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LA REVUE DU PÔLE Patrimoines bâtis, immatériels, culturels et naturels, des Hommes et des savoir-faire. CULTURE & PATRIMOINES L’ÉDITORIALISTE INVITÉ Restaurateurs du patrimoine par Caroline Botbol, Restauratrice Le patrimoine culturel est riche et varié. Il met en jeu différents matériaux, de toute époque, de registres parfois surprenants, et de dimen- sions allant du tout petit au gigantesque. Les métiers qui l’abordent en sont le reflet. Peu connus, ils sont pourtant passionnants. Par- mi eux, il y a celui de conservateur-restaurateur. Ce métier a été défini en 1984 par le comité international des musées en le distinguant des métiers de l’art ou de l’artisanat. Le conser- vateur-restaurateur ne crée pas mais, comme l’indique la dénomination, restaure et conserve. Aujourd’hui, les codes nationaux et interna- tionaux qui régissent la profession (code du patrimoine, ECCO, ICOM) le définissent comme celui d’un professionnel formé, habilité par un diplôme spécifique de niveau I, qui a les connaissances et les aptitudes pour agir dans le but de préserver les biens culturels. Son but est de préserver les œuvres, de les rendre compré- hensibles par le public, dans le respect de leur signification et de leur intégrité physique. Il a aussi pour mission de contribuer à la recherche, aux programmes d’enseignement et de participer à des manifestations de valorisa- tion et de sensibilisation. L’objectivité est un maître mot dans ce métier et elle prend forme à travers la collégialité. Par essence, le conservateur-restaurateur est amené à dialoguer avec les conservateurs, les archéo- logues, les scientifiques, les historiens d’art, les architectes, les artistes, les artisans, les techni- ciens, etc. Intervenir sur le patrimoine suppose avant tout de savoir travailler ensemble. Dossier, témoignages et portrait constituent les pages qui suivent et permettent de mettre en avant la technicité, la compétence et la passion indispensables à nos métiers dans un but de respect et de valorisation de notre patrimoine. tout le respect et la valorisation de notre patrimoine. N°15 juillet 2018 Ils ont fait de leur passion pour le patrimoine leur métier LES TÉMOIGNAGES Philippe De Viviès, Un conservateur-restaurateur entreprenant, libre et souriant LE PORTRAIT Devenir conservateur-restaurateur Les formations délivrant le diplôme LE DOSSIER

N°15 REVUE DU PÔLE · 2018-07-30 · en jeu différents matériaux, de toute époque, de registres parfois surprenants, et de dimen-sions allant du tout petit au gigantesque. Les

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LA

REVUE DU PÔLEPatrimoines bâtis, immatériels, culturels et naturels, des Hommes et des savoir-faire.

CULTURE& PATRIMOINES

L’ÉDITORIALISTE INVITÉ

Restaurateurs du patrimoinepar Caroline Botbol, Restauratrice

Le patrimoine culturel est riche et varié. Il met en jeu différents matériaux, de toute époque,de registres parfois surprenants, et de dimen-sions allant du tout petit au gigantesque. Les métiers qui l’abordent en sont le refl et. Peu connus, ils sont pourtant passionnants. Par-mi eux, il y a celui de conservateur-restaurateur.Ce métier a été défi ni en 1984 par le comité international des musées en le distinguant des métiers de l’art ou de l’artisanat. Le conser-vateur-restaurateur ne crée pas mais, comme l’indique la dénomination, restaure et conserve. Aujourd’hui, les codes nationaux et interna-tionaux qui régissent la profession (code du patrimoine, ECCO, ICOM) le défi nissent comme celui d’un professionnel formé, habilité par un diplôme spécifi que de niveau I, qui a les connaissances et les aptitudes pour agir dans le but de préserver les biens culturels. Son but est de préserver les œuvres, de les rendre compré-hensibles par le public, dans le respect de leur signifi cation et de leur intégrité physique.Il a aussi pour mission de contribuer à la recherche, aux programmes d’enseignement et de participer à des manifestations de valorisa-tion et de sensibilisation.L’objectivité est un maître mot dans ce métier et elle prend forme à travers la collégialité. Par essence, le conservateur-restaurateur est amené à dialoguer avec les conservateurs, les archéo-logues, les scientifi ques, les historiens d’art, les architectes, les artistes, les artisans, les techni-ciens, etc. Intervenir sur le patrimoine suppose avant tout de savoir travailler ensemble.Dossier, témoignages et portrait constituent les pages qui suivent et permettent de mettre en avant la technicité, la compétence et la passion indispensables à nos métiers dans un but de respect et de valorisation de notre patrimoine.tout le respect et la valorisation de notre patrimoine.

N°15 juillet 2018

Ils ont fait de leur passionpour le patrimoine leur métier

LES TÉMOIGNAGES

Philippe De Viviès,Un conservateur-restaurateur entreprenant, libre et souriant

LE PORTRAIT

Devenir conservateur-restaurateurLes formations délivrant le diplôme

LE DOSSIER

LES BRÈVES

A-Corros primé aux 1er trophées INRAP !A-Corros reçoit le trophée « Recherche

et développement » pour son partenariat

inédit entre le secteur public et le secteur

privé, concernant l’utilisation des accélé-

rateurs de stabilisation par la méthode des

fluides subcritiques sur le mobilier métal-

lique archéologique.

Une très belle reconnaissante de l’investis-

sement de cette TPE dans l’innovation ! ▶ www.a-corros.fr

GEOPAT en Inde

En mars dernier, à la demande et pour le

compte de la direction des immeubles et

de la logistique du ministère de l’Europe et

des affaires étrangères, GEOPAT est inter-

venu sur les bâtiments de l’ambassade et de

la résidence de l’ambassadeur de France à

New Delhi.

La mission confiée a consisté à réaliser des

prélèvements et des mesures non destruc-

tives par réflectométrie radar sur site ainsi

qu’une étude en laboratoire. Ce diagnos-

tic, visant à proposer des préconisations

de restauration, a ainsi porté sur les maté-

riaux, béton armé, mortier, pierre et métal

constituant la structure et le parement des

bâtiments concernés. Ce fut l’occasion

pour GEOPAT d’associer naturellement

Aslé Conseil pour la partie relative aux ma-

tériaux minéraux et A-Corros pour la partie

relative aux métaux. Une nouvelle occasion

d’utiliser efficacement la belle complémen-

tarité de la plateforme d’Archeomed®. ▶ geopat.pro

SIPPA, LE rendez-vous des professionnels du patrimoine

Le Pôle Culture & Patrimoines a organisé

du 16 au 18 mai, la quatrième édition du

Salon International des Professionnels des

Patrimoines à Arles. Cette année à nou-

veau, l’évènement s’est déroulé dans le

Parc des Ateliers Luma au pied de la tour

imaginée par Franck Gehry en cours de

construction ; et grande reconnaissance,

le SIPPA avait préalablement été labellisé

« Année Européenne du Patrimoine Cultu-

rel 2018 ».

Pour cette nouvelle édition, sur plus de

1 200 m², une douzaine de structures ex-

posantes sont venues de la France entière,

pour présenter leur savoir-faire : ECP, Epi-

topos, Art Graphique & Patrimoine, Girard,

A-Corros, Geopat, Solag pour n’en citer que

quelques unes.

En termes de nouveauté, ce moment de

rencontres, toujours réservé aux profession-

nels s’est ouvert au public pour deux confé-

rences, l’une, musicale et sous-marine,

à propos du mystère de la disparition des

épaves Lapérouse à Vanikoro dans l’océan

pacifique et l’autre, à propos de l’énigme

des « arêtes de poisson », gigantesque mo-

nument souterrain de Lyon.

Dans la poursuite de son ouverture à l’in-

ternational, après l’Algérie en 2017, le Por-

tugal était cette année, le pays invité d’hon-

neur. Carte blanche lui a été donnée pour

présenter plusieurs projets patrimoniaux de

différents territoires : Beja, Idanha-a-nova,

Cinta,… Le LNEC (Laboratorio Nacional

De Engenharia Civil) était également pré-

sent.

Le SIPPA a permis la rencontre directe de

plus de 500 professionnels de différentes

régions de France et de l’étranger et la dé-

couverte de toutes les compétences et ex-

pertises permettant de développer des pro-

jets autour de l’ensemble des patrimoines.

L’Association des Villes et Métiers d’Art a

profité de cette occasion pour organiser son

atelier annuel Interrégional Grand Sud à

Arles. L’Association Pierres du Sud y a aus-

si tenu son Assemblée Générale annuelle.

Bien bonnes initiatives de leur part !

Le SIPPA s’ancre dans le paysage des mani-

festations professionnelles incontournables

à propos du Patrimoine… et ce dans une

ambiance souriante et sympathique comme

le recherche les organisateurs depuis sa

création.

Pour plus d’informations, vous pourrez

consulter sous peu toutes les conférences

sur www.sippa.eu

Pavillons au SIPPA

2 La revue du Pôle N°15 juillet 2018

Remise du prix

La Revue du Pôle Culture & Patrimoines est publiée par le Pôle Culture & Patrimoines.

[email protected] 06 14 89 18 39

17 chemin de Severin -13200 Arles

www.industries-culturelles-patrimoines.fr

N° ISSN: 2555-932X

Éditeur responsable : Jean-Bernard Memet

Comité de rédaction : L. Bertrand, L. Jarmasson, L. Lamotte, M. Lataillade, G. Martinet.

Maquette et mise en page : Agence Canopée

Photographies (sauf mention contraire) : Pascal Bois / panovues.com

Texte (sauf mention contraire) : Equipe du Pôle

Avec le soutien de nos partenaires :

Ambassade de France à New Delhi

« UNE PROFESSION PASSIONNANTE » par V. Ollier, E. Rettmeyer. G.Delcroix.

Parler de notre « métier », c’est avant tout évoquer ce que représente le traitement d’une œuvre d’art. Dans ce dernier, on différentie deux grandes étapes : la conservation et la restauration.

Le sens et le contenu de ces mots ont évolué au cours du temps et différent selon les pays. Dans les pays anglo-saxons, la conservation est synonyme de soins préventifs (conditions climatiques, qualité du stoc-kage...) ou curatifs mineurs (élimination des crasses, refixage d’amorces de soulèvements...) donnés à une œuvre afin de prolonger son existence et d’éviter

autant que possible les interventions profondes, alors que la restauration a le sens d’une action fondamen-tale (pratiquement chirurgicale) devenue indispen-sable à sa survie, rendant également à l’œuvre sa lisi-bilité d’origine dans la mesure du possible.

Dans les pays latins, le mot restauration a pendant longtemps présenté un sens plus vaste, recouvrant l’ensemble des deux mais aujourd’hui on distingue clairement la conservation de la restauration.

Nous préférons regrouper ces deux mots sous le nom plus général de sauvegarde qui présente trois faces : la préven-tion juridique, la prévention matérielle et la restauration.

Devenir conservateur - restaurateur Les formations délivrant le diplôme

La revue du Pôle N°15 juillet 2018 3

LE DOSSIER

- Institut national du patrimoine (INP), département des restaurateurs (depuis 1977). Spécialités arts du feu (métal, céramique, émail, verre), arts graphiques et livre, arts tex-tiles, mobilier, peinture de chevalet et murale, photographie et sculpture.

- École supérieure d’art d’Avignon (ESAA) (depuis 1981). Conservation-restauration œuvres peintes, art contemporain et ethnographie.

- École supérieure des beaux-arts de Tours (ESBAT) (depuis 1982), conservation-restauration des œuvres sculptées.

- L’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (depuis 1973). Conservation-restauration des biens culturels : peinture de chevalet et murale, sculpture, objets archéologiques (métal, céramique, verre), ethnographiques et histoire naturelle (cuir, peau, plume, os, ivoire, etc.), arts graphiques, photographie, vitrail, textile.

Les formations sont accessibles sur sélection ou concours et comprennent des disciplines théoriques : physique-chimie, his-toire de l’art et histoire de la restauration, droit du patrimoine, histoire des techniques, études des matériaux, méthodes de conservation, méthodes d’analyse et pratiques : techniques

anciennes et contemporaines, dessin, travaux pratiques en conservation-restauration par spécialités.Le Code du patrimoine exige l’un de ces diplômes pour travail-ler sur les collections des Musées de France. Des formations privées délivrent aussi des diplômes, homologués au niveau 2 par la Commission nationale de Certification professionnelle (CNCP). D’autres formations liées au patrimoine peuvent être une intro-duction pertinente à ce métier ou une possibilité de formation plus courte en lien avec le domaine de la conservation du patrimoine : - Licence professionnelle conservation et restauration du

patrimoine bâti, à Arles. Université Aix-Marseille. - Mention Complémentaire Entretien des collections du

patrimoine, - Formation à la régie d’œuvres :

L’École du Louvre à Paris avec le « diplôme de 2e cycle - parcours métiers du patrimoine - option régie des œuvres ».

Master « Régie des œuvres et médiation de l’architecture et du patrimoine » à l’université Michel de Montaigne, Bordeaux III…

La finalité de la prévention matérielle d’une œuvre est d’empêcher sa disparition en remédiant à ses causes de dégradations naturelles et accidentelles.

Cette opération qui implique certaines décisions quant à l’intégrité physique de l’œuvre ne peut être pleinement réussie que si elle passe par une explora-tion critique. Dans ce travail interdisciplinaire, inter-viennent le conservateur ou le propriétaire de l’œuvre (ou l’architecte), l’historien de l’art, éventuellement l’archéologue, le philosophe, l’ethnologue, mais prin-cipalement le restaurateur spécialiste qui reste le seul à intervenir physiquement sur « l’objet » aidé dans l’examen des matériaux et dans ses choix de produits et de techniques de traitement par des ingénieurs ex-périmentés dans ces disciplines.

La prévention matérielle comporte des actions de conservation, de protection, et de maintenance. Ces deux dernières sont parfois regroupées sous le nom de conservation préventive.

Les actions de conservation se résument en des traite-ments d’assainissement (désinfection, élimination de produits de dégradation non stables, élimination des vernis altérés, collage, consolidation, refixage) dont l’objectif consiste à remédier aux altérations nuisibles à la survie de l’œuvre.

Quant aux actions de protection, elles incluent tous les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre les dégradations futures quelque soit leur de origine (contrôle du microclimat – poussière, gaz, tempéra-ture, humidité, éclairage –, méthodes de manuten-tion, stockage, transport, mesures contre le vol).

Les actions de maintenance sont synonymes d’entre-tien permanent des œuvres et de leur examen pério-dique grâce à des « marqueurs » spécifiques à chaque objet et à ses conditions de vie (actions hélas rarement pratiquées).

En quoi la restauration diffère-t-elle de la conserva-tion ? C’est une étape supplémentaire où l’on modi-fie l’apparence de l’œuvre, sans que cette opération soit nécessitée par la survie de l’objet. Là se pose le problème de l’appréciation des diverses modifica-tions qu’un objet ou un monument a subies au cours de son histoire. Le maintien ou l’élimination de ces transformations dépend du sens qu’on leur reconnaît (notamment de leur valeur en tant que création) et de la lisibilité de l’œuvre, dont on doit juger si elle a été conservée ou non.

Ainsi conservation et restauration s’inscrivent dans une triple dialectique : § confrontation entre l’instance historique et l’ins-

tance esthétique ; § confrontation entre la matière et l’image ; § confrontation entre les parties et le tout.

Ces dialectiques sont toutefois soumises à des règles éthiques à respecter. C’est Cesare Brandi dans son ouvrage Teoria del restauro (Torino. Guilio Einardi, Editore. 1977) qui les a pratiquement toutes énon-cées.

Résumons-les : § conserver la matière de l’œuvre, à la fois dans son aspect et sa structure ;

§ tendre au rétablissement de l’unité formelle de l’œuvre sans produire une falsification esthétique ou historique, et pour autant que l’on n’efface pas les traces de son passage dans le temps ;

§ toute intervention ne doit pas rendre impossible de futures interventions ; ce principe est celui de la réversibilité et de l’interventionnisme minimal.

Des méthodologies à mettre en place pour le traite-ment d’une œuvre se déduisent les qualités d’un res-taurateur idéal : maturité, sensibilité, humilité, savoir faire pratique prolonger par un savoir scientifique conçu comme un système d’investigation critique où s’exerce l’esprit d’enquête et de recherche à partir d’observations et d’expériences en connexion directe avec les phénomènes qui régissent l’œuvre d’art et son comportement, capacité à comprendre la richesse du contenu documentaire d’un objet.

Le restaurateur idéal a peu de chance d’exister et c’est pour cela que nous travaillons en équipe, avec la synergie des compétences de chacun d’entre nous.

4 La revue du Pôle N°15 juillet 2018

WEBOGRAPHIE FFCR : www.ffcr.fr/conserver-et-restaurer

C2RMF : c2rmf.fr

Article très documenté sur l’histoire du métier : journals.openedition.org/insitu/13611

Studyrama : www.studyrama.com/formations/fiches-metiers/art/conservateur-restaurateur-d-art-766

LES TÉMOIGNAGES

La revue du Pôle N°15 juillet 2018 5

Ils ont fait de leur passionpour le patrimoine leur métierAMANDINE VILLARD restauratrice de livres et relieur *

Le métier de restaurateur de livres et de relieur est souvent moins connu que celui de conserva-teur-restaurateur. Découvrons le avec Amandine, restauratrice de livres et relieur dont l’atelier est installé à Arles, au sein d’Archeo-med®.

Pour en arriver là elle est passée par un CAP spé-cifique en un an, puis par un Brevet des métiers d’art, spécialité reliure et dorure à l’École de Tolbiac ainsi que par beaucoup de pratique en ateliers. Elle a volontairement choisi de s’orienter d’abord vers la reliure, pour apprendre les techniques modernes, avant de restaurer l’ancien. Lors de son premier em-ploi au sein d’une entreprise semi-industrielle, elle passe d’ailleurs très rapidement du service reliure au service restauration, avant de quitter Paris et venir travailler une dizaine d’années au CICL (Centre Inter Régional Conservation Livre) à Arles. Aujourd’hui, elle travaille à son compte, d’abord via une auto- entreprise avec laquelle elle répondait à des appels d’offres avec d’autres restaurateurs, puis au sein d’une SCOP créée avec une associée. Son parcours est re-présentatif des types de structures au sein desquelles un restaurateur ou relieur est amené à travailler.

Côté « clients », ce sont essentiellement des archives, la BNF (Bibliothèque nationale de France), des mai-ries et bibliothèques, et très rarement des particuliers. Elle intervient sur des documents ou de la reliure an-cienne, c’est-à-dire datés d’avant le 18e siècle, des manuscrits (le plus souvent des documents uniques), avec souvent une nécessaire numérisation, car ce sont des documents fragiles et peu manipulés après res-tauration. Numériser permet également de rendre les documents consultables à un plus grand nombre. Elle a ainsi travaillé par exemple avec un photographe pour une grande campagne de numérisation d’archives.

Le rôle du restaurateur est de conserver le patrimoine de l’écrit. Une bonne restauration, pour les archives,

est un objet qui doit être accessible à la lecture, qui ne contrarie pas le papier ni son ouverture. Solidité et ouvrabilité sont donc deux critères importants. Pour les reliures, il y a une part importante de la dimen-sion esthétique de l’objet restauré. Pour Amandine, amoureuse du papier et des belles écritures, ce qu’elle trouve très gratifiant dans son métier est de « se sou-venir du volume qu’on a attaqué et voir comment on a pu lui redonner bonne figure », la plus similaire à sa forme d’origine. Le plus souvent, pour les reliures tout est d’ailleurs conservé, le même fonctionnement de lecture, le même mode de couture et de fabrication, pour garder au maximum l’intégrité de l’objet. Les documents qu’elle reçoit arrivent souvent en mauvais état, plein de poussière ou de moisissure. Mais après son intervention, qui peut aller de 5 à 6 heures à plus de 6 mois, ils retrouvent une seconde jeunesse.

Son quotidien s’articule autour de trois activités principales : travail de restauration dans son atelier, derrière un bureau pour l’administratif (gestion de la SCOP et surtout réponse aux appels d’offres) et des déplacements. En effet, si on s’imagine le restaurateur passer la majorité de son temps en atelier, en réalité une bonne partie de ses journées, elle est sur les routes (ou dans un train plus précisément). Elle se déplace pour voir les documents à restaurer et deviser. Elle fait parfois quelques restaurations directement chez ses commanditaires (surtout si l’objet a une très grande valeur), mais la plupart du temps elle transporte elle-même les documents. Aussi, elle se retrouve souvent avec des documents d’une très grande valeur dans une simple valise. Elle nous confie donc l’importance d’avoir une bonne assurance !

Cela reste néanmoins un métier moins risqué que conservateur-restaurateur de sculptures ou d’objets archéologiques. D’autant plus que les matériaux uti-lisés ne sont absolument pas nocifs. Elle utilise des colles aqueuses ou des produits qui permettent une réversibilité. Pour le papier, c’est l’utilisation du papier japon qui est obligatoire, notamment pour les opéra-tions de colmatage, qui consistent à venir recréer du papier là où il a été endommagé.

Selon Amandine, le métier a un peu évolué

*Pas de féminin encore pour ce métier majoritairement pratiqué par de nombreuses femmes !

6 La revue du Pôle N°15 juillet 2018

aujourd’hui. Au début, les reliures étaient très in-terventionnistes, avec l’ajout de cuir par exemple, aujourd’hui elles le sont moins et c’est le papier qui est le plus utilisé. Les qualités nécessaires à un bon restaurateur et relieur restent néanmoins les mêmes : patience, minutie et perfectionnisme.

VINCENT OLLIER, restaurateur d’œuvres polychromes

Du haut de ses presque soixante ans, le sourire sage mais encore jo-liment enfant, Vincent est toujours très étonné que l’on s’intéresse à lui.

Après un parcours professionnel riche et complexe, passant de l’agriculture à la grande distribution, Vincent, grâce à une rencontre et à un besoin vital de se poser sur sa vie passée et d’envisager l’avenir, entre dans le monde de la conservation-restauration en l’An 2000. Un bug ? Non une vision, voire une mission ou plus simplement un rêve à concrétiser.

« Notre patrimoine, visible dans chaque village, au dé-tour d’un paysage, d’une entrée de chapelle ou au sein de maisons familiales m’a toujours intéressé, ne serait-ce que par la marque d’une histoire, de notre histoire et de l’identité de chaque territoire... Sa préservation et sa valorisation sont devenues pour moi à la fois obligation et surtout passion… »

Après de nombreuses formations, Vincent crée en 2008 son entreprise : l’Atelier TECHNE-ART dont l’objectif principal est la conservation et la restaura-tion d’œuvres d’art peintes ou riches de décors poly-chromes : études, analyses, recherches historiques, restauration sur tous supports, conservation préven-tive et curative. Son atelier s’attache au respect de chacune des phases indispensables à une restauration respectueuse et la plus pérenne possible.

Avant chaque mission, Vincent se documente, cherche, fouille, enquête. A tel point que souvent, il a compris, voire trouvé, avant la commande. Mais c’est un homme de doute, alors il approfondit encore et aime s’entourer d’autres compétences, à condi-tion qu’elles correspondent humainement à sa vision des choses… et des choses bien faites. Il collabore ainsi depuis de nombreuses années avec Evelyne Rettemeyer installée à Saint Rémy de Provence, rue Lestrine, « Atelier Erté ».

S’il fallait n’en citer que quelques unes, ses plus belles références, depuis cette nouvelle vie professionnelle, sont la dépose de fresques du premier siècle sous le parvis de la cathédrale de Die, l’étude des peintures murales « Renaissance » de la maison des chevaliers à Viviers, la restauration des plafonds médiévaux de l’hôtel Arlatan, de nombreux retables, statues et tableaux : Maratta, Verendael, Dyf, Pontoy, Ziem, Delpy, Rousseau....

Ce que Vincent aime le plus, en plus de sa passion pour le décor et la couleur, c’est les autres, ceux qui aiment, qui réfléchissent, qui se passionnent, ceux qui font, qui pratiquent ; c’est aussi travailler ensemble.

Pour exemple, en 2014, Cathy Vieillescazes, respon-sable du laboratoire de restauration des patrimoines naturel et culturel de l’université d’Avignon, a l’idée spontanée d’appeler Aslé Conseil, entreprise de dia-gnostic dans le domaine de la pierre et du bâti : « Un restaurateur de décors peints avec qui je travaille est sol-licité pour des problématiques de plus en plus larges sur les matériaux, enduits, pierres. Pourrais-tu l’aider ? ».

Vincent appelle Aslé Conseil et connaissance est faite sur une terrasse ensoleillée dans les Alpilles. Puis, les visites de différents sites patrimoniaux débutent et les dossiers se concrétisent. À Cucuron, à Aix, à Marseille, à Viviers, à Arles... À ce jour, une dizaine d’études en collaboration ont été réalisées. Mais ce n’est pas tout. Vincent a, également par la rencontre du réseau du Pôle, collaboré avec plusieurs archi-tectes, restaurateurs, notamment Pierre Mérindol « (il a) une si grande source pour apprendre » dit-il, les yeux humides de joie, et aussi un photographe de talent, Pascal Bois « une si grande compétence de l’image et une telle humilité » dit-il. Vincent a d’ail-leurs beaucoup plus de facilité à parler des autres que de lui…), avec qui il développe notamment des investigations préalables aux restaurations de décors, via l’imagerie infrarouge. Son expérience récente pour la restauration des closoirs de l’Hôtel Arlatan à Arles est un magnifique exemple de cette collaboration per-formante.

Gardant néanmoins son atelier dans la Drôme, Vincent a ainsi décidé, en 2016, de s’installer à Archeomed® et est également devenu membre du CA du Pôle Culture & Patrimoines et est égale-ment très actif pour le développement du SIPPA (sippa.eu). Il est aussi co-président avec Fréderic de Flaugergues du CAP, un collectif d’une quaran-taine d’associations patrimoniales en nord Drôme.

La revue du Pôle N°15 juillet 2018 7

Autre facette, il organise depuis plus de dix ans des expositions d’art contemporain en milieu rural : « Chemins de peintre ». Un homme discrètement mais fortement engagé dans le collectif !

« En dehors de la technicité du métier, ce que j’aime le plus c’est partager avec des gens compétents et passion-nés, travailler ensemble et pour un seul sujet, le Patri-moine, son respect, sa conservation et sa mise en valeur ».

MARINE CROUZET, conservatrice-restauratrice

Jeune professionnelle de 29 ans, salariée de l’entreprise A-Corros, Marine nous parle de son métier qu’elle a commencé à exercer après avoir passé le concours de la formation CRBC (Conservation Restauration des Biens Culturels) de l’Université Paris-I Sorbonne et validé son diplôme de conservateur-restaurateur des biens culturels, spé-cialité objets archéologiques (plus objets composites).

La formation est un élément indispensable pour deve-nir un bon conservateur-restaurateur. Cela commence par une part importante de théorie, afin d’acquérir les compétences historiques et artistiques ainsi que les bases scientifiques nécessaires à la bonne connais-sance des objets et de leurs phénomènes de dégra-dation, suivie d’une part essentielle de pratique, à travers des stages ; dans le cas de Marine, auprès des laboratoires de restauration, dans des réserves de dé-pôts archéologiques, en France et à l’étranger. Elle s’est ainsi retrouvée en fin d’études cinq mois au Centre de conservation de Québec (CCQ) et trois mois au Studio Vastvensk Konservering (SVK) de Göteborg en Suède.

Son premier beau souvenir de restauration fut lors de son stage à Arc-Nucléart à Grenoble, avec un travail sur l’épave Lyon Saint-Georges (LSG 4 pour les in-times), un chaland gallo-romain. Depuis, au sein de l’entreprise A-Corros, elle travaille essentiellement sur des objets archéologiques en métal, sur des objets historiques et parfois sur du monumental, principale-ment sur des collections publiques.

Nous lui avons demandé les qualités nécessaires se-lon elle au métier de conservateur-restaurateur. Savoir observer est primordial, car il ne suffit pas d’appliquer des recettes toutes faites aux objets, il faut savoir les observer, comprendre ce qu’ils ont à dire, ce qui ne se fait pas toujours au premier regard. Il faut savoir rester

humble et ne pas plaquer sur l’objet ce qu’on aimerait y voir, au risque d’altérer son intégrité. Et enfin savoir être patient, prendre le temps d’observer, d’analyser, de faire un travail minutieux et toujours avec un peu d’ingéniosité pour s’adapter à chaque cas particulier.

Mais être patient aussi face aux contraintes adminis-tratives, très présentes dans le quotidien du métier, car il faut souvent répondre à des appels d’offres pour obtenir des marchés et naturellement rédiger des rap-ports de restauration réguliers pour chaque mission. Marine nous glisse qu’elle aimerait bien que ces mar-chés publics puissent être allégés à l’avenir.

L’administratif n’est heureusement pas le cœur du métier. Au quotidien, elle travaille surtout pour et avec des objets ! Elle les stabilise (ralentissement des phénomènes de corrosion) puis les restaure (nettoyage de surface, collage, comblement…) au sein du labora-toire d’A-CORROS. Mais elle est également amenée à effectuer des déplacements assez régulièrement, régional et national. Pour répondre à un marché, sou-vent le conservateur-restaurateur se déplace pour aller voir l’objet concerné ; une fois obtenu, il peut être amené à aller les chercher puis à les ramener à la fin des interventions. En revanche, pour le monumental, le diagnostic et la restauration se font fréquemment in situ, ce qui implique une logistique particulière et parfois le partenariat avec d’autres équipes, du milieu du bâtiment par exemple

Quand elle n’est pas dans son atelier ou sur le ter-rain, Marine garde un pied dans la recherche. En ef-fet, il est indispensable de se tenir informé des avan-cées scientifiques, d’aller à des colloques et journées d’études, lire des revues, échanger avec d’autres pro-fessionnels… et de continuer à se former tout au long de sa carrière, afin de pouvoir proposer les meilleures restaurations possibles.

Mais à la question « Qu’est-ce qu’une restauration réussie ? Quand le restaurateur est-il satisfait de son travail ? », Marine reste un peu sans mot, avant de nous dire qu’un conservateur-restaurateur est rare-ment totalement satisfait d’une restauration, qu’il voit surtout les défauts, sûrement par modestie, humilité et perfectionnisme. La satisfaction est avant tout celle du commanditaire (un gestionnaire de collections, un conservateur de musée, un régisseur de collections…) et par procuration celle du restaurateur. « Une res-tauration réussie c’est quand l’intégrité de l’objet a pu être conservée, quand on a réussi à révéler une infor-mation par l’objet, sans trop perdre de sa matière »

Un conservateur-restaurateur entreprenant, libre et souriant

C’est au cœur de la plateforme Archeo-med®, à Arles, que Philippe de Viviès nous accueille un matin de mai orageux. Une barbe de quelques jours, le cheveu volon-

tairement en bataille, l’œil pétillant de l’enfant et le sourire vrai du passionné, ouvre son portrait.

Né au début des années 70, à Aix en Provence, quatrième d’une fratrie de cinq, sa jeunesse est rythmée par le métier de son père : chaque sept ans, un nouveau lieu de vie. Après Aix, ce sera Modane puis à nouveau Aix puis Boulogne sur Mer. Après une scolarité disons laborieuse et un baccalau-réat scientifique, Philippe entre, presque par hasard, voire par erreur (Philippe se trompe de salle le jour de la rentrée !), en BTS de métallurgie, traitements des matériaux, option traitements thermiques.

En quête du chemin à trouver, Philippe cherche à rencon-trer. Il a la chance de découvrir, au hasard d’un entretien d’orientation, le métier de conservateur restaurateur. « La personne qui m’a présenté ce métier m’a fait dire en quelques minutes : c’est ça ! J’aimerais remercier cet homme dont je n’ai gardé ni les coordonnées, ni même son nom ! Je suis à sa recherche ».

Philippe a ainsi cherché à rentrer dans l’actuel Master « Conservation Restauration des Biens Culturels » de la Sorbonne. Le chemin ne fût pas simple mais sa motivation et sa ténacité sont venues à bout des portes qui ne voulaient s’ouvrir.

Pour préparer le concours, ce fût, tout d’abord, une expé-rience d’un an à Archéolyse International (ancien labora-toire de restauration d’objets archéologiques sous-marins) au Cannet. Paul Mardikian, responsable de cette structure et qui l’accepte en stage, sans convention aucune, est sa deuxième rencontre clé. « Cette expérience m’a confirmé ma passion révélée lors de ma première prise de connaissance de ce métier ».

Après moult péripéties, la réussite au concours aboutit ! « N’ayant pas brillé en dessin, une matière forte de l’évalua-tion, je tiens à remercier, Régis Berthelon, un restaurateur référent, membre du jury, qui a vu en moi, au mieux un

potentiel, au pire un passionné, ou inversement – sourire - Il a plaidé en ma faveur pour que je puisse réaliser ce master. »

Cette formation est une réussite à tous points de vue : enseignements, sujets traités, travaux collectifs, solidari-té, ambiance... Ces années se concluent par un stage d’un an à Charleston, aux Etats-Unis, sur le fabuleux sujet du sous-marin Hunley disparu en mer durant la guerre de sécession avec huit hommes à bord. Philippe devient ensuite salarié durant sept ans pour cette passionnante restauration au sein d’une équipe internationale, entourée d’experts.

Paul Mardikian, à nouveau lui, le prévient d’une personne ayant un projet similaire. Il s’agit de Jean- Bernard Memet... Philippe le contacte et les échanges progressifs se font, puis Jean-Bernard rejoint l’aventure « Hunley » en tant qu’expert scientifique.

Et leur projet d’association prend forme ! Jean-Bernard crée la société A-Corros en 2007. Philippe le rejoint un an plus tard avec Shannon sa femme américaine enceinte de six mois et deux enfants en bas âges. Un vrai bouleversement de vie !

« La vie bascule au hasard des rencontres » dit-il. Mais le hasard, sans doute, se provoque.

A-Corros a aujourd’hui onze ans. Les deux associés, très complémentaires sur bien des points, sont ainsi devenus à leur tour des référents. Philippe affirme cette création source d’épanouissement mais aussi de beaucoup d’énergie à donner. « La vie d’une petite entreprise nécessite temps et énergie ; les heures passées ne se comptent pas ». De l’étude à la conservation des métaux, leur aventure se poursuit solidement.

Outre la restauration, c’est surtout la recherche appliquée que Philippe affectionne par la possibilité d’affiner la com-préhension des modes de corrosion, d’améliorer les traite-ments et de travailler en équipe avec d’autres spécialistes. « J’aime à penser que je permets à notre métier d’avancer ».

Ce trop court entretien se termine. L’Homme est clairement humble et profondément passionné. Les dossiers d’A-Corros l’attendent impatiemment mais le sourire est encore bien présent et sincère. Il s’excuse en pensant que son propos n’a sans doute pas été très ordonné. Ce n’est pas faux mais peu importe, car le chemin est quant à lui clairement tracé.

Philippe de Viviès Co-directeur d’A-Corros

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