14
I I nfluence énorme du prophète Harris lorsqu’on sait que son action (directe) s’exerça sur une popula- tion qui peut être évaluée facilement à 100 ou 120.000 habitants 2 . La prédication du pro- phète Harris marqua aussi, de manière impor- tante, le travail des missionnaires européens qui en étaient à leurs débuts 3 . Cet halluciné, doublé d’un charlatan, dira un Père mission- naire, a fait en trois mois à peine, ce que nous, ministres de notre Seigneur Jésus-Christ, n’avons pas pu ébaucher en vingt ans 4 . Du côté protestant, les témoignages des pasteurs sont tout aussi extraordinaires : Je reviens de l’assemblée annuelle du district français de l’A.O.F 5 – c’était en janvier 1930 –. Quinze cents personnes s’y trouvaient, de tribus di- verses, parlant je ne sais combien de lan- gages différents, écoutant, chantant avec re- cueillement et un entrain inoubliables. Qui l’aurait cru avant le passage d’ Harris ? 6 . Les missionnaires étaient ainsi unanimes à recon- naître l’importance de l’action du prophète William Wadé Harris. Cette action est aujour- d’hui continuée par l’Église Harriste dont la présence dépasse le cadre ivoirien. La France est en effet devenue l’un des nouveaux es- paces d’implantation des Églises prophé- tiques et messianiques africaines parmi les- quelles l’Église harriste reste l’une des plus significatives. La situation politique du Liberia. C’est en 1865 que naquit William Wadé Harris à Garaway au Liberia dans une na- tion indépendante depuis 1847 et au mi- lieu d’une ethnie rebelle : les Grébo. C’est un peuple du littoral du Liberia ap- partenant au grand groupe ethnique Krou, frontalier avec la Côte-d’Ivoire. Leur région a connu le débarquement d’anciens esclaves noirs américains par- tis du Maryland en 1822 7 . Avec ce dé- barquement, naissent les tensions entre les Grébo et le gouvernement américano- libérien, mis en place avec l’arrivée des esclaves noirs américains. Les Grébo re- prochent aux nouveaux venus et surtout au gouvernement américano-libérien leur attitude dominatrice. L’arrivée des Anglais au Liberia permet au peuple gré- bo de s’opposer ouvertement au gouver- LE DÉTOUR HISTORIQUE 14 l’arbre à Palabres # 13 - Mai 2003 D Do os ss si i e er r Le Harrisme en France M YNCRÉTISME ELIGION S R ESSIANISME Hippolyte MEL GBADJA* Lorsqu’en 1913,le prophète William Wadé Harris fit son apparition dans le paysage reli- gieux ivoirien,il était presque inconnu dans son pays le Liberia 1 . Pendant deux ans, il sillon- na le littoral de la Côte d'Ivoire, prêchant au nom de Dieu et invitant les populations à se dé- barrasser de leurs fétiches. Le succès ne se fit pas attendre. On estime à environ 200.000 le nombre de personnes qui, résultat direct ou indirect de sa prédication, ont à ce moment-là brûlé leurs fétiches. LE DÉTOUR HISTORIQUE 1 - Le titre de prophète appliqué à William Wadé Harris vient du fait que comme la plupart des personnages charismatiques fondateurs d’Église, il se reconnaît comme envoyé de Dieu et dit avoir reçu sa mission de Dieu. Il s’appuie ensuite sur la Bible dans son enseignement. La persécution dont il est victime dans son parcours ainsi que les miracles et divers prodiges accom- plis viennent confirmer enfin cette voca- tion prophétique dans laquelle il s’inscrit. 2 - Les estimations sont de l’administrateur Gaston Joseph et du Pasteur André Roux. Cf. Pierre TRICHET, Côte d’Ivoire : Les premiers pas d’une Église. t. II : 1914- 1940, Abidjan : La Nouvelle, 1994, p. 25. Le nombre élevé de conversions (200.000) par rapport à la population du littoral (120.000) révèle que l’action du prophète Harris s’étend au delà de la ré- gion côtière. 3 - Les premiers missionnaires catho- liques sont arrivés en Côte d’Ivoire en 1895 et ceux de l’Église protestante en 1924 c’est-à-dire dix années après la pré- dication du prophète Harris. 4 - Le Père Trichet reprend ici une re- marque du Père Joseph Gorju supérieur de la mission de Bingerville de 1906 à 1922. Cf. Pierre Trichet, op. cit., p. 18. L’on note effectivement une évolution nette du nombre de la population catholique qui passe de 3.680 en 1915 à 8.274 en 1920 alors qu’elle était de 2.650 en 1910. De * Est né le 3 mars 1969 à Dabou (Côte- d’Ivoire). Ordonné prêtre en 1995 il of- ficie au diocèse de Yopougon. Il prépa- re actuellement à l’Institut Catholique de Paris, une thèse sur les Mouvements prophétiques et messia- niques en Afrique.

MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

  • Upload
    others

  • View
    5

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

IInfluence énorme du prophète

Harris lorsqu’on sait que son action(directe) s’exerça sur une popula-

tion qui peut être évaluée facilement à 100 ou120.000 habitants 2. La prédication du pro-phète Harris marqua aussi, de manière impor-tante, le travail des missionnaires européensqui en étaient à leurs débuts 3. Cet halluciné,doublé d’un charlatan, dira un Père mission-naire, a fait en trois mois à peine, ce que nous,ministres de notre Seigneur Jésus-Christ,n’avons pas pu ébaucher en vingt ans 4. Ducôté protestant, les témoignages des pasteurssont tout aussi extraordinaires : Je reviens del’assemblée annuelle du district français del’A.O.F 5 – c’était en janvier 1930 –. Quinzecents personnes s’y trouvaient, de tribus di-verses, parlant je ne sais combien de lan-gages différents, écoutant, chantant avec re-cueillement et un entrain inoubliables. Quil’aurait cru avant le passage d’Harris ? 6. Lesmissionnaires étaient ainsi unanimes à recon-naître l’importance de l’action du prophèteWilliam Wadé Harris. Cette action est aujour-d’hui continuée par l’Église Harriste dont laprésence dépasse le cadre ivoirien. La France

est en effet devenue l’un des nouveaux es-paces d’implantation des Églises prophé-tiques et messianiques africaines parmi les-quelles l’Église harriste reste l’une des plussignificatives.

La situation politique du Liberia.C’est en 1865 que naquit William WadéHarris à Garaway au Liberia dans une na-tion indépendante depuis 1847 et au mi-lieu d’une ethnie rebelle : les Grébo.C’est un peuple du littoral du Liberia ap-partenant au grand groupe ethniqueKrou, frontalier avec la Côte-d’Ivoire.Leur région a connu le débarquementd’anciens esclaves noirs américains par-tis du Maryland en 1822 7. Avec ce dé-barquement, naissent les tensions entreles Grébo et le gouvernement américano-libérien, mis en place avec l’arrivée desesclaves noirs américains. Les Grébo re-prochent aux nouveaux venus et surtoutau gouvernement américano-libérienleur attitude dominatrice. L’arrivée desAnglais au Liberia permet au peuple gré-bo de s’opposer ouvertement au gouver-

LE DÉTOUR HISTORIQUE

14 l ’arbre à Palabres# 13 - Mai 2003

DDoossssiieerr

Le Harrismeen France

MYNCRÉTISME

ELIGIONSR

ESSIANISME

Hippolyte MEL GBADJA*

Lorsqu’en 1913, le prophète William Wadé Harris fit son apparition dans le paysage reli-gieux ivoirien, il était presque inconnu dans son pays le Liberia 1. Pendant deux ans, il sillon-na le littoral de la Côte d'Ivoire, prêchant au nom de Dieu et invitant les populations à se dé-barrasser de leurs fétiches. Le succès ne se fit pas attendre. On estime à environ 200.000 lenombre de personnes qui, résultat direct ou indirect de sa prédication, ont à ce moment-làbrûlé leurs fétiches.

LE DÉTOUR HISTORIQUE

1 - Le titre de prophète appliqué à WilliamWadé Harris vient du fait que comme laplupart des personnages charismatiquesfondateurs d’Église, il se reconnaît commeenvoyé de Dieu et dit avoir reçu sa missionde Dieu. Il s’appuie ensuite sur la Bibledans son enseignement. La persécutiondont il est victime dans son parcours ainsique les miracles et divers prodiges accom-plis viennent confirmer enfin cette voca-tion prophétique dans laquelle il s’inscrit. 2 - Les estimations sont de l’administrateurGaston Joseph et du Pasteur André Roux.Cf. Pierre TRICHET, Côte d’Ivoire : Lespremiers pas d’une Église. t. II : 1914-1940, Abidjan : La Nouvelle, 1994, p. 25.Le nombre élevé de conversions(200.000) par rapport à la population dulittoral (120.000) révèle que l’action duprophète Harris s’étend au delà de la ré-gion côtière.3 - Les premiers missionnaires catho-liques sont arrivés en Côte d’Ivoire en1895 et ceux de l’Église protestante en1924 c’est-à-dire dix années après la pré-dication du prophète Harris.4 - Le Père Trichet reprend ici une re-marque du Père Joseph Gorju supérieur dela mission de Bingerville de 1906 à 1922.Cf. Pierre Trichet, op. cit., p. 18. L’on noteeffectivement une évolution nette dunombre de la population catholique quipasse de 3.680 en 1915 à 8.274 en 1920alors qu’elle était de 2.650 en 1910. De

* Est né le 3 mars 1969 à Dabou (Côte-d’Ivoire). Ordonné prêtre en 1995 il of-ficie au diocèse de Yopougon. Il prépa-re actuellement à l’Institut Catholiquede Paris, une thèse sur lesMouvements prophétiques et messia-niques en Afrique.

Page 2: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

15

nement américano-libérien et d’affirmerson nationalisme. Les Anglais qui mani-festaient des visées protectionnistes surle Liberia apportent en effet leur soutienaux Grébo qui travaillaient depuis long-temps dans les équipages de bateaux an-glais. Ces derniers espéraient en fait de-venir des sujets britanniques. Le gouver-nement organise alors des représaillescontre les Grébo avec l ’a ide desAllemands et des Américains en bombar-dant Garaway, le centre de leur mouve-ment nationaliste. Une lutte s’engageainsi entre le gouvernement américano-libérien et le mouvement nationalistegrébo. L’un de ces plus ardents nationa-listes est William Wadé Harris connusous le nom de Old man Union Jack.Dans le village de Paduke, près deGaraway, Harris qui a pris fait et cause

pour un protectorat britannique, arrachele drapeau libérien du bâtiment adminis-tratif pour y faire flotter le drapeau an-glais. Il est alors arrêté et mis en prison.C’est au cours de cette incarcérationqu’Harris dit avoir reçu la visite de l’an-ge Gabriel. Mais pour comprendre cetteexpérience mystique qui changea sa vie,il convient de jeter un regard sur son par-cours religieux.

Le parcours religieux de William WadéHarris. C’est à l’âge de douze ans que lejeune Harr is se convert i t auChristianisme. Il est alors pris sous tutel-le par Jesse Lawry, un pasteur épiscopa-lien grébo 8. C’est auprès de ce dernierqu’il reçoit sa première formation reli-gieuse et son baptême. Le pays est alorsofficiellement d’obédience protestante

l ’arbre à Palabres# 13 - Mai 2003

OSSIEROSSIERDDDD

1910 à 1915, il y a eu 1.030 conversions etde 1915 à 1920, 4.594 conversions soitquatre fois plus.5 - Afrique Occidentale Française.6 - Cité par Théophile Roux in WalkerDeaville, Harris le prophète noir.Instrument d’un puissant réveil en Côted’Ivoire, Paris : Privas, 1931, p. XII.7 - Avec les armateurs de Charleston enCaroline du sud s’est développé un mou-vement pour le rapatriement des esclaveslibérés vers l’Afrique. Le Liberia et laSierra Leone ont été choisis à cet effet parles réformés américains.8 - Jesse Lawry était président de l’écoleméthodiste épiscopalienne de CapPalmas.

Les Harristes de France

Page 3: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

ll ’’aarrbbrree àà PPaallaabbrreess# 13 - Mai 2003

16

depuis 1837. Les missionnaires catho-liques, moins en vue, ne débarquerontque quelques années après, en 1841. Lesmissionnaires épiscopaliens, à leur arri-vée, s’engagent dans une vaste opérationd’étude de la langue grébo, en vue de latraduction de la Bible en langue vernacu-laire grébo 9. Après l’édition d’un dic-tionnaire grébo en 1839 et de livresd’écoles, les épiscopaliens réussissentaussi à traduire, dès 1842, des portions dela Bible, des livres de prières, deshymnes et des litanies. René Bureau noteque grâce aux écoles et à ces ouvrages,les Grébo furent rapidement les plusavertis au sein du groupe Krou 10. Harrisa reçu ainsi avec l’Église épiscopalienne,une formation chrétienne très solide enanglais et en grébo. La traduction de laBible en langue vernaculaire était pourlui un atout précieux : c’est avec ellequ’il a appris à lire. C’ était le seul livrequ’il connaissait et il le connaissait bien.

Après un passage dans la marine an-glaise comme crewman, il se convertit àvingt-et-un ans à l’Église méthodistedont il devient prédicateur, tout en exer-çant le métier de maçon. II revient ensui-te à l’Église épiscopalienne après sonmariage en 1885 avec Rose Badock. Ilsera confirmé dans cette Église par lePasteur Ferguson en 1888. Il tient, en1892, un internat à Garaway où il est à lafois enseignant et prédicateur. Harris adonc une connaissance biblique assez so-lide lorsqu’il fait l’expérience mystiquede sa vocation qui changea le cours de savie. Le récit de cette vocation nous estconnu grâce à ses témoignages et notam-ment à un entretien avec le Père JosephHartz , supérieur intér imaire deBingerville 11. Il décrit ainsi sa vision : Jesuis prophète, au-dessus de toute religionet affranchi du contrôle des hommes. Jene relève que de Dieu par l’intermédiai-re de l’ange Gabriel. Il y a quatre ans –c’est-à-dire en 1910 12–, je fus éveillébrusquement durant la nuit. Je vis l’angeprotecteur sous une forme sensible au-dessus de mon lit. Par trois fois il me

frappa le sommet de la tête et me dit « Jete demande le sacrifice de ta femme. Ellemourra mais je t’en donnerai d’autresqui t’aideront dans l’ œuvre que tu doisfonder 13. Ta femme te remettra, avant samort, six shilling ; ce sera ta fortune ; tupasseras partout. Ils ne te manquerontjamais. Je t’accompagnerai partout et terévélerai la mission à laquelle te destineDieu, le Maître de l’univers que leshommes ne respectent plus » 14.

La mission du prophète Harris com-mence alors à sa sortie de prison en 1912.Harris se fait confectionner un grandboubou blanc assorti d’un turban blanc.Un pan de tissu noir lui couvre lesépaules alors qu’un autre est utilisé com-me une sorte de baudrier croisé sur sapoitrine. Portant ensuite une Bible et unecanne en forme de croix, il se lance sur lavoie de la mission. Après un premieréchec dans son pays, il se tourne vers laCôte-d’Ivoire.

Le message du prophète Harris. Harrisse présente dans ses prédications commecelui qui inaugure une nouvelle vie pourle peuple ; une vie comparable à celle desBlancs. Le colonisateur est en effet perçupar l’Africain de façon ambivalente. Ilest à la fois redoutable et séduisant. Il estl’homme du mal et du bien, celui qui estcritiqué et admiré. L’homme Blanc estsans aucun doute un mystère. II est unmystère qui attire, fascine, interroge.D’où lui vient sa force ? Quel est le secretde son pouvoir ? Comment, en somme,percer le secret de l’homme Blanc 15?Pour le prophète Harris, l’homme blancest fort parce qu’il a bénéficié de la forcede Jésus. Mais Jésus n’est pas venu enAfrique. Dieu l’a envoyé aux Blancs par-ce que Jésus était lui-même un Blanc.Ainsi, de même que Dieu a envoyé Jésusaux Blancs, de même il a envoyé Harrisaux Africains. Harris est donc une chan-ce pour les Africains. Reconnaître le pro-phète Harris et écouter sa parole, c’estouvrir la voie de la prospérité et d’une viesemblable à celle des Blancs. Dans sept

OSSIEROSSIERDDDD

9 - Le missionnaire le plus actif de cetteœuvre est le Pasteur John Gottleib Auer.Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement brûlés ou jetés à la mer par le gou-vernement qui y voyait des menaces d’in-surrection. Cf. René Bureau, Le prophètede la lagune. Les harristes de Côted’Ivoire, Paris : Karthala, 1996, p. 10-11. 10 - René Bureau, Op. Cit., p. 11.11 - La Guerre de 1914-1918 a en fait mo-bilisé un grand nombre de prêtres en servi-ce en Côte d’Ivoire. Le Père Joseph Hartzalors supérieur de Grand-Bassam sera ain-si appelé à venir assumer l’intérim du su-périeur de Bingerville. C’est ce qui lui vau-dra de recevoir la visite de Harris vers oc-tobre 1914.12 - L’entretien a eu lieu en octobre 1914 àBingerville.13 - Sa femme qui était malade mourra ef-fectivement quelques temps après.14 - Cf. René Bureau, Op. Cit., p. 12.15 - Mongo Béti explique le succès duchristianisme en Afrique par cette volontéde découvrir le secret des Blancs. À laquestion du Père Drumont qui n’arrive pasà comprendre pourquoi la population quit-te l’Église après l’engouement des pre-mières heures, son cuisinier Zacharie ré-pond : Les premiers d’entre nous qui ontaccouru à votre religion y sont venus com-me à ... une révélation, c’est ça, une révé-lation, une école où ils acquerraient la ré-vélation de votre secret, le secret de votreforce, la force de vos avions, de vos che-mins de fer, est-ce que je sais moi ... le se-cret de votre mystère, quoi ! Au lieu de ce-la, vous vous êtes mis à leur parler deDieu, de l’âme de la vie éternelle, etc ...Est-ce que vous vous imaginez qu’ils neconnaissaient pas déjà tout cela avant,bien avant votre arrivée ? Ma foi, ils ont eul’impression que vous leur cachiezquelque chose. Plus tard ils s’aperçurentqu’avec de l’argent ils pouvaient se procu-rer bien des choses, et par exemple desphonographes, des automobiles, et un jourpeut-être des avions. Et voila. Ils aban-donnent la religion, ils courent ailleurs, jeveux dire vers l’argent. Voila la véritéPère. Mongo Beti, Le pauvre Christ deBomba, Paris, Présence Africaine, 1976,p. 54.

Page 4: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

17

ans, les Noirs seront comme des Blancsdira le prophète Harris 16. La prospéritéde la région côtière sera ainsi vue commeun signe de l’efficacité de la missiond’Harris 17.

Mais pour espérer avoir part à la vie desBlancs, il faut d’abord se convertir. Harrisappelle ainsi la population tout entière à laconversion qui passe par la lutte contre lasorcellerie et la destruction systématiquedes fétiches pour servir et adorer le Dieuunique et vrai. John Ahui, le premier chefspirituel de l’Église harriste dira : Les fé-tiches tuent et Harris est venu nous délivrerde cette mort. Il m’a dit de brûler les fé-tiches, les maisons et les idoles 18. Les fé-tiches sont un mal à combattre et contreleur influence, Harris propose le baptême.Le baptême est l’instrument de la luttecontre les fétiches et la sorcellerie. Il est gé-néralement précédé d’une exhortation à laconversion et un appel à jeter les fétiches.L’acte en lui-même comprend deux partiesqui se réalisent de manière concomitante :le toucher de la Croix du prophète Harris etla signation sur le front avec l’eau. Harristrace sur le front du fidèle un signe de croixen lui faisant tenir sa Croix.

En fait, c’est longtemps après la mortdu prophète Harris, le 23 avril 1929 et avecl’institutionnalisation du mouvement har-riste que l’enseignement du prophète sestructure pour devenir une véritable doctri-ne, avec l’édition, en 1956, d’un catéchis-me. Il s’agissait de fixer l’enseignement duprophète ainsi que l’organisation de la viede la nouvelle Église. Cet enseignementdoctrinal est résumé dans les Dix comman-dements de la foi harriste :

Dieu seul tu adoreras.Dans ton prochain, Dieu tu aimeras.Le Nom de Dieu tu ne parjureras pas.Tu abhorreras l’idolâtrie.Dimanche tout travail sera interdit.Tu honoreras ton père et ta mère.Tu ne commettras pas d’adultère.Tu ne tueras point.Tu ne voleras point.Alcool, tu n’abuseras point 19.

Harris a posé en somme des jalonsqui seront repris, augmentés et commen-tés par l’Église harriste et toutes lesÉglises néo-harristes.

L’institutionnalisation du mouvementharriste. D’un point de vue sociologique,les mouvements prophétiques et messia-niques ne pouvaient pas continuer à exis-ter uniquement comme mouvements, nisurvivre à long terme uniquement avecdes chefs charismatiques. Ou ils se désin-tégraient et disparaissaient, ou ils s’insti-tutionnalisaient pour devenir des Églisesindépendantes. C’est cette deuxièmevoie que le mouvement harriste a suiviavec beaucoup d’autres mouvements.

Arrêté en avril 1915 par l’autorité co-loniale pour trouble à l’ordre public,Harris est en effet expulsé de la Côte-d’Ivoire vers le Liberia. Il a été victimede l’influence considérable des conjonc-tures politiques de l’Europe sur 1’ œuvremissionnaire notamment les rivalitésentre la France et l’Angleterre. À cetteépoque, une certaine vision de la missionconsistait à avoir des missionnaires an-glais à l’œuvre dans les colonies britan-niques, des missionnaires français dansles colonies françaises et des mission-naires allemands dans les colonies alle-mandes. Harris , originaire d’une colo-nie anglophone – le Liberia –, officielle-ment d’obédience protestante, sera soup-çonné de soutenir le protestantisme etdonc les Anglais 20. Raison suffisantepour être expulsé de la Côte-d’Ivoire.

L’action du prophète Harris a cepen-dant été couronnée de succès : nom-breuses ont été les conversions dans lapopulation. Mais après son départ auLiberia s’est posée la question du devenirde ces nouveaux convertis. Vers quelleÉglise s’orienter ? Qui va gérer l’héritagedu prophète Harris ?

Une lutte ouverte s’est alors engagée.La Société des Missions MéthodistesWesleyennes de Londres est la première às’attribuer officiellement cette charge.Elle a, en effet, décidé dans un grand ac-

l ’arbre à Palabres# 13 - Mai 2003

OSSIEROSSIERDDDD

16 - Paul Augé, Jean Paul Colleyn, Nkpiti.La rancune et le prophète, Paris, Éd. del’École de Hautes Études en Sciences so-ciales, 1990, p. 15.17 - Jean-Pierre Dozon note à ce sujet : Lescommandements d’Harris auraient-ils euà ce point l’effet escompté que sa prophé-tie, qui voulait que les Noirs fussent bien-tôt les égaux des Blancs, se soit finalementréalisée ? On serait tenté de le croire,puisque l’espace proprement ivoirien n’acessé de grossir aux dépens du colonisa-teur en donnant naissance à un État indé-pendant et en se parant des nombreux at-tributs de la modernité qu’une société deconsommation pour les couches ivoi-riennes les plus aisées semble presqueparachever. Cf. Jean-Pierre Dozon, Lacause des prophètes, Paris : Seuil, 1995, p.74.18 - René Bureau, Op. Cit., p. 110.19 - René Bureau, Op. Cit., p. 96-9720 - Harris aurait ainsi invité ses fidèles àse diriger vers les missionnaires Blancs quiviendront à eux avec la Bible c’est-à-direles missionnaires protestants dont il auraitd’ailleurs prédit l’arrivée. Les mission-naires protestants sont effectivement arri-vés en Côte d’Ivoire en 1924, dix ans aprèsle passage du prophète Harris.

Page 5: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

DDDDte de foi et en plein accord avec laSociété des Missions Évangéliques deParis, d’accepter l’héritage spiritueld’Harris 21. L’Égl ise Méthodis teWesleyenne s’est en fait appliqué les pa-roles du prophète Harris : Après moiviendront les Blancs, serviteurs de Dieu,avec le Livre, et ils vous enseigneront par

la prédication et les écoles tout ce qui estécrit dans la Bible. C’est chez un Pasteurde votre race instruit par eux (Il s’agit duPasteur Jessy Lawry), que moi-même,quand je n’étais qu’un petit garçon, j’aiappris à lire la Parole de Dieu. C’est cet-te parole sacrée apportée par les Blancsque vous devrez recevoir et à laquelle ilfaudra obéir sans murmures, si vousvoulez avoir part à la Vie éternelle après

la mort 22.Dix ans après le passage du prophète

Harris, en 1924, le Pasteur Platt 23 en vi-site en Côte-d’Ivoire fut accueilli engrande pompe comme le premier de cesBlancs annoncés par le prophète .L’Église méthodiste se voyait ainsi éta-blie triomphalement par la populationcomme l’héritière de l’œuvre du prophè-te Harris. Une révolte éclata alors du cô-té des inconditionnels du prophète Harrisqui refusaient de reconnaître l’Église mé-thodiste comme l’héritière du prophète.Face à cette crise ouverte, le Pasteur fran-çais Pierre Benoît, avec l’accord duPasteur Platt, se rendit en septembre1926 au Liberia pour rencontrer le pro-phète William Wadé Harris. Il revint dece voyage avec une Bible, une photo surlaquelle on peut voir Harris et le PasteurPierre Benoît et un message connu sousle nom de Testament d’Harris. Ce messa-ge est une invitation adressée à ses fi-dèles pour entrer dans l’Église protestan-te et non l’Église catholique – voir enca-dré page suivante. Ce document trèscontroversé sonna en fait le glas de larupture entre l’Église protestante deCôte-d’Ivoire et les inconditionnels deWilliam Wadé Harris 24.

Face à l’Église protestante méthodis-te se dresse le groupe des inconditionnelsdu prophète. Dirigé par John Ahui,Salomon Dagri et Gaston N’dri, il secompose d’abord des prédicateurs établispar Harris lui-même dans les villages oùil est passé ainsi que des responsables decommunautés harristes qui ont vu le jouraprès le passage du prophète 25. On trou-ve ensuite les interprètes du prophèteHarris notamment les clerks originairesde la Gold Coast ou de la Sierra Leone.Autour de ce noyau s’est enfin formé ungrand nombre de fidèles qui ont refusé dese rallier à l’Église protestante et à l’É-glise catholique. Parmi eux, certains ontété rebutés par les exigences morales del’Église catholique. Du côté protestant,les charges financières pour la vie de l’É-glise ont découragé beaucoup de fidèles.

ll ’’aarrbbrree àà PPaallaabbrreess# 13 - Mai 2003

18

OSSIEROSSIER

« Message du prophète William Wadé Harris aux Églises que j’aifondées sur la Côte d’Ivoire» Moi, William Wadé Harris, qui vous ai appelés à la vérité de l’É-vangile et au baptême, j’ai donné œ message au Pasteur P. Benoît,afin qu’il puisse vous l’apporter et que vous y obéissiez.» Tous les hommes, femmes et enfants qui ont été appelés et bap-tisés par moi, doivent entrer dans l’Église Méthodiste Wesleyenne.Je suis moi-même méthodiste. Personne ne doit se joindre à l’É-glise catholique romaine, s’il désire me rester fidèle. M. Platt, ledirecteur de notre Église méthodiste, est désigné, par moi, commemon successeur à la tête des Église que j’ai fondées.» Tous les fétiches doivent être détruits. Brûlez-les tous au feu. Quele malin assiège celui qui les gardera secrètement dans sa maison !Puisse le feu céleste les dévorer ! Tous doivent adorer le seul vraiDieu en Jésus-Christ et Le servir Lui seul !» Lisez la Bible, c’est la Parole de Dieu. Je vous en envoie une, oùj’ai marqué les versets que vous devrez lire. Cherchez la lumièredans la Bible. Apprenez à lire pour être capables de connaître laBible ; elle sera votre guide.» Soyez fidèles en toutes choses, vous attachant fermement à pra-tiquer les dix commandements et la parole de Jésus-Christ, notreseul sauveur.» Je vous envoie mes vœux et mes messages de joie. Puisse le Dieude grâce vous bénir abondamment! » (Cap Palmas, le 25 septembre1926).Le Pasteur Deaville Walker qui nous présente ce document sou-ligne qu’en plus de sa signature, « Harris apposa à cet importantdocument, l’empreinte de ses deux pouces ; puis neuf témoins yajoutèrent leurs noms ou leurs empreintes digitales ». Cf. DeavilleWalker, Op. Cit., p. 174-175.

21 - E. de Billy, En Côte d’Ivoire.Mission protestante d’A.0.F., Paris :S.M.E., p. XII.22 - Cf. E. de Billy, Op. Cit., p. 16. LePasteur André Roux nous donne uneautre version dans laquelle la missiond’Harris est comparée à celle de Jean-Baptiste : Quand le coq chante, ce n’estpas encore le jour, mais seulement lepremier rayon de l’aube. Cependant lejour vient. Je ne vous apporte pas la lu-

Page 6: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

19

Les questions sur les lois du mariage etles collectes d’argent ont décidé officiel-lement John Ahui et Salomon Dagri à serendre en 1928 à Garaway pour rencon-trer Harris. Mais en fait, avec ce voyagese profile aussi la recherche d’une légiti-mité face aux missionnaires protestantsforts de leur Testament d’Harris et lesnouvelles défections des fidèles avecl’émergence de prophètes se réclamantd’Harris 26.

Le séjour à Garaway fut fructueuxpuisqu’il est couronné par une photo duprophète Harr is avec John Ahui ,Salomon Dagri et Dibo l’interprète.Harris remet ensuite à Salomon Dagri sacanne et sa Bible, symbole de la légitimi-té et de l’orthodoxie de leur action.L’Église harriste vient de naître. Maisc’est en août 1955 avec son premiercongrès qu’elle devient une véritable ins-titution avec John Ahui comme premierchef spirituel. Il hérite en effet à cecongrès de la canne et de la Bible du pro-phète. L’Église harriste se donne ensuiteune devise : Dieu, Travail, Amour,Patrie, un catéchisme imprimé en 1956et des statuts publiés dans le journal offi-ciel de la Côte-d’Ivoire le 4 mars 1961avec comme dénomination officielle :Église du Christ Mission Harris 27.

L’Église harriste dans le contexte juri-dique du fait religieux en France. En s’im-plantant en France, les Églises prophé-tiques et messianiques africaines se trou-vent confrontées à de nouvelles réalitésauxquelles n’échappe pas l’Église harris-te. Ceux qui se réclament de ces Églisesne peuvent pas en effet vivre et exprimerleur foi comme ils le feraient dans leurpays d’origine. Le fidèle harriste vivanten France ne peut pas ainsi honorer parexemple les sept moments de la prièrehebdomadaire requise comme il le feraiten Côte-d’Ivoire. Il doit tenir compte descontraintes que lui impose son nouveaucadre de vie, et notamment le contexte

juridique du fait religieux en France.La Constitution française de 1958 dé-

finie en son article 2, le cadre juridiquedu fait religieux : La France est uneRépublique laïque. Elle assure l’égalitéde tous les citoyens devant la loi, sansdistinction d’origine, de race ou de reli-gion. Elle respecte toutes les croyances.Cette affirmation du caractère laïque dela République française est en faitl’aboutissement d’une longue évolutionpolitique marquée par trois grandes loisconsidérées comme les textes fonda-teurs de cette laïcité. Les deux pre-mières lois dites de Jules Ferry – 28mars 1882 et 30 octobre 1886 – procla-ment la neutralité confessionnelle del’école publique et font dépendre de l’É-tat son personnel enseignant. La troisiè-me loi du 9 décembre 1905 sur la sépa-ration des Églises et de l’État dégagel’État français de tout lien à un culte 28.Mais en même temps, elle le fait garantde la liberté de conscience et de croyan-ce : La République assure la liberté deconscience. Elle garantit le libre exerci-ce des cultes sous les seules restrictionsédictées ci-après dans l’intérêt del’ordre public (art. ler). Une fois affirméecette liberté de conscience, il revientmaintenant à l’État de prendre toutes lesdispositions juridiques pour rendre ef-fective et protéger cette liberté inscritepar a i l leurs dans la Convent ionEuropéenne des Droits de l’Homme 29.La loi pénale (française) réprime ainsila diffamation, l’injure publique, la pro-vocation à la haine ou à la violencecontre toute personne du fait de son ap-partenance à une religion. Il en va demême des troubles ou désordres appor-tés au déroulement des cultes. De mêmeest illégale toute forme de discrimina-tion fondée sur les croyances ou convic-tions religieuses 30.

C’est dans cette volonté de protégeret de rendre effective cette liberté reli-gieuse que le législateur a institué – loi de1901– dans le cadre de l’exercice descultes, les associations culturelles desti-

l ’arbre à Palabres# 13 - Mai 2003

OSSIEROSSIERDDDD

LE HARRISME EN FRANCE

mière, je suis seulement le coq quichante, après moi des missionnairesBlancs viendront avec la Bible, vous lesécouterez, ce sont eux qui vous instrui-ront dans toute la lumière. Cf. AndréRoux, Un prophète : Harris, Le mondenoir, n° 8-9, mars 1950, p. 136.23 - Le Pasteur Platt était le présidentdu Synode du district de la Société desMissions Méthodistes Wesleyennes deLondres en A.O.F. Il résidait à Porto-Novo au Dahomey. Sa visite fait suite àla crise suscitée dans l’ÉgliseMéthodiste de Côte d’Ivoire par le trai-té de St-Germain qui entraîna la ferme-ture du temple de Grand-Bassam et lasuspension de leur commerce deBibles.24 - Sans douter de la bonne foi duPasteur Pierre Benoît, il faut cependantreconnaître que ce document parcequ’il s’inscrit dans un contexte de crisede leadership, n’est pas à l’abri d’uneintervention partisane de ce dernier.René Bureau note d’ailleurs à cet effet: Cette mission ne peut être mise endoute mais la teneur du texte signéalors par Harris, par lequel il conseilleà tous ses anciens fidèles d’embrasserla religion méthodiste, est en contra-diction avec les éléments recueillis unan plus tard par la délégation Ebriéconduite par Salomon Dagri et JohnAhui. Voici ce que dit A., le prédicateurprofessionnel : Les vieux nous onttrompés. Ils ont dit que Harris avaitrenvoyé les gens vers les catholiques etles protestants. Ce n’est pas vrai.Lorsque Jona Ahui est allé à CapePalmas, Harris lui a dit : Je me suis faitavoir par le pasteur Benoît ; la photo etle texte était truqués. Cf. René Bureau,Op. Cit., p. 51.25 - John Ahui et Salomon Dagri sontoriginaires de Jacqueville. Ils prési-daient le culte harriste dans le villagede Petit Bassam. Gaston N’dri dirigeaitpar contre une communauté chez lui àGrand-Lahou, l’une des premières lo-calités visitées par Harris.26 - Un prophète de Jacqueville, BoguiAké, créa ainsi en 1926, un mouvementse réclamant du prophète Harris. 27 - Récépissé n° 3050 UCAB/AG du22 déc. 1960.28 - L’Alsace et la Moselle, pour desraisons historiques, ne sont pas concer-nées par cette loi. Elles sont encoresous le régime concordataire.29 - Toute personne a droit à la libertéde pensée, de conscience et de religion ;ce droit implique la liberté de changerde religion ou de conviction ainsi que laliberté de manifester sa religion ou saconviction individuellement ou collecti-vement, en public ou en privé, par leculte, l’enseignement, les pratiques etl’accomplissement des rites(Convention européenne de sauvegardedes Droits de l’homme et des libertésfondamentales. 4.11.1950, art. 9, § 1)30 - Haut Conseil de l’intégration,Conditions juridiques et culturelles del’intégration, mars 1992, p. 37. 32

Page 7: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

ll ’’aarrbbrree àà PPaallaabbrreess# 13 - Mai 2003

20

nées à prendre en charge tous les aspectsmatériels de cette activité 31. Le régimede la loi de 1905 s’applique en principe àdes associations véritablement représen-tatives d’une religion donnée ; maislorsque ce point est difficile à apprécier– comme c’est le cas de l’Église harristeet bien d’autres Églises africaines –,l’autorité compétente est parfois paraly-sée par la crainte de donner une investi-ture officielle à une simple tendance mi-noritaire. La loi de 1901 permet decontourner cette difficulté et offre enoutre l’avantage, pour des associations àobjet culturel ou social déclaré, de ne pascloisonner les financements 32. L’Égliseharriste a donc bénéficié d’un code juri-dique favorable au fait religieux avec no-tamment la loi du ler juillet relative auxassociations pour s’implanter en France.Elle jouit d’une capacité juridique quipermet à ses fidèles de vivre et d’expri-mer leur foi, dans un cadre légal.

L’organisation de l’Église harriste, rap-pel historique. L’Église du Christ -Mission Harris dite Église harriste a sonsiège spirituel en Côte-d’Ivoire à Abia-Gnambo (Petit Bassam) dans la commu-ne d’Abidjan précisément à Port-Bouët.C’est le village natal du Prédicateur JohnAhui, premier successeur et légataireuniversel du prophète William WadéHarris. Son siège administratif est situé àBingerville dans la banlieue abidjanaise.C’est, en effet, à Bingerville, alors capi-tale de la Côte-d’Ivoire que Harris fut re-çu officiellement par les autorités poli-tiques et administratives coloniales à lafin de l’année 1914.

L’Église harriste est organisée en deuxstructures autonomes : une structure insti-tutionnelle et une structure de type associa-tif appelée AFRAH (Association des FrèresRésidents Harristes). Ces deux structuresdépendaient auparavant d’un organe cen-tral, le Comité National Harriste qui a vu lejour en 1960. En août 1994, a ensuite étécrée, lors d’un Congrès international del’Église harriste à Ouidah au Bénin, le

Comité International Harriste (COMIHA) re-groupant les harristes du Bénin, du Ghana,du Burkina Faso et de la Côte-d’Ivoire. Cesdeux comités (national et international) ontété présidés par Thotche Mel Félix avantd’être dissous en août 2000 laissant ainsi lagestion de l’Église harriste aux deux pre-mières structures susmentionnées.

Au niveau institutionnel, l’Église har-riste a à sa tête un chef spirituel appelé lePatriarche. Son institution remonte àHarris lui-même : sa canne et sa Bible ontété remises à John Ahui comme signe dela légitimité et de l’orthodoxie de son ac-tion. Le Patriarche est donc issu du rangdes Prédicateurs du village de John Ahui,Abia-Gnambo ou Petit Bassam. En casde vacance du siège, c’est le second pré-dicateur supérieur qui le remplace direc-tement . La fonction principale duPatr iarche est la nominat ion desPrédicateurs supérieurs sur propositionde leurs pairs. Il est en outre chargé de laconfection et de l’attribution des cannes.II est secondé par un vice-président quiest le Prédicateur supérieur de l’Égliseappelé communément le Suprême. Il aidele Patriarche dans l’exercice de ses fonc-tions et le représente en cas d’empêche-ment. Vient ensuite le Secrétaire généralde l’Église qui est un Prédicateur supé-rieur nommé par le Patriarche. Il remplitsa fonction avec un certain nombre de se-crétaires adjoints ayant en charge plu-sieurs services (Affaires religieuses etspirituelles, Administration et départe-ments, Affaires financières) 33.

Une autre structure qui participe à lavie de l’Église harriste est l’AFRAH. C’estune association qui regroupe tous lessympathisants de l’Église harriste dansune localité donnée. Il y a ainsi autantd’AFRAH que de sympathisants dans lesdifférents villes et communes de la Côte-d’Ivoire. Toutes les AFRAH de Côte-d’Ivoire sont cependant regroupées dansun organe central appelé AFRAH-Côte-d’Ivoire. Si tous les fidèles de l’Égliseharriste sont des membres de l’AFRAH,tous les membres de l’AFRAH en re-

OSSIEROSSIERDDDD

31 - Haut Conseil de l’intégration, Op.Cit., p. 37.32 - Haut Conseil de l’intégration, Op.Cit., p. 44.33 - L’actuel Suprême de l’Église harristeest Cessi Koutouan et le Secrétaire géné-ral, Dogbo Jules. Le nouveau Patriarchen’a pas été encore officiellement installéaprès le décès de l’ancien, Yacé AkréBarthelemy en août 2000.

Page 8: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

21

vanche ne sont pas des fidèles de l’Égli-se harriste. La foi harriste n’est pas exi-gée pour être membre de l’AFRAH. Il suf-fit d’avoir une sympathie pour le harris-me et se rendre disponible pour faireconnaître l’action du prophète WilliamWadé Harris. L’AFRAH est en somme lastructure missionnaire de l’Église harris-te. Elle est chargée de la mise en placedes communautés harristes dans des lo-calités où elles n’existent pas. Elle procè-de à une évaluation pour voir si la pré-sence des fidèles harristes dans la locali-té est suffisante pour former une commu-nauté. C’est ainsi qu’a été créée, en 1996,une branche de l’AFRAH en France (loi1901) : AFRAH-France. Elle regroupe lessympathisants harristes vivant en Francepar distinction de ceux de Côte-d’Ivoireregroupés dans l ’AF R A H-C I . C’estl’AFRAH-France qui s’est ensuite chargéede mettre en place la communauté harris-te de France. Une des prérogatives del’AFRAH est aussi de trouver des lieux decultes pour les communautés mises enplace et des fonds pour la vie de l’Église.C’est ce à quoi s’attelle 1’AFRAH-Francepour les communautés harristes deFrance.

La hiérarchie. Comme toute com-munauté harriste, l’Église harriste deFrance a une structure tripartite compre-nant les Apôtres, les Doyens et lesPrédicateurs.

- Les Apôtres : Ce sont les dirigeantsde l’Église. Ils sont tous laïcs. Ils s’occu-pent de l’organisation administrative etfinancière de l’Église. Ils gèrent les dons,les collectes et les biens de l’Église. Ils fi-nancent les fêtes, les cérémonies, le mo-bilier et le matériel nécessaire au culte.Ils fournissent au Prédicateurs leurs attri-buts (soutanes blanches, bretelles...) etles moyens de leur mission. Ils sont char-gés de la location de salles pour le culteou la construction des temples. Au ni-veau administratif, ils sont les représen-tants de l’Église locale auprès des autori-tés et veillent à défendre les intérêts de

l’Église.Les Apôtres ont aussi un rôle spirituel

très important. Ils peuvent en effet fairedes prières et conduire les cultes en l’ab-sence des Prédicateurs. Ils reçoivent lesconfessions des fidèles et décident de lapénitence à donner. Ils sont enfin desagents de paix et de réconciliation dans lacommunauté. Ils règlent les conflits et leslitiges dans les familles et les couples. Ilssont généralement douze personnes àformer le Collège des Apôtres danschaque Église de base avec un chefApôtre comme pour signifier les douzeapôtres de Jésus. Ils sont cependant dix àremplir ce rôle dans la communauté har-riste de France 34.

- Les Doyens ou Anciens : Ils veillentsur l’orthodoxie de la foi harriste trans-mise dans les enseignements, les prédica-

tions et les exhortations. Ce sont en gé-néral des personnes qui ont une grandeconnaissance de l’enseignement du pro-phète Harris. Leur rôle consiste à assurerla fidélité actuelle de l’Église à l’ensei-gnement du prophète. L’Église harristede France dispose de quatre doyens trèsrespectés dans les communautés 35.

- Les prédicateurs : ce sont les mi-nistres du culte de l’Église harriste. Ilsont en charge la vie spirituelle de la com-

l ’arbre à Palabres# 13 - Mai 2003

OSSIEROSSIERDDDD

Jean-Baptiste Dago, le premier Prédicateur de la communauté harristede France, a été consacré en 1987. Sa consécration reste l’une des plusextraordinaires de l’Église puisqu’elle a été décidée dès sa naissance.Après douze mois de grossesse passés, sa mère, Djesero Rosalie n’arri-vait pas à accoucher. Son père, Dago Jacques qui était un Apôtredemanda ainsi à un Prédicateur supérieur (Dago Gnamien Jean-Baptiste) qui était de passage dans la région de prier pour elle. C’estaprès cette prière que Jean-Baptiste vint au monde mais avec une parti-cularité : son cordon ombilical était en forme de pectoral (attribut dis-tinctif des Prédicateurs harristes). Le Prédicateur supérieur demandaalors que le nouveau-né soit consacré pour l’œuvre du prophète Harris.C’est donc très jeune que Jean-Baptiste (qui tient son nom de cePrédicateur supérieur) se mit au service de ses frères à la suite du pro-phète Harris avant d’être consacré comme Prédicateur.Le deuxième Prédicateur, Michel Goubo a été consacré en août 2002 enCôte d’Ivoire et présenté officiellement à la communauté harriste deFrance le 17 nov. 2002 lors d’une cérémonie très riche en couleur et enémotion.

34 - Le Collège des Apôtres de l’Egliseharriste de France se compose de AchiepoAké (Chef-Apôtre), Anoma Camille (sonadjoint qui est aussi Président de l’AFRAH-France), Aboua Philippe, Goprou Patrice,Yapo Victor, Yapi Francis, AboumouAlexandre et Abby Léon qui est aussiChef-apôtre de Cocody-village à Abidjan.35 - Il s’agit de Tienan Joseph , Yapi Yapo,Agbotcha Marcel et Mobio Jules.

Page 9: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

ll ’’aarrbbrree àà PPaallaabbrreess# 13 - Mai 2003

22

munauté : prières, formation spirituelle etdoctrinale des fidèles, administrationsdes sacrements, célébrations des funé-railles. Ils sont désignés parmi lesApôtres et partagent ainsi avec ces der-niers les mêmes exigences de vie.Contrairement aux autres membres de lacommunauté, le Prédicateur et l’Apôtrene peuvent avoir plus d’une femme. Lecélibat leur est aussi interdit. Ils doiventen outre mener une vie exemplaire selonles lois de l’Église harriste. Les prédica-

teurs sont repartis en cinq groupes. Il y ale Patriarche, le Suprême, le prédicateursupérieur ou Porte-canne, le Prédicateur-chef et le Prédicateur auxiliaire. ChaquePrédicateur a des attributs spéciaux enfonction de son rang qui permet de le dis-tinguer 36. Après sa consécration, le pré-dicateur ordinaire peut accéder au rangde prédicateur chef en fonction de l’im-portance de la communauté dont il a lacharge spirituelle. Il devient ensuite pré-dicateur supérieur ou Porte-canne s’il

OSSIEROSSIERDDDD

36 - Le Prédicateur ordinaire a deux bre-telles sur sa soutane. Le Prédicateur-chefen a trois. Le Prédicateur supérieur ouPorte-canne se différencie par sa canne. LeSuprême a deux broderies sur les manchesde sa soutane alors que le Patriarche en atrois sur le bas de sa soutane.

William Wadé Harris

Page 10: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

23

réussit à agrandir la communauté harris-te en gagnant de nouveaux fidèles à l’É-glise. La canne lui est alors offerte, àl’image du prophète Harris, comme unereconnaissance pour son effort d’aposto-lat. L’Église harriste de France qui estune jeune communauté a, pour sa direc-tion spirituelle, deux prédicateurs ordi-naires : Michel Dogbo et Jean-BaptisteGoubo (voir encadré ci-dessous).

D’autres services non moins impor-tants participent aussi à la vie de la com-munauté harriste de France. Ce sont lachorale avec ses joueurs de castagnettes,les Filles d’honneur, les Gardiens etl’Allumeur de bougie. La chorale accom-pagne les processions et soutient lesprières. Elle joue un rôle très importantdans le culte harriste 37. Les chants trèsrythmés par les castagnettes sont enlangues vernaculaires notamment Attié,Dida, Bété, Ébrié et Adjoukrou. LesFilles d’honneurs, vêtues d’une bretelleaux couleurs du drapeau de la Côte-d’Ivoire (orange, blanc, vert), précèdentles Prédicateurs dans les processions.Elles exécutent des pas de danse très har-monieux au rythme des castagnettes etje t tent des f leurs au passage desPrédicateurs. En général un culte harristecommence et se termine par une proces-sion. La procession se déroule depuis ledomicile du Prédicateur jusqu’au temple.La communauté va chercher lePrédicateur chez lui à la maison et le ra-mène après le culte. Il s’agit de mettre lePrédicateur dans une atmosphère deprière dira Jean-Baptiste Dago. Ces pro-cessions ont leur sens dans les commu-nautés harristes en Côte-d’Ivoire où ledomicile du Prédicateur est proche dutemple harriste. Mais la situation est dif-férente en France. Ce qui n’empêche pasla communauté harriste de France decontinuer à faire les processions sur pla-ce avec le même entrain tant de la chora-le que des Filles d’honneur. Les gardiensjouent le rôle d’agents d’ordre 38. Ilsveillent sur la discipline pendant les pro-cessions et les cultes. Munis d’un long

bâton, ils rappellent à l’ordre les fidèlesqui ne respectent pas les consignes de si-lence ou de bonne tenue pendant lesprières. L’Allumeur de bougie représenteen quelque sorte le sacristain de l’Égliseharriste. Il prépare le mobilier et les ob-jets nécessaires au culte notamment l’au-tel, le crucifix, les fleurs, la bougie, l’hor-loge de bureau (pour chronométrer lesprières et exhortations). Il veille au bondéroulement des cultes. Certains servicesde l’Église harriste ont perdu leur perti-nence dans la communauté harriste deFrance. Ce sont notamment les sonneursou carillonneurs et les balayeurs d’Église.

La Communauté harriste. La pré-sence de la communauté harriste enFrance est liée au flux migratoire des fi-dèles de cette Église en provenance de laCôte-d’Ivoire notamment du littoral ivoi-rien. Harris s’est en effet adressé aux po-pulations du littoral de la Côte-d’Ivoire,une région qui s’étend du sud-ouest ausud-est du pays. Elle est délimitée au sudpar l’océan atlantique, à l’ouest par leLiberia et la Guinée, à l’est par la GoldCoast. Au nord s’étendent les régions ducentre et du nord de la Côte-d’Ivoirefrontalières de la Haute Volta et duSoudan 39. Parti ainsi de Garaway, sa vil-le natale au Liberia, Harris a longé les ré-gions côtières de la Côte-d’Ivoire del’ouest à l’est jusqu’à Axim en GoldCoast. On dénombre dans cette popula-tion du littoral une douzaine d’ethnies :les Abidji, les Abouré, les Adioukrou, lesAhizi, les Agni, les Alladian, les Avikam(ou Brignan), les Dida, les Neyo, lesÉbrié, les Fanti, les M’batto, les N’zima(ou Appoloniens). Ces ethnies, à part lesDida et les Neyo, appartiennent au grou-pe linguistique appelé Akan 40.

La communauté harriste de Franceregroupe en son sein les ressortissants deces différentes ethnies notamment lesÉbrié et les Dida. On les retrouve à Paris,Lille, Bordeaux, Toulouse et Rouen. Dedouze personnes en 1996, la communau-té est forte aujourd’hui d’environ 500 fi-

l ’arbre à Palabres# 13 - Mai 2003

OSSIEROSSIERDDDD

37- Les responsables de la chorale sontGbate Angèle, Dabe Fabrice, LobognonLouis et Deli Jocelyne.38 - Ce sont N’Gando Samuel, ZadiPierre, Gopou Philippe, NiangoranDonatien.39 - La Gold Coast (Côte de l’or), leSoudan et la Haute Volta sont les an-ciennes dénominations respectivement duGhana (changement de nom en 1957), duMali (1960) et du Burkina Faso (1984).40 - Les Neyo et les Dida appartiennent augroupe Krou. Il y a en fait quatre groupeslinguistiques qui composent la Côted’Ivoire : Les Akan, les Krou, les Gour etles Mande. Ces quatre groupes linguis-tiques sont composés de sous groupes ouethnies. Le Groupe Akan en compte 18(Abbey, Abouré, Abron, Adioukrou, Agni,Abidji, Ahizi, Alladian, Appolo (ouN’Zima), Attié, Avikam, Baoulé, Ebrié,Ega, Ehotilé, Essouma, M’batto etKrobou, le groupe Krou, 15 (Bakwe, Bété,Dida, Gnaboua, Godié, Guré, Kodia,Kouyo, Kouzié, Kroumen, Neyo,Niedeboua, Oubli, Wané, Wobé), le grou-pe Mande 13 (Bambara, Dioula, Gagou(ou Gban), Gbin, Gouro, Malinké, Mana,N’gain, Nigbi, Ouan, Toura, Yacouba (ouDan), Yaouré), le groupe Gour 14 (Birifor,Gondja, Degha (ou Deya), Gouin ,Kamara, Komono, Koulango, Lobi,Lohron, Nafana, Samogho, Senoufo, Siti,Toonie).

Page 11: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

ll ’’aarrbbrree àà PPaallaabbrreess# 13 - Mai 2003

24

dèles pratiquants. Ce sont ceux qui se re-groupent régulièrement pour les cultes etparticipent pleinement à la vie commu-nautaire de l’Église. Certains n’hésitentpas à faire de grands déplacement d’uneville à une autre à l’occasion d’une céré-monie religieuse. La foi harriste fait par-tie en somme de leur identité. C’est ellequi donne sens à leur vie, à leur manièred’agir, de penser et d’être. Le nombre desjeunes parmi ces harristes pratiquantsreste très élevé. La communauté harristede France est en fait composée majoritai-rement de jeunes qui sont l’objet d’uneformation et d’un encadrement spécial dela part de l’AFRAH-France. La chorale del’Église harriste est une émanation duGroupe des Jeunes Harristes de France.Moins nombreux mais très dynamiquessont les sympathisants de l’Église harris-te de France. Ce sont en général des per-sonnes issues de familles ou de régionsharristes mais qui se sont converties aucatholicisme ou au protestantisme. Cequi n’a pas entamé pour autant leur ar-deur pour l’action du prophète WilliamWadé Harris. L’implantation de l’Égliseharriste en France est en grande partiel’œuvre de ces sympathisants. Il y a enfinles harristes non pratiquants. Souventinstallés dans des villes qui n’ont pas decommunauté harriste, ces derniers, peunombreux, se retrouvent coupés de l’É-glise harriste. Certains n’hésitent pas àfréquenter les Églises catholique ou pro-testante. D’autres venus se chercher enFrance se trouvent confrontés à la dureréalité de la vie française et finissent parperdre la foi.

Le culte harriste, la prière. La priè-re est dans le culte harriste, objet d’uneréglementation spéciale. Des temps deprière précis sont prévus pour chaquejour de la semaine en dehors du lundiavec une durée moyenne d’une demi-heure : le mardi soir de 19h 30 à 20h, lemercredi matin de 5h 30 à 6h, le jeudisoir de 19h 30 à 20h, le vendredi matin de5h 30 à 6h et le dimanche de 5h 30 à 6h,

de 9h à 11h et de 15h 30 à 16h. La prièrerythme la semaine du fidèle. Elle a la par-ticularité d’être avant tout communautai-re. Toute la communauté est appelée à seretrouver au temple. Du nouveau-né auvieillard, tous vêtus d’habits blancs, par-ticipent aux différentes cérémonies, leshommes d’un côté et les femmes del’autre. L’importance de la vie commu-nautaire dans la société traditionnelle seretrouve dans les manifestations cul-tuelles de l’Église harriste. La vie com-munautaire reste en effet le lieu où la so-ciété traditionnelle, tout comme l’Egliseharriste qui est à son image, puise sa for-ce, son dynamisme et sa survie, dans cequ’on pourrait appeler une spiritualité dela vie communautaire. Les différentsrites d’initiation permettent à l’individude se découvrir comme un être avec lesautres. Il n’est rien sans les autres, sans lacommunauté. Dans cette expressioncommunautaire de la foi en Dieu, le fidè-le harriste ne cherche pas avant tout àvivre une expérience mystique extraordi-naire ou à entrer en contact avec la divi-nité. Sa prière se veut concrète et réalis-te. C’est une prière qui va à l’essentiel etdans laquelle s’exprime sa volonté devivre heureux sur la terre. Harris n’étaitpas venu offrir d’abord le ciel à ses fi-dèles mais les moyens de vivre heureuxsur la terre à l’abri de la hantise des fé-tiches et de la sorcellerie. Son enseigne-ment s’inscrit à ce niveau dans la mou-vance d’une spiritualité de bien-être gé-néral professée dans les religions tradi-tionnelles où la divinité est bien souventinvoquée pour avoir la pluie, une bonnerécolte, une bonne chasse ou la santé.Cette spiritualité s’exprimera de manièreoriginale dans la prophétie d’une viesemblable à celle des Blancs.

Si la prière harriste a gardé en Francetoute sa dimension communautaire et sonréalisme, el le a cependant connuequelques adaptations consécutives aunouveau cadre de vie. Le temps de prièrecommunautaire n’est plus ainsi quotidienmais hebdomadaire. Il a lieu le dimanche

OSSIEROSSIERDDDD

Page 12: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

41 - Un temple harriste comprend deuxgrandes parties, le chœur et la nef séparéspar une barrière. Le chœur est occupé parles Anciens à gauche, les Apôtres à droiteet les Prédicateurs au centre avec un autelsur lequel est posée une Croix. La nef estdivisée en deux rangées de bancs, lesfemmes et les enfants à droite et leshommes à gauche. La chorale est placéeentre le chœur et la nef.42 - René Bureau, Op. Cit., p. 85.43 - L’Église catholique et les Église orien-tales reconnaissent sept sacrements (lebaptême, l’eucharistie, la confirmation, lapénitence, le mariage, l’ordre, le sacre-ment des malades) et les Églises protes-tantes, deux (le baptême et la sainte Cène).44 - René Bureau, Op. Cit., p. 93.45 - René Bureau, Op. Cit., p. 93.46 - Le nombre de ses femmes varie sui-vant les sources. On parle ainsi de trois àsix femmes.47 - René Bureau, Op. Cit., p. 12.

25

de l0h à 12h. Cet aménagement horaire al’avantage de permettre à la communau-té harriste de réunir assez de fidèles pourla prière commune. Mais il est aussi ré-vélateur des difficultés rencontrées par lacommunauté dans l’expression de sa foinotamment l’absence d’un lieu de cultequi lui soit propre. La communauté estobligée de louer des salles pour son cul-te. C’est une situation très difficile pourl’organisation du culte lorsqu’on sait quedans un temple harriste, le décor et la dis-position des fidèles sont très importantspour le déroulement de la cérémonie 41.La communauté de France ne peut pasainsi organiser ses cultes comme elle leferait dans un temple harriste.

La célébration des sacrements. Le ca-téchisme harriste définit le sacrementcomme l’acte par lequel le prédicateursanctifie le fidèle 42. A la différence del’Église catholique et des Églises protes-tantes, l’Église harriste retient trois sa-crements : le baptême, la sainte Cène etle mariage 43.

Le baptême est le sacrement qui faitentrer dans la communauté des fidèlesharristes. II existe deux sortes de bap-têmes : le baptême ordinaire et le baptê-me nominal. Le baptême ordinaire se faitpar instruction des candidats sur les com-mandements de Dieu et de l’Église har-riste. Ils expriment ensuite leur volontéde recevoir le sacrement. Le baptême estadministré par le Prédicateur. Le candi-dat au baptême se met à genoux. LePrédicateur pose sa Bible sur sa tête. IIlui verse ensuite de l’eau sur son front etlui trace un signe de croix de son poucesur le front en faisant une prière. Le nou-veau baptisé médite un instant puis dit leNotre Père. La cérémonie de présenta-tion d’un nouveau-né à l’Église donnelieu à un autre baptême appelé le baptê-me nominal. Il est en effet demandé auxfidèles de présenter leur enfant à la com-munauté huit jours après la naissance. Lacommunauté accueille alors dans la joiele nouveau-né qui est ensuite béni par le

Prédicateur au cours d’un culte. Cette cé-rémonie constitue une première étape dubaptême en tant que tel car ce n’est quevers 16 ans ou 18 ans que le jeune hom-me ou la jeune fille recevra le baptêmedéfinitif, s’il remplit les conditions et s’ille demande.

La communauté harriste commémoreaussi, à travers la Sainte Cène, le dernierrepas du Christ avec ses apôtres la veillede sa passion. C’est un repas communau-taire pris à l’extérieur du temple à desmoments précis de l’année : Noël,Rameaux, Vendredi Saint, Pâques,Ascension, Pentecôte, la Fête du délugeou de l’environnement.

On a enfin le mariage. Le mariage re-ligieux harriste nous donne un aperçu dela morale sexuelle de l’Église harriste.Elle se présente comme un exemple desyncrétisme avec la fusion de plusieurséléments venant de l’enseignement chré-tien et des croyances traditionnelles.L’Église harriste définit le mariage à lasuite de l’Église catholique comme l’ac-te par lequel un homme et une femmes’unissent devant l’Église 44. Mais le ma-riage ainsi défini est assorti de plusieurslois puisées dans la société traditionnelle.Le mariage harriste reste dissoluble avecla possibilité de contracter un nouveaumariage. Le catéchisme harriste affirme àcet effet : On ne peut pas, on ne doit pasobliger les êtres humains incompatibles,à rester unis indéfiniment. Car Dieu acrée l’homme libre et toute contrainte quin’est pas écrite va contre la volonté deDieu 45. C’est dans ce contexte que s’ins-crit la polygamie dans l’Église harriste.Harris après la mort de sa première fem-me se retrouvera avec trois femmes 46

comme l’avait annoncé l’ange Gabriellors de sa vision : Je te demande le sacri-fice de ta femme. Elle mourra mais je t’endonnerai d’autres qui t’aideront dansl’œuvre que tu dois fonder 47. La vision del’ange Gabriel vient confirmer une pra-tique courante dans la société tradition-nelle. La monogamie serait ainsi faitepour les Blancs. Aux Noirs, il importe

l ’arbre à Palabres# 13 - Mai 2003

OSSIEROSSIERDDDD

Page 13: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

ll ’’aarrbbrree àà PPaallaabbrreess# 13 - Mai 2003

26

seulement de ne pas préférer une de sesfemmes aux autres. Le catéchisme harris-te précise encore : Un homme peut se ma-rier à autant de femmes qu’il veut àcondition de servir toujours Dieu, d’éta-blir l’équité entre ses femmes 48. Le séjourde John Ahui e t Salomon Dagri àGaraway en 1928 a été l’occasion pourHarris de confirmer la loi sur la polyga-mie en citant Is 4, 1-6 : Ce jour-là, septfemmes s’arracheront un seul homme. Ilconvient cependant de noter que lesApôtres et les Prédicateurs, comme nousl’avons mentionné plus haut , sont sou-mis à la monogamie. La célébration dumariage se fait par une simple bénédic-tion nuptiale du Prédicateur pendant unculte qui a lieu le dimanche.

Sans avoir le statut de sacrement, lesfunérailles constituent aussi un grandmoment de la vie de la communauté. Lerituel funéraire harriste est très com-plexe. La famille qui perd un de sesmembres informe d’abord le chef Apôtrequi réunit le Collège des Apôtres. Il s’agit

à travers cette rencontre, de voir si le dé-funt est un harriste fervent et s’il paie sescotisations. Le Collège des Apôtres déci-de ensuite si le défunt peut être enterrépar l’Église harriste. Une fois l’accordobtenu, le carillonneur annonce officiel-lement le décès. L’enterrement se faitdans les jours qui suivent après uneveillée funèbre sans le corps et un culteau temple. Une cérémonie funéraire a en-suite lieu 7 jours après lorsqu’il s’agitd’un homme et 8 jours pour une femme.Les funérailles dans l’Église harriste deFrance sont à situer à deux niveaux. Si ledécès a eu lieu en Côte-d’Ivoire, c’estune solidarité spontanée des fidèles pourla famille éplorée : on organise desprières au domicile de la famille et l’onapporte une aide financière aux membresde la famille désireux de faire le déplace-ment en Côte-d’Ivoire pour les funé-railles. Cette solidarité s’exprime de lamême manière lorsque le défunt est unmembre de la communauté en France. Lafamille a l’obligation, avec le soutien de

OSSIEROSSIERDDDD

48 - René Bureau, Op. Cit., p. 94.

Page 14: MS ESSIANISME Le Harrisme en France - Revues Plurielles9 - Le missionnaire le plus actif de cette œuvre est le Pasteur John Gottleib Auer. Beaucoup de ses livres furent malheureu-sement

27

la communauté, d’organiser le rapatrie-ment du corps au pays.

En définitive, l’Église harriste deFrance reste une Église très jeune et trèsdynamique qui a su s’intégrer dans lepaysage religieux français même si ellesouffre encore d’un déficit de légitimitéet d’une ambiance d’indifférence. Elles’est cependant affirmée dès le départcomme une Église chrétienne ayant pourfondation Jésus-Christ et la Bible pourseule référence comme l’a enseigné et re-commandé le prophète William WadéHarris. Elle commémore les différentsévénements chrétiens notamment Noël,Rameaux, Vendredi Saint, Pâques,Ascension et Pentecôte. Mais elle a aussises fêtes propres : Fête de l’environne-ment (27 juil.), fête des Prédicateurs

(3 janv.), fêtes du prophète Harris (23avril) et de John Ahui (3 déc.) 49. L’Égliseharriste se défend ainsi d’être une secte.Elle a su établir des relations fraternellesavec la communauté Saint-Egidio deRome, le Comité Inter-foi du Liberia, leConseil chrétien du Ghana. Elle a été ad-mise au sein de l’organisation des Églisesindépendantes d’Afrique (OEIA) etmembre du conseil Oecuménique desÉglises (COE). L’Église harriste se pré-sente comme une Église chrétienne quiveut vivre sa foi chrétienne sans renierpour autant les valeurs culturelles afri-caines. Le grand message de WilliamWadé Harris est d’avoir montré qu’ilétait possible à l’Africain d’être chrétiensans se renier comme Africain.o

l ’arbre à Palabres# 13 - Mai 2003

OSSIEROSSIERDDDD

AHUI Paul William, Le prophèteWilliam Wadé Harris. Son message d’hu-milité et de progrès, Abidjan, N.E.A,1988, 349 p.

BIANQUIS Jean, Le prophète Harrisou Dix ans d’histoire religieuse de la Côted’Ivoire (1914-1924), Paris, S.M.E, 1984,1924, 40 p.

BUREAU René, Le prophète de la la-gune : les harristes de Côte d’Ivoire,Paris, Karthala, 1996, 211 p.

Colloque sur les religions, Abidjan, 5-12 avril 1961, Paris : Présence africaine,1962, 240 p.

DEAVILLE Walker, Harris le prophè-

te noir. Instrument d’un puissant reveil enCôte d’Ivoire, Paris, Privas, 1931, 198 p.

DOZON Jean-Pierre, La cause desprophètes, Paris, Seuil, 1995, 300 p.

GORJU Joseph, La Côte d’Ivoire chré-tienne, Lyon, Paquet, 1912, 205 p.

WONDJI Christophe, Le prophèteHarris. Le Christ noir des lagunes ,Abidjan,N.E.A, 1977, 96 p.

MONNIER Jean-Pierre, Rencontreavec une Eglise afro-chrétienne, DonBosco Aujourd’hui, n° 901, mars-avril2000, p.19-20.

TRICHET Pierre, Harris vu par lesmissionnaires, La Nouvelle n° 23, sept.-oct. 1992, p. 20-22.

BBIIBBLLIIOOGGRRAAPPHHIIEE SSOOMMMMAAIIRREE

49 - La foi en la Vierge Marie et les célé-brations mariales restent cependant ab-sentes aujourd’hui encore.