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N°63 JANVIER 2017 • REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF • 6 EUROS DOSSIER P. 5 REGARD LA FRANCE EN COMMUN Igor Zamichiei EXPOSITION KADER ATTIA Romain Brigue PATRICK TORT OU L’ENJEU D’UN MATÉRIALISME ACTUEL Lilian Truchon P. 26 LE GRAND ENTRETIEN P. 48 LIRE Parti communiste français DE NOUVEAUX DROITS DÈS MAINTENANT !

N°63 JANVIER 2017 • REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF • 6 ... · suites de l’affaire tapie-adidas, une escro-querie en bande organisée, avec détour-nement de fonds et complicité

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N°63 JANVIER 2017 • REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF • 6 EUROS

DOSSIER

P. 5 REGARD

LA FRANCE EN COMMUNIgor Zamichiei

EXPOSITION KADER ATTIARomain Brigue

PATRICK TORT OU L’ENJEU D’UN MATÉRIALISME ACTUELLilian Truchon

P. 26 LE GRAND ENTRETIEN P. 48 LIRE

Parti communiste français

DE NOUVEAUXDROITSDÈS MAINTENANT !

SOM

MAI

RE

La Revue du projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacDirecteur : Guillaume Roubaud-Quashie • Rédacteurs en chef : Davy Castel, Jean Quétier, Gérard Streiff • Secrétariat de rédaction :Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : Aurélien Aramini, Caroline Bardot, Hélène Bidard, Victor Blanc, Vincent Bordas, Mickaël Bouali,Étienne Chosson, Séverine Charret, Pierre Crépel, Camille Ducrot, Alexandre Fleuret, Josua Gräbener, Florian Gulli, Nadhia Kacel,Corinne Luxembourg, Stéphanie Loncle, Igor Martinache, Michaël Orand, Léo Purguette, Marine Roussillon, Bradley Smith • Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère • Mise en page : Sébastien Thomassey • Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) • Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex)

Dépôt légal : janvier 2017 - N°63 - ISSN 2265-4585 - N° de commission paritaire : 1019 G 91533.

La rédaction en chef de ce numéro a été assurée par Gérard Streiff

LA REVUEDU PROJET

JANVIER 2017

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3 ÉDITOGérard Streiff Justes colères populaires

4 POÉSIESVictor Blanc Francisco de Quevedo

5 REGARDRomain Brigue Kader Attia

6 u24 LE DOSSIERDE NOUVEAUX DROITS, DÈS MAINTENANT !Camille Ducrot, Victor Blanc Droits nouveaux et modernitéJean-Marc Coppola Refonder la républiqueJean-Michel Galano Comment penser des droits nouveaux ?Sylvaine Laulom Une proposition de réécriture du code du travailYann Le Pollotec Le code fait-il la loi sur les plateformes numériques ?Pour un droit de préemption des salariés sur leur entrepriseNicole Borvo-Cohen-Seat Pour un nouveau pacte démocratiqueErwan Lehoux, Catherine Sceaux Tous capables !Ian Brossat Le droit au logement, enjeu fondamental de luttesJulien Lévy L’approche « logement d’abord » : droit nouveau ou nouveau rapport au(x) droit(s) ?Gabriel Laumosne Droits LGBT+ : pourquoi va-t-il falloir encore légiférer ?

25LECTRICES & LECTEURSTravail et société

26u29 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENIgor Zamichiei La France en commun

30 PARLEMENTAndré Chassaigne Bilan de la législature Front de gauche

32 COMBAT D’IDÉESGérard Streiff L’évêque et la politique

34 CRITIQUE DES MÉDIAACRIMED « Football Leaks » : quand Pascal Praud justifie l’évasion fiscale et les pressions sur les journalistes

36 FÉMINISMENadhia Kacel Les communardes, notre héritage

38 PHILOSOPHIQUESShirley Wirden Élaborer une révolution de la « peine »

40 HISTOIREHervé Leuwers Aux origines d’une mémoire républicaine de Robespierre

42 PRODUCTION DE TERRITOIRESMarcel Cornu Recherches marxistes en urbanisme

44 SCIENCESFlorian Mathieu L’astronomie à la Belle Époque : une sciencepopulaire

46 SONDAGEGérard Streiff Les Français et la politique à la télé

47 STATISTIQUESMichaël Orand Violences psychologiques

48 LIRELilian Truchon Patrick Tort ou l’enjeu d’un matérialisme actuel

50 CRITIQUES• Jean Baubérot Petit manuel pour une laïcité apaisée• Olivier Barbarant Le Paris d’Aragon• Mona Chollet Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine

52 DANS LE TEXTE (LÉNINE)Florian Gulli, Aurélien Aramini L’impérialisme capitaliste

54Organisez des débats

55Bulletin d’abonnement

Quand tant de forces et de moyens sont à l’œuvre pour nous enjoindre d’accepter le monde comme il va,

notre détermination à refuser les injustices et à faire frontcontre les exploitations et les dominations

sont d’ores et déjà une belle victoire. Ce très possible chemin vers l’humanité

est celui de l’avenir, il est notre cause commune. Que vive 2017 !

L’équipe de La Revue du projet vous souhaite une belle année.

RdP-63_V8_RDP 09/01/2017 14:05 Page2

ÉDITO

Justes colères populaires

À ma droite, la Cour de justice dela république : trois magistratsde la Cour de cassation, le pro-cureur général près la même

cour, c’est-à-dire le plus haut magistratdu parquet, un avocat général, douzedéputés et sénateurs, autant de sup-pléants, revêtus d’une robe noire à pare-ments de satin (les parlementaires sontdéfrayés 3 000 euros). À ma gauche,Christine Lagarde, patronne du Fondsmonétaire international, bras croisés,sourire boudeur, la morgue tranquille,le regard de celle qui se demande com-bien de temps va durer cette comé-die alors qu’elle a tellement de chosesà faire ailleurs.L’ambiance des cinq jours de son pro-cès a été plutôt bon enfant. La prési-dente n’était jamais blessante dans sesquestions. Les élus faisaient un peu dela figuration : « Le fait que Jean-Luc Wars-mann, député Lr des ardennes, ait ouver-tement passé le plus clair du réquisitoireet des plaidoiries à consulter sa tablettene saurait autoriser quiconque à direque les élus sont des juges dilettantes »,écrit, goguenard, le chroniqueur judi-ciaire stéphane durand-souffland.des « juges » assurément du mêmemonde que la personne jugée. Les copainset les coquins remplissaient la salle.

Ce qui était jugé là, c’étaient un peu lessuites de l’affaire tapie-adidas, une escro-querie en bande organisée, avec détour-nement de fonds et complicité. tapieavait obtenu par la grâce d’un arbitrage,truqué, en 2007-2008, 403 millions d’eu-ros dont 45 millions nets d’impôts autitre d’un supposé « préjudice moral »,sentence annulée en 2015. Lagarde, alorsministre de l’Économie, aurait dû enga-ger un recours en annulation. elle ne l’apas fait, elle a donc rendu inéluctablel’appropriation frauduleuse par les épouxtapie du magot, dit la Justice. « un recoursaurait sans doute permis de découvrirla fraude. »

Lagarde est donc coupable d’avoir per-mis un détournement colossal de fondspublics. mais la voilà dispensée de peine.alors que le code pénal prévoit jusqu’àun an de prison (article 432-16) et

15 000 euros d’amendes, éventuelle-ment assortis de sursis. Le tribunal aparlé de « négligence » ne justifiant aucunepoursuite de la dame, eu égard à sa « répu-tation ».toute la faune des petits marquis gra-vitant dans ce monde lagardien l’a jouéd’ailleurs désinvolte. stéphane richard,ex-directeur de cabinet et actuel pré-sident-directeur général d’orange, nes’est pas déplacé. Claude guéant, ex-secrétaire général de l’Élysée (qui reçutdix-sept fois tapie), ne se souvient derien. François Pérol, ex-secrétaire géné-ral adjoint en charge des affaires éco-nomiques, a lui aussi un gros trou demémoire : « Je ne me souviens pasqu’une instruction a été donnée à uneréunion dont je ne me souviens pas. »Christine Lagarde était si sûre de sonfait qu’elle ne s’est même pas rendueau Palais de justice de Paris le jour où laCour de justice de la république, aprèsune délibération express, a rendu sonverdict scandaleux : pas de peine, pasde sanction, même symbolique.

***

il faut croire que les puissants, escrocsavérés ou non, se sentent bien sûrs d’euxpour afficher une telle morgue. C’estaussi un des enseignements de ce lamen-table quinquennat hollandais. Le Prési-dent a réitéré sa pleine confiance dansla dame du Fmi. et la direction du Fmi aconfirmé son soutien à Lagarde (qui estpourtant censée, à son poste, donnerdes leçons de bonne gouvernance auxcent quarante-sept pays membres).assurés de leur impunité, les riches para-dent. Cette histoire Lagarde illustre à lacaricature la connivence des nantis. etla déliquescence du débat public. ellesuscite l’indignation. Pas question delaisser l’extrême droite en faire ses chouxgras, et criailler son refrain du « tous pour-ris ». Cette posture est une imposture.L’extrême droite nous la joue anti-sys-tème, à la manière de trump. Foutaise !Ces gens sont les purs produits du sys-tème. Ce sont les plus riches, les plusforts, les puissants qu’ils veulent met-tre à l’abri des justes colères populaires.démonter le mensonge lepenien seraun des enjeux de la présidentielle.

Pour la présidentielle, les communistes,on le sait, pour ne pas rajouter une can-didature à la trop longue liste des can-didats de gauche, ont décidé d’appelerau vote pour la candidature de Jean-Lucmélenchon. ils lancent cette campagneavec cet objectif d’un rassemblementle plus large de la gauche, bien plus largeque celui auquel la France insoumiseinvite, un rassemblement qui s’opposeà la droite et au Fn, exige une ruptureavec la politique du précédent quin-quennat et qui puisse se qualifier pourle deuxième tour et l’emporter.

et dans le même temps, et avec unemême exigence et un même appétit, ilslancent la bataille des législatives. Parceque pour eux, qui combattent le prési-dentialisme et ses dérives autoritaires,bonapartistes, les élections législativesn’ont pas pour but de donner au prési-dent de la république une majorité pourappliquer sa politique ou renier ses pro-messes de candidat. Les élections légis-latives doivent servir à dégager une majo-rité politique pour des choix, des lois,des orientations qui correspondent auxvœux de la majorité des électeurs. Lamajorité parlementaire ne doit pas ren-dre des comptes au Président, commec’est le cas aujourd’hui, mais à ses man-dants. Ce n’est pas le Président, ce n’estpas le gouvernement qui font la loi maisl’assemblée nationale. et dans les cir-conscriptions législatives, les possibili-tés de rassembler sur des choix de gauchesont très grandes, au-delà des possibi-lités sans doute de la présidentielle. n

GÉRARD STREIFFRédacteur en chef

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Francisco de Quevedo

Ceux qui me voient aveugle à tant pleureret qui savent mes larmes répandues,s’étonnent qu’en fontaines confonduou bien en pluie, je ne suis dilué.

Pourtant mon cœur brûle, tout étonné (car, Lisi, dans tes flammes il est tenu)de ne me voir en flammèches perdu,en fumées noire et flammes dispersé.en moi, puissants, ne triomphent les fleuvesdes incendies, qui violents me rudoient,et s’en défendre il n’est pleurs qui le peuvent.

L’eau et le feu traitent de paix en moi ;ils sont alliés, s’ils me mettent à l’épreuve ;et tous deux, s’ils me tuent, ne se tuent pas.

dans les cloîtres de l’âme, la blessuremuette gît, mais consume la vie,puisque sa faim en mes veines nourritune flamme dans ma moelle qui dure.Hydropique ma vie boit la brûlure,et déjà cendre amoureuse et pâlie,montre, cadavre, en ce bel incendie,son feu défunt, fumée et nuit obscure.Je fuis les gens, j’ai le jour en horreur ;et vers la mer, sourde à ma peine ardente,je lance en de longs cris de sombres pleurs.aux soupirs j’ai donné ma voix qui chantela confusion a submergé mon cœur ;mon âme est un royaume d’épouvante.

Les Furies et les Peines, en poésie / gallimard(traduction Jacques ancet)

Francisco de Quevedo est né à madrid en 1580. Figuremajeure de la littérature baroque et du siècle d’orespagnol, Quevedo fut aussi un personnage haut encouleur, un grand érudit, un politicien qui connut lagloire et l’abîme, le clignement qui sépare les fastesde la cour des pailles de la geôle. volontiers provo-cateur, pamphlétaire, intrigant, il est emprisonnéde 1639 à 1643 pour son hostilité au gouvernementdu ministre olivares et accusé de pactiser avec l’en-nemi français. il ne s’en relèvera pas et meurt deuxans plus tard, en 1645, dans l’amertume et le ressen-timent pour ses contemporains. La poésie de Que-vedo met en mouvement les grands thèmes de la lit-térature baroque, les éléments, le feu particulièrement,avec une profusion d’images exceptionnelle pourexplorer, par de violents contrastes, la noirceur del’âme humaine. Poète de l’amour courtois à traversla figure archétypale de Lisi, Quevedo est aussi le fos-soyeur de l’illusion lumineuse des sentiments et dela bonté des hommes. en cela aussi, il s’oppose à songrand ennemi, le poète Luis de góngora, qu’il ne ces-sera d’injurier (il ira jusqu’à l’expulser de son loge-ment). « rabelais crépusculaire »  (ancet), Quevedone met la splendeur noire de ces vers au service d’au-cune rédemption, d’aucune joie qui serait grâce. C’estune descente en enfer, dans les tréfonds de ce« royaume d’épouvante » qui est l’âme du poète, peu-plée des figures grotesques et cruelles des hommesde son époque. Quevedo abaisse et s’abaisse. dansses prodigieux sonnets satiriques, l’entrée de l’orduredans le langage poétique permet une création ver-bale hors du commun. au prix de toute hiérarchie,convenance ou clairvoyance. ainsi des saillies anti-sémites, qu’il faut sans doute historiciser, mais quin’en demeurent pas moins dégoûtantes. et pourtantles hyperboles, les néologismes, les métaphores, lesjeux de mots foisonnent, et la verve fait magma dela langue : comme dans le « sonnet du pet », que Que-vedo compare au « rossignol des pédés », avant depoursuivre : « Je chie sur les monarques et leur bla-son / qui se targuent, cernés de brutes épaisses, / dedonner vie et aux Parques leçon » ou lorsqu’il paro-die le style de góngora (« la peau du ciel concave »),ou encore, au passage : « Pute gratis est plaisir sansdisgrâce », « nez superlatif », « colossal archinez »,« face de neige », « soleil cadavre, lueur gisante »…dans ses errements, Quevedo rencontre le corps.sans doute pas le corps qu’on aimerait voir chanter,la chair heureuse et belle, mais la chair à vif, la viande,que l’amertume et le langage transcendent et décom-posent à la fois, régénèrent et pourrissent. Le poèteen pleurs, « en fontaine confondu », sa « cendre amou-reuse », c’est-à-dire le délicat poète des poèmesmétaphysiques ou des sonnets amoureux doit êtrelu en regard du satiriste obscène. et réciproquement.ils sont contraste et paradoxe l’un de l’autre, refletsde la « confusion » surpuissante qui règne au nomde Quevedo, sur Quevedo.

VICTOR BLANC

REGARD

L e prix marcel-duchamp est sans nul doute l’une desrécompenses les plus décisives données aux artistes

visuels en France. Cette année, le lauréat est le franco-algé-rien Kader attia dont le travail a toujours possédé une approchetant politique que critique. Pratiquant autant la photographieque la sculpture ou la performance, celui-ci cherche à repré-senter des problèmes politiques, sociaux ou historiquescontemporains comme le printemps arabe ou la colonisa-

tion. C’est de cela dont parle la pièce maîtresse dans l’ex-position qui se tient actuellement au centre georges-Pom-pidou. structurée autour de la comparaison entre la mémoirede la colonisation et celle des membres amputés, elle per-met de se confronter à cet événement majeur de notre his-toire avec un regard différent.

Kader Attia, lauréat du prix marcel-duchamp 201618 octobre 2016 - 30 janvier 2017Centre georges-Pompidou, Paris (75)

Kader Attia

ROMAIN BRIGUE

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au pays du 49.3 et de l’état d’urgence, du CaC 40 et du fric roi, parler et revendiquer des droits nouveaux, pour le salarié, le citoyen,l’individu, c’est tout de suite engager le bras de fer avec les tenantsdes privilèges, les conservateurs de tout poil, les rentiers du système,c’est ouvrir des espaces inédits de liberté, c’est rebrancher l’espoir.

de nouveaux droits, dès maintenant !DOSSIER

PRÉSENTATION

droits nouveaux et modernitépolitique progressiste, au mieux, ouune attaque conservatrice et libérale,au pire. De nombreux exemples mon-trent pourtant que les droits nouveauxne se sont pas souvent construits dansdes périodes « faciles ». Les deux der-niers films de Gilles Perret qui inter-rogent la création du programme duConseil national de la Résistance etl’histoire de la Sécurité sociale le prou-vent. De 1939 à 1945, le CNR a inventé,en pleine Résistance, dans la clandes-tinité, un programme politique deconquêtes sociales attaché à mettreen place à la Libération des droitsinexistants auparavant. C’est à partirdes Jours heureuxque les femmes ontenfin obtenu le droit de vote, effectifen avril 1945. Le préambule de laConstitution de 1946 reconnaît aussile droit à la santé par exemple via lamise en place de la Sécurité socialenationale pour tous. C’est un mondeouvrier prêt à se battre pour ses inté-rêts de classe qui a rendu ces droitseffectifs. Les caisses de la Sécuritésociale ont ainsi été créées sur le ter-ritoire par des collectifs issus majori-tairement de la CGT. Ces expériencesprouvent qu’il est possible de penserdes droits et de les appliquer réelle-ment, même quand la situation nesemble pas propice.

Aujourd’hui, à l’heure où les partispolitiques capitalistes font passer pourmodernes les pires régressionssociales, il est urgent de reprendre lamain pour faire appliquer des droitsdevenus internationaux ou pour enpenser des nouveaux, adaptés à l’évo-lution du monde et des mentalités.Nous vous proposons donc un dos-sier qui tente d’explorer ce que pour-raient être ces droits nouveaux sur lesquestions du logement, du travail oude la famille, liées aux réclamationsdes associations LGBT. Mais nous nevoulons pas en rester à des proposi-tions ; des articles interrogent ici lamise en place effective de droits pour-tant reconnus comme fondamentaux.Qu’en est-il aujourd’hui du droit àl’éducation en France ? Ou du rôle decitoyen ?Bref, il s’agit ici de s’interroger pourêtre plus à même de conquérir ensem-ble de nouveaux droits, de leur recon-naissance juridique à leur mise enplace effective sur le terrain. n

��*Camille Ducrot est responsable des rubriques Lire et CritiquesVictor Blanc est responsable de larubrique Poésies. Ils ont coordonné ce dossier.

PAR CAMILLE DUCROTET VICTOR BLANC*

François Fillon a remporté la pri-maire des Républicains à la pré-sidentielle ; mais finalement il

nous importe peu de connaître le nomdu candidat de la droite. La victoirerevient d’ores et déjà au programme,commun dans les grandes lignes auxsept candidats, programme ultralibé-ral qui entérine un retour au débutdu XXe siècle et la suppression desdroits sociaux acquis depuis : remiseen cause de la fonction publique, sup-pression de l’ISF, diminution desimpôts et augmentation des taxes,recul de l’âge de départ à la retraite,critique de la Sécurité sociale, etc.Sous couvert d’austérité, ce sont tousles droits conquis de haute lutte aucours du dernier siècle qui tendent àêtre remis en question : droit au loi-sir, droit à la santé, droit à l’éduca-tion, droit à l’égalité, droit au loge-ment…Les prétextes évoqués, du sérieux etdu réalisme, masquent mal la volontéde servir les intérêts des plus riches,élargissant ainsi le fossé qui les séparedes plus pauvres. La crise a bon dospour justifier une absence d’audace

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DE NOUVE

AUX DRO

ITS, DÈS

MAINTE

NAN

T !

l’actualité qu’il décryptait, de l’instru-mentalisation du burkini à l’analysedes attentats, en passant par le portdu voile et au retour à un langage tota-litaire… Pour lui, le manque d’éduca-tion populaire conduit à un clivageentre éduqués et non éduqués et il pro-pose l’éducation et la culture commemeilleurs remèdes contre le recoursaux gourous maléfiques comme Trump,les chefs de Daech ou autres prophètesde la haine et des violences.Éducation oui, pour redonner du sensaux mots, à la vie et à l’action publique.

Nous avons besoin de droits nouveauxpour permettre une véritable partici-pation citoyenne. En commençantpar le droit à l’éducation populairepour construire une citoyenneté libre,souveraine, active et créatrice d’unevéritable politique afin de conquérirde nouvelles avancées sociales etdémocratiques à la hauteur des défisde notre époque. Il s’agit de mieuxmaîtriser les savoirs, les connaissances,les sciences.

C’est la seule façon d’éviter le piègetendu et de sortir par le haut d’unecrise politique, dont l’issue proposéeserait en 2017, en France, l’autorita-risme porté la droite et le FN ou latechnocratie portée par ceux qui pro-posent des changements institution-nels sans convoquer l’interventioncitoyenne, consciente et réfléchie.Au moment où tout le monde, tous

les partis politiques se réclament dela république, on ne sait plus très bience que recouvre ce mot. Les déclara-tions incantatoires sur la républiqueou les valeurs de la république sontainsi vaines si elles ne sont pas sui-vies d’actes concrets visant à mettreen cohérence les ambitions et la réa-lité. Il est plus qu’urgent de passer auxactes pour construire une république,faite par la population la plus dému-nie et la plus dominée, pour passerde citoyens passifs à citoyens actifs,pour bénéficier de la totalité de lacitoyenneté. Il est urgent de rompreavec la délégation de pouvoir, pourcombattre pied à pied les inégalitéset les restrictions de liberté par desarsenaux sécuritaires autant inutilesqu’inefficaces et coûteux.La crise de la démocratie est abyssale.Nous sommes dans une démocratiereprésentative où la majorité de lapopulation n’est pas représentée. Leprésidentialisme est à son paroxysme,non pas seulement avec le présidentde la République, mais avec des col-lectivités monarchiques de plus enplus éloignées des populations et deleurs attentes, telles les métropoles,ou vidées de leurs prérogatives,comme les communes, creusets de ladémocratie.Les institutions de la Ve Républiqueont fait leur temps. Leur présidentia-lisme a avivé la crise de la politique.Elles ne permettent pas de passerd’une logique de concentration des

pouvoirs à une diffusion des respon-sabilités dans tout le corps social.

nous sommes à untournant de CiviLisationIl s’agit de sortir de deux siècles où l’ona appris aux citoyens à se soumettreplutôt que d’agir en hommes etfemmes libres. Le but étant de recou-vrer la pleine capacité de gérer la chose

PAR JEAN-MARC COPPOLA*

n ombreux sont les événementsmajeurs que nous n’osionsjamais imaginer, qui interro-

gent, inquiètent et ajoutent du brouil-lard aux repères déjà fragiles de notresociété. Les attentats dans nos socié-tés soi-disant démocratiques, pro-tégées, hypersurveillées, le Brexit auRoyaume-Uni, l’élection du national-populiste Trump aux États-Unis, lamultiplication des nationalismes les

plus réactionnaires et des populismesles plus racistes, la renaissance de dic-tateurs comme Erdogan en Turquieet les guerres qui n’en finissent pasà quelques heures de notre pays, dansla plus grande indifférence des ins-titutions internationales, sauf à souf-fler sur les braises de ces foyers de ten-sion, sont autant de symptômes d’uncapitalisme débridé et à la recherched’un nouvel élan.Ce système attise les méfiances, lespeurs, les violences dans le seul but dediviser les peuples. Nous sommes faceà une confiscation grandissante de ladémocratie par les multinationalesdans les mains de quelques famillesprédatrices de tous les pans d’activité.La finance, les marchés financiers neveulent pas que les peuples s’en mêlentet les relais en tout genre de l’ultrali-béralisme s’attachent à détourner lescitoyennes et les citoyens de la chosepublique, de l’intérêt général et desbiens communs. Les dirigeants poli-tiques de l’alternance renvoient volon-tairement un sentiment d’impuissance,alors qu’ils ont abdiqué devant l’éco-nomie financiarisée quand ils n’en sontpas complices.

« Nous sommes à un tournant de civi-lisation », disait récemment le neuro -psychiatre Boris Cyrulnik, à propos de

« retrouver la pleine capacité de gérer la chose publique au profit de la population

et non pas laisser un État gouverner au profit de forces obscures que l’on peut

identifier au capitalisme néolibéral. »

« retrouver la pleine capacité de gérer la chose publique au profit de la population

et non pas laisser un État gouverner au profit de forces obscures que l’on peut

identifier au capitalisme néolibéral. »

reFonder La réPubLiquedes sujets politiques conscients, libres, égaux, souverains, acteurs pourun nouvel âge de la démocratie.

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publique au profit de la population etnon pas laisser un État gouverner auprofit de forces obscures que l’on peutidentifier au capitalisme néolibéral.Nous nous plaçons donc dans la pers-pective d’une VIe République, fondéesur une démocratie moderne pleine-ment participative, citoyenne, dansune France débarrassée de la tutelledes marchés financiers.Loin de nouveaux rafistolages consti-tutionnels, de bricolages peu respon-

sables, il ne s’agit pas non plus de tomber dans des propositions déma-gogiques, du style représentation partirage au sort qui ouvrirait le cheminaux soi-disant experts et aux aventu-riers. La priorité est d’approfondir laréflexion autour de sujets essentiels telsque l’exercice de la souveraineté natio-nale et populaire, les moyens de ladémocratie directe, la démocratie par-lementaire, la responsabilité effectivedu gouvernement dans la conduite despolitiques, la suppression de l’électiondu président de la République au suf-frage universel.Cette VIe République que nous appe-lons de nos vœux doit être à mêmed’affronter les enjeux les plus fon-damentaux. Il ne suffit plus,aujourd’hui, de passer d’un numéroà un autre, d’une république à uneautre. Il ne suffit plus d’améliorer lesystème, de mettre un peu d’huiledans les rouages. La démocratie toutentière doit entrer dans un nouvelâge, plus ouverte sur la société tellequ’elle est, sur le monde, plus activedans la sollicitation des citoyens etcitoyennes, en un mot, plus partici-pative. Nous voulons de l’égalité. Del’égalité des citoyens et citoyennesdans un cadre pluriel et ouvert. Nousvoulons construire un nouveau pacterépublicain qui place en son cœurla lutte contre toutes les discrimina-tions, changer la politique et ses pra-tiques. Nous lancerons un proces-sus constituant qui, au terme d’undébat citoyen national, aboutira àun nouveau projet constitutionnelsoumis au référendum. Parallèle-ment, nous prendrons des mesuresimmédiates d’ordre législatif déjà

largement débattues et attenduespar nos concitoyens.

Et au-delà de propositions concrètes,la question qui nous est posée est l’ac-tion pour la conquête de droits nou-veaux afin que la souveraineté du peu-ple soit effective et que les valeurs dela république entrent vraiment dansles actes politiques. Des droits pourse réapproprier la république et ladémocratie en leur donnant le

contenu tel que les révolutionnairesde 1848 en avaient exprimé l’aspira-tion : la souveraineté du peuple pourgérer les biens communs.

un PaCte d’engagementsCommuns Pour La FranCe C’est tout le sens du « Pacte d’enga-gements communs pour la France »que nous mettons sur la placepublique pour réfléchir à un rassem-blement le plus large possible desforces de gauche et de progrès quiveulent s’émanciper de toutes lesdominations. Un pacte pour repren-dre le pouvoir sur la finance et parta-

ger les richesses, pour un renouveaude la politique, pour sortir de l’austé-rité anesthésiante et investir pourl’avenir, pour l’égalité femmes-hommes, pour une France solidairequi protège et incite à l’engagement,pour produire autrement en proté-geant l’humain et l’environnement,pour changer l’Europe. Un pacte d’en-gagements qui propose un servicepublic pour lutter contre les discri-minations, un plan de lutte contre leracisme, l’antisémitisme et la xéno-phobie, des droits nouveaux et éten-dus pour les personnes LGBT, la reconnaissance de la citoyenneté derésidence et du droit de vote des rési-dents étrangers aux élections locales,la levée d’interdiction de travailler desdemandeurs d’asile et la régularisa-tion des sans-papiers, des droits plusforts pour les militants des organisa-tions syndicales ou associatives, larefonte des institutions pour sortir duprésidentialisme et redonner la pri-mauté au Parlementavec de nouveauxpouvoirs aux citoyens, pour une nou-velle organisation territoriale de larépublique avec le droit à la ville, laruralité et l’égalité des territoires, pourgarantir le droit à la justice, son indé-pendance et moderniser notre sys-tème d’incarcération, pour promou-voir le pluralisme et garantirl’indé pendance des média, un despiliers de la démocratie… n

*Jean-Marc Coppola est membre duConseil national du PCF. Il est mem-bre du comité de pilotage du projetdu PCF.

« des droits pour se réapproprier la république et la démocratie en leur

donnant le contenu tel que lesrévolutionnaires de 1848 en avaient

exprimé l’aspiration : la souveraineté dupeuple pour gérer les biens communs. »

Les mêmes droits pour tousLa maison des Potes, réseau d’associations de quartiers défavori-sés, a commandé une enquête auprès de 3 400 ressortissants fran-çais, allemands, espagnols, italiens et anglais sur les questions liéesà l’accueil des étrangers.

surprise, la solidarité et le partage sont largement partagés par tousles sondés. ainsi 80 % considèrent que tous les travailleurs dansun pays, quelle que soit leur nationalité, doivent toucher la mêmeretraite et le même salaire. 60 % environ souhaitent régulariserles étrangers sans titre de séjour mais avec un contrat de travail.55 % veulent permettre aux étrangers résidant en europe depuiscinq ans de voter aux élections municipales et européennes. Pourcette dernière proposition, les Français ne sont favorables qu’à 47 %contre 71 pour les espagnols. Les reculs progressifs de François Hol-lande sur ses propositions de campagne jouent-ils sur ce chiffre ?quoi qu’il en soit, la solidarité n’est pas seulement affirmée, elleest complétée par la volonté de conquérir de nouveaux droitspour les étrangers et d’aller de l’avant sur cette question épineuse.

sylvie ducatteau, « L’état d’esprit est à la conquête de nouveaux droits »,L’Humanité, 26 octobre 2016.

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Locke cherche à faire fonctionner dansle droit une norme naturelle (Deuxièmetraité du gouvernement civil), que Rous-seau, après avoir évoqué dans le Contratsocial les législateurs de l’Antiquité quicomme Lycurgue se disaient inspiréspar Dieu, conclut le livre par un cha-pitre sur « la religion civile », nécessaireà l’homme pour « lui faire aimer sesdevoirs ». D’autre part, et c’est sansdoute l’essentiel, antiques, féodales etdans une mesure croissante bour-geoises, les sociétés une fois installéesau pouvoir ont toujours appréhendél’homme comme « sujet », c’est-à-direen fait comme « objet », le sujet-objetétant assujetti, « obligé » éventuelle-ment par la contrainte, redevable, etinséré dans un système de devoirs. Lesujet, on l’appellera aussi en droit public« l’agent » : l’agent agit, il ne décide pas.Il est le bras armé, l’exécutant de déci-sions prises en amont. Dans cetteapproche, le « bon sujet » ou l’agentdiscipliné est celui qui, instruit de sesdevoirs, les « fait » ou les accomplit, etse montre digne de devenir par la suitesujet de droits. La liste est longue desdevoirs dont il faut s’acquitter : devoirsenvers soi-même, envers ses parents,ses maîtres, ses supérieurs, envers Dieu,etc. Le devoir prime le droit.

On peut souligner, c’est d’actualité,que cet enseignement de l’obéissancea produit son contraire direct : la rhé-torique de l’insoumission, qui en prendle contre-pied en se contentant de l’in-verser. La pensée libertaire, l’exalta-tion de la « désobéissance », le roman-tisme du « bon petit diable » ou du« mauvais sujet », « sauvageon » dontla révolte est d’autant plus sympa-thique qu’elle est éphémère et ne remetrien de fondamental en cause, a trouvéson expression en littérature, avec unevariante de droite : le Traité du rebelle

ou le recours aux forêts de Ernst Jun-ger, mais aussi en philosophie avecHeidegger et Hans Jonas. Quoi qu’il ensoit, au devoir sans droit, la penséelibertaire, qu’elle soit de gauche ou dedroite, oppose l’utopie d’un droit sansdevoir, ce que Hegel appellera la« liberté du vide ».

Citoyenneté etinsCriPtion dans Le droitL’opposition décisive est celle du sujetou de l’agent, et du citoyen. Alors quele droit s’impose au sujet comme lareproduction, dans le présent, de cequi a toujours été, le droit est pour lecitoyen objet d’interrogation critiqueet de délibération. Le sujet-objet étaitau service du droit ou au contraire luidésobéissait. Pour le citoyen, le droitest son objet, son affaire. Le rapport serenverse enfin. Le droit cesse d’intimi-der. Aux valeurs de tradition et de conti-nuité, la bourgeoisie révolutionnairesubstitue des valeurs de rupture,d’émancipation et d’innovation, et pro-pulse le droit dans l’ordre humain…Le citoyen n’est pas un refuznik. Et cen’est pas non plus un individu isolé.Hegel soulignera que l’individuauthentique est dans un rapport socialavec les autres individus, et inverse-

ment que la société civile ne l’est plei-nement que dans la mesure où elle separticularise en une diversité crois-sante d’existences et de consciencesindividuelles.C’est cette collectivité qui assure la viedu droit. Concept névralgique pointépar Hegel dans les innovations de lapensée juridique à l’époque moderne,et qui passera dans Marx. Le droit estchose vivante, « inquiète » (Hegel). Iln’est pas le reflet immédiat de l’his-toire, il en est le reflet décalé, amorti,et il évolue dans une diachronie spé-

PAR JEAN-MICHEL GALANO*

P enser le droit dans son histo-ricité, dans son mouvement, estchose difficile. D’autant plus dif-

ficile que la sacralisation de la loi et dudroit est fortement ancrée dans toutesles sociétés et dans toutes les menta-lités. Le droit est plus souvent quelquechose à quoi on se réfère que l’objetd’un questionnement, et la pratiquedu droit, très professionnalisée, estidentifiée d’abord à son application età son respect plutôt qu’à son élabo-ration et à sa mise en perspective. Pen-ser le futur sur le modèle du passé etce qui sera comme la répétition de cequi a été est de ce point de vue unepente naturelle, renforcée par ce queLouis Althusser appelait les « appareilsidéologiques d’État » (famille, école,église…). Il n’est pas surprenant quele rapport de soumission au droit,inculqué dès l’enfance, ait amené àson tour des réactions infantiles d’in-timidation ou de refus, et rendu com-pliquée l’appropriation par les citoyensde cette sphère majeure de l’existencesociale.

subordination Historiquedes droits au droit et du droit au devoirHistoriquement, l’émancipation dudroit par rapport à la pensée religieuseest un processus de longue durée. LeTalmud comme le Coran sont desensembles indémêlables de préceptesrégissant la vie quotidienne, de prin-cipes juridiques et de prescriptionsd’ordres très divers, auxquels la reli-gion sert de caution et de vecteur. L’af-firmation évangélique d’une justice deDieu séparée de la justice des hommesrestera pendant des siècles une diffé-renciation plutôt qu’une séparationvéritable. C’est en fait la séparation despouvoirs, innovation juridique capi-tale amenée par la montée en puis-sance de la bourgeoisie, qui allait poserla sphère du droit comme autonomeet faire émerger à terme la question dela laïcité.Encore faut-il souligner deux choses.D’abord, le fait que la pensée juridiquedu XVIIIe siècle a beaucoup cherché àfonder le droit sur une instance conser-vatrice, que ce soit la nature (droit natu-rel), la tradition (droit positif mais aussicommon lawen Angleterre), et souventencore sur la religion. C’est ainsi que

« Les sociétés une fois installées aupouvoir ont toujours appréhendé l’hommecomme “sujet”, c’est-à-dire en fait comme

“objet”, le sujet-objet étant assujetti,“obligé” éventuellement

par la contrainte, redevable, et inséré dans un système de devoirs. »

Comment Penser des droits nouveaux ?Le droit est fondamentalement une réglementation du futur et du possible.

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cifique, moins rapide que les événe-ments politiques, beaucoup moins lenttoutefois que la langue, les mœurs etautres institutions de longue durée,dont il précède et parfois stimule l’évo-lution.À la lumière des luttes politiques etsociales de l’époque moderne, le droitapparaît dès lors comme un enjeu, etcomme l’objet d’une possible appro-priation.De fait, les luttes des salariés ont parexemple imposé la création d’un cer-tain nombre de statuts : statut des fonc-tionnaires, statut des personnels hos-pitaliers, etc. Le statut des intermittentsdu spectacle, celui des personnels péni-tentiaires ont été et demeurent l’en-jeu de rapports de forces extrêmementâpres. Derrière la notion de flexibilitéet les accords d’entreprise encouragéspar la loi Travail se camoufle la volontéincessante du capital de revenir à unhomme-sujet, un salarié désarmé qu’onutilise et qu’on jette à mesure desbesoins de rentabilité.

Or la volonté du capital de saccagerles droits acquis et les statuts se heurte,contradictoirement, à une aspirationcivilisationnelle majeure, aspiration àquelque chose qui est de l’ordre dubonheur. Celle-ci s’exprime dans desrevendications nouvelles, qui s’élar-gissent au monde de l’homme dans satotalité. Si la lutte des classes est his-toriquement le brasier auquel cela s’al-lume, la revendication de droits nou-veaux et de plus en plus diversifiés tendà l’universalisation. À la question « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » laréponse « Plus jamais ça » et l’aspira-tion à un monde nouveau sont de plusen plus fortes.Il en va ainsi du droit des enfants : avoirun nom, être soigné, scolarisé, secouru.L’enfant, s’il a droit à une famille, n’enest pas moins sujet de droits spéci-fiques opposables à celle-ci ; et de nom-breuses initiatives portent sur sa pos-sible citoyenneté.Il en va de même du droit des étran-gers, etc. Avec un mouvement fonda-mental : les droits cessent d’être atta-chés à la personne et de dépendre d’unrapport entre des personnes. C’est ainsique la notion de charité va se trouverpeu à peu évacuée de la sphère juri-dique et remisée dans le domaine de

la religion. Qu’est-ce en effet que lacharité ? Un devoir pour celui qui lafait mais nullement un droit pour celuiqui la reçoit (ou ne la reçoit pas) ! Orle droit à une domiciliation, à un revenuminimum, à un emploi, à une couver-ture sociale, à une formation, etc., vadevenir une revendication.

Le droit et La Prise en ComPte des biensCommuns de L’HumanitéL’inscription dans le droit est doncune inscription dans un patrimoinesocial et culturel objectivé à l’exté-rieur des individus et des groupessociaux, dont le mode d’existence n’estpas la transcendance mais la longuedurée et qui devient par là même sus-ceptible d’enrichissement, de conso-lidation, et qui ne peut être modifiéradicalement sans violence.Le détachement progressif du droit parrapport aux relations de personne àpersonne peut être situé dans un mou-vement plus large, celui qui attache

des droits comme on l’a dit aux diffé-rentes parties du monde humain.D’une part, le droit comme devoir dela société s’attache aux plus faibles etaux plus vulnérables. C’est ainsi quele sol se substitue progressivement ausang. Le sang, la « souche » (« Françaisde souche » !), les racines : réductionsdu droit à la perpétuation d’une iden-tité fondée biologiquement. Le sol :détermination ouverte et anonyme,qui ouvre sur l’avenir : celui qui est iciest d’ici. Le droit du sol donne à cha-cun plein accès aux conditions d’exer-cice de la citoyenneté. La situationactuelle montre que la question n’estrien moins que réglée.À l’autre extrême, une approche pro-gressiste du droit tend à le détacherdes personnes réelles ou potentiellespour qu’il englobe plus largement l’en-semble du monde de l’homme – lequelne se réduit pas au monde humain ouhumanisé. Le droit se doit alors deprendre en compte les biens communsde l’humanité.C’est ainsi que les animaux apparais-sent de plus en plus à une réflexioninstruite comme objets de devoirssociaux et humains, avant tout en tantqu’espèces qui ont droit à la préserva-tion et à ne pas subir de traitements

dégradants. Et d’une façon plus géné-rale, la nature, comme l’avait forte-ment souligné Marx au troisième livredu Capital, se révèle être un bien queles générations doivent se passer intact« comme les bonnes têtes de la mai-sonnée ».Rien n’est plus éloigné de la penséede Marx, comme l’a bien montré JohnBellamy Foster, que l’idée selonlaquelle la nature serait cette res nul-lius sur laquelle les hommes auraientun jus utendi et abutendi. Nos devoirsà l’égard de la nature sont la vérita-ble et ultime limite envisageable denos droits.C’est sur cette base qu’il faut penserles notions de respect de la nature, de« réserve » et de « conservation ». Carle progrès des sociétés est contradic-toire : d’une part, des biens autrefoisrares se trouvent désormais à la por-tée d’un nombre croissant d’indivi-dus (transports, loisirs, alimentationéquilibrée…) et, d’autre part, des biensautrefois communs sont d’une appro-priation de moins en moins aisée :espaces verts, silence, nature, air nonpollué… Or seule l’inscription dansle droit permet d’esquisser une réso-lution à ce problème : dès sa création,le ministère des Affaires culturellesenglobe les « monuments, églises etchâteaux » avec les « sites » et les pay-sages, qualifiés de « monuments natu-rels ». La notion de patrimoine unifieainsi les deux aspects du droit, le droitaux biens patrimoniaux ayant commecorollaire un droit directement atta-ché à eux.« Le droit, c’est de la politique », medisait un jour Roland Weyl. Saineréflexion. Disons qu’il y a des média-tions juridiques de la politique, commeil y a des médiations économiques oudes médiations stratégiques. Il fautfaire « la part du droit » dans nos reven-dications. La vie sociale est aussi faitede ces sillons creusés qu’il convientde prolonger ou pas, quitte à en ouvrird’autres. La mise à bas des droitsacquis par des décennies de luttes estdésormais un aspect majeur du libé-ralisme débridé que nous connais-sons. Il s’agit moins pour les forcesdu capital de défendre un corpusconservateur que de faire disparaîtreles trop nombreuses « pesanteurs »que des siècles de combats émanci-pateurs lui ont imposées. Commel’État, le droit est un outil. Beaucoupde politiciens de droite ont été dèsleurs études formés à son maniement.Autant ne pas leur en laisser l’exclu-sivité. n

*Jean-Michel Galano est philosophe.Il est membre du comité de la rubrique Philosophiques.

« au devoir sans droit, la pensée libertaire,qu’elle soit de gauche ou de droite,

oppose l’utopie d’un droit sans devoir, ce que hegel appellera la “liberté du vide”. »

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virtuelles. L’évaluation d’ensemblereste impossible : comment appré-cier si telle nouvelle flexibilité relativepar exemple au licen ciement écono-mique est compensée par un nou-veau droit intervenant dans un toutautre domaine. Par ailleurs, alorsmême que l’ensemble des mesuresinscrites dans ces lois sont présen-tées comme parvenant à un équili-bre, celui-ci ne peut survivre au pro-cessus de réformes incessantes quiconduit à remettre sur le chantier

législatif certaines des mesures aus-sitôt qu’elles ont été adoptées. Pourne prendre qu’un exemple, les accordsde maintien de l’emploi introduitspar la loi de 2013 n’ont pas eu le suc-cès escompté et le dispositif a déjàfait l’objet de deux modifications avecla loi Rebsamen d’août 2015 et la loiTravail d’août 2016 qui introduit unnouveau type d’accord : les accordsde préservation et de développementde l’emploi.

La loi du 14 juin 2013 sera suivie parla loi du 5 mars 2014 relative à la for-mation professionnelle, à l’emploi età la démocratie sociale. Outre les dis-positifs relatifs à la formation profes-sionnelle, issue d’un accord interpro-fessionnel signé le 14 décembre 2013,la loi engage également la réforme dela représentativité patronale et le chan-tier de la restructuration des branches.Naïvement, on aurait pu penser queles réformes législatives allaient alorsmarquer une pause. Ne venait-on pasde réformer (certes pour la deuxièmefois) le marché du travail français afind’agir sur l’emploi ? N’était-il pas néces-saire d’attendre un certain temps pourmesurer l’effet de ces réformes dontcertaines étaient encore en attente dedécrets d’application ?

Pourtant, face à une situation de l’em-ploi qui continue de se détériorer, leprocessus de réformes va alors s’accé-lérer en s’appuyant sur une série derapports publics et privés. En schéma-tisant à peine les discours du législa-teur et de ces rapports, supportés éga-lement par les institutions européenneset un courant d’économistes, les rigi-dités supposées du code du travail etsa complexité nuiraient au fonction-nement du marché du travail et seraientla cause du chômage. Les réformes du

droit du travail, qui deviennent desréformes du marché du travail, sontalors présentées comme indispensa-bles à l’amélioration de la situation del’emploi.

Deux réformes d’ampleur intervien-nent tout d’abord à l’été 2015. Cettefois, la négociation interprofession-nelle n’a pas pu aboutir et les disposi-tifs législatifs sont adoptés sans qu’unaccord ait pu être trouvé. La loi diteMacron, du 6 août 2015, sur la crois-sance, l’activité et l’égalité des chanceséconomiques comprend des disposi-tifs relatifs au droit du travail. La loiétend les possibilités de travailler ledimanche, réforme la justice prud’ho-male et modifie le régime des accordsde maintien de l’emploi. Ces derniersavaient été introduits par la loi de 2013.Ils n’ont pas rencontré le succèsescompté et la loi Macron entend favo-riser leur conclusion. Un des disposi-tifs les plus contestés de la loi, la baré-misation et le plafonnement desindemnités de licenciement sans causeréelle et sérieuse, est lui déclaré incons-titutionnel mais il reviendra quelquesmois plus tard sur le devant de la scène.Quelques jours plus tard, c’est la loiRebsamen du 17 août 2015 relative audialogue social et à l’emploi qui est

PAR SYLVAINE LAULOM*

L a constitution du GR-PACT s’ins-crit d’abord dans le contexte toutà fait particulier de réformes per-

manentes du droit du travail. L’acti-visme législatif autour du droit du tra-vail n’est pas un phénomène récent,mais il atteint un paroxysme en 2015et 2016. Un bref bilan des réformesmenées lors du quinquennat de Fran-çois Hollande permet de mieux sai-sir cet activisme législatif et la volontéde quelques universitaires d’opposerun autre modèle d’intervention endroit du travail.

Le ContexteAssez classiquement, le gouverne-ment socialiste, arrivé au pouvoir enmai 2012, entend réformer le droit dutravail. La méthode est là aussi clas-sique, c’est d’abord par la négocia-tion collective interprofessionnelleque s’engageront les réformes ; unepremière grande conférence socialeest organisée à l’été 2012. Un premieraccord interprofessionnel sera concluen octobre 2012 et repris par la loin° 2013-185 du 1er mars 2013 portantcréation du contrat de génération, quine rencontrera pas le succès escompté.Surtout, une négociation de plusgrande ampleur s’engage avec pourobjectif la réforme du marché du tra-vail en vue d’améliorer la situation del’emploi. L’accord sera signé le 11 jan-vier 2013 et repris par la loi du 14 juin2013 sur la sécurisation de l’emploi.Dans la continuité de la loi du 25 juin2008, elle aussi issue d’une négocia-tion interprofessionnelle, et qui« modernisait » également le marchédu travail, la loi de 2013 est une loi quise veut globale et qui prétend mettreen œuvre des mesures de flexicurité.Au final, la loi de 2013, comme avantelle celle de 2008, comprend unensemble de mesures disparates, pré-voyant quelques droits nouveaux pourles salariés et pour leurs représen-tants, de nouvelles flexibilités et desmesures de sécurisation des parcoursprofessionnels qui restent souvent

« L’activisme législatif autour du droit dutravail n’est pas un phénomène récent, mais

il atteint un paroxysme en 2015 et 2016. »

une ProPosition de rééCriture du Code du travaiLLe groupe de recherche pour un autre code du travail (gr-PaCt) est né à l’ini-tiative d’emmanuel dockès, coordinateur de ce groupe, qui compte une ving-taine d’universitaires, issus de treize établissements spécialisés en droit social.C’est au mois de décembre 2015 que le gr-PaCt se constitue au terme d’uneannée folle où jamais le droit du travail n’aura été autant débattu et critiqué.

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DOSSIER adoptée. Dans la continuité de la loi

de 2013, cette loi poursuit la réformedes institutions représentatives du per-sonnel et ouvre de larges espaces denégociations collectives dans cedomaine.Parallèlement à l’adoption de ces deuxlois (de plusieurs dizaines d’articleschacune sans compter les décrets d’ap-plication), les débats autour du droitdu travail se poursuivent et s’intensi-fient. Dans un premier temps, la publi-cation de l’ouvrage de Robert Badin-ter et Antoine Lyon-Caen, Le Travailet la loi, centre le débat sur la néces-saire simplification du code du travailet sur la reconnaissance de principesen droit du travail. En septembre, deuxrapports commandés par des labora-toires d’idées think tanks sont publiéset recommandent, avec quelques dif-férences, une décentralisation de lanégociation collective. Ces initiatives privées se conjuguent et accompa-gnent le rapport Combrexelle, publiéégalement en septembre.

C’est en avril 2015, que Jean-DenisCombrexelle avait été chargé par lePremier ministre d’une mission sur« l’élargissement de place de l’accordcollectif dans notre droit du travail etla construction de normes sociales. Ils’agira (…) de faire une plus grandeplace à la négociation collective et enparticulier à la négociation d’entre-prise, pour une meilleure adaptabilitédes normes aux besoins des entreprisesainsi qu’aux aspirations des salariés ».S’ouvrant sur un diagnostic de la placede la négociation collective en France,le rapport s’achève sur une liste de44 propositions. Une première réformeest envisagée à court terme (2016). Àmoyen terme, dans un délai de quatreans, il s’agit de réécrire le code du tra-vail, qui a été recodifié, rappelons-le,il y a moins de dix ans en 2008, afind’intégrer une nouvelle architecturedes normes proposée par le rapport.En novembre, la ministre du Travail,Myriam El Kohmri, lance la réformedu code du travail. Une première loi

est annoncée pour 2016 sur le tempsde travail, qui sera suivie par la refontedu code du travail dans les deux ans.Parallèlement, la commission Badin-ter est mise en place. Elle est chargéede définir les principes fondamentauxdu droit du travail avant la mi-janvier.La refondation du code du travail estlancée, sans aucune concertation préa-lable avec les partenaires sociaux.

L’obJeCtiF du gr-PaCtLa constitution du GR-PACT s’inscritdans ce contexte qui explique certai-nement l’écho rencontré par l’initia-tive d’Emmanuel Dockès. Commentfaire entendre une autre voix, alors quese multiplient les rapports, les livres,les déclarations, qui tous convergent,à des degrés divers, vers l’accroisse-ment des flexibilités et l’affaiblisse-ment des protections des salariés, etqu’une nouvelle réforme du droit dutravail, s’inscrivant dans ce courant depensée, s’annonce.Le GR-PACT se fixe alors un objectif :rédiger un projet complet de code dutravail, qui soit à la fois plus simple,plus court, plus protecteur et mieuxadapté à notre temps. Le projet deréécriture vise à démontrer qu’il estpossible de concevoir un droit du tra-vail, toujours protecteur des salariés.Il s’agit donc de démontrer par l’ac-tion qu’il est possible de faire autre-ment.La tâche était d’ampleur, d’autant quele projet est collectif et que si le groupe,constitué librement, est d’accord surl’objectif, il ne peut être homogène etqu’il est traversé par la diversité desopinions des membres du GR-PACT.Ainsi que l’écrit Emmanuel Dockès àpropos du fonctionnement du GR-PACT, « la rédaction d’un code sup-pose de nombreux et difficiles arbi-trages. Il est bien évident que le textequi en sortira ne prétendra sur aucunpoint apporter une quelconque “vérité”,ni aucun “consensus”. Nous ne préten-dons qu’à enrichir les débats ».Au-delà de la grande diversité des opi-nions des membres du GR-PACT, ceux-ci se retrouvent sur, d’une part, desidées partagées et, d’autre part, sur laméthodologie de rédaction de ce code.Sur les idées partagées, je reprends lespropos d’Emmanuel Dockès. La loidoit jouer pleinement son rôle auxcôtés des autres sources du droit dutravail, internationales, européennes,réglementaires et conventionnelles.Ce projet s’oppose à ceux qui visent àréduire le code à un texte minimaliste,composé de quelques dizaines oumême de quelques certaines d’arti-cles. Il s’oppose tout autant aux pro-jets qui visent à remplacer l’essentielde la loi par la négociation collective

quelques mesures phares pour un autre code du travail

s

un droit au temps libre et prévisibleun vrai préavis pour toute modifica-tion d’emploi du temps.un droit au refus des modificationsd’horaires.une sanction pour les interruptions dutemps libre par l’employeur.un droit à la déconnexion pendant toutle temps libre.un temps d’astreinte rémunéré aumoins au tiers du salaire normal.

Les 35 heures renforcéesun salaire majoré de 25% au minimumpour les heures supplémentaires.un salaire majoré de 50% dès la sep-tième heure supplémentaire.

vers un partage du temps de travailPermettre un temps plein sur troisou quatre jours.L’annualisation du temps de travail,contrepartie d’un passage aux 32 heures.

des forfaits, sans burn outune négociation collective d’évalua-tion de la charge de travail.un contrôle par le ChsCt du temps etde la charge de travail.un pouvoir du ChsCt de suspendreles clauses de forfait.des durées du travail maximales pourles forfaits jours. une réduction des jours travaillés enforfait jour.

des souplesses pour les Pmedans les entreprises de moins de vingtsalariés, sans délégué du personnel,l’autorisation de l’inspecteur du travailpeut remplacer un accord collectifd’entreprise.mais aussi…Faciliter l’intégration au salariat des tra-vailleurs « uberisés ».Le volume de lois divisé presque partrois.une simplification de la législation surle travail le dimanche.un meilleur accès à la justice et un ren-forcement du rôle du juge.une sixième semaine de congés payés,en échange de l’abandon de certainsjours fériés.

et en ConstruCtionun grand congé sabbatiquesous condition d’ancienneté et de préa-vis, ouvrir le droit à un grand congé sab-batique pour tout motif, que l’employeurne peut pas refuser. il s’agit de facili-ter la mobilité et de simplifier les congésspécifiques actuels, qui sont nombreux,méconnus et difficiles d’accès.

un congé paternité obligatoire etidentique au congé maternitéPour rééquilibrer un peu la situationdes femmes et des hommes à l’em-bauche et aider à mieux répartir le tra-vail domestique, au moins lors de lanaissance.

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d’entreprise. Le travail salarié est unsujet essentiel, grave. Il requiert undroit suffisamment développé et pré-cis. Les objectifs de clarté et de lisibi-lité ne doivent pas être poursuivis audétriment des salariés. Ils ne doiventpas davantage conduire au flou ou àl’insécurité juridique.Ce projet s’oppose encore au conser-vatisme de certains défenseurs du codeactuel. Même si l’accumulation dés-ordonnée de textes pointillistes etrégressifs n’est pas une spécificité dudroit du travail, même si l’empilementde lois inadaptées est peut-être piredans d’autres domaines du droit, ilconvient de ne pas se satisfaire desgraves malfaçons du code actuel.L’objectif poursuivi n’est donc pas deréaliser une nouvelle recodification « àdroit constant », moins de dix ans aprèscelle de 2008. Un « droit constant » nepeut qu’être aussi lourd et complexeque l’actuel. Les trois codes du travailde l’histoire (1910-1927, 1973, 2008)sont tous des compilations de textesantérieurs, des suites de « copier-col-ler » plus ou moins bien ordonnés.Cette fois, l’objectif est de tenter unevéritable réécriture, pour faire du codedu travail un ouvrage accessible, lisi-ble du début à la fin.Le droit du travail actuel s’appuie surcertaines règles essentielles, directe-ment issues des leçons de l’histoire. Ilconvient de les conserver et de les ren-forcer. Mais ce droit contient aussi sesparts d’ombre et ses faiblesses. Il est

loin d’être un idéal. Et les défis aux-quels il est aujourd’hui confronté sontnombreux : chômage, précarité, « ube-risation », essaimage, mondialisation,éclatement des collectivités de travail,multiplication des sociétés écrans,contagion de la vie professionnelle sur

le temps libre, méthodes de gestion dupersonnel invasives, fragilisation de laprésence syndicale et de la représen-tation du personnel… Écrire un autre code du travail, ce seradonc aussi proposer des idées et desrègles nouvelles pour tâcher de répon-dre aux défis actuels.

La rédaCtion d’un nouveauCode du travaiLSes idées partagées s’appuient sur uneméthode de travail qui a égalementreçu l’aval des membres du GR-PACT

et qui s’est construite au fur et à mesure.L’élaboration du plan du code, lesgrandes orientations de chaque cha-pitre sont discutées au sein du groupe,lors de réunions régulières. L’avis desservices juridiques des organisationssyndicales de salariés est égalemententendu, mais le projet reste doctri-nal. L’élaboration de chaque chapitredu code (Chapitre 1 : Contrat de tra-vail et pouvoirs de l’employeur, Cha-pitre 2 : Rupture du contrat de travail,Chapitre 3 : Salaire, Chapitre 4 : Tempsde travail, Chapitre 5 : Santé au travail,Chapitre 6 : Syndicats, représentationdes salariés et négociation collective,Chapitre 7 : Contrôle et application,Chapitre 8 : Formation professionnelletout au long de la vie) est de la respon-sabilité de rédacteurs. Une fois rédigé,le texte est discuté et amendé. Lors deces discussions, il est possible que desdivergences demeurent entre les mem-bres du groupe. La recherche d’uneunanimité n’a semblé ni possible nisouhaitable et c’est alors par un votemajoritaire que la décision finale estprise. Individuellement, nous pouvonsdonc ne pas être d’accord avec cer-taines options qui ont été retenues.Près d’un an après la constitution duGR-PACT, la rédaction de ce code dutravail est en cours d’achèvement.n

*Sylvaine Laulom est juriste. Elle est professeur de droit à l’université Lumière Lyon 2.

« L’objectif est de tenter une

véritable réécriture,pour faire du code

du travail unouvrage accessible,

lisible du début à la fin. »

nouveaux pouvoirs sur les choix et critères de gestion des entreprises aux représentants des salariés

Les ProPositions du PCFComités d’entrePrise et déLégués du PersonneL doivent disPoser :

• de pouvoirs d’intervention à chaud,en cas de crise, sur les décisions derestructuration des employeurs. surla base de leur propre évaluation desraisons invoquées par les employeurspour modifier volume et structure deseffectifs, durée du travail, salaires, condi-tions d’emploi, de travail et de forma-tion, ils doivent pouvoir faire suspendreles décisions et les projets patronauxgrâce à un droit de veto suspensif et for-muler des propositions alternatives,visant notamment les coûts du capital.

• de pouvoirs d’intervention à froid surles décisions de gestion des entreprises,avec les citoyens des bassins d’emploiet les élus locaux, afin d’anticiper et d’enmodifier les contenus pour des objec-

tifs chiffrés d’emplois et de formations.ils devraient avoir accès aux informa-tions sur la gestion avec des experts,afin notamment de pouvoir s’oppo-ser aux suppressions d’emplois, licen-ciements négociés dans le cadre« d’adaptations aux changements tech-niques ». Pour leur financement, les institutionsreprésentatives du personnel pour-raient saisir un Fonds régional de sécu-risation de l’emploi et de la formation,ainsi qu’un Pôle financier public, ce quiimpliquerait aussi d’autres relations auxbanques. Ces propositions alternativesdevraient être obligatoirement exami-nées par les employeurs. en cas deconflit entre options patronales et sala-riales, un arbitrage devrait pouvoir être

rendu par une instance judiciaire adhoc, telle que le tribunal de grande ins-tance et instance spéciale des conseilsde prud’hommes. Les représentantsdes salariés dans les conseils d’admi-nistration doivent pouvoir saisir lescomités d’entreprise et les déléguésdu personnel pour des demandes desuspension, de propositions alterna-tives et d’arbitrage judiciaire. Les discussions sur les propositionsalternatives doivent être articulées auxobjectifs chiffrés d’emplois et de for-mations, décidés par les conférencesrégionales pour l’emploi et la formation,associant élus régionaux, représen-tants des salariés, des employeurs, desbanques et État.

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est non seulement un conducteur devéhicule, mais il est aussi quelqu’unqui soigne en permanence son e-réputation sur la plateforme pourbien se vendre aux clients afin d’ob-tenir de leur part une bonne notation.À l’inverse, un client, qui voudra rapi-dement trouver un véhicule à uneheure de forte demande de courses,aura intérêt lui aussi à bien soignersa e-réputation puisqu’il est à son tournoté par les chauffeurs Uber qui l’ont

transporté. Ainsi le chauffeur Ubern’est pas lié par un contrat de travailà la plateforme, il est dans une rela-tion contractuelle commerciale avecun consommateur où l’algorithmed’Uber joue le rôle d’interface et detiers de confiance via une juteuse

commission de l’ordre de plus de 15 %du coût de la course. C’est l’algo-rithme qui, en fonction des notations,exclut ou non un travailleur de la pla-teforme ou, à l’inverse, le met en avantsur l’appli du client. Uber ne licenciepas un chauffeur, « l’algorithme ledésactive » (sic). Le code de l’algo-rithme fait office de loi. La prise derisque, y compris en termes d’apportsdes moyens de production, et lescontraintes reposent essentiellementsur le travailleur de la plateforme etplus marginalement sur le consom-mateur.C’est pourquoi partout dans le monde,nombre de travailleurs de plateformesse sont organisés, y compris en syn-dicats pour faire valoir leurs droits etobtenir par la justice que leur rapportavec la plateforme soit requalifié encontrat de travail salarié, étant entenduque l’entreprise imposait des contrain -tes propres à un emploi salarié et nonau recours d’un autoentrepreneurcomme sous-traitant.Pour faire face à l’insécurité socialeproduite par les plateformes numé-riques, d’autres s’organisent en mu -tuelles de travail comme Coopanamepour bénéficier des droits et de la pro-tection sociale. D’autres encore, pourfaire pièce aux plateformes numé-riques capitalistes, créent des plate-formes coopératives alternatives auto-gérées à la fois par les travailleurs etles usagers avec redistribution de lavaleur produite.Il faut que la loi française reconnaisseque les plateformes capitalistes impo-sent un lien de subordination à ses tra-vailleurs. Le droit à auditer les algo-rithmes des plateformes doit être aussireconnu au même titre que celui d’ex-pertiser les comptes d’une entreprise.Les travailleurs comme les usagers doi-vent pouvoir faire valoir un droit ina-liénable sur la maîtrise et la propriétéde leurs données personnelles. n

*Yann Le Pollotec est membre du Comité exécutif du PCF,responsable du secteur Révolutionnumérique.

1. Clin d’œil au célèbre article deLawrence Lessig, « Code is law, OnLiberty in Cyberspace » (Le code faitloi – De la liberté dans le cyberespace), Harvard Magazine,

PAR YANN LE POLLOTEC*

avec les plateformes numé-riques est apparu un nouveautype d’entreprise. En effet, une

plateforme est une entreprise au sensclassique du terme dans la mesure oùelle est une organisation qui permetde produire des biens ou des services.Mais elle est aussi un marché, où lestravailleurs qui produisent les biensou les services proposés par la pla-

teforme ne sont pas des salariés. Ilsne sont pas encadrés par une hié-rarchie. Leur revenu est entièrementindexé au fait de trouver, via l’algo-rithme de la plateforme, des consom-mateurs de leur offre de bien et deservice. À ce titre, un chauffeur Uber

« Le droit à auditer les algorithmes des plateformes doit être aussi reconnu

au même titre que celui d’expertiser les comptes d’une entreprise. »

Le Code Fait-iL La Loi sur Les PLateFormes numériques ?1

des travailleurs des plateformes s’ organisent pour faire valoir leurs droits.

Pour un droit de préemption des salariés sur leur entreprisede très nombreuses entreprises en bonne santé sont vendues parleurs propriétaires pour diverses raisons : réalisation de plus value,départ en retraite ou changement d’activité.Les tribunaux de commerce donnent généralement la préférenceà l’acheteur le « plus disant », même si c’est pour fermer l’entrepriseet s’emparer des machines, des clients et délocaliser l’activité horsde France. Le dernier exemple bien connu est celui d’ecopla.il est donc nécessaire et urgent d’instaurer, en cas de fermeture oude délocalisation de leur entreprise un droit de veto suspensif desélus du personnel et une obligation d’examiner les propositions dessalariés pour sauvegarder leurs emplois.Les sociétés coopératives, sCoP (sociétés coopératives participa-tives, ex-coopératives ouvrières) et sCiC (sociétés coopérativesd’intérêt collectif) ont démontré leur intérêt : plus pérennes que lessociétés classiques financières, elles apportent des droits impor-tants aux salariés. ils participent à la gestion et aux projets de l’en-treprise, déterminent ensemble les investissements et les innova-tions. ils mettent en réserves impartageables une partie significativedes bénéfices. ils ne sont pas soumis au bon vouloir d’actionnairesprédateurs. Leur mode de fonctionnement montre la voie pour lefutur de toutes les entreprises, notamment Pmi et Pme.Le Parti communiste s’est clairement prononcé pour l’instaurationd’un droit de préemption des salariés en cas de vente de leur entre-prise. il faut en faire un thème de campagne !

Site du groupe de travail ESS du PCF : www.ess-pcf.fr

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PCF, représentant à l’époque 25 % del’électorat – et dont les successeursde Charles de Gaulle se sont très bienaccommodés, contribue aujourd’huià une crise de confiance aiguë entrele peuple et ses dirigeants, à un rejetde la politique dangereux, et rend trèsdifficile l’émergence des aspirationspourtant bien réelles à faire de la poli-tique autrement.L’article 16 de la Déclaration des droitsde l’homme et du citoyen, préambulede toutes nos constitutions, mériteattention : « Toute société dans laquellela garantie des droits n’est pas assu-rée ni la séparation des pouvoirs déter-minée n’a point de constitution. » Lepeuple souverain doit pouvoir se doter

d’autres règles qui lui permettent d’êtrerespecté. Ce changement institution-nel ne pourra se faire que par un pro-cessus constituant qui permette ungrand débat public auquel participentle plus grand nombre de citoyens, seconcluant bien sûr par un référen-dum. La tâche est ardue, tant les dégâtsdémocratiques sont pesants, mais lescitoyens ont eux-mêmes desapproches diverses et nombreusesdes changements nécessaires. La ques-tion des droits et des libertés est aucœur des enjeux actuels.

La reConnaissanCe des droits de L’Homme, un Long CombatL’existence même de « droits hu -mains » fut, comme chacun le sait, lerésultat de longues batailles idéolo-giques et sociales au XVIIIe siècle danstoute l’Europe. La Révolution enFrance a consacré, par sa Déclarationdes droits de l’homme et du citoyende 1789, la victoire de la souveraineté

populaire sur l’absolutisme. Mais l’ef-fectivité des droits a continué de fairel’objet d’une lutte incessante des« puissants ». Effectivité qui ne peutd’ailleurs prendre tout son sensqu’avec la reconnaissance en droit eten fait de l’égalité de tous les êtreshumains, ce qui ne s’est énoncé qu’auXXe siècle.La victoire sur la monstruosité naziea produit des évolutions importantesau niveau international, avec la Décla-ration universelle des droits del’homme de 1948 qui reconnaissaitl’existence de droits économiques etsociaux et les droits des peuples, avecla Convention européenne des droitsde l’homme ou avec la Cour euro-péenne des droits de l’homme.

L’originalité de la France, sous l’im-pulsion du Conseil national de la Résis-tance dans lequel la CGT et le PCFjouèrent un grand rôle, a été de doterle pays en 1945 d’instruments origi-naux pour garantir les droits et leslibertés rétablis et les nouveaux droitséconomiques et sociaux consacréspar le préambule de la Constitutionde 1946 : Sécurité sociale, servicespublics, entreprises publiques, HLM.Plus globalement notre histoire émail-lée de grandes luttes populaires – laCommune, la décolonisation, 1968 –fait que c’est en France que les deuxquestions, celle de l’égalité et celle dela garantie des droits ont trouvé leplus d’applications. Par exemple, lecaractère universel des prestationssociales, le même salaire entre Fran-çais et immigrés, le droit de grève pourtous les salariés, y compris les fonc-tionnaires grâce au statut.

Le pacte de 1945 était solide, ce qui apermis à la France de résister à la vaguelibérale des années 1980 (années That-cher en Grande-Bretagne), mais dansles faits l’égalité des droits a reculédans la mesure où les grands servicespublics ne l’assurent plus, et plus glo-balement parce qu’avec les politiqueslibérales, les mécanismes publics des-tinés à répondre aux besoins sociauxet corriger les inégalités se sont consi-dérablement affaiblis. Les libérauxont combattu avec la même violencequ’au XIXe siècle la notion d’égalité :« le mérite plutôt que la justice sociale,

PAR NICOLE BORVO-COHEN-SEAT*

L a crise institutionnelle, si ellen’est pas dans toutes les têtesde façon très claire, transparaît

de multiples façons : une bonne par-tie du peuple ne se sent pas représen-tée ; bon nombre de citoyens nevotent plus ; pire aujour d’hui, tousceux qui avaient voté pour un chan-gement en 2012 considèrent qu’ils ontété trahis. Les « trahisons » d’ailleursse succèdent : en 2005, la majorité dupeuple avait voté contre le Traitéconstitutionnel européen (TCE) et onlui a répondu par sa copie conforme.Quand les avis populaires s’expriment

par des luttes massives, que ce soit laréforme des retraites de Sarkozy oula loi Travail de Hollande, on lui signi-fie qu’il « n’y a rien à voir », les gou-vernants décident, et même le pré-sident décide contre le Parlement s’ille faut !La colère populaire est évidemment laconséquence du libéralisme mondia-lisé, mais l’absence d’alternative audi-ble laisse le champ libre à des déma-gogues inquiétants porteurs derégressions sociales et démocratiquesmortifères. Les institutions ne sont pasneutres : les bourgeoisies occidentalestriomphantes ont réussi à se doterd’institutions démocratiques (liber-tés, suffrage universel, référendum…)mais assorties de multiples méca-nismes qui permettent de contraindreou de dévoyer les choix populaires.

En France, la Constitution de 1958,conçue par le pouvoir gaulliste pourtenir les partis politiques et le peupleà distance – tout particulièrement le

« Ce changement institutionnel ne pourrase faire que par un processus constituant

qui permette un grand débat public auquel participent le plus grand nombre

de citoyens, se concluant bien sûr par un référendum. »

Pour un nouveau PaCte démoCratiqueLe recul général des libertés individuelles et de l’égalité des droits nécessiteun retour du collectif pour revisiter la question des droits et de leur effec-tivité à partir des exigences actuelles.

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la responsabilité plutôt que l’assista-nat ». Certes, on croyait avoir atteintdes sommets avec la présidence Sar-kozy, quand il développait une concep-tion relativiste des droits : supérioritédes droits des actionnaires bienentendu, ordre public contre les liber-

tés, droits des victimes contre droitsde la Défense, droits des Français desouche contre ceux qui ne le sontpas… Hélas, sous la présidence Hol-lande, on a constaté que droite et PSétaient d’accord pour considérer que« l’État providence », c’était du passé,que les garanties collectives avaientfait long feu… Quant aux libertés, ellesne pèsent pas lourd dans ce que Fran-çois Hollande a appelé « sa guerrecontre le terrorisme », qui nous vautaujourd’hui un état d’urgence per-manent autorisant tous les excès.Il faut par ailleurs constater qu’auniveau européen, la reconnaissancede droits se fait toujours dans uneconception individualiste de lasociété : les citoyens ont des possibi-lités de recours contre les décisionsqu’ils estiment injustes, discrimina-toires, et peuvent obtenir réparationmais si des recours répétés ont quel-quefois eu des effets, ils n’ont pasempêché le recul général des libertésindividuelles et de l’égalité des droits.

Les biens Communs de L’HumanitéLa gravité de la situation actuelleappelle la construction d’un nouveaupacte démocratique, un retour au col-lectif, à partir de tout ce qui s’exprimedans les mobilisations sociales contreles injustices, l’intolérance, le racisme,l’exclusion, le rejet des migrants ou lesdivisions. Ce nouveau pacte démocra-tique doit nécessairement revisiter laquestion des droits et de leur effecti-vité à partir des exigences actuelles.Ainsi, nous voulons réaffirmer lesdroits et les libertés inscrits dans lespréambules de 1789 et 1946 et, enmême temps, nous voulons donnervaleur constitutionnelle à des droits

nouveaux et garantir leur effectivité,qu’ils soient civils, politiques, sociaux,économiques, culturels, individuelsou collectifs ; imprescriptibles, ilsauront un caractère obligatoire et s’ap-pliqueront à tous les résidents, quelque soit leur statut.Ainsi seront garanties constitutionnel-lement : la liberté d’aller et de venir,l’inviolabilité du domicile, le respectde la vie privée, la protection des don-nées personnelles, le droit de grève ;la liberté de vivre selon son choix, lerespect de l’orientation sexuelle, ledroit à l’avortement et à la contracep-tion ; l’interdiction de la traite des êtreshumains à des fins de prostitution oud’esclavage. Le droit à la protectionpersonnelle et collective sera réaffirmé :présomption d’innocence, droit d’asile,interdiction des expulsions collectives,droit à l’intégrité physique.Ainsi seront reconnus comme fonda-mentaux les droits qui, à partir de l’égaledignité de chaque être humain, per-mettent à chacun de bénéficier de :l’éducation, la formation, la sécurité

professionnelle, la santé, la protectionsociale, la retraite, le logement, l’éner-gie, un environnement durable, le sport,les loisirs. C’est le sens de la notion debiens communs de l’humanité qui estapparue en matière de revendicationnouvelle.Ainsi la citoyenneté sera développéepar de nouvelles formes de démocra-tie directe, elle sera reconnue à l’en-treprise par la Constitution et garan-tie par des droits étendus d’expertise,de contrôle et de proposition des sala-

riés et de leurs représentants.La puissance publique doit avoir obli-gation de veiller à la mise en œuvre etau respect des droits selon le principed’égalité, de responsabilité et d’effi-cacité. Il est donc indispensable deconforter les grands services publicsexistants, de les démocratiser et d’encréer de nouveaux correspondant àune série de besoins dont la satisfac-tion doit échapper à la logique mar-chande.Il est bien évident que la reconnais-sance de nouveaux droits et l’obliga-tion de les garantir appellent aussid’autres évolutions dans nos institu-tions et législations. Ainsi, la garantiedes libertés et l’égalité des droits, c’estl’égal accès à la justice de tous lescitoyens, c’est une justice indépen-dante de l’exécutif. De même, le droità une information pluraliste, c’est l’in-dépendance de la presse écrite et desgrands média audiovisuels à l’égarddes monopoles financiers et du pou-voir politique.Mais l’expérience nous apprend aussi

que la mise en œuvre des droits et leurrespect nécessitent un engagementconcret des pouvoirs publics pourcombattre les préjugés, les tendanceslourdes et les intérêts qui s’y oppo-sent. Il en va ainsi de l’inégalité crianteencore entre les femmes et leshommes, de la discrimination des per-sonnes LGBT, de toutes les discrimi-nations alimentées par le racisme, laxénophobie.Enfin la libération de la parolecitoyenne, la démocratisation des ins-titutions par l’initiative populaire,nécessaires pour revaloriser la poli-tique, auront pour effet de dévelop-per la capacité créatrice des citoyenseux-mêmes en matière de droits et depouvoirs nouveaux. n

*Nicole Borvo-Cohen-Seat est séna-trice honoraire de Paris (PCF), res-ponsable du pôle Lois et institutionsdu Conseil national du PCF.

« La libération de la parole citoyenne, la démocratisation des institutions

par l’initiative populaire, nécessaires pourrevaloriser la politique, auront pour effet

de développer la capacité créatrice des citoyens eux-mêmes en matière de droits et de pouvoirs nouveaux. »

« Les mécanismespublics destinés à

répondre auxbesoins sociaux et

corriger lesinégalités se sont

considérablementaffaiblis. »

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Citoyens-Citoyennesoctroyer le droit de vote auxrésidentes et résidentsétrangers comblerait undéficit démocratique etconforterait la notiond'égalité.

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républicaine, résultat d’une pédago-gie qui ne serait pas assez adaptée auxélèves, mais bien du rôle fondamen-tal confié à l’école. C’est bien parceque l’éducation se situe au cœur de lalutte des classes qu’elle est, pour lescommunistes – et pas seulement ! Iln’est pas anodin, à ce propos, deconstater que l’éducation est une thé-matique dont la droite ne manque pasde s’emparer, ce qui fut le cas durantles débats de la primaire –, un enjeude premier plan.

affirmer le tous capables, c’est faireréussir tous les enfants, non pas en

se contentant de créer un dispositifnouveau mais en changeant l’écoleen profondeur. Changer l’école enprofondeur, c’est lutter contre l’échecscolaire et contre toute forme de sélec-tion et de méritocratie.L’échec scolaire sanctionne une sup-posée incapacité de l’élève. Très jeunes,les enfants ont le sentiment de ne pasavoir les mêmes droits que les autreset font l’expérience de la stigmatisa-tion (Serge Paugham, chercheur auCNRS et à l’EHESS, en décrit le méca-

nisme dans un rapport intitulé « Gran-dir en France », L’Humanité du30 novembre 2016). Ils se sententangoissés à l’idée de ne pas réussir àl’école et acquièrent une image néga-tive d’eux-mêmes. Dès l’âge de 6 ans,54 % des enfants des quartiers défa-

vorisés témoignent d’un manque d’ac-cès aux savoirs et 41 % d’un manqued’accès aux activités culturelles ou deloisirs. Au cumul des inégalités réellesd’accès au savoir, à la santé, à des acti-vités jugées trop chères s’ajoute unautodénigrement entretenu par lasociété.Au lieu de donner à chaque enfant lapossibilité d’acquérir le plus hautniveau de connaissance, le systèmescolaire laisse l’enfant et les parentsseuls responsables de l’échec ou dusuccès dans une compétition effré-née. Le principe méritocratique sup-pose une logique sélective qui inter-vient de plus en plus tôt et conduit àune orientation par l’échec. Ne soyonspas étonnés que certains nous expli-quent que les jeunes qui ne sont pascapables ou qui ne souhaitent paspoursuivre des études seraient bienmieux en apprentissage dès 14 ans.La méritocratie qui privilégie la fonc-tion de sélection sociale au détrimentde la fonction d’éducation sert à jus-tifier les inégalités et marginalise unepartie de la population scolaire. Laréussite scolaire est fonction de l’ori-gine sociale. Les inégalités scolairesapparaissent très tôt, dès la mater-nelle, et ne sont pas compensées parla préscolarisation ni par l’école pri-maire. L’origine sociale des famillesest très souvent primordiale dans lechoix des options scolaires, des éta-blissements et des filières. L’accès àdes établissements d’inégale qualitéa une influence déterminante sur leschances de réussite scolaire et consti-tue un facteur d’accentuation des iné-

galités scolaires (audition de la socio-logue Marie Duru-Bellat, du 24 mars2010, au Sénat).

affirmer le tous capables amèneégalement à redéfinir la réussite desélèves non pas seulement d’un point

PAR ERWAN LEHOUXET CATHERINE SCEAUX*

d epuis juillet 2013, à l’initiativedes parlementaires commu-nistes, il a été affirmé dans la

loi pour la refondation de l’école que« tous les enfants partagent la capa-cité d’apprendre et de progresser ».Selon Jacques Bernardin, présidentdu Groupe français d’éducation nou-velle (GFEN), il s’agit d’une reconnais-sance du tous capables, « qui futd’abord un parti pris éthico politiqueet un défi pédagogique avant de trou-

ver un étayage scientifique, puis dedevenir un principe institutionnalisé »(« Tous capables ! Du pari éthique àla loi d’orientation », Carnets rouges,n°5, décembre 2015. <En ligne :http://reseau-ecole.pcf.fr/80378>). Sila formulation mérite d’être précisée,afin de souligner la perspective éga-litaire avec laquelle il convient d’in-terpréter la loi (affirmer que tous lesélèves sont capables mais aussi qu’ilsle sont tous également), elle consti-tue tout de même un point d’appuipour les militants progressistes.Reste que l’affirmation du tous capa-bles dans la loi doit encore être tra-duite du droit en fait. Aujourd’hui, desprofesseurs bien trop souvent nonremplacés aux nombreux élèves lais-sés sur le bord du chemin, force est deconstater que le droit à l’éducationpour tous est bien loin d’être une réa-lité. Il faut dire que la contradictionest forte entre le principe tel qu’il estaffirmé dans la loi et le système tel qu’ilest conçu. Nul besoin de démontrer ànouveau (voir en particulier les der-niers numéros de La Revue du projetconsacrés à l’école ainsi que la revueCarnets rouges) à quel point le systèmescolaire fonctionne comme unemachine à sélectionner les élèves, dansl’objectif de reproduire les classessociales. Or il ne s’agit pas là d’un dys-fonctionnement ponctuel de l’école

« dès l’âge de 6 ans, 54 % des enfants des quartiers défavorisés témoignent

d’un manque d’accès aux savoirs et 41 %d’un manque d’accès aux activités

culturelles ou de loisirs. »

tous CaPabLes !Le droit à l’éducation pour tous au cœur de la lutte des classes.

« Loin de prétendre qu’il suffirait de changer l’école pour changer la société,

comme le formulent hâtivement de trop nombreuses organisations

progressistes, nous sommes conscientsqu’il nous faudra aussi changer la société

pour changer l’école. »

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de vue individuel mais aussi d’un pointde vue collectif. Autrement dit, la réus-site de chacun exige dans le mêmetemps la réussite de tous. Le tous capa-bles convoque dans la classe la soli-darité, c’est la classe en tant quegroupe qu’il convient de faire réussir.Si tous les élèves réussissent et s’il n’ya plus de sélection, alors, c’est aussila question du pouvoir dans la sociétéqui est posée. En effet, pourquoi faireréussir tous les élèves et leur permet-

tre à tous de maîtriser des savoirs com-plexes sinon pour leur permettre, infine, de prendre le pouvoir partoutdans la société ? En particulier, il n’estpas concevable de maintenir une telledistinction entre travail manuel et tra-vail intellectuel et donc entre tâchesd’exécution et de direction dès lorsque les qualifications ne permettentplus de légitimer ce discours.

Loin de prétendre qu’il suffirait dechanger l’école pour changer la société,comme le formulent hâtivement detrop nombreuses organisations pro-gressistes, nous sommes conscientsqu’il nous faudra aussi changer lasociété pour changer l’école. Notrecombat est donc un combat pour

l’école, non pas considérée commeun espace sanctuariséet indépendantde toute autre chose mais bien en tantqu’elle participe du système capita-liste dans son ensemble. L’école appa-raît alors comme un front de la luttedes classes parmi d’autres.Ceci étant dit, autant il serait naïf depenser qu’il suffit de changer l’écolepour changer le cours des choses,autant il est inenvisageable d’atten-dre le Grand soir pour faire évoluer

l’école. Chaque pierre posée est eneffet un point d’appui pour notre com-bat. D’une part, parce qu’elle démon-tre l’utilité des communistes, notam-ment des élus. D’autre part, parcequ’elle doit être envisagée au regardde son potentiel instituant.

un ProJetrévoLutionnaire :CHanger Les Contenus et Les PratiquesDe fait, il convient de reconsidérer lesmodalités d’enseignement en met-tant l’accent sur les processus d’ap-prentissage et en gérant l’appropria-tion individuelle de savoirs communssans oublier aucun enfant. Pour cela,il est indispensable de porter un autre

regard sur les élèves et sur leurs capa-cités ; en développant une visionhumaniste et ambitieuse, en adéqua-tion avec la recherche en psycholo-gie du développement, en sociologieet en sciences de l’éducation. Il fautégalement transformer l’appréhen-sion du savoir transmis en se dépre-nant des évidences et en mettant enlumière les implicites, grâce à un tra-vail historique et épistémologique surles disciplines.Un tel projet exige évidemment de don-ner aux enseignants les outils pourréfléchir sur leurs pratiques et pourreprendre la main sur leur métier. Dece point de vue, une attention touteparticulière doit être accordée à la for-mation initiale et continue des ensei-gnants.

Bien entendu, un tel projet ne sauraitêtre réalisé sans donner à l’école lesmoyens dont elle a besoin. Nous pro-posons ainsi de porter le budget del’Éducation à 7 % du PIB, tout enrecentralisant et en déprivatisant ladépense éducative.

Au-delà des moyens budgétaires – ethumains ! –, c’est aussi du temps qu’ilconvient de donner à l’école. Nousproposons ainsi d’étendre la scolaritéobligatoire de 3 à 18 ans et de garan-tir le droit à la scolarité dès 2 ans pourles familles qui le souhaitent. Demême, il est temps de rétablir la demi-journée d’école supprimée par ladroite en 2005… sans allonger le tempsde travail des enseignants. n

*Erwan Lehoux et Catherine Sceauxsont membres du réseau École duConseil national du PCF.

« il est indispensable de porter un autreregard sur les élèves et sur leurs capacités ;

en développant une vision humaniste et ambitieuse, en adéquation

avec la recherche en psychologie du développement, en sociologie et

en sciences de l’éducation. »

« seuls le récit, l’art, le débat scientifique, le débatpolitique, avec ce qu’ils permettent du partage del’expérience et ce qu’ils postulent du principed’une égalité, peuvent rétablir l’humain dans sesdroits. »Roland GoRi, Retrouver la dignité de penser dans uneculture de la marchandise, La Revue du projet, oct. 2012

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villes, les phénomènes de rareté del’offre, d’inflation et de spéculationimmobilière jouent de conserve. Lespropriétaires fonciers, grandes mul-tinationales ou riches particuliers,peuvent tirer une meilleure rentabi-

lité de leurs investissements en main-tenant vacants des centaines de mil-liers de mètres carrés. Les prixexplosent, dopés par les achats immo-biliers des 1 % les plus fortunés quimobilisent de vastes surfaces (immeu-bles de rendement, résidences secon-daires, « pied-à-terre »…). À celas’ajoute le lucratif business des mar-chands de sommeil.

À l’autre bout du spectre, près de10 millions de personnes sont tou-chées de près ou de loin par la crisedu logement, dont 3,5 millions de per-sonnes mal logées. Alors que le nom-bre de personnes sans-domicile s’ac-

croît, les familles populaires sontchassées silencieusement des cen-tres-ville par la pression foncière, etsont contraintes de s’installer dansles zones de plus en plus périphé-riques. Pour elles, les temps de trajettravail-habitation s’allongent. Cetteurbanisation dysfonctionnelle génèreétalement urbain, nuisances et pol-lutions. La détérioration de la situa-

PAR IAN BROSSAT*

s’ il est un domaine où le sys-tème capitaliste de marché afait la démonstration de son

incapacité à résoudre les problèmes,c’est celui du logement. Dès les années1840, Marx et Engels examinaientcomment la révolution industrielleen Angleterre, en concentrant les nou-velles populations ouvrières dans lesaires urbaines, engendrait des loge-ments – et donc des vies – particuliè-rement misérables. Cette situation esttoujours d’actualité dans bon nom-bre de mégalopoles d’Afrique, d’Asieou d’Amérique du Sud. Qu’en est-ilen France ?

une véritabLe Crise du LogementDans notre pays, en zone tendue, nousfaisons face à une véritable crise dulogement. En région parisienne,comme dans la plupart des grandes

« Près de 10 millions de personnes sont touchées de près ou de loin

par la crise du logement, dont 3,5 millions de personnes mal logées. »

Le droit au Logement, enJeu FondamentaL de LuttesLa mise en œuvre réelle et concrète du droit au logement pour tous, devaleur constitutionnelle, est une nécessité absolue ; elle exige une réinter-prétation du droit de propriété.

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tion économique, particulièrementdepuis la crise financière de 2007-2008, et les politiques d’austérité suc-cessives engendrent une hausse de lapauvreté et donc des difficultés delogement. Les populations migrantes,qu’elles rejoignent la France pour desraisons économiques ou pour fuir lesguerres, doivent également être misesà l’abri. Oui, dans les grandes villesou dans leurs quartiers périphériques,le logement est incontestablementun enjeu de lutte de classes. Dans lechamp politique, cette lutte prendnotamment la forme de l’oppositionentre droit au logement et droit depropriété.

deux ConCePtions du droit au LogementPour ceux qui défendent les intérêtsdes couches populaires et moyennes,le logement est un véritable droit. LaConstitution de 1946, écrite alors quel’influence du PCF était importante,en fait même un droit constitution-nel dans son préambule : « La Nationassure à l’individu et à la famille lesconditions nécessaires à leur déve-loppement. Elle garantit à tous, notam-ment à l’enfant, à la mère et aux vieuxtravailleurs, la protection de la santé,la sécurité matérielle, le repos et lesloisirs. » Au niveau international, laDéclaration universelle des droits de

l’homme de 1948 affirme dans sonarticle 25-1 : « Toute personne a droità un niveau de vie suffisant pour assu-rer sa santé, son bien-être et ceux desa famille, notamment pour l’alimen-tation, l’habillement, le logement, lessoins médicaux ainsi que pour les ser-vices sociaux nécessaires. » De fait,ces différents droits sont interdépen-dants : il est quasi impossible d’avoiraccès à un emploi ou à la santé sansavoir accès à un logement.À l’inverse, les libéraux n’ont de cessede s’attaquer à cette vision du loge-ment comme droit. Ils opposent à ces« droits-libertés », dits « droits de »faire quelque chose, seuls considéréscomme justes, les « droits-créances »,dits « droits à » quelque chose, com-

prenant le droit au logement. Poureux, ces derniers relèveraient de « fauxdroits » bloquant l’autorégulation dumarché : exiger que chaque citoyenpuisse avoir accès à un toit serait uneutopie contre-productive, et lescontraintes législatives empêcheraientles propriétaires – pourtant bien dis-posés – à louer leurs biens aux famillesqui en ont besoin.On le sait, la droite privilégie un « droitau logement » purement théorique :il s’agit de la fameuse « loi DALO »,dont le droit au logement dit « oppo-sable » – existe-t-il des droits nonopposables ? – se caractérise par savirtualité. Passé les bons sentiments« charitables », elle multiplie lesattaques contre tout ce qui permeteffectivement le logement des famillesdes classes populaires et moyennes,en cherchant à faciliter l’augmenta-tion des prix et des loyers. Elle laisselibre cours (quand elle ne les accélèrepas) aux opérations immobilières qui,de projets de promotion « prestigieux »(servant à défiscaliser) en ventes à ladécoupe, entraînent l’éviction desoccupants et leur remplacement pardes familles aisées qui « votent bien ».Chacun connaît en outre l’oppositionsouvent farouche que les édiles dedroite organisent contre la loi SRU de2000, votée alors que les communistesétaient au gouvernement, qui oblige

toutes les communes d’importanceà se doter d’un nombre minimal de25 % de logements sociaux. Le loge-ment social est pourtant le plus sûrmoyen de rendre concret le droit aulogement : à Paris, 70 % des famillesy sont éligibles. C’est donc pour per-mettre à chacun d’accéder à un toitet de vivre dignement que nous y pro-duisons plus de 7 000 logementssociaux par an, face à une droite quis’y oppose systématiquement.

Le droit de ProPriétéMais le plus sûr outil des représen-tants des classes dominantes pourcontrer le droit au logement reste ledroit de propriété. En la matière, enplus de l’empilement des textes légis-

latifs, c’est le Conseil constitutionnel,organe non-démocratique, qui éta-blit la jurisprudence. Ce dernier, s’iln’a jamais jugé que les dispositionspermettant les expulsions locativesétaient contraires à la Constitution,veille en revanche scrupuleusementau respect du droit de propriété, dontil a, comme il l’écrit lui-même(http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nou-veaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-31/conseil-constitutionnel-et-la-pro-priete-privee-des-personnes-privees.96753.html ), une « conception exten-sive ». De fait, dès 1982, alors que lagauche décide de nombreuses natio-nalisations, les « sages » de la rue Mont-pensier rendent une décision très poli-tique, gravant dans le marbre la« pleine valeur constitutionnelle » dudroit « fondamental » de propriété« dont la conservation constitue undes buts de la société politique et quiest mise au même rang que la liberté,la sûreté et la résistance à l’oppres-sion ». Depuis lors, cette « consécra-tion solennelle » n’empêche pas l’exis-tence de dispositifs de réquisition oude préemption afin de loger les per-sonnes qui en ont besoin, mais elleen limite la portée et la faisabilité.Ainsi, dans un arrêt récent, la couradministrative de Versailles a refuséla réquisition d’un logement vacantdécidée par le maire de Saint-Denissur les motifs suivants : « Ce pouvoirde réquisition ne saurait être exercépar le maire qu’en cas d’urgence et àtitre exceptionnel lorsque le défautde logement de la famille dont il s’agitest de nature à apporter un troublegrave à l’ordre public. »À Paris, la mise en œuvre réelle etconcrète du droit au logement pourtous, de valeur constitutionnelle, estune nécessité absolue ; elle exige pour-tant une réinterprétation du droit depropriété. Avec l’arrivée du froid, laVille cherche en effet à utiliser toutesles surfaces disponibles pour l’héber-gement d’urgence des personnes sansabri. Dans cette tâche primordiale,s’en tenir aux édifices publics relèvedu défi. Il serait ainsi nécessaire depermettre l’utilisation par la collecti-vité des immeubles vacants depuisplus de trois ans, quelles que soientles intentions de leurs propriétaires.Cela nécessiterait une bataille légis-lative à mener rapidement, ce quimontre toute l’importance, pour lescommunistes, de se saisir pleinementdes élections à venir. n

*Ian Brossat est adjoint (PCF)à la maire de Paris, chargé dulogement et de l’hébergementd’urgence.

« La droite laisse libre cours aux opérationsimmobilières qui, de projets de promotion

“prestigieux” (servant à défiscaliser) enventes à la découpe, entraînent l’éviction

des occupants et leur remplacement par des familles aisées qui “votent bien”. »

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ble pour saisir les transformationsqu’implique l’approche « logementd’abord ». Le « sans-abrisme » est unphénomène qui ne peut échapper à

quiconque traverse le centre-ville desgrandes agglomérations françaises (etpas seulement). À la vue de ces per-sonnes qui vivent dans la rue, une réac-

tion empreinte d’empathie serait dese demander pourquoi on ne les logepas. Qu’est-ce qui les contraint à res-ter dehors ? À la réflexion, différentes

raisons pourraient venir nuancer oupondérer cette réaction première : « Unlogement, oui, mais pour certains, çapourrait être compliqué » ; « Il faudrait

PAR JULIEN LÉVY*

P our saisir en quoi le « logementd’abord » représente une nou-veauté, et en quoi il se heurte

au modèle de prise en charge tradi-tionnel des personnes sans abri, il estnécessaire d’apporter quelques éclair-cissements sur les logiques qui struc-turent la prise en charge de ces per-sonnes dans le modèle français.

Le Cœur et La raison…Comprendre les logiques qui structu-rent le champ de la prise en charge despersonnes sans abri est un défi com-plexe pour celui qui n’y a jamais étéconfronté. Cette démarche de com-préhension est pourtant indispensa-

« Le “logement d’abord“ s’appuie sur le principe que le logement est un droitfondamental et en fait l’étape préalable

à la mise en place de toute formed’accompagnement sanitaire ou social. »

L’aPProCHe « Logement d’abord » : droit nouveau ou nouveau raPPort au(x) droit(s) ?Le « logement d’abord » : que se cache-t-il derrière cette formule quipourrait ressembler à un slogan militant ? Le concept pourrait sembler sim-ple de prime abord, voire évident : commencer par donner un logement àcelles et ceux qui n’en ont pas. Pourtant, cette « approche » (Housing firstapproach) est loin de faire l’unanimité, notamment en France.

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DOSSIER qu’ils soient pris en charge dans des

endroits spécialisés.» Ces discoursconcernent bien souvent celles et ceuxqui sont le plus marqués par la rue :hygiène dégradée, alcoolisme, toxico-manie, etc. ; tous ces éléments visibleset autres stigmates de la rue partici-pent à ce que le sens commun se diseque le « logement » n’est sans doutepas la solution la plus adaptée pources personnes en situation de grandeprécarité.

Le modèLe en esCaLierDans les faits, la logique qui présideà la prise en charge des personnessans abri n’est pas très éloignée ducheminement que nous venons dedécrire. L’accès à un logement estperçu comme l’objectif à atteindre,mais il importe de ne pas occulterl’ensemble des autres difficultés quepeut rencontrer la personne (au niveaude la santé somatique ou psychiquenotamment, les addictions, etc.) etainsi de les traiter en amont. L’orga-nisation dominante du champconsiste donc à penser l’accompa-gnement des personnes dans un conti-nuum de prises en charge qui vise àrésoudre, au fil des étapes nécessaires,les différentes problématiques iden-tifiées.Ce modèle, qualifié bien souvent de« modèle en escalier », envisage cettesuccession d’étapes comme un pro-cessus nécessaire pour que les per-sonnes soient prêtes à accéder à unlogement de droit commun. Les limitesde ce modèle ont été identifiées et ren-voient notamment au caractère par-ticulièrement exigeant de ce parcours.Les personnes les plus marginaliséesou fragiles sont finalement celles quiont le plus de mal à surmonter ces dif-férentes étapes (Contribution desexperts à la conférence de consensus,FEANTSA, 2010). Elles se retrouventen quelque sorte condamnées à errerdans ce que l’on qualifie de « portestournantes de l’hébergement d’ur-gence » : alternance entre vie à la rueet séjours épisodiques dans les cen-tres d’hébergement d’urgence.

et si on Commençait Par Le Logement ?C’est sur la base de ce constat que s’estdéveloppé le « logement d’abord ».Expérimenté initialement à New Yorkà partir de 1992 (projet Pathways tohousing), il s’appuie sur le principeque le logement est un droit fonda-mental et en fait l’étape préalable à lamise en place de toute forme d’ac-compagnement sanitaire ou social.L’accompagnement n’y est pas unecondition pour accéder au logementou s’y maintenir. Ses modalités s’at-

tachent au respect du choix de la per-sonne dans une logique non contrai-gnante (pas de nécessité d’arrêt deconsommation d’alcool ou de droguespar exemple), sans limitation de durée.Originellement mis en œuvre dans lecadre d’essais contrôlés randomisésvisant à comparer l’approche « loge-ment d’abord » avec les prises en

charge traditionnelles (Groupe test etgroupe témoin avec échantillon ran-domisé), ce modèle a ciblé les publicsconsidérés comme étant les plus endifficulté : dans le cas nord-améri-cain, les personnes « sans-abri chro-niques », atteintes de troubles psy-chiatriques et en situation d’addiction.Ces expérimentations se sont pro-gressivement développées en Amé-rique du Nord (États-Unis et Canada)et dans certains pays européens (Fin-lande, Danemark, Écosse, Irlande,etc.). Les résultats de ces expérimen-tations semblent apporter des résul-tats probants soutenant la pertinencede cette approche (dans la majoritédes expérimentations conduites, plusdes trois quarts des personnes logéessont toujours dans leur logement aprèsdeux ans) par rapport à une approcheclassique.

Le Cas FrançaisLa faible diffusion de ce modèle enFrance trouve différentes sources d’ex-plication. L’une d’entre elles est la résis-tance observée au niveau des acteurs.À partir de 2009, par le biais d’initia-tives et d’expérimentations, le gouver-nement Fillon a annoncé vouloir fairedu « logement d’abord » le « fil direc-teur » de sa politique à destination despersonnes sans abri. Mais la présen-tation de cette approche prend la formed’une critique à peine voilée du sys-tème d’hébergement traditionnel :« Dans l’intérêt des personnes sansabri ou risquant de l’être, le recours audispositif d’hébergement doit resterexceptionnel et temporaire » (Circu-laire relative à la définition des objec-tifs pour l’accès au logement des per-sonnes hébergées et à la sortie de l’hiverdu 19 mars 2010). On a ainsi pu obser-ver des résistances importantes de lapart des acteurs qui ont perçu danscette nouvelle appro che une remiseen cause du travail effectué depuis desannées et une stratégie visant avant

tout à opérer des économies budgé-taires. Ce sentiment trouve sans douteun écho dans les faibles moyens finan-ciers effectivement mis en œuvre pourdéployer cette politique.Au final, le « logement d’abord » aconnu une diffusion limitée en France.Dès mai 2012, la nouvelle majoritégouvernementale n’a plus fait usage

de ce terme, lui préférant un mot d’or-dre plus général, la « priorité au loge-ment pour tous », consistant moinsen une transformation des modes deprise en charge traditionnels « en esca-lier » que d’une volonté d’accroîtreleur efficience.

La question que Pose Le « Logement d’abord »Si la question de savoir si le logementdoit intervenir en amont ou en avalde l’accompagnement est centraledans le débat qui oppose « logementd’abord » et système traditionnel deprise en charge, l’enjeu est d’aprèsnous ailleurs. Le « logement d’abord »,au travers des différentes expérimen-tations nationales et internationalespermet premièrement de mettre à maldes représentations fortement ancrées,considérant que les « sans-abri chro-niques » ne seraient « pas en capa-cité » d’accéder directement à un loge-ment. Au-delà, cette approche insistefortement sur la prise en considéra-tion du choix de la personne : choixde son logement ; choix d’arrêter ounon sa consommation d’alcool ou dedrogue ; choix dans l’accompagne-ment. Dans ce sens, la reconnaissancede la capacité de la personne à déci-der pour elle-même la positionne entant qu’acteur décisionnaire face audroit, en l’occurrence le droit au loge-ment, mais aussi le droit à l’accom-pagnement. Dans ce sens, l’approche« logement d’abord » ne se présentesans doute pas comme un droit nou-veau, mais participe à replacer l’usa-ger dans un rapport au(x) droit(s) danslequel il retrouve une autonomie déci-sionnelle. n

*Julien Lévy est sociologue. Il est doctorant de l’universitéGrenoble-Alpes. Il est membre de l’Observatoire des non-recoursaux droits et services (ODENORE).

« La reconnaissance de la capacité de la personne à décider

pour elle-même la positionne en tantqu’acteur décisionnaire. »

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lité des faits en perversions religieuses.Les premiers débats présidentiels nesont pas en reste. François Fillon, can-didat de droite soutenu par « La manifpour tous », veut s’attaquer à l’adop-tion par les couples homosexuels, etde fait au mariage. Marine Le Pen,

quant à elle, continue son double dis-cours alliant drague envers les per-sonnes LGBT+ et positions rétrogradessur tous les domaines en la matière.Tous les indicateurs montrent d’ail-

ment laissé le champ libre aux forcesles plus réactionnaires lors des débatssur le mariage pour tous. Tout récem-ment, avec la campagne d’affichagede prévention contre le sida, des grou-pements moyenâgeux du format de« La manif pour tous » ont pu occu-

per le terrain, donnant une placemédiatique de choix à des discoursremettant en cause des droits dure-ment acquis, ainsi que ceux qui allaientêtre obtenus, et travestissant la réa-

PAR GABRIEL LAUMOSNE*

ParCe que La situation L’exigeAujourd’hui en France, les discrimi-nations liées à l’orientation sexuelleou à l’identité de genre tuent. Onrecense une agression homophobetous les deux jours, pour celles quisont recensées, et leur nombre nebaisse pas. Une ou un jeune LGBT+ aquatre fois plus de risques de se sui-cider que les autres. Le rapport annuelde SOS Homophobie en 2015 montreque l’homophobie se manifeste chezdes personnes de plus en plus jeunes,dès l’école primaire, dans des propor-tions inquiétantes.Le contexte sociopolitique n’est passans conséquences sur ces tendancesalarmantes. L’État a insupportable-

« Le fait que la loi prenne en comptedorénavant plutôt l’identité de genre

que le sexe est un progrès, cependant la démarche ne va pas jusqu’au bout. »

droits Lgbt+: Pourquoi va-t-iL FaLLoirenCore LégiFérer ?Bien que la présidence de François hollande n’ait pas été une réussite,loin de là, on entend parfois dire, à l’approche des élections présidentielleet législatives, que le gouvernement aurait plutôt bien rempli sa missionsur les thématiques LgBt+. La loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage et l’adop-tion aux couples homosexuels. Le don du sang leur aurait aussi été ouvert.alors pourquoi devrait-on légiférer davantage ?

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était un engagement de campagne ducandidat Hollande est vite tombé auxoubliettes. Cela peut aboutir à dessituations humaines compliquéesquand on recourt à la gestation pourautrui (GPA), interdite en France maislégale dans d’autres pays, pour avoirun enfant ; avec tous les problèmesde reconnaissance et de filiation quien découlent.Pour autre exemple, les homo-sexuelles et homosexuels peuventlégalement depuis le 11 juillet 2016donner leur sang. Enfin théorique-ment oui, sous la condition humi-

liante d’une abstinence d’une année.Dans les faits, cette mesure ne changerien, alors que le besoin en la matièreest plus que criant.Ces exemples montrent qu’il est com-plexe de légiférer sur des thématiquesconcernant des minorités dans unsystème hétéronormé comme le nôtre.L’appui d’associations ainsi que la for-mation sont deux armes qui devraientêtre brandies plus souvent pour pou-voir s’atteler à travailler sur ces ques-tions.

ParCe que L’Histoire nous L’aPPrendLes nouveaux droits LGBT+ sont enFrance chèrement acquis. Les loiscadrent et tentent de pallier les insuf-fisances et inégalités vécues dans lasociété, que ce soit pour l’égalitéfemmes-hommes, pour les droits despersonnes handicapées… mais aussipour les personnes LGBT+. C’est l’amendement Mirguet en 1960,et l’ordonnance du 25 novembre decette année-là, qui ajoutent au codepénal un alinéa affirmant que « lorsquel’outrage public à la pudeur consis-tera en un acte contre-nature avec unindividu de même sexe, la peine seraun emprisonnement de six mois à troisans et une amende de 1 000 à15 000 francs ». En 1968, la Franceadopte la classification des maladiesmentales dressée en 1965 par l’OMS,dans laquelle figure l’homosexualité.Ce n’est qu’en décembre 1973 que l’As-sociation américaine de psychiatrieretire l’homosexualité de sa liste desmaladies mentales et en 1981 que laFrance la dépénalise enfin. Ce n’estqu’en 1999 qu’est créé le PACS et qu’en2013 que la loi sur le mariage des cou-

ples de même sexe est votée. C’estdonc aussi parce que les lois font etdéfont au fil du temps les droits desindividus qu’il faut légiférer encore.Acquérir de nouveaux droits est unelutte ardue mais qui, une fois abou-tie, permet de graver dans le marbredes progrès durables pour notresociété. Ainsi, et même si plusieurscandidats nationaux se prononcentcontre, des avancées telles que lemariage pour tous ou l’abrogation dela peine de mort ne sont pas près d’êtresupprimées tant ces droits nouveaux,parce que discutés et popularisés lar-gement, sont rentrés dans les mœurs.Sur l’ensemble des lois contre les dis-criminations, il ne faut pas s’arrêter àl’élaboration de lois : il faut se donnerles moyens d’en assurer le contrôleeffectif.

Pour queLLes Lois ?Le collectif Fier-e-s et révolutionnairesprône une réflexion d’avant-garde surces thématiques, essayant de répon-dre à la fois aux problématiques LGBT+rencontrées dans notre société et aubesoin d’émancipation de chacune etchacun.Pour ce faire, nous proposons laconquête de nouveaux droits :- le changement d’état civil libre, fondésur l’autodétermination, notammentpour les personnes qui choisissentd’effectuer un parcours trans ;

- la PMA ouverte à l’ensemble desfemmes et des personnes transiden-titaires ;

- le remboursement intégral des par-cours transidentitaires dont les pro-tocoles devront être réécrits ;

- la formation des personnels et étu-diants destinés à travailler au contactde la population, et donc avec despersonnes LGBT+, en particulier dansles administrations, les lieux de santéet les entreprises ;

- des sanctions multilatérales contreles États qui discriminent ou tuentde façon légale les populationsLGBT+.

Une formation dédiée sera conjoin-tement proposée par le collectif Fier-e-s et révolutionnaires et le Cidefe. Lesparticipantes et participants en repar-tiront avec la mallette du militant com-muniste LGBT+, avec notamment desaxes programmatiques avec argumen-taires, des propositions de sujets demotions ainsi que quelques rédac-tions, de sorte que tout élu désireuxde se renseigner sur la question puissele faire et agir en conséquence. n

*Gabriel Laumosne est responsabledu collectif Fier-e-s et Révolution-naires du PCF.

leurs que l’homo-nationalisme prendde l’ampleur.Notre rôle militant dans la société estde permettre et de garantir l’émanci-pation de chacune et chacun. Parceque c’en est à la fois l’expression etl’outil, la lutte des classes qui s’illus-tre via l’ensemble des discriminationsest plus que jamais un combat à mener.Ce rapport entre dominés et domi-nants s’impose de la même façon auxindividus, quelle que soit la discrimi-nation. La violence ressentie est lamême. Les discriminations homo-phobes ne sont pas en reste. Et c’est

bien parce que chaque discriminationse rajoute aux autres qu’il faut les com-battre toutes à forces égales si l’on veutun jour sortir de ce carcan de domi-nation de classe.

ParCe que La LégisLationaCtueLLe est insuFFisanteTous nos concitoyens et concitoyennesne sont pas égaux en droits. Cette réa-lité touche aussi la population LGBT+.Nourris dès le plus jeune âge de sté-réotypes de genre (les garçons doiventse comporter comme ceci, les fillesadopter telle ou telle posture ...), il estparfois difficile de concevoir quel’amour ne se borne pas à associer unêtre de sexe masculin et de sexe fémi-nin. C’est nier l’existence du genre, ousexe ressenti, qui nous fait percevoirnotre être genré intérieur pouvant êtredifférent du sexe qui nous est assignéà la naissance. Il faut se garder d’y voirune justification hétéro-normative del’homosexualité, mais cette distinc-tion entre sexe et genre a une impor-tance dans nos constructions person-nelles et relationnelles. Le fait que laloi prenne en compte dorénavant plu-tôt l’identité de genre que le sexe estun progrès, cependant la démarchene va pas jusqu’au bout.Un exemple parlant est la procréationmédicalement assistée (PMA), per-mettant aujourd’hui aux couples hété-rosexuels de demander une aide médi-cale pour pouvoir concevoir un enfant.Mais si l’on considère que l’amour nese cantonne pas à la vision binairehomme + femme, pourquoi ne pasouvrir cette PMA aux couples defemmes ? Il faut également débattrede l’ouverture de la PMA à toutes lesfemmes, ainsi qu’aux trans. Ce qui

« acquérir de nouveaux droits est unelutte ardue mais qui, une fois aboutie,permet de graver dans le marbre des

progrès durables pour notre société. »

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Les luttes menées au long de l’année2016 pour l’abandon de la loi el Khomriont placé le travail au cœur des ques-tions sociales en débat, ce qui justifielargement d’y consacrer un dossier.entrer dans le sujet en invoquant une« valeur travail » à visée universaliste peuts’avérer très idéaliste. située (tel est bienl’objet du dossier du no 61 de La Revuedu projet) dans la société d’aujourd’huisoumise à la domination du grand capi-tal financiarisé et mondialisé mais aussitraversée par des aspirations contraires,la question du travail ne peut être isoléede son contexte. nous la poserons donccomme suit.La société dans laquelle nous vivons estla rencontre entre des forces produc-tives, qui incluent les êtres humains quitravaillent, et des rapports sociaux,incluant aussi les êtres humains, qui évo-luent et se transforment au cours dudéveloppement des uns et des autres.Le travail (et à notre époque sa formesalariée qui lui est consubstantielle) est

au cœur de cette interaction dialectiqueforces productives/rapports de produc-tion et c’est dans le mouvement qu’ellesengendrent qu’il prend tout son sens.seule une telle approche peut permet-tre de comprendre la situation complexeet contradictoire du travail dans la sociétéoù nous sommes plongés, à la fois encoredominée par l’emprise du capitalisme etporteuse de projets émancipateurscapables d’en transformer la place, lerôle et les contenus. La manière dontla pose denis durand s’inscrit dans cecadre. rappelant les caractères fon-damentaux du travail salarié tel qu’ils’exerce dans la sphère capitaliste, ilconclut : « L’émancipation des travail-leurs ne passe donc pas par l’exaltationdu travail et de ses vertus mais par lesluttes pour le dépassement du salariatet du règne de l’argent jusqu’à leur abo-lition. »Cette approche qui prend en compte etla situation actuelle et les aspirations àl’abolition du salariat permet d’analy-ser à la fois les transformations qu’aconnues et que connaît encore le travailsalarié sous une domination capitalistequi elle-même évolue et se transforme

et les possibilités que font entrevoir lesluttes des travailleurs pour émanciperle travail et s’émanciper eux-mêmes dansun cadre communiste ou progressisteœuvrant pour le dépassement du capi-talisme et faisant des avancées en cesens.Car, au cours du temps, de multiplestransformations sont à l’œuvre, trans-formant incessamment le systèmecontradictoire que forment les aspectshumains et sociaux des forces produc-tives et les rapports de production. deces transformations il faut repérer quelssont les moments décisifs, pour toutesles dimensions de la vie sociale et parconséquent aussi pour le travail, et pourles travailleurs, dont la présence manqueau dossier. La situation n’est en effetjamais immuable. sous le capitalisme letravail s’est transformé : au milieu duxxe siècle la masse des salariés dans ledomaine de la production industrielle,alors dominante, se distribuait entre lesouvriers qualifiés, formés souvent par

l’artisanat, et les os (ouvriers spéciali-sés), soumis aux tâches parcelliséesrégies par le principe taylorien. La findu siècle a vu disparaître les métiersouvriers et les savoirs des techniciensabsorbés dans les nouveaux dispositifstechniques. dans le même temps, l’ex-tension du salariat a fait apparaître denouvelles catégories d’employés, acontribué à la salarisation de nouveauxgroupes d’emplois, jusque même au seindes professions libérales, transformantaussi bien la distribution des catégoriessociales que les contenus du travail,créant de nouvelles couches salariéespeu rompues à la lutte des classes etcontribuant ainsi à modifier la dynamiquecontradictoire entre rapports sociauxet forces productives. Ces transforma-tions engendrent aussi la recherche, pourles travailleurs, des moyens de s’appro-prier autrement leur travail et des formeset forces nouvelles à mettre en œuvrepour exprimer et faire aboutir leurs reven-dications. il importe donc de prendre encompte les changements dans les rap-ports sociaux, et pour l’avenir d’explorerles possibilités de l’installation d’un nou-veau « modèle social », différent mais

toujours appuyé sur / inséré dans / le sys-tème complexe interactif et contradic-toire rapports sociaux/forces produc-tives. non pas un modèle social défini-tivement défini et structuré, mais unensemble systémique en développe-ment s’organisant sur longue durée etidentifiable par la durabilité de ses effetssur la satisfaction des besoins humainset l’organisation de la société. avec aucœur, et pour longtemps encore sansdoute, le travail, ce cadre permettant del’approcher aussi bien dans ses fonda-mentaux que dans les évolutions et trans-formations qu’il subit. L’organisationdu travail y prend alors une place et desformes entièrement nouvelles.dans un tel cadre, la révolution numé-rique, ou mieux, la révolution informa-tionnelle, peut, elle aussi, être abordéedans la complexité des rapports sociaux,non pas comme une fatalité intangibledéterminée de l’extérieur mais en fonc-tion d’une part des choix exercés dansson unique intérêt par la partie domi-nante de la société (celui du recours à lanéotaylorisation, par exemple), d’autrepart des changements auxquels peu-vent la contraindre les luttes des travail-leurs directement concernés. Ce qui meconduit à récuser l’usage du terme « èrerobotique » qui tend à faire croire que leseul choix possible est le remplacementterme à terme des hommes par desrobots, présentés comme leurs doublesmachiniques, alors qu’un avenir fruc-tueux et assorti aux besoins humainssera composé de systèmes dynamiquescomplexes formant la base de nouveauxsystèmes hommes-machines (dans l’in-dustrie comme dans les secteurs ditstertiaires), dont l’objet n’est pas la subs-titution intégrale des machines auxhommes mais de nouvelles combinai-sons, évolutives et d’ensemble, des fonc-tions des uns et des autres. n

Yvette Lucas.

Travail et société

« Le travail est au cœur de cetteinteraction dialectique forces

productives/rapports de production et c’est dans le mouvement qu’elles

engendrent qu’il prend tout son sens. »

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PROPOS RECUEILLIS PAR LÉO PURGUETTE

Le grand entretien

Comment a été élaboré leprogramme du PCF pour leséchéances électorales de 2017 ?au cours de ces derniers mois, sousdiverses formes, les militantes et les mili-tants du parti sont allés à la rencontre dupeuple pour apprécier les préoccupa-tions actuelles, les attentes, les idées etles espoirs portés. des milliers de per-sonnes, près de 65 000, ont rempli lequestionnaire de la grande consultationcitoyenne.Les résultats de cette enquête dessi-nent un visage de la France qu’on ne voitpas dans les médias. Les priorités sontclaires : de meilleurs revenus, une actionforte pour l’environnement, la fin des dis-criminations, de meilleurs servicespublics et un meilleur vivre-ensemble.et les solutions envisagées concernentde grandes transformations : limiter lepouvoir des actionnaires, arrêter les pri-vatisations, changer la république, pro-mouvoir l’égalité femmes-hommes,renégocier les traités européens sontnotamment cités par nos concitoyens.

Parallèlement, les différents secteurs etcommissions de la direction nationaledu PCF ont travaillé sur les mesuresessentielles d’un programme de gouver-nement qui répondrait enfin aux exi-gences populaires. C’est donc à partir

de cette grande consultation citoyenneet de nos propres propositions pour lepays, que le comité de pilotage du pro-jet du parti a élaboré ce programme.

après l’avoir présenté lors de la confé-rence nationale des communistescomme une contribution à Un pacted’engagements communs nécessaire àgauche, nous l’avons finalement intituléLa France en commun car il est dans la

continuité du projet élaboré en 2015.nous avons en effet estimé que nousdevions stabiliser un message politiquepérenne autour de ce thème. au regardde cette ambition, la nature différentede ce texte – un programme de gouver-

nement – et le travail spécifique ayantconduit à son élaboration ne justifiaientpas un nouveau titre.

Quels en sont les grands axes ?Le programme est organisé en sept axesqui exposent les principales mesurespermettant de faire reculer les logiquescapitalistes et de faire progresser le pro-jet communiste. Le premier intitulé« Prendre le pouvoir sur la finance et par-

La France en communigor Zamichiei, responsable de la coordination du comité du projet, revientici sur l’élaboration du programme du PCF pour les échéances électorales de2017, La France en commun, ses points communs et ses divergences avecL’Avenir en commun, présenté par Jean-Luc mélenchon et la dynamique qu’ildoit permettre de créer localement et nationalement.

« À partir de cette grande consultationcitoyenne et de nos propres propositions

pour le pays, le comité de pilotage du projetdu parti a élaboré ce programme. »

la planète » rassemble nos propositionspour libérer notre mode de productiondu dogme de la rentabilité et initier unnouveau mode de production humaindurable, basé sur des critères sociauxet écologiques et contrôlé par les tra-vailleurs. Le septième axe « À l’offensivepour changer l’europe » propose que laFrance engage une offensive sans pré-cédent pour construire une europe depeuples et de nations, libres, souverainset associés et en faire le moteur du chan-gement mondial.

Prenons le premier axe par exemple. ilconcerne le combat contre la financeque, contrairement au gouvernement,nous refusons d’abandonner car cen-tral pour toute politique qui se réclamede la gauche. il formule des propositionsconcrètes pour promouvoir une autreutilisation de l’argent des entreprises (les

profits), de l’argent des banques (le cré-dit) et de l’argent public (impôts, cotisa-tions sociales et leur utilisation par l’État,les collectivités territoriales et la sécuritésociale). une des principales proposi-tions avancée est la création d’un pôlepublic bancaire avec la nationalisationde la BnP Paribas et de la société géné-rale. Pourquoi ? Parce que reprendre lepouvoir sur la création monétaire nouspermettra de combattre la spéculationfinancière et le dogme de la rentabilitémaximum, de développer les services

publics et d’imposer avec les travailleursdes critères sociaux et écologiques dansles productions. nous voulons égale-ment agir contre la fraude et l’évasionfiscale – 80  milliards d’€ de pertesannuelles pour l’État ! – et pour la justicefiscale en traitant tous les enjeux :réforme de l’impôt sur la fortune (isF)

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tager les richesses » exposent nos pro-positions pour placer les banques au ser-vice de l’humain, agir contre la fraude etpour la justice fiscale, pour de meilleurssalaires et retraites. Le deuxième axe« de la nouvelle république au renou-veau de la politique » propose une véri-table révolution politique et des mesuresessentielles à la réalisation concrète dela liberté, l’égalité et la fraternité. Le troi-sième axe « investir pour l’emploi et ledéveloppement de chacune et chacun »regroupe de grands enjeux d’avenir pournotre société comme la désaliénationdu travail et la sécurisation de l’emploipour éradiquer le chômage et laconstruction d’un grand service publicde l’art, de la culture et de l’éducationpopulaire. Le quatrième axe « l’égalitéfemmes-hommes maintenant ! » traitede manière offensive la question cen-trale du partage des pouvoirs et de biend’autres comme l’indispensable égalitéprofessionnelle. Le cinquième axe « uneFrance protectrice, solidaire et ouvertesur le monde » vise à en finir avec lesinégalités, engage un nouvel âge pour leservice public et affirme de grandesorientations pacifistes et de solidaritéà l’échelle internationale. Le sixième axe« Produire autrement pour l’humain et

« Que ce soit avec Jean-Luc mélenchon ou avec les autres forces de gauche,

nous devons valoriser les convergences maisaussi assumer nos divergences lorsque laquestion est posée dans le débat public.»

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Rencontre publique de consultation à l’initiative des communistes de Clermont-Ferrand.

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et de l’impôt sur le revenu pour mieuxfaire contribuer les hauts revenus et lesrevenus financiers ; suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et réforme de l’impôt sur lessociétés pour imposer des critèressociaux et écologiques dans les productions ou encore réforme de la fiscalitéde la consommation avec la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité. Enfin, nous proposonsdes salaires qui permettent de bien vivreet de meilleures retraites.

En quoi répond-il aux urgencespopulaires ?Précisément, prenons ce dernier pointconcernant les salaires et les retraites.Le niveau actuel des salaires et desretraites est insupportable au regard ducoût de la vie, de tous les besoins fondamentaux à satisfaire. Près de la moitié des salariés, 10 millions de travailleurs,gagnent moins de 1 700 € net par mois.Nous proposons une augmentationimmédiate de 23 % du SMIC pour le porter à 1 400 € net environ et une progression visant 1 700 € net à la fin du prochain quinquennat. Indissociablement,les salaires de chaque premier niveaudes grilles de classification des différentes branches doivent être augmentés. Par ailleurs, combien de nos concitoyens n’arrivent plus à boucler les finsde mois alors qu’ils ont une vie de travailderrière eux ? Nous proposons donc demeilleures retraites autour d’un principe :un taux de remplacement de 75 % minimum et en aucun cas inférieur au SMIC

revalorisé pour une carrière complètede travail.Un autre point concerne le développement de la protection sociale et du service public de santé. Chacun a constatéque c’est une cible privilégiée de la droiteconduite par François Fillon au regarddes milliards d’euros que pourrait détourner la classe dominante avec la casse dusystème actuel. Voilà également un enjeuessentiel pour la vie quotidienne de nosconcitoyens. Concernant la Sécuritésociale, nous proposons une révisiondes modes de couverture et prestationsprévus pour les ayants droit dans les quatre branches pour une meilleure protection sociale. Pour la branche maladie parexemple, nous voulons reconquérir progressivement la généralisation de la priseen charge à 100 % pour tous des soins.Le financement se ferait notamment par

la modulation des cotisations socialespatronales et l’extension des prélèvements sociaux aux revenus financiers.Une nouvelle cotisation sur les revenusfinanciers au même niveau que lessalaires garantirait des dizaines de milliards d’euros de recettes nouvelles !

Quelles convergences etdifférences avec le programmeL’Avenir en commun présenté parJean-Luc Mélenchon ? Commentfaire progresser le débat de projetà gauche ?Le programme que nous présentons està la fois la contribution du PCF à la campagne présidentielle dans laquelle nousappelons à voter Jean Luc Mélenchonet celui sur lequel s’engagent à agir noscandidats aux élections législatives pourles cinq ans à venir. Les convergenceset divergences entre nos deux programmes doivent être abordées sansillusion ni caricature et avec une forteambition d’intervention populaire.

Nous partageons beaucoup d’orientations politiques incontournables pourune politique de gauche : combattre la

monarchie présidentielle et faire progresser la démocratie, lutter contre lafinance et le pouvoir despotique desactionnaires, réduire le temps de travail et augmenter les salaires, un nouveau mode de développement socialet écologique, développer les servicespublics ou encore respecter la souveraineté des peuples et promouvoir lapaix. Aucun autre candidat de gaucheà la présidentielle affirme aussi clairement ces objectifs communs. Et certaines propositions avancées dansL’Avenir en commun sont parfois rigoureusement identiques aux nôtrescomme le salaire maximum par exemple ou le droit à la retraite à 60 ans.

Cependant sur l’ensemble de ces sujets,nous avons aussi des différences importantes. Je prendrai trois exemples : surl’enjeu démocratique, beaucoup de propositions de Jean Luc Mélenchon seconcentrent sur le contrôle des élus alorsque nous privilégions une innovationdémocratique comme la création d’unstatut de l’élu qui contribuerait à l’entréemassive d’ouvriers et d’employés au seinde l’Assemblée nationale. Sur l’enjeu écologique, nous pensons que la sortie dunucléaire est irréalisable à l’horizon proposé et incompatible avec la résolutiondu défi climatique et la réponse auxbesoins énergétiques des populations.Et sur l’Europe nous ne pensons pas qu’ilexiste un plan B constituant un scénario de sortie unilatérale de l’UE favora

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« Nous privilégions la création d’un statut de l’élu qui contribuerait

à l’entrée massive d’ouvriers et d’employésau sein de l’Assemblée nationale. ».

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ble aux intérêts populaires : seule uneFrance à l’offensive et une alliance deforces progressistes autour d’objectifsdémocratiques, sociaux, écologiquespartagés par des millions d’Européenspeut permettre de combattre les institutions européennes actuelles.

Que ce soit avec Jean Luc Mélenchonou avec les autres forces de gauche, nous

devons valoriser les convergences maisaussi assumer nos divergences lorsquela question est posée dans le débatpublic. C’est en engageant un effort sansprécédent pour que les citoyens, les travailleurs, s’approprient ces débats, lesinvestissent et les enrichissent que nouscréerons les conditions qu’ils déterminent eux mêmes la direction à prendreet les propositions à mettre en œuvre

pour répondre à leurs intérêts. C’est indispensable si nous voulons faire avancernos idées dans les campagnes électorales, contribuer à la reconstruction dela gauche autour d’un projet de transformation sociale et permettre une réellemaîtrise citoyenne des processus dechangement.

Comment faire connaître notreprogramme ? Comment s’en saisirlocalement dans les campagnes ?D’abord, nous devons soutenir les lutteslocales et les nourrir de ces propositions,qu’il s’agisse d’une mobilisation pour ladéfense d’un service public ou contre lafermeture d’une usine par exemple. Lemeilleur moyen de faire connaître notreprogramme est de montrer en quoi ilrépond concrètement aux exigencespopulaires.

Partout sur le territoire nous sommesd’ores et déjà engagés dans des campagnes : contre l’évasion fiscale et le CICEet pour une autre utilisation de l’argent ;pour donner un prolongement au mouvement contre la loi travail avec notreproposition de loi de sécurisation del’emploi et de la formation ; contre lespolitiques d’austérité et pour un servicepublic du XXIe siècle ; contre les délocalisations et pour un renouveau industrielpour la France ; pour relancer un grandmouvement pacifiste ou encore pour lasolidarité avec les migrants.

La direction nationale a par ailleurs décidéd’éditer ce programme en plusieursdizaines de milliers d’exemplaires. Ainsiles camarades pourront rapidement sel’approprier et nous proposons de le vendre dans nos initiatives publiques au prixde 2 €. Quatre affiches également éditées nationalement suivront et desmodèles de tract thématiques à imprimer localement seront également bientôt disponibles.

Des initiatives nationales avec l’intervention de personnalités et du secrétairenational sont en préparation. Au delà,dans chaque circonscription, des réunions publiques peuvent être organiséespour présenter le programme, ou l’undes axes en particulier, et en débattreavec des responsables syndicaux, associatifs, des citoyens engagés. Dans lescirconscriptions où notre influence estforte, ces réunions devraient à mon sensassocier nos candidats aux législativespour montrer l’utilité de l’élection dedéputés communistes mobilisés pourun tel programme en juin prochain. n

« Dans chaque circonscription, des réunions publiques peuvent être

organisées pour présenter le programme, ou l’un des axes en particulier, et en débattre

avec des responsables syndicaux,associatifs, des citoyens engagés. ».

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T Bilan de la législatureFront de gauchePAR ANDRÉ CHASSAIGNE*

L’Assemblée nationale entame la dernière session

de la XIVe législature. L’heure est au bilan. Dansl’esprit qui est celui des députés du Front de gauche,

il ne s’agit pas là d’un exercice de style, mais d’un devoirdémocratique. Avoir l’honneur de représenter le peuplesouverain, c’est aussi l’obligation de rendre compte de sonaction. Tel est l’objet de ce document conçu comme unoutil d’information, mais aussi et surtout comme une miseen perspective politique de l’activité parlementaire desdéputés du Front de gauche. Car derrière nos diverses inter-ventions, des axes forts et une cohérence d’ensemble sedégagent clairement. Une cohérence que l’on doit au res-pect de nos valeurs et à notre fidélité. Fidélité à nos idéeset aux engagements pris devant les électeurs. Fidélité à nosvaleurs jusque dans le fonctionnement même de notregroupe qui a toujours garanti le respect de la sensibilité dechacun des membres qui le composent. Nous considé-rons, en effet, que l’expression des sensibilités diverses estun atout et une richesse au service de nos concitoyenneset concitoyens, et c’est pourquoi la liberté de vote figuredans les statuts mêmes de notre groupe.Certes, il ne s’agit nullement de céder à une quelconqueautosatisfaction. L’heure est grave au moment de tirer cebilan. Nous avons pleinement conscience de l’état de souf-france de nombre de nos concitoyens toujours plus nom-breux à être confrontés au chômage et à la précarité. Nousavons lutté avec nos armes, forcément trop limitées, pourque la voix des sans-voix soit entendue, pour qu’une majo-rité et un gouvernement élus par la gauche respectent lesprincipes et les valeurs du peuple de gauche.Et pourtant… L’effet de sidération n’est pas près de s’es-tomper face à la politique qui a été menée durant ces annéespar ce gouvernement. Le peuple de gauche a assisté avecconsternation à̀ l’adoption d’une série de lois régressivessur le plan des libertés comme sur le plan économique etsocial. Malgré la mise en échec de la loi sur la déchéancede la nationalité grâce à notre mobilisation collective, cequinquennat a été rythmé par des textes étrangers à toutidéal progressiste, qu’il s’agisse de la ratification du TSCGnégocié par Merkel et Sarkozy, de la loi de transposition del’Accord national interprofessionnel (ANI), du mal nommé« pacte de responsabilité », de l’irresponsable CICE, desiniques lois « Macron » et « El Khomri »… Tous ces dispo-sitifs ont exprimé une volonté de remise en cause de l’étatsocial, et ce conformément aux desiderata du patronat.Des recettes néolibérales qui n’ont instillé ni une relancede la croissance, ni une inversion de la courbe du chômage.Ultime trahison d’un pouvoir présidentiel qui avait placéson mandat sous le maître-mot de la priorité donnée à lajeunesse, il termine son mandat sur un texte « El Khomri »appelé à aggraver plus encore sa condition. La boucle estbouclée, la quadrature du cercle est parachevée, avantmême la fin du quinquennat. Un président de la Répu-blique élu par l’ensemble des forces de gauche s’est réso-lument engagé dans une politique économique rêvée par

la droite et le MEDEF. François Hollande et Manuel Vallsportent ici une lourde responsabilité historique devant lepeuple de gauche, car ce sont leurs choix qui ont fracturéla gauche.Le dogmatisme de l’exécutif l’a coupé du peuple et desprogressistes qui l’ont mené au pouvoir. Face à ses dévoie-ments et à sa dérive idéologique, nous sommes restés fidèlesà nos engagements, ceux d’une gauche mue par les valeursde justice sociale, le développement durable et la solida-rité internationale. Une ligne morale et politique pleine-ment assumée durant toute la législature et qui s’est tra-duite à la fois par une série d’initiatives et de propositionslégislatives, mais aussi par un travail permanent de contrôlepolitique de l’action gouvernementale allant jusqu’au dépôtde motions de censure de gauche contre la politique gou-vernementale. Ces dernières actions ont montré notrecapacité à construire une alternative politique en nouantdes rapprochements avec des forces issues de l’ensemblede la gauche antilibérale. Une alternative progressiste à lapolitique austéritaire, libérale et identitaire du gouverne-ment actuel est possible. Il nous revient, avec d’autres, d’in-carner et de concrétiser cette promesse ! n

*André Chassaigne est député PCF-Front de gauche.

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C e document dresse un bilan non exhaustif de la XIVe législature à ladate du 1er octobre 2016. Il ambitionne de présenter, de manière synthé-tique, les textes les plus symboliques examinés et adoptés lors de cette

législature, avec l’indication du vote des députés. Il présente également leursinitiatives parlementaires (Propositions de lois examinées dans le cadre del’ordre du jour réservé, rapports d’information, commissions d’enquête…). Les textes sont regroupés de manière claire sous les rubriques Finances, Loi« Macron », Économie, agriculture, logement, Énergie, transports et développe-ment durable, Travail et emploi, Santé et protection sociale, Pouvoirs publics etsociété, Culture et éducation, Fonction publique et collectivités territorialesJustice, Police et sécurité, International et défense, Europe.

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Les évêques de France sont

inquiets, politiquement in -quiets de la déliquescencede la société ; ils se montrentaussi soucieux d’insufflerdans le débat public un mes-

sage d’espoir. ainsi faut-il lire leur der-nier texte, publié l’automne dernier : Dansun monde qui change, retrouver le sensdu politique, signé par le conseil perma-nent de la Conférence des évêques deFrance. La haute hiérarchie catholiquese revendique du Concile vatican 2(1965) où implicitement il est dit que lescatholiques sont citoyens parmi lescitoyens. Ce concile rappelait que « lesjoies et les espoirs, les tristesses et lesangoisses des hommes de ce temps,des pauvres surtout et de tous ceux quisouffrent, sont aussi les joies et lesespoirs, les tristesses et les angoissesdes disciples du Christ, et il n’est rien de

vraiment humain qui ne trouve écho dansleur cœur ». Les évêques sont interve-nus à plusieurs reprises dans le champpolitique. Citons Pour une pratique chré-tienne de la politique (1972), Politique :l’affaire de tous (1991), Réhabiliter la poli-tique (1999) et très récemment, enjuin  2016, 2017, année électorale :quelques éléments de réflexions. il fautcroire que l’Église s’est sentie particuliè-rement alertée pour reproposer,quelques mois seulement après ce textede juin, une nouvelle réflexion sur « lesens du politique ».

L’évêque et la politiqueLe récent document des évêques de France, Dans un monde qui change,retrouver le sens du politique, est un texte qui appelle au débat. Commentaires critiques.

Ce document se compose de dix par-ties qu’on résumera de façon un peuschématique ainsi :

1. retrouver le politique : il y estquestion du discrédit politique, de lacrise de confiance entre gouvernantset gouvernés, de « l’attitude et l’imagede quelques-uns qui jettent le discré-dit sur l’ensemble de ceux qui viventl’engagement politique comme un ser-vice de leur pays ». La société, la vie encommun, ne peut se passer du poli-tique ; il y a besoin d’un « nous » quidépasse les particularités, recherchel’intérêt général.

2. une société en tension : Le paysest à fleur de peau ; il a connu desmoments de communion, de solida-rité mais ils sont éphémères. Le textemontre du doigt les média audiovisuels,l’irresponsabilité, parfois, des réseauxsociaux. « La culture de l’affronte-ment prend le pas sur celle dialogue. »

3. ambivalences et para-doxes : La France a un poten-tiel important mais bridé. il yaurait trop de normes, trop derègles. Le propos est convenuaussi sur la réforme : tout lemonde veut des réformes maistout projet de réforme serait dis-qualifié.

4. un contrat social à repenser :Le texte pointe un sentiment d’« insé-curité sociétale », peur du déclas-sement, disparition des servicesde proximité, sentiment d’in-justice (qui oppose ainsi lesalaire indécent de cer-tains grands patrons etcelui de la majorité despetits entrepreneurs) ;chômage, pauvreté, exclu-sion, violence. et c’est pirepour ceux qui sont « au bord

PAR GÉRARD STREIFF

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du monde ». Le document salue lerôle des associations, parle de la placedes étrangers.

5. différences culturelles et inté-gration : on vit dans un monde decroisements, ce qui peut susciter iciou là malaise et rejet ; la conceptionde l’identité nationale est bousculéepar la mondialisation ; des communau-tarismes s’élèvent contre la nation ;c’est le « terreau de postures racistesréciproques ». « Le monde arabo-musulman est devenu de plus en plusune source de dangers pour beaucoupde nos concitoyens. » Le christianismea une « expérience doublement millé-naire d’accueil ».

« La culture del’affrontement

prend le pas surcelle du dialogue. »

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6. L’éducation face à des identi-tés fragiles et revendiquées : Laquestion de l’identité, personnelle ounationale, est posée ; on souhaite percevoir les racines et s’enrichir d’iden-tités plurielles. Contre l’enfermementidentitaire.L’école doit transmettre des compé-tences, un sens de l’universel. Pour unereconnaissance de l’histoire chrétiennesans tomber dans une nostalgie depurs et durs.

7. La question du sens : Le rôle dupolitique n’est pas de dire ce qu’il fautpenser mais c’est « négociation tou-jours à refaire de ce qui fait tenir ensem-ble un pays ». or l’enjeu du sens adéserté la politique, il n’est plus ques-tion que de gestion, que de « protec-tion ». Le commerce ou l’être humain,il faut choisir. Comment articuler le« je » et le « nous ». Cette crise de sensvaut pour l’europe.

8. une crise de la parole : La paroleest essentielle et tout ce qui la perver-tit a des conséquences lourdes. Le dia-logue est capital. aujourd’hui, « toutest soumis au vote ». vive le compro-mis, le fait de construire ensemble. Lescatholiques doivent avoir des positionsfermes, ce qui ne signifie ni raideur niblocage. il faut « veiller à la démocra-tie dans une société fragile et dure ».

9. Pour une juste compréhensionde la laïcité : Le temps est à la sécu-larisation. de la difficulté de parler dufait religieux. il y a diverses conceptionsde la laïcité, conception étroite ououverte. Pour le vivre ensemble, contrela neutralisation.

10. un pays en attente, riche detant de possibles : Le documentsouligne l’aspiration à de nouvellesformes d’engagement citoyen. « Ça netombera pas du ciel » (sic) ni de per-sonnalités providentielles. La vie asso-ciative est riche, il y a un désir de parole,de vivre, d’être écoutés, de rencontrer.L’enjeu écologique (simplicité, sobriété,partage) est fort. des expériences sontnombreuses ; il faut reprendre le tempsde la parole et de l’écoute.

Ce texte se veut un appel au débat, poli-tique, entre catholiques, entre chrétiens,entre croyants et non-croyants. Fran-çois Fillon fut le seul candidat de la droiteà répondre, longuement, à cet appel pour

lui donner une interprétation très réac-tionnaire. Pour ce qui nous concerne,nous soulignerons plutôt dans ce docu-ment la forte insistance sur l’engage-ment citoyen, sur la priorité à l’humain ;on discutera des formulations comme :ce pays souffre de trop de règles maisde quelles règles parle-t-on ? Quand letexte dit que toute réforme en Franceest disqualifiée d’emblée, de quelleréforme est-il question ? Quand il estimeque la crise de sens est due à l’excès degestion, de quelle gestion parle-t-on ? au profit de qui ? Les vraies solu-tions ne viendront pas « de l’économieet de la finance », dit encore le texte.C’est juste s’il s’agit de se défier de l’éco-nomisme ambiant, mais la lutte résoluecontre la financiarisation du monde nefait-elle pas partie des solutions ? reste

qu’on ne peut que partager cette idéefinale : « [Ces vraies solutions], viendrontde l’écoute personnelle et collective desbesoins profonds de l’homme. et de l’en-gagement de tous. » n

extraitssi nous parlons aujourd’hui, c’est parce que nous aimons notre pays, etque nous sommes préoccupés par sa situation. il ne s’agit pas pour nousd’alimenter la morosité par de sombres constats ; mais, en regardantles choses en face, d’apporter résolument notre pierre, notre réflexion,au débat que notre pays se doit d’avoir. nous ne sommes pas des spé-cialistes de la politique, mais nous partageons la vie de nos concitoyens.[...] il faudrait être sourds et aveugles pour ne pas nous rendre comptede la lassitude, des frustrations, parfois des peurs et même de la colère,intensifiés par les attentats et les agressions, qui habitent une partimportante des habitants de notre pays, et qui expriment ainsi desattentes et de profonds désirs de changement. il faudrait être indif-férents et insensibles pour ne pas être touchés par les situations deprécarité et d’exclusion que vivent beaucoup sur le territoire natio-

nal. Ces cinquante dernières années, notre pays a énormément changé :économiquement, culturellement, socialement, religieusement… il

a connu en un laps de temps très court une profonde mutation quin’est pas encore terminée. Les évolutions et les transformationsont créé de l’incertitude dans la société. [...] Pourquoi prendre laparole ? tout simplement, parce que les catholiques, citoyens àpart entière, qui vivent eux aussi ces transformations au milieu deleurs contemporains, ne peuvent se désintéresser de ce qui toucheà la vie en société, la dignité et l’avenir de l’homme. si dans latradition judéo-chrétienne, dieu appelle tout homme par son nom,ce n’est jamais en tant qu’individu isolé, mais c’est toujours commemembre d’un peuple et pour l’ensemble de ce peuple auquel il est

renvoyé. L’espérance chrétienne n’est donc pas seulement indi-viduelle, elle est aussi collective.

Le conseil permanent de la Conférence des évêques de France aux habitants de notre pays.

« Les vraies solutions viendront de l’écoute personnelle et collective

des besoins profonds de l’homme. et de l’engagement de tous. »

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« Football Leaks » :quand Pascal Praud justifie l’évasion fiscale et les pressions sur les journalistes

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PAR ACRIMED

PLe 3 décembre dernier, dans

« 13h Foot », Pascal Praud rece-vait Fabrice arfi, journaliste àmediapart, invité à s’exprimerà propos des «  FootballLeaks », vaste affaire de fraude

et d’évasion fiscales dans le monde dufootball. L’interview de Fabrice arfi pritrapidement un cours surréaliste, PascalPraud remettant en question les élé-ments constituant les « Football Leaks »,laissant entendre que frauder le fisc estune pratique justifiée et, last but not least,jugeant normal que les journalistes à l’ori-gine de l’affaire subissent des pressions.une belle leçon de journalisme et d’in-dépendance, que le propriétaire d’i-téléaura sans doute appréciée à sa justevaleur.Première alerte, après quelques minutesd’interview, quand Fabrice arfi insistesur la gravité des faits établis par les« Football Leaks » (« Quand quelqu’un[…] comme Cristiano Ronaldo, qui dissi-mule 150 millions d’euros dans les para-dis fiscaux, c’est de l’argent qui échappeà la richesse des nations, aux servicespublics, aux écoles, aux crèches… »), ilest alors interrompu par Pascal Praud :« J’entends Fabrice, j’entends ce discoursqui est un discours de morale et on peutl’entendre… » remettre en cause despratiques illégales, ici la fraude et l’éva-sion fiscales, est donc, selon Pascal Praud,« un discours de morale ». Étrange décla-ration…deuxième alerte, quand Pascal Praud

tient à préciser « qu’aujourd’hui il n’y aaucune instruction judiciaire qui estouverte » et donc « qu’on peut avoirquand même pour le moins une formede présomption d’innocence sur les gens »dont les noms sont cités. rappeler leprincipe de la présomption d’innocence ?Pourquoi pas. mais on va rapidement serendre compte qu’il ne s’agissait pas pourPascal Praud de se poser en défenseurdu droit et de la loi, mais plutôt de ten-ter de délégitimer Fabrice arfi et sesconfrères à l’origine des « Football Leaks »et de défendre, coûte que coûte, les starsdu football mises en cause.

« L’évasion FisCaLe, C’est un sPort nationaL »ainsi, alors que le journaliste de media-part évoque, un peu plus tard au coursde l’entretien, l’une des sources à l’ori-gine des révélations et s’en prend à la« haute finance », il est en effet de nou-veau interrompu, par Pascal Praud quilui pose alors une question des plus…surprenantes, qui débouche sur un dia-logue qui mérite d’être reproduit :- Pascal Praud : « Bon. L’évasion fiscale,

c’est un sport national, et internatio-nal, manifestement. Bon. Est-ce queles gens qui ont pratiqué cette évasionfiscale ont le sentiment de l’avoir faitdans les règles ? Si j’ose dire… Est-ceque c’est des montages financierscomme il en existe, j’imagine hein, quandon a beaucoup d’argent on se dit "tiensje vais essayer de passer à travers lesmailles du filet…" »

- Fabrice arfi : « Ah on se dit ça quand ona beaucoup d’argent ? »

- Pascal Praud : « Quand on a beaucoupd’argent, oui, je pense qu’effectivement,

les gens qui ont beaucoup d’argentdisent "tiens je vais mettre de l’argenten Suisse je vais mettre de l’argent enBelgique, je vais essayer d’échapper àl’impôt". »

- Fabrice arfi : « Ah oui ? »- Pascal Praud : « Bah vous le savez bien

quand même, Fabrice ! Que ils sont…J’imagine quand tu gagnes énormé-ment d’argent, tu as beaucoup de… »

- Fabrice arfi : « C’est de la morale inver-sée ça… »

- Pascal Praud : « … beaucoup de conseil-lers fiscaux, vous entendez bien ce queje comprends, c’est une réalité Fabrice,ne jouons pas sur les mots. »

La tolérance de Pascal Praud à l’égardd’individus se rendant coupables defraude ou d’évasion fiscale est pourtantà géométrie variable, lui qui s’indignait,le 15 septembre dernier, du réquisitoiretrop bienveillant de la procureure lorsdu procès de Jérôme Cahuzac : « Troisans, c’est rien. Il encourait jusqu’à septans de prison. Qu’est-ce qu’il faut fairepour avoir le maximum de la peine pourfraude fiscale et blanchiment ? » un peuplus tôt, le 5 juillet, c’est à l’ex-directricede l’ina, convaincue de détournementde fonds publics, qu’il s’en prenait avecvigueur, ironisant sur la faiblesse de lasanction interne prise à son encontre :« Quel exemple pour nous les Français ![…] Le cas Agnès Saal révèle l’état d’es-prit de ceux qui nous dirigent : l’exem-plarité, c’est toujours pour les autres. »

« PardonneZ-moi de meFaire L’avoCat du diabLe »et ce n’est pas tout. si l’évasion fiscaleest compréhensible, il est en revanchepermis de douter des méthodes d’in-

Chaque mois, La Revue du projet donne carte blanche à l’association aCrimed(action-Critique-médias) qui, par sa veille attentive et sa critique indépendante,est l’incontournable observatoire des média.

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vestigation des journalistes à l’originedes « Football Leaks » : « Les sources !Les sources ! Elles sont légales ou illé-gales ? C’est-à-dire que si c’est un hacker,c’est illégal. » et Pascal Praud de mettreen doute la véracité même des informa-tions révélées dans les « Football Leaks »car après tout, le monde du football est« incroyablement surveillé ». Cela com-mence par une remarque faussementnaïve : « Pardonnez-moi de me faire l’avo-cat du diable, […] vous dites "ce sont desfaits", et il n’y a aucun… aucune limite,aucune prudence, aucune… même dedire "bah on a peut-être été abusés"… »Car Pascal Praud a des bonnes raisonsde douter : « Non mais parce que là jepeux vous donner un témoignage per-sonnel puisque j’étais dans un club defootball. Et je vous l’ai dit tout à l’heureen préparant l’émission : c’est incroya-blement surveillé ! C’est-à-dire que… àl’extérieur, les gens, les gens ont une imagedu football en gros "tous pourris". C’estça. Bon. […] Et quand vous avez une expé-rience de l’intérieur, bah vous vous aper-cevez que c’est incroyablement régle-menté, surveillé… »avocat du football-business ou journa-liste ? de toute évidence, Pascal Prauda choisi, ce que va malheureusementconfirmer la dernière partie de l’inter-view.

« C’est normaL qu’iL y ait des Pressions sur Les JournaListes »Quelques secondes après cette mémo-rable séquence, david aiello demandeà Fabrice arfi si les journalistes qui ontenquêté sur les « Football Leaks » ontsubi des pressions. Ce qui ne manquepas de faire réagir un Pascal Praud dé -sormais en roue libre :- « Non mais ils s’en fichent des pressions,

Mediapart. C’est normal qu’il y ait despressions. Mais c’est normal ! »

oui, vous avez bien lu. et ce n’est pas fini.Fabrice arfi explique en effet que despressions ont bel et bien été exercées,entre autres via des lettres, venues decabinets d’avocats, exigeant des jour-nalistes qu’ils dénoncent leurs sourceset renoncent à publier leurs informa-tions, mais aussi une procédure judi-ciaire en espagne visant à empêcher

toute publication et à saisir les docu-ments des « Football Leaks ». C’en esttrop pour Pascal Praud : « Les pressions,bah elles existent et c’est la base des jour-nalistes [sic] et, alors pas celle que vousvenez peut-être de dire, il y a des pres-sions qui sont parfaitement inaccepta-bles et notamment lorsque l’intégrité desjournalistes est mise en cause ou en toutcas est attaquée, mais en revanche despressions c’est la vie quotidienne d’unjournaliste et c’est, j’ai envie de dire c’està lui simplement de pouvoir y résister. »oui, vous avez bien lu (bis). et ce n’estpas fini (bis), puisque Pascal Praud vacontinuer à banaliser, voire justifier lespressions sur les journalistes, en touteconfraternité bien sûr, s’attirant de nou-veau quelques sèches répliques d’unFabrice arfi qui semble ne pas croire cequ’il est en train d’entendre – et on lecomprend.- Pascal Praud : « […] Mais en revanche

des pressions c’est la vie quotidienned’un journaliste et c’est, j’ai envie de direc’est à lui simplement de pouvoir y résis-ter. Mais que les gens fassent pressionpour faire avancer leur opinion de l’au-tre côté, voilà ça ça… »

- Fabrice arfi : « Il n’y a pas besoin de pres-sion, il suffit de la donner, l’opinion. »

- Pascal Praud : « … voilà c’est… vous savezcomment ça se passe. Non mais il y atoujours des pressions ça c’est, c’estune tarte à la crème, la pression sur lesjournalistes. Un président, lorsqu’ilappelle, lorsqu’il appelle un journalistepour dire "tiens voilà et caetera" il faitpasser son message et puis c’est aujournaliste de… »

- Fabrice arfi : « Ce n’est pas une pres-sion ça, c’est un coup de fil. »

Pascal Praud décide alors de mettre sou-dainement un terme à l’entretien. nonsans une dernière pique à Fabrice arfi,après avoir fait semblant de rendre hom-mage à son travail.- Pascal Praud : « Merci d’être venu […] Et

vraiment il faut féliciter votre travailque l’on peut écouter et lire sur Media-part, le prochain épisode c’est ces pro-chains jours, bien évidemment. »

- Fabrice arfi : « Dès cette nuit, voilà, […]et il y en aura durant la semaine… »

- Pascal Praud : « Ça se vend bien commeça, en teasing. »

- Fabrice arfi : « Hein ? »- Pascal Praud : « C’est une série, c’est un

feuilleton, ça peut se vendre bien. »- Fabrice arfi : « Absolument c’est un feuil-

leton, un peu comme la presse duXIXe siècle. En même temps 18 millionsde documents c’est compliqué à sor-tir d’un coup. »

- Pascal Praud : « Bieeeen sûr. »Fin de la leçon de journalisme.

***

Pascal Praud aura donc réussi, en unequinzaine de minutes, à faire la démons-tration de l’étendue de son talent en seplaçant résolument du côté de ceux quitentent de jeter le discrédit sur les « Foot-ball Leaks » et les journalistes qui ontrévélé ce scandale, le tout sur un tonsouvent hautain, voire méprisant. Ce quin’empêche pas le journaliste de tenter,à plusieurs reprises au cours de l’inter-view, d’arracher un « scoop » à Fabricearfi, de préférence à propos de clubset/ou de joueurs français.Pascal Praud avait brillé par son absence,et son silence, durant la grève à i-télé,de toute évidence peu concerné par lamobilisation de ses collègues contre leslubies de l’actionnaire et de la directionde la chaîne. après le visionnage et l’ana-lyse de cette séquence consacrée aux« Football Leaks », on comprend mieuxpourquoi. un journaliste qui défend lafraude et l’évasion fiscales lorsqu’ellessont pratiquées par d’autres que desministres ou des hauts fonctionnaires,qui remet en question l’intégrité de sesconfrères au prix de petits arrangementsavec la vérité sans toutefois oublier d’es-sayer d’obtenir une information qui ferale « buzz », et qui estime qu’il est « nor-mal » qu’un journaliste subisse des pres-sions, n’est-il pas, après tout, le journa-liste rêvé de vincent Bolloré ? n

La revuedu ProJet

Janvier 2016

PAR NADHIA KACEL*

ombreuses sont lesfemmes qui ont combattupour la Commune, dansl’union des femmes pourla défense de Paris et lessoins aux blessés, dans la

commission du travail, dans les cham-bres syndicales, dans les coopérativesouvrières créées pour remettre en acti-vité les ateliers abandonnés par leurspatrons, dans les toutes nouvelles écoleslaïques, mais aussi dans les combatsface aux versaillais. Claudine rey, anniegayat et sylvie Pepino ont co-écrit lePetit dictionnaire des femmes de la com-mune qui avec plus de huit cents réfé-rences met sous les projecteurs tant defemmes jusque-là anonymes, aux côtésd’héroïnes célèbres.

La Commune de Paris n’eut que soixante-douze jours pour tenter de mettre enapplication des objectifs révolution-naires. mais, révolutionnaire, elle le fut àplus d’un titre, notamment par la capa-cité des femmes à être présentes dans

Les communardes,notre héritage

les combats mais aussi par leur analyseles conduisant à poser des revendica-tions en matière d’égalité entre femmeset hommes, aujourd’hui encore criantesd’actualité.

La Commune de Paris a posé les basesd’une société démocratique, laïque etsociale. elle est à l’origine du droit du tra-vail, de la séparation de l’Église et de l’État,d’un enseignement obligatoire et laïque.Ce que l’on sait moins, c’est que les femmesy bâtirent aussi les exigences d’égalitésalariale, de participation politique des

femmes, de mixité des réunions.

dès le 18 mars, elles protègent la Com-mune. tôt levées, ce sont elles qui aler-tent la population lors de la tentative deconfiscation des canons décidée parthiers. Ce sont elles qui, s’adressant auxsoldats, font lever « crosse en l’air ». ellesseront présentes durant toute la Com-mune et jusqu’à la semaine sanglanteoù nous les retrouvons sur les barricades(à la Chaussée-Clignancourt, rue de Lille,place Blanche). elles s’engagent dès ledébut dans les combats armés contreles versaillais, comme Louise michel oueulalie Papavoine, mais aussi, sur le ter-rain des luttes sociales comme natha-lie Le mel (ouvrière relieuse) ou elisabethdmitrieff (institutrice). Le 11 avril 1871,sous l’impulsion de ces dernières,« L’union des femmes pour la défensede Paris et les soins aux blessés » voit lejour. Pour la première fois dans l’histoiredes femmes, un mouvement féminin demasse rassemble un grand nombre d’ou-vrières et met en place un comité cen-tral qui comprend, outre ces deux mili-tantes, marceline Leloup (couturière),Blanche Lefèvre (blanchisseuse tuée surune barricade), aline Jacquier (bro-cheuse), thérèse Collin (chaussonnière),

sans la participation citoyenne des femmes, la Commune n’aurait jamaispu être une véritable démocratie selon Claudine rey co-auteure du Petitdictionnaire des femmes de la Commune, les oubliées de l’histoire (éditionsLe Bruit des autres, 2013). Pendant la Commune de Paris, des femmes sesont organisées pour revendiquer la mixité et de nouveaux droits. Par leursexigences et leur forme d’organisation audacieuse pour l’époque, elles fontpartie de notre héritage féministe.

FÉMINISME

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« Pour la premièrefois dans l’histoire

des femmes, un mouvement

féminin de masserassemble

un grand nombred’ouvrières. »

La revuedu ProJet

Janvier 2017

N

« Je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de fémi-niste chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson. »

rebecca West, écrivaine et essayiste anglo-irlandaise.

aglaë Jarry (relieuse). L’union des femmespublie des manifestes et organise desréunions publiques dans les arrondisse-ments et quartiers de la capitale.elle fait fonctionner des fourneaux etdes ambulances, reçoit des dons enargent ou en nature, destinés aux bles-sés, aux veuves et aux orphelins. tout enpoursuivant ces actions d’entraide et desolidarité, elle enregistre les citoyennesqui veulent s’enrôler pour la défense deParis et, enfin, elle n’a de cesse de tra-vailler sur des revendications pour faireavancer les droits des femmes.

une union des Femmesautour d’un ProJetFéministeL’union des femmes établit un pro-gramme révolutionnaire. dans sestextes, elle définit sa lutte dans le cadrede l’abolition du capital et des diffé-rentes formes d’exploitation : « nousvoulons le travail pour en garder le pro-duit. Plus d’exploiteurs, plus de maî-tres » et « toute inégalité et tout anta-gonisme entre les sexes constituentune base de pouvoir des classes gou-vernantes » (appel aux citoyennes,Journal officiel du 11 avril 1871).elle réclame l’égalité des salaires, l’orga-

nisation d’ateliers autogérés, des coursdu soir pour adultes, des crèches et aussil’abolition de la prostitution.Les revendications multiples de l’uniondes femmes imprégneront en profon-deur les choix idéologiques et civiquesmis en œuvre par la Commune de Paris.une première application décidée parla Commune accorde des salaires iden-tiques aux instituteurs et aux institutrices(Le Cri du peuple, 21 mai 1871). un grouped’institutrices, dont fait partie Louisemichel, adresse une pétition à la Com-mune pour demander des écoles pro-fessionnelles et des orphelinats laïques.andré Léo (pseudonyme de l’écrivaineLeodile Champseix), anna Jaclard, noé-mie reclus et Clara Perrier participent àla commission créée par Édouard vail-lant « pour organiser et surveiller l’ensei-gnement dans les écoles de filles ». marieverdure rédige un mémoire sur la néces-sité de l’installation de crèches et pro-pose d’aider les mères non mariées pourles empêcher de sombrer dans la pros-titution. Paule minck organise une école

de jeunes filles dans la salle de caté-chisme de saint-Pierre-de-montmartre.

Les femmes sont dans les comités dequartiers. elles pétitionnent pour faireremplacer les religieuses dans les hôpi-taux et les prisons par des mères de famille.elles obtiennent leur place aux ambu-lances, y compris aux postes avancés des

combats. elles arrachent la fermeture desmaisons de tolérance dans quelquesarrondissements. La Commune bannit laprostitution considérée comme « uneforme de l’exploitation commerciale decréatures humaines par d’autres créa-tures humaines ». elles sont aussi à l’ori-gine de la reconnaissance de l’union librepuisqu’elles obtiennent le paiement d’unepension aux veuves des gardes nationauxtués au combat, mariés ou non, ainsi qu’àleurs enfants, légitimes ou naturels. ellesobtiennent que soit accordée une pen-sion aux femmes plaidant la séparation.

Le rôLe des Femmes dévoyé Par Les uns etoubLié Par Les autresdurant la semaine sanglante qui s’achèvele 28 mai 1871 avec des milliers d’exécu-tions (entre 20 000 et 30 000), decondamnations et de déportations, lesfemmes retournent au silence que l’his-toire se charge de faire passer sur leursbatailles, leurs acquis et leurs bravoures. Larépression qui s’ensuit contre elles est

terrible. Quand elles sont prises les armesà la main, elles sont fusillées sur-le-champ.en attendant une parodie de procès, lesprisonnières sont emmenées au sinis-tre camp de satory, sous les quolibets,les insultes, les coups de la foule imbé-cile et revancharde des bourgeois ver-saillais. À l’instar de Louise michel, ellesaffrontent leurs juges avec beaucoup decran et de dignité, revendiquent leursactes et sont condamnées à la dépor-tation en nouvelle-Calédonie.toutes sont calomniées, salies, humi-liées, traitées de prostituées ou de pétro-leuses par les journaux réactionnairesqui entretiennent cette figure inique :ils esquissent les communardes sousles traits de femmes enragées, muniesde bouteilles de pétrole pour incendierParis et mettent en avant leur bestialité,dans la droite ligne des « tricoteuses »de la révolution française. Cette « imaged’Épinal » de la violence révolutionnairerestera une arme des réactionnairestout au long des grandes périodes debouleversement.elles seront bien rares à passer à la pos-térité : Louise michel, nathalie Le mel,elisabeth dmitrieff, andré Léo ou Pauleminck… C’est ce manque qu’ont voulucombler Claudine rey, annie gayat etsylvie Pepino, membres de l’association« Les amies et amis de la Commune deParis 1871  » – créée par les com -munard(e)s de retour d’exil en 1882.avec cette première tentative de leurredonner la parole à travers leur iden-tité, elles espèrent, grâce à cette publi-cation, récolter d’autres noms pour defutures rééditions, d’autres visages, tantles sources manquent dès qu’il s’agit du« deuxième sexe ». n

*Nadhia Kacel est responsable de la rubrique Féminisme de LaRevue du Projet.

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« nous voulons le travail pour en garder leproduit. Plus d’exploiteurs, plus de maîtres,

[…] toute inégalité et tout antagonismeentre les sexes constituent une base de

pouvoir des classes gouvernantes. »

La revuedu ProJet

Janvier 2017

FÉMINISME

PHILOSO

PHIQUES

Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résul-tent des prémisses actuellement existantes. » Karl marx, Friedrich engels - L’Idéologie allemande.

La revuedu ProJet

Janvier 2017

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PAR SHIRLEY WIRDEN*

Nos libertés individuelles et

collectives sont de plus enplus remises en cause etopposées à l’intérêt sécu-ritaire dans le cadre desmenaces et attaques ter-

roristes. Les débats sur l’origine de la radi-calisation, sur l’état d’urgence et sur ladéchéance de nationalité sont révéla-teurs d’un besoin de développer notreréflexion sur les questions de justice, àla fois en termes d’information, de for-mation et d’action.Lorsque l’on dénonce le projet du gou-vernement de pouvoir déchoir de sanationalité un citoyen, par exemple, onoublie (ou on ne sait pas) qu’il s’agit d’uneextension de la déchéance de nationa-lité qui existe déjà. L’article 25-1 du codecivil précise que les personnes ayant lanationalité française depuis moins dedix ans peuvent en être privées pour qua-tre motifs. Le délai est étendu à quinzeans pour un « crime ou délit constituantune atteinte aux intérêts fondamentauxde la nation ». depuis 1998, la déchéancede nationalité ne peut s’appliquer qu’àdes binationaux, afin d’éviter de faire des« apatrides » et de respecter ainsi l’arti-cle 15 de la déclaration universelle desdroits de l’homme. Ceci ne justifie pas

élaborer une révolutionde la « peine »

le projet du gouvernement mais met enlumière notre méconnaissance des injus-tices déjà existantes.

des Citoyens « aPatrides »en Prisonon oublie également – ou on ne sait pasnon plus – que des citoyens sont déjà enun sens des apatrides, des déchus. effec-tivement, en prison, les détenus ne sontplus des citoyens maîtres et libres de

leurs droits civiques. À quoi sert de pos-séder un bout de papier lorsqu’on gîtentre quatre murs pendant des années ?Privés des libertés de circulation, de réu-nion, d’expression, d’information, de droitde vote, mais aussi soumis à des condi-tions de travail faisant honte au code dutravail, les prisonniers ne jouissent pasdes libertés démocratiques et républi-caines les plus fondamentales.Comme le détaille l’article 717-3 du codede procédure pénale, « les relations detravail des personnes incarcérées ne

font pas l’objet d’un contrat de travail ».C’est donc un droit dérogatoire du tra-vail qui s’applique en prison. s’il n’existepas de contrat de travail en prison, l’ar-ticle 33 de la loi pénitentiaire de 2009prévoit la conclusion d’un « acte d’en-gagement ». La rémunération est la sui-vante : 45 % du smiC pour les activitésde production et entre 20 et 33 % pourle service général. L’administration péni-tentiaire fixe un seuil minimum de rému-

nération (smr) pour les ateliers de pro-duction. il était en 2011 de 4,03 eurosbruts de l’heure. tandis que les règlespénitentiaires européennes (rPe) exi-gent une rémunération normale, le tauxminimum n’est même pas respecté. Pourciter un extrait d’un article du groupe-ment étudiant national d’enseignementaux personnes incarcérées (genePi) :« on ne peut que réitérer l’interrogationdéjà soulevée par Jean-marie delarue,ancien contrôleur général des lieux deprivation de liberté, en 2013 : “au nom

« La prison devrait avoir pour mission de réinsérer dans la société, mais toutse passe comme si l’objectif réel était

de déshumaniser afin de mieux contrôler,d’anéantir toute volonté de résistance. »

La prison est un appareil répressif et idéologique d’État qui gère les corpset les esprits de ceux qui sont accusés de n’avoir pas respecté le contratsocial. elle vise également à faire peur, à dissuader, à maintenir en sécuritéla société.

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PHILOSO

PHIQUES

de quels principes d’exécution des peinesmaintenir un dispositif qui s’apparentedavantage aux conditions de travail dupremier âge industriel qu’à celle de laFrance de nos jours ?” »mais qui se préoccupe des prisonniers ?des détenus ? de ces exilés de l’intérieur ?La prison est encore une zone d’ombre.selon le groupe d’information sur les pri-sons (giP), ce sont les « régions cachéesde notre système social, l’une des casesnoires de notre vie : l’intolérable ». unefois enfermés, ces citoyens disparaissentde notre champ de vision, de notre enga-gement politique. Le militantisme concer-nant les prisonniers politiques a rythmédes générations de militants ; mais étran-gement, on n’a pas saisi la question car-cérale comme on aurait pu le faire. on nes’est attaqué qu’à des emprisonnementsarbitraires, injustes, à des cas particuliers,mais non pas à la punition en elle-même,à la détention, au système global. Pour-tant, comme l’écrit gilles Chantraine, laprison demeure « le miroir de la libertémoderne et des assujettissements quis’effectuent en son nom ».

La Prison, un révéLateurde L’imPosture de notre soCiété ?La prison n’est-elle pas le microcosmequi révèle l’imposture de notre sociététout entière ? en effet, le processus d’in-carcération relève de l’enfermement etde la création d’un microcosme régi parses propres règles, par une discipline etun contrôle industriel et scientifique. ilcontraint les prisonniers à perdre leurcaractère de « déviants sociaux » pourdevenir des « sujets institutionnalisés ».L’individu doit « purger sa peine » à l’abride tout regard et faire « amende hono-rable ». il doit mériter son retour parmiles siens et la communauté sociale etpolitique. toute cette terminologieemployée autour de la question carcé-rale et de l’emprisonnement est parti-culièrement révélatrice. elle broie pourpunir, pour que la « peine » soit mémo-rable. elle est une vengeance destruc-trice plus qu’une deuxième chance, ellen’est pas la solution mais un problème.La prison est un appareil répressif et idéo-logique d’État qui gère les corps et lesesprits de ceux qui sont accusés de n’avoirpas respecté le contrat social. elle viseégalement à faire peur, à dissuader, à main-tenir en sécurité la société. La prison devraitavoir pour mission de réinsérer dans lasociété, mais tout se passe comme si l’ob-jectif réel était de déshumaniser afin demieux contrôler, d’anéantir toute volontéde résistance. Ce lieu « ceint et malsain »(emmanuel Jaffelin) détruit et cause desdommages souvent irréversibles. Lesconditions sanitaires sont exécrables,

mais le lieu même de la prison cause aussid’autres problèmes de santé : par exem-ple, la vue se détériore par manque deprojection du regard à l’horizon. Ce châ-timent, qui se matérialise par la souffrancephysique et mentale, par l’exclusion la plustotale, ne peut être un moyen de « se réin-sérer ».

une PoPuLationCarCéraLe de Pauvresde surcroît, il est nécessaire de se pen-cher sur la population carcérale en elle-même. il s’agit bien, comme l’écrit lesociologue Loïc Wacquant, de « punirles pauvres ». statistiquement, on ne vapas en prison par hasard. Les conditionssociales, l’héritage familial et le niveaude formation ou de vie sont détermi-nants. en 2000, l’insee et le ministèrede la Justice publiaient un rapport quidonnait pléthore d’informations : « undétenu sur sept n’a jamais exercé d’ac-tivité professionnelle et un sur deux estou a été ouvrier. Les professions desparents confirment la surreprésentationdes milieux populaires : 47 % des pèresde détenus sont ouvriers, 16 % sont arti-sans ou commerçants. Les mères sontouvrières ou employées, le plus souvent”femmes de ménage“ ou employéesdans les services directs aux particuliers.54  % des mères sont inactives. Leshommes nés à l’étranger sont deux foisplus nombreux en prison que dans l’en-semble de la population : 24 % contre13 %. un détenu sur sept est parti du foyerfamilial avant 15 ans, la moitié avant 19 ans,80 % avant 21 ans. Les hommes desclasses populaires sont fortement sur-représentés parmi les détenus. malgréleur appartenance aux jeunes généra-tions, ils ont en général fait des étudescourtes : plus du quart a quitté l’écoleavant d’avoir 16 ans, trois quarts avant18 ans. » Les grands délinquants et cri-minels de la classe dominante, enrevanche, ne vont que rarement en pri-son, voire jamais : ils peuvent acheterleur liberté le plus souvent.on ne peut pas tolérer cette justice àdeux vitesses et on ne peut tolérer quele pire soit réservé aux « pauvres ». Chaqueprisonnier est dans ce sens un prison-nier politique.

La soCiété Fabrique ses ProPres détenussi l’on regarde d’encore plus près les par-cours sociaux de ces condamnés, ons’aperçoit aisément que ce parcours aété meurtri par la violence physique etsociale. matérialistes, nous ne croyonspas aux illuminations meurtrières ou cri-minelles qui conduiraient des individusà de tels actes. Les conditions maté-rielles et les rapports sociaux sont déter-

minants. La société fabrique ses propresdétenus. en changeant la société, parexemple par une refonte totale de l’aidesociale à l’enfance (ase) et de l’ensem-ble des services sociaux, nous élimine-rons bon nombre de dysfonctionne-ments conduisant des individus à enarriver au pire sans qu’ils aient pu êtreaidés avant. tout ce que la prison apporteest davantage de souffrance, d’isole-ment social et de sentiment d’exclusion.La majeure partie de la population carcé-rale n’a en réalité jamais été vraiment inté-grée par et dans la société. Beaucoup ontété dans des logiques de survie, de sys-tème d. La question de la « réinsertion »ne se pose alors pas dans ces cas-là. C’estbien l’insertion de et pour toutes et tousqu’il nous faut commencer par exiger. si on refuse avec acharnement la peinede mort, comment peut-on accepter latorture institutionnalisée que représentela prison ? Qui peut croire que la prisonest un havre de paix, un endroit où l’onpeut se recentrer sur soi-même ? ne pasrespecter le contrat social est une chose,mériter d’être enfermé vivant dans untrou et d’être oublié par le politique pen-dant des années en est une autre. Lesconditions de détention sont inaccep-tables et le principe même de la cage estscandaleux.on a pourtant des réflexes historiquesde militantisme sur la question des hôpi-taux, des écoles, des usines – alors pour-quoi déserte-t-on la question de l’appa-reil carcéral, de cet appareil de répressionétatique ? Certes, la problématique estcomplexe, mais elle n’est pas impossi-ble à traiter. si l’on veut proposer un pro-jet de société révolutionnaire, on doitêtre capable de ne laisser personne dansl’ombre, invisible. d’autres solutions à lagestion du délit et du crime doivent êtretrouvées afin de permettre à tous de gar-der sa place dans la société. Ces condam-nés doivent être accompagnés, réinsé-rés sans passer par une phase d’exclusionqui, en aucun cas, ne peut être béné-fique au condamné ou à la société.de nombreuses associations commel’oiP (observatoire international des pri-sons) ou le genePi dénoncent le manquede relais politique afin de leur donner lesoutien nécessaire à l’accompagnementet à la défense des détenus. en paral-lèle, c’est donc bien une révolution de la« peine » que nous devons élaborerensemble, en lien avec les actrices etacteurs déjà présents sur le terrain théo-rique et pratique. n

*Shirley Wirden est diplômée de philosophie politique de l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense.

HISTO

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« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » Jean Jaurès

PAR HERVÉ LEUWERS*

deux PerCePtions de L’HéritagerévoLutionnaire de tous les acteurs de la révolution fran-çaise, robespierre est incontestable-ment celui dont l’actualité reste la plusvive. Évoquer son nom, c’est souventprovoquer la polémique ! Qu’on se sou-vienne des débats qui, régulièrement,reviennent sur l’attribution d’une rue deParis au conventionnel (2011, 2016) ;en province, le même enjeu mémoriel arécemment suscité de vifs échanges àmarseille, montceau-les-mines, Belfort

ou manosque (2014). Chaque fois, lacontroverse oppose deux regardscontraires : pour les uns, robespierre estl’incarnation de la terreur ; pour les autres,il rappelle une première expériencedémocratique, marquée par la Consti-tution de juin 1793.dans le paysage politique actuel, cettedernière perception du conventionnelest souvent devenue incompréhensi-

aux origines d’une mémoire républicainede robespierreLa figure de robespierre a été, au xixe siècle, étroitement associée au combatpour la république. un texte est alors mis en exergue : son projet de Déclarationdes droits de l’homme et du citoyendu printemps 1793.

ble ; elle suscite fréquemment l’étonne-ment, voire l’indignation. il est bon, pour-tant, sans chercher à nier le soutien derobespierre à l’exception politique del’an ii, de rappeler que l’homme est loind’avoir toujours été perçu comme un« monstre ».

La diversité des jugements sur robes-pierre s’observe dès les événementsrévolutionnaires. sous l’assembléeconstituante (1789-1791), alors que lesdéputés tentent d’imposer une révo-lution en accord avec le roi, que le paysn’est pas encore en guerre, robespierreest déjà pour les uns « l’incorruptible »,pour les autres un « fauteur d’anarchie ».À l’entrée en république, en septem-

bre 1792, il apparaît soit comme un amidu peuple, soit comme un « dictateur »en puissance… dans les décennies sui-vantes, robespierre continue, chez cer-tains, à être perçu comme un intrépideet désintéressé défenseur des droits dupeuple, de la démocratie et de la répu-blique. en 1828, Buonarroti ne tarit pasd’éloges pour le conventionnel dans saConspiration pour l’égalité, dite de

Babeuf. dans les années 1830, le jeunerépublicain Laponneraye publie lesmémoires de Charlotte robespierre etdes Œuvres choisiesdu révolutionnaire.Ces mêmes années, le sculpteur davidd’angers consacre à robespierre aînédeux de ses médaillons de bronze ;auprès du public républicain, ils s’arra-chent avec passion.

un texte au destinexCePtionneLau xixe siècle, la figure de robespierreaccompagne ainsi le combat pour l’éta-blissement de la république. de sonœuvre politique, l’on retient avant toutun texte : son projet de déclaration desdroits de l’homme et du citoyen du prin-temps 1793. ses rééditions successivesscandent les grands moments d’espoiren une nouvelle entrée en république :1831, 1833, 1848, 1850, 1871.La période d’élaboration de ce texteau destin exceptionnel est pourtant tra-gique. en avril 1793, les difficultés fru-mentaires, l’insurrection de la vendée,les défaites militaires et les désaccordssur la nature de la république à fondertendent les débats de la Convention.Lorsque commence la discussion dela nouvelle déclaration des droits, lesdivisions entre girondins et montagnardssont extrêmes.À l’assemblée, robespierre entend pro-poser une déclaration des droits fidèleà sa conception de la république. Jamais,sans doute, il n’a accordé autant de soinà un texte. il le travaille et le retravaille ;il ajoute des articles, modifie son archi-tecture, en améliore l’expression. une

« Par la condamnation de la traite et de l’esclavage, robespierre confirme que

le droit de propriété doit être borné,“comme tous les autres, par l’obligation

de respecter les droits d’autrui”. »

HISTO

IRE

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première version de trente articles paraîtdans le n° 10 de son journal, les Lettresde Maximilien Robespierre [...] à ses com-mettans ; une deuxième, présentée auxJacobins le 21 avril, en compte trente-sept et une dernière, exposée trois joursplus tard à la Convention, trente-huit.Le texte s’inscrit dans un moment par-ticulier ; il est là pour démontrer queles montagnards ne prônent pas l’anar-chie, ni la « loi agraire » (le partage desterres), ni la domination de Paris, commeon les en accuse. mais le texte synthé-tise aussi les convictions politiques derobespierre, peu à peu forgées depuisles dernières années de l’ancien régime.Certes, lorsqu’il monte à la tribune de laConvention, le 24 avril 1793, le représen-tant sait bien que l’assemblée n’adop-tera pas son projet. il espère pourtantfaire voter trois ensembles d’articles, quilui tiennent particulièrement à cœur.L’orateur entend d’abord obtenir unelimitation du droit de propriété. Celle-ci,affirme-t-il, doit reposer sur des prin-cipes de morale. « demandez à ce mar-chand de chair humaine ce que c’est quela propriété, s’indigne-t-il ; il vous dira, envous montrant cette longue bière qu’ilappelle un navire, où il a encaissé et ferrédes hommes qui paraissent vivants :“voilà mes propriétés ; je les ai achetéestant par tête.” » Par la condamnation dela traite et de l’esclavage, robespierreconfirme que le droit de propriété doitêtre borné, « comme tous les autres, parl’obligation de respecter les droits d’au-trui ». dans la suite de son discours, ilréclame un impôt progressif et uneexemption fiscale pour les plus pauvres,ainsi que la proclamation des « devoirsde fraternité qui unissent tous leshommes et toutes les nations ».une fois ses propositions exposées, l’ora-teur lit son projet personnel, dans lequelse retrouvent les articles dont il vient deparler. depuis 1789, les convictions dudémocrate ont mûri. À la liberté et à l’éga-lité, il ajoute désormais le droit à l’exis-

tence, défini dans son article 10 : « Lasociété est obligée de pourvoir à la sub-sistance de tous ses membres, soit enleur procurant du travail, soit en assu-rant les moyens d’exister à ceux qui sonthors d’état de travailler. » robespierrepose, de plus, « les droits d’autrui » pour

bornes à la propriété. il propose encorede garantir la souveraineté en permet-tant au peuple, « quand il lui plaît, [de]changer son gouvernement, et révoquerses mandataires », voire de lui résisterlorsqu’ils violent ses droits. sa déclara-tion se termine par quatre articles,

absents de sa première version, qui affir-ment l’unité du genre humain, la néces-saire solidarité entre les peuples et lerejet des rois.Les applaudissements qui accueillent lafin du discours ne doivent pas trom-per. Les mots de l’orateur divisent. dans

son Patriote français, le conventionnelBrissot qualifie la dénonciation des roisde « galimatias », juge les entraves à lapropriété ruineuses pour les proprié-taires et les non-propriétaires, et l’impôtprogressif « absurde » et « destructif del’égalité ».au siècle suivant, c’est pourtant bien leprojet de robespierre qui est mis enavant par les premiers républicains, enmême temps que la déclaration desdroits de juin 1793, qui s’en inspire enpartie. alors que certains dénoncentle « monstre » de la terreur, d’autres célè-brent l’incorruptible démocrate. der-rière la diversité des regards, ce sontdeux perceptions de l’héritage révolu-tionnaire qui s’opposent… jusqu’àaujourd’hui. n

*Hervé Leuwers est historien. Il est professeur d’histoire moderne à l’université de Lille. Il est directeurdes Annales historiques de la Révolution française.

« La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en

assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. »

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C’est seulement depuis

une quinzaine — aumieux, une vingtaine —d’années qu’en Francela question de l’urba-nisme et les problèmes

d’urbanisation ont commencé à sortirde la clandestinité ! Je dis bien : la « ques-tion » et les « problèmes ». Car aujour -d’hui encore, l’urbanisme étatique danssa pratique opère souvent sous le sceaudu secret. Cette « clandestinité » étaiten rapport avec une conception qui alongtemps prévalu, selon laquelle l’ur-banisme est essentiellement une acti-vité technique spécialisée. Cette concep-tion tendait à signifier (elle impliquait) :– qu’en urbanisme le rôle décisif devaitobligatoirement être réservé aux spé-cialistes possédant savoir et savoir-faire ;– que les questions d’urbanisme, com-plexes et difficiles comme elles sont, nesauraient être débattues en placepublique et que même elles ne relevaientpas à proprement parler de la politique. 

Cette conception figure un cas typiquede processus idéologique à effet mys-tificateur. au départ, il y a la reconnais-sance d’un fait réel : à savoir que les pro-cédures de l’action urbanistique exigentune certaine compétence profession-nelle.Cette caractéristique banale est miseen vedette, elle est présentée comme

Qu’est-ce qu’une ville ? Cette interrogation a toujours hanté marcel Cornu,urbaniste « non professionnel », comme il disait de lui-même, décédé en2001. au temps des « villes nouvelles » et de la politique gaulliste d’amé-nagement du territoire, il n’eut de cesse d’interroger la « banlieue », la «  citoyen-neté », l’espace et sa structuration, à une époque où ces questions n’oc-cupaient pas une place centrale dans le débat public. nous reproduisons iciun article où il montre en quoi l’urbanisme est politique et la crise urbaineune des manifestations d’une crise générale de la société capitaliste.

fondamentale, comme définissant l’ur-banisme. dès lors, celui-ci n’a pas placedans le champ politique. Puisqu’il estune technique spécialisée, il est étran-ger à la politique et indépendant des rap-ports de classe. en somme, si on met ànu le raisonnement implicitementcontenu dans cette idéologie, on trouvececi : étant donné que la compétencejoue un certain rôle (notamment dansles opérations sur le terrain même), il estpar principe (absolument) impossibleque l’urbanisme soit rattaché sous uneforme ou sous une autre au domaine dusociopolitique.

Cette notion idéologique de l’urbanisme– apolitique – par nature n’a pas disparu.elle s’est adaptée aux circonstances nou-velles plus qu’elle n’a dépéri. Pour péren-niser le mythe de l’innocence politiquede l’urbanisme, elle a changé la formede son « discours », mais sa logiqueinterne (son objectif, son mode de jus-

tification) reste inchangée. en son plusrécent avatar, elle se réfère à un fait réel,patent : « la crise urbaine ». Loin de niercette « crise », il lui arrive même parfoisd’en donner une image alarmiste. mais,cette fois encore, le phénomène n’estouvertement reconnu que pour être radi-calement méconnu. La confiance quedoit inspirer l’aveu du phénomène accré-dite la méconnaissance de ce phéno-mène dont il serait dangereux (politique-ment) d’éclairer la signification, les causes— et  les responsabilités. La «  criseurbaine » est alors présentée commeun événement inexorable, déterminé

par la force des choses, par la dynamiquemême de l’évolution de la civilisation.elle est réputée être un problème quiest mondial et non pas propre à ce paysou lié à telle forme de société — par exem-ple au système capitaliste. Cette idéo-logie apparemment nouvelle est la formeévoluée que prend la vieille interpréta-

recherches marxistes en urbanisme

« L’urbanisme, qui procède du développement des forces productives et qui est lié à l’ensemble des rapports

entre les classes, est une activité globalement sociale. »

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rap-ports de l’Homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d’un savoir populaire émancipateur.

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tion de l’urbanisme, qui serait une acti-vité, pour l’essentiel, libre de  touteattache sociale et politique. […]L’urbanisme, qui procède du dévelop-pement des forces productives et qui

est lié à l’ensemble des rapports entreles classes, est une activité globalementsociale. en produisant son urbanisme,une formation sociale se produit elle-même et son urbanisme est aussi un desmoyens par lesquels elle se reproduit.Étant une activité globalement sociale,l’urbanisme est intrinsèquement poli-tique. C’est pourquoi l’État a été amenéà intervenir d’une manière systématiqueet prépondérante. il réglemente, contrôle,prend l’initiative d’opérations de gran -de envergure (à « effets structurants »,comme on dit). définit (ou tente de défi-nir) une stratégie. il a donc une politiqued’urbanisme, qui est une des branchesde sa politique générale.de son côté le capital financier, en France,surtout depuis une dizaine d’années,intervient massivement dans les opéra-tions d’urbanisme. il le fait en accord avecl’État et, de plus en plus même, selondes procédures concertées avec lui. maisles investissements du capital dans cesecteur de la production suivent la mêmelogique qu’en tout autre secteur  :recherche du profit maximal en vue d’uneaccumulation de capitaux. de même, larépartition des biens produits estconforme aux situations de classe. unos n’achète pas un appartement venduun million, ou même un demi-million, oumême un quart de million d’anciensfrancs le mètre carré. L’urbanisme desbanques et des promoteurs est marquésociopolitiquement.L’État d’une part, les financiers et les pro-moteurs de l’autre ne sont certes pas lesseuls agents d’urbanisme — on sait queles collectivités locales, bien qu’appar-tenant à l’appareil d’État, peuvent dansune certaine mesure infléchir la « poli-tique d’urbanisme » de l’État -, mais ilssont les agents prépondérants. ainsi lapolitique d’urbanisme de l’État, les déter-minations sociopolitiques de l’urbanismedu capital et, bien entendu, les rapportsde celles-ci et de celle-là constituent lesfacteurs principaux de ce que nous pou-vons appeler la politique urbaine de laformation sociale (de la formation socialeprise globalement).

or la « politique urbaine de la formationsociale  » française, à quoi a-t-elleconduit ? À une telle somme de tensions,d’insatisfactions, de contradictions etde déséquilibres que le terme de crise

urbaine s’est imposé et s’est généralisé.L’idéologie dominante reconnaît quecette crise urbaine existe réellement,mais se refuse à reconnaître qu’elle estproduite par le fonctionnement socio-économique et sociopolitique de la for-mation sociale dont la classe dirigeanteest la bourgeoisie, elle-même entraînéeet dirigée par la fraction monopoliste.L’idéologie présente donc la «  criseurbaine » comme un phénomène auto-nome et isolable, alors qu’elle est un deseffets et une des manifestations d’unecrise générale de la société capitaliste.[…]il se révèle en effet :1 - Que la spéculation foncière n’est pasun phénomène indépendant, existant ensoi. elle est inséparable de la spéculationimmobilière. Laquelle est à la recherchede surprofits de localisation.

2 - Que dans cette association la pré-pondérance appartient à la spéculationimmobilière. C’est l’exploitation capita-liste du sol-support qui nourrit et attisela spéculation foncière.ainsi la dominante du système change.selon l’interprétation commune, […] lephénomène fondamental duquel pro-cède la chaîne des effets qui modèlentl’urbanisme, c’est la spéculation foncière.L’analyse marxiste, au contraire, endémontrant que la spéculation foncièreest fonction de l’utilisation capitaliste dusol-support, pose la production immo-bilière capitaliste comme étant, en der-nière instance, la dominante du système.[…]Ce serait une erreur, en effet, de ne voirqu’une dépendance, à sens unique, dufoncier par rapport à l’immobilier. […] Car

« Étant une activité globalement sociale,l’urbanisme est intrinsèquement politique. »

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s’il est vrai que les prix fonciers sont encorrélation avec les profits et les surpro-fits espérés par le capitaliste qui achètele terrain, il est vrai également que lesprofits et surprofits des capitaux inves-tis, donc finalement l’accumulation ducapital dans la branche de l’immobilier,sont dépendants de la propriété fon-cière. C’est pourquoi les deux spécula-tions associées se trouvent dans uneposition conflictuelle. […] Car, nous rappellent ascher et giard[Demain la ville : urbanisme et politique,1975], « les propriétaires fonciers ont enquelque sorte le monopole de ces sols »dont les capitalistes aspirent à tirer dessurprofits de localisation. Par suite, ils« peuvent en exiger un prix qui intègreces surprofits ». ils « peuvent théorique-ment exiger comme prix le coût qu’en-traînerait la construction en un autre lieudes mêmes avantages ou la différenceen termes de profits, par rapport auxautres terrains industriels, commerciaux,etc., moins bien situés ou moins bienéquipés ».[…] ainsi la propriété foncière est-elleobjectivement un obstacle au plein déve-loppement du capitalisme dans le sec-teur de la production immobilière. Lecapital doit, comme on dit, payer un tri-but à la propriété foncière. si le tributfoncier raréfie ou compromet les sur-

profits du capital, il freine à coup sûr lesinvestissements dans l’immobilier. onsait que le capital investit en préférencelà où le taux de profit est le plus élevé.et pourtant, en dépit de cet obstaclestructurel de la propriété foncière, on saitque des groupes bancaires importants(français, étrangers, plurinationaux)se sont, depuis le mitan des années 1960,jetés […] sur l’immobilier. on peut pen-ser que si tant de capitaux ont été diri-gés sur cette branche de la production,c’est parce qu’il y avait là surprofit à pom-per. […] n

Extraits de Marcel Cornu,«Recherches marxistes récentes enurbanisme», La Pensée, 1975, publiésavec l’aimable autorisation del’éditeur.

« L’idéologie présente la “crise urbaine”comme un phénomène autonome

et isolable, alors qu’elle est un des effets et une des manifestations d’une crise

générale de la société capitaliste. »

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La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la construc-tion du projet communiste. Chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. et nous pen-sons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sans science n’estsouvent qu’une impasse.

PAR FLORIAN MATHIEU*

L’astronomie, à la fin du xixe etau début du xxe siècle, estassurément une science quel’on peut qualifier de « popu-laire », d’abord dans la dimen-sion culturelle du terme. en

témoigne par exemple le succès desromans de Jules verne où il est fait réfé-rence à l’astronomie : De la terre à la lune,Le Rayon vert, La Chasse au météore…nous trouvons également des référencesà cette science du côté du cinéma nais-sant, avec le film Le Voyage dans la Lunede georges méliès (1902).sur le plan de la diffusion plus stricte dessavoirs, François arago avait déjà donnédes « cours d’astronomie populaire » àl’observatoire de Paris, de 1813 à 1846.devant le succès rencontré, un amphi-théâtre fut même spécialement construitpour accueillir le public. Ces cours serontpar la suite publiés à titre posthume dansune Astronomie populaire qui paraîtrade 1854 à 1857.Lorsque Flammarion édite son ouvrageau titre identique, il le dédie d’ailleurs àarago. en 1844, auguste Comte avaitégalement fait imprimer un Traité philo-sophique d’astronomie populaire danslequel il exposait la place de l’astrono-mie au sein de la doctrine positiviste.Cette influence du positivisme se retrou-vera à la fois chez de nombreux vulgari-sateurs et chez les militants politiques,républicains et révolutionnaires.

L’inFLuenCe du PositivismeL’astronomie arrive en effet en premièreposition dans la hiérarchie des sciences

L’astronomieà la belle époque :une science « populaire »

proposée par le philosophe augusteComte. elle fait partie, selon lui, des pre-mières sciences à avoir atteint l’état posi-tif, c’est-à-dire qu’elle est désormaisconstruite par l’esprit humain sur desbases uniquement observables et ration-nelles. À partir des années 1830, Comte

va ainsi donner pendant quatorze ansun cours public et gratuit d’astronomieà la mairie du iiie arrondissement de Paris,cours dont le contenu sera par la suitepublié sous la forme d’un traité.Pour Comte la dimension mathématiquede l’astronomie n’est pas un obstacle àsa compréhension, mais bien ce qui jus-tifie au contraire la priorité de son ensei-gnement, l’observation des astres étantla voie d’accès privilégiée aux mathéma-tiques qui, elles, constituent le socle detoutes les sciences.L’intérêt de nombreux vulgarisateurs

pour la science astronomique doit ainsiêtre envisagé en considération de cedéveloppement de la pensée positivisteet de son influence générale sur la sociétéen cette seconde moitié du xixe siècle.Camille Flammarion, dont les ouvragesrencontrèrent un impressionnant suc-cès, fut assurément le plus célèbre deces vulgarisateurs.

L’œuvre de CamiLLeFLammarion (1842-1925)en conflit avec le directeur de l’observa-toire de Paris, le tyrannique urbain le ver-rier, le jeune astronome Camille Flamma-rion va s’éloigner de son activité d’astronomeprofessionnel dans les années 1860 pourse consacrer à la diffusion de cette sciencedans la société. il donne des conférencespubliques qui attirent les foules et publiedes ouvrages qui deviennent rapidementde véritables best-sellers. Le plus célèbre,sa fameuse Astronomie populaire publiéeen 1880, sera même écoulé à plus de100 000 exemplaires ! il fonde en paral-lèle en 1882 la revue L’Astronomie, pen-dant périodique de son œuvre éditoriale.mais Flammarion ne se contente pas devulgariser : en 1883 il fait construire unobservatoire populaire à Juvisy et fondeen 1887 la société astronomique de France(saF). La saF rassemble rapidement plu-sieurs milliers d’adhérents, constituant decette façon un véritable réseau d’astro-nomes amateurs. Les adeptes d’uranie,comme on les appelle (du nom de la musede l’astronomie dans la mythologie grecque),se font alors de plus en plus nombreux,des « sociétés Flammarion » ou « socié-tés d’astronomie populaire », sortes dedéclinaisons locales de la saF, sont crééesun peu partout en France entre 1890 et 1914.

Pour « rallumer les étoiles », qu’y a-t-il de mieux que l’astronomie ? Les mili-tants républicains, puis révolutionnaires, anarchistes ou socialistes y ont pensédès le xixe siècle.

« À partir de la findes années 1880 etde la fondation despremières Bourses

du travail, uncertain nombre

d’outils sont mis enplace visant à

développer l’accèsaux savoirs pour les

prolétaires. »

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une muLtiPLiCité d’aCteurssi Camille Flammarion occupe un rôleprépondérant dans la popularisation del’astronomie à la Belle Époque, il est néan-moins loin d’être tout seul. d’autres vul-garisateurs, souvent aussi membres dela saF, vont à la même période donnerdes cours publics, publier des ouvragesou même fonder des observatoires popu-laires. on peut citer à titre d’exemple théo-phile moreux, dit l’abbé moreux (1867-1954), qui publia de nombreux ouvragesde vulgarisation et fut à l’initiative de lacréation d’un observatoire populaire àBourges dans les années 1900. un obser-vatoire populaire fut également installédans les jardins du trocadéro à partir desannées 1880 à l’initiative d’un certain LéonJaubert.Localement, certaines sociétés d’astro-nomie populaire furent très actives, orga-nisant des séances d’observation publiquesou reproduisant certaines expérienceshistoriques comme celle du Pendule deFoucault (qui permet de mettre en évi-dence la rotation de la terre sur elle-même).Les revues de vulgarisation scientifiquegénéralistes, qui se multiplient égalementà l’époque, consacrent bien évidemmentune partie de leurs pages à l’astronomie.C’est également le cas de certains titresde presse d’information mais de manièreplus occasionnelle, principalement lorsd’événements astronomiques exception-nels comme des éclipses, qui font alorsla une des journaux.

L’enseignement de L’astronomie auPrèsdes CLasses PoPuLaires :Le rôLe du mouvementouvriersi le terme « populaire » a été utilisé pourparler des différentes initiatives présen-tées jusqu’ici, le public qui y assistait et yparticipait était cependant principale-ment issu des milieux mondains. il fautalors entendre l’expression « astronomiepopulaire » davantage dans le sens de« non-professionnel » que véritablementtouchant largement le peuple. Cepen-dant, dans ce contexte où l’astronomieest déjà une science bien présente dansl’espace public, le mouvement ouvrier,qui développe au même moment ses pro-pres outils éducatifs, va également s’em-parer de cette science.on retrouve déjà de nombreuses réfé-rences et utilisations de l’astronomie chezles socialistes dits « utopistes » de la pre-mière moitié du xixe siècle. Ces dernierss’appuient notamment sur cette sciencepour élaborer des systèmes cosmogo-niques originaux. dans ces systèmes, laréflexion d’ordre « scientifique » est insé-parable de leurs théories politiques, laperspective d’un ordre social plus justenécessite selon eux la compréhension del’ordre gouvernant l’univers tout entier. si

ces auteurs s’intéressent aussi aux ques-tions éducatives, leur influence resteralimitée, et ce n’est que dans la deuxièmemoitié du siècle que ces enjeux prendrontréellement de l’ampleur au sein du mou-vement ouvrier.en effet, alors qu’est fondée l’associationinternationale des travailleurs en 1864,nombre de ses membres rejoignent paral-lèlement la Ligue de l’enseignement à sacréation en 1866. même si cette dernièreest plutôt dirigée par des notables, ce faittémoigne d’un intérêt pour ces questionschez les militants du mouvement ouvrier.À partir de la fin des années 1880 et de lafondation des premières Bourses du tra-vail, un certain nombre d’outils sont misen place visant à développer l’accès auxsavoirs – et donc également aux savoirsscientifiques – pour les prolétaires. Cer-tains militants s’emparent alors des nom-breux travaux de vulgarisation déjà exis-tants pour diffuser leur contenu pluslargement au sein du monde ouvrier. Lesmilieux libertaires se préoccupent parti-culièrement de cette question de trans-mission des savoirs auprès des classespopulaires, ils expérimentent ainsi de nou-velles méthodes pédagogiques à desti-nation des enfants ou ouvrent des biblio-thèques. Bien que l’importance de son

enseignement diffère d’une initiative àl’autre, l’astronomie demeure une disci-pline bien présente dans le cadre de cemouvement pour l’éducation.un acteur important de ce mouvementfut le pédagogue Paul robin. membre del’association internationale des travail-leurs et proche de Bakounine, ce profes-seur de mathématiques/physique de formation se consacra en effet essentiel -lement à l’aspect éducatif du projet anar-chiste avec son programme d’éducationintégrale.Comme son nom l’indique, l’éducationintégrale consiste à prendre en comptetous les aspects de la vie dans l’éduca-tion des enfants : éducation physique,manuelle, intellectuelle, morale mais aussiprincipe de coéducation des sexes, unegrande attention portée à l’hygiène et unencouragement à l’entraide entre les élèvesdes différentes classes d’âges. Paul robin

se voit confier en 1880 la direction d’unorphelinat à Prévost dans l’oise, qui setransforma alors durant une quinzained’années de manière tout à fait avant-gar-diste en un établissement scolaire laïque,mixte, fondé sur un principe de libertéavec pour objectif éducatif premier l’éman-cipation individuelle et collective desenfants. Bien qu’elle ne soit pas, et de loin,la seule science enseignée et pratiquéeà l’orphelinat, l’astronomie occupe uneplace tout à fait importante dans cetteapplication expérimentale des méthodesd’éducation intégrale. Les archives de l’or-phelinat nous apprennent en effet quePaul robin organisait régulièrement desveillées d’observation du ciel avec lesenfants, ou encore que ces derniers pou-vaient apprendre à construire leur pro-pre lunette d’observation. L’astronomieétant complètement absente des pro-grammes officiels, il est important de sou-ligner le caractère éminemment novateurd’un tel enseignement dès l’école primaire.en ce qui concerne l’éducation des adultes,on sait par exemple que la bibliothèquede la Bourse du travail de Paris contenaitl’intégralité des œuvres de Flammarion.des conférences ayant pour thème l’as-tronomie furent également prononcéesdans le cadre des premières universités

populaires, qui se sont développées par-fois en lien avec le mouvement ouvrier audébut des années 1900. on retrouve aussiquelques articles de vulgarisation dansles journaux socialistes et anarchistes del’époque, de même que dans les alma-nachs diffusés dans les milieux révolu-tionnaires.Cette réappropriation de l’astronomie pardes militants situés à l’extérieur de l’insti-tution scientifique montre comment l’in-vestissement du champ scientifique pou-vait être considéré comme un enjeuimportant, dans une perspective de chan-gement social. une démarche à mon sensinspirante encore aujourd’hui pour celleset ceux qui aspirent à «  rallumer lesétoiles »… n

*Florian Mathieu est doctorant en histoire des sciences à l’universitéde Paris-Sud.

« Cette réappropriation de l’astronomiepar des militants situés à l’extérieur de l’institution scientifique montre

comment l’investissement du champscientifique pouvait être considéré commeun enjeu important, dans une perspective

de changement social. »

PAR GÉRARD STREIFFSO

NDAG

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Les Français et la politique à la téléL’institut iPsos, pour le magazine Télécable Sat hebdo, asondé les Français sur leur manière de regarder (ou pas)la politique à la télévision. Passons sur les questions plu-tôt futiles pour établir le hit-parade des journalistes les plusimpertinents, ou les plus crédibles (!), et retenons quelquesenseignements sur le comportement des téléspectateurs.un tiers des Français ne regardent jamais les émissions poli-tiques. Les moins de 35 ans, les femmes et les Françaisaux faibles revenus sont particulièrement réticents. 25 %des personnes interrogées disent en revanche en regar-der régulièrement ou très souvent. il s’agit d’une populationdiplômée, à hauts revenus et de plus de 60 ans. 44 % disentne regarder ces émissions que de temps en temps.

une majorité (56 %) désapprouve la participation de per-sonnalités politiques à des émissions de divertissement. Cerefus du mélange des genres est sensible chez les plus âgés(67 %) et chez ceux qui ne regardent jamais des émissionspolitiques (64 %).

deux tiers des Français (68 %) pensent que la politique n’estpas décrédibilisée par les émissions humoristiques. Ceuxqui ne regardent jamais d’émissions politiques sont 82 % àle penser.

Quand on leur demande quel est leur genre d’émissions poli-tiques préférées (total supérieur à 100, plusieurs réponsespossibles), 42 % citent les émissions avec des reportagesqui décryptent l’actualité politique ; pour 37 %, ce sont lesdébats entre personnalités politiques opposées ; 26 % choi-sissent les émissions avec des questions posées par descitoyens ; 24 % les émissions satiriques et 15 % les por-traits « intimes » des personnalités.

Plus en détail, on dira que les férus de politique optent pourles débats (63 %) ; ceux qui ne regardent jamais d’émis-sions politiques choisissent les émissions satiriques (41 %) ;et ceux qui regardent de temps en temps attendent dudécryptage. n

d’Habitude, regardeZ-vous Les émissions PoLitiques :Très souvent : 10 %

Régulièrement : 15 %De temps en temps : 44 %

Jamais : 31 %

queLLes sont vos émissions PoLitiques PréFérées :

Les émissions avec des reportages qui décryptent l’actualité politique : 42 %

Les débats entre personnalités politiques opposées : 37 %

Les émissions avec des questions posées par des citoyens : 26 %

Les émissions satiriques : 24 %

Les portraits intimes de personnalités politiques : 15 %

PAR MICHAËL ORAND

STAT

ISTIQUES

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Les violences conjugales sont souvent abordées par leur ver-sant physique (coups et blessures, agressions sexuelles, etc.),mais, depuis juillet 2010, la loi française reconnaît égale-ment les violences psychologiques au sein du couple commeun délit. C’est pourquoi l’enquête Cadre de vie et sécurité réa-lisée par l’insee et l’observatoire national de la délinquanceet de la réponse pénale (ondrP) comporte désormais deséléments tentant d’approcher cette dimension, avec les limitesinhérentes à ce type de mesures : difficulté d’appréhender laviolence psychologique dans sa globalité (on utilise plutôt uneliste d’éléments pouvant constituer des atteintes psycholo-giques), difficulté de faire la part entre des conflits conjugauxet des situations de violence univoque, déclaration potentiel-

lement embarrassante du point de vue des victimes qui peutconduire à une sous-déclaration.

11,6 % des adultes déclarent avoir subi au moins une formed’atteinte psychologique au cours des deux dernières années.il peut s’agir de comportements dévalorisants (pour 6,2 % despersonnes), d’insultes (pour 2,9 % des personnes), de menaces(pour 5 % des personnes) ou encore d’actes de contrôle (pour4,4 % des personnes). Les femmes déclarent plus souventque les hommes être victimes de telles atteintes (12,7 % contre10,5 %). Cela est valable pour tous les types d’atteintes recen-sés par l’enquête, à l’exception de la menace de séparer leconjoint des enfants.

en plus d’une fréquence plus importante, les femmes cumu-lent plus que les hommes les types d’atteintes psychologiquessubies. 50 % des hommes se déclarant victimes d’atteintespsychologiques n’en déclarent qu’un seul type, contre seu-lement 39 % des femmes. À l’inverse, près d’une femme surcinq se déclarant victime d’atteintes psychologiques ausein de son couple est concernée par au moins six types d’at-teintes ou d’agressions différentes, alors que ce n’est le casque d’un homme sur huit.

Les violences psychologiques au sein des couples peuventdans un premier temps apparaître secondaires en matièrede gravité par rapport aux violences physiques ou sexuelles,

d’autant plus que la mesure apparaît plus subjective et sujetteà caution pour les premières que pour les secondes. Cepen-dant, un autre enseignement de l’enquête Cadre de vie etsécurité est un lien fort entre les deux : en effet, huit femmessur dix et six hommes sur dix parmi celles et ceux se décla-rant victimes de violences conjugales ou sexuelles déclarentégalement des atteintes psychologiques (et pour une partimportante se déclarent victimes de toutes les formes d’agres-sions verbales ou psychologiques recensées par l’enquête).il y a donc un véritable enjeu à mesurer le plus précisémentpossible ces atteintes psychologiques, tant elles peuvent êtreun indicateur de situations plus graves, mettant en jeu l’in-tégrité physique ou sexuelle des personnes. n

violences psychologiques

ProPortion de Personnes ayant déCLaré avoir subi des atteintes PsyCHoLogiquesou des agressions verbaLes au Cours des deux dernières années (en %)

Plus de 10 % des adultes déclarent subir des violences psychologiques au seinde leur couple.

Ensemble Hommes FemmesAtteintes psychologiques ou agressions verbales 11,6 10,5 12,7Comportements dévalorisants, méprisants ou de jalousie, répétitifs 7,9 6,7 9,1Dévalorisations 6,2 4,6 7,7Critiques, dévalorisations 4,2 2,9 5,6Remarques désagréables 2,2 1,5 2,9Mépriser vos opinions quand vous êtes seuls 2,7 2,0 3,5Mépriser vos opinions devant les autres 2,5 1,5 3,4Jalousie, repli sur soi, isolement 3,8 3,8 3,9Limiter les contacts 2,5 2,2 2,7Exiger de lire le courrier 2,6 2,5 2,7insultes et injures répétitives (« plusieurs fois » ou « souvent ») 2,9 2,2 3,6Menaces ou actes de contrôle (au moins une fois) 7,0 6,3 7,8Menaces 5,0 3,9 6,0Menaces de s’en prendre aux enfants 0,8 0,7 0,8Menaces de vous séparer des enfants 2,3 2,6 2,0Menaces de s’en prendre à vous, y compris menaces de mort 1,8 1,1 2,5Violences physiques répétées 2,4 1,1 3,7Actes de contrôle 4,4 3,9 4,8Vous empêcher d’avoir accès à l’argent 1,5 1,4 1,7Confiscation ou destruction des papiers 2,1 1,9 2,3Vous empêcher de rentrer chez vous, mise à la porte ou hors de la voiture 2,0 1,9 2,2Vous enfermer ou vous empêcher de sortir de chez vous 1,4 1,2 1,6

source : insee et ondrP, enquête Cadre de vie et sécurité. « atteintes psychologiques et agressions verbales entre conjoints », INSEE Première n° 1607, juillet 2016.

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Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faire connaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projet des communistes.

Patrick tort ou l’enjeud’un matérialisme actuel

PAR LILIAN TRUCHON

epuis le début des années 1980, Patrick Tort estsurtout connu pour avoir mis en évidence lalogique, c’est-à-dire « l’effet réversif de l’évolu-tion », qui structure l’anthropologie humanistede Darwin (dans La Filiation de l’homme de1871) et le raccordement naturel de celle-ci à

sa biologie évolutive (dont L’Origine des espèces est l’ou-vrage fondateur). À ce titre, la torsion du ruban de Möbiussert à l’auteur d’outil pédagogique pour faire comprendrecette opération réversive. Cette élucidation du discours deDarwin sur l’homme et la civilisation a permis de réfuterl’attribution communément admise jusque-là (même chezles marxistes), et cependant fausse, d’une responsabilitéquelconque du naturaliste anglais dans l’improprementnommé « darwinisme social » qui prônait le laisser-faire etle soutien au libéralisme dominant de l’époque. Car pourDarwin, là où la nature élimine par le biais de la sélectionnaturelle, la « civilisation »protège grâce au succèsévolutif des instinctssociaux. La civilisation sedéfinit donc par sa capa-cité d’évacuer progressi-vement les affrontementséliminatoires au profit desconduites solidaires etaltruistes – et ce, ajouteDarwin, bien que l’onpuisse attribuer en touteassurance aux « instincts sociaux », eux-mêmes sélection-nés, le fondement naturel de cette évolution de plus enplus « culturelle ». Nulle apologie ici puisque la barbarierésiduelle et occasionnellement résurgente du civilisé estcorrélativement un thème récurrent chez Darwin. En consé-quence, l’attitude raisonnée d’un matérialisme qui saisitle monde et ses phénomènes en termes de processus continuconsiste à dire qu’« il est possible d’inverser la nature, maisnon de rompre avec elle ». Le gain théorique est immensecar cette logique de la continuité réversive dans l’explica-tion des phénomènes dits « d’émergence » dans la natureet dans la société rompt d’une façon cohérente avec lamétaphysique des instaurations radicales entretenue parle discours philosophique et le registre religieux de l’obli-gation transcendante (comme par exemple les dix com-mandements).

L’Homme FaCe à La nature et en eLLe Certes, l’effet réversif de l’évolution est un cas singulierde divergence évolutive. Cela requiert une exigence depensée « dialectique » concernant la relation nature/cul-ture, que l’on ne retrouve pas dans les facilités offertespar les dogmatismes stériles de la rupture et du réduc-tionnisme. Mais c’est pourtant la seule démarche viablepour réunir l’histoire de la nature et l’histoire des socié-tés, sans que cette dernière se réduise pour autant à l’au-tre, ou à n’exister que comme son annexe.Constituer l’unité du matérialisme (dans la nature et lasociété) rejoint le rêve de Marx exposé dans L’Idéologie alle-mande (1846) – c’est-à-dire celui d’élaborer une théorie uni-taire des processus immanents. Pourtant, force est de consta-ter que les apports respectifs de Darwin et de Marx, bienque s’accordant en toute logique – le matérialisme natura-liste de Darwin formant le socle nécessaire au matérialismehistorique – ont pendant longtemps échappé à toute véri-table rencontre. Cela tient certainement à ce que Marx et

Engels (ainsi que toute unetradition marxiste) ontaccusé précipitammentDarwin d’une prétendue« bévue malthusienne ».Cela résulte aussi du faitqu’ils ont emprunté à l’hé-gélianisme les notions de« saut » ou « bond qualita-tif » pour décrire le « com-mencement » de l’histoiredes sociétés. Or, aujour -

d’hui, le dialogue entre Darwin et Marx peut reprendre sil’on admet, comme le dit Tort, que « l’histoire ne succèdepas à l’évolution comme une réalité immédiatement, radi-calement et qualitativement distincte, mais que la distinc-tion des deux réalités est elle-même le produit d’un pro-cessus qui plonge ses racines dans la nature pour les prolonger,transformées, dans la civilisation ». En d’autres termes,« l’évolution englobe ou inclut l’histoire » selon la logiqued’un recouvrement et non pas d’une succession ou d’unétagement, comme l’ont imaginé la plupart des marxistes.C’est avec cette perspective nouvelle que l’on peut com-mencer à penser efficacement sur ce thème. Le dernierouvrage de Patrick Tort, Qu’est-ce que le matérialisme ?,revient sur ces explications, et, au fil de ses vingt-cinq cha-pitres, propose une redéfinition biologique élémentaire dela conscience, poursuit son débat avec Yvon Quiniou sur la

Fondateur et directeur de l’institut Charles darwin international (www.darwinisme.org), Patrick tort pilote depuis plusieurs années l’édition savante en fran-çais des Œuvres complètesde darwin (en cours d’édition chez Champion et slatkine).

« si l’ouvrage de tort est unesomme foisonnante et instruite sur la connaissance et ce qui l’entrave,

elle ne se dissocie pas d’une positionthéorique et politique de combat. »

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morale, étudie le statut du discours écologique, ou produitune étude inégalée à ce jour des enjeux scientifiques et poli-tiques du lyssenkisme, cet épisode de la science soviétiqueque Tort étudie principalement dans le cadre français (enparticulier comme épisode de l’histoire du PCF). Autantd’occasions pour l’auteur de rappeler que sa nouvelle intel-ligence du matérialisme ne doit pas être considérée commeune option philosophique ou une décision qui en relève-rait, mais qu’elle constitue véritablement la condition depossibilité de la connaissance objective. Il est évident quecette « conversion » matérialiste situe dans l’immanence latotalité du champ du connaître, n’assignant donc a prioriaucune limite au projet d’investigation du réel. Et ce, afinque les causes réelles des phénomènes, et les forces motricesréelles à l’œuvre dans la nature et la société, ne soient pasdissimulées derrière la façade indéfiniment remaniée del’idéologie dominante.

un matériaLisme rénovéPuisqu’il existe, selon Tort, une équation nécessaire et per-manente entre le matérialisme et la science, peut-on taxerpour autant cet auteur de « scientisme » ? Non, car il s’agitd’autre chose que ces deux démarches avec lesquelles nousconfondons souvent le « matérialisme scientifique » : leréductionnisme théorique grossier qui se révèle impuis-sant à penser la nouveauté évolutive (comme c’est le casde la sociobiologie qui soumet les comportements sociauxà de simples déterminants moléculaires) ; et son corrélat,l’agnosticisme méthodologique des savants que l’on nommeaujourd’hui le « non-empiètement des magistères » (selonla formule de Stephen Jay Gould). En effet, l’agnosticismeest le compromis typique de ceux qui acceptent le réduc-tionnisme et ses limites, en réservant de ce fait la « sciencede l’inconnaissable » aux multiples représentants des famillesspirituelles. Tort rappelle d’abord que le représentant émi-nent de ces deux démarches au XIXe siècle ne fut certaine-ment pas Darwin (athéiste de fait), mais justement le théo-ricien du « darwinisme social » et défenseur d’un« Inconnaissable », Herbert Spencer (son équivalent en Alle-magne étant Ernst Haeckel, promoteur simultané du Sozial-darwinismusà vocation eugéniste et de la « religion moniste »).Il explique ensuite que, de nos jours, ce réductionnismescientiste (accompagné de ses corrélats) est devenu l’unedes deux composantes essentielles – l’autre étant le créa-tionnisme, imposée comme adverse – de l’impérialismeculturel nord-américain. Le débat idéologique est dès lorsorchestré (balance treatment), ne laissant d’autre choix qued’épouser l’un ou l’autre versant. On peut donc compren-dre pourquoi les ouvrages de Patrick Tort peinent à être dif-fusés dans les pays anglo-saxons. Mais il ne faut pas croirequ’il existe d’emblée une exception française dans la résis-tance à cette imprégnation idéologique. À l’intérieur duchamp scientifique, il existe des brèches. Prenons l’exem-ple du privilège quasi exclusif encore accordé de nos jourspar les savants au « réductionnisme explicatif » issu des pre-miers atomistes grecs (Leucippe, Démocrite), malgré lesdifficultés que ce schéma limitatif et mécanique occasionnedans la démarche scientifique, lorsqu’il s’agit d’expliquerles phénomènes dits « d’émergence ». En considérant cemodèle comme unique, les porteurs de science respectentainsi à leur insu, en matière de connaissance, « le contratde parole » passé avec l’idée d’un Inconnaissable. Ils per-mettent, de fait, de « […] garantir le maintien du mystèreautour des phénomènes de l’autonomie et de la conscience,points traditionnels de repli pour l’invocation par les Églisesd’une transcendance nécessaire dans l’explication causaledes phénomènes “élevés” qui paraissent caractériser irré-ductiblement la souveraineté de l’homme ».À cette « imprégnation métaphysique persistante », Tort

oppose l’intérêt fondamental d’un matérialisme « actif »issu d’Épicure, lequel intègre à son modèle déterministe lacontingence, c’est-à-dire la propriété d’autonomie et le com-portement spontané au sein même de la matière. Qu’en ditla physique quantique ? C’est en tout cas la « seule voie alter-native de dépassement des apories qui gênent aujourd’huiencore la cohérence du matérialisme scientifique face auxprétentions renaissantes des doctrines spiritualistes ».

L’anaLyse des ComPLexes disCursiFsUn autre thème important de l’ouvrage est le statut del’idéologie. Comprendre l’emprise des discours idéolo-giques comme forces historico-sociales implique de sedoter d’une méthode particulière dans la connaissancedes idéologies. C’est ce que propose Tort avec cette « intro-duction à l’Analyse des complexes discursifs » (sous-titrede l’ouvrage). Car l’histoire des sciences ne peut se réduireà un plat exposé dogmatique des découvertes scienti-fiques, mais doit intégrer le fait que ce dont elle rendcompte est d’abord l’« affranchissement progressif etcontrarié » de chacun de ces apports nouveaux par rap-port à toutes les idéologies qui se sont jusqu’à elle affron-tées autour de son objet. La science progresse en s’éman-cipant de l’idéologie. Il a fallu environ trente ans pour ques’impose quasi unanimement l’idée de Tort selon laquellela science et l’idéologie ne sont pas la même chose et que,par conséquent, en aucun cas, une science active ne peut,elle-même et par elle seule, produire une idéologie. Uneprécision s’impose : si la science, contrairement à la phi-losophie, produit des positivités nouvelles universelle-ment partageables à un moment donné, cela n’exclut nul-lement que les grandes « rections » qui orientent le choixde ses modèles fondamentaux puissent être, à l’origine,des intuitions puisées dans le champ « philosophique ».Il peut donc y avoir un usage du matériau philosophiqueen science puisque « l’utilisation d’une structure de pen-sée de type “philosophique” ou “idéologique” par la ratio-nalité scientifique en cours d’élaboration est une chosenormale et courante ». Mais « cet usage n’est pas philoso-phique », comme le démontrent celui que fit Marx de Hegel,ou celui que Darwin fit de Malthus.On l’aura compris, si l’ouvrage de Tort est une sommefoisonnante et instruite sur la connaissance et ce quil’entrave, elle ne se dissocie pas d’une position théoriqueet politique de combat. n

*Lilian Truchon est doctorant en philosophie.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVEDE PATRICK TORT• Qu’est-ce que le matérialisme ? Introduction àl’Analyse des complexes discursifs, Belin, 2016.

• Darwin exposé et expliqué par Patrick Tort, Coffretaudio 3 CD, Frémeaux & associés, 2016.

• Sexe, race et culture, Conversations avec RégisMeyran. Textuel, 2014.

• Darwin n’est pas celui qu’on croit : idées reçuessur l’auteur de « L’Origine des espèces », LeCavalier Bleu, 2010.

• L’Effet Darwin (Sélection naturelle et naissance de la civilisation), Seuil, Points-sciences, 2012.

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cation nationale avec certaines firmes, sans parler desoffensives de certains groupes de pression, patronauxou religieux, concernant la réécriture des programmes…Il est en revanche un débat relatif à la laïcité qui est étran-gement occulté depuis une trentaine d’années, et pourêtre plus précis depuis 1984 avec l’échec du projet portépar Alain Savary d’un grand service public de l’éduca-tion : il s’agit du financement public des écoles privées,comme les auteurs le rappellent utilement. Enfin, dansune dernière partie, les auteurs se font plus pragmatiqueset esquissent un certain nombre de pistes concrètes tiréesde leur propre expérience d’enseignantes et d’ensei-gnants dans des zones dites « sensibles » afin de mettreen œuvre cette laïcité de manière « apaisée ». Ils propo-sent ainsi une marche à suivre face à un élève, un col-lègue ou encore un intervenant extérieur qui sembleraitcontrevenir à la laïcité ou invoque cette dernière pourrefuser une activité donnée (la participation à un coursd’éducation physique et sportive ou portant sur la théo-rie de l’évolution par exemple, ou encore à une sortiescolaire). De quoi aider plus d’un professionnel désem-paré face à pareils cas. Au-delà de ces situations, la connais-sance plutôt que l’ignorance s’avère une voie nécessairepour calmer les tensions, d’où l’intérêt d’enseigner le faitreligieux en cours comme le plaident les auteurs plutôtque de vouloir le bannir totalement des classes. n

Le Parisd’AragonÉditionsAlexandrines,2015

OLIVIERBARBARANT

PAR VICTOR BLANC

Dans cette biographieurbaine, Olivier Bar-barant peuple nos

rues du fantôme d’Aragon, en quelques chapitres quiretracent l’itinéraire de l’écrivain. De l’enfance avenueCarnot au désespoir à Rungis dans La Valse des adieux,la vie d’Aragon aura su épouser toutes les couleurs deParis, justifiant le vers « Arrachez-moi le cœur vous y ver-rez Paris ». Les déambulations surréalistes dans les pas-sages qu’illustre Le Paysan de Paris, les grilles du jardindu Luxembourg devant lesquelles un certain soir Ara-gon et Breton jurèrent d’aller au bout de leur histoire,l’île Saint-Louis, les Halles de Desnos, les domiciles rueCampagne-Première ou rue de Varenne, le Paris rougedes ouvriers à l’est… Il serait peine perdue d’énumérertous les lieux qu’Aragon a parcourus ou magnifiés parl’écriture. Olivier Barbarant en brosse éruditement lescontours. Ainsi peut-on se promener rue Fontaine, nonloin de chez Breton, danser au Zelli’s, le dancing du 16bis, devenu le Lulli’s dans Aurélien, près de l’actuel BusPalladium– comme si les lieux ne pouvaient totalementse dépêtrer de l’atmosphère de fête dans laquelle Ara-gon usa une partie des nuits de sa jeunesse. Ou alors sui-vre les migrations du Paris homosexuel à travers les sor-

Petit manuel pour une laïcité apaisée,À l’usage des profs, des élèves et leurs parents

La Découverte,2016JEAN BAUBÉROT ET LE CERCLE DES ENSEIGNANTSLAÏQUES

PAR IGOR MARTINACHE

La laïcité a bon dos encette époque troublée :ce principe fondamen-tal de notre Républiquene cesse en effet d’êtreinvoqué à hue et à diapour justifier diverses

restrictions aux libertés individuelles concernant nosconcitoyennes et concitoyens de religion musulmanesans que le trouble à l’ordre public censé les justifier soitcaractérisé. L’hystérie médiatico-politique provoquéepar le « burkini » l’été dernier en est le dernier avatar, etles réactions interloquées, pour dire le moins, de la presseétrangère n’ont guère grandi une société qui se veut la« patrie des droits de l’homme ». Mais contrairement àce que certains font mine de croire, ce sont peut-êtremoins ces critiques étrangères que les gardiens préten-dus de la « laïcité à la française » qui en méconnaissentla logique et les objectifs voulus par les concepteurs dela fameuse loi de 1905. À commencer par le fait que samise en œuvre vise à apaiser les tensions au lieu de lesattiser comme aujourd’hui. Il est donc primordial de serepencher sur les fondations de ce principe et les manièresdont il pourrait être appliqué aujourd’hui en favorisantla cohésion sociale. C’est ce que proposent utilement lesauteurs de cet ouvrage, quatre enseignants de disciplineset établissements différents. S’inscrivant dans la lignéede la thèse de la « laïcité falsifiée », développée récem-ment par Jean Baubérot – incontestablement le meilleurspécialiste de la question qui préface cet ouvrage – pourmontrer comment la droite (y compris la plus extrême)avait détourné ce marqueur de gauche, ils proposent iciavec pédagogie dans de courts chapitres sous la formede questions-réponses (« La laïcité à l’école est-elle uneexception française ? », « Pourquoi parle-t-on autant dela laïcité à l’école depuis les années 1980 ? », « La religionmusulmane est-elle incompatible avec la laïcité ? »,« Qu’est-ce que la liberté de conscience ? », etc.), toutune série de clarifications essentielles autour des ori-gines de la loi de 1905 et des tensions soulevées par samise en œuvre au cours des dernières décennies. Lesauteurs mettent ainsi notamment en évidence les glis-sements problématiques successifs intervenus depuis« l’affaire » du foulard de Creil en 1989, culminant avecla loi du 15 mars 2004. Ils rappellent que l’obligation deneutralité s’impose aux fonctionnaires et lieux publicset non aux usagers, mais aussi, point encore plus oublié,que cette obligation est tout autant politique et commer-ciale que religieuse. Un rappel plus que nécessaire vu lespartenariats en tout genre qui se multiplient dans l’Édu-

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Victimes consentantes, elles apprennent dès le plus jeuneâge à désirer et à considérer comme inéluctable le faitde s’y conformer, intégrant les critères qu’elles peuventespérer remplir, moyennant un budget adéquat. Le mar-ché des produits cosmétiques, mis en mots dans destermes empruntant tant au registre du développementpersonnel (promotion du « droit à se sentir belle ») et dela science (promesses de rajeunissement ou d’amincis-sement grâce au concours de procédés « révolution-naires ») lie intrinsèquement capitalisme et dominationpatriarcale.Face à un complexe mode-beauté ayant su intégrer uneterminologie féministe dans le discours hégémoniquediffusé au travers de multiples canaux (presse dite fémi-nine, chroniques télévisées, sites Internet, blogs), MonaChollet pointe l’ambivalence actuelle entre émancipa-tion des femmes et reproduction parfois zélée des normesassociées à leur genre. Le martèlement d’un droit à « vou-loir être belle », à « assumer sa séduction » ou la réalisa-tion de soi à travers l’accomplissement des performancesphysiques et esthétiques attendues, notamment par uncontrôle scrupuleux de son poids, se fait surtout au prismed’une logique marchande générant d’importants pro-fits. Les frontières se brouillent entre le langage de la sub-version basé sur l’autonomie des femmes (elles choisis-sent de se faire belles, elles assument leur féminité…) etla sophistication des modes de consommation, appa-raissant simplement dotées d’un surplus de réflexivité.En effet, se réjouir de ce que certaines marques diversi-fient les profils les représentant en termes de couleur depeau ou de morphologie revient moins à saluer une vic-toire du féminisme que les capacités du marketing àabsorber les transformations sociétales pour se rendretoujours plus performant.À l’image de ce que l’on pourrait relever dans la consom-mation dite « bio » et le fait de rendre son mode de vieun peu plus « vert », Mona Chollet voit l’émergence d’undiscours dit féministe, accompagnant le resserrementdes horizons d’action sur l’individu lui-même. Avec lamultiplication des blogs beauté, lifestyle (sur le style devie, décoration, recettes de cuisine, etc. ) de la presse enligne, la ménagère, pilier de la société de consommationd’après-guerre, aurait simplement réussi à « transformerl’aliénation en compétence ». Savoir se maquiller, cuisi-ner, aménager son intérieur… témoigne en effet de qua-lités que les femmes se sont appropriées du fait de leurcantonnement dans la sphère domestique et de leur rôlesocial représentatif, essentiellement défini par le regardmasculin.Le livre de Mona Chollet invite donc à se poser la ques-tion du politique dans la multiplicité des discours actuelsprétendant relayer un point de vue féministe sur le monde.Le féminisme s’y réduit parfois à une forme de dévelop-pement personnel, invitant à marketer son corps pourla compétition, moins critique, du système capitalistequi produit l’aliénation, qu’accompagnateur de ses trans-formations et caution sémantique. n

ties nocturnes d’Aragon dans les années 1970, de la rueSainte-Anne vers le quartier des Halles et notamment lesquare Jean-XXIII dans les jupes de Notre-Dame.Qu’on ne se trompe pas : Le Paris d’Aragonn’est pas – oupas seulement ! – un ouvrage pour aragonien monoma-niaque. Outre qu’on y voit l’auteur se risquer à des confes-sions, évoquer des souvenirs plus librement qu’un tra-vail universitaire ne l’autorise, dévoilant ainsi le degréd’intimité auquel on arrive par la fréquentation littéraired’Aragon, Le Paris d’Aragon témoigne de l’intérêt qu’Oli-vier Barbarant porte de longue date pour les pratiquespoétiques de la ville et une géographie poétique – qu’ila déjà plus qu’approchées dans ses nombreuses publi-cations sur Aragon ou sur d’autres écrivains. « Dès lorsqu’elle s’incarne, fût-ce de fumée, l’Histoire change degoût aux lèvres de l’âme.» Olivier Barbarant s’emploie àparler aux papilles parisiennes de nos pas. La lecture despoètes, des romanciers, et pas seulement d’Aragon, maisaussi de Flaubert, de Balzac, d’Hugo, de Villon ou de tantd’autres, dote les lieux d’une profondeur qui les rehausse.C’est de ce tissu-là qu’est fait le territoire d’une ville.Quant à Paris, il s’agit d’une intrication de dimensionssi riches, contradictoires et complémentaires, peut-êtreinouïe dans l’histoire. Aragon, fait exceptionnel, lesenglobe toutes ou presque, lui qui aura été, mieux mêmeque Villon, comme en témoigne sa naissance fictive qu’ilsitue sur l’esplanade des Invalides, « né de Paris ». n

Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminineLa Découverte, 2015

MONA CHOLLET

PAR MORANE CHAVANON

Journaliste au Mondediplomatique, MonaChollet nous livre unessai qui invite à seposer la question duféminisme à l’heure oùle terme est suremployédans les média clas-siques (le magazine Ellese présente commeféministe) ou en ligne,et devient une figureobligée de la critiquedes produits culturelsde toutes sortes (films,séries télévisées, publi-

cités…). Face à l’assertion selon laquelle « on n’a jamaisautant parlé de féminisme », l’auteure invite à se deman-der de quel féminisme parle-t-on au juste et où se nichela portée critique du discours.Dès les premières pages, Mona Chollet souligne « l’inso-lente santé économique [et] la prospérité de l’industriede la mode et de la beauté [qui] semble à toute épreuve.La crise qui a éclaté en 2008 n’a fait que l’égratigner ».Les pages qui suivent déplient les mécanismes d’unealiénation des femmes aux normes d’une beauté phy-sique standardisée (jeunesse, minceur et blancheur), surlaquelle repose la santé de fer de ce secteur économique.

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Le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La Revue du projet propose des éclairages contem-porains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

PAR FLORIAN GULLIET AURÉLIEN ARAMINI

un nouveau stade du CaPitaLismeLénine étudie le développement ducapitalisme. Ce dernier n’a rien d’uneréalité figée, il passe nécessairementpar différentes phases. Le premier stadedu capitalisme avait pour principes« propriété privée fondée sur le travaildu petit patron, libre concurrence,démocratie ». Entre la fin du XIXe siè-cle et le début du XXe, ce stade a défi-nitivement été dépassé et un « nou-veau capitalisme s’est définitivementsubstitué à l’ancien ». Cette nouvellephase du capitalisme, qui en consti-tue le « stade suprême », est qualifiéepar Lénine de « monopoliste ». Cettedernière phase où se réalise l’essencemême du capitalisme consiste dansla formation de grands « monopoles »dominant la vie économique : les « car-tels », les « trusts » et les « syndicatspatronaux ».Le capitalisme monopoliste se carac-térise sur le plan économique par la« concentration de la production ».Lénine insiste sur cette dynamiqueparadoxale du système capitaliste :la libre concurrence capitaliste pro-duit les « monopoles », qui sont lanégation de la concurrence. Léninerappelle que Marx avait bien mis enévidence dans Le Capital que « lalibre concurrence engendre laconcentration de la production,laquelle, arrivée à un certain degréde développement, conduit aumonopole ». La libre concurrencepeut entraîner, premier scénario, la

L’impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directedes propriétés essentielles du capitalisme en général. Mais le capita-lisme n’est devenu l’impérialisme capitaliste qu’à un degré défini, trèsélevé, de son développement, quand certaines des caractéristiques fon-damentales du capitalisme ont commencé à se transformer en leurscontraires, quand se sont formés et pleinement révélés les traits d’uneépoque de transition du capitalisme à un régime économique et socialsupérieur. Ce qu’il y a d’essentiel au point de vue économique dans ce pro-cessus, c’est la substitution des monopoles capitalistes à la libre concur-rence capitaliste. La libre concurrence est le trait essentiel du capita-lisme et de la production marchande en général ; le monopole est exac-tement le contraire de la libre concurrence ; mais nous avons vu cettedernière se convertir sous nos yeux en monopole, en créant la grande pro-duction, en éliminant la petite, en remplaçant la grande par une plusgrande encore, en poussant la concentration de la production et ducapital à un point tel qu’elle a fait et qu’elle fait surgir le monopole : lescartels, les syndicats patronaux, les trusts et, fusionnant avec eux, les capi-taux d’une dizaine de banques brassant des milliards. En même temps,les monopoles n’éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus ;ils existent au-dessus et à côté d’elle, engendrant ainsi des contradictions,des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents. Le mono-pole est le passage du capitalisme à un régime supérieur.Si l’on devait définir l’impérialisme aussi brièvement que possible, ilfaudrait dire qu’il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette défini-tion embrasserait l’essentiel, car, d’une part, le capital financier est le résul-tat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avecle capital de groupements monopolistes d’industriels ; et, d’autre part,le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s’éten-dant sans obstacle aux régions que ne s’est encore appropriées aucunepuissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopoli-sée de territoires d’un globe entièrement partagé.

Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme

(essai de vulgarisation), 1916, Œuvres complètes, tome 22, Éditions

sociales, Éditions du Progrès, Moscou, 1960, p. 286-287.

L’impérialisme capitalisteLe capitalisme est-il synonyme de libre concurrence et de paix entre les nations ou, aucontraire, conduit-il nécessairement à la constitution de monopoles et à la guerre ? Lénineconsidère que le capitalisme qui repose sur la propriété privée et la libre concurrence évo-lue nécessairement en impérialisme. À ce nouveau stade, des entreprises géantes, résul-tant de la concentration de la production et de la fusion du capital industriel et du capitalbancaire, s’affrontent pour le partage du monde, aidées par la puissance militaire de leursÉtats respectifs.

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La revuedu ProJet

Janvier 2017

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d’administration des « entreprisesindustrielles et commerciales ». Parailleurs, « l’oligarchie financière »cherche de plus en plus à placer soussa dépendance les institutions poli-tiques. La séduction des fonction-naires et l’influence sur les gouver-nants sont d’autant plus aisées queles États s’endettent auprès desbanques. Dans cette situation, ladémocratie parlementaire, contour-née, se vide peu à peu de sa substance.Le libéralisme, cher à la bourgeoisiedans la phase précédente du capita-lisme, est délaissé à l’époque de l’im-périalisme.Deuxième caractéristique de cettephase du capitalisme : une nouvellepolitique coloniale. « Aux nombreux“anciens” mobiles de la politique colo-niale le capital financier a ajouté lalutte pour les sources de matières pre-mières, pour l’exportation des capi-taux, pour les “zones d’influence”– c’est-à-dire pour les zones de trans-actions avantageuses, de concessions,de profits de monopole, etc. –, et, enfin,pour le territoire économique en géné-ral.» Mais il y a plus. Les précédentesexpansions coloniales se déployaientdans un monde encore étranger auxgrandes puissances capitalistes. Maisvers 1900, les choses ont changé. Lepartage du globe est achevé ou presque.À partir de ce moment, la conquête denouveaux territoires par une grandepuissance se fait toujours au détrimentd’une autre. L’appropriation de nou-velles terres, nécessaire par exemplepour accéder aux matières premières,devient un facteur de tensions entrepuissances impérialistes et donc unecause de rivalité entre une poignée demonopolistes, conduisant in fine à laguerre. n

ments les plus récents du capitalisme.Le choix de ce terme pourrait surpren-dre à première vue. D’abord, parceque l’impérialisme n’est pas une réa-lité nouvelle. Il a existé bien avant lecapitalisme. Déjà « Rome, fondée surl’esclavage, faisait une politique colo-niale et pratiquait l’impérialisme »,remarque Lénine. Les tendances àl’expansion, à l’annexion, la domina-tion d’une nation ou d’une cité parune autre sont choses anciennes. Pour-tant, Lénine maintient qu’il est pos-sible d’identifier un impérialisme spé-cifiquement capitaliste. Mais là encore,pourquoi réserver ce mot aux déve-loppements économiques les plusrécents, alors que les grandes puis-sances capitalistes se sont depuis long-temps lancées dans l’aventure colo-niale ? La colonisation et les rivalitésinternationales, en contexte capita-liste, ne sont pas nouvelles non plus.Néanmoins, Lénine soutient qu’ellesprennent un tour nouveau avec l’ap-parition des monopoles.L’impérialisme dont parle Lénine pré-sente deux caractéristiques nouvellesqui se déduisent, l’une et l’autre, del’apparition des monopoles. L’impé-rialisme désigne d’abord le capita-lisme à l’heure de la domination du« capital financier », « fusion du capi-tal bancaire et du capital industriel ».Le pouvoir passe aux mains desbanques. D’abord simples intermé-diaires dans les paiements, elles semettent à pénétrer les autres formesdu capital, commercial et industriel,pour les dominer. Quelques grandesbanques, absorbant les petits établis-sements, s’unissent avec les mono-poles industriels « par l’acquisitiond’actions » ou « par l’entrée des direc-teurs de banque » dans les conseils

faillite d’une entreprise au profit d’uneautre qui devient de plus en plus puissante au sein d’un secteur indus-triel : un « trust ». Elle peut entraîner,deuxième scénario, l’entente de gran -des entreprises en vue d’imposer leursconditions de vente sur le marché, dedéterminer les quantités à produire etde partager les bénéfices : c’est le prin-cipe de la « cartellisation ». Léninetrouve une confirmation de ce proces-sus de concentration de la productiondans les statistiques industrielles deson époque qui étayent l’argumenta-tion du premier chapitre de L’Impéria-lisme. Ainsi rappelle-t-il qu’« il n’estpas rare de voir les cartels et les trustsdétenir 7 ou 8 dixièmes de la produc-tion totale d’une branche d’industrie ».Par exemple, « lors de sa fondation en1893, le Syndicat rhéno-westphaliendu charbon détenait 86,7 % de la pro-duction houillère de la région, et déjà95,4 % en 1910 ».La phase monopoliste du capitalismen’est pas une pathologie du capitalisme,mais une phase inéluctable de son déve-loppement. Toutefois, les éléments dustade antérieur se maintiennent,quoique en se transformant souvent.Ainsi, les moyens de production « res-tent la propriété privée d’un petit nom-bre d’individus » et « le cadre généralde la libre concurrence nominalementreconnue subsiste ». De même, le petitpatronat ne disparaît pas mais passetotalement sous la dépendance desgrands groupes qui les privent de touteinitiative. Lénine insiste d’ailleurs surle fait que le parti du prolétariat « doitarracher à la bourgeoisie les petitspatrons qu’elle a dupés » en vantant lalibre entreprise. Enfin, « les monopolesn’éliminent pas la libre concurrence »,mais la transforment radicalement. Lalibre concurrence devient la lutte achar-née pour le partage des marchés, auniveau mondial, entre les grands trusts,entre les cartels, entre les « groupe-ments monopolistes de capitalistes »et les petits patrons. Loin de mettre finà la lutte des classes, cette phase ducapitalisme rend encore plus violentela logique de domination du capital.« Le joug exercé par une poignée demonopolistes » est toujours plus into-lérable : les profits sont démultipliés,les matières premières sont confis-quées, l’usage de la force militaire segénéralise

CaPitaL FinanCier et nouveLLe PoLitiqueCoLoniaLeLénine nomme « impérialisme » cenouveau stade du capitalisme carac-térisé par l’émergence des monopoles.Plus précisément : l’impérialisme estle résultat inéluctable des développe-

au début de la guerre, Lénine se réfugie en suisse après avoir été inquiétépar les autorités austro-hongroises qui le suspectent d’être un espiontsariste. La brochure consacrée à l’impérialisme est écrite au printemps1916 à Zurich.L’ouvrage a souvent été présenté comme une contribution majeureau développement de la théorie de l’impérialisme. Pourtant, il ne s’agitpour Lénine que d’un « essai de vulgarisation » (c’est le sous-titre dela brochure). dès les premières lignes, Lénine précise que le contenuthéorique du texte reprend pour l’essentiel les analyses de deux auteurs.Celle du journaliste libéral J.a. Hobson (1858-1940) qui publie L’Impé-rialisme en 1902, « description excellente et détaillée » de l’impéria-lisme, selon Lénine. Celle ensuite du marxiste autrichien rudolf Hil-ferding (1877-1941) dont le livre, Le Capital financier (1910), constitue« une analyse éminemment précieuse ».L’objectif de Lénine n’est pas d’éclairer d’un jour nouveau le capitalismede son temps. sa brochure est une critique radicale de la ligne politiquede nombreux socialistes, dont Karl Kautsky qui estime que l’impéria-lisme, une fois réformé et adouci, pourrait être le prélude de la paix etd’une démocratie mondiale.

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