Musique congolaise de variétés by TEDANGA Ipota Bembela

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Musique congolaise de varits1 1 Authenticit linguistiqueTitres des chansons Nous avons rpertori les intituls des chansons de Koffi Olomide contenues dans une quinzaine de disques compacts. Chacun de ces disques compacts ayant en moyenne 12 chansons, il y avait au total prs de 180 chansons et donc autant de titres. Sachant qu'Olomide (comme les autres artistes de la musique congolaise de varit) chante en lingala, quelle n'a pas t notre surprise de constater que 97% des titres de ces chansons sont en franais ! Quand on n'est pas prvenu et que l'on est un simple mlomane francophone, on achtera de tels CD dans l'espoir d'couter des mlodies dans la langue de Voltaire. Hlas, ces titres en franais sont trompeurs car le musicien chante en langue congolaise, en lingala ou dans une espce de maelstrm langagier (mi-lingala et mi-franais). Il en est de Mopao Mokonzi (1) comme des autres artistes musiciens congolais en particulier de la jeune gnration. On ne cite Olomide que bien entendu titre d'illustration. On a, il nous semble, le droit de se poser ou de poser la question suivante : quel mal y a-t-il titrer les chansons en lingala tant donn que l'on chante dans cette langue ? Un intitul en lingala peut pourtant cacher ou rvler une magie inimaginable. Tenez par exemple Lisala Ngomba de Sam Manguana, un air musical derrire lequel il y a une tendre posie et tout un back ground (le relief de la mythique ville de Lisala, la bravoure proverbiale d'un peuple, la beaut du site, le soupon d'une alimentation bio , la vie au clair de lune, la chorgraphie rituelle et coutumire, la belle et solide femme du Nord, les rveries sylvestres ) qui vous emporte autant qu'il vous enivre. Comme le morceau de la madeleine de Proust qui, dans la littrature franaise, illustre les effets de la mmoire associative, la mlodie de Lisala Ngomba tale sous vos sens enchants tout l'arrire pays ngbaka comme si vous y aviez sjourn.1.1.

Lingala ou franco-lingala ?

Comme chacun sait ou est suppos le savoir, le lingala est une lingua franca. C'est une langue qui a t cre disons artificiellement, pour les besoins du commerce et de communication1

Si vous dites musicien congolais que sa musique appartient au genre la varit , il sen offusquera parce que, pour lui, la varit, cest cette musique gnralement en langue trangre (franais, anglais ou espagnol) qui est excute avant le vritable concert de la musique congolaise moderne. Noud dirions que, chez un tel musicien, lemploi de varit(s) est un congolisme. Le sens donn varit dans ce texte est le suivant repris des manuels qui font autorit : Excute par des artistes sur la scne et destine au grand public, la musique de varits est avant tout centre autour de la danse et de la chanson, genres populaires trs dynamiques, caractriss par une mlodie et des paroles relativement simples, permettant une mmorisation aise par le grand public. On dit aussi les varits , ou encore, au singulier : la musique de varit ou la varit .

entre des populations de toutes provenances et parlant des idiomes diffrents. Mais c'est bien une langue bantu aussi bien du point de vue de sa phontique, de sa morphologie, de sa syntaxe et de son matriel lexical. Cependant il n'existe pas une ethnie ou une tribu du Congo qui ne parlerait que le lingala ou qui s'identifierait par l'usage exclusif du lingala, un peu comme les Basongye, les Ohendo, les Ndengese, les Iyajima, les Baluba qui ont respectivement comme langue ethnique le ksongye, le lohehendo, le bondengese, le loyajima, le ciluba La tribu Bangala (au sens de tribu qui s'identifierait linguistiquement par l'emploi du lingala) n'existe pas. Ceux qu'on appelle Bangala (singulier mongala ) sont un ensemble de tribus ou d'ethnies qui ont leurs langues ethniques propres et qui utilisent le lingala comme langue de communication interethnique. Le lexique du lingala comporte un bon pourcentage de mots provenant du bobangi et du libinza. A ce fond de base, s'ajoutent des vocables emprunts aux parlers de la province de l'Equateur, d'autres langues congolaises comme le kiswahili, le kikongo , et le ciluba ) et mme des langues trangres (le franais, le portugais, le latin, l'anglais, etc.). Les mots emprunts d'autres langues et introduits dans le lexique du lingala sont, quand il le faut, naturaliss c'est--dire intgrs la morphologie, la phontique et la syntaxe du lingala. L'intgration se fait aussi bien sur le plan segmentaire que suprasegmentaire. Par exemple, le mot lingala mosnzi (2) qui drive de la dformation phontique et morphologique du syntagme nominal franais mon singe . Un colon furax n'hsitait pas traiter le colonis congolais de mon singe . L'interprtation et la restitution de cette expression par les lingalaphones congolais selon les possibilits de la grille phonologique du lingala a abouti mosnzi qui est une unit lexicale bien intgre dans cette langue : Les deux voyelles nasales on' de mon et in' de singe se dnasalisent dans le mot lingalis car le lingala ne connat pas le phnomne phontique de la nasalisation. La structure syllabique CVC de singe [s e ?] (3) devient CVCV ( -snzi ) en lingala car, dans cette langue et contrairement au franais, tous les mots se terminent par une voyelle. La fricative chuintante sonore correspondant au digraphe franais ng dans singe devient une mi-nasale fricative sonore note en lingala nz. L'intgration se fait aussi du point de vue suprasegmentaire. Alors que le franais n'est pas une langue tons, le o' et le i' portent chacun un ton bas et le e' porte un ton haut dans mosnzi, driv du franais mon singe . Il y a aussi une intgration morphologique dans la mesure o mosnzi considr comme un singulier a un pluriel en lingala basnzi, ce qui permet au linguiste de segmenter les deux modalits nominales mo-/ba- correspondant aux notions singulier/pluriel. En lingala, le contenu smantique de mosnzi/ basnzi a volu par rapport l'acception injurieuse et raciste de mon singe . Il signifie en lingala impoli, mal duqu, homme ou femme aux manires frustes . Nous venons de dmontrer techniquement que l'expression franaise mon singe emprunte au franais par le lingala, langue congolaise, est bien intgre dans cette dernire langue au point que si l'on n'est pas prvenu, on ne peut pas le deviner. Autre exemple : qui saurait que l'expression lingala sofl mekui vient du franais chauffeur de mes couilles , un juron que le colon utilisait l'poque quand il se mettait en colre contre son chauffeur congolais. Mais

le pauvre chauffeur lingalaphone entendait sofl mekui qui est une expression bien intgre dans le lingala, sans son acception grivoise et comme il est facile d'en faire la dmonstration. Voil le genre d'emprunts que nous souhaitons pour nos langues. Nous pouvons emprunter, mais nous devons naturaliser pour nous rapproprier ce qui vient d'ailleurs. On peut transposer ici ce que Hegel a dit dans un autre domaine de connaissance : il s'agit de s'emparer de l'objet (le mot tranger), de le transformer en un processus interne, de se l'approprier de faon le dpouiller de tout ce qui constitue sa particularit, d'en faire un moyen et de lui donner pour substance sa propre subjectivit (l'intgrer). Dont acte !1.2.

Les musiciens congolais empruntent exagrment et naturalisent peu

Nous avons dpouill deux chansons de J.B. Mpiana, chansons ayant videmment deux titres en franais ( !), savoir La rose verte et Grce toi, Germain. Selon le comptage opr, la premire chanson comporte environ 65 mots franais et la seconde 80, ce qui nous conduit retenir les observations suivantes : Emprunts massifs : pour des textes aussi courts, le nombre de mots emprunts une langue trangre est plthorique, tant et si bien qu'on peut se poser la question de savoir la langue dans laquelle le musicien chante. En lingala ou en franco-lingala ? Emprunts non naturaliss : ces mots trangers entrent dans le lingala de manire sauvage, avec leur phontique, leur phonologie et leur morphologie. Le compositeur des chansons n'a fait aucun effort pour intgrer les emprunts l'environnement phontique et morphologique du lingala. Profitons-en pour prciser que nous ne sommes pas en train d'interdire aux artistes musiciens congolais de chanter en franais. Quelqu'un comme Pascal Tabu Ley, alias Rochereau, a align des chansons en franais qui ont t de vrais tubes : Piti, L'ge et lamour, Le chant de Malory. Nous avons en mmoire C'est toi que jaime, un succs fou du duo Tabu Ley-Mbilia Bel. On peut choisir de parodier le franais ou de se gausser du franais dit d'Afrique comme le font avec beaucoup de talent des musiciens des ex-colonies franaises. Dans cette ligne, on n'oubliera pas le tube plantaire du Congolais (de Brazzaville) Zao qui, dans un charabia intentionnel, a brocard les va-t-en-guerre et qui, parat-il, avait russi drider Franois Mitterrand. C'est le crneau qu'exploitait en littrature feu Ahmadou Kourouma : son Foriforon Naspa littraire lui avait valu le prix Renaudot avec Allah n'est pas oblig. On observera cependant que l'uvre de Kourouma a t prime non pas par un jury compos des Malink, mais par le jury du Renaudot, institution franaise de lgitimation littraire, ce qui veut tout dire. crite dans des idiomes trangers, cette littrature d'expression anglaise, franaise n'est pas, l'vidence, une littrature ngro-africaine authentique, pas plus qu'une glise syncrtique n'est une institution religieuse ngro-africaine proprement parler. Il est bon d'en tre conscient. Pionnier donc de ce genre littraire, A. Kourouma recourt volontiers ce que Ngalasso Mwatha Musanji nomme comme tant les formulations analogiques dont le caractre potique , inventif est indniable, au point que la langue trangre (le franais) employe par l'tranger (le Ngro-Africain) devient trangre ses usagers naturels (les Franais). Ces brves remarques veulent souligner l'urgence sinon la ncessit d'crire, de penser dans les langues ngro-africaines. J. Ki-Zerbo voulait un changement de l'instrument linguistique de connaissance et de production , car la dpendance commence par le verbe .

1.3. Absence d'attention particulire au texte

Les deux observations ci-dessus (caractre massif et non intgration des emprunts) sont d'autant plus fondes que l'on a affaire, dans ces chansons, des textes crits et non pas des textes improviss. Passe encore qu'un interprte truffe son texte de mots franais quand il improvise : on peut le comprendre. Mais cela devient inexcusable lorsqu'il s'agit d'une composition, d'un texte crit. Grce la possibilit de rversibilit de la lecture, l'criture a un avantage qui supple l'insuffisance mnmotechnique du processus oral. Celui qui crit peut adapter ou corriger la forme et le contenu de son propos ou du sujet trait l o l'oraliste n'a pas le choix. La notation de la parole permet d'oprer un choix entre les mots, d'en manipuler l'ordre et de dvelopper les formes syllogistiques du raisonnement. Quand on crit, on a tout le temps de rflchir, de choisir patiemment ses mots, de consulter un dictionnaire lingala, voire un glossaire lingala-franais ou franais lingala et de se renseigner auprs de ceux qui matrisent la langue lingala et qui peuvent aider trouver le mot ou la tournure syntaxique justes pour exprimer telle ide. Un compositeur est un alchimiste des mots. En outre, il existe une foule de mots franais introduits dans les chansons et qui, pourtant, ont leurs quivalents lexicaux en lingala et que donc on pourrait viter. Pourquoi emprunter ce que l'on a dj par soi-mme ? Ainsi dans La rose verte de J.B. Mpiana, de nombreux vocables franais que cet auteur-compositeur emploie peuvent tre traduits aisment dans le lingala : amour, vaccin, vagabonder, cole, timor, se rendent en lingala par respectivement bolingo, manguele, kowayawaya, lobiko, kelasi, kobangisama Il suit que le recours ces innombrables prgrinismes ne se justifie pas. Inutile d'allguer que le lingala a un registre lexical pauvre. Tous les linguistes et sociolinguistes africanistes savent que cela n'est pas vrai et que c'est un argument paresseux de ceux-l qui ne font aucun effort pour bien connatre et bien matriser leur outil linguistique. On rappelle que toute langue est organise de manire pouvoir tout exprimer grce son patrimoine lexical et syntaxique. C'est ce que les spcialistes nomment l'omnipotence smiotique. Nombre d'usagers kinois du lingala ne savent pas exploiter son patrimoine lexical et ses possibilits (morphologiques et grammaticales) en matire d'innovation lexicale. Tout ce qui vient d'tre dit veut insister sur le fait que les compositeurs des chansons de nos musiciens ne respectent pas le lingala. On a mme le droit de se demander si, en ralit, ils se donnent la peine de s'asseoir et de composer car une chanson, c'est une dissertation. De leur part, c'est un manque de professionnalisme et un mpris pour le patrimoine linguistique national. Nous reviendrons sur les motivations sous-jacentes de ces comportements linguistiques inciviques.1.4.

Le franais tout prix

Vouloir user cote que cote des vocables franais mme l o on peut s'en tirer en se limitant la langue nationale a jou plusieurs musiciens congolais des tours plutt drles. Nous avons retenu deux illustrations : Dans une clbre composition de l'African Fiesta Sukisa de feu Dr Nico Kasanda wa Mikalayi (notre idole ternelle), le chanteur vedette Lessa Lassan emploie le mot clibataire au lieu de son quivalent lingala monzemba. Mais malheureusement notre compatriote articule clibataire comme s'il tait orthographi *clibateur. Tous les mlomanes de l'poque s'en souviennent.

Dans un salon de coiffure de Matonge-lez-Ixelles Bruxelles, des jeunes discutaient ferme sur les dernires cassettes vido dans lesquelles les partisans de diffrents orchestres s'invectivent les uns les autres. C'est devenu la mode. Pour commenter les faits et prouver l'auditoire adverse qu'il en savait un bout sur le franais et sa culture, un des protagonistes de la vido nona : Comme l'a dit Montaigne, aux mes bien nes la valeur n'attend point le nombre des annes. Tout celui qui a fait ses humanits connat le vritable auteur de cet apologue ainsi que l'uvre et le protagoniste dans la bouche duquel l'auteur l'a plac. C'est dire si notre compatriote eut t bien inspir de s'en remettre au patrimoine parmiologique lingala o l'on retrouve le mme proverbe qui fut utilis un moment pour rpondre ceux qui s'en prenaient la jeunesse du prsident Joseph Kabila, savoir Mwana akobtaka mbonda, bakl mp babnaka pour dire littralement : Un enfant peut battre le tam-tam et les adultes peuvent danser au son de ce tam-tam . Traduit librement ce proverbe lingala a le mme sens que l'apologue franais ci-dessus nonc. Mais nul doute que, accroch au franais, le Congolais n'aurait pas voulu changer sa bourde franaise contre une maxime quivalente dans une de nos langues. Le comble, c'est surtout qu'un professeur kinois du niveau secondaire a retrouv dans la dissertation d'un lve ladite citation indment attribue Montaigne et dans laquelle l'apprenant cite son tour notre dbatteur de la vido comme une autorit intellectuelle et littraire. Cela permet de mesurer l'influence que le musicien peut avoir sur les jeunes et justifie tout l'intrt que ses textes doivent susciter. 1.5. Les noms des orchestres

Rarement les dnominations des orchestres congolais sont en lingala ou dans une des langues locales comme pour Zaiko Langa Langa, Sosoliso, Bantous, Likembe, Wenge Musica, Isifi Lokole Le plus souvent, ces dnominations sont en langue trangre : OK jazz (Orchestre Kinois de Jazz) de feu Franois Lwambo Lwa Djo Pene Lokanga, Afrisa (African International Service Artistic) de Tabu Ley, African Fiesta, Viva la Musica d'Ekumanyi Shungu Wembadio dit Papa Wemba. Quelle ide pour notre Pascal Tabu Ley national que de confrer un objet de la culture populaire une raison sociale en anglais dans un pays de colonisation francophone (le Congo est, disait-on dmagogiquement, le deuxime pays francophone du monde) ? Il y en a de ces autres dnominations qui laissent rveurs. Par exemple allez savoir pourquoi Emeneya Kester a appel son orchestre Victoria Eleison c'est--dire l'aide des deux mots latin et grec que le mlomane ne comprend pas. Il y a aussi le cas de Koffi Olomide. Son ensemble musical porte le combien prestigieux nom de Quartier Latin . Pourquoi cela quand on est un orchestre qui fait de la musique africaine et que l'on chante dans une langue bantu ? Qui parmi les millions des fans de Mopao Mokonzi comprennent le sens de Quartier Latin ou qui situe cette dnomination dans son histoire en France et dans la ville de Paris ? Si Mopao Mokonzi lorgne vers le haut niveau culturel qui caractrise ce lieu et le haut niveau d'instruction des riverains (la Sorbonne est dans ce quartier), il eut t bien inspir, au nom de l'obligatoire et patriotique authenticit culturelle, de penser par exemple au Mont Amba, berceau des gnies mme culturels et des savants congolais (les militaires de l'poque disaient de l'universit Lovanium de Kinshasa qu'elle

tait une usine de savants et du franais). N'est-ce pas, cher compatriote Olomide, que le Mont Amba est le Quartier Latin congolais ? Dans une des prochaines livraisons (il en reste deux), nous piloguerons sur les motivations sous-jacentes de cette prgrination linguistique et sur l'idalisation de Mpoto Europe en lingala dans les chansons de nos musiciens. Rfrences (1) Surnom de Koffi Olomide. (2) Dans la grille phonologique du lingala standard, les voyelles du premier degr d'aperture sont ralises phontiquement comme des voyelles fermes (il s'agit de e' ralis e' ferm [e] et de o' ralis o' ferm [o]) tandis que celles du deuxime degr d'aperture sont ralises ouvertes (il s'agit de e' ralis e' ouvert [e] et de o' ralis o' ouvert [ o ]. Dans l'alphabet africa (adaptation de l'Alphabet Phontique International aux langues africaines), le o ouvert est not par un graphme spcifique. Comme l'outil notre disposition ne nous a pas permis de nous en servir, nous notons le o ouvert par o . (3) Conventionnellement e note le e nasalis et ? note la fricative chuintante sonore. (4) NGALASSO Mwatha Musanji, Langage et violence dans la littrature africaine crite en franais, dans Croire en l'homme. Mlanges offerts au professeur Georges Ngal l'occasion de ses 70 ans , Paris, L'Harmattan, 2006, p. 223. (5) KI-ZERBO, J., De l'Afrique ustensile l'Afrique partenaire , dans Les dpendances de l'Afrique et les moyens d'y remdier, Paris, Berger-Lavrault, 1980, p. 47. (6) Jusque 1975, l'auteur de cet article connaissait de mmoire tout le rpertoire de Rochereau et pouvait en restituer les mlodies fidlement. L'entre dans la vie active et la corrosion mnmotechnique ont eu raison de la passion du fan).

2 Antivaleurs, surenchre vestimentaire, mcnat et interfrences publicitairesLa musique congolaise de varit (1) dite aussi musique congolaise moderne (par opposition la musique qualifie de traditionnelle ou de folklorique) est un lment d'identification nationale dans notre pays. Elle est, en Afrique noire, l'une des plus labores et des plus prises par les mlomanes de tout le continent et, de plus en plus, hors du continent. Dans ce deuxime article, nous abordons les questions relatives ce que nous appelons interfrences publicitaires, au mcnat, aux antivaleurs et la surenchre vestimentaire . 2.1. Corpus musical

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il est bon pour nous de signaler que nous nous tions dot l'avance d'un chantillon musical auquel nous nous rfrons mme dans la premire livraison dj publie dans ce site. Il s'agit d'un extrait de La rose verte et de Grce toi, Germain , tous les deux inclus dans l'album [un CD (2)] titr en franais Toujours Humble de Bin Adam J.-B. Mpiana et l'ensemble Wenge B.C.B.G. Le lecteur ayant pris connaissance de la premire livraison peut, a posteriori, vrifier l'exactitude de certaines observations qui y ont t faites. Pour que l'on ne nous accuse pas de vouloir comme charger le seul jeune Mpiana, nous faisons remarquer ds le dpart que les observations faites sur cet chantillon sont valables pour la grande majorit des textes de ses homologues et, pour compenser cette mise en exergue de J.-B., nous ajoutons que l'ami Brazzavillois qui nous avons emprunt le CD en question et son entourage ne jurent que par cette idole tropicale des jeunes. En faisant la retranscription de ces deux textes, nous avons plac entre crochets ainsi qu'en rouge et en gras les passages non chants, rcits en dbit normal et non la faon des rappeurs. En outre, sont mis en italique, en gras et en bleu tous les mots franais inclus dans ces deux textes, l'exclusion des anthroponymes et des toponymes. Cela permet au lecteur de voir l'espace occup par les mots franais et celui laiss au texte en lingala et d'apprcier ainsi la scandaleuse indigence rdactionnelle. La notation fut laborieuse dans la mesure o il arrive aux musiciens de ne pas articuler distinctement et de, en quelque sorte, avaler, en chantant, certaines syllabes, ce qui ne permet pas de bien entendre tout ce qui est dit. Premier extrait Titre de la chanson : La rose verte [Yo tat'oyo, yo bilobaloba boyo pua nini ko ? Na mbul'oyo ya yo olingi kokola te ? Changer ata mbul'oyo sicl ' a sika] [ Eclats de rire ] [Lon Mwamba] La rose verte nzube na eyoteli ( ?) nga amour comme un vaccin Elelisi nga lokola bb akozwaka manguele pour son bien [Sylvie Kufukisa] Douleur na bolingo parfois c'est leti ya bebo mpona kozwa dlivrance Fololo se moko oyo Nzambe abombela yo mpo o changer tat civil na yo Zulema Zuli Osilisi vagabondage ya ba sentiments na ngai Merci Votre Altesse [Ah, le big boss Jean Ngandu, Atshiko Molele, Jean Marco Nzita, Jike Mabanzo boyoka ko! Boyebisa Nzulema eza ye]

Amour, amour, amour, est-ce que tu sais esika yokomisaka ngai avant chanture dans ma vie Tango nazalaki ncole gardienne na je t'aime Olekaki na balabala ya ba penses na ngai Napparence ya dinosaure ya zombi to ya Dracula tu m'avais vraiment fait peur Joujou Dis na ngai fiance Malu [Kasa Mpiana] Nakomaki traumatis kobangabanga yo lokola mpese akobangaka nsoso pene na ye To Mundi akobangaka mopepe ya malili Liyebo ekobangaka lokola nzoku naleli e Riva Menga Mantu Sami Ndinda Nakomaki mal l'aise lokola imbua soki amoni moto alokoti libanga Okomisaki ngai timor lokola sminariste oyo akola na monastre Koyoka nsoni kobima lokola moyi na ntango ya elanga vritable cachotier [E Gisle Nzinda mama na Dagi suspense Annie Ndagelo L'infinitive double Fatu top modle] Second extrait Titre de la chanson : Grce toi, Germain [ Au sommet du mont blanc je resalue November Papy Kusombi Prix Nobel . Le grand koko Motema ya Yasmin Mboni Germano noble Jacquie Lomata] Amour eloko esalema mpo na banso E claquer ngai porte na zolo mawa na ngai [Boda Bodake, Kin Fret Service, Jean-Pie Tshona Tshona] Mawa efangeli ngai na matama Efungoli robinet ya mpinzoli Soki ezalaki mai ya Regideso mbele bayei kolongola compteur Bolingo mpo nini okomi moselu Na maboko na ngai Germain souris-moi , je t'en supplie Koyengayenga lokola kipetapeta oyo azanga fololo

En me promenant nalokotaki la photo d'un jeune trs sympa J'avais bien voulu que Jo Ango asekisaki ngai Photo ezalaka sourde mpe muette Ordinateur ya Nzambe par la prire apesaki ngai identit Nayei nyonso Germain Germando Rue de l'amour Rue de l'amour Tu dnes dans un oasis qui s'appelle l'affection C'est pourquoi je t'aime Je t'aime Germain Germando Rue de l'amour [Yves ndekola, Sabi Mikobi, Romino Makasi, Jean-Claude Makambo, Biyondo] Germando, t'es la musique de mon affection T'es naturelle aux couleurs de martin-pcheur Germano Fambi. 2.2. Interfrences publicitaires Depuis toujours les musiciens congolais font la publicit des personnes physiques et morales dans les textes de leurs chansons. Ainsi, l'poque de Franco et de Rochereau, des noms comme Ewaso Catherine, Tete, Caroline, Suke, Marie Clara, etc. taient clbres et ont fait rver plus d'un. Des titres de chansons comme Savon Reward, Savon Omo , Taxibus ya Ford , Amasco et tant d'autres faisaient la rclame d'un produit ou la publicit d'une entreprise. Mais cette publicit se faisait disons avec sobrit et avait un petit parfum potique. En outre, les noms mentionns taient au centre de la thmatique des chansons (3). On faisait de la rclame tout en racontant une histoire de laquelle on retirait parfois une leon morale. A cet gard, le contenu de la chanson Taxibus ya Ford de Rochereau est tout fait exemplaire. En effet, la chanson raconte une histoire, en fait un cas vcu et se termine de manire heureuse par une leon qui fait comprendre l'usager le bienfait que constituait le fait de monter bord de ce vhicule. Quant aux chansons des musiciens de la nouvelle gnration et mme de quelques ans comme Papa Wemba et Jossart Nyoka Longo, elles sont frquemment et excessivement coupes par des vocifrations (on y reviendra) et par des longues litanies de noms de personnes physiques et morales qui, souvent, n'ont absolument rien voir avec la thmatique de la (ou des) chanson(s) en question. Cette manie est appele en lingala kobwaka, ce qu'on peut traduire littralement par 'jeter'. Il s'agit, comme eux-mmes disent, de lancer c'est--dire de faire la publicit d'un individu ou d'une entreprise d'une manire vraiment peu orthodoxe notre got. Dans cette acception, lancer est un congolisme. Dans le microcosme des fans de la musique des jeunes, on se bat pour obtenir d'tre lanc dans les chansons de nos vedettes. Celui qui parvient se faire connatre travers une

chanson se sent comme valoris et devient lui-mme une manire de vedette auxiliaire. Il y en a qui se ruineraient ou qui se sont ruins pour parvenir se hisser dans le giron des privilgis qui ont t chants et vants par J.-B. Mpiana, Koffi Olomide, Ekumanyi Shungu ou encore par Ngiama Werrason. On se ruine parce que ce privilge est payant ainsi que nous y revenons plus bas. Quand on coute attentivement ces chansons, certains noms reviennent rgulirement : Le club des dames : Nono Lomboto, Sabi Mikobi, Sharufa, Hono, Mre Malu, Mi-Jos Nzete Moindo, etc. Le club des messieurs : Chancelier Mido (4), Epopa, Papa Madova, Stervos Nyarkos Ngantsie alias le pape de la sape, Pele Mongo, Georges Weah, Mutombo Dikembe, Adam Bombole, Riva Menga, Jos Kasongo FBI, etc. Quelques tablissements : Chez Tata Mapasa Londres, Kin Services, La Rfrence Bruxelles, Chez MC Shango Paris intra muros, etc. Quelques noms connotation politique : Sadam Hussein (alias Kongolo Mobutu, dfunt fils de feu le prsident Mobutu), Ngos (de la famille prsidentielle gabonaise), Jos Ngbakoto (frre cadet de feu Mama Marie-Antoinette Mobutu), Kokose (fils de feu Nyiwa Mobutu et petit fils de feu le prsident Mobutu), Engambe Edo (ancien dirigeant des services secrets sous feu le prsident Mobutu), Tedi Kinsala (secrtaire particulier de feu Nyiwa Mobutu), etc. Avec le changement de rgime, de nouveaux noms sont apparus. Cette pratique dsormais systmatique, voire excessive est devenue une source de revenus pour certains musiciens, un vritable gagne-pain. On comprend pourquoi certaines chansons se rduisent scandaleusement la dclamation de telles listes en vue satisfaire les trop nombreux engagements. D'un point de vue artistique, il en dcoule un lourd inconvnient dans la mesure o le message passe au second rang : il est occult par ces espces d'crans publicitaires surgissant de manire plutt inapproprie. Ainsi, les deux extraits reproduits cidessus contiennent chacun une douzaine de noms de personnes qui n'ont pas, selon notre apprciation, de lien avec la thmatique de chacun des deux textes. Il y en a qui acceptent de vivre au ralenti afin d'pargner pour pouvoir payer le patron d'un orchestre connu et ainsi pouvoir tre magnifi par une idole de renom. 2.3. Mcnat encombrant Les personnes cites dans les chansons appartiennent en gros trois catgories : La catgorie des personnes qui n'ont pas demand tre cites dans les chansons et qui le sont donc suite l'initiative du musicien. Gnralement, il s'agit des personnes qui intressent le musicien d'un point de vue sentimental ou matriel. La catgorie des personnes qui ont pay cher pour tre lances. La catgorie des mcnes qui soutiennent financirement un ou plusieurs orchestres et dont le comportement est plutt curieux. En effet, les mcnes des musiciens congolais sont encombrants car, manifestement, ils attendent de leurs protgs et obligs que, dans leurs chansons, ils fassent tat et donc la publicit de leurs largesses. Les rapports des musiciens congolais avec leurs mcnes ne sont pas les mmes que ceux entretenus par des sponsors

comme Sony avec leurs artistes. Sony finanait par exemple Mariah Carey et assurait la promotion de ses chansons et de son image en vue de faire des affaires, de vendre des disques. Dans cette collaboration la vedette et le sponsor trouvent leur compte. Les mcnes des musiciens congolais ne sont pas des sponsors au sens classique car ces mcnes cherchent en ralit et avant tout faire leur propre promotion et non celle du message musical ou de l'artiste. Il n'y a pas de contrat : les musiciens sont pour eux une forme de clientle. Ces mcnes sont en gnral des hommes puissants dont le clan dtient le pouvoir politique et/ou conomique et qui veulent dominer partout (mme au niveau de l'imaginaire artistique). Les musiciens ne peuvent videmment rien contre de tels rapaces, en particulier dans un contexte o la dmocratie est absente ou relative et o rgne la loi du plus fort. 2.4. Glorification des antivaleurs et des hros ngatifs Cette galaxie des noms psalmodis dans les chansons a un autre inconvnient majeur : elle revient parfois faire la publicit d'individus peu recommandables. A part quelques noms qui, par leur russite (Weah, Noah, Dikembe), peuvent servir d'exemples pour notre jeunesse, derrire certains autres noms (nous disons bien certains, donc pas tous) se cacheraient des individus violents (les ninja et les new black de Bruxelles par exemple), des dealers, des super garces (n'ayons pas peur des mots !), des briseurs de vitrines des grands magasins, des fauxmonnayeurs, des repris de justice multircidivistes, des tchcouleurs (5), des tractionnaires (6), des pripatticiennes mnopauses qui refusent le verdict du temps et qui se livrent des activits illgales en vue de glaner les paquets d'euros qu'il leur faut pour apprivoiser leurs petits poussins, entendez de jeunes musiciens chez lesquels elles pensent trouver un lixir nomm cure de jouvence et qui les lancent en guise de remerciement. Mort en dtention voici quelques annes, Nyarkos tenait le haut du pav en matire de sape alors mme qu'il n'exerait aucune activit rmunratrice officielle. Mon informateur ne tarissait pas en loge pour ce sapeur qui s'habillait plus luxueusement que le prince Albert de Monaco (sic). O Nyarkos et tant d'autres trouvaient-ils ou trouvent-ils cet argent pour se vtir de manire aussi coteuse ? Glorifier de tels individus, n'est-ce pas en quelque sorte porter aux nues des antivaleurs personnalises par des hros forcment ngatifs dont la jeunesse congolaise et panafricaine n'a nullement besoin ? La popularit et l'influence des musiciens congolais auprs de la jeunesse ou mme dans la socit en gnral font qu'il faut s'intresser au type de discours et de vision du monde qu'ils vhiculent. Nous serons tous d'accord pour dire que nous ne voulons pas former une jeunesse de sapeurs rfractaires l'effort pour le progrs social et chez laquelle l'appt de lucre tient de vertu cardinale. Pour se procurer de l'argent, beaucoup de ces jeunes veulent prendre des raccourcis, en ignorant que ces raccourcis vers l'argent facile sont parsems d'embches qui les conduisent au bout du compte en prison. Il y a lieu que les musiciens puissent utiliser leur audience pour promouvoir autre chose que l'idalisation d'une certaine Europe et des grandes marques de la haute couture et des bijoux. 2.5. Surenchre vestimentaire Nous sommes tombs Brazzaville (o nous achevons la rdaction de ce papier) sur un vieux numro (celui de janvier 2002) de la revue Grands Lacs publie Londres. Aux pages 36 et 37, y sont reproduites quelques photographies de Mopao Mokonzi vtu en sapeur de premire force. Un monsieur que j'ai rencontr sur place et que certains voudront qualifier de dconnect de la sape ou de grincheux vieux-jeu a peru Olomide sur l'une des photos pittoresquement : le grand Mopao Mokonzi y est engonc, disait-il, dans une manire de

scaphandre ou d'entonnoir qui rappelle bizarrement, part la trop vive couleur rouge, la tenue d'un cosmonaute d'Apollo dbarquant sur la lune. C'tait, parat-il, le nec plus ultra de la mode et il ne faut surtout pas demander combien cela cote. Il n'y a pas que Koffi Olomide : tout le monde est concern et, en particulier, les fans. Car sachons-le (si nous ne le savons pas), c'est un vrai drame Kinshasa, Brazzaville, Bruxelles, Paris et Londres lorsque est programm un concert de l'un des orchestres de nos vedettes. Il faut tre au top de la mode quand vous vous y rendez. A l'occasion d'un tel vnement, les jeunes ne se donnent mme plus la peine de dtacher l'tiquette qui indique la griffe d'origine de leur accoutrement. Il faut faire bonne figure, Bon Dieu ( !), et tant pis pour les vieux-jeux et pour les dbranchs de la mode. Toutes les extravagances sont permises et c'est qui sera le plus original et qui portera la tenue la plus coteuse. C'est qui exhibera le portable le plus cher et les bijoux les plus recherchs. Cette idologie a videmment des consquences sociales nfastes et inimaginables sur les jeunes. Elle est l'origine de deux meurtres dans la jeunesse de la diaspora congolaise Bruxelles. Beaucoup de jeunes sont alls en prison en Europe pour avoir cass un magasin de vtements en vue de se procurer ces tenues rares et de pouvoir parader au jour J de tel futur vnement musical. C'est le rgne de la mode du m'as-tu vu qui rduit les valeurs sociales au seul vtement et qui est une forme de nivellement par le bas. Aprs avoir risqu d'hypothquer sa libert ou sa vie lors d'un casse russi cette fois (en attendant le prochain qui pourrait l'envoyer dans le gnouf ), le bonhomme peut gonfler socialement puisqu'il a revtu un costume Pierre Cardin , une gourmette en or massif, des bijoux Van Cleef , une ceinture masatomo, des chaussures en croco , une chemise Versace ou Valentino et nous en passons. Il arrive que ces tenues soient mme totalement inadaptes la chaleur tropicale. Une londonienne (congolisme signifiant pripatticienne kinoise') sautillait laborieusement sur la piste bonde lors d'un concert de Wenge Musica Esprit ya Bien de Ngiama Werrason Kinshasa : elle arborait une jupe et une vestes noires en cuir, des chaussures en cuir videmment et assorties de gutres en cuir naturellement et tout cela dans la chaleur des tropiques ! C'est pourquoi elle suait grosses gouttes. Mais qu'importe ? N'estce pas qu'il faut suer d'ahan pour briller le temps d'une soire et pour bien vendre ses charmes ? Rfrences Il s'agit de la musique de la R.D. du Congo. Cependant cette musique est aussi celle de l'autre Congo (le Congo Brazzaville) o elle joue un rle semblable. Les populations des deux Congo sont trs proches ethniquement et linguistiquement. On trouve de part et d'autre du fleuve Congo les mmes populations qui parlent les mmes langues parmi lesquelles le lingala et le kikongo. CD est une abrviation de l'anglicisme Compact Disc qui se dit en franais Disque Compact . Il faut mettre part le cas pathologique de la propagande politique dans laquelle s'tait engouffr feu Yorgo alias Matre Franois Luambo Makiadi sous l'ancien rgime. Au cours d'un sjour Londres, alors que germait en nous l'ide d'crire ce texte, nous nous sommes fait prsenter ce fameux chancelier Mido, histoire d'en avoir le cur net.

Dans le langage des migulistes (congolais vivant en Europe, alias Miguel), tchcoulat (du mot franais chque'), c'est l'art de s'emparer (voler) d'un chque d'autrui, de le falsifier de faon modifier le montant toucher et de l'encaisser l'aide faux documents d'identit. Un tchcouleur est celui qui s'adonne au tchcoulat. Les Belgicains (entendez les Congolais vivant en Belgique) appellent tractionnaire celui ou celle spcialis(e) dans l'art de soutirer des marchandises de toutes sortes dans les grands magasins et qui les revend au rabais et la sauvette en particulier Matonge-lez-Ixelles.

TEDANGA Ipota Bembela