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J Radiol 2010;91:1277-9 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2010 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés lettre ostéoarticulaire Muscle soléaire accessoire : à propos de deux cas avec revue de la littérature M Rifi, A Londero, S Mezghani et JH Jaeger Key words: Soleus muscle, accessory. Athlete. MRI. Mots-clés : Muscle soléaire accessoire. Athlète. IRM. e muscle soléaire accessoire est une variation anatomique rare. Décrite pour la première fois en 1897 par Ledouble (1), cette anomalie n’est qu’ex- ceptionnellement symptomatique. Si sa fréquence anatomique varie entre 1 et 6 %, son incidence clinique est beaucoup moins importante (moins de 100 cas colligés entre 1869 et 1995) (2). Les manifestations cliniques sont consécutives à l’augmenta- tion de volume du corps musculaire lors de sa contraction isométrique, ce qui se produit typiquement chez les sportifs. Nous rapportons deux cas opérés chez deux athlètes. Cas clinique n° 1 Il s’agit d’un jeune patient de 15 ans, pra- tiquant du triathlon en compétition, qui présente depuis deux ans une tuméfaction rétromalléolaire médiale gauche, devenant douloureuse après des courses prolongées. La gêne dans la vie quotidienne était inexistante, mais le niveau des perfor- mances sportives a été fortement pénalisé. L’examen clinique a objectivé une tumé- faction non battante douloureuse à la pal- pation. Les radiographies standards étaient sans particularité. L’IRM demandée a mis en évidence une masse musculaire sur- numéraire coincée entre le tendon calcanée n et le paquet vasculo-nerveux tibial posté- rieur, suggérant le diagnostic de muscle soléaire accessoire (fig. 1); Un traitement initialement conservateur, à base de ré- éducation fonctionnelle associée à des an- talgiques, a été longtemps conduit sans résultat satisfaisant. La chirurgie était L Service de Chirurgie Orthopédique et de Traumatologie du Sport, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, CCOM, 10, avenue Achille Baumann, 67400 Illkirch. Correspondance : M Rifi, Résidence Ataa-allah 1, ap- partement 11, Route de Larache, ksar El Kébir, Maroc. E-mail : [email protected] décidée. Elle a confirmé les données de l’IRM. Une aponévrotomie de décompres- sion a été réalisée. À trois mois postopéra- toires, l’évolution a été très favorable avec reprise de l’activité sportive au niveau antérieur. Le patient ne se plaint plus d’aucune douleur, par contre, il persiste une tuméfaction. Cas clinique n° 2 Monsieur B.T, 26 ans, footballeur en compétition, a consulté pour une tumé- faction rétromalléolaire médiale droite. Cette tuméfaction devenait douloureuse uniquement à l’effort. L’examen clinique est sans particularité, hormis la palpation de cette masse. Les radiographies standards de la cheville montraient l’intégrité des éléments squelettiques. Le diagnostic de muscle soléaire accessoire a été néanmoins évoqué. Il a été confirmé par l’IRM qui a objectivé un comblement anormal du triangle de Kager par une structure mus- culaire surnuméraire (fig. 2); Devant la persistance des symptômes et la volonté du patient à poursuivre une activité sportive régulière, la décision chirurgicale a été prise. Fig. 2 : IRM en coupe sagittale (T1) objectivant un muscle soléaire accessoire interposé entre le tendon calcanéen et les muscles de la loge postérieure profonde. Fig. 1 : IRM (T1) montrant un muscle soléaire accessoire tendu en avant du tendon calcanéen.

Muscle soléaire accessoire : à propos de deux cas avec revue de la littérature

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Page 1: Muscle soléaire accessoire : à propos de deux cas avec revue de la littérature

J Radiol 2010;91:1277-9© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2010

Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

lettre

ostéoarticulaire

Muscle soléaire accessoire : à propos de deux cas avec revue de la littérature

M Rifi, A Londero, S Mezghani et JH Jaeger

Key words:

Soleus muscle, accessory. Athlete. MRI.

Mots-clés :

Muscle soléaire accessoire. Athlète. IRM.

e muscle soléaire accessoire est unevariation anatomique rare. Décritepour la première fois en 1897 par

Ledouble (1), cette anomalie n’est qu’ex-ceptionnellement symptomatique. Si safréquence anatomique varie entre 1 et 6 %,son incidence clinique est beaucoup moinsimportante (moins de 100 cas colligésentre 1869 et 1995) (2). Les manifestationscliniques sont consécutives à l’augmenta-tion de volume du corps musculaire lorsde sa contraction isométrique, ce qui seproduit typiquement chez les sportifs.Nous rapportons deux cas opérés chezdeux athlètes.

Cas clinique n

°

1

Il s’agit d’un jeune patient de 15 ans, pra-tiquant du triathlon en compétition, quiprésente depuis deux ans une tuméfactionrétromalléolaire médiale gauche, devenantdouloureuse après des courses prolongées.La gêne dans la vie quotidienne étaitinexistante, mais le niveau des perfor-mances sportives a été fortement pénalisé.L’examen clinique a objectivé une tumé-faction non battante douloureuse à la pal-pation. Les radiographies standards étaientsans particularité. L’IRM demandée a misen évidence une masse musculaire sur-numéraire coincée entre le tendon calcanéenet le paquet vasculo-nerveux tibial posté-rieur, suggérant le diagnostic de musclesoléaire accessoire (fig. 1); Un traitementinitialement conservateur, à base de ré-éducation fonctionnelle associée à des an-talgiques, a été longtemps conduit sansrésultat satisfaisant. La chirurgie était

L

Service de Chirurgie Orthopédique et de Traumatologie du Sport, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, CCOM, 10, avenue Achille Baumann, 67400 Illkirch.Correspondance : M Rifi, Résidence Ataa-allah 1, ap-partement 11, Route de Larache, ksar El Kébir, Maroc.E-mail : [email protected]

décidée. Elle a confirmé les données del’IRM. Une aponévrotomie de décompres-sion a été réalisée. À trois mois postopéra-toires, l’évolution a été très favorable avecreprise de l’activité sportive au niveauantérieur. Le patient ne se plaint plusd’aucune douleur, par contre, il persisteune tuméfaction.

Cas clinique n

°

2

Monsieur B.T, 26 ans, footballeur encompétition, a consulté pour une tumé-faction rétromalléolaire médiale droite.Cette tuméfaction devenait douloureuseuniquement à l’effort. L’examen cliniqueest sans particularité, hormis la palpationde cette masse. Les radiographies standardsde la cheville montraient l’intégrité deséléments squelettiques. Le diagnostic demuscle soléaire accessoire a été néanmoinsévoqué. Il a été confirmé par l’IRM qui aobjectivé un comblement anormal dutriangle de Kager par une structure mus-culaire surnuméraire

(fig. 2)

; Devant la

persistance des symptômes et la volontédu patient à poursuivre une activité sportiverégulière, la décision chirurgicale a été prise.

Fig. 2 : IRM en coupe sagittale (T1) objectivant un muscle soléaire accessoire interposé entre le tendon calcanéen et les muscles de la loge postérieure profonde.

Fig. 1 : IRM (T1) montrant un muscle soléaire accessoire tendu en avant du tendon calcanéen.

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M Rifi et al.

L’excision chirurgicale était réalisée. L’ex-ploration avait mis en évidence un musclemacroscopiquement normal se terminantpar un tendon bien individualisé sur laface médiale du calcanéum

(fig. 3 et 4)

.Trois mois après l’intervention, le patienta pu reprendre ses activités sportives sansproblème.

Discussion

Le muscle soléaire accessoire, connu depuislongtemps des anatomistes, n’est reconnuque depuis peu comme parfois responsa-ble d’une symptomatologie douloureuse.Encore est-il probable que l’incidence desformes douloureuses soit sous-estimée,que ce soit par méconnaissance du dia-gnostic ou par adaptation spontanée parle patient de ses activités physiques (2-4).Sur le plan anatomique, il s’agit d’unmuscle développé dans la loge postérieurede la jambe. Son insertion proximale sefait de façon constante à la face postérieu-re du tibia et de l’aponévrose profonde dumuscle soléaire, parfois directement surce muscle. Son insertion distale est, à l’in-verse, variable et se fait selon cinq types(5) :• type A : insertion sur la face supérieurede la grosse tubérosité du calcaneus, soitdirectement (fibres charnues), soit parl’intermédiaire d’un tendon propre ;• type B : insertion sur le tendon calca-néen ;• type C : insertion sur la face médiale ducalcaneus soit directement (fibres charnues),soit par un tendon propre ;

• type D : insertion sur la face médiale etsupérieure du calcaneus grâce à un tendonbifide ;• type E : fusion avec le muscle plantaire.Cliniquement, le soléaire accessoire semanifeste le plus souvent par une tumé-faction de la région postéro-médiale de lacheville chez un patient pratiquant uneactivité physique régulière. Cette massedevient douloureuse à l’effort ou à la dor-siflexion de la cheville (6-8). L’associationà une déformation du pied de type piedcreux varus équin a été décrite dans certainscas. Cette déformation est à recherchersystématiquement, notamment chez l’en-fant (9). La physiopathologie de ces formesdouloureuses est controversée. Certainsauteurs incriminent des phénomènes is-chémiques et parlent de claudication is-chémique à l’effort. D’autres pensent quela douleur est due à un syndrome de logechronique localisé, par augmentation devolume du corps musculaire à l’effort,trop serré dans son aponévrose inextensible.Une traction excessive sur le nerf destinéau muscle soléaire accessoire lui-même,ou une compression du nerf tibial danstunnel tarsien, ont été également évoquées(10). Luck a retrouvé une tendinopathiecalcanéenne associée chez 69,2 % des cassur une série de 13 soléaires accessoires,sans pouvoir expliquer la cause de cetteassociation, ni donner des conclusions surson impact diagnostique ou thérapeutique(11).Les radiographies standards de la chevillesont normales ou montrent parfois uncomblement anormal du triangle de Kager.L’échographie peut mettre en évidence

une masse d’échostructure identique aumuscle adjacent. La tomodensitométrie etl’électromyographie peuvent être utilessans apporter la certitude diagnostique.Actuellement, l’imagerie par résonancemagnétique (IRM) est devenue l’examende référence absolue. Dès 1987, Pettersonet al. (12) en ont montré la valeur, précisantque si les temps de relaxation en T1 et T2de la « lésion » et du muscle normal étaientles mêmes, on pouvait affirmer de façoncertaine qu’il s’agissait d’une structuremusculaire normale. L’IRM permet ainsid’écarter les diagnostics différentiels detumeurs des parties molles, et évite la réa-lisation de biopsies. De plus, elle a l’avan-tage de permettre une analyse précise,non seulement du muscle soléaire accessoiredont elle précise les variétés anatomiquesd’insertion distale, mais aussi des structuresavoisinantes (10).L’attitude thérapeutique dépend de l’im-portance de la gêne fonctionnelle, du de-gré de volonté du patient à reprendre uneactivité sportive, du volume du musclesurnuméraire, et du point d’insertion dutendon distal.Le traitement médical peut être toujourstenté. Il est basé sur le repos, les antalgiques,le port d’une talonnette, la rééducation, etsurtout l’adaptation de l’activité physique.En cas d’échec du traitement conservateur,deux techniques peuvent être principale-ment proposées :L’aponévrotomie de décompression permetl’expansion du muscle surnuméraire lorsde l’effort, supprime la claudication dou-loureuse induite par l’exercice musculaire(3, 4, 8).

Fig. 3 : Aspect peropératoire du muscle soléaire accessoire. Fig. 4 : Muscle soléaire accessoire réséqué.

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L’exérèse du muscle accessoire représentela solution radicale. Pour Kouvalchouk,c’est la technique à choisir dans la mesureoù la douleur est liée à la présence d’unmuscle accessoire sans aucune valeurfonctionnelle. Le conserver en réalisantune simple aponévrotomie exposerait à uneéventuelle récidive de la symptomatologie,même si le geste chirurgical paraît plusinvasif (10). Par ailleurs, et pour être moinsdélabrant, une excision partielle associée àune anastomose du tendon surnuméraireau tendon d’Achille a été décrite parLozach devant des soléaires accessoirestrès volumineux (13).

Références

1. Le Double AF. Traité des variations dusystème musculaire de l’homme. SchleicherFrères. Paris, 1897.

2. Brodie JT, Dormans JP, Gregg JR, Da-vidson RS. Accessory soleus muscle. A re-port of four cases and review of literature.Clin Orthop Relat Res 1997;337:180-6.

3. Peterson DA, Stinson W, Carter J. Bi-lateral accessory soleus: a report of fourpatients with partial fasciectomy. FootAnkle 1993;14:284-8.

4. Downey MS, Siegerman J. Accessory soleusmuscle: a review of the literature and casereport. J Foot Ankle Surg 1996;35: 537-43.

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8. Romanus B, Lindahl S, Stener B. Acces-sory soleus muscle. A clinical and radio-graphic presentation of 11 cases. J BoneJoint Surg Am 1986;68:731-4.

9. Duparc F, Boyer C, Simonet J, LechevallierJ. Le muscle soléaire accessoire chez le spor-tif. J Traumatol Sport 2001;18: 128-32.

10. Kouvalchouk JF, Lecocq J, Parier J, FisherM. Le muscle soléaire accessoire : à proposde 21 observations et revue de la littérature.Rev Chir Orthop 2005;91:232-8.

11. Luck MD, Gordon AG, Blebea JS, Dalin-ka MK. High association between acces-sory soleus muscle and Achilles tendono-pathy. Skeletal Radiol 2008;37:1129-33.

12. Petterson H, Giovanetti M, Gillespy T,Slone R, Springfield D. Magnetic reso-nance imaging appearance of supernu-merary soleus muscle. Eur J Radiol 1987;7:149-150.

13. Lozach P, Conard JP, Delarue P, LeSaout J, Courtois B. Une observation desoléaire accessoire. Rev Chir Orthop1982;68:391-3.