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Presses Universitaires du Mirail L’île du docteur Castro, la transition confisquée by Corinne CUMERLATO; Denis ROUSSEAU Review by: Pierre VAYSSIERE Caravelle (1988-), No. 75, NOUVEAUX BRÉSILS FIN DE SIÈCLE (Décembre 2000), pp. 256-260 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40853879 . Accessed: 15/06/2014 19:33 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caravelle (1988-). http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.109 on Sun, 15 Jun 2014 19:33:06 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

NOUVEAUX BRÉSILS FIN DE SIÈCLE || L’île du docteur Castro, la transition confisquéeby Corinne CUMERLATO; Denis ROUSSEAU

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L’île du docteur Castro, la transition confisquée by Corinne CUMERLATO; Denis ROUSSEAUReview by: Pierre VAYSSIERECaravelle (1988-), No. 75, NOUVEAUX BRÉSILS FIN DE SIÈCLE (Décembre 2000), pp. 256-260Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40853879 .

Accessed: 15/06/2014 19:33

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ce travail collectif. Tel est bien le paradoxe de cette décision nord-américaine : justifiée par l'argument du nécessaire retour à la démocratie, face à un vieux caudillo inébranlable, il se traduit par des effets antidémocratiques dans le domaine politique aussi bien que social. Il contribue indirectement au maintien de la dictature castriste.

Pierre VAYSSIERE Université de Toulouse-Le Mirail

Corinne CUMERLATO, Denis ROUSSEAU.- L'île du docteur Castro, la transition confisquée.- Paris, Stock, 2000.- 313 p.

Cuba ne faisant plus recette auprès des universitaires, ce sont les journalistes qui se chargent de décrire le présent cubain et d'anticiper sur son avenir incertain. Après l'ouvrage d'Olivier Languepin {Cuba, la faillite d'une utopie, Le Monde-folio, 1999 -voir le compte rendu dans le numéro 74 de Caravelle), celui qui nous occupe aujourd'hui est l'œuvre de deux correspondants français, qui ont séjourné de 1996 à 1999 dans la capitale cubaine, et qui proposent ici un diagnostic aussi précis que pessimiste sur le présent et l'avenir immédiat de ce qu'ils appellent le système totalitaire cubain, un système qui repose tout entier sur la personnalité d'un homme de soixante-treize ans, qui parvient largement à garder le cap d'un socialisme qu'il est à peu près le seul à définir et à contrôler, malgré des signes incontestables de dépérissement.

Selon un itinéraire assez journalistique (mais c'est la loi du genre), les auteurs nous conduisent, en un mouvement tournoyant, du champ politique aux « questions de société », de l'économie à la culture, avec retour obligé sur la lancinante question de la « transition » - question toute théorique qui ne peut déboucher que sur des scénarios savants, mais hors d'actualité face à la résistance d'un patriarche qui s'accroche au pouvoir.

Le premier chapitre, intitulé « le survivant », apparaît comme une ébauche biographique plutôt réussie, car il esquisse quelques-uns des traits les plus saillants de cette personnalité hors du commun. Un orgueil et un narcissisme exacerbés (« le monde entier se trompe s'il est en désaccord avec lui » - mais ce dernier pronom appellerait sans doute une majuscule...). Manipulateur hors pair, psychopathe obsédé par la trahison et fasciné par des pulsions de mort, doté d'une lucidité hors du commun : l'homme voit mieux et plus vite. Béni par une Chance insolente qui lui aurait permis d'échapper à 637 attentas, il apparaît comme le prophète d'une vision destructrice de l'Histoire, vision qui aurait pu enclencher une troisième guerre mondiale en octobre 1962... Omniprésent, omniscient et omnipotent, longtemps sportif, aimant jouer des rôles successifs, tour à tour épicier, maître d'hôtel et star des conférences internationales. Mais aux yeux des observateurs qui l'ont approché récemment, le Grand Manipulateur aurait perdu quelque peu de sa séduction ; sa voix se fait de moins en moins audible et parfois ses auditeurs privilégiés s'endorment, quand ils ne filent pas à l'anglaise de ses conférences de plus en plus ennuyeuses. La question majeure reste posée : jusqu'à quand le Líder Máximo continuera- t-il à maintenir sa « relation fusionnelle [et] castratrice avec les Cubains » (p. 38) ?

Il est hors de doute que, sans la « machinerie totalitaire » qu'il a mise en place dès 1961, Castro n'aurait pu survivre aussi longtemps. Matraquage idéologique par la télévision et la presse officielle, surveillance des individus par les CDR,

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délation, langue de bois des autorités, théâtre du consensus, antiaméricanisme viscéral, nature profondément militariste d'un régime qui entretient une psychose de guerre permanente restent les traits fondamentaux du goulag tropical ; selon Elizardo Sánchez Santa Cruz, président de la Commission cubaine des droits de l'homme, les prisonniers politiques comptent pour un pour cent de la population cubaine adulte - contre 84 pour 100.000 en France.

Et pourtant, l'image que renvoie Cuba aux millions de touristes qui la visitent n'est pas celle qu'en donnent ceux qui connaissent le « monstre » depuis l'intérieur, pour paraphraser José Marti. La plupart des Européens ou des Nord- Américains insouciants qui viennent jouir de son soleil et de ses plages n'ont qu'une vague idée de la vie ordinaire des Cubains, qui savent dissimuler leur intense exténuation par un masque d'humour, une autre manière de résister. Aujourd'hui - et au moins depuis une décennie - la véritable guérilla du quotidien, c'est la lutte pour la survie matérielle, pour le rationnement, l'électricité, le transport ou le logement. La ration journalière autorisée par la libreta a chuté de 30 % en vingt ans, et dépasse à peine les 2000 calories. D'où le système « débrouille » qui pousse chaque Cubain à resolver, presque toujours à l'encontre des principes révolutionnaires. Mais dans ce domaine aussi, l'égalité de principe est bafouée par l'instauration en 1993 d'un double circuit monétaire, et les Cubains qui n'ont pas accès au dollar deviennent des citoyens de deuxième zone. C'est d'ailleurs pour se procurer ces fabuleux dollars qu'un grand nombre de Cubaines se transforment, pour un temps, enjineteras, dans les hôtels de La Havane ou dans la station balnéaire de Varadero, et cela dans l'indifférence, voire avec la complicité des familles qui font taire leur douleur au nom du dollar. Selon Bohemia, « il existe une tolérance tacite de la société et des familles vis-à- vis des prostitués, hommes ou femmes, qui sont vus comme des gens ayant du succès, des gagnants » (p. 100). Même si le gouvernement semble avoir initié une certaine politique de répression face à la prostitution, il n'en reste pas moins que le tourisme sexuel ne s'arrêtera pas de sitôt - Cuba attend plus de deux millions de touristes en l'an 2000. L'île révolutionnaire et vertueuse est également menacée par tous les maux de la société capitaliste : violences urbaines, drogues et corruption, et ceci jusque dans les hautes sphères du pouvoir. Le désir de consommation est encore aggravé par le rêve américain renvoyé par le million d'exilés cubains en Floride ; ainsi, en 1998, 600.000 Cubains étaient demandeurs d'un visa, alors que l'Ambassade n'en attribua que 20.000, accordés par... tirage au sort. C'est pourquoi les balseros n'hésitent pas à risquer leur vie, la peur au ventre, pour franchir le Détroit de Floride - les auteurs estiment à 12.000 le nombre de Cubains qui ont disparu tragiquement en mer.

Tel est le diagnostic, plutôt sombre, proposé par nos auteurs sur la schizophrénie cubaine : « Le pays entier vit cette troublante dualité : double monnaie..., double marché..., double pays (celui des touristes et celui des Cubains), double religion (derrière les saints catholiques, les divinités africaines), et pour finir, double langage, double morale, double personnalité» (p. 119). Cette ambiguïté se retrouve dans le racisme ordinaire, condamné par la constitution, mais pratiqué subtilement (et révélé par des signes légers ou par des blagues plus pesantes), et même si la condition matérielle du Noir s'est réelle- ment améliorée par rapport à 1959, il n'en reste pas moins que la population noire et métisse reste amplement sous-représentée dans les sphères du pouvoir.

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Et que dire de cette economie cubaine « en sursis » ou en « trompe-l'œil », dans laquelle le tourisme est devenu la locomotive d'un système à l'agonie, que ce soit le sucre, un appareil industriel obsolète ou encore une agriculture qui ne nourrit plus ses hommes. Castro est trop heureux de pouvoir compter sur le « milliard des émigrés » de Miami, soit un tiers des recettes globales, abondées par le tourisme et par des exportations diverses. Selon le vice-président Carlos Lage, l'embargo américain, tant de fois condamné par les défenseurs de Cuba, « coûterait » près de 800 millions de dollars, un chiffre difficile à vérifier, mais qui semble ne pas tenir compte de tous les moyens mis en place à Cuba pour tourner l'embargo : selon nos auteurs, « l'embargo prend des allures de véritable passoire » (p. 241). Et par ailleurs, les investisseurs « autorisés » continuent de considérer Cuba, fortement endetté (11 milliards en Occident et 22 milliards dans l'ex-URSS) et à l'avenir politique incertain, comme un pays à risques, ce qui ne facilite guère la relance de l'investissement. Certes, plusieurs centaines d'entreprises mixtes ont vu le jour depuis 1995, sous la forme de «joint- ventures » avec l'Etat cubain, mais des réglementations restrictives (qui touchent d'ailleurs aussi les artisans cubains) ne facilitent guère la performance des capitalistes étrangers, qui ne peuvent même pas rémunérer directement leurs employés, payés par ... l'Etat cubain (en pesos).

L'originalité incontestable de ce livre à quatre mains tient dans la description précise et implacable de la décomposition irrémédiable du système, dernière arche du socialisme, mais qui fait eau de toute part. Granma se croit obligé de dénoncer les « attitudes sociales négatives », l'essoufflement de la ferveur révolutionnaire, les ravages du « téké » (la langue de bois communiste). A titre préventif, les services de la Sécurité d'Etat contrôlent de près toute forme de dissidence, contre laquelle a été adoptée la Loi 88 de Protection de l'indépendance nationale qui prévoit des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trente ans... Les journalistes dits indépendants sont décrits comme des mercenaires de l'Empire américain. Vladimiro Roca, dirigeant du Parti démocratique socialiste, a été condamné à cinq ans d'emprisonnement pour « agissements contre la Sécurité d'Etat », et de l'avis de tous, le régime s'est durci depuis 1999. La peine de mort a été rétablie contre la haute délinquance, la police se fait omniprésente, et l'on pouvait compter plus de 400 prisonniers politiques à la fin de 1999. La presse étrangère est suspectée, et des correspondants étrangers ont été expulsés, comme Olivier Languepin. La purge frappe jusqu'au sommet de l'Etat, et Roberto Robaina, figure aimable du régime et ministre des Relations extérieures, a été remplacé en mai 1999 par le jeune Felipe Pérez Roque, secrétaire particulier de Castro. Mais la faiblesse de l'opposition, ses divisions internes restent autant de points forts pour le régime, et les dizaines de mouvements de dissidence ne constituent pas un réel danger. Il faut sans doute attendre la maturation d'une autre génération de dissidents et de mouvements associatifs pour que surgisse enfin une société civile susceptible de dessiner une voie nouvelle dans la contestation. . .

Ainsi, les Cubains attendent, mais sans trop savoir quoi ; car, face à leur isolement et à leur pénurie, surgit en leur conscience la crainte d'un changement trop brutal, « la peur du saut dans le vide » (p. 187), et tout compte fait, la peur de la disparition du Líder Máximo - les Soviétiques n'ont-ils pas pleuré longuement à la mort du Petit Père des Peuples ? Alors, en attendant qu'émergent des solutions politiques, les Cubains redécouvrent les voies de la

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spiritualité. Autre paradoxe de la Cuba socialiste : dans cet Etat athée autant que laïc ont resurgi une vingtaine de religions, véritable mosaïque culturelle, et les divinités afro-cubaines cohabitent en bonne harmonie avec les saints catholiques (Babalu-ayé - Saint Lazare, Changó - sainte Barbe et Ochun déesse de l'amour - Vierge de la Charité du Cuivre...)- Parallèlement à ce syncrétisme, des centaines d'églises évangéliques ont été autorisées, tandis que des centres spirites ont vu le jour. Face à cette explosion, l'Eglise catholique revient de loin avec à peine ses deux cents prêtres, mais les relations de la hiérarchie et de l'Etat se « normalisent » au prix d'un apolitisme réel à l'égard des dissidents.

Si les Cubains se contentent, pour le moment, de survivre, ils semblent pris au piège de cette peur du lendemain. Même les « apparatchiks » s'interrogent face au syndrome de l'hyperactivité gériatrique du Grand Manipulateur. Bien des hypothèses sont formulées à La Havane sur 1'« après Castro ». Pour les uns, c'est le scénario chilien qui serait le moins douloureux : Castro lui-même participerait au processus de transition démocratique, ajoutant ainsi à sa légende de leader charismatique - mais cette hypothèse semble contredite par le durcissement du régime en 1999. Pour d'autres, il faut s'attendre à une révolution de palais (selon le modèle tunisien qui a vu Ben Ali destituer Habib Bourguiba pour cause de sénilité). Mais cette voie est rendue aléatoire par les nombreuses purges qui ont frappé l'armée depuis l'affaire Ochoa. D'autres encore craignent la mise en place d'une transition violente, à la « haïtienne », car le régime n'a qu'un numéro un, Fidel, qui suscite encore respect et crainte ; dans cette hypothèse, on pourrait s'attendre à des règlements de compte sanglants. Le scénario dit « constitutionnel » n'accorde guère de chance à Raúl Castro, dépourvu de charisme, alors qu'on met en avant un Ricardo Alarcón, président de l'Assemblée nationale, et surtout un Carlos Lage, le vice-président, copie conforme de Castro... Dans le jeu de la prospective, les plus imaginatifs envisagent même une sortie « à l'espagnole », en l'occurrence une sorte de pacte national entre toutes les tendances, pro et anti-castristes, dans le seul but d'éviter la guerre civile. Mais cette voie n'exclut pas, dans un premier temps, la prise du pouvoir par l'armée qui a beaucoup d'intérêts économiques et qui, par nature, a horreur du désordre. . .

Le diagnostic établi par Corinne Cumerlato et Denis Rousseau sur les perspectives cubaines ne sont guère, on le voit, encourageantes ; mais pour autant, le profond pessimisme qui se dégage de cette lecture ne justifie pas, à notre avis, le titre de l'ouvrage : l'île du docteur Castro n'a qu'un rapport très lointain avec cette île du docteur Moreau imaginée par Herbert George Wells en 1896 pour critiquer ses concitoyens britanniques. Les Cubains de l'an 2000 n'ont vraiment rien à voir avec ces êtres difformes, mi-bêtes mi-hommes, sortis du cerveau dérangé d'un apprenti sorcier. On voit bien, derrière ce titre, l'intention de nos auteurs, qui est de proposer une fable politique qui montrerait la paralysie des Cubains face à leur leader charismatique et tout-puissant : « en dépit de leur intelligence augmentée - écrit Wells - [ces monstres] possédaient certaines idées fixes implantées par Moreau dans leur esprit, qui bornait leur imagination. Ils étaient pour ainsi dire hypnotisés... ». Mais cet attentisme des Cubains n'obéit-il pas davantage à un instinct de survie collective ? S'ils savent que le régime castriste est totalement dépassé et sans avenir, ils craignent aussi pour leur sort personnel, et ils consacrent l'essentiel de leur énergie à survivre dans des conditions détestables, tout en transgressant les interdits : « le joug de la

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loi - poursuit H. G. Wells - s'affaiblissait singulièrement à la nuit tombante... ; au crépuscule, un esprit d'aventure les agitait et ils osaient alors des choses qui ne leur seraient pas venues à l'esprit pendant le jour... ». Loin d'être synonyme d'animalité, ce comportement « anti-social » des Cubains face à l'adversité n'est- il pas, au contraire, un signe encourageant d'intelligence ?

Pierre VAYSSIERE Université de Toulouse-Le Mirail

Manuela CANTÓN DELGADO.- Bautizados en fuego. Protestantes, discursos de conversión y política (1989-1993).- La Antigua/South Woodstock, CIRMA/Plumsock Mesoamerican Studies, 339 p., notes, bibliographie, index analytique et onomastique.- 1998.

Avec cette étude, le lecteur se trouve transporté au cœur d'une problématique d'une brûlante actualité, qui se décline autant dans le Guatemala d'aujourd'hui que, beaucoup plus largement, à l'échelle du sous-continent latino-américain tout entier. Comme se plaît à le rappeler régulièrement le Vatican depuis l'élection de Jean-Paul II, c'est sans doute dans cette région du monde, bien plus que dans un quelconque retour en force du traditionnel affrontement avec l'Islam, que se joue l'avenir de la Chrétienté. Dans ce vaste espace où les autres religions monothéistes n'occupent encore aujourd'hui que des positions marginales, catholiques et protestants de toutes obédiences se retrouvent en effet face à face pour se disputer le marché du salut. Or, la fin du siècle a vu la remise en cause des traditionnels partages géographiques hérités de l'époque coloniale : à une Amérique anglo-saxonne se reconnaissant dans le leadership des vieilles Eglises protestantes héritières des courants religieux réformés venus d'Europe s'opposait une Amérique « latine » dont la soumission à l'autorité romaine, imposée au fil de l'épée par les conquistadors, contribua à l'élaboration de son identité collective. Bien sûr, un tel clivage à l'échelle d'un continent tout entier ne pouvait masquer les diversités internes présentes dans chacune de ces deux contrées. Cependant, cette distinction fondatrice n'en resta pas moins opératoire jusqu'à la fin du XIXe siècle. Un siècle plus tard, les positions acquises par les uns et les autres se trouvent profondément remises en question, plus particulièrement peut-être dans l'ancienne forteresse de la catholicité que représentait le monde latino-américain. Au cours du siècle les protestantismes, qui ne représentaient, vers 1900, que des îlots de spiritualité dissidente au milieu d'un océan encore très largement dominé par l'Eglise de Rome, sont devenus des forces religieuses qui tendent aujourd'hui, dans certains pays, à équilibrer le poids de l'éternel rival. Parmi les pays qui sont aujourd'hui les plus concernés par cette mutation, récente mais particulièrement profonde, le Guatemala occupe une place de choix. C'est là le premier intérêt du travail de Manuela Cantón qui vient éclairer les processus de cette transformation religieuse, initiée au milieu du XXe siècle et qui a connu une brutale accélération à partir des années soixante.

L'ensemble de l'étude s'organise en sept chapitres de nature et d'intérêt fort divers. Les deux premiers constituent une présentation des fondements théoriques et des cheminements de l'enquêteur dans l'élaboration de sa recherche. Avec une grande sincérité, non exempte parfois d'une certaine naïveté, toujours avec un grand souci de rigueur scientifique, l'auteur réfléchit à

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