PartagerlaparoledeDieuaveclespauvres

SousladirectiondeGwennolaRimbaut

PartagerlaparoledeDieuaveclespauvres

PréfacedeMgrHousset

Aveclescontributions

deJean-YvesBAZIOU,BertrandBERGIER,Jean-ClaudeCAILLAUX,

ÉtienneGRIEU,Jean-FrançoisPETIT,ChristophePICHON,

GwennolaRIMBAUT,etdesassociationsQuoVadis?,Pierred’AngleetBonneNouvelleQuart-Monde

DescléedeBrouwer

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frustrée, personne ne viendra me déranger. Je cherche pas àallerplus loin.Des fois, j’aimeraisbienalleraumilieu ;moiquandjevaisàlamessej’aimebienvoirl’autel.Jenemesenspasexclued’alleràl’église,maisc’estmoiquinem’ysenspasàmaplace.Alorsjeregardelamesseàlatélémaisjenepeuxpasrecevoirlacommunionetçam’embête.

Àl’égliseonyvapourécouterl’Évangile,pouraccueillir,pourJésus,onleprie.

L’Évangile,c’estquelquechosequiestvraidansnotrevie.La journée de l’Évangile, pour moi, c’est une joie.Ma vie àmoi,elleestàl’Évangileavectousceuxprésentsautourdelatable.

Oui, c’estma vie àmoi. J’ai deux vies :ma vie àmoi etl’autre elle est avec mes enfants. Moi, j’ai beaucoup detendresse pour ceux qui sont pauvres, à commencer par mesenfantsquisontdanslebesoin.Quandjevoisquemesenfantsnevontpasbien,moijenevaispasbiennonplus.Simoij’aiàmanger,il fautqu’euxaussiilsaientàmanger.L’Évangilemedittoujoursd’allerversl’autreparcequesionnevapasversl’autre,onestrienetjemesensmaldansmapeau.

Pour moi, les personnes qui sont dans la pauvreté, c’estimportant.Jel’aiconnueetrienquedansleregardjesenscequinevapas.Commeaujourd’huij’aiàmanger,jenepeuxpaslaisserquelqu’unsansrien.

Moijevoisl’Égliseença:rendreserviceauxautrescommeça, machinalement. On y va comme avec cette femme qui nevoulaitpersonned’autrepour sonménagequemoi.Elle étaittropseule,neparlaitplusàpersonne,etellen’avaitconfianceenpersonne.Elleestdevenuemonamie.Des fois,onpasseàcôtéd’unepersonnesanslavoir,onauraitpuluifaireunpetitsigne,unsourire.Onesthors-Églisesionnepensequ’ànous.Jesaisbienqu’onn’apastoujourslesmoyensdefaire,qu’on

est trop dans la peine ce jour-là mais l’Évangile, ça vouschange le cœur. Là, je trouve ma vie plus légère. Avec Jésusc’estplusléger,ilyaquelqu’unquim’aime.L’Évangileçamerendgaie,jemesensàl’aiseetjemesenspluslibre.

PourmoiilyaJésus,lasainteVierge,BernadetteetsainteThérèse. Quand il y a mon fils qui ne va pas bien, je luidemande et elle m’a toujours répondu. Je fais un geste : lapierrequ’onm’adonnéeàLourdes,jel’embrasse,c’estcommesijedisaisàJésus,Marie,Bernadette:Jesaisquetueslà.

Si le groupe s’arrêtait je chercherais à tout prix autrechose, je prendrais lesmoyens. L’Évangile, je ne le lâcheraispas.

MmeJamois

Danslespiresdifficultés,Dieuestlàpournoussoutenir6

Jevaisvousparlerdujouroùj’aieuunaccidentgravedevoiture. J’ai cru que j’allais mourir. Je n’ai pas pu marcherpendant un mois, j’avais des piqûres matin et soir. À cetteépoque,jenecroyaispasenDieu,maispourtantj’aipriétrèsfortàmafaçon.Etjem’ensuissortie.

CelamefaitpenseràsaintPaulquiremercieDieuquandildit :Dieu nous accorde le réconfort, Il nous réconforte danstoutesnosdétresses,danstousnosmalheursetnospeines.

Jemerappellelejourdemonbaptême.Quandlecurém’amisdel’eausurlatête,j’aipenséàlarencontredeJésusavecJean-Baptiste ; Ce jour-là, je ne sais pas ce qui s’est passé,

maisuneforceetunbonheurimmensesm’ontenvahie.Toutes lespauvretésque l’onrencontredansnotrevie: la

pauvreté, la maladie, la mort de nos parents, les difficultésavec nos enfants, le chômage… Tout cela me fait penser ausacrifice d’Abraham. Quand Abraham prit le couteau pourégorgersonfils,l’Angeduseigneurluidit:Abraham,nefaispas demal à l’enfant, car je saismaintenant que tu crois enDieu.

CelaveutdirepourmoiquedanslespiresdifficultésdelavieDieuestlàpournoussoutenirlorsqu’oncroitenLui.

Pierrette

Jésusseratoujoursavecmoi7

Quandj’aidesmomentsdefaiblesse,desmomentsoùjemelaisse aller, il y a quelqu’un qui me dit : Non, il ne faut telaisseraller,carmoijesuislàpourt’aider.

C’estJésusquimeditça.C’estenLuiquejemetstoutemaconfianceetmonamour.

Oui, parce qu’Il voit la vie que j’ai. Mon concubin boiténormémentetquandilestprisparl’alcool,iln’arrêtepasdecrier, de m’insulter et tout.Même il m’est arrivé de recevoirunechaiseenpleinsurlesein.J’enaieuunecotecassée,celam’avaitcoupélarespiration.Ilmetraiteplusbasqueterre(etceladuredepuis…)

Alorsmafaiblesse,c’estquandilboit,jenesuispasbien,jesuisdésemparée.

Àcesmoments-là,c’estJésus,c’estJésusquiestavecmoi.

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BonneNouvelleQuart-monde.7.Titredonnéàpartird’uneexpressiondecetémoindugroupeBonne Nouvelle Quart-monde. Un lien aux Écritures a étéproposépar lessœursdeBonneNouvelle :Mt11,28-29 ;Mt28,20b;Jn6,56-57.8.Titredonnéàpartird’uneexpressiondecetémoindugroupeBonne Nouvelle Quart-monde. Un lien aux Écritures a étéproposéparlessœursdeBonneNouvelle:He4,15-16.9.Titredonnéàpartird’uneexpressiondecetémoindugroupeBonne Nouvelle Quart-monde. Un lien aux Écritures a étéproposéparlessœursdeBonneNouvelle:Lc18,1-8.10.Cf. le site de l’association pour une présentation de cettenouvelle congrégation implantéedans lediocèsedeToulouse :www.bonnenouvellequartmonde.org11.Lesprénomsontétémodifiés.

Auxsourcesd’unehospitalitédelaparoleJean-FrançoisPetit

C’est dans le cadre d’une interrogation plus générale surl’hospitalité et la solidarité avec les plus vulnérables que jevoudrais proposer cette communication sur la parole despauvres1. En effet, pour tous ceux qui la fréquentent, celle-cidonnesouventdufilà retordre.Ellemetàmal lesschémasdepenséeetleslogiquesargumentativestropsûresd’elles-mêmes.Elle bouscule ce qui appartiendrait « en propre » et ce qui setiendraitdans l’ordrede la«maîtrise»pour se situerdansun« indécidable », pour se projeter dans un « au-delà » de laparole, souvent indéchiffrable. Il y aurait bien des façons del’appréhender,enayantparexemplerecourslaphilosophiedes« jeux de langage » deWittgenstein mais je le ferais dans lesillage d’un autre père de la philosophie du langage, JacquesDerrida.

Jevoudrais icidévelopper l’hypothèseque la régressiondel’hospitalitéfaitedansnotresociétépostmoderneàlaparoledespluspauvres,quidevientdanscertainscasinaudible,n’estquel’un des symptômes de l’affaiblissement généralisé de ladiversitédesfiguresà lafoismorales,politiques,religieusesetimaginairesdel’hospitalité.

Jusqu’à il y a peu, l’hospitalité était considérée commeunsigneparexcellencedecivilisationetd’humanité.Eneffet,dansbien des cultures, l’hôte aura toujours été celui qu’il fallaitaccueillir comme un Dieu, dont la parole était attendue etécoutée,même si les formes, lesmotivationsou les dispositifs

sociaux et politiques ont pu donner des contours assezdifférentsdans l’histoire à cedevoird’hospitalité.Tel aura éténaturellementlecaspournotresociété,avantquelesprocessusde«désenchantementdumonde»etde«sortiedelareligion»(MarcelGauchet)neconduisentjusqu’àl’oublidusoclejudéo-chrétiensurlequelelleestfondée.

Sur le fond, l’hospitalité aura toujours été le signe de lareconnaissancedel’imperfectionnaturelledel’homme,quisaitqu’ilnepeutvivresansl’accueild’unealtérité.Les«passionnésde l’hospitalité », les « grands écoutants » à l’écoute d’uneparole étrangère, ont toujours été les personnes en quêted’échanges authentiques et stimulés par l’aventure de larencontre.Pourquoinotresociétépostmodernedéveloppe-t-elleaujourd’hui si peu ce goût2 ? Les malformations de l’identitémodernemériteraientd’êtresévèrementinterrogées:sansdoutesommes-nousrentrésdansuneéconomielibidinalede la toute-puissancefondéesurlamêmeté3.L’uniformisationdesmodesdevie et l’arasement de la diversité des cultures ne sont que lesfruitsd’une logique libérale, tantôthonteuse, tantôt clairementaffichée. Mais une civilisation individualiste, matérialiste ethédonisteprépare-t-elleautrementlevivreensemblequesousunmodejouissifetconsommatoire?Noussommesdevantunchoixdécisif : l’hospitalité, enparticulier celle vis-à-vis de la paroledespauvres,nousdemandesicetteformeultimedecommunautéqu’estlacompréhensionmutuelleestencorepossible.

C’estpourquoijevoudraisaussimontrercommentl’accueilde la parole des pauvres peut nous faire entrer dans uneapprocherenouveléedelaquestiondel’hospitalité.End’autrestermes, il ne s’agira pas de voir simplement comment nouspouvonsêtrehospitaliersvis-à-visdelaparoledespauvresmaisce que cet accueil peut aussi provoquer en retour. Comme l’a

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8.PLATON,ApologiedeSocrate,7c.9.JacquesDERRIDA,Del’hospitalité,op.cit.,p21.10.AxelHONNETH,Lasociétédumépris,Paris,LaDécouverte,2006.11. Guillaume LEBLANC, L’invisibilité sociale, Paris, PUF,2009.12.EmmanuelLEVINAS,Totalitéetinfini.Essaisurl’extérioritéduvisage,LaHaye,MartinusNijhoff,1971,p.66.13.JacquesDERRIDA,Del’hospitalité,op.cit.,p.73.14.JacquesDERRIDA,JürgenHABERMAS,Le«concept»du11septembre,Paris,Galilée,2003,p.198.15.Cf.HannahARENDT,Considérationsmorales,Paris,Payot,1996,p.26-27.

Quellessontlesconditionsd’uneparolestructurantepourdespersonnesmarquées

parlapauvreté?BertrandBergier

Cette question demande un détour, une prise de distance pouréviter l’écueil d’une catégorisation, le piège d’une réponseabandonnée à des spécialistes du quart-monde ou desprofessionnelsde laparole.Nousproposonsde l’inscriredansun cadre plus large, celui d’un « faire société » interrogeantchacun d’entre nous. L’enjeu est de taille. Il s’agit de trouver,danslesécoles,lesquartiersoùviventlespersonnesensituationdepauvreté,desrégulationsquiviennentcorrigerlesfracturesetlesrigidités;desuscitercheztousceuxquifréquententl’école,habitent lequartier,descomportementspar lesquels ils se fonteux-mêmes acteurs de la cohésion sociale. Autrement dit,réfléchir aux conditions d’une parole structurante pour despersonnes marquées par la pauvreté questionne le vivreensemble.

Vivre ensemble, « faire socius »,marque le genre humain.Notreconditionestcelledelacoexistence1etdusensdecettecoexistence2. Ces choses-là ne se démodent pas. Ce sont desindividus qui habitent le monde. Les mots « vivre » et« ensemble » participent d’un même élan, deviennentpolitiquement équivalents sanspour autant constituer,une foisassocié,unbutpolitiqueémancipateurensoi3.Dans la languedesRomains,peuplepolitiques’ilenest,«vivre»signifie«être

parmileshommes»(interhominesesse),et«mourir»:«cesserd’êtreparmileshommes4»(interhominesdesinere).

Cequiestnouveau,c’estle«comment?».Commentvivreensemble ? La question, posée parfois avec insistance, traduitune aspiration profonde et sonne comme un aveu, celui d’unesocialité5quinevapas(plus)desoi.Considérerlessociétésoules communautés comme des totalités homogènes, stables,alignées sur un dénominateur commun (la référence à unetranscendance,àunrégimepolitique,àuneculturedeclasse…)netientplus.Levivreensembleaperdudeson«allantdesoi»,de sa présence muette. Il n’est plus un héritage de normesindiscutables, un code de bonne conduite, mais un monde àexplorer. Il n’est plus tant un état de fait qu’une sourced’interrogations. La préoccupation est récente, le désarroicontemporain.AuXIXesièclecommedansunegrandepartieduXXe siècle, l’appartenance à une famille, à unmilieu social, àuneprofession,àunegénération,àungenre,imposaitunordre,un cadre de relations, des rapports statutaires, des hiérarchies.Le vivre ensemble n’était pas une question mais une réponsesolidement ancrée.Chacun connaissait les règlesdu jeuqui leconcernaient. Se soumettre ou transgresser était une autreaffaire.Entoutcas,lescontoursétaientnets.Ilsnelesontplus.Le«comment?» témoignede l’ouvertured’unvastechantier,du « commencement d’un monde6 ». Il révèle la dimensionconstruite du vivre ensemble, met en jeu des niveaux qui sesuperposentets’enchevêtrent:leniveauspatial(seul/ensemble),le niveau relationnel (indépendance/fusion), le niveau del’orientation de l’activité (engagement/désengagement), leniveau mnémonique (oubli/souvenir)… Parmi ceux-ci, nousallons en explorer deux qui nous semblent essentiels dans le« faire société » : celui de la coprésence avec ses pôles,

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Lapaixarmée(conflitetautorité)La paix est qualifiée en recourant à un lexique militarisé

inscrivant la « guerre » en toile de fond. Dominent laconfrontationstérileentredespartishostiles,uneimpuissanceàagir. Le conflit se joue entre des acteurs publics (délégués,représentants, élus) qui campent sur leurs positions. Laconstruction du socius est engluée dans des revendicationscatégorielles, des rivalités irrésistibles, parfois ancestrales,paralysée par un rapport de force où les protagonistesinstitutionnels seneutralisent.« Je te tiens, tume tiens,par labarbichette. » Rien ne bouge. Ne se dégage ni perdant, nigagnant,sicen’estlaforced’inertie.Lejeuestàsommenulle.Levivreensembleseréduitàunegestionaujourlejour.

Individus et collectifs peinent à faire entendre leurs voixdans un système vécu comme bloqué. Gagnent une forme dedésingularisation et la généralisation d’un cynisme vindicatif.Cestatuquonelaisseplaceàaucunealternative,n’offrepasdepriseàl’initiativepersonnelleoucollective.Autrui(individuougroupe)estconsidérécommequantiténégligeable.Onn’attendriendelui.Peuimportesonactionetlesensqu’illuidonne,ilnepeutchangerlecoursdeschoses.Ilestetdemeurecontraintparlasituation,àlafoisprisonnieretcompliced’antagonismesquiledépassent,liépardesloyautésdeprincipeetdeshéritagesquidictentsesconduites.Lerecoursàuntiersestinconcevable,lacoopérationentrelesparties,inimaginable.Amputéesdeleur

fonctionutopique,ellesnepeuventréenchanter lemonde.Toutsepassecommesisemouvaientsurleterraindesêtressociauxinterchangeables,commesilesensétaitàrechercherailleurs,enextériorité, à unniveauméta (sensdonnépar les exigencesdumarché, lesaléasduG20, les rapportsentre les syndicatset leministère…).

Individus et collectifs peinent à faire entendre leurs voixdans un système vécu comme bloqué. Les paroles des pluspauvres se perdent, se réduisent à une comptabilité : celle dessans logement,cellesdesSDFquimeurentdefroid…Domineuneimpuissanceàagir.

Exemple d’un modèle à trois pôles du « vivreensemble : quand le conflit estmis à la place dumort

Prenons,àlasuitedePiveteauetFoucauld22, l’exempledecesquartiers où sévit plus qu’ailleurs une pauvreté matérielleaggravée par la crise économique, une pauvreté relationnellefaisant écho à la crise du lien social et une désespérancetémoignant d’une crise du sens. Ces situations pénalisantesconnaissent un prolongement à l’école qui se traduit, le plussouvent,paruneaggravationdesinégalitésscolaires.

Faceàcescumulsinégalitaires,quiminentlevivreensemble

et portent atteinte à la cohésion sociale, on voit se développerdans le champ académique : des réseaux de solidarité et desoutien scolaire, suite à des initiatives personnelles (pôleindividuel) ou d’expression associative (pôle collectif) ; unevolontédelagouvernancelocaleet/ounationalepourleverdesimpôts et financer des mécanismes publics de solidaritéinstituant un revenu minimum ou faisant de ces quartiers deszonesprioritairesd’éducation(pôleautorité).

On n’attend pas de ces familles, de ces parents d’élèvesdémuniséconomiquement,socialement,culturellementqu’ilsseconstituent en contre-pouvoir, qu’ils pétitionnent, qu’ils aientune tribune et prennent la parole pour dénoncer l’iniquité del’aide apportée, exiger autre chose ou d’une autre façon. Detelles revendications seraient vécues comme des incongruités,apparaîtraientdéplacées.

Onattenddecesfamillesqu’ellesrestentàleurplace:cellede parents dont les enfants sont accompagnés, pris en charge,soutenus.Laculturescolairesefaitclôture.

Aufond,ilesttrèsdifficiled’avoirunesolidaritééducativeinstitutionnelledynamique,bienstructurée,etenmêmetemps:de permettre une remise en cause des structures scolaires etéducatives par les parents d’élèves qui sont aidés ; de susciterleur esprit critique, de les encourager à se regrouper pourexprimerleursdésaccordsetleurspropositionsalternatives.

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auquel chacundoit adhérer profondément.Seul unprojet dontles soubassements anthropologiques sont clarifiés peutpermettre cette adhésion avec une concrétisation de moyenscohérentsaveclui.

L’écoute (toujours active) est mise en relief dans lestémoignages,encequ’ellepermetàlapersonneécoutéed’allerenprofondeur,dese retrouverelle-même,etdoncdedécouvrirqui elle est. Elle offre un espace pour raconter son histoireémiettée, de la comprendre un peu mieux, de lui donner unecertainecohérenceetsens.Ellerendcapable,àdesdegrésdiversselonlespersonnes,«desedécentrerdesoi,desetournerverslesautres[etparfoisversDieu],versleterritoirefamilial,verslalogique des rapports sociaux6 ». Cette écoute permet aussid’offrir aux personnes l’assurance d’être connues « pour devrai », c’est-à-direpour cequ’elles sont, avec leursqualités etleursdéfauts.Cetteécoutepratiquéeengroupeouvrechacunaurespect de l’autre, ce qui veut dire entre pauvres aussi…L’écouteestmêmeposéeparlespluspauvrescommeconditiond’existencedugroupeetduliensocial.

Enmême temps, la reconnaissancedespersonnes«commeellessont»,«tellesqu’ellessont»permetauxaccompagnantsde faire des propositions ajustées à chacun, pour être acteurdansunprojet degroupe àpartir de ses talents personnels, cequi invite à la créativité et aux déploiements d’une variété depropositions. L’écoute permet de passer au travers des faillestrès ou trop visibles pour percevoir les lignes de force despersonnesets’appuyerdessus.Chaquepersonneestcapable…Il s’agit de découvrir ses propres capacités et qu’elles soientreconnues par les autres. Si ce passage se réalise, si cettereconnaissance s’opère, une estime de soi se construit car lapersonneconstatequ’elle est vue capabled’être acteurdans la

viesociale,ecclésiale.Dans les groupesqui ont témoignédans ce colloque, nous

percevons bien ce travail de reconnaissance des capacités dechacunàparticiperàlaviesocialeetecclésiale.Laquestionquidemeurenéanmoinsconcerne la reconnaissance institutionnellede ces capacités. Est-ce que l’Église et la société en tantqu’institutionsgarantissentàchacunsacapacitéàparticiper7 ?Est-ce qu’il y a, institutionnellement, une volonté de garantircetteparticipationetdemettreenplacedesmoyenspourcela?Dansl’Églisecommedanslasociété?

L’écoutemiseenreliefparlesparticipantsdesgroupesn’estpasunilatérale,elledébouchesur laquestionde la réciprocité.Eneffet, lespersonnes éprouvent lanécessitéd’entendrede lapart des personnes accompagnantes ce qu’elles vivent, et cequ’ellesreçoiventdeleurpart.

Le premier aspect renvoie à la nécessité de se savoir«commetoutlemonde»,desentirquenoussommestousdelamêmepâtehumainemêmes’ilyadesdifférencesdeniveauxdevie,deculture.Celaimpliquedecroirequenouspouvonsnousrencontrer pour de vrai, sur des expériences qui sont d’abordcommunes à tous les humains et qui disent une égalitéfondamentalepar-delàtoutesnosdifférences.Ainsilapersonneque j’ai nommée plus haut Marie dit : « Ils montrent qu’ilsvivent, ben, qu’ils vivent comme nous, c’est pas parce qu’ilssont [accompagnant] qu’ils ont pas aussi leurs galères, leurssoucis,etj’aimebienparcequecelalesmetcommenous.»Celasuppose des accompagnants une capacité à témoigner de cequ’ilsviventà traversdeschosessimplesmaisessentielles,parexemple, le souci de ses enfants, de ses parents âgés,l’expériencedelamaladie,ouencorel’expériencecroyante.

Certains participants des groupes soulignent (deuxième

aspect de cette réciprocité) l’importance d’avoir entendu cequ’ils apportent aux accompagnants y compris pour leur foi :« Ça fait plaisir parce qu’on voit que ce qu’on dit les toucheaussi,doncçanousdonnedel’importanceetc’estquandmêmeintéressant, parce que malgré nos vies un peu galère, c’estintéressant d’avoir quelqu’un qui nous fait comprendre quemalgrétout,cequ’onvitestimportant.»Cetteappréciationétaitcomplétée ici par la mention d’un témoignage précis d’unepersonne accompagnante témoignant que sa foi s’était fortifiéedepuisqu’elleaccompagnaitcesgroupes.

L’accompagnant est donc appelé à offrir sa part detémoignageenvéritéetàquitterlapositionsurplombanted’uneécoute unilatérale. Il y a un appel à se livrer soi-même, à sedépouillerdesonstatut,ycomprisd’accompagnant,pourentrerdans une relation humaine à part égale. Il s’agit ici d’accepterunerelationréciproquequiengagechacunàdonneretrecevoirmême s’il reste une asymétrie8 qui prend en compte desdifférencesbienréelles.Laréciprocitén’éliminerajamaislefaitquel’expériencedelagrandeprécaritéestspécifique,singulièreet qu’elle ne peut pas être gommée par un slogan souvententenduenÉglise,«Nous sommes touspauvres».La relationnouée devrait permettre de rétablir une circulation des donsentre les personnes. Alors, nous éviterons de positionnerdéfinitivement les « plus pauvres » comme destinataires desdons comme s’ils n’avaient jamais rien à apporter aux autres !Cette réciprocité amèneparfois un changementdevocabulaire,lesmots«ami»et«frère»ou«sœur»selisentalorsdanslestémoignages. Le clivage accompagnant/accompagné se trouvedépassé dans l’apparition de ces nouvelles dénominations. Legroupedevientalors«unefamille»selonlestermesmêmesdesparticipants, une famille solidaire où chacun prend soin de

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autermedel’analyseàqualifierletypedelecturedéployédanscestroisgroupes.

Le(s)dictionnaire(s)Le lecteur qui vient devant un texte l’aborde avec des savoirs,desmodesd’emploidecessavoirsetdesattentes18.Lessavoirs,sur lesquels nous nous arrêtons d’abord, ce sont d’abord desconnaissances, des savoirs d’expérience mais aussi plussimplement des mots, qu’ils soient empruntés au texte ouconvoquésparlesinterprètespourlecommenter.

LechoixdesmotsLessavoirsnécessairesàl’interprétationcesontd’aborddes

mots.Pour« fairedesprévisions19 » sur cequi est raconté, lelecteurdoitnonseulementconnaîtrel’alphabet(cequinécessitel’usage de traductions de la Bible en langue vernaculaire),disposer éventuellement d’un dictionnaire, mais recourirnécessairementàundictionnaire«intérieur»constituédemotsassimilés.Lenombred’entréesdanscedictionnaireestvariabled’un lecteur à l’autre, partagé pour partie avec la communautéinterprétatived’appartenance.

Parmi les mots, certains ne sont pas connus et/ou àapprendre. Ainsi Rémi réagit au début du partage quand ilentendl’animatriceluidire:«Ilyadeuxhommesquimontentpourprier,etl’unétaitunpharisien.Vousnesavezpeut-êtrepasce que c’est, un pharisien ? » Il répond : « Un parisien (oupharisien), c’est un genre de touriste, de voyageur » (C, p. 1).Plustard,Renédemandera,envoulantparlerdupharisiendela

parabole:«C’estcommelepremierquevousavezdit,commentestlenom?»(C,p.5).Latraductionutiliséeconstituedoncunpremierpointd’attentioncarlepoidsetl’accèsausensdesmotssont essentiels1. Certaines traductions chercheront à limiter levocabulaireutilisé,tellelaBibleenfrançaiscourant,d’autresàl’inverse viseront à un lexique riche et varié. L’animateur peuts’interroger : faut-il choisir une traduction qui évoque unpublicainouuncollecteurd’impôts?L’effetsurlelecteurpeutêtre douloureux quand le vocabulaire est trop inconnu. Lelecteurdelaphrasequivasuivrepourrarestersurleseuildecequiestdit,fautenotammentd’accéderauvocabulairetechniquecumulé : « La zone interlectale se présente donc commel’ensemble des paroles qui ne peuvent être prédites par unegrammaire de l’acrolecte ou du basilecte parce que les deuxsystèmes sont cumulatifs en un point de l’énoncé2. » Cetexemple signale que le vocabulaire est situé dans un universsociocultureldonné,partagéavecunecommunautéde lecteurs,ce qui peut être défini comme un sociolecte. Des chrétienshabitués à lire la Bible ont développé cette compétence demobiliserdesmotshomologuesvoiredesdéfinitionsdans leurdictionnaireintérieur.Sansconnaîtrelesderniersrésultatsdelarecherche exégétique en matière de pharisaïsme, ils sontcapablesd’associer le pharisien àunhomme juif observant dupremier siècle de notre ère. Cette compétence peut aussis’acquériretpourcefaire, lapédagogiedesanimateurssembleimportante.

Les animateurs sont, en effet, sensibles au vocabulairespécifiquedutextebibliqueetcherchentàlerendreaccessible.Ainsi, l’unedesanimatricesdonneunedéfinitiondupharisiencommeleferaitundictionnaire:«C’estunjuifquiétudielaloi,quiétudielestextesdelaBible,quiestbeaucoupdanslaloide

Dieu» (C, p. 1) ou encore «Dieu a trouvé juste le publicain,celuiquiramasselesimpôts»(A,p.1),expressionadoptéeparlaBibleenfrançaiscourant.Maisl’effortdedéfinitionpeutnepassuffire.Lestraductionsdiffèrentsurlev.14:Jésusdit-ilquele publicain est « en règle avecDieu » (BFC) ou « descenditjustifié chez lui » (BJ) ? « Vous savez ce que cela veut dire,justifié?» interroge l’animatriceetBéatrice répond :«Non»(C,p.4).«CelaveutdirequeDieuaécoutélaprière.»Unmotcomme « justifié » appelle ainsi moins une définition qu’uneexplication plus ou moins personnelle. L’animateur se situe àl’articulationentreuntravaildedéfinitionetd’explication.

Enfin,lesinterprètesajoutentleurspropresmotsàceuxdutextebibliquepourqualifieruneattitude,soulignerundétaildurécit.Lesmotsnesontplusprescritsparletextemaisconvoquéspar les interprètes. L’initiative de leur usage revient soit auxparticipants soit aux animateurs.Ainsi, dans le groupeB, unepremière animatrice formule une suggestion à propos dupublicain : « Peut-être se sent-il exclu aussi. » La secondepoursuit:«Est-cequ’ilestexclulepublicain?Ouest-cequ’ils’exclut » ? Le vocabulaire de l’exclusion est proposé par lesanimatricesetacceptéensuiteparFrance:«Ilestexclu»(B,p.2).Lemot«exclusion»renvoieàl’interprétationdelasituationracontée,toutautantqu’àl’universsocioculturelcontemporain.L’adjectifestdésormaissubstantivé(unexclu).Signalonsquelechoixdecevocabulaireesticiàl’initiativedesanimateurs.Leurrôleconsisteàsuggérerunvocabulaireactualisant,àdonnerdesmots en partage, en laissant la liberté aux participants de s’enemparer(ounon).Lesmotschoisisetnonprescritsparticipentàl’actualisationdurécitévangélique.

L’idiolecteetlevocabulairefinal

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valeurdominantedel’apparence.Ilmonopoliselechamplexicaldu supérieur, de la hauteur (« il se croit plus haut que lesautres»C,p.3),delavantardise(lepharisienest«celuiquisevante»,«segonfle»C,p.2).«Ilconnaîttout»(NoëlleB,p.1),«rabaissetoutlemonde[…]Ilnousmarchedessus»(MarieB, p. 1). Le récit met en échec les valeurs fournies par leDestinateur, met en crise leur crédibilité et appelle à leurreconfiguration19. Le récit pose donc la quête du publicaincommeunerésistanceàlavaleurdominanteetluienopposeuneautre : l’authenticité, la vérité. La parabole est au final unvecteurdecroyance.

Lelecteurauratendanceàextrapolerdanslafictionàpartirde ce pharisien-pratiquant un propos sur les pratiquants engénéral.D’oùlaquestionredondantedansleséchanges:qu’est-cequ’êtrechrétien,est-cealleràlamesse?L’enjeuestleconflitentreapparenceetauthenticité:«C’estpasenallantàlamessequevousêtespluscroyantqueceluiquinevapasàlamesse»affirmeRené(C,p.3).Marie-Madeleine:«Bennon,jenecroispas comme les autres, comme il y en a qui font. Il y en abeaucoupquivontàlamessepourdirequ’ilsontétéàlamesse.Moi,jen’yvaispastouslesdimanches,cela,jesais,jen’yvaispastouslesdimanches»(C,p.6).«Cen’estpasparcequetunevaspasàlamessequetun’aspaslafoi.Ilyenabeaucoupquinevontpasàlamesse,j’enconnaisbeaucoup,etquicroientenDieu!»(ClémenceC,p.1),«C’estpasenallantàlamessequevousêtespluscroyantqueceluiquinevapasàlamesse»(RenéC,p.3).

L’affrontementdesvaleurs,l’apparencecontrel’authenticité-vérité, ne réduit pas l’acte de lecture à une interprétationmoralisante des personnages. Il convient de le montrerdésormais.

Lepharisienetlepublicain,sont-ilsexaequo?

L’orgueil du pharisien est montré du doigt (B, p. 1).Pourtant, si l’interprétationaune fortedimensionéthique,ellen’en est pas pour autant moralisante mais théologale. Lacomplexitédel’agirhumainnéedusavoird’expérienceévitedetomber dans l’écueil d’un manichéisme simplificateur entre lebonetleméchant.«Ilsnesontpasbiendansleurpeau»affirmePatricia(B,p.5),et l’unet l’autre.Touslesdeux,pharisienetpublicain, ont un autre point commun. Ils sont chacun enrelationavecDieu.

Lesanimateurs sontàceproposplusieurs foisétonnésdesréactions des participants qui déplacent une premièrecompréhension.Leshypothèsesformuléesavecfinessenuancentl’apriorid’unpublicaincroyantetd’unpharisienmalcroyant.Qui croit enDieu ?PourRémi, lepublicain«ne croit pas enDieu»(C,p.2)parce«qu’ilabeaucouppéché»(p.3).C’estpourcetteraisonqu’ilnepeutleverlesyeuxauciel.Quelleestl’attitudedupharisien,commentsetient-ilfaceàDieu?«IlluidonnesabeautéàDieu»répondRené(C,p.1).Dieupréfère-t-il l’unoul’autre?PourGwennola,«Jésusnepréfèrepasl’unou l’autre dans la réalité » (B, p. 3), ce qui est premier estl’amourdeDieupourl’unetl’autre.Cetamourestindéfectiblemalgrél’inversionélever/abaisserquiclôtlerécitbiblique(B,p.3):

Animatrice:Lepharisienseraabaissé,c’estça?Claude:oui,c’estça?Animatrice:Etlepublicain?Marie-Noëlle:Ilseraélevé,lesrôlesvontêtreinversés.Animatrice:Çaveutdirequetouslesdeuxilsseront…Plusieursensemble:Exaequo.

Animatrice:Çaveutdire?Marie-Noëlle:Dieulesaimeautant.Dieu n’est pas comme le pharisien qui se croit au-dessus

(ClémenceC,p.1).«Moi,jesaiscommentilestleSeigneur,iln’est pas commecela, il ne choisit pas les gens commecela »ajoute Bette (C, p. 2). Ainsi donc, malgré l’affrontement desvaleurs, les deux personnages placés sous le regard de Dieu,sontreconnuscommeindéfectiblementaimésparLui.

Dutexteàl’action:lavitalitéComment les groupes s’approprient-ils ces textes ? Quellecompréhension renouvelée de qui ils sont expriment-ils ? Àquellesdécisionspourchangerleurmondesont-ilsappelés?

Laréactionspontanéerelèvedelalogiquedumiroir:jesuiscommelepublicainetdoncdifférentdupharisien.«Nous,onlereconnaît (que l’on est pécheur), on n’est pas comme lepharisien. » La distanciation d’avec soi-même par le texte estcependantl’occasiond’uneprisedeconscienceoudelamiseenmot d’un asservissement : «Mais là, lui, il s’élève et il nousrabaisse nous. C’est pas normal » (Marie, C p. 1) et d’uncomportement:«C’estpasunebonnechosedesevanter.Moila première, je peux me vanter, moi je fais ci, je fais cela.Finalement,qu’est-cequejefais?Riendutout»(Catherine,Cp.1).

Ces nouvelles possibilités d’existence découvertes via letexteinvitentàunedécision,unengagementdanslemondedulecteur. C’est par l’imagination que la volonté alors passe dutexteàl’action.«Quandlapoétiquedudiscoursbibliquevientconférer aux expériences humaines fondamentales unerefiguration inédite, elle s’adresse à l’imagination du lecteur,

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PassionduChristetpersonnesengrandepauvreté

ÉtienneGrieus.j.

«LarencontredeDieusesitueaucœurdemesblessures»,c’estaveccesmotsqueGenevièveGimelle,unefemmedontl’histoireest marquée par la grande pauvreté, expliquait la difficultéqu’elleavaiteueàaccepter l’invitationd’ungroupedepartagede foi de Pierre d’Angle37. Si l’on en croit ce qu’elle dit, sesblessures les plus graves, celles qui sont pratiquementinguérissables,cellesquiminenttoutel’existence,sontaussilelieudelarencontredeDieu.D’autrespersonnestouchéesparlagrandepauvretépourraientsansdouteendireautant,signifiantainsique,pourelles, larencontredeDieuest inextricablementassociée aux combats où il est question de vie et de mort.Pouvoir en parler est donc à la fois urgent et délicat. Urgentparce lesenjeuxsontvitaux ;délicatpuisqu’il s’agitde luttes,detraumatismesetdesouffrances.

La réflexiondeGenevièveguidera l’ensemblede ceque jevais essayer de développer. Elle indique en même temps ladifficulté du travail à mener. Les personnes marquées par lagrandepauvretéontuneaffinitétrèsclaireetforteavecleChristen sa passionparce qu’elles se voient partageant sa condition,ayantencommunavec lui l’expérienced’unehumanitéblesséeauplusprofond.L’angoissed’unevieprécaire,l’humiliationden’êtrepasreconnudignedeconfiance,lamortsocialeauregarddesautres,toutcela,ellesconnaissent38;Jésusaussi.Entendre

quelque chose de cette affinité avec le Christ, de cetteintelligence du Christ, suppose d’accepter d’être invité en ceslieux-là, à la fois les plus intimes, les plus secrets, les plusdouloureux ; et donc d’accès difficile. Il vaut la peine de semettre en marche car nous pourrions recevoir de l’expériencedes personnes blessées une nouvelle lumière sur la viechrétienneetsurl’Église.

Pour nous approcher de ces lieux redoutables, entendonstout d’abord comment des personnes marquées par la grandepauvreté commentent la passion du Christ. Puis, dans undeuxième temps, nous chercherons à avancer sur les cheminsainsiouverts.

Je vaism’appuyer, pour cela, à la fois sur desœuvres trèsélaborées39etpubliées(deuxcheminsdecroix:celuiduSappeletceluideAuxCaptifslaLibération)ainsiquesurdesparolesprisessurlevifaucoursderéunionsenregistrées(danslecadredegroupesaveclessœursdelaBonneNouvelle;etpuisdanslecadre de Pierre d’Angle).Donc deux sources qui n’ont pas lemême statut ni le même poids mais qui sans doute secomplètent.

Quand les personnes en grande précaritécommententlechemindecroixLeconstatd’unegrandeproximitéentrelespersonnesmarquéesparlagrandepauvretéetlapassionduChristaétéfait,presquemalgré eux, par les volontaires d’ATD Quart Monde. C’est àpartirde1975quedesalliésetvolontairesd’ATDproposentàdes familles qu’ils rejoignent alors d’aller à Lourdes. CommecelaestracontédanslepetitlivredeDaisydeMontalembert,lapremière année ils sont trente-deux ; la deuxième, soixante-

quatre, l’année suivante cent trente, et ensuite autour de deuxcentsàtroiscents40;oràLourdes,outrelefaitquelespauvress’y sententd’embléechezeux, cequi frappe lesvolontaires etlesalliés,c’estquelespersonnesengrandeprécaritéprienttrèsvolontiers le chemin de croix. Bigna Paturle écrit ainsi : « ÀLourdes, nous avions pris conscience de l’importance de cetempsdeprièreautourdelaPassion.Lespersonneshumiliéesetblessées nous ont introduits peu à peu dans le mystère duMessie crucifié, paradoxale “BonneNouvelle” pour tous ceuxqui souffrent41. » Puis elle ouvre les guillemets et cite lesparolesd’unepersonnemarquéeparlagrandepauvreté:«Nosvies sontdescheminsdecroix.LechemindecroixdeJésusaété dur. Nos vies aussi nous font souffrir, c’est le chemin decroixdeJésusà traversnosvies,et lafoinouspermetdetenirbon42.»Parlasuite,danslesannéesquatre-vingt,lesmembresduSappel43ontorganiséchaquevendredisaintdanslesjardinsdelabasiliquedeFourvièreunchemindecroix,misenscèneetjoué par les personnes en grande précarité. L’œuvre ensérigraphieterminéeen2002aprèstroisansd’unintensetravaild’équipeaccompagnéparunartiste44représentelacontinuationet le fruit de cette méditation. Le chemin de croix de AuxCaptifslaLibération45quantàlui,aétéprésentéen2010pourleCarême.

Queremarque-t-onens’arrêtantsurcesœuvresquiinvitentàméditerlapassionduChristàtraversleregarddespersonnesengrandeprécarité?

«Ilesttombé»Lespersonnesmarquéesparlagrandepauvretésemontrent

trèssensiblesauxchutesdeJésus,àceteffondrementsoustrop

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plus seul avec ses bouteilles, mais, à partir d’elles, nouspouvonsreconnaîtreCeluiquinousdélivreetnousréconcilie.

Lavéritén’estpasfaiteCependant, l’on ne peut se satisfaire uniquement de cettepromessederéconciliationetdepaix;carnousavonsentenduaussi,parmilestexteslus,cettepetitephrase:«Lavéritén’estpasfaite»(c’étaitdans lepoème:«L’oubliestprésent»).Laméditation du chemin de croix par les plus pauvres dit aussicela : la vérité n’est pas faite. Pourquoi ? Parce qu’il y a desêtres qui ne trouvent pas leur place dans notre société, nosactivités, nos Églises. Parce qu’ils ont conscience de n’avoirmêmepasaccèsàeux-mêmes,àleurspropresaspirations,àleursrêves,leursdésirs;parcequetoutestemmêléetnouédepuisledébut,qu’ilsnevoientpascommentdéfairecesnœudsetqu’iln’y a pas grand monde pour se tenir auprès d’eux dans cescirconstances.Etpourtant,ilsl’ontvue,cettevérité:dumoins,ilssaventqu’ellepasseparuneformeétonnantedecommunionoùl’onestrejointdanscequ’ilyademoinsglorieuxetdeplusterribleensoietdanssonhistoire.

Le poème parle d’une vérité à faire et non simplement àcroire ou à penser. Les personnes marquées par la grandepauvreté ont conscience de l’immense gâchis que représententdesêtresnonadvenus–oumaladvenus–àeux-mêmesdufaitdecirconstances inhospitalières.Dès lors, touteprétentionà lavérité doit être mesurée à l’aune de ce critère : permet-elle àchacun,ycomprisceuxquineparviennentpasàs’imposerdansle jeudenoscommerces,devenirà l’existence?Oubienfait-ellel’effetd’unfiltrequi,enétablissantuneformeoul’autredegrandeur de référence, produit immanquablement un résidu

inutile?ÀpartirdelapassionduChrist,lespersonnesmarquéespar

la grande précarité envoient donc un message critique à touteconstructionsociale:cettevéritéqu’ilsontdécouverte,cellequiest capable d’appeler chacun à l’existence, parce qu’elles’appuie non pas sur leurs capacités mais passe par leursfragilitésetleursfailles,cettevérité-làn’apasvraimentdroitdecité. Le signe en est que beaucoup sont reconduits sur lesmarges,réduitsausilence,àunsilenceremplidesouffrances,defroidetd’angoisse.

Enmêmetemps,ceconstatetcetteexigencenetournentpasàladésespérance.Lesimplefaitd’avoirréalisécescheminsdecroix l’atteste : lespersonnesmarquéespar lagrandeprécaritésont habitées par une sorte de conviction simple : les autres,ceux qui sont « comme tout le monde », pourraient lescomprendre s’ils savaient vraiment ce qu’ils vivent. Leurspoèmes et leurs dessins font résonner une sorte promesse : unjour,nousseronscompris,lavéritésefera.D’oùvient-elle,cetteconfianceopiniâtredans les capacitésdeshumainsà accueilliret à aimer ?Mystère ; il faut peut-être s’en tenir à ce constatselon lequel la souffrance les a dépouillés aussi d’un douteviscéral sur la bonté de l’humanité.Voici un puissant antidotecontreledésespoir,lequelesttoujoursaussiun«désespérerdel’homme».

Pourconclurecettesection,voiciquelquesphrasesdePaul(déjàcitéplushaut).Ilcommentecequis’estpasséàlafindelapassion du Christ, lorsque les ténèbres se sont répandues surtoutelaterre:«LePèrepardonnetoujoursàsesenfants,mêmequandsonfilspendsurlacroix.IlyaunecommunionentreleFilsetlePère,jusqu’aubout.DieuapleurélamortdesonFils.Ilétaittellementbouleverséetpleind’amourpoursonFils.Ilya une goutte de larme deDieu qui est tombée sur la terre. Le

Père a pardonné,mais il a pleuré aussi.Et les larmesdeDieuontproduit l’histoirede Jésus jusqu’ànousaujourd’hui.C’estpourçaquecettehistoire,onnel’ajamaisoubliéeetqu’onenparleencoreaujourd’hui.»

Je me demande si ces phrases n’ouvrent pas à une autrelecture théologique de la croix que celles auxquelles noussommes habitués : nous voyons la croix d’abord comme lamanièrepour leChrist,d’exprimer l’amourdeDieudanscettesituationextrêmequ’estlaconfrontationàlaviolence.Or,ici,ilest possible que Paul voie la croix d’abord comme ce quiprovoque le bouleversement du Père. La croix serait alorsregardéecommecequirendpossiblel’expressiondelatristesseduPère, comme ce qui fait couler ses larmes, larmes appeléespar la mort du Fils, mais à travers elle, par toute l’histoired’humiliation,d’abandonetdeviolencequel’humanités’infligeàelle-même.CequeJésusavécu,danscetteperspective,estuneexpérience de souffrance, de courage et de pardon, qui est enréalité coextensive à l’histoire de l’humanité jusqu’àaujourd’hui. Les larmes du Père attestent la réalité de cettehistoire,ellesconfirmentquecettesouffranceestréelle,qu’elleprovoque des dégâts profonds et, selon toute évidence,irréversibles, et que lemonde qui produit cette souffrance estviolent.LeslarmesduPèreobligentdoncàlireautrementtoutel’histoire, elles permettent qu’une autre histoire soit perçue auseinmêmedelagrandehistoireoublieuseetmenteuse:celleduChristetdesestémoins.

Ce n’est qu’une hypothèse, à vérifier. Je ne pense pas, eneffet, que lesparolesdePaulpuissent à elles seules supporterl’ensemble de cette interprétation ;mais ilme semble qu’ellessuggèrentunetellethéologiedelacroix.

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autresbaptisés.Lebaptêmedébouchedoncpotentiellementsurune émancipation en favorisant la conscience d’une mêmehumanité. Pour d’autres, au contraire, l’évangélisation peutprofiteràl’ordreétabli.Carenrenvoyantàlatoute-puissancedeDieu,lechristianismeencouragelasoumissionàunsupérieur.Ilencouragedonc l’obéissanceauxmaîtres,età touteautoritéengénéral.Decefait lechristianismefait intégreruneconsciencemorale qui peut contribuer à rendre l’esclave plus respectueuxdu maître et de ses biens. Ainsi, en 1842, en Géorgie, lerévérend Charles Colcock Jones écrit dans un manuel destinéauxmaîtres:

« Je crois fermement à l’efficacité d’une instruction religieusesainecommeunmoyendeparvenirànosfins.Etj’endonneraides raisons : on peut les découvrir dans la nature réelle et leseffetsdeslivressaints.Sanatureestlapaix[…].Soneffet[…]estd’adouciretdefairedévierlespassionsdel’homme;delerendreplusrespectueuxdesintérêtsdesautres,etplussoucieuxd’obtenirleurfaveur;plusobéissantàl’autorité,pluspatientàsupporter les préjudices […]. L’esclave reconnaît uneProvidence directrice qui dispose des hommes et des chosesselonsonbonvouloir[…].Ainsi,c’estàDieuqu’ilconfiesonsort,etilrendàchacunsondûselonsonrang,obéissantàceluiàquiildoitobéissance,honorantceluiqu’ildoithonorer1.»

Uneautrepositions’exprimerapourjustifierl’esclavagepardeschrétiens:l’esclavagereprésenteunechancepourlesNoirsd’êtreévangélisés. Il leuroffreau fond l’accèsausalut.Onnepeutdoncrienreprocheràunmaîtrequigouvernesesesclavesselon les principes chrétiens. Il ne fait que servir l’œuvre desalut du christianisme. Au début du XIXe siècle, le docteurRichardFurman,présidentdelaconventionbaptistedeCaroline

duNord, déclare en ce sens : «Si […] le transport desNoirsdansnotrepaysaétél’instrumentdeleuraméliorationmentaleet religieuse, et si, en conséquence, cela a été la causede leursalut […], alors j’affirme que le maître juste et humain quigouverne ses esclaves et pourvoit à leurs besoins selon lesprincipes chrétiens peut être certain qu’il agit dans l’esprit dugénie du christianisme et qu’onne saurait lui faire lemoindrereprochesurleplandelamorale2.»

L’apportdesÉglisesLepremierRéveilreligieux,vers1740,marquelesdébutsdelarencontre des esclaves noirs avec la Bible. On nomme réveilsreligieux«despériodesde redynamisationde la vie religieusependant lesquels l’accent est mis sur la nécessité de laconversion individuelle et le militantisme chrétien3 ». Cemouvement de régénérescence spirituelle s’accompagne demanifestationsdepiétécollective,decatéchèses,deprédicationsenthousiastes.LeGrandRéveilde1740vatoucherlemondedescolons.DesesclavesetdesNoirslibresyparticipentaussi.Ilestl’œuvre des Églises protestantes qui se développent enAmérique du fait de l’éloignement géographique de l’Égliseanglicane.DanscesÉglises,onpeutdistinguerquatrecourantsqui seront non seulement desmédiations entre la Bible et lesesclaves, mais qui interrogeront aussi diversement l’esclavage.L’Église presbytérienne, « Église réformée selon la Parole deDieu»,comprendunpetitnombredeNoirslibresourécemmentémancipés,surtoutdanslesÉtatsduNord.LesÉglisesbaptistessontprochesdesesclavesdesgrandesplantationsetdesNoirslesplusdémunis.L’Égliseméthodisteestfondéevers1739pardeux pasteurs dont l’un, JohnWesley, va écrire avec l’aide de

sonfrèredesrecueilsd’hymnesquiseronttrèspopulairesauprèsdesNoirs.Enfin,ilyalesQuakers: l’ÉglisecrééeparGeorgeFox,persécutéeparleclergélondonien,débarqueenAmériqueet fonde sous la direction de William Penn (1644-1718) lacoloniedePennsylvanie.LesQuakersconfessentque leChristestmort tantpour lesNoirsquepour lesBlancs.Quelva êtrel’apportdecesÉglises?

C’est en premier lieu une critique. En s’appuyant sur laBible, elles interrogent l’ordre esclavagiste : devant Dieu, lesraces et les classes sociales sont égales. Elles dénoncentégalementlaviolencedesmaîtresetl’asservissementdesNoirs,etappellentenconséquenceàunadoucissementdesconditionsdeviedesesclaves.Leursprédicationsaurontdeprofondséchosdans le Sud de l’Amérique. Le second apport est d’ordrepédagogique.Leurs prédicateurs utilisent denouveaux recueilsdechantsqui tranchentavec lepsautieranglicanquiétait sansnotationmusicaleetqu’ilfallaitapprendreparcœur.IsaacWatts(1674-1748),unpasteuranglicannéàSouthampton,publieen1707les«Hymnesetchantsspirituels»,oùilutilisedesimagespoétiques et des mélodies. Mal reçu en Grande-Bretagne,l’ouvrage triomphe en Amérique. John et Charles Wesleypublient aussi un recueil de Psaumes et d’Hymnes, dont lestextes jouent sur l’émotion et dont les musiques sontentraînantes. Ces outils, européens à l’origine, vont servir àl’éducation biblique et chrétienne des populations noiresdémuniesetillettrées.Onsaitqu’en1766lescréationsdeWattssontenseignéesauxesclavesdeVirginie.

LaparticipationauxassembléesecclésialesCes Églises s’ouvrent aux esclaves et plus généralement aux

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àlaparole,del’esclavageàlaliberté.Ellesontfaitentendrelepeuplenoir.Maisdeleurcôtélesesclavesontfaitamplifierparles Églises des éléments fondamentaux du message biblique :l’égalitéfoncièredetoutêtrehumainauregarddeDieu,ledroitpourchacundeseréjouird’êtrequellequesoitsasituation.Ilsont aussi révélé les ambivalences du message chrétien : lechristianismepeut légitimerl’ordreenplace,mais ilpeutaussile troubler. Il peut avoir un rapport aux plus pauvres qui niel’injusticeencours,ouquinequestionnepaslesstructuresquila fabriquent. La question demeure : quand le christianismepasse-t-ild’unelégitimationdel’ordreenplaceàuneremiseencause, puis à la contribution à l’établissement d’un mondeautre ? Ajoutons que les esclaves, en entrant dans les Égliseschrétiennes,enontélargil’«assiette».Cefaisant,ellesleurontévitéderesterracistesetsectaires.Lesesclavesnoirsontpeut-être, une fois encore, aidé lesÉglises à rester tout simplementchrétiennes,c’est-à-direnon-exclusives.

Quatrièmeetdernièrescircularité :oppresseursetesclaves.Qu’onleveuilleounon, laBibleestarrivéepourunepartauxesclaves par leurs oppresseurs, ou au moins par la culture deleurs oppresseurs. Les esclaves s’en sont emparés et l’ontinterprétée à partir de leurs propres cultures et de leurexpérience. Notons à nouveau à ce propos la réversibilité dumythe : la Bible a pu servir d’idéologie pour justifierl’esclavage,maiselleapuserviraussiàdénoncerl’esclavageetà se révolter contre lui. De leur côté, les esclaves, en certainslieux, ont fait bouger leurs maîtres : prise de conscience del’injustice,freindanslescomportementsdecruauté.LaBibleapu aider les esclaves eux-mêmes à dépasser la vengeancemeurtrière pour envisager un monde à habiter ensemble. Unnegrospiritualévoqueainsilesquarantemilledupeupleélu.Iln’intègre pas seulement les esclaves noirs mais aussi les

marchandsd’esclaves:«Ettoitrafiquantd’esclave,entreaussi/LeSeigneur tepardonneraaussià toi /Tufinirasparrejoindrelesquarantemille24.»

Concluons. Si la Parole deDieu a été un langage à partirduquel les esclaves noirs d’Amérique ont pris leur parole, laparole des esclaves a aussi fait parler Dieu, a fait résonner laParoledeDieudanslacultureaméricaine.Dieunevient-ilpastoujours à nous dans des paroles humaines, et parfois mêmeterriblementhumaines?C’estparlàqueDieupeutêtreéprouvécommedivinementhumainoucommehumainementdivin…

14.NoëlBALEN,Histoiredu negro spiritualetduGospel.Del’exodeàlarésurrection,Paris,Fayard,2001,p.18.15.1Co7,24.16.CitéparNoëlBALEN,op.cit.,p.20.17.JamesCONE,Blacktheologyandblackpower,1969,p.151,citéparHenryMOTTU,Dieuaurisquedel’engagement:douzefigures de la théologie et de la philosophie religieuse auXXesiècle,Genève,LaboretFides,2005,p.89.1.NoëlBALEN,Histoire du negro spiritual et duGospel, op.cit.,p.31-32.2.Ibid.,p.31.3.SébastienFATH,MilitantsdelaBibleauxÉtats-Unis,Paris,Autrement,2004,p.34-35.4. Bruno CHENU, Le grand livre des Negro Spirituals, Paris,Bayard,2000,p.104-124.5.Ac10,34.6.BrunoCHENU,LegrandlivredesNegroSpirituals,op.cit.,p.108.7.Ac17,26.

8.Ibid.,p.117.9. Marguerite YOURCENAR, Fleuve profond, sombre rivière,Paris,Gallimard,1966,p.44-45.10.BrunoCHENU,LegrandlivredesNegroSpirituals,op.cit.,p.245-246.11.Ibid.,p.246.12.Ibid.13. James CONE, The Spirituals and the Blues, New-York,SeaburryPress,1972,p.33,citéparBrunoCHENU,op.cit.,p.163.14. JamesMELLON,Paroles d’esclaves, Paris, Seuil, 1991, p.300.15.GeorgeWashingtonKEPHART,Lettredu9mai1864,citéparBrunoCHENU,op.cit.,p.224.16. Marguerite YOURCENAR, Fleuve profond, sombre rivière,op.cit.,p.94.17.Ibid.,p.48.18.BrunoCHENU,LegrandlivredesNegroSpirituals,op.cit.,p.260.19.Ibid.,p.260.20.FredrickDOUGLASS,LifeandTimesofFrederickDouglass,New York, Collier Books, 1962, p. 159 (reprint de l’éditionrevueetcorrigéede1892).21. James CONE, « Les negro spirituals, une interprétationthéologique»,Concilium,n°222,1999,p.61.22. Martin DENIS-CONSTANT, « Le char de l’espérance »,L’Homme,1/2002,n°163,p.111-122,www.cairn.info/revue-l-homme-2002-1-page-111.htm.23. Pier Cesare BORI, L’interprétation infinie, Paris, Cerf,1991.24. Bruno CHENU, Théologies chrétiennes des tiers-mondes,Paris,LeCenturion,1987,p.87.

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mêmes, en tant qu’élève, avons pu oublier, refuser, ou n’avoirjamais su…C’est en ce sens précis que les pauvres sont desmaîtres,etmêmedesprophètes,ausensoùleprophètevient,àpartir de nos manques, nous propulser dans l’avenir pourrejoindrenosaspirationsessentielles,etyêtreenfinfidèles.

Maxime Leroy, prêtre à Lille, dans son livre Nouveauxchemins d’Évangile11, nous parle d’une jeune femme,Christelle. Elle est sans travail, totalement isolée, avec deuxenfants,etvitrecroquevilléesurelle-mêmedansunappartementbeaucoup troppetit.Elle finitpar rejoindreungrouped’ACO,dans lequel elle reste silencieuse pendant six mois. Commeprostrée dans son malheur. Et voici qu’un jour, elle rompt cesilenceenannonçantsa«résurrection».Etelledemandeàlireuneprièrequ’elleavait écrite.Devant l’étonnementdugroupe,elledit :« Il fallaitquequelquechosese fasse,alors j’aidit :“Christelle, lève-toi etmarche.” »Maxime lui demande si ellesavait que Jésus avait prononcé cette même phrase dansl’Évangile.Etellerépond:«C’estquoil’Évangile?»

Christelle n’avait donc sans doute jamais entendu cettephrasedel’Évangile…Mais,sanslesavoir,lavoicihabitéedesmêmes mots que Jésus. Son désir de vie lui fait rejoindrel’expériencedel’Évangile.

VoiciquelespauvresparlentDieu.

LespauvresaucentreLeDieuquivientprendlevisagehumaindeceluiquiestcercléparleméprisetdontlamémoireetlalibertésontobnubiléesparl’indifférencedesautres.Làsetientets’éprouvela«folie»deDieu.Ilmanifestequelesfrontièressontaucentreetqueleplus

rejetédevientlapierred’angleduRoyaumeattendu.Les pauvres au centre, au cœur. Cette terminologie est

contestée.Onluipréfèrecelledu«passans»,quisembleposermoinsdeproblème : l’Églisenedevraitpas sepensersans lespauvres12. Mais en disant « pas sans », n’entre-t-on pasdavantage dans la catégorie du « y compris13 » ? Et le « ycompris » rend-il vraiment compte de la priorité donnée auxpauvresdansl’unetl’autreTestament?Ladémarcheàlaquellenous sommes invités n’est-elle que de ne pas oublier lespauvres, de ne pas partir sans eux, de ne pas laisser passer letrain sans qu’ils aient pu y monter ? Ne s’agit-il pas de leurdonner la préséance, la priorité, de les mettre au centre, oui,vraimentaucentre?Cequin’estpasdirequ’ilssontletoutdel’Église,mais qu’ils en sont lemoteur, ceux à partir desquelsl’unité de tous peut prendre corps et effectivité en dehors del’illusion,ceuxquinousrequièrentàlafraternité.

Nous laisser conduire, tous et chacun, et les plus pauvreseux-mêmes,à l’aventurerisquéede la rencontre,passeulementpour nous mettre à l’écoute des plus pauvres, mais plusessentiellement pour faire histoire avec eux. Il n’est pasimpossible qu’alors nous prenions conscience que c’est notredémarche elle-même qui est à remettre en cause, car nous nesommes pas requis de mettre en œuvre davantage debienveillanceetdesavoir-faire,maisdenouslaissersurprendrepar l’avènement d’autre chose, pour autrement que faire,autrementqu’aider.

Ilenvad’unespiritualitéàpartirdupluspauvre,quenotremondeattend,quenotreÉgliseattend.Carlepluspauvrenousmanque.Cequipeutnousentraînersurdesroutesinattendues,car,souvenons-nous:«Unautreteceindraettemèneraoùtunevoudraispas»(Jn21,18).

Quelles que soient les routes de demain pour chacun denous,n’oublionspascetterecommandationdusageMoshéLeibdeSassov :«Vousvoulez trouver le feu?Cherchez-ledans lacendre14.»Lacendre,ceàpartirdequoiaucuneflammejamaisnepourrajaillir…

Etilsepeutquelanuittransmetteaujourquelquechosedeplusquelalumière!

25. René CHAR, Recherche de la base et du sommet, Paris,Gallimard,1971,p.111.26. Antoine de SAINT-EXUPÉRY, Le petit prince, Paris,Gallimard,1989,p.11.27.Maurice BELLET,Dieu, personne ne l’a jamais vu, Paris,AlbinMichel,2008,p.14.28. Selon l’expression d’AndréNEHER,Le puits de l’exil. Lathéologie dialectique du Maharal de Prague, Paris, AlbinMichel,1966,p.147.29.RenéCHAR,op.cit.,p.57.30. Pierre d’Angle est un réseau qui rassemble des groupesconstituésdepersonnesensituationdeprécaritéetdequelquesautres qui les rejoignent, pour approfondir et vivre dans latradition chrétienne une spiritualité à partir du plus pauvre.Entreseptembre2009etnovembre2011, lesgroupesdePierred’Angle ont fait une recherche pour répondre à la question deJésusàsesapôtres:«Pourvous,quisuis-je?»1. Selon l’expression de ROSENZWEIG, cité par EmmanuelLEVINAS,Difficile liberté, Paris, Le Livre de poche, 1990, p.259.2.DietrichBONHOEFFER,Résistance et soumission. Lettres etnotes de captivité, traduit de l’allemand par Bernard Lauret,avec lacollaborationdeHenryMottu,Genève,LaboretFides,

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d’unaccomplissementdesÉcritures,parChristophePichonLeslieuxdesrencontresUnaccomplissementLesoreilles:l’accomplissementd’unelibérationDestémoins-prophètesUnpeupleseconstitue

Présentationdesauteurs

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Danslamêmecollection

GenevièveMédevielle(dir.),Lesfinsdernières,2008.LucDubrulle,MgrRodhain et leSecours catholique.Unefiguresocialedelacharité,2008.BèdeUkwuije,Trinitéetinculturation,2008.OlivierArtus(dir.),Eschatologieetmorale,2009.François Cassingéna-Trévédy, Les Pères de l’Église et laliturgie,2009.François Bousquet et Henri de La Hougue (dir.), Ledialogueinterreligieux,2009.François-Marie Humann et Jacques-Noël Pérès (dir.), LesApocrypheschrétiensdespremierssiècles,2009.ClaudeTassin,L’apôtresaintPaul.Unautoportrait,2009.Denis Villepelet, Les défis de la transmission dans unmondecomplexe,2009.MauriceVidal(dir.),Jean-JacquesOlier.Hommedetalent,serviteurdel’Évangile(1608-1657),2010.Jacques-NoëlPérès(dir.),L’avenirdelaterre,undéfipourlesÉglises,2010.Philippe Bordeyne, Éthique du mariage. La vocationsocialedel’amour,2010.François-Xavier Nguyen Tien Dung, La foi au Dieu deschrétiens,gaged’unauthentiquehumanisme,2010.François Moog, La participation des laïcs à la chargepastorale. Une évaluation théologique du canon 517 § 2,2010.JoëlMolinario, Joseph Colomb et l’affaire du catéchismeprogressif.Untournantpourlacatéchèse,2010.CatherineFino,L’hospitalité, figure sociale de la charité.DeuxfondationshospitalièresàQuébec,2010.RenéTabard,Lavieavec lesmorts.Expérienceshumaines

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etfoichrétienne,2010.HenrideLaHougue,L’estimedelafoidesautres,2011.DominiqueBarnérias,Laparoisseenmouvement.L’apportdessynodesdiocésainsfrançaisde1983à2004,2011.Germain Jin-SangKwak,La foi comme vie communiquée.LerapportentrelafidesquaetlafidesquaechezHenrideLubac,2011.Jacques-NoëlPérès(dir.),Famillesenmutation,approchesœcuméniques,2011.FrançoisMoog et JoëlMolinario (dir.),La catéchèse et lecontenudelafoi,2011.Jean-Baptiste Lecuit (dir.), Le défi de l’intériorité. LeCarmelréforméenFrance,1611-2011,2012.Jacques-Noël Pérès (dir.), Pratiques autour de la mort,enjeuxœcuméniques,2012.Thierry-Marie Courau (dir.), Dialogue et conversion,missionimpossible?,2012.GwennolaRimbaut (dir.),Partager laparoledeDieuaveclespauvres,2013.

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