12
Le sens spirituel des contes de fées Puisés dans le trésor transmis par Perrault, les frères Grimm et Andersen, dix-sept contes sont ici dévoilés par Jacqueline Kelen dans leur dimension spirituelle. À travers l’ogre ou la princesse, la sirène ou le petit tailleur, ils nous entretiennent de l’amour, de la beauté, du mal et de l’innocence, d’une musique enfouie, d’un royaume à recouvrer, et rappellent à chacun la grandeur de la destinée humaine. P. 11 Albin Michel Numéro 42 – été 2014 LIRE PAGE 12 Les facéties de Joann Sfar P. 4 Résistance et Libération P. 7 Le scandale des « enfants fantômes » P. 9 À l’heure où l’on commémore le centième anniversaire de son assassinat, qui fut l’acte premier du grand carnage qu’il tenta de toutes ses forces d’éviter, il n’est pas inutile de se pencher sur l’humanisme spirituel de Jaurès. Spirituel, vraiment ? Oui, et même très proche du christianisme, comme le montrent Éric Vinson et Sophie Viguier-Vinson dans cette biographie intellectuelle qui nous dévoile un Jaurès étonnant, promoteur d’un socialisme compris comme une « révolution religieuse ». SUITE PAGE 2 Jean Jaurès É crivain, homme de cirque et de radio, poète et chanteur, Henri Gougaud est aussi le plus grand de nos conteurs. Touche-à-tout aussi génial qu’irrésistible, il est l’auteur d’une œuvre jalonnée de succès parmi lesquels Les Secrets de l’aigle, L’Abécédaire amoureux et L’Enfant de la neige chez Albin Michel. Mais il s’exprime aussi bien à la scène, interprétant ses contes ou ses propres chan- sons tel un moderne troubadour. « Les contes m’ont nourri toute ma vie, confie-t-il, ils m’ont fait ce que je suis. Comment ont-ils fait ? Je l’ignore, c’est leur secret. » Mais, sans perdre aucunement ses talents de conteur, Henri Gougaud se fait aujourd’hui biographe. La figure de Louise Michel (1830-1905) le fas- cinait depuis toujours, sans doute parce que Louise est faite d’une eau si pure qu’on pour- rait la croire inventée. Sa légende précède depuis toujours la Vierge rouge : elle est un mythe populaire, né sur les remparts de la Commune et nourri par ses talents d’oratrice. Elle est laide, sale, hystérique peut-être, mais aussi complètement mystique, fine érudite: elle est l’opium d’un peuple qui souffre et se languit de l’avenir. Pourtant, la madone des pauvres n’aspirait pas à la célébrité. Elle faisait si peu cas d’elle-même que lorsqu’un fanatique tenta de l’assassiner, elle fit ensuite tout son possible pour l’aider à sortir de prison. Henri Gougaud s’empare des grandeurs et des misères de ce cœur d’anarchiste, « écrivain, femelle et barbare » disait-elle volon- tiers, mais aussi, comme Gougaud, amoureuse des mots. Henri Gougaud se fait biographe anarchiste © Valérie Ménard/Opale

Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

Le sens spirituel descontes de féesPuisés dans le trésor transmis par Perrault, les frères Grimm etAndersen, dix-sept contes sont ici dévoilés par Jacqueline Kelendans leur dimension spirituelle. À travers l’ogre ou la princesse,la sirène ou le petit tailleur, ils nous entretiennent de l’amour, dela beauté, du mal et de l’innocence, d’une musique enfouie, d’unroyaume à recouvrer, et rappellent à chacun la grandeur de ladestinée humaine. P. 11

Alb

in M

iche

l

Numéro 42 – été 2014

LIRE PAGE 12

Les facétiesde Joann Sfar P. 4

Résistanceet Libération P. 7

Le scandale des« enfants fantômes » P. 9

À l’heure où l’on commémorele centième anniversairede son assassinat,qui fut l’acte premierdu grand carnage qu’iltenta de toutes ses forcesd’éviter, il n’est pasinutile de se pencher surl’humanisme spirituel deJaurès. Spirituel, vraiment?Oui, et même très prochedu christianisme, commele montrent Éric Vinsonet Sophie Viguier-Vinsondans cette biographieintellectuelle qui nousdévoile un Jaurès étonnant,promoteur d’un socialismecompris comme une« révolution religieuse ».

SUITE PAGE 2

Jean Jaurès

Écrivain, homme de cirque et de

radio, poète et chanteur, Henri

Gougaud est aussi le plus grand

de nos conteurs. Touche-à-tout

aussi génial qu’irrésistible, il est

l’auteur d’une œuvre jalonnée de succès parmi

lesquels Les Secrets de l’aigle, L’Abécédaire

amoureux et L’Enfant de la neige chez Albin

Michel. Mais il s’exprime aussi bien à la scène,

interprétant ses contes ou ses propres chan-

sons tel un moderne troubadour. « Les contes

m’ont nourri toute ma vie, confie-t-il, ils m’ont

fait ce que je suis. Comment ont-ils fait ? Je

l’ignore, c’est leur secret. » Mais, sans perdre

aucunement ses talents de conteur, Henri

Gougaud se fait aujourd’hui biographe.

La figure de Louise Michel (1830-1905) le fas-

cinait depuis toujours, sans doute parce que

Louise est faite d’une eau si pure qu’on pour-

rait la croire inventée. Sa légende précède

depuis toujours la Vierge rouge : elle est un

mythe populaire, né sur les remparts de la

Commune et nourri par ses talents d’oratrice.

Elle est laide, sale, hystérique peut-être, mais

aussi complètement mystique, fine érudite : elle est l’opium d’un peuple qui souffre et se languit de l’avenir.

Pourtant, la madone des pauvres n’aspirait pas à la célébrité. Elle faisait si peu cas d’elle-même que lorsqu’un

fanatique tenta de l’assassiner, elle fit ensuite tout son possible pour l’aider à sortir de prison. Henri Gougaud

s’empare des grandeurs et des misères de ce cœur d’anarchiste, « écrivain, femelle et barbare » disait-elle volon-

tiers, mais aussi, comme Gougaud, amoureuse des mots.

Henri Gougaudse fait biographe anarchiste

© Valérie M

énard/O

pale

Page 2: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

2 L’Homme en Question n éTé 2014

Éditeurs des ouvrages cités dans ce numéro: Nicolas de Cointet, Gérard de Cortanze, ClaireDelannoy, Stéphanie Delestrée, Francis Geffard,Maëlle Guillaud, Anne Michel, Hélène Monsacré,Jean Mouttapa, Vaïju Naravane, Pierre Scipion,Patrice van Eeersel.

Née eN 1830 d’uNe servaNte et fille

mère, Louise est dès l’enfance uneécorchée vive à la personnalité affir-mée, que les douleurs des autresenragent. Son grand-père est peut-être son père, mais il l’aime et il sem-ble prendre un plaisir aimant à nourrircette tête-là : « Dans le regard qui lacontemple brille un amour de vieuxsoleil.  » À la mort de ses grands-parents, elle est chassée, déshéritéemais peu lui importe : ces habits depetite-bourgeoise n’étaient pas pourelle. Institutrice, elle développe à Paris,où elle arrive en 1856, une activité lit-téraire, pédagogique, et activiste. Ellese détache très vite de la religion,mais elle a sa révélation anarchiste àla lecture des Paroles d’un croyantdu prêtre socialiste Félicité Robert deLamennais. Femme de lettres, elle

entretient une correspondance avecHugo qui lui consacrera un poème,Viro major, et se lie à Auguste Blanqui,Jules Vallès, et Théophile Ferré dontelle sera toute sa vie l’amoureuseéconduite. Habillée en homme, elleest sur les remparts de la Commune,trompant la faim et la fatigue jusqu’aubout.

elle a sur les femmes des idées

arrêtées : «  Nous ne valons pasmieux, croyez-le, que les hommes.Simplement le pouvoir ne nous a pasencore gâtées et corrompues.  »Quant à la prétendue faiblesse dudeuxième sexe, tout dans cettefemme de tête contredit ce préjugévieux comme le monde. Capturée,déportée en Nouvelle-Calédonie, ellerevient en France en 1880. La foulel’acclame. Elle multiplie les manifes-tations, suivies d’emprisonnements. Toute sa vie, elle se voudra au servicedes pauvres. Sainte? Peut-être, maisrouge. Anarchiste, violente, intrai -table, épuisante parfois pour ceux quila suivent, généreuse à la folie, elle avoulu changer la vie de son siècle.Elle a rêvé d’un monde neuf, d’uneutopie qu’elle n’a jamais vu naître,mais elle quitta ce monde confiante et

apaisée : « Je ne sais plus haïr. Je nesais plus qu’aimer. Les êtres du futurcomprendront ces mystères. Letemps où tous auront conscience estencore loin, je le sais, mais il viendra,ayez confiance. Vos misères aurontune fin. »

sublime visioNNaire, Louise Micheloffre un sujet fabuleux au conteurhumaniste qu’est Gougaud, qui signeune biographie littéraire et exaltée del’icône des pauvres. « Savoir est mafaçon d’aimer  », écrivait-il dans unprécédent livre : dans Le Roman deLouise, cette générosité atteintcomme un état de grâce. n

SUITE DE LA PAGE UNE

4 n Joann Sfar

5 n Un voyage dans

l’Amérique indienne

n La culture

des indiens Kogis

6 n L’Inde de demain

n L’esprit de la steppe

n Honoris causa

7 n Nos héros de l’ombre

n Les soldats du micro

8 n Daniel Soulez Larivière

n La presse en parle

9 n Robert Badinter a lu

10 n Jean-Yves Leloup

et Jean L’Évangéliste

n Eva de Vitray-Meyerovitch

n La voie des contes

hassidiques

11 n Trois questions à

Jacqueline Kelen

n Annick de Souzenelle

12 n En quoi croyait Jaurès ?

Sommaire

Décidément, l’année 2014 est celledes anniversaires. Il paraît que lacommémoration est une manie typi-quement française, qui nous empê-cherait de nous projeter dans

l’avenir. Peut-être, mais il faut reconnaître quecette imprégnation du présent par le passé aaussi du bon : elle nous invite régulièrement àreconsidérer à nouveaux frais notre histoire, etpartant, notre «  identité  », que l’on découvrealors beaucoup plus plurielle et mouvante que ceque nous imaginions. L’Homme en Question adéjà rendu compte à l’automne dernier des nou-veautés d’Albin Michel liées au centenaire de laguerre de 1914-1918, dont La Grande Guerrecoédité avec la Mission du centenaire. La bio-graphie intellectuelle et spirituelle de Jean Jaurèspar Éric Vinson et Sophie Viguier-Vinson (voirpage 12) vient apporter un éclairage nouveau surcelui qui tenta jusqu’au dernier jour d’éviter legrand massacre… dont l’assassinat le 31 juillet1914 fut le tout premier acte. Vient maintenantle 70e anniversaire du Débarquement et de laLibération (voir page 7). Dans ces derniers com-bats de la Seconde Guerre mondiale s’étaitengagé l’écrivain Antoine de Saint-Exupéry, quidevait disparaître en vol trente ans jour pour jouraprès Jaurès : à cet autre anniversaire répondra

en septembre un remarquable essai, La Sagessedu Petit Prince par Pierre Lassus.

Il est aussi d’autres anniversaires moins remar-qués au plan national, et qui pourtant gagne-raient à être connus de tous. Il y a cinquante ans,par exemple, un certain jour d’août 1964, JeanVanier, jeune marin canadien devenu professeurde philosophie, s’installait avec deux handicapésmentaux dans un petit village de l’Oise, pourvivre non seulement à leur service, mais surtoutavec eux, et explorer toutes les dimensions exis-tentielles et spirituelles de cet avec. Événementinfime, invisible, marginal, mais ô combien signi-fiant, puisqu’un demi-siècle plus tard l’Arche deJean Vanier rassemble 140 communautés répar-ties dans 40 pays sur les cinq continents. AlbinMichel a déjà publié Les Signes des temps (2012)de ce grand visionnaire, et les trois colloques del’Arche sur le thème de la fragilité, ainsi que LeGarçon de la lune, le bouleversant témoignage deIan Brown, dont le fils a été un pensionnaire del’Arche. Et en septembre paraîtra Jean Vanier, por-trait d’un homme libre d’Anne-Sophie Constant,pour marquer ce jubilé qui nous concerne tous– que nous soyons croyants ou pas, et touchés deprès ou non par le handicap. n

Jean Mouttapa

Éditorial

Le Roman de LouiseHenri Gougaud256 pages, 19 €

Page 3: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

3L’Homme en Question n éTé 2014

Q uelques années après laCommune, au plus profondde la forêt picarde, une jeune

paysanne de treize ans met aumonde Franceska. En grandissant,l’enfant développe un don inouï.Percevant de façon presque ani-male ce qui échappe au commun desmortels, elle est capable d’imitern’importe quelle voix mais surtoutpossède une arme redoutable : ilsuffit qu’elle pousse un cri stridentdans l’oreille d’un humain pour qu’ilmeure. Lorsqu’elle fait la connais-sance d’un scientifique suisse nietz-schéen qui vient de mettre au pointune machine capable d’enregistrer les

Mystères et sortilègesde la voix humaineROMAN

voix, sa vie bascule : fascinée, trou-blée, elle découvre la sienne qu’ellesemble entendre pour la première fois.

fraNceska, habitée par la pureté

origiNelle, par la vérité et la beautédu monde, est le personnage prin-cipal, incandescent, attachant, de ceroman dense et riche. Au fil despages, l’auteur associe, avec beau-coup d’intelligence et de subtilité, latrajectoire humaine et sociale deson héroïne avec le développementd’inventions et de techniques quirévolutionnent la fin du xIxe siècle. Lerapport à Dieu s‘en trouve lui-mêmebouleversé. Le gramophone apparaît

comme une invention diabolique,capable de concurrencer le pouvoirde Dieu et surtout de l’église. EtFranceska avance l’hypothèse sui-vante : il existe un son que nous lan-çons seulement deux fois dans notrevie, l’un à la naissance et l’autre à lamort, une musique qui nous résumeentièrement parce qu’elle est notreexistence comprimée dans quelquesvibrations presque inaudibles.Franceska n’a qu’un but : percer lemystère de ce son. Ses oreilles, savoix sont des portes magnifiquesmais qui ouvrent sur quoi? Elle-même l’ignore et tente, jour après jour,de le découvrir. n

Le retourdel’Inquisition

À Toulouse, dans une cryptede l’hôtel des Chevaliers de Saint-Jean,des archéologues mettent au jourla sépulture d’une jeune femme dontle gisant de pierre, datant du xiiie siècle,est d’une beauté hors du commun.Pour ces spécialistes, il ne peut s’agirque d’une proche de Raymond Vi,comte de Toulouse et protecteurdes Cathares, dont la tombe n’a jamaisété retrouvée. Cette découverte capitaledevrait leur permettre de leverenfin le mystère qui entoure la mortde cet ardent défenseur de la libertéd’expression.Mais en poursuivant leurs fouilles,les chercheurs trouvent une fossecommune contenant 13 corpscontemporains. Les fantômesde l’inquisition seraient-ils de retour ? C’est ce que devra découvrirFirmin Degas, commandantde la brigade criminelle de la PJde Toulouse, aidé de son fidèle second,le capitaine Betlem, et de Giulia d’Aroso,une jeune archéologue italiennedescendante de Cathares.Meurtres sacrificiels, mysticisme,bûchers… des ruines de Montségurà la Catalogne, Serge Raffy se révèle,avec ce grand thriller ésotériqueoù se mêlent aventures, énigmepolicière, vengeance religieuse,suspense et Histoire, comme undes nouveaux maîtres du genre. n

THRILLER

Tuez-les tous…Serge Raffy352 pages, 19,80 €

© San

drin

e Exp

illy

Professeur de littérature comparée, Jean-Marc Moura est l’auteur d’une dizaine de livres

sur les littératures francophones et le tiers-monde. Il a publié deux romans : Une légende

de Bangkok (Albin Michel) et Gandara (Phébus). La Musique des illusions constitue

une belle réflexion sur les rapports entre l’homme et la nature. Livre captivant, il interroge,

dans une langue puissante, les frictions entre forces du progrès et obscurantisme.

La Musique des illusionsJean-Marc Moura384 pages, 20,90 €

Page 4: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

4 L’Homme en Question n éTé 2014

Dessinateur, scénariste de bande dessinée, Joann Sfar a conquis le public avec son

personnage savoureux, Le Chat du rabbin, dont l’adaptation au cinéma lui a valu un César

en 2011. Après une entrée remarquée en littérature avec L’Éternel (Albin Michel, 2013),

il nous revient avec un roman truculent et plein d’esprit, Le Plus Grand Philosophe de France.

Moi, empereur du SaharaJean-Jacques Bedu304 pages, 19 €

«L es juifs ont Spinoza » : decette idée toute simple, lepère de Pietr a fait un

commerce juteux en vendant pen-dant trente ans de faux manuscritsde Spinoza (qu’il n’avait jamais lu).Quand il trépasse, il se retrouve nezà nez avec le philosophe, honteux.Mais Spinoza a d’autres chats àfouetter : arrivé au Paradis, ilconstate que le Dieu dont il a passésa vie à tenter de prouver la per-fection est un irresponsable. Il fait dusport avec les autres divinités (il estchampion de badminton), il se sertde la voûte céleste comme d’unrepose-pieds, et surtout, il n’a quefaire des tracasseries des humainsqui s’échinent à croire en lui – pourtout dire, il a l’ouïe tellement fine queleurs prières lui donnent desmigraines. Pour Spinoza, c’est lepompon ! «  Ne vous vexez pas,Dieu, mais il m’est arrivé de medemander si vous ne vous preniezpas pour le centre du monde », luilance-t-il, furieux.

peNdaNt ce temps, le jeune comteAlarmé de l’Implication ambitionnede devenir le plus grand philosophede France. Il crée une universitélibre où il enseigne à qui veut bienl’écouter (c’est-à-dire pas grandmonde) la leçon qu’il préfère chezDescartes : « de la nécessité, pourbien philosopher, de n’avoir nichaud ni froid ni faim, et de ne man-quer de rien ». Sa tendre épouse, lacomtesse éponyme, se languitquant à elle de passions plus char-nelles… La philosophie mènera-t-elle Alarmé au cocufiage? La morale de l’histoire? Les philo-sophes sont ridicules et Dieu existe,mais il ne sert à rien ! Qu’on se

rassure : Le Plus Grand Philosophede France regorge des histoires lesplus folles, ce n’est que le début desaventures de Pietr (pirate juif interditd’esclavage parce que le Code noirest antisémite) et d’Alarmé, maisaussi d’un petit prince noir qui rêvedu pays du sucre – c’est-à-dire de laFrance ! –, ou d’un curé qui penseque l’abstinence sexuelle lui confé-rera des superpouvoirs…

« le dessiN fait voler eN éclats leschimères philosophiques et litté-raires qui nous séparent deschoses  », note Sfar dans sesCarnets. Dans ce deuxième romandrôle et audacieux, il réussit le paride remplacer le dessin par uneintrigue baroque et bouillonnanteoù s’enchaînent les situationscocasses. L’inventeur du chat durabbin est un virtuose du mot d’es-prit et du comique de situation, unérudit qui feint la nonchalance mais

dont le succès, qui va bien au-delàdu public traditionnel de la bandedessinée, s’explique sans doute parces petites pépites de vérité qui illu-minent ses albums, et maintenantses romans. n

Sfar, l’enfant pas sageROMAN

«D e Mogador à Tombouctou,tout le Sahara savait qu’unfêlé avait débarqué au cap

Juby, un homme très riche, dont latroupe avait été capturée par unetribu du Nord qui demandait une ran-çon. » Après une jeunesse dépravéeentre casinos, demi-mondaines etJockey Club, le richissime héritier desSucres Lebaudy décide de se lancerdans l’aventure coloniale : «  Nousquittons cette France qui me fait hontepour prendre possession de monempire. » Il choisit la pointe septen-trionale de l’Afrique où il débarque le18 juin 1903 et s’autoproclameJacques Ier. Empereur sans couronneni sujets, régnant sur des sablesmouvants, Jacques Lebaudy va pour-tant inquiéter les chancelleries euro-péennes et les pousser au bord del’incident diplomatique…

vice-présideNt du ceNtre méditer-raNéeN de littérature, déléguégénéral et membre du jury du prixMéditerranée, auteur de plusieursessais, Jean-Jacques Bedu s’em-pare de l’histoire étonnante, aussivraie que méconnue du public, del’empereur du Sahara. Il signe unroman d’aventures savoureux etréjouissant, déjà récompensé par leprix Pierre Benoît du roman roma-nesque. n

Un empereurde pacotille

AVENTURE

Le Plus Grand Philosophede FranceJoann Sfar560 pages, 23 €n Du même auteur :L’Éternel464 pages, 22 €

© Den

is Felix

Page 5: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

5L’Homme en Question n éTé 2014

Un écrivain nous entraîne à la rencontre de l’une des faces cachées de l’Amérique

contemporaine : celle des réserves indiennes. D’origine ojibwé, comme Louise Erdrich

et Joseph Boyden, David Treuer a grandi dans une réserve du nord du Minnesota,

et il nous permet de découvrir ce monde de l’intérieur : crime et misère, casinos

et richesse, sauvegarde des langues et de la culture autochtones.

Voyage dans le monde de Sééric Julien336 pages, 20 €

«I l y a eNviroN trois ceNt dix

réserves iNdieNNes auxétats-Unis, mais le Bureau of

Indian Affairs (BIA, bureau desAffaires indiennes) n’est pas certainde leur nombre exact – ce qui en ditlong sur cet organisme et sur la naturemême des réserves. Les cinq centsoixante-quatre tribus reconnues auniveau fédéral n’ont pas toutes leurréserve. Certains Indiens n’en ont pas,mais toutes les réserves ont desIndiens. Il existe des zones tribales auBrésil, en Afghanistan, au Pakistan etdans de nombreux autres pays,mais, exception faite du Canada, lesréserves telles que nous les connais-sons sont le propre des états-Unis.Vous les verrez dans plus de trenteétats, regroupées pour la plupartdans les derniers endroits à avoir étécolonisés de manière permanente parles Européens. […] Les réservessont parfois immenses.  Il y a auxétats-Unis douze réserves plusgrandes que l’état du Rhode Island.Neuf  sont plus étendues que leDelaware (qui a pris le nom d’une tribuchassée de la région). Certainessont si petites que, pour un peu, lepanneau qui les signale recouvrirait

presque les terres qu’il désigne. […]Les réserves indiennes et ceuxd’entre nous qui y vivent sont aussiaméricains que le base-ball, les mus-cle cars à moteur surdimensionné etl’apple pie. Mais, contrairement à l’ap-ple pie, les Indiens ont participé à lanaissance même de l’Amérique.Bien que les Indiens se soient vrai-ment investis dans les affaires dupays, la plupart des Américains pas-seront leur vie sans en connaître unseul ni avoir séjourné sur une réserve.[…] Il est très facile de nous éviter,nous et nos réserves. Et pourtant, lesIndiens fascinent les Américains,comme les Européens. […]

Nombreux soNt ceux, Indiens etnon-Indiens, pour qui le récit de lavie sur nos réserves n’a rien d’unebelle histoire. La plupartdu temps, on l’associeau drame. Quand onpense à nous, onpense à ce quenous avons perdu,à ce à quoi nousavons survécu.En général, nosréserves sont

décrites comme des lieux demisère, envahis par la drogue, la cri-minalité, où la vie est dure, violenteet brève. Mais ça n’est pas là toutel’histoire. Les réserves et les Indiensqui y vivent ne sont pas les simplesvictimes du rouleau compresseurblanc. Et ce que l’on trouve sur lesréserves ne se limite pas à des cica-trices, des larmes, du sang et denobles  sentiments. Il y a de labeauté dans la vie des Indiens, il y aaussi du sens et des liens tissés delongue date. Ce livre traite de nos réserves, deleur naissance, de ce qu’elles sontaujourd’hui et de leur devenir. […]Comprendre les Indiens d’Amé -rique, c’est comprendre l’Amérique.Ceci est l’histoire du lieu qui, para-doxalement, est le moins et le plusaméricain en ce xxIe siècle.

Bienvenue on the rez. » n

Pieds nussur la terre indienneENQUÊTE

P armi les rares sociétés préco-lombiennes encore vivantesaujourd’hui, celle des Kogis est

sans doute celle qui a subi le moinsd’altérations. À la manière desTibétains de l’Himalaya, ces monta-gnards très sages et d’une profondespiritualité ont réussi à échapper à l’ac-culturation en grimpant de plus en plushaut dans les Andes, abandonnantderrière eux des vallées entières, jadisterritoires de leurs ancêtres. Quand éricJulien les rencontre après qu’ils lui ontsauvé la vie, nous sommes au milieudes années 80, la guerre civile déchirela Colombie et le sort des « indigènesindiens » empire. Depuis, il partage sonexistence entre son métier de coachformateur en entreprise et l’associationTchendukua, qu’il a fondée en Francepour racheter les terres volées à sessauveurs devenus ses amis. Un travailqu’il a partagé pendant vingt ansavec son alter ego, Gentil Cruz. AprèsLe Chemin des neuf mondes et Kogis,le troisième tome de la saga d’éricJulien s’ouvre sur l’enlèvement et l’as-sassinat de Gentil Cruz. Cette histoirevraie bouleversante, aussi forte qu’ungrand roman, nous interroge sur lesenjeux écologiques et spirituels dumonde actuel. n

Transmettre,malgré tout :le combat pourla survie spirituelledes Kogis

DOCUMENT

Indian roadsUn voyage dansl’Amérique indienneDavid Treuer 432 pages, 24 € ©

Jea

n-Lu

c Bertin

i

Page 6: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

6 L’Homme en Question n éTé 2014

L’Oural en plein cœurDes steppesà la taïga sibérienneAstrid Wendlandt224 pages, 19,50 €

L’Inde de demainLes Indiens faceà la mondialisationAkash Kapur400 pages, 25 €

Après des études à Harvard et undébut de carrière aux états-Unis, Akash Kapur est revenu

en Inde en 2003 dans l’espoir de par-ticiper à la phase de modernisation etde croissance si prometteuse quis’amorçait. Il a trouvé un pays trans-formé plus profondément encore qu’ilne l’avait imaginé : en l’espace de dixans, la « Silicon Valey de l’Inde » s’étaitinstallée dans le Sud du pays, une villecomme Bangalore était devenue unevéritable plaque tournante de l’in-dustrie de service, et à la campagne,les terres agricoles avaient reculé demanière inquiétante. Pour mesurerl’ampleur de ces bouleversements,Akash Kapur a multiplié les rencontreset recueilli les témoignages de citadinset de ruraux, de femmes etd’hommes de tous milieux. Dansune succession de portraits qui véhi-culent toute la couleur, l’énergie et lacacophonie de l’Inde, il aborde les pro-blèmes du développement écono-

mique accéléré, des inégalités, de lamondialisation, de l’évolution desmœurs ou de la dégradation de l’en-vironnement avec un esprit denuance et de proximité rarementégalé dans les écrits sur l’Indecontemporaine. n

Les métamorphosesindiennes

GÉOPOLITIQUE

«I l arrive qu’on se sente chezsoi ailleurs. Dans quelquesrares endroits lointains, tout

semble plus authentique. La penséey est limpide, l’impulsion de vieintense. On y devient même parfoismeilleur. Ce lieu, pour moi, c’est laRussie. Depuis presque vingt ansmaintenant, la moitié de ma vie, je m’yrends régulièrement sans savoir pour-quoi. Ce n’est qu’une fois rentrée queje saisis ce que j’y ai gagné. […] Jeviens d’une génération qui honnit laRussie et pense […] que ce pays estrégi par le mensonge et la barbarie etdonc que nul homme ne peut y êtrevraiment libre. Certes, l’histoire russebaigne dans le sang, le pouvoir exter-mine ses génies depuis des généra-tions et bâillonne sans relâchel’opposition et la presse et, depuispeu, les homosexuels aussi. Pourtantla liberté, pour moi, commence enRussie. Même si le FSB, le successeur

du KGB, contrôle toutes les strates dela société, il y règne encore un tendredésordre que l’on ne retrouve plusdans des pays comme la France oùchaque fait et geste est policé. Levoyage sert à tordre le cou aux idéesreçues et affûter son regard. […] J’aipassé plusieurs étés à marcher dansla toundra avec les derniers éleveursde rennes nenets dans les années2000 et, plus tard, je suis partie à larecherche d’autres peuples en sursisdans les montagnes de l’Oural, auxportes de la Sibérie. Finalement, je n’aivu personne qui réponde à cettedéfinition – j’ai trouvé mieux. Au lieud’une civilisation ancienne et oubliée,j’en ai découvert une en devenir. Deshommes et des femmes, souvent éru-dits, parfois aisés, avocats, hommesd’affaires et artistes qui ont largué lesamarres pour s’inventer une autre vie,plus simple, resserrée autour du tra-vail de la terre. » n

L’espritde la steppeVOYAGE

Honoris causa n n n

n Karima Berger, pour son ouvrageLes Attentives. Un dialogue avec EttyHillesum, a reçu la mention spécialedu jury du prix Spiritualitésd’Aujourd’hui 2014.

n ian Manook, pour son romanYeruldelgger, est le lauréat du prixdes lecteurs de Notre Temps 2014.

n Olivier Bleys, pour son livreConcerto pour la main morte,

vient d’obtenir le prix de l’Unioninteralliée.

n Gilles Lapouge a reçu le prix EssaiFrance Télévisions 2014 pour sonouvrage L’Âne et l’Abeille.

n François Cheng, pour son ouvrageCinq méditations sur la mortautrement dit sur la vie,est le lauréat 2014 du prixdes Écrivains croyants.

n Après son prix de l’Académiefrançaise, Beata de Robien, pourFugue polonaise, est la lauréate duprix Culture et Bibliothèques pour tous.

n Le prix Dal Testo allo Schermovient d’être attribué à Nahal Tajadodpour Elle joue dans sa traductionitalienne. il s’agit d’un prix littéraireprestigieux décerné par le festivalde Salina.

L’année 2014 sera déterminante pour la plus grande

démocratie du monde : après une période de croissance

soutenue et de fort développement, l’Inde s’enfonce depuis

2010 dans la crise économique et politique. Les élections

législatives récentes amèneront-elles le renouveau ? Originaire

du sud de l’Inde, le journaliste et écrivain Akash Kapur dresse

le portrait d’un pays en pleine mutation.

Dans L’Oural en plein cœur se mêlent deux quêtes,

l’une amoureuse, l’autre ethnographique. Passionnée par

les peuples en sursis, Astrid Wendlandt se lance sur

les traces des derniers autochtones de l’Oural. Partie pour

retrouver son ancien amour, un rockeur de Tcheliabinsk,

elle va s’aventurer dans une recherche qui peu à peu déjoue

ses plans, échappe à ses objectifs. En place d’une civilisation

ancienne, elle trouve un monde en devenir.

Page 7: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

7L’Homme en Question n éTé 2014

R épondant à la propagandenazie, les soldats du micro onttrouvé les mots pour donner

aux Français la force de résister, maisils ont également joué un rôle straté-gique dans les opérations menées parles Forces françaises libres. Enjuin 1944, ce sont des vers de Verlainequi déclenchent la mission de sabo-tage des lignes de chemin de fer,dégageant la voie pour le débarque-ment : « Les sanglots longs des vio-lons d’automne… Bercent mon cœurd’une langueur monotone. » Les voixde Radio Londres étaient devenuestellement identifiables qu’après la vic-toire des Alliés, il suffisait qu’ils s’ex-priment dans un lieu public pour quel’assistance les reconnaisse et applau-disse. Longtemps collaborateur dePhilippe Bouvard à la radio, fidèle dePierre Dac (sur lequel il a écrit MonMaître 63), Jacques Pessis anime lachronique « Les Personnages » auFigaro. Auteur de plusieurs biogra-

phies et d’une trentaine de livres, ilenquête ici sur ces journalistes,femmes et hommes, résistants oumilitaires, dont beaucoup ne s’étaientjamais exprimés devant un microauparavant, et qui furent la voix de laLiberté pendant quatre ans. n

Les soldats du microRÉSISTANCE

P ourquoi ces héros discrets, quifurent eux aussi libérateurs de laFrance, sont-ils oubliés de nos

manuels d’histoire? Spécialiste incon-tournable des forces spéciales et desquestions militaires, Jean-Marc Tanguynous raconte leur histoire. S’appuyantsur une iconographie fouillée et sur unformidable travail de collecte (il anotamment recueilli les précieux témoi-gnages des dix vétérans toujours envie du commando Kieffer), il reconsti-tue leur périple, depuis la capitulationde Pétain jusqu’à aujourd’hui.

uNe partie de ces soldats avaientintégré la France libre dès 1940, refu-sant la défaite, comme Léon Gautierou Philippe Kieffer. D’autres, commeAlexandre Lofi, étaient marins dans laMarine nationale, et ont poursuivi lecombat à terre, dans les 1er et2e Bataillons de fusiliers marins (BFM).À la demande de Churchill, les recruesfrançaises seront formées avec lescommandos britanniques, les béretsverts, au château d’Achnacarry enécosse. Les Français de la 1re com-pagnie participeront notamment auraid sur Dieppe en 1942, aux côtésdes Britanniques et des Canadiens.

le 6 juiN 1944, Philippe Kiefferdébarque en Normandie à la tête de176 hommes : ils sont les premiersFrançais à remettre le pied en métro-pole. Au prix de pertes terribles, cessoldats chevronnés prennent d’as-saut Ouistreham, ouvrent la route auxtroupes britanniques et protègent leflanc de la tête de pont, au-delà del’Orne. Terminant par un tour d’hori-zon des trop rares hommages rendusau commando Kieffer, Jean-MarcTanguy immortalise la parole de sesvétérans et leur si belle histoire. n

Nos hérosde l’ombreLIBÉRATION

Radio Londres,la guerre en directJacques Pessis240 pages, environ 20,90 €

Le Commando KiefferLes 177 Français du D-DayJean-Marc Tanguy192 pages, 29 €

C’est l’un des faits les moins connus de la Libération :

parmi les 75 000 Britanniques et Canadiens, et plus à l’Est,

les 58 000 Américains venus libérer la France et l’Europe

du joug nazi, 177 Français débarquèrent le 6 juin 1944

sur les plages normandes.

« Ici Londres, les Français parlent aux Français. » Entre

le 18 juin 1940 et septembre 1944, la voix de la France

a été celle de Radio Londres. Chaque soir, dans les studios

de la BBC, les « voix de la Liberté » se sont relayées

pour mener une impitoyable guerre des ondes.

Le 70e anniversaire du débarquement est l’occasion de revenir sur la mythiqueopération Overlord et sur ses lendemains. De l’atterrissage des unitésaéroportées américaines à la contre-attaque de Mortain en passant parle verrouillage de la poche de la Falaise avec les Polonais, l’ouvragede John Keegan, Six armées en Normandie, raconte les trois mois de combatsqui s’achevèrent par la libération triomphale de Paris le 25 août 1944, le généralLeclerc en tête. De leur côté, les civils ont vécu cette période dans un climatd’apocalypse : « On a souvent dit que nous étions pris entre deux feux, rapportel’un d’eux. C’est faux. Nous étions dans le feu. » Philippe Huet et ElizabethCoquart se penchent sur ceux qui se sont trouvés coincés dans des zonesde combat ou de bombardement. Quinze à vingt mille civils y ont laisséla vie. Enfin, Elizabeth Coquet a enquêté sur l’histoire d’amour ratée entrela France et les Gi : accueillis comme des héros en 1944, ils sont chassésdeux ans plus tard à coups de « US go home », preuve qu’aucune amitié nerésiste à une occupation militaire, même par des alliés…

Quatre classiques Albin Michel sur la Libération n n n

Six armées en NormandieJohn Keegan386 pages, 21,10 €

Le Jour le plus fou300 pages, 20,30 €Les Rescapés du Jour J256 pages, 18,80 €Philippe Huet et ElizabethCoquart

La France des G.I. Elizabeth Coquart256 pages, 17 €

Page 8: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

8 L’Homme en Question n éTé 2014

La presseen parle n n n

n Un texte érudit qui nouspermet de comprendrel’importance de se débarrasserdes fausses culpabilitéset du sentiment de honteenracinés dans la notionnovice de péché originel.

Psychologies

n Un plaidoyer qui nous inviteà entrer en relation avecl’Autre et les autres en toutelucidité.

Panorama

n Un essai qui bouscule nosidées reçues et nous forceà réfléchir sur tout ce qui nousparaît trop évident. À méditerde toute urgence.

Le Monde des religions

n Lytta Basset réfléchitau sens de notre existenceà la frontière de la foi, de lapsychologie et du quotidien.Libérés du péché originel,nous pourrions nous convertirà la bienveillance !

Le Pèlerin

n Contre la vision pessimistede l’être humain, induite parle dogme du péché originel,Lytta Basset propose un regardfondé sur l’ouverture à l’autre.

La Vie

n Le péché originel nousa légué une vision pessimistede l’humanité. La théologiennesuisse et essayiste à succèsLytta Basset plaide pour uneréhabilitation de l’homme.

Le temps

«N ous avons le droit desavoir ! » martelaient en2013, à propos de l’af-

faire Bettencourt, les 54 000 signa-taires de l’appel de Mediapart,sorte de manifeste universel contrele secret. Mais il y a quelquessemaines, les Français ont étéabasourdis lorsque la révélationquasi simultanée des écoutes deSarkozy, par son conseiller PatrickBuisson depuis des années et parles juges depuis au moins six mois,est venue interroger ce leitmotiv.L’idéalisation médiatique contem-poraine qui fait de la transparenceune vertu se révèle en effet falla-cieuse et dangereuse, comme lemontre l’avocat Daniel SoulezLarivière dans cet essai singulier.

eN partaNt des affaires Betten -court, WikiLeaks, Snowden, ou desécoutes de la National SecurityAgency américaine, notamment, eten revisitant l’histoire (la Républiqueromaine, l’absolutisme de Louis xIV,la Révolution française, laVe République) et l’histoire desconcepts (de Bodin à Richelieu, deRousseau à Kant, de la «  raisond’état » à la censure), il pointe troisniveaux de transparence qui régis-sent notre société contemporaine :de haut en bas (du pouvoir vers lescitoyens), de bas en haut vers lepouvoir (des citoyens représentéspar les médias), et horizontale entreles citoyens qui s’exposent les unset les autres. Mais l’exigence dog-matique de transparence fait bas-culer dans un monde manichéen,au rebours de la vérité, d’une part,et avec les plus grands risques pourla démocratie et les dysfonctionne-ments de la justice, d’autre part.Démonstration est faite de l’ambi-guïté de la notion même de trans-parence.

pour l’auteur, la traNspareNce

n’est pas plus une vertu que lesecret ; ces deux notions sont lesdeux faces d’une médaille. Ce sontavant tout des techniques de pou-voir et des postures pour préserverl’action, éviter la paralysie, sansdémolir la démocratie, dans unexercice «  normal  » et non pasmachiavélique ou totalitaire de gou-vernement de la cité. Et cela, qu’ils’agisse de pouvoir politique, médi-cal ou judiciaire. Le secret estnécessaire à certains moments del’activité humaine, la transparencel’est tout autant à d’autres. La poli-tique apparaît ainsi comme l’art devoiler et de dévoiler. La balanceentre ces deux exigences est unecondition de la démocratie. Lesecret est un besoin vital, mais la

protection de la collectivité peut pas-ser par la transparence. Et dans lesconflits inévitables entre l’individu etla collectivité, l’auteur en appelle audroit, au juge, seul susceptible d’as-sumer la fonction de trancher. n

Du bon usage du secretSOCIÉTÉ

La transparence, valeur contemporaine, idéalisée, supposée vertueuse, constamment

revendiquée, semble aujourd’hui pratiquée hors de toute règle. Dans un livre politiquement

incorrect, Daniel Soulez Larivière lance une alerte sur les dangers de ces dérives pour

la démocratie, pour la justice et pour chacun d’entre nous.

La Transparence et la VertuDaniel Soulez Larivière192 pages, 15 €n Du même auteur :Le Temps des victimes(avec Caroline Eliacheff)304 pages, 20,30 €

Oser la bienveillanceLytta Basset432 pages, 22 €

© Dav

id Nivière

Page 9: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

9L’Homme en Question n éTé 2014

l’enregistrement : le manqued’organisation des administrationslocales, qui disposent de moyensfinanciers et humains très limitéspour tenir un enregistrement desnaissances, parfois dans uncontexte de guerre civile ou decatastrophes naturelles (séismes,ouragans, etc.) où les documentsont été détruits, quand ilsexistaient ; le manque d’informationdes populations, qui ignorent biensouvent les conséquences d’uneabsence d’enregistrement de lanaissance d’un enfant, et pourlesquelles cette formalité est loind’être une priorité parmi lescontraintes de leur vie quotidienne[…]L’inscription de cette question àl’agenda de l’ONU et de l’Unioneuropéenne est un premier pasencourageant. il faut aller plus loinet plus vite, comme nous y invitentles auteurs […] Nous ne saurionsaccepter la condition injuste etdouloureuse de ces millionsd’enfants et d’êtres humains. C’està une véritable mobilisation desÉtats et des citoyens dans le mondequ’appelle cet ouvrage. Remercionsleurs auteurs de nous convier ainsià l’action pour que cesenfants de la nuit retrouventleur identité sociale.

Deux notaires, engagés dansle combat pour la promotionde l’état civil, décrivent la situationscandaleuse des « enfantsfantômes », non enregistrés à lanaissance, et la mobilisation qu’ilsont initiée, soutenue par l’UNiCEF.Robert Badinter, dans sa préface,en dit toute l’urgence. Extraits.

… En Asie du Sud-Estet en Afrique, moinsde la moitié des enfants

sont actuellement enregistrésau moment de leur naissance.il en résulte pour ces enfantsde graves difficultés d’accès àl’éducation et à la santé. ils neseront pas protégés contre le travailinfantile, les mariages précocesou l’enrôlement forcé commesoldats. ils deviendront des proiesfaciles pour les trafics les plusodieux : travail forcé, réseauxcriminels et de prostitution, traficd’adoption, etc. L’absence d’identitéadministrative poursuit ensuite ces

enfants tout au long de leur vie.Ainsi, se déplacer, voter, se marier,travailler, bénéficier d’aidessociales, devenir propriétaire : àchaque étape de la vie, l’absenced’état civil connu représente ungrave handicap. Les auteursmontrent avec force que les enfantsnon enregistrés sont durablementprivés de droits civils, sociaux etpolitiques. Exclus, marginalisés, noncomptabilisés dans les statistiquesofficielles, ces enfants sans identitésont les « fantômes » de la société[…] Le combat contre les ténèbresadministratives où sont plongés cesenfants, pour leur malheur, estengagé. il peut être gagné,notamment grâce à l’aide desnouvelles technologies quipermettent déjà de faciliterl’enregistrement des naissancesdans certaines zones ruraleséloignées des centres d’état civil.Encore faut-il surmonter les deuxprincipaux obstacles à

Robert Badinter a lu n n n

Les Enfants fantômesde Laurent Dejoie et Abdoulaye Harissou

Les Enfants fantômesLaurent Dejoieet Abdoulaye Harissou176 pages, 16 €

© Philip

pe Grang

eaud

À la fin du xIxe siècle, Lacas sagne,éminent médecin militaire, pion-nier de la médecine légale fran-

çaise, demande à des prisonniersincarcérés à la prison Saint-Paul deLyon de rédiger le récit de leur vie. Sonprojet : constituer une documentationsur les identités et les parcours crimi-nels, car il croit aux « bienfaits » de l’écri-ture. La lecture de ces autobiographiesdevrait permettre au criminologue depercer l’opacité de la personnalité ducriminel. Ce dossier, resté jusqu’alorsinédit, a été retrouvé par PhilippeArtières, qui en a reconstitué la genèse.Il nous invite ainsi à plonger dansl’existence de dix individus (neufhommes, une femme) pour compren-dre ce qui, d’accidents en exclusions,les a menés jusqu’au crime. Au fil destémoignages qu’il nous donne à liredans leur réalité crue, Philippe Artièrestente de restituer la voix de ceux quisont enfermés et s’interroge plus sur les« stratégies discursives » des criminelsque sur la véracité des faits qu’ilsrelatent. Finalement, au lieu de sou-mettre et de contraindre, l’injonctiond’écrire faite par Lacassagne auraitouvert aux détenus comme un espacede liberté… « Le criminel est doté d’unelangue; il habite des lieux, il a des habi-tudes et une histoire. Autrement dit, unpersonnage voit le jour. » n

Entre lesbarreaux

HISTOIRE SOCIALE

Le Livre des vies coupablesAutobiographies de criminels(1896-1909)Textes édités et présentéspar Philippe Artières496 pages, 19,50 €

Page 10: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

10 L’Homme en Question n éTé 2014

E va de Vitray-Meyerovitch(1909-1999) fut assurémentl’une des personnalités mar-

quantes de l’islam en France. C’estson œuvre, aux côtés de celle deMassignon et de Corbin, qui a faitdécouvrir au public français une spi-ritualité faite, sans séparation, decœur et de raison, depuis l’œuvre fon-datrice du grand mystique persanRûmî jusqu’à l’œuvre visionnaire deMohammed Iqbal au xxe siècle. Jean-Louis Girotto, animateur du site sou-fisme.org et l’un des meilleursspécialistes du soufisme en languefrançaise, a rassemblé ici onze articlespubliés par cette grande dameentre 1956 et 1989 et qui tracent d’elleun portrait intellectuel à la fois évolu-tif et très cohérent. De «  Temps etmystique en islam » à « La soif du puramour » en passant par « Approchesymbolique du Coran  », c’est unvoyage à la fois savant et onirique quis’offre au lecteur. Si l’on peut lireaujourd’hui les ouvrages classiques de

Cheikh Bentounes ou de Faouzi Skali,pour ne prendre que deux exemplesparmi les plus illustres, c’est bien grâceau travail pionnier d’Eva de Vitray-Meyerovitch qui a su, sans jamais riensacrifier de la rigueur scientifique,donner de l’islam et en particulier dusoufisme une image vivante. n

Une femmeà la découverte de l’islam spirituel

SOUFISME

J ean-Yves Leloup entretient avecle corpus johannique une rela-tion privilégiée, depuis la publi-

cation de sa traduction commentéede l’évangile de Jean en 1989. Cetexte fit date en ce qu’il donnait à lireune version résolument mystique et enmême temps très moderne du qua-trième évangile, dans la lignée du tra-vail accompli quelques années plustôt sur l’évangile de Thomas. Depuis,Jean-Yves Leloup a exploré de nom-breuses pistes interprétatives, notam-ment la place du sexe dans lemessage de Jésus et dans la doctrinede l’Incarnation (Tout est pur pourcelui qui est pur).

c’est doNc uN cycle complet quis’achève avec la parution de cettetraduction commentée des épîtresde Jean, celle de l’Apocalypseayant paru en 2012. Or pour clorece cycle du « disciple bien-aimé »,était-il possible de parler d’autrechose que d’amour ? « Mais de quelamour parlons-nous ?, nous inter-pelle Jean-Yves Leloup. Y aurait-ilun amour pervers et un autre divin ?Un amour qui serait en nouscomme un “diable” et un autre quinous viendrait de Dieu ? Pour l’au-teur des Épîtres de Jean, c’est leLogos lui-même qui parle et agitdans le corps de Yeshua et révèlel’Amour qu’Il est. Ce Logosdénonce le monde dans lequelnous vivons, le monde de nos pen-sées et de nos convoitises ; mais enmême temps, il n’a de cesse de lesauver, car ce monde est habité parune intelligence et un désir qui l’ou-vrent à plus grand que lui. »

c’est vers cette réalité que l’au-teur nous conduit : il nous fait éprou-ver le goût d’infini, les  saveursoriginelles et toujours d’actualité dupremier christianisme. n

du hassidisme pour les mettre à laportée de tous. Le commentaireaccessible et pénétrant d’AdinSteinsaltz nous accompagne dans ladécouverte de la signification véritablede ces six contes, qui nous invitentà ressentir la présence du divindans le monde. Le célèbre auteur deLa Rose aux treize pétales et del’Introduction au Talmud avait publiéce texte il y a quelques annéessous le titre Le Maître de prière. Ilreparaît aujourd’hui dans une éditionde poche qui lui permettra de toucherun large public à la recherche d’unespiritualité universelle, profonde et ori-ginale. n

Jean-Yves Leloupet Jean l’Évangéliste,vingt-cinq ansd’une aventure unique

MYSTIQUE

R abbi Nahman de Braslav est,avec son grand-père le BaalChem Tov, la figure la plus

marquante du hassidisme, ce mou-vement mystique juif né au xVIIIe siè-cle et qui fait de la joie la voie la plusdirecte pour faire entrer Dieu dans savie. Dans la dernière période deson enseignement, il a délaissé lavoie classique du commentairebiblique pour s’exprimer au traversde contes. Sous leurs dehors popu-laires, « Le Marchand et le Pauvre »,« Le Maître de prière » ou encore « LeSage et le Simple  » reformulentdans un langage universel les véritésles plus profondes de la kabbale et

La voiedes contes hassidiquesSAGESSE

Universalité de l’islam Eva de Vitray-Meyerovitch224 pages, 6,90 €

Contes de sagessede Rabbi Nahman de BraslavAdin Steinsaltz416 pages, 10,50 €n Du même auteur : La Sagesse juive expliquée à tousCoffret comprenant :– La Rose aux treize pétales– Introduction au Talmud– Introduction à la prière juive27,90 €

Les Épîtres de JeanTraduites et commentéespar Jean-Yves Leloup272 pages, 8,50 €n Du même auteur :L’Apocalypse de Jean324 pages, 20,30 €Évangile de Jean344 pages, 9,90 €

Page 11: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

11L’Homme en Question n éTé 2014

Jacqueline KelenLa plupart de vos livres se réfèrent aux mythes ainsiqu’à la mystique. Vous publiez aujourd’hui un essaisur les contes de fées, quel en est le fil conducteur? Face à la pensée rationaliste, pragmatique, le plussouvent matérialiste, du monde contemporain, jecontinue de défendre ce que je nomme laconnaissance fabuleuse, celle qui passe par les fables,les mythes et les contes. Elle est la voix du mystère ets’adresse au plus précieux, au plus secret de l’êtrehumain, lui rappelant son origine céleste et sonimmense liberté. Tel est le fil d’or de l’intériorité quiconduit à un univers de merveilles. Les contestraditionnels transmis par Perrault, les frères Grimm etAndersen se situent dans la même lignée que lesmythes. Comme eux, ils abordent les très grandsthèmes philosophiques inhérents à la conditionhumaine (le mal, la justice, la mort, l’innocence,l’amour…), comme eux, ils montrent les liens tissésentre le monde sensible et l’univers invisible etéveillent la conscience aux réalités supérieures. Loinde nous bercer de rêves et d’illusions, les contes sontdes récits initiatiques qui ouvrent notre regard, notrecompréhension à d’autres dimensions que lamatérialité concrète sur laquelle on s’appuie ets’établit et qui seule passe pour vraie.

Que dites-vous de nouveau sur les contes de fées? Une dimension transcendante, j’espère ! Dans tous lestextes majeurs de l’humanité, qu’il s’agisse d’écritssacrés ou bien littéraires, il existe toujours plusieursniveaux d’interprétation, et le plus commun nem’intéresse pas… La plupart des ouvrages parus surles contes de fées abordent ces récits enchanteurs par

le biais de la psychanalyse (freudienne ou jungienne)ou encore les utilisent pour un travail psychologique ouà des fins de développement personnel. Or si lescontes continuent d’émerveiller petits et grands, c’estprécisément parce qu’ils parlent d’autre chose quede la vie quotidienne, avec ses relations familiales, sesproblèmes d’argent, de couple ou de sexualité. ils fontentrevoir bien d’autres possibilités offertes à l’êtrehumain qui l’affranchissent de la condition terrestre,forcément limitée et précaire. ils révèlent un monde oùrègnent l’amour sans fin, la beauté incorruptible, la joieinaltérable : c’est le climat spirituel par excellence. Etleur fin heureuse répond au désir d’éternité toujoursvivant dans le cœur de l’homme.

Dans les dix-sept contes que vous étudiez,parmi les plus connus vous percevez un sensspirituel, le plus souvent caché… Oui. Même si les contes n’appartiennent à aucunereligion en particulier et ne font par exemple aucuneréférence à la doctrine chrétienne, ils ne cessent derappeler la présence et la puissance du mondesurnaturel et, à travers divers personnages etévénements, ils montrent l’Esprit à l’œuvre en cemonde. ils invitent chacun à s’interroger sur le sens del’existence, sur l’au-delà, et à « prendre soin de sonâme » selon le précepte socratique. Ces récits, quiconcernent souvent le pèlerinage de l’âme, sestribulations ici-bas et son retour à un royaume delumière, m’apparaissent les héritiers des cultes àmystères de l’Antiquité ainsi que de la traditionpythagoricienne et néoplatonicienne. De fait, ils sontles colporteurs d’une Sagesse intemporelle qui exhortel’homme à s’éveiller, se transformer et partir en quêtede l’impérissable. Cette sagesse se transmet sous lemanteau de la fable et elle traverse ainsi, mine de rien,siècles et contrées. Qu’il s’agisse des contes soufis ouhassidiques, des paraboles évangéliques, deshistoriettes du zen ou du taoïsme, c’est une manièreplaisante et discrète de faire passer des véritésprofondes en racontant des histoires accessibles àtous. À chacun de tendre l’oreille intérieure… Pourmoi, la petite musique descontes de fées n’est autreque la mélodie de l’âmequi se souvient et, déjà,s’ébroue. n

Trois questions à n n n

SPIRITUALITÉ

Annickde Souzenelle,attentive audivin en chacunde nous

Coffret 3 vol.27,60 €n Du même auteur :« Va vers toi », la vocation divinede l’homme200 pages, 16 €

L ’année 2014 marque le quaran-tième anniversaire (déjà) de laparution du livre séminal d’Annick

de Souzenelle, Le Symbolisme ducorps humain. Déjà, tout était là: le sym-bolisme de l’alphabet hébraïque, l’at-tention au féminin de l’être, l’invitation auparcours intérieur et à la transformation,la relecture décapante des grandsmythes bibliques… L’œuvre, depuis, n’afait que prendre de l’ampleur, avecnotamment les deux volumes de songrand commentaire sur la Genèse,Alliance de feu, et jusqu’à son ultimeopus, Va vers toi, synthèse dense dontle très large succès a montré que l’ap-proche « souzenellienne », par son inac-tualité, n’a pas fini de réveiller les esprits.

Pour marquer dignement l’anniver-saire littéraire de cette grande dame dela spiritualité, les éditions Albin Michellui consacrent un coffret regroupantses titres les plus marquants : outre LeSymbolisme du corps humain etL’Égypte intérieure, il comporte son livred’entretiens avec Jean Mouttapa, LaParole au cœur du corps, qui permetde découvrir ou d’approfondir ces thé-matiques essentielles. n

Une robe de lacouleur du tempsLe sens spiritueldes contes de féesJacqueline Kelen342 pages, 19 €n Du même auteur :Les Amitiés célestes320 pages, 8,50 €

© Elodie Sue

ur-M

onse

nert

Page 12: Numéro 42 – été 2014 Jean Jaurès Henri Gougaud …arrêtées: « Nous ne valons pas mieux, croyez-le, que les hommes. Simplement le pouvoir ne nous a pas encore gâtées et corrompues

12 L’Homme en Question n éTé 2014

Vous venez de découvrir L’Homme en Question n n n

… et vous souhaitez le recevoir chez vous, merci de nous retourner ce coupon (seulement si vous n’êtes pas déjà abonné)Je souhaite recevoir L’Homme en Question o par courrier o par mail

Prénom: ...................................................................... Nom: .................................................................................................................................................

Adresse : .....................................................................................................................................................................................................................................

Code postal : ............................................................. Ville : ..................................................................................................................................................

Pays : ............................................................................ Mail : ..................................................................................................................................................

Nom de la librairie où vous avez trouvé ce journal : .........................................................................................................................................

ALBIn MIChEL, 22 rue huyghens, 75014 Paris – Tél. : 01 42 7910 00 – Fax : 01 43 272158 – www.albin-michel.frRédaction : Jean Mouttapa, Julien Darmon, Chloé Salvan et les éditeurs – Coordination : Gil Rousseaux – Maquette : Caractère B.

J aurès est avant tout un philosophe – norma-lien, agrégé et docteur – qui rivalise à sonépoque avec Bergson, et l’on ne comprend

rien à son parcours si l’on néglige sa thèse sur LaRéalité du monde sensible, très éloignée du maté-rialisme comme de l’idéalisme qui dominaient alorsla sphère intellectuelle. éric Vinson et SophieViguier-Vinson explorent cette thèse de philosophie– très peu l’avaient fait avant eux –, et brossent leportrait d’un « penseur non dualiste, entre scienceet foi  », qui ne s’est jamais départi d’une visionmétaphysique de l’univers et de l’histoire deshommes. Dès lors, on comprend que sa conver-sion au socialisme, relativement tardive bien qu’il ensoit devenu plus tard la figure iconique, n’ait pasentamé en lui la perspective d’une transcendance.Mieux : le socialisme qu’il réinvente se définitcomme « une révolution morale qui doit être serviepar une révolution matérielle », et il ose cette pro-phétie utopique qui dit l’essentiel de son combat :« Le socialisme sera en même temps une granderévolution religieuse. »

certes, jaurès fut aussi le pourfeNdeur iNfati-gable du christiaNisme institutionnel de sontemps, qui était socialement conservateur, politi-quement antirépublicain, et intellectuellement anti-moderne. Il mit entièrement son verbe et soncharisme légendaires au service du camp anticlé-rical dans la grande bataille de la séparation del’église et de l’état. Mais son anticléricalisme nes’opposait qu’au cléricalisme qui représentait alorsun vrai danger pour la République, il ne s’opposaitpas à l’esprit de l’évangile. Tout au contraire, il s’ennourrissait, et les auteurs citent abondamment sesécrits sur Dieu, sur Jésus, sur la sainteté, sur l’ou-verture de l’homme à « l’immensité divine »… quiont été bien oubliés, voire occultés par la postéritéjauressienne. Que l’on soit de droite ou de gauche – tant il estvrai que ce fondateur fait aujourd’hui référencepour tous –, il faut absolument se replonger dansla vraie pensée du «  prophète  » Jaurès, si l’onveut un jour sortir de ce désenchantement morti-fère qui ronge les fondements politiques de notresociété. n

Jaurès le prophèteMystique et politiqued’un combattant républicainéric Vinson etSophie Viguier-Vinson320 pages, 20 €

En quoi croyait Jaurès?ESSAI

« Tout commence en mystique et tout finit en politique », écrivait Charles Péguy dans Notre jeunesse. Or Jaurès – qui s’engagea

avec lui dans la grande geste du combat dreyfusard, mais que Péguy voua finalement aux gémonies parce qu’il ne partageait pas

sa rage nationaliste – est précisément le personnage dont toute la biographie s’inscrit en faux contre un tel pessimisme.

Parti d’une philosophie non matérialiste de l’« unité de l’être », il n’a pas abandonné sa « mystique » en se lançant dans le feu

de la politique.

Que faut-il faire alors pour quel’humanité, en brisant les théocraties,

puisse garder cependant vivant etagissant en elle l’esprit du Christ? Il fautqu’elle comprenne la grandeur religieusede sa mission. Si elle se considère commeincapable d’infini, ou bien elle ne verradans le Christ qu’un halluciné quil’a fatiguée pendant des siècles d’un rêvestérile, ou bien elle s’inclinera humiliéeet craintive devant lui comme devantle maître qui peut et qui doit suppléerà son insuffisance absolue.Ou indifférence, ou servage. Au contraire,si l’humanité a le sentiment qu’elle portel’infini en elle et qu’elle a le droitd’y prétendre, elle peut devenirelle aussi une puissance, comprendrele Christ et s’en inspirer sans tomberen servitude.

Jean Jaurès