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Nutr Clin Mbtabol 1998; 12:297-302 Nutrition de l'insuffisant respiratoire aigu en r6animation Bertrand Delafosse Service d'Anesth6sie-R6animation, H6pital Edouard-Herriot, Lyon. R6sum6 L'appareil respiratoire doit appporter l'oxyg~ne n6ces- saire au m&abolisme 6nerg6tique et rejeter le gaz carbo- nique produit. La d6tresse respiratoire aigu~ se pr6sente comme l'inad6quation entre la ventilation et les besoins m6taboliques avec, pour cons6quences, une hypoxie et/ ou une hypercapnie, ll existe donc des relations tr6s ~troites entre m&abolisme 6nerg6tique, 6tat nutrition- nel, apport nutritionnel et ventilation. La d6tresse respiratoire peut &re due fi un trouble de la commande ventilatoire (coma d'origine neurologique ou toxique), fi un trouble primitif ou secondaire de la fonc- tion musculaire respiratoire (myasth6nie, myopathies, d6nutrition ou incisions chirurgicales), ou fi un trouble au niveau de I'&hangeur pulmonaire. La connaissance des relations entre nutrition et ventila- tion a un int6r& clinique direct. La d6nutrition (comme les troubles ioniques) diminue la contractilit6 diaphrag- matique et peut faire &hec au sevrage du respirateur. Elle alt6re les d6fenses immunitaires pulmonaires et modifie la structure du parenchyme pulmonaire. Lots du syndrome d'une d&resse respiratoire aigu~, la maladie et l'utilisation de fraction 61ev& d'oxyg~ne cr6ent une agression radicalaire; la per fusion rapide d'6mulsions de triglyc6rides fi chaines longues entraine une diminution r&ersible, mais importante et pr6judiciable du rapport PaO2/FIO2 associ6e ~une 616ration des r~sistances vasculaires pulmonaires. Enfin, un apport calorique su- p6rieur aux d~penses 6nerg6tiques peut 6tre la cause d'un 6pisode de d6tresse respiratoire ou de l'6chec du sevrage de la ventilation par I'augmentation du travail respira- toire secondaire fi la charge en CO2 d'origine nutrition- nelle. Nutrition and pulmonary Summa~: Energy metabolism requires oxy- gen intake and carbon dioxide elimination pro- vided by the respiratory system. Acute respi- ratory distress occurs when pulmonary gas exchanges are not adapted to metabolic de- mand, leading to hypoxemia and/or hyper- capnia. Energy metabolism, nutritional status, caloric intake and ventilation are closely rela- ted. Respiratory distress can be secondary to im- paired ventilatory drive, inspiratory muscle weakness, or impaired pulmonary paren- chyma. The clinical relevance of the nutri- tion-respiratory system relationship is ob- vious. Malnutrition reduces the contractile strength of the diaphragm and can cause fai- lure to wean a patient from the ventilator. and gas exchange alterations are observed during infusion of lipid emulsions containing Correspondance : Bertrand Delafosse, Service d'Anesthesie-R6animation, Pavilion N, H6pital Edouard-Herriot, 69003 Lyon. Regu le 22 septembre 1998. 297

Nutrition de l'insuffisant respiratoire aigu en réanimation

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Nutr Clin Mbtabol 1998; 12:297-302

Nutrition de l'insuffisant respiratoire aigu en r6animation

B e r t r a n d Delafosse

Service d'Anesth6sie-R6animation, H6pital Edouard-Herriot, Lyon.

R 6 s u m 6

L'appareil respiratoire doit appporter l'oxyg~ne n6ces- saire au m&abolisme 6nerg6tique et rejeter le gaz carbo- nique produit. La d6tresse respiratoire aigu~ se pr6sente comme l'inad6quation entre la ventilation et les besoins m6taboliques avec, pour cons6quences, une hypoxie et/ ou une hypercapnie, ll existe donc des relations tr6s ~troites entre m&abolisme 6nerg6tique, 6tat nutrition- nel, apport nutritionnel et ventilation. La d6tresse respiratoire peut &re due fi un trouble de la commande ventilatoire (coma d'origine neurologique ou toxique), fi un trouble primitif ou secondaire de la fonc- tion musculaire respiratoire (myasth6nie, myopathies, d6nutrition ou incisions chirurgicales), ou fi un trouble au niveau de I'&hangeur pulmonaire. La connaissance des relations entre nutrition et ventila- tion a un int6r& clinique direct. La d6nutrition (comme les troubles ioniques) diminue la contractilit6 diaphrag- matique et peut faire &hec au sevrage du respirateur. Elle alt6re les d6fenses immunitaires pulmonaires et modifie la structure du parenchyme pulmonaire. Lots du syndrome d'une d&resse respiratoire aigu~, la maladie et l'utilisation de fraction 61ev& d'oxyg~ne cr6ent une agression radicalaire; la per fusion rapide d'6mulsions de triglyc6rides fi chaines longues entraine une diminution r&ersible, mais importante et pr6judiciable du rapport PaO2/FIO2 associ6e ~une 616ration des r~sistances vasculaires pulmonaires. Enfin, un apport calorique su- p6rieur aux d~penses 6nerg6tiques peut 6tre la cause d'un 6pisode de d6tresse respiratoire ou de l'6chec du sevrage de la ventilation par I'augmentation du travail respira- toire secondaire fi la charge en CO2 d'origine nutrition- nelle.

Nutrition and pulmonary

S u m m a ~ : Energy metabolism requires oxy- gen intake and carbon dioxide elimination pro- vided by the respiratory system. Acute respi- r a to ry distress occurs when pu lmona ry gas exchanges are not adapted to metabolic de- mand, leading to hypoxemia a n d / o r hyper- capnia. Energy metabolism, nutritional status, caloric intake and ventilation are closely rela- ted. Respira tory distress can be secondary to im- paired vent i la tory drive, inspi ra tory muscle weakness , or i m p a i r e d p u l m o n a r y pa ren- chyma. The clinical relevance of the nutr i- t i on - r e sp i r a to ry system re la t ionsh ip is ob- vious. Ma lnu t r i t i on reduces the cont rac t i le s trength o f the diaphragm and can cause fai- lure to wean a pat ient f rom the ventilator.

and gas exchange a l te ra t ions are observed during infusion of lipid emulsions containing

Correspondance : Bertrand Delafosse, Service d'Anesthesie-R6animation, Pavilion N, H6pital Edouard-Herriot, 69003 Lyon. Regu le 22 septembre 1998.

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B. DELAFOSSE

Mots cl6s : Echanges gazeux pulmonaires, emulsions lipidiques, 6tat nutritionnel, muscles respiratoires, nutrition, SDRA,

Chez tousles mammif6res, dont l 'Homme, l'apport 6nerg6tique est r6alis6 /t partir de l 'oxydation de substrats 6nerg6tiques fournis par l'alimentation. Ce m6canisme de production d'6nergie suppose donc, outre l'apport de substrats par l'alimentation natu- relle ou artificielle, un apport d'oxyg6ne n6cessaire aux r6actions oxydatives ainsi qu'une 61imination du gaz carbonique produit : c'est le r61e de la ventilation d6volu fi l'appareil respiratoire. Ce dernier est donc au service du m6tabolisme 6nerg6tique, tout en 6tant lui-m~me consommateur d'6nergie. I1 existe ainsi des relations extr~mement 6troites entre m6tabolisme 6nerg6tique, 6tat nutritionnel, apport nutritionnel et ventilation. Cette relation nutrition-ventilation est particuli+re- ment importante en cas d'insuffisance respiratoire, qu'elle soit aigu6 ou chronique, et quelle qu'en soit la cause. L'ensemble de l'appareil respiratoire dolt donc assu- rer l'ad6quation de la ventilation et des 6changes gazeux /t la demande m6tabolique. Par souci de simplification, il peut 6tre subdivis6 en plusieurs parties : - l a commande ventilatoire d6pendant du syst6me nerveux central ; - l a pompe ventilatoire d6pendant des muscles res- piratoires, et donc de la fonction musculaire ; - l'6changeur gazeux repr6sent6 par les voies a6rien- nes et le parenchyme pulmonaire. La d~tresse respiratoire, cause habituelle d'hospitali- sation en service de r6animation, peut ~tre d6finie comme l ' inad~quation entre la ventilation et les besoins mbtaboliques. I1 peut s'agir d'un trouble de la commande (coma d'origine neurologique ou toxique), d'un trouble primitif ou secondaire de la fonction musculaire (myasth6nie, myopathies, d6fail- lance musculaire par d6nutrition ou incisions chirur- gicales), ou d'un trouble au niveau de l'6changeur gazeux (pneumopathies d'origines diverses).

Denutrition, nutrition et muscles respiratoires

La d6nutrition est fr6quente (48 %) lors de l'admis- sion des patients /t l'h6pital et est souvent major6e lors du s6jour hospitalier du fait d'une prise ali- mentaire insuffisante, de l'absence d'exercice et de l 'augmentation du catabolisme li6e/t l'affection cau- sale. Chez l'insuffisant respiratoire chronique souf-

frant de broncho-pneumopathie obstructive, cette d6nutrition est observ6e chez 20 fi 60 % des patients. Elle est responsable d'une atrophic diaphragmatique [1] pr6dominant sur les fibres musculaires rapides [2], tr6s sensibles fi la fatigue. Cette atrophic muscu- laire est responsable d'une diminution de la force diaphragmatique [2, 3]. Ainsi, chez le patient tr6s d6nutri (poids < 71% du poids id6al), sans insuffi- sance respiratoire pr6existante, on note une diminu- tion tr~s importante de la force inspiratoire maxi- male ( -63 %) et de la force expiratoire maximale (- 61%) [4]. De plus, la d6nutrition diminue l'endu- rance diaphragmatique [3], facteur important pou- vant expliquer certains 6checs du sevrage de la venti- lation alors m6me que les tests de force diaphragmatique peuvent s'av6rer satisfaisants. Enfin, certains facteurs m6taboliques fr6quemment constat6s en services de r6animation diminuent consid6rablement la contractilit6 diaphragmatique. I1 s'agit principalement de l'hypophosphor6mie [5], de l'hypocalc6mie [6], de l'bypomagn6s6mie [7] et de l'hypoglyc6mie [8]. La correction de ces troubles est indispensable afin d'am~liorer la contractilit6 diaphragmatique. I1 convient aussi de tenir compte du retentissement respiratoire des incisions chirurgicales, en particulier des incisions sous-costales bilat~rales, qui alt6rent profond6ment la ventilation pendant 48 heures [9], quel que soit le type d'analg6sie utilis~. En pratique, s'il est difficile, voire impossible, de limiter le catabolisme prot6ique des patients s6v6- rement agress~s, il convient au moins de ne pas le majorer par des erreurs nutritionnelles. La correc- tion des troubles ioniques est indispensable avant de d6cider de la mise en route d'une ventilation artifi- cielle ou de son sevrage.

Denutrition, nutrition et parenchyme pulmonaire

S6cr6tions bronchotrach6ales

L'alt6ration du mucus bronchique et trach6al est fr~quente chez les patients pr~sentant des troubles respiratoires. Chez le poulet, le d6ficit exp6rimental en acides gras essentiels simule un rnod61e d'6tude de la mucoviscidose. Chez l 'homme atteint de cette maladie, la perfusion lente d'6mulsions lipidiques de triglyc~rides fi cha~nes longues fluidifierait les s6cr6-

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tions et diminuerait la fr6quence des infections pul- monaires. Cependant, aucun travail clinique n'a en- core d6montr6 l'int6r~t de manipulation nutrition- nelle pouvant am61iorer la qualit6 du mucus trach6o- bronchique des patients souffrant d'insuffisance res- piratoire aigu6.

D~fenses immunitaires pulmonaires

La d6nutrition favorise les risques d'infection, en particulier pulmonaire [10]. Ainsi, la d6nutrition prot6ique pr6op6ratoire favorise les pneumopathies infectieuses apr&s chirurgie digestive [11]. En pra- tique clinique, il convient donc d'+viter une majora- tion de la d6nutrition, en particulier prot6ique.

Structure parenchymateuse puimonaire

Une d6nutrition pr6existante ou acquise au cours du s6jour hospitalier peut entrainer des alterations de la structure du parenchyme pulmonaire. Chez l'animal, la restriction alimentaire partielle pendant 10 jours est la cause d'une alt6ration de la morphologie pulmonaire avec un ~largissement des espaces a6ri- ques et une destruction partielle des structures al- v6olaires [12]. Ces alterations d'aspect pseudo-em- phys6mateux [13] sont partiellement corrig6es par une renutrition. Cette atteinte parenchymateuse est essentieUement li~e fi la d6privation prot6ique et non /t la d6privation 6nerg~tique [14]. En pratique clinique, il convient d'6viter route d6nutrition pro- t~ique, d'autant qu'en cas de ventilation artificielle, les baro- et volo-traumatismes vont majorer Fat- teinte parenchymateuse.

Surfactafit pulmonaire

Exp~rimentalement, la synth6se de surfactant est alt6r6e en cas de d6nutrition. Cependant, on n'a pas mis en 6vidence d'augmentation de fr6quence des at61ectasies au d6cours d'interventions de chirurgie digestive chez des patients pr6sentant une d6nutri- tion pr6op6ratoire. En revanche, l'atteinte pulmonaire responsable de l'insuffisance respiratoire aigu6 et l 'utilisation de fractions 61ev6es d'oxyg6ne inspir6 sont /t l'origine d'une agression radicalaire qui alt6re les pneumocy- tes granuleux, lieu de synth6se du surfactant. Le parenchyme pulmonaire poss6de des syst6mes de d6fenses anti-radicalaires [15]. Bri6vement, ceux-ci se composent de d&enses non enzymatiques com- prenant essentiellement la vitamine C, la vitamine E, le ~-carot6ne, la cyst6ine, et des d6fenses enzymati- ques comme la superoxyde dismutase (SOD) d6pen- dant du cuivre et du zinc, ou la glutathion peroxy- dase (GPX) d6pendant du s616nium, ainsi que la catalase. Plusieurs ~tudes exp6rimentales [16] et cli-

niques ont d6montr6 la r6alit6 de l'agression radica- laire au cours du syndrome de d6tresse respiratoire aigufi (SDRA) [17, 18]. En effet, une augmentation des activit6s enzymatiques anti-oxydantes a 6t~ mise en 6vidence dans le s6rum des patients atteints de SDRA [19], ainsi que dans le liquide de lavage bron- cho-alv6olaire [20]. De m~me, la concentration plas- matique de vitamine E est abaiss6e chez les patients atteints de SDRA par rapport fi des sujets t6moins [21], et plus abaiss6e chez les patients qui d6c6dent que chez ceux qui survivent [22]. Plusieurs essais de suppl6mentation en substances anti-radicalaires chez des patients atteints de SDRA ont 6t6 r~alis6s. L'administration ent6rale de doses importantes de vitamine E (3 g/j) fi des patients atteints de SDRA ne permet pas d'~lever les concen- trations s~riques comme elle le fait chez le sujet sain [23] ; ceci pourrait ~tre dfi fi une importante capta- tion par le parenchyme pulmonaire [24]. En fait, l'616vation des concentrations tissulaires de vitamine E est lente alors que les 16sions se sont d6jfi consti- tu6es. De plusl pour ~tre efficace, la vitamine E n6cessite la presence de vitamine C, et les diff6rentes 6tudes ne font pas 6tat d 'une adminis t ra t ion conjointe des deux. De m~me, l 'administration isol6e de vitamine C n'am61iore pas le statut anti-radica- laire et n'emp~che pas l'effondrement de la vitamine E. Chez l'animal, l 'administration de N-ac6tylcyst6ine, fi titre pr6ventif [25] ou curatif [26], s'est r~v616e int6ressante. Chez l 'homme, l 'administrat ion de N-ac6tylcyst~ine am~liore un certain nombre de param6tres, sans toutefois modifier la mortalit6 glo- bale [27, 28]. Chez l'animal, le d6ficit en s616nium majore les effets toxiques de l'hyperoxie alors qu'une suppl6menta- tion en s616nium diminue l'ced6me pulmonaire [29] ; or, la plupart des patients de r6animation pr6sentent un d6ficit en s616nium [30]. Cependant, il n'existe pas fi notre connaissance, d'~tude ayant 6valu6 l'int6r~t d'une suppl6mentation comportant les diff6rents an- tioxydants qui agissent de fagon synergique : zinc, s616nium, vitamine C, vitamine E et N-ac6tylcys- t6ine. En pratique clinique, le d6ficit latent en micronutri- ments, favorisant une agression radicalaire, est pr6- sent chez un certain nombre de patients de r6anima- tion. I1 semble donc logique de corriger ces d6ficits par des apports sp6cifiques.

Vascularisation pulmonaire et perfusion de lipides

En cas de SDRA, la perfusion rapide (3 mg/kg.min) d'une 6mulsion de triglyc6rides fi chaines longues entraine une diminution importante et pr6judiciable du rapport PaO2/FIO2, ainsi qu'une augmentation de la pression art6rielle pulmonaire moyenne et des

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r6sistances vasculaires pulmonaires [31-33]. Cet effet, major6 en cas de SDRA associ6 ~i un 6tat septique, et r6versible apr6s l'arr6t de la perfusion lipidique, serait li6 fi la saturation de certaines voies enzymati- ques, conduisant /t la synth~se de thromboxane, vasoconstricteur [34]. Cet effet est moins marqu6 lors de perfusions d'6mulsions mixtes de triglyc6ri- des fi cha~nes longues et moyennes, darts la mesure off l 'apport de triglyc6rides fi cha~nes longues est r6duit de moiti& En pratique, il convient de ne pas perfuser les ~mul- sions de triglyc6rides /t cha~nes longues fi un d6bit sup6rieur fi 2 mg/kg.min, soit en 6 h 30 pour un flacon de 250 ml d'une 6mulsion fi 20% chez un homme de 65 kg.

Apports nutritionnels et ventilation

La fourniture d'6nergie par le m~tabolisme cellulaire se fait selon l'6quation habituelle :

substrat + oxyg6ne --* gaz carbonique + eau + 6nergie

Selon cette 6quation, la quantit6 d'oxyg6ne consom- m~e (VO2) et la quantit6 de gaz carbonique produite (VCO2) varient selon la quantit6 et la nature du substrat oxyd6. Ainsi, l'oxydation d'une kilocalorie lipidique produit en moyenne 22% de gaz carbo- nique en moins que l 'oxydation d'une kilocalorie d'hydrates de carbone. Chez le sujet sain, l'augmen- ration de charge en CO2 d'origine nutritionnelle provoque une augmentation adapt6e de la ventila- tion minute (~'E) afin de conserver une pression partielle de COz (PCO~) constante. Des observations d'hypercapnie aigu6 induite par une nutrition riche en hydrates de carbone ont 6t6 d6crites chez des sujets incapables d'adapter leur ventilation minute. En dehors de l'insuffisance respiratoire chronique, cet effet a pu ~tre observ~ lors d'une ventilation contr616e inad6quate [35], ou lors de tentatives de sevrage de la ventilation artificielle [36-38]. Les modes de ventilation partielle comme l'aide inspira- toire ont montr6 qu'ils permettaient l 'adaptation de la ventilation minute /t la charge nutritionnelle en CO2 sans augmentation de la PCOz [39]. On peut remarquer que dans les diff~rentes observa- tions faisant 6tat d'une hypercapnie d'origine nutri- tionnelle, l 'apport calorique quotidien ~tait toujours sup6rieur fi 2 200 kcal et d6passait 3 000 kcal, voire 5 000 kcal dans plus de la moiti6 des cas. Dans une observation, l'apport glucidique de 1 145 g/j repr6- sente, en cas d'oxydation compl6te, une production de 850 L/j de CO2, soit plus du double de la valeur habituelle. Certains auteurs ont donc propos6, afin de diminuer le travail respiratoire, de privil6gier un apport calo-

rique lipidique [40-44] jusqu'fi des valeurs atteignant 70% de l'apport 6nerg6tique non prot6ique. Cepen- dant, il a 6t6 montr6 que lorsque l'apport calorique total ~tait proche de la d6pense 6nerg6tique, l'effet << qualitb des substrats >> ou rapport glucido-lipi- dique, ne modifiait pas la production de gaz carbo- nique ni la ventilation minute, alors qu'fi rapport glucido-lipidique constant, en revanche, la produc- tion de gaz carbonique s'61evait avec l'apport 6nerg6- tique total [45]. Cet effet, a priori paradoxal, peut s'expliquer par l'6tude du devenir des substrats nutritionnels. On peut en effet se demander si l 'augmentation de l'ap- port lipidique diminue la production de CO2 par l'effet propre des lipides (production moindre de gaz carbonique que les hydrates de carbone) ou par diminution de l'apport 6nerg6tique imm6diatement oxydable, une partie de l 'apport lipidique 6tant stock~e et non oxyd~e. I1 a en effet ~t~ confirm~ que lorsque l 'apport 6nerg6tique 6tait 6quivalent aux d6penses 6nerg6tiques, la production de gaz carbo- nique et donc la ventilation-minute ~taient ind6pen- dantes du rapport glucido-lipidique, alors que la quantit6 de lipides directement stock6e 6tait propor- tionnelle fi la quantit6 de lipides apport6e [46]. En d'autres termes, la r6duction de production de gaz carbonique au cours d'une nutrition excessivement enrichie en lipides est due fi une r6duction de l'ap- port 6nerg~tique utilisable par stockage de tout ou partie des lipides administr6s. En pratique, lorsque le travail respiratoire est pris en charge par la ventilation artificielle, la production de CO2 n'est pas un probl~me majeur, fi condition de r6gler correctement les param6tres du respirateur afin d'6viter une hypercapnie. I1 est ainsi possible, en fonction de l'6tat nutritionnel du patient, de privi- 16gier un apport fi pr6dominance glucidique ou li- pidique. En revanche, lorsque se pose le probl6me d'6viter la ventilation, ou du sevrage de la ventila- tion, l'apport 6nergbtique total doit ~tre approxima- tivement 6gal aux d6penses 6nerg6tiques et le rap- port glucido-lipidique d'environ 70 % glucose / 30 % lipide, ce qui correspond fi un apport glucidique de 15 fi 18 kcal/kg.j (le poids 6tant le poids id6al), et un apport lipidique de 6 fi 8 kcal/kg.j.

Nutrition parentdrale ou nutrition entdrale ?

En l'absence d'il6us digestif accompagnant l'6pisode d'insuffisance respiratoire, il convient autant que possible de privil6gier la nutrition ent6rale. Cepen- dant, cette derni6re n'est pas enti6rement d6nu6e de risques comme l'inhalation trach6obronchique, dont le risque est ~valu6 entre 1 et 4,4 % [47]. La position semi-assise semble pr&6rable fi la position allong~e,

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N U T R I T I O N DE L ' I N S U F F I S A N T RESPIRATOIRE A I G U EN RI~ANIMATION

mais la v6rification r6guli6re du r6sidu doit demeurer la r6gle.

Conclusion

En pratique, on retiendra la fr~quence de la d6nutri- tion en milieu hospitalier et son r61e d616t6re sur la ventilation, la n6cessit6 de corriger certains troubles ioniques ainsi que le retentissement de fortes charges caloriques sur la production de gaz carbonique, la ventilation-minute et le travail respiratoire. En cas de SDRA, les 6mulsions lipidiques doivent ~tre per- fus6es le plus lentement possible.

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