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NOTRE AVIATION EN 1940 I Le 10 mai 1940, au point du jour, le ciel français fourmille de croix noires. Comme il était prévu, les 2.650 avions de bombarde- ment ennemis, escortés de plus de 1.300 chasseurs, se répandent sur l'étendue de la zone d'opérations franco-anglaise, se répartissant avec méthode les objectifs à atteindre : terrains d'aviation, Grand Quartier Général, Q. G. de groupes d'armées, d'armées, P. C. de divisions, gares de triages importantes, etc. Aux 418 avions de chasse français disponibles et aux 60 anglais basés en France de les arrêter... s'ils le peuvent, à 1 contre 8. Difficile gageure. Le système d'alerte a bien fonctionné (pas tou- jours), mais la rapidité des bombardiers allemands est telle que, dans la plupart des cas, ils ont apparu au-dessus des points attaqués moins de cinq minutes après avoir été annoncés. Gomme beaucoup se présentent à haute altitude, ils sont pratiquement inaccessibles aux chasseurs dont l'écart de vitesse est insuffisant pour leur per- mettre de les atteindre et de les rattraper. Néanmoins, beaucoup de ceux-ci accomplissent l'étonnante prouesse d'intercepter leurs adversaires. Un nombre élevé de Heinkel 111 et de Dornier 17 sont descendus dans les lignes françaises, d'autres dans les lignes alle- mandes, alors qu'ils regagnaient leurs bases. Au seul groupe de chasse 1/5, qui s'est déjà illustré depuis le 3 septembre, 39 victoires sont ainsi remportées. Au total, plus de 100 avions ennemis sont abattus dans cette journée du 10 mai. , Sur ce chiffre, la part de l'artillerie de D. C. A. et de la défense rapprochée des terrains apparaît modeste : une dizaine. Mais l'honneur est sauf. Plusieurs échantillons de Me 110 et de Junkers87 qui prétendaient se livrer à des démonstrations de strafling ou de bombardement en piqué ont laissé des plumes, ou même leurs car- casses, dans le nord de la France.

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NOTRE AVIATION EN 1940

I

Le 10 mai 1940, au point du jour, le ciel français fourmille de croix noires. Comme il était prévu, les 2.650 avions de bombarde­ment ennemis, escortés de plus de 1.300 chasseurs, se répandent sur l'étendue de la zone d'opérations franco-anglaise, se répartissant avec méthode les objectifs à atteindre : terrains d'aviation, Grand Quartier Général, Q. G. de groupes d'armées, d'armées, P. C. de divisions, gares de triages importantes, etc.

Aux 418 avions de chasse français disponibles et aux 60 anglais basés en France de les arrêter... s'ils le peuvent, à 1 contre 8. Difficile gageure. Le système d'alerte a bien fonctionné (pas tou­jours), mais la rapidité des bombardiers allemands est telle que, dans la plupart des cas, ils ont apparu au-dessus des points attaqués moins de cinq minutes après avoir été annoncés. Gomme beaucoup se présentent à haute altitude, ils sont pratiquement inaccessibles aux chasseurs dont l'écart de vitesse est insuffisant pour leur per­mettre de les atteindre et de les rattraper. Néanmoins, beaucoup de ceux-ci accomplissent l'étonnante prouesse d'intercepter leurs adversaires. Un nombre élevé de Heinkel 111 et de Dornier 17 sont descendus dans les lignes françaises, d'autres dans les lignes alle­mandes, alors qu'ils regagnaient leurs bases.

Au seul groupe de chasse 1/5, qui s'est déjà illustré depuis le 3 septembre, 39 victoires sont ainsi remportées. Au total, plus de 100 avions ennemis sont abattus dans cette journée du 10 mai.

, Sur ce chiffre, la part de l'artillerie de D. C. A. et de la défense rapprochée des terrains apparaît modeste : une dizaine. Mais l'honneur est sauf. Plusieurs échantillons de Me 110 et de Junkers87 qui prétendaient se livrer à des démonstrations de strafling ou de bombardement en piqué ont laissé des plumes, ou même leurs car­casses, dans le nord de la France.

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En contrepartie, les dégâts subis ne présentent pas Je même caractère de gravité qu'en Pologne. Le dispositif de sécurité a joué au maximum. Sur les bases aériennes, la règle du desserrement nocturne sur des bandes aménagées a été généralement observée. Pourtant, un certain nombre d'appareils ont été brûlés ou endomma­gés par des rafale» de mitrailleuses, 2 à 3 % de l'caBemble. C'est peu, mais encore trop... Les pistes creusées de cratères ont été vite remises en état, grâce au système des grilles métalliques préparées à l'avance.

Quant aux Q. G. pourvus d'abris et bien enterrés, ils ont rela­tivement peu souffert. Il y a eu cependant d'assez nombreuses vic­times, militaires ou civiles, et des immeubles anéantis- Les canton­nements ont enregistré des pertes sensibles. Des convoie sur route ont été attaqués et parfois détruits. Malgré les succès de nos chas­seurs, le troupier français, dans «on effroi, n'a vu partout que des avions allemands, pas un des nôtres. Il en a vite conclu que l'avia­tion ennemie était seule à tenir l'air et qu'en face le soldat allemand était parfaitement tranquille. Il reviendra difficilement sur cette opinion simpliste. Et par la suite il arrivera fréquemment que des avions français essuieront par méprise son feu, même à basse altitude, les cocardes tricolores parfaitement visibles. Pour lui, tout avion qui le survolera sera, par définition, un avion ennemi.

Une telle erreur d'optique est imputable avant tout au désarroi des esprits, mais aussi au fait que les aviations de reconnaissance et de bombardement belligérantes travaillent réciproquement au-delà des lignes de l'adversaire, comme il est évident. Quant aux combats aériens, livrés le plus souvent à haute altitude, ils échap­paient à l'attention des observateurs terrestres. Le troupier, dans la plupart des cas, ne voyait que les avions qui s'en prenaient direc­tement à lui. De là, son état d'âme (i).

Dans l'après-midi du 10 mai, les bombardements ne se renou­vellent pas, sinon en des pointe isolés. Le premier acte de la grande offensive nazie sur le front de l'Ouest vient d'être joué par l'avia­tion. La bataille aérienne va revêtir rapidement un caractère violent. Pour la mieux suivre, considérons-la sous ses trois aspects ; chasse, bombardement, renseignement.

(i) Par un juste retour des choses, cinq ans plus tard, lorsque les armées nazies plieront sous la pression alliée et seront en pleine retraite, les soldats allemands, démoralisés, se conduiront exactement 4e la même manière. Us prétendront, â toute oeeaa«n, n'apercevoir que des avions français, anglais, américains. Us tireront fréquemment sur les leurs, malgré les croix gammées bien visibles, noires sur fond rouge.

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L'AVIATION DE CHASSE

Les vingt-deux années qui séparent 1940 de 1913 ont été mar­quées par de nombreux progrès techniques dans le domaine de l'aviation militaire. Les équipages combattent aujourd'hui dams des conditions entièrement différentes de celles de jadis.

En 1940, l'équipage, enfermé dans son cockpit de plexiglass, y voit presque aussi bien que lorsqu'il était, comme jadis, assis à l'air libre derrière un mince pare-brise, il y yoit même beaneoup mieux s'il s'agit d'un avion de rewnnaissan.ce, car son appareil photographique est doué d'une vue perçante et infaillible, sans défauts de mémoire.

Par-dessus tout, il est en liaison permanente avec la terre et le éeL Son poste radio à ondes courtes lui permet de communiquer ^différemment avec les observateurs restés en bas, ou ses .compa­gnons de vol. Des conversations générales s'engagent souyentà travers l'espace entre plusieurs interlocuteurs à la fois, comme s'ils étaient réunis dans une même salle. La portée des appareils de radiophonie atteint, en 1940, quelques dizaines de Jkiiomètrea, Elle augmentera progressivement à bord des gros avions de bombarde­ment, pour parvenir, en 1945, jusqu'à 400 ou 500 Mtomètres.

C'est dire qu'il s'agit d'une innovation d'une extrême impor­tance. Un équipage isolé m en vol de groupe ne cessera plus d'être" orienté, guidé, soit du sol soit d'un avion de commandement. Il pourra, de son eôté, réclamer des indications, des ordres et passer des renseignements. Il ne sera jamais abandonné à lui-même,

C'est à la chasse surtout que la phonie^l) y* rendre d'inappré­ciables services.

Nos chasseurs se heurtent tout de suite à des groupes de vingt, trente, ou même quarante bombardiers Heinkd 111 et Dornier 17 protégés par autant de Mess&r&chmitt 109 ou 110. Les combats revêtent, dès l'instant, un caractère collectif. Cela n'empêche pas les équipiers de se distinguer individuellement dans la mêlée. Si un adversaire est abattu, on sait presque toujours sans erreur quel est son vainqueur. Parfois aussi, la victoire est remportée par plusieurs pilotes à la fois. Mais on sait aussi lesquels. Durant toute la rencontre, c'est un concert infernal de radiophonie, en langue française et en langue allemande. Tout le monde s'interpelle, crie

(1) Par abréviation de radlephonla.

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des ordres, des indications, pousse des exclamations. Et d'en bas, aux postes de commandement de la chasse, dans les voitures-radio, on peut suivre avec émotion les péripéties d'une bataille dont on n'aperçoit que rarement les protagonistes, car elle se déroule à une grande distance, ou à une altitude de 10.000, 11.000 mètres, où les appareils cessent d'être visibles.

L'ensemble de la chasse française est aux ordres du général d'Harcourt, figure illustre de la Grande Guerre et dont le prestige enflamme les cœurs des pilotes d'aujourd'hui. Il n'a pas besoin de les stimuler. Ils ont les mêmes qualités que leurs aînés, la même fougue, le même désir de combattre. Si en cette matinée du 10 mai la joie des chasseurs allemands, ceux des Udet, des Knocke, des Galland, est grande, qu'ils sachent qu'elle est bien partagée ! Les jeunes chasseurs français brûlent de les rencontrer. Qu'importe qu'ils soient moins nombreux, moins bien armés, l'audace et l'ha­bileté y suppléeront ! La volonté aussi, la volonté, acharnée de la bagarre, de la guerre. Ils l'attendent depuis toujours. S'il en était autrement, ils ne seraient pas dignes d'être chasseurs. II faut des hommes comme eux.

Les missions dont ils sont chargés ne sont pas simples, il leur faut à la fois : assurer la éouverture du territoire contre les bombar­diers ennemis, interdire à l'aviation de reconnaissance allemande le survol de la zone des armées, protéger nos propres bombardiers et avions de renseignement s'aventurant au-delà des lignes.

Rôle impossible quand on est 418 pour tout faire... Mais une belle besogne est tout de même accomplie. Comme on

l'a vu, l'aviation allemande paye dès le premier jour un lourd tribut à cette maîtrise de l'air qu'elle a préparée avec tant d'astuce et de soin et que l'aviation alliée ne peut présentement lui contester. Ce tribut, c'est la chasse française qui, seule, le lui fait aujourd'hui acquitter. La chasse anglaise basée en France a un effectif trop infime pour pouvoir utilement intervenir. Son tour viendra plus tard, glorieusement.

Près de 100 avions ennemis abattus dans la journée... Les maîtres de la Ltiftwaffe peuvent méditer sur ce chiffre. Ils y méditent, mais ne s'y arrêtent pas. Ils ont raison car ils sont riches, ils peuvent durer, ils ont toutes leurs réserves derrière eux. Bien que moins élevées, les pertes de la chasse française sont cependant cruelles. Elles sont autrement plus graves à supporter, parce que, là, les réserves manquent. Tout avion français perdu équivaut à dix

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avions allemands détruits. Cela, G-oering et Milch le savent. A ce train-là, l'aviation allemande ne peut être que gagnante. L'usure française sera sans remède. Il n'y a qu'à continuer à cette allure.

Et l'allure va continuer, s'accélérer, atteindre à un rythme forcé durant un mois et demi entier, durant exactement quarante-cinq jours terribles, les quarante-cinq jours de ce printemps de 1940 dont le souvenir ne saurait être perdu. Avec un héroïsme qui est allé au-delà des limites humaines, la chasse française s'est sur­passée. Elle n'a jamais faibli, jamais désespéré. Bien au contraire 1 Elle a infligé à l'ennemi des pertes sanglantes. Elle s'est battue à un contre huit, contre dix, puis à un contre vingt et, à la fin, à un contre cinquante ; elle s'est battue avec des avions surclassés dès le début, réparés, retapés, rafistolés parfois contre toute raison, en une nuit, pour certains hachés de projectiles, presque en loques, parce qu'on n'en avait plus d'autres à lui donner ; elle s'est battue avec un armement insuffisant, quelquefois désuet, périmé, avec des canons de capot trop rares, des mitrailleuses alimentées à quelques secondes de tir seulement, obligeant à approcher de très près l'ennemi qui, lui, s'offrait le luxe d'ouvrir le feu de fort loin, dispo­sant de plusieurs minutes de tir.

Volant sans arrêt, atterrissant, faisant pour la deuxième, pour la troisième fois le plein, repartant, se jetant à nouveau dans la fournaise, ne dormant plus en ces cruciales journées de juin de dix-neuf heures dé clarté solaire, où il fallait à tout prix tenir l'air, garder le ciel, vivant sur leurs nerfs, sur leur rage, leur humilia­tion de voir chaque soir s'élargir au-dessous d'eux le flot de l'inva­sion que les troupes du sol n'arrivaient pas à contenir, les jeunes chasseurs français ont jeté un défi à l'impossible et l'ont presque gagné. Ils l'ont gagné. Ils ont fait supporter à l'aviation ennemie infiniment plus de pertes qu'ils n'en ont eux-mêmes subi.

Sur le moment, il était déjà permis de le penser, mais sans pou­voir le dire avec certitude, les preuves faisant défaut. Aujourd'hui, les chiffres parlent, ils en apportent l'affirmation, chiffres français et chiffres allemands contrôlés. Les voici officiellement établis :

Pour la période du 10 mai au 10 juin, soit en trente jours (1), la chasse française a abattu 778 avions allemands, la chasse allemande 305 avions français. (La D. C. A. et les défenses rapprochées fran­çaises comptent en plus, de leur côté, 204 appareils ennemis détruits).

(1) Au-delà du 10 juin, les chiffres deviennent incertains et ne peuvent être assurés, par suite de la tenue insuffisante des pièces d'archives, ou de leur destruction.

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Sur les 418 avions-monoplace» qu'elle a engagé» le 10 mair

puis qu'elle a entretenus ou remplacés, comme elle l'a pu, après cette date, la chasse française a perdu : 104 pilotes tués, 100 disparus (dont beaucoup de tués, ignorés et jamais retrouvés) et 158 blessés ayant pu revenir atterrir quelque part dans les lignes, ou ayant sauté en parachute.

Encore beaucoup de ce» pertes des chasseurs français ne sont-elles pas du fait de l'aviation allemande. L'histoire doit retenir que, sur l'ordre du haut-commandement, lorsque la débâcle com­mença à s'accentuer, le front étant enfoncé, la chasse dut s'engager dans des conditions invraisemblables. Elle fut lancée à l'assaut des colonnes blindées allemandes, les attaquant au ras du sol, en straffing, avec leurs mitrailleuses de capot, suppléant ainsi à l'ab­sence d'une aviation d'assaut à laquelle Pétat-major n'avait, en temps de paix, accordé que peu de foi, mais que tout le monde réclamait à présent. Sans mitrailleuses lourdes, sans canon, sans balles perforantes, les Morane 406, les Bloch 151 et les Cartiss P. 36 se ruèrent de tout leur cœur contre les panzer. Sacrifice coûteux et pratiquement inefficace avec un armement trop léger, dérisoire contre des cuirasses d'acier. Peu de chars furent incendiés, par contre nombre de chasseurs jonchèrent les routes, abattus par le rideau de feu tendus par les voitures de D. C. A. accompagnant les divisions blindées allemandes et qu'il fallait, véritable enfer, obligatoirement traverser au moment de prononcer l'attaque.

Il est permis aujourd'hui d'établir le tableau des victoire» aériennes de la chasse française pendant cette courte période de 1940. Voici par ordre numérique la liste des unités se classant en tête du palmarès r

Numéros des Groupes Type de l'avion Nombres d'appareils en, service ennemis abattus

Groupe 1 fh — 1/3 — 2/4 — 2/5 — 2/7 — 2/2 — 3/2 — • 1/4 — a/6

Curtiss P. 36 Dewoitine 520 Curtiss P. 36 Cartiss P. 36 Morane 406 Morane 406 Morane 406 Curtiss P. 36 Morane 406

111 72 71 70 50 50 46 42 23

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Le reste des victoires se répartit à peu près à égalité entre le» autres groupes. Ce tableau met en lumière le rôle capital joué par le matériel dans le domaine du combat aérien. Les deux groupes venant en tête sont équipés des deux types d'avions de chasse le» plus rapides, les mieux armés, les plus maniables : le français Dewoiline 520 et l'américain Curtiss P. 36 (1).

Mais les progrès techniques ne serviraient à rien sans les force» morales. Ceiks-ci ont donné à plein, malgré les mauvaise» condition» d'engagement. Dès la première heure, se sont révélés de jeune» pilotes d'une trempe qui ne le cédait en rien â celle de» as les plu» célèbres de 14-18. Pour peu que la guerre eût duré, ils eussent été connus et célébrés avec la même ferveur que leurs aînés. Ils l'eussent mérité.

Quand le 24 juin interviendra l'armistice, le chasseur totalisant le plus de victoires sera le lieutenant Marin-la-Meslée, du Groupe 1 /5, au nom puissamment évocateur et comme prédestiné. Il comptera 20 avions ennemis abattus dans no» lignes, tous homologués. Immé­diatement derrière lui, s'inscriront les deux chefs d'escadrilles de ce même Groupe 1 /5, le capitaine Dorance avec 16 victoires et le capi-

. taine Accart avec 15. Puis, le lieutenant le Gloan, du Groupe 1 /3 , avec également 15 victoires.

Le Gloan accomplira l'exploit unique d'abattre, en quatre • minutes, quatre avions italiens, tombés le» uns à côté des autres,

aux quatre angles du terrain de Vinon, au bord de la Durance, alors qu'ils venaient de mitrailler et de bombarder les colonnes de réfugiés civils sans défense qui affluaient dans la vallée du Rhône. C'était le 23 juin, aux dernières heures de la guerre.

Doivent être retenus aussi les nom» de Rouquette 14 victoires, Plobeau 14 victoires, de Périna 13 victoires, Vuillemain 13 victoires, de Thollon, Muselh, du lieutenant de Puybusque, Paulhan, Raphenne, Portahs, des capitaines Patureau-Mirand, Baugnie» de Saint-Marceaux, avec chacun plus de 10 victoires, des lieutenants de Chézelles, Pinczon du Sel et de Forge, la plupart appartenant à la première promotion de cette Ecole de l'Air récemment créée, le Saiut-Cyr de l'aviation. A citer encore le lieutenant Audemar d'Alençon, Père Système de cette même promotion, avec 9 victoire», succombant finalement sous le nombre et retrouvé écrasé dans un champ avec son Curtiss, mais encadré des deux Messerschmitt

({) Une seule escadrille, ataUnunuMaeal» eat le terni* d'être équipée en Dewottin* \ eio avant la délalte de 1840.

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qu'il venait d'abattre au plus fort de la mêlée et dont les débris. jonchaient le sol à ses côtés.

A citer également les noms du commandant Hughes, comman­dant le Groupe 2 /5, et de ses deux chefs d'escadrille, les capitaines Claude et Guieu, celui du commandant Hertaut, commandant le Groupe 1 /4, le nom enfin du capitaine Williame, commandant Y Es­cadrille 3, l'escadrille de Guynemer, dont les avions, héritiers des glorieux Spad de 1917, portent encore au fuselage la légendaire cigogne, la seule vraie, celle dont la pointe de Vaile est tournée vers le bas. Williame totalisera 9 victoires et annoncera chacune d'elles, selon la tradition de Guynemer pieusement conservée, en revenant au-dessus du terrain faire, au contact, chanter son moteur sur l'air des lampions : « Encore-un I Encore-un! Encore-un! »

Tous, ou presque tous, aujourd'hui sont morts, soit au cours de ces quarante-cinq jours de 1940, soit après avoir repris les armes en Angleterre, ou plus tard en Afrique du Nord, lorsque la France put rentrer dans la lutte ; morts, Marin-la-Meslée, Dorance, Le Gloan, Rouquette, Périna, Vuillemain, de Puybusque, Paulhan, Portalis, Patureau-Mirand, de Chézelles, Pinczon du Sel, de Forge, d'Alençon, Hughes, Claude et Guieu, Hertaut et Williame, tous tués à l'ennemi en combat aérien. Et tant d'autres avec eux...

Seuls, en ont réchappé le valeureux Accart, celui qui abattit trois avions le 10 mai et sept en deux jours, mais fut descendu, en juin, au-dessus du Jura, en attaquant trente Heinkel 111 et, grièvement blessé, réussit, au moment de perdre connaissance, à ouvrir son cockpit et à sauter, couvert de sang, en parachute ; le lieutenant Muselli qui, quinze ans plus tard, deviendra un bril­lant pilote d'essais, chargé de mettre au point les futurs prototypes d'avions de chasse à réaction de la nouvelle armée de l'Air. En a réchappé aussi le commandant Murtin, commandant le Groupe tenant du record des victoires, le fameux 1/5, qui, trois ans plus tard, en 1943, ne dut son salut, lui aussi, qu'à son parachute et se posa en mer, une jambe arrachée, et fut miraculeusement recueilli (1).

En vérité, dans cette chasse servit une élite de la jeunesse fran­çaise, une élite magnifique par la bravoure, la foi patriotique, la gaieté dans le combat, la volonté et la certitude de vaincre. Il

(1) Le commandant Murtin, amputé d'une jambe, reprit dès que possible sa place au combat, continuant de piloter comme auparavant les appareils de cbasse les plus rapides. Il poursuivit sa carrière et devint général de l'Armée de l'Air.

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lui manqua seulement la chance d'avoir vécu à une époque où la France se fût révélée clairvoyante, ferme, résolue et capable de donner des armes à ses fils.

Aussi, le général d'Harcourt, son commandant en chef, eut-il le droit au soir funèbre de la séparation, de la saluer de cet ordre du jour dont les derniers mots sont restés dans le cœur des survivants : « A l'heure où l'aviation de chasse ferme ses ailes dans l'attente de jours meilleurs, elle peut être itère de la tâche accomplie. Il n'a pas dépendu d'elle que les événements trouvent une autre issue. »

Elle pouvait être fière, en effet. Quand, le 24 juin 1940, la France dut restituer à l'Allemagne les prisonniers qu'elle avait capturés, il ne s'en trouvait qu'à peine 2.000, pas davantage. Encore sur ce nombre figurait celui des aviateurs allemands abattus par la chasse française, plus de 700, soit plus du tiers de l'ensemble. Elle est à conserver, cette phrase du général inspecteur général de la Ltift-waffe, saisi d'étonnement d'apprendre le chiffre réellement infime des chasseurs français, s'adressant au général Vuillemin :

— Quels hommes aviez-vous donc sous vos ordres pour avoir pu, avec aussi peu de monde et un matériel inférieur au nôtre, nous faire autant de mal ?

Il n'est pas de plus grand hommage que celui que vous rend l'ennemi.

VAVIATION DE BOMBARDEMENT

Le répit de l'hiver n'a pas permis d'améliorer sensiblement la situation de l'aviation de bombardement, ni de faire sortir de terre une aviation d'assaut dont la doctrine même était encore en expé­rimentation le 3 septembre, au Centre d'Essais de Reims. On ne rattrape pas en huit mois dix années de retard.

On a travaillé d'arrache-pied pourtant. L'inaction paraissant bien installée sur le front, on en a profité pour replier sur des terrains de Provence urt certain nombre de groupes de bombardement, afin de les doter d'appareils plus récents et d'entraîner les équi­pages à leur emploi. On a, en même temps, poussé la construction des Lioré-Olivier 45 et des nouveaux Amiot 354 et pressé l'arrivée des Glenn Martin et des Douglas attendus des Etats-Unis. Hélas ! bien peu seront là au moment de l'offensive allemande.

Le 10 mai, les groupes sont rappelés en hâte vers le nord-est. LA KJsiVUfi N« H 2

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Ils rallient le soir-même les divisions de bombardement et leurs zones aériennes respectives. Presque tous sont encore équipés en Amiot 143, Bloch 210 et Farman 221. Il va falloir se battre avec ces vieux rafiots, lents et mal armés. Le commandement de l'Air n'a aucune illusion. Les équipages encore moins, fixés comme ils sont sur la valeur de ce matériel. S'ils ont maugréé tout l'hiver pour en obtenir la réforme, maintenant ils se taisent. C'est fini, On n'a pas autre chose à leur donner, ils le savent, alors ils marche­ront avec ça...

Ils marcheront même dans des conditions désastreuses, car le Grand Quartier Général, saisi d'anxiété par l'apparition des panzer-divisionen sur le front des Ardennes, puis d'angoisse par la formi­dable poussée exercée à la jonction des IIe et IXe armées, s'est tourné vers le général Vuillemin et lui a demandé l'engagement d'urgence des divisions de bombardement contre les colonnes blindées, pour briser leur effort.

C'est une mission impossible à accomplir sans de graves risques, le bombardement étant équipé, pour les deux tiers, en gros bom­bardiers de nuit, prévus pour des missions lointaines à l'intérieur du territoire ennemi. Ils sont voués à une destruction immédiate s'ils sont utilisés sur le champ de bataille à la clarté du jour. Il y faudrait de nombreux avions moyens-porteurs et surtout de l'avia­tion d'assaut, cette aviation au sujet de laquelle les augures épi-loguaient encore l'été dernier, contestant son intérêt, alors qu'au­jourd'hui tous l'appellent avec une insistance et une ferveur déses­pérées. Or, d'aviation d'assaut, il n'existe encore qu'un échantillon : deux groupes de Breguet 693, les 18e et 19e groupes, que l'on vient de réunir, sous les ordres du général Girier en une seule unité baptisée 6e brigade d'assaut, un bien beau titre. Quarante avions, pas davantage, et'encore pas tous au point.

Quant aux bombardiers moyens-porteurs modernes, le compte est vite fait : six groupes de Liorè-Olivier 45 et deux groupes de Glenn Martin. De la poussière en face de l'aviation allemande. Tout le reste n'est, encore une fois, que Bloch 210, Amiot 143, Farman 221. Figurent bien encore sur le papier cinq groupes de Douglas, deux de Liorè-Olivier et deux de Glenn Martin, mais ils ne sont pas là, ils sont en train de s'équiper là-bas... en Afrique du Nord, au Maroc, et ne rallieront que le 25 mai.

lie général Vuillemin n'a, en somme, presque rien pour faire droit à la demande qui lui est adressée. Mais peut-il refuser ? Non. il

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acquiesce... Quand l'infanterie se fait enfoncer, l'aviation ne saurait, quel qu'en soit le prix, ménager son concours. Tout va donc être engagé, — tout. Et d'abord les deux groupes d'assaut, puis les huit groupes de moyens-porteurs et enfin le total du reste, les gros bombardiers de nuit périmés, comme les autres. On les enverra s'il le faut, se faire massacrer en plein soleil.

On n'a pas cru à l'aviation offensive sur le champ de bataille, on a négligé les enseignements de la guerre civile d'Espagne, pour­tant aveuglants, et même ceux, tout récents, de la campagne de Pologne. Maintenant il faut payer. L'ennemi est là qu,i frappe à la porte. La dette est criarde. Ce sont les équipages qui vont l'acquit­ter, signer le chèque avec leur sang.

Dès le soir du 10 mai, puis les jours et les nuits qui suivent, l'aviation de bombardement se multiplie pour répondre à tous les appels qui lui sont adressés. Les équipages sont sur la brèche sans une heure de repos. Des tonnes de bombes sont déversées sur les colonnes allemandes. Parfois avec succès. Missions enivrantes, car dans certains secteurs l'ennemi, adoptant une méthode nouvelle, roule la nuit tous feux éclairés. Pour lui, le facteur essentiel, comme dans l'emploi de la phonie, n'est plus le secret mais la vitesse.

Cependant, la Flak qui accompagne les panzerdivisionen est remarquable.. Pris dans les faisceaux des projecteurs, canonnés, mitraillés, nombre d'Amiot 143, de Bloch 210 et de Farman 221 ne rentrent pas, abattus dans les ténèbres ou rallient péniblement leurs bases, criblés de projectiles, leurs tôles perforées, leurs supers­tructures déchiquetées, leurs moteurs arrêtés, avec, sur les cinq hommes d'équipage, parfois deux, trois morts, quatre, cinq blessés. Et à l'aube, les survivants repartent...

Entre le 10 et le 15 mai, le tiers de l'aviation de bombardement française a disparu. Encore, le matériel pourrait-il être remplacé, mais non les équipages. Il faut longtemps, très longtemps, pour former un équipage de bombardier, surtout de bombardier de nuit. Or, on ne peut les ménager, on n'en a ni les moyens ni le temps, on les dépense sans compter. Ils fondent comme cire dans la fournaise.

Si le génie belge n'a pas fait sauter les ponts de la Meuse dans la région de Maëstricht, le génie français n'a pas fait sauter les siens dans la région de Sedan. La Semoy est franchie, le Chiers est franchi la Meuse est franchie. Le recul est si profond le 14 mai au matin, le désarroi si grand, que l'artillerie n'est déjà plus à même de prendre sous son feu ces ponts de Sedan que, négligence impardonnable,

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on a laissés intacts. L'ennemi les utilise en force. A l'aviation d'aller là-bas ! Il faut coûte que coûte démolir ces ponts à coups de bombes, a décrété le Grand Quartier Général. Ordre est donné à la 12e escadre de moyens-porteurs, aux 34e et 38e escadres de bom­bardement de nuit de se rendre en plein jour sur les lieux, en vols de groupe, et de couper les ponts sur le Chiers, à l'est de Sedan, et sur la Meuse en amont de la ville. La mission devra être accom­plie à tout prix. Pour que le but soit sûrement atteint, l'altitude fixée est 800 mètres. Folie héroïque, prescrite et exécutée en pleine conscience, en toute connaissance de cause. A cette altitude, avec des Amiot 143 de 10 tonnes, peints en noir (puisqu'ils sont avions de nuit) marchant à 290 kilomètres à l'heure, incapables de faire la moindre acrobatie, les 34e et 38e escadres seront la proie de la Flak et des chasseurs allemands. Deux groupes de Morane 406 les accompagnent bien pour les protéger, mais c'est insuffisant, tout le monde le sait. Ce n'est qu'un geste. Le salut à ceux qui vont mourir.

Au soir tombant, c'est fini, les ponts sont coupés, sauf un. Mission remplie, mais mission mutile. -Les Allemands ont tous les moyens pour rétablir aussitôt les passages, tous les radeaux pneu­matiques voulus pour faire franchir la Meuse à leurs troupes, même aux chars. Ce n'est pas seulement en faisant sauter les ponts qu'on garde une rivière, mais en tenant la rive.

Couper les ponts, détruire les piles, formules surannées du temps des pantalons rouges. Elles ne contiennent plus que le vent du passé. Leurres n'abusant personne, même pas le haut commandement qui les emploie. Mais la situation est devenue si grave qu'il faut accom­plir n'importe quoi, faire du bruit, tirer, bombarder, se montrer dans le ciel, quand ce ne serait que pour soutenir le moral des unités prêtes à plier, à se débander. Oui, en ces terribles jours, il faut acquitter le prix de l'indolence et de l'erreur, il faut payer.

Les 34e et 38e escadres payent... Quand leurs débris se présentent au retour sur les terrains de la

Ferté-Gaucher et de Nangis, les regards s'abaissent, personne n'ose en faire le décompte. Ce sont deux escadres qui étaient parties, ce sont deux escadrilles qui reviennent. Plus des deux tiers des avions ont été abattus par la Flak, ou par les Messerschmitt 109 ou 110. Certains ,désemparés, à l'état d'écumoires, se sont posés où ils ont pu à travers champs. Beaucoup d'officiers, de sous-officiers, de mitrail­leurs ont sombré en plein ciel dians leurs avions en flammes. Parmi

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eux, le beau visage du commandant de Laubier, de la 34e escadre, vétéran de la guerre de 1914-1918, père aujourd'hui de six enfants. Puisqu'il s'agissait, ce jour-là, d'une mission de sacrifice, d'un holo­causte destiné à sauver l'honneur, sa place était à bord, au poste le plus exposé, avait-il décidé, celui de mitrailleur-arrière. Tout en exerçant son commandement de groupe, il avait fait lever le ser­gent Ankaoua et pris son arme de ses mains, dans la tourelle. C'est lui qui accueillerait le premier les Messers. Laubier n'est pas le seul parmi les anciens du bombardement de 14-18 à avoir donné l'exemple aux jeunes équipages de 1940.

Parmi beaucoup d'autres, comment ne pas citer le lieutenant-colonel Dagnaux, grand aviateur connu de tous les Français, ayant fait presque toute la première guerre mondiale, alors lieutenant, comme co-équipier du général Vuillemin, alors commandant ? Blessé et amputé d'une jambe en 1917, il avait dès que possible repris sa place à ses côtés. Leur équipage était célèbre. Aujourd'hui, Vuillemin commandait en chef toutes les forces aériennes françaises, Dagnaux, réserviste, pionnier des lignes commerciales d'Afrique, avait rejoint le Groupement de Bombardement n° 9, aux ordres du colonel François, et en exerçait le commandement en second, groupement comprenant cette même 34e escadre du commandant de Laubier.

Le 17 mai, au cours d'une mission de nuit, Dagnaux, à bord d'un Amiot 354 (nouveau type d'avion récemment livré) est pris dans les faisceaux des projecteurs d'une colonne blindée qu'il attaquait à la bombe à 500 mètres d'altitude, en lisière de la forêt de Nouvion. Ne pouvant s'en dégager, il est bientôt abattu en flammes sur le village de la Vallée-aux-Bleds. Mort héroïque comme il y en aura d'autres à ce groupement qui, à l'armistice, comptera 637 missions de guerre, aura lancé 301 tonnes de bombes et perdu 23 officiers, 48 sous-officiers et 9 mécaniciens-navigants tués à l'ennemi.

Là encore, l'adversaire a rendu hommage aux équipages de bombardement français. Il n'est que lire ces lignes publiées dans la revue Die Wehrmacht par le major von Kielmansegge, de l'état-major de la l r e panzerdivision, qui se trouvait le 14 mai à Sedan, au moment de l'attaque des 12e, 34e et 38e escadres : « Sans arrêt les avions français se lancent vers leur objectif (un pont intact) avec un cran qui mérite d'être mentionné. Car il faut vraiment de la témérité et du cran pour plonger ainsi dans l'enfer déchaîné de notre D. C. A.

« Sans arrêt, des avions ennemis sont abattus. Après chaque

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coup au but, l'explosion fait un panache de fumée qui reste un ins­tant suspendu dans l'air surchauffé. Quelquefois, un ou deux para­chutes blancs se détachent des appareils en perdition et descendent lentement vers le sol.

« Dans la journée du 14 mai, à ce seul endroit, l'adversaire a perdu plus de 40 avions, dont 28 abattus par la seule D. C. A. de la l r e panzerdivision (les autres par les chasseurs.) Je reste peu de temps près du pont, à peine une heure. J'en vois abattre onze. »

Un unique commentaire, si le troupier français ne voyait pas nos avions, ni chasseurs, ni bombardiers, l'ennemi, lui, savait les découvrir.

L'AVIATION D'ASSAUT

Tandis que se dévoue l'aviation de bombardement, la brigade. d'assaut du général Girier tente de son côté l'impossible, pour ralentir le flot de l'invasion.

Le 18e groupement, aux ordres du lieutenant-colonel Démery, a quitté la Provence le 5 mai pour la zone des armées, car depuis la Norvège, la situation se tend de jour en jour. A peine prêt, il rallie les terrains de Roye et de Montdidier, le 19° ne devant le rejoindre que le 17. Dès le 12, il est engagé. La veille, tous les jeunes officiers ont chanté à pleine voix la chanson de l'Ecole de l'Air, digne pen­dant de La Galette de Saint-Cyr :

Notre moteur a son plein d'huile, Qu'on nous prépare un bon cercueil I Toutes les femmes de la ville • Prendront le deuil, prendront le deuil 1

Les verres se sont entre-ch'oqués joyeusement. Et c'est la bataille de Tongres qui restera dans les annales de

l'Armée de l'Air. Le groupe 1 /54 y donne à plein, avec une fougue qui confère tout de suite ses lettres de noblesse à l'aviationd'assaut. Les colonnes motorisées allemandes sont assaillies sur l'axe Maës-tricht - Tongres - Tirlemont, à 400 à l'heure, au ras du sol. Les bombes et les rafales de mitrailleuses y tracent des coupes sanglantes, mais, les uns après les autres, la plupart des bi-moteurs Bréguet 693 sont abattus par la Flak ennemie. Le chef du groupe, le comman-Plou, tombe le premier dans son avion en feu (1). Les autres suivent...

(i ) Miraculeusement indemne, il est fait prisonnier, mais réussira à s'évader le 9 décem­bre 1940 et reprendra les armes contre l'Allemagne en Afrique du Nord, le 8novémbrel942.

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Quand le soir vient, deux équipages seulement sur les douze partis rallient le terrain, hachés de balles, méconnaissables, ceux du lieutenant Rivet et du sergent-chef Normand. Les dix autres ne rentreront pas... Parmi eux, celui du lieutenant Dekttre, figure de légende, véritable Lasalle de la cavalerie de l'air, celui qui disait en partant : « On ira jusqu'au bout et à fond, je commande à une équipe de gars décidés à se faire casser la gueule. »

Ils ont tenu parole. Au groupé 2/54 emmené par le commandant Grenet, l'élan

a été le même. Il ne compte que sept équipages disponibles. Plus heureux qu'au 1 /54, sur ces sept-là il en reviendra cinq. Au nombre des tués, le lieutenant de la Porte du Theil abattu en flammes... à Waterloo.

Les pertes des colonnes allemandes ont été sévères, le désordre à été mis dans leurs rangs, des voitures incendiées, culbutées, plu­sieurs heures de marche perdues. Ah ! si au lieu de dix-neuf avions d'assaut, la France avait été capable d'en lancer deux ou trois cents au cours de ces brûlantes journées de mai 1940, la fortune des armes pouvait encore changer !

Le 19e groupement rejoint bientôt les restes du 18e et de nou­velles actions sont conduites jusqu'à l'armistice, avec des résultats presque toujours heureux, en particulier le 13 juin contre d'impor­tantes formations de chars au nord de Montmirail.

Quand le 24, les opérations doivent être arrêtées et que le voile de deuil tombe sur la France, l'aviation d'assaut a inscrit le premier chevron de sang sur son blason d'azur. Elle a établi la preuve que c'est bien elle, ainsi que l'annonçaient les esprits clairvoyants, qui désormais remplacerait la cavalerie de jadis et chargerait au moment utile, sur le champ de bataille. Elle connaîtrait comme elle l'ivresse d'exploiter la victoire et l'honneur de se sacrifier à l'heure de la défaite.

(A suivre.)

RENÉ CHAMBE.