un projet singulier qui voit le jour le 30 avril 1945.
Après un discernement sagement mûri, avec l’aide du chanoine Cyrille Labrecque (1883-
1977)46
et du cardinal Jean-Marie Rodrigue Villeneuve (1883-1947)47
, Julienne fonde, à la
fin de la deuxième guerre mondiale, une congrégation religieuse portant le nom de
44
Thérèse Nadeau-Lacour, « Julienne du Rosaire », dans Audrey Fella (dir.), Les femmes mystiques. Histoire
et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, 2013, p. 522-525. 45
Bernard Peyrous, « Mère Julienne du Rosaire, 1911-1995 », dans Joachim Bouflet, Bernard Peyrous,
Marie-Ange Pompignoli, Des saints au XXe siècle : pourquoi ?, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2005,
p. 255-256. L’auteur reprend une même présentation de Julienne Dallaire dans La sainteté canadienne,
Montréal, Novalis, 2016, p. 454-456. 46
Né le 29 mars 1883 à St-Raphaël de Bellechasse, Cyrille Labrecque est ordonné prêtre pour le diocèse de
Québec le 2 avril 1911. Il devient alors vicaire à St-Raymond de Portneuf puis, quelques semaines plus
tard, vicaire à la cathédrale de Québec. Entre 1920 et 1929, des poussées de tuberculose ne lui permettent
pas d’exercer un ministère continu. De 1929 à 1955, il assume la direction de la Semaine religieuse de
Québec, revue qui existe encore aujourd’hui sous le nom de Pastorale Québec. L’abbé Labrecque sera
créé chanoine honoraire, le 17 avril 1933, par le cardinal Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve, omi. À partir
de 1945, la fondation de la congrégation des Dominicaines Missionnaires Adoratrices occupe une large
part de son temps. Il meurt le 8 mars 1977. (Archives des Dominicaines Missionnaires Adoratrices) 47
Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve fut archevêque de Québec de 1931 à 1947. En 1933, il est créé cardinal
par le pape Pie XI. (Archives du diocèse de Québec)
10
Dominicaines Missionnaires Adoratrices48
. Cet événement marque un tournant majeur dans
son existence. Il inscrit, pour ainsi dire, une démarcation entre un « avant » et un « après »
fondation.
Loin d’être uniquement un repère chronologique, cette précision laisse apparaître deux
étapes fondamentales dans la vie de Julienne : une première, qu’il conviendrait d’appeler le
temps du mûrissement ou de la croissance, et une seconde, que l’on pourrait qualifier de
temps du témoignage et de la fécondité. En un sens, au-delà d’un donné séquentiel, ces
deux pôles attirent le regard sur un dynamisme intérieur qui se déploie dans le temps et
s’inscrit dans un contexte socio-ecclésial particulier. Vouloir connaître Julienne implique
de chercher à approcher, a posteriori, ce chemin spirituel qui parvient à son terme le 6
janvier 199549
.
Il est vrai que l’initiative d’une fondation – et sa reconnaissance par l’Église – confère à
Julienne une visibilité et une autorité singulière. Au fil des jours, elle déploiera une
maternité spirituelle au sein de sa communauté et même en dehors de celle-ci. Sa mission
trouvera ainsi un prolongement, par-delà les frontières de l’espace et du temps, non
seulement à travers la vie et l’engagement des membres de sa famille spirituelle50
, mais
aussi – et peut-être plus que jamais – par l’intermédiaire de ses convictions consignées et
conservées par ses contemporains. Car, en la personne de Julienne fondatrice, l’Église
accueillait à la fois un projet et une doctrine. Son héritage manuscrit est ce qui intéresse
principalement la présente recherche.
3. Le corpus de textes
L’œuvre de Julienne est particulièrement volumineuse. Elle comporte des conférences, des
notes personnelles et une correspondance importante. Ces documents, qui totalisent plus de
48
Avant son érection canonique, le 7 octobre 1948, la congrégation portera temporairement le nom de
Société du Cœur Eucharistique. (Archives DMA) 49
Pour des indications biographiques plus détaillées, voir l’annexe I intitulée Repères biographiques. On
pourra aussi consulter [Dominicaines Missionnaires Adoratrices], Femme de lumière et de feu. Mère
Julienne du Rosaire op, Beauport, Cénacle, 1997, 129 p. Dans cet ouvrage, le chanoine Cyrille Labrecque
dresse un portrait particulièrement significatif de Julienne. Voir p. 58. 50
Outre les sœurs de la congrégation, la famille Dominicaine Missionnaire Adoratrice regroupe actuellement
la Fraternité Dominicaine Missionnaire Adoratrice, les Familles Eucharistiques et la Fraternité sacerdotale
du Cœur Eucharistique. (Archives DMA)
11
quatorze mille pages, sont conservés dans les archives des Dominicaines Missionnaires
Adoratrices.
Toutefois, en raison de la loi du gouvernement du Québec concernant l’accès aux archives
privées51
, les lettres et les notes intimes ne peuvent être consultées. Il s’agit d’une mesure
visant à assurer la protection des renseignements personnels contenus dans ces diverses
pièces historiques. En effet, vu la quasi-contemporanéité de Julienne, certains destinataires
ou personnes évoquées dans les documents sont toujours vivants. Un délai minimal de
trente ans – ou davantage selon les cas – doit être observé pour ne pas porter atteinte à leur
vie privée.
Les conférences constituent donc, à l’heure actuelle, l’unique matériau disponible pour la
recherche. Cela représente à la fois un défi et une chance. Défi de ne pouvoir prendre la
mesure de l’ensemble de l’œuvre en ses différentes formes d’expressions. Chance de
travailler sur une portion restreinte – encore que très imposante – pour aborder la pensée
d’un auteur qui n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie.
3.1 État et présentation des conférences
Les conférences de Julienne sont, pour la majorité, des entretiens spontanés donnés entre
1946 et 1992 – ce qui explique le style oral et parfois éclaté que l’on remarque à la lecture.
Elles s’adressent principalement aux Dominicaines Missionnaires Adoratrices, mais aussi à
des laïcs et à des prêtres. Ces diverses conférences ont été, soit enregistrées sur support
audio, soit recueillies en sténographie. Au fil des années, un travail de transcription a
conduit à la formation d’un corpus d’environ quatre mille pages. Celui-ci se présente dans
sa forme la plus élémentaire, c’est-à-dire neuf cartables de textes imprimés sur papier
format lettre52
. Dans son état actuel, cet héritage manuscrit ne fait pas l’objet d’une
classification homogène. Certains documents sont classés par titres – notamment les séries
51
À ce sujet, on pourra notamment consulter [Gouvernement du Québec], « Loi sur les archives », 2009.
[http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/A_21_1/
A21_1.htm] (Consulté le 8 mai 2012). 52
Un travail de numérisation des enseignements de Julienne est actuellement en cours. La présente
recherche s’est toutefois essentiellement effectuée dans la version papier.
12
–, d’autres par dates53
. Il faut également noter que l’apparat critique est pratiquement
inexistant. De plus, aucune concordance de mots récurrents, thèmes ou citations bibliques
n’a encore été réalisée pour faciliter la recherche54
. Un travail important reste donc à faire
en vue d’une édition critique des enseignements de Julienne55
.
De son vivant, Julienne elle-même a entrepris une relecture des textes conservés. Elle
souhaitait s’assurer que ses propos, souvent librement prononcés, soient suffisamment
nuancés pour ne pas produire de confusion. Elle n’a toutefois pas réussi à terminer cette
révision avant son décès. Pour cette raison, la prieure générale des Dominicaines
Missionnaires Adoratrices n’a pas donné l’autorisation de citer les conférences non
vérifiées, c’est-à-dire celles qui sont rassemblées dans les cartables six à neuf. Elles
peuvent uniquement être consultées.
Différents thèmes sont abordés dans cette collection de conférences de Julienne. Ils
rejoignent essentiellement les mystères de la foi et les réalités concrètes de la vie chrétienne
et/ou de la vie consacrée. Au fil des pages, Julienne adopte tour à tour des points de vue
doctrinaux et pratiques. L’enseignement et la vie de l’Église y côtoient le récit de son
expérience personnelle. Elle cite, explique, questionne, illustre, raconte, exhorte, toujours
dans le but de conduire son lecteur à pénétrer plus avant dans la Révélation apportée par le
Christ.
Parmi les sujets de prédilection de Julienne, les fêtes et les temps liturgiques (Avent, Noël,
Carême, Pâques, Pentecôte, Toussaint, fêtes mariales, etc.) sont largement commentés,
généralement à la lumière des textes bibliques. En de nombreuses occasions, elle revient
53
Les conférences classées par titres – dans les cartables 1 et 5 – seront citées par leurs titres dans la thèse,
alors que celles rassemblées par dates – dans les cartables 2, 3 et 4 – seront citées uniquement par leurs
dates, plusieurs n’ayant pas de titres. 54
Pour appuyer certaines affirmations, un début de concordance a dû être effectué. À ce sujet, voir les
annexes III, IV, VI, VII. 55
Par souci d’unifier les citations dans la thèse, une certaine latitude a été prise par rapport au texte écrit des
conférences de Julienne qui, d’un document à l’autre, présente souvent des divergences en termes de
règles d’écriture – notamment en ce qui concerne l’usage des majuscules. De plus, il faut noter que
l’utilisation du terme « écrit » réfère, non au fait que Julienne ait elle-même produit un document
manuscrit – ce qui est occasionnellement le cas – mais au matériau dans sa forme écrite dont dispose le
lecteur actuel.
13
également sur ce qui concerne la prière, les sacrements – particulièrement l’Eucharistie –,
l’appel à la vie missionnaire et à la sainteté.
Au plan doctrinal, sa pensée gravite autour de questions et d’enjeux christologiques,
trinitaires, mariologiques, anthropologiques, sotériologiques, eschatologiques,
ecclésiologiques et missiologiques.
S’il n’est pas possible de donner une présentation systématique de chaque conférence – leur
nombre étant trop imposant et les précisions circonstancielles faisant parfois défaut –, il
convient néanmoins de situer brièvement celles qui, dans les cartables 1 et 5, sont classées
par titres. Elles constituent le noyau privilégié – formé de quinze documents – duquel est
extrait la majeure partie des citations de la thèse56
.
Charité fraternelle (CF) regroupe sept conférences prononcées par Julienne en 1959, à
l’intention des Dominicaines Missionnaires Adoratrices. Elles portent sur la vertu de charité
et certaines implications pratiques qui en découlent au quotidien. Il s’agit d’un document de
cinquante-cinq pages.
Commentaire de l’offrande au Cœur Eucharistique (CE) est une explication détaillée d’une
prière composée par le Père Marie-Michel Philipon op, lors d’une profession religieuse
chez les Dominicaines Missionnaires Adoratrices, le 4 août 1956. Julienne commente
chaque phrase de la prière – ou segment de phrase – l’espace de cent vingt-deux pages.
Esprit Originel (EO) est un ensemble de trente conférences qui traitent des éléments