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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/7 Néandertal: il n'est pas l'homme que vous croyez PAR MICHEL DE PRACONTAL ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 6 JUILLET 2014 Jean-Jacques Hublin © DR En à peine deux ans, un ensemble sans précédent de résultats scientifiques révolutionne l'histoire de l'homme de Néandertal, prédécesseur de notre espèce en Europe. Il y a 430 000 ans, un groupe d’humains primitifs a vécu au nord de l’Espagne, dans la sierra de Atapuerca, une formation de roches calcaires et argileuses, creusée de galeries et de grottes souterraines. Vingt- huit individus ont été ensevelis dans une cavité au fond d’un puits de 14 mètres appelé la Sima de los Huesos, la « grotte des os », peut-être noyés par les eaux de pluie pendant qu’ils exploraient les galeries. Leurs restes, qui constituent la plus grande accumulation de fossiles humains jamais retrouvée en un même lieu, sont en train de révolutionner l’histoire de l’homme de Néandertal, prédécesseur de l’Homo sapiens en Europe. Juan Luis Arsuaga pendant une fouille dans la Sima de los Huesos © Reuters Les crânes de dix-sept hommes de la Sima de los Huesos ont été étudiés par l’équipe du paléontologue espagnol Juan Luis Arsuaga. Ils présentent des caractères typiquement néandertaliens : arcades sourcilières proéminentes, pommettes effacées, fortes mâchoires avec des molaires plates et larges. La Sima de los Huesos, où l’on a dénombré plus de 6 000 fragments d’os, apparaît donc comme l’un des premiers berceaux de la lignée néandertalienne. Cette dernière, dont on a longtemps situé l’origine à environ 250 000 ans, remonterait en réalité à près d’un demi- million d’années. Depuis 2012, en deux ans à peine, une série de travaux scientifiques a totalement renouvelé les connaissances sur les Néandertaliens. Publié dans Science, l’article d’Arsuaga et de ses collègues de l’université Complutense de Madrid vient s’ajouter à une série d’études génétiques toutes récentes sur l’ADN des anciens Européens. Ces travaux, menés pour l’essentiel par un groupe de généticiens de Leipzig, ont éclairé les relations entre les hommes modernes et les Néandertaliens, cette deuxième espèce humaine qui passionne les paléontologues depuis un siècle et demi. Qui étaient ces autres hommes, premiers habitants réguliers de l’Europe occidentale ? D’où venaient-ils ? Étaient-ils très différents des Homo sapiens ? Pourquoi ont-ils disparu ? Que nous apprennent-ils sur notre propre espèce ? Retraçons les principales découvertes qui redessinent la figure de l’homme de Néandertal. UNE LIGNÉE ANCIENNE QUI A ÉVOLUÉ PAR ÉTAPES « Il y a une décennie, on pensait que les Néandertaliens remontaient à 250 000 ans, dit Jean- Jacques Hublin, professeur à l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig (lire son analyse – en anglais – dans Science). De leur côté, les généticiens ont affirmé, en se basant sur l’horloge moléculaire, qu’ils ne pouvaient remonter à plus de 350 000 ans. Mais on trouve des caractères néandertaliens chez des fossiles de 400 000 ans ou plus, comme l’homme de Tautavel ou celui de Swanscombe, en Angleterre. C’est pourquoi j’ai défendu l’idée d’une origine plus ancienne des Néandertaliens. »

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Néandertal: il n'est pas l'homme que vouscroyezPAR MICHEL DE PRACONTALARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 6 JUILLET 2014

Jean-Jacques Hublin © DR

En à peine deux ans, un ensemble sans précédentde résultats scientifiques révolutionne l'histoire del'homme de Néandertal, prédécesseur de notre espèceen Europe.

Il y a 430 000 ans, un groupe d’humains primitifs avécu au nord de l’Espagne, dans la sierra de Atapuerca,une formation de roches calcaires et argileuses,creusée de galeries et de grottes souterraines. Vingt-huit individus ont été ensevelis dans une cavité au fondd’un puits de 14 mètres appelé la Sima de los Huesos,la « grotte des os », peut-être noyés par les eaux depluie pendant qu’ils exploraient les galeries. Leursrestes, qui constituent la plus grande accumulation defossiles humains jamais retrouvée en un même lieu,sont en train de révolutionner l’histoire de l’hommede Néandertal, prédécesseur de l’Homo sapiens enEurope.

Juan Luis Arsuaga pendant une fouille dans la Sima de los Huesos © Reuters

Les crânes de dix-sept hommes de la Sima de losHuesos ont été étudiés par l’équipe du paléontologueespagnol Juan Luis Arsuaga. Ils présentent descaractères typiquement néandertaliens : arcadessourcilières proéminentes, pommettes effacées, fortes

mâchoires avec des molaires plates et larges. LaSima de los Huesos, où l’on a dénombré plus de6 000 fragments d’os, apparaît donc comme l’un despremiers berceaux de la lignée néandertalienne. Cettedernière, dont on a longtemps situé l’origine à environ250 000 ans, remonterait en réalité à près d’un demi-million d’années.

Depuis 2012, en deux ans à peine, une série detravaux scientifiques a totalement renouvelé lesconnaissances sur les Néandertaliens. Publié dansScience, l’article d’Arsuaga et de ses collègues del’université Complutense de Madrid vient s’ajouterà une série d’études génétiques toutes récentes surl’ADN des anciens Européens. Ces travaux, menéspour l’essentiel par un groupe de généticiens deLeipzig, ont éclairé les relations entre les hommesmodernes et les Néandertaliens, cette deuxième espècehumaine qui passionne les paléontologues depuis unsiècle et demi.

Qui étaient ces autres hommes, premiers habitantsréguliers de l’Europe occidentale ? D’où venaient-ils ?Étaient-ils très différents des Homo sapiens ? Pourquoiont-ils disparu ? Que nous apprennent-ils sur notrepropre espèce ? Retraçons les principales découvertesqui redessinent la figure de l’homme de Néandertal.

UNE LIGNÉE ANCIENNE QUI A ÉVOLUÉ PARÉTAPES

« Il y a une décennie, on pensait que lesNéandertaliens remontaient à 250 000 ans, dit Jean-Jacques Hublin, professeur à l’Institut Max Planckd’anthropologie évolutionniste de Leipzig (lire sonanalyse – en anglais – dans Science). De leur côté,les généticiens ont affirmé, en se basant sur l’horlogemoléculaire, qu’ils ne pouvaient remonter à plusde 350 000 ans. Mais on trouve des caractèresnéandertaliens chez des fossiles de 400 000 ansou plus, comme l’homme de Tautavel ou celui deSwanscombe, en Angleterre. C’est pourquoi j’aidéfendu l’idée d’une origine plus ancienne desNéandertaliens. »

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Trois des crânes de la Sima de los Huesos étudiéspar l'équipe d'Arsuaga © Science

Il y a cependant une difficulté : les fossiles de Tautavelet Swanscombe ont des traits néandertaliens, maisils ont aussi des caractères plus archaïques. Cela aconduit Jean-Jacques Hublin à proposer un scénariod’évolution par « accrétion » de caractères. Selon cescénario d’accrétion, la lignée néandertalienne auraitcommencé à se différencier il y a 400 000 à 500 000ans, en acquérant de nouveaux caractères par étapessuccessives, plutôt que par une transformation globale.Les Néandertaliens se seraient d’abord distinguéspar les caractères de la face – mâchoires, dents,arcades sourcilières – avant d’acquérir d’autres traitsmorphologiques.

Mais jusqu’ici, la chronologie adoptée pour la Simade los Huesos ne s’accordait pas avec le scénariod’accrétion de Hublin. Les paléontologues espagnolsl’avaient en effet datée de 600 000 ans, un âgetrop élevé pour des Néandertaliens, même anciens.De ce fait, les fossiles de la Sima de los Huesosavaient été classés dans l’espèce ancestrale Homoheidelbergensis. Mais alors, comment expliquer levisage néandertalien de ces fossiles ?

Arsuaga et ses collègues ont réévalué l’âge du site,en utilisant plusieurs techniques différentes. Ils sontparvenus à une nouvelle date qui cadre mieux avecl’ensemble des données dont on dispose, soit 430 000ans. De plus, les paléontologues espagnols estimentdésormais que les fossiles de la Sima de los Huesossuivent le scénario d’accrétion proposé par Hublin.Ils ont un visage néandertalien, mais conservent aussides traits plus primitifs. En particulier, ils ont unetête relativement petite avec une capacité crâniennenettement inférieure à celles des Néandertaliensclassiques.

[[lire_aussi]]

« La partie avant du crâne, la mandibule et lesdents des fossiles de la Sima de los Huesos sontnéandertaliens, commente Hublin. C’est un phénotypequi commence à se disséminer en Europe il y a 400 000ou 500 000 ans. On connaît des Néandertaliensdans toute l’Europe occidentale au-dessous de 52° delatitude nord, et aussi plus à l’est, jusque dans l’Altaï,au sud de la Sibérie. Le site espagnol est à l'extrémitéouest de leur zone. »

« Des hippopotames se baignaient dans laTamise »

Le scénario d’accrétion permet de prendre en compteun élément important. On voit apparaître en Europedes bifaces de type acheuléen qui datent de 600 000ans, mais qui sont présents en Afrique et au Proche-Orient à des époques bien plus anciennes. Ils arriventdonc tardivement dans nos régions, où ils sontperfectionnés, encore plus tard, par les Néandertaliens.D’où l’idée que les bifaces auraient pu être apportéspar un représentant méridional du genre Homo, dontles Néandertaliens seraient issus. Chronologiquement,l’apparition de la lignée néandertalienne il y a 500 000ans, ou un peu moins, est compatible avec cettehypothèse.

Jean-Jacques Hublin © DR

Un autre élément doit être intégré au tableau. En2008, on a découvert, dans la grotte de Denisova, dansl’Altaï, les traces d’un groupe humain contemporaindes Néandertaliens et très proche d’eux. Ce groupe,les Denisoviens (ou Denisovans), dont on a trouvétrès peu de restes fossiles, a surtout été étudié parl’intermédiaire de son ADN.

Il semble que les Denisoviens se soient diffusés enAsie, tandis que les Néandertaliens ont surtout occupél’Europe et peut-être certaines régions d’Asie centrale.

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« Les deux branches descendent du même ancêtrecommun qui a recolonisé les moyennes latitudes il y aenviron 600 000 ans », dit Hublin.

Dans cette hypothèse, la branche néandertalienne n’estpas issue des plus anciens Homo venus en Europe. Deshommes archaïques sont arrivés en Europe occidentaleil y a au moins 1,2 million d'années. Ils ont habitéoccasionnellement la zone boréale il y a 850 000 ans.Mais ces pionniers n’ont pas fait souche. Et 200 000ans plus tard, un épisode majeur de glaciation a réduittrès fortement leur espace habitable.

DE PETITES POPULATIONS ISOLÉES VIVANTDANS DES CONDITIONS PRÉCAIRES

Avant les Néandertaliens, la présence humaine enEurope a été sporadique et éphémère, en dehorsdes régions méditerranéennes. Mais malgré la longuedurée de leur lignée, les Néandertaliens eux-mêmesn’ont pas conquis tout le continent, loin de là. S’ils ontcirculé dans une grande partie de l’Europe, ils ne sesont pas aventurés très au nord, et n’ont guère dépasséla latitude de Berlin ou de Birmingham. Ils ont parfoisvécu dans des conditions très précaires, confrontés àun climat hostile, lors d'épisodes glaciaires survenantenviron tous les 100 000 ans.

Néandertalien et homme moderne © British Museum

« Il faut imaginer des populations très clairsemées,parfois à la limite de l’extinction, avec des effectifsqui ont pu à certaines époques se réduire à quelquesmilliers d’individus pour toute l’Europe occidentale,explique Jean-Jacques Hublin. Ces hommes étaientconfrontés à des changements extrêmes du milieu.Pendant les périodes chaudes, des hippopotamesse baignaient dans la Tamise et des macaquesarpentaient la région de Londres. Dans les périodesfroides, une calotte glaciaire recouvrait l’Europedu nord, les îles Britanniques, l’Allemagne… La

Manche n’existait pas en permanence. Elle a disparu àchaque épisode glaciaire durant les derniers 400 000ans. Dans ce “shaker climatique”, la démographieétait fluctuante, la population augmentait quand lesconditions étaient plus favorables, et s’effondrait àd’autres moments. »

En somme, il n’y a pas eu d’expansion continue de lapopulation néandertalienne, mais plutôt des vagues depeuplement alternant avec des phases de contractiondémographique. L’effectif global restant assez faible,et passant par des « goulets d’étranglement ».

Cette situation particulière explique que lesNéandertaliens se soient différenciés assez rapidementde leur souche d’origine. Ils ont vécu en petitespopulations relativement isolées. Une telle situationempêche un grand brassage de gènes, et favorise aucontraire une « dérive génétique » : dans un petitgroupe isolé, la diversité génétique est faible, et unensemble particulier de gènes peut se retrouver plusfréquemment, simplement par l'effet du hasard. De cefait, le petit groupe évolue assez rapidement vers uneforme divergente de la population d’origine.

C’est ce qui semble s’être produit avec lesNéandertaliens : leur type aisément identifiable traduitleur différenciation rapide – du moins à l’échelledes temps géologiques. En 1939, l’anthropologueCarleton Coon soutient que rasé et habillé, unNéandertalien passerait inaperçu dans le métro deNew York (lire à ce sujet l’ouvrage de ClaudineCohen, Un Néandertalien dans le métro). Au regardde ce que l’on sait aujourd’hui, c’est peu probable.

Notre héritage néandertalien est «cosmétique »

Quand les hommes modernes ont rencontré lesNéandertaliens il y a 50 000 ans, les deux espècesétaient déjà assez différentes. Le type particulier desNéandertaliens traduit en partie une adaptation auclimat européen, mais il reflète surtout une évolution« en vase clos », qui a amplifié certaines particularitésgénétiques.

LES SURPRENANTES DÉCOUVERTES DE LAGÉNÉTIQUE

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Depuis 2010, et encore plus depuis 2012, unesérie d’études génétiques sur des ADN anciens onttotalement renouvelé les connaissances scientifiquessur les Néandertaliens et leurs relations avec leshommes modernes. La plupart de ces travaux sont dusau groupe de Svante Pääbo, de l’Institut Max Planckd’anthropologie évolutionniste, à Leipzig (où travailleégalement Jean-Jacques Hublin). En 2010, ce groupe aétabli une première séquence de l’ADN néandertalien.Bien qu’incomplète, elle montrait que des échanges degènes s’étaient produits avec les hommes modernes.

Svante Pääbo © DR

En 2012, le groupe de Leipzig a obtenu, à partir d’unfragment de phalange de petit doigt, une séquencetrès complète de l’ADN d’une jeune fille ayantvécu il y a environ 50 000 ans dans la grotte deDenisova (voir plus haut). Cette jeune fille n’étaitpas néandertalienne, mais appartenait au groupe desDenisoviens. La comparaison de ces gènes avec ceuxde populations modernes a montré que les Denisoviensétaient allés jusqu’en Asie du Sud-Est et en Océanie.La trace de leur ADN apparaît aussi chez les Chinoisou les Indiens d’Amérique, mais non chez les Françaisou les Sardes.

Fin 2013, le même groupe a établi une séquencetrès précise du génome néandertalien, cette fois àpartir d’une phalange d’orteil retrouvée égalementdans la grotte de Denisova (lire notre article), oùont vécu des représentants des trois groupes, hommesmodernes, Néandertaliens et Denisoviens. Le climat

froid a assuré une bonne conservation de l’ADN àDenisova, ce qui explique que ce site ait livré autantd’échantillons exploitables.

D’après l’ADN, il semble que la populationdenisovienne ait été plus importante et plus diversifiéeque celle des Néandertaliens. Cela peut surprendredans la mesure où l’on connaît des centaines defossiles néandertaliens, alors qu’on n’a retrouvé desDenisoviens qu’un petit bout de doigt et deuxmolaires. En réalité, les Denisoviens ont sans douteété présents dans toute l’Asie, mais il est difficilede trouver un site où l’ADN soit resté en bon état.D’après Hublin, il est presque certain qu’il y ait desDenisoviens parmi les fossiles humains retrouvés enChine. Mais on n’a pas encore leur séquence d’ADNpour le vérifier. À suivre.

Le séquençage du génome néandertalien a apportéd’autres surprises. Lorsque Pääbo et ses collègues ontmontré, en 2010, qu’il y avait eu des croisementsentre les deux espèces, certains en ont conclu un peurapidement à un grand métissage entre les hommesmodernes et leurs devanciers. Et l’on a spéculésur l’héritage néandertalien de l’homme moderne,qui aurait pu bénéficier de gènes transmis parson prédécesseur, susceptibles d’avoir facilité sonadaptation au froid.

Chasseuse néandertalienne © DR

En réalité, cet hypothétique héritage néandertalien doitêtre relativisé. Une analyse plus fine, publiée en mars2014 par le groupe de Leipzig, montre que si les deuxespèces se sont hybridées, les hybrides n’étaientpas très féconds. Certes, l’ADN des populationsmodernes contient en moyenne environ 2 % d’ADNnéandertalien (sauf les populations africaines où lesgènes néandertaliens sont quasiment absents, du faitqu’il n’y a pas eu de retour significatif des premiers

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Européens vers l’Afrique). Mais pas un seul gènetransmis par Néandertal n’est universellement présentchez les hommes modernes.

De plus, les gènes de l’homme moderne quis’expriment dans l’appareil reproducteur masculin,ainsi que ceux qui se trouvent dans le chromosomesexuel X, sont dépourvus de toute contributionnéandertalienne. Cette absence a une significationbiologique. Elle implique que lorsque les hommesmodernes et les Néandertaliens se sont rencontrés, il ya environ 50 000 ans, ils étaient déjà à la limite de lacompatibilité reproductive. Ils se sont hybridés à petiteéchelle, et les descendants mâles de ces unions mixtestendaient à être stériles.

Fouilles dans la grotte de Denisova, en Sibérie © Institut Max Planck de Leipzig

Au total, l’héritage néandertalien est plutôt« cosmétique » » et peut s’expliquer par un nombreréduit d’unions au tout début de la colonisation del’Eurasie. L’idée d’un grand mélange entre les deuxformes humaines est simpliste. On ne peut comparerle croisement occasionnel entre l’Homo sapiens etses devanciers au métissage entre les populationshumaines actuelles. Aucun peuple actuel n’est restéisolé plus de quelques milliers d’années (4 000ans pour les Aborigènes d'Australie). Les duréesd’isolement des populations de la préhistoire et lesécarts génétiques entre elles étaient considérablementplus importants qu’ils ne le sont entre les groupeshumains d’aujourd’hui.

POURQUOI LES NÉANDERTALIENS ONT-ILSDISPARU ?

Sorti d’Afrique il y a environ 100 000 ans, l’hommemoderne, Homo sapiens, parvient en Europe del'est il y a moins de 50 000 ans. À partir de ce

moment, les jours des Néandertaliens sont comptés.Ils disparaissent sans laisser d’adresse il y a un peumoins de 40 000 ans. En fait, les hommes modernesont remplacé non seulement les Néandertaliens,mais toutes les populations archaïques qu’ils ontrencontrées au cours de leur expansion hors d’Afrique.

L’idée que les Néandertaliens, mieux adaptés aufroid, auraient contribué à l’adaptation des hommesmodernes se heurte à la dure réalité : « LesNéandertaliens se font éliminer en quelques milliersd’années, dit Hublin. Les hommes modernes vontpeupler toute l’Europe occidentale en 3000-4000 ans.On les trouve au niveau de Moscou en moins de 20 000ans. Ils montrent une capacité d’adaptation que n’ontpas eue leurs prédécesseurs. »

« La taille du cerveau s'est accrue dans lalignée néandertalienne, comme dans la nôtre»

Pourtant, les Néandertaliens sont loin d’être lesprimitifs que décrivent les anthropologues du début du

XXe siècle, à l’instar de Marcellin Boulle qui, en 1911,les portraiture en brutes sauvages, marchant le dosvoûté et traînant les pieds. « La taille du cerveau s’estaccrue dans la lignée néandertalienne, comme danscelle de l’homme moderne », observe Jean-JacquesHublin. Les hommes de la Sima de los Huesos ont

un volume cérébral moyen de 1 232 cm3, ce qui estnettement au-dessus des Homo erectus d’Asie, maisbien en dessous des Néandertaliens tardifs ou desHomo sapiens de la même époque. La « révolution ducerveau » s’est produite dans les deux lignées.

Carte des sites néandertaliens © DR

Mais elle n’a pas donné exactement les mêmesrésultats. Le cerveau néandertalien n’est pas identiqueà celui de l’homme moderne. En particulier, lacroissance ne suit pas le même schéma. Chez

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l’homme moderne, les aires pariétales et le cerveletse développent plus rapidement pendant la petiteenfance, à un moment crucial pour l’acquisitionde capacités cognitives. Pour tenter d’en savoir plus,le groupe de Leipzig a établi un « catalogue »des gènes qui distinguent l’homme moderne desNéandertaliens et des Denisoviens. Les chercheursétudient en particulier les différences entre les gènesliés au fonctionnement du cerveau dans les troisgroupes.

Y a-t-il un mystère de la disparition desNéandertaliens ? La vraie question est peut-être desavoir ce qui a permis à l’homme moderne deconquérir toute la planète en quelques dizaines demilliers d’années, balayant ses devanciers et menantà l’extinction une partie de la faune. En plusieurscentaines de milliers d’années, on ne peut pas citerun seul cas d’extinction d’un grand mammifèreclairement liée à la pression des Néandertaliens. Mais15 000 ans après l’arrivée de l’Homo sapiens enEurope, ours des cavernes, hyènes, lions disparaissent.Des hypothèses climatiques ont été avancées pourexpliquer ces disparitions, mais ces espèces avaientrésisté à de nombreux changements climatiquesantérieurs.

Dans les régions où l’homme met le pied pour lepremière fois – Australie il y a 45 000 ans, Amériquedu Nord il y a 14 000 ans –, l’effet sur la grandefaune est encore bien plus dévastateur. Les hommesmodernes se révèlent des prédateurs redoutables.En Australie, la pression qu’ils exercent sur lesherbivores multiplie les incendies et modifie même lepaysage végétal. « On parle aujourd’hui d’une sixième

extinction de masse liée à l’ère industrielle, dit Jean-Jacques Hublin. Mais elle ne date pas de deux siècles,elle a commencé il y a 50 000 ans ! »

Néandertalien et jeune fille moderne © Neanderthal Museumm/H. Neumann

Il est probable que cette efficacité prédatrice se soitexercée au détriment des Néandertaliens. Non sous laforme d’un massacre ou d’un génocide, mais plutôtpar une concurrence dans l’exploitation du gibier etdes territoires et occasionnellement par des conflitslimités, un peu comme les raids que les chimpanzéseffectuent parfois sur le territoire d’un groupe voisin,en tuant à l’occasion un mâle isolé.

Dans la concurrence pour la même niche écologique,l’Homo sapiens n’a probablement pas été un tendre.Au cours des 200 générations qui ont permis àl’homme moderne d’éliminer son rival, on peutimaginer de multiples conflits territoriaux à petiteéchelle, dont l’addition a fini par avoir raison desNéandertaliens. Et cela, d’autant plus que toutes cespopulations étaient peu nombreuses, avec peut-être unavantage démographique pour l’homme moderne.

Quels atouts ont permis à l’Homo sapiens de conquérirla planète en balayant tous ses devanciers, et en untemps record ? Il a sans doute bénéficié d’avantagestechniques. Lorsqu’il commence à rayonner en Europeoccidentale il y a 42 000 ans, il utilise de petites pointesen silex, d’environ 5 centimètres de long, que l’onn’a pas vues avant, et qui ont pu servir à fabriquerdes projectiles plus légers et plus véloces. Plus tard denombreuses innovations vont apparaître. L'aiguille àcoudre, qui apparaît il y a plus de 30 000 ans, a jouéun rôle important sous les climats froids.

On peut ajouter que l’art rupestre semble aussiun monopole de l’homme moderne. Aucune grotteornée n’a été authentifiée comme l’œuvre desNéandertaliens. Un scientifique britannique, Alistair

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Pike, a évoqué la possibilité que certaines peinturesde la grotte d’El Castillo, en Espagne, vieilles de41 000 ans, soient dues à des Néandertaliens, mais cen’est qu’une hypothèse. Et à cette date, les hommesmodernes étaient déjà dans la région.

Les traces archéologiques montrent une avancetechnique de l’homme moderne sur ses prédécesseurs.Pourtant, il se peut que son principal avantage n’aitlaissé aucune trace. Le plus important ne résidepas seulement dans la culture matérielle, mais aussidans l’organisation de la société, invisible pour

l’archéologue. « J’aimerais savoir quelles relationsavait un Néandertalien avec sa belle-famille, dit Jean-Jacques Hublin. Selon quels critères se formaientles couples ? Quels étaient les réseaux sociaux,les possibilités d’entraide et de coopération entreindividus ? Bien sûr, les Néandertaliens n’étaient pasdes hommes-singes, bien sûr, ils ont été des chasseursefficaces et possédaient toute une panoplie technique,bien sûr ils parlaient… Mais que se disaient-ils ? Nousn’en savons rien, c’est pourtant sans doute là queréside l’essentiel. »

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