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MUSIQUE PÉDAGOGIE & La revue FAMEQ à la une volume 32 | numéro 2 | Printemps 2018 INFORMATION • Le mot du président • Les 50 ans du Musicien éducateur du Québec • 50 ans après le Rapport Rioux CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTES • Une approche de l’écologie sonore adaptée à l’école • Démystifier la technique vocale APPROCHES PÉDAGOGIQUES • Approche musico-sociale Jeunes musiciens du monde CHRONIQUES • Musique et apprentissages ! • Les Musicales de l’éducation

MUSIQUE PÉDAGOGIE - FameqMusique et pédagogie (de 2007 à 2011), Musique et pédagogie, édition électronique (depuis 2013). Ayant contribué à la relance de la revue en 2013,

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MUSIQUE PÉDAGOGIE&L a r e v u e F A M E Q à l a u n e volume 32 | numéro 2 | Printemps 2018

INFORMATION• Le mot du président

• Les 50 ans du Musicien éducateur du Québec

• 50 ans après le Rapport Rioux

CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTES• Une approche de l’écologie sonore adaptée à l’école

• Démystifier la technique vocale

APPROCHES PÉDAGOGIQUES• Approche musico-sociale Jeunes musiciens du monde

CHRONIQUES• Musique et apprentissages !

• Les Musicales de l’éducation

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MUSIQUE PÉDAGOGIE&

1 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 32 | numéro 2

sommaire MOT DU PRÉSIDENTpar Gaétan St-Laurent 2

INFORMATIONLes 50 ans du Musicien éducateur du Québec : un passé qui résonne toujours… par Vincent Bouchard-Valentine 3

50 ans après le rapport Rioux par Vincent Bouchard-Valentine 0

CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTESUne approche de l’écologie sonore adaptée à l’écolepar Pascale Goday 13

Démystifier la technique vocale : petit guide à l’intention des professeurs de musiqueLysiane Lachance 17

APPROCHES PÉDAGOGIQUESApproche musico-sociale Jeunes musiciens du monde : l’appren-tissage musical pour le développement personnel d’enfants et d’adolescents issus de milieux à risquepar Amélie Roy 25

CHRONIQUESMusique et apprentissages ! par Jonathan Bolduc et Véronique Gaboury 30

Les Musicales de l’éducation : Penser la posture d’accompagnement par Muriel Deltand 32

ÉditeurFédération des Associations de Musiciens Éducateurs du Québec

Éditrice déléguée Daniela GiudiceProfesseure de piano, Cégep de Saint-Laurent

[email protected]

Coordination, administration et abonnement institutionnelMaryse ForandDirectrice générale de la FAMEQ

[email protected]

Révision linguistiqueAmélie BoisProfesseure de clarinette et chef de l’Orchestre à vent du Cégep de Sainte-Foy

Assistant à la publication Vincent B.-Valentine, Ph.D.Professeur en pédagogie musicale, Département de musique, Université du Québec à Montréal

Comité scientifique • Jonathan Bolduc, Ph.D.Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages

Professeur agrégé en éducation musicale au préscolaire et au primaire, Faculté de musique, Université Laval

Directeur du laboratoire Mus-Alpha

• Thierry Champs, Ph.D. Professeur agrégé en pédagogie musicale, Département de musique, Université du

Québec à Montréal

Directeur de l’unité des programmes de 1er cycle

• Yves de Champlain, Ph.D. Professeur adjoint en éducation, Secteur Administration, Arts et Sciences humaines,

Université de Moncton, Campus de Shippagan

• Muriel Deltand, Ph.D.

Enseignante chercheuse qualifiée en Art (section 18) et en Sciences Psychologiques et de l’éducation (section 70) – CNU (France)

Chercheuse permanente du laboratoire CIREL, équipe Trigone (EA 4354), Université de Lille 1 (France)

Titulaire du programme de formation en éducation musicale des futurs enseignants du primaire, Haute École de Bruxelles, département pédagogique (Belgique)

Didacticienne des Arts et coréférence du pôle éveil, Haute École de Bruxelles, Département pédagogique (Belgique)

Conférencière dans les Écoles Supérieures des Arts belges

Musique et pédagogie accepte la soumission de textes et de photos, selon les conditions énoncées sur le site www.fameq.org

Les textes publiés présentent l’opinion de leurs auteurs et n’engagent pas la FAMEQ.

Dépôt légal: ISSN 0841 9428

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Le goût du jour

Connaissez-vous l’expression « Être tout yeux, tout oreilles » ? À mon humble avis, il est grand temps de la mettre

en pratique. En cette période de l’année sco-laire, c’est le moment de la planification de la grille-matière pour tous les professeurs du primaire. Ils revivent cette période d’incerti-tude chaque printemps avec beaucoup d’ap-préhension. Nous devons être aux aguets, présents, vigilants…

Vous le savez comme moi, cette pratique ne touche que le niveau d’enseignement primaire. Nous faisons partie, sans aucun doute, du seul ordre d’enseignement dont le nombre de minutes de prestation de ses spécialistes est déterminé par le choix des pairs, les titulaires de classes. Les ragots de corridor vont alors bon train. Et les directions d’école vont jusqu’à convoquer les réunions déterminantes aux moments où les spécialistes ne sont pas présents pour prendre part aux discussions et défendre leur position.

Toutes les années nous vivons cette expérience horrible, voire traumatisante, qui permet à nos collègues de décider de notre sort. Nous sommes à leur merci, car ce sont eux qui déterminent quelle sera notre tâche pour la prochaine année scolaire. Et le fameux goût du jour... Les directions et les équipes-écoles peuvent décréter que l’art dramatique remplacera la musique parce que c’est au goût du jour. Tous les projets culturels d’envergure bâtis par ces enseignants de musique dynamiques et engagés, projets mis sur pieds grâce à des luttes acharnées, peuvent être tout simplement balayés du revers de la main. Ces enseignants risquent de tout perdre, sécurité et emploi, et de devoir tout rebâtir.

Les spécialistes de mon école (éducation physique, anglais) vivent le même traitement, mais pas de la même façon. Je n’ai jamais entendu mon collègue en éducation physique me dire qu’il avait perdu du temps d’enseignement pour le redonner en musique. Nous n’avons pas la chance des autres spécialistes. Ainsi, personne ne conteste l’enseignement de l’anglais (l’anglais, c’est important, et il est maintenant enseigné dès la première année) ni celui de l’éducation physique pour les saines habitudes de vie (dont les arts font aussi partie). Le temps d’enseignement donné aux enfants n’est pas élastique et ce sont toujours les arts qui écopent.

L’école où j’enseigne est porteuse d’un projet éducatif axé sur les arts et la culture.

Vous allez sans doute me dire que je suis chanceux. Je vous dirais que oui et non.

Non parce que ce bateau de la grille-horaire, je le prends toutes les années et il y a toujours de la houle et de grands vents. Oui parce que je tiens bon grâce à mes projets et à mon engagement dans mon milieu scolaire, mais aussi dans mon milieu culturel.

Chez moi, les temps s’annoncent plus cléments cette année, mais qu’en est-il de votre situation ? Nous savons qu’à la commission scolaire des Hautes-Rivières, les enseignants ont gagné une injonction, mais le débat sur le fond n’a toujours pas eu lieu. La cause est en attente d’une audience pour débattre de la question. La commission scolaire n’avait le pas le droit d’élaborer unilatéralement la grille-matière. En attendant, ces enseignants ont gagné le statu quo… mais pour combien de temps ?

Nous devons être aux aguets, présents, vigilants…

G A É TA N S T - L A U R E N T , président et enseignant de musique au primaire, Commission scolaire des Phares.

2 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 32 | numéro 2

M OT D U P R É S I D E N T

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Les 50 ans du Musicien éducateur du Québec : un passé qui résonne toujours…

I N F O R M AT I O N

V I N C E N T B O U C H A R D - V A L E N T I N E , professeur en pédagogie musicale au Département de musique de l’UQAM.

Dans le cadre du 50e anniversaire de la FAMEQ, nous avons cru bon revenir sur les premiers numéros de

notre revue en vous présentant quelques textes savoureux. Vous trouverez, dans les pages qui suivent, deux écrits tirés des deux premiers numéros du Musicien éducateur du Québec.

Le premier texte, intitulé Rêve ou réalité…, fut rédigé par Bernard Mayor en 1969 (vol. 2, no 4, p. 2). Monsieur Mayor était alors rédacteur en chef de la revue et cet éditorial suit de quelques mois le dépôt du rapport Rioux. Monsieur Mayor mesurait bien l’ampleur du projet social contenu dans les quatre volumes produits par la Commission qu’il considérait comme le point de départ « d’une longue croisade » devant être menée par tous les musiciens éducateurs pour « l’avenir culturel de nos enfants ».

Le deuxième texte, intitulé Le rôle des Arts dans le développement de la personnali-té humaine, est la transcription d’une confé-rence prononcée par Maurice Martenot le 15 juillet 1969 (vol. 2, no 4, pp. 12-17). Sœur Marcelle Corneille avait en effet l’habitude d’inviter des pédagogues de réputation pour des sessions de formation à l’École Normale de Musique. C’est ainsi que les méthodes actives européennes, révolutionnaires pour nous à l’époque, ont été implantées dans les écoles du Québec. Encore aujourd’hui, la formation des enseignants de musique s’ap-puie sur les principes établis par ces grands pédagogues que furent Martenot, Orff, Willems, Kodály et Jaques-Dalcroze.

Fondée en 1967, la revue de la FAMEQ a connu plusieurs noms et vocations au cours des ans : Le Musicien éducateur du Québec

FAMEQ (de 1967 à 1974), Le bulletin de liaison (de 1971 à 1981)1, À la ronde (de 1981 à 1987)2 À la une (de 1986 à 2007) Musique et pédagogie (de 2007 à 2011), Musique et pédagogie, édition électronique (depuis 2013).

Ayant contribué à la relance de la revue en 2013, je ne saurais trop insister sur l’importance de cette revue pour notre communauté. Musique et pédagogie constitue en effet le seul véhicule informationnel officiel des enseignants de musique québécois et la seule revue professionnelle francophone traitant d’éducation musicale en milieu scolaire :

• Elle sert d’interface entre la recherche et la pratique en proposant des articles de vulgarisation scientifique susceptibles d’aider les enseignants à actualiser leur pratique;

• Elle soutient la formation continue, en présentant des descriptions de stratégies efficaces ou des solutions à des problèmes vécus par les enseignants de musique : implantations de dispositifs pédagogiques, gestion de classe, élèves HDAA, développement des compétences musicales, évaluation, insertion professionnelle, formation continue, etc.;

• Elle fournit un espace réflexif en offrant des analyses philosophiques, historiques ou descriptives ainsi que des récits de pratique relatifs à l’enseignement et à l’apprentissage de la musique.

Par ailleurs, cette revue fait office de « mémoire » pour notre association. En effet, c’est à travers les articles d’enseignants en

3 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 32 | numéro 2

1Source : Encyclopédie canadienne.2Ibid.

Crédit photo : Julie Gougeon

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I N F O R M AT I O N

exercice, de professeurs d’université, de musiciens intéressés par les questions pédagogiques ou de représentants du ministère de l’Éducation que nous gardons des traces de la transformation des pratiques et des acteurs qui ont animé notre profession. Je vous encourage donc à nous faire parvenir un texte relatant vos préoccupations ou vos réussites. L’équipe de rédaction vous aidera à le mettre en forme au besoin.

Enfin, je lance un appel aux plus anciens d’entre vous. Il nous manque plusieurs numéros des premières années de la revue (de 1967 à 1986). S’il vous reste des exemplaires, nous vous saurions gré de com-muniquer avec nous : [email protected]

4 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 32 | numéro 2

Crédit photo : Christian Jacques

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I N F O R M AT I O N | L e s 5 0 a n s d u M u s i c i e n é d u c a t e u r d u Q u é b e c : u n p a s s é q u i r é s o n n e t o u j o u r s …

5 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 32 | numéro 2

Rêve ou réalité…B E R N A R D M AY O R , rédacteur en chef de la revue Le Musicien éducateur du Québec.

Après de multiples pressions, prières, supplications de la part des principaux intéressés, après un subtil

jeu de passe-passe entre les deux ministères concernés, après « opération présence » bien orchestrée par notre fédération, après de nombreuses lettres ouvertes aux journaux, après plusieurs interventions en chambre d’un député en particulier, et j’en passe, nous l’avons maintenant; vous aurez sans doute deviné qu’il est question du rapport de la commission d’enquête sur les arts au Québec, dit le Rapport Rioux.

Une première étape de la « grande réforme » est maintenant franchie.

Ce rapport est révolutionnaire dans son ensemble. Je n’analyserai pas dans ces lignes sa philosophie, ses déductions, ses recommandations, puisque ceci a déjà été abordé lors de notre dernier Congrès provincial, mais je rappellerai seulement qu’il met en jeu tout l’avenir culturel du Québec, et, ne nous y trompons pas musiciens éducateurs, les implications de ce rapport ne nous ont pas délivrés de nos responsabilités, bien au contraire.

Ce document restera-t-il lettre morte ? Ira-t-il simplement encombrer les tablettes de votre bibliothèque ? Ou encore, hantera-t-il vos rêves illusoires ? Peut-être même êtes-vous déjà arrivés à la conclusion que ses recommandations sont utopiques ? Je refuse de le croire.

Évidemment, sa parution ne résout aucun de nos problèmes. Ce n’est que le tremplin d’une longue croisade dont notre génération ne connaîtra même pas l’aboutissement. Même si nous sommes éblouis par tout ce

qu’il contient, même si nous croyons y voir la « planche de salut », là ne fait que débuter notre mission.

L’objectif premier est l’amorce de cette révolution à travers le Québec. Celle-ci doit se faire à tous les paliers de l’éducation et ne pourra prendre naissance qu’au sein de nos associations tout en formant un front commun avec les associations concernées par les arts en général. Là, encore moins qu’en d’autres circonstances, l’improvisation n’aura de place. Il est également impensable de vouloir réaliser quoi que ce soit sans s’assurer, au préalable, de l’appui inconditionné de toute personne reliée à l’éducation : je pense en particulier aux personnes engagées actuellement dans des tâches administratives telles que directeurs d’école, commissaires, trésoriers, fonctionnaires, etc.

Je vois là la seconde étape à franchir.

Notre responsabilité est engagée, personne d’autre n’agira à notre place, ne nous faisons pas d’illusions. Que notre enthousiasme s’avive, il y va de l’avenir culturel de nos enfants du Québec.

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Le rôle des Arts dans le développement de la personnalité humaineM A U R I C E M A R T E N OT, musicien, musicologue et pédagogue.

Un sujet aussi vaste ne doit être abordé qu’avec beaucoup d’humilité et pour tenter de me faire comprendre, il

apparaît de prime abord nécessaire que nous nous entendions sur les termes principaux.

DÉVELOPPEMENT DE LA PERSONNALITÉ… aux yeux de chacun cela peut prendre un sens différent.

Voici comment je l’entends :

Le développement de la personnalité humaine est fonction de l’accession à des états de conscience qui, par leur nombre et leur qualité, rapprochent l’être de l’UNITÉ, ces états de conscience étant eux-mêmes conditionnés par la connaissance de soi.

On a trop souvent tendance à s’imaginer que le développement intellectuel (souplesse du mental, virtuosité dans l’assimilation des idées, accumulation des connaissances par une mémoire infaillible, etc.), représente un facteur déterminant de la connaissance de soi-même, et, partant, de la personnalité. Rien n’est plus faux. L’intellect est un outil précieux qui développe un des aspects de la personnalité, mais son action devient néfaste lorsque, par une sorte d’hypertrophie, il néglige d’autres aspects de celle-ci.

Quels sont donc ces autres aspects ? J’essaierai de les définir brièvement. La connaissance de soi prend tout d’abord naissance dans la conscience de notre être physique, de notre corps. L’éducation, l’affinement de tous les organes sensoriels, conditionnent la structuration progressive d’un certain « schéma corporel ». Nombreux sont les êtres qui atteignent l’âge adulte

et même le terme de leur existence sans avoir réellement pris conscience de leur corps. Ils n’ont de celui-ci qu’une sensation extrêmement floue.

Ceux ou celles d’entre vous qui ont tenté de faire un travail sur ce corps, un travail dans le sens de la relaxation ou du yoga, ont pu discerner combien nous sommes malhabiles à nous rendre compte de nos états musculaires. Combien de personnes qui se vantaient d’être particulièrement souples et détendues ont découvert peu à peu combien elles étaient, au contraire, raides et crispées ? C’est chose très fréquente et nous avons maints exemples de cette totale méconnaissance de nos états physiques. De façon plus accessoire, disons qu’ils habitent depuis le premier jour de leur vie une maison de chair et d’os qu’ils n’ont jamais visitée. Or, ce corps devrait être un instrument, un outil parfaitement disponible. Comment le serait-il s’il n’est pas intégralement sous notre dépendance ?

Plus encore, cet outil qui recèle tant de ressources inexploitées (on estime que l’homme du XXe siècle ne jouit encore que d’une infime partie de ses facultés), cet outil dis-je, ne peut être développé, affiné, sensibilisé que s’il y a entre lui et notre mental des relations suffisamment étroites : de façon moins abstraite et plus imagée, cela signifie que notre pensée doit apprendre à « pénétrer dans notre corps », à s’y tenir le temps nécessaire pour y établir une sensation, des lignes de communication qui resteront disponibles par la suite.

Poursuivant cette comparaison, on peut dire que la connaissance de soi, qui doit commencer elle aussi sur le plan physique,

implique qu’entre notre mental et notre corps, le réseau de communication soit aussi étendu, aussi diversifié que possible. Ainsi, la connaissance de soi peut-elle devenir maîtrise de soi, maîtrise sans laquelle il n’y a pas de développement de la personnalité.

Ces jours-ci, il m’est tombé sous les yeux un bulletin de la Communauté Chrétienne de l’Université Laval. J’y ai trouvé un extrait de « Spiritualité du week-end » de Roland Dufour, dont voici le dernier paragraphe :

«C’est par le corps que nous sommes présents aux autres. Plus le corps sera parfait, plus nous avons de chances que nos relations avec autrui soient vraies et chaudes. On entrevoit ici le rôle indispensable du corps pour réaliser la dimension sociale et communautaire du mystère pascal.»

Peut-être me ferais-je mieux comprendre en vous décrivant une particularité de notre faculté d’attention, vue sous l’angle psycho-psychologique, particularité d’ailleurs trop souvent méconnue en pédagogie générale.

Maints auteurs ont comparé l’attention volontaire à un projecteur dont les rayons peuvent s’orienter à volonté, mais dans une seule direction à la fois. Nous observerons alors que ce projecteur peut être dirigé dans trois directions :

1. Vers l’extérieur, c’est-à-dire vers les canaux sensoriels qui lui communiquent toute information venant de l’extérieur. C’est l’orientation de vigilance la plus fréquente.

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2. Vers l’intérieur : vers le mental. Direction de l’attention sans laquelle l’analyse, la réflexion, le raisonnement conscient seraient impossibles.

3. Vers telle ou telle région du corps.Si quelqu’un vous a brutalement marché sur le pied, la douleur va, pendant toute sa durée, orienter spontanément votre attention vers votre orteil douloureux. À ce moment, le projecteur n’est dirigé ni vers l’extérieur (vers les perceptions sensorielles) ni vers le mental. La preuve en est qu’il vous sera difficile, sinon impossible de vous concentrer mentalement, votre projecteur se dirigeant constamment, malgré vous, vers le point douloureux. Inversement, si un important problème d’ordre intellectuel concentre votre faisceau d’attention vers le mental, les sensations, qu’elles soient périphériques ou corporelles, sont considérablement réduites. L’attitude du penseur de Rodin, dans sa tentative d’échapper aux impressions extérieures, en est un exemple.

Mais, allez-vous dire, à quel point cela nous rapproche-t-il du sujet ? Beaucoup plus que vous ne le pensez. En effet, il ressort de cette particularité de l’attention, que les études imposées aux enfants (études à 95 % de caractère intellectuel), donnent à leur attention l’habitude de tout centrer vers l’intellect au détriment des états de conscience dont dépend le développement de la personnalité. Or, comme nous le verrons bientôt, l’étude des arts va constituer un merveilleux antidote contre cet excès d’intellectualisme.

N’allons cependant pas trop vite. Ayant maintenant quelque peu débroussaillé ce qu’on peut entendre par les termes « développement de la personnalité humaine », il importe avant toute tentative de synthèse de discerner de quelle façon l’art peut avoir une influence. L’analyse n’en est

pas aisée, tellement s’imbriquent entre eux des éléments tels que le social, l’éthique et l’esthétique.

Il nous apparaît que l’influence des arts sur la personnalité humaine est fonction de trois éléments principaux :

1. L’état de plus ou moins grande réceptivité de l’être humain;

2. Le degré d’activité développé par la pratique d’un art;

3. La part de créativité qui s’y rattache.

Ces trois éléments s’inscrivent dans une variété considérable d’états psycho-physiologiques, qui vont de la passivité quasi absolue jusqu’à l’activité la plus intense, suivant une progression à la fois quantitative.

Ainsi condensée, ma pensée risque d’être incomprise : j’essaierai d’être plus clair. Revenons au premier élément, la réceptivité; nous verrons qu’elle est conditionnée par le degré d’affinement, de sensibilisation des organes sensoriels en rapport avec la forme d’expression artistique : l’œil pour le dessin, la peinture, la sculpture, l’architecture, ou l’ouïe pour la musique. La réceptivité est également conditionnée par le calme physique et mental. L’être hyper nerveux, agité, instable physiquement ou dont l’intellect est constamment en mouvement pour analyser, juger, critiquer, évaluer, comparer, ne jouit évidemment pas d’une bonne réceptivité. Nous avons vu qu’il ne peut être à la fois dans son mental et dans la sensation. C’est la raison pour laquelle, dans notre mode d’enseignement artistique, nous ne laissons intervenir l’analyse que lorsque les sensations ont atteint le maximum d’intensité.

Enfin, la réceptivité est aussi conditionnée par la connaissance préalable, la mémoire des formes musicales ou plastiques qui, recréées par la représentation mentale, se mettent immédiatement en résonnance avec

les nouvelles impressions, pour peu qu’il y ait entre elles des similitudes de forme. Lorsque vous écoutez une sonate ou une symphonie de Mozart pour la première fois par exemple, les caractéristiques mélodiques, rythmiques, harmoniques de ce style vous permettent de pressentir avec plus ou moins de détails le déroulement sonore, votre pensée musicale se mettant en résonnance avec ce que reçoivent vos oreilles, et tout cela chante intensément en vous avec ses moindres détails. Imaginons maintenant que nous fassions entendre ces mêmes œuvres à quelque tribu primitive, restée à peu près à l’âge de pierre : il est bien évident que la réceptivité de ces êtres sera totalement différente de la nôtre.

N’oublions pas non plus que, suivant le niveau d’émotivité de chacun, les impressions perçues se colorent d’éléments affectifs susceptibles de décupler l’efficacité du message.

LE DEGRÉ D’ACTIVITÉ DÉVELOPPÉ PAR NOTRE CONTACT AVEC L’ŒUVRE D’ART

J’espère que chacun aura compris l’importance de la réceptivité, mais il nous faut aborder maintenant le degré d’activité développé par notre contact avec l’œuvre d’art. C’est un sujet capital et cela m’oblige à vous demander encore plus d’attention.

Il va de soi que le rôle des arts dans le développement de la personnalité humaine sera bien différent suivant une plus ou moins grande participation de l’homme vis-à-vis l’œuvre d’art. Nous venons de voir pour quelles raisons le degré de réceptivité varie dans de larges proportions. Observons maintenant comment le degré d’activité va, lui aussi, modifier la participation et toucher des plans de plus en plus élevés, jusqu’à la créativité.

Cette activité est elle-même soumise aux relations que l’homme aura eues

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antérieurement avec l’œuvre ou avec des formes similaires. En effet, si l’œuvre musicale, picturale ou sculpturale est totalement inconnue, le choc de surprise passé, l’activité sera minime; c’est presque passivement qu’elle sera écoutée ou contemplée.

Elle peut néanmoins susciter le désir d’être réentendue ou revue, et cette fois, le souvenir que nous en avons gardé, si limité qu’il soit, va nous permettre de retrouver l’œuvre avec un intérêt croissant. Dans le domaine musical, l’œuvre connue ou se rapprochant de formes connues, dont un certain nombre d’éléments sont déjà enregistrés dans la mémoire, va stimuler une véritable préaudition permettant une mise en résonnance de plus en plus grande de notre pensée musicale avec le déroulement de l’œuvre. Mieux celle-ci sera connue, plus intense sera cette recréation intime, jusqu’au moment où, trop intégralement familière, elle n’offrira plus de nouvelles découvertes. En jargon scientifique, on dira alors que le taux de « redondance » devient trop élevé pour que l’œuvre satisfasse notre désir de découverte.

Comme nous venons de le voir, malgré les insuffisances inhérentes à un manque d’habileté technique, l’amateur interprète ou plutôt « l’amateur pratiquant », qu’il soit chanteur ou instrumentiste, peintre ou sculpteur, atteint une participation infiniment plus importante que celle de l’auditeur ou du spectateur plus ou moins actif. Bien que parfaitement conscient de l’immense différence entre l’imperfection de son expression et la merveilleuse maîtrise des virtuoses, « l’amateur pratiquant » s’exprimant en solitaire ou en groupe (chorales, petites formations instrumentales) ressent de façon généralement indéfinissable un certain enrichissement : il a plus ou moins habilement fait renaître l’œuvre sous ses doigts.

J’ai tenté ici de schématiser d’une façon très élémentaire ce que l’on peut considérer comme la courbe de l’activité en fonction de la participation.

Cette courbe a subi la déformation du musicien en s’apparentant au traditionnel soufflet. Il s’agit donc plutôt d’un symbole.

Nous trouvons dans la fraction de gauche l’œuvre inconnue contemplée ou écoutée par le mélomane ou le spectateur passif ou presque.

Dans la tranche suivante apparaît déjà un peu plus d’activité. Nous y trouvons l’œuvre connue ou se rapprochant de formes connues. Cette fois, le mélomane ou le spectateur seront plus actifs.

L’ensemble de ce qui suit concerne la pratique personnelle d’un art. C’est celle de l’amateur pratiquant qui limitera d’abord son activité à l’imitation, à la reproduction. Prenons un exemple : un peintre, « amateur du dimanche », va chercher à reproduire un paysage ou à reproduire l’œuvre d’un maître. Supposons qu’il ait une vive admiration pour Modigliani, dont il essayera aussi fidèlement que possible d’en imiter les traits et la couleur. C’est une première phase de l’imitation, d’ailleurs plus ou moins maladroite. On peut trouver l’équivalent dans chaque branche d’art. Sur le plan musical, l’amateur encore peu développé va très scrupuleusement jouer les notes indiquées, observer la mesure, les nuances. Il fera cela très honnêtement, très méthodiquement, mais sans aller réellement jusqu’à une forme de recréation, c’est-à-dire sans l’interprétation. En résumé, l’amateur débutant ne sait pas vraiment interpréter, il ne fait que copier. Par contre, l’amateur plus évolué et disposant d’une technique proche de celle du professionnel

va insuffler à l’œuvre sa propre interprétation. Peut-être parviendra-t-il même à la véritable création, ne fût-ce que sous un aspect très élémentaire. Enfin, le professionnel va laisser une bien plus large place à l’interprétation dans une véritable recréation de l’œuvre. C’est ce qu’on peut appeler l’interprète cultivé.

Chacun comprend bien qu’il y a là une possibilité identique dans tous les arts. Ce n’est qu’avec une technique éprouvée, une connaissance bien approfondie des œuvres que l’on arrive à ce degré de liberté qui permet cette recréation. Il va de soi qu’il y a, qualitativement et quantitativement, une différence importante d’activité de participation suivant que l’on est seulement « amateur pratiquant » limité à l’imitation ou interprète cultivé. Dans le domaine plastique, c’est la même chose. On sait bien que l’on peut interpréter un paysage ou apporter sa propre interprétation dans la copie d’une œuvre picturale.

Terminons enfin avec une autre tranche : le moment où nous trouvons l’épanouissement de notre courbe. C’est la faculté de création, non plus cette fois de recréation, mais bien la faculté de créer des formes nouvelles. Ce que pourra faire le « maître d’œuvre », le compositeur, le chorégraphe ou si nous avons pu le mener jusque-là « l’amateur créateur »…

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Crédit photo : Julie Gougeon

Cultiver l’enseignement des arts au Québec

I N F O R M AT I O N | 5 0 a n s a p r è s l e R a p p o r t R i o u x : C u l t i v e r l ’ e n s e i g n e m e n t d e s a r t s a u Q u é b e c

V I N C E N T B O U C H A R D - V A L E N T I N E , professeur en pédagogie musicale au Département de musique de l’UQAM.

J’ai le grand plaisir d’assurer, avec le professeur Thomas Corriveau (École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM),

la coordination des célébrations entourant les 50 ans du Rapport Rioux. Issu de la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts au Québec, ce rapport de quelque 700 pages et 368 recommandations a profondément influencé notre manière de concevoir la formation artistique.

Ces célébrations sont le fruit d’une collaboration entre la Faculté des arts et de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM. Une programmation d’activités sera proposée tout au long des années universitaires 2018 et 2019, comprenant principalement un symposium, un cycle de conférences publiques et un colloque scientifique. Celles-ci seront l’occasion de revisiter ce document phare de la Révolution tranquille et de réfléchir à la question de l’enseignement des arts et de la recherche-création.

La présidence d’honneur des célébrations est assurée par deux personnalités d’envergure, grands animateurs de la scène culturelle : Louise Sicuro, présidente-directrice générale de Culture pour tous, et Marcel Fournier, professeur associé au Département de sociologie de l’Université de Montréal et auteur de plusieurs études sur diverses facettes du système universitaire, et de la recherche au Québec et au Canada.

SYMPOSIUM D’OUVERTURE

Le coup d’envoi des célébrations prendra la forme d’un Symposium au Musée des beaux-arts de Montréal le 16 mars 2018. Seront invités à participer à cet événement, les professeures et professeurs, les étudiantes et étudiants des collèges et universités, les conseillères et conseillers pédagogiques de

même que les enseignantes et enseignants œuvrant dans le système scolaire, les artistes et les organismes culturels, ainsi que tous les partenaires du milieu des arts au Québec. Cette journée sera une occasion de rencontres et d’échanges sur la place des arts dans la société, et sur la formation artistique générale et professionnelle. Le milieu a répondu très favorablement à notre invitation, car nous affichons déjà complet (300 participants) ! Les objectifs poursuivis sont :

• Lancer officiellement les célébrations entourant les 50 ans du Rapport Rioux;

• Favoriser une appropriation de la dynamique de l’évolution de la démocratisation de l’accès aux arts au Québec;

• Permettre aux acteurs des milieux des arts, de la culture et de l’éducation de renforcer le dialogue sur la question de l’enseignement des arts;

• Réfléchir collectivement aux suites à donner au Rapport Rioux en matière de formation, de recherche et de mobilisation des connaissances en vue de favoriser une meilleure reconnaissance des arts dans la société et le système d’éducation.

Quatre volets thématiques structurent cette vaste réflexion sur l’enseignement des arts :

Volet thématique I : Un nouveau contexte, de nouveaux possibles

Le Rapport que signe Marcel Rioux comprend à la fois une critique de l’aliénation économique et technologique, une vision utopique avec un appel au potentiel créateur des individus et de nombreuses propositions

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visant à une démocratisation des arts. Ce 50e anniversaire nous offre l’opportunité de relire le Rapport Rioux, de jeter un regard critique sur la situation actuelle des arts et de la culture au Québec et d’identifier, à l’heure des nouvelles technologiques, d’une plus grande industrialisation de la culture et d’une mondialisation des marchés, ce que Marcel Rioux appelait les « possibles ».

Volet thématique II : Les arts à l’école

La démocratisation de l’éducation artistique devait favoriser l’émergence d’une masse critique de citoyens libres capables d’imaginer, de formuler et d’assumer les normes et les valeurs culturelles d’une nouvelle société profondément humaine tout en étant résolument ouverte sur le monde et sur les médias de masse alors en plein essor. Intégré au système d’éducation, l’enseignement des arts plastiques, des arts d’interprétation, des arts de communication et des arts de l’environnement construit devait se déployer depuis la maternelle jusqu’à l’université, à travers une infrastructure favorisant l’interdisciplinarité et facilitant les passerelles entre les formations générale, préprofessionnelle et professionnelle. Ce volet thématique revient sur quelques enjeux toujours vibrants d’actualité.

Volet thématique III : Interculturalité, approches décoloniales et formation artistique

Plus qu’un projet de restructuration de l’enseignement des arts au Québec, le Rapport Rioux repose sur une prémisse philosophique qui confère aux arts une valeur « émancipatoire » fondamentale. À l’opposé d’une sociologie positiviste et fonctionnaliste,

Rioux promeut l’autoconstruction identitaire et l’autodétermination collective et individuelle. Fort de son travail de chercheur au Musée de l’Homme (de 1947 à 1959) et de ses connaissances de l’ethnologie, Rioux dénonce l’impérialisme culturel. Cette posture intellectuelle et militante est le moteur de ses intérêts de recherche et elle teinte l’orientation qu’il donne à la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts. Se trouve pourtant absente de ce rapport une réflexion élargie sur la médiation et la transmission des savoirs artistiques en regard des cultures et des langues. À partir des ouvertures et des limites du Rapport Rioux, ce volet thématique souhaite jeter un regard critique et constructif sur les enjeux et les défis que posent à l’enseignement des arts et à la recherche-création au Québec et au Canada la mise en œuvre de mécanismes visant la pleine reconnaissance des droits des peuples autochtones et le respect de leurs différentes cultures. S’inscrivant dans une réflexion élargie sur l’interculturalité et l’intégration des approches décoloniales, ce volet thématique souhaite par ailleurs se pencher sur les dispositifs d’intégration des réalités diasporiques et immigrantes dans l’expérience artistique contemporaine et dans la formation artistique.

Volet thématique IV : La création contemporaine

En 1968, les travaux de la Commission Rioux participaient du mouvement d’affirmation d’une société résolument tournée vers l’avenir. Si l’on peut se questionner sur les suites concrètes données aux recommandations de son président, il est indéniable que son esprit a provoqué l’essor des nouvelles pédagogies

artistiques et inspiré de loin les orientations des politiques publiques en matière culturelle dans les décennies suivantes. Les impacts sur le champ artistique apparaissent toutefois moins visibles, si l’on fait abstraction du fait que des générations d’artistes ont été initiées à l’art dans les écoles « réformées » du Québec. On peut même faire l’hypothèse que la perspective utopique que défendait Marcel Rioux paraît décalée par rapport à l’évolution des disciplines artistiques qui, sous le poids des industries culturelles, ont intégré les contraintes de l’économie de marché. Faire le point sur l’héritage du Rapport Rioux exige aujourd’hui de prendre en compte ce décalage, d’en interroger les causes et les effets, et de repenser un nouvel équilibre entre formation et recherche-création.

AUTRES ACTIVITÉS

À la suite du Symposium, nous poursuivrons la réflexion sur chacun des volets thématiques par un cycle de quatre conférences publiques à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec et au Musée des beaux-arts de Montréal.

En mai 2019, l’UQAM sera l’hôte d’un grand colloque scientifique où des chercheurs approfondiront chacun des quatre volets thématiques. Les actes du colloque devraient être publiés à l’automne 2019.

Enfin, tout au long de ces célébrations, différentes activités seront organisées à l’UQAM, notamment :

• Le lancement d’une édition numérique du Rapport Rioux avec notre partenaire BAnQ;

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• L’inauguration de la Salle Marcelle-Corneille au Département de musique;

• La Journée d’étude 4 Arts Dix chantiers pour l’éducation artistique organisée conjointement par la Faculté des arts et la Commission scolaire de Montréal;

• La journée d’étude consacrée aux 30 ans du Sommet sur l’avenir de la formation musicale au Québec, organisée par le Département de musique.

POUR PLUS D’INFORMATION

Le site Internet dédié aux célébrations des 50 ans du Rapport Rioux : https://rapport-rioux.uqam.ca/

Pour de l’information en continu, la page Facebook : https://www.facebook.com/rapportrioux/

Vous pouvez enfin nous écrire à l’adresse suivante : [email protected]

Je vous invite donc à suivre le déroulement de ces célébrations et à vous joindre à nous lorsque vos horaires vous le permettront. Rarement aura-t-on vu au Québec une mobilisation aussi importante et soutenue conjointement par les milieux des arts, de l’éducation et de la culture. C’est une occasion exceptionnelle d’affiner nos arguments pour l’éducation musicale et de les porter jusque dans l’actualité.

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Une approche de l’écologie sonore adaptée à l’école

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

PA S C A L E G O D AY , musicienne et enseignante en éducation musicale et chant choral, Collège International Marie de France.

L’écologie sonore, concept inventé par le Canadien Raymond Murray Schafer dans les années 1970, est l’étude des relations qu’entretiennent les êtres vivants avec leur environnement sonore. Transposé en milieu scolaire (primaire ou secondaire), il tente d’amener les élèves à acquérir une meilleure connaissance du monde sonore qui les entoure, en leur présentant le son comme « un nouveau continent à explorer » avec ses merveilles et ses dangers.

Intégrer l’écologie sonore dans l’enseignement de la musique en milieu scolaire est, pour moi, la résultante d’un long temps de gestation, de maturation et de questionnements, dont les finalités continuent aujourd’hui à se fixer. En tant que musicienne-artiste et pédagogue, j’ai toujours tenté d’établir des liens entre mes pratiques personnelles et la conception que j’avais de l’enseignement de la musique à des élèves n’ayant pour la majorité aucune culture musicale. Consciente de la nécessité d’amener mes élèves à découvrir et à apprécier d’autres musiques, je me suis vite écartée des sentiers pédagogiques traditionnels.

Élève en hautbois au Conservatoire à Rayonnement Régional de Perpignan, de Toulouse puis de Montauban, j’ai mené en parallèle des études de musicologie à l’Université de Toulouse Le Mirail1, d’où je suis sortie avec une maîtrise en musicologie. Lasse de l’aspect conservateur et du carcan dans lequel m’enfermait le conservatoire, je me suis orientée vers l’enseignement. De façon inconsciente, ce désir d’exploration était déjà présent en moi tout comme celui de trouver une approche éducative susceptible de contribuer à ouvrir les esprits.

J’ai obtenu le CAPES2 d’éducation musicale et de chant choral en 1999 et j’ai pris mes fonctions dans le système scolaire français en 2000. La voix, le chant choral et la flûte à bec étaient alors au cœur des pratiques enseignantes. J’ai donc entrepris de compléter ma formation afin de pouvoir répondre aux besoins de formation des élèves. J’ai toutefois abordé le chant sous un aspect plus

novateur en cours particuliers auprès de Michèle Zini, laquelle est rompue aux méthodes de Benoit Amy de la Bretèque3. Cette

rencontre m’a fait réaliser pour la première fois qu’on pouvait concevoir la relation pédagogique autrement que de façon univoque verticale (c’est-à-dire sans interaction possible entre maître et élève), par une écoute plus large proposant une approche holistique de l’enseigné.

Parallèlement à cette formation, j’ai commencé à m’intéresser à « l’improvisation libre non idiomatiquet » (Savouret 2010). Cette pratique musicale m’a permis d’aborder le jeu instrumental et la musique en ayant une autre posture, fondée sur les spécificités du son, sans distinction esthétique (chaque son ayant l’intérêt de l’originalité de son timbre). Dès lors, plus de sons justes, mais juste des sons. Tout corps sonore pouvait y être exploité et devenir un instrument de musique; la notion de bruit pouvait ainsi intégrer les paramètres de la musique. Il fallait bien sûr redéfinir la notion de beau : le beau son n’est-il pas, en définitive, celui qui convient à l’esthétique choisie ?

Ayant intégré le milieu de la musique improvisée à Toulouse, puis les ateliers menés par Alain Joule au CNSMD5 de Lyon, j’ai commencé à porter un autre regard sur « l’entendre » et « l’écouter ». Je découvrais la création en temps réel et, pour la première fois, je goûtais au fait de jouer sans a priori, sans jugement, réalisant que l’erreur pouvait être

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1Aujourd’hui appelée Université Jean Jaurès.2Certificat d’Aptitude au Professorat d’Enseignement du Second degré.3Médecin phoniatre attaché des Hôpitaux de Marseille et de Montpellier. Il a sa propre pratique du chant, de la flûte, de la direction chorale et s’investit beaucoup dans la formation musicale. Il est à l’origine d’une approche du travail de la voix au moyen d’une paille, travail essentiellement axé sur le réglage de la pression d’air régnant dans la bouche et le nez.4L’improvisation libre non idiomatique est une forme d’improvisation non codée (à l’inverse de celle qu’on rencontre dans le jazz par exemple ). Elle n’appartient à aucun style, se veut expérimentale, collective, pluridisciplinaire et développe des valeurs sociales fortes.5Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse.

Dictée de sons bruitistes les yeux bandés – Classe de CE2

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BIOGRAPHIE

Pascale Goday

Musicienne — pédagogue née en 1972

Titulaire d’une maîtrise de musique (Université de Toulouse) et du Capes d’éducation musicale et de chant choral.

Parallèlement à une carrière d’enseignante, elle est dédicataire de plusieurs pièces de musique contemporaine pour voix soliste (Cinq propositions pour la voix, Le Méta Opéra...), elle pratique le hautbois et le chant également dans le répertoire baroque.

Dans son enseignement, elle met la musique et le son en relation constante avec notre environnement; en ce sens, son enseignement passe par une approche approfondie d’une écologie sonore supportant l’acte musical.

Aujourd’hui elle est professeur de musique au Collège international Marie de France à Montréal.

Crédit photo : Alain Joule

Crédit photo : Alain Joule

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

négociée. Forte de ce constat, je me suis mise à écouter autrement le monde sonore et j’ai découvert que la musique, avec tous ses paramètres, était présente autour de moi de manière naturelle.

Mon implication dans la musique baroque et les instruments anciens, la découverte et l’utilisation de la musique concrète, ma pratique assidue de l’improvisation ainsi que quelques rencontres déterminantes – je pense en particulier au poète et compositeur Alain Joule et au designer sonore Gilles Malatray – m’ont permis

de diversifier ma pratique musicale et d’enrichir mes réflexions sur les rapports que nous entretenons avec les sons. Cela ouvrait pour moi un champ pédagogique très large où les sons du quotidien pouvaient désormais participer à l’enrichissement d’un vocabulaire musical en perpétuelle évolution.

Les premières incidences de ces nouvelles perspectives sur ma pratique d’enseignement ont été de changer certaines consignes en signaux sonores. Ce changement en apparence anodine a néanmoins bouleversé mes habitudes et ma manière de gérer la classe. Progressivement, ma conception de l’autorité s’est transformée et j’ai établi un mode de fonctionnement très particulier, propre au cours

de musique. Ainsi, un motif au piano faisait taire les élèves et le son des crotales les faisait se lever pour commencer l’apprentissage d’un chant. Cette ritualisation des consignes proposée par le son était déjà une première introduction à l’écologie sonore.

Rapidement, j’ai questionné les modèles sur lesquels se basent les élèves en matière d’écoute. Ayant principalement enseigné au secondaire, dans des établissements à forte mixité sociale, j’étais confrontée à des schèmes musicaux restreints – trop souvent imposés par le dictat de l’industrie marchande – aux choix des supports d’écoutes, mais aussi à la perception qu’a l’élève de l’autre et de lui-même. Le rap, genre musical de prédilection des

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Promenade sonore dans l’établissement – Classe de CE2

6Edgar Varèse.7Le langage parlé produit du timbre, du rythme, des intensités, mais aussi des hauteurs... Il est de plus un incontournable vecteur de la communication sociale. Je souhaite mettre ce puissant médium sous-utilisé dans l’enseignement au cœur du dispositif d’écologie sonore. Chaque langue est porteuse de sa propre musicalité (Tomatis, 1979). Pourquoi ne pas envisager la parole en véritable instrument de musique capable de produire tous les sons et tous les sens vers une parole concertante polysémique au service de la création sonore?8Peace and Lobe, concert interactif qui prévient des troubles auditifs liés aux habitudes d’écoute des jeunes. Proposé par l’association toulousaine Avant-Mardi relais d’Agi-Son : https://federation-octopus.org/actions-culturelles/la-gestion-sonore/prevention-et-sensibilisation-aux-risques-auditifs/9Dans le sens, toujours connecté ou appareillé (écouteurs).

Réalisation d’affiches pour lutter contre le bruit dans les espaces communs de l’école – Classe de CM1

Crédit de toutes ces photos en milieu scolaire : Pascale Goday

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

adolescents, m’a permis d’intégrer la notion de bruit dans mes contenus d’enseignement. Comme j’avais une vision de la musique axée sur la création, l’expérimentation et l’improvisation, il m’était facile de concevoir des démarches pédagogiques incluant une diversité d’objets sonores.

J’apprenais également aux élèves à accepter leur voix sans vouloir ressembler à la chanteuse ou au chanteur à la mode, grâce à l’enregistreur numérique comme outil de captation sonore et de restitution. De ce fait, j’en suis vite arrivée à des propositions de création qui amènent les élèves hors des modèles musicaux conventionnels. Libérés de l’« obligation de conformité », ils peuvent

créer sans pression, sans peur de l’erreur ni de l’échec, inventant des modèles dont ils sont les seuls dépositaires et qui leur permettent d’exprimer leur singularité par le son.

Dès lors, Pierre Schaeffer, Pierre Henry, Michel Chion, Raymond Murray Schafer sont devenus des centres d’intérêt nourrissant ma vision de l’enseignement de la musique, la définissant comme « organisation des sons dans l’espace6 ». Il était important de faire comprendre aux élèves qu’il n’y a pas une musique, mais bien des musiques et que le simple fait de parler est déjà une musique en soi, celle du langage7. C’était un pas important vers ce que j’essaie de défendre aujourd’hui à travers une démarche pédagogique fondée sur l’enregistreur numérique. J’ai conçu des séquences d’apprentissage autour de la perception musicale du bruit qui amènent les élèves à créer des pièces musicales à partir d’objets sonores concrets tout en leur donnant accès à des exemples de situation révélant les dangers d’une écoute à trop fort volume8.

Arrivée à Montréal en août 2016 pour prendre mes fonctions de professeure de musique au Collège International Marie de France (CIMF), j’ai immédiatement été frappée par l’environnement sonore « saturé » de la ville ainsi que celui des élèves dans l’établissement scolaire; un véritable électrochoc qui n’a fait que confirmer la pertinence d’une sensibilisation à « l’entendre » et à « l’écouter ». Point de vue renforcé par les constats suivants :

En 20 ans, les élèves ont radicalement changé leurs habitudes d’écoute. Il nous faut maintenant composer avec des « générations mutantes » (Serres, 2012) où l’individu est continuellement « branché9 »;

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10Terme adapté du concept d’éco-éducation musicale développé par le professeur Vincent Bouchard-Valentine de l’UQAM. Mon approche est plus large et concerne tous les rapports à l’environnement sonore. Je ne limite pas mes interventions à la dimension esthétique et musicale, car si le musical est toujours sonore, le sonore, lui, n’est pas toujours musical.11« De l’école au lycée, le parcours d’éducation artistique et culturelle a pour ambition de favoriser l’égal accès de tous les élèves à l’art à travers l’acquisition d’une culture artistique personnelle. Rendu obligatoire par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 » : http://eduscol.education.fr/cid74945/le-parcours-d-education-artistique-et-culturelle.html

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Nous subissons une inflation constante du volume sonore lié à nos sociétés modernes de plus en plus mécanisées : asphyxie des signaux surnuméraires, domination des sens de la vue puis du toucher au détriment de l’ouïe;

Nos oreilles sont malmenées par l’industrie informatique qui, sous prétexte de donner accès à toujours plus d’information pour le plus grand nombre, compresse les formats audio pour prioriser la capacité de stockage plutôt que la qualité du son.

Forte de ces constats, et grâce à Madame Valérie Restrepo, directrice de l’école primaire du CIMF, qui croit en l’innovation éducative et en la nécessité de développer une Éco-Éducation-Sonore10 pour former les citoyens de demain, j’ai décidé de mettre en place un projet d’écologie sonore adapté à l’école. Les buts de ce projet sont de sensibiliser les élèves au monde sonore qui les entoure, d’améliorer leur capacité d’écoute et de développer leur sens critique.

Mis en place à l’automne 2017, à travers le Parcours d’Éducation Artistique et Culturelle11, ce projet permet de décloisonner les disciplines et de penser la musique à la croisée de tous les enseignements. Il s’agit ici de favoriser l’interdisciplinarité et de concevoir la création et l’expérimentation comme des outils d’apprentissage, sans occulter pour autant l’aspect préventif. Ce projet amène les élèves à prendre conscience de leurs habitudes d’écoute et à porter un regard critique sur leur environnement sonore.

Les actions se sont déployées progressivement. Au départ, il a fallu convaincre de la nécessité d’un tel projet. En ce sens, j’ai proposé plusieurs angles d’attaques (par les programmes officiels) afin que chaque enseignant puisse cheminer à son rythme, mais mes préoccupations concernant le monde sonore n’étaient pas celles de tous. J’ai amorcé seule le projet, commençant mon approche auprès des élèves. Celle-ci a trouvé écho auprès de quelques enseignants qui se sont rapidement intégrés. Aujourd’hui, des collaborations se créent

et une formation à la prise de conscience de la gestion du son par la communauté éducative est prévue à l’attention des enseignants.

Jusqu’à présent, les actions qui ont été menées sont protéiformes : réalisation avec les élèves de promenades sonores dans l’établissement afin de redécouvrir les lieux habituels; dictées de sons les yeux bandés; recueil de poèmes numérique à partir de la question « Comment vivez vous les sons dans votre classe ? »; conception d’affiches pour respecter le volume sonore des espaces communs; création et interprétation de partitions bruitistes, etc. Nous envisageons de développer les actions entreprises et les outils pédagogiques sur plusieurs années, désirant à l’avenir que l’Éco-Éducation-Sonore devienne une véritable préoccupation dans le milieu scolaire.

Comme l’air, le son accompagne chaque instant de notre vie, mais trop souvent à notre insu; de fait, il est nécessaire de le décoder, de le comprendre pour espérer avoir une incidence positive sur son émission. Les valeurs de nos sociétés contemporaines conduisent les individus à accepter l’inflation sonore voire à la rechercher : l’omniprésence des casques audio, la participation à des évènements dangereux pour les oreilles comme les raves parties en sont des exemples. Dans les constructions contemporaines, les qualités acoustiques des lieux sont rarement une priorité, que ce soit dans les logements ou dans les édifices publics. Une prise de conscience dès le plus jeune âge par l’éducation semble la voie du bon sens pour préparer un avenir plus serein. De plus, le conditionnement insidieux par le son permet aux manipulateurs qui en ont le contrôle d’agir en toute impunité.

En donnant l’opportunité aux élèves de comprendre les processus de cette soumission consentie par ignorance, l’écologie sonore pratiquée à l’école contribue à former les acteurs d’une nouvelle société fondée sur l’écoute et le partage dans le respect des différences.

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RÉFÉRENCES

Savouret A. (2010). Introduction à un solfège de l’audible : l’improvisation libre comme outil pratique. Lyon : Symétrie.

Tomatis, A. (1979). L’oreille et la vie : Itinéraire d’une recherche sur l’audition, la langue et la communication. Paris : Laffont.

Serres M. (2012). Petite Poucette. Paris : Le Pommier.

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Démystifier la technique vocale : petit guide à l’intention des professeurs de musique

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

LY S I A N E L A C H A N C E , chargée de cours et doctorante, Université du Québec à Montréal.

Vous aimeriez inclure davantage le chant dans vos cours de musique, mais vous sentez que vous manquez

de connaissances pour le faire? Vous avez tenté de lire sur le sujet, mais vous vous êtes senti perdu devant les informations bioméca-niques et techniques ? Voici quelques outils qui, je l’espère, sauront vous aider. Cet ar-ticle propose aux enseignants non chanteurs des moyens simples pour soutenir les élèves dans le développement d’habiletés vocales.

Le chant est une activité formidable à inclure dans la formation musicale des élèves de niveau primaire et secondaire, et ce, à faible coût! En formant une chorale, en montant une comédie musicale ou en intégrant de façon régulière des activités vocales dans vos cours, vous offrirez à vos élèves de riches opportunités de développement musical, social et personnel. Il n’est toutefois pas évident, pour un non chanteur, de mettre en œuvre une pédagogie du chant. Les ouvrages traitant de chant peuvent sembler complexes, car ils sont majoritairement axés sur la compréhension biomécanique de l’appareil vocal associée à l’émission sonore, à l’articulation, à la respiration, etc. Sachez que vos étudiants n’ont pas besoin de connaître tout cela pour pouvoir chanter. Bien entendu, s’ils étaient intéressés à poursuivre leur formation pour devenir chanteur professionnel et, surtout, professeur de chant, ils devraient acquérir ces connaissances. Il ne s’agit pas ici de mésestimer l’importance de ces connaissances, mais plutôt d’éviter de surcharger la mémoire de travail des jeunes élèves par un trop grand nombre de données qu’ils ne sauront pas traiter adéquatement, faute de connaissances antérieures suffisantes (Tardif, 1992).

L’IMPORTANCE DE L’ANTICIPATION

Une des particularités du chant tient au fait que l’instrument est à l’intérieur de soi : musicien et instrument ne font qu’un. En revanche, depuis leur plus tendre enfance, la plupart des élèves chantent naturellement, spontanément, sans prendre conscience de ce qu’ils font. Le travail de l’enseignant est d’amener chaque élève à développer cette prise de conscience pour obtenir une forme de contrôle sur son instrument. Mais comment faire lorsque nous ne sommes pas experts?

Pour émettre un son, il faut l’avoir anticipé mentalement (Fisher-Dieskau dans Koch, 1990). C’est un principe de base du fonctionnement du système sensorimoteur : l’intention guide l’action (Leao, 2002). Sans être un expert de la technique et du mécanisme vocal, vous avez la possibilité de faire beaucoup, simplement en utilisant ce principe d’anticipation par l’intention : il s’agit de formuler des consignes claires, axées sur le résultat sonore que vous désirez obtenir plutôt que sur la manière d’y arriver. Les explications biomécaniques et techniques sont à éviter, car elles risquent de bloquer l’émission sonore par une trop grande quantité de nouvelle information à traiter par la mémoire de travail (Sousa, 2002). Faites appel aux connaissances antérieures de vos élèves en faisant des liens avec ce qu’ils connaissent déjà et en stimulant leur imaginaire pour nourrir leur intention à partir d’images évocatrices adaptées à leur âge; pour éveiller les sensations liées aux résonateurs par exemple, vous pouvez les amener à imiter le rire d’une sorcière, le miaulement d’un chat ou une sirène de pompiers. Pour ressentir l’appui, vous pouvez leur demander de rire comme le Père Noël,

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Crédit photo : Maureen Adelson

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BIOGRAPHIE

Lysiane Lachance est doctorante à l’Université du Québec à Montréal en Études et pratiques des arts sous la direction d’Isabelle Héroux et de Nicole Harbonnier. Elle s’intéresse tout particulièrement à la corporéité dans la pratique du chant par l’utilisation du mouvement et de l’éducation somatique. Elle est également chanteuse et professeure de chant diplômée de l’Université Laval où elle a complété une double maîtrise en interprétation du chant classique et en didactique instrumentale, ainsi qu’un microprogramme en eutonie. Elle s’est également perfectionnée en chant classique à l’Académie de Musique Gnessin de Moscou. Elle est membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), de la Société québécoise de recherche en musique (SQRM), de la Canadian University Music Society (MusCan) et de Dalcroze Canada.

tout en vous assurant qu’ils démarrent le son au niveau du plancher pelvien, situé dans le bas du bassin, et non pas dans la poitrine ou la gorge.

Lorsque vous utilisez les métaphores et les images, vous devez cependant être très attentifs à la manière dont vos élèves les traduisent, pour éviter qu’elles induisent de mauvaises conceptions. Ainsi, en musique

nous utilisons fréquemment la notion de hauteur pour décrire les mouvements mélodiques. L’élève ne doit pas transposer corporellement la notion de hauteur. S’il visualise une note qui monte, il pourrait en effet être tenté de monter tout le corps pour atteindre la note. Vous pourrez le voir physiquement par le mouvement de sa tête. Ce mouvement vers le haut fait monter le larynx, qui lui doit demeurer le plus bas possible. Rappelez-vous : l’intention guide l’action! Un autre moyen d’abaisser le larynx est de passer par la respiration. Faites le test : expirez et sentez votre larynx descendre. Une

image souvent utilisée en chant est celle de chanter sur une ligne droite, afin d’éviter les mouvements de bas en haut. Vous pouvez également faire appel à l’imitation, en faisant entendre des chanteuses et des chanteurs à vos élèves. Assurez-vous cependant que vos modèles soient exemplaires sur le plan vocal. Évitez les chanteurs qui forcent leur voix, qui ont le son pris à l’arrière ou qui crient pour atteindre les aigus, car les élèves les imiteront forcément.

ATTENTION AUX TERMES UTILISÉS

Certains termes peuvent induire de mauvaises conceptions, malgré qu’ils soient couramment utilisés par les enseignants : placement de son, voix de poitrine et voix de tête. Débutons par le placement de son. Il est scientifiquement impossible de placer la voix en un point quelconque de l’anatomie (Simoneau, 1990). Le « contrôle » de la voix s’obtient grâce au contrôle de la pensée durant la phase anticipatoire. Une fois le son émis, il faut le laisser vibrer librement. L’exemple que je donne souvent est celui du lancer d’une balle de baseball. Le lanceur professionnel de baseball sait exactement ce qu’il doit faire corporellement pour obtenir le type de lancer, atteindre la vitesse et viser le point d’arrivée de la balle voulus. Mais une fois la balle lancée, il ne peut plus faire marche arrière. C’est la même chose en chant : une fois le son émis, il faut le laisser aller librement. Avoir la conception qu’il faut placer ou contrôler la voix ne crée que des tensions inutiles.

Pour ce qui est des voix de poitrine et de tête, ces termes correspondent scientifiquement aux mécanismes laryngés M1 et M2, aussi appelés mécanismes lourd et léger (Lamesch, 2010). En effet, nous pouvons émettre des sons en utilisant l’un ou l’autre des mécanismes. Chez un non-chanteur, le passage entre les deux sera audible. Faites le test en effectuant un glissando du grave vers l’aigu. Par contre, dans la tradition occidentale (classique, populaire, comédie musicale, etc.)

le mélange des deux mécanismes appelé voix mixte est privilégié, ainsi que l’égalisation des registres vocaux (grave, moyen, aigu). Les changements de mécanismes sont donc masqués. C’est pourquoi je vous conseille d’utiliser les termes de voix de poitrine et de tête avec parcimonie, car ils peuvent freiner l’élève dans son apprentissage s’il croit qu’il doit alterner continuellement entre les deux mécanismes. Certes, il est normal de sentir davantage de vibrations au niveau de la poitrine dans le registre grave et au niveau de la tête dans le registre aigu, mais il ne faut pas concentrer ces registres exclusivement sur ces zones du corps. L’instrument du chanteur est son corps en entier! Personnellement, j’ai vu une grande différence chez mes élèves depuis que j’ai cessé d’utiliser ces termes.

JOUER AVEC LA PHONÉTIQUE

Il ne sert à rien de répéter continuellement les mêmes exercices, s’ils ne correspondent pas à ce que vos élèves ont besoin d’exercer. Afin de travailler la résonance, l’articulation et l’émission sonore, vous pouvez utiliser les principes de la phonétique. Voici donc quelques outils qui pourront vous aider à concevoir des exercices vocaux adaptés aux besoins de vos élèves.

Chacune des voyelles et des consonnes a un emplacement naturel dans la bouche, une manière naturelle d’être émise (Martin, 1996). Explorez-les avec vos élèves afin qu’ils les découvrent, les ressentent physiquement et les conscientisent. Pour éveiller la résonance, il faut stimuler les cavités nasales. Utilisez donc des consonnes nasales telles que : GN, N, M. Si vos élèves manquent de projection sonore ou que leur articulation est trop molle, utilisez des consonnes qui sont très percussives telles que les T et les P. Bien entendu, vous ne pouvez changer le texte de la chanson. Il s’agit davantage de créer des référents qui pourront être réutilisés par vos élèves. Vous pouvez donc changer momentanément la consonne du mot qui pose problème par un T ou un P, puis, une

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fois qu’ils auront compris, demander à vos élèves de chanter le texte original, mais de la même façon qu’avec le T ou le P. Vous les amènerez alors à faire un transfert des connaissances tout en développant leur écoute proprioceptive.

Pour ce qui est des voyelles, durant votre exploration, vous découvrirez que le son I est à l’avant de la bouche, alors que le son A est complètement à l’arrière et que le son O est au centre. Lorsque nous chantons, la résonnance sonore doit toujours être à l’avant, au niveau de la bouche et du nez. Que faire lorsque la pièce demande de chanter des vocalises sur le son A ? Plus vous amènerez vos élèves à prendre conscience de leurs sensations, plus ils seront en mesure de déplacer la résonance à leur guise. En chant, nous disons qu’il faut chanter le A dans le moule du I. Cela veut dire de chanter un A tout en ressentant la vibration à l’avant, comme lorsque nous chantons un I. Petit truc : faites des vocalisent qui combinent consonnes et voyelles. Elles seront beaucoup plus faciles à exécuter, moins exigeantes pour les cordes vocales et vous obtiendrez plus facilement le résultat sonore escompté. Pour chanter les A dans le moule du I tout en étant dans les résonateurs, combinez une consonne nasale, l’I, puis l’A (Gnia, Nia, Mia). Vous pouvez aussi utiliser l’Y comme consonne (ex : Ya, Yo, You). Jouez ainsi avec différentes combinaisons de voyelles et de consonnes comme avec les ingrédients d’une recette!

AU PRIMAIRE

Au 1er cycle du primaire, les élèves sont jeunes. Axez donc vos interventions sur le plaisir, sur la découverte et sur l’exploration en ayant recours à des activités ludiques. Profitez de leur énergie et de leur envie de jouer pour travailler le chant en mouvement. Faites-leur découvrir leur instrument en leur faisant comprendre qu’il fait partie d’eux. Faites quelques étirements physiques, afin de disposer le corps au travail vocal et

d’éviter les tensions néfastes. Puis, faites-leur explorer la vibration sonore dans leur corps : dans la poitrine, la tête, le nez, etc. Qu’ils imitent le Père Noël, le singe, la souris! Ce temps d’exploration leur permettra non seulement de découvrir leur voix, mais également de développer leur capacité à porter attention à leurs sensations, à ce qui se passe à l’intérieur d’eux, c’est-à-dire à la proprioception. Questionnez-les sur ce qu’ils perçoivent et ressentent afin de les amener à pouvoir exprimer verbalement leur ressenti physique. Demandez-leur d’exécuter et de créer différents sons : beaux, laids, forts, doux, etc. Utilisez leur imagination. Vous pouvez également créer des activités d’improvisation ou une histoire à partir des sons des élèves. Pour le 2e cycle du primaire, adaptez simplement les activités à leur âge et à leur niveau de connaissances musicales; ils ont autant besoin d’explorer leur instrument et de travailler le corps que les élèves du premier cycle.

AU SECONDAIRE

Avec l’arrivée de la puberté, les élèves n’ont pas le même rapport au corps que durant l’enfance. Ils se préoccupent davantage de leur image, de l’approbation des pairs et ont peur du ridicule (Devernay et Viaux-Savelon, 2014). Cela n’empêche pas qu’ils ont besoin de prendre conscience de leur instrument et de développer leur proprioception. Pour travailler le souffle, l’appui et le focus, faites-les souffler lentement dans une paille tout en leur demandant d’être attentif à ce qui se passe dans leur corps. Puisqu’ils sont en pleine période de croissance, leur tonus est généralement assez bas. À cet âge, le simple fait d’être debout relève de l’exploit! Débutez donc vos séances par un échauffement vocal qui inclura l’exploration sonore et vibratoire, mais également quelques exercices physiques afin d’augmenter leur tonus. Faites-les chanter en position assise, si cela est nécessaire.

En revanche, les adolescents sont davantage en mesure de comprendre les explications d’ordre technique et ont un plus grand nombre de référents liés à la théorie musicale. Afin de stimuler leur motivation, ils auront besoin de comprendre l’objectif derrière l’exercice (Akoun et Pailleau, 2015). Aussi l’utilisation d’images ludiques ne cadrera-t-elle pas du tout avec leur âge. Stimulez plutôt leur anticipation par des demandes claires liées aux concepts musicaux et au schéma corporel. N’hésitez pas à leur montrer des vidéos où l’on voit la mécanique vocale de l’intérieur. Encore une fois, ne les surchargez pas d’informations biomécaniques. Les images parleront d’elles-mêmes. Il s’agit simplement de vous assurer qu’ils développent une représentation juste de leur corps-instrument. Vous pouvez aussi inclure l’imitation, encore une fois à condition que le modèle soit une bonne référence.

Pour ce qui est de la mue chez les garçons, assurez-vous qu’ils ne forcent pas pour émettre le son, ce qui aggraverait l’effet de la mue. Ils doivent détendre davantage la mâchoire, la langue, le larynx, s’ils veulent limiter les effets sonores indésirables. Il se peut qu’ils aient peur de chanter et de paraître ridicules. Rassurez-les en leur faisant comprendre que c’est normal et que vous comprenez que ce n’est pas volontaire de leur part. Si vous dirigez une chorale, laissez-les changer de pupitre lorsqu’ils en ressentent le besoin. Pendant un certain temps, qui varie d’un garçon à l’autre, ils auront le sentiment d’avoir deux voix : une voix parlée et une voix chantée. Continuez de leur faire travailler leur voix d’enfant qui deviendra la voix de flageolet. Vous pouvez faire des vocalises en mouvement descendant en partant de l’aigu, puis en mouvement ascendant, l’objectif étant d’assouplir le passage entre le médium et l’aigu. Ici, la détente est primordiale. Souvenez-vous de ce petit truc : s’ils démarrent avec un son trop lourd et trop large, ils ne pourront pas atteindre les aigus. Finalement, assurez-vous de ne pas

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RÉFÉRENCES

Akoun, A. et Pailleau, I. (2015). Keep calm et réussis tes examens. Paris : Eyrolles.

Devernay, M. et Viaux-Savelon, S. (septembre 2014). Développement neuropsychique de l’adolescent : les étapes à connaître. Réalités pédiatriques, no 187, dossier Neurologie, p. 2-3, consulté le 8 février : https://www.realites-pediatriques.com/dossier/dossier-neurologie/

Koch, E. (1998). La légende du chant : Dietrich Fischer-Dieskau. Paris. Éditions Flammarion. p. 57.

Lamesch, S. (2010). Mécanismes laryngés et voyelles en voix chantée. Dynamique vocale, phonétogrammes de paramètres glottiques et spectraux, transitions de mécanismes. Thèse de doctorat. Université Pierre et Marie Curie - Paris VI. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00488701/document

Leao, M. (2002). Le pré-mouvement anticipatoire : la présence scénique et l’action organique du performer : méthodes d’entraînement à travers la méthode Danis Bois. Thèse de doctorat. Université Paris 8. p.168.

Martin, P. (1996). Éléments de phonétique avec application au français. Les Presses de l’Université Laval. p. 87.

Simoneau, L. (1990). L’Art du Bel Canto. Montréal. Éditions du Boréal.

Sousa, D.A. (2002). Un cerveau pour apprendre : comment rendre le processus enseignement-apprentissage plus efficace. Montréal : Chenelière. p. 46-47.

Tardif, J. (1992). Pour un enseignement stratégique : L’apport de la psychologie cognitive. Coll. « Théories et pratiques dans l’enseignement ». Montréal : Logiques. p. 37.

travailler des pièces trop exigeantes. Il s’agit en effet de jeunes cordes vocales encore en développement.

En terminant, faites confiance aux capacités naturelles de vos élèves. Servez-vous de leurs connaissances antérieures et de leur imagination pour nourrir l’intention juste qui déclenchera les mécanismes naturels

du chant. Stimulez leur imagination et leur proprioception en les amenant à découvrir leur instrument dans le plaisir et surtout de manière naturelle, sans les surcharger d’informations théoriques et biomécaniques. Faites-leur découvrir le plaisir non seulement du chant, mais également de l’exploration et de la découverte d’un instrument qui les accompagne chaque jour : la voix.

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Crédit photo : Vincent Morissette, VM Photographie

Approche musico-sociale Jeunes musiciens du monde : l’apprentissage musical pour le développement personnel d’enfants et d’adolescents issus de milieux à risque

A P P R O C H E S P É D A G O G I Q U E S

A M É L I E R O Y , conseillère en transfert et innovation en éducation.

RÉSUMÉ

L’apprentissage musical peut amener les enfants et les adolescents à explorer, à découvrir, à coopérer, à créer, à se dépasser… à se développer de façon harmonieuse. L’organisme de bienfaisance Jeunes musiciens du monde qui utilise le slogan « Quand la musique change des destins! » pour exprimer sa vision et sa raison d’être, l’a bien compris et a choisi de s’y consacrer pleinement. L’approche musico-sociale déployée par les membres des équipes-écoles de Jeunes musiciens du monde permet à des centaines de jeunes issus de milieux à risque d’établir une relation de confiance avec un adulte significatif, de vivre des interactions sociales positives, d’apprendre la musique à leur rythme, de jouer un rôle actif dans leurs apprentissages et de participer à des activités ludiques axées sur la musique ressentie.

INTRODUCTION

Jeunes musiciens du monde a pour mission de favoriser le développement personnel d’enfants et d’adolescents issus de milieux à risque au moyen d’activités musicales offertes gratuitement. Les membres des équipes-écoles aspirent à ce que chaque élève puisse développer la motivation dont il a besoin pour réaliser ses rêves et participer de façon constructive à quelque chose de plus grand que soi. L’approche musico-sociale Jeunes musiciens du monde permet à des centaines d’enfants et d’adolescents âgés de 0 à 18 ans d’apprendre la musique dans le plaisir au sein d’une véritable petite communauté, entourés d’adultes bienveillants qui les font se sentir appréciés, qui les incitent à croire en eux et qui les encouragent à prendre des initiatives pour développer leur plein potentiel. On y cible plus particulièrement

l’appartenance sociale, l’estime de soi et l’autonomie des élèves, trois indicateurs du bien-être psychologique qui sont associés à la motivation, à des aspirations positives et à une participation active à la vie en société (Deci et Ryan, 2008; Denault et Poulin, 2012; Furlong, Gilman et Huebner, 2014; Linley et Joseph, 2004). Pour les jeunes issus de milieux à risque, qui sont souvent exposés dans leur environnement à des facteurs qui peuvent nuire à leur développement (pauvreté, manque de stimulation intellectuelle, dysfonctions familiales, accès limité à des activités de loisir organisées), ce sont là des facteurs de protection qui diminuent la probabilité de vivre des difficultés d’adaptation sociale ou d’abandonner l’école de façon prématurée (Fortin, Royer, Potvin, Marcotte et Yergeau, 2004; Mazza et al., 2017; O’Neill, 2005; Rumberger, 2011; Vandell, Larson, Mahoney et Watts, 2015).

Jeunes musiciens du monde est né de l’initiative de Mathieu Fortier, Blaise Fortier, Agathe Meurisse-Fortier et Ustad Hameed Khan, réunis en Inde en 2001. Animés par le désir d’améliorer les perspectives d’avenir de jeunes marginalisés sur le plan socioéconomique, ils fondent la Kalkeri Sangeet Vidyalaya, une école de quartier offrant gratuitement un programme éducatif permettant aux enfants et aux adolescents d’acquérir des habiletés musicales tout en réalisant des apprentissages essentiels dans les matières scolaires de base. L’intérêt suscité par ce projet novateur retentit au Québec et mène en 2003 à l’ouverture de l’école Jeunes musiciens du monde du quartier Saint-Sauveur dans la région de Québec. Les élèves de cette école ont l’occasion de suivre gratuitement des cours

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BIOGRAPHIE

Amélie Roy est conseillère en transfert et innovation au Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ)t1. Aussi détentrice d’un doctorat en mesure et évaluation en éducation de l’Université Laval, elle développe et coordonne des projets variés qui permettent la mobilisation des connaissances et l’évolution des pratiques au sein d’établissements scolaires et d’organismes qui se dédient à la réussite éducative et au développement personnel des enfants et des adolescents. Dans le cadre de ses fonctions au CTREQ, Amélie Roy travaille depuis plusieurs années avec les membres de l’équipe de direction de Jeunes musiciens du monde pour les aider à documenter leur approche innovante, à favoriser l’harmonisation des pratiques au sein de l’organisme et à évaluer l’effet des actions posées par les membres des équipes-écoles sur le développement personnel des élèves.

1 Le Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ) a pour mission de promouvoir l’innovation et le transfert de connaissances pour accroitre la réussite éducative au Québec. Il base ses actions sur les pratiques innovantes et les connaissances scientifiques. Ces actions sont guidées par quatre orientations : 1) accroître la synergie entre les acteurs de la recherche, du terrain et les organisations, 2) stimuler l’évolution des pratiques en réussite éducative, 3) contribuer au développement d’une culture scientifique et d’innovation en éducation et 4) renforcer l’expertise en transfert et en innovation éducative et sociale.

de musique après les heures de classe avec des professeurs décidés à transmettre leur passion. Par la suite, trois nouvelles écoles voient le jour : l’école de Montréal dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve (2004),

l’école de Kitcisakik dans la réserve faunique La Vérendrye en Abitibi-Témiscamingue (2008) et l’école de Sherbrooke dans le quartier Ascot (2011).

Aujourd’hui, Jeunes musiciens du monde constitue une véritable entreprise sociale qui

regroupe plus de 1 500 jeunes dont 1 200 au Québec et 300 en Inde. Les statistiques produites par l’organisme indiquent aussi un taux de rétention des élèves de plus de 90 % au Québec. Dans la foulée de sa croissance, Jeunes musiciens du monde a entrepris en 2015 de documenter et de modéliser son approche musico-sociale en collaboration avec le Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ). Les travaux réalisés ont mené à la production d’un guide (cadre de cohérence) basé sur les savoirs d’expérience des membres des équipes-écoles, accumulés depuis plus de 15 ans, et sur les connaissances scientifiques les plus récentes et pertinentes au regard de l’approche. Ce guide permettra à Jeunes musiciens du monde d’assurer sa pérennité et de maximiser les retombées de ses actions auprès des enfants et des adolescents.

L’APPROCHE MUSICO-SOCIALE JMM

Les enfants et les adolescents qui fré-quentent Jeunes musiciens du monde ont l’occasion d’apprendre à jouer d’un instru-ment de musique (voix, piano, violon, gui-tare, ukulélé, percussions) et de participer à des activités variées qui vont de l’éveil mu-sical pour les tout-petits aux bands pour les adolescents, en passant par l’exploration et la découverte du monde de la musique pour les enfants qui s’initient à l’art. À travers les activités d’apprentissage axées sur le jeu et la musique ressentie qui leur sont proposées, les jeunes acquièrent à leur rythme des ha-biletés musicales et des habiletés socioémo-tionnelles (conscience de soi et des autres, gestion de ses émotions, compétence rela-tionnelle, interdépendance) qui contribuent à leur bien-être psychologique et à leur développement personnel (Weissberg, Durlak, Domitrovich et Gullota, 2015). Mais avant tout, ils trouvent à Jeunes musi-ciens du monde un milieu inclusif au sein duquel ils peuvent vivre une expérience enri-chissante avec des pairs et des adultes bien-veillants. Les membres des équipes-écoles (les professeurs, l’intervenant social et la

direction) travaillent en étroite collaboration pour aider tous les élèves à développer leur plein potentiel à partir de leurs forces et de leurs beautés individuelles. Pour favoriser ce travail en collaboration et faciliter la diffusion de l’expertise au sein de l’organisme, ils ont instauré des communautés de pratique qui leur permettent d’enrichir et d’harmoniser leurs interventions.

ÉTABLIR UNE RELATION DE CONFIANCE

L’approche musico-sociale Jeunes musiciens du monde est fondée sur l’établissement d’une relation de confiance entre le professeur et l’élève, la base de toute action éducative. Le professeur agit à titre de mentor ou d’adulte significatif en cherchant à connaître l’enfant ou l’adolescent derrière chaque élève qu’il accompagne pour découvrir qui il est et ce qui l’anime. Les jeunes qui établissent une relation de confiance avec leur professeur se sentent aimés et en sécurité. Sachant qu’ils peuvent compter sur quelqu’un s’ils font face à des difficultés, ils ont tendance à prendre des « risques » (essayer quelque chose de nouveau, amorcer une discussion avec un autre élève, monter sur scène lors d’un spectacle, entreprendre une pièce musicale difficile) qui leur permettent de vivre des expériences enrichissantes sur le plan personnel (Hamre et Pianta, 2001; Larose, 2012; Lerner, Napolitano, Boyd, Mueller et Callina, 2013; Pianta, Hamre et Allen, 2012). En contexte éducatif, plusieurs études montrent que l’intention d’agir et l’apprentissage naissent de cette confiance qui existe entre l’élève et l’enseignant (Pianta, Hamre et Allen, 2012; Wentzel, 2016). Par ailleurs, dans les milieux à risque, certains enfants et adolescents n’ont pas l’occasion de créer un lien affectif avec un adulte significatif qui croit en leur capacité de réussir. Pour ces jeunes en particulier, le professeur de musique peut devenir une importante figure d’attachement.

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VIVRE DES INTERACTIONS SOCIALES POSITIVES

L’approche musico-sociale Jeunes musiciens du monde mise sur la création d’interactions sociales positives pour favoriser l’apprentissage musical et le développement personnel des enfants et des adolescents. Les professeurs questionnent leurs élèves à propos de leurs intérêts, jouent de la musique avec eux de manière informelle, les encouragent à faire des choix et à prendre des responsabilités, leur donnent des rétroactions positives, tiennent compte de leurs préférences, etc. Ces interactions contribuent à l’appartenance sociale, à l’estime de soi et à l’autonomie des enfants et des adolescents (Ruzek et al., 2016; Pianta, Hamre et Allen, 2012). En plus de cette relation de qualité qu’ils ont l’opportunité d’établir avec leur professeur, les élèves apprennent la musique en petits groupes avec des pairs qui ont choisi le même instrument de musique qu’eux et qui partagent leur intérêt. Cet apprentissage en groupe facilite l’acquisition d’habiletés socioémotionnelles reliées à la conscience des autres et à la compétence relationnelle (écoute, empathie, résolution de conflits, leadership). En favorisant l’entraide et le travail d’équipe, les professeurs aident les élèves à améliorer leurs apprentissages musicaux tout en leur permettant d’acquérir ces habiletés socioémotionnelles qui contribuent à leur développement personnel.

Outre les cours réguliers d’instrument de musique, certaines activités musicales offertes à Jeunes musiciens du monde ont été spécialement conçues pour favoriser la création d’interactions sociales positives. Le programme « Les Bands » permet par exemple aux adolescents de jouer un rôle actif au sein d’un ensemble musical lors d’un processus de création collective. Les élèves qui participent à ce programme ont l’occasion de prendre des initiatives et des responsabilités tout en vivant une expérience d’interdépendance. Ils poursuivent non seulement des objectifs d’apprentissage

individuels (liés à des défis personnels), mais aussi des objectifs d’apprentissage communs. La poursuite de ces objectifs peut mener au développement d’un sentiment d’efficacité collective, c’est-à-dire la confiance qu’ont les membres du groupe en leur capacité d’atteindre leur but commun (Bandura, 2007; Goddard, Hoy et Hoy, 2004; Johnson et Johnson, 2009; Zimmerman, 2000). Cette confiance détermine chez les participants la motivation à fournir les efforts nécessaires pour atteindre ce but et vivre ensemble une réussite. Le programme « Les Bands » offre donc un contexte favorable à la création d’interactions sociales positives qui peuvent favoriser l’appartenance sociale, l’estime de soi et l’autonomie des élèves.

Pour sa part, le programme « Jeunes musiciens sur scène » permet aux élèves de s’initier progressivement au spectacle en présentant le fruit de leurs efforts à un public. En plus d’aider les enfants et les adolescents à développer des habiletés socioémotionnelles liées à la conscience de soi et à la gestion de ses émotions (stress ou anxiété), ce programme favorise la création d’interactions sociales positives. Lors des spectacles, les jeunes ont souvent l’occasion de jouer aux côtés de leurs pairs, de leurs professeurs ou même d’artistes invités qui agissent comme modèles inspirants. Les élèves peuvent s’identifier à ces modèles, considérés comme des partenaires égaux, et se sentir eux aussi compétents ou encore s’en inspirer pour acquérir de nouvelles habiletés musicales (Bandura, 2007; Liang, Spencer, West et Rappaport, 2013; Rhodes, Spencer, Keller, Liang et Noam, 2006). Le programme « Jeunes musiciens sur scène » contribue ainsi au développement de la confiance qu’ont les élèves en leur capacité de réussir ou d’accomplir quelque chose de grand.

APPRENDRE À SON RYTHME

À Jeunes musiciens du monde, le but poursuivi par les membres des équipes-écoles est celui d’amener chaque élève à avoir du plaisir dans l’apprentissage, à poursuivre ses intérêts et à se dépasser en vue de se développer sur le plan personnel, et non celui de former des musiciens professionnels. Les enfants et les adolescents apprennent donc la musique à leur rythme. Alors que certains évoluent rapidement et s’intéressent à des notions complexes, d’autres n’ont jamais eu l’occasion d’acquérir des habiletés musicales préalablement et apprennent plus lentement. Pour s’assurer de répondre aux différents besoins individuels, les professeurs et les intervenants sociaux de Jeunes musiciens du monde recueillent de façon continue des données d’observation à propos des apprentissages et du développement personnel des élèves qu’ils accompagnent afin de suivre leurs progrès. Sur le plan musical, les observations portent sur les manifestations de l’apprentissage liées aux habiletés ciblées pour l’enseignement alors que sur le plan personnel, elles concernent les comportements des élèves (paroles, gestes, actions) qui fournissent de l’information sur leurs intérêts et leurs habiletés socioémotionnelles. Une fois analysées et interprétées, ces données permettent aux membres de l’équipe-école de mieux connaître les élèves et de leur proposer des défis qu’ils peuvent relever tout en se dépassant. Elles leur permettent de vérifier l’efficacité de leurs interventions et de choisir les stratégies les plus appropriées pour aider chaque jeune à développer son potentiel. Les professeurs s’appuient sur des « preuves » pour décider quoi enseigner à qui et comment. Cette pratique qui consiste à suivre le progrès des élèves à l’aide de données d’observation pour améliorer la qualité de l’enseignement et l’apprentissage est appuyée par la recherche en contexte éducatif (Brown-Chidsey et Steege, 2010; O’Neill, Albin, Storey, Horner et Sprague, 2014; Theodore, 2017).

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JOUER UN RÔLE ACTIF DANS SES APPRENTISSAGES

À Jeunes musiciens du monde, l’élève et le professeur sont considérés comme des partenaires égaux qui partagent la responsabilité de la réussite. Les enfants et les adolescents jouent un rôle actif dans leurs apprentissages et ils sont amenés à développer leur capacité d’agir de façon responsable sur leur environnement. Les professeurs soutiennent l’autonomie de leurs élèves en les invitant à participer au choix des pièces musicales et des activités, en leur confiant des responsabilités (aider à l’animation d’une activité, aider les élèves qui ont des difficultés, participer à l’organisation d’un spectacle), en les laissant expérimenter différentes stratégies de travail, en les encourageant à exprimer leur point de vue de façon respectueuse et en les aidant à établir des liens entre les apprentissages qu’ils réalisent et leur vie personnelle. Plusieurs études réalisées en contexte éducatif et dans le domaine de la musique suggèrent que le soutien à l’autonomie est associé à l’engagement et à la motivation (Jang, Reeve et Deci, 2010; Renwick et Reeve, 2012). Lorsqu’ils jouent un rôle actif dans leur processus d’apprentissage, les enfants et les adolescents ressentent qu’ils sont à l’origine de leurs actions, ce qui les incite à participer volontairement aux différentes activités qui leur sont proposées. Ainsi, ils sont dans de meilleures dispositions pour développer les habiletés musicales et les habiletés socioémotionnelles qui ont été ciblées.

RESSENTIR LA MUSIQUE

À Jeunes musiciens du monde, les élèves apprennent principalement par le jeu. Ils

peuvent inventer et sonoriser une histoire en groupe, proposer des symboles écrits pour représenter une pièce musicale, bouger sur le rythme de la musique, marcher sur une portée géante, expérimenter les différentes façons de faire sonner un instrument de musique en donnant des noms loufoques aux gestes qui caractérisent la technique instrumentale, etc. Puisqu’elles sont basées sur le plaisir et l’expérimentation, ces activités ludiques sont de nature à susciter l’intérêt des jeunes et à favoriser leur engagement ou leur pleine concentration. Elles offrent un contexte d’apprentissage signifiant dans lequel les enfants et les adolescents peuvent explorer les différents concepts musicaux en utilisant leur sens créatif, ce qui favorise leur motivation (Davis et al., 2013; McPherson, 2016; Pellegrini, 2009; Trawick-Smith, 2012).

Les professeurs choisissent ou créent leurs activités d’apprentissage en fonction de ce qu’ils souhaitent faire expérimenter aux élèves ou de ce qu’ils cherchent à développer chez eux : à la fois des habiletés musicales et des habiletés socioémotionnelles. Lors d’une activité qui consiste par exemple à associer des images à des émotions ressenties lors de l’écoute d’une pièce musicale, les jeunes développent leur capacité à apprécier cette pièce musicale, mais aussi leur habileté à reconnaître leurs propres émotions et à les exprimer de façon appropriée. Lorsqu’ils bougent ensemble sur le son de la musique, les élèves intègrent différents concepts musicaux tout en apprenant à s’affirmer et à prendre leur place au sein d’un groupe. À Jeunes musiciens du monde, les professeurs précisent leur intention pédagogique et expliquent clairement aux enfants et aux adolescents ce qu’ils pourront développer

sur les plans musical et personnel. Ils mettent à profit leur créativité pour concevoir des activités d’apprentissage qui permettent aux élèves de vivre la musique pour mieux la comprendre tout en acquérant des habiletés socioémotionnelles importantes liées à la conscience de soi, à la conscience des autres, à la gestion de ses émotions, à la compétence relationnelle et à l’interdépendance.

CONCLUSION

L’approche musico-sociale Jeunes musiciens du monde se traduit par un ensemble de pratiques appuyées par la recherche et par les savoirs d’expérience des membres des équipes-écoles de l’organisme. Elle permet à des centaines d’enfants et d’adolescents issus de milieux à risque d’établir une relation de confiance avec un adulte significatif, de vivre des interactions sociales positives, d’apprendre à leur rythme, de jouer un rôle actif dans leurs apprentissages et de ressentir la musique pour mieux la comprendre. Cette expérience enrichissante favorise l’appartenance sociale, l’estime de soi, l’autonomie, la motivation et le développement d’aspirations positives chez les élèves. Les membres des équipes-écoles de Jeunes musiciens du monde sont les témoins privilégiés d’événements extraordinaires qui résultent de leurs interventions : un tout-petit qui s’émerveille lorsqu’il voit un violoncelle pour la première fois, un enfant timide qui accepte de monter sur scène pour présenter le fruit de ses efforts à un public, un adolescent qui exerce son leadership au sein d’un ensemble musical, etc. Pour eux et pour tous ceux qui connaissent Jeunes musiciens du monde, il ne fait aucun doute que la musique change des destins.

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Chronique Musique et apprentissages !V É R O N I Q U E G A B O U R Y , étudiante au doctorat en éducation musicale, Faculté de musique, Université Laval.

J O N AT H A N B O L D U C , titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages, professeur titulaire en éducation musicale au préscolaire et au primaire, Faculté de musique, Université Laval.

Dans le domaine de la recherche, les méta-analyses sont des sources de références fiables. Colligeant

plusieurs études qui traitent d’un même sujet, elles permettent une analyse plus précise des données dans le but de tirer des conclusions générales. Dans la chronique de ce numéro, nous ferons le survol de la méta-analyse réalisée par Reina L. Gordon et ses collègues de l’Université Vanderbilt à Nashville aux États-Unis. Publiée en 2015, elle examine l’influence de la formation musicale sur le développement des habiletés en lecture à partir de treize études distinctes.

Dans un premier temps, pour assurer la validité de leur travail, Gordon et son équipe ont tenu compte de cinq critères. Entre autres, chaque étude choisie devait : 1) inclure un groupe témoin actif; 2) com-porter un prétest ainsi qu’un post-test; 3) offrir un temps d’enseignement musical plus long au groupe expérimental; 4) propo-ser un enseignement de la lecture équivalent entre le groupe expérimental et le groupe contrôle et, enfin, 5) présenter des résultats liés à la lecture. À cet égard, les études ont été classées en deux catégories : celles por-tant sur la conscience phonologique et celles concernant la fluidité en lecture.

Dans un deuxième temps, ces treize études ont été codées selon des caractéristiques méthodologiques précises. Le nombre total d’heures d’intervention musicale, le type d’activités effectué par les enfants du groupe contrôle (phonologique, sportif, artistique ou musical), le niveau d’assignation aléatoire des groupes, l’âge, le type de population, le statut socio-économique et le quotient intellectuel ont notamment été considérés.

Cette méta-analyse montre des bénéfices modestes en conscience phonologique (principalement au sujet des rimes) pour les groupes ayant suivi une formation musicale. L’analyse suggère qu’au moins 40 heures de formation musicale seraient nécessaires pour obtenir une amélioration significative sur ce plan. Selon Gordon et ses collaborateurs, certaines études manquent d’informations sur l’équivalence entre les groupes, rendant les conclusions générales plus difficiles. Du côté de la fluidité en lecture, aucune amélioration globale n’a été observée pour les groupes ayant suivi une formation musicale par rapport aux groupes témoins.

Pour l’équipe de Gordon, il est possible de soutenir l’hypothèse que les habiletés musicales partagent plus de variance avec les habiletés de conscience phonologique (en raison de leurs composantes auditives) que celles en fluidité de la lecture. Même si les gains sur le plan de la conscience phonologique sont limités, les chercheurs croient qu’ils doivent être considérés. Dans des recherches ultérieures, il est fortement conseillé de réduire l’hétérogénéité et les biais potentiels pour mener à des résultats plus probants.

En somme, les méta-analyses sont des écrits qui sont reconnus pour leur validité. Dans celle de Gordon et ses collègues, on constate un apport plus limité de la formation musicale sur le développement des habiletés en lecture, notamment en conscience phonologique. Les recherches doivent se poursuivre afin de mieux documenter ce sujet d’étude.

BIOGRAPHIE

Jonathan Bolduc, Ph.D, est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la musique et les apprentissages, et professeur titulaire en éducation musicale à la Faculté de musique de l’Université Laval (Québec). Les recherches qu’il mène au quotidien avec son équipe au sein du laboratoire Mus-Alpha (www.mus-alpha.com) visent à documenter l’impact de l’éducation musicale sur le développement global de l’enfant et sur la réussite scolaire. Ses travaux sont publiés dans plusieurs revues scientifiques et présentés lors de colloques savants dans de nombreux pays. Pédagogue, formateur et chercheur reconnu, il a obtenu le Prix d’excellence en Éducation de l’Université d’Ottawa en 2012 pour un enseignement de qualité exceptionnelle jumelé à un solide programme de recherche. Jonathan Bolduc est membre de l’OICRM (oicrm.org) et du BRAMS (brams.org), l’International Laboratory for Brain, Music and Sound Research.

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BIOGRAPHIE

Véronique Gaboury détient une maîtrise en éducation à l’Université du Québec à Rimouski sous la direction de Natalie Lavoie et sous la codirection d’Andrée Lessard. Elle possède aussi un baccalauréat en enseignement de la musique avec l’Université du Québec à Montréal ainsi que vingt années d’expérience en enseignement de la musique au primaire et au secondaire. Durant ses années d’enseignement, Mme Gaboury a instauré une option musique à l’école primaire (chant choral, comédie musicale et guitare) et elle a reçu sept prix Essor régionaux pour divers projets qu’elle a réalisés. Véronique Gaboury poursuit présentement des études doctorales en éducation musicale à l’Université Laval. Elle est coordonnatrice d’un projet de recherche subventionné par le CRSH et elle est boursière du FRQSC.

RÉFÉRENCES

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Penser la posture d’accompagnement Être « au-dessus », « derrière » ou « à côté de » l’apprenant.M U R I E L D E LTA N D , titulaire du programme de formation en éducation musicale des futurs enseignants du primaire à la Haute École Bruxelles-Brabant et chercheuse permanente au Laboratoire CIREL, équipe Trigone, Université de Lille 1.

Accompagner : un acte rendant capable toute personne d’être agent de changement. Bertrand Schwartz, 19811

INTRODUCTION

Quelle que soit la filière entreprise par les apprenants, tant dans le champ de l’éducation que dans celui de la formation, on assiste à une montée en puissance des discussions sur la question de l’accompagnement des apprenants en situation d’apprentissage. Qu’il soit « individualisé », « personnalisé » ou « particularisé », qu’on l’intitule « accompagnement éducatif ou pédagogique », « accompagnement à la scolarité », « accompagnement en situation » ou qu’on tente la mise en place de dispositifs alliant les avantages des uns ou des autres, les questions centrales restent identiques : comment accompagner les apprenants pour qu’ils puissent réussir à acquérir les apprentissages visés par les dispositifs ? Et quelles sont les postures les plus adéquates pour cette mission ? Dans le cas du champ artistique, une question supplémentaire s’impose de fait : comment accompagner l’artiste-apprenant dans sa découverte et la mise en projet de son itinéraire artistique sans être trop injonctif ni trop présent dans son cheminement d’apprentissage ? Il s’agit, à chaque fois, de s’interroger sur les postures à prendre par les professionnels dans des situations d’accompagnement et sur les modifications qu’elles apportent dans la relation « accompagné/accompagnant ».

Répondre à ces questions de fond n’est pas simple et en pose plusieurs autres, directement liées à nos pratiques pédagogiques. Cela vient du fait que la notion d’accompagnement est complexe tant au niveau des situations que des

formes qui lui sont associées. De quoi parle-t-on précisément ? Est-ce que notre positionnement et notre posture d’enseignant, de formateur, d’éducateur ou d’animateur est identique quand on soutient, supervise, accompagne ou évalue ? Comment nous situer selon que l’accompagnement est individuel ou collectif ? Doit-on centrer celui-ci sur le projet personnel de l’apprenant ou sur le projet institutionnel, ou même allier les deux, mais alors comment ? L’accompagnement doit-il faire partie des dispositifs d’apprentissage ou plutôt être en dehors afin de lui assurer une cohérence vis-à-vis des apprenants ? Est-il ponctuel ou lié spécifiquement au cheminement et au processus des pratiques pédagogiques ? Doit-il se diversifier, mais alors en fonction de quels facteurs ? Une multitude de questions qui se bousculent chaque année et qui, nous allons le constater dans cette contribution, abordent le concept pivot de « posture » au sein des relations d’accompagnement. S’interroger sur le lien « posture » et « accompagnement », c’est faire apparaître des tensions, des contradictions, des ambiguïtés et même des paradoxes, car accompagner est chargé socialement d’un nombre incalculable de sens au point de « brouiller » presque totalement la lecture que peuvent en faire des professionnels. L’imprécision notionnelle vient du fait qu’il existe une multitude d’acceptions qui constituent justement les caractéristiques de sa forme heuristique.

Pourtant, ce terme d’« accompagnement » demande d’abord de s’interroger sur celui de

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1Bertrand Schwartz est un des fondateurs du développement de l’innovation pédagogique en prenant en compte la personne dans sa globalité et en plaçant le jeune au cœur de son action. Communiqué de presse « Hommage à Bertrand Schwartz 1919 – 2016 » – Gehfa.com (08/2016).

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la « posture », tout aussi important, et qui donne les premières clés de clarification qui permettent de comprendre ce qui se joue dans une relation entre un apprenant et le professionnel qui accompagne. Situer spécifiquement l’accompagnateur dans sa relation à l’apprenant renvoie, stricto facto, à la posture que prendra l’apprenant dans cette même relation. Qu’on soit enseignant, formateur, animateur ou éducateur, nous sommes tous concernés par la problématique de la posture dans nos pratiques professionnelles et les influences qu’elles prennent dans une relation. Et c’est parce qu’il y a une relation juste, bienveillante et positionnée que l’accompagnement permettra aux apprenants de développer leur potentiel, puis plus tard leur professionnalité en permettant ainsi d’élaborer des « solutions » originales aux problèmes qu’ils auront à résoudre (notamment dans le champ du travail de l’art2).

LES FONDEMENTS DE LA NOTION D’ACCOMPAGNEMENT

Historiquement, pour Boutinet (2002, p. 242), les situations d’ac-compagnement surviennent à l’apparition d’« un changement de civilisation vers 1970-80, lorsque « les grands intégrateurs de la fa-mille, de l’école et de la religion et de la vie professionnelle se sont mis à dysfonctionner de façon caractéristique. L’accompagnement devient alors la façon de gérer des situations limites, des situations de crise ou des bifurcations problématiques… L’accompagnement des personnes est le révélateur d’un environnement en changement et d’un adulte en questionnement sur son devenir personnel et professionnel ». Toujours selon Boutinet (2002, p. 242) l’accompa-gnement « exprime la superposition d’un nouveau paradigme exis-tentiel à un ancien en voie d’usure pour penser cette préoccupation lancinante que constitue depuis une génération l’insertion. En surim-

pression du projet, ce nouveau paradigme de l’accompagnement évoque donc ce parcours interminable, jamais assuré, qui fait passer notre errance jeune ou adulte de transition en transition.»Si Boutinet parle de « parcours interminable » à propos des difficultés d’insertion et le lie explicitement avec la problématique de l’accompagnement, c’est que du point de vue étymologique, en nous référent aux travaux de (2001, p. 23), le terme « accompagnement » nous vient de « cum » qui désigne « avec » ainsi que de « panis » qui signifie « pain » : littéralement « manger son pain avec quelqu’un » ce qui revient à être un compagnon pour celui-ci et à l’accompagner dans son cheminement.

Nos travaux récents (Deltand, 2017, pp.135-137), nous avaient amenée à considérer que « l’approche de la notion [accompagnement] du point de vue scientifique est, elle aussi, difficile à définir tant celle-ci est polysémique, floue et complexe à étudier ». Il est vrai qu’une somme impressionnante de définitions et d’acceptions sont présentes dans la littérature (notamment Vial et Capparos, 2007 ; Paul, 2009, Biémar et Charlier, 2012) et évoquent des champs d’application aussi diversifiés qu’éloignés les uns des autres. Si la multitude d’approches est forte dans les institutions, c’est qu’accompagner un apprenant relève d’une mise en relation « sur mesure » par un calibrage précis du professionnel qui reçoit cette mission institutionnelle : calibrage en fonction du profil de l’apprenant à accompagner, du contexte, de la situation, du moment dans l’année où il intervient ainsi que d’autres facteurs inhérents à cette mission. Il s’agit, pour tout professionnel ayant la mission d’accompagner, d’être conscient de ce qui se joue précisément dans la relation émise avec un apprenant.

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2Le champ du travail des métiers d’art se caractérise par des productions alliant l’expression de soi et des activités le plus souvent éphémères. Trois critères sont inhérents à ces pratiques : a) un métier regroupant un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être particuliers le plus souvent acquis au sein d’un processus long fondé sur une transformation de soi et s’exerçant dans des communautés d’apprentissage; b) une production fondée sur une personnalité unique et singulière façonnant un projet artistique et c) le critère d’un professionnel maîtrisant dans son entièreté les processus de production artistique, quel que soit le positionnement ou le statut de celui-ci.

Tableau 1 : Les trois dimensions fondamentales d’un accompagnement selon Paul (2004).

D1 : dimension relationnelle « se joindre à quelqu’un » D2 : dimension temporelle « être avec en même temps » D3 : dimension spatiale « pour aller où il va »

Pour comprendre les enjeux, Paul (2004, 2009) propose trois dimensions fondamentales à toute mission à vocation accompagnante :

Tout en considérant ces trois dimensions (relationnelle, temporelle et spatiale) dans toute mission d’accompagnement et toujours selon l’approche de Paul (2009), celles-ci s’inscrivent au creux de quatre grandes idées fondatrices qui trouvent leurs places dans toute approche à visée d’accompagnement :

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Ces quatre grandes idées fondatrices nous amènent directement à poser la question de la posture du professionnel lors de la conduite de ces situations d’accompagnement : doit-il être dans une position active de contrôle comme ses fonctions institutionnelles le lui imposent (enseignants, éducateurs) ou se positionner dans une posture dite de secondarité (« en attente de »), laissant ainsi place aux attentes et aux besoins exprimés par l’accompagné ? Aucune des deux n’est véritablement confortable pour le professionnel. Boutinet indiquait (2002, p. 248) que l’accompagnement est au centre d’un « paradoxe relationnel » bien inconfortable car aux prises avec une relation d’accompagnement « asymétrique », mais obligatoirement « paritaire » pour voir la possibilité de parvenir à ses objectifs (le changement). Il convient, dès lors, de revenir sur les missions confiées par le système d’éducation ou de formation qui induisent une multitude de termes souvent pris, à tort, comme des synonymes d’une pratique d’accompagnement unique.

POLYSÉMIE D’UN TERME COMPLEXE ET CONNOTATION POSTURALE : UNE REPRÉSENTATION SPATIALISÉE DES POSTURES DE L’ACCOMPAGNEMENT

Il n’est pas rare de rencontrer une panoplie impressionnante de termes qui oscillent tous à être de l’accompagnement : suivi, soutien, aide, guidance, conseil, assistance, tutorat, mentorat, parrainage, médiation, entraide, mutualisation, médiation, entraide, mutualisation, évaluation formative, mise en réseau, coopération, étayage, régulation, escorte, conduite, guidage, orientation, compagnonnage, parrainage, counseling, régulation... Autant de vocables qui colorent la notion d’accompagnement dans « une approximation linguistique. Tel un nuage d’encre sur des pratiques qui tardent à se rendre lisibles […] » (Paul, 2006, pp. 15-16), mais et surtout, qui renvoient à des

postures parfois diamétralement radicales qui modifient la relation « accompagné/accompagnant » et qui peuvent poser bien des problèmes si on n’en est pas conscient.

Prenons l’exemple du tutorat qui reste le terme le plus répandu dans les organisations et institutions d’éducation ou de formation. C’est bien une forme d’accompagnement qui reste très valorisée socialement tant dans le champ de la formation (figure du tuteur, en lien avec les formations présentielles ou par alternance), dans le champ scolaire (figure de l’enseignant) que dans celui du travail (figure du « compagnon » à l’exemple du « chef de pupitre »3 dans les orchestres). Si le tutorat prend une forte importance actuellement, c’est certainement parce qu’il remplit certaines fonctions dans ces champs, mais également dans le monde du travail aujourd’hui. Si on y regarde de plus près, le tutorat se situe, d’après Paul (2016) aux frontières de plusieurs formes d’accompagnement :

• Le parrainage qui est généralement proposé dans l’accueil des nouveaux venus et dans l’aide à leur insertion.

• La médiation qui se charge de faciliter la situation en médiant les acteurs au cœur de l’action.

• Le mentorat qui a pour vocation de favoriser le développement des apprentissages nécessaires à un temps de changement par une forme d’individualisation de l’aide proposée.

• Le coaching qui se centre sur le passage à l’action en analysant la situation au regard des objectifs et en identifiant les moyens pour les atteindre. Il recourt aux ressources présentes en combinant les effets d’un cheminement relationnel commun à une aide méthodologique adéquate.

Tableau 2 : Les quatre idées fondamentales d’un accompagnement selon Paul (2009).

3« Chef de pupitre » indique l’instrumentiste référent d’un pupitre dans un orchestre et qui est responsable de celui-ci. Selon Butaux (1988, p. 70) « Aux États-Unis, les solistes – ou chef de pupitres – ont une réelle et pesante autorité sur les musiciens de leur pupitre. En France, ces rapports de hiérarchie sont moins officiels, moins apparents, moins acceptés, et dépendent essentiellement de la personnalité de chaque soliste ».

Idée fondatrice 1 : la secondarité

Être en « secondarité » par rapport à l’apprenant place stricto facto celui qui accompagne (enseignant, éducateur, formateur) en position seconde par rapport à l’apprenant qui est l’accompagné (c’est-à-dire comme le « suivant » de l’accompagné).

Tout accompagnement se fonde sur la relation d’un binôme initial (accompagné/accompagnant) qui aura la fonction de soutenir le processus de construction identitaire en mobilisant l’accompagné dans l’activité de travail ou d’apprentissage.

Idée fondatrice 2 : le cheminement

Considérer le « cheminement » comprend un temps donné à préparer les moments-clés qui composent la « mise en chemin » dans l’apprentissage.

Considérer le cheminement permet au processus d’accompagnement de se déployer au mieux et aux deux participants de cheminer ensemble.

Idée fondatrice 3 : l’effet d’ensemble

L’effet d’ensemble met en action le binôme (accompagné/accompagnant) provoquant une relation commune.

Ce qui implique que les deux acteurs en relation (l’accompagnant et l’accompagné) le sont lors des moments-clés du processus d’éducation ou de formation.

Idée fondatrice 4 : la transition

L’accompagnement est considéré comme une « transition », un moment ayant un début et une fin ce qui place l’apprenant dans un moment d’entre-deux (ce qui n’est pas sans conséquence).

Cette transition mêle une circonstance et des événements d’apprentissage ou de formation à l’objectif d’aboutir à la maitrise prévue en fin d’apprentissage, la période d’accompagnement étant prise comme une pause transitionnelle qui comprend un périmètre précis.

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Ces frontières font dire à Paul (2016, pp. 20-21) que « l’accompagnement est une fonction du tutorat. […] Le tutorat est ici une forme spécifique d’accompagnement. Il se détache d’un fond commun de pratiques de même source : l’accompagnement. Le tutorat s’y présente comme modalité d’accompagnement, incarnée dans une posture particulière et une structure spécifique de relation, supposant une démarche conçue autour de processus déclinés. La distinction porte principalement sur la structure de relation et ses incidences sur la posture du professionnel. On peut entrevoir que dans un accompagnement bien-fondé :

• le tuteur est reconnu et non désigné; le tutorat ne peut être réduit à une fonction de guidage, de coordonnateur ou de relai ou même de formateur : il est partie prenante d’une relation;

• la structure de cette relation est à la fois symétrique et dissymétrique;

• la posture est celle du retrait ou de la retenue (et non plus de la transmission) puisqu’il s’agit de laisser advenir et d’accompagner une personne dans l’accompagnement de ses propres processus ».

Nous trouvons la même position scientifique chez Rugira & Galvani (2002, - cit. Humpich, p. 2) qui rappelle l’importance de « rejoindre l’autre dans qui il est vraiment ».

À l’exemple du tutorat et plus précisément dans le champ artistique, nous constatons que bien des formes d’accompagnement peuvent être mobilisées et complexifient encore un peu plus la compréhension de ce qu’on attend d’un professionnel, expert de son art, qui a la mission d’accompagner l’apprenant. Paul (2004) propose de rassembler les vocables en les filtrant par des rapports analogiques, ce qui permet de décliner l’accompagnement en trois termes (pouvant être à tort pris comme des synonymes) :

• Conduire renvoie directement au monde de l’éducation, de la formation ou à celui de l’initiation;

• Guider inclut le conseil ou l’orientation;

• Escorter propose de s’intéresser à l’aide, à l’assistance, parfois au secours ou à la sécurité et à la protection.

Ces trois déclinaisons permettent de mesurer combien chacun de ces trois termes influent considérablement sur les postures que le professionnel prendra dans la relation. À conduire, guider

et escorter viendra s’ajouter aussi certains facteurs inhérents à la situation d’accompagnement qui, selon les cas, seront le choix du type d’accompagnement (individuel ou collectif), l’adéquation relationnelle entre « accompagnant-accompagné », le style pédagogique de celui qui accompagne (qui renvoie directement à sa manière de concevoir sa mission d’accompagnement), sans oublier le profil de l’apprenant, sa manière d’envisager la relation, le champ dans lequel va s’opérer l’activité, les fondements élaborés en buts communs qui s’établiront (ou pas) dans le processus, etc. De ces facteurs dépendront aussi et surtout les postures que le professionnel de l’accompagnement prendra dans la relation et qui influera sur la réponse que l’accompagné donnera à celle-ci. Mais de quels accompagnements parle-t-on exactement dans le champ éducatif et plus particulièrement dans le pédagogique et l’artistique ?

Croisé avec les résultats de nos travaux sur la question dans le champ didactique (Deltand, 2017, pp. 135-137), le modèle proposé par Paul (2004, 2009) permet de considérer qu’accompagner un apprenant dans le champ musical4 convoque, dans un premier temps, la nature d’une relation entre : a) un apprenant considéré comme celui qui apprend, b) un acteur du champ artistique « qui accueille et accompagne l’apprenant » dans la pratique artistique dont il est lui-même un expert. En second lieu, il y a le poids de l’affichage social que donnera l’organisation au professionnel qui sera désigné comme « accompagnant » de l’apprenant (guide, tuteur, mentor, parrain, référent, maître). La désignation terminologique chargée de sens (pour ne pas dire de « distance ») de celui qui sera accompagné situera et positionnera spatialement la relation « accompagnant/accompagné » et pourra provoquer ou induire une diversité de vécus biographiques chez l’apprenant (des plus progressistes au plus dramatiques5). Dès lors, il sera important particulièrement dans le champ artistique, de prendre du recul sur les différentes postures et situations possibles dans une relation d’accompagnement renvoyant à la fonction institutionnelle de la mission attribuée. Paul propose trois exemples renvoyant à une situation spatiale précise que nous traduisons ici dans le cas du champ artistique6 :

4Plus précisément dans les deux disciplines suivantes « éducation musicale » ou en « formation instrumentale ».5Au niveau d’un accompagnement qualifié ici de « dramatique », nous renvoyons les lecteurs à l’article que nous avions écrit dans la revue FAMEQ sur le récit de vie d’une musicienne ayant repris des études en formation instrumentale et ayant été jusqu’à « se casser » de par les injonctions de son maître d’instrument. Cf. Deltand, M. (2015). Du poids des injonctions de formation instrumentale aux limites de la destruction de soi : la question de l’épreuve dans le cas d’une reprise des études musicales. Musique et pédagogie, 29/2, 53-67.6Ce qui est proposé ici est en rupture avec la logique des formes scolaires traditionnelles, ce qui reconsidère la formule bien connue de Claparède (1931/1973) dans « Le deuil d’une éducation sur mesure ». Claparède, E. (1931/1973). L’Éducation fonctionnelle. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

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a) « Prise en charge » renvoie à la gérance en extériorité des besoins de l’apprenant conçue comme objet et non comme un acteur libre de ses choix.

b) « Suivi » indique « le maintien dans la subordination d’un lien contrôlant/émancipant, toujours en extériorité ».

3) « Accompagnement » propose qu’il y ait un engagement dans la relation « accompagnant/accompagné » en se considérant en secondarité dans celle-ci. L’accompagnant stimule l’accompagné à devenir acteur de la situation et des suites qu’il y donnera. C’est ici que la posture est la plus propice au développement de l’apprenant.

Les postures « au-dessus de » ou « devant » l’apprenant (la gouvernance) : guidage extérieur de la décision et du projet.

Les postures « un pas derrière » l’apprenant (le cheminement contrôlant) : suivi des décisions en contrôlant le projet d’apprentissage ou de formation.

Les postures du « à coté de » ou du « faire avec » (l’assistance bienveillante) : les décisions sont prises et les choix sont faits par l’apprenant en fonction de son projet. L’accompagnant questionne, fait réfléchir, donne des conseils... mais laisse la position finale des décisions à l’apprenant.

Les travaux de Koerner (1992) ainsi que ceux de Turner & Bashv (1999) ont particulièrement bien exposé ces positions spatiales dans la relation et l’impact qu’elles peuvent avoir sur l’apprenant. Ils ont dégagé trois grandes catégories spatiales plaçant la relation « accompagnant/accompagné » dans des positions complémentaires, divergentes ou épanouissantes.

Nous les avons reprises, complétées et enrichies au regard de la littérature récente sur la question et des résultats de nos travaux :

Les postures « au-dessus de » ou « devant » l’apprenant :La gouvernance

- Posture du modèle d’enseignement,- Posture d’évaluateur- Posture du guide - Posture du conseiller- Posture de l’organisateur- Posture de la rétroaction - Posture « technique » - Posture de supervision - Posture critique

Légende :

A : l’apprenant (celui qui est accompagné)B : le professionnel (qui accompagne

Les postures « à côté de » de l’apprenant :L’assistance bienveillante

- Posture du collaborateur - Posture du compagnon - Posture du stimulateur - Posture du confident

Les postures « un pas derrière » l’apprenant :Le cheminement contrôlant

- Posture de la réflexion et de la régulation- Posture d’observateur

Devant Dessus

Dessous Derrière

À côté

Figure 1 : Les travaux de Koerner (1992) et de Turner & Bashv (1999) complétés et revisités au regard de nos travaux récents (Deltand, 2017).

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a) Les postures « au-dessus de » ou « devant » l’apprenant : la gouvernance.

Les postures « au-dessus de… » ou « devant » l’apprenant sont des soutiens7 calibrés et adaptés mis en place par rapport aux attentes institutionnelles. C’est donc l’institutionnel qui donne la forme au soutien mis en place et définit sa forme d’accompagnement. Ainsi, l’accompagnement assure l’ancrage institutionnel de la relation, en limitant l’espace de choix de l’apprenant (qui est ici second) mais en valorisant les repères externes et l’expérience pratique en elle-même. Ces postures peuvent provoquer une insécurité et des angoisses chez l’apprenant de par sa position seconde dans la relation. On retrouve dans cette catégorie et selon la littérature scientifique, neuf postures distinctes :

• Posture du modèle d’enseignement (Houde, 1996; Williams, 1993; Haipt, 1990; McNally et ai, 1997; Borko, Levingston & Shavelson, 1990; Joyce, Weil & Showers, 1992; Leinhardtt & Greeno, 1986);

• Posture d’évaluateur (Rikard, 1990; Williams, 1993; Ben Peretz & Rumney, 1991; Cameron-Jones & O’Hara, 1997; Guyton & Mclntyre, 1990; Brucklacher, 1998; Feiman Nemser & ai, 1993; Waite, 1995);

• Posture du guide (Beckers,2000; Boudreau & Baria, 1998; Haipt, 1990);

• Posture de l’organisateur (Rikard, 1990; Rikard & Knight, 1997; Perks & Prestage, 1994);

• Posture de la rétroaction (Grimmett & Ratzlaff, 1986)

• Posture « technique » (Haipt, 1990; Krockover, 1991; Langdon & ai, 1997; Wildman & ai, 1992);

• Posture de supervision (Lasley & Matczynski, 1992),

• Posture critique (Abbott & Lyter, 1998; Graham, 1997; Zeichner & Liston, 1987; Kadushin, 1992);

• Posture du conseiller (Abell, Dillon, Hopkins, McInery & O’Brien, 1995; Williams, 1993; Bourdoncle, 1998; Houde, 1996).

b) Postures « un pas derrière » l’apprenant : le cheminement contrôlant.

Les postures « un pas derrière » l’accompagné sont des aides8 adaptées et contrôlées aux besoins des apprenants en prenant comme base première la conjonction de l’ensemble des besoins personnel (apprenant) et institutionnel (organisation, apprentissages, capacités, objectifs). Trois postures sont représentatives de ce cheminement :

• Postures de la réflexion et de la régulation (Abell & ai, 1995; Gonzalez & Carter, 1996; Zimmerman, 1990; Martin, 1994; Franke & Dalhgren, 1996);

• Posture d’observateur (Rikard, 1990; McNally & ai, 1997).

c) Postures « à côté de » l’apprenant : l’assistance bienveillante.

Au sens de Le Bouëdec (2007) cheminer « côte à côte », « coude à coude » ou « à proximité » d’un apprenant évoque l’idée de la symétrie dans l’accompagnement proposé. Beauvais (2004, p. 104) estime qu’« (a)ccompagner l’autre c’est faire un bout de chemin avec lui vers quelque chose, ce bout de chemin se construit en marchant et ce quelque chose s’invente en se faisant. » Les postures « à côté de » l’apprenant déplacent la prise de décision exclusivement vers l’apprenant et l’implique directement dans ses apprentissage (à la différence de l’imposition et du contrôle en extériorité). La posture « à côté de » propose des soutiens étayés9 qui consistent pour l’accompagnant à questionner, discuter, faire réfléchir en mettant en perspective ce qu’implique la tâche qu’il est occupé à faire (Bruner, 2003). Pour Boutinet (2002, p. 248), même s’il y a paradoxe relationnel, car cette relation d’accompagnement est « asymétrique », il importe de créer une relation « paritaire » pour voir la possibilité de parvenir aux objectifs de l’apprenant (le changement et la progression). L’accompagnement « à côté de » est le plus propice à faire progresser l’apprenant, car il est « celui qui fait cheminer » l’apprenant lui-même (il fait ses propres choix et apprend). L’accompagnement, dans ces conditions et comme le montre Ricœur (2004), c’est alors aussi essayer de « surmonter la dissymétrie pour rendre raison de la réciprocité et de la mutualité ». Il convient, dès lors, de revenir sur les missions confiées par le système et qui induisent une multitude de termes souvent pris, à tort, comme des synonymes d’une pratique unique. Quatre postures se retrouvent dans la littérature :

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7Soutenir au sens d’aide et d’appui à un apprenant « pour l’empêcher de tomber ». Le soutien comme forme pédagogique de l’accompagnement : l’externalisation de l’accompagnement (premier) plutôt que la différenciation pédagogique par rapport aux besoins de l’apprenant (second).8Aider renvoie ici à un accompagnement élargi à d’autres dimensions que les attentes institutionnelles et les performances à courts termes. 9Les soutiens étayés, en référence aux travaux de Bruner, sont des « discussions sur la résolution de problème où l’acquisition du savoir-faire repose d’ordinaire sur l’idée que celui qui apprend est seul et sans aide. Lorsqu’on tient compte du contexte social, on le considère d’ordinaire comme une occasion d’être en présence d’un modèle et d’imiter. Mais l’intervention d’un tuteur peut comporter d’autres apports. La plupart du temps, elle comprend un processus d’étayage qui rend l’enfant ou le novice capable de résoudre un problème, de mener à bien une tâche ou d’atteindre un but qui, sans cette assistance, aurait été au-delà de ses possibilités. Ce soutien consiste essentiellement pour l’adulte à « prendre en main » les éléments de la tâche qui excèdent initialement les capacités du débutant, lui permettant ainsi de concentrer ses efforts sur les seuls éléments qui demeurent dans son domaine de compétences et de les mener à terme. » (Bruner, 2003, p.263).

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• Posture du collaborateur (Saunders, Pettinger & Tomlinson, 1995);

• Posture du compagnon (Bourdoncle, 1998);

• Posture du stimulateur (Houde, 1996; Ellison, 1996; Knight, 1996);

• Posture du confident (Clifford & Green, 1996; Fortin, 1989).

LES CARACTÉRISTIQUES POSTURALES TRANSVERSALES POUR ACCOMPAGNER : LES ATTITUDES LES PLUS ADÉQUATES À ADOPTER

Comme nous venons de l’exposer, la posture renvoie au terme de « positura » voulant littéralement exprimer « position du corps dans l’espace » et « manière de se tenir », mais également à la prise d’une attitude adoptée face « à l’autre » et aux considérations représentatives10

que le professionnel prend à l’égard du dispositif d’accompagnement. La prise d’une posture accompagnante relève alors d’une des trois catégories de postures présentées précédemment (gouvernance, cheminement contrôlé ou assistance bienveillante) et de la manière dont le professionnel se représente la mission d’accompagner. Dans ces conditions, Paul (2012, pp. 13-20) propose de considérer l’accompagnement (quelle que soit sa catégorie exposée ici) en six caractéristiques posturales11 qui traversent chacune les trois catégories et qui doivent être présentes dans la relation apprenant/professionnel.

Cette première caractéristique à laquelle la relation d’accompagnement doit faire appel est considérée par Paul (2012) comme « éthique car elle fait appel à la réflexivité et à la critique. Derrida (1967, cit. Paul, p. 16) définit la relation éthique comme un « rapport non-violent (…) à autrui ». Être dans un positionnement « éthique » impose au professionnel qui accompagne de se positionner clairement dans la relation et dans le contexte dans lesquels la relation « accompagnant/accompagné » se déroule (« Qui suis-je dans cette mission d’accompagnant ? » et « Comment je considère cette relation ? ».

La deuxième caractéristique posturale : positionner l’accompagnement dans un « rapport non-violent » (ce qui impose au professionnel de revoir les modalités de la relation « accompagnant/accompagné ») afin de « surmonter la dissymétrie pour rendre raison de la réciprocité et de la mutualité » (Ricœur, 2004). Il s’agit de supprimer les relations duelles qui conduisent à du pouvoir, à de la domination ou aux impositions pouvant conduire à de la soumission. L’apprenant est détenteur des choix qu’il va poser et de son cheminement.

La troisième caractéristique posturale invite le professionnel qui accompagne à se positionner par un « non-savoir ». Alors même qu’il est expert de sa discipline, le professionnel qui accompagne « ne sait pas volontairement donner les solutions » dans la mission d’accompagnement. C’est à l’apprenant à les trouver par le biais de questionnement et de réflexion, aidé par le professionnel dans sa démarche.

La quatrième caractéristique posturale revient à mettre en avant dans l’accompagnement la modalité du « dialogue » permanent, en plaçant ainsi la « parole » au centre de la relation. L’échange alors produit positionnera la relation de réciprocité et de mutualité entre « professionnel et apprenant » et rendra le processus dialogique et bienveillant.

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10La représentation que peut avoir un professionnel de l’éducation sur la mission d’accompagner s’inscrit dans sa propre formation initiale et ses fondements au sujet de l’apprenant : déterministe/constructiviste, progressiste, humaniste, etc. Elle renvoie alors à des attitudes et comportements précis comme la bienveillance, l’empathie, le respect de l’autre, son positionnement dans la relation de soutien, la congruence, la réflexivité, ses distanciations vis-à-vis de l’apprenant, etc.

11Paul (2012, pp.13-20) utilisera explicitement le terme de « posture ». Nous préférons distinguer le terme « posture » de celui de « caractéristique posturale » qui renvoie pour nous aux attitudes qui traversent les postures, et plutôt désigner les postures au sens des trois catégories exprimées dans cet article (gouvernance, cheminement contrôlé ou assistance bienveillante) afin de ne pas noyer le lecteur.

12Citation de Derrida (1967) par Maela Paul dans « L’accompagnement comme posture professionnelle spécifique. L’exemple de l’éducation thérapeutique du patient », Recherche en soins infirmiers 2012/3 (n° 110), 13-20. (texte d’une conférence présentée lors des journées d’Étude de l’ARSI 2012).

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La cinquième caractéristique posturale est celle d’écouter. « Écouter » est bien plus « qu’entendre » ce que l’apprenant exprime dans le dialogue. Il s’agit d’être attentif à ce qui se dit et de dialoguer activement avec lui pour assurer son cheminement. Questionner, interagir, réagir sans jamais donner de solutions toutes faites permet à l’apprenant d’entamer un processus de réflexivité par rapport à soi et à l’apprentissage mené. L’écoute et l’échange dans la relation imposent un processus dialogique actif où se négocient, se délibèrent, se partagent les contenus qui y sont échangés. « Écouter » demande au professionnel d’être dans une réceptivité importante et d’être présent à la relation.

La sixième et dernière caractéristique : la prise « d’une attitude émancipatrice ». Si l’accompagnement dans une relation se travaille, cette relation a d’abord pour vocation de rendre l’apprenant autonome, ce qui lui permet de prendre une distance avec « ce qu’il a été » et de se positionner dans ses apprentissages dans « ce qu’il est » et « ce qu’il sait faire ». Il s’agit de construire une attitude émancipatrice dans la relation afin de permettre à l’apprenant d’être « lui » et d’avancer dans « ses projets ».

Au travers de ces six caractéristiques posturales de l’accompagnement (que Paul nomme des « postures »), l’accompagnement ne peut s’opérer et s’implémenter que dans un cadre, un contexte particulier et en fonction du domaine d’apprentissage où se situe l’apprenant et son accompagnement.

Ainsi selon Le Bouëdec (1998, p. 17), un accompagnement ne peut s’instituer que s’il y a un cadre précis : « On n’accompagne jamais en son nom propre mais au nom d’une institution ». Cela renvoie à un temps institutionnel précis, à une organisation et à des acteurs désignés, et aux conditions émises pour que la relation « accompagnant/accompagné » puisse se réaliser.

Il en va de même pour le contexte dans lequel l’accompagnement sera réalisé. L’accompagnement constitue une forme de réponse sociale pouvant être considérée comme une régulation sociale de l’organisation à une problématique d’apprentissage existante. À chaque contexte correspondent des besoins et la nécessité de trouver de « nouvelles réponses » aux repères « classiques » des remédiations.

Enfin, l’accompagnement se calibre en fonction du domaine et du niveau où il se met en place. Le domaine de la musique qui se décline en autant de filières possibles (allant de la formation instrumentale, vocale ou de la musique ancienne en passant par l’écriture, la théorie ou la didactique, sans oublier les éveils musicaux ou les animations)

pourrait envisager collectivement de (re)questionner l’équilibre fragile entre les attendus du métier artistique, les impositions des systèmes d’enseignement ou de formation, ainsi que les pratiques d’accompagnement mises en place. Réfléchir permettrait alors à chacun des membres de l’équipe d’interroger la diversité des regards sur l’accompagnement en relation avec les réalités sociales que ces situations embrassent. Finalement, accepter la mission d’accompagner des apprenants, c’est occuper strico facto une fonction prescrite et normée. Le tout, c’est de savoir laquelle et d’être conscient de ce qui se joue dans cette mission. Ainsi et en fonction de la dénomination apportée à celle-ci, le terme sera chargé socialement d’injonctions, de positions et d’attentes importantes, tant du point de vue des apprenants, que de celui des professionnels, sans oublier les parents/tuteurs et l’institution. Qu’on soit maître, enseignant, formateur, animateur, accompagnateur, tuteur, conseiller, parrain, mentor, guide… on sera forcément aux prises avec des questions de fond, dont les postures et leurs influences dans la relation.

CONCLUSION

Si former et accompagner partagent une même destinée, c’est qu’ils invitent à « être en relation avec autrui ». Soutenir, aider ou étayer, c’est toujours dans la visée d’empêcher l’apprenant « de tomber » afin de lui permettre de grandir et de progresser. Paul (2016, p. 23) insistera d’ailleurs sur ce qui substantifie la relation dans l’accompagnement : d’une part, l’importance de « pouvoir à la fois stabiliser (sécuriser, ancrer…) [la relation] sur la base de la symétrie » tout en étant dans une posture du « côte à côte » qui ouvre la relation autrement que dans un lien hiérarchique ; d’autre part, en veillant à trouver un équilibre entre « les conditions de sécurité et celles de la confrontation » laissant place, comme le dit Ricoeur (1969), au « déploiement de l’être ».

Dans ces conditions, si nous considérons l’accompagnement dans le champ artistique comme du soutien (accompagnement externe), de l’aide (accompagnement élargi) ou de l’étayage (accompagnement interne), accompagner des apprenants dans le domaine des arts peut être considéré sous trois facettes :

a) L’accompagnement comme partie intégrante des « dispositifs » d’apprentissage (des dispositifs pédagogiques institués). L’accompagnement n’est pas un dispositif en lui-même, mais se considère toujours au sein des dispositifs déjà mis en place ou envisagés par l’organisation. Il ne peut être extérieur à ceux-ci sous peine d’être obsolète et sans effet. L’accompagnement est ici considéré comme une réponse à des problématiques institutionnelles plus larges qui dépassent les professionnels de l’éducation.

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L’accompagnement est intérieur aux dispositifs et cohérent en rencontrant les différents points de vue : « Pour qu’elle raison propose-t-on de l’accompagnement ? »

b) L’accompagnement comme « mise en relation » et comme « postures » permettant une attitude relevant de l’aide et placée à une juste distance de l’autrui.

Accompagner, c’est « savoir être là » pour l’apprenant, ce qui nécessite des « compétences relationnelles » permettant de mettre celui-ci en relation dans son rapport à un passé et un futur envisagé par lui, avec lui et par lui. Les postures professionnelles sont à considérer comme le fait d’être « à côté de », de « lui donner une place » première et qu’il soit acteur de ses choix. Le professionnel doit avoir à l’esprit qu’on ne peut pas agir et décider à la place de l’apprenant. C’est l’accompagné qui a le pouvoir de changement (pas le professionnel, expert de sa discipline). La distance est alors ajustée au regard des éléments contextuels et des propres limites de chacune des parties prenantes.

La relation est première dans l’accompagnement (présence, confiance, non-obligation, acceptation des limites de chacun) : « se joindre à l’accompagné » pour se déplacer à l’endroit où il se déplace, au même rythme que lui (une question de posture et d’ajustement de valeurs).

c) L’accompagnement comme processus et comme démarche pédagogique.

Accompagner est un cheminement processuel vécu en commun. Il n’est viable que si la relation « accompagnant/accompagné » est partagée, respectueuse et dans de bonnes intentions communes. C’est un dialogue permanent et interlocutif dans le sens où chacun possède une place et où l’apprenant fait ses choix et ses expériences. Le « JE » de l’apprenant est premier, il lui permet d’exprimer ses désirs, ses aspirations, ses refus, ses envies, ses choix face à un projet défini ensemble. Tout cela en trouvant une écoute bienveillante qui permette de le façonner dans le dialogue. Accompagner le porteur du projet et non conduire son projet sera la différence fondamentale avec les différentes formes d’accompagnement proposées dans la littérature scientifique.

Accompagner, c’est être « à côté de » l’apprenant sans faire à sa place : cela permet de passer d’une posture d’élève attentiste à celle d’un apprenant acteur de ses apprentissages, « se mettre en projet ».

Décidément, accepter une mission d’accompagnement c’est s’autoriser à devenir un partenaire dans la trajectoire de l’apprenant, en tenant compte qu’il faut dépasser le paradoxe « de la souplesse et de la fermeté » par l’écoute, la bienveillance, le dialogue et accepter le lâcher-prise sur le savoir expert afin de permettre à l’apprenant de s’émanciper, de grandir et de devenir compétent.

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