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Nutrition clinique et métabolisme 24 (2010) 136–144 Réflexions Nutrition artificielle : initier, poursuivre, arrêter. Repères éthiques Enteral nutrition: Initiate, continue, stop. Ethical guideline Donatien Mallet a , Valérie Duchêne a , Godefroy Hirsch b , Jean-Claude Melchior c,a Unité de soins palliatifs de Luynes, CHU de Tours, laboratoire d’éthique, faculté de médecine de Tours, centre hospitalier Luynes, avenue du Clos-Mignot, 37230 Luynes, France b Équipe d’appui départementale de soins palliatifs du Loir et cher, 11, rue du bourg neuf, 41000 Blois, France c Unité de nutrition clinique-maladies infectieuses, département de médecine aiguë spécialisée, hôpital Raymond-Poincaré, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, PIFO, Versailles-St Quentin en Yvelines, France Rec ¸u le 18 mai 2010 ; accepté le 22 mai 2010 Résumé Les équipes soignantes, compétentes dans les techniques de nutrition entérale ou parentérale, sont fréquemment sollicitées pour des situations cliniques dans lesquelles se pose la question de l’indication d’une nutrition artificielle. La décision peut porter sur la mise en œuvre, l’abstention, la limitation ou l’arrêt de ces thérapeutiques de suppléance de fonctions vitales. Dans ces situations d’incertitude sur la détermination du bien, du non souhaitable, voire du délétère, il nous semble important de proposer des repères généraux pour construire la décision. Notre intention n’est pas d’ériger des critères ou des arbres décisionnels correspondant aux diverses situations cliniques rencontrées. Ces critères, souvent techniques, peuvent être retrouvés dans d’autres publications. Ils ont leur propre pertinence. Notre visée est plutôt de proposer des axes de réflexion afin de construire une délibération adaptée à la situation. La méthode décisionnelle que nous allons exposer valorise en effet le temps délibératif comme possibilité de co-construction d’une décision en interaction avec la personne malade, son entourage et les équipes soignantes. Dans cette optique, six processus sont présentés : (1) la création d’un espace de délibération ; (2) une approche globale de la personne malade en intégrant tous les éléments contextuels ; (3) un travail sur les représentations et les significations associées à l’alimentation et à la nutrition ; (4) une attention à la temporalité de chaque acteur ; (5) la promotion, s’il le souhaite et le peut, de l’autodétermination du patient et (6) une évaluation des conséquences de la décision et une relecture du parcours décisionnel. En ne se limitant pas à une prestation d’expertise technique et en contribuant à créer un espace de délibération collectif, les équipes soignantes, compétentes en nutrition artificielle, maintiendraient, dans les institutions de soin, une vigilance éthique. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Approche globale ; Autodétermination ; Délibération ; Éthique ; Nutrition artificielle ; Soins palliatifs Abstract Medical staffs that are competent in the techniques of enteral or parenteral nutrition are frequently called upon for clinical situations in which the indication of artificial nutrition is questionable. The decision may relate to the implementation, limitation or discontinuation of this therapeutics in substitution of vital functions. In such situations of uncertainty on the determination of the goodness, the non-desirability, or even the harmfulness of nutritional support, it seems important to offer general guidelines for making the decision. Our intention is not to give decisional criteria corresponding to various clinical situations encountered. These criteria, often technical, can be found in other publications. They have their own relevance. Our goal is rather to suggest lines of thought to construct a resolution adapted to the situation. The decision method we expose highlights the deliberation as a possibility to co-construct a decision in interacting with the patient, his/her relatives and nursing staffs. In this context, six processes are presented: (1) the creation of a deliberative; (2) a comprehensive approach of the patient, integrating all the contextual elements; Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (D. Mallet), [email protected] (J.-C. Melchior). 0985-0562/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.nupar.2010.07.007

Nutrition artificielle : initier, poursuivre, arrêter. Repères éthiques

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Nutrition clinique et métabolisme 24 (2010) 136–144

Réflexions

Nutrition artificielle : initier, poursuivre, arrêter. Repères éthiques

Enteral nutrition: Initiate, continue, stop. Ethical guideline

Donatien Mallet a, Valérie Duchêne a, Godefroy Hirsch b,Jean-Claude Melchior c,∗

a Unité de soins palliatifs de Luynes, CHU de Tours, laboratoire d’éthique, faculté de médecine de Tours,centre hospitalier Luynes, avenue du Clos-Mignot, 37230 Luynes, France

b Équipe d’appui départementale de soins palliatifs du Loir et cher, 11, rue du bourg neuf,41000 Blois, France

c Unité de nutrition clinique-maladies infectieuses, département de médecine aiguë spécialisée, hôpital Raymond-Poincaré,104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, PIFO, Versailles-St Quentin en Yvelines, France

Recu le 18 mai 2010 ; accepté le 22 mai 2010

ésumé

Les équipes soignantes, compétentes dans les techniques de nutrition entérale ou parentérale, sont fréquemment sollicitées pour des situationsliniques dans lesquelles se pose la question de l’indication d’une nutrition artificielle. La décision peut porter sur la mise en œuvre, l’abstention,a limitation ou l’arrêt de ces thérapeutiques de suppléance de fonctions vitales. Dans ces situations d’incertitude sur la détermination du bien, duon souhaitable, voire du délétère, il nous semble important de proposer des repères généraux pour construire la décision. Notre intention n’estas d’ériger des critères ou des arbres décisionnels correspondant aux diverses situations cliniques rencontrées. Ces critères, souvent techniques,euvent être retrouvés dans d’autres publications. Ils ont leur propre pertinence. Notre visée est plutôt de proposer des axes de réflexion afin deonstruire une délibération adaptée à la situation. La méthode décisionnelle que nous allons exposer valorise en effet le temps délibératif commeossibilité de co-construction d’une décision en interaction avec la personne malade, son entourage et les équipes soignantes. Dans cette optique,ix processus sont présentés : (1) la création d’un espace de délibération ; (2) une approche globale de la personne malade en intégrant tous lesléments contextuels ; (3) un travail sur les représentations et les significations associées à l’alimentation et à la nutrition ; (4) une attention à laemporalité de chaque acteur ; (5) la promotion, s’il le souhaite et le peut, de l’autodétermination du patient et (6) une évaluation des conséquencese la décision et une relecture du parcours décisionnel. En ne se limitant pas à une prestation d’expertise technique et en contribuant à créer unspace de délibération collectif, les équipes soignantes, compétentes en nutrition artificielle, maintiendraient, dans les institutions de soin, uneigilance éthique.

2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

ots clés : Approche globale ; Autodétermination ; Délibération ; Éthique ; Nutrition artificielle ; Soins palliatifs

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Medical staffs that are competent in the techniques of enteral or parenteral nutrition are frequently called upon for clinical situations in which thendication of artificial nutrition is questionable. The decision may relate to the implementation, limitation or discontinuation of this therapeutics inubstitution of vital functions. In such situations of uncertainty on the determination of the goodness, the non-desirability, or even the harmfulnessf nutritional support, it seems important to offer general guidelines for making the decision. Our intention is not to give decisional criteriaorresponding to various clinical situations encountered. These criteria, often technical, can be found in other publications. They have their own

solution adapted to the situation. The decision method we expose highlights

elevance. Our goal is rather to suggest lines of thought to construct a re he deliberation as a possibility to co-construct a decision in interacting with the patient, his/her relatives and nursing staffs. In this context, sixrocesses are presented: (1) the creation of a deliberative; (2) a comprehensive approach of the patient, integrating all the contextual elements;

∗ Auteur correspondant.Adresses e-mail : [email protected] (D. Mallet), [email protected] (J.-C. Melchior).

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3) work on the representations and meanings related to food and nutrition; (4) attention to the temporality of each actor; (5) the promotion, if theyish and can, of patient self-determination and (6) an assessment of the consequences of the decision and a replay of the decisional approach. Inot only providing technical expertise and in helping to create a joint deliberative space, health care teams, expert in nutritional support, wouldaintain an ethical vigilance in institutions.2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Artificial nutrition; Palliative care

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eywords: Comprehensive approach; Self-determination; Deliberation; Ethics;

. Introduction

Les équipes soignantes, compétentes dans les techniques deutrition entérale ou parentérale, sont de plus en plus fréquem-ent sollicitées pour des situations cliniques dans lesquelles se

ose la question de l’indication d’une nutrition artificielle. Laécision peut porter sur la mise en œuvre, l’abstention, la limita-ion ou l’arrêt de ces thérapeutiques de suppléance de fonctionsitales.

Parfois la réponse semble simple. Les tableaux individualisésont classiques et regroupés en configurations clairement identi-ées. Il existe des critères d’évaluation médicale reconnus ou unlgorithme décisionnel faisant consensus. Des sociétés savantesnt rédigé des recommandations sur lesquels le clinicien peut’appuyer [1].

Mais, dans certains cas, il existe une incertitude sur l’option ànvisager. Ce doute peut être éprouvé d’emblée par l’équipe soi-nante requerrant un avis externe. La demande n’est pas réduite àa sollicitation d’une expertise technique. Elle est orientée versne aide à la décision. À d’autres moments, c’est le soignantonvoqué en tant qu’expert qui ressent un malaise et initie uneémarche interrogative.

Dans ces situations d’incertitude sur la détermination duien, du non souhaitable, voire du délétère, il nous semblemportant de proposer des repères généraux pour construire laécision. Notre intention n’est pas d’ériger des critères ou desrbres décisionnels correspondant aux diverses situations cli-iques rencontrées. Ces critères, souvent techniques, peuventtre retrouvés dans d’autres publications. Ils ont leur propreertinence.

Notre visée est plutôt de proposer des axes de réflexion afine construire une délibération adaptée à la situation. La méthodeécisionnelle que nous allons exposer valorise en effet le tempsélibératif comme possibilité de co-construction d’une décisionn interaction avec la personne malade, son entourage et lesquipes soignantes.

Dans cette optique, six processus sont présentés :

la création d’un espace de délibération ;une approche globale de la personne malade en intégrant tousles éléments contextuels ;un travail sur les représentations et les significations associées

à l’alimentation et à la nutrition ;une attention à la temporalité de chaque acteur ;la promotion, s’il le souhaite et le peut, de l’autodéterminationdu patient ;

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une évaluation des conséquences de la décision et une relec-ture du parcours décisionnel.

. La création d’un espace de délibération

Quelles informations, quelles communications, quellesencontres instaurer entre les différents participants à la déli-ération ?

.1. La constitution d’un espace de délibération

Dans les situations où se posent des questions relatives à lautrition artificielle, le décideur fait parfois une erreur métho-ologique. Il se focalise à l’excès et trop précocement sur’impératif de décider. Or, dans un premier temps, ce n’est pasant la décision qui importe, mais plutôt la création d’un espacee délibération.

La démarche délibérative consiste à construire un champ,ersonnel et collectif, ouvert, indéterminé, pluraliste et dialo-ique. Cet espace de communication et d’élaboration mettra eneu la personne malade, son entourage et les diverses équipesoignantes. L’enjeu est d’échanger ensemble afin d’élaborer desnalyses, des représentations, des significations associées à laituation. À terme, cela permettra de définir des orientationshérapeutiques, on l’espère, ajustées.

La délibération sera d’autant plus pertinente que la commu-ication sera de qualité. Cela nécessite l’instauration d’uneertaine liberté d’expression, associée à un engagement desivers protagonistes et au respect de leurs subjectivités.

Ce climat d’échanges est, en pratique, difficile à instaurer. Laiscussion au sein d’une équipe pluriprofessionelle ne fait pasartie de la tradition médicale, habituée à des fonctionnementsiérarchiques et axée plutôt sur une délibération monodiscipli-aire. Les infirmières et les aides-soignantes n’ont pas l’habitudee s’exprimer aisément et librement lors des réunions d’équipe.e plus, il existe, de part la complexité des situations, uneétérogénéité de perceptions, de compréhensions, d’affects, deeprésentations ou de repères existentiels. Cela ne facilite pas laise en mots et la prise de parole.La liberté de dialogue n’est pas en elle-même un critère

uffisant pour assurer une « bonne délibération ». Elle doit’associer à une recherche de clarté d’expression, de rigueur

’argumentation et de qualité de discussion. Quelle que soit’identité professionnelle, ces compétences ne sont pas descquis. C’est plutôt une pratique à développer au fil du temps.lle s’appuie sur une dynamique personnelle et collective. Elle
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equiert honnêteté intellectuelle, capacité à exposer synthétique-ent ses analyses ou positions, ouverture à l’altérité, potentialitéporter un questionnement avec un souci constant du bien asso-ié au respect de l’autre.

Le recours à la délibération au sein d’une équipe ne défausseas le praticien de sa responsabilité de décideur. Bien auontraire, si la délibération requiert l’engagement de chacun afine compléter la lecture d’une situation, la décision demeure laesponsabilité du médecin. Le consensus n’est pas un impéra-if. Le dissensus est possible. Dans ce cas, le maintien de laesponsabilité médicale ne signifie pas un désaveu de l’équipe.orsque les échanges sont de qualité, l’espace ouvert par la dis-ussion permet de reconnaître la singularité d’univers de sense chacun des acteurs. Il rend possible la reconnaissance de’argumentation et de la fonction de l’autre, sans recours exclusifune légitimité hiérarchique.

Le cadre légal rend obligatoire la constitution de cetspace délibératif pour les patients en incapacité d’exprimereur volonté. Dans ces situations, la loi d’avril 2005 impose’organisation d’une procédure collégiale. Le décret 2006-20 précise les modalités. La décision médicale doit être leruit d’une discussion collégiale. La collégialité consiste en laonsultation de l’équipe de soin et d’un autre médecin que leédecin en charge du patient, sans rapport de hiérarchie entre

ux. Si l’un des deux l’estime nécessaire, un « deuxième » aviseut être demandé à un autre consultant. Les avis doivent êtreotivés, et retranscrits dans le dossier médical du patient, auême titre « que la nature et le sens des concertations qui ont

u lieu au sein de l’équipe de soin ». Le cadre d’organisationst donc relativement précis, mais toute une créativité deorme de délibération demeure possible en fonction des équipesoignantes.

Concrètement, l’impératif légal ne deviendra réalité que sies médecins, les cadres de santé et les équipes soignantes enercoivent la pertinence. La délibération en équipe ne se feraue par leur implication. L’enjeu est d’importance. C’est au seines réunions que se constituent les repères implicites et expli-ites, les fonctionnements de groupes, les cultures d’équipe.’engagement et la compétence des responsables, notammente l’animateur des réunions, sont des éléments centraux. Selona personnalité, ses conceptions et ses visées, il contribuera àa construction et à la qualité de l’éthos collectif. La reconnais-ance institutionnelle de ce temps collectif est aussi un élémentrioritaire avec l’inscription des réunions dans l’organisation duravail.

.2. Quelques points de repères

Pragmatiquement, trois points de repères peuvent être pro-osés :

le premier concerne les éléments médicaux relatifs auxoptions thérapeutiques :

◦ a-t-on clairement identifié l’intérêt, les conséquences et

les risques, de la mise en œuvre, de l’abstention, dela limitation ou de l’arrêt de la nutrition artificielle ?A-t-on suffisamment communiqué sur ces questions ? Par

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exemple, a-t-on mis en balance l’inconfort induit par unedénutrition avec l’apparition d’éventuels escarres versusla mauvaise tolérance d’une sonde naso-gastrique chez unpatient âgé, parfois agité ?

◦ en cas d’initiation d’une nutrition artificielle, a-t-on préciséla visée thérapeutique ? En effet, la poursuite ou l’initiationd’une nutrition artificielle est une mesure qui soutient leprocessus de vie. Ce temps gagné est-il souhaité par lepatient ou son entourage ? Peut-il prendre sens ? Quels sontles objectifs poursuivis ? Est-ce de pallier une défaillancetemporaire de l’organisme afin de mettre en œuvre oude poursuivre un traitement spécifique ? Est-ce un traite-ment d’épreuve nécessitant une évaluation ultérieure dubien fondé de l’action avec un possible changement dedécision ? Des critères et des temps d’évaluation ont-ilsété définis ? Est-ce de suppléer à vie une fonction vitaledéfaillante ? C’est par exemple la situation des personnesporteuses d’un handicap stabilisé, mais atteintes de troublesde la déglutition,

◦ en cas d’abstention, de limitation ou d’arrêt d’une nutritionartificielle, a-t-on ouvertement discuté les conséquencesavec les possibilités de soins envisageables, en particulierle soulagement d’éventuels symptômes d’inconfort ? Lesmodalités concrètes du mourir ont-elles été abordées ?

◦ d’autres options, faisant appel à une créativité pratique,ont-elles été envisagées ? En effet, selon les situations, unecréativité est parfois possible évitant l’enfermement dansdes dilemmes. Ce peut être la poursuite a minima d’une ali-mentation adaptée per os, le recours à une hydratation parvoie sous-cutanée, des traitements d’épreuve par le biaisd’une sonde naso gastrique. . .

le second point de repère regroupe les aspects légaux :◦ la personne malade, si elle est compétente, a-t-elle été

informée de ses droits en termes d’information sur lesavantages, inconvénients, risques des options thérapeu-tiques ? A-t-elle connaissance de sa possibilité de refuserun scénario thérapeutique, soit d’emblée, soit après un essaiinsatisfaisant ?

◦ si elle est incompétente, a-t-on recherché l’existence éven-tuelle de directives anticipées, la désignation antérieured’une personne de confiance, ou à défaut, de simples sou-haits ou orientations que le patient aurait formulés ?

◦ avant de décider, une réunion collégiale a-t-elle été organi-sée ?

◦ a-t-on sollicité des tiers pour éclairer la lecture de la situa-tion ou animer des réunions d’équipe ?

le troisième cherche à apprécier la qualité de la communica-tion. Les équipes soignantes gagneraient à tenter d’évaluer aumieux la quantité et la qualité des rencontres suscitées par lasituation :◦ y a-t-il eu une ou plusieurs rencontres avec la personne

malade lorsque cela était possible ? A-t-on évalué la qualitéde la compréhension du patient ?

◦ y a-t-il eu une ou plusieurs rencontres avec l’entourage dela personne malade si cela était possible ?

◦ y a-t-il eu une ou plusieurs rencontres au sein de l’équipesoignante référente ou entre les différentes équipes soi-

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gnantes afin de construire une délibération collégiale ? Lesdifférents professionnels ont-ils pu s’exprimer ?

. Une approche globale de la personne malade en lienvec les éléments contextuels

Comment construire, au sein d’une équipe interdisciplinaire,ne approche globale de la personne malade en tenant comptees éléments contextuels passés, présents et futurs ?

.1. Les données technoscientifiques sont nécessaires maisas suffisantes

Un des risques des prises de décision relatives à la nutritionrtificielle serait de se focaliser exclusivement sur des critèresechniques. Ces derniers sont bien évidemment nécessaires. Ilsonstituent des repères considérés comme objectifs. Ils sont laésultante d’un savoir, validé collectivement, établi progressi-ement et rigoureusement afin d’affiner les prises de décisiont de diminuer la marge d’incertitude. Leur prise en compteémoigne du souci d’inscrire la visée du bien dans une démarcheationnelle, s’appuyant sur des connaissances reconnues.

Cependant, ces marqueurs, s’ils sont nécessaires, ne sont pasuffisants. Quelle que soit leur pertinence, ils ne sont qu’unease de données relative.

En effet, il s’agit souvent de recommandations formalisées’experts plutôt que de preuves scientifiques validées.

Leur validité est le plus souvent établie à partir de l’étudee cohortes de patients. La méthode d’analyse repose sur latatistique. Or il existe un écart irréductible entre les donnéestatistiques et la singularité d’une situation. Ce qui est exactollectivement n’est pas forcément juste individuellement.

De plus, ces données biologiques ou ces indices pronostiquese sont qu’une vision parcellaire de la complexité d’une situa-ion. À l’évidence, une personne humaine n’est pas réduite àon taux d’albumine, sauf à considérer l’humain comme réduc-ible à un composite bio-physicochimique. Le décideur gagnera

demeurer vigilant face à ce prisme implicite, propre à laomposante technoscientifique de la médecine.

Enfin, la démarche éthique, orientée sur la construction duien, n’est pas assimilable à la méthode scientifique, axée sur’établissement d’un savoir. Elle n’est pas non plus la mise enpplication d’un savoir, aussi pertinent soit-il. Dans un universédical où règne une certaine confusion entre science et éthique,

a distinction est à maintenir. Les enjeux et les conséquences desécisions médicales aussi bien techniques, psychiques, relation-elles, sociales et financières nécessitent un travail réflexif quirenne en compte, mais ne se réduise pas, aux apports scienti-ques. Comme le souligne Dominique Foldscheid, « sitôt que

es choix techniques remplacent les choix éthiques, la tech-ique, bien loin d’être éthiquement neutre, devient éthiquementeutralisante [2] ».

En d’autres termes, quelle que soit l’étendue du savoir ou duouvoir de la médecine, une interrogation irréductible demeureur le bien fondé de l’action médicale. Ce n’est pas parce que’on sait ou que l’on peut, qu’il est juste de faire.

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.2. Les données technoscientifiques au sein d’unepproche globale et contextualisée

Pour remédier à ces réductions inhérentes à la médecine tech-oscientifique, il importe d’analyser la situation au sein d’unepproche globale et contextualisée. Cela se fera au mieux par unravail en interdisciplinarité afin de dépasser le prisme inhérentchaque profession.

La situation sera percue et analysée en prêtant attention à desléments, certes médicaux (nature de la maladie initiale, évo-utivité et pronostic, complications intercurrentes, état généralu patient, marqueurs de dénutrition. . .) mais aussi à des élé-ents plus subjectifs tels que le confort de la personne malade,

a volonté exprimée directement ou indirectement, ses lieux’investissement, ses repères philosophiques ou spirituels. Il’agit de repérer ce qui fait sens pour son existence, notammentes points de repères qu’ils se donnent sur l‘acceptable pour sonutur.

Une grande attention sera portée aux éléments contextuels,otamment relationnels. En effet, les tableaux cliniques dans les-uels se pose la question d’une nutrition artificielle, concernentouvent des personnes atteintes d’une maladie particulièrementrave ou d’un handicap physique conséquent, potentiellementssocié à une altération des fonctions cognitives. Cela peutngendrer une dépendance physique ou psychique qui nécessitene présence humaine, parfois continue.

La limitation de l’autonomie de la personne vient modi-er les schémas relationnels. Une pluralité d’interactionsumaines est observée à type d’infantilisation, de domi-ation, d’instrumentalisation, de violence, de séduction, deulpabilisation. . . Dans ces entremêlements, la liberté aussi biene la personne malade que de son entourage est entravée. Le tra-ail des soignants consistera à percevoir ces interactions afin deenter de dégager des espaces ouverts à l’autodétermination dehaque acteur.

Enfin, l’option thérapeutique envisagée devra tenir comptees données sociales. Cela concerne certes les possibilités deecours à des aidants naturels, leur adéquation au projet, lesessources financières mobilisables, mais aussi ce que proposeéellement notre société en termes de soutien effectif ou de lieuxe vie possibles. Pour le praticien, l’enjeu n’est pas simplemente décider, mais aussi d’anticiper et d’assumer les conséquencese la décision. Ainsi, poser l’indication d’une nutrition artifi-ielle sans s’interroger au préalable sur le futur hébergement duatient apparaît comme une aberration.

. Un travail sur les représentations et les significationsssociées à l’alimentation et à la nutrition

Quel espace d’échanges a été instauré afin que les différentscteurs puissent évoquer les représentations et les significationsssociées à l’alimentation ?

L’alimentation porte en elle-même une dimension éminem-ent singulière, subjective et symbolique. Selon les personnes

t les cultures, les représentations et les significations associéesiffèrent.

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.1. Quelques représentations et significations associées à’alimentation et à la nutrition

.1.1. Le patientPour le patient, l’alimentation ou la nutrition médicalement

ssistée sont souvent associées à la poursuite de la vie et à la lutteontre la maladie. « Manger, c’est continuer de vivre ». « Arrêter’être nourri, c’est mourir ». Cependant, cette perception tran-hée peut être nuancée lorsque le patient est atteint d’une maladiehronique, évolutive, létale. Le rapport à l’alimentation est alorsodifié. Ce n’est pas tant l’aspect quantitatif ou la signification

ombative qui est mis en avant. C’est plutôt une plainte marquéear la perte d’appétit et le désinvestissement, voir le dégoût, dea sphère orale. « Je n’ai pas faim. . . ca ne me dit rien », ce quieut parfois signifier « je n’ai plus faim de vie ». Dans ces situa-ions, la nutrition artificielle n’est pas forcément investie, saufi la mise en scène technique ou le discours médical y incite.

.1.2. L’entourage de la personne maladeL’entourage de la personne malade associe le plus souvent

’alimentation au maintien de la vie ou à la poursuite de lautte contre la maladie. Mais, ces significations sont intriquéesdes dimensions psychiques, affective et morale. La sollicita-

ion par la famille de la mise en route d’une nutrition artificiellest une manière de s’assurer et de témoigner d’une sollicitudenvers leur proche. « Quand on lui donne à manger, au moins’ai l’impression de l’aider ». Dans cette optique, l’absence ou’arrêt d’une nutrition artificielle génère des sentiments de culpa-ilité avec l’impression d’abandonner l’autre à sa souffrance, àa solitude, à son destin funeste [3].

Ces perceptions sont à prendre en compte lors de la délibéra-ion. Mais, fonder une décision sur un sentiment de culpabilité’est pas un gage de justesse. Des revirements peuvent survenir.onfrontée à la chronicité de la situation ou à l’altération de

eur proche, la famille peut formuler la demande d’arrêt de lautrition. À la sensation de culpabilité initiale se surajoute unehématique de faute, d’erreur lors de la première décision. « Je

e suis trompé, je n’aurai pas du demander cela ». Une vigilancest donc nécessaire. Le rapport complexe à la culpabilité ne seésout pas forcément par un agir technique, momentanémentalliatif, mais à termes, source de remords. Dans ce contexte, ilpparaît souhaitable de signifier, en anticipation, à l’entourageu patient, la possible évolutivité de leur position individuelle.

.1.3. Les médecinsLes médecins ont des représentations très variables de

’alimentation. Elles diffèrent selon leur personnalité, leur spé-ialité, leur conception du soin et de leur responsabilité.

De manière caricaturale, le médecin est plus sensible à laimension opérationnelle de la nutrition artificielle. « Est-ce que’est efficace ? » sera le leitmotiv princeps. L’appréciation seraeliée à une situation évaluée selon des critères médicaux. Laertinence dépendra de la capacité réelle de suppléance d’une

onction vitale défaillante ou de lutte contre un processus mor-ide. La nutrition artificielle est donc concue essentiellementans une optique utilitariste s’appuyant sur des critères technos-ientifiques validés collectivement.

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D’autres praticiens investiront la nutrition artificielle commen support relationnel dans une perspective stratégique. Elleerait un palier entre l’impossibilité de la guérison et l’abstentione traitement. Dans leur esprit, le recours à cette thérapeutique deuppléance d’une fonction vitale serait un moyen pour accom-agner le patient dans l’intégration de l’évolution de sa maladiet la perception de sa finitude. L’outil technique permettraitu discours médical de limiter l’angoissante confrontation à laort.Dans ces situations souffrantes et complexes, le jugement

ormatif ne devrait pas être de mise. Cependant cette pra-ique est discutable, surtout si elle devient systématique. Cetteonstruction stratégique peut dénaturer le climat d’authenticitéur lequel s’appuie la rencontre soignant-soigné. Or c’est au seine cette confiance que s’élabore souvent l’intégration complexet partielle de sa finitude. À terme, le scénario peut se révélerontre-productif, renvoyant le patient à la solitude d’un mou-ir avec une omniprésence technique, mais sans liens humainsonséquents.

De plus, cet édifice est une forme de renouvellement de laradition médicale paternaliste, contestée aujourd’hui juridique-

ent, socialement et parfois, philosophiquement.Enfin, sur le plan collectif, la prescription d’une nutrition

rtificielle parentérale, dont la pertinence est discutable, a desonséquences financières non négligeables. Or à enveloppeudgétaire limitée, il est nécessaire de tendre vers une justeépartition des ressources disponibles. Ce qui est consacré à unealadie ou à un segment de parcours de la personne malade ne

ourra être utilisé pour d’autres patients ou d’autres temps duarcours du patient.

Enfin, nous pouvons nous demander à qui profite réelle-ent cette construction artificielle de mécanismes psychiques

e défense, notamment lorsqu’elle est systématiquement misen œuvre.

.1.4. Les soignantsLes infirmières et les aides-soignantes ont des représentations

rès variables de la nutrition artificielle. Rappelons que le termeurse a comme racine étymologique latine nutrire qui signifieourrir. Mais la fonction soignante n’est pas réduite à cette actionourricière. Spontanément, l’alimentation est aussi associée àes thèmes de plaisir, de convivialité, de sollicitude et de soutiene la vie.

Mais ces qualificatifs ne s’appliquent pas à la nutritionrtificielle. Les significations sont donc plurielles avec deshématiques oscillant entre le minimum thérapeutique néces-aire – « faut bien qu’on les nourrisse », « s’il n’est pas nourri, ilura des escarres » – et l’acharnement thérapeutique – « tout ca,’est pour les prolonger, mais ca leur sert à rien ».

.2. La délibération comme travail sur les représentations

Les représentations et les significations associées à la nutri-

ion artificielle diffèrent selon les personnes. La décision’initier, de ne pas débuter, de limiter ou d’interrompre cettehérapeutique devra tenir compte de ces données subjectives. Enffet, ce sont les représentations, et leur éventuelle pondération,
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ui sont en œuvre lors des délibérations. Des propos tels quemanger, c’est vivre » ou « on ne va tout de même pas le laisserourir de faim » sont des items réellement agissants lors des

changes1. Ces dimensions archaïques, émotionnelles, signifi-atives ne sont pas à dénier. Mais elles ne constituent pas un gagee qualité du questionnement éthique. Bien au contraire, cesignifications immédiates, vécues comme irréductibles, peuventerrouiller toute possibilité de délibération.

La création d’un espace de rencontre, accueillant et plu-aliste, peut permettre aux différents acteurs de conscientiser,’atténuer, voire de déplacer les représentations et les affectsmmédiatement associés aux divers scénarios thérapeutiquesnvisagés. Dans l’univers des représentations, il existe en effetne certaine plasticité.

Une représentation est personnelle, associant des élémentsmotionnels, imaginaires, cognitifs, sociaux. . . Elle n’est pasisément verbalisable, parfois même indicible lorsqu’il s’agite l’évocation de son amaigrissement ou de la conscientisatione sa propre fin. Mais son contenu n’est pas pour autant figé,omme réduit à une détermination consciente ou inconsciente.ne représentation est potentiellement évolutive. À traversne simple écoute, une distanciation peut survenir, diminuant’intensité des affects ou modifiant les significations associées.n même résultat peut être observé suite à l’établissement d’unialogue, à l’apport d’autres informations notamment médicalesu à la relativisation des normes sociales.

Ainsi, le refus d’un patient de « vivre avec un tuyau dans leentre » peut disparaître une fois les sondes de gastrostomie etes poches de nutrition présentées. De même, dans l’hypothèseù l’un des scénarios est la survenue de la mort, les affectst la culpabilité, notamment familiale, associés au « mourir deaim et de soif » peuvent être atténués lorsque les soignantsarviennent à expliquer que la sensation de faim s’estompe enuelques heures et que la perception d’une soif est diminuéear des soins de bouche ou des pulvérisations buccales faitesréquemment. Une réassurance peut être faite en signifiant que’arrêt de la nutrition artificielle ne signifie pas l’arrêt des soins.ien au contraire, la limitation des possibilités techniques seraccompagnée par un surcroît d’attention, en gestes ou en paroles,uxquels la famille peut participer. Ce déplacement des lieux’investissement peut se révéler apaisant pour le patient et sonntourage.

Dans le champ des représentations et des significations,ne mouvance est donc possible. Cependant, elle n’est pasans limite. Les repères culturels ou les conceptions religieusesonstituent parfois des piliers invariants. Il ne s’agit pas dehercher à les rompre. En effet, la relative plasticité des repré-entations n’est pas à utiliser pour influencer le patient ouon entourage afin de les guider vers ses propres habitudes ouormes. Bien au contraire, la visée de ce travail sur les représen-

ations est d’accroître l’espace de liberté pour la déterminationncertaine du bien. Comme l’écrit Elisabeth Sledziewski,l’éthique convoque l’intelligence et la liberté dans le jardin du

1 La confusion règne. La personne malade ne meurt pas de faim, mais deénutrition ou de complications liées à l’évolution de sa maladie initiale.

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ien et du mal » [4]. La reconnaissance de cette incertitude estne porte possible pour la création d’un réseau de sens commun.e peut être aussi une compréhension approfondie des signifi-ations d’autrui, que l’on respecte sans pour autant les partager.

. Une attention à la temporalité de chaque acteur

Quelle attention est portée à la manière dont chaque acteuronstruit et habite le rapport au temps ?

.1. Le rapport au temps de la personne malade

Le rapport au temps de la personne malade est très variable.elon les situations, il existe une continuité ou une discontinuitévec une prépondérance du passé, du présent ou du futur.

Ainsi, certains patients présentant des troubles de la déglu-ition investissent, en première intention, très fortement uneutrition artificielle, d’autant plus qu’ils éprouvent une sensa-ion de faim. Ils l’individualisent comme étant une réponse au

alaise du présent. Ils se focalisent sur l’instant sans anticipere futur.

D’autres patients resteront très marqués par des nutritionsrtificielles faites antérieurement avec une tolérance médiocre.e peut être suite à l’usage de sonde nasogastrique. Ils

’opposeront à une nouvelle utilisation ou à la pose d’une sondee gastrostomie alors que leur maladie ou le handicap est sta-ilisé. Dans ce cas, c’est la perception du passé qui vient fairentrave à la construction du futur.

Certaines personnes malades vivent un rapport au temps mar-ué par une incapacité de se projeter dans le futur. Ce peut êtree cas si la dégradation du corps est rapide ou trop manifeste.a sidération induite ne permet plus l’élaboration d’un futur.ela se produit aussi lorsque la perspective de la mort se révèle

errifiante. Des protections psychiques sont nécessaires avec leurinvestissement du présent et l’évitement du futur.

Dans d’autres situations, la projection vers le futur est impos-ible car le scénario médical évoqué est incompréhensible poure patient. Quelle perception de son avenir peut se faire un patienttteint de SLA alors qu’il n’a qu’une compréhension, partielleu erronée, de l’évolution de sa maladie, de la nutrition arti-cielle, de la VNI ou de la trachéotomie ? Communiquer sures éléments n’est pas aisé. En pratique, c’est souvent la ren-ontre, fortuite ou organisée, avec d’autres patients qui permetla personne malade de se projeter dans le futur avec le plus

e vraisemblance. Cette prise de conscience, souvent solitairet parfois violente, peut engendrer des réactions émotionnellesui entraveront ultérieurement la délibération sur l’avenir.

Le rapport au temps du patient est donc particulièrementomplexe avec selon les personnes, une focalisation ou unentrave sur le présent, le passé et l’avenir.

. Le rapport au temps du médecin

Le médecin est structuré dans une autre perception du temps.e par ses connaissances, son expérience et sa fonction, leédecin privilégie plutôt un rapport au temps orienté vers le

utur. Sa position l’oriente naturellement vers le bâtir l’avenir

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partir du présent. Son orientation d’action peut se résumerinsi : « qu’est-il possible de faire pour améliorer le présent etonstruire l’avenir ? ». Il le fait en recourant à l’anticipation avec’identification de plusieurs scénarios en fonction de l’évolutione la maladie et des possibilités thérapeutiques.

De l’ensemble des protagonistes, il est généralement celuiui a le plus de connaissances sur le pronostic et les moda-ités du devenir. Cette projection, s’appuyant sur un savoir etne expérience, induit un décalage. Il sera d’autant plus diffi-ile à atténuer si le futur est marqué par une aggravation de laaladie, une limitation des possibilités thérapeutiques, voire la

erspective de la mort.L’écart semble irréductible et ce sera la tâche du médecin

ue de rétablir un partenariat dans cette asymétrie structurelle5]. Cela peut se faire au sein de rencontres dans lesquelles leédecin prête attention à ces décalages inhérents à la fonction

t à l’histoire de chacun. Le but n’est pas d’imposer sa propreemporalité, notamment médicale, mais plutôt de l’exposer enenant compte de la propre temporalité de l’interlocuteur.

Dans son rapport au temps, axé sur la construction du futur,ertains médecins sont parfois dans l’occultation d’une limitemputable au patient, à la maladie, aux thérapeutiques. Uneigilance est nécessaire afin de ne pas bâtir des scénarios quiendraient à nier la condition humaine et l’inéluctable de la

ort.

. La promotion, s’il le souhaite et le peut, de’autodétermination du patient

Quelle attention a-t-on porté à la participation éventuelle duatient à la délibération et à la décision ?

.1. Le cadre légal

Les lois du 4 mars 2002 et 22 avril 2005 sur les droits desalades insistent sur la nécessaire participation du patient

ux décisions médicales le concernant. Le médecin doit trans-ettre au patient une information complète sur les investigations

u orientations thérapeutiques possibles. Avant d’initier unection, il doit recueillir le consentement de la personne malade.n cas de défaillance de ses fonctions d’éveil ou de cogni-

ion, la volonté du patient est prise en compte à travers laonsultation des directives anticipées ou la rencontre avec laersonne de confiance, lorsque ces possibilités légales ont ététilisées.

.2. Le risque d’une focalisation excessive sur le droit et laaison

Dans le cadre des décisions relatives à la nutrition artifi-ielle, une focalisation excessive sur la dimension juridique dea relation médecin–patient pourrait engendrer plusieurs pièges.

Une application extrême de la loi se caricaturerait par des

njonctions répétées afin que le patient choisisse une option.ette sollicitation peut se révéler délétère, irrespectueuse, voireiolente. Certaines personnes ne peuvent ou ne souhaitent pasarticiper à une délibération, notamment lorsqu’elle se déroule

dtls

étabolisme 24 (2010) 136–144

ans un contexte où plane l’angoissante confrontation à laort. Une certaine régression psychique peut leur permettre

e se protéger d’une angoisse excessive et ingérable. D’autres,onsciemment, préfèrent s’en remettre à leur entourage ou auxquipes soignantes, comme une manière de se déposer par-iellement en confiance entre les mains d’autrui. Une position

édicale plus paternaliste est alors à assumer.Une représentation simplificatrice de la délibération du

atient la réduirait à un processus rationnel, conscient, cohé-ent. Suite à un travail de la raison, le patient parviendrait

se déterminer en fidélité à lui-même. Même si ce déroule-ent est parfois observé, le discernement s’avère plutôt être

ne démarche complexe, ambivalente, discontinue, incertaine. Il’associe à un travail sensoriel, émotionnel, cognitif, engageantorps et psyché, dimensions consciente et inconsciente. La déli-ération ne se réduit pas à la mise en œuvre d’une intelligenceationnelle.

.3. La promotion de l’autodétermination du patient auein d’une relation

Compte tenu de cette complexité, l’élaboration de la volontéu patient sera facilitée par l’instauration d’une réelle ren-ontre, intersubjective, entre le patient, les équipes soignantes et’entourage. Il s’agit de créer une atmosphère de conversation,ibre et conviviale, attentive à l’implicite et l’explicite. C’estu sein d’une relation impliquant l’engagement, l’ouverture et’authenticité des acteurs, que certains patients pourront che-

iner, conscientisant leur situation, envisageant les options,’interrogeant sur le souhaitable ou l’inacceptable. Cette ren-ontre permet parfois à la personne malade de définir sonouloir profond, d’énoncer un choix clair en faveur d’une optionhérapeutique. L’autodétermination du patient semble alors sou-eraine.

Cependant, les conséquences de ce choix, notamment pour leatient et son entourage, peuvent nécessiter un nouvel éclairage,nitié par les équipes soignantes. Sans contester la potentialité duatient à déterminer son propre bien, il peut être licite de le réin-erroger sur ses aspirations. Cela semble d’autant plus pertinentorsqu’il ne peut se projeter dans le futur, par méconnaissance dea forme d’évolution de sa maladie, incompréhension des tech-iques d’assistance proposées, envahissement par des affectsncontrôlables. Ainsi, quelle représentation ajustée de son avenire fait réellement un homme, atteint de chorée de Hungting-on, isolé socialement, qui semble s’orienter vers l’acceptation’une nutrition artificielle ? A-t-il vraiment connaissance de’évolution inexorable de sa maladie et des capacités d’accueilimitées des structures hospitalières ou médico-sociales ? Dansette incertitude sur la détermination du bien, la responsabilitéédicale ne peut totalement se défausser sur l’autodétermination

u patient.Dans d’autres situations, les échanges permettent de des-

iner une orientation globale. Des aspirations signifiantes se

essinent. Ce peut être l’édiction de marqueurs discriminantsels le maintien d’une relative autonomie, d’une capacité de par-er, d’une possibilité de demeurer à son domicile. La nutritionerait à poursuivre tant que ces points de repères sont effectifs.
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’est parfois un positionnement large, mais demeurant médica-ement imprécis, avec la formulation du souhait de « n’être pasrolongé si les choses s’aggravent ». À l’inverse, une suppliqueeut être adressée, révélant le dilemme irrésolu et la volonté de’en remettre à d’autres : « faites au mieux, mais surtout, que jee souffre pas ». Toute une variété de signifiants est possible,écessitant attention et interprétation du clinicien.

Cette incapacité à se déterminer de manière claire, cette indé-ermination de l’humain confronté à des choix de vie ou de mortont à respecter. Elles renvoient le praticien à la singularité dea fonction, avec parfois, l’impératif de résoudre pour l’autre leilemme qu’il n’a pu solutionner. Là encore, la promotion d’uneossible autodétermination du patient ne dégage pas le praticiene l’exercice de sa propre responsabilité.

.4. Lorsque existent des dissensus

Cette fonction nécessaire s’avère d’autant plus complexeexercer lorsque le patient est juridiquement incompétent et

u’il existe un désaccord entre la position de l’équipe soignantetablie après procédure collégiale et le souhait de l’entourageu patient2. Ce type de situation nécessiterait un éclairagepprofondi. Tout au plus peut-on, dans le cadre de cet écrit,égager quelques pistes.

Lorsque le patient est juridiquement incompétent, le cadreégal maintient le pouvoir et donc la responsabilité médicale.e médecin devra décider, mais il le fera, si possible, au bonoment, attentif aux positions et à la temporalité de chaque

cteur.Un piège classique serait de raisonner plus ou moins

onsciemment avec une logique d’exclusion. C’est une dériveouvent observée lors des délibérations éthiques. L’exclusion’un des acteurs est une manière d’atténuer la complexitéu choix. L’exclus pourrait être la personne malade, souventéduite au silence, mais aussi son entourage, parfois revendi-atif, ou enfin les équipes soignantes, épuisées par de longsoins de nursing ou à l’inverse attachées à ce patient dontlles prennent soin quotidiennement depuis de nombreusesnnées.

Pour éviter ce travers, un axe possible est de recentrer’ensemble des protagonistes sur le patient avec la recherche dea détermination incertaine de son bien. Ce positionnement tendatténuer les certitudes préétablies et à limiter l’envahissementar des projections affectives. Dans ces situations, le méde-in ne gagne pas à adopter une posture de pouvoir ou deonviction. Bien au contraire, il s’agit d’habiter réellement ete refléter le questionnement, le doute, le souci, témoignantincèrement de son bon vouloir dans la recherche du bien.ette position d’humilité permet parfois de recréer un dialogue

onstructif.

Le recours à des tiers peut être aussi une modalité pour atté-uer les éventuelles tensions. Des soignants, des psychologues,es assistantes sociales peuvent permettre de renouer un dia-

2 Un scénario similaire est celui de l’existence persistance de désaccord auein de l’équipe après qu’ait eu lieu la procédure collégiale.

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ogue rompu avec l’entourage, autorisant alors une meilleureompréhension de son vécu. Des équipes transversales, notam-ent de soins palliatifs, peuvent aussi jouer ce rôle de médiation,

ue ce soit entre famille-soignants ou au sein des équipes soi-nantes.

Mais le consensus n’est pas toujours possible. Il revient alorsu médecin d’exercer sa fonction de décideur, coupant [6] courtux tergiversations [7]. Mais à l’instar des juges, le médecin doitotiver par écrit « sa décision par un raisonnement démontrant

ue l’ensemble des faits, des témoignages, des règles de droitt de l’expérience des personnes dans ce domaine justifie laécision finale [8] ».

Cette argumentation a plusieurs fonctions. Elle oblige le pra-icien à rendre compte de sa position, témoignant ainsi quea décision n’est pas instinctuelle mais est fondée sur quelquehose de rationnel. Elle limite l’exercice du pouvoir médicaln soumettant le médecin à une possible critique. Elle permete proposer aux autres acteurs de la délibération une positionnale, non pas dans le but qu’ils y adhèrent, mais plutôt pouronorer la qualité d’une délibération centrée sur la recherche duien.

. Une relecture du processus décisionnel et unevaluation des conséquences de la décision

Au terme de ce parcours, il nous semble important de poseromme sixième étape la nécessité d’une évaluation des consé-uences de la décision. Que sont devenus le patient et sonntourage si la décision a été appliquée ? Quelles bénéfices ounconvénients ont été engendrés ?

Cette analyse factuelle se complétera d’une relecture du pro-essus décisionnel sur le plan formel, dialogique et argumentatif.ue peut dire une équipe de la qualité de la délibération qui arécédé la décision ? Y a-t-il eu liberté d’expression ? Commentcirculé la parole lors des échanges ? Le dialogue a-t-il permisne meilleure compréhension de la situation ? Les argumentsetenus ont-ils été clairement énoncés et reconnus ?

Les deux temps évaluatifs sont nécessaire car permettant’associer des perspectives éthiques à la fois conséquentialiste,rocédurale et communicationnelle. De plus, ce travail de relec-ure ouvre le soignant à une réflexivité sur sa pratique, certesoignante, mais aussi discursive. Elle peut se prolonger vers laecherche d’une sagesse avec une attention à l’expérience et auxertus développées.

Lorsque cette mise en perspective des modalités décision-elles est effectuée en équipe, cela peut engendrer une réflexionur les facteurs structurants du groupe. Cela concerne les fonc-ionnements de groupe avec le décryptage des places de chacun,es organisations de service notamment en termes de réunion

ultidisciplinaire, mais aussi les repères éthiques, plus ou moinsonscientisés.

. Conclusion

Au terme de ce parcours, nous plaidons pour que les équipesoignantes compétentes en nutrition artificielle ne se posi-ionnent pas comme de simples techniciens, comblant par un

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aux tergiversations, sous peine d’être accusé de déni de justice ». Petit traitéde la décision médicale. Paris: Seuil;2007. p. 23.

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rtifice une fonction défaillante. Le risque serait de se limiter àa possible mise en œuvre d’une technique sans interroger sa per-inence et la finalité poursuivie. Dans ces situations complexes,ls nous semblent que les équipes compétentes en nutritionagneraient à assumer une démarche soignante soucieuse d’unepproche globale et d’une vigilance éthique.

S’il n’est pas sain qu’elles se retrouvent instrumentaliséesar des décisions qu’elles ne partagent pas, elles n’ont pason plus à imposer leur avis de manière normative. Leur res-onsabilité apparaît plus de l’ordre de l’attention à la viséeu bien avec la mise en œuvre d’une créativité pratique etéflexive afin d’ouvrir un espace de délibération collectif, langa-ier, organisationnel et symbolique. En assumant cette positione manière honnête, ouverte et humble, les professionnels deanté maintiendraient, dans les institutions de soin, une vigilancethique. Ils assumeraient ainsi une responsabilité soignante etitoyenne.

onflit d’intérêt

Aucun des auteurs n’a de conflit d’intérêt avec quelquesndustriels que se soit concernant l’article et surtout le sujetbordé.

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éférences

1] À titre d’exemple, nous pouvons citer « Recommandations des experts dela Société de réanimation de langue francaise, nutrition entérale en réani-mation », réanimation 12 (2003) 350–354 ainsi que « Standarts, options etrecommandations. Nutrition en situation palliative ou terminale de l’adulteporteur de cancer évolutif » diffusé par la Fédération nationale des centresde lutte contre le cancer, 2002 : www.fnlcc.fr.

2] Folscheid F. « Science, technique et médecine ». In: Folscheid D, Feuillet-LeMintier B, Mattei J-F, editors. Philosophie, éthique et droit de la médecine.Paris: Puf; 1997. p. 177.

3] Gérardin MO. La nutrition artificielle, quel bénéfice pour le patient ? Laennec2006;3:6–13.

4] Sledziewski E. « Une éthique pour l’homme et le citoyen ». Éthique, méde-cine et société. In:E.Hircsh (Ed.). Paris: Vuibert;2007.p. 51–8.

5] Ricœur P. Les trois niveaux du jugement médical, Esprit 1996:21–33.

6] Le Coz P. « C’est en 1403 que Nicolas de Baye, alors greffier du Parlement deParis, utilisa le terme de décision dans ce sens décisif et incisif en empruntantau verbe cædere, couper. Le juge est celui qui doit trancher, couper court

7] Ricœur P. L’acte de juger, Esprit 1992;183:20–5.8] Legeault G. Professionnalisme et délibération éthique. Presse de l’université

du Québec; 1999. p. 92.