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Revue française de psychanalyse (Paris) Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque Sigmund Freud

Notes Sur Le Bloc-note Magique - Freud

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Teste de Freud de 1925

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  • Revue franaise depsychanalyse (Paris)

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque Sigmund Freud

  • Socit psychanalytique de Paris. Revue franaise de psychanalyse (Paris). 1927.

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  • BLOC MAGIQUE

    Sigmund FREUD, Notice sur le bloc magique (trad. de l'allemandpar Ilse BARANDE et Jean GILLIBERT) 1107

    Claude LE GUEN, Quand je me mfie de ma mmoire... unPierre SULLIVAN, Meurtre et mmoire 1141

    Ren HENNV, De l'aphasie la psychanalyse 11 57

    Didier ANZIEU, Quelques prcurseurs du Moi-peau chez Freud 1163

    Jacques CAN, L'anniversaire et sa magie 11 87Jacqueline COSNIER, A propos du bloc magique : la topique et

    le temps 1199

    Denise BRAUNSCHWEIGet Michel FAIN, Bloc et lanterne magiques 1221

    Ruth HAYWARD, Commentaires sur le bloc magique 1243

    Jean GILLIBERT, De la table, du bloc, de l'appareil : quand Psychest magique 1261

    RFP 37

  • SIGMUND FREUD

    NOTICE SUR LE BLOC MAGIQUE*

    Quand je me mfie de ma mmoire le nvros ne s'en prive pas et lenormal pourrait bien l'imiter je peux complter et tayer cette fonction enprenant le soin d'tablir un document crit. La surface qui conserve cetteinscription ardoise ou feuille est alors une matrialisation de l'appareil mmoriel 1, autrement invisible en moi. Pour peu que je sache le lieu o le souvenir ainsi fix a t rang, je peux alors le reproduire souhait, srqu'il est inchang et qu'il a donc chapp aux dformations qu'il aurait peut-tre subies dans ma mmoire.

    Si j'utilise gnreusement cette technique en vue d'amliorer ma mmoire,je remarque qu'il y a deux faons de faire. D'une part je peux choisir une sur-face qui conservera indfiniment la notation qui lui est confie, soit le papier etl'encre. J'obtiens alors une trace mnsique durable . L'inconvnient de ceprocd est que la surface est rapidement puise. La feuille couverte d'criture,sans espace disponible pour une nouvelle inscription, me contraint utiliser uneautre feuille vierge. De plus, l'avantage de ce procd qui fournit une tracedurable peut perdre de sa valeur si je n'ai plus d'intrt pour cette notationet si je ne veux plus la conserver dans ma mmoire . L'autre procd ne pr-sente pas cesimperfections. Par exemple, si j'cris avecde la craie sur une ardoise,je dispose d'une surface rceptrice qui le reste indfiniment et dont les inscrip-tions peuvent tre dtruites ds qu'elles ne m'intressent plus, sans que j'aie me dbarrasser 2 de l'ardoise. L'inconvnient, ici, c'est que je n'obtiens pasune trace durable. Une nouvelle notation exige que j'efface la premire. Lestechniques que nous utilisons comme substituts de notre mmoire montrentdonc l'incompatibilit entre la rception illimite et la conservation de tracesdurables ; ou bien la surface doit tre renouvele ou bien l'inscription dtruite.

    Les appareils auxiliaires, invents pour amliorer nos fonctions sensorielles,sont tous construits comme des organes sensoriels ou certaines de leurs parties(lunettes, camra photographique, cornet acoustique, etc.). En comparaison,les auxiliaires de notre mmoire semblent particulirement dfaillants, car notreappareil psychique peut ce que ceux-ci ne peuvent pas ; il est mdfinimentrcepteur pour des perceptions toujours nouvelles et fabrique cependant destraces mnsiques durables de ces perceptions... qui n'en sont pas pour autant

    * Trad. de l'allemand par Ilse BAEANDE et Jean GILLIBERT. (GW, XIV, 3-8; SE, XIX,225-232.)

    1. Erinnerungsapparat.2. Verwerfen.

    Rev. franc. Psychanal., 5/1981

  • 1108 Sigmund Freud

    l'abri de modifications. Ds La science des rves (1900) j'ai suppos que cetteaptitude inhabituelle tient la performance de deux systmes diffrents (organesde l'appareil psychique). Nous possderions un systme P-Cs qui rceptionne-rait les perceptions mais n'en conserverait aucune trace durable, se comportantvis--vis de toute nouvelle perception comme une feuille vierge. Les tracesdurables des excitations s'emmagasineraient dans des systmes mnsiquessous-jacents . Plus tard, dans Au-del du principe de plaisir, j'ai complt enfaisant remarquer que le phnomne inexplicable de la conscience se produiraitdans le systme perceptif en lieu et place des traces durables.

    Il y a quelque temps, sous le nom de bloc magique, un petit article estapparu sur le march qui promet de faire mieux que le papier ou l'ardoise. Cebloc ne prtend pas tre autre chose qu'une tablette dont les inscriptions peu-vent tre effaces facilement. Si on l'examine de prs, sa construction rvle uneconcidence remarquable avec la constitution de notre appareil perceptif tel queje l'ai suppos et dmontre qu'il peut vraiment fournir aussi bien une surfacerceptrice toujours prte que des traces durables des inscriptions rceptionnes.

    Le bloc magique est une tablette de rsine brune ou de cire, enchsse dansun rebord de papier et sur laquelle est pose une feuille mince et translucide ;elle est fixe la tablette de cire en haut et librement applique en bas. Cettefeuille est la partie la plus intressante du petit appareil. Elle est faite de deuxcouches dtachables l'une de l'autre sauf le long de leurs bords transversaux,la couche superficielle est en cellulod transparent, l'autre est une feuille mincede papier imprgne de cire, translucide. Lorsqu'on n'utilise pas l'appareil, lafeuille imprgne de cire adhre lgrement la tablette.

    On utilise ce bloc magique en portant l'inscription sur la feuille de cellulod ;pour cela, point n'est besoin d'un crayon ou d'une craie, puisque aucune matiren'est abandonne la surface. Il s'agit d'un retour l'criture des Anciens surl'argile et la cire ; un stylet pointu rafle la superficie et son trac en creuxconstitue l' criture . Avec le bloc magique, ce procd n'est pas direct; il sefait par l'intermdiaire de la feuille de cellulod ; aux endroits o il touche, lestylet applique la face infrieure du papier de cire sur la tablette de cire et cestraits deviennent visibles comme criture sombre sur la surface habituellementlisse et gristre du cellulod. Pour dtruire l'inscription, il suffit de dtacherd'un geste lger les deux feuillets de la tablette de cire. Le contact intime entrele papier imprgn de cire et la tablette au niveau des endroits rafls ce quia donn heu l'criture visible est ainsi lev. Il ne se reconstitue pas lorsqueles surfaces se touchent nouveau. Le bloc magique est libre d'criture et toutprt recevoir de nouvelles inscriptions.

    Les petites imperfections de cet appareil n'ont bien sr pas d'intrt pournous, puisque nous ne retenons que sa parent avec la structure de l'appareilpsychique de perception.

    Le bloc tant rempli, si on dtache avec prcaution la feuille de cellulod dela feuille de cire, l'criture est tout aussi lisible la surface de cette dernire et

  • Le bloc magique 1109

    on peut se demander quelle peut bien tre l'utilit de la couverture de cellulod.Un essai prouve alors que le mince papier serait trs facilement pliss ou dchirsi on le marquait directement avec le stylet. La feuille de cellulod constituedonc pour le papier de cire une protection qui lui vite d'tre endommag. Lafeuille de cellulod est donc la surface qui protge des excitations 3, la coucheproprement rceptrice, c'est la feuille de papier imprgne de cire. Je puis merfrer au fait que dans Au-del du principe de plaisir, j'ai indiqu que notreappareil perceptif psychique est fait de deux couches, l'une priphrique, prot-geant des excitations, dont le rle est de rduire l'importance des stimulationsqui surviennent, l'autre une surface rceptrice sous-jacente, le systme Per-ception-Conscience.

    Cette analogie aurait peu de valeur si nous ne pouvions la poursuivre. Sou-lve-t-on les deux feuilles de dessus (cellulod et papier de cire) en les dtachantde la tablette, l'criture disparat et ne reparatra plus par la suite. La surface dubloc magique est vierge et donc propre l'criture. Mais il est facile de constaterque la trace durable de l'crit est conserve sur la tablette de cire et lisible sousun clairage appropri. Le bloc livre donc non seulement une surface indfini-ment utilisable comme l'ardoise, mais encore des traces durables comme lepapier ordinaire ; il accomplit de ce fait deux tches en les rpartissant sur deuxparties systmes distinctes mais relies entre elles. Selon l'hypothse que j'aimentionne, c'est l la faon mme dont notre appareil psychique s'acquitte dela fonction perceptive. La couche rceptrice, c'est--dire le systme Perception-Conscience, ne forme pas de traces durables. Les bases du souvenir se consti-tuent dans des systmes autres, adjacents.

    Nous ne serons pas troubls du fait que les traces durables des inscriptionsreues par le bloc magique ne sont pas utilises. Il nous suffit qu'elles existent.Il faut bien que l'analogie entre un tel appareil auxiliaire et l'organe pris commemodle ait une fin. D'ailleurs, le bloc magique ne peut pas reproduire dudedans l'criture une fois dissipe ; il serait vraiment magique s'il pouvait yparvenir l'gal de notre mmoire. Cependant, il ne me semblerait pas tropaudacieux de mettre sur un pied d'galit la couverture faite de cellulod etde papier de cire et le systme P-Cs avec sa fonction protectrice d'une part,la tablette de cire avec l'inconscient sous-jacent d'autre part, l'apparition et ladisparition de rcriture, enfin avec l'illumination et le dclin de la conscience aucours de la perception. Je le confesse, je suis tent de pousser encore plus loin lacomparaison.

    L'inscription porte sur le bloc magique disparat rgulirement lorsque lecontact intime entre le papier rcepteur de l'excitation et la tablette de cire quien conserve l'impression est lev. C'est ainsi que je me reprsente depuis long-temps le mode de fonctionnement de l'appareil perceptif psychique, mais jus-qu'alors je l'ai gard pour moi. J'ai suppos que les investissements de l'inner-

    3. Reizschutz (traduit par M. TORT par pare-excitation ; cf. Inhibition, symptmeet angoisse,PUF).

  • 1110 Sigmund Freud

    vation sont envoys, par -coups rapides et priodiques depuis l'intrieur jusquedans le systme P-Cs parfaitement permable puis nouveau retirs. Tant quele systme est ainsi investi, il reoit des perceptions s'accompagnant de cons-cience et convoie l'excitation jusque dans les systmes mnsiques inconscients ;ds que l'investissement est retir, la conscience s'teint et le systme ne rend plus. Tout se passe comme si par l'intermdiaire du systme P-Cs l'inconscientdveloppait des tentacules vers le monde extrieur, retirs aussitt aprs enavoir got les stimulations. Les interruptions d'origine extrieure pour le blocmagique me semblaient donc ici dues la discontinuit du flux d'innervation etau lieu d'une vritable leve du contact j'ai suppos l'inexcitabilit priodiquedu systme perceptif. J'ai, de plus, apprhend que cette faon d'oeuvrer dis-continue du systme P-Cs fonde la constitution de la reprsentation du temps.

    A imaginer que d'une main on couvre d'criture la surface du bloc magiqueet que de l'autre on dtache priodiquement les feuillets superficiels de latablette de cire, on rend sensible la faon dont j'ai voulu me reprsenter l'activitde notre appareil psychique perceptif.

  • CLAUDE LE GUEN

    QUAND JE ME MEFIE DE MA MMOIRE...

    (Essai pour en finiravec les thories de l'inscription) 1

    Rien ne nous garantit que notre mmoire soit fidle ; nous cdons,bien plus que de raison, l'obsession de lui faire confiance 2. Ainsinonce dans l'ouvrage princeps, cette grande dfiance l'gard de lammoire conduisit Freud comprendre les trous et les rats du souvenir ;elle demeure l'une des ides-forces de son oeuvre, l'un de ses moteurs,l'une de ses constantes.

    Quand je me mfie de ma mmoire le nvros ne s'en prive pas,et le normal pourrait bien l'imiter... , reprend-il en 1925 pour intro-duire une Notice sur le bloc magique 3.

    Cet articulet qui se prsente comme un divertissement, uneoeuvre mineure partage avec celui sur La dngation le privilged'tre rfr par nombre d'auteurs (en France tout au moins) dans uneproportion inverse au peu de pages qui le constituent. Le paradoxe estici renforc de ce que la moiti de ses quatre feuillets sont consacrs la description et au dmontage du gadget qui en fournit l'occasion.

    Mis part l'anne de sa rdaction (1925), la similitude avec Ladngation semble pourtant s'arrter l : ce dernier texte introduitun concept nouveau et majeur, alors que le Bloc magique paratreprendre, pour l'essentiel, une thse que l'on pouvait croire abandonne.L se situe sans doute sa plus grande singularit (peut-tre mmela raison de son audience) ; l se trouve ce qui justifie que l'on aille yvoir de plus prs.

    1. Ce texte est l'bauche d'un chapitre de Thorie de la mthode psychanalytique (t. II deLa dialectique freudienne), coll. Le Fil rouge ", Paris, PUF (ouvrage actuellement en prparation).

    2. S. FREUD, L'interprtation des rves, PUF, 1967, p. 439.3. J'utilise la traduction de I. BARANDE et J. GILLEBERT, telle qu'elle figure dans ce mme

    numro de la Revue. Etant donn l'extrme brivet de ce texte, les citations que j'en feraine seront pas rfres en bas de page.

    Rev. franc. Psychanal., 5/1981

  • 1112 Claude Le Guen

    Ce qui est ainsi rfr n'est rien d'autre que la thorie de l'inscription.Non pas celle de la deuxime inscription que Freud finit decondamner explicitement ds la Mtapsychologie pour ne plus la rhabi-liter, mais bien celle qui la prcde, l'autorise et lui survit, telle qu'onla peut voir resurgir pisodiquement tout au long de l'oeuvre (mmes'il est vrai qu'elle apparat surtout dans les premires annes, pourtendre disparatre aprs 1920). C'est ainsi que des auteurs aussi srieuxet consquents que Laplanche et Pontalis sont conduits la nommer voire la privilgier dans de nombreux articles de cet indispen-sable monument qu'est leur Vocabulaire de la psychanalyse, ne laissantgure alors de citer le Bloc magique .

    Nous sommes ainsi placs au coeur de l'une de ces contradictionssi frquentes et sans doute si fcondes dans l'laboration freu-dienne.

    Car ce qui est ainsi repris n'est rien d'autre que l'essence mme dece qui fut rejet dans l'Esquisse d'une psychologie scientifique. On le sait,cette merveilleuse machine qui ne tarderait pas fonctionner d'elle-mme tant en elle les rouages s'engrenaient , fut renie un moisplus tard : Je n'arrive plus comprendre l'tat d'esprit dans lequelje me trouvais quand j'ai conu [cette] psychologie , a me sembletre une sorte d'aberration 4. Il est hautement significatif que ce soitsur le refoulement que vint ainsi se casser une si belle mcanique.

    Certes, l'Esquisse est, selon le mot de Jones, un tour de force , un brillant exemple des facults d'abstraction [de Freud] et de rai-sonnement rigoureux 5 et c'est bien l ce qui fait qu'elle nous fascineencore. Assurment, elle jette une lumire sur un grand nombre deses conceptions ultrieures 6 d'o son intrt incomparable dansl'histoire de la psychanalyse. Mais si l'objet d'tude est bien dj celuiqui occupera toute la vie de Freud, et si certains termes sont dj enplace, leur destination smantique sera bouleverse et la voie d'approchesera radicalement change, tout comme la mthode qui l'exploite. Cequi est alors rejet est la topologie anatomique et la physiologie desneurones comme modles de rfrence ; elles sont remplaces par la

    4. S. FREUD, Naissance de la psychanalyse, PUF, 1956, lettre 32 du 20 octobre 1895 et lettre 36du 29 novembre 1895.

    En fait, et en dpit du mpris (Jones) qu'il tmoigne dsormais son Esquisse et samachinerie, Freud tentera pendant plus d'une anne de l'amliorer en la maintenant dans lemme cadre de l'anatomo-physiologie crbrale, comme s'il entendait se bien convaincre del'impasse.

    5. E. JONES, La vie et l'oeuvre de S. Freud, t.1, PUF, 1958, p. 420.6. Ibid.

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1113

    seule approche psychologique ou, pour tre plus prcis, par la cra-tion d'une voie nouvelle totalement indpendante de toute explicationorganique, voie nouvelle qui est celle de la psychanalyse dont l'impratifest de se tenir distance de toute prsupposition d'ordre anatomique,chimique ou physiologique [on en pourrait, de nos jours, ajouter quel-ques autres...] et ne travailler qu'en s'appuyant sur des notions pure-ment psychologiques 7.

    C'est ce qui permet au chapitre VII de L'interprtation des rvesd'tre tout la fois si proche de l'Esquisse, et de lui demeurer parfai-tement tranger (ceux qui seront tents de chercher chez Freud lafameuse coupure pistmologique chre Bachelard et revigorepar Althusser , la pourront reprer entre ces deux textes, et nullepart ailleurs). Pourtant, une trompeuse familiarit entre les deux estentretenue par l'indiffrence de Freud l'gard des mots eux-mmes :c'est ainsi qu'il va conserver ceux, familiers pour lui, de l'anatomo-physiologie, mais pour en transformer foncirement le sens. Il faut bienconvenir que pareil dtachement des pesanteurs smantiques putprter quelques malentendus...

    Et parmi ces termes, il en est un qui malgr tout ce qu'il traned'une pense neuro-physiologique prime s'avre fort commodepour rendre compte de la remmoration et de l'oubli : c'est celui detrace mnsique, avec son corollaire d'inscription (ou de transcription).Il fait tellement image qu'il parat aller de soi ; sa force de suggestionanalogique est telle que l'on ne voit pas trs bien, a priori, par quoile remplacer supposer qu'il le faille changer. Mais s'il doit se garder,ce ne pourra tre qu'au prix d'une vigilance incessante l'gard desdvoyantes mtaphores qu'il fomente.

    Or donc, ce dont traite le Bloc magique est de la mmoire dans sonrapport la conscience, non pas tant dans le processus de remmorationqui se reprsente en souvenirs, que dans l'appareillage mental cens yprocder ; c'est pourquoi ce qu'il rfre est la conservation de l'criture(et non pas l'crit !).

    Ce que Freud parat retrouver dans les deux feuillets de cellulodet de papier cir d'une part, d'autre part dans la tablette de cire sup-poss homologues des deux couches de l'appareil psychique (celle dupare-excitation et celle, rceptrice, de la perception-conscience), et del'inconscient avec la mmoire n'est apparemment rien d'autre que ladistinction entre les neurones

  • 1114 Claude Le Guen

    situs la priphrie du cerveau, et les neurones ty, impermables,[dont] dpendent la mmoire et [...] les processus psychiques engnral , identifis la substance grise du cerveau 8.

    Mais, aprs tout, ces retrouvailles n'taient-elles pas dj indiquesdans Au-del du principe de plaisir

    9 : Comme la conscience fournitprincipalement des perceptions d'excitation venant du monde extrieuret des sensations de plaisir et de dplaisir qui ne peuvent parvenirque de l'intrieur de l'appareil psychique, on est autoris attribuerau systme Perception-Conscience une position spatiale [...]. Mais nousnous apercevons aussitt que toutes ces dfinitions ne nous apprennentrien de nouveau, qu'en les formulant nous nous rattachons l'ana-tomie crbrale avec ses localisations... 10 ? La rminiscence n'a, danscet expos, qu'une vise mtaphorique et elle va tre abandonne, ne nous apportant rien de nouveau , quitte se voir ensuite claire en tant qu'illustration par le recours au modle thorique abstraitde la boule protoplasmique pour figurer la constitution de l'individuet son dveloppement psychique par rapport au monde extrieur phy-sique, ainsi que le fonctionnement de ces rapports, toutes ces imagestant destines fournir un appui nos hypothses mtapsychologiques, les illustrer tout au moins 11 (on peut d'ailleurs remarquer que le Bloc magique va reprendre une image directement apparente celle de la boule protoplasmique et, comme elle, inspire de la compa-raison avec l'amibe, dj utilise : Tout se passe comme si, par l'inter-mdiaire du systme P-Cs, l'inconscient dveloppait des tentaculesvers le monde extrieur, retirs aussitt aprs en avoir got lesstimulations ).

    Pourtant, il en va autrement avec le procd d'exposition suivi dansce dernier texte : il parat bien tendre reprsenter une inscriptionmatrialise par un modle mcanique, reprenant effectivement lamachinerie anatomique de l'Esquisse. Au point que (et en dpit desmises en garde contre les analogies, si souvent rptes dans d'autrestextes, mais absentes de celui-ci) l'on a bien souvent l'impression queFreud voit, dans ce petit appareil apparu sur le march et qui prometde faire mieux que le papier et l'ardoise , beaucoup plus qu'uneillustration de la faon dont [il a] voulu reprsenter la fonction de

    8. S. FREUD, Naissance de la psychanalyse, op. cit., p. 320 et 323.9. S. FREUD, Essais de psychanalyse, Paris, Payot. Dans le " Bloc magique , Freud s'y rfre

    d'ailleurs explicitement, l'associant au 7e chapitre de L'interprtation des rves.10. Ibid., p. 29-30.11. Ibid., p. 32 38.

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1115

    notre appareil psychique perceptif , qu'il lui attribue une vritablevaleur de modle mcanique.

    Devant la force de telles apparences, il convient d'autant plus dereconnatre les limites, explicites et surtout implicites, que Freud fixelui-mme son approche analogique.

    L'une de ces limites est nonce ds la premire phrase : Quandje me mfie de ma mmoire le nvros ne s'en prive pas et le normalpourrait bien l'imiter je peux complter et tayer cette fonction enprenant le soin d'tablir un document crit. Et c'est de cette seulefonction de mise en mmoire qu'il va traiter ; non pas de la leve del'amnsie, de la mfiance ncessaire l'gard du souvenir, de dfor-mations que [celui-ci] aurait peut-tre subies dans ma mmoire .

    Or, ces dformations sont des formations de l'inconscient ; ce sontelles oublis, lapsus, rves, symptmes, mises en actes, fantasmes levritable objet de la psychanalyse ; ce sont sur elles et par elles quecelle-ci s'est construite et qu'elle se perptue. Au point que l'on pourraitaisment soutenir que seules ces dformations sont du champ psy-chanalytique, les procdures de mise-en-mmoire restant plutt decelui de la neuro-physiologie, voire de la cyberntique (et l'on peroitmieux ainsi les affinits du Bloc magique avec l'Esquisse).

    Pourtant, on ne saurait aussi aisment rgler le problme, et cettedistribution classificatoire des objets de chaque science ne peut puiserla question qui nous est pose ; elle nous permet seulement d'viterles piges de l'analogie et de la rduction ce qui n'est d'ailleurs pasmince.

    La question psychanalytique de la mise-en-mmoire est certes unequestion limite de la mtapsychologie ; elle n'en a pas moins d'impor-tance thorique pour autant, tout comme les questions limites del'originaire, ou de la source de la pulsion. Avec elle, on retrouve la pro-blmatique de l'aprs-coup : quel coup mobilise cet aprs ? Et pareil-lement : pour tre ainsi dform, comment cela se put-il former ?

    La question de la mise-en-mmoire peut d'autant mieux se rappro-cher de celle touchant l'aprs-coup qu'elle ne s'impose pas d'elle-mme, qu'elle n'est pose que par la question pralable de la rem-moration. Autrement dit et en bonne mthode, la question ne peuttre qu'inductive, construction thorique tentant de rendre comptede la construction d'un fonctionnement (tout comme, l encore, lesconstructions sur les fantasmes et les refoulements originaires).

    Prcisons ceci. Nous sommes en face de deux approches qui, isolespuis opposes, peuvent apparatre contradictoires. D'une part, tout

  • 1116 Claude Le Guen

    ce qui a un jour exist persiste opinitrement 12; une accumulationd'expriences et de crises assure le dveloppement de l'individu,chaque phase en prparant et en conditionnant une autre (d'o lesrapports entre les pulsions d'auto-conservation et les pulsions sexuelles,entre les stades oral, anal, phallique et gnital, entre les objets suc-cessifs, etc.). Ainsi se peut justifier le point de vue gntique. Ainsipeut tre assure la continuit qui permet l'individuation et l'volution.Ainsi s'avre ncessaire le postulat selon lequel rien ne se perd dansla mmoire, celle-ci apparaissant comme illimite dans l'incons-cient et certainement pas borne par le remmorable. C'est lune hypothse ncessaire pour rendre compte du fonctionnementpsychique.

    D'autre part, ce dterminisme est complt ou contredit parun finalisme qui fait que tout se passe comme si l'tat final commandaitet dirigeait le processus volutif. C'est ce qui explique l'universalitde l'OEdipe et, plus gnralement, Phominisation et la similitude entreles humains. C'est ce qui transcende l'alatoire de l'vnement, commela mmoire qui fixe celui-ci dans l'inconscient ; c'est ce qui fait que les souvenirs, auparavant inconscients, n'ont pas mme toujours besoind'tre vrais 13, que l o les vnements ne s'adaptent pas au schmahrditaire, ceux-ci subissent dans l'imagination un remaniement ;[...] que le schma triomphe de l'exprience individuelle 14. C'est lle point de vue historique qui pose que toute prise de sens pour lesujet et pour autrui ne se peut produire que comme effet de cequ'il dtermine dans l'antrieur en se concrtisant dans l'actuel 15.Ainsi se fonde la discontinuit du prconscient-conscient.

    Mais ces deux mouvements n'ont d'existence que l'un par rapport l'autre : une accumulation dans la mmoire inconsciente sans aucunemergence dans le prconscient-conscient serait lettre morte ( direvrai, elle ne serait mme pas) ; une signifiance qui pourrait se passerde tout le mmoris serait totalement arbitraire et ne saurait avoir plusde sens. Ainsi, les deux termes de cette contradiction sont en rapportparfaitement dialectique. Ils ne sont rien d'autre faut-il le souli-

    12. S. FREUD, Analyse termine et analyse interminable, Revue franaise de Psychanalyse,1975, n 2, p. 382.

    13. S. FREUD, L'homme aux loups, Cinq psychanalyses, PUF, 1954, p. 361.14. Ibid., p. 418.15. Remarquons que cette situation est beaucoup moins singulire qu'il ne peut paratre

    et qu'elle n'est en rien spcifique de la psychanalyse ; elle est tout bonnement le propre duvivant, et les biologistes la reconnaissent et s'y confrontent (cf. par exemple H. ATLAN, Entre lecristal et la fume, Paris, Le Seuil, 1979).

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1117

    gner? que le couple d'opposs que forment les processus de l'tayageet de l'aprs-coup.

    Ils sont la base mme de l'un des grands postulats freudiens quifondent l'inconscient, celui qui veut que la mmoire et la consciences'excluent mutuellement. Postulat d'ailleurs ritr dans le Blocmagique , o Freud le rfre explicitement L'interprtation des rveset Au-del du principe de plaisir. Il est prsent comme une videncelogique laquelle on ne saurait chapper 16 : ou je choisis une surfacequi conservera indfiniment la notation qui lui est confie [...] et lasurface est rapidement puise (c'est la feuille de papier), ou lasurface rceptrice le reste indfiniment, les inscriptions pouvant tredtruites, [... mais] je n'obtiens pas une trace durable (c'est l'ardoise).Pour raliser les deux oprations, ainsi que le fait l'appareil psychique[...], j'ai suppos que cette aptitude inhabituelle tient la performancede deux systmes diffrents : le systme perception-conscience et lesystme inconscient.

    Mais la logique en cause n'est gure celle du gros bon sens quiveut que, quand c'est plein, on ne peut plus en mettre, le rceptacleft-il crbral : Ecartons aussitt la notion de localisation anatomique,restons sur le terrain psychologique 17. Et sur ce terrain, il ne seraitaprs tout pas plus scandaleux d'admettre qu'un seul et mme systmegarde fidlement des transformations de ses lments et offre en mmetemps aux nouvelles possibilits de changement une rceptivit tou-jours frache 18, que ne put l'tre l'affirmation selon laquelle l'incons-cient est le psychisme lui-mme, et son essentielle ralit 19, il est pareil un grand cercle qui enfermerait le conscient comme un cercleplus petit 19; la conscience se trouvant ainsi rduite un organe dessens qui permet de percevoir les qualits psychiques 20. Remarquonsd'ailleurs que dans ce modle thorique, tel qu'il fut promu et conserv,la dualit systmique s'avre bien relative, le second systme n'tantqu'une partie incluse et dpendante du premier et, en ce sens, celane pourrait-il conduire n'accepter qu'un seul systme dot de ladouble fonction de conservation et de rceptivit ? Si Freud en rejettel'hypothse, c'est que la mmoire n'est pas son problme fondamentalet que l'indestructibilit des traces mnsiques n'est justifie que par

    16. On doit cependant remarquer que FREUD attribue Breuer la paternit de l'ide dansAu-del du principe de plaisir, p. 30, n. 1.

    17. S. FREUD, L'interprtation des rves, op. cit., p. 455.18. Ibid., p. 457.19. Ibid., p. 520.20. Ibid., p. 522.

  • 1118 Claude Le Guen

    celle des dsirs inconscients : ceux-ci sont toujours actifs, toujoursprts s'exprimer , et ils partagent ce caractre d'tre indestructiblesavec tous les autres actes psychiques [...] qui n'appartiennent qu'ausystme inconscient 21.

    La mmoire est mmoire des dsirs refouls mais toujours actifs,pour ainsi dire immortels, de notre inconscient 22. Le rapport entreles deux systmes est prcisment l ; l'exigence de les distinguer pourrendre compte de leur interaction se trouve dans le refoulement ceprocessus protagoniste sur lequel achoppa, bien videmment, le mca-nicisme de l'Esquisse.

    Et c'est ce mcanicisme abandonn (refoul ?) qui pourrait bienfaire retour dans le Bloc magique , par la voie du ralisme. Ce ralismejoue dans les deux sens : Les appareils auxiliaires, invents pour am-liorer nos fonctions sensorielles, sont tous construits comme des organessensoriels ou certaines de leurs parties ; et si en comparaison, lesauxiliaires de notre mmoire [criture sur papier ou sur ardoise] semblentparticulirement dfaillants , sous le nom de Bloc magique, un petitarticle est apparu sur le march qui promet de faire mieux que le papierou l'ardoise ; [...] sa construction rvle une concidence remarquableavec la constitution de notre appareil perceptif tel que je l'ai suppos .Entre les deux, la concordance est pousse fort loin, mme s'il fautbien que l'analogie entre un tel appareil auxiliaire et l'organe pris commemodle ait une fin .

    Au-del du caractre ludique de la comparaison qu'il tablit, ilsemble bien que Freud se soit pris au jeu analogique, au point de selaisser aller nous livrer une reprsentation du mode de fonctionne-ment de l'appareil perceptif psychique [qu'il avait] jusqu'alors gardpour [lui] . Il s'agit des investissements par -coups rapides et prio-diques depuis l'intrieur jusque dans le systme P-Cs 23.L'image noussuggrerait volontiers Plectromagntisme, mais il lui prfre celle de tentacules vers le monde extrieur, retirs aussitt aprs en avoirgot les stimulations . L encore, le Bloc magique est cens repr-senter ce mcanisme : Les interruptions d'origine extrieure pour leBloc magique me semblaient donc ici dues la discontinuit du fluxd'innervation et au lieu d'une vritable leve du contact . La compa-raison n'a certes rien l d'vident; elle vient ainsi tmoigner de la

    21. Ibid., p. 470 et n. 1.22. Ibid., p. 471.23. L'ide sera brivement reprise, la mme anne (1925), dans La dngation (7e alina),

    en rapport avec l'action du jugement .

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1119

    volont de Freud de faire dire cet appareil, bien plus qu'il ne peut ;elle tend mettre en lumire sa fonction de modle subreptice.

    Ce retour du refoul idologique qui s'tait impos dans l' Esquissepour la faire avorter vient de loin, et tmoigne de la socio-culture quiforma Freud. Beaucoup plus que les grands totems de son adolescence

    (Darwin et Goethe), s'impose Brentano et surtout le groupe de laBerliner Physikalische Gesellschaft, au sein duquel Du Bois-Reymondcrit : Brcke et moi avions pris l'engagement solennel d'imposer cettevrit, savoir que seules les forces physiques et chimiques, l'exclusionde toute autre, agissent dans l'organisme. [...] Ou bien il faut postulerl'existence d'autres forces quivalentes, en dignit, aux forces physico-chimiques inhrentes la matire, rductibles la force d'attraction etde rpulsion. Brcke conduit ainsi Helmotz et Meynert, puis Herbart et Fechner 24.

    On sait le profit que Freud tira, heureusement et directement, de cedernier dans son approche nergtique ; et plus indirectement des autres.On ne sait peut-tre pas assez la pesanteur persistante du physico-chimisme de son matre Brcke, tel qu'il imposa le recours aux mtaphoresde l'inscription.

    Mais, dans le Bloc magique , ne voir que ce retour au mcanicismeserait mconnatre ce qui vient, tout la fois, le refouler encore et letransformer en le dpassant. Nous avons dj t conduits effleurerquelques-uns de ces apports ; il nous les faut reprendre, avec d'autres,pour les prciser et percevoir que si Freud parle bien de l'inscription,celle-ci est fort loigne d'tre son souci majeur.

    Quand je me mfie de ma mmoire, je peux [...] tablir un documentcrit , pose-t-il comme vidence. Et, laissant l l'criture, il en vientd'emble ce qui le proccupe : La surface qui conserve cette inscrip-tion ardoise ou feuille est alors une matrialisation de l'appareil mmoriel , autrement invisible en moi.

    Dornavant, c'est de surfaces qu'il va tre question. Et pas seule-ment de support, celui-ci tant fourni par une tablette de rsine brune,ou de cire ; mais surtout de la partie la plus intressante du petitappareil . A savoir : une feuille mince de papier imprgn de cire, trans-lucide , qui reoit l'inscription, qui la peroit et la fixe dans la cire ; une

    24. A ce sujet, voir dans E. JONES,La vie et l'oeuvre de S. Freud, t.1, op. cit., tout le chapitre IVet, dans le chapitre XVII, les p. 407-412. On peut aussi consulter P.-L. ASSOUN,Freud, la philo-sophie et les philosophes, Paris, PUF, 1976, coll. Philosophie d'aujourd'hui ".

  • 1120 Claude Le Guen

    feuille de celullod [qui] constitue une protection pour le papier .D'o l'ide d'une matrialisation des deux couches de l'appareil

    psychique, l'une priphrique, protgeant des excitations [le pare-excitation...], l'autre une surface rceptrice sous-jacente, le systmeperception-conscience ; et, plus profondes, telle la tablette de cirequi conserve la trace durable de l'crit , les traces mnsiques de l'incons-cient : Les bases du souvenir se constituent dans un autre systme,adjacent. Mais on peut pousser encore plus loin . Plus intressant servle le fait que pour dtruire l'inscription il suffit de dtacher d'ungeste lger les deux feuillets de la tablette de cire . Cette alternance decontact et de sparation reprsente les investissements, par l'incons-cient, du systme perception-conscience et par lui les investissementsdu monde extrieur et de ses objets. Disons mme que cette dernireanalogie est sans doute celle qui a pouss Freud rdiger cet article et livrer ce que, jusqu'alors, [il] a gard pour [lui] .

    Chose remarquable : dans cet aboutissement de la dmarche, il n'estmme plus question de surfaces qui, sans doute, s'avrent dorna-vant inaptes reprsenter le modle , mais d'un mouvement dis-continu (priodique ? peut-tre, puisqu'il fonde la constitution de lareprsentation du temps ). Si bien qu'en dernire instance, il lui fautpasser d'un point de vue topique un point de vue dynamique : le pro-cessus supplante la topologie.

    Faisons ici une brve parenthse pour voquer l'incise selon laquelle le Bloc magique ne peut pas reproduire du dedans l'criture une foisdissipe ; il serait vraiment magique s'il pouvait y parvenir l'gal denotre mmoire . De nos jours, un tel appareil magique existe : c'estl'ordinateur. Celui-ci et-il inspir Freud ? Remarquons que nombre deceux qui se satisfont du modle du Bloc magique rcusent la cybern-tique bon droit, peut-tre, mais non sans quelque inconsquence.D'autant que si l'ordinateur peut parfaitement reprsenter les lieux etles fonctions que Freud reconnaissait dans le Bloc magique, plus cellesqu'il regrettait de n'y pas trouver (la perception et la mmoire, plus larestitution), il utilise les trois pour se livrer une opration hautementoriginale : celle du jugement (cf. La dngation...), c'est--dire (peut-tre ?) celle du calcul. Et, bien que l'affect n'ait nulle quivalence enpareil instrument, c'est prcisment dans et par cette opration, rgiepar un autre systme, que peuvent surgir les erreurs...

    Ce qui nous conduit tout droit la justification que Freud produitde son laboration : Quand je me mfie de ma mmoire. Phraselourde et riche !

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1121

    Je me mfie : la forme pronominale accentue la prgnance dusujet sur le verbe (et que celui-ci soit transitif n'est effectivement ici quesecondaire comme la mmoire elle-mme...). Pareille insistance gram-maticale parat pourtant ne pas suffire Freud et, par une incise imm-diate, il nous invite, nvross ou non, nous mfier.

    La mmoire nous trompe, et se trompe, dans la mesure o elle estntre. D'o, pour pallier pareille dfaillance, les prothses de l'critureet leurs insuffisances : puisement des surfaces (papier) ou effacement destraces (ardoise), auxquelles s'ajoutent l'altration possible du support (cequi renvoie aux comparaisons archologiques) et les difficults du clas-sement et du reprage ( pour que je sache le lieu o le souvenir ainsifix a t rang ). A la condition d'chapper tous ces alas, la tracecrite subsistera et sera retrouve, reproduisant le souvenir qui,ainsi, est inchang et qui a donc chapp aux dformations qu'il auraitpeut-tre subies dans ma mmoire .

    Et cette phrase inaugurale, pose comme une vidence, vient ruinertoute interprtation scripturale de la mmoire contrairement ce queveulent lire dans ce texte tant de commentateurs !

    A les suivre, le dveloppement freudien devrait tre le suivant : 1) jedois me mfier de ma mmoire car les souvenirs y subissent des dfor-mations ; 2) pour ce faire, je dois recourir l'criture ; 3) il se trouvequ'une petite machine illustre le fonctionnement de l'appareil psychiqueen situant en deux systmes la mmoire et la perception ; 4) donc, lepsychisme est rgi par une thorie de l'inscription ! Ce donc ne sejustifie en rien et le hiatus dans le raisonnement est patent ; il n'est cer-tainement pas dans le texte de Freud.

    La psychanalyse se dfinit prcisment par les dformations du sou-venir dans la mmoire, par ses rats et ses oublis. Son intrt ne se centrepas sur le texte grav, mais sur les ratures, les effacements et les change-ments ; il ne se porte pas tant sur le texte initial ventuel que sur lesraisons qui amenrent la dformation de ce texte : supposer qu'il y eutun crit, le sensn' estpas dans l'crit, mais dans sesdformations.

    Autrement dit et tant qu' rester dans ces mtaphores de scribe l'criture est sans aucun intrt en psychanalyse (sauf, sans doute,pour les auteurs d'crits analytiques qui s'interrogent, juste titre, sur lesraisons de leurs passages l'acte) ; seule la lecture est signifiante.

    Ajoutons d'ailleurs pour saper un peu plus encore ce genre d'cha-faudages que, dans notre discipline, la lecture prcde l'criture etpeut, seule, la faire exister. C'est de l'coute des patients (de la lecture de leurs discours) que se constitue la conviction en l'existence d'un pra-

  • 1122 Claude Le Guen

    lable (d'un texte prexistant pour ceux qui tiennent la familiaritdu terme que l'on peut toujours baptiser crit 25).L encore, c'estl'aprs-coup qui prcde le coup et le rvle.

    L'observation directe de l'enfant est d'un intrt certain... pourd'autres, mme s'il peut s'avrer profitable qu'ils soient, aussi, des psy-chanalystes. Et la psychanalyse d'enfants n'chappe pas plus que celled'adultes la ncessaire prcession de l'aprs, celle du dcryptage surl'inscription ; elle opre tout autant dans l'histoire, et pas plus dans leminutage et la chronogense.

    Nous l'avons dj dit : le problme de Freud n'tait pas tant celui del'inaltrabilit de la mmoire, que celui de la perptuation des dsirsinconscients (ainsi qu'il le dveloppe et l'argument notamment dansle chapitre VII de L'interprtation des rves).

    Les traces mnsiques n'ont rien, en elles-mmes, qui puisse lesempcher d'tre disponibles en permanence (tout comme pour lesmmoires d'ordinateurs que nous voquions tout l'heure); le sensqu'elles reclent, s'il ne dpendait que de la mmoire qui le fixe, seraitparfaitement opratoire et n'aurait jamais l'occasion d'tre refoul c'est--dire que, n'ayant pas de raisons de cesser d'tre disponible, ildemeurerait directement reprsentable. Et, bien sr, la distinction sys-tmique entre conscient et inconscient serait purement fonctionnelle et

    machinique, sans autres justifications que celles des exigences neuro-physiologiques : c'est l, trs prcisment, le modle de l' Esquisse. Etc'est videmment sur le refoulement que celle-ci vola en clats ; autre-ment dit, sur l'affect, puisque c'est prcisment cette transformationd'affects qui est l'essence de ce que nous avons appel le refoulement 26,puisque la rpression du dveloppement de l'affect est le but spcifiquedu refoulement 27.

    C'est l, d'ailleurs, o nous retrouvons le thme qui marque le finale du Bloc magique : celui des investissements qui faut-il le rappeler ? sont investissements de reprsentations par les quantums d'affects. Et sil'analogie avec l'inscription peut tre valide, applique la reprsenta-tion, elle est parfaitement vaine en ce qui concerne l'affect ; c'est bien cedont Freud tmoigne en abandonnant cette image, pour recourir alors celle de tentacules gustatifs, vivants et mobiles.

    25. On doit remarquer que les plus fermes tenants des thories de rcriture sont conduits exclure la lecture. Ainsi : Ces Ecrits, il est assez connu qu'ils ne se lisent pas facilement.[...] Je pensais, a va peut-tre mme jusque-l, je pensais qu'ils n'taient pas lire , J. LACAN,Le sminaire, liv. XX : Encore (1973), Le Seuil, 1975, p. 29.

    26. L'interprtation des rves, op. cit., p. 513 (soulign par Freud).27. S. FREUD, Mtapsychologie, Paris, Payot, p. 84.

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1123

    L'criture est cense avoir pour mrite de demeurer inchange tout au moins dans ses formes usuelles que rfre ici Freud (car lesinscriptions archologiques que les fouilles mettent jour selon uneautre analogie freudienne familire sont, au contraire, souvent altres,effaces, bouleverses... nous y reviendrons). L rside justement sonutilit : avec elle, le souvenir ainsi fix [...] a donc chapp aux dfor-mations qu'il aurait peut-tre subies dans ma mmoire ; car notre appa-reil psychique [...] fabrique des traces mnsiques durables des percep-tions... qui n'en sont pas pour autant l'abri des modifications [soulignpar moi].

    Ces dformations, ces modifications qui peuvent justifier, dans laralit extrieure, l'artifice orthopdique de l'criture sont prcis-ment ce qui vient limiter, et mme ruiner l'image de l'inscription. Certes,les comparaisons avec les procds d'altration des manuscrits (sur-charges, effaages, changements de mots) fournissent des images trsparlantes et peuvent offrir Freud l'occasion de reprsenter les effets dela censure et du refoulement 28; elles lui permettent surtout de mettre envidence que l'important n'est pas le texte, mais ce qui le transforme, ledsir qui l'habite, le processus qui le change. C'est ce qui le conduira, d'ail-leurs, mettre en garde les analystes contre l'attachement au texte, latentou manifeste, au dtriment du travail du rve : On a trop longtempsconfondu le rve avec son contenu manifeste, il faut se garder prsentde le confondre avec ses penses latentes 29.Son importance n'est pasdans le texte, mais dans le procs : Le rve n'est pas autre chose quel'effet du travail d'laboration 30.

    Dans la mmoire donc, ce qui a t refoul peut tre transform. Ainsinot comme en passant dans le Bloc magique , ce sera repris et dve-lopp l'anne suivante, pour venir, en somme, complter cette assertionde L'interprtation des rves qui voulait dj que ce qui est rprim per-siste et subsiste chez l'homme normal et aussi reste capable de rendementpsychique 31. C'est sans doute d'ailleurs cette capacit au rendementpsychique concrtis dans le travail du rve qui conduit cettervision dans Inhibition, symptme et angoisse : Ds lors que nous avionsintroduit la distinction du Moi et du a, les problmes du refoulement

    28. Cf. par exemple : " Analyse termine et analyse interminable , Revue franaise dePsychanalyse, 1975, n 3, p. 389.

    29. S. FREUD, L'interprtation des rves, op. cit., p. 492, n. 1 (ajoute en 1914) (cf. aussi Remarques sur la thorie et la pratique de l'interprtation des rves , de 1923).

    30. S. FREUD, Introduction la psychanalyse, op. cit., p. 167.31. S. FREUD, L'interprtation des rves, op. cit., p. 516.

  • 1124 Claude Le Guen

    ne pouvaient manquer de prendre un nouvel intrt nos yeux. Jus-qu'alors, il nous avait suffi de prendre en considration les aspects duprocessus qui concernaient le moi, savoir le maintien hors de la cons-cience et de la motilit, et la formation de substituts (de symptmes) ;quant la motion pulsionnelle refoule elle-mme, nous admettions qu'elledemeurait inchange dans l'inconscient pendant un temps indtermin.Maintenant notre intrt se tourne vers les destins du refoul et nouspressentons qu'il ne va pas de soi, qu'il n'est peut-tre mme pas habituel,que le refoul demeure ainsi inchang 32.

    Dans ce travail, nous laisserons de ct la discussion des trois hypo-thses qu'envisage Freud pour rendre compte des changements apportsaux anciens dsirs par les influences de la vie susceptibles de [les]modifier et dnaturer 32, nous satisfaisant de retenir ici la notionfondamentale de changement du refoul, telle qu'elle vient ruiner,une fois encore, les thories de l'inscription (et de son inaltrabilitintrinsque).

    Que ce soit la question du refoulement qui conduise une tellervision ne saurait nous tonner ; on peut remarquer qu'elle tait djcontenue dans la notion de rgrdience du rve et dans le processusmme de la rgression.

    L'approche descriptive de celle-ci a pu induire une reprsentationscripturale de la fixation (telle qu'elle est annonce dans la lettre Fliess du 6 dcembre 1896), et elle prdomine effectivement dansL'interprtation des rves. Mais la reprsentation kantienne d'un tempsspatialis qu'elle postule sera approfondie et bouleverse par la perspec-tive historique qui conduit Freud la troisime hypothse d'Inhibition,symptme et angoisse (qu'il nous faut donc quand mme citer), celle-lmme qui semble bien avoir sa prfrence : [L'ancien dsir serait]ranim par rgression au cours de la nvrose, aussi inactuel qu'il puissetre 33,dans ce qui n'est rien d'autre que l'extension du procs d'aprs-coup. La fixation ne disparat pas pour autant, mais elle cesse d'tre cebutoir passif sur la voie rgrdiente pour devenir elle-mme processusactif, tayant la rgression qui la ranime.

    Ce qui conduit Freud ne plus se satisfaire d'une motion pulsion-nelle refoule [...] qui demeurerait inchange dans l'inconscient estdonc, nous dit-il, la nouvelle distinction du Moi et du a . Et celle-ci

    32. S. FREUD, Inhibition, symptme et angoisse (1926), Paris, PUF, 1965, p. 673 n. 1 (soulignpar moi).

    33- Ibid.

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1125

    suppose d'autant plus que les problmes du refoulement [prennent]un nouvel intrt , que ce sont eux qui, prcisment, ont montr queces distinctions [entre conscient, prconscient et inconscient] taientelles aussi insatisfaisantes 34: Nous sommes amens reconnatre quel'inconscient ne concide pas avec les lments refouls 35.

    Or, le Bloc magique (de 1925, mais rdig en 1924) se situe chro-nologiquement entre Le Moi et le a (1923) et Inhibition, symptme etangoisse (1926) ; on doit pourtant se demander comment il se situehistoriquement.

    En effet, dans ce texte si bref, il est fait d'abondantes rfrences ausystme Perception-Conscience, l'inconscient et la conscience;jamais n'apparaissant les termes de Moi et de a (il est vrai que si lemot mmoire y revient sans cesse, le concept de refoulement enest exclu).

    Voil de nouveaux indices qui permettent de suspecter cet articuletd'tre, de surcrot, un rejeton de l'inconscient thorique, un retour durefoul idologique moins archaque, certes, que ne le furent les rap-pels de l'Esquisse, mais nanmoins pris dans la phnomnologie de lapremire topique.

    La rfrence au clivage systmique et la notion que la consciencenatrait l o s'arrte la trace mnsique 36, individualisant chaque sys-tme, figure explicitement dans Au-del du principe de plaisir ; elle nouspermet d'tablir la continuit avec les ides antrieures (surtout, en fait,avec celles de Breuer). Il n'en demeure pas moins que la soudaine ngli-gence de ce qui fut appel, par facilit, la deuxime topique (il s'agitl, en fait, d'une nouvelle dynamique ), peut faire problme. On doitcependant remarquer un paralllisme supplmentaire entre la dmarchedu Bloc magique et celle d'Au-del... : de mme que, dans ce dernier,les remarques sur les traces mnsiques et le systme P-Cs appellent lareprsentation par une boule protoplasmique vivante 37,de mme ellesconduisent, dans le texte de 1925, l'image voisine des pseudo-podes qui marquent, nous l'avons dit, l'abandon de l'analogieavec l'inscription.

    Ceci tendrait tmoigner de l'ambigut thorique d'un texte quiparat bien tre de circonstance, jeu intellectuel propos d'un jeu pour

    34. S. FREUD, Le Moi et le a, Essais de psychanalyse, op. cit., p. 184.35. Ibid., p. 185.36. S. FREUD, Essais de psychanalyse, op. cit., p. 31.37. Ibid., p. 32 35.

  • 1126 Claude Le Guen

    coliers, aide-mmoire (!) pour une ide sur la discontinuit du fluxdes investissements ; texte dont le destin et sans doute surpris sonauteur, peu soucieux, dans cette notule, des contradictions qui s'y trans-portent comme des archasmes qui s'y retrouvent.

    Parmi les concepts labors ou transforms partir de 1920 et,justement, dans Au-del du principe de plaisir , il en est un pourtantqui pourrait paratre, rencontre des autres, aller dans le sens d'uneinscription fige, immuable, morte pour tout dire. C'est, bien sr, l'Ins-tinct de Mort.

    Il me faut rserver pour d'autres travaux la discussion de celui-ci 38et,ici, je m'en tiendrai seulement aux implications que la rptition portesur l'inscription. Quoi de plus inexorablement itratif que l'ternelretour un texte immuable, inaltrablement intaill dans le marbre dupsychisme ? Mouais... Tout cela fait certes dans le funraire... maisqu'en vaut l'aune d'alina ?

    Car ce qui est ainsi cens s'inscrire les reprsentations en l'occur-rence participe d'abord, par les refoulements et les investissements(fussent-ils l'image de tentacules ), d'Eros et du principe de plaisir,de l'nergie lie et non dlie. Toujours et encore nous faisons l'exp-rience que les motions pulsionnelles, lorsque nous pouvons en retracerle parcours, se rvlent tre des rejetons de l'Eros 39 et il en va demme, a fortiori, des ventuelles inscriptions de leurs reprsentants-reprsentations.

    L'instinct de mort ft-ce dans son acception la plus strictementfreudienne est effectivement bien au-del de toute thorie de l'ins-cription. Ce ne serait que par une trange et dangereuse confusionpistmologique que celui-l pourrait tre invoqu pour justifiercelle-ci.

    38. Un mot pourtant, pour indiquer mes options.Je tends penser que la connotation des puissances en cause par les termes de Mort et

    de Vie implique invitablement des valeurs morales qui ne peuvent tre qu'encombranteset tmoigner d'un retour d'une philosophie largement entache d'idologie. Pour autant, lesforces ainsi dsignes semblent bien correspondre une ncessit thorique dont la psychanalysene saurait faire l'conomie. Sans doute peut-on alors se rfrer aux qualificatifs de positif et de " ngatif qu'utilise Freud pour les dsigner, mais en conservant ces deux termes laneutralit pistmique qu'ils prennent pour indiquer les ples d'un circuit lectrique. Ce quirevient dire que la question de l' " union des pulsions " prime celle du retour l'inanim .En ce sens, on peut s'inspirer des travaux remarquables d'Henri Atlan, mettant en vidence un ordre et une complexit par le bruit [le hasard] autrement dit : montrant que la vienat de la mort, et non l'inverse (cf. H. ATLAN, Entre le cristal et la fume, op. cit.).

    39. S. FREUD, Le Moi et le a, Essais de psychanalyse, op. cit., p. 218 (j'ai prfr reproduirela traduction, plus parlante que celle de Janklvitch, donne par LAPLANCHE et PONTALIS dansleur Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967, p. 314).

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1127

    Avant d'arrter l cette revue des arguments susceptibles de disqua-lifier les modles de l'inscription, il m'en faut encore voquer un. Jeveux parler de la surdtermination.

    De celle-ci, il n'est pas question dans le Bloc magique ; et c'estjustement ce qui vient ainsi l'carter qui mrite que l'on s'y arrte.

    Il est facile de constater que la trace durable de l'crit est conservesur la tablette de cire , nous dit Freud ; et nous voulons bien accepterde n'tre pas troubl du fait que les traces durables des inscriptionsreues par le Bloc magique ne sont pas utilises , tant il est vrai qu'ilfaut bien que l'analogie [...] ait une fin . Peut paratre beaucoup plustroublant, par contre, le fait que chaque trace demeure parfaitementindiffrente celles qui la prcdent ou la suivent. La discontinuitest, l, aussi totale que lors des perceptions successives et la surfacecense reprsenter la mmoire est incapable d'assurer la moindrecontinuit.

    Que ce soit le modle du refoulement (o l'attraction exerce par lerefoul antrieur sur le refoulement en cours est prvalente), ou leprocessus de la formation de substituts (de symptmes), voire celuides plus simples associations, le rapport entre les diffrentes traces et leurs interactions est absolument essentiel ; il est la conditionncessaire absolue. On doit mme remarquer que c'est lui qui fondeet autorise le postulat qui veut que le systme Perception-Consciencefonctionne comme un organe des sens, que la conscience soit un organedes sens qui permet de percevoir les qualits psychiques 40 et forme, avecl'inconscient, deux systmes diffrents.

    Toute production, toute formation psychique est ainsi surdter-mine. Et aucun modle d'inscription ne peut rendre compte de cessurdterminations ! Ce n'est d'ailleurs pas un fait de hasard si, dansl'alina suivant, Freud abandonne la rfrence l'criture (celle-cise trouvant rduite, au travers de ses seules apparition et disparition , illustrer l'illumination et le dclin de la conscience au cours de laperception ) pour recourir l'image des tentacules vers le mondeextrieur, retirs aussitt aprs avoir got les stimulations .

    On peut d'ailleurs remarquer que la mtaphore, si chre Freud,des sites archologiques ensevelis est beaucoup plus apte illustrer lesmultiples dterminations : les rapports des objets entre eux, dans leurrpartition et surtout dans leurs stratifications successives , sont

    40. S. FREUD, L'interprtation des rves, op. cit., p. 522 (soulign par Freud).

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    beaucoup plus importants que ne peut l'tre chaque objet de fouille prisisolment. Mais, l aussi, il faut bien que l'analogie ait une fin ;et, pour significatifs qu'ils soient, ces rapports et ces successions relientdes choses mortes, tout jamais fixes par ce qui les a produites; toutpareillement, les objets manquants comme les traces effaces sont dessignes morts. L'histoire ici en cause est l'histoire dfunte des historienstraditionalistes. L'histoire qui nous concerne est celle, tonnammentvivante, qui se fait et se dtermine dans l'actuel, son prsent contraintpar le pass ; la psychanalyse est prise dans un tel tissu vivant et c'estcela, plus que l'arbitraire d'une correspondance au point par point,plus que le dchiffrement d'une inscription, qui justifie l'interprtation : Ce qui, dans l'interprtation des rves, apparat comme arbitraire,se trouve neutralis par le fait qu'en rgle gnrale le lien qui existeentre les ides du rve, celui qui existe entre le rve lui-mme et la viedu rveur et, enfin, toute la situation psychique au milieu de laquellele rve se droule permettent, de toutes les interprtations possibles,de n'en choisir qu'une et de rejeter toutes les autres comme tant sansrapport avec le cas dont il s'agit 41.

    Dans le psychisme et c'est cela qu'implique le processus de lasur dtermination les oublis et les dformations sont agissants, signi-fiants dans leur procs, vivants encore ; les reprsentants sont tous aussidynamiques et leurs rapports continuent de s'intriquer et de se changerdans les jeux multiples du refoulement. Quelle criture en elle-mme,quels procds de conservation de la trace crite, pourraient reprsenterpareille dynamique ?

    Nous l'avons dit, il n'est pas question de remettre en cause le pos-tulat freudien qui autorise la psychanalyse et justifie la continuitde l'individu comme celle des socits : Tout ce qui a un jour existpersiste opinitrement 42. Mon propos est seulement de rappelerque ce qui persiste ainsi ne le fait pas comme quelque lettre morte,telle une inscription ; ce qui persiste est une contrainte et un change-ment. Plus que les traces mnsiques, se perptuent les processus quiles organisent et les changent. Nous n'utilisons que quelques-uns desmcanismes de dfense possibles. Ceux-ci se fixent dans le Moi etse rpteront durant toute l'existence, aussi souvent que se reproduiral'une des situations primitives. Ils subsistent mme alors qu'ils ont cessd'tre utiles. Non seulement le moi adulte se prmunit contre des

    41. S. FREUD, Introduction la psychanalyse, op. cit., p. 214.42. S. FREUD, Analyse termine et analyse interminable, op. cit., p. 382.

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1129

    dangers qui dans la ralit n'existent plus, mais il recherche danscelle-ci des remplacements ces dangers 43. Cette recherche, ces rem-placements, ces reproductions actives, ne sauraient renvoyer aucunecriture; ce qui est ainsi conserv n'est pas une trace inscrite, maisun processus qui entreprend de se fabriquer des occasions de sa repro-duction et c'est bien l ce qui conduit Freud noncer que a sepasse dans le Moi et non dans le a. C'est d'ailleurs ce qui fait que lesrfrences des localisations ou une topologie s'avrent parfaitementvaines : La diffrenciation topique du Moi d'avec le a a perdu beau-coup de son intrt pour nos travaux 44 et, a fortiori, celle de laconscience d'avec l'inconscient.

    Pourtant nombre de courants post-freudiens font de la psychanalyseune thorie de l'inscription et, sous diffrentes formes, celle-ciinfiltre, insidieusement ou non, bon nombre de nos laborations.

    Le kleinisme la postule implicitement et c'est elle qui autoriseces interprtations itratives et assures, fortes de leur certitude denommer ce qui fut fix. Le lacanisme, explicitement, tend la mmeattitude de vrit et ce en dpit des pertinentes assertions du pre-mier Lacan sur l'aprs-coup et la surdtermination. Et, malgr quelquesapparences formelles, les coles dites gntiques se situent dans lamme tradition.

    En fait, toutes les conceptions qui tendent vers un objectivismede l'analyste dans la cure ne se justifient qu'en rfrence implicite unpostulat d'inscription.

    On peut d'ailleurs trouver des exemples insidieux de cette tendancechez bien des auteurs qui ne s'en rclament pourtant pas explicitement.Disons mme que ses rpercussions idologiques, et ses retours en formede philosophie spontane des savants , empruntent avec assuranceces voies si bien niveles que tracent les thories de l'inscription. Aupoint que nous en assurons tous la chalandise (et moi tout le premier) ;ce qui tendrait laisser penser que, l derrire, se joue beaucoup plusde Weltanschauung que de psychanalyse.

    C'est pourquoi j'irai chercher un exemple des effets ravageurs desidologies de l'inscription, chez un auteur des plus respectables etdes plus respects. Son audience et son srieux mme m'assurerontde la validit de l'illustration que je puiserai dans un livre que jetiens le dire je trouve excellent (il et t trop facile de m'en prendre

    43. Ibid., p. 390.44. Ibid., p. 393.

  • 1130 Claude Le Guen

    quelque cuistre comme il en abonde, hlas !, depuis une bonnedcennie). Je veux parler du deuxime chapitre de L'auto-analyse deFreud de Didier Anzieu 45, o celui-ci pose qu'en juillet 1895 il reste Freud dcouvrir le point de vue topique pour lequel il n'aura nulprcurseur, et qu'il va tirer principalement, ce sera l'une de nos thses,de la matire mme de ses rves 46et, pour l'essentiel, du rve cl deL'injection faite Irma : on le sait, le tableau final du rve est uneinscription 47 et ainsi le rve contient-il une reprsentation symbo-lique de sa propre structure 48.

    Remettons-nous en mmoire la fin du rcit du rve par Freud : Mon ami Otto lui a fait rcemment [ Irma], un jour o elle s'taitsentie souffrante, une injection avec une prparation de propyle,propylne... acide propionique... trimthylamine (dont je vois laformule devant mes yeux, imprime en caractres gras). Ces injectionsne sont pas faciles faire... Il est probable aussi que la seringuen'tait pas propre 49.

    La formule elle-mme de cette trimthylamine N(CH 3)3 (dont d'ailleurs Freud ne reproduit le symbole sous aucune de sesformes) va tre entirement dveloppe par Anzieu dans la figurationsuivante :

    45. D. ANZIEU, L'auto-analyse de Freud (2 vol.), Paris, POT, 1975, Bibliothque de Psy-chanalyse .

    Au moment de remettre mon manuscrit la rdaction, j'apprends qu'un article d'ANZIEUdoit figurer dans ce mme numro de la Revue franaise de Psychanalyse ; cette rencontre enforme de concidence (mais en est-ce vraiment une, puisque nous semblons nous interrogerl'un et l'autre sur l'inscription ?) devrait picer la discussion...

    46. Ibid., p. 176.47. Ibid., p. 208.48. Ibid., p. 209.49. S. FREUD, L'interprtation des rves, op. cit., p. 100.

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1131

    qui sera cense crire sous forme abstraite les groupements des per-sonnages les plus importants qu'elle [la formule] met jour, en lesrassemblant en un tableau selon leur ordre d'apparition et avec unehirarchie sommaire 60.

    Ce qui va donner :

    L se retrouvent non seulement les personnages du rve, mais lareprsentation de toute la suite des dcouvertes qui vont constituerla psychanalyse 52 ! On pourra mme y retrouver la formule dumystre des origines 53, celle des thories de l'appareil psychique 54

    ou, tout aussi bien, le triple trilinguisme de Freud 55. Au-del de cedernier, le rve se fait encore plus prophtique en ses vertus scriptu-raires, puisque schmatise, la formule de la trimthylamine quiconclut le rve-princeps de L'injection faite Irma [...] prfigurenon seulement la structure ternaire des deux thories freudiennes del'appareil psychique, mais aussi les structures lmentaires de la parentselon Lvy-Strauss, les arbres de la grammaire gnrative de Chomskyet, plus gnralement, les graphes maintenant rpandus dans les scienceshumaines 56 ! Pourquoi pas ? Certes... puisque tout est dans tout !

    50. D. ANZIEU, L'auto-analyse de Freud, op. cit., p. 209.51. Ibid. J'ai donn, juste avant, la formule dveloppe vritable. Je le souligne car on peut

    s'amuser de constater que le livre (d. 1975) comporte ici une merveilleuse faute d'impressionqui, ne pas avoir t remarque par l'auteur lors des corrections d'preuves, prend valeur delapsus. En effet, dans son texte, la place des H , figurent des N , ce qui aboutit repr-senter Freud aux deux bouts de la chane, prenant ainsi toutes les places, d'Irma Fliess! Aprstout, cela pourrait aussi tre signifiant et riche d'aperus quant aux identifications... Mais quis'inscrit vritablement en pareille formule ?

    52. Ibid., p. 216.53. Ibid., p. 211.54. Ibid., p. 743.55. Ibid., p. 274.56. Ibid., p. 742-743.

  • 1132 Claude Le Guen

    Je voudrais quand mme attirer l'attention d'Anzieu sur un dtailqui, visiblement, lui a chapp, en dpit de la remarquable et trssavante documentation qu'il a rassemble dans ce travail; mais cedtail est une broutille plutt triviale, puisqu'elle tient ce que, latrimthylamine, a sent !

    Les psychanalystes n'ont nulle raison de connatre ce point parti-culier mais ce trait paraissait sans doute vident au chimio-physiologisteque fut Freud 57; il aurait donc bien pu le conduire la conclusion durve puisque celui-ci s'achve, beaucoup plus que sur la formule elle-mme, sur l'ide que tout a n'tait pas propre .

    On peut d'ailleurs remarquer que l'odorat emplit les associations durve, de la gorge au nez, du nez l'odeur de riquiqui, du riquiqui latrimthylamine... Au point que l'on est en droit de se demander sil'insistance du rve sur la vision de la formule chimique en caractresgras n'est pas l, aussi et surtout, pour dformer et pour cacher(comme se doit de le faire tout rve, mme si le rve de l'injectionfaite Irma nous montre que les divers lments peuvent en certainscas conserver dans le contenu la place qu'ils avaient dans les penses 58),pour aider oublier le parfum qui s'en dgage non que celui-cisoit dplaisant, mais il pourrait bien voquer des choses pas propres ?

    Le texte des associations de Freud se borne indiquer que Fliess avait cru constater, parmi les produits du mtabolisme sexuel, laprsence de la trimthylamine 59.Anzieu sait retrouver de la sexualiten bien des endroits du rve 60, et il y est trs probablement fond.Mais, pour ce qui nous concerne, il semble bien qu'il tire un peu tropvers l'urine ce qui n'en est pas, ou pas seulement : Les fonctionsd'excrtion sont galement prsentes dans le rve : la dfcation (ladysenterie), la miction (le poison va s'liminer : Freud sait par Fliessque la trimthylamine s'limine dans l'urine). Un jeu de mots dcou-vert par Eva Rosenblum va dans le mme sens : Ananas, qui assone d'ailleurs remarquablement avec le nom de famille de ma patiente Irma , se prononce en allemand exactement comme Anna nass : Anna mouille ; donc elle sent mauvais 61.

    Cette Anna mouille -l pourrait bien voquer d'autres senteurs,puisque la trimthylamine est ce corps qui confre aux scrtions fmi-

    57. La trimthylamine est un corps suffisamment banal pour figurer parmi les produitssoumis pour identification aux examens de pharmacie.

    58. S. FREUD, L'interprtation des rves, op. cit., p. 264.59. Ibid., p. 108.60. D. ANZIEU, L'auto-analyse de Freud, op. cit., p. 193 par exemple.61. Ibid., p. 214.

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1133

    nines cet arme si caractristique qui l'apparente aux odeurs marines 62.Ce qui confre la sexualit de ce rve une prsence proche d'un

    rotisme que pouvait dj laisser subodorer sa dsignation comme injection faite Irma ; sexualit qui se reconnat au plus prs dutexte et des associations qu'en propose Freud. Plus prs, semble-t-il,que les associations personnelles d'Anzieu, pour qui les larges escharesblanc gristre voquent la coule du sperme paternel 63 etbeaucoup plus prs, surtout, de celles qui lui font lire, dans la formuleimprime , celle de l'enfance Freiberg 64 (sans compter toute laWeltanschauung qui s'ensuivrait). Mais l n'est pas l'essentiel.

    D'autant que d'avoir restitu la fragrance innomme de cavitspiphanes ne ruine pas ncessairement la construction d'Anzieu surune formule chimique. Disons mme que ma dmonstration n'est pasdpourvue d'un certain ludisme 65polmique et qu'elle vise plus illus-trer qu' dmontrer. En dsignant un oubli, voire un lapsus, dans un dis-cours rigoureux, en faisant grincer une machinerie trop bien huile, ellevise pourtant montrer la fragilit d'chafaudages qui reposent sur lesseules associations de l'analyste muni (croit-il) de la grille de dcryptagedes autres (d'o sans doute, pour lui, la force de conviction de pareilledmarche), ngligeant ncessairement celles de l'analysant (celui-cift-il Freud), dans le projet de reconstruire arbitrairement une thorie.

    C'est dire que je me garderai de fournir une nime analyse du rvesur Irma, en exploitant l'odeur, car nous pourrions continuer dedivaguer ainsi sur ce rve de Freud, procder d'autres dcoupages, d'autres montages, cheminer vers d'autres interprtations et mmereprer comment se dvoilent dans son texte les organisations fantas-matiques qu'en fait Freud n'a lui-mme dsignes, le premier, queplusieurs annes plus tard. Aprs tout, mme cette dmarche anachro-nique pourrait tre pertinente 66. Je ne saurais qu'approuver Jean

    62. Et la chose est alors si peu secrte que Ferenczi l'utilise dans Thalassa : Chez les Mam-mifres suprieurs, donc galement chez l'Homme, la scrtion vaginale de la femelle, dontnous avons attribu l'effet rotique excitant des rminiscences infantiles, possde selon ladescription de tous les physiologistes une trs nette odeur de poisson. Cette odeur provientde la mme substance (Trimthylamine) que celle du poisson qui pourrit (S. FERENCZI, OEuvrescompltes, t. III, Payot, 1974, p. 293, n. 1). Si Anzieu, pour sa part, parle bien de l'amyle (dontl'odeur peu agrable est une allusion celle des scrtions sexuelles) , p. 205, se rfrant l'association de Freud sur l'odeur amylique du riquiqui , il en reste l.

    63. Ibid., p. 205.64. Ibid.65. Ainsi, le dossier qui, depuis des annes, renferme mes notes sur tout ceci, porte-t-il

    en intitul : Irma ? a sent les sens... 66. J. COURNUT, Lettre ouverte Irma, Revue franaise de Psychanalyse, XXXVII, 1973,

    n 1-2, p. 84.

  • 1134 Claude Le Guen

    Cournut dans cette mise en garde, et souligner que les questions restentposes pour reconnatre l'identit d'adquation de pareille pertinence.Ainsi, Anzieu apparat des plus pertinents lorsqu'il se penche sur l'auto-analyse de Freud et propose une interprtation du rve proprementdit de l'injection faite Irma ; il me le parat beaucoup moins lorsqu'ille dsexualise pour en faire un rve-programme pour toute la suitedes dcouvertes qui vont constituer la psychanalyse 67. Ne pouvantdisposer l-dessus des associations du clbre rveur (et en disposerdans un processus en cours, et non comme d'une lettre morte) nousdevons nous rendre l'vidence que si rien ne peut venir prouver lavalidit des interprtations imagines, rien non plus n'en saurait dmon-trer la nullit et cela mme tmoigne d'une inadquation essentielle.La pertinence d'une assertion comme celle que porte Anzieu ne sepeut mesurer qu' ce quoi elle se rapporte : la construction thoriquedu seul Anzieu ce qui nous replace dans sa rfrence scripturaire.

    Or, en attribuant si grande influence pour toute l'oeuvre freudienne une simple inscription (acceptt-on les interprtations qui en sontproposes), Anzieu promeut les thories de l'inscription en une placeprpondrante mais porte sa dmarche au compte propre de Freuddont, dit-il, le gnie [...] nous a paru rsider l : veill, passer direc-tement de la vue l'criture 68.Qu'il saisisse l'occasion pour se dmar-quer de Lacan 69 (en lui reprochant son erreur d'interprtation [...]lorsque s'appuyant sur ces passages de Freud [tel celui sur la trim-thylamine], il forge l'hypothse que l'inconscient est structur commeun langage et qu'il est de l'ordre de l'criture : Lacan a pris pour unecaractristique de l'inconscient ce qui tait un trait du gnie crateurde Freud 70)n'est gure tonnant et vient souligner des divergencesprofondes. Il n'en demeure pas moins que, en ce qui concerne l' ordrede l'criture , la filiation est l, que l'inspiration demeure la mme,que l'idologie se maintient.

    Toute thorie de l'inscription est prendre (c'est le cas de le dire)au pied de la lettre. Elle s'appuie sur la proprit de l'criture tracesur une surface qui conservera indfiniment la notation qui lui estconfie (rappele par Freud dans le Bloc magique ) et qui est depermettre la conservation de traces durables ; elle permet de pos-

    67. D. ANZIEU, L'auto-analyse de Freud, op. cit., p. 216.68. Ibid., p. 743.69. Mme si, par une note (p. 209)5 il rend ce dernier l'ide de rapprocher les structures

    ternaires des personnages du rve et de la formule de la trimthylamine .70. Ibid. Prcisons que, pour Anzieu, cette erreur provient d'une lecture superficielle de

    Freud (p. 276).

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1135

    tuler que le souvenir ainsi fix a t rang, [...], qu'il est inchang etqu'il a donc chapp aux dformations qu'il aurait peut-tre subies dans mammoire (soulign par moi). Or, comme nous y avons dj insist aprstant d'autres, ce sont ces dformations subies dans la mmoire cetteanti-criture qui fondent l'objet mme et la raison d'tre de la psycha-nalyse. Ce qui permet de conclure en une paraphrase de Freud quitte se montrer un peu abrupt, mais il faut en finir que les thories del'criture (de l'inscription) 71 permettent d'chapper la psychanalyse.

    Toute criture, aussi mensongre soit-elle en son message, se posecomme reprsentation de vrit ft-ce dire le vrai du faux et,mme, comme tant la vrit en son essence. C'est crit est lematre mot de la Loi pour ici, et du Destin pour demain. Mektoub!D'o l'assurance de ceux qui s'en rclament.

    On ne saurait donc s'tonner de constater qu'Anzieu, souvent siprudent par ailleurs, puisse en pareille occurrence chapper aux doutessur la validit de ses inscriptions scripturaires, que ce soient celles de l'auto-analyse effectue par Freud , ou celles du processus mmede la dcouverte de la psychanalyse 72 au point d'voquer, dsl'introduction, son impression d'en puiser le sens , et mme deparler, ce propos, de sa certitude 73 ! Et je ne crois pas qu'il s'agissetant l du souci de la critique plus ou moins universitaire [de venir]mettre ordre et prcision [dans les grandes oeuvres] 74 que des ornirestranquilles des assurances idologiques.

    Toute subordination aux idologies de l'inscription transformeinexorablement la thorie en dogme et la pratique en routine; et l'insu mme de ceux qui s'en font les hrauts. D'o la ncessit dechercher les dbusquer commencer pour ceux-l mmes quis'en veulent garder. Mais, prcisment, tel est bien l'un des traits lesplus significatifs de la fonction idologique.

    Le c'est crit propose un systme d'explication extrmementarchaque, certainement antrieur, dans son principe et dans sa certi-tude, l'invention de l'criture ; c'est en cela comme contenu, comme

    71. J'emploie indiffremment les mots " criture et inscription car, pour ce que nousavons traiter ici, ils me paraissent parfaitement superposables. Ceci dit, il est bien certainqu'ils ne tirent pas tout fait dans le mme sens, et que l'on pourrait distinguer des courantsidologiques diffrents selon que les adeptes recourent l'un des termes plutt qu' l'autre.

    72. Ibid., p. 2.73. Ibid., p. 7.74. Ibid., p. 5.

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    croyance qu'il participe de l'inconscient. Il continue d'ailleurs, avectnacit, nous proposer des interprtations nos rapports avec lemonde, avec les autres et avec nous-mmes (et sa forme la plus manifesteet la plus triviale envahit les mdias sous forme d'horoscopes).

    Sa variante analytique s'exprime par la certitude de pouvoir puiser le sens d'un rve, d'un symptme, d'une nvrose, d'un indi-vidu... ; dans l'assurance de connatre le vrai Freud, ou de dtenir le vritable principe de la formation des psychanalystes (ft-ce pourdnier celle-ci). Et l'on fait des Ecoles... et l'on assne l'interprtation vraie ... En toute bonne foi et en tout bonne conscience puisque, d'unefaon ou de l'autre, c'est crit ; puisque c'est immuable ! Ce n'est quemort.

    Mais dnoncer ainsi les thories de l'criture, je me fais la partbelle dans mon ardeur polmique et j'oublie un peu trop que, dans lapratique de la thorie, ce n'est pas si simple de rgler les questions de larptition et de la continuit, de la fixation, des traces mnsiques et dufonctionnement psychique, sans recourir, d'une faon ou d'une autre,explicitement ou implicitement, un modle qui, peu ou prou, impliqueune ide d'criture.

    Cette difficult est prsente dans toute l'oeuvre de Freud et si, avecle modle du Moi et du a, il carta toute rfrence ce qui pourrait treune thorie de l'inscription, il ne condamna jamais celle-ci clairement etdfinitivement. C'est sans doute qu'il buta sur le problme ardu desavoir par quoi la remplacer ?

    La distinction d'un Moi et d'un a tient compte de ce que les ph-nomnes psychiques dans le a obissent des lois particulires diff-rentes de celles qui les rgissent et qui rglent leur action rciproque dansle moi. C'est la dcouverte de ces diffrences qui nous a conduit nosnouvelles conceptions et qui les confirme 75.Conceptions qui renon-ant au phnomnologisme de la premire topique, son ordre quali-ficatif comme dit Freud se proposent de lier la topique et la dyna-mique l'historique la gntique , comme il l'indique, ce qui luiconfre une valeur particulire 76.Le maintien d'une faon d'envisagerspatialement l'appareil psychique 77s'avre d'autant plus invitableque ce genre de modle est le plus commode et le plus accessible.Lorsque tout l'heure je disais que, plus que d'une nouvelle topique, ils'agissait d'une nouvelle dynamique, je forais sans doute un peu l'argu-

    75. S. FREUD, Mose et le monothisme, Payot, p. 130.76. Ibid.77. Ibid., p. 131.

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1137

    ment mais pas outre mesure car, une fois affirme la ncessit de cetteapproche, Freud relativise la topographie psychique : Certes, jeressens aussi nettement que quiconque ce que cette manire d'envisagerles choses a d'insatisfaisant, ce qui tient notre totale ignorance de lanature dynamique des processus psychiques. Nous pensons que ce quidistingue une reprsentation consciente d'une reprsentation prcons-ciente et cette dernire d'une reprsentation inconsciente ne tient certai-nement qu' une modification ou peut-tre aussi une rpartition diff-rente de l'nergie psychique. Nous parlons d'investissements et decontre-investissements et notre savoir s'arrte l, nous ne sommes mmepas en mesure d'tablir une hypothse de travail utile 78.

    L est l'obstacle. Et l'on comprend que, devant lui, beaucoup aientprfr privilgier soit l' ordre topographique , soit l' ordre gn-tique , soit mme le retour l' ordre qualificatif de la premiretopique 79et que, dans ce mouvement, ils aient eu tendance rhabiliterles thories de l'inscription. A tre fort excusable, et mme comprhen-sible, cela ne s'en loigne pas moins beaucoup de la voie indique parFreud ; voie qu'il me parat ncessaire de suivre, non par fidisme, maisparce que c'est justement celle o nous avons (peut-tre) dcouvrir. Etl'obstacle pos par l'arrt de notre savoir est suffisamment importantpour que l'on n'aille pas lui rajouter ceux, dpasss, de l'inscription.

    Je n'ai videmment pas la prtention de pulvriser l'obstacle;j'entends pourtant contribuer l'entamer... ou le contourner.

    Et pour ce faire, il convient d'abord de donner la preuve que l'on sepeut aisment dispenser de tout retour aux modles scripturaux (d'au-tant que, comme j'ai essay de le montrer, ceux-ci vhiculent des ido-logies rongeuses et ravageuses). C'est ce que Freud fit lui-mme partirde 1920, pour l'essentiel d'o la ncessit d'tudier la Notice sur leBloc magique qui peut paratre faire exception. A sa suite, bien d'autress'en passrent aisment.

    Pour tenter d'avancer dans la comprhension des investissements etdes contre-investissements, il convient, bien sr, de reprendre et d'ap-profondir le refoulement ; bien sr aussi, il n'est pas question de le fairedans cet article 80.

    Ce que je voudrais simplement tenter maintenant est d'indiquertrs brivement quelque intuition et prsomption qu'il me semble

    78. Ibid.79. P. 130.80. Mais je peux annoncer que ce doit tre l'objet d'un rapport que je prpare, avec l'aide

    des participants mon sminaire, pour le Congrs des Psychanalystes de Langue franaisede 1985.

    RFP 38

  • 1138 Claude Le Guen

    bon d'essayer, voire principe et mthode que je voudrais prouver.Ainsi : je pose une grande dfiance l'gard des modles prpon-

    drance spatiale. Quand je me mfie de l'espace... : L'espace ressemble l'espace, la similitude y rgne, et, comme on dit, la reprsentation.Encore, encore, encore, futile et sotte itration, de nulle information 81.Freud aussi s'en dfiait, de la spatialisation du psychisme ; mais il endjouait largement les embches par son souci de maintenir la pluralit des points de vue , par sa faon de faire jouer ensemble diffrents modles.Mme si elle demeure indispensable, il n'est pas facile de tenir et prolongerpareille mthode... D'o les fondrires du chosisme thorique par la rifi-cation du Moi et du a, d'o les ornires du formalisme machinique parles thories de l'inscription. Car la topographie psychique commedisait Freud

    , la topologie comme on peut entendre dire mainte-nant

    , utilise de faon prpondrante, tend inexorablement rduirele psychisme une criture, en tracer un schma en consquence.

    Encore convient-il de ne pas s'enfermer dans une dichotomie quivoudrait remplacer l'espace par le temps et dboucher ainsi dans leslaborations dites gntiques ; l encore, c'est faon d'tre borgne quirend aveugle. Ce qui est dit toujours du temps et de l'espace l'estconstamment au singulier. Or, que savons-nous, aujourd'hui, de l'espace ?Rien, en toute rigueur. L'espace, comme tel, unique et global, est, je lecrains, un artefact philosophique. Et, de nouveau, que savons-nous dutemps, dsormais ? Rien, en toute rigueur. Le temps, comme tel, uniqueet universel, est, lui aussi, un artefact. Quand nous parlons de ce coupleclbre, bni, monogamique, par la philosophie, ou parfois divorc, nousne faisons pas mme une synthse entre des temps divers ou des espacesspars, nous mettons un son priv de sens 82.

    Notre continuum nous, c'est l'histoire, l'histoire vivante, celle qui,dans nos chairs sensibles, se fait et que nous faisons ; celle qui, pour cequi nous concerne, s'incarne dans la Schekinah 83 entre le divan et lefauteuil, celle qui, surgie du prsent, rvle le pass qui la contraint ets'organise de son projet.

    81. M. SERRE,Le passage du Nord-Ouest (Henns V), Ed. de Minuit, 1980, p. 11.82. Ibid., p. 68.83. Je me permets d'emprunter le terme mon ami Jacques Pohier, car il me parat remar-

    quablement apte dsigner cet espace de la cure dont le vide concrtise la prsence maximale :" D'ailleurs, dans cette sorte de cercueil creux qu'elle [l'arche] constituait, on disait que se trou-vaient les objets les plus reprsentatifs de la prsence de Yahv son peuple : les tables de laloi, l'urne pleine de manne avec le sceptre d'Aaron. En outre, de par la forme donne aux chru-bins qui sont au-dessus d'elle, sa forme est celle d'un trne : elle est le trne de Yahv. Mais cetrne est vide. Ce lieu le plus prcis de la prsence, ce trne des chrubins, dlimite un vide.Telle est la Schekinah [...] : localisation maximale de la prsence, et prsence n'tant dsigneque par un espace ouvert , J. POHIER, Quand je dis Dieu, Le Seuil, 1977, p. 26.

  • Quand je me mfie de ma mmoire 1139

    L'histoire pour nous tout au moins, mais peut-tre aussi pourd'autres c'est la dialectique du rapport entre l'aprs-coup et l'tayage.A ce propos, je ne reviendrai pas sur ce que j'en ai dit trop brivementau dbut de ce travail, m'en tant dj fort longuement expliqu parailleurs 84.Pour en garantir l'ventuelle scientificit, je dirai qu'elle pro-cde de ce que Prigogine a dsign comme l'ordre par fluctuation, et quifait que l'innovation est certes slectionne, mais par un milieu qu'ellecontribue crer 85.

    Et c'est sur cet auteur que nous nous appuierons pour souligner quetoute thorie de l'inscription fonctionne comme un systme l'qui-libre c'est--dire d'ordre mcanique alors que le processus dusouvenir /oubli constitue un systme loin de l'quilibre ce qui estle propre du vivant. Ainsi, le modle dynamique rsultant de l'accouple-ment des deux concepts freudiens d'tayage et d'aprs-coup (ce modleest dj l'oeuvre chez Freud, implicitement mais abondamment, commeje me suis efforc de le montrer 86)permet ou plutt ncessite dese dispenser de tout systme scriptural.

    Mais la mmoire ? Comment vous arrangez-vous de la question destraces mnsiques sans un modle d'inscription?, demanderez-vouspeut-tre. Pour ma part et je l'ai dj dit, je tends conclure que lestraces mnsiques ne sont pas un concept psychanalytique, mais neuro-physiologique et les neuro-physiologistes d'ailleurs, pour ce que jecrois savoir, tendent ne plus se les reprsenter comme une criture.Nous parlons de traces mnsiques , certes ; ou plutt nous les postu-lons naturellement, comme nous postulons une biologie du cerveau ouune ralit physique mais sans croire, pour autant, que les unes et lesautres soient de notre domaine et attendent nos lumires. Notre champ, nous, est celui des souvenirs et des oublis 87.Et il parat essentiel de ne

    84. Cf. plus particulirement C. LE GUEN, Pratique de la mthode psychanalytique (t. I deLa dialectique freudienne), PUF, 1982, Le Fil rouge " (SOUSpresse).

    85. I. PRIGOGINE et I. STENGERS,La nouvelle alliance, Gallimard, 1979, p. 185.86. Cf. C. LE GUEN, op. cit.87. Et je reprends pleinement mon compte l'argument de Julien ROUART : Il me parat

    juste d'accentuer la distinction entre la mmoire comme conservation inconsciente, dont nousne connaissons pas les limites forme de mmoire qui, dans cette perspective, serait compatibleavec l'exclusion respective des traces mnsiques et de la conscience, comme l'affirmait Freud et, d'autre part, les souvenirs, ceux que nous rapportons tous, labors dans une grande mesure,et qui ne paraissent pas compatibles avec l'antinomie en question. [... Ainsi, les souvenirs] nesont pas tant l'aboutissement d'une lucidation qu'une tape vers la construction qui les intgreet qui peut en faire surgir d'autres comme confirmations indirectes. On peu