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6 Nos conseils pratiques - Jardins de France 637 - Septembre-octobre 2015 Le greffage est une technique horticole très ancienne, le plus souvent utilisée pour des plantes pérennes ligneuses. Le greffage des rosiers est le plus emblématique aux yeux des jardiniers. Le greffage des légumes, qui ne se pratique que pour les légumes fruits, est plus récent. Il a débuté en France avec les premières cultures maraîchères sous serres à grande échelle vers 1960. — LE GREFFAGE, UNE ALTERNATIVE POUR LES LÉGUMES SOUS SERRE — Contrairement aux cultures maraîchères de plein air où il est possible de pratiquer des rotations de cultures, la panoplie réduite des légumes cultivés sous serres induit une répétition de cultures de plantes de mêmes espèces ou d’espèces très voisines sur un même sol, modifiant progres- sivement sa microfaune et sa microflore. Une fatigue des sols, résultant de phénomènes physico-chimiques et biolo- giques complexes, s’installe. Le biotope réduit sa diversité, le plus souvent au profit du développement de bioagres- seurs des plantes : champignons, bactéries responsables de maladies telluriques et aussi ravageurs des racines, princi- palement larves d’insectes et nématodes. La désinfection des sols, physique utilisant la chaleur de la vapeur d’eau ou chimique avec de puissants biocides, a été longuement utilisée. Ces méthodes sont aujourd’hui remises en cause, voire interdites. La production de vapeur d’eau nécessite des sources de chaleur productrice de CO2 et les procédés chimiques sont causes de pollution de l’at- mosphère et des eaux. — LE GREFFAGE PARMI LES TROIS VOIES DE SUBSTITUTION — Trois voies de substitution se sont engagées parallèle- ment contre la fatigue des sols et le développement des bioagresseurs : La culture hors sol, qui fait appel à divers substrats minéraux ou organiques régulièrement remplacés ou même l’absence de substrat dans le cas des cultures hydroponiques, avec des solutions nutritives désinfec- tées et recyclées. L’introduction de gènes de résistances aux bioagresseurs dans des variétés fixées mais le plus souvent dans des hybrides F1. Ces gènes sont issus d’espèces sauvages, dans le cas de la tomate, ou de l’espèce cultivée dans le cas du melon. Le greffage d’une variété aux caractéristiques agrono- miques optimales sensible à un bioagresseur connu (le greffon) sur un système racinaire, le plus souvent issu d’une espèce sauvage repérée dans la nature, tolé- rante, voire résistante, (le porte-greffe). Il peut s’agir d’une espèce sauvage comme Solanum torvum, utili- sée comme porte-greffe de l’aubergine ; d’une espèce cultivée voisine comme Lagenaria siceraria (calebasse), porte-greffe de la pastèque ; d’hybrides interspécifiques entre deux espèces domestiquées comme Cucurbita maxima x C. moschata, porte-greffe du melon ; ou bien d’hybrides interspécifiques entre l’espèce cultivée et une espèce sauvage comme la tomate (Solanum lycopersi- cum) x Solanum habrochaites. La limite physiologique à la technique du greffage est la compatibilité porte-greffe/greffon. Le porte-greffe peut LE GREFFAGE DES LÉGUMES : L’INTÉRÊT ET LA PRATIQUE Par Michel Javoy, Michel Pitrat, Jean-Daniel Arnaud Nos conseils pratiques UNE PRATIQUE ANCIENNE La plus ancienne description de greffage de plantes légumières provient du livre chinois « Fan Sheng Zhi Shu », du premier siècle av J.C, et décrit le greffage de calebasse (Lagenaria). Mais le greffage des Solanacées et des Cucurbitacées n’a vraiment pris son essor que depuis les années 1920 au Japon avec le greffage de la pastèque sur courge (Cucurbita), puis dans les années 1930, l’au- bergine, suivie par le melon (1950), le concombre (1960), la tomate (1970) et, plus récemment, le piment.

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6Nos conseils pratiques - Jardins de France 637 - Septembre-octobre 2015

Le greffage est une technique horticole très ancienne, le plus souvent utilisée pour des plantes pérennes ligneuses. Le greffage des rosiers est le plus emblématique aux yeux des jardiniers. Le greffage des légumes, qui ne se pratique que pour les légumes fruits, est plus récent. Il a débuté en France avec les premières cultures maraîchères sous serres à grande échelle vers 1960.

— Le greffage, une aLternative pour Les Légumes sous serre — Contrairement aux cultures maraîchères de plein air où

il est possible de pratiquer des rotations de cultures, la

panoplie réduite des légumes cultivés sous serres induit

une répétition de cultures de plantes de mêmes espèces ou

d’espèces très voisines sur un même sol, modifiant progres-

sivement sa microfaune et sa microflore. Une fatigue des

sols, résultant de phénomènes physico-chimiques et biolo-

giques complexes, s’installe. Le biotope réduit sa diversité,

le plus souvent au profit du développement de bioagres-

seurs des plantes : champignons, bactéries responsables de

maladies telluriques et aussi ravageurs des racines, princi-

palement larves d’insectes et nématodes.

La désinfection des sols, physique utilisant la chaleur de

la vapeur d’eau ou chimique avec de puissants biocides, a

été longuement utilisée. Ces méthodes sont aujourd’hui

remises en cause, voire interdites. La production de vapeur

d’eau nécessite des sources de chaleur productrice de CO2

et les procédés chimiques sont causes de pollution de l’at-

mosphère et des eaux.

— Le greffage parmi Les trois voies de substitution — Trois voies de substitution se sont engagées parallèle-

ment contre la fatigue des sols et le développement des

bioagresseurs :

• La culture hors sol, qui fait appel à divers substrats

minéraux ou organiques régulièrement remplacés ou

même l’absence de substrat dans le cas des cultures

hydroponiques, avec des solutions nutritives désinfec-

tées et recyclées.

• L’introduction de gènes de résistances aux bioagresseurs

dans des variétés fixées mais le plus souvent dans des

hybrides F1. Ces gènes sont issus d’espèces sauvages,

dans le cas de la tomate, ou de l’espèce cultivée dans le

cas du melon.

• Le greffage d’une variété aux caractéristiques agrono-

miques optimales sensible à un bioagresseur connu

(le greffon) sur un système racinaire, le plus souvent

issu d’une espèce sauvage repérée dans la nature, tolé-

rante, voire résistante, (le porte-greffe). Il peut s’agir

d’une espèce sauvage comme Solanum torvum, utili-

sée comme porte-greffe de l’aubergine ; d’une espèce

cultivée voisine comme Lagenaria siceraria (calebasse),

porte-greffe de la pastèque ; d’hybrides interspécifiques

entre deux espèces domestiquées comme Cucurbita

maxima x C. moschata, porte-greffe du melon ; ou bien

d’hybrides interspécifiques entre l’espèce cultivée et une

espèce sauvage comme la tomate (Solanum lycopersi-

cum) x Solanum habrochaites.

La limite physiologique à la technique du greffage est la

compatibilité porte-greffe/greffon. Le porte-greffe peut

Le greffage des Légumes : L’intérêt et La pratiquePar Michel Javoy, Michel Pitrat, Jean-Daniel Arnaud

Nos conseils pratiques

Une pratiqUe ancienne

La plus ancienne description de greffage de plantes

légumières provient du livre chinois « Fan Sheng

Zhi Shu », du premier siècle av J.C, et décrit le

greffage de calebasse (Lagenaria).

Mais le greffage des Solanacées et des Cucurbitacées

n’a vraiment pris son essor que depuis les années

1920 au Japon avec le greffage de la pastèque sur

courge (Cucurbita), puis dans les années 1930, l’au-

bergine, suivie par le melon (1950), le concombre

(1960), la tomate (1970) et, plus récemment, le

piment.

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7 Nos conseils pratiques - Jardins de France 637 - Septembre-octobre 2015

être de la même espèce que la plante cultivée (on parle

alors de greffage intra-spécifique) ou issu d’espèces très

voisines (greffage interspécifique). Le greffage d’une

variété d’aubergine sur un porte-greffe tomate est le cas

le plus fréquent.

— pour une pLus grande vigueur végétative —

Le greffage des légumes fruits induit très souvent et,

plus particulièrement dans le cas de la tomate, une plus

grande vigueur végétative des plantes, ce qui nécessite

une adaptation de leur conduite. Les porte-greffes actuel-

lement utilisés sont responsables de cette grande vigueur

qui, si elle n’est pas équilibrée par une plus grande charge

en fruits, procure des plantes à grosses tiges et grandes

feuilles produisant souvent des fleurs stériles et donc très

peu de fruits. Il est impératif pour le jardinier d’augmenter

le nombre de branches productives sur une même plante,

soit en achetant des plantes greffées à deux têtes, soit en

laissant rapidement un ou plusieurs axillaires productifs

se développer à partir de la tige principale. Ainsi, pour une

même production, voire pour une production supérieure

espérée, il est possible de diviser le nombre de plantes

achetées par deux, ce qui compense en grande partie leur

surcoût.

Ce surcoût provient de plusieurs postes qui s’additionnent :

• Deux graines (porte-greffe et greffon) au lieu d’une ;

• opération manuelle délicate de greffage ;

• temps d’occupation plus long des serres de production ;

• faible pourcentage de plants greffés non conformes.

Des combinaisons monDiales

DeUx techniqUes De greffe poUr les pros

Les principales combinaisons utilisées au niveau

mondial sont :

Pastèque/Lagenaria ; Concombre/Courges (C. ficifo-

lia ou hybrides C. maxima x C. moschata) ; Melon/

Courges (hybrides C. maxima x C. moschata)

ou Melon ; Tomate/Hybrides tomate x sauvage ;

Aubergine/Hybrides tomate x sauvage ou Solanum

torvum.

Différentes techniques de greffe sont utilisées par

les professionnels :

• par approche,

• par insertion en fente, avec une aiguille, ou en

tube.

Des robots ont été développés dans plusieurs pays

pour réduire le coût du greffage mais ils sont

encore relativement peu utilisés.

fixation du greffon sur Le porte-greffe - © d.r. iL est conseiLLé au jardinier amateur de se procurer des pLantes greffées à deux têtes, comme ce pLant de tomate - © d.r.

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8Nos conseils pratiques - Jardins de France 637 - Septembre-octobre 2015

Le greffage a été rapidement adopté par les professionnels

pour la production de tomates sous serres. Le développe-

ment de l’utilisation de plants greffés par les amateurs est

beaucoup plus lent. De nombreux jardiniers amateurs sont

découragés par le prix d’achat qui leur semble exagéré par

rapport aux plants classiques. Par ailleurs, les jardiniers

amateurs hésitent à modifier leurs pratiques et ne peuvent

alors bénéficier des progrès apportés par les plants greffés.

— conseiLs pour cuLtiver un Légume greffé —Pour une pleine réussite assurée, la modification du mode

de conduite de la plante doit être accompagnée d’une adap-

tation de la densité de plantation qui peut être au mini-

mum divisée par deux. Il convient en outre de proscrire

tout excès d’apport d’azote qui renforce le risque d’excès de

végétation et rend la plante fragile. L’irrigation doit égale-

ment être limitée afin de favoriser l’apparition de fleurs au

détriment d’un feuillage trop abondant.

Pour greffer un pied de tomate sur un pied d’aubergine• Prélever délicatement un gourmand sur un pied de

tomate

• Choisir un plant d’aubergine et le couper à 2-3 cm.

• Fendre le plant d’aubergine qui sera le porte-greffe.

• Tailler le greffon de tomate en biseau.

• Glisser le greffon à l’intérieur de la fente de l’aubergine.

• Fixer avec une pince, du raphia ou du gros scotch.

• Placer à l’abri avec soins pendant une semaine.

Les plants greffés se plantent généralement de mi-mars à

fin avril sous abri et du début à la fin du mois de mai à

l’extérieur, comme les autres plants des mêmes espèces.

Ne jamais enterrer la cicatrice de la greffe, qui se repère à

un léger bourrelet à la base du plant.

— une conduite différente seLon Les Légumes — • Tomates : sur deux têtes, à tuteurer (faire partir les deux

branches si cela n’a pas déjà été fait par le fournisseur

ou en buisson).

• Aubergines greffées : sur trois têtes, à tuteurer.

• Concombres greffés : sur une tête à tuteurer.

• Melons greffés : libre, pas de taille.

• Poivrons greffés : sur trois têtes, à tuteurer.

la recherche DU renDement

Le greffage n’a pas seulement pour but de lutter

contre les maladies du sol (même si c’était son

premier objectif). On greffe aujourd’hui des plantes

cultivées hors-sol, donc théoriquement sans agent

pathogène lié au sol. C’est l’augmentation de

vigueur et de rendement qui est alors recherchée.

tomates greffées - © d.r.

greffage de pLants de poivrons - © d.r.