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Médecine palliative Soins de support Accompagnement Éthique (2012) 11, 112—114 NOTES DE LECTURE Perspectives on palliative care for children and young people. A global discourse, R. Pfung, S. Fowler-Kerry. Radcliff oxford, (2010). 328 pp. Les différents auteurs ayant contribués à la rédaction de cet ouvrage consacré aux soins palliatifs pédiatriques posi- tionnent ces derniers comme un « droit de l’homme » de base. L’organisation des soins en général et des soins pal- liatifs en particulier au Royaume Uni, en Roumanie, en Ouganda, en Afrique du Sud sont présentés. Les besoins des familles sont considérés comme essen- tiels et nécessitant des travaux de recherche exemple d’une « recherche narrative » notamment en étudiant les « histoires de vie », tant de l’enfant ou de l’adolescent que de ses parents et de sa famille. La qualité de la prise en charge reposerait non-seulement sur la considération de l’enfant ou de l’adolescent comme sujet de toutes les attentions. L’enfant et l’adolescent étant positionnés au centre de tout projet de soin et de vie. Les auteurs insistent sur la prise en considération des parents et de l’entourage élargi de l’enfant ou de l’adolescent comme participant à l’élaboration et ou à la déclinaison du projet de vie et de soin partagé. Les auteurs proposent des recommandations de pratiques pour faciliter la meilleure résolution possible des situations de crise pouvant être rencontrées en soins palliatifs pédia- triques. L’accompagnement est abordé dans ses diverses dimen- sions et bien entendu doit viser l’enfant, ses parents, la fratrie comme son entourage élargie dont les grands-parents et les amis par exemple. Quelques éléments concernant la diffusion et l’enseignement des soins palliatifs pédiatriques sont également présentés. Cet ouvrage peut être utile pour s’initier à quelques éléments de bases pour pratiquer la démarche pal- liative en pédiatrie. Il peut être une bonne intro- duction avant de se plonger dans l’excellent ouvrage publié par les éditions de l’hôpital universitaire Sainte- Justine de Montréal sous la houlette de Nago Hum- bert. Marcel-Louis Viallard EMASP pédiatrique & adulte, Necker—Enfants-Malades, AP—HP, Paris-V René-Descartes, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 1 er février 2011 doi:10.1016/j.medpal.2011.01.001 Pratique médicale et philosophie de l’expérience au partage. Voyages médico-philosophiques en quête du sens du soin. Michel Geoffroy. Éditions Seli Arslan (2011) À propos de la pratique de la médecine palliative On ne parvient à ce type de soins qu’après une matura- tion psychologique. Pour certains, il s’agit d’une compassion croissante envers les mourants ou d’une attitude de Bon Samaritain envers les plus faibles ; pour les autres, il s’agit plutôt de la prise de conscience de la réalité de l’exercice médical situé tout entier dans l’incertitude et l’imprévisibilité. Passé le temps d’une adhésion à une biomédecine triomphante, passé le temps de désir de séduction d’une clientèle, passé le temps d’un exercice romanesque, en bref passé celui du désire de gloire et de puissance, ces derniers mesurent les limites du pou- voir médical et opèrent une véritable conversion morale et épistémologique. Alors que les diverses disciplines médicales s’évertuent (et prennent pour vertu) de dépouiller l’organe et la maladie du corps, de son environnement psychologique, historique, familial, social ayant donc disséqué, séparé, distingué, isolé, elles doivent, pour être efficaces, être proprement inhumaines—la médecine palliative s’affirme comme la prise en considération de la souffrance totale. Médecins de l’ultime, qui se reconnaître et s’assure comme impuissante face à l’échéance mortelle, elle rend le soignant modeste. Médecine du temps qui reste, elle s’inscrit dans une tempo- ralité qui est celle du patient (p. 30). La rencontre, c’est-à-dire la coprésence à l’autre exige bien plus que la simple simultanéité qui suffit à la relation. Alors que celle-ci est intemporelle et peut se produire dans l’instant, celle-là nécessite une durée dont le temps été de quantité quelconque mais de qualité infinie (p. 32). 1636-6522/$ see front matter

Notes de lecture

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Les besoins des familles sont considérés comme essen-iels et nécessitant des travaux de recherche exemple’une « recherche narrative » notamment en étudiant les

histoires de vie », tant de l’enfant ou de l’adolescent quee ses parents et de sa famille.

La qualité de la prise en charge reposerait non-seulementur la considération de l’enfant ou de l’adolescent commeujet de toutes les attentions. L’enfant et l’adolescent étantositionnés au centre de tout projet de soin et de vie. Lesuteurs insistent sur la prise en considération des parents ete l’entourage élargi de l’enfant ou de l’adolescent commearticipant à l’élaboration et ou à la déclinaison du projete vie et de soin partagé.

Les auteurs proposent des recommandations de pratiquesour faciliter la meilleure résolution possible des situationse crise pouvant être rencontrées en soins palliatifs pédia-riques.

L’accompagnement est abordé dans ses diverses dimen-ions et bien entendu doit viser l’enfant, ses parents, laratrie comme son entourage élargie dont les grands-parentst les amis par exemple.

Quelques éléments concernant la diffusion et’enseignement des soins palliatifs pédiatriques sontgalement présentés.

Cet ouvrage peut être utile pour s’initier à quelquesléments de bases pour pratiquer la démarche pal-iative en pédiatrie. Il peut être une bonne intro-uction avant de se plonger dans l’excellent ouvrageublié par les éditions de l’hôpital universitaire Sainte-ustine de Montréal sous la houlette de Nago Hum-ert.

Marcel-Louis ViallardEMASP pédiatrique & adulte,

Necker—Enfants-Malades, AP—HP, Paris-V

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René-Descartes, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris,France

Adresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 1er février 2011oi:10.1016/j.medpal.2011.01.001

Pratique médicale et philosophie de l’expérience aupartage. Voyages médico-philosophiques en quête dusens du soin. Michel Geoffroy. Éditions Seli Arslan(2011)

propos de la pratique de la médecinealliative

n ne parvient à ce type de soins qu’après une matura-ion psychologique. Pour certains, il s’agit d’une compassionroissante envers les mourants ou d’une attitude de Bonamaritain envers les plus faibles ; pour les autres, il’agit plutôt de la prise de conscience de la réalité de’exercice médical situé tout entier dans l’incertitude et’imprévisibilité. Passé le temps d’une adhésion à uneiomédecine triomphante, passé le temps de désir deéduction d’une clientèle, passé le temps d’un exerciceomanesque, en bref passé celui du désire de gloire ete puissance, ces derniers mesurent les limites du pou-oir médical et opèrent une véritable conversion morale etpistémologique.

Alors que les diverses disciplines médicales s’évertuentet prennent pour vertu) de dépouiller l’organe et la maladieu corps, de son environnement psychologique, historique,amilial, social ayant donc disséqué, séparé, distingué,solé, elles doivent, pour être efficaces, être proprementnhumaines—la médecine palliative s’affirme comme la prisen considération de la souffrance totale. Médecins de’ultime, qui se reconnaître et s’assure comme impuissanteace à l’échéance mortelle, elle rend le soignant modeste.édecine du temps qui reste, elle s’inscrit dans une tempo-

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Notes de lecture

La question du double effet des traitements (parfoissoulageant, parfois mortels, parfois l’un et l’autre) estune ligne de fracture apparemment infranchissable entreceux qui défendent la possibilité (légale) d’avoir recoursà l’euthanasie et ceux qui refusent le droit (moral) de lapratique. . .

L’éthique en acte est toujours inconfortable quand ellese refuse à n’être que l’application de la loi positive ou decelle, assez simple, d’un Code de déontologie.

Détours exotiques

« Je visais continuellement l’excellence, l’arrêté » commeaurait dit Aristote, c’est-à-dire la vertu (p. 60).

La morale médicale moderne qui est celle de la méde-cine de soins, si elle prend de plus en plus conscience ducaractère tragique des cas individuels et même des optionsthérapeutiques, tient en revanche difficilement compte desdilemmes tels qu’ils se présentent dès que non plus sim-plement l’individu est concerné mais la multitude (p. 61).La morale aristotélicienne, qui est le moule sur lequel s’estfondée par la suite une bonne partie de la morale occiden-tale, laisse entrevoir toutefois une possibilité d’intégrer lasituation tragique dans la morale de l’éminence vertueuse(arrêté).

Pour le philosophe grec, la mère de toutes les vertusest la « phronésis » qui est plus que la « prudence », elledit quand il faut être courageux et quand il faut, dansla bataille savoir battre en retraite. . .. On peut parfoisabandonner !

C’est dire que la phronésis est une vertu éminemmentpolitique, consubstantielle à l’homme, elle fait de lui un« moon politikon », un animal politique, et lui donnant lapossibilité de dépasser éventuellement les catégories habi-tuelles, lui permettant dans la tragédie le plus souvent detrancher (p. 61—2).

Parcours philosophique

La pratique médicale comporte toujours intrinsèquement lequestionnement « que dois-je faire pour bien faire ? » qui estla définition même de l’éthique ?

Pour entrer en philosophie, il faut ancrer sa réflexiondans une réalité pratique. Le danger de la mode actuellede l’éthique est de se contenter d’additionner des référen-tiels, des guides de bonnes pratiques, des procédures, desrègles, des chartes, etc.. . . cela l’isole du champ des pré-occupations réelles et pratiques et transforme l’éthique enune sorte d’éthologie normative.

Des textes, la pensée plus théorique viennent en ren-fort d’une épistémologie. La fréquentation de la vie et de lamort, facilite la pose des trois questions que Kant assignait àla philosophie : « que puis je connaître ? Que puis je croire ?,que puis espérer ? » (p. 69).

Le temps des uns et le temps des autres

Le temps des entourages se morcelle en unité de temps,sécable, morcelable, comptable donc, le temps du malade

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st celui de la contemplation. . . seul, pour eux n’existe véri-ablement que le présent puisque le passé n’est plus et’avenir n’est pas encore (Saint-Augustin, confessions, livreI, chapitre 14).

Le présent est mesurable mais pas comptable car dès que’on compte, on quitte le présent pour entre dans le passéu le futur qui n’ont plus ou pas encore de réalité (p. 76).

La rencontre : la rencontre a un lieu et un temps (p. 78).La patiente : la patience est le temps qui facilite la ren-

ontre (p. 80—2).

édecines en actes

ette médecine de la postmodernité est apparue plusomme une folie qu’un accomplissement et a suscité uneédecine palliative (p. 100).Avant de dire que (la) méthode cartésienne de la sépa-

ation entre le corps et l’âme nous fait manquer ce quionstitue l’homme en son humanité (qui est précisémentonstituée par leur union substantielle) avant de reconnaîtreue cette objectivation du corps et cette réification de laouffrance obligent les médecins à oublier le malade au pro-t de la maladie, à ne plus considérer la maladie elle-mêmeue comme un processus physico-chimique mathématisable,vant même que de regretter ce qui a été au passage, perduu oublié, il faut reconnaître les bienfaits et les résultats dea médecine moderne postcartésienne.

S’il faut le reconnaître, la question du sens de la vie, son télos », et celle de la valeur de sa prolongation sont delus en plus oubliées, nul ne peut pour autant regretter quea durée moyenne ait quasi doublé depuis un siècle, et nule peut affirmer sérieusement que les anciens para chiquesédicaux auraient pu ajouter ces résultats à une conceptione la médecine plutôt qu’une médecine de l’homme décom-osé, une médecine de l’homme spirituel plutôt qu’uneédecine de la mécanique biologique (p. 106—7).

yppocrate et la médecine

ans son traité « des épidémies », Hippocrate pose la règlees « 3 M » qui stipule que l’on ne doit jamais oublier, si l’oneut être médecin, aucune des trois choses : le malade, leédecin et la maladie.De la part de l’auteur de la théorie des humeurs, dans

e sens exclusivement épistémologique, un patient de bileaune (présentant un « mal sacré » ou épilepsie) ne peut êtreraité par un médecin de bile noire.

L’art de la médecine est décrit comme une rela-ion non pas duelle (médecin-maladie) mais trinitairemédecin—maladie-malade). Il est instauré d’emblée, uneédecine de rencontre et non seulement de « theoria »

contemplation). Aristote précise au plan philosophique :our le stagirite, il faut distinguer entre l’arkhitektonikosui contemple la science (professeur de médecine, médecinavant) et le démiourgos (médecin pratiquant).

Le démiourgos fait des postulats :

la médecine et la pensée de la médecine ne sont pasréservées aux médecins ;les « charlatans » sont démasqués par leur confusion entremédecine et religion ;

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la vie est courte, la médecine est vaste, l’expériencetrompeuse et l’occasion fugitive : la science (logos) quicontemple les essences et l’universel, ne suffit pas. Ilfaut lui ajouter le « kairos » (acte de saisir justementl’occasion fugitive) et la « phronésis » (prudence) qui estla vertu cardinale du praticien.

Le bon praticien ou praticien « prudent » connaît sesimites comme celles d’accomplissement de toutes choses.l connaît les bornes à ne pas dépasser sous peine de seonfronter à l’informe, l’indéterminé, l’infini (apeiron) enombant dans l’excès, la démesure (p. 107—9).

La médecine ne doit pas faire plus mal, par une interven-ion intempestive, que ce que la nature fut-elle déréglée, aroduit (d’avance pas nuire).

Au fond, il est plus important de prévenir que de guérir.La médecine a pour but de rétablir l’ordre initial, elle

e peut être (pour les grecs) que « cosmétique ». L’éthique’Aristote est une éthique de la perfection et non de laerfectibilité.

Au fond, le médecin peut réparer la créature, son anato-ie, ses dysfonctionnements (p. 110—3).La médecine postmoderne ne se contente pas d’être

écaniciste, elle devient « hyper-mécaniciste ». Elleépasse l’idée de maîtrise par celle d’hypermaîtrise (p.14—5). La civilisation de la mécanisation accomplit cetteerformance de faire croire aux consommateurs que leroduit qu’ils désirent et qu’ils ont choisi est originalt unique, alors qu’il a été fabriqué à d’innombrablesxemplaires (p. 116).

Si la maîtrise de certaines situations pathologiques a per-is une considérable augmentation de l’espérance de vie,

lle n’en va pas sans quelques ratés ré introduisant le tra-ique qui semblait pour un temps éloigné.

(Dans certaines situations cliniques) il est fréquentu’aucun facteur prédictif ne permette de décider en touteonnaissance de cause. (Car rien, objectivement, ne permet

e dire quoi que ce soit sur l’évolution du malade dans saapacité à vivre sa vie).

Les médecins conduit par un déterminisme dont ils neeuvent pas connaître les causes et leur enchaînement, se d

Notes de lecture

rouvent dans la situation des héros tragiques de la Grècentique, c’est-à-dire risquant de faire mal, de faire le mal,uoiqu’ils décident. Ils ne peuvent qu’assister, trop sou-ent impuissants, à ce qu’ils avaient si ardemment tente’éviter : une situation totalement aporétique, tragique,atalement tragique (p. 119).

Quant la maîtrise prépromettait la technique ne suffitas, afin d’éviter la tragédie, il existe une solution : c’est’hypermaîtrise. Franchir les bornes de ce que permettaientusqu’ici la déontologie et l’éthique médicale et faire ce queieu, s’ils y croient et surtout s’il était conséquent, auraitû accomplir : faire mourir le malade. Le passage à l’acteéalisé, le problème est supprimé, la tragédie est évitée.

Puisqu’on n’a pu contrôler la maladie, au moins hyper-ontrôlons la mort (p. 119).

La médecine peut tout soigner, si par malheur elle échoue sauver la vie, elle doit réparer, ou en tout cas atténuer,n évitant à tout prix la tragédie que représente l’extrêmeulnérabilité (p. 120).

La médecine palliative revendique l’accomplissement etrend en compte le sujet dans sa globalité. Elle refuse’hypermaîtrise (p. 121). Pour que le sujet puisse accepter’autre, il lui faut être fragile, c’est-à-dire, il lui faut êtrene personne. La différence entre sujet et personne ne doitas être ni seulement circonstancielle, ni psychologique, nixistentielle, mais doit bien-être de nature ontologique.

Le sujet malade est prêt, la personne comporte au sein’elle-même une inquiétante étrangeté. L’expression de saature est difficile parce qu’elle nécessite de parler de ceont il est impossible de parler : l’être (p. 150).

Marcel-Louis ViallardEA 4569, EMASP pédiatrique & adulte, hôpital

Necker—Enfants-Malades, AP—HP, Paris Descartes,Sorbonne Paris-Cité, 149, rue de Sèvres, 75007

Paris, France

Adresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 10 février 2012oi:10.1016/j.medpal.2011.12.002