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Rubrique proposée par Gérard Guez, avocat à la Cour - [email protected] 86 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2009 - N°409 Réforme de la biologie Ne pas se tromper d’objectif On lit dans SDB News n° 127-128 du 24/12/2008, sous la plume de Jean Bégué, secrétaire général du SdB : « Depuis le mois de février nous avons participé à plus d’une vingtaine de réunions, dont l’objet était de préparer la réforme de la biologie. Nous pensions alors qu’il était possible de faire évoluer la loi de 1975 de façon à faciliter une restructuration de la profes- sion, que nous appelions de nos vœux depuis déjà plusieurs années. Hélas, nous nous sommes vite aperçus qu’il s’agissait de tout remettre à plat et d’élaborer une nouvelle loi sur la biologie, qui devrait s’appliquer aussi bien aux laboratoires de ville qu’aux laboratoires du secteur public. Nous avions malgré cela la volonté claire d’accompagner la réforme qui devait être élaborée à l’issue de ces réunions de « concertation », d’autant plus que le grand principe en était la médicalisation de la biologie, ce qui est notre profession de foi inébranlable depuis la création du SDB en 1999. Mais, à partir du mois de mars, un premier couperet est tombé : le ministère nous a avertis, en prenant le prétexte de la volonté de la Commission européenne, que le capital des laboratoi- res devrait être désormais ouvert à 100 % aux non-biologistes, commençant ainsi à brader la santé aux financiers. Puis au fil des réunions, il est apparu que, selon la volonté du gouvernement : - il y aurait des laboratoires multi-sites avec un nombre illimité de « sites » dans lesquels il n’y aurait pas d’obligation d’effectuer des analyses : on aboutirait ainsi à la création de centres de prélè- vements ; - il n’y aurait pas de biologiste respon- sable par site ; - la gouvernance était retirée du champ de compétence du biologiste ; - les sociétés purement commerciales seraient autorisées, de ce fait, le contrôle par les Ordres professionnels devien- drait illusoire ; - les cliniques pourraient posséder des laboratoires ; - les prises de participation multiples d’in- vestisseurs seraient possibles à condition que les laboratoires soient situés dans des territoires de santé différents et non contigus : les financiers pourraient ainsi créer des chaînes nationales alors que les biologistes seraient entravés dans des rapprochements entre laboratoires situés dans un même territoire de santé ou des territoires contigus ». On peut donc enfin écrire ce qui a été exprimé oralement aux Journées de bio- logie de Marseille : « On nous a baladés », « nous nous sommes rendus compte à la dernière réunion qu’on ne nous avait pas du tout écoutés », « cette réforme est encore pire que la déréglementation sauvage, prévue par le cavalier législatif, et à laquelle on croyait avoir échappé », « c’est la mise en pièces organisée de la biologie privée », « nos laboratoires ne vaudront plus rien », « il faut lire le rapport entre les lignes, et bien comprendre ce qu’il signifie »… C’est ce que j’ai développé dans les Enjeux du Labo de janvier 2009. Comme le dit maintenant Jean Bégué : « Nous ne pouvons pas tout admettre au nom de la médicali- sation de la biologie ». Ce n’est pas parce que la biologie à la française est sauvegardée qu’il faut se taire et négocier ce qui peut encore l’être. La situation ne serait pas pire si le pré- lèvement échappait aux biologistes. Elle ne peut pas être pire. Mercato ou tir aux pigeons ? Le plus grand danger n’est pas l’en- trée totale des financiers dans le capital des laboratoires. On ne lit que cela. La grande campagne lancée par l’Intersyn- dicale, la pétition qu’on trouve sur le site www.lasanteauxencheres.fr, n’aborde que cette question. La plus grande menace est la quasi-disparition des normes et des règles. À ce que dit Jean Bégué, il faut ajouter : - le laboratoire ne serait pas obligé d’avoir un grand local, ni beaucoup de matériel et de personnel ; - il n’y aurait plus de limitation de volume de transmission entre sites ; - l’accréditation serait obligatoire, ce qui prend longtemps et coûte très cher (n’oubliez pas le temps et le coût de formation du personnel) ; - baisse de certains actes inscrits à la nomenclature ; - perte de tournées de ramassages ; - perte de la clientèle des cliniques ; - perte d’externes ; - ennuis avec la responsabilité hyper- étendue ; - litiges avec les CPAM. Il n’y a là aucune exagération. Le tableau n’est même pas complet. Dans ces condi- tions, les biologistes seront pris à la gorge. Une perte de clientèle, et même d’environ 15 % des recettes : ils ne pourront pas survivre. Il n’y a déjà plus d’économies possibles en frais de personnel dans la plupart des laboratoires. Pourquoi alors des investisseurs pren- draient-ils la peine de racheter des labora- toires. Pourquoi ne créeraient-ils pas une multitude de centres de prélèvements, en face des Labm, en face des cliniques, en face du Centre médical, sur les itinéraires de ramassages… Le mercato est ouvert, comme disent certains, qui en sont ravis ! Le mercato, ou le tir aux pigeons ? Les investisseurs pourront aussi bien être des financiers non-biologistes que des biologistes purs. C’est pour cette raison que si les biologistes se battent uniquement contre l’ouverture totale du capital de sociétés exploitant des labo- ratoires, ils n’auront fait le travail qu’à moitié, car même en admettant que cette ouverture n’ait pas lieu, si l’absence de normes subsiste, ils se trouveront quand même très mal. À l’opposé, s’il y a ouverture totale du capital aux financiers, mais que l’on retrouve des normes, il y a peu de raisons pour que les financiers percent beau- coup plus qu’aujourd’hui. Se sont-ils jusqu’à présent embarrassés des règles de droit des sociétés ? Et les biologistes sont suffisamment bien implantés dans le tissu social, en province, et protégés par des normes, pour résister très bien aux financiers. C’est pourquoi je prétends qu’il y a une erreur d’objectif, et que le principal com- bat est à mener sur le terrain des nor- mes. Si ce n’est pas fait, et qu’en plus, il y a un grand n’importe quoi en droit des sociétés, ce qui permettra toutes les manipulations, et que les cliniques puissent posséder des laboratoires, il n’y a plus qu’à aller planter des choux, ou à mettre un cierge, c’est selon.

Ne pas se tromper d’objectif

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Page 1: Ne pas se tromper d’objectif

Rubrique proposée par Gérard Guez, avocat à la Cour - [email protected]

86 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2009 - N°409

Réforme de la biologie

Ne pas se tromper d’objectifOn lit dans SDB News n° 127-128 du 24/12/2008, sous la plume de Jean Bégué, secrétaire général du SdB : « Depuis le mois de février nous avons participé à plus d’une vingtaine de réunions, dont l’objet était de préparer la réforme de la biologie. Nous pensions alors qu’il était possible de faire évoluer la loi de 1975 de façon à faciliter une restructuration de la profes-sion, que nous appelions de nos vœux depuis déjà plusieurs années. Hélas, nous nous sommes vite aperçus qu’il s’agissait de tout remettre à plat et d’élaborer une nouvelle loi sur la biologie, qui devrait s’appliquer aussi bien aux laboratoires de ville qu’aux laboratoires du secteur public. Nous avions malgré cela la volonté claire d’accompagner la réforme qui devait être élaborée à l’issue de ces réunions de « concertation », d’autant plus que le grand principe en était la médicalisation de la biologie, ce qui est notre profession de foi inébranlable depuis la création du SDB en 1999. Mais, à partir du mois de mars, un premier couperet est tombé : le ministère nous a avertis, en prenant le prétexte de la volonté de la Commission européenne, que le capital des laboratoi-res devrait être désormais ouvert à 100 % aux non-biologistes, commençant ainsi à brader la santé aux financiers. Puis au fil des réunions, il est apparu que, selon la volonté du gouvernement :- il y aurait des laboratoires multi-sites

avec un nombre illimité de « sites » dans lesquels il n’y aurait pas d’obligation d’effectuer des analyses : on aboutirait ainsi à la création de centres de prélè-vements ;

- il n’y aurait pas de biologiste respon-sable par site ;

- la gouvernance était retirée du champ de compétence du biologiste ;

- les sociétés purement commerciales seraient autorisées, de ce fait, le contrôle par les Ordres professionnels devien-drait illusoire ;

- les cliniques pourraient posséder des laboratoires ;

- les prises de participation multiples d’in-vestisseurs seraient possibles à condition que les laboratoires soient situés dans des territoires de santé différents et non contigus : les financiers pourraient ainsi créer des chaînes nationales alors que les biologistes seraient entravés dans

des rapprochements entre laboratoires situés dans un même territoire de santé ou des territoires contigus ».

On peut donc enfin écrire ce qui a été exprimé oralement aux Journées de bio-logie de Marseille : « On nous a baladés », « nous nous sommes rendus compte à la dernière réunion qu’on ne nous avait pas du tout écoutés », « cette réforme est encore pire que la déréglementation sauvage, prévue par le cavalier législatif, et à laquelle on croyait avoir échappé », « c’est la mise en pièces organisée de la biologie privée », « nos laboratoires ne vaudront plus rien », « il faut lire le rapport entre les lignes, et bien comprendre ce qu’il signifie »…C’est ce que j’ai développé dans les Enjeux du Labo de janvier 2009. Comme le dit maintenant Jean Bégué : « Nous ne pouvons pas tout admettre au nom de la médicali-sation de la biologie ».Ce n’est pas parce que la biologie à la française est sauvegardée qu’il faut se taire et négocier ce qui peut encore l’être. La situation ne serait pas pire si le pré-lèvement échappait aux biologistes. Elle ne peut pas être pire.

Mercato ou tir aux pigeons ?Le plus grand danger n’est pas l’en-trée totale des financiers dans le capital des laboratoires. On ne lit que cela. La grande campagne lancée par l’Intersyn-dicale, la pétition qu’on trouve sur le site www.lasanteauxencheres.fr, n’aborde que cette question. La plus grande menace est la quasi-disparition des normes et des règles.

À ce que dit Jean Bégué, il faut ajouter :

- le laboratoire ne serait pas obligé d’avoir un grand local, ni beaucoup de matériel et de personnel ;

- il n’y aurait plus de limitation de volume de transmission entre sites ;

- l’accréditation serait obligatoire, ce qui prend longtemps et coûte très cher (n’oubliez pas le temps et le coût de formation du personnel) ;

- baisse de certains actes inscrits à la nomenclature ;

- perte de tournées de ramassages ;

- perte de la clientèle des cliniques ;

- perte d’externes ;

- ennuis avec la responsabilité hyper-étendue ;

- litiges avec les CPAM.

Il n’y a là aucune exagération. Le tableau n’est même pas complet. Dans ces condi-tions, les biologistes seront pris à la gorge. Une perte de clientèle, et même d’environ 15 % des recettes : ils ne pourront pas survivre. Il n’y a déjà plus d’économies possibles en frais de personnel dans la plupart des laboratoires.

Pourquoi alors des investisseurs pren-draient-ils la peine de racheter des labora-toires. Pourquoi ne créeraient-ils pas une multitude de centres de prélèvements, en face des Labm, en face des cliniques, en face du Centre médical, sur les itinéraires de ramassages… Le mercato est ouvert, comme disent certains, qui en sont ravis ! Le mercato, ou le tir aux pigeons ?

Les investisseurs pourront aussi bien être des financiers non-biologistes que des biologistes purs. C’est pour cette raison que si les biologistes se battent uniquement contre l’ouverture totale du capital de sociétés exploitant des labo-ratoires, ils n’auront fait le travail qu’à moitié, car même en admettant que cette ouverture n’ait pas lieu, si l’absence de normes subsiste, ils se trouveront quand même très mal.

À l’opposé, s’il y a ouverture totale du capital aux financiers, mais que l’on retrouve des normes, il y a peu de raisons pour que les financiers percent beau-coup plus qu’aujourd’hui. Se sont-ils jusqu’à présent embarrassés des règles de droit des sociétés ? Et les biologistes sont suffisamment bien implantés dans le tissu social, en province, et protégés par des normes, pour résister très bien aux financiers.

C’est pourquoi je prétends qu’il y a une erreur d’objectif, et que le principal com-bat est à mener sur le terrain des nor-mes. Si ce n’est pas fait, et qu’en plus, il y a un grand n’importe quoi en droit des sociétés, ce qui permettra toutes les manipulations, et que les cliniques puissent posséder des laboratoires, il n’y a plus qu’à aller planter des choux, ou à mettre un cierge, c’est selon.