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Septembre 2004, vol. 4, n° 3 Droit, déontologie et soin 363 J URISPRUDENCE Notes de jurisprudence Gilles DEVERS Avocat au Barreau de Lyon. I – Interruption involontaire de la vie d’un fœtus Cour de cassation, Chambre criminelle, 4 mai 2004, n° 03- 86175 Lors d’un accouchement surveillé par une sage-femme apparaissent des signes inquiétants sur l’enregistrement fœtal. Or, malgré les graves anomalies du rythme cardiaque fœtal révélées par le monitoring, la sage-femme ne prend pas d’initiative particulière et n’appelle pas le médecin. L’enfant à terme est extrait mort, par césarienne. Une plainte pénale est déposée contre la sage- femme. La Cour de cassation estime qu’il y a eu une faute de la sage-femme laquelle a méconnu les dispositions de l’article L 4151-3 du code de la santé publique qui impose aux sages-femmes de faire appel aux médecins en cas d’accouchement dystocique. Mais après avoir reconnu la faute, elle ne prononce pas la condamnation relevant que l’enfant n’était pas né vivant, de telle sorte que les faits ne sont pas susceptibles de qualification pénale. Il s’agit là d’un des débats les plus vifs de ces dernières années, lié à l’existence d’une prévention pénale s’agissant de l’interruption de la vie d’un fœtus. Le droit permet de prononcer deux sanctions pénales, l’homicide involontaire quant l’enfant est né, et les blessures involontaires si les circonstances de l’accouchement ont causé un dommage à la femme. La perte du fœtus peut être sanctionnée mais seulement sur le plan de l’indemnisation dans le cadre de la responsabilité civile ou administrative. Il y a quelques années, des juridictions du fond avaient reconnu la qualification pénale d’homicide involontaire, et la Cour de cassation s’était pro- noncée en sens inverse, par un arrêt d’assemblée plénière du 29 juin 2001. Pour la Cour, la mort d’un enfant, fut-il à terme, imputable à la faute d’imprudence ou de négligence d’un tiers, ne constitue un homicide involontaire que si l’enfant est né vivant avant de mourir. Si l’enfant survit à ses blessures ou aux lésions in- utéro ne serait-ce qu’un instant après sa naissance ou son extraction, la sanction pénale peut être prononcée. Le Parlement avait envisagé de créer une infraction répondant explicitement à la situation avant d’y renoncer. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 mai 2004 confirme que le droit est désormais établi. Pas de sanction pénale pour l’interruption involontaire de la vie du fœtus.

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Page 1: Notes de jurisprudence

Septembre 2004, vol. 4, n° 3 Droit, déontologie et soin 363

J U R I S P R U D E N C E

Notes de jurisprudenceGilles DEVERS

Avocat au Barreau de Lyon.

I – Interruption involontaire de la vie d’un fœtus

Cour de cassation, Chambre criminelle, 4 mai 2004, n° 03-86175

Lors d’un accouchement surveillé par une sage-femme apparaissent des signesinquiétants sur l’enregistrement fœtal. Or, malgré les graves anomalies durythme cardiaque fœtal révélées par le monitoring, la sage-femme ne prendpas d’initiative particulière et n’appelle pas le médecin. L’enfant à terme estextrait mort, par césarienne. Une plainte pénale est déposée contre la sage-femme. La Cour de cassation estime qu’il y a eu une faute de la sage-femmelaquelle a méconnu les dispositions de l’article L 4151-3 du code de la santépublique qui impose aux sages-femmes de faire appel aux médecins en casd’accouchement dystocique. Mais après avoir reconnu la faute, elle neprononce pas la condamnation relevant que l’enfant n’était pas né vivant, detelle sorte que les faits ne sont pas susceptibles de qualification pénale.

Il s’agit là d’un des débats les plus vifs de ces dernières années, lié à l’existenced’une prévention pénale s’agissant de l’interruption de la vie d’un fœtus. Le droitpermet de prononcer deux sanctions pénales, l’homicide involontaire quantl’enfant est né, et les blessures involontaires si les circonstances de l’accouchementont causé un dommage à la femme. La perte du fœtus peut être sanctionnée maisseulement sur le plan de l’indemnisation dans le cadre de la responsabilité civileou administrative. Il y a quelques années, des juridictions du fond avaient reconnula qualification pénale d’homicide involontaire, et la Cour de cassation s’était pro-noncée en sens inverse, par un arrêt d’assemblée plénière du 29 juin 2001. Pourla Cour, la mort d’un enfant, fut-il à terme, imputable à la faute d’imprudenceou de négligence d’un tiers, ne constitue un homicide involontaire que si l’enfantest né vivant avant de mourir. Si l’enfant survit à ses blessures ou aux lésions in-utéro ne serait-ce qu’un instant après sa naissance ou son extraction, la sanctionpénale peut être prononcée. Le Parlement avait envisagé de créer une infractionrépondant explicitement à la situation avant d’y renoncer. L’arrêt rendu par laCour de cassation le 4 mai 2004 confirme que le droit est désormais établi. Pasde sanction pénale pour l’interruption involontaire de la vie du fœtus.

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Droit, déontologie et soin Septembre 2004, vol. 4, n° 3364

II – Faute caractérisée d’une sage-femme

Cour de cassation, Chambre criminelle, 4 mai 2004, n° 03-84648

À la suite de l’accouchement suivi par une sage-femme, un enfant naît avecune écharpe du cordon, un APGAR à 3/10 et doit être réanimé à plusieursreprises. En raison de lésions cérébrales l’enfant souffre d’un gravehandicap physique et de déficiences mentales. La sage-femme qui a suivil’accouchement est condamnée pénalement pour blessures involontaires à18 mois de prison avec sursis et 5 ans d’interdiction d’exercer. Elle forme unpourvoi contre cette décision que la Cour de cassation rejette. Le rapportd’expertise laisse apparaître que la sage-femme n’avait pas réagi malgré laprésence de signes évidents de bradycardie qui apparaissaient sur lemonitoring pendant 17 minutes. Elle avait ensuite débranché l’appareil seprivant ainsi de la possibilité de surveiller les bruits du cœur fœtal. Enfin, ellen’avait pas appelé le médecin à temps malgré une évolution très négative dutravail. Tous ces éléments constituent la faute caractérisée de l’article 121-3alinéa 4 du Code Pénal.

Dans cette affaire, l’enfant est né avec de très lourdes séquelles. La culpabilitéde la sage-femme est prononcée dans le cadre de la causalité indirecte, et pour cefaire la juridiction pénale doit constater une faute caractérisée. Elle retient laconjonction de trois éléments : une absence de réaction face à des signes évidentsde bradycardie, le débranchement de l’appareil de monitoring dans la phase cru-ciale, et l’absence d’appel au médecin alors que la situation le justifiait largement.La sanction prononcée est sévère : 18 mois d’emprisonnement avec sursis, qui nebénéficieront jamais d’une mesure d’amnistie, mais surtout une interdictiond’exercer de 5 ans. Il est assez exceptionnel que la juridiction pénale prononceune interdiction d’exercer pour une faute isolée, ce d’autant plus que les sages-femmes sont organisées en Ordre et qu’une procédure disciplinaire peut être enga-gée. La juridiction ordinale se prononce alors sur l’aptitude à exercer la professionet les suspensions d’exercice qui semblent légitimes. Ceci étant, l’importance dela faute et du préjudice ont justifié cette réaction sévère de la juridiction pénale.

III – Manquement à l’obligation d’information

Conseil d’État, 19 mai 2004, n° 216 039 et 216 040

Un patient est hospitalisé à la suite d’un infarctus du myocarde rudimentaireafin de subir une intervention de revascularisation par double pontage aorto-coronarien. Au cours de l’intervention il est victime d’un arrêt cardiaqueprolongé duquel subsistent de graves lésions cérébrales. Il engage un recourscontre le centre hospitalier sur deux fondements : la faute et l’insuffisance del’information. Sur le premier fondement sa demande est rejetée car l’expertise

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Gilles DEVERS

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ne laisse pas apparaître les éléments de la faute. Il s’agit d’un risque inhérentà l’acte qui ne traduit aucun caractère exceptionnel. En revanche, il est retenuun manquement à l’obligation d’information. L’hôpital n’est pas en mesure deprouver que l’information sur les risques encourus avait été fournie au patient.Il en résulte un dommage, car en l’hypothèse il n’y avait pas d’urgence, et lepatient informé des risques aurait pu différer cette intervention. Mais lacertitude n’est pas établie, et en rapprochant les risques inhérents à l’inter-vention et les risques encourus en cas de renonciation à cette intervention, lajuridiction fixe à 30 % l’indemnisation du préjudice consécutif.

La réalisation d’un risque ne traduit pas nécessairement l’existence d’unefaute, et en l’absence de faute la responsabilité du centre hospitalier n’est pasreconnue. La question du défaut d’information est plus délicate à apprécier.L’hôpital doit apporter la preuve, or il n’est pas en mesure, par des mentionsécrites dans le dossier ou tout autre indice, d’exposer qu’il avait fait part de cerisque, qu’il avait mis en balance les avantages et les risques. Le défaut d’infor-mation engage la responsabilité mais l’indemnisation ne peut être acquise quedans la mesure où elle est la conséquence de ce défaut. Totalement informé, alorsque l’intervention était opportune mais non urgente, le patient aurait-il refusé ?En fonction de tous les éléments réunis dans le dossier, la juridiction ne retientqu’une indemnisation partielle, fixée à 30 %. En cas d’urgence, ou s’il n’avaitpas existé d’alternative il n’y aurait pas eu d’indemnisation. Plus l’alternative estpossible, plus l’information doit être détaillée : le droit rejoint le bon sens.

IV – Responsabilité d’un centre hospitalier pour faute dans l’organisation du service

Tribunal administratif de Rennes, 2 mars 2004, n° 03-861

Un patient subit une intervention chirurgicale dans un centre hospitalierpublic. Trois mois après l’intervention une radiographie montre la présenced’un fil métallique révélant la présence d’une compresse oubliée. Le dossierlaisse apparaître que, pourtant, le compte des compresses per-opératoireseffectué après l’intervention était juste. Le médecin traitant du patient commele centre hospitalier incitent le malade à subir une nouvelle intervention pourretirer cette compresse, mais le patient préfère différer, compte tenu del’absence de gêne ressentie. Sept ans plus tard, survient un abcès pelvien quiimpose une intervention chirurgicale urgente. Au cours de l’intervention, lepatient est victime d’un accident trombo-embolique, dont il résulte pour lui.un dommage important. Il engage un recours contre le centre hospitalier.L’expertise fait apparaître que cet accident serait vraisemblablement survenuun jour ou l’autre, mais que l’intervention chirurgicale a favorisé la survenuede l’accident. Ainsi, la faute initiale qui était le mauvais décompte descompresses trouve un lien de causalité avec le dommage, et la responsabilité

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du centre hospitalier est engagée. Toutefois, le Tribunal relève que le patienta attendu sept ans pour consulter, de telle sorte que l’intervention s’estprésentée dans les plus mauvaises conditions. Par sa carence à se faire soigner,il a aggravé le risque. De telle sorte que l’indemnisation est limitée de moitié.

Un défaut dans le décompte des compresses constitue une faute dans l’orga-nisation du service. L’affaire étant examinée dans le cadre de la responsabilité admi-nistrative, le Tribunal n’a pas à s’interroger pour savoir à qui la faute est imputable,alors que le dossier mentionnait que le décompte avait été effectué. L’hôpital, entant que collectivité, répond des fautes de l’équipe même si celles-ci n’ont pas étéimputées avec précision à l’un ou l’autre. Se posait ensuite la question de la cau-salité. En effet, les médecins soutenaient que l’accident trombo-embolique survenulors de l’intervention résultait d’une malformation et que tôt ou tard elle se seraitmanifestée. Ainsi pour eux, la seconde intervention avait anticipé cet incident, maisla technique opératoire n’en était pas la cause directe. La juridiction écarte cet argu-ment en relevant au contraire la certitude du lien de causalité. Il est certain que ledommage a été causé par l’intervention nécessitée par l’oubli de la compresse.

En revanche, la juridiction fait droit à l’argumentaire du centre hospitalierrelativement à la faute de la victime, et la question intéressera tous les praticiens.L’existence de la compresse oubliée avait été mise en évidence à l’hôpital, lorsd’une radiographie de contrôle trois mois après l’intervention, et le médecin trai-tant avait également été avisé. Le centre hospitalier comme le médecin traitantavaient cherché à convaincre le patient de la nécessité de cette réintervention, maiscelui-ci avait refusé. Il ne subissait alors aucune gêne et n’entendait pas subir unenouvelle intervention chirurgicale. Or, l’évolution était inévitable. Elle a pris formeavec la survenance de l’abcès pelvien. Dès lors l’intervention a eu lieu, mais dansles plus mauvaises conditions. Aussi, pour la juridiction administrative, la fautede la victime a aggravé le dommage dans la proportion de 50 %.

Si le patient a des droits, il a aussi des devoirs et lorsqu’il choisit de ne passe faire soigner, il en assume, au moins pour partie, les conséquences. Parailleurs, les praticiens avaient cherché à le convaincre, mais n’y étaient pas par-venus. Si les médecins sont tenus par un devoir d’information et de conseil, s’ilsdoivent faire preuve de conviction, leur responsabilité n’est pas engagée quantils ne parviennent pas à obtenir l’acceptation des soins. Dans ces démarches, leréalisme et l’engagement des médecins doivent réellement apparaître. Un effortdoit toujours être fait pour convaincre de l’utilité des soins.

V – Hospitalisation sur demande d’un tiers

Conseil d’État, 3 décembre 2003

Une patiente est atteinte de troubles mentaux justifiant une hospitalisationqu’elle refuse. Est mise en œuvre par les praticiens du centre hospitalier

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général une procédure d’hospitalisation sur demande d’un tiers en vue d’uneadmission dans un établissement spécialisé. Aucun proche ne pouvant êtrecontacté, est sollicité l’infirmier général de l’établissement qui établit lademande d’hospitalisation, jouant ainsi le rôle du tiers. La patiente, ainsiadmise au centre hospitalier spécialisé, forme un recours contre cette décision.Le Conseil d’État relève qu’en l’absence de lien de parenté entre le demandeuret la patiente, seule une personne justifiant de l’existence de relationsantérieures à la demande a qualité pour agir dans l’intérêt du patient. Ainsil’hospitalisation est annulée.

L’arrêt rendu par le Conseil d’État le 3 décembre 2003 va obliger les équipeshospitalières à revoir nombre de pratiques qui s’étaient institutionnalisées, en con-trariété avec la loi. Lorsqu’il s’agit de procéder à une hospitalisation sous con-trainte, est privilégiée l’hospitalisation sur demande d’un tiers, ressentie commemoins rude que l’hospitalisation d’office. Très souvent, l’hospitalisation est décidéeau service d’urgence de l’hôpital général. Est alors sollicité un travailleur social ouun cadre infirmier qui remplit la demande d’hospitalisation en tant que tiers, et lepatient est dirigé vers le centre hospitalier spécialisé. Ces pratiques doivent prendrefin, ce qui reviendra à respecter la loi… comme le rappelle le Conseil d’État.

La disposition légale résulte de l’alinéa 2 de l’article L 3212-1 du Code de laSanté Publique : « la demande d’hospitalisation est présentée soit par un membrede la famille du malade, soit par une personne susceptible d’agir dans l’intérêtde celui-ci, à l’exclusion des personnels soignants dès lors qu’ils exercent dansl’établissement d’accueil ».

Une lettre ministérielle DGS/SD6C n° 107 du 10 mars 2002 avait soulignéqu’était nécessaire l’existence d’un lien « parental ou personnel ». Le Conseild’État est encore plus explicite : « la décision d’hospitalisation sans son consen-tement d’une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être prise surdemande d’un tiers que si celui-ci, à défaut de pouvoir faire état d’un lien deparenté avec le malade, est en mesure de justifier de l’existence de relations anté-rieures à la demande lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celui-ci ».Cet arrêt remet en cause les pratiques instituées, qui avaient transformé l’hos-pitalisation sur demande d’un tiers en un mode de gestion de l’urgence. Il fautrevenir à l’esprit du texte, qui reposait sur une démarche venant de la familleou des proches, dans un geste de solidarité et d’altruisme. L’arrêt statue à proposde la décision d’un cadre infirmier, et la décision a valeur de jurisprudence.Même si elle ne le dit pas explicitement, elle remet en cause l’intervention desassistances sociales quand celles-ci n’avaient pas connu préalablement la per-sonne concernée. D’une manière générale, se dégage l’idée d’une implication per-sonnelle et, le cas échéant, l’assistance sociale devrait être en mesure de justifierquelle est la réalité de cette implication. Cette nouvelle jurisprudence n’est qu’unretour à la loi, alors même qu’elle va remettre en cause nombre de pratiques. Sila situation n’est plus praticable, c’est la loi qu’il faudra aménager.